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Quelle place pour les « Chest Pain Unit » dans la filière française de prise en charge des syndromes coronaires ? Le point de vue des urgentistes Frédéric Lapostolle 1 , Karim Tazarourte 2 , Frédéric Adnet 1 1. Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, EA 3509, APHP, hôpital Avicenne, urgences SAMU 93, 93000 Bobigny, France 2. Hôpital de Melun, SAMU 77, 77011 Melun, France Correspondance : Frédéric Lapostolle, Université Paris 13, Sorbonne Paris cité, EA 3509, hôpital Avicenne, SAMU 93 UF recherche-enseignement-qualité, 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny, France. [email protected] Disponible sur internet le : 1 er mai 2013 Reçu le 1 mars 2013 Accepté le 6 mars 2013 Presse Med. 2013; 42: 10391041 ß 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE Dossier thématique 1039 Mise au point Key points Place for ‘‘Chest Pain Unit’’ in France. Emergency physicians point of view The concept of ‘‘Chest Pain Unit’’ was born in the United States in the 1980s. The interest of the transposition, in France, of this American concept is not obvious. Radical difference in cardiovascular risk factors, coronary heart disease prevalence and in emergency care organization are the first limits. The medico-economic analysis of ‘‘Chest Pain Unit’’ does not seem to be favorable. The only published French experience provides no convincing arguments. In consequence, in the French system, early call to the SAMU- Centre 15, prehospital medical management and direct access to the cath lab or cardiologic ICU must remain the rule. This strategy is associated with time saved and reduced morbidity and mortality. To educate the patient at vascular (cardiologic and neurologic) risk in this sense should be encouraged. Points essentiels Le concept de « Chest Pain Unit » est aux États-Unis, dans les années 1980. L’intérêt de la transposition, en France, de ce concept américain ne va pas de soi. Une prévalence de facteurs de risque cardiovasculaire et de la maladie coronaire et une organisation de soins urgents radi- calement différents en sont les premières limites. L’analyse médico-économique du recours aux « Chest Pain Unit » ne semble pas favorable. La seule expérience française publiée n’apporte pas d’arguments convaincants. En conséquence, dans le système français, le recours précoce au SAMU-Centre 15, la prise en charge médicale préhospitalière et l’accès direct à la salle de cathétérisme ou à l’unité de soins intensifs de cardiologie doivent demeurer la règle. Cette stratégie est associée aux délais de prise en charge les plus courts et à une réduction de morbi-mortalité. L’éducation en ce sens du patient à risque vasculaire (cardiologique et neurologie) doit être favorisée. tome 42 > n86 > juin 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.03.007

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Presse Med. 2013; 42: 1039–1041� 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DECARDIOLOGIE

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The concept of ‘‘Chest Pain Unit’’in the 1980s. The interest of the tAmerican concept is not obviouRadical difference in cardiovascudisease prevalence and in emethe first limits.The medico-economic analysis oseem to be favorable. The onlyprovides no convincing argumenIn consequence, in the French syCentre 15, prehospital medical mto the cath lab or cardiologic ICThis strategy is associated wimorbidity and mortality. To edu(cardiologic and neurologic) riencouraged.

tome 42 > n86 > juin 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.03.007

Quelle place pour les « Chest Pain Unit » dansla filière française de prise en charge dessyndromes coronaires ? Le point de vue desurgentistes

Frédéric Lapostolle1, Karim Tazarourte2, Frédéric Adnet1

1. Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, EA 3509, AP–HP, hôpital Avicenne,urgences – SAMU 93, 93000 Bobigny, France

2. Hôpital de Melun, SAMU 77, 77011 Melun, France

Correspondance :Frédéric Lapostolle, Université Paris 13, Sorbonne Paris cité, EA 3509, hôpitalAvicenne, SAMU 93 – UF recherche-enseignement-qualité, 125, rue de Stalingrad,93009 Bobigny, [email protected]

Disponible sur internet le :1er mai 2013

Reçu le 1 mars 2013Accepté le 6 mars 2013

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t’’ in France. Emergency

was born in the United Statesransposition, in France, of thiss.lar risk factors, coronary heartrgency care organization are

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Points essentiels

Le concept de « Chest Pain Unit » est né aux États-Unis, dans lesannées 1980. L’intérêt de la transposition, en France, de ceconcept américain ne va pas de soi.Une prévalence de facteurs de risque cardiovasculaire et de lamaladie coronaire et une organisation de soins urgents radi-calement différents en sont les premières limites.L’analyse médico-économique du recours aux « Chest PainUnit » ne semble pas favorable. La seule expérience françaisepubliée n’apporte pas d’arguments convaincants.En conséquence, dans le système français, le recours précoce auSAMU-Centre 15, la prise en charge médicale préhospitalière etl’accès direct à la salle de cathétérisme ou à l’unité de soinsintensifs de cardiologie doivent demeurer la règle.Cette stratégie est associée aux délais de prise en charge lesplus courts et à une réduction de morbi-mortalité. L’éducationen ce sens du patient à risque vasculaire (cardiologique etneurologie) doit être favorisée.

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F Lapostolle, K Tazarourte, F Adnet

Le syndrome coronaire avec sus-décalage du segment estune urgence thérapeutique [1]. Dans certains cas, il en est demême pour le syndrome coronaire aigu sans sus-décalage dusegment ST [2]. À l’inverse, une présentation clinique ou élec-trocardiographique atypique fait que l’urgence est diagnostique.Afin de relever le défi du diagnostic du syndrome coronaire, desunités spéciales ont été créées. Cette stratégie, reposant sur lerecours aux « Chest Pain Unit » (unité de douleur thoracique),permettrait-elle d’améliorer la prise en charge du syndromecoronaire en France ?

La « Chest Pain Unit », un concept américainLe concept est américain. La première « Chest Pain Unit » estcouramment attribuée à la ville de Baltimore, dans les années1980. La plupart des évaluations du recours aux « Chest PainUnit » qui ont été réalisées l’ont été aux États-Unis [3]. Or, latransposition en France d’un concept américain ne va pasnécessairement de soi [3].En premier lieu, parce que la prévalence des facteurs de risquecardiovasculaire est radicalement différente [4]. Il en résulte quela prévalence de la pathologie coronaire dans une populationdonnée est tout aussi différente. Or, la valeur prédictive (positiveou négative) des stratégies diagnostiques est directementdépendante de cette prévalence. En conséquence, une stratégie,fut-elle valable dans une population donnée, ne peut pas êtreappliquée avec une performance identique à une autre popula-tion. Cette prévalence influe aussi directement sur le coût de lastratégie diagnostique.En second lieu, les stratégies utilisées sont très variables. Parexemple, la durée d’observation rapportée a pu varier de quatreà 12 heures ! [3]. Le plus souvent le dosage de CPK a été retenuquand la troponine ultrasensible est aujourd’hui courammentutilisée [3].Enfin, la place d’une telle unité doit être considérée dans lecadre d’une organisation globale des soins urgents, soins nonprogrammés. Cette organisation est aux États-Unis radicale-ment différente de ce qu’elle est en France. C’est donc bien versles expériences françaises qu’il convient de se tourner.

Peu de retour d’expérience en FranceÀ notre connaissance une seule expérience française a étépubliée [5]. Les auteurs y définissent précisément les objectifsd’une telle structure. Il s’agit de prendre en charge les patientsavec une « douleur thoracique sans diagnostic » après une« évaluation clinique, l’électrocardiogramme et radiographie dethorax » [5]. L’objectif est de « permettre une évaluation rapideet sûre des patients à faible risque » pour « exclure le diagnosticde syndrome coronaire » et « éviter des admissions inutiles encardiologie » [5].Les auteurs présentent le bilan de la prise en charge de9010 patients dans leur « Chest Pain Unit » de 2006 à 2008

[5]. Les objectifs visés n’ont pas été atteints pour de multiplesraisons. Dans environ 28 % des cas, les patients étaientsecondairement admis en unité de soins intensifs voiretransférés directement en salle de coronarographie. Cespatients sont évidemment en dehors la cible envisagée despatients « à faible risque ». À l’inverse, dans 6 % des cas,seulement, les patients étaient à très faible risque.L’objectif de rapidité n’était pas atteint. Le délai médian deréalisation des examens était de 22 heures (30 heures le week-end). Ce résultat est comparable à d’autres expériences qui ontété précédemment publiées. Des délais médians de 50 heuresont été rapportés dans une méta-analyse récente [6].L’objectif diagnostique n’était pas atteint. En effet, 51 % despatients n’avaient pas de diagnostic final. Ce chiffre est compa-rable à ce qui est observé, dans la « vraie vie » pour des patientsavec une douleur thoracique pris en charge dans une structured’urgence.L’objectif de sécurité n’était pas atteint. Vingt-six pour cent despatients avaient été préalablement pris en charge par une unitémobile hospitalière (UMH) d’un SMUR. Soixante-neuf pour centdes patients s’étaient donc rendus directement à l’hôpital dont43 % aux Urgences. Or, cette pratique remet en cause lasécurité des patients. Ces patients avec une douleur thoracique,suspects de syndrome coronaire sont exposés au risque de mortsubite. C’est pour cette raison que furent créées il y a quelquesdécennies, les unités de soins intensifs de cardiologie, consi-dérées comme l’un des progrès majeurs de la cardiologiemoderne [7]. Ces patients suspects de syndrome coronaire, àrisque élevé de mort subite, doivent bénéficier d’une surveil-lance électrocardioscopique précoce et pouvoir bénéficier, lecas échéant, d’un choc électrique externe immédiat en cas detrouble du rythme ventriculaire. C’est par le recours au SAMUque cet objectif est, au mieux, atteint. Ceci est cohérent avec lesrecommandations françaises qui préconisent l’appel direct etprécoce au SAMU-Centre 15 en cas de douleur thoracique [8].Cette stratégie est associée aux délais de prise en charge lesplus courts et aux taux de reperfusion coronaire les plus élevés.Les auteurs déplorent que de nombreux patients ne suivent pascette filière de prise en charge. Pour autant, cela ne sauraitjustifier un message rendant confuse ces recommandations. Ilconviendrait, au contraire, de favoriser l’éducation des patientsafin qu’ils rejoignent rapidement la filière optimale. Toutpatient à risque vasculaire (ainsi que ses proches) devrait savoir(et lire sur son ordonnance), qu’en cas de douleur thoracique, ildoit appeler le SAMU-Centre 15. Il devrait être informé qu’il doitfaire de même en cas de trouble du langage, de déficit moteur,pour rejoindre la filière de prise en charge optimale de l’acci-dent vasculaire cérébral qui passe aussi par le SAMU-Centre 15.Ceci est d’autant plus pertinent que les mêmes patients sontexposés aux deux risques !Enfin, les analyses médico-économiques ne sont pas favorablesaux « Chest Pain Unit ». Les événements cardiovasculaires, la

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durée de séjour et le coût à six mois n’étaient pas significati-vement modifiés avec le passage par une unité de douleurthoracique par rapport à la prise en charge de routine [6].En France, l’organisation actuelle des soins urgents, repose surla filière du SAMU-Centre 15. Dans le cadre du syndromecoronaire, et plus globalement de la douleur thoracique, ilest clairement établi que le recours à cette filière contribueà améliorer le pronostic. Le fait d’éviter le passage par lesurgences (donc, de favoriser l’accès direct à la salle de cathé-térisme ou à l’unité de soins intensifs de cardiologie) réduit lesdélais et la mortalité [9]. À l’inverse, l’introduction des inter-venants supplémentaires réduit le taux de reperfusion etaccroît la mortalité. Néanmoins, pour certains patients ayantbien intégré la filière du SAMU-Centre 15 et ayant été pris encharge par un SMUR, l’incertitude diagnostique demeure.Lorsque la probabilité de syndrome coronaire aigu est élevéeou lorsque ces patients sont eux-mêmes à risque élevé oumodéré, une prise en charge directe en USIC est le plus souventsouhaitable. Par contre, lorsqu’il s’agit d’écarter définitivementle diagnostic de syndrome coronaire ou lorsque le risque estmanifestement minime, une prise en charge alternative pour-

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rait être envisagée. La faible prévalence prévisible de la mala-die coronaire dans cette population ne justifie pas la créationd’unités spécifiques, comme nous venons de le voir. Par contre,l’optimisation des moyens existants, l’octroi de moyens spéci-fiques, le développement de collaborations avec les services decardiologie permettrait certainement d’y répondre efficace-ment. Le recours organisé au coroscanner pourrait y êtreavantageusement envisagé [10]. Enfin, une telle stratégiepermettrait de couvrir un champ diagnostique plus vaste quecelui de la seule maladie coronaire.

ConclusionLa conclusion la plus pertinente à cette analyse de la littératuresur les « Chest Pain Unit » peut être reprise d’une étudeaméricaine récente. Les auteurs concluent que le passagepar une « Chest Pain Unit » « augmente pas les effets secon-daires à long terme des patients » [11]. C’est bien le moins quel’on puisse en attendre.

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article

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