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J Radiol 2006;87:1899-1901 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2006 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés quid ? Quel est votre diagnostic ? PJ Sauvage (1), A Rabii (2), JM Coz (2), GY de Carsalade (2), Y Théry (1) et PY Wolf (3) Observation Une jeune femme de 16 ans, habitant Mayotte, est hospitalisée pour un syndrome occlusif, ayant débuté trois jours auparavant par des douleurs pelviennes, suivies de vomissements et depuis la veille par un arrêt des gaz. Elle est mère de 2 enfants, le dernier né par césarienne 10 mois auparavant. Les touchers pelviens sont douloureux sans masse perceptible. Elle bénéficie d’une contra- ception injectable et le dosage de Bêta H.C.G. plasmatique est inférieur à 2 mUI/ml. La température est normale; la numération formule sanguine montre une polynucléose à 16 400/mm 3 avec 85 % de neutrophiles et 3,6 % d’éosinophiles. Un scanner abdomino-pelvien est réalisé (fig. 1). Quel diagnostic évoquez-vous ? Quel examen complémentaire proposez-vous ? (1) Service d’Imagerie Médicale, (2) Service d’Accueil des Urgences, (3) Service de Chirurgie Viscérale, Hôpital de Mayotte, BP 04, 97600 Mamoudzou. Correspondance : PJ Sauvage E-mail : [email protected] Fig. 1 : Scanner abdominal. Fig. 1: Abdominal CT. ab

Quel est votre diagnostic ?

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Page 1: Quel est votre diagnostic ?

J Radiol 2006;87:1899-1901© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2006

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés quid ?

Quel est votre diagnostic ?

PJ Sauvage (1), A Rabii (2), JM Coz (2), GY de Carsalade (2), Y Théry (1) et PY Wolf (3)

ObservationUne jeune femme de 16 ans, habitant Mayotte, est hospitaliséepour un syndrome occlusif, ayant débuté trois jours auparavantpar des douleurs pelviennes, suivies de vomissements et depuis laveille par un arrêt des gaz. Elle est mère de 2 enfants, le dernierné par césarienne 10 mois auparavant. Les touchers pelviens sontdouloureux sans masse perceptible. Elle bénéficie d’une contra-

ception injectable et le dosage de Bêta H.C.G. plasmatique estinférieur à 2 mUI/ml. La température est normale; la numérationformule sanguine montre une polynucléose à 16 400/mm3 avec 85 %de neutrophiles et 3,6 % d’éosinophiles.Un scanner abdomino-pelvien est réalisé (fig. 1).

Quel diagnostic évoquez-vous ?Quel examen complémentaire proposez-vous ?

(1) Service d’Imagerie Médicale, (2) Service d’Accueil des Urgences, (3) Service de Chirurgie Viscérale, Hôpital de Mayotte, BP 04, 97600 Mamoudzou.Correspondance : PJ SauvageE-mail : [email protected]

Fig. 1 : Scanner abdominal.

Fig. 1: Abdominal CT.

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1900 Quel est votre diagnostic ? PJ Sauvage et al.

DiagnosticOcclusion du grêle par Ascaris.

ÉvolutionLa constatation de deux images tubulaires dans des anses jéjunalesdilatées (fig. 1) fait évoquer une ascaridiase et pratiquer une écho-graphie abdominale ; celle-ci montre de multiples images rubanées,de 4 à 6 mm de diamètre, à bords échogènes et centre hypoécho-gène, sans cône d’ombre (fig. 2) et animées de mouvements sinueux.Certaines images sont pelotonnées. Le traitement médical de l’occlu-sion permet la normalisation du transit et un anti-helminthique estalors administré (mebendazole 200 mg/jour per os pendanttrois jours). Un Ascaris adulte est rejeté lors d’un vomissement etplusieurs sont éliminés dans les selles. Après 4 jours d’hospitalisa-tion la patiente regagne son domicile.

DiscussionL’ascaridiase est une parasitose intestinale cosmopolite causée parAscaris lumbricoïdes. Ce nématode évolue sans hôte intermédiai-re, mais les œufs éliminés par les selles doivent subir une évolutiondans le milieu extérieur pour devenir infestants (1). Un climatchaud et humide favorise la transformation dans le sol des œufsembryonnés en larves infestantes et facilite ainsi la contaminationpar l’ingestion de ces larves présentes dans l’eau, le sol ou à la sur-face de plantes souillées par les déjections humaines. Les larvessont libérées de leur coque protectrice et éclosent dans le duodé-num. Elles traversent la paroi intestinale et migrent, par voie por-tale, rarement lymphatique, vers le foie, puis par le cœur droit at-teignent le poumon. Les larves franchissent la paroi capillairepulmonaire et pénètrent dans les alvéoles. Cette phase pulmo-naire de migration larvaire est habituellement asymptomatique,mais peut s’accompagner de toux, d’hémoptysie, de dyspnée,de fièvre et d’une hyperéosinophilie dans le sang et les sécrétionsbronchiques, c’est le syndrome de Loeffler ascaridien. Après unenouvelle mue, les larves remontent l’arbre bronchique, la trachéeet le larynx, atteignant l’hypopharynx où elles sont dégluties. Dans

l’intestin grêle, la larve atteint la maturité sexuelle en 2 à 3 mois. Lever adulte, cylindrique avec des extrémités effilées, mesure 6 mmde diamètre et jusqu’à 35 cm de long pour la femelle qui peut pon-dre 250 000 œufs par jour. Le mâle est plus court et plus mince. Leparasite adulte peut vivre 12 à 18 mois dans le jéjunum. L’Ascarisne se multiplie pas chez l’hôte, mais l’infestation peut se majorerdans le temps par l’ingestion répétée d’oeufs embryonnés.L’ascaridiase intestinale passe habituellement inaperçue si lepatient n’héberge qu’un petit nombre de vers adultes ; elle ne sedévoile que si un ascaris est spontanément évacué. Les infesta-tions massives, plus fréquentes chez l’enfant entre 3 et 8 ans, peuventprovoquer des complications intestinales, biliaires, hépatiques etpancréatiques (2). L’obstruction intestinale par pelote d’Ascarisreprésente deux tiers des complications abdominales. L’occlusion,habituellement incomplète, peut être déclenchée par un traitementanti-helminthique (3) distribué à une collectivité d’enfants ouprescrit de façon probabiliste en raison de douleurs abdominalesvagues en zone d’endémie. Si l’élimination de vers adultes par labouche ou l’anus est évocatrice, mais rarement signalée sponta-nément, une hyperéosinophilie sanguine modérée (5 à 12 %) estbanale en milieu rural dans la zone intertropicale. L’échographiea permis le diagnostic préopératoire d’appendicite (4) ou de per-foration intestinale (5)d’origine ascaridienne. L’étiologie parasi-taire du syndrome abdominal doit être suspectée par le chirurgienpour limiter la contamination péritonéale par des œufs d’Ascaris.Les complications biliaires sont moins fréquentes (25 %) (6) : lever adulte pénètre dans la papille, remonte dans la voie biliaireprincipale, pouvant entraîner cholangite, abcès hépatique, cholé-cystite. La migration serait facilitée en cas de sphinctérotomie.Les pancréatites par migration dans le canal de Wirsung sont rares.Devant un syndrome douloureux abdominal suspect d’occlu-sion, la radiographie simple de l’abdomen reste la première étapede l’imagerie avec une sensibilité de 46 à 86 % pour tous les typesd’occlusions du grêle, mais seulement de 26 % pour les occlusionsde bas grade (7).L’échographie a une sensibilité de 95 % et une spécificité de 82 %,mais après avoir exclu plus de 10 % des patients dont l’abdomen« gazeux » est un échec de la technique (8).

Fig. 1 : Scanner abdominal.a Coupe sans injection : image curviligne (tête de flèche) dans une anse jéjunale dilatée à contenu hydro-aérique.b Après injection : à un autre niveau de coupe, une autre image tubulaire est visible dans une anse grêle pleine de liquide.

Fig. 1: Abdominal CT.a Nonenhanced image: dilated fluid- and gas-filled proximal bowel loop with curvilinear structure inside (arrowhead).b Contrast-enhanced scan shows another tubular image within fluid-filled small bowel.

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La sensibilité du scanner est supérieure à 90 % et sa spécificité voisinede 95 % dans le diagnostic des occlusions complètes ou de haut gra-de. Pour les occlusions de bas grade, la sensibilité du scanner serait del’ordre de 50 % (7). En plus du siège et de la nature de l’obstacle, l’in-formation essentielle que le chirurgien attend du scanner est la pré-sence éventuelle de signes d’ischémie intestinale. En l’absence decontre-indication, l’injection iodée IV est réalisée car elle améliorel’analyse tissulaire et de la vascularisation intestinale.Les causes intrinsèques d’occlusion du grêle, calcul biliaire, bé-zoard, corps étranger (9)… sont rares ; les parasites se rencon-trent surtout en zone intertropicale et chez l’enfant. Trente cinqpour cent des Ascaris sont reconnaissables sur les clichés simplesde l’abdomen (10). Au contraire des transits barytés digestifs oùl’Ascaris est vu dans toute sa longueur, le scanner montre habi-tuellement le parasite en coupe transversale. Sa reconnaissanceest facilitée par les reconstructions 3D, l’opacification intestinaleou la distension liquidienne du grêle comme dans notre observation.L’identification du parasite en échographie est également facilitéepar la réplétion hydrique du grêle en rapport avec l’occlusion ou l’in-gestion d’eau comme préparation à l’exploration ultrasonore du tu-be digestif en zone endémique (11). L’Ascaris se présente en coupetransversale comme une image en cible ; en coupe longitudinale,l’aspect est tubulaire, formé de deux bandes échogènes parallèles quientourent une zone centrale anéchogène. Avec une sonde de hautefréquence, les bandes échogènes latérales se dédoublent formantdeux lignes fines qui entourent un tube central hypoéchogène.Les mouvements sinueux du ver sont caractéristiques. L’échographiepermet également de rechercher les localisations biliaires du parasi-te, les complications hépatiques, vésiculaires, pancréatiques et de sui-vre la réponse thérapeutique.

ConclusionDevant un syndrome occlusif chez l’adulte, l’attitude logique estde réaliser d’emblée un scanner abdomino-pelvien. Cependant,

dans la zone intertropicale, où l’infestation par Ascaris est fréquen-te et parfois massive, l’échographie est une technique plus accessi-ble et sensible pour le diagnostic de cette parasitose et de ses com-plications intestinales et biliaires. Le traitement médical del’occlusion et les antihelminthiques per os permettent habituelle-ment d’éviter la chirurgie.

Références1. Peters W, Gilles HM. Tropical medicine and parasitology. 4th ed.

Mosby-Harcourt edit., London 1999;81-3:91-2.2. Ferreyra NP, Cerri GG. Ascariasis of the alimentary tract, liver,

pancreas and biliary system: its diagnosis by ultrasonography. He-patogastroenterology. 1998;45: 932-7.

3. Vasquez Tsuji O, Gutierrez Castrellon P, Yamazaki Nakashimada MAet al. Anthelmintics as a risk factor in intestinal obstruction by Ascarislumbricoides in children. Bol Chil Parasitol 2000;55:3-7.

4. Misra SP, Dwivedi M, Misra V, Singh PA, Agarwal VK. Preopera-tive sonographic diagnosis of acute appendicitis caused by Ascarislumbricoides. J Clin Ultrasound 1999;27:96-7.

5. Chawla A, Patwardhan V, Maheshwari M, Wasnik A. Primary as-caridial perforation of the small intestine : sonographic diagnosis. JClin Ultrasound 2003;31:211-3.

6. Sandouk F, Haffar S, Zada MM, Graham DY, Anand BS. Pancreatic-biliary ascaridiasis: experience of 300 cases. Am J Gastroenterol 1997;92:2264-7.

7. Chevallier P, Denys A, Schmidt S, Novellas S, Schnyder P, Brune-ton JN. Valeur du scanner dans l’occlusion mécanique de l’intestingrêle. J Radiol 2004;85:541-51.

8. Schmutz GR, Benko A, Fournier L, Peron JM, Morel E, Chiche L.Small bowel obstruction: role and contribution of sonography. EurRadiol 1997;7:1054-8.

9. Mignon F, Mesurolle B, Brouzes S. Quel est votre diagnostic? J Ra-diol 2004;85:335-7.

10. Akgun Y. Intestinal obstruction caused by Ascaris lumbricoides. DisColon Rectum 1996;39:1159-63.

11. Mahmood T, Mansoor N, Quraishy S, Ilyas M, Hussain S. Ultrasono-graphic appearance of Ascaris lumbricoides in the small bowel. J Ul-trasound Med 2001;20:269-74.

Fig. 2 : Échographie d’une anse grêle dilatée.a Bande à bords échogènes, de 4 mm de diamètre, avec un centre hypoéchogène et des mouvements oscillants en échoscopie.b Ver pelotonné dans la lumière intestinale.

Fig. 2: US image of a dilated bowel loop.a Echogenic strip, 4 mm in diameter, with an anechoic center and swinging movements on real-time images.b Coiling of the worm within the distended bowel.

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