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La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - n o 4 - juillet-août 2015 | 137 MISE AU POINT Résistance de Mycoplasma pneumoniæ aux macrolides : un phénomène émergent ? Emergence of macrolide-resistant Mycoplasma pneumoniæ F. Laverdure*, A. Coutard**, D. Grimaldi*, B. Zuber*, J.P. Bédos * , F. Bruneel * M ycoplasma pneumoniæ est un des agents pathogènes impliqués le plus fréquemment dans les infections respiratoires basses peu sévères du patient immunocompétent, particulière- ment chez les enfants et les jeunes adultes. Jusqu’au début des années 2000, la résistance aux macro- lides de M. pneumoniæ restait exceptionnelle, et le traitement de première intention des pneumo- nies à mycoplasmes reposait sur les macrolides. Cependant, l’observation de plus en plus fréquente de cas de résistance aux macrolides est en train de devenir un problème de santé publique, particulière- ment en Asie du Sud-Est. Cet article a pour objectifs de faire le point sur l’évolution de l’incidence des résistances aux macrolides de M. pneumoniæ en France et dans le monde, de préciser les mécanismes et les facteurs de risque de ces résistances et d’éva- luer l’impact de ce phénomène sur les pneumonies (graves ou non) à M. pneumoniæ. Épidémiologie M. pneumoniæ est une petite bactérie de la classe des mollicutes, dépourvue de paroi rigide en raison de son incapacité à synthétiser du peptidoglycane, car son petit génome (816 kpb et 687 gènes, soit 5 fois moins qu’Escherichia coli) ne contient pas les gènes nécessaires à ce processus. Le défaut de paroi rigide confère aux mollicutes un pléiomorphisme interdisant toute classification en bacilles ou en cocci. La survie des mycoplasmes dépend entièrement de leurs hôtes, à l’instar des parasites. M. pneumoniæ présente un tropisme particulier pour l’épithélium respiratoire, et les interactions fortes qu’elle entretient avec la cellule hôte la protègent de la clairance mucociliaire. Elle est ainsi responsable d’infections des voies aériennes supérieures et inférieures, souvent, pour ces dernières, sous la forme de pneumopathies dites “atypiques”. Les mycoplasmes sont probablement en cause dans 15 à 20 % des pneumonies aiguës communautaires. Toute- fois, leur évolution semble habituellement bénigne, et un traitement ambulatoire est possible dans plus de la moitié des cas. L’issue n’est qu’exceptionnelle- ment fatale, la mortalité étant inférieure à 1 % (1). Les infections à M. pneumoniæ évoluent selon des modes épidémique et endémique, et le climat ne semble pas jouer un rôle significatif dans leur dissémination. La transmission interhumaine se fait par voie respira- toire, sous forme d’aérosol contaminé. Le caractère subaigu de la toux et le portage prolongé (plusieurs semaines) au niveau de l’épithélium respiratoire après l’infection en facilitent la transmission. M. pneumoniæ peut également être à l’origine de manifestations extrapulmonaires, principalement neurologiques, à type d’encéphalites et de syndrome de Guillain-Barré, mais également cutanées, articulaires, digestives ou hématologiques. Le mécanisme causal semble lié à 3 mécanismes distincts (2) : une toxicité directe des lipoprotéines membra- naires de M. pneumoniæ, induisant la synthèse de cytokines pro-inflammatoires ; une atteinte auto-immune liée à une réaction croisée entre des constituants du mycoplasme et les cellules de l’hôte ; une occlusion vasculaire consécutive à une vascu- larite ou à une thrombose, associée ou non à un état d’hypercoagulabilité induit par la bactérie. Traitements antibiotiques et résistances Trois classes principales d’antibiotiques sont actives sur M. pneumoniæ : les macrolides, les cyclines et les fluoroquinolones. Parmi ces traitements, les macrolides sont le traitement de choix, car ils ont les concentrations minimales inhibitrices (CMI) les * Service de réanimation polyvalente, hôpital André-Mignot, Le Chesnay. ** Service de biologie, unité de micro- biologie, hôpital André-Mignot, Le Chesnay.

Résistance de Mycoplasma pneumoniæ aux macrolides : un ... · le changement de classe antibiotique. Mots-clés Mycoplasma pneumoniæ Macrolide Résistance Mutation Pneumonie Highlights

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La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - no4 - juillet-août 2015 | 137

MISE AU POINT

Résistance de Mycoplasma pneumoniæ aux macrolides : un phénomène émergent ?Emergence of macrolide-resistant Mycoplasma pneumoniæ

F. Laverdure*, A. Coutard**, D. Grimaldi*, B. Zuber*, J.P. Bédos*, F. Bruneel*

Mycoplasma pneumoniæ est un des agents pathogènes impliqués le plus fréquemment dans les infections respiratoires basses peu

sévères du patient immunocompétent, particulière-ment chez les enfants et les jeunes adultes. Jusqu’au début des années 2000, la résistance aux macro-lides de M. pneumoniæ restait exceptionnelle, et le traitement de première intention des pneumo-nies à mycoplasmes reposait sur les macrolides. Cependant, l’observation de plus en plus fréquente de cas de résistance aux macrolides est en train de devenir un problème de santé publique, particulière-ment en Asie du Sud-Est. Cet article a pour objectifs de faire le point sur l’évolution de l’incidence des résistances aux macrolides de M. pneumoniæ en France et dans le monde, de préciser les mécanismes et les facteurs de risque de ces résistances et d’éva-luer l’impact de ce phénomène sur les pneumonies (graves ou non) à M. pneumoniæ.

Épidémiologie

M. pneumoniæ est une petite bactérie de la classe des mollicutes, dépourvue de paroi rigide en raison de son incapacité à synthétiser du peptidoglycane, car son petit génome (816 kpb et 687 gènes, soit 5 fois moins qu’Escherichia coli) ne contient pas les gènes nécessaires à ce processus. Le défaut de paroi rigide confère aux mollicutes un pléiomorphisme interdisant toute classification en bacilles ou en cocci. La survie des mycoplasmes dépend entièrement de leurs hôtes, à l’instar des parasites. M. pneumoniæ présente un tropisme particulier pour l’épithélium respiratoire, et les interactions fortes qu’elle entretient avec la cellule hôte la protègent de la clairance mucociliaire. Elle est ainsi responsable d’infections des voies aériennes supérieures et inférieures, souvent, pour ces dernières, sous la forme de pneumopathies dites “atypiques”. Les

mycoplasmes sont probablement en cause dans 15 à 20 % des pneumonies aiguës communautaires. Toute-fois, leur évolution semble habituellement bénigne, et un traitement ambulatoire est possible dans plus de la moitié des cas. L’issue n’est qu’exceptionnelle-ment fatale, la mortalité étant inférieure à 1 % (1). Les infections à M. pneumoniæ évoluent selon des modes épidémique et endémique, et le climat ne semble pas jouer un rôle significatif dans leur dissémination. La transmission interhumaine se fait par voie respira-toire, sous forme d’aérosol contaminé. Le caractère subaigu de la toux et le portage prolongé (plusieurs semaines) au niveau de l’épithélium respiratoire après l’infection en facilitent la transmission. M. pneumoniæ peut également être à l’origine de manifestations extrapulmonaires, principalement neurologiques, à type d’encéphalites et de syndrome de Guillain-Barré, mais également cutanées, articulaires, digestives ou hématologiques. Le mécanisme causal semble lié à 3 mécanismes distincts (2) :

➤ une toxicité directe des lipoprotéines membra-naires de M. pneumoniæ, induisant la synthèse de cytokines pro-inflammatoires ;

➤ une atteinte auto-immune liée à une réaction croisée entre des constituants du mycoplasme et les cellules de l’hôte ;

➤ une occlusion vasculaire consécutive à une vascu-larite ou à une thrombose, associée ou non à un état d’hypercoagulabilité induit par la bactérie.

Traitements antibiotiques et résistancesTrois classes principales d’antibiotiques sont actives sur M. pneumoniæ : les macrolides, les cyclines et les fluoroquinolones. Parmi ces traitements, les macrolides sont le traitement de choix, car ils ont les concentrations minimales inhibitrices (CMI) les

* Service de réanimation polyvalente, hôpital André-Mignot, Le Chesnay.

** Service de biologie, unité de micro-biologie, hôpital André-Mignot, Le Chesnay.

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Points forts

plus basses (tableau). Avant les années 2000, les cas de résistance aux antibiotiques étaient excep-tionnels. Le premier cas publié date de 1970, au Japon, et concernait une adolescente de 14 ans traitée par érythromycine depuis 2 semaines pour une pneumonie à M. pneumoniæ, dont la CMI de l’érythromycine était passée de 0,008 à 400 µg/ml. Le mécanisme en cause n’avait pas été identifié. La bactérie avait développé dans le même temps des résistances à la spiramycine, la josamycine, l’oléan-domycine, la lincomycine et la kitasamycine. L’évo-lution avait tout de même été favorable, avec une

normalisation des images radiologiques 3 semaines après le début du traitement (3). Jusqu’aux années 2000, les cas cliniques de ce type étaient restés exceptionnels, malgré l’obtention in vitro de plusieurs mutants résistants. Une étude du début des années 2000 réalisée aux États-Unis et en Finlande ne retrouvait que 2 cas de M. pneumoniæ résistantes aux macrolides (MPRM) in vivo sur 41 isolats (4). De même, des études européennes et japonaises ne retrouvaient aucun isolat de MPRM sur plusieurs centaines de prélèvements respiratoires. Cependant, la culture très fastidieuse et le faible nombre d’isolats empêchaient des études de plus grande envergure.Depuis le milieu des années 2000, les cliniciens et les microbiologistes assistent à une nette augmen-tation du nombre de cas de MPRM dans les pays développés. On note ainsi environ 10 % de résistance aux macrolides en France (5) et aux États-Unis (6) à la fin des années 2000. Cette incidence passe à 30 % en Israël (7) et à plus de 90 % en Chine et au Japon (8). Par ailleurs, un récent travail du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) améri-cain rapporte une variabilité du taux de MPRM en fonction des épidémies successives, allant de 0 à 23 % (9). Les résistances ne semblent concerner que l’ensemble des macrolides, les fluoroquinolones et les cyclines n’ayant pour le moment pas été respon-sables d’échecs cliniques rapportés.

Mécanismes de résistance aux macrolidesUne étude chinoise récente a analysé la progres-sion de la prévalence des MPRM entre 2008 et 2012 sur 309 souches de M. pneumoniæ isolées sur 1 183 prélèvements respiratoires analysés systéma-tiquement (8). On notait une évolution annuelle constante de cette prévalence de la résistance, qui passait de 69 %, en 2008, à 97 %, en 2012. Les MPRM dérivaient de plusieurs clones dont les mutations étaient essentiellement des substitutions ponctuelles de bases dans la boucle centrale de la sous-unité V de l’ARNr 23S (dans la sous-unité 50S du ribosome). Dans cette étude, la mutation responsable était une substitution A2063G dans plus de 90 % des cas, ce qui a été confirmé par plusieurs travaux depuis. Le

» Depuis les années 2000, les Mycoplasma pneumoniæ résistant aux macrolides (MPRM), autrefois excep-tionnels, sont de plus en plus fréquents.

» Leur prévalence est d’environ 10 % en France et aux États-Unis, mais va jusqu’à 90 % en Asie du Sud-Est. » Le seul mécanisme de résistance connu in vivo est une modification de la cible par mutation ponctuelle

au niveau de la sous-unité 50S du ribosome. » Ce mécanisme de résistance aux macrolides n’affecte pas les cyclines et les fluoroquinolones, qui restent

normalement actives in vivo. » Les MPRM semblent associées à une prolongation des symptômes, mais sans qu’une corrélation avec

les formes graves – qui, par ailleurs, restent exceptionnelles – soit prouvée. » Dans le cas des formes graves, une corticothérapie adjuvante peut être discutée en même temps que

le changement de classe antibiotique.

Mots-clésMycoplasma pneumoniæ

Macrolide

Résistance

Mutation

Pneumonie

Highlights » There is since 2000 a large

emergence of macrolide-resis-tant Mycoplasma pneu-moniæ (MRMP), which were previously exceptional.

» MRMP incidence is about 10% in France and in the United States of America, but up to 90% in South-East Asia.

» The only known in vivo resis-tance mechanism is a target modification, related to a 50S ribosomal subunit mutation.

» The macrolide resistance mechanism does not affect cyclins and fluoroquinolones which remain active in vivo.

» MRMP appear to be associ-ated with symptoms prolonga-tion, but without evidence of correlation with severe forms, which remain exceptional.

» In case of MRMP-associated severe lung disease, adjuvant corticosteroid therapy and antibiotic class switch might be considered.

KeywordsMycoplasma pneumoniæMacrolide

Resistance

Mutation

Pneumonia

Tableau. Concentrations minimales inhibitrices (CMI) des principaux antibiotiques pour Mycoplasma pneumoniae.

Antibiotiques CMI (μg/ml)

Cyclines

Tétracycline 0,63-0,25

Doxycycline 0,016-2

Minocycline 0,06-0,5

Macrolides et apparentés

Érythromycine ≤ 0,001-0,016

Spiramycine ≤ 0,01-0,25

Clarithromycine ≤ 0,001-0,125

Azithromycine ≤ 0,001-0,125

Josamycine ≤ 0,01-0,125

Télithromycine 0,008-0,06

Clindamycine ≤ 0,008-2

Lincomycine 4-8

Pristinamycine 0,02-0,05

Fluoroquinolones

Ciprofloxacine 0,5-4

Ofloxacine 0,05-2

Lévofloxacine 0,063-2

Gatifloxacine ≤ 0,016-0,25

Moxifloxacine 0,06-0,25

Autres

Gentamicine 4

Quinupristine-dalfopristine 0,008-0,06

Linézolide > 64

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Figure 1. Les macrolides inhibent la synthèse des protéines ARN-dépendantes en se liant de façon réversible à la sous-unité 50S des ribosomes, au niveau du site P. Ils empêchent ainsi le transfert du complexe peptide du site P au site A, inhibant ainsi l’élongation de la chaîne peptidique. Une mutation ponctuelle du site de fixation empêche cette liaison et génère une résistance.

Zone d’action des macrolides

Inhibition de la synthèse protéique bactérienne par les macrolides

Chaînepolypeptidique

Site P Site A

ARNt

30S

50S

ARNm

La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - no4 - juillet-août 2015 | 139

MISE AU POINT

caractère polyclonal de cette dissémination de MPRM a également été confirmé par une étude sur des popu-lations française et israélienne (10). Les mutations A2063G et A2064G induisaient une résistance à l’érythromycine et à la clarithromycine ; aucune préci-sion n’était donnée sur une éventuelle résistance à l’azithromycine. La mutation A2063T induisait une résistance à l’érythromycine et à la clarithromycine, mais la sensibilité à l’azithromycine était conservée.Les mécanismes de résistance aux macrolides connus pour les différentes bactéries en pathologie humaine comprennent des mécanismes de modification de la cible (staphylocoques et streptocoques), d’efflux (notamment pour Streptococcus pneumoniæ, le strep-tocoque A, les staphylocoques et les coryné bactéries) et des inactivations de l’anti biotique (pour les staphy-locoques et les entérocoques). La modification de la cible peut s’exprimer soit par méthylation ribosomale (streptocoques, staphylocoques, anaérobies), soit par mutations de l’ARN 23S ribosomique. Ce dernier mécanisme est à ce jour le seul mis en évidence in vivo dans les infections à MPRM (11). Le site “P” (pour peptide) de la sous-unité 50S du ribosome ne peut ainsi plus être inhibé par le macrolide, et la pour-suite de la synthèse protidique est possible (figure 1). Toutefois, dans l’étude de F. Zhao et al. (8), pour 29 souches parmi 309 MPRM recherchées à titre systématique, le mécanisme de résistance n’a pas été retrouvé, malgré la recherche de tous les sites de mutations ponctuelles du domaine V de l’ARNr 23S ribosomal, mais aussi d’un gène codant pour une pompe à efflux (mefA) et des gènes de méthylation ribosomiques (ermA et ermB). Ces résultats suggèrent que tous les mécanismes de résistance aux macrolides de M. pneumoniæ ne sont pas encore parfaitement connus et que d’autres mécanismes pourraient être mis en évidence dans les années à venir.

Facteurs de risque d’acquisition de la résistance aux macrolidesÀ ce jour, le seul facteur de risque connu d’acquisi-tion d’une MPRM est la soumission à une pression de sélection antibiotique. En effet, des souches initia-lement sensibles ont acquis in vitro leur résistance par exposition successive à des doses suboptimales de macrolides. Une expérience française a démontré que la pression de sélection antibiotique était inégale selon les molécules utilisées : par exemple, la CMI augmentait dès la deuxième ou troisième exposition à l’érythromycine ou à l’azithromycine, alors que la CMI de la clindamycine n’augmentait qu’après 20 cycles

d’exposition (12). Par ailleurs, une étude observation-nelle récente retrouvait, dans une population d’enfants hospitalisés pour une pneumopathie à MPRM, une prise préalable de macrolides dans 68 % des cas et de minocycline dans 13 % des cas (13). L’analyse de la littérature ne retrouve cependant pas à ce jour d’étude de bon niveau méthodologique mettant en évidence cette association. Par ailleurs, si l’association entre portage de M. pneumoniæ et asthme chez l’enfant est avérée (14), il n’y a pas, à notre connaissance, de travail évaluant l’implication des MPRM dans cette pathologie. De même, aucune étude n’a été menée sur l’incidence des récidives de pneumopathies à M. pneu-moniæ selon que la souche isolée est résistante ou non.

Conséquences cliniques

L’acquisition d’un mécanisme de résistance par M. pneumoniæ semble être statistiquement associée à une prolongation des symptômes respiratoires et de la fièvre (15). Une étude retrouvait en outre une asso-ciation avec un taux sérique plus élevé de cytokines pro-inflammatoires comme l’inter leukine 6 et l’in-terféron. Les résultats concernant le pourcentage de résistance aux macrolides et la durée d’hospitalisation

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Figure 2. Radiographie et scanner thoracique d’un patient ayant développé une pneumo-pathie hypoxémiante à MPRM nécessitant 3 semaines de ventilation mécanique. Les images interstitielles, les opacités nodulaires et le verre dépoli sont indépendants de la résistance.

140 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - no 4 - juillet-août 2015

MISE AU POINTRésistance de Mycoplasma pneumoniæ aux macrolides : un phénomène émergent ?

sont cependant discordants. La survenue de formes graves est pour l’instant trop rare pour démontrer une corrélation avec une infection à MPRM. Cependant, au sein d’une population pédiatrique de 93 patients atteints de pneumopathie à mycoplasmes, les taux de recours à l’oxygénothérapie, d’admissions en réani-mation et de décès n’étaient pas différents dans les groupes MPRM et Mycoplasma pneumoniæ sensibles aux macrolides (MPSM) [16].Un récent travail japonais sur une cohorte d’adultes atteints de pneumopathie aiguë communautaire à M. pneumoniæ ne retrouvait aucune différence dans la présentation clinique initiale entre les 40 % de sujets infectés par une MPRM et les 60 % chez lesquels

une MPSM avait été isolée. L’analyse des caracté-ristiques radiologiques observées sur des coupes tomodensitométriques en haute résolution par des praticiens expérimentés ne permettait pas non plus une orientation diagnostique (figure 2) [17].Dans ce travail, l’efficacité du traitement par macrolides, jugée sur la défervescence thermique à 48 heures, n’était pas significativement différente de celle des autres classes thérapeutiques (mino-cycline ou fluoroquinolones) pour les patients infectés par une MPSM. En revanche, parmi les patients infectés par une MPRM, on ne notait une amélioration clinique que dans un tiers des cas traités par macrolides, contre 77 % dans le groupe traité par quinolones et 85 % dans le groupe traité par minocycline.Il a cependant été montré que certains macrolides ayant 14 atomes de carbone dans leur macrocycle, comme la clarithromycine, possédaient des effets immunomodulateurs avec des implications cliniques concrètes (18), capables de diminuer la sensibilité des cellules de l’épithélium respiratoire à l’inflam-mation induite par M. pneumoniæ.Ainsi, les recommandations japonaises, publiées en 2006 (19), continuent à préconiser en première intention l’usage de macrolides ou de cyclines pour l’ensemble des pneumopathies atypiques bénignes à modérées, après réalisation d’un score clinique visant à éliminer les pneumonies bactériennes classiques, dont celles à pneumocoques. Pour les pneumopathies les plus sévères, nécessitant une hospitalisation en réanimation, l’antibiothérapie probabiliste contre les germes atypiques ne privilégie pas 1 classe antibio-tique parmi les 3 à notre disposition. Ces recomman-dations ont toutefois été publiées avant la plupart des articles concernant les MPRM et devraient donc être prochainement modifiées, au moins dans les pays du sud-est asiatique. De même, les recomman-dations nord-américaines et françaises ne tiennent pas encore compte du risque de MPRM.En pratique, en cas d’absence d’évolution favo-rable d’une pneumopathie aiguë communautaire à M. pneumoniæ, c’est-à-dire devant la persistance d’une fièvre ou d’une insuffisance respiratoire aiguë après 48 heures d’une antibiothérapie bien conduite, il faut probablement envisager le diagnostic de MPRM. Une modification de l’antibiothérapie dirigée contre les germes atypiques peut être discutée, avec l’introduc-tion de cyclines ou de quinolones, d’autant plus que le patient a été antérieurement traité par macrolides.Par ailleurs, une littérature récente met en lumière un possible effet bénéfique des corticoïdes dans les cas les plus graves de pneumopathies à M. pneu-

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F. Laverdure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - no4 - juillet-août 2015 | 141

MISE AU POINT

moniæ, résistantes ou non (20). Ces effets seraient liés à une inhibition de l’hyperactivation de l’immu-nité cellulaire de l’hôte, consécutive à l’infection par les mycoplasmes et pouvant être à l’origine d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [21].Les corticoïdes étaient administrés sous forme de bolus à doses très élevées (1 g chez l’adulte [21] ; 30 mg/kg chez l’enfant [22]).Ainsi, et particulièrement dans les pays où les MPRM sont très fréquentes, le traitement probabiliste d’une pneumonie grave pourrait privilégier une fluoroquino-lone ou une cycline en association avec une β-lac-tamine antipneumococcique. L’association à une corticothérapie à hautes doses mérite d’être consi-dérée. Dans le contexte d’une pneumonie grave chez le petit enfant, la situation est encore plus compliquée, puisque les cyclines et les quinolones sont classique-ment contre-indiquées. Dans ce cas précis, le rapport bénéfice/risque de l’introduction d’antibiotiques poten-tiellement délétères devra être pesé au cas par cas.

Conclusion

La résistance acquise aux macrolides par de multiples souches de M. pneumoniæ est en passe de devenir un potentiel problème de santé publique en France, où les mutants résistants, inexistants il y a quelques années, représentent aujourd’hui environ 10 % des souches cliniques. La situation dans les pays du sud-est asia-tique est nettement plus préoccupante, avec plus de 90 % de souches résistantes. Le mécanisme à l’ori-gine de cette émergence est le plus probablement la pression de sélection antibiotique. Les cyclines et les fluoroquinolones sont actuellement toujours effi-caces sur M. pneumoniæ. Les pneumonies à MPRM semblent occasionner des symptômes plus prolongés, mais l’association avec des formes graves n’est pas, à ce jour, démontrée. En cas de pneumonie grave à M. pneumoniæ d’évolution défavorable sous macro-lides, une souche résistante devra être recherchée, et l’antibiothérapie devra être modifiée. ■

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Références bibliographiques

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