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DOCUMENT DE TRAVAIL
Texte élaboré pour le séminaire du réseau « Démocratie en ligne » (DEL) du 26 janvier 2012
Qui milite sur le Net ?
Esquisse d’un profil sociologique du « cyber-militant » au PS et à l’UMP
Anaïs Theviot [email protected]
« J’intègre complètement les nouvelles technologies dans mon militantisme, Facebook, Twitter… je dis ce que je fais et ce que je pense sur Facebook et Twitter. Hier j’étais en déplacement avec Jean-François Copé, je prends une photo pour le
montrer. Parce que voilà ça permet de montrer ce qu’on fait, les gens peuvent poser des questions s’ils en ont. Quand il y a Henri Emmanuelli qui a fait son doigt d’honneur, j’ai communiqué sur Twitter pour lui décerner une palme de la honte.
C’est sûr que ça a complétement changé les manières de militer. »1
Internet2 a timidement fait son entrée dans le domaine politique au début des années
1990 jusqu’à être considéré aujourd’hui comme un outil indispensable en communication
politique, « un obligatoire de campagne » (Lefebvre, Ethuin, 2002, p.155-177). Cet attrait
grandissant pour les technologies est particulièrement visible lors des campagnes électorales
où les candidats se livrent une véritable « course politique virtuelle » (Baroni, Treille, 2010,
p.1137). Remi Lefebvre et Nathalie Ethuin voient dans les élections municipales de 2001, les
prémices de l'utilisation du Web par les politiques en France (Ethuin, Lefebvre, 2002). En
2004, la campagne des régionales a été marquée par le « phénomène du Weblog » en politique
(Greffet, 2007). Encore marginal, Internet s’est propulsé sur le devant de la scène politique
française lors des campagnes sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2005
(Fouetillou, 2008) et lors de l’élection présidentielle de 2007 (Yanoshevsky, 2009). Ceci est
bien visible quand on regarde le budget consacré au Web lors de la campagne de 2007,
comparé à celle de 2002 : 900 000 euros pour la campagne en ligne de Ségolène Royal, axée
sur des dispositifs participatifs (Vaccari, 2008). Ainsi, depuis le milieu des années 2000, la
palette des outils numériques utilisés (non forcément maîtrisés) par les hommes politiques
français ne cesse de s’élargir: Twitter3, Facebook
4, Dailymotion, Youtube, Flickr
5,
1 Benjamin Lancar, 25 ans, Président des Jeunes Populaires. Entretien du 8 juin 2011.
2 Je tiens à remercier Viviane Le Hay pour son aide précieuse dans l’élaboration de mon questionnaire et sa
formation au logiciel Stata, Matthieu Béra, Cindy Morillas et Antoine Roger pour leurs conseils et leurs
relectures actives.
3 Service de microblogging, permettant aux utilisateurs de bloguer grâce à des messages courts (140 signes
maximum,), Twitter est aujourd’hui utilisé principalement pour donner de l’information en direct et se faire un
réseau d'internautes partageant des intérêts communs.
4 Facebook est un réseau social créé en 2004 par Mark Zuckerberg, initialement réservé aux étudiants d'Harvard
puis progressivement ouvert à tous les internautes. 5 Il s’agit d’un site Internet de partage gratuit de vidéos et de photographies.
rousset.mobi6... Le succès phénoménal de mybarackobama.com
7, outre-Atlantique, a encore
renforcé l’intérêt des hommes politiques français pour la Toile. La plupart ont désormais leur
propre blog, leur page sur Facebook, leur compte Twitter pour rester visibles même hors des
périodes électorales8. Ces outils mettent le candidat au cœur du dispositif de communication
dans une démarche de personnification du discours politique, si bien que l’on pourrait croire
que ces acteurs sont venus « naturellement » au Web et s’expriment avec facilité, voire plaisir.
Il est plutôt rare qu’une personnalité politique gère tous ses outils numériques elle-même,
faute de temps et/ou de compétence ; surtout lorsqu’elle a été « forcée » par l’organisation
partisane à se tourner vers ces technologies. Sur les traces de Barack Obama, certains partis
politiques français tentent de créer une « dynamique Web »9, que ce soit auprès des candidats,
des élus ou même des militants.
Pourtant, les partis politiques ont souvent été pointés du doigt comme des instances ne
pouvant tirer parti des potentialités d’Internet, du fait de leur volonté de contrôle (parole en
ligne encadrée) et de la fermeture de leurs modes de fonctionnement (organisation
pyramidale, hiérarchisée). Ainsi, Steve Davis, Larry Elin et Grant Reeher, en analysant la
présidentielle américaine de l’an 2000 relativisent déjà l’impact de l’usage d’Internet dans la
mesure où les principales organisations politiques l’ont utilisé comme une nouvelle version
des précédents médias (télévision, radio et presse) pour diffuser de l’information, sans pour
autant s’emparer des spécificités du Net en termes d’interactivité et de débat (Davis et al.,
2002). Pour Olivier Blondeau et Laurence Allard, les partis politiques feraient face à « des
difficultés insurmontables » (Blondeau, Allard, 2007, p.45) pour s’emparer réellement du
réseau car ils ne sauraient se détacher de leur mode d’organisation traditionnel, à l’opposé de
« l’esprit » du Net. Ces critiques font écho à la forme réticulaire du Web, plus adaptée (en
apparence ?) aux nouvelles formes d’action politique, moins hiérarchisées et davantage
tournées vers l’international. En effet, les premières formes de militantisme en ligne sont
apparues au sein d’organisations moins institutionnalisées ou faiblement dotées en ressources
organisationnelles, comparées aux partis politiques. À travers le cas d’ATTAC, Flora
Trautmann a montré que les débats menés sur le Net par certains militants de base ont permis
de communiquer plus directement avec les instances dirigeantes (Trautmann, 2001). Au sein
des « mouvements anti-mondialisation », s’est mis en place un réseau de militants
transnationaux qui, au-delà des rencontres ponctuelles dans le cadre des forums sociaux,
discutaient et diffusaient de l’information sur la Toile. Dominique Cardon et Fabien Granjon
soulignent que la structure réticulaire du réseau « entretiendrait ainsi une sorte d’affinité
structurelle avec le mouvement anti-mondialisation, peu structuré, engagé dans des logiques
de projets, fortement mobile dans le choix de ses cibles et de ses modes d’actions. » (Cardon,
Granjon, 2002). La démarche (l’esprit) de la Toile et du néomilitantisme altermondialiste des
forums sociaux semblent converger.
6 Application pour Iphone afin de suivre la campagne, mis en place le 27 janvier 2010, par l’équipe d’Alain
Rousset. « Suivez l’actu de la compagne depuis votre Iphone », http://www.rousset2010.fr/regionales-
aquitaine/rousset2010/suivez-l%E2%80%99actu-de-la-campagne-depuis-votre-iphone
7 My.BarackObama.com est le nom du réseau social créé par l’équipe Web de campagne d’Obama. Il permet de
créer son profil et de s’impliquer dans l’organisation de la campagne à travers l’organisation d’évènements, la
rédaction de blogs, les appels téléphoniques ou encore les levées de fonds. Cette plateforme communautaire a
généré la création de 2 millions de profils, 35 000 groupes de volontaires, 400 000 blogposts et 200 000
événements organisés pendant la durée de la campagne. 8 En 2004, Alain Rousset, André Santini, puis Jean-François Copé ont utilisé ce nouveau mode de
communication comme un outil de campagne. D'autres, comme par exemple Dominique Strauss-Kahn ou Alain
Juppé, l'ont davantage perçu comme une page personnelle de réflexion, destinée à perdurer après les périodes de
campagne. Né « officiellement » le 16 décembre 2004, le blog-notes d’Alain Juppé perdure encore aujourd’hui. 9 Les partis politiques en sont venus à créer un poste Web, devenu une cellule Web, puis un service Web… La
place prises par le Web dans l’organisation interne du parti ne cesse d’augmenter ces dernières années, ce dont
témoignent concrètement les nombreux recrutements de permanents dans ce domaine.
Cependant, les partis politiques sont bien présents sur la Toile depuis quelques années
comme le montre le nombre de sites de partis politiques dans le monde repérés par Pipa
Norris en 2001 : 1371, soit une moyenne de 7 sites politiques par pays (Norris, 2001). Depuis
le début des années 2000, les partis politiques français ont eux aussi investis la Toile et
comptent s’y installer en vue de la prochaine élection présidentielle. Helen Margetts parle
même de « cyber-parti », au sens où le parti tendrait à se détacher des structures
traditionnelles et des modes de communication en face à face et privilégierait la machine sans
intermédiaire humain (Margetts, 2006). Désormais, il n’y a pas que les figures politiques qui
sont incitées par l’institution partisane à utiliser le Web. Les militants se doivent, eux aussi,
d’être actifs sur le Net. Nous pouvons ainsi reprendre la formule d’Helen Margetts, en
l’adossant cette fois-ci aux militants : le « cyber-militant » serait donc un militant qui ne
militerait que sur le Net (pas de militance hors ligne : collage, tractage, réunion de section…),
ou dans un sens plus large10
majoritairement sur le Net. Mais qui milite sur le Net ? Quel est
le profil sociologique du « cyber-militant » ?
Des incitations fortes à militer en ligne au PS et à l’UMP
Dès septembre 1998, une section virtuelle (et thématique puisqu’elle ne s’intéresse qu’aux
technologies de l’information et de la communication (TIC)) du Parti Socialiste (PS) voit le
jour afin d’expérimenter de nouveaux modes de fonctionnement au niveau de l’unité de base
d’un parti politique, en s’appuyant sur les outils en ligne ; et d’entamer une réflexion sur les
TIC au sein du parti dans une visée programmatique. En décembre 2003, la section
revendiquait 230 participants : 60 « adhérents » (ils adhérent au PS via la section virtuelle
Temps réels), 70 « membres associés » (déjà membres du PS, ils participent aux travaux de
Temps réels sans quitter leur propre section) et 100 «correspondants » (ils participent aux
travaux de Temps réels, sans adhérer au PS). Le site Web a été consulté par 6 000 personnes
en 2003 (20 000 pages vues). « Groupe de « cyberactivistes », Temps réels explore l’Internet
en tant qu’espace à investir par l’activité politique et pour promouvoir ses positions. (…)
L’histoire de Temps réels témoigne de la transformation des modes d’engagement en cours au
sein des partis traditionnels et de la compatibilité – partielle, évolutive – de ces nouveaux
engagements avec la forme partisane.» (Beauvallet, Ronai, 2005, p.). D’autres initiatives ont
vu le jour au sein du PS afin de promouvoir les discussions politiques en ligne, voire de faire
émerger de nouvelles formes de militantisme en ligne. La « campagne participative » de
Ségolène Royal avec le support de son association « Désirs d'avenir » s’est fortement appuyée
sur des interfaces numérisées afin d’impliquer les militants et d’amorcer des débats en ligne. «
Les activités sociales de militantisme ont été sémiotisées : quittant les lieux de réunion, les
préaux et les marchés valorisés dans le folklore des partis, elles ont migré vers l’écrit des
‘forums participatifs’, des listes électroniques, de discussion, des blogs » (Beauvallet, 2007).
135 000 contributions ont été enregistrées sur ce site et synthétisées dans « Les Cahiers
d’espérance». Mais Désirs d’Avenir a dû faire face à de nombreuses critiques, certains lui
reprochant d’entretenir une illusion de prise en compte de la parole du militant lambda dans
les processus de décision, en surfant sur la vague de la « démocratie participative » (Bousquet,
2007 ; Jullia, 2007).
À écouter les militants socialistes, l’Union pour un Mouvement Populaire est très en retard sur
la Toile car ce mode de communication ne correspond pas à sa « culture », contrairement au
PS, habitué au débat et à l’échange d’idées en section. Pourtant, depuis quelques années, les
10
C’est cette acception plu large que nous adoptons pour ce texte.
cadres de l’UMP ont investi la Toile : « Je pense qu’on avait un retard. Mais maintenant on a
commencé à le combler. Mais quand on est dans la majorité, Internet, c’est [sic] pas très
simple car Internet c’est un outil de protestation. Donc c’est certain qu’il y a des progrès à
faire. Mais je pense qu’on les a faits. On a formé, on a créé des outils nouveaux pour donner
des idées de tweet au gens, on a fait un vrai suivi. Au bout d’un an, il y a un effort qui a été
fait et ça se voit sur la Toile »11
.
Depuis le début des années 2000, l’UMP instaure des mesures novatrices tournées vers les
TIC dans son organisation interne afin de favoriser leur appropriation par les militants. Dès
son congrès fondateur en 2002, le parti a mis en place un système de vote électronique pour
les adhérents qui pouvaient ainsi voter depuis leur domicile. Lucie Bargel et Anne-Sophie
Petitfils soulignent que l’usage du Web s’est intensifié en 2004, avec l’arrivée de Nicolas
Sarkozy à la tête de l’UMP afin, dans un premier temps, de recruter de « nouveaux
adhérents » (Bargel, Petitfils, 2011, p. 188). Internet permet d’entrer directement dans les
foyers via l’écran d’ordinateur et de proposer une adhésion pour des personnes qui n’auraient
peut-être pas franchi le pas s’il était nécessaire de se déplacer à la permanence locale du parti :
« Internet, c’est plus direct. Ça vient à nous. En surfant sur le Net, j’ai pu écouter, un peu par
hasard, le discours de Barack Obama et j’ai eu des frissons. Ça m’a donné envie d’aller voir
ce que disait Nicolas Sarkozy. J’étais admirative. J’ai ensuite voulu rencontrer d’autres
personnes qui avaient la même impression que moi »12
.
Au-delà du recrutement de nouveaux adhérents, les militants sont aussi chargés de diffuser de
l’information (partisane) en ligne afin de sensibiliser les citoyens dans une perspective
électorale. Le parti sollicite ainsi régulièrement ses « supporters » pour que leurs idées
politiques soient visibles sur le réseau; comme ce fut le cas en décembre 2006, lorsque tous
les adhérents UMP reçoivent sur leur boite mail une vidéo leur expliquant comment créer leur
propre blog militant. Suivant l’exemple de la section virtuelle du PS, en 2007, c’est cette fois-
ci une Fédération numérique qui est créée par l’UMP : « elle est chargée de fédérer les sites,
et ses instigateurs s’adressent explicitement aux sympathisants-internautes réputés rétifs à la
prise de carte et jugés peu intéressés par l’ancrage local » (Haegel, 2009). Plus récemment, en
2011, lors de l’émission « Paroles de Français » (où Nicolas Sarkozy dialoguait avec neuf
citoyens) diffusée sur TF1 le 10 février, Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP,
avait envoyé un mail à l’ensemble des militants pour les inciter à « relayer les messages » du
Président. « Nous serons unis pour faire face aux campagnes de désinformation et de
démagogie orchestrées par l'opposition et relayées sans scrupule par certains médias. Je
compte particulièrement sur vous pour faire part de vos réactions et commentaires sur les
différents sites d'actualités disponibles sur Internet »13
. Benjamin Lancar avait alors lui aussi
lancé un appel aux jeunes militants UMP : « En face, ils sont organisés. Sur les réseaux
sociaux, sur les sites d'infos, des mensonges seront diffusés sur la toile jeudi soir. La
désinformation commencera à partir du moment où le Président parlera, mais on sera actifs ».
Les Jeunes Populaires sont d’ailleurs la cible privilégiée de ce type d’incitations. En
septembre 2006, lors de l’Université d’été de Marseille, l’UMP leur permet de créer
gratuitement leur blog militant UMP à partir de la plateforme Typepad14
. Lors d’une nouvelle
adhésion aux Jeunes Populaires, le jeune militant reçoit une lettre signée de Benjamin Lancar,
Président des Jeunes Pop’ lui rappelant ses missions en tant que militant. L’usage des outils
pour rendre visible les actions et valeurs de l’UMP est vivement recommandé : « L’ensemble
du Bureau National et ton équipe départementale comptent désormais sur toi pour militer au
plus près de ton territoire notamment par des boitages, des collages, des tractages et bien sûr
11
Benjamin Lancar, 25 ans, Président des Jeunes Populaires. Entretien du 8 juin 2011 12
Marjorie, 17 ans, Jeune Populaire et militante à l’UMP. Entretien du 8 juin 2011. 13
Jean-François Copé dans sa lettre aux militants UMP. 14
Typepad est un service de blogs, lancé en 2003.
du porte-à-porte. Tu dois également et dès à présent être très militant sur Internet et tes
réseaux sociaux favoris (Twitter, Facebook…). »15
Dans la perspective de l’élection
présidentielle, Benjamin Lancar pense d’ailleurs créer des outils attractifs qui vont donner
envie aux militants d’agir sur le Web : « Nous, pour les présidentielles, ce qu’on va essayer de
faire au maximum c’est d’inciter… de créer des outils militants qui vont inciter les adhérents
à venir militer. Ça peut être des concours militants, ça peut être avoir des alertes, des
applications smartphone pour savoir où se passe les événements. Voilà, c’est ce qu’on va
essayer de faire »16
En effet, des outils virtuels destinés spécifiquement aux militants viennent de voir le jour, tels
que les réseaux sociaux partisans (Coopol17
, Démocrates18
…). Le 31 mars 2011, les membres
du réseau social de République Solidaire, « Villepincom », ont reçu le message suivant :
« Chers amis, à quelques jours de la présentation du projet 2012 de Dominique de Villepin,
nous devons nous mobiliser sur Internet et montrer que République solidaire est largement
devant les autres formations politiques. » Il s’agit ici d’une stratégie d’affichage afin d’être
visible sur la Toile en vue des prochaines échéances électorales. La perspective de l’élection
présidentielle de 2012 a également amené le Parti Socialiste (PS) à créer son propre réseau
social, destiné à mobiliser sympathisants de gauche et adhérents sur la Toile. Ainsi, le 12
janvier 2010, la Coopol19
(ou Coopérative politique) se fait connaître du grand public :
« Avec la Coopol, découvrez une nouvelle génération d'outils d’organisation et de
mobilisation politique pour échanger en ligne et agir sur le terrain. ». Testé pendant les
dernières régionales et cantonales, la Coopol sera bien présente lors de la campagne pour
l’élection présidentielle de 2012 : « La Coopol sera toujours là en 2012 et elle sera même un
pilier indispensable des primaires, puis de la campagne »20
. En revanche, le site participatif de
l’UMP, Les Créateurs du possible, crée le 7 janvier 2010, a été contraint de fermer devant le
manque de participation. Le « projet phare de la stratégie de modernisation du mouvement
populaire »21
a connu de grandes difficultés pour s’imposer sur la Toile. Benjamin Lancar,
Président des Jeunes populaires, reconnaît cet échec : « ça n’a pas marché. Les militants n’ont
pas accroché et même les jeunes militants n’ont jamais accroché avec ça. C’est dommage. »22
Ainsi, toutes les initiatives tournées vers la « Web politique » ne sont pas forcément
couronnées de succès. Les militants n’adhérent pas de façon systématique aux outils
numériques mis en place par leur parti. Il arrive même que ces incitations permanentes à
utiliser le Web soient mal perçues par certains militants qui ne s’inscrivent pas dans cette
démarche : « Disons que les jeunes qui font partie des Jeunes Populaires, ils vont être à fond.
Ils revendiquent à fond parce que ces des jeunes qui sont… Comment dire ça ? … C’est pour
ça que je suis partie de là-dedans. Tu es vraiment canalisé. On te dit : « Il faut faire comme-ci,
il faut faire comme ça » et puis ils vont le crier haut et fort. Moi, je ne suis pas non plus
comme ça… Je ne vais pas me balader avec mon T-shirt de Sarkozy. Je ne vais pas aller sur
tous les forums à la demande du parti »23
. Benjamin, Jeune populaire et militant UMP,
explique qu’il souhaite prendre part à la reconquête du Web afin de mettre à mal « la
gauchosphère » 24
, mais de manière complémentaire : « Je suivrai plus ou moins le pas. Mais
15
Propos recueillis sur une lettre adressée à un nouvel adhérent UMP. 16
Benjamin Lancar, 25 ans, Président des Jeunes Populaires. Entretien du 8 juin 2011. 17
http://www.lacoopol.fr/presentation 18
http://lesdemocrates.fr/reseau-social/
19http://www.lacoopol.fr/presentation 20
Propos tenus par Emile Josselin, responsable des contenus Web au Parti socialiste, « PS et UMP se cherchent
une stratégie Web pour 2012 », Le journal du Dimanche, 22 Décembre 2010 21
Propos tenus par Xavier Bertrand, lors de l'université d'été de l’UMP en septembre 2009 à Seignosse. 22
Benjamin Lancar, 25 ans, Président des Jeunes Populaires. Entretien du 8 juin 2011 23
Elodie, 20 ans, militante à l’UMP, ex-Jeune Pop’, Fédération Gironde, Entretien du 6 mai 2011 24
« La blogosphère, c’est plutôt une gauchosphère », Benjamin Lancar
je ne veux pas rester devant un ordinateur, je veux aussi être sur le terrain. Je ne veux pas être
caché dans un bureau, être un administrateur fantôme. Et je n’ai pas beaucoup de temps pour
avoir cette action sur Internet, aller sur les forums… Je privilégie le contact humain, la
pratique»25
. Benjamin Lancar a bien conscience que ce n’est parce que l’on est militant qu’on
a forcément envie de s’investir sur le Web : « Il faut cibler. Tu peux [sic] pas avoir 100% de
tes militants sur Internet. Il faut cibler qui. ».
Des recherches par « le haut » et non par « le bas »
Qui milite sur le Net ? Les recherches actuelles en sciences sociales ne disent pas grand-chose
à ce sujet. Il en effet difficile de repérer qui s’exprime, caché derrière son écran, souvent sous
couvert d’anonymat. Au-delà du profil du « cyber-militant », celui du « cyber-citoyen » est
déjà difficilement repérable. Patrice Flichy souligne l’absence de recherche empirique
dans ce domaine : « Il resterait néanmoins à se demander qui participe à ses débats sur
Internet. Les études, dans ce domaine, sont malheureusement rares » (Flichy, 2008).
Stéphanie Wojcik constate elle aussi « la méconnaissance des trajectoires des individus
prenant part aux dispositifs participatifs, qu’ils soient en ligne ou hors ligne » (Wojcik,
2008). Dans le cadre de sa thèse, elle n’a d’ailleurs pas pu interroger les utilisateurs des
forums municipaux étudiés : « il n’a pas été possible d’effectuer des entretiens auprès
des internautes, la parole qui leur est donnée au cours de ce travail provient donc
exclusivement de messages écrits postés sur les forums de discussion » (Wojcik, 2005).
Leur profil socio-démographique n’est pas identifié de manière précise. De nombreuses
recherches prennent comme point de départ l’outil, le dispositif en ligne (forums
municipaux, Webforums politiques, sites de partis politiques, blogs…) et il est alors
bien plus difficile de connaître précisément qui prend part au dispositif étudié. En
adoptant cette démarche centrée sur l’outil, il est plus aisé de « remonter le fil », d’aller
interroger ceux qui sont à l’origine du dispositif et beaucoup plus ardu de dépasser
l’anonymat des participants.
Les recherches actuelles portent ainsi davantage sur les usages des TIC par « le haut »
(institutions à l’origine du dispositif) et non par « le bas » (les usagers directs :
Internautes-citoyens, Internautes-militants). La thèse de Gersende Blanchard s’inscrit
dans cette optique en axant sa recherche sur les sites Internet des partis politiques
français hors période de campagne (Blanchard, 2007). Elle s’intéresse aux stratégies de
communication que mettent en place les directions des partis politiques sur la Toile afin
de « renforcer leur rôle de médiateur social » (Blanchard, 2006) et à leurs appropriations
du réseau. Toutefois, une partie de cette thèse est consacrée à l’intégration de la parole
citoyenne ordinaire à travers l’étude de forums de discussions. Mais là encore, partir de
l’outil –forum de discussion – ne permet pas d’identifier clairement le profil de ces
citoyens qui prennent la parole en ligne : « Notre démarche pour le présent travail a
consisté en l’appréhension de l’usage que font les internautes des forums de discussions
à partir de « traces d’usages »26
: les usagers n’ont donc été perçus qu’au travers de leurs
productions discursives, et de la médiation de celles-ci, exercée par les modérateurs des
forums, ou au travers de la représentation qu’en ont les acteurs de la mise en œuvre de la
communication des partis. ». En conclusion de sa thèse, dans ses perspectives de
recherche, l’auteure précise d’ailleurs : « Une étude menée auprès des usagers nous
permettrait d’appréhender de manière directe qui sont ces internautes qui consultent les
sites Web des partis, quels sont leurs objectifs et leurs pratiques effectives , ainsi que la
Vidéo en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=LIskr7nmLu4 25
Romain, 18 ans, Jeune populaire et militant à l’UMP, Fédération Gironde, Entretien du 6 juin 2011 26
Beaudouin, Licoppe, 2002, p.10
manière dont ils intègrent l’usage de l’Internet dans leurs pratiques politiques ( ?) »
(Blanchard, 2007, p.431). Lorsque les chercheurs se penchent sur les usagers, c’est
essentiellement à travers leur mots, c’est-à-dire l’analyse des discussions en ligne en
adoptant une méthodologie d’analyse de contenu (Dalhberg, 2001 ; Marcoccia, 2003,
2006 ; Kies, 2008 ; Marlier, 2009 ; Desquinabo, 2011).
Quelques travaux ont néanmoins commencé à explorer ce terrain d’étude et apporte des
renseignements utiles sur le profil socio-démographique des « cyber-citoyens », voire
des « cyber-militants ». Dans son analyse d’ATTAC, Flora Trautmann se demande si
ceux qui militent hors ligne pour ATTAC ont le même profil que ceux qui militent en
ligne dans le cadre d’ATTAC. Pour cela, elle a diffusé un questionnaire (400 distribués
pour 96 retours, dont 62 disposant d’une connexion Internet et 52 l’utilisant dans le
cadre d’ATTAC) aux adhérents en l’envoyant ou le distribuant auprès de certains
comités locaux d’ATTAC. Selon son échantillon (qui ne se veut pas représentatif), les
individus connectés sont plus jeunes et plus favorisés socialement (plus diplômés) par
rapport à la moyenne de l’association. « Il faut noter en outre que ce décalage est
particulièrement important sur l’axe du capital culturel plus que sur celui du capital
économique, pour reprendre la terminologie bourdieusienne. » (Trautmann, 2001, p.35).
Ils sont aussi plus exigeants en matière de fonctionnement démocratique interne et plus
méfiants à l’égard des dirigeants. Les adhérents d’Attac utilisant Internet pour leur
engagement associatif ne sont ni porteurs d’un mandat ni spécialement représentatifs de
l’ensemble des adhérents.
Dans leurs recherches sur la section virtuelle du PS, Temps réels, Godefroy Beauvallet
et Maurice Ronai nous donnent des informations sur le profil des participants à cette
plateforme (comparés aux militants socialistes « traditionnels » ou hors ligne), sans pour
autant préciser l’origine de ces données : « Temps réels se distingue par une
composition sociologique décalée par rapport à celle du parti socialiste, en termes socio -
professionnels – 70 % de ses membres sont issus du secteur privé –, d’âge – ses
membres sont nettement plus jeunes que ceux du parti socialiste, avec une moyenne de
35 ans en 2003 – et de sexe – il n’y a que 25 % de femmes, ce qui reflète sans doute un
biais sectoriel historique dans le secteur des technologies de l’information et de la
communication. » (Beauvallet, Ronai, 2005).
Plus récemment, une enquête nationale a été menée par le PS en mai 2006 afin
d’identifier les « nouveaux adhérents à 20 euros », dits aussi « adhérents internautes ».
C’est sous l’impulsion de Jack Lang, secrétaire national au développement du parti, que
cette campagne d’adhésion à prix réduit est lancée, pendant 3 mois, de mars à mai 2006 :
près de 70 000 personnes vont ainsi adhérer au PS, la plupart du temps par Internet27
,
faisant passer les effectifs de 120 000 à 200 000 adhérents. L’enquête, réalisée du 6 au
11 mai et basée sur un échantillon de 8400 nouveaux adhérents interrogés par Internet,
différencie les militants traditionnels de ces nouveaux militants : « un parti féminisé,
rajeuni, urbain, diplômé ». Il n’est pas possible d’assimiler militants en ligne à ces «
militants-internautes », mais cela peut néanmoins nous donner quelques indications.
Pour des données plus précises sur le profil sociodémographique des militants en ligne,
il faut aller chercher dans des travaux étrangers. La distinction entre le profil classique
du militant (hors ligne) et celui du militant en ligne, déjà constaté par Beauvallet et
Ronai, se retrouve dans les travaux de Rachel Gibson et Stephen Ward. Au sein du parti
libéral démocrate britannique, les militants en ligne sont plus jeunes et adoptent des
formes de militantisme plus « passives » (Ward, Lusoli, Gibson, 2002). Ces auteurs
27
On pouvait aussi adhérer par téléphone au 0810-77-2007 (de 9 heures à 19 heures, prix d'un appel
local), ou par courrier.
nuancent leurs positions dans leurs récents écrits : « Le profil des internautes politiques
n’apparaît pas tellement différent de celui des militants traditionnels, même si les
internautes politiques tendent à être plus urbains, de classe moyenne et plus souvent des
hommes » (Ward, Gibson, 2011, p.111). Les exemples des partis danois et norvégiens
contrarient les premiers résultats de Ward et Gibson, attestant d’un décalage entre profil
du militant hors ligne et en ligne (plus jeune, plus passif28
, voir plus masculin). Ceux qui
militent en ligne sont en fait les membres les plus actifs dont l’action en ligne s’ajoute à
celle du terrain (Pedersen, Saglie, 2005). Distinguer les militants en ligne des militants
hors ligne se serait se fonder sur l’outil, alors que la clé de compréhension serait dans le
degré d’implication du militant. Plus celui-ci s’engage de façon intensive, plus son
activité militante s’étendra dans toutes les domaines/ espaces d’action possible. Ronai et
Beauvalet soulignaient eux aussi dans leurs articles que les membres de Temps réels
étaient souvent également des militants très actifs sur le terrain.
Le profil sociodémographique des militants en ligne et hors ligne français est -il le
même? Le profil des militants en ligne est-il plus proche du profil type de l’internaute
ou de celui du militant traditionnel ?
Quelques éléments de réponse nous sont déjà donnés par l’enquête qualitative effectuée
dans le cadre de notre doctorat en science politique29
. Nos entretiens réalisés auprès de
militants du PS et de l’UMP nous amènent à considérer – en première analyse – que le
profil du militant classique se distingue de celui du militant en ligne. On peut supposer
par exemple que les jeunes militent davantage en ligne car l’outil se veut plus adapté, voire
intériorisé par cette génération. Le taux de pénétration d'Internet est de 78 % chez les 15 à 25
ans30
. Ils ont grandi avec ces nouveaux médias et les utilisent de manière quasiment
« automatique ». 82 % des jeunes européens entre 16 et 24 ans utilisent Internet entre cinq et
sept jours par semaine (Niel, Roux, 2010). Ils passent parfois leurs soirées derrière leur écran ;
en témoigne le titre grinçant d’un article du New York Times : « Si vos enfants sont réveillés,
ils sont probablement en ligne»31
. En revanche, lorsqu’on s’entretient avec des militants ayant
atteint l’âge de la retraite, il n’est pas rare que ces derniers nous disent ne rien comprendre à
Internet. De nombreux secrétaires de section ont encore recours à l’envoi papier pour
informer certains militants ne disposant pas (ou ne sachant pas se servir) de boite mail,
notamment à l’UMP. Les militants actifs en ligne seraient donc plus jeunes que la moyenne
des militants hors ligne.
« C’est aussi une question de génération. Je pense à Marie Odile, elle a une
cinquantaine d’années, clairement elle se sert du mail parce que
professionnellement, elle peut [sic] pas faire autrement. Facebook, ça l’intéresse
[sic] pas du tout. Twitter, elle ne sait même pas ce que sait. Et la coopol ; elle te
dit « écoute t’es gentil, mais envoie moi un mail ».
Qui a créé la Coopol ? Valério Motta. Il a quoi ? Il a 30 ans. Il est né dans
l’informatique. Je ne suis pas sûr que Martine Aubry, Harlem Désir et toutes la
28
Autrement dit, ces militants n’optent pas pour un engagement participatif : organisation d’événements,
recrutement de nouveaux adhérents sur le Net, mise en réseau des militants… Ils préfèrent s’investir de façon
plus « passive », dans un militantisme plus individuel, demandant moins de temps et d’engagements, tels que des
donations au parti ou des lectures de documents, d’argumentaires. 29
« Militer en ligne au PS et à l’UMP », Thèse de science politique, sous la direction d’Antoine Roger, Centre
Emile Durkheim, Sciences po Bordeaux, débutée en octobre 2010 30
Institut national d'études démographiques (Ined), 2006 31
“If Your Kids Are Awake, They’re Probably Online”, NewYork Times, 20 janvier 2010
clique du PS, soit à fond sur la coopol pour organiser leur propre déplacement,
leur propres réunions…enfin je sais [sic] pas quoi. C’est [sic] pas leur culture. »32
.
« Comme j’ai quand même une majorité de personnes de plus de 55 ans,
beaucoup de courriers. On a gardé cette idée que pour les grandes rencontres, par
exemple, l’apéro avec Alain Juppé, la rencontre de l’assemblée générale de
septembre, il faut envoyer le courrier. Ensuite, il y a les mails pour les Jeunes
populaires, les gens de 30-45 ans. »33
Nos entretiens nous font supposer que les militants en ligne sont plutôt des hommes. En effet,
dans le cadre de notre recherche doctorale, nous avons rencontré des responsables Web de
certaines circonscriptions/ sections des fédérations de Paris, Gironde, Alpes-Maritimes et une
dizaine de militants très actifs sur le Net (blogeurs-militants, Tweeple34
-militants,
coopains35
…) et il s’agissait presque exclusivement (à une exception près) d’hommes. Nos
entretiens qualitatifs nous apportent déjà quelques informations sur le profil type du militant
partisan en ligne : jeune, masculin.
Toutefois, nous avons ressenti le besoin de mener une enquête quantitative36
, par le biais d’un
questionnaire diffusé auprès des militants PS (n=489) et UMP (n=302) des Fédérations de
Paris, Gironde et Alpes-Maritimes en ligne (Facebook, Coopol, forum politiques, sites
d’actualités politiques…) et hors ligne (section, Convention sur le projet du PS, Fête de la
rose, meeting des primaires…) afin d’identifier plus précisément qui milite en ligne37
. Quel(s)
est (sont) le (les) profil(s) socio-démographique(s) du cyber-militant au sein des deux « partis
de gouvernement » choisis pour notre recherche doctorale, le PS et l’UMP ? Les
caractéristiques sociodémographiques des cyber-militants socialistes sont-elles différentes de
celle des cyber-militants « populaires » ? Se distinguent-elles du profil type du militant hors
ligne à l’UMP et au PS ?
Ce questionnaire comporte à la fois des questions fermées et des questions ouvertes et se
compose de trois rubriques se reportant:
• à leur représentation du militant et à leurs pratiques du militantisme
• aux différentes dimensions de l’usage d’Internet, de façon globale et dans le cadre
spécifique de leur activité militante ;
• aux caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, niveau d’études, CSP …) ;
Le croisement de ces données va nous permettre d’identifier le profil sociodémographique du
« cyber-militant », entendu ici au sens large comme un militant exerçant son activité militante
majoritairement sur Internet.
Dans une visée comparative, et pour bien prendre la mesure des évolutions observées, nous
avons tout d’abord souhaité apporter un éclairage sur le profil traditionnel du militant à
l’UMP et au PS, ainsi que sur celui de l’internaute-type français. Cette partie va nous
permettre également de réfléchir à la notion de « militant » et notamment de « cyber-
militant ».
Puis, nous tenterons d’établir le profil type du cyber-militant socialiste et populaire à partir
d’une partie des résultats de notre enquête quantitative.
32
Entretien avec Patrick, secrétaire de section de la Fédération de Paris, le 27 mai 2011. 33
Entretien avec David, secrétaire de circonscription de la Fédération de Gironde, le 3 juin 2011 34
Pour nommer, un utilisateur de Twitter, on parle de « twittos », « twitteur » ou « twitterer ». Au pluriel, cela
donne « Tweeple » ou « Tweople » (contraction de Twitter et People). 35
On nomme ainsi les utilisateurs (essentiellement des militants) du réseau social du PS, la Coopol. 36
Il est nécessaire ici de préciser que cette enquête ne prétend nullement atteindre la représentativité de la totalité
de la population militante à l’UMP et au PS. 37
Pour plus de renseignements sur la méthodologie de cette enquête quantitative, se référer aux annexes.
Nous verrons que ce profil s’avère assez similaire à l’UMP et au PS : homme, célibataire, de
moins de 30 ans, diplômé de l’enseignement supérieur (majoritairement Master ou Licence),
exerçant une profession dite « supérieure » dans le secteur public (même pour l’UMP, le
secteur public est majoritaire chez les cyber-militants ce qui le différencie du militant
traditionnel). Le cyber-militant se distingue du militant traditionnel surtout au niveau de l’âge,
le militant en ligne étant beaucoup plus jeune. Les autres critères se trouvent généralement
renforcés dans le cas du cyber-militant : plus de diplômés, plus d’hommes, plus de cadres que
parmi les militants hors ligne.
Cette enquête nous révèle aussi quelques « surprises » concernant la catégorie socio-
professionnelle « agriculteurs-exploitants ».
SECTION I : PROFILS TYPES DES MILITANTS « TRADITIONNELS » UMP/PS ET DES INTERNAUTES FRANÇAIS
1. Profils sociodémographique du militant hors ligne au PS et à l’UMP
Nous souhaitons comparer le profil des militants en ligne au profil type des militants hors
ligne pour le PS et l’UMP. Encore faut-il savoir quelles sont les caractéristiques du militant
traditionnel au sein de ces deux partis et qu’est-ce qu’on entend par « cyber-militant » dans
notre enquête ?
a. La notion de « cyber-militant » dans notre enquête quantitative
« L’on sait, en effet que parmi les adhérents a été socialement construite une catégorie « d’adhérents actifs » qui se reconnaissent et sont reconnus par les autres comme militants. Faut-il dès lors entériner le classement social spontané (« je milite au PS », « c’est un militant ») ou au contraire établir objectivement des indicateurs de militantisme (assistance aux réunions, activisme partisan, temps consacré au parti, paiement régulier des cotisations...). Faut-il séparer les militants des responsables ? Faut-il séparer le militant de l’élu en estimant que leurs rôles sont contradictoires, et qu’un élu, même non professionnalisé, n’est déjà plus un militant ? » (Offerlé, 1987, p.72).
Les travaux fondateurs de l’analyse des partis politiques (Duverger, 1951 ; Offerlé, 1987) tout
comme des recherches plus contemporaines (Aldrin, Barboni, 2008 ; Aldrin, 2009) soulignent
la difficulté à circonscrire les contours du « militant » et plusieurs définitions38
s’affrontent ou
38
Nous donnerons ici un aperçu rapide des définitions classiques, souvent retenues dans les travaux
contemporains de science politique. De nombreux auteurs se réfèrent à la définition de Maurice Duverger, en
lien avec sa distinction entre parti de cadres et parti de masse. Dans les partis de cadres, où la qualité des
adhésions prévaut sur les quantités, « la notion de militant se confond avec celle de membre du parti
» (Duverger, 1976, p.175) ; alors que dans les partis de masse, « le militant est l’adhérent actif : les militants
forment le noyau de chaque groupe de base du parti, sur qui repose son activité essentielle » (Duverger, 1976,
p.174). Le militant se distingue donc de la masse des adhérents par son activité militante soutenue (participation
aux réunions, préparation de campagne, diffusion de mots d’ordre…) et des dirigeants car il n’est qu’un
« exécutant ». Michel Offerlé ajoute la notion de professionnalisation et base son raisonnement sur la nature et le
volume du capital politique détenu par les acteurs. Ainsi « le terme militantisme renvoie à une pluralité de
situations. Il permet de désigner des agents intéressés politiquement qui, disposant de suffisamment de capitaux
pour estimer avoir le droit de s’occuper de questions politiques, n’ont cependant pas -temporairement ou
définitivement - les ressources nécessaires pour vivre de et pour la politique » (Offerlé, 1987, p.75).
se complètent. En 1951, déjà, Maurice Duverger soulignait la difficulté, voire l’impossibilité
de connaître un « taux de militantisme exprimant en pourcentage le nombre des militants par
rapport à celui des adhérents » (Duverger, 1976, p.175). Cette difficulté réside dans
«l’imprécision de la catégorie qu’il s’agit de dénombrer » (Duverger, 1976, p.175). Comment
différencier les militants des simples adhérents, des permanents, des cadres, voire même des
élus ? La difficulté s’accroît encore lorsqu’on cherche à délimiter les contours du « cyber-
militant ».
Pour délimiter cette catégorie du « cyber-militant »39
lors de notre enquête quantitative, nous
avons opté pour l’auto-évaluation, renforcée par des critères « objectifs » de mesure du
militantisme. En effet le paramètre subjectif de l’auto-évaluation par le répondant apporte des
éléments intéressants du point de vue de la représentation de l’individu interrogé (estime de
soi, comparaison avec d’autres militants…), mais peut entrer en contradiction avec l’action et
le temps réel consacré à l’activité militante ; comme le montre, dans le cas du « militant »
classique, l’enquête quantitative40
menée auprès des Jeunes populaires lors de l’Université
d’été de l’UMP en septembre 2006 (Bargel, Petitfils, 2009). Ainsi demander aux personnes
interrogées de s’évaluer elles-mêmes comme simple adhérent, militant actif ou épisodique,
peut être un moyen efficace pour différencier ces catégories, le risque étant que « globalement
le nombre des militants (par auto-estimation) excède celui des militants de fait » (Lagroye,
1976, p. 133). Nous avons donc bien conscience de ce risque. Toutefois, nous allons, dans cet
article, nous baser essentiellement sur cette auto-déclaration pour bâtir le profil du « cyber-
militant » type au PS et à l’UMP.
Nous souhaitons par la suite exploiter davantage notre questionnaire en nous appuyant sur des
questions mesurant les critères dits « objectifs » du cyber-militantisme, entendu comme
« cyber-activisme ».
Jacques Lagroye (et al.), dans son étude sur les militants de trois partis politiques établit
quatre indices permettant de différencier un militant d’un adhérent: la participation régulière
aux réunions du parti, le temps consacré chaque semaine aux activités partisanes (au moins
trois heures hebdomadaires étant la limite) ; les activités auxquelles l’adhérent consacre le
plus de temps et la participation à des congrès nationaux ou départementaux. Ces variables de
mesure ont subi des critiques au sens où elles apparaissaient comme trop exigeantes et
permettait de « révéler seulement des groupes de « supermilitants» » (Lagroye, 1976, p. 11).
De la même manière, Henri Rey et Françoise Subileau tentent d’évaluer la continuité dans
l’action, élément primordial, selon eux, de la distinction entre militants et adhérents : « il
existe, en effet, une différence de nature entre un soutien actif de longue durée à une cause
collective et la participation ponctuelle ou même épisodique à des actions sectorielles » (Rey,
Subileau, 1991, p. 18). Nous avons aussi dans notre enquête quantitative, souhaité mesurer ce
39
Question n° 21 de notre enquête quantitative :
« a- Vous sentez-vous un(e) « cyber-militant(e)»?
Oui / Non
b- Pourquoi?
c- explicitez ce que recouvre, pour vous, l’expression « e-militant »….. » 40
« 63% des répondants se considèrent comme des « militants actifs » des Jeunes populaires, et on peut supposer
que la participation aux UE [Universités d’été] en constitue, à leurs yeux, une confirmation en acte. Si l’on
ajoute les 13% de participants qui se voient comme des « cadres » de l’organisation, on obtient alors l’image de
membres très fortement investis dans les activités des JP. Pourtant, celle-ci se brouille si l’on porte l’attention,
cette fois, sur le temps consacré au militantisme : presque la moitié des répondants (49%) déclare dédier deux
heures ou moins par semaine aux activités de l’organisation. Plus surprenant encore, 40% des « militants actifs »
font la même réponse ; seuls ceux qui se considèrent comme des « cadres » déclarent massivement consacrer 10
heures et plus par semaine à leurs activités partisanes » (Bargel, Petitfils, 2009, p. 56-57)
critère de continuité dans l’action à travers les questions suivantes : « « Avez-vous participé
aux campagnes électorales suivantes. Si oui, merci de préciser quelle forme concrète a prise
cette participation pour chaque élection » (de 1995 à 2010).
Toutefois, ce critère ne permet pas, selon nous, de différencier totalement l’adhérent du
militant car il est un peu daté au sens où l’image du militant actuel n’est plus celle de
l’individu engagé corps et âme à son parti, y consacrant tout son temps de loisir ; mais plutôt
celle d’un acteur se mobilisant lors de campagnes électorales (Ion et al. ; 2005). Critère daté,
mais aussi faisant référence implicitement à une conception du militantisme de gauche, plus
précisément du Parti Communiste. Or, notre enquête prend également pour objet l’UMP.
Nous avons donc choisi de reprendre quelques éléments identifiés par l’enquête de Jacques
Lagroye pour évaluer l’intensité de l’engagement : « Combien de temps, en moyenne,
consacrez-vous au militantisme par semaine ? » (question 8) ; « Classer vos activités
militantes de 1 à 7 en commençant par celles que vous pratiquez le plus souvent » (question
9).
Ce qui nous intéresse encore davantage ici est de construire un « indicateur global » (Donnat,
p.165) afin de caractériser par l’agglomération de plusieurs éléments « objectifs » ce que l’on
entend par « cyber-militant ». Plusieurs données de notre questionnaire nous permettent de
délimiter cette notion de cyber-militant à travers 4 items (auxquels il faut ajouter l’auto-
évaluation comme « cyber-militant » du répondant): le temps passé sur le Web dans le cadre
de l’activité militante partisane, l’équipement Web personnel, la connaissance des outils
numériques créés par le parti à destination des militants, le classement des sources
d’information.
Pour cibler une recherche sur les militants, Roland Cayrol et Colette Ysmal proposent d’aller
les chercher lors de moments solennels où seuls les militants se déplacent tels que les Congrès
des partis politiques, car ceux-ci « rassemblent en un moment solennisé par la culture
politique de l’organisation, tous les animateurs du parti, considérés à ses différents degrés
d’activité : leaders nationaux et locaux, cadres intermédiaires et représentants actifs de la base
» (Cayrol, Ysmal, 1982, p.572). Le chercheur serait alors en contact avec la « chair militante
de l’organisation, avec ceux qui la font vivre et agir à tous les niveaux » (Cayrol, Ysmal,
1982, p.572). Nous sommes donc allés à la rencontre de cette « chair militante » lors des
Universités d’été du PS et de l’UMP ou lors de la Convention sur le projet du PS afin de
distribuer nos questionnaires aux militants présents lors de ces moments solennisés. De la
même manière, nous sommes entrés en contact avec les « cyber-militants » (ou en voie de le
devenir) en distribuant nos questionnaires lors des ateliers Web du PS à la Rochelle.
Toutefois, nous ne souhaitions pas nous adresser uniquement aux militants et/ou cyber-
militants hyper-actifs, les plus impliqués dans l’organisation, ou aux militants en voie de
professionnalisation41
, ou encore aux militants actifs uniquement sur le terrain ou sur le Web.
L’objectif de ce questionnaire est d’avoir un panel le plus large possible des différentes
formes de militantisme auprès des militants de base c’est pourquoi nous ne nous sommes pas
limités à ces moments solennisés pour distribuer notre questionnaire (passation lors de
réunions de section/circonscription, diffusion par liste de diffusion en passant par le secrétaire
de section, diffusion sur les réseaux sociaux partisans…).
b. Profil-type du militant socialiste hors ligne
41
L’enquête de Bréchon, Derville et Lecomte sur les cadres du RPR est significative : ils identifient un type
particulier de militant, les délégués aux congrès du RPR et se demandent s’il entre toujours dans la catégorie des
militants.
Plusieurs enquêtes sociographiques ont été menées pour identifier le profil du militant
socialiste, à la fois au niveau national42
(Hardouin, 1978 ; Rey, Subileau, 1991 ; Rey,
Subileau, Ysmal, 1998) et local (Cayrol, 1975 ; Lagroye, 1976).
En 1978, Patrick Hardouin réalise une étude à partir d’un sondage au cinquième du fichier
national du PS (Hardouin, 1978). Il identifie alors une sur-représentation des catégories
privilégiées et la sous-représentation des couches populaires. Certains facteurs sont, selon lui,
« structurants » de l’adhésion au parti : le niveau élevé d’éducation, l’appartenance au corps
enseignant, l’exercice d’une activité professionnelle.
L’enquête de Jacques Lagroye (et al.) sur les militants de trois partis politiques (PCF, PS,
UNR) en Gironde apporte des indications sur le profil et itinéraire des militants socialistes et
gaullistes des années 70 (Lagroye, 1976). En 1981, Monique Dagnaud et Dominique Mehi
mènent une enquête par questionnaires (58 questions ; 175 répondants) auprès des lecteurs de
la revue Faire afin de dessiner le profil sociologique du courant rocardien, de ce qu’ils
appellent la « nouvelle gauche » (Dagnaud, Mehi, 1981). Il s’agit en forte majorité d’hommes,
les deux tiers entre 20 et 40 ans. C'est un monde de haut statut social : cadres, et surtout
cadres supérieurs, parmi lesquels une proportion importante de professions intellectuelles,
notamment des enseignants. Très majoritairement salariés, ils occupent des emplois davantage
liés au secteur public et à l'action de l'Etat qu'au secteur privé. Les résultats de cette enquête
sont à prendre avec prudence du fait du faible taux de réponse et de la population interrogée,
les lecteurs de la revue Faire, et non spécifiquement les militants.
Henri Rey et Françoise Subileau, dans leur étude sur les militants du PS après l’arrivée au
pouvoir de ce parti en 1985-86, en décrivent les « profils sociaux » (Rey, Subileau, 1991).
L’enquête concernait trente fédérations réparties sur le territoire national, représentant environ
40% des effectifs du PS. L'enquête comportait quatre grandes dimensions : les trajets sociaux,
les itinéraires idéologiques, les raisons de l'adhésion et les significations attribuées au
militantisme, les opinions politiques et les systèmes de valeurs. Treize ans plus tard, dans une
démarche comparative, cette enquête a été réitérée (Rey, Subileau, Ysmal, 1999). Diffusée
dans l'Hebdomadaire des socialistes, elle a recueilli 12 291 réponses, touchant, cette fois-ci,
toutes les fédérations. La féminisation du PS est lente : en 13 ans, le PS n'a «gagné» que 6%
de femmes. En 1998, elles ne représentent qu'un quart de la population militante. En 1985,
39% des militants étaient âgés de 50 ans et plus, ils sont 67% en 1998. Les ouvriers sont peu
présents au sein du PS : 5% seulement des militants sont ouvriers en 1998 (contre 10% en
1985) et 8% sont enfants d'ouvriers en 1998 (28% en 1985). Entre 1985 et 1998, la
prédominance des couches moyennes salariées se renforce. Les militants socialistes sont plus
souvent enfants de cadres supérieurs, de membres des catégories intermédiaires ou
d'employés, au détriment de l'origine ouvrière. Le groupe enseignant lui-même connaît un
certain «embourgeoisement» puisque la catégorie des instituteurs diminue de 8 points entre
1985 et 1998 (respectivement 17 et 9%), au profit de celle des professeurs de l'enseignement
secondaire et de l'enseignement supérieur qui passe de 9% à 14% entre les deux dates. En
1998, un tiers seulement n'a pas atteint le niveau du baccalauréat alors que cela concernait
37% des adhérents de 1985. Par rapport à 1985, les militants sont plus nombreux à travailler
dans le secteur privé (42% en 1998 contre 32% en 1985).
Le profil-type du militant socialiste établit par l’enquête de 1998, est un homme de plus de 50
ans, possédant un diplôme universitaire, se situant dans la catégorie des professions
intermédiaires, ayant un père employé ou cadre moyen.
42
Elles sont toutefois beaucoup plus rares.
Plus récemment, une enquête a été menée par téléphone par ISL (Institut de Sondage Lavialle)
auprès de 1100 adhérents socialistes issus des fichiers de 2008, 2009, 2010 (Rey, 2011). Le
questionnaire proposé au téléphone a ensuite été envoyé par mail lors d’une seconde vague
d’enquête, 10185 adhérents en 2010 y ont alors répondu. Les résultats sont les suivants : 20 %
des adhérents sont des femmes ; 38% ont 60 ans et plus ; plus de la moitié sont titulaires d’un
diplôme universitaire ; renforcement de la prédominance des classes moyennes et supérieures
(3 % d’ouvriers ; 50 % cadres et professions intellectuelles supérieures).
Le tableau ci-dessous présente les résultats principaux concernant la sociologie des adhérents
PS, des enquêtes de 1986, 1998 et 2010. La dernière colonne correspond aux résultats de
notre enquête quantitative.
TABLEAU 1 : Sociologie des adhérents du PS (en %).
1986
(Rey, Subileau,
1991)
1998
(Rey, Subileau,
Ysmal, 1999)
2010
(Rey,
2011)
2011
(avec notre propre
nomenclature)
SEXE
Hommes
Femmes
79
20
72
26
70
30
70
30
AGE
Moins de 30 ans
30-39 ans
40-49 ans
50-59 ans
60-69 ans
70 ans et plus
7
26
28
18
14
7
5
9
19
27
23
17
10
13
16
23
28
10
33
19
16
16
12
4
Catégories socio-professionnelles
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadre sup
Professeur
Instituteur
(Autre) profession intermédiaire
Employé
ouvrier
Autre
19
9
17
22
10
10
11
20
14
9
25
11
5
14
38
11
7
18
14
3
9
14
2
2
53
13
14
2
Diplôme Aucun
CEP
BEPC
CAP, diplôme technique équivalent
Baccalauréat
Diplômes universitaires
DEUG, DUT, BTS, diplômes de professions
sociales ou de la santé
Licence
Master
Grande école (+thèse pour 2011)
Autre(s) diplôme(s)
13
24
16
24
15
7
10
21
19
33
7
6
4
17
15
54
10
1
9
2
4
14
16
4
36
14
0
Notre enquête présente la même répartition d’hommes (70%) et de femmes (30%) que celle
effectuée en 2010. En 2011, 70% des adhérents interrogés ont un diplôme universitaire ou ont
effectué leur cursus dans une Grande École ; en 2010, ils étaient 64%. Pour les catégories
socio-professionnelles, nous retrouverons à peu près les mêmes taux d’employés (2% en
2011, 3% en 2010), d’ouvriers (14% en 2011 et 2010), de cadres et professions intellectuelles
supérieures (53% en 2011, 49% en 2010). Seules les professions intermédiaires se trouvent en
baisse, au profit de la catégorie « autre » (18% en 2011 ; 9% en 2010) et notamment des
agriculteurs (14% en 2011 !). Cela est peut-être dû aux différences de nomenclature entre les
deux enquêtes : proposer « autres » (enquête 2010) et « artisans, commerçant, chef
d’entreprises de 10 salariés et + », « agriculteurs exploitants » n’induit pas forcément les
mêmes réponses. Par exemple, un chef d’entreprise de 10 salariés et +, répondant à l’enquête
de 2010, pourraient être tenté de cocher la case « cadre sup » et non « autre ». Les modalités
de passation du questionnaire et les terrains invertis pour les deux enquêtes respectives sont
aussi à prendre en compte43
, notamment pour la question de l’âge (les jeunes militants ont
certainement répondus en masse à l’enquête en ligne ce qui gonfle le nombre de militants de
moins de 30 ans).
c. Profil-type du militant populaire hors-ligne
Avant 1981, le militantisme de droite est peu présent dans la littérature ; seules quelques
monographies générales existent sur les mouvements gaullistes (Charlot, 1971). La question
de la spécificité de ce phénomène par rapport au militantisme communiste et socialiste est
abordée dans l’ouvrage de Jacques Lagroye (et al.) à travers son analyse comparative de trois
partis : « pour les partis de gauche le développement du militantisme constitue un objectif
prioritaire de l’organisation ; les fonctions du militant consistent avant tout à garantir le
maintien d’une base militante efficace en assurant le recrutement et la formation des adhérents
» (Lagroye, 1976, p.160), tandis que le militantisme de droite est essentiellement « moins
orienté vers les activité partisanes et tourné vers un rayonnement individuel dont les fins sont
prioritairement électorales » (Lagroye, 1976, p.160). Une fois que la droite se trouve dans
l’opposition face à la victoire du PS à l’élection présidentielle, des études font leur apparition
sur le militantisme au RPR, que ce soit sur les adhérents (Neveu, 1984 ; Harris, 1986 ;
Lecomte, 1989) ou sur un type particulier de militants, les « cadres » (Bréchon, Derville,
Lecomte, 1987) du mouvement. Selon cette enquête, 75% des cadres du RPR ont entre 35 et
64 ans, dont, plus précisément 34% entre 35 et 44 ans, 21% entre 45 et 54 ans et 20% entre 55
et 64 ans. L’enquête de 1986 sur les adhérents du RPR renforce l’idée de la prédominance de
ces classes d’âge : 70% des effectifs du RPR appartiennent à la classe 35-65 ans. Les enquêtes
de 1984, 1986 montrent une sous-représentation des catégories dites « populaires » (5% des
adhérents sont des ouvriers) et une présence importance des catégories sociales moyennes
(professions intermédiaires, artisans, commerçants…). Ces dernières représentent chez les
cadres du RPR, 31% en 1984, 25% chez les adhérents en 1986. La catégorie « cadres et
professions intellectuelles supérieures » correspond à 34,5% des cadres du RPR interrogés par
l’enquête de 1984 (avec une prédominance des cadres administratifs et commerciaux par
rapport aux professions intellectuelles supérieures); 20% pour l’enquête de 1986 mené auprès
des adhérents.
En ce qui concerne l’UMP, les études statistiques nationales permettant d’établir un profil
type du militant populaire sont plutôt rares. Pourtant dès la création de ce parti, certains cadres
s’attachent à accorder une place plus importante aux militants dans ce mouvement. Le 10
juillet 2002, lors du dernier comité politique du RPR, visant à préparer les assises de
Villepinte du 22 septembre 2002 dont le but est d’officialiser la fusion entre le RPR et l’UMP, 43
Se référer à l’annexe méthodologique.
Michèle Alliot-Marie souhaite que la base militante de l’UMP conserve une place importance
au sein de l’organisation du parti notamment concernant l’élection du président du parti et la
nomination des secrétaires départementaux. « Le RPR méconnaissait, jusqu’à sa phase finale,
les mécanismes de participation directe et se prévalait d’ « instruments réglementaires », voire
coercitifs, selon une logique de « parti tuteur », qui reste marqué à l’UMP. Puis les
responsables des partis, ont compris l’intérêt de concilier démocratie et bonne gouvernance
partisane. Aux instruments de type «réglementaires » peuvent alors succéder des instruments
incitatifs de participation, puis communicationnels permettant de réorienter les relations entre
l’organisation politique et les militants-adhérents. » (Olivier, 2007). Longtemps considéré
comme une valeur de gauche, le militantisme est désormais mis en avant à droite comme une
valeur fondamentale afin d’« attirer un maximum d’adhérents»44
. « L'appropriation d'un
lexique (la base) et d'activités militantes (collages, fêtes, rassemblements populaires,
distribution de tracts) dans des partis ‘de droite’ français traduit une tentative de
réappropriation de symboles et de pratiques traditionnellement connotés à gauche » (Offerlé,
2002).
Même si la figure du militant est valorisée ces dernières années par l’UMP, les études sur
leurs profils sociodémographiques sont encore rares. Le tableau ci-dessous synthétise les
données dont nous disposons, en termes de profil sociologique des adhérents au RPR-UMP.
Ces enquêtes s’avèrent datées et par forcément pertinentes pour notre propos. En effet, les
travaux de Bréchon (et al.) s’intéressent à une catégorie particulière (les cadres- 91 %
exerçaient des responsabilités, pour l’essentiel locales ou départementales, et 39 % étaient
élus) alors que notre réflexion se tourne plutôt vers les militants de base. À regret, nous
n’avons pas trouvé des enquêtes quantitatives plus récentes sur lesquelles appuyer notre
analyse comparative, excepté celle réalisée au Cevipof par une équipe composée de Florence
Haegel, Florence Faucher-King et Nicolas Sauger. Il s’agit d’un questionnaire diffusé auprès
des adhérents lors du congrès du 28 novembre 2004, date de l’investiture de Nicolas Sarkozy
comme président du parti. Une partie des résultats de cette enquête est présentée dans un
article de Florence Haegel qui tente de saisir les logiques partisanes et sociales d’adhésion à
l’UMP (Haegel, 2009).
44
Le Figaro, 6 août 2002
TABLEAU 2 : Sociologie des adhérents du RPR – UMP (en %).
1984
(Bréchon et
al., 1987)
1986
(Harris,
1986)
1994
(Jardin,
1994)
2004
(Heagel, 2009) 2011
(Theviot, 2011)
SEXE
Hommes
Femmes
72
28
63
37
61
39
68
32
74
26
AGE
Moins de 25 ans
25-34 ans
35-49 ans
50-64 ans
Plus de 65 ans
4
16
75
4
3
11
36
34
16
24
31
21.5
14
9.5
20 (-de30ans)
10 (30-39ans)
12 (40-49ans)
25 (50-59ans)
21 (60-69ans)
12 (+ de 70ans)
31 (- de30 ans)
14 (30-39ans)
22.5 (40-49ans)
14.5 (50-59 ans)
15 (60-69 ans)
3 (+ de 70 ans)
Catégories socio-professionnelles
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
(Inactifs)
3.5
8
34.5
15
8
2
21
5
3
20
11
11
5
27
0
7
20
27
7
3.5
24.5
2
10
43
18
26
2
12
8
6
43
12
17
1
Les résultats de notre enquête, présentée dans le tableau ci-dessus, en termes de profil
sociodémographique des adhérents UMP interrogés, se distinguent légèrement des précédents
travaux dans ce domaine. Le milieu partisan UMP- tout comme celui du PS- est massivement
masculin, et de façon plus marquée encore selon nos données (68% d’hommes en 2004; 74%
en 2011). Ce décalage révèle soit un processus de « re-mascunalisation » du parti qui semblait
être en train de se féminiser si l’on compare les données des enquêtes de 1984 (80%
d’hommes), 1986 (63%) et 1994 (61%). En l’espace de 10 ans (de1994 à 2004), sur 100
personnes, le parti a gagné 7 hommes ; et en 7 ans, il en gagne encore 6 de plus. Or, selon une
enquête Ipsos réalisée les 21 et 22 septembre 2005, s’intéressant aux « nouveaux adhérents de
l’UMP », suite à la vague d’adhésion précédant l’élection présidentielle, une certaine
féminisation du parti est en cours puisque les hommes ne représentent que 58 % de ces
nouveaux membres45
. Cette hausse des hommes est peut-être due aux modalités de passation
de notre questionnaire : à la fois en ligne et hors ligne (militant en ligne supposé plus
masculin selon les enquêtes précédentes). Pourtant, comme nous allons le voir, il existe
actuellement une répartition quasiment égale des hommes et des femmes sur le Net en France.
Nos résultats confirment en tout cas que l’UMP est un parti composé majoritairement
d’hommes.
En ce qui concerne la position sociale, nous avons choisi de légèrement modifié la
nomenclature des groupes socio-professionnels proposées par l’INSEE, en sortant la catégorie
« chef d’entreprise de 10 salariés et + » du groupe « artisans, commerçants, chefs
d’entreprise » et en faisant une variable à part46
. L’objectif étant ici de bien distinguer les
chefs d’entreprise de plus de dix salariés des artisans/commerçants afin de tester l’idée selon
laquelle les militants de l’UMP serait fortement ancrée dans le monde de l’entreprise ;
45
Enquête « Les nouveaux adhérents de l’UMP », Ipsos, réalisée les 21 et 22 septembre 2005, échantillon de 604
nouveaux adhérents, méthode des quotas, entretien par téléphone 46
Nous avons remarqué que les enquêtés chefs d’entreprise avaient tendance à s’inscrire dans le groupe « cadres,
professions intellectuelles supérieures », certainement plus valorisante en termes d’égo, et ne se reconnaissaient
pas dans le groupe « artisans, commerçants ». Nous avons donc pensé qu’il serait plus pertinent de créer une
variable à part pour éviter ces confusions.
« référence souvent faite au « modèle managérial », ainsi qu’à la transformation de la figure
traditionnelle du « chef politique » en « chef d’entreprise », qu’engage, à sa façon, Nicolas
Sarkozy. » (Haegel, 2009, p.16). Cette légère modification explique certainement le
renforcement du groupe « commerçant, artisans, chef d’entreprise » en 2011 (14 % dont 8 %
chef d’entreprise de 10 salariés et +) par rapport aux données de 2004 (10%). Ce qui est plus
étonnant, c’est le nombre important d’agriculteurs-exploitants (12% en 2011 contre 2 % en
2004) parmi les militants UMP, comparé aux enquêtes précédentes. Le mode de passation de
notre questionnaire à la fois en ligne et hors ligne a pu jouer un rôle déterminant : les
agriculteurs exploitants sont plus difficiles à toucher lors de rassemblement partisan car nous
pouvons supposer que leur métier les contraint souvent au minimum de déplacements. Or,
l’enquête 2004 interrogeait uniquement les adhérents présents lors du congrès du 28
novembre 2004. Peu d’agriculteurs exploitants y ont manifestement assisté selon les données
de cette enquête ; mais cela ne veut pas forcément dire que ces derniers ne sont pas adhérents
à l’UMP. Nous pouvons donc supposer que notre enquête en ligne nous a permis de capter des
adhérents « fantômes », difficilement repérable par des enquêtes exclusivement hors ligne ou
diffusé uniquement dans des grandes villes.
D’autre part, nos données confirment la place prépondérante qu’occupent les professions dites
supérieures, cadres et professions intellectuelles (43 %) et, à l’inverse, la quasi-absence des
ouvriers (1 %).
2. Profil-type des internautes français
« Il convient aussi de s’entendre sur la définition de l’internaute. La convention la plus admise
est qu’il s’agit d’un individu qui s’est connecté, au moins une fois, à Internet au cours des 30
derniers jours, cette acception paraissant bien lâche. De plus, l’univers d’Internet est
spécifique car, à l’inverse des autres médias, il ne recouvre pas l’ensemble de la population. »
(Jouet, 2004)
Olivier Donnat a réalisé une enquête en 2008 sur les pratiques culturelles des français
à l’ère du numérique. Comme nous pouvions le penser a priori, la jeunesse est bien un facteur
clé dans l’usage d’Internet. Mais il existe d’autres caractéristiques propres au profil de
l’Internaute : «la jeunesse n’est pas le seul facteur favorisant l’accès à Internet, le fait d’être
un homme de disposer d’un revenu, et plus encore d’un niveau de diplôme élevé, d’avoir
acquis dans le cadre de son activité professionnelle la maitrise des outils informatiques ou de
vivre sous le même toit que des enfants ou des adolescents figurent parmi les autres
principaux atouts favorisant l’équipement, et une fois équipé, la diversité et la fréquence des
usages. » (Donnat, 2009, p.47). Certaines études plus marketing et plus récentes viennent
parfois nuancer le profil de cet internaute type notamment au niveau du genre.
Tous les ans, Médiamétrie réalise une étude, en face à face, auprès de 9 000 foyers sur les
équipements possédés, et un entretien par téléphone de 24 000 individus sur leurs usages
multimédias et établit ainsi le profil sociodémographique des internautes français en fonction
de leurs usages du Web. Au tout début d’Internet, le profil de l’usager comportait des traits
bien spécifiques : des « geeks », c'est-à-dire des passionnés du Net, jeune (20-35ans). Les
dernières études de Médiamétrie de 2010 et 2011 nous montrent que ce profil a bien évolué47
,
se rapprochant de plus en plus du profil de la population française. La répartition hommes /
femmes qui atteignait 60 % d'hommes en 2001 est désormais à 51,4 % d'hommes au 4ème
47
http://www.neoproduits.com/tag/profil-des-internautes-2011/
http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/profil-internautes-francais.shtml
trimestre 2009. Ainsi, l’internaute français ne serait plus désormais très majoritairement un
homme : il y aurait un équilibre entre les genres. La catégorie « cadres et professions
intellectuelles supérieures » représentait 48 % en 1999, contre 32 % en 2010, tendant ainsi
vers la moyenne française (27 %). L’âge reste le paramètre qui différencie bien la population
Internet de la population française. Plus de 26 % des internautes français ont moins de 25 ans
contre 20 % des Français. Et 26,7 % des internautes ont 50 ans et plus contre 41 % des
Français en 2010. Toutefois, entre 2010 et 2011, la France a gagné près de 3 millions de
nouveaux internautes, principalement des « silver-internautes », âgés de plus de 60 ans (en
2011, 31% de cette tranche d’âge dispose d’un accès à Internet, soit 8 fois plus qu’il y a 10
ans).
Depuis 1998, Ipsos a lancé l’étude « Profiling » (ou « Observatoire des Internautes »), menée
tous les deux ans afin de cerner le profil des visiteurs d’environ 200 sites, et de réseaux
sociaux (depuis 2010) dans un but essentiellement marketing, mais cela nous donne des
renseignements intéressant pour notre étude. Le terrain de la dernière vague de l’étude a été
effectué du 23 mars 2011 au 11 juillet 2011. Il a été réalisé auprès d’un échantillon de 13 488
répondants représentatifs des internautes âgés de 15 ans ou plus résidant en France. Présentés
en septembre 2011, les résultats indiquent qu’il y a une quasi-parité homme / femme dont
l'âge moyen est supérieur à 35 ans. Les 15-24 ans représentent 21% des internautes et les 25
ans et plus, 79%. Par contre, il est notable que, même si les moins de 25 ans sont moins
nombreux, ils sont proportionnellement plus équipés en smartphones et autres objets
permettant de consommer du Web en mobilité, puisque 44% d'entre possèdent un produit de
ce type, contre 25% pour les 25 ans et plus. En effet, en fonction des outils utilisés pour se
connecter le profil de l’internaute varie : les « tablonautes »48
sont plutôt des hommes
appartenant à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures, usagers
historiques de l’Internet, geek ; alors que les « mobinautes »49
, par exemple, sont plus jeunes,
plus urbains et sont considérés comme des « e-influencers ». Par ailleurs, une partie de cette
enquête est consacrée au profil des usagers de Twitter : des hommes (79%), âgés de 28 ans en
moyenne, résidant en zones urbaines. Experts du Web (plus anciens et plus assidus que la
moyenne), ils sont friands de vidéos en ligne (76%) et de e-commerce (90%).
TABLEAU 3 : Sociologie des internautes français (en %).
Médiamétrie,
2010
Ipsos,
2011
SEXE
Hommes
Femmes
51.4
48.6
51
49
AGE
Moins de 25 ans
25-34 ans
35-49 ans
50-64 ans
Plus de 65 ans
26.3
18.4
28.7
20.3
6.4
20
21
29
29
Catégories socio-professionnelles
CSP –
CSP+
Inactifs
32
30.7
37.3
-
-
-
48
Sont appelés ainsi les utilisateurs de tablettes ou écran tactile 49
Sont appelés ainsi les personnes qui se connectent sur Internet via leur téléphone mobile.
Cette revue de la littérature concernant le profil type de l’internaute et celui du militant
UMP et PS nous permet de reformuler nos hypothèses. Nous avions en effet supposé, dans un
premier temps, en vue de nos entretiens exploratoires et des travaux déjà menés sur les
militants en ligne dans les partis libéral démocrate britannique (Ward, Lusoli, Gibson,
2002), danois et norvégiens (Pedersen, Saglie, 2005) que le militant en ligne était un
homme jeune, aussi très actif sur le terrain. À supposer que le profil de notre militant en
ligne soit une fusion de celui de l’internaute (homme/femme, 35 ans, profession
intermédiaire) et du militant traditionnel UMP (homme, 55 ans, cadre commercial ou
économique, travaillant dans le secteur privé, diplômé de l’Université) ou PS (homme de
plus de 50 ans, profession intellectuelle supérieure, secteur public, titulaire d’un diplôme
universitaire, ayant un père cadre moyen), nous pouvons affiner notre première
hypothèse. Le profil du militant socialiste en ligne serait donc un homme de plus de 35
ans, diplômé, profession intermédiaire ou intellectuelle supérieure, secteur public. Le
militant populaire en ligne serait un homme de plus de 35 ans, diplômé de l’Université,
cadre, secteur privé.
Ces suppositions pour cerner le profil du militant en ligne UMP/PS sont assez
caricaturales, c’est pourquoi il a été nécessaire d’entamer une enquête quantitative. La
deuxième section de ce document présente les résultats partiels de cette enquête afin de
saisir le profil sociologique du cyber-militant à l’UMP et au PS.
SECTION II : PROFIL DU CYBER-MILITANT AUTO-DECLARE
Pour identifier le profil sociodémographique du cyber-militant à l’UMP et au PS, nous
nous appuyons ici sur notre enquête quantitative et notamment sur l’auto-évaluation des
enquêtés50
c’est pourquoi nous parlerons de « cyber-militant déclaré » ou « auto-déclaré ». Il
faut préciser que nous avons effectué un tri à l’aide de la question 21c51
car la notion de
« cyber-militant » a parfois été mal comprise, assimilée à la notion de « militant »52
. Nous
avons donc conservé dans nos données pour établir le profil du cyber-militant, uniquement les
enquêtés qui se référaient à Internet dans leur explicitation de ce que signifiait, pour eux, la
notion de « cyber-militant ».
50
Question n° 21 de notre enquête quantitative :
« a- Vous sentez-vous un(e) « cyber-militant(e)»?
Oui / Non
b- Pourquoi?» 51
-21 c- explicitez ce que recouvre, pour vous, l’expression « cyber-militant »…… 52
Se référer à l’annexe méthodologique.
1. Un cyber-militant masculin
Le cyber-militant auto-déclaré que ce soit socialiste ou populaire est plutôt un homme
(73% à l’UMP et au PS). Cela confirme nos premières hypothèses, établies à partir de nos
entretiens et des travaux déjà menés sur les militants en ligne dans les partis libéral démocrate
britannique (Ward, Lusoli, Gibson, 2002), danois et norvégiens (Pedersen, Saglie, 2005).
Comparé au profil traditionnel (hors ligne) des militants UMP et PS, la place des hommes
s’en trouvent renforcée sur le Net-militant. Pourtant, cela ne semble pas dû à un manque de
femmes sur la Toile puisque le profil-type de l’internaute français est assez équilibré
concernant le genre. Selon ces données –se référer au tableau 4-, les femmes seraient plus
nombreuses que les hommes dans la population française, quasiment autant présentes sur la
Toile, moins investies dans le militantisme et encore plus distanciées dans le militantisme en
ligne.
TABLEAU 4 : la répartition hommes/ femmes(%)
Cyber-militant
déclaré PS
(Theviot, 2011)
Cyber-militant
déclaré UMP
(Theviot, 2011)
Militant PS
HORS LIGNE
(Rey, 2011)
Militant UMP
HORS LIGNE
(Haegel, 2009)
Internaute
français type
INSEE,
201053
SEXE
Hommes
Femmes
73
27
73
27
70
30
68
32
51
49
48
52
2. Un cyber-militant jeune TABLEAU 5 : Structure des âges(en %)
Le cyber-militant populaire ou socialiste se rapproche davantage du profil de
l’internaute que de celui du militant classique de ces deux formations. En effet, il est
majoritairement beaucoup plus jeune (29% des cyber-militants socialistes ont moins de 30
ans, 34% pour les cyber-militants populaires). Environ la moitié des cyber-militants
socialistes et populaires ont moins de 40 ans ce qui contraste fortement avec le profil type des
militants traditionnels de l’UMP et du PS. Les cyber-militants âgés de plus de 70 ans sont très
minoritaires (4% au PS ; 2% à l’UMP), comparé au pourcentage d’adhérent de cet âge au sein
des deux partis étudiés (10% au PS, 12% à l’UMP). La jeunesse semble donc être une
53
Insee, estimations de population (résultats provisoires arrêtés fin 2010).
http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=bilan-demo®_id=0&page=donnees-detaillees/bilan-
demo/pop_age2b.htm
Cyber-militant
déclaré PS
(Theviot, 2011)
Cyber-militant
déclaré UMP
(Theviot, 2011)
Militant PS
HORS LIGNE
(Rey, 2011)
Militant UMP
HORS LIGNE
(Haegel, 2009)
Internaute
français type
AGE
Moins de 30 ans
30-39ans
40-49 ans
50-59 ans
60-69ans
Plus de 70 ans
29
20
17
18
12
4
34
14
20
15
15
2
10
13
16
23
28
10
20
10
12
25
21
12
20 (- de 25ans)
21 (25/34ans)
29 (35/49ans)
29 (+ de 50ans)
variable clé distinguant le cyber-militant du militant traditionnel au PS et à l’UMP. Nous
aurions pu croire que ces « papi-militants », ayant peut être des soucis de santé ou des
difficultés à se déplacer, auraient trouvé dans l’activisme sur le Net un moyen pratique pour
prolonger leur militantisme. Encore faut-il être équipé (ordinateurs et connexion Internet) et
avoir les compétences intellectuelles et techniques (créer une boite mail, un profil
Facebook…), si ce n’est l’envie pour militer sur le Net. « Il arrive que les compétences
militantes traditionnelles (ancienneté dans l’organisation, expérience, maîtrise de la prise de
parole en public) se renégocient de façon forte lors de débats en ligne: passer de l’oral à
l’écrit, ce n’est pas simple; les technologies et les formats de débat ont sans conteste une
incidence forte sur le débat lui-même. » (Granjon, 2005, p.25).
3. Un cyber-militant sur-diplômé TABLEAU 6 : Le niveau d’étude (en %)
Cyber-
militant
déclaré PS
(Theviot,
2011)
Cyber-
militant
déclaré UMP
(Theviot,
2011)
Militant PS
HORS LIGNE
(Rey, 2011)
Militant UMP
HORS LIGNE
(Haegel, 2009)
Diplôme le plus élevé
Aucun diplôme
Certificat d’études primaires
BEPC
CAP, BEP
Bac
DEUG, DUT, BTS, diplômes de professions
sociales ou de la santé
Licence, Master
Thèse, grande Ecole
1
6
2
6
15
18
38
14
1
9
4
9
13
13
39
13
4
17
15
54
10
27
18
55
Le cyber-militant UMP / PS déclaré apparaît très diplômé : 38 % sont titulaires d’une
licence et/ou un Master au PS, 39% pour l’UMP et 14 % ont fait leur cursus au sein d’une
Grande Ecole et/ou ont fait une thèse, 13% pour l’UMP. De façon plus globale, 70 % des
cyber-militants socialistes sont diplômés du supérieur, 65% pour les cyber-militants
« populaires ». Comparé aux militants classiques de ces partis, nous pouvons noter que le
cyber-militant est encore plus diplômé ; alors que déjà le militant classique s’avère
surdiplômé par rapport à la population française (28% des français sont diplômés du
supérieur54
). En effet, selon l’enquête de 2004, 55% des militants traditionnels « populaires »
ont un niveau supérieur au Bac, contre 65% des cyber-militants « populaires » selon nos
données. Les résultats de l’enquête sur les adhérents socialistes de 2008, 2009 et 2010 d’Henri
Rey montrent que 64% ont un niveau supérieur au Bac. Là encore, les cyber-militants
socialistes sont davantage diplômés que les militants traditionnels de ce parti puisqu’ils
gagnent 6 points.
54
Eurostat, enquête sur les forces de travail dans l'Union européenne, 2009
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=98&ref_id=CMPTEF07251
4. Un cyber-militant appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures
TABLEAU 7 : Professions (de la personne interrogée, de son père et de sa mère) et secteurs d’activité
Cyber-
militant
déclaré PS
(Theviot,
2011)
Cyber-
militant
déclaré
UMP
(Theviot,
2011)
Militant PS
HORS
LIGNE
(Rey, 2011)
Militant UMP
HORS LIGNE
(Haegel, 2009)
Catégories socio-professionnelles
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Autres
10
3
2
52
14
16
2
0
10
8
6
47
10
11
1
0
Non présent
dans les
choix
49
25
14
3
9
2
10
43
18
26
2
Secteur d’activité
Public
Privé
Associatif
Indépendant
Autre
58
31
8
3
0
49
39
3
9
0
59
41
37
62
Profession du père
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Homme au foyer
7
11
4
37
12
13
15
1
9
16
10
30
18
10
7
0
27
24
17
25
8
Profession de la mère
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Femme au foyer
8
5
0
19
13
22
4
29
10
9
3
16
10
16
1
35
Au titre des éléments communs à l’UMP et au PS, on trouve la place prépondérante
qu’occupent les professions dites supérieures, cadres et professions intellectuelles dans les
deux organisations (52 % au PS, 47% à l’UMP) et, à l’inverse, la quasi-absence des ouvriers
(2 % au PS, 1% à l’UMP). Sur ce point, on ne peut que constater, une fois encore, la force
opératoire des logiques sociales inégalitaires structurant l’engagement politique, renforcé dans
la militance en ligne (52% des cyber-militants socialistes contre 49% des militants PS
classiques appartiennent à la catégorie « cadres et professions sup »). À cet égard, la prise en
compte de la profession des parents vient nuancer nos propos puisque le cyber-militant a
majoritairement des parents ayant exercé des professions supérieures (PS : 37 % pour le père,
19% pour la mère ; UMP : 30% pour le père, 16% pour la mère) mais la répartition entre les
différentes catégories s’avère plus équilibrée à tel point que 15 % des pères des cyber-
militants socialistes étaient des ouvriers.
Le profil professionnel du militant traditionnel, comparé à celui du cyber-militant est assez
similaire. Seule une catégorie est surreprésentée sur la Toile : les agriculteurs exploitants.
Nous avions déjà noté cette différence en étudiant le profil type de l’adhérent UMP (section I
c) à partir des données de notre enquête (12% appartiennent à la catégorie « agriculteurs
exploitants »), comparée à celle de 2004 (seulement 2%). Nous avions alors supposé qu’il
s’agissait d’une catégorie « fantôme », difficilement saisissable par des enquêtes hors ligne.
Le taux important des cyber-militants exerçant la profession d’agriculteurs (10% au PS et à
l’UMP) semble confirmer cette hypothèse. Les militants agriculteurs exploitants, ne pouvant
militer de façon classique (tractage, réunions...) du fait de leur profession et de leur isolement
géographique, militent beaucoup plus en ligne. Ainsi, nous pouvons seulement capter ces
militants « fantômes » sur la Toile puisque que c’est là où ils exercent l’essentiel de leur
activité militante. Cette hypothèse se trouve vérifiée lorsque que l’on distingue les deux
modalités de passation de notre questionnaire (cf. tableau 8). Les cyber-militants socialistes et
« populaires » qui ont répondu au questionnaire hors ligne, dans sa forme papier, diffusé en
sections/circonscription ou lors de rassemblements de militants (meeting, Université d’été,
fêtes...) ne sont pas des agriculteurs (0% pour l’UMP et le PS). Nous retrouvons cette
catégorie uniquement chez les répondants en ligne. Les militants exerçant la profession
d’agriculteur exploitant seraient donc souvent sous-évalué dans les enquêtes hors ligne car ils
ne se déplacent pas dans les réunions ou congrès et ne sont pas actifs dans les formes
traditionnelles de militantisme, mais bien plutôt en ligne ; et donc repérable que par une
enquête diffusée sur le Net.
Tableau 8 : Répartition des professions en fonction des modalités de passation du questionnaire (hors ligne/en ligne)
Profil du « cyber-militant » déclaré PS UMP
Modalité de passation du questionnaire Hors ligne En ligne TOTAL Hors ligne En ligne TOTAL
Catégories socio-professionnelles
Agriculteurs
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Autres
0
5.13
2.56
64.10
7.69
0
2.56
17.95
10
3
2
52
14
16
2
0
0
7.69
0
38.46
7.69
15.38
0
30.77
10.56
7.45
6.21
45.58
10.56
17.39
1.24
0
10
8
6
47
10
11
1
0
S’agissant du secteur d’activité, les adhérents de l’UMP appartiennent classiquement au
secteur privé (62 %), s’opposant ainsi au PS construit autour d’un groupe majoritaire inscrit
dans le secteur public (59 %). Encore faut-il préciser que la formation de droite surreprésente
tout de même les salariés du public situé autour des 30 % de la population active globale
française. On ne retrouve pas cette distinction dans le profil du cyber-militant : le cyber-
militant « populaire » est majoritairement issu du secteur public (49%) tout comme le cyber-
militant socialiste (58%). Il faut toutefois noter que notre nomenclature prenait en compte les
secteurs associatifs et indépendants, contrairement aux enquêtes de 2004 (Haegel, 2009) et
2010 (Rey, 2011). Nous pouvons donc supposer que le secteur associatif était souvent
assimilé au secteur public et le secteur indépendant au secteur privé. Si tel est le cas, nous
aurions un ancrage moins affirmé du cyber-militant populaire dans le secteur public, mais
plutôt un partage équilibré entre les deux secteurs (48 % secteur privé, 52% secteur public).
En suivant la même logique, le cyber-militant socialiste, serait lui, encore davantage ancré
dans le secteur public (66% secteur public, 34 % secteur privé). Comparé au militant UMP
traditionnel, le cyber-militant aurait un profil davantage tourné vers le secteur public tandis
que le cyber-militant socialiste verrait son profil traditionnel ancré dans le secteur public
davantage renforcé.
5. Un cyber-militant célibataire
Le cyber-militant « populaire » et socialiste est majoritairement célibataire (39% pour le PS,
41% pour l’UMP). Le nombre de cyber-militants pacsées (3 % au PS, 0% à l’UMP) est très
faible au regard de celui des personnes mariées (30% au PS, 35% à l’UMP) ou en union libre
(en couple sans cohabitation : 7 % au PS, 4 % à l’UMP / en concubinage : 15 % au PS et 12%
à l’UMP). Même si le célibat est majoritaire, plus de la moitié des cyber-militants aussi bien à
l’UMP (58% ) qu’au PS (53%) ont un ou plusieurs enfants.
Nous aurions aimé comparer nos données sur la situation matrimoniale des militants en ligne
avec celles des militants classique, mais nous n’avons pas trouvé, à ce jour, d’enquêtes
s’intéressant sur l’UMP et le PS à cette dimension.
Tableau 9 : Situation matrimoniale (en %)
Cyber-militant
déclaré PS
(Theviot, 2011)
Cyber-militant
déclaré UMP
(Theviot, 2011)
Situation matrimoniale
Célibataire
En couple, sans cohabitation
En concubinage
Marié
Divorcé/séparé
Veuf/veuve
Pacsé
39
7
15
30
6
0
3
41
4
12
35
8
0
0
Enfants
Oui
Non
53
47
58
48
Conclusion
Si l’on s’en tient à l’auto-évaluation du cyber-militantisme de nos enquêtés, le cyber-
militant type serait un homme célibataire, de moins de 30 ans, diplômé de l’enseignement
supérieur (majoritairement une Licence ou un Master), exerçant une profession dite
supérieure dans le secteur public. Les distinctions traditionnelles entre les adhérents de l’UMP
et du PS (secteur public pour le PS, privé pour l’UMP) s’estompent sur la Toile. Une
différence saute immédiatement aux yeux lorsque l’on compare le profil du cyber-militant
auto-déclaré à celui du militant traditionnel : l’âge. Alors que le militant classique socialiste et
« populaire » a autour de 50 ans, voire plus, notre cyber-militant a moins de 30ans ! Nos
résultats se rapprochent de ceux de Pedersen et Saglie dans leur analyse des partis danois et
norvégiens (Pedersen, Saglie, 2002) au sens où ces derniers avaient mis à jour un décalage
entre profil du militant hors ligne et en ligne – plus jeune, plus passif, voir plus masculin.
Notre cyber-militant est en effet plus jeune et légèrement plus masculin (73% d’hommes chez
les cyber-militants UMP et PS contre 70% pour les militants classiques socialistes et 68%
pour les militants populaires). Nos résultats viennent aussi confirmer les propos de Ward et
Gibson travaillant, eux, à partir de l’exemple du parti libéral démocrate britannique : « Le
profil des internautes politiques n’apparait pas tellement différent de celui des militants
traditionnels» (Ward, Gibson, 2011, p.111). En effet, excepté le facteur clé de l’âge et la
dimension du secteur public pour l’UMP, le profil du cyber-militant est assez proche du
militant classique. Le profil sociologique du cyber-militant correspond en fait à celui d’un
militant traditionnel aux caractéristiques exacerbées : le cyber militant est « toujours plus ».
Toujours plus diplômé, plus masculin, plus haut dans la position professionnelle. Concernant
les catégories socio-professionnelles, il convient de s’interroger.
Nous avons pu repérer que 10% des cyber-militants auto-déclarés étaient des
agriculteurs exploitants. Ce pourcentage, en lui-même n’est pas très important ; mais comparé
à celui des militants traditionnels agriculteurs exploitants (2% pour l’UMP), il le devient.
Nous avons émis l’hypothèse que le taux d’agriculteurs adhérents à l’UMP étaient sous-
évalué par les enquêtes papier (Harris, 1986 ; Jardin, 1994 ; Haegel, 2009)55
diffusée de main
à main, lors de congrès ou événements réunissant des militants. Seules des enquêtes en ligne
permettent de capter cette catégorie de la population, souvent isolée géographiquement et ne
se déplaçant pas aux évènements solennels du parti étant donné leurs charges de travail
quotidiennes. Cette hypothèse s’est confirmée en comparant les taux d’agriculteurs adhérents
à l’UMP en fonction des deux modes de passation du questionnaire : dans le questionnaire
papier, on trouve 0% d’agriculteurs exploitants ; alors que dans le questionnaire en ligne,
12%. Sachant qu’en 2007, 75% des agriculteurs avaient l’intention de voter Nicolas Sarkozy,
il n’est pas non plus étonnant que le taux d’agriculteurs adhérents à l’UMP soit un peu plus
élevé que 2% ! Non seulement certains agriculteurs sont adhérents à l’UMP, mais en plus la
majorité se disent cyber-militants (50% des agriculteurs se disent cyber-militant, 35% ne
savent pas56
). Ces résultats méritent une recherche plus approfondie sur cette thématique.
Dans cet article, nous avons appuyé notre raisonnement sur l’auto-évaluation des
enquêtés se reconnaissant ou non comme « cyber-militants ». Mais, demander aux personnes
55
Nous ne prenons pas ici en compte l’enquête menée par Bréchon et al. Car elle s’adressait uniquement aux
cadres du parti, en grande majorité présents lors d’évènements organisés par le parti. 56
Ces résultats indiqués entre parenthèses sont à prendre avec précaution étant donné le nombre limité
d’agriculteurs exploitants adhérent à l’UMP ayant répondu à notre enquête (36). Les pourcentages illustrant la
part de cyber-militant ou au sein d’une catégorie professionnelle choisie sont plus délicats à manipuler, que les
pourcentages représentant la part des différentes catégories professionnelles se déclarant cyber-militant. Il faut
rappeler que notre enquête ne prétend pas être représentative.
interrogées de s’évaluer elles-mêmes comme « cyber-militant » comporte certains biais. La
question 21c57
, nous le montre bien puisque les définitions données à la notion de « cyber-
militant » varient d’un enquêté à un autre. De plus, comme pour la notion de « militant »58
,
nous pouvons supposer que le nombre de cyber-militant auto-déclaré est surestimé ce qui
fausse certainement aussi son profil sociologique.
Les auto- déclarations entrent parfois en contradiction avec les pratiques déclarées. A priori,
un cyber-militant est censé passer un temps important sur le Web dans le cadre de son activité
militante. Or, quelques enquêtés se considèrent comme des cyber-militants alors qu’ils
passent moins de deux heures sur le Net pour militer par semaine (cf tableau 10)
Tableau 10 : Corrélation cyber-militant auto-déclaré et temps passé en ligne
Temps passé en ligne à militer/ semaine
Jamais Moins de 2 heures Entre 2h et 5h
Entre 5h et 10h
Plus de 10h
Cyber-militant auto-déclaré UMP
0 21 37 19 23
Cyber militant auto-déclaré PS
0 19 32 26 23
Nous souhaitons donc compléter l’auto-évaluation présentée précédemment par des critères
dits « objectifs » du cyber-militantisme, à partir d’un « indicateur global » (Donnat, p.165)
composé de 4 items : le temps passé sur le Web dans le cadre de l’activité militante partisane,
l’équipement Web personnel, la connaissance des outils numériques créés par le parti à
destination des militants, le classement des sources d’information.
Notre questionnaire est riche de données qu’il nous reste à exploiter davantage. L’objectif de
cet article était de dresser une esquisse du profil type du cyber-militant à travers des critères
d’auto-évaluation. Il est certain que d’autres critères vont nous permettre d’affiner encore ce
profil du cyber-militant, voire de construire une typologie du militant en fonction de son
usage du Web.
Par ailleurs, nous avons été agréablement surpris du nombre important d’enquêtés qui ont
bien voulu laissé leurs coordonnées à la fin du questionnaire, acceptant ainsi d’être
recontactée pour un entretien en face à face. Cela nous ouvre de nouvelles opportunités
d’enquête, cette fois-ci tournée vers le qualitatif.
57
21 c- explicitez ce que recouvre, pour vous, l’expression « cyber-militant »…… 58
« Globalement le nombre des militants (par auto-estimation) excède celui des militants de fait » (Lagroye,
1976, p. 133).
Pour déjà aller un peu plus loin…
Tableau 11 : Sociologie des adhérents UMP /PS en fonction de l’intensité de l’usage du Web militant (en %)
PARTI
PS UMP
Combien de temps
passez-vous sur le Net
en moyenne dans la
cadre de votre activité
militante ?
Ne
milite
jamais
en ligne
Moins
de 2
heures
en
ligne
Entre 2
heures
et 5
heures
en
ligne
Entre
5
heures
et 10
heures
en
ligne
Entre
10
heures
et 20
heures
en ligne
Plus
de
20
heur
es en
ligne
Ne
milite
jamais
en
ligne
Moins
de 2
heures
en
ligne
Entre 2
heures
et 5
heures
en ligne
Entre 5 heures et 10 heures en ligne
Entre 10 heures et 20 heures en ligne
Plus de 20 heures en ligne59
SEXE
Hommes
Femmes
71
29
70
30
72
28
71
29
66
34
100
0
83
17
67
33
79
21
74 26
71 29
100 0
AGE
Moins de 30 ans
30-39 ans
40-49 ans
50-59 ans
60-69 ans
Plus de 70 ans
50
7
7
22
0
14
29
20
15
18
17
1
36
21
19
10
10
4
36
18
15
19
13
2
35
18
17
18
7
4
29
29
14
14
14
0
17
33
17
0
0
33
24
15
24
17
15
4
36
11
22
15
15
1
38 19 25 8 10 0
27 12 21 19 21 0
0 15 15 10 21 0
Catégories socio-
professionnelles
Agriculteurs
Artisans,
commerçants
Chef d’entreprise de
10 salariés et +
Cadres et professions
sup.
Professions
intermédiaires
Employés
Ouvriers
0
9
9
46
0
27
9
8
3
3
60
11
14
1
11
2
2
51
15
17
2
9
0
3
57
14
15
2
12
3
0
56
18
9
2
0
16
17
68
0
0
0
0
0
0
66
17
17
0
9
8
5
39
16
21
2
14
8
8
43
12
14
1
12 14 8 39 4 23 0
8 6 6 54 12 12 2
0 0 0 100 0 0 0
Secteur d’activité
Public
Privé
Associatif
indépendant
64
36
0
0
68
24
5
3
51
38
6
5
53
31
10
7
65
26
7
2
50
17
15
16
33
50
0
17
47
44
0
9
45
31
4
20
53 37 4 6
53 35 4 8
50 50 0 0
Diplôme le plus
élevé
Certificat d’études
primaires
BEPC
CAP, BEP
Bac
DEUG, DUT, BTS,
diplômes de
professions sociales
ou de la santé
7
7
0
36
7
7
2
4
11
17
8
1
5
15
17
4
0
5
15
21
5
4
1
15
15
0
0
0
14
28
0
16
0
17
0
7
1
10
21
12
11
7
11
8
12
8 4 14 10 14
6 10 0 14 12
0 0 0 50 0
59
Cette catégorie ne semble pas très pertinente eu vue du faible nombre d’individus ayant déclaré passer plus de
20h sur le Web dans le cadre de leurs activités militantes. Nous prenons donc en compte les deux colonnes de
droite, soit un militant ayant passé plus de 10h sur le Net pour établir le profil du « cyber-militant ».
Licence- Master
Thèse, grande Ecole
Aucun diplôme
36
7
0
41
17
2
40
14
0
44
10
1
40
19
1
43
14
0
16
50
0
33
11
4
34
16
1
38 12 0
46 12 0
0 50 0
Situation
matrimoniale
Célibataire
En couple, sans
cohabitation
En concubinage
Marié
Divorcé/séparé
Veuf/veuve
Pacsé
50
7
29
14
0
0
0
38
6
22
22
8
0
3
49
5
13
25
4
1
2
29
8
21
31
6
0
5
39
7
13
32
7
0
1
57
15
14
14
0
0
0
17
0
17
50
16
0
0
35
8
6
37
12
1
1
51
3
6
32
8
0
0
38 6 18 28 8 2 0
37 6 12 43 4 2 0
50 50 0 0 0 0 0
Profession du père
Agriculteurs
Artisans,
commerçants
Chef d’entreprise de
10 salariés et +
Cadres et professions
sup.
Professions
intermédiaires
Employés
Ouvriers
Homme au foyer
0
7
0
36
29
7
21
0
7
11
4
37
14
12
15
0
8
9
3
37
11
14
16
1
5
13
3
39
11
17
9
2
6
10
4
38
7
15
18
1
0
43
0
28
0
0
27
0
16
16
17
33
0
17
0
0
15
15
10
27
13
8
10
1
12
20
10
27
16
9
5
0
12 14 6 22 20 16 10 0
6 18 8 27 18 10 8 4
67 0 0 33 0 0 0 0
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ANNEXE METHODOLOGIQUE
Notre travail s’appuie sur le matériel empirique récolté dans le cadre de notre recherche
doctorale : entretiens (ou focus group) avec des militants UMP/PS ou des gestionnaires
d’outils numériques partisans (coopilotes60
, responsables Web de section/circonscription ou
de Fédération) et un questionnaire diffusé auprès des militants du PS et de l’UMP. Les
résultats de cet article reposent sur l’analyse de notre enquête quantitative ; bien que nos
entretiens nous aient aidés à formuler nos hypothèses. Nous souhaitons ici revenir sur la
méthodologie de cette enquête quantitative qui s’est déroulée à la fois hors ligne et en ligne
afin de toucher tous les types de militants.
Nous avons élaboré notre questionnaire en mai 2011 en nous appuyant sur des exemples de
questionnaires concernant l’usage du Net (Donnat, 2009 ; Peraya et al., 2003) ou le
militantisme (Bargel, 2008), tout en suivant les conseils de Vivianne Le Hay et Antoine
Roger. Nous avons ensuite testé notre questionnaire auprès de notre entourage (faute de
frappe, compréhension de questions) et auprès de quelques militants UMP et PS sélectionnés.
Leurs retours nous ont permis de modifier la formulation de certaines questions, voire de
préciser certains choix de réponses. Mais cela ne nous a pas empêché d’éliminer toutes les
difficultés. En effet, au cours d’une première vague d’envoi, nous avons remarqué que la
question 21 était souvent mal comprise (« Vous sentez vous un(e) « e-militant(e) ? ») car une
grande partie des personnes interrogés répondaient à la question suivante : « Vous sentez-vous
un(e) militant(e) ? », ne voyant pas ou ne comprenant pas la signification du « e » (bien que la
plupart des questions précédentes se référaient au Web). En cours d’enquête, nous avons donc
dû modifier cette question : « Vous sentez vous un(e) « e-militant(e), un(e) « cyber-
militant(e) » ? ».
L’objectif était de diffuser ce questionnaire massivement auprès des militants UMP et PS,
connectés et non connectés des trois Fédérations choisies pour notre recherche doctorale
(Fédération des Alpes Maritimes, Gironde, Paris).La passation de notre questionnaire s’est
déroulée de juin à octobre 2011.
Dans un premier temps, nous avons pris contact avec le Directeur de la communication de la
Fédération de Paris du PS afin de diffuser le questionnaire auprès des adhérents connectés de
cette Fédération par le biais de leur liste de diffusion. Celui-ci n’a pas pu répondre
positivement à notre demande, nous expliquant qu’une enquête avait déjà été diffusée, peu de
temps auparavant, par Solferino auprès des nouveaux adhérents, sans passer par
l’intermédiaire des secrétaires de section. Cet envoi massif, ne respectant pas les échelons
partisans traditionnels, a été mal perçu par les bureaux de sections et il ne souhaitait donc pas
répéter cette démarche pour notre enquête. Sachant cela, nous avons pris contact avec la
personne appropriée à notre demande à Solférino, mais celle-ci ne nous a pas répondu.
Nous nous sommes donc adressés directement aux secrétaires de section/circonscription des
Fédérations étudiées afin de diffuser notre enquête. Notre démarche était la suivante : nous
avons effectué un entretien dans le cadre de notre thèse avec une quinzaine de secrétaires de
section/circonscription, à qui nous avons ensuite soumis notre questionnaire pour qu’ils le
remplissent par eux-mêmes dans un premier temps, puis nous leur avons proposé de venir les
distribuer (ou qu’ils les distribuent) dans leurs section et les envoient à tous les adhérents
connectés de leur section/circonscription. Ce protocole nous permettait de toucher à la fois les
militants-adhérents non connectés (diffusion d’exemplaires papiers en section/circonscription)
et les militants connectés (envoi par mail avec un fichier attaché). Toutefois, le taux de retour
60
Personnes en charge de la gestion (modération) du réseau social du PS, la Coopol, à la Direction du Web à
Solférino.
a été assez faible (excepté quand nous étions présent lors des réunions de
section/circonscription pour expliquer ma démarche et récupérer les questionnaires complétés
à la fin de la séance), cela nous a donc poussé à imaginer d’autres manières pour rentrer en
contact avec des militants afin de leur faire compléter notre questionnaire en direct.
Le calendrier nous y a aidé puisqu’au moment de notre enquête (de juin à octobre 2011),
plusieurs évènements venaient rassembler les militants UMP ou PS en un même lieu :
Convention sur le projet du PS le 28 mai, Fête de la rose de la Fédération de Paris du PS le 18
juin, Conférence « Les valeurs de l’UMP » à Bordeaux le 27 juin, Université d’été de la
Rochelle du PS les 26, 27, 28 août, Université d’été de l’UMP à Marseille les 2, 3, 4
septembre ; meeting de Ségolène Royale pour les primaires à Parempuyre le 25 septembre
(Fédération Gironde) et à Paris le 7 octobre, meeting de Martine Aubry à Cenon (Fédération
Gironde) le 29 septembre, meeting de François Hollande à Paris le 13 octobre. Nous avons pu
ainsi distribuer, de main à main, des exemplaires papiers de notre questionnaire et noter
quelques adresses mails pour des envois par mail. Le taux de retour a été très bon lors de la
Fête de la Rose puisque cette manifestation se déroulait sur toute une journée ce qui
permettait de demander aux militants de compléter sur place le questionnaire et nous pouvions
ensuite directement les récupérer. L’envoi par courrier du questionnaire-papier, une fois
complété, est un frein évident à des retours importants.
Dans un second temps, nous avons souhaité diffuser en ligne notre questionnaire afin de
mieux toucher les militants connectés c’est pourquoi nous avons élaboré une version
numérique de notre questionnaire, via la plateforme Google, qui se complète directement en
ligne en quelques clics. Cette version permet de remplir le questionnaire beaucoup plus
rapidement et la tâche parait moins fastidieuse ce qui explique certainement les bons taux de
retour pour ce format (comparé à la version papier). Nous avons ensuite diffusé ce
questionnaire numérique sur les forums de discussions des sites d’actualités, sur des forums
politiques, sur les espaces de discussion de la Coopol… Il nous est très vite apparu que
Facebook pouvait être un moyen d’avoir accès à tout un réseau de militants en ligne. Nous
sommes donc devenues en environ deux mois, « amis » avec plus de 2000 militants PS et
2000 militants UMP afin de diffuser notre questionnaire sur leur « mur »61
. Il était nécessaire
d’établir cette amitié virtuelle car la plupart des murs sont fermés, c’est-à-dire qu’on ne peut y
avoir accès si l’on ne fait pas partie des « amis ». Dans cette démarche d’amitié virtuelle, nous
avons rencontré de nombreuses difficultés.
Dans un premier temps, nous avons demandé comme amis sur Facebook les militants que
nous avions rencontré au cours de notre recherche doctorale (entretiens semi-directifs) sans
distinction de parti politique. Nous nous sommes vite rendus compte qu’il était nécessaire de
créer deux comptes Facebook différents pour contacter les membres de partis concurrents au
risque d’avoir trop peu d’amis puisque même les personnes interrogées en entretien ne
répondaient pas à ma demande voyant que je n’avais que des amis PS sur mon profil (car les
militants socialistes ont été les premiers à répondre à mon invitation à « devenir amis »). Les
deux comptes, PS et UMP, créés sous ma véritable identité, m’ont par la suite posé d’autres
difficultés. Plusieurs amis virtuels militants UMP62
, voyant que nous possédions un autre
compte Facebook où nous avions une centaine d’amis virtuels militants PS, nous ont envoyé
61
Un «mur » (« wall », en anglais) est la dénomination employée sur le réseau social Facebook pour désigner la
page où les amis et l’utilisateur peuvent écrire des messages de façon publique, c'est-à-dire que tous les
internautes peuvent les lire (cela dépend encore des paramètres de confidentialité choisi par l’utilisateur qui
souvent réserve cette fonction uniquement à ses amis). 62
Nous avons noté une méfiance plus accrue des militants populaires qui nous contactaient souvent pour nous
demander si nous étions bien encarté à l’UMP, s’ils pouvaient avoir plus de précisions sur notre recherche avant
de devenir amis…
(ou pas) un message pour nous expliquer que, dans ce cas, ils « ne voulaient plus être nos
amis ». Nous leur avons, à chaque fois, répondu pour leur expliciter notre démarche de
recherche, mais cela ne nous a pas permis de redevenir « ami » avec eux.
Dans un deuxième temps (une fois devenus amis sur Facebook avec les militants que nous
connaissions hors ligne), nous avons tenté de devenir amie avec les amis militants de nos amis
virtuels, eux-mêmes militants. Ce « réseautage » a bien fonctionné. Puis, nous avons
progressivement étendu le cercle aux amis des amis des amis ; jusqu’à « demander comme
ami », les militants qui affichaient leur engagement sur le Web par un « badge » ou un
symbole (par exemple, drapeau français pour l’UMP, rose pour le PS) adossés à leur
photographie de profil. Ce protocole d’amitié virtuelle nous a pris presque deux mois pour
avoir plus de 2000 amis dans chaque parti, à qui nous avons diffusé en ligne notre
questionnaire.
Nous avons ensuite procédé au codage du questionnaire et à son traitement à l’aide du logiciel
Stata. Nous avons alors constaté que de nombreuses personnes avaient rempli le questionnaire
sans pourtant être adhérent à l’UMP ou au PS. Cela nous a surpris. Nous avons donc tenté de
saisir qui était ces répondants qui ont complétés notre questionnaire alors que celui-ci ne leur
était explicitement63
pas destiné.
Tableau 12 : Répartition des réponses à notre questionnaire (en nombre)
En ligne Hors ligne
Adhérents Non-adhérents adhérents Non-adhérents
PS
364 110 125 0
UMP 264 52 38 0
La réponse à la question 1a64
, nous apporte des indications pertinentes sur l’identité de ces
répondants non adhérents. Il s’agit de militant du Front National (FN) dont le but est de
« casser » du PS notamment65
, d’anciens adhérents qui n’ont pas (souvent volontairement)
renouvelé leur adhésion66
, de militants associatifs ou de Désirs d’avenir67
dans le cas du
questionnaire destiné aux adhérents socialistes, voire de « trolls »68
pour le questionnaire en
ligne.
63
L’intitulé du questionnaire indiquait à chaque fois que l’on s’adressait ici aux adhérents : « Questionnaire pour
la Fédération de Paris, Parti Socialiste ». Dans la présentation du questionnaire, il était signalé : « Plus vous
mettrez de soin à répondre aux questions, plus l’enquête sera en mesure de donner une image fidèle des militants
du PS ». 64
« 1)a- Qu'est-ce que signifie, pour vous, être militant? » 65
Voici les réponses à la question 1)a. d’enquêtés, indiquant dans la suite du questionnaire qu’ils sont adhérents
au FN : « Etre anti-France », « être débile » 66
Réponse à la question 1a d’un ancien adhérent UMP, visiblement déçu : « Donner de l'argent à un parti » /
Réponses d’ex-adhérents PS : « Un manque de culture et de liberté d'esprit. » ; « pour le ps un mouton » ; « je ne
suis plus militante depuis de nombreuses années, mais celà signiliait [sic] un investissement en temps, une
participation aux projets d'un parti » 67
« Donner de son temps, de son énergie, de son savoir, et pourquoi pas de son argent pour espérer contribuer à
faire avancer le monde. La différence avec des associations "utiles", c'est que l'on ne voit pas les fruits de notre
travail. Je précise que si je ne suis pas militant du PS, je suis militant de Désirs d'Avenir. » 68
Sur la Toile, on parle de « troll » ou « trolleur » quand un internaute va tenter de créer des polémiques pour
perturber l’équilibre d’une discussion en ligne. Nous reprenons ici ce terme pour souligner la « perturbation »
volontaire de certains répondants-non adhérents qui souhaitaient visiblement « perturber » notre enquête en
répondant aux questions ouvertes par des suites de lettres « luviodfmkjh » ou des éléments inappropriés et
déconcertant (Connaissez-vous des outils numériques mis en place par le PS ? - réponse : « sodomie.com » !!)
Il serait également intéressant de réfléchir d’un point de vue méthodologique aux enjeux des
différentes modalités de passations que nous avons utilisé pour notre enquête (en ligne/ hors
ligne). Dans cet article, nous avons pu observer l’intérêt de faire passer un questionnaire en
ligne pour toucher des adhérents que nous avons appelés « fantômes », présents sur le Web et
rarement actifs sur le terrain ou dans les instances traditionnelles de réunions des militants :
les agriculteurs exploitants. Tableau 13: Influence de la modalité e passation sur le profil sociologique de l’adhérent RPR-UMP (en%)
1984
(Bréchon et al. 1987)
1994
(Harris, 1986)
1994
(Jardin, 1994)
2011
(Theviot, 2011)
2001
(Theviot, 2011)
Modalité de passation du
questionnaire
Hors ligne Hors ligne Hors ligne Hors ligne En ligne
SEXE
Hommes
Femmes
80
20
63
37
61
39
63
37
75
25
AGE
Moins de 25 ans
25-34 ans
35-49 ans
50-64 ans
Plus de 65 ans
4
16
75
4
3
11
36
34
16
24
31
21.5
14
9.5
30
18
20
18
14
21
16
31
24
8
Catégories socio-professionnelles
Agriculteurs
Artisans, commerçants
Chef d’entreprise de 10 salariés et +
Cadres et professions sup.
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Inactifs
3.5
8
34.5
15
8
2
21
5
3
20
11
11
5
27
0
7
20
27
7
3.5
24.5
0
10
0
52
14
24
0
13
8
7
42
11
17
2
Nous pourrions penser que ceux qui répondent en ligne sont ceux qui militent activement sur
le Web. Or, cette déduction s’avère erronée lorsque l’on compare les deux modalités de
passation avec les réponses faites en termes de temps passé à militer sur le Web. Ceux qui ont
déclaré69
passer le plus de temps (plus de 20 heures) sur Internet dans le cadre de leur activité
militante sont ceux qui ont répondus aux questionnaires papier (cf. tableau 14).
69
Il s’agit de « déclaration » d’usage et non de l’usage effectif. Nous pouvons bien entendu mettre en doute ces
déclarations
Tableau 14 : Modalité de passation et intensité de l’activité militante en ligne à l’UMP(en%)
Combien de temps
passez-vous sur le Net
en moyenne dans la
cadre de votre activité
militante ?
Ne milite
jamais en
ligne
Moins de 2
heures en
ligne
Entre 2 heures
et 5 heures en
ligne
Entre 5 heures
et 10 heures
en ligne
Entre 10 heures
et 20 heures en
ligne
Plus de 20 heures en
ligne
Modalité de passation
du questionnaire
Hors
ligne
En
ligne
Hors
ligne
En
ligne
Hors
ligne
En
ligne
Hors
ligne
En
ligne
Hors
ligne En ligne
Hors ligne
En ligne
SEXE
Hommes
Femmes
4
4
1.52
0
12
12
19.32
9.09
20
12
26.14
6.44
16
0
12.5
4.92
4
8
12.88 4.55
8 0
0 0