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Responsabilité civile En bref N O 19 – Février 2014 EN MANCHETTE CHRONIQUE La détermination de la loi applicable en responsabilité civile extracontractuelle en présence d’une situation internationale, par M e Chanelle Charron-Watson L’auteure explique le raisonnement au soutien de la détermination de la loi applicable en matière de responsabilité extracontractuelle dans un dossier impliquant une dimension internationale, et ce, par le biais d’une analyse de la décision de la Cour d’appel Wightman c. Widdrington (Succession de), 2013 QCCA 1187, EYB 2013-224065. p.2 JURISPRUDENCE Morin c. Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints in Canada, EYB 2014-232167 (C.S., 24 janvier 2014) LaCourrejetteaustadepréliminairelerecoursd’unhommequipoursuivaitsesparentsparcequ’ils avaientchoisidel’éduquerselonlesritesetcroyancesdel’Églisemormone.Lerecoursdirigécontre l’ÉglisedeJésus-ChristdesSaintsdesderniersjours,leCentrePieudeMontréaletsonprésidentet l’évêquedelaParoissemormonedeMascoucheestégalementrejeté. p.9 L. (I.) c. Fotohinia, EYB 2014-232012 (C.S., 21 janvier 2014) L’auteurd’uneagressionsexuelle,bienquereconnunoncriminellementresponsablepourcausede troublesmentauxparlaCourduQuébec,Chambrecriminelleetpénale,esttenuderépondredes conséquencescivilesdesesactespuisqu’iln’apasétédémontréqu’iln’étaitpasdouéderaisonlors del’évènement,etdoit,enconséquence,verseruneindemnitéde58 500 $àsavictime. p.8 Rosenberg c. Lacerte, EYB 2013-230781 (C.S., 4 décembre 2013) Troishommesd’affairesetdirigeantsdelacommunautéjuivehassidiquedeMontréalsontdéboutés del’actioneninjonctionetendommages-intérêtsqu’ilsontintentéecontrel’auteurdublogue accommodementsoutremont.blogpot.ca,danslequelondénoncenotammentlesrelationsparticulières liantlesautoritésmunicipalesd’Outremontetlesmembresdelacommunautéhassidique. p.13 75, rue Queen, bureau 4700, Montréal (Québec) H3C 2N6 Téléphone : (514) 842-3937 Télécopieur : (514) 842-7144 © LES ÉDITIONS YVON BLAIS TOUTE REPRODUCTION OU DIFFUSION INTERDITE SANS AUTORISATION ISSN : 1929-2422 Cette chronique extraite du bulletin Responsabilité civile En bref est offerte gracieusement aux membres de l'AJBL. La collection des bulletins électroniques En bref comprend six thèmes différents : Droit immobilier, Droit de la famille, Responsabilité civile, Responsabilité médicale, Technologies de l'information, Preuve et procédure civile, Personnes physiques et successions. Chaque thème est offert en abonnement annuel (envoi par courriel). Pour en savoir plus sur les bulletins électroniques En bref, cliquez ici. Les abonnés de La référence Droit civil peuvent consulter, télécharger et imprimer les bulletins En Bref gratuitement. Pour en savoir plus sur La référence, cliquez ici.

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Responsabilité civileEn bref

NO 19 – Février 2014

EN MANCHETTECHRONIQUELa détermination de la loi applicable en responsabilité civile extracontractuelle en présence d’une situation internationale, par Me Chanelle Charron-Watson

L’auteure explique le raisonnement au soutien de la détermination de la loi applicable en matière de responsabilité extracontractuelle dans un dossier impliquant une dimension internationale, et ce, par le biais d’une analyse de la décision de la Cour d’appel Wightman c. Widdrington (Succession de), 2013 QCCA 1187, EYB 2013-224065.� p.�2

JURISPRUDENCEMorin c. Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints in Canada, EYB 2014-232167 (C.S., 24 janvier 2014)

La�Cour�rejette�au�stade�préliminaire�le�recours�d’un�homme�qui�poursuivait�ses�parents�parce�qu’ils�avaient�choisi�de�l’éduquer�selon�les�rites�et�croyances�de�l’Église�mormone.�Le�recours�dirigé�contre�l’Église�de�Jésus-Christ�des�Saints�des�derniers�jours,�le�Centre�Pieu�de�Montréal�et�son�président�et�l’évêque�de�la�Paroisse�mormone�de�Mascouche�est�également�rejeté.� p.�9

L. (I.) c. Fotohinia, EYB 2014-232012 (C.S., 21 janvier 2014)

L’auteur�d’une�agression�sexuelle,�bien�que�reconnu�non�criminellement�responsable�pour�cause�de�troubles�mentaux�par�la�Cour�du�Québec,�Chambre�criminelle�et�pénale,�est�tenu�de�répondre�des�conséquences�civiles�de�ses�actes�puisqu’il�n’a�pas�été�démontré�qu’il�n’était�pas�doué�de�raison�lors�de�l’évènement,�et�doit,�en�conséquence,�verser�une�indemnité�de�58 500 $�à�sa�victime.� p.�8

Rosenberg c. Lacerte, EYB 2013-230781 (C.S., 4 décembre 2013)

Trois�hommes�d’affaires�et�dirigeants�de�la�communauté�juive�hassidique�de�Montréal�sont�déboutés�de� l’action�en� injonction�et�en�dommages-intérêts�qu’ils�ont� intentée�contre� l’auteur�du�blogue�accommodementsoutremont.blogpot.ca,�dans�lequel�on�dénonce�notamment�les�relations�particulières�liant�les�autorités�municipales�d’Outremont�et�les�membres�de�la�communauté�hassidique.� p.�13

75, rue Queen, bureau 4700, Mont réal (Québec) H3C 2N6 Téléphone : (514) 842-3937 Télécopieur : (514) 842-7144

© LES ÉDITIONS YVON BLAIS TOUTE REPRODUCTION OU DIFFUSION INTERDITE SANS AUTORISATION ISSN : 1929-2422

Cette chronique extraite du bulletin Responsabilité civile En bref est offerte gracieusement aux membres de l'AJBL.

La collection des bulletins électroniques En bref comprend six thèmes différents : Droit immobilier, Droit de la famille, Responsabilité civile, Responsabilité médicale, Technologies de l'information, Preuve et procédure civile, Personnes physiques et successions.

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Résumé

L’auteure explique le raisonnement au soutien de la détermination de la loi applicable en matière de res-ponsabilité extracontractuelle dans un dossier impli-quant une dimension internationale, et ce, par le biais d’une analyse de la décision de la Cour d’appel Wight-man c. Widdrington (Succession de), 2013 QCCA 1187, EYB 2013-224065.

INTRODUCTION

En principe, un procès civil introduit devant un tribunal qué-bécois est jugé selon le droit intérieur, soit le droit civil du Québec. Toutefois, en présence d’une situation internatio-nale, le tribunal doit parfois appliquer le droit étranger alors que, dans d’autres, sans y être obligé, il peut le considérer. Le droit international privé québécois régit ces situations présentant un élément d’extranéité, c’est-à-dire « un point de contact juridiquement pertinent avec un État étranger »1.

Les ar ticles 3076 et suivants du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») encadrent les situations internationales de façon à permettre un règlement des différends lorsqu’un pro-blème se rattache à plusieurs systèmes juridiques distincts.

Ces dispositions visent à reconnaître et à faciliter la coexis-tence de différents ordres juridiques dans un contexte où

* Me Chanelle Charron-Watson est avocate au sein du cabinet Woods s.e.n.c.r.l.

1. Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 26, EYB 2007-121973 ; voir aussi Bal Global Finance Canada Corporation c. Aliments Breton (Canada) inc., 2008 QCCS 2749, par. 48, EYB 2008-136130.

les relations internationales se multiplient2. La présence de plusieurs systèmes juridiques à travers le monde est une réa-lité pouvant être source d’instabilité au sein des relations internationales. Le droit international privé est essentiel pour assurer une sécurité à cet égard et apporter des balises aux autorités saisies d’un problème à caractère internatio-nal, et ce, dans le respect de la souveraineté et de l’auto-nomie des États3. En effet, un des principes fondamentaux en droit international est que chaque État a compétence exclusive pour adopter et appliquer des lois à l’intérieur de son propre territoire, laquelle compétence doit être res-pectée par les autres États selon le principe de la courtoi-sie internationale4.

Un tribunal québécois saisi d’une question présentant un élément d’extranéité doit donc appliquer la méthode propre aux règles de conflit de lois pour déterminer la loi applicable.

I– L’AFFAIRE WIGHTMAN C. WIDDRINGTON (SUCCESSION DE)

Le mécanisme des règles de conflit de lois aux fins de déter-miner la loi applicable en matière de responsabilité civile en présence d’une situation internationale a récemment été traité et appliqué par la Cour d’appel dans l’affaire Wightman c. Widdrington (Succession de)5 (ci-après « Wid-drington »). Cet arrêt dispose du pourvoi à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, rendu le 14 avril 2011, par l’honorable Marie St-Pierre, dans l’affaire Castor Holdings Ltd. (ci-après « Castor »), une cause connue traitant de la res-ponsabilité civile pour négligence professionnelle commise à l’égard de tiers, qui a accueilli l’action en dommages-inté-rêts de la demanderesse à l’encontre de la firme de comp-tables agréés Coopers & Lybrand et les associés canadiens de celles-ci (ci-après conjointement « Coopers »).

L’une des questions soulevées devant l’honorable Marie St-Pierre visait à déterminer la loi applicable pour ensuite déterminer la responsabilité civile de Coopers, eu égard

2. Claude EMANUELLI, Droit international privé québécois, 3e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 7.

3. Ibid., p. 10.

4. Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1047, 1049 et 1050, EYB 1994-67135 ; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1095-1096, EYB 1990-67027.

5. Wightman c. Widdrington (Succession de), 2013 QCCA 1187, EYB 2013-224065. Cet arrêt a fait l’objet d’une permission d’appeler à la Cour suprême du Canada (dossier no 35438), laquelle fut rejetée avec frais le 9 janvier 2014.

La détermination de la loi applicable en responsabilité civile extracontractuelle en présence d’une situation internationale

Me CHANELLE CHARRON-WATSON*Avocate

CHRONIQUE

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Reproduction ou diffusion interdite 3

aux éléments d’extranéité en présence, tels que l’incorpo-ration de Castor Holdings Ltd. au Nouveau-Brunswick, le siège social de celle-ci à Mont réal, les travaux de vérifica-tion effectués ou supervisés par une équipe mont réalaise de Coopers, les états financiers consolidés préparés à Mont-réal, la résidence du demandeur feu Peter N. Widdring-ton en Ontario ainsi que la connaissance de ce dernier des documents comptables à l’origine de sa réclamation et la concrétisation de sa perte économique en Ontario. La com-pétence des tribunaux québécois ainsi que l’application des règles de conflit québécoises pour déterminer la loi appli-cable n’étaient pas débattues par les parties.

Dans le jugement de première ins-tance, il fut décidé que le droit applicable était le droit civil du Québec, laquelle décision a fait l’objet d’un des moyens d’appel.

II– LE MÉCANISME ET LA STRUCTURE DES RÈGLES DE CONFLIT DE LOIS

Dans l’affaire Widdrington, pour déterminer la loi appli-cable, la Cour d’appel a eu recours au cheminement juri-dique propre aux règles de conflit de lois en droit civil, soit la qualification de la nature du problème en litige, la déter-mination des règles de conflit régissant ce dernier et, fina-lement, la détermination du système juridique applicable6.

Un tel cheminement juridique permet de déterminer la loi applicable lorsque la question en litige n’est pas régie par une règle dite « matérielle » ou encore par une norme d’ap-plication nécessaire.

Les règles qualifiées de « matérielles » sont adoptées par le législateur afin de régir certaines questions de droit inter-national de façon à ne pas avoir à analyser le système juri-dique applicable7. Ainsi, les règles matérielles répondent directement aux questions posées, au lieu de désigner le droit applicable à partir duquel on devrait tirer cette conclu-sion8. Face à un problème régi par une règle matérielle,

6. Supra, note 2, p. 239-247; Gérald GOLDSTEIN et Ethel GROF-FIER, Droit international privé : Tome I : théorie générale, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 57.

7. Supra, note 2, p. 223. Supra, note 6, p. 112 ; Ethel GROFFIER, Précis de droit international privé québécois, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 31.

8. À titre d’exemple, les articles 3135 à 3140 inclusivement, 3085alinéa 2, 3110 et 3151 C.c.Q. portent sur la compétence inter-nationale et l’exercice des tribunaux québécois, les articles 3155 à 3165 inclusivement C.c.Q. concernent la reconnais-sance des décisions étrangères au Québec, les articles 3079 à 3082, 3117, 3118, 3129 C.c.Q. visent spécifiquement les

l’autorité québécoise saisie doit appliquer celle-ci en pré-séance de toute règle de conflit9.

Quant aux normes d’application nécessaire, celles-ci sont des règles impératives à vocation interne adoptées par le légis-lateur, dont l’objectif est d’une telle importance qu’elles s’appliquent dans le cadre de certaines situations inter-nationales, sans égard aux règles de conflit applicables10. Pour être d’application nécessaire en droit international, la règle impérative interne doit avoir un lien important avec la situation internationale visée, soit répondre au critère de proximité11. En règle générale, il appartient au tribunal

québécois saisi de déterminer si une règle est susceptible de deve-nir une norme d’application néces-saire et son champ d’application, le cas échéant12.

Quant aux règles de conflits, celles-ci sont organisées en fonction de facteurs de rattachement, soit des liens de fait ou de droit entre la situation internationale et les différents systèmes juridiques applicables13. Ces facteurs de rattache-ment peuvent viser les parties au litige, soit la nationalité, le domicile, la résidence, ou l’objet du litige, soit la situa-tion d’un bien ou la survenance du fait juridique. En éla-borant les règles de conflit de lois, le législateur identifie les facteurs de rattachement propres à chaque situation de façon à ce que la loi compétente identifiée soit celle qui présente les liens les plus forts avec celle-ci14.

Dans son exercice de détermination de la loi applicable, l’autorité saisie doit faire l’exercice de distinguer les diffé-rentes questions posées dans une situation internationale afin d’identifier la règle de conflit applicable eu égard aux différents facteurs de rattachement impliqués.

Le recours au mécanisme des règles de conflit s’avère nécessaire pour résoudre toute situation conflictuelle pour laquelle il n’existe aucune règle matérielle ou de norme d’application nécessaire15, ce qui était le cas dans l’affaire Widdrington.

conflits de lois, alors que les articles 3076 à 3078 C.c.Q. visent des situations à portée plus générale.

9. Supra, note 2, p. 224 ; supra, note 6, p. 113 ; Beach c. Avis, (1978) C.S. 418, EYB 1978-135424.

10. Le principe des normes d’application nécessaire est codifié à l’article 3076 C.c.Q. ; supra, note 2, p. 226 ; supra, note 6, p. 90 ; supra, note 7, p. 32-37.

11. Supra, note 2, p. 227-228.

12. Supra, note 2, p. 227 ; supra, note 6, p. 90-91.

13. Supra, note 2, p. 235 ; supra, note 6, p. 62-63.

14. Supra, note 2, p. 135 ; supra, note 6, p. 67.

15. Supra, note 2, p. 223 ; supra, note 6, p. 58.

Face à un problème régi par une règle maté-rielle, l'autorité québécoise saisie doit appli-quer celle-ci en préséance de toute règle de conflit.

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III– LA QUALIFICATION DU PROBLÈME

Dans cette affaire, la Cour d’appel a exposé sa réflexion quant à la qualification de la nature du problème en litige de la façon suivante :

Comment doit-on, aux termes de la lex fori, qualifier la situation juridique ? À quels rapports juridiques s’inté-resse-t-on ? Quelle est l’essence du litige, du débat entre les parties ?16

Pour y répondre, diverses positions étaient soumises par les parties. Ainsi, les appelants ont soutenu que le débat portait sur l’état et la capacité de Coopers, en sa qualité de vérificateur de Castor, alors que l’intimée a soutenu qu’il s’agissait d’une question de responsabilité extracon-tractuelle.

Après une analyse des principaux ar ticles de doctrine au sujet de la signification de « l’état et la capacité » dans le contexte de la responsabilité civile en droit international, la Cour d’appel conclut que la question en conflit « n’est pas [...] de savoir si un “organe” a outrepassé les pouvoirs que lui attribuent son incorporation, ses statuts ou règlements ou encore, quelques questions de nature corporative »17, mais bien de déterminer la responsabilité des profession-nels comptables à l’égard de tiers qui n’étaient pas partie aux contrats de service entre Castor et Coopers.

IV– LA RÈGLE DE CONFLIT APPLICABLE

Ayant déterminé la nature du problème, la Cour d’appel devait déterminer la règle de conflit applicable, eu égard aux facteurs de rattachement en présence.

En l’espèce, puisque les faits du litige étaient tous anté-rieurs à l’entrée en vigueur du nouveau Code civil, la dispo-sition applicable était l’ar ticle 6 du Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.-C. ») :

Art. 6 Les lois du Bas-Canada régissent les biens immeubles qui y sont situés.

Les biens meubles sont régis par la loi du domicile du proprié-taire. C’est cependant la loi du Bas-Canada qu’on leur appli-que dans les cas où il s’agit de la distinction et de la nature des biens, des privilèges et des droits de gage, des contesta-tions sur la possession, de la juridiction des tribunaux, de la procédure, des voies d’exécution et de saisie, de ce qui inté-resse l’ordre public et les droits du souverain, ainsi que dans tous les autres cas spécialement prévus par ce code.

Les lois du Bas-Canada relatives aux personnes sont applica-bles à tous ceux qui s’y trouvent, même à ceux qui n’y sont pas domiciliés ; sauf, quant à ces derniers, l’exception mentionnée à la fin du présent ar ticle.

16. Supra, note 5, par. 112.

17. Supra, note 5, par. 125.

L’habitant du Bas-Canada, tant qu’il y conserve son domicile, est régi, même lorsqu’il en est absent, par les lois qui règlent l’état et la capacité des personnes ; mais elles ne s’appliquent pas à celui qui n’y est pas domicilié, lequel y reste soumis à la loi de son pays, quant à son état et à sa capacité.

Les appelants ont toutefois tenté de faire appliquer les règles de conflit émanant du droit anglais et du droit conti-nental, lesquelles auraient conduit à l’application de la loi du domicile, mais la Cour d’appel a rejeté leurs arguments à cet égard18.

Suivant l’interprétation donnée au troisième alinéa de l’ar-ticle 6 C.c.B.-C., la responsabilité extracontractuelle était régie par la loi du lieu où le fait générateur s’est produit. L’affaire Tolofson c. Jensen, un arrêt fondamental de la Cour suprême du Canada en matière de droit internatio-nal privé, avait d’ailleurs consacré ce principe de l’applica-tion de la lex loci delicti :

Si on part du principe général selon lequel un État a com-pétence exclusive à l’intérieur de son propre territoire et les autres États doivent, suivant les principes de la courtoisie, respecter l’exercice de sa compétence à l’intérieur de son ter-ritoire, il me semble évident qu’en général, à tout le moins, la loi qu’il faut appliquer en matière de responsabilité délic-tuelle est la loi du lieu où l’activité s’est déroulée, c’est-à-dire la lex loci delicti.19

Il convient de mentionner que sous le nouveau Code civil, l’ar ticle applicable pour régir la responsabilité extra-contractuelle d’une situation internationale est l’ar ticle 3126 C.c.Q. :

3126. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui est régie par la loi de l’État où le fait générateur du préjudice est survenu. Toutefois, si le préjudice est apparu dans un autre État, la loi de cet État s’applique si l’auteur devait prévoir que le préjudice s’y manifesterait.

Dans tous les cas, si l’auteur et la victime ont leur domicile ou leur résidence dans le même État, c’est la loi de cet État qui s’applique.

Ainsi, le nouveau Code civil reprend la règle de la lex loci delicti stipulé au troisième alinéa de l’ar ticle 6 C.c.B.-C., mais l’associe à une exception lorsque le préjudice survient dans un État étranger et que l’auteur du préjudice devait pré-voir que ce dernier s’y manifesterait20.

V– LA DÉTERMINATION DE LA LOI APPLICABLE

Pour déterminer le système juridique applicable, le tribunal doit appliquer la règle de conflit eu égard aux facteurs de rattachement qui y sont énoncés. Dans l’affaire Widdring-

18. Supra, note 5, par. 129 à 151.

19. Supra, note 4, p. 1049 et 1050.

20. Commentaires du ministre de la Justice, Code civil du Qué-bec annoté Baudouin Renaud, article 3126.

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ton, la Cour d’appel s’est ainsi penchée sur l’analyse de la portée des termes « lieu du fait générateur du préjudice », stipulé au troisième alinéa de l’ar ticle 6 C.c.B.-C.

Selon la Cour d’appel, il apparaissait évident que ces termes désignaient le lieu où le comportement fautif s’était déroulé et non le lieu où le préjudice a été subi, ce dernier n’étant pas une acti-vité visée par cette expression21. La thèse soulevée par les appelants était à l’effet que la règle de la lex loci delicti conduisait inévitable-ment à la common law puisque la perte économique du demandeur fut subie en Ontario et qu’il ne saurait y avoir « délit » sans la réalisation d’un préjudice. Ainsi, les appelants référaient la Cour d’appel à l’exception à la règle générale voulant que la lex loci delicti soit le lieu où l’activité s’est dérou-lée. Cette exception veut que, pour certains types de délit, le lieu du préjudice puisse être considéré pour détermi-ner la loi applicable22.

Dans son analyse, la Cour d’appel a réitéré les raisons expri-mées par le juge La Forest dans l’affaire Tolofson c. Jensen pour retenir la règle générale du lieu où l’activité fautive s’est déroulée, à savoir qu’elle répond à différentes consi-dérations pratiques la rendant « certaine, facile à appliquer et prévisible »23 ainsi qu’aux attentes légitimes des gens que « leurs activités soient régies par la loi du lieu où ils se trouvent et à ce que les avantages et les responsabilités juridiques s’y rattachant soient définis en conséquence »24. Le juge La Forest avait également exprimé l’opinion que cette interprétation du lieu du fait générateur du préju-dice « respecte l’esprit du droit international public vou-lant que chaque État régisse, règle générale, les activités à l’intérieur de son territoire », ce qui, depuis, a été confirmé par plusieurs auteurs25.

21. Supra, note 5, par. 162-163.

22. Supra, note 4, p. 1050 ; voir également Éditions Écosociété inc. c. Banro Corp., [2012] 1 R.C.S. 636, EYB 2012-205199.

23. Supra, note 4, p. 1050.

24. Supra, note 4, p. 1050-1051.

25. Supra, note 2, p. 382 ; supra, note 6, p. 837 et 838 ; H. Patrick GLENN, «Droit international privé», dans La réforme du Code civil, vol. III, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 736 et 737 ; J.A. TALPIS et J.-G. CASTEL, « Interprétation des règles du droit international privé», dans La réforme du Code civil, vol. III, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 889 et 890; Janet WALKER, «Chapitre 6 : Droit inter-national privé», dans Louise Bélanger-Hardy et Aline Grenon (dir.), Éléments de common law canadienne: comparaison avec le droit civil québécois, Toronto, Thomson Carswell, 2008, p. 514.

La Cour d’appel a considéré également les divers facteurs de rattachement présents en l’espèce, lesquels militaient en faveur de l’application du droit civil du Québec. En effet, la Cour a mentionné que le seul lien avec l’Ontario était essentiellement la perte économique qui y fut subie. Par ailleurs, elle ajoute qu’il ne serait pas convenable d’ap-pliquer la common law de l’Ontario, alors qu’aucune acti-

vité professionnelle n’y avait été exercée. La Cour d’appel a éga-lement soulevé que l’application dans le présent cas du lieu du pré-judice pour déterminer la loi appli-cable conduirait à une situation

chaotique où plusieurs lois étrangères pourraient s’ap-pliquer, dépendamment de la situation propre à chaque victime, et ce, contrairement aux objectifs du droit inter-national privé.

Finalement, la Cour d’appel était d’avis que la thèse des appelants à l’effet de soulever l’exception de la règle du lieu du préjudice ne répondait pas à l’objectif de celle-ci, à savoir de « protéger la victime et lui faciliter l’accès à un tribunal susceptible de lui procurer une indemnisation adé-quate »26 puisqu’en l’espèce, il s’agissait des auteurs de la faute qui invoquaient une telle exception afin de bénéfi-cier d’une règle de common law qui limiterait ou réduirait à néant la responsabilité du vérificateur.

À la suite de cette analyse, la Cour d’appel a conclu qu’elle avait suffisamment de motifs pour déterminer que la res-ponsabilité de Coopers devait être tranchée en fonction du droit civil du Québec.

CONCLUSION

L’arrêt Widdrington a confirmé la règle générale voulant que la responsabilité extracontractuelle soit régie par la loi du lieu où le comportement fautif a eu lieu et que la loi du lieu où le préjudice a été causé ne soit applicable qu’excep-tionnellement. Ce principe, codifié dans le nouveau Code civil à l’ar ticle 3126, respecte l’esprit du droit international voulant que chaque État ait compétence exclusive pour régir les activités à l’intérieur de son territoire et réponde aux attentes légitimes des parties que les droits et respon-sabilités entourant leur comportement fautif commis sur un territoire soient régis par la loi de ce dernier.

26. Supra, note 5, par. 193-194.

L'arrêt Widdrington confirme que la respon-sabilité extracontractuelle est généralement régie par la loi du lieu où le comportement fautif a eu lieu.