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Quelques réflexions sur la crise actuelle (version du 12 novembre 08) Les textes sur la crise commencent à pulluler. Tant mieux ! On y trouve souvent des informations intéressantes et même de bonnes choses. Alors pourquoi un texte de plus ? Tout simplement parce qu’il me semble que la très grande majorité de ces textes s’en tiennent aux apparences, à ce qui se passe au niveau de la sphère financière, présentée comme la source principale des maux actuels. La solution serait alors à chercher du côté d’une réglementation plus appropriée, une limitation des primes et rémunérations des traders et de leurs patrons, une politique monétaire plus appropriée, etc. Ce qui est selon moi erroné, car on ne fait là que s’attaquer aux conséquences, et non aux causes, du phénomène. Au coeur de la crise : la surproduction La thèse défendue dans cet article est qu’il faut chercher l’origine de la crise actuelle – et de celles qui l’ont précédée – dans les rapports qui se nouent au niveau de la production et de la répartition du produit de la société (le « gâteau collectif »). La tendance à la surproduction, propre au capitalisme – ou aux « économies du marché » – joue alors un rôle déterminant. Ce qui est en jeu, c’est notamment la répartition entre les membres de la société des revenus issus de la production. En effet, après l’achat des biens de consommation (par la grande majorité de la population, aux revenus limités) et d’investissement (par les propriétaires des moyens de production), il reste un excédent de revenu non dépensé, détenu pour l’essentiel par les plus aisés. Un des rôles essentiels de la finance consiste à recycler ce revenu, sous forme de prêts aux couches moins aisées, qui peuvent alors acheter – en donnant pour gage leur travail futur – les biens non encore vendus, contrepartie du revenu excédentaire. Par exemple, dans le cas des « subprime », il y avait, d’un côté, surproduction de maisons et, de l’autre côté, des revenus (venant en partie, et indirectement, de cette surproduction) qui étaient « placés » auprès d’organismes financiers, qui les ont prêtés à ceux qui voulaient s’acheter une maison. La boucle était bouclée … jusqu’à ce que l’insolvabilité des emprunteurs devienne notoire. Ceux dont les revenus issus de la production (profits, salaires, etc.) ne sont pas complètement utilisés pour l’achat de biens de consommation ou d’investissement, accepteront toutefois difficilement de prêter directement à plus pauvre qu’eux pour qu’ils puissent acheter l’excédent de cette production (maisons, voitures, etc.). Ils demanderont des garanties, que les plus démunis ne pourront fournir. La surproduction sera alors flagrante (la boucle ne sera pas bouclée). Finalement, tout le monde sera perdant : les

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  • Quelques rflexions sur la crise actuelle (version du 12 novembre 08)

    Les textes sur la crise commencent pulluler. Tant mieux ! On y trouve souvent desinformations intressantes et mme de bonnes choses. Alors pourquoi un texte de plus ? Toutsimplement parce quil me semble que la trs grande majorit de ces textes sen tiennent auxapparences, ce qui se passe au niveau de la sphre financire, prsente comme la sourceprincipale des maux actuels. La solution serait alors chercher du ct dune rglementationplus approprie, une limitation des primes et rmunrations des traders et de leurs patrons,une politique montaire plus approprie, etc. Ce qui est selon moi erron, car on ne fait l que

    sattaquer aux consquences, et non aux causes, du phnomne.

    Au cur de la crise : la surproduction

    La thse dfendue dans cet article est quil faut chercher lorigine de la crise actuelle et decelles qui lont prcde dans les rapports qui se nouent au niveau de la production et de larpartition du produit de la socit (le gteau collectif ). La tendance la surproduction,propre au capitalisme ou aux conomies du march joue alors un rle dterminant. Cequi est en jeu, cest notamment la rpartition entre les membres de la socit des revenus issusde la production. En effet, aprs lachat des biens de consommation (par la grande majorit dela population, aux revenus limits) et dinvestissement (par les propritaires des moyens deproduction), il reste un excdent de revenu non dpens, dtenu pour lessentiel par les plusaiss. Un des rles essentiels de la finance consiste recycler ce revenu, sous forme de prtsaux couches moins aises, qui peuvent alors acheter en donnant pour gage leur travail futur les biens non encore vendus, contrepartie du revenu excdentaire.Par exemple, dans le cas des subprime , il y avait, dun ct, surproduction de maisons et,de lautre ct, des revenus (venant en partie, et indirectement, de cette surproduction) quitaient placs auprs dorganismes financiers, qui les ont prts ceux qui voulaientsacheter une maison. La boucle tait boucle jusqu ce que linsolvabilit desemprunteurs devienne notoire. Ceux dont les revenus issus de la production (profits, salaires,etc.) ne sont pas compltement utiliss pour lachat de biens de consommation oudinvestissement, accepteront toutefois difficilement de prter directement plus pauvrequeux pour quils puissent acheter lexcdent de cette production (maisons, voitures, etc.). Ilsdemanderont des garanties, que les plus dmunis ne pourront fournir. La surproduction seraalors flagrante (la boucle ne sera pas boucle). Finalement, tout le monde sera perdant : les

  • 2pauvres ne pourront pas acheter les maisons, perdront peut-tre leur emploi, tandis que lesriches verront leurs revenus diminuer (les maisons ntant pas vendues). Ce sera la crise, laproduction et les revenus se contractant1.La finance peut lviter, quitte la repousser plus tard et amplifier ses effets. En jouantdintermdiaire entre prteurs et emprunteurs, elle rend les choses plus obscures et entretientles illusions les financiers se prenant eux-mmes au jeu, dailleurs. Comme on le verra. Cequi se passe dans la sphre montaire et financire o circulent notamment les droits deproprit nest videmment pas sans importance. Mais on ne peut comprendre ce qui sepasse sans remonter la source, au partage plus ou moins ingal du produit entre les membresde la socit, et la tendance la surproduction qui en dcoule.Cest cette ide qui sert de fil conducteur ce texte. On peut noter que, depuis que celui-ci at rdig (il y a un mois), les faits semblent de plus en plus la confirmer : il ny a pas de jouro on ne nous parle pas de fermeture partielle ou totale dentreprises, de chmage technique,de restriction des cots, de comportement attentistes, faute de demande pour les stocks debiens existants, de crdits refuss par des banques qui ont de forts doutes sur les dbouchs dela production future. Pire, la dflation menace loffre excdentaire pesant sur les prixprsents et futurs. Jean Pierre Robin crit ainsi dans Le Figaro Economie du 10 novembre :

    Doit-on considrer que les prix la consommation vont reculer de 3% lan prochainpendant les trois ou quatre prochaines annes en Europe ? Cest en tout cas laprvision que font implicitement les investisseurs qui achtent aujourdhui desobligations indexes sur linflation : le cours de ces produits financiers en tmoigne .

    La baisse prcipite par la Fed de son taux directeur, proche de 0, est aussi symptomatique.Gageons que la Banque Centrale europenne suivra. Le prcdent du Japon, avec un tauxquasiment nul depuis plus de dix ans, est dans toutes les ttes. Comme la menace tellementredoute de la spirale dflationniste. Quand les gens sattendent ce que les prix baissent, ilsrepoussent autant que faire se peut leurs achats. Ils provoquent, ou accentuent, ainsi le

    phnomne attendu. La surproduction, et la contraction du revenu qui sensuit, devient encoreplus flagrante. Les mfaits des traders et des autres financiers cupides sont peu de chose ctde tout cela.Ce texte dveloppe ces points, et quelques autres. Il est long mais il peut se lire parmorceaux , chacun dentre eux tant rsum par son sous-titre. Il commence par un

    1 Le chancelier de lEchiquier, Allistair Darling, semble avoir bien compris lhistoire de lexcdent qui a besoin

    dune contrepartie puisqu il a prsent la consommation comme tant un devoir national pour lesBritanniques qui ont de largent . Il aurait aussi pu proposer daugmenter les impts de ces gens, et dendonner la contrepartie aux couches les plus pauvres, heureuses daccomplir ce devoir national .

  • 3 rappel , plutt destin ceux qui sont ou ont t concerns par les tudes en conomie.Les autres peuvent passer directement la partie suivante.

    Rappel (pour les conomistes)

    Ltudiant en conomie ne voit, dans le cursus actuel, rien sur les crises ni sur les cycles,dailleurs. La macroconomie, issue pourtant de la crise des annes 1930, est essentiellementdevenue d quilibre . Seuls des chocs exognes sont (ventuellement) envisags. Onfait bouger quelques paramtres dans le cadre de ce quon appelle la politique conomique,avec une discussion vague sur la plus ou moins grande flexibilit des prix et des salaires entoile de fond, les ncessaires rformes structurelles et on a le droit au titre dconomiste.Cela na toutefois pas toujours t ainsi. Lavantage de lge, cest quil permet de voir dfilerles engouements successifs de la profession en conomie, on en observe plusieurs pendantune vie et donc de les relativiser. Cest ainsi que je me souviens des dbats de la fin desannes 60, qui tournaient autour de la question de la possibilit de crises de surproduction et, ce propos, de la pertinence de la "loi de Say" - pourfendue sans cesse par Keynes (thmercurrent du livre dhistoire de la pense conomique de Henri Denis, ou elle tait aussiappele loi des dbouchs ). Le souvenir de 1929 tait alors encore dans tous les esprits.Lide prvalante tait que la demande globale tend tre insuffisante, le capitalisme ayantune propension spontane la stagnation et au marasme avec le sous-emploi . Pour le sortir

    de l, il doit tre stimul dune faon ou dune autre, de faon engendrer de la demandesupplmentaire autonome - sans que la thorie soit trs claire (le truc, ctait lemultiplicateur keynesien). Par exemple, dans les cours de macroconomie de lpoque onparlait du boom provoqu par la guerre de Core (1950-53), qui aurait vit que la rechutedans les ornires du pass, la priode de rcupration de la guerre de 39-45 sachevant. Il fautse rappeler que les USA nont retrouv le niveau de production de 1929 qu la fin de cetteguerre, qui avait demand la mobilisation de toutes leurs ressources du pays, sous la houlettede lEtat (construction darmes, notamment de la premire flotte mondiale, logistique pourdes troupes se battant sur des fronts lointains, etc). Ils ont fini la guerre avec une dettepublique (interne) qui dpassait le 100% du PIB, bien suprieure lactuelle (en %), ce qui neles a pas empchs de connatre une trs forte croissance et den rembourser une bonne partieassez rapidement ( lextrieur, ils taient les cranciers du monde). Personne ne songeaitalors dire que ceux qui avaient fait la guerre, en mobilisant tout le potentiel productif du

  • 4pays, laissaient avec la dette un fardeau aux gnrations futures et cela bien quunepartie de ce qui leur tait laiss (armes et infrastructures militaires) ne leur servait rien (ellefut dailleurs abandonne ou dtruite). Limage du fardeau est en fait apparue dans lesannes 1990, dans le cadre de la dnonciation devenue la mode des mfaits de lEtat. Le rlede la guerre du Vietnam (1965-75) a aussi donn lieu de longues discussions, certains yvoyant un stimulant de lconomie, dautres un boulet renforant le dclin amricain (cesexplications ntant dailleurs pas forcment incompatibles).En bref, jusquaux annes 1980, lenseignement en conomie tait encore marqu par le pessimisme keynesien sur le fonctionnement du capitalisme, qui a la crise (au moinslarve) pour toile de fond. Ce qui, avec le recul, apparat comme paradoxal, puisque cettepriode est, dans lhistoire du capitalisme, celle qui a connu la croissance la plus soutenue etrgulire aussi bien en ce qui concerne la production que la Bourse.Le thme de la surproduction (gnrale et prolonge) a toutefois peu peu disparu de la scne seuls quelques marxistes sy accrochaient. Limage des destructions massives de biens, deslongues queues de chmeurs, dusines et de chantiers abandonns disparaissait peu peu dansla mmoire collective. Elle a t remplace par celle de la main invisible - avec toutefoislEtat qui veille pour quelle ne sgare pas trop. De Keynes on est pass aux keynesiens ,

    pour qui une surproduction autre que passagre n'est pas possible. Lide qui est la base dela loi de Say reprenait subrepticement le dessus. Bien sr, avec des bmols, puisqu'il n'y a pasde raison pour que la production s'accorde avec les gots ou les besoins de ceux auxquels elleest cense tre destine. Mais on faisait confiance au "mcanisme des prix pour rgler lachose, pourvu que la flexibilit soit suffisante.La question des ajustements est devenue celle de la coordination des dcisionsindividuelles, dans le cadre de lquilibre gnral. En fait, la logique de celui-ci est celle dunplanificateur qui cherche, en se servant des prix, ce que les ressources disponibles soientutilises le mieux possible ; mais ce nest pas comme cela que le modle tait prsent cestle march qui fait le travail, pourvu quil vrifie les conditions de la concurrenceparfaite .

    Outre la centralisation, le modle est caractris par labsence dincertitude, de monnaie et decrdit (tout cela tant gr par le centre, dans le cadre de lhypothse dun systme completde marchs ). Les quelques tentatives faites, dans les annes 60-70, pour introduire uneforme mme rudimentaire de crdit lconomie tant conue comme une successiondquilibres temporaires, les offres et les demandes de chaque priode pouvant toutefois trebases sur des anticipations errones ont chou. Ctait bien trop compliqu, notamment

  • 5cause du rle des anticipations (il suffit que le prix futur dun seul bien ne soit pas affichpour que la machine senraye). La banqueroute possible de certains, dlibre ou pas, suffit mettre en cause lexistence mme de lquilibre. La crise peut tre permanente. Ce ntait pasle message recherch, et les choses en sont restes l.

    Vinrent les anticipations rationnelles par dfinition, toujours correctes et avec elles lesmodles agent reprsentatif . Cest la macroconomie dquilibre , aux antipodes delide de crise et, videmment, de surproduction2. Aucun praticien ne les prend vraiment ausrieux, crise ou pas, mais elles ont envahi manuels et articles o elles taient mme

    prsentes comme une rvolution (le comble du ridicule).

    Sur les schmas thoriques en conomie

    Si on veut penser des phnomnes mettant en jeu lconomie dans son ensemble, commecest le cas pour la crise, alors on doit forcment recourir un schma global, une thoriequi mette en relation les divers lments qui composent cette conomie. Parmi les thoriesexistantes, on peut distinguer deux types de reprsentations (ou de mtaphores) : ltoile et lecircuit. Ltoile ou un soleil avec ses rayons est la plus approprie dans le cas delquilibre gnral, o tout passe par le centre. Difficile dimaginer une crise dans un telschma, plus proche de la planification que du systme des marchs.Lautre schma, celui dun circuit, semble plus appropri. Aussi bien dailleurs pour la loide Say (loffre engendre un flux de revenus qui boucle la boucle en achetant cette mmeoffre3), que pour les schmas de reproduction de Marx et pour le modle de la demandeeffective de Keynes. Chez Marx, les conditions du bouclage dans le genre de lgalit C2= Pl1+V1 ne sont jamais pratiquement ralises ; il nempche quelles servent de rfrence,ne serait ce que parce quelles permettent de voir pourquoi le capitalisme ne peut pas tre unsystme harmonieux. Pour la loi de Say, cest exactement le contraire : le bouclage estsuppos tre quasiment automatique avec, implicitement, lide que l offre est dterminepar les ressources disponibles, en travail et en moyens de production (qui sont donc peu prspleinement utiliss). La loi de Say tait, sans doute pour cela, la bte noire de Keynes. Il ny a

    2 La thse des marchs efficients en finance a t formule de faon ambigu, il est vrai par Eugne Fama

    la mme poque, en reprenant lide et le formalisme (esprances conditionnelles, ensembles dinformation)des anticipations rationnelles (Lucas et Fama taient professeurs Chicago). En fait, Fama habillait dune faonnouvelle une thorie ancienne (remontant au moins au dbut du sicle) mais la nouveaut tait dans levocabulaire ( efficience des marchs), qui suggre que la Bourse assure loptimalit au sens de Pareto delallocation des ressources. Ce que ses prdcesseurs se gardaient bien de faire ; ils sen tenaient la seule thseque le gain espr de la spculation est nul ( on ne peut pas battre le march ).

  • 6cependant aucune raison pour que loffre la production dcide par les entrepreneurs soitcelle qui correspond ( peu prs) au plein emploi. Les anticipations des entrepreneursconcernant les possibilits dcouler leurs produits jouent alors un rle dcisif. Keynesenvisageait lexistence dquilibres de sous emploi pouvant se maintenir pendant des priodesrelativement longues, alors que pour Marx lvolution du capitalisme est chaotique, avec desfacteurs objectifs faisant que les crises surgissent peu prs tous les dix ans en rapport avecla dure de vie et de renouvellement des quipements. Keynes avait une vision du capitalismerelativement plus harmonieuse le problme tant plus celui du niveau de lutilisation desressources que de celui de leur affectation dans les divers secteurs (voir ce quil dit sur le systme de Manchester dans le dernier chapitre de la Thorie gnrale). Question dordredes priorits, probablement, et de choix politique, Keynes cherchant sauver le systme,Marx montrer les dgts quil provoque qui ne peuvent conduire qu son replacement parun autre systme, dont le moteur ne serait plus la recherche du profit.Quoi quil en soit, si on retient limage du circuit sans supposer quil ne dcrit que dessituations proche du plein emploi, alors on peut imaginer des circuits embots, dont le rayon est proportionnel au niveau atteint par la production (le plus grand correspondant auplein emploi). Une crise ou un boom autres que passagers correspondent au passage duncircuit lautre chacun relevant dune logique dautoralisation, du moins dans laperspective de Keynes. Dans le cas dune crise, cette transition se traduit par la surproduction,dans la mesure o il y a de grandes quantits dinvendus qui saccumulent, outre les capacitsde production excdentaires (en hommes et en quipements), qui peuvent le demeurer pendantlongtemps tant que le nouveau circuit se maintient.

    Le schma du circuit privilgie les flux de biens de consommation et dinvestissement, parexemple. Restent les prix, qui agissent de deux faons. Dune part, travers les modificationsdes proportions (de biens, par exemple) lintrieur des flux ; dautre part, sur le niveaumme de ces flux. Dans lun et lautre cas, les effets sont lents et sujets discussion, ycompris au sein du courant dominant. Il suffit de se rappeler ce propos des dbats de laprs-guerre sur limportance relative des effets encaisse relle , Keynes ou Pigou surlactivit (le rayon du circuit) dune variation de la masse montaire. Dbats dont on nentendplus parler depuis longtemps peut-tre quils reviendront lordre, faute dautre chose lapproche par le circuit sentant le souffre puisquelle est sous-tendue par lide dingalitdans la rpartition.

    3 En revanche la loi de Walras sy prte plus mal, puisquelle est tablie partir dune galit la contrainte

    budgtaire toujours vrifie (cest une identit).

  • 7Circuit et appropriation du produit

    Dans une socit trs ingalitaire ou avec des diffrences de classes marques, ceux qui ontdes revenus levs (les principaux propritaires des moyens de production et ceux qui sontdans leur orbite4) ne consomment pas toute la contrepartie de leurs revenus mme si on tientcompte des achats de biens de luxe, qui sont marginaux dans le PIB. Certains les utiliseront enpartie pour investir (acheter des quipements, des matires premires, etc.) mais le resteest plac , dune faon ou dune autre.Il revient aux institutions financires (banques et fonds divers et varis) de rcuprer cette partdu revenu en excdent et de la remettre dans le circuit rel. Pour cela, elles cherchent appter le client, celui qui dispose des excdents de revenus dans le sens donn plus haut.Ceux qui sont au bas (au sens large) de lchelle peuvent se contenter de trucs genre livret deCaisse dEpargne et autres placements srs faible rendement (souvent ngatifs en casdinflation). Peu songent garder des billets sous leur matelas rendement ngatif sil y ade linflation. Restent les autres, plus haut sur lchelle des revenus, auxquels on fait miroiterla Bourse o divers titres aux rendements moins ringards que ceux de la caisse dpargne.Les innovations financires permettent cela, dune certaine faon, en faisant croire quonpeut gagner systmatiquement plus que ce qui correspond la croissance du PIB. En ce quiconcerne ces dernires annes, il y a eu le mythe de la nouvelle conomie des annes1990, qui tait nouvelle justement parce que, contrairement au capitalisme dantan, la bullequi sy formait, autour de lessor de linternet et de linformatique en gnral, ntait pasforcment voue clater, comme le veut pourtant la logique lmentaire. Quand elle la fait en 2000 , les dgts furent cependant limits au niveau de la production (rcession limite).En outre, le secteur de limmobilier, qui avait recul auparavant, a pris le relais, avec labienveillance des autorits, qui avaient entendu le boulet siffler. Peu peu la bulle a gonfldans ce secteur. Tout le monde le constatait, mais on expliquait New York que limmobilieravait moins mont qu Paris, Paris quil avait moins mont qu Londres, Londres quilavait moins mont qu Dublin, o il avait moins mont qu , de sorte quil demeurait enchaque endroit un potentiel de plus value qui pouvait tre encore exploit notammentpar ceux qui avaient t chauds par le krach boursier de 2000. La pierre , cest concret,aprs les entreprises hors murs de linternet qui avaient toutefois lavantage davoir pourcela moins de ramifications avec le reste de lconomie (do la rcession limite).

  • 8Il est dur dtre riche et davoir toujours penser : o vais-je placer largent que je neconsomme ni ninvestis directement dans lachat de moyens de production et que je confiedonc des organismes spcialiss, qui me promettent monts et merveilles ? Celui qui, dansune bulle, a vu la valeur de ses titres augmenter ne va pas les vendre pour planquer largentdans un coffre ou pour consommer (il ne le pourrait pas) ou pour investir dans la production.Par consquent, il va continuer avec son placement quitte changer sa forme ou

    dinstitution financire. Jusqu ce que la bulle clate, en cherchant alors le placer ailleurs.En permettant de garder la contrepartie des revenus non dpenss dans le circuit (ou de les yremettre), les financiers permettent le maintien et mme lessor (gains de productivit) dela production. Do le discours, qui a sa part de vrit, sur la croissance permise ou facilitepar les institutions financires. Celles-ci sont une composante essentielle du systme, dontelles assurent le bouclage . Comme lont remarqu Gordon, Vergara voir(www.franciscovergara.com) et dautres, la fameuse croissance des USA de la derniredcennie est due en bonne partie laugmentation des transactions financires. Par exemple, lindustrie financire est passe dans ce pays de 2,3% du PIB en 1950, 5% en 1980 et 8% en 2005. Ses services , mesurs au nombre des transactions, tant comptabiliss dans leProduit Intrieur Brut, la question est de savoir quoi correspond cette production . Ce quinous remmore la question, ancienne, de la distinction entre travail productif et improductif,rcuse dans son principe mme par le courant dominant en conomie (noclassique). Maispassons

    Pour que a marche, du moins pendant un temps suffisamment long, il faut que ceux qui sont lorigine des innovations financires ou qui sen servent, y croient et le fassent savoir. Parleur train de vie, les articles dans la presse spcialise ou people , qui met en avant leursgains. Il y a eu lpoque des gourous de Wall Street (dans les annes 80-90), maismaintenant ce genre de personnage est pass de mode probablement en raison de leursplantages rpts, les Bourses tant devenues beaucoup plus volatiles. On prfre mettrelaccent sur les fonds qui gagnent . Par exemple, dans La Tribune du 10 Octobre, il y a unarticle qui met en avant le 10% des gestionnaires de fonds qui ont surperform le march 1% seulement obtenant la note AAA ces trois dernires annes. Restent les 90%, qui nontpas surperform et nont droit ni la photo ni leurs rsultats .

    4 Parmi eux il y a dailleurs les salaris de la finance elle-mme, dont la part dans le gteau collectif a

    nettement augment ces dernires (salaires trs levs, bonus et primes).

  • 9A cela sajoute la concurrence, qui pousse chacun proposer un meilleur rendement. Il ny apas les bons entrepreneurs ou banquiers, et les mchants spculateurs. Tous sont unrouage du mme systme, y compris quand ils le plantent. Ni bons, ni mchants5.Un dernier point, trs important : la crise entrane de fait une rduction des ingalits, carceux qui perdent le plus sont ceux qui ont plac leur argent permettant sans le savoir de boucler le circuit . Tout le monde est affect le circuit se rtrcissant. Des travailleursperdent leur emploi, mais pas les capitaux quils ne dtiennent pas, alors que les plus richespeuvent perdre une fraction importante de leur fortune. On ne va pas pleurer sur leur sort,videmment, surtout quils demeurent les plus riches, mais cest l un facteur qui permet de stabiliser le circuit ( un niveau plus bas) et mme de faciliter la reprise, si elle a lieu, parson largissement.

    Sur les bonus et autres gains en Bourse

    Do viennent alors les revenus des banques, les hauts salaires, les bonus touchs par lestraders ? Soit on met en avant ceux qui ont gagn (les titres ont mont) et on reste discret surceux qui ont perdu (les titres ont baiss), mais au niveau global, dune banque, le rsultat delactivit spculative en tant que telle, est nul, en moyenne. On nous disait, par exemple, quela Socit Gnrale (mais aussi General Motors et General Electric) ont fait le gros de leursgains avec les salles de march , ce qui voudrait dire que lensemble des traders sontgagnants. Et comme cela est vrai avec les autres banques et institutions financires, le mystredemeure. Il y a bien les gains obtenus avec les fusions acquisitions, missions de titres, maisce sont des commissions, prleves sur les parties concernes, qui ne relvent pas des sallesde march . Do proviennent alors ces bonus faramineux (mais qui constituent une toutepetite fraction du PIB) ? La seule chose que lon voit, cest la monte de la Bourse, qui faitque les titres dtenus se valorisent, en moyenne, et dans leur ensemble. Ce sont des gains sur le papier, virtuels. Les bonus sont eux, rels, du moins tant quils ne sont pas placs enBourse par ceux qui les reoivent ce quils font dailleurs probablement, aprs achat delogements et voitures de luxe. Ils sont pris sur le gteau produit par la socit, dans la part des

    5 Milliken le roi des obligations pourries de la faillite des Caisses dEpargne aux USA a pass quelques annes

    en prison. Son lve dAIG, Joseph Cassano, risque den faire autant. Il dclarait en aot 2007 : Sans tredsinvolte, je ne vois aucun scnario qui nous ferait perdre de largent . Il pensait sincrement stre couvert departout avec ses montages compliqus, dont on lui assurait quils dispersaient le risque .

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    dtenteurs de titres. Ceux-ci, contents puisque a monte, laissent faire ou ne cherchent pas savoir (les bonus sont un faible pourcentage dans la masse des titres en jeu6).Pour appter le chaland, les formules les plus diverses sont proposes. Ce sont les innovations financires . A partir des annes 80, les banques ont commenc stigmatiserles rendements minables des caisses dpargne et autres bons du trsor. Elles proposaient desplacements dcrits par des sigles mystrieux (PEA, SICAV, OPCVM, etc), des plans srnit , dynamiques , dquilibre avec des noms darbres ou de fleurs, etc., ensuggrant quils rapportent plus que les vieux trucs ringards de pre de famille . En outre,on racontait de ci de l que les fonds de pension exigeaient au moins 15% de rendement quitte le stigmatiser si cela se traduisait par des plans de rigueur dans les entreprises ce quiest videmment une imbcillit. Mais force de le rpter, tout le monde, ou presque, finissaitpar croire que cest possible, grande chelle.En ce qui concerne la crise actuelle, on commence comprendre comment sest btie lapyramide des subprime, destine couler les maisons en surplus. Le plus extraordinaire,cest quon voit apparatre des explications trs claires sur ce qui sest pass par exempledans le petit bouquin de vulgarisation La mondialisation publi en juillet 2008 par Jean LouisMucchielli, p 117-121 , notamment la fameuse histoire de la dissmination du risque . Ilapparat maintenant que tout ce chteau de cartes sest construit sur la seule hypothse(absurde) que le prix de limmobilier continuerait monter indfiniment. Tout cela avec labienveillance des autorits, tous les niveaux, qui tolraient que soient contournes les rglesde scurit quelles avaient elles-mmes mises en place. Tout est lumineux maintenant !Pourquoi pas avant, quand on expliquait que le risque tait diffus grce la titrisation et lutilisation de techniques mathmatiques labores, et quil ne pouvait alors y avoir de crise(tout au plus, chaque dtenteur de titres pouvait subir une petite part des pertes)7 ?Lempilement d instruments tels que les CDS et les CDO (simples, au carr et au cube !),difficile comprendre, la mise en dinstitutions financires conues de faon ce quellesnaient pas respecter les rgles prudentielles des banques, etc. rendait la situationparticulirement obscure. Il parat que des banques ont achet des titres qui taient eux-mmes la combinaison de titres qui comptaient parmi leurs lments des titres mis par cesmmes banques pour se dbarrasser dune crance, de faon pouvoir prter plus tout en

    6 Dans le cas de Wall Street, ils auraient t au sens large de lordre de 25 milliards de dollars les annes

    prcdant le crack actuel.7 Dans un article du Monde du 5 novembre, deux minents professeurs de finance (Chemillier-Gendreau et

    Jouiny) expliquent que la zone vraiment risques des modles mathmatiques quils enseignent est de 1%.Vraiment pas de chance quon soit tomb dedans !

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    respectant les critres de prudence imposs par la rglementation. Elles rachetaient (plus cher)sans le savoir ce quelles avaient elles-mmes vendu !Il nest pas possible que les autorits de rgulation et les banques centrales naient pas vu ledveloppement de ce pataqus, destin en bonne partie contourner la rglementationquelles avaient mise en place. Mettre le hol risquait de provoquer panique et effondrement.Rappelons-nous les allusions de Greenspan l exubrance irrationnelle des marchs lorsde la bulle internet et de ses phrases davertissement noyes dans un discours dlibrmentobscur, destin ne pas dclencher le phnomne redout tout en suggrant darrter avantquil ne soit trop tard. Cela na dailleurs servi rien, l exubrance continuant jusquaukrach. Il devait en tre de mme avec la titrisation des subprime et autres crdits laconsommation, dnonce maintenant de toutes pas mais vante encore il y a quelques mois.

    Sur la crise actuelle

    Tout le monde saccorde pour dire que la crise actuelle vient aprs une srie dautres surtoutdes krachs boursiers qui remontent aux annes 1980, qui ont vu le dmantlement progressifde la rglementation mise en place suite de 1929 ; krachs de 87 et 89, crise asiatique de 1998et krach de 1999 (LTCM, 35 milliards de dollars, repris par les autres banques), dgonflementde la bulle internet 2000-2001, A chaque fois il semble que la contradiction navait t queprovisoirement et que trs partiellement rsolue. Le nombre dannes entre chaque krach (oucrise) est dailleurs faible pendant cette priode. En fait, la contradiction sest accentue,jusqu la crise actuelle o la bulle immobilire sest ajout une crise bancaire dunedimension jamais vue depuis les annes 1930, ainsi quun dbut de dpression jamais vu nonplus depuis alors. Auparavant, ctait des banques de second rang qui taient atteintes (auxUSA la faillite de petites banques, encore nombreuses, est un phnomne courant) alors quece nest plus le cas cette fois-ci. Auparavant aussi, le discours des dirigeants tait rassurant( on contrle tout, a va rebondir, il suffit dattendre ), alors que cette fois-ci il estcatastrophiste ; cest la seule faon de justifier des mesures qui taient dcries auparavant comme la prise sous contrle (mme passager) par lEtat du capital de grandes institutionsfinancires. La panique semble tre la mode. Citons J.P. Robin :

    Est-ce donc vraiment la fin du monde selon lexpression qui fait fureur dans lessalles des marchs pour dsigner un scnario de grande dpression, sur le modle desannes 1930 ? (Le Figaro Economie, 10 novembre 2008).

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    Pour revenir au thme du circuit et de la surproduction (latente puis relle), on constate queles ingalits se sont fortement accentues ces dernires annes. Citons par exemple leFinancial Times du 8 avril : Aux Etats Unis les ingalits sont leur plus haut niveau depuisla pire des annes, 1929. Il est de mme pour tout le monde anglophone . Le mme journalconstate aussi que comme notre dcennie, les annes 1920 ont t une priode de fortecroissance des profits et denvole de lendettement des mnages 8. Voir aussi :http://dechiffrages.blog.lemonde.fr/2008/11/10/des-revenus-aussi-mal-partages-qu%E2%80%99en-1929/.

    Le revenu moyen des mnages stagnant, seul leur endettement qui a atteint des niveauxhistoriques a permis laugmentation de leur consommation, qui empche momentanment lasurproduction. Jusqu la crise (Michel Husson donne des chiffres intressants dans uncapitalisme toxique , http//hussonet.free.fr/, ou dans son livre Un pur capitalisme).Avec le retournement, les records saccumulent : taux doccupation des logements le plusfaible depuis cinquante ans, indice de confiance des consommateurs le plus bas depuis 35 ans,chute de 30% dans les ventes de voitures, ramenes leur niveau dil y a 25 ans, etc. Le tauxdendettement des mnages atteint un niveau jamais vu. Comme Vergara, entre autres, lavaitsignal il y a longtemps, on nous a longtemps bassin avec la dette publique, en ignorant leproblme de la dette prive, qui est pourtant du mme ordre (voirwww.franciscovergara.com/dettepub). Dette prive et dette publique sont deux moyens pour ponger lexcdent de revenu, et donc de contrer la tendance la surproduction. Personne,ou presque, ne proteste maintenant devant les innombrables plans de sauvetage y comprisles revirements de Paulson qui cherchent tout prix viter la crise flagrante desurproduction, et qui ont pour contrepartie une hausse importante de la dette publique, quepersonne nest capable dvaluer prcisment. Fini le discours sur le fardeau laiss auxgnrations futures !

    Pour en revenir aux dtails de la crise actuelle, on pouvait lire dj dans lExpansion il y aplus de 2 ans (juillet 2006) :

    Le prt hypothcaire rechargeable, qui permet de remprunter la mesure de lavaleur prise par le logement, a largement nourri la formidable consommationamricaine depuis 2003. Aprs 17 relvements de taux d'intrt, les prts ontcommenc dclrer. Les sommes dgages par le refinancement sont values 1000 milliards de dollars. Cela a ajout 2% environ la croissance chaque anne parle biais de la consommation. C'est fini, estime David Kotok, un conomiste

    8 Citation tire du livre de F. Lenglet La crise des annes 30 est devant nous (6 euros) qui donne pas mal

    dinformations sur 80 (petites) pages (on peut sarrter la page 88).

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    amricain. Or, comme l'a galement signal la Rserve fdrale amricaine, d'autressignaux indiquent que la locomotive mondiale est en train de ralentir. Reste savoir quelle vitesse se fera le freinage .

    Le prt hypothcaire rechargeable tait aussi utilis par les prime (la valorisation desmaisons permettait dobtenir des crdits la consommation). Selon Nouriel Roubini jusqu50% des crdits immobiliers taient utiliss de cette faon (les subprime faisant entre 15 et20% de ces crdits). Plus le prix des logements baisse, et plus les couches moyennes sonttouches. Les informations concernant les crdits la consommation titriss manquentpour le moment peut-tre que personne ne sait, ces crdits tant plus petits et beaucoup plusnombreux (et diffus). On parle de la titrisation de 48% dentre eux, pour un total de 500milliards de dollars. Dans le cas dune rcession normale , les pertes supplmentairesseraient de 135 milliards. Bien plus dans le cas dune rcession plus forte, comme celle quetout le monde saccorde prvoir. On nentend pas dire grand chose non plus sur loprationqui consistait emprunter en yens (taux dintrt presque nul) et prter en dollars. Ce quimarchait tant que le dollar ne baissait pas par rapport au yen.Laccumulation de tous ces lments, qui vont bien au-del des seuls subprime , livrs lavindicte du public, prouve limportance de la crise de surproduction sous-jacente traduitepar l extraordinaire croissance des USA ces dernires annes, avec laquelle on nous aaussi tellement bassins et explique quon continue trouver partout des produits toxiques mis en contrepartie. Le resauvetage du 11 novembre dAIG, puis lentre delEtat dans son capital est de ce point de vue trs significatif.A tout cela vient sajouter un facteur dun tout autre ordre, le papy boom , qui contribue accentuer la crise. La gnration ne dans les annes quarante et cinquante, qui tait jusquprsent demandeuse de titres (achets la gnration prcdente, moins nombreuse), va endevenir progressivement offreuse ( une gnration moins nombreuse que la sienne).Autrement dit, on passe dune situation o la dmographie exerait une pression la haussesur la Bourse, une situation o la pression sexercera en sens oppos. A la hausse

    excessive et unique en son genre cause de cela des annes 1980-2000 risque desuccder une baisse aussi excessive ou une baisse plus modre, mais plus longue. Quisait ? Une chose est sre : la pression sexercera vers le bas. Probablement de faon forte,tellement la monte avait t brutale dans les annes 1980-90. On ne peut ngliger ce facteur,vu la place prise ces dernires dcennies par la capitalisation, notamment aux USA et enGrande Bretagne.

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    Il est vrai que les fonds de pension, principaux oprateurs de la capitalisation, sont contraints,par la loi, dtenir une bonne partie de titres srs bons du Trsor et obligations dusecteur public. Mais la lgislation a t progressivement relche, et la tentation tait grandede faire des placements haut rendement . Surtout que le discours omniprsent sur lamenace qui pserait sur les retraites, accompagn par la hausse de la Bourse (provoque enpartie par eux, dans une logique dautoralisation), a aussi contribu entretenir lephnomne. Rappelons-nous du fameux rapport du Conseil danalyse conomique Retraiteset pargne (1998), demand par Lionel Jospin, alors premier ministre, o les conomistesquon voit maintenant dnoncer dans les mdia les garements des spculateurs (par exemple,Pierre Alain Muet et Jean Herv Lorenzi) affirmaient le plus srieusement du monde qu laBourse on gagne en moyenne et sur le long terme 6% (en rel), alors que la rpartition nedonne que 2% (le taux de croissance de lconomie)9. Je ne sais pas si ces conomistes ontfait depuis une autocritique jen doute fortement mais il semblaient persuads lpoqueque la capitalisation permettrait dviter ainsi le choc dmographique alors que larpartition la subirait de plein fouet.Le Fonds de Rserve des Retraites (FRR) mis en place dans la foule, la mme poque, parJospin et Fabius (ministre des finances dalors) essuie maintenant des pertes importantes. Ilaura des difficults se refaire, puisque cr au sommet de la bulle qui sest acheve en 2000.Les illusions de lpoque apparaissent pourtant lorsquil est expliqu sur le site du FRR que :

    La loi du 17 juillet 2001 impose au FRR, hors circonstances exceptionnelles, deconfier la gestion financire de ses actifs des entreprises dinvestissement,slectionnes par appels doffres Les socits de gestion sont slectionnes engrande partie sur leur capacit dmontre grer efficacement une stratgie biendfinie sur une classe donne dactifs. Certaines de ces stratgies sont passives ouindicielles, cest--dire quelles visent rpliquer la performance (et le risque) dunindice de march ; dautres sont actives : dans les limites de lunivers de gestion quileur est assign et dun budget de risque qui leur est allou, les gestionnaires peuventconstruire un portefeuille diffrent, dans la composition ou la pondration des titresqui y figurent, de celui de lindice servant mesurer leur performance, dans le but deraliser une surperformance par rapport celle-ci.

    9 A la mi-octobre Jacques Marseille affirmait la tlvision que, selon ses calculs, le taux de rendement de

    long terme de la Bourse est de 4% et que, avec sa baisse actuelle, le CAC 40 tait revenu dans les clous (labulle est finie). En quelques annes, la tendance de long terme a donc baiss de 50%, selon les calculs des uns etdes autres. En fait, Marseille prend pour point de dpart un creux de la Bourse (juste aprs le krach de 1987). Sil

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    La gestion passive permet pour un investisseur de sexposer aux tendances de marchqui, sur le long terme, reprsentent lessentiel du rendement attendu dune classedonne dactifs, et ce faible cot. Elle est adapte la gestion des placements ralisssur des marchs efficients, trs arbitrs, o les espoirs de surperformance longterme apparaissent trs limits. La gestion active apparat plus lgitime sur desmarchs un peu moins arbitrs, o une surperformance durable peut tre espre,moyennant une prise de risque accrue et en contrepartie de frais de gestion pluslevs .

    Ne doutons pas que les entreprises dinvestissement choisies par le FRR ont achet desCDO et autres CDS, en vue dune surperformance durable. Maintenant, ils nont que leursyeux pour pleurer. Pour en savoir plus, voir www.fondsdereserve.fr/spip.php?article17.

    La mme remarque peut tre faite aux collectivits locales qui ont fait confiance Dexia et

    qui se trouvent, comme la Seine Saint Denis, avec un portefeuille ayant plus de 90% de titres toxiques !

    Le cas du plantage des banques mutualistes CA, CE, Banques Populaires est aussisymptomatique. Si elles navaient pas particip aux innovations financires , on les aurait

    traites de ringardes , de vieilles dames sur le dclin , etc. Maintenant on leur reprochede stre loignes de leur vocation premire Combien coteront aux finances publiques les fameux plans de sauvetage des banques ? Nulne le sait vraiment. On peut seulement signaler que dans le cas des Caisses dEpargne US enfaillite en1986 le cot valu 10 ans aprs a t de 124 milliards de dollars, pour uneavance de 500 milliards de dollars par lEtat fdral au moment du renflouement.

    Sur la thorie et ses suites

    La grille de lecture la plus approprie concernant les crises, et le fonctionnement global ducapitalisme me semble donc tre : circuit, rpartition, contradictions. Javoue que je nen voispas dautre. La macroconomie lancienne, keynesienne, peut tre ventuellement dunecertaine aide (je nen suis pas sr, mais en mme temps on est tellement imprgns par elle !).La vision du circuit qui a t utilise nest pas sans faiblesses, videmment. A commencer parlide assez vague d ingalit . On a en fait en tte une dichotomie du genre capitalistes et salaris (ou proltaires ), ou riches et pauvres , ce quisuppose une coupure plus ou moins arbitraire. Par exemple, des salaris peuvent cotiser dans

    avait pris son point haut, avant le krach, il aurait trouv 2%. Voir ce propos larticle de Jean Gadrey dans Le

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    un systme de retraite par capitalisation sans quils soient pour autant rangs dans la catgoriedes capitalistes ; et les gestionnaires de ces fonds ne rentrent manifestement pas dans lacatgorie des salaris (ou des pauvres). Dailleurs, quand on nous parle, comme cest lamode, des classes moyennes on suppose quil y a dautres classes, au-dessus et en-dessous(riches et pauvres). Cette division en classes ou en groupes sociaux selon les revenus vadonc de soi, ds que lon sort du monde des individus de la microconomie. On sait dequoi on parle, mme si cest en fait un peu flou. On peut dailleurs dire la mme chose de lacoupure entre consommation et investissement tout en considrant que ce sont lestravailleurs (les pauvres ) qui consomment et les capitalistes (les riches ) quiinvestissent (la part de leur consommation tant relativement faible dans leur revenu).Les schmas de reproduction (simple et largie) de Marx comme le multiplicateur deKeynes lorsquon distingue la propension marginale consommer des riches de celle des pauvres - sont donc dun intrt certain pour la comprhension du fonctionnement desconomies de march (ou capitalistes). Aller au-del dans la formalisation na toutefois pasgrand sens. On peut constater quon est un certain niveau de production (sur tel ou telcircuit) plutt qu un autre sans chercher expliquer pourquoi on en est arriv l. De mmeen ce qui concerne le passage dun circuit (niveau) un autre. Cela naurait dailleurs pasbeaucoup dintrt sauf pour ceux qui veulent publier des papiers . Etudier comment celase passe et sest pass dautres priodes est dj trs important, si ce nest essentiel. Il estdailleurs frappant de constater limportance prise dans les articles dans les journaux par lesrfrences aux crises passes annes 30, krachs de 1987, 1999, 2000-2001 ; chacuncherchant des repres pour comprendre ce qui se passe et, ventuellement, pour prvoir ce quipeut arriver.

    Si on revient la crise actuelle, il faudrait dans le circuit tenir compte des changes extrieurs,qui peuvent jouer un rle important dans le dclenchement et la forme prise par la crise. Il estcertain que le fait que lconomie dominante, celles des USA, avec ses bulles immobilires etde crdit, soit aussi la plus dficitaire dans ses changes de biens avec ltranger et cedepuis longtemps ne peut tre nglig. Il se peut que la crise rsolve la question enprovoquant une brusque chute du revenu (le circuit se rtrcissant dautant), de faon fairebaisser dramatiquement les importations. Cest dailleurs ce que certains pensent invitable sans trop le dire, parce que la chute serait trs svre.Il ne serait pas mauvais non plus de donner une forme plus prcise lide que la crise rduitles ingalits de revenu en rsolvant passagrement le problme de la surproduction. Une

    Monde du 14 octobre 2008.

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    partie des capitaux (dans le sens : quipements, machines, stocks de biens, etc.) tant dtruite ou perdant toute valeur , il en est de mme des droits de proprit de ceux qui lesdtiennent, droits qui leur permettent de rclamer une part du produit prsent, et futur. Cettedestruction qui rduit le dnominateur (le capital, en valeur) de la formule donnant le tauxde profit fait partie des contre-tendances la baisse tendancielle du taux de profit dontparle Marx.

    On peut aussi sintresser un niveau plus dsagrg, celui de la microconomie . On yretrouve alors les capacits de production inemployes, les stocks de marchandises etdhommes (le chmage), la fois ncessaires au fonctionnement du systme et sources decontradictions. Les diverses faons que peut prendre, dune socit lautre, le stock detravailleurs sont particulirement intressantes tudier. Par exemple, la partie non visible de ce stock, qui va des domestiques aux femmes au foyer, en passant par toutes les formes d invalidit et de formations . Mais cela nest pas propre la crise, qui correspond unesituation paroxystique, o les contradictions deviennent particulirement aigus.

    Logique et ralit

    Le bon sens nous dit quil ny a jamais trop de maisons, de voitures (les anciennes peuventtre remplaces par des nouvelles, moins polluantes), de biens en gnral. La surproductionnest donc que relative ; elle tient essentiellement la rpartition des revenus. Pourquoi ne pasdonner tous les biens surproduits ceux qui en ont besoin ? Cela nest videmment pascompatible avec le systme, le droit de proprit notamment de ceux qui ont plac leurargent dans les banques qui lont utiliser pour faire des crdits ntant pas alors respect. Sion sen tient au seul bon sens, on peut envisager une autre solution, similaire dans le fondmais juridiquement valable : augmenter les impts des couches dont le revenus sontrelativement levs (disons les trois premiers dciles), avec une forte progressivit, de faon ponger les revenus excdentaires, non dpenss. Le fruit de ces impts serait alors utilisdirectement par lEtat pour acheter des biens pour la collectivit (infrastructures, sant,ducation, etc.) ou indirectement, par laugmentation par divers biais du revenu des couchesmoins aises, qui les dpenseront. La boucle serait boucle, la crise de surproduction tantjugule. Tout le monde serait gagnant, y compris ceux dont les impts ont fortementaugment ils viteront la forte dvalorisation de leurs actifs, la contraction de leur revenu ettous les dsagrments dune crise.

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    Voil ce que dicte le bon sens. Mais dans des socits o le chacun pour soi a t de plus enplus mis en avant, o parler daugmenter les impts relve du sacrilge, il y a peu de chancesquune telle solution prvale surtout quelle demanderait une forte concertation entre lespays. Le discours dominant est prconise plutt le contraire, les baisses dimpts, y comprispour sortir de la crise. Cest ce que propose, par exemple, Barack Obama, du moins pour lesrevenus infrieurs 250.000 dollars annuels (16.000 euros par mois !). Pas question en Francenon plus de revenir sur les baisses successives de limpt sur le revenu du trio Chirac-deVillepin-Sarkozy ( ct de cela, le bouclier fiscal est une goutte deau au fort pouvoirsymbolique, il est vrai).Il ne reste plus, malheureusement, qu la main invisible de rgler les choses sa faon,cest--dire par une crise longue et douloureuse, surtout pour les plus dmunis.

    Conclusion

    On peut voir dans la crise actuelle soit un accident, y compris majeur, soit un pisode normaldans le vie du capitalisme. Ce deuxime point de vue est dfendu dans ce texte. L accident une exception dans lhistoire longue rsiderait alors plutt dans la quarantaine dannesayant suivi la deuxime guerre mondiale, priode sans vritable crise et pendant laquelle lesvolutions du PIB et de la Bourse ont t soumises des fluctuations bien moins fortes quedans lhistoire rcente du capitalisme disons, depuis le milieu du XIXime sicle.La grande question qui demeure est celle du poids de lEtat et de limportance de son rle entant que stabilisateur automatique . Le fait davoir sorti une partie importante de lactivitproductive du secteur marchand mme si les rcentes privatisations ont agi partiellement ensens contraire a sans doute attnu la tendance la surproduction, la part du produitexcdentaire ayant t rduite dautant. La voie de lendettement massif de lEtat, qui estadopte de fait, va-t-elle permettre de repousser les chances inluctables tant que lesfortes ingalits sont maintenues ? Est-ce quelle finira par une forte inflation qui permettra

    l euthanasie des rentiers , mme si ce scnario apparat comme peu vraisemblable pour lemoment ?

    Quid de pays comme la Chine et, en moindre mesure, de lInde, qui ont des caractristiques structurelles (institutionnelles et autres) passablement diffrentes des autres payscapitalistes ? Peuvent-ils seffondrer surtout la Chine et aggraver la situation, ou aucontraire peuvent-ils jouer sur un autre type de compromis social et servir damortisseurs ? Ilest difficile de rpondre ces questions. Ce qui ne nous empche pas dutiliser nos neurones

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    et de suivre de prs lvolution de la situation, pour essayer de mieux comprendre ce qui sepasse.

    Une chose est certaine : les livres de microconomie et de macroconomie, et de thoriefinancire, ne sont daucune aide pour comprendre ce qui se passe. On le savait dj, mais ilest bon de le confirmer, une fois de plus. Une autre leon, bien secondaire, que chacun devraittirer de la crise. .