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1 Santé conjuguée - octobre 2002 - n° 22 E D I T O L’actualité politique dans le domaine de la santé a été chaude en 2002, et rien n’annonce un refroidissement en cette fin d’année. Tour d’horizon par Isabelle Heymans en page 3. L’égalité salariale fait partie des idéaux fondateurs des maisons médicales. Comment cet idéal s’est-il incarné, quelle fut son évolution, que nous dit-il aujourd’hui ? Loin d’être un champ de bataille rangé où s’affrontent des positions dogmati- ques, le débat et l’expérience de l’égalité salariale développés par les maisons médicales alimentent une réflexion féconde qui est loin d’être dépassée. Monique Boulad nous le montre en page 7. 1968, c’est déjà le siècle passé. Aujourd’hui, le monde associatif « traditionnel » donne l’impression d’être piégé dans les normes ou de devenir une sous-traitance des services publics. Ses rapports avec le politique, la réalité de sa représentativité, la professionnalisation croissante du secteur, les difficultés de mobilisation l’invitent à redéfinir son rôle. Petit système planétaire dans la galaxie du monde associatif, les maisons médi- cales sont entraînées dans le même vent de questions. Réflexions sur L’institutionnalisation du secteur social associatif et les nouveaux lieux de revendication avec Henri Goldman, Philippe Laurent et Pascal Henry en page 11. L’expérience de nombreux pays montre que les stratégies de privati- sation des soins de santé ont échoué à améliorer le statut sanitaire des populations. En page 17, Jean-Pierre Unger nous fait comprendre les modalités de la privatisation des soins dans ces pays, ses conséquences et ses déterminants et formule une politique de santé alternative qui tient compte des graves carences des services de ces pays. Une réflexion qui éclaire par ricochet un certain nombre de problématiques que nous connaissons en Belgique. Partir des habitants pour les aider à définir les besoins à rencontrer en vue d’améliorer leur état de santé et ensuite interpeller les autorités publiques pour que les moyens nécessaires soient mis au service de la population, voilà un projet que l’on trouve bien naturel de subventionner. Ici. Mais en Tunisie, tout ce qui tend à organiser la popu- lation est suspect aux yeux d’un pouvoir pour lequel la santé publique consiste à imposer « d’en haut » des programmes dont l’objectif essentiel est la promotion du régime. C’est son combat pour la santé communautaire qui a valu à Moncef Marzouki d’être accusé de pratiquer une « médecine communiste », empêché d’exercer son activité clinique, puis mis sous surveillance, condamné à la prison et exilé. Mais l’homme ne se laisse pas démonter et réaffirme sa volonté de se battre pour la démocratisation de son pays. En page 26, Patrick Jadoulle nous parle de cet homme qui fut... son maître de stage en quatrième doctorat de médecine. Suit, en page 29, un exposé de Moncef Marzouki intitulé : Le patient-partenaire, un absent de marque dans le système de soins. Un texte pétillant de saine malice où, tout en nous narrant comment il mène ses étudiants à prendre conscience de l’existence du patient non comme objet de science mais en tant que partenaire de santé, il nous entraîne inexorablement vers l’évidence de la dimension politique des pratiques de soins. Les professionnels de la santé sont confrontés à de nouvelles demandes auxquelles ils ne sont pas préparés à répondre. Ces « nouvelles » problé- matiques constituent les symptômes d’une mutation sociale et exigent de ces professionnels qu’ils repensent leur place et leurs modes d’inter- vention. S’appuyant sur Axel Honnet et sa réflexion sur les politiques de la reconnaissance, Pierre Ansay nous invite à partir des pathologies sociales pour construire la santé du vivre ensemble dans son article : Comment fonder les politiques de prévention ? (page 38). Dire la violence conjugale fait partie de ces tabous que l’on n’enfreint seulement quand toutes les limites ont été pulvérisées. La suspecter, com- prendre l’ambivalence des victimes, les accompagner, c’est une tâche qui nécessite à la fois de la compétence et des qualités humaines qu’il importe d’affiner. La sensibilisation des professionnels de santé et la mise à disposition d’un soutien à leurs interventions s’organisent. Le point sur la question avec Alain Dessart et Anne-Marie Offerman en page 46. Le premier réflexe au moment d’aborder un problème de santé est de l’envisager sous son angle individuel. L’approche globale prônée par les maisons médicales demande un recadrage, auquel nous nous accou- tumons tant dans le champ de la médecine que des questions sociales. Mais une petite voix persiste qui nous fait réserver un abord individuel à la

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1Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

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L’actualité politique dans le domainede la santé a été chaude en 2002, etrien n’annonce un refroidissement encette fin d’année. Tour d’horizon parIsabelle Heymans en page 3.

L’égalité salariale fait partie desidéaux fondateurs des maisonsmédicales. Comment cet idéal s’est-ilincarné, quelle fut son évolution, quenous dit-il aujourd’hui ? Loin d’êtreun champ de bataille rangé oùs’affrontent des positions dogmati-ques, le débat et l’expérience del’égalité salariale développés par lesmaisons médicales alimentent uneréflexion féconde qui est loin d’êtredépassée. Monique Boulad nous lemontre en page 7.

1968, c’est déjà le siècle passé.Aujourd’hui, le monde associatif« traditionnel » donne l’impressiond’être piégé dans les normes ou dedevenir une sous-traitance des servicespublics. Ses rapports avec le politique,la réalité de sa représentativité, laprofessionnalisation croissante dusecteur, les difficultés de mobilisationl’invitent à redéfinir son rôle. Petitsystème planétaire dans la galaxie dumonde associatif, les maisons médi-cales sont entraînées dans le mêmevent de questions. Réflexions surL’institutionnalisation du secteursocial associatif et les nouveaux lieuxde revendication avec Henri Goldman,Philippe Laurent et Pascal Henry enpage 11.

L’expérience de nombreux paysmontre que les stratégies de privati-sation des soins de santé ont échoué àaméliorer le statut sanitaire despopulations. En page 17, Jean-PierreUnger nous fait comprendre les

modalités de la privatisation des soinsdans ces pays, ses conséquences et sesdéterminants et formule une politiquede santé alternative qui tient comptedes graves carences des services de cespays. Une réflexion qui éclaire parricochet un certain nombre deproblématiques que nous connaissonsen Belgique.

Partir des habitants pour les aider àdéfinir les besoins à rencontrer en vued’améliorer leur état de santé et ensuiteinterpeller les autorités publiques pourque les moyens nécessaires soient misau service de la population, voilà unprojet que l’on trouve bien naturel desubventionner. Ici. Mais en Tunisie,tout ce qui tend à organiser la popu-lation est suspect aux yeux d’unpouvoir pour lequel la santé publiqueconsiste à imposer « d’en haut » desprogrammes dont l’objectif essentielest la promotion du régime. C’est soncombat pour la santé communautairequi a valu à Moncef Marzouki d’êtreaccusé de pratiquer une « médecinecommuniste », empêché d’exercer sonactivité clinique, puis mis soussurveillance, condamné à la prison etexilé. Mais l’homme ne se laisse pasdémonter et réaffirme sa volonté dese battre pour la démocratisation deson pays. En page 26, Patrick Jadoullenous parle de cet homme qui fut... sonmaître de stage en quatrième doctoratde médecine. Suit, en page 29, unexposé de Moncef Marzouki intitulé :Le patient-partenaire, un absent demarque dans le système de soins. Untexte pétillant de saine malice où, touten nous narrant comment il mène sesétudiants à prendre conscience del’existence du patient non commeobjet de science mais en tant quepartenaire de santé, il nous entraîne

inexorablement vers l’évidence de ladimension politique des pratiques desoins.

Les professionnels de la santé sontconfrontés à de nouvelles demandesauxquelles ils ne sont pas préparés àrépondre. Ces « nouvelles » problé-matiques constituent les symptômesd’une mutation sociale et exigent deces professionnels qu’ils repensentleur place et leurs modes d’inter-vention. S’appuyant sur Axel Honnetet sa réflexion sur les politiques de lareconnaissance, Pierre Ansay nousinvite à partir des pathologies socialespour construire la santé du vivreensemble dans son article : Commentfonder les politiques de prévention ?(page 38).

Dire la violence conjugale fait partiede ces tabous que l’on n’enfreintseulement quand toutes les limites ontété pulvérisées. La suspecter, com-prendre l’ambivalence des victimes,les accompagner, c’est une tâche quinécessite à la fois de la compétence etdes qualités humaines qu’il imported’affiner. La sensibilisation desprofessionnels de santé et la mise àdisposition d’un soutien à leursinterventions s’organisent. Le pointsur la question avec Alain Dessart etAnne-Marie Offerman en page 46.

Le premier réflexe au momentd’aborder un problème de santé est del’envisager sous son angle individuel.L’approche globale prônée par lesmaisons médicales demande unrecadrage, auquel nous nous accou-tumons tant dans le champ de lamédecine que des questions sociales.Mais une petite voix persiste qui nousfait réserver un abord individuel à la

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Editorial(suite)

santé mentale. Dans Cybernétique dela plainte (page 53), GrégoryLambrette nous montre combien ilpeut être approprié de considérer lessymptômes comme des troublesrelationnels ou des adaptationsparticulières à un contexte déterminéet comment une thérapie brève peutpermettre au patient de retrouver oude créer un rapport plus satisfaisant àson environnement.

Les caries dentaires constituent ungros problème de santé publique.Inciter la population à les soigner et àfaire contrôler régulièrement l’état desa dentition est un objectif reconnu partous. Mais les métaux lourds employésdans les amalgames destinés à traiterles caries dentaires soulèvent certainescraintes quant à leur toxicité.Alexandre Libert nous dit ce qu’il fauten penser en page 58.

La Fondation « Rodin » va fournir dessupports pour la prévention du taba-gisme chez les jeunes. La fondationespère récolter des fonds publics pourcette noble tâche, de manière àcompléter le misérable budget de 1,85millions d’euros que la fondationPhilipp Morris lui allouera chaqueannée pendant cinq ans. Philip Morrisest un énorme cigarettier. Toutepersonne qui suspecterait unemagouille là-dessous aura bien méritéle procès en diffamation qu’on luiintentera. Donc Marianne Prévost n’enparlera pas, en page 62.

Nicotine blues again. Savez-vous queFreud est mort de son inanalysé ?C’est ce qu’affirme Philippe Grimbertdans Pas de fumée sans Freud,psychanalyse du fumeur. Parfaitementconscient du mal que lui faisaient sescigares adorés, jamais Freud ne

parvint à basculer dans le camp desnon-fumeurs. Sans tabac, pour lui pasde travail, pas de conquête de laconnaissance. D’une lecture aisée etagréable, Pas de fumée sans Freudstimule la réflexion sur la probléma-tique du tabac et permet de dépasserles discours primaires et stériles.Éteignez votre clope et filez en page70 où nous vous présentons ce livrequi alimentera de manière intelligentevos actions de prévention.

Santé et prison, une équationinsoluble ? Assurément. La prisonmatérialise l’échec de la société à fairede la santé, cet état de bien-êtrephysique, mental et social. Échec detout ce qui détermine la santé, échecde l’éducation à épanouir chacun dansla société, échec de l’économie àdistribuer équitablement les riches-ses... Soit. Nous ne vivons pas dansl’idéal. Et nos efforts millénaires pourtendre vers un monde où règne lajustice et la liberté, l’égalité et lafraternité, ont encore de beauxmillénaires devant eux. Mais cela nenous dispense pas de poser deuxquestions. Nous ne ferons qu’effleurerla première, qui nous demande cequ’est punir, ce que signifie réhabiliter,c’est-à-dire retrouver une certaineforme de santé, une question qui peut

s’énoncer : la prison, même moderni-sée, est-elle encore aujourd’hui le lieuoù la société peut entasser indifférem-ment tous ceux qui ont transgressé lesrègles (de l’usager de drogues aucriminel récidiviste), est-elle ce lieudont on peut sortir mieux armé pourune nouvelle vie ? Cette questiontraverse en filigrane la secondequestion qui constitue la matière denotre cahier : qu’en est-il de la santé àl’intérieur de nos prisons, des soins,de la prévention, de la qualité de vie,de la santé mentale... ? Quels sont lesproblèmes spécifiques de ces lieux decontraintes, comment est organisé lesystème de soins, quelles reliancessont installées avec l’avant et l’après,entre le dedans et le dehors ? Ils sont,toutes professions confondues,plusieurs milliers de soignants depremière ligne à exercer en prison etils sont, tous motifs confondus, prèsde quinze mille habitants de ce pays àpasser en prison chaque année, prèsde quinze mille familles à connaîtrela souffrance d’avoir un procheincarcéré. Si notre compassion va toutnaturellement aux victimes des crimeset délits, nous ne pouvons oublier lesautres. La prison n’est pas une maladierare...

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ACTU

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QUE

Les médecins généralistes attendenttoujours que soient prises les mesuresrencontrant leurs revendicationsexprimées avec force lors des Étatsgénéraux du printemps 2002, exigeantune revalorisation de la première lignede soins (voir États généraux de lamédecine générale francophone,Santé conjuguée 20, page 3).Dernièrement, le Forum des associa-tions de généralistes (FAG) a déclaréson soutien à toute manifestationspontanée des généralistes à conditionque ce ne soit pas au détriment de lacontinuité des soins et que cesmanifestations rassemblent lesdifférents acteurs de la première ligne.

Déjà des médecins descendent dans larue, les manifestations locales semultiplient et une concentration estprévue à Bruxelles à la mi-novembre.Une opération « Plumule » est lancée :destinée à matérialiser le ralbol devantla tracasserie paperassière, elleconsiste à joindre une lettre deprotestation aux documents adressésau médecin-conseil des mutuellespour obtenir les remboursements desmédicaments dits « Bf » (ceux qui nesont remboursés au patient que suraccord de la mutualité).

Toutefois le dialogue n’est pas rompuet une série de mesures assez positivessont en marche.Dans le contexte actuel de grogne (tantil est vrai qu’on n’est écouté que si onse fait entendre), et en perspective deséchéances à venir, attardons-nous surcertaines de ces mesures réalisées ouen cours de réalisation dans lescompétences du pouvoir fédéral,depuis le début de cette législatureVandenbroucke-Aelvoet-Taverniers*.

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La réorganisation de lapremière ligne

Elle s’ébauche et trois chantiers s’acti-vent : la reconnaissance des cercleslocaux de médecine générale, l’organi-sation des Services intégrés de soinsà domicile (SISD) et la reconnaissancedes pratiques de groupe.

Depuis une vingtaine d’années, lesmédecins généralistes sont organisésen associations locales, généralementsur une base géographique, consti-tuées en asbl ou en associations de fait.Une nouvelle loi les reconnaît sous lenom de cercles et les institue en tantqu’interlocuteurs locaux officiels pourles administrations, les instancespolitiques et les hôpitaux ainsi qu’entant qu’organisateurs des gardeslocales de médecine générale. Lescercles doivent se constituer en asbl,s’organiser de manière à ne pas sesuperposer ni à laisser des zones noncouvertes, et demander leur reconnais-sance au ministère. On peut espérerque cette avancée assurera unecouverture optimale de la garde demédecine générale partout sur leterritoire belge pendant les week-endet les jours fériés, et quelle suscitera

Les chantiers de la première ligne

Isabelle Heymans, médecin généraliste à la maison médicale Atoll

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La fin de l’année 2002 sera chaudepour la première ligne de soins. Denombreux projets ministériels en coursdoivent prendre leur forme finale, denombreuses revendications dessoignants sont toujours pendantes.Ces affaires doivent être gérées dansun contexte où le Gouvernementfédéral a présenté un budget 2003 nerejoignant pas les attentes syndicales,ce qui rend un accord médico-mutualiste encore plus difficile àconclure pour fin 2002, et où desélections législatives s’approchent,précédées des inévitables manœuvrespréélectorales. Le consensus Nord-

Sud

Dans la suite des États générauxde la médecine générale, audépart francophones, un consen-sus « Nord-Sud » a été signé finaoût par les différents syndicatsde médecin (Cartel et ABSyM),le FAG, l’Uhak (cousin néerlan-dophone du FAG) et les sociétésscientifiques (SSMG et WVVH).Ce consensus comporte sixaxes : une revalorisation dubudget de la médecine de 15 %par an pendant trois ans, unemeilleure protection sociale dumédecin, le rejet d’un contrôletatillon sur les prescriptions demédicaments, une réorganisationde la politique de santé ouvrantà la participation des généralistesaux concertations et décisionsconcernant leur sphère d’action,le financement d’une assurancede qualité organisée par lesprofessionnels et des mesuresfavorisant le recours prioritaire àla médecine générale.

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Les chantiers de la première ligne(suite)

une meilleure coordination entrepremière et deuxième ligne, ainsiqu’avec les décideurs politiques.

La loi organisant les Services intégrésde soins à domicile est passée auMoniteur en même temps que cellepour les cercles. Ces services sontchargés de coordonner tous les soinsà domicile en plaçant au centre despréoccupations : le patient. LesServices intégrés de soins à domiciledevront aussi se coordonner avec leshôpitaux. Toutes les professions et lesservices de la première ligne y serontreprésentés, les médecins généralistesvia les cercles. Il y aura plus ou moinsun Service intégré de soins à domicilepar septante mille habitants. Pour endéterminer les territoires d’action, leministère attend d’avoir reçu les zonesofficielles couvertes par les cercles.Actuellement, le ministre Detienne dela Santé en Région wallonne a lancéquatre projets pilotes de Servicesintégrés de soins à domicile dansquatre villes wallonnes.On peut espérer de ce type de structureune meilleure coordination de l’offreen première ligne en rapport avec leshôpitaux locaux. Bref une meilleureefficience, au service des patients.

Un projet de loi est en cours, pour lareconnaissance des pratiques degroupe. Il s’agit d’une reconnaissancede différents types d’associations demédecins généralistes, mono oupluridisciplinaires. Il y aura six typesdifférents de pratiques reconnues :pratique solo, association mono-disciplinaire et association pluridisci-plinaire, groupe mono-disciplinaire, etcentre de santé de première ligne detype A ou B, ce dernier correspondantaux maisons médicales. Des activitésseront aussi demandées à certains

types de pratiques selon leur typed’intégration : activités de suivistructuré des maladies chroniques,activités de prévention ou de prise encharge pour certains groupes cibles,activités de santé communautaire. Ceprojet est une première reconnaissancelégale de pratiques autres que solo. Onpeut aussi espérer d’une telle recon-naissance une aide financière pour letravail administratif effectué par toutmédecin généraliste, pour l’organisa-tion de la permanence, et aussi pourdes activités qui viseront à pouvoirreprendre en charge en première lignedes patients qui sont actuellementsuivis en deuxième ligne. Par exemplele suivi pluridisciplinaire des patientsdiabétiques pourra se faire en premièreligne et non par des centres spécialisésdans les hôpitaux. On peut encore faireremarquer que dans ce projet de loi,les assistants sociaux sont reconnus àpart entière comme professions faisantpartie des groupes pluridisciplinaires(alors qu’ils ne sont pas reconnus parl’arrêté royal 78 comme profession desanté, mais déjà employés dans leshôpitaux). Ce projet de loi estactuellement en discussion entre lecabinet de la santé publique et lessyndicats médicaux.

De plus, ces trois projets permettrontun financement de la médecinegénérale non seulement par le biais deshonoraires (individuels), mais aussipar le biais d’institutions représentantet regroupant des généralistes. (Toutcomme les spécialistes bénéficient definancements par leur actes (hono-raires) et par l’infrastructurehospitalière). Ce financement mixtepermet plus facilement des activités decoordination, d’organisation, d’admi-nistration, indispensables à un bonservice de première ligne.

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Pour les médecins

D’autres mesures semblent ne concer-ner que les médecins généralistes maisne seront pas sans répercussions surla qualité des soins à la population.

En juillet 2002, la « loi santé » a étéadoptée par le Gouvernement. Cetteloi répond entre autres à certainespropositions faites par le Dr Van DeMeulebroecke dans son rapport sur lesperspectives pour la médecinegénérale.Un forfait est alloué aux médecinspour rémunérer leur disponibilité lorsdes gardes de population les week-endet jours fériés. Il pourrait déjà êtredemandé à partir de septembre 2002.Si cela peut paraître une simplerémunération supplémentaire desmédecins, cela devrait aussi avoir pourconséquence une remotivation d’uncertain nombre de médecins quin’effectuaient plus de gardes (consi-dérées comme trop peu rentablescompte tenu de la pénibilité). Il devraiten résulter une meilleure couverturede la garde dans des régions oùactuellement les patients n’ont d’autrerecours que les services d’urgences.Cette mesure complémentaire à la loisur les cercles et à un projet de dissua-sion des gens à aller aux urgenceshospitalières, vise à rétablir un vraiservice d’aide médicale urgente enambulatoire.A l’INAMI, tant au Conseil techniquemédical qu’à la Commission nationalemédico-mutualiste, les décisionsconcernant seulement les médecinsgénéralistes devront être approuvéespar un collège de généralistes, et nonplus un collège mixte de généralisteset spécialistes, comme avant. Ainsi, lesdécisions qui concernent l’ambula-

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toire seront prises par les profession-nels qui connaissent le terrain.Le forfait annuel attribué aux méde-cins pour l’informatisation de leurcabinet est également une avancéeintéressante : informatiser les dossiersmédicaux, c’est à l’avenir pouvoirfaire du recueil de données et del’épidémiologie, pour permettre uneoffre de soins vraiment adaptée à desbesoins objectivés et pas seulementressentis. C’est encore à l’avenir,moyennant mise en place de systèmesde sécurité fiables, l’accès au dossierpour les médecins de garde, les col-lègues d’une pratique de groupe, oule spécialiste qu’on va consulter. Brefdes informations intégrées, pour unemeilleure prise en charge. C’est encoredes programmes d’aide à la décisionpour les médecins, en fonction desétudes les plus récentes, ou d’aide auchoix du médicament présentant lemeilleur rapport efficacité-prix. Tousces avantages à condition d’avoiraffaire à des logiciels informatiquesdépourvus d’influences quelconquesdu commerce du médicament …Le dossier médical global avait été misen place lors de la précédente légis-lature. Il a été généralisé à toute lapopulation, inscrit dans la loi santé, etainsi désolidarisé d’éventuels accords(ou non-accords) médico-mutualistes.Il est donc institué, cet honoraire quipermet de proposer au patient unegestion centralisée de son dossiermédical par un médecin généraliste deson choix.

Il y a aussi un projet pour la promotionde la qualité des soins, encore balbu-tiant, malheureusement fort lent, maisà encourager et évaluer dans le temps.Nous ne nous y attarderons pas ici, ila été très bien expliqué dans le précé-dent numéro de Santé conjuguée**.

Le projet de loi sur la responsabili-sation médicale a fait beaucoup deremous et n’a pas fini. Le ministreVandenbroucke a accepté d’y apporterdes amendements qui le rendent déjàplus acceptable, mais ce n’est pasencore cela. Laissons nos syndicatscontinuer à y travailler.

Enfin, un projet de loi pour la recon-naissance du suivi méthadonepermettra aux médecins de ne plus êtredans un no man’s land juridiquetolérant, mais de travailler dans uncadre légal précis, malheureusementtrop étriqué. Le réseau Alto-Sociétéscientifique de médecine générale afait des remarques concernant cetteloi, et en suit l’évolution.En parallèle, le ministre Detiennepropose un décret pour l’aide à laconstitution de réseaux pluridiscipli-naires qui regroupent au sein d’unemême entité les différents services quitravaillent avec les toxicomanes.

Et puisque nous avons un peu parlédes Régions, ajoutons que laCommunauté française prépare undécret pour donner un cadre légal plusclair à la prévention et proposer

certaines actions précises auxmédecins généralistes. La cellule agirensemble en prévention de laFédération des maisons médicales etla Société scientifique de médecinegénérale ont été sollicitées pourréaliser ensemble un dossier en lamatière.

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Les autres professions

Les pratiques de groupe desinfirmières ont été reconnues.Malheureusement, cette reconnais-sance ne sera profitable qu’auxcoordinations liées aux mutuelles, carelle ne concerne que les pratiquesregroupant au moins sept équivalentstemps-plein.

Un projet de lois « en discussion »pour la reconnaissance des aides-soignantes et le transfert de certainsactes infirmiers vers cette professiondivise le monde infirmier (voir « Aide-soignante et infirmière : uneredistribution des cartes », Santéconjuguée 20, page 66).

La réforme concernant la kinésithé-rapie a apporté quelques mesuresintéressantes comme le bilan de départou le dossier kiné, mais fait souffrirconsidérablement la profession (voir« Quel avenir pour la kinésithérapie »,Santé conjuguée 20, page 6).

Le projet de reconnaissance despsychologues cliniciens constitue unedes étapes du projet global pour uneréforme de l’arrêté royal n° 78 relatifà l’exercice des professions des soinsde santé. Le souhait est en effetd’introduire dans celui-ci la possibilitéde développer une coopération

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multidisciplinaire dans l’approche dela santé. La réforme vise unerépartition plus équitable des compé-tences et des responsabilités entre lesdifférentes professions des soins desanté.La reconnaissance du psychologueclinicien comme professionnel de lasanté tout en lui confiant la responsa-bilité d’inviter le patient à consulterun médecin en cas de doute quant àune cause biomédicale de la patho-logie, constitue un premier pas vers lacoopération multidisciplinaire ainsique vers une diminution du monopoledes médecins dans les soins de santé...En outre, et dans la même logique,sont encore en chantier des projets deloi pour la reconnaissance des ortho-pédagogues, des sexologues et despsychothérapeutes.Ces différentes reconnaissancesseront-elles un premier pas vers unremboursement INAMI futur ? (voir« Des psychologues, une ministre etun projet de loi », Santé conjuguée 20,page 9).

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Plafond pour les patients

Le ministre Vandenbroucke a encoremis en place le « maximum àfacturer », qui permettra à chaquepatient de voir sa facture annuelle desoins de santé plafonnée en fonctionde ses revenus, quel que soit le coûtdes soins dont il a besoin. Avancéedans le sens d’un service aux person-nes désolidarisé de leurs possibilitésfinancières mais attaché à leursbesoins, et d’une limitation dusurendettement des plus démunis parleur consommation des services desanté.

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Conclusion

Nous arrivons à la fin de cette légis-lature au niveau fédéral. Des chosesse sont passées pendant ces quatre ans.Même si parmi ce qui a été mis enplace, certaines choses ne nous parais-sent pas très favorables, d’autres lesont, et il faut remarquer que desprojets intéressants ont été mis enchantier. Intéressants pour les acteursde la santé, et intéressants pour lespatients.

Car on peut soutenir l’idée qu’un plusgrand développement et une meilleureorganisation du service ambulatoiresont tout bénéfice pour les patients,tant en réponse à la plupart de leursbesoins, qu’à certaines de leursdemandes, comme par exemple depouvoir être soigné chez soi, oud’avoir accès à des services deproximité tant géographique quefinancière ou culturelle.

Le chemin à parcourir pour une justereconnaissance de l’importance de lapremière ligne est encore long.Quelques pas ont été faits. A nous depousser encore dans le dos nosdécideurs, à la fois par des actions etpar la négociation, pour qu’ilsavancent dans le bon sens. Et vite.Nous ne savons pas qui sera ministrel’an prochain.

Les chantiers de la première ligne(suite)

* Mme Aelvoet a démissionné en aoûtdernier de son poste de ministre de la Santépublique, et a été remplacée par M.Taverniers. Mais si près de la fin de lalégislature, il semble que cela ne modifierapas de façon importante les travaux encours.

** voir Francoise Mambourg, Santéconjuguée n°21, page 103.

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7Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

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SONS

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Témoignages

Témoignage de Jacques Charles,médecin généraliste

à la maison médicale la Glaiseà Marchienne-au-Pont

Créée en 1985, cette maison médicales’inscrivit d’emblée dans le courantdes grands projets de société égalitaired’inspiration socialiste avec volontéd’intégration dans un quartier, enl’occurrence celui de la Docherie àMarchienne-au-Pont dans la banlieuede Charleroi.La volonté affichée de ce qui s’est

et chacun et de l’égale nécessité dechaque fonction pour que le projet del’équipe se développe harmonieu-sement. Cette égalité salariale« supputative » était alors un signe dereconnaissance extérieure pour lemonde du travail et le mondeassociatif.En 1992, un incident extérieurconcernant directement de près deuxpersonnes de l’équipe vint toutefoisremettre en question le principe deconfiance à la base de ce système eteut pour conséquence de faire sortirle secteur du secrétariat-accueil del’égalité salariale.

A partir de 1997, suite à l’élargis-sement considérable de l’équipe, à desdifférences d’implication dans leprojet et à la perception par un desmédecins de l’équipe de la non-reconnaissance de compétencesspécifiques inhérentes à un savoir pluscomplexe, des conflits surgirent et lequestionnement sur l’égalité salarialerefit surface. Deux tendances sedégagèrent : la première voulantgarder le principe de l’égalité salarialesymbolisant l’égale nécessité del’implication de tous dans le projet, laseconde souhaitant reconnaîtrefinancièrement la hiérarchie de lacomplexité des savoirs et desresponsabilités. Dans un premiertemps, on tint compte de l’ancienneté.Actuellement, entre autres par soucide pérennité du projet qui doit pouvoirrester attractif, notamment sur le planfinancier, pour des jeunes médecinsgénéralistes, l’équipe envisaged’introduire une différence de barèmeselon la profession. Mais renoncer àl’égalité salariale peut être l’aboutis-sement de deux logiques différentesrésumées ci-dessous.

L’égalité salariale en maisons médicales :toujours d’actualité ?

Monique Boulad, médecin généraliste à la maison médicale la Glaise, présidente du comitéd’éthique de la Fédération des maisons médicales

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dans un premier temps appelé« Boutique populaire la Glaise » étaitde travailler sur tous les déterminantsde la santé du quartier.Le principe de l’égalité salariale futchoisi en tant que forme de justicesociale, mais pas vraiment appliquépuisque les travailleurs étaient soitbénévoles soit directement financéspar leur travail (les médecins notam-ment). Néanmoins une traduction enétait la vie communautaire trèsélaborée permettant une certaineforme de redistribution des richesses,un partage des tâches, des repascommuns, une crèche commune, …

A partir de 1980 se fit sentir la volontéde mieux valoriser les diversesqualifications professionnellesprésentes dans l’équipe, ce qui amenaune professionnalisation et uneautonomisation des secteurs : lestravailleurs des domaines psycho-sociaux et communautaires créèrentun centre de santé mentale, et lesmédecins restèrent dans ce qui devintalors une maison médicale où unecertaine forme de redistributionpersista par une quote-part basée surun pourcentage des revenus pour lesfrais de fonctionnement.

L’année 1990 constitua un tournantimportant avec l’adoption du systèmede financement forfaitaire et donc lepassage au pool financier intégral,l’arrivée de la première salariée, et lepassage à la pluridisciplinarité del’équipe de médecins avec une, puisdes accueillantes infirmières.Durant les premières années, uneégalité salariale complète futappliquée, qui ne tenait pas compte del’ancienneté, basée sur l’idée dunécessaire investissement de chacune

L’égalité salariale fait partie desidéaux fondateurs des maisonsmédicales. Comment cet idéal s’est-ilincarné, quelle fut son évolution, quenous dit-il aujourd’hui ? Loin d’êtreun champ de bataille rangé oùs’affrontent des positions dogmati-ques, le débat et l’expérience del’égalité salariale développées par lesmaisons médicales alimentent uneréflexion féconde qui est loin d’êtredépassée.

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8 Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

Témoignage de MichèleParmentier, assistante sociale,

et Chantal Hoornaert,médecin généraliste à la maison

médicale du Maelbeek à Bruxelles

Voici aussi une maison médicale quis’est créée dans la mouvance de mai

travaillait temps plein, chacun gagnaitdonc la même chose !La plupart pouvaient aussi compter surl’aide financière de conjoints.Il s’agissait donc d’une bande decopains travaillant ensemble, appli-quant la transdisciplinarité avant lalettre par l’aide concrète entre lessecteurs de l’équipe, avec une viecommunautaire bien réelle allantmême jusqu’à la fusion partielle entrevie familiale et vie professionnelle.

Le changement fut amené par lesinfirmières de l’équipe qui perçurentle regard de la société comme différentde ce qui était prôné à la maison médi-cale, et constatant qu’elles rappor-taient au pool plus d’argent qu’ellesn’en recevaient.Les travailleurs de deuxième généra-tion, plus conformistes par rapport àl’idée de leur rôle dans la société,eurent par ailleurs plus de difficultésà accepter cette transdisciplinarité nondite.Et enfin certaines options inhérentesà la vie familiale induisirent de la partde certains une moins grande disponi-bilité et le besoin de quitter la viecommunautaire.Ces mutations débouchèrent sur unecrise d’équipe, ayant nécessité unesupervision débouchant elle-même surune nouvelle forme de répartition dufinancement des frais communs del’équipe sur base d’un même pourcen-tage des revenus de chacun, pour lesindépendants uniquement, les salariésne participant pas à ce système.Mais il est actuellement remis ànouveau en question par lesinfirmières sur base de différences detemps d’occupation des locaux. Ce quimontre bien que les revendicationsfinancières cachent souvent desproblématiques plus profondes.

L’égalité salariale en maisons médicales : toujours d’actualité ?(suite)

Appliquer rigoureusement l’égalitésalariale est une position radicale.Cela n’a de sens que dans un con-texte militant global : changement desociété, analyse des rapports dedomination pour les abolir… et/oudans le cadre « de la société desamis » épicurienne. En dehors decela, la somme de frustrations et dedysfonctionnements qu’elle entraîneest trop importante.

A la Glaise, actuellement, cesconditions ne sont plus remplies.Nous renonçons donc à « refaire lemonde » et nous nous rangeons auxnormes, barèmes… en vigueur dansles autres centres de soins.

Nous cherchons donc un barème oùle médecin est payé commemédecin et non comme infirmièrespécialisée, le salaire étant lareconnaissance du statut.

L’appliquer permet de mettre enévidence que nous voulons dechaque travailleur un même inves-tissement dans le projet quelles quesoient ses compétences.Nous désirons cependant prendreen compte d’autres éléments(diplômes, formation…) que nousnégligions par l’application del’égalité salariale stricte.

Nous continuons à construire nous-mêmes un mode de rémunérationqui nous ressemble et qui colle aumieux à « ce que nous voulonspayer » et qui comporte le moinspossible d’écart salarial entre lesprofessions.

Nous prévoyons donc uneaugmentation « symbolique » dusalaire des médecins et nousrefusons un système où lareconnaissance se fait par l’argent.

68, avec un projet de changement desociété dans un quartier populaire, àl’instigation de deux médecins bientôtrejoints par deux autres. Après un ande fonctionnement, le choix est poséde travailler en pool financier, avecune rétribution basée sur la disponi-bilité. Et comme au début chacun

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L’égalité salariale est un idéalque nous prônons

Il ne faudrait toutefois pas résumer cette problématique bien réelle durecrutement à l’alternative entre soit des génies sans projet soit des militantsidiots !

L’égalité salariale est un idéalque nous prônons

Renoncer à l’égalité salariale : deux logiques différentes

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Témoignage de Coralie Ladavid,assistante sociale

à la maison médicale le Guéà Tournai

Dans cette équipe, l’égalité salarialepour tous a été voulue par lesfondateurs afin de reconnaître la placeimportante de chaque professionnel.Mais des questions se posent, liéesnotamment à la longueur des étudesdes médecins et donc au handicap quecela représente pour eux dans l’échellede l’ancienneté. Cela occasionna desdébats difficiles, souvent parasités pardes composantes émotionnelles, quiaboutirent néanmoins sur l’accord deprendre en compte les années d’étudespour calculer l’ancienneté. Mais lesressources financières de l’équipe nepermettent pas de rencontrer complè-tement cet objectif à l’heure actuelle.D’autres remettent en questionl’égalité salariale au vu de différencesd’implication dans le projet, en raisonde l’importance des responsabilitéspour les médecins, du moins grandnombre d’années de cotisation pourleur pension future, …Même la femme de ménage, pourtantelle aussi payée au barème égalitaire,est mécontente du système !

Témoignage de Jeanine Adelaire,pour l’intergroupe liégeois des

maisons médicales (IGL)

Parmi les maisons médicales de larégion liégeoise, l’égalité salariale estassez communément appliquée. Cequi ne veut pas dire qu’elle ne soit pasinterrogée, notamment de la part desjeunes médecins pour qui elle semblesource de frustrations, coincés qu’ilssont entre les us et coutumes de lasociété et les pressions « normalisa-

trices » des plus anciens. L’inter-groupe liégeois a conduit une réflexionsur cette thématique dont il ressort lesquestions suivantes. Existe-t-ild’autres moyens de valorisation quel’argent ? Quel peut être le lien avecdes notions comme l’autogestion, lanon-hiérarchie et l’« inter-pluri-transdisciplinarité » ? Quel messagevoulons-nous donner à l’extérieur ?Quid des inégalités salariales ?Comment fonctionne une maisonmédicale où il y a une hiérarchiesalariale ? Questions jusqu’à présentrestées sans réponse…

○ ○ ○ ○

Débat

L’égalité salariale a été instauréedans les maisons médicales pour

deux grandes raisons

1. L’égalité salariale signifie et meten pratique l’égale dignité de chaquetravail et de chaque travailleur.Cette position prend tout son sens dansun projet de société beaucoup plusvaste et plus global où l’on lutte contreles hiérarchies, les privilèges, les

rapports de domination liés au sexe, àla race, aux classes sociales... et oùl’on repense et modifie totalement laplace et le statut du travail dans notreexistence. Ce combat implique uneremise en question fondamentale del’ordre social et nécessite une analyseet une vigilance permanentes pouraller à contre-courant des modes d’êtrehabituels sous-tendus par la reconnais-sance et le maintien de cet ordre.

Militer pour une société plus juste estune utopie positive : elle donne uneautre dimension au travail quotidienen l’inscrivant dans un projet politiqueglobal. L’égalité des revenus rendefficiente et réelle l’égalité des chance,c’est-à-dire la possibilité pour chacunde bénéficier des structures et desmoyens lui permettant de développerau maximum ses talents.Cependant à elle seule, elle ne suffitpas à garantir la justice sociale : il restetout un travail à réaliser sur lesdifférences culturelles, éducatives...Appliquer l’égalité salariale ici etmaintenant dans les microcosmes quesont les maisons médicales ne risque-t-il pas d’internaliser dans nosmaisons médicales des conflits socié-taux qui nous distraient alors du travailpolitique en nous engluant dans lepsychologique ?De positive et mobilisatrice, l’utopiedevient négative : elle se transformeen un carcan contraignant à mainteniraux prix de frustrations importantes,de débats oiseux et de conflits quiprennent vite un tour personnel.L’expérience de la Free Clinic entémoigne : depuis que, au terme d’unlong combat, les barèmes en vigueurdans les centres de santé mentale sontappliqués dans l’équipe, il n’y a plusde sentiment de frustration ni deconflits liés à la rémunération. Cela

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représente une grande économied’énergie qui peut être utilisée àd’autres fins.

2. L‘égalité salariale amène chaquetravailleur à s’investir dans le projetd’équipe, à se l’approprier symboli-quement et à y prendre sa placeLe pari de départ était que par l’égalitésalariale chacun se sentirait avoir petità petit le même droit à la parole queson collègue d’une autre fonction dansl’équipe et qu’en retour l’équipe pour-rait exiger de chacun un investis-sement à sa mesure dans le projet.Cependant, l’expérience des équipesa montré que certains travailleurs, bienqu’ils soient au salaire égal, ne se sontpas investis dans le projet et qued’autres s’y sont investis malgré unsalaire inférieur.Dès lors, la frustration des médecinsde certaines équipes ne vient pasnécessairement du fait de ne pas êtrepayés plus que les autres mais plutôtd’un déséquilibre en terme d’investis-sement dans le projet de la maisonmédicale et ce malgré l’égalitésalariale qui est au départ censéefavoriser un investissement partagé.N’est-il pas illusoire d’exiger le mêmeinvestissement de tous, des fondateurset des nouveaux, des travailleurs àtemps plein et des travailleurs à tempspartiel ? Comment gérer ces différen-ces ? L’égalité salariale fait parfoispeser sur les plus jeunes ou nouveauxarrivés dans l’équipe une exigenceterrible : comment résoudre ce pro-blème ? Si parfois les anciensimposent des modèles que les jeunesportent péniblement, les jeunesdoivent eux aussi prendre la parole etles anciens doivent alors se remettreen question.L’égalité salariale ne garantit pas quechacun prenne la parole : encore faut-

il pouvoir le faire et en avoir envie. Ilest sans doute illusoire de vouloirmotiver les gens malgré eux ; lamotivation viendra pour chacun del’intérêt qu’il trouve à développer leprojet.

Des vices et des vertusde l’inégalité salariale

L’inégalité salariale permet de mar-quer :

• La légitimation et la reconnaissancede l’implication différente de cha-cun dans le projet (mais commentmesurer cette implication et quel« barème » de référence choisir ?) ;

• Le désir de l’équipe de prendre encompte l’expertise et la compétencedans l’attribution des tâches et desresponsabilités (restent ici aussi àpréciser quels items seront retenuspour les définir et les évaluer) ;

• Le souhait de l’équipe de disposerde signes de reconnaissance dutravail et des compétences ;

• Le souci d’assurer la pérennité dela maison médicale : l’égalité sala-riale risque de rebuter tant les jeunesrecrues que les travailleurs ayantacquis une expérience qui pourraitleur rapporter bien plus ailleurs. Lesjeunes n’ont pour la plupart nulleenvie de se démarquer du modèlesocial ambiant contrairement à leursaînés qui y trouvaient une fiertécertaine.

Elle ne remet pas en question :

• L’autogestion et la non-hiérarchiequi sont indépendantes du mode depayement. Elles peuvent être appli-quées ou ne pas l’être dans le cadrede l’égalité comme dans celui del’inégalité salariale ;

• Le pouvoir de chacun d’évaluer, detrancher et d’imposer la solution

estimée la plus adéquate comptetenu du projet et de l’intérêt del’équipe. Le pouvoir est toujoursdélégué et contrôlé par l’assembléegénérale et reste strictement limitéau champ de compétence et auxtâches déléguées à chacun ;

• La responsabilité de chacun dansson travail et au sein de l’assembléegénérale.

L’égalité salarialegarde un pouvoir symbolique fort

mais elle n’est qu’un moyenet rien qu’un moyen

Elle ne résout pas tout et n’est qu’undes facteurs d’une société plus justeet qu’un des facteurs favorisantl’investissement dans l’équipe. Maisà elle seule, elle ne peut garantir aucunde ces objectifs. Elle est une conditionutile, peut-être nécessaire mais sûre-ment pas suffisante.A chaque équipe de juger de l’oppor-tunité de l’instaurer ou de la mainteniren fonction du sens qu’elle y trouvedans la définition et la réalisation deson projet.

L’égalité salariale en maisons médicales : toujours d’actualité ?(suite)

Texte rédigé sur base de la réflexion menéeà la maison médicale la Glaise et ducompte-rendu synthétique du club deréflexion sur l’égalité salariale en maisonmédicale du 13 mars 2002 rédigé parPatrick Jadoulle.

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Autour de cette problématique, leConseil bruxellois de coordinationsociopolitique a réuni comme orateursPascal Henry, directeur de l’InstitutCardijn et Philippe Laurent, présidentdu comité de gestion de l’Agencewallonne pour l’intégration despersonnes handicapées (AWIPH) et dumouvement pour la société civile.Henri Goldman, codirecteur de larevue Politique, introduit laconférence.

diminuée en proportion de lareconnaissance qu’il a obtenue du côtédu politique ? ». Les revendicationssont sans nul doute différentes, leprojet de changer la société n’est-il passouvent absorbé par la recherche desubsides, de nouveaux emplois, … ?

○ ○ ○ ○

La démocratie, une questiond’entraînement

Philippe Laurent

1968 semble loin, le monde associatif« traditionnel » donne l’impressiond’être piégé dans les normes, d’êtreenglué dans la sous-traitance, il regar-de les nouveaux mouvements avecnostalgie et irritation ; se reposition-ner, est-ce une solution pour réaffirmerson rôle ? A partir du concept de lasociété civile, voici une grille delecture qui peut conduire à des actionspratiques.

1. Loin d’être dépassée, la sociétécivile se met en place sous d’autresformes et se repositionne par rapportaux nouveaux mouvements.

Elle est un courant puissant : depuisune vingtaine d’années, les acteurs dela société civile se sentent et sereconnaissent comme tels avec ou sansla reconnaissance des politiques ou desthéoriciens. A côté des campagnesspectaculaires comme celles pourl’accès aux médicaments ou pourétablir le tribunal pénal international,la société civile est aussi et surtout unesociété à bas bruits, un travail socialet démocratique au quotidien réalisépar des milliers d’associations.

Un mouvement aussi puissant ne peutavoir lieu que s’il a des racines

L’institutionnalisation du secteur social associatifet les nouveaux lieux de revendication

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C’est afin de mieux appréhender lesenjeux-clés de la société etparticulièrement du monde associatifsocial que le Conseil bruxellois decoordination sociopolitique (CBCS) aorganisé une conférence le 21 maidernier sur le thème « L’institution-nalisation du secteur social associatifet les nouveaux lieux de reven-dication ».Les questions abordées au cours dece débat ne peuvent qu’alimenter laréflexion du monde des maisonsmédicales, lui-même en pleineévolution et engagé dans un processusde reconnaissance officielle.

○ ○ ○ ○

Court plongeon dansl’histoire du secteur socialassociatif

Henri Goldman

Un court plongeon dans l’histoire dusecteur social associatif permettra demieux planter le décor.

1968 est la date fondatrice de ce quenos associations sont aujourd’hui, elleest marquée par des mouvementsd’extrême gauche avec une hyper-trophie du politique ; en Belgique, ilexiste un champ intermédiaire quiabsorbe énormément d’initiatives, lemouvement est caractérisé par desgens désirant changer de métier etmiliter à travers lui.

Trois étapes principales jalonnentl’histoire du monde associatif :

• Des associations militantes secréent, les pouvoirs publics leurconfient rapidement des missionspour pallier les carences de ceux-ci ;

• Au bout d’un long parcours, lesassociations décrochent les pre-mières subventions et emplois. A cemoment, la question qui se pose est« A-t-on encore le droit de contesteravec autant de liberté qu’aupara-vant ? » ;

• La troisième étape équivaut àl’aboutissement du phénomène : ona un secteur associatif qui devientune sous-traitance des servicespublics avec des statuts au rabais ;il n’échappe pas non plus aux taresde la fonction publique comme lapolitisation.

Aujourd’hui, la question cruciale pourle secteur social est : « Sa capaciténovatrice et contestatrice est-elle

Murièle Maldague, licenciée en sciences politiques, coordinatrice du Conseil bruxellois de coordinationsocio-politique

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profondes. Ses racines sont anthropo-logiques, la condition humaine dansla vie quotidienne a changé depuiscinquante ans d’une façon significa-tive :

• La vie est devenue plus large que letravail, on vit vingt ans de plus quedans les années 50. On n’a pasencore pris ni conscience de cechangement ni sa mesure dansl’organisation sociale ;

• Le temps disponible n’est pas seule-ment consacré aux loisirs, il a uneutilité sociale : en Belgique, il y aun million cinq cent mille volon-taires. Cela correspond au paradoxede l’individualisme : notre sociétéest repliée sur elle et en mêmetemps, nous n’avons jamais euautant de souci social. Car l’indivi-dualisme n’équivaut pas à l’égoïs-me, il existe quelque chose que nousne voulons pas perdre : notreintimité, nous voulons mener nous-même notre vie mais en construc-tion avec les autres ;

• Mai 68 a cassé toute forme dehiérarchie et a instauré une nouvellemanière d’être ensemble. L’attitudeau quotidien dans les familles, lesassociations, les usines, entre lespersonnes qui partagent des niveauxdifférents de pouvoir d’autorité s’estmodifiée dans un style plus direct.

2. La société civile évolue avec troisacteurs :

• Le politique régule le pouvoir ;• Le marché est régulé par l’argent ;• La société civile baigne dans la

communication.

Selon l’horizon utopique de cettethéorie, une société idéale est com-posée de relations de complémentarité

et d’opposition entre ces trois acteursrégulés par des logiques différentes.

Le travail de la société civile est deremettre en selle le politique et de nepas le dévaloriser. Le politique, lui,doit se repositionner en son centre etprendre des décisions politiques.

La société civile s’auto-limite,consciente de cette séparation destâches et des pouvoirs. Elle se défendpar rapport au pouvoir politique qui atendance à s’approprier le contrôle decelle-ci. La Belgique est un cas defigure avec la colonisation de lasociété civile notamment par lesdifférents piliers.

Le concept de représentativité estcomplexe ; selon les syndicats et lespolitiques, la société civile ne seraitpas du tout représentative. Elle n’a, ilest vrai, aucune légitimité au sens d’unmandat conféré démocratiquement parla société civile, contrairement aupolitique et dans une moindre mesureaux syndicats. Ce concept est com-plexe et polysémique, il peut signifieraussi échantillon significatif. Lasociété civile est représentative dansle sens significatif car elle peut donnerau politique un bon reflet desproblèmes qui se développent.

Des dissensions peuvent surgir lorsquedes interfaces entre la société civile,les associations et l’État sont mises enplace puisqu’ils existent une confusionde définition. En tout état de cause, lasociété civile ne peut opérer aucunesynthèse ; contrairement au politique,elle ne peut parler que de façonpolyphonique ou cacophonique.

On a tendance à faire équivaloir ladémocratie à quelques procédures

simples comme les élections. Alorsque des sociétés complexes nenécessiteraient-elles pas des moyenscomplexes tant sur le plan quantitatifque qualitatif ? La méthode departicipation doit évoluer et l’enjeu dela Belgique est de sortir de ce modede démocratie, du modèle decolonisation de la société civile par lepouvoir politique.

En Belgique, la participation, en tantque telle, n’est jamais pensée. Elle està approfondir pour établir un véritabletrait d’union entre la société civile etle monde politique et non plus creuserle fossé qu’on a pu par exempledécouvrir lors de la Marche Blanche.Dans les organes de consultation, ildoit exister des cellules qui réfléchis-sent l’interface entre la société civileet l’État en tant que telle. Il estnécessaire par exemple de mettre enplace un Conseil national de la vieassociative comme en France.

3. Trois niveaux sont à améliorer :

• Au niveau de l’État : faire unemeilleure distinction entre parti etEtat.Les partis ont tendance à croire quel’État leur appartient. Cela semanifeste dans les nominationspolitiques dans l’administration etdans l’orientation préférentielle dessubsides à des mouvances affiliéesà des partis politiques.

Une conséquence importante est queces organes se révèlent de mauvaisthermomètres en ce qui concernel’axe de fonctionnement de lasociété ; à travers des organescomme le Conseil économique etsocial, les personnes qui participentà ses organes d’antenne sont nom-mées politiquement, l’image qu’ils

L’institutionnalisation du secteur social associatif et les nouveaux lieux de revendication(suite)

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13Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

○ ○ ○ ○

Se visibiliser et seremobiliser

Exposé de Pascal Henry

On peut distinguer quatre carac-téristiques du monde associatif depuis1968 :

1. Une professionnalisation crois-sante du secteur dans les vingtdernières années.Le « monopole » a été longtemps dansles mains de congrégations religieuseset de bénévoles. Le nombre deprofession-nels a été croissant cesdernières années et parallèlement lesbesoins ont augmenté dans uneproportion plus grande. C’est cet écartentre le nombre de professionnels etles besoins qui est aujourd’huidifficilement ressenti.

2. Une certaine clarification desrôles.La tradition et le mécanisme deconcertation sociale empêchentparfois la visibilité des choses maispermettent de faire avancer des gensensemble. Beaucoup d’associations sesont structurées de façon positive endistinguant et en identifiant les rôlesde travailleurs, employeurs sur lemodèle du secteur marchand. On a parexemple développé le travail descommissions paritaires, l’instauration

des tables rondes intersectorielles àBruxelles qui ont conduit aux accordsdu non-marchand. On a évité desdérives caricaturales par le passé quipesaient sur les conditions de travailet sur l’action militante ; aujourd’hui,les pouvoirs subsidiants ont étéidentifiés et structurés dans des rôlesplus clairs.

3. Hyperspécialisation des rôles etmultiplication des initiatives ciblantdes publics particuliers.Dans le secteur de l’Aide à la jeunesse,par exemple, depuis 1999, il existetreize types de services différents.L’avantage est la prise en charge plusaiguë et plus spécifique du public.L’inconvénient majeur est le risque destigmatisation grandissant, ce qui peutentraîner davantage d’exclus, davan-tage de rigidité, de cloisonnement, derenvois de services à l’autre, …L’hyperspécialisation a entraîné desmodifications importantes desrapports de force dans le champpolitique et dans le champ de l’actionmilitante.

4. Dans les dix dernières années, ilexiste une subordination croissante àdes logiques d’État socio-sécuritaire.Aujourd’hui, les travailleurs sociauxsont mandatés pour contrôlerl’exclusion plutôt que pour « luttercontre ».

renvoient est donc seulement uneimage en miroir.

Une dernière conséquence est quele potentiel social d’une société estsous-exploité à travers ce type desystème.

• Au niveau des associations,améliorer le processus démocra-tique interne surtout pour lesassociations traditionnelles.Pousser la réflexion dans ladichotomie management/gover-nement. Établir une distinction desrôles : rôle de concessionnaires desservices publics, rôle de projet-pilote, rôle de militance. Il en existed’autres comme les associations quisont des communautés d’intérêt etles associations tournées versl’intérêt général.

• Au niveau de l’interface entrel’associatif, la société civile etl’État : revoir et approfondir cesinterfaces considérées commenaturelles.On doit d’abord distinguerdifférentes fonctions : décision,gestion, avis. Puis seulement, onpourra organiser les différentsorganes. Des organes doivent êtrecréés pour l’organisation del’interface lui-même, l’organisationdes écluses entre la société civile etle monde politique.

Une réflexion plus fondamentalebasée essentiellement sur ladistinction des rôles, des fonctionsavec un approfondissementtechnique de la démocratie estquelque chose sur lequel on ne peutfaire l’impasse. La démocratie estdevenue une question d’entraîne-ment.

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Les conséquences sont diverses :

• Le secteur associatif est contaminéde plus en plus par cette politique :les rapports à l’argent et auxsubsides sont particulièrementimportants ;

• La réaffirmation parfois brutale dela prééminence du secteur publicd’une façon injustifiée car il s’étaitdésinvesti dans le travail social ;

• Les travailleurs et les employeurs sesont situés différemment par rapportà cette logique d’État sécuritaire ;cela a créé des divisions internes quipeuvent miner l’associatif, le travailet les travailleurs sociaux. Lesrapports de force sont considérable-ment modifiés.

Les conséquences de ces quatrecaractéristiques sont :

1. Il existe un double mouvement derapprochement et d’éloignement enmême temps. Les travailleurs sociauxont prôné un rapprochement despouvoirs locaux avec les travailleurssociaux. C’est souhaitable mais celaentraîne des dérives :

• de type clientéliste : l’employeur esten même temps évaluateur de cesdispositifs ;

• la précarisation des emplois, plusprécarisés que dans des secteursinstitutionnels ;

• les politiques des pouvoirs locauxont peut-être des effets positifs visi-bles dans un premier temps maiscela a peu d’influence sur la politi-que globale. En même temps, l’écartgrandit entre le monde associatif etles pouvoirs subsidiants.

2. Difficulté de mobilisation. Lamilitance ne fait plus recette.

• Les contingences pèsent trop sur les

travailleurs sociaux, ils sont absor-bés dans un combat pour leursurvie ;

• Les enjeux de niveau intermédiairesont délaissés : l’investissement sefait sur les enjeux locaux etmondiaux ;

• La dimension collective est mise decôté : il est difficile de s’organiseret de se mobiliser, on est miné pardes dissensions sur des enjeux desociété ;

• On fonctionne avec une sorte d’adé-quation simpliste : ce qui est visibleet médiatique est efficace commepar exemple les contrats de sécurité.Il est vrai que dans le secteurassociatif, on travaille dans ladiscrétion, que le travail social sefait rarement dans le court terme etqu’on résiste à ce côté spectaculairedes nouveaux mouvements. Pour-tant, il y aurait nécessité évidente àse nourrir réciproquement.

A la fois, il est vital pour le mondeassociatif de davantage se visibiliseret se remobiliser ; de la même manièrepour les nouveaux mouvementssociaux de se structurer et se penchersur les choix « intermédiaires »délaissés à la fois par les nouveauxmouvements et le secteur associatiftraditionnel.

○ ○ ○ ○

Débat

Réactions de Philippe Laurent

• Les associations ont le mêmeproblème que le politique : le politiquen’arrive plus à faire de la militanceparce qu’il est empêtré dans l’électro-ménager des intercommunales, dansla gestion, … Or la militance se gère

et prend du temps ; pour garder latonicité de la militance, il fauts’organiser d’une certaine manière.

• Au niveau des systèmes de Com-mission paritaire, de la concertationsociale, je ne la rejette pas mais ça nesuffit plus. La pression des partenairessociaux est beaucoup trop forte ; ilpeut exister un contraste entre l’excel-lence de l’organisation sur le modèlede la concertation sociale et l’absencede modèles pour gérer autre chose.

• Quand on parle de société civile, onne parle pas des individus, chaquepersonne est amenée à avoir uneactivité économique, politique, … Parcontre les associations, les person-nalités juridiques, les institutionspolitiques doivent quand mêmesignaler leur raison d’être. Une bonnefaçon de reconnaître des acteurs desociété, des associations de sociétécivile, c’est de voir la composition deleur conseil d’administration formépar exemple des gouvernementsprécédents, … c’est parfois un bonindice de leur instrumentalisation.

Par ce biais on a amorti la pressionrevendicatrice de la société civile enla faisant participer à la gestion. Jeréinsiste sur l’importance de ladistinction des rôles et donc de lacomplémentarité.

Luc Uytdenbroek,directeur de Télé-Service

Toutes les associations, différentesselon leur proximité avec le pouvoir,leur démocratie interne, leur rapportaux médias, … ont leur place, leurlégitimité et leur pertinence pourautant que des relais, des réseauxexistent entre elles. L’histoire de nosassociations donne déjà des réponses,

L’institutionnalisation du secteur social associatif et les nouveaux lieux de revendication(suite)

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utilisons les ressources de chacunepour le changement social.

Willy Janssens,administrateur au CBCS

Par rapport aux réalités du mondeassociatif bruxellois, une date à retenirest 1991, marquée par les premiersaccords intersectoriels, conclusion despremières tables rondes intersectoriel-les. Durant les dernières tables rondesqui ont donné naissance aux accordsdu non-marchand, on a pu remarquerle poids des partenaires sociaux dansces négociations.

La militance s’affirme dans la rue, parcontre dans les structures du dialoguesocial sa voix est trop faible. Lavolonté de progrès doit retrouver saplace dans la concertation. Il fauttrouver un moyen d’affirmer structu-rellement la militance, la volonté deprogrès. Quels sont les chemins pourl’affirmation de la militance ?

Pascal Henry

Il est important tout d’abord depermettre aux travailleurs sociaux debénéficier des accords du non-marchand. Des réponses doivent setrouver dans les espaces de dialogueet de négociation avec les pouvoirspublics. Tous les débats politiques nepeuvent se résumer à une négociationsociale basée sur les conditions detravail. Il y a des lieux consultatifs àconcevoir ou à affiner qui doiventpermettre réellement de créer lesrapports de force.

Pour qu’ils puissent se jouer, desconditions doivent être réunies commerationaliser les instances. Dans lesecteur de l’Aide à la Jeunesse, ilexiste trente instances compétentes.

Que faire par rapport à cette pléthore ?C’est la responsabilité du politiquemais aussi celle du citoyen et despartenaires sociaux. On utilise peu lesoutils mis à la disposition des citoyenset des professionnels comme de faireposer des questions au Gouverne-ment ; on se désintéresse de tous ceuxqui ont un mandat représentantl’intérêt général.

Myriam Van Espen,vice-présidente sortante du CBCS

Un point important soulevé par PascalHenry est sans aucun doute l’absencede « l’aspect intermédiaire » ; laréflexion sociopolitique menée par leConseil bruxellois de coordinationsociopolitique va dans cette rechercheet parallèlement dans celle de relaissoulevé par Luc Uytdenbroek. Danssa réflexion, a été aussi évoqué le re-lais des problématiques de l’associatifvers les Parlementaires. Ce projet estencore en chantier et le Conseilbruxellois de coordination sociopoli-tique est demandeur de probléma-tiques communes aux associations.

Un absent de ce type de débat est sansnul doute le représentant des usagerset des bénéficiaires. Structurer undialogue devient difficile puisque lanotion de représentation des intérêtsdes bénéficiaires est faible ou passuffisamment identifiée. Politique-ment on ne peut pas avoir uneréflexion sur la société si on n’est pasattentif à cette dimension de bénéfi-ciaire, de citoyen.

Dominique Braeckman,parlementaire Ecolo

à la Région bruxelloise

Je suis sensible à la notion de relais,de réseau et intéressée par la forme.

Le travail communautaire, n’est-cepas une manière de redonner une placeà l’usager ?

Nadine Parmentier,Union chrétienne des pensionnés

Ne faudrait-il pas avoir une approcheplus systémique ? Avec l’approcheinstitutionnelle, on reste dans uneapproche très individuelle où chacundéfend son intérêt, son client, … LeCBCS pourrait-il organiser cetteapproche systémique ?

Henri Goldman

Une critique que l’on fait souvent auxpratiques concertatives : plus on metde gens en concertation pour fairecontre-poids au politique, plus onrenforce le pouvoir des politiques dedécider tout seul, non pas sur ce qu’ilfaut faire mais de dire tout seul ce quepense le peuple. Et c’est le politiquequi est le mieux placé pour élaborerla synthèse et puis dire « j’ai comprisce que vous voulez ». Il vaut mieuxque les gens structurent leur parole defaçon plus synthétique. Une force dumodèle de la concertation sociale estcertainement qu’il est un systèmelisible par le petit nombre d’acteurs.

Il y a un an et demi, on a parlé d’uneexpérience : le projet du syndicat dela vie quotidienne présenté par sesprotagonistes dont Philippe Laurent.Puisque le travail n’est plus central, ilétait possible de rassembler dans unefédération de la vie quotidienne desparents d’enfants cancéreux, desdéfenseurs des sans-papiers… Lemodèle peut-il fonctionner ?

Philippe Laurent

Non, dès le départ, j’étais contrel’appellation syndicale car elle donne

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16 Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

l’impression de pouvoir réaliser unesynthèse alors que la société civile nepeut pas opérer de synthèse en sonsein. Le laisser croire peut conduire àdes dérives poujadistes.

Par contre, il n’est pas possibled’organiser la société civile mais bienl’espace public. La meilleure façon dene rien écouter, c’est de faire semblantd’entendre tout le monde. Je crois autravail patient des centaines de groupede travail mais en s’organisant, pourcréer un nouveau modèle qui tiennecompte de cela sans être une arrière-cuisine sans intérêt.

Il existe un paradoxe dans « Ayons del’audace, retrouvons le courage demiliter ». Militer, soit on est devantune évidence impérieuse, soit on aenvie de le faire, mais s’exhorter àmiliter est paradoxal. « Est-ce quevous avez envie de le faire ? » est laquestion centrale. Si l’évidence existe,si elle est performative, on aura desmoyens d’organiser des associationsautour de la militance.

La compréhension et la participationdes médias seront certainementimportantes pour soutenir lamotivation interne car les journalistesne se trompent pas pour reconnaître« l’évidence ». Parallèlement àl’évidence, il faut une connaissancetechnique des médias ; la militancedoit se gérer comme se gère unhôpital …

Il est nécessaire d’entamer un rapportde forces avec les autorités publiquespour l’organisation d’un nouveaumodèle de participation qui dévelop-pe, approfondit et complète le modèlede la concertation sociale. Il y a despistes en France comme la Charte

d’engagement réciproque entre lesecteur associatif et l’État français quiessaye de construire le schéma générald’une participation plus poussée.

En Belgique, une partie de la militancedevrait être économisée sur des objetsparticuliers comme le social, leculturel, … pour construire uneorganisation générale du dialogue. Ala limite, les pouvoirs politiques sontaujourd’hui plus militants que lemonde associatif.

Du côté du politique, il existe uneattente. Ne faudrait-il pas pendantquelques mois faire l’impasse sur desintérêts particuliers comme lesrevendications salariales et discutercomment doit se profiler dorénavantun espace de parole, un espace publicqui peut être organisé ?

Pascal Henry

Une piste pour donner une place auxusagers est sans nul doute le travailcommunautaire, piste soulevée parDominique Braeckman, qu’on connaîtdans quelques champs législatifsnotamment les Centres de servicesocial, les Services d’aide en milieuouvert.

J’attends de voir les pouvoirs publicsqui vont eux-mêmes s’organiser.Reconnaître le travail communautaire,c’est aussi de manière caricaturalesubsidier ceux qui les critiquent ou lesinterpellent. On est donc dans unedynamique qui rend les chosescompliquées. On peut déjà essayer defaire inscrire cela dans des décrets.

L’institutionnalisation du secteur social associatif et les nouveaux lieux de revendication(suite)

Article paru dans le Bis+ n° 9 de juillet2002.

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17Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

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« Soins de santé » n’est pas« contrôle des maladies »

Pour comprendre les politiques inter-nationales de santé, il faut distinguersoins de santé et programmes decontrôle des maladies. Les soins desanté sont destinés à répondre auxproblèmes présentés par les patients -la maladie, la souffrance, l’anxiété, lerisque de mourir : c’est le rôle dumédecin de famille, de l’infirmier,dans les dispensaires et les hôpitaux.Les programmes de contrôle desmaladies ont, eux, des objectifsépidémiologiques : ils visent à réduireune cause particulière de souffranceet de mortalité, que ce soit une maladieou un problème de santé (unegrossesse non désirée par exemple).Le contrôle des maladies comportegénéralement la détection et letraitement, et, lorsque les possibilitéstechniques existent, il met aussi enœuvre la prévention, le contrôle desvecteurs et l’assainissement du milieu.

En médecine, la prise en charge desplaintes du patient est évidemmentcompatible avec celle de sa maladie.Mais ce qui distingue les soins desprogrammes, c’est leur polyvalence –le large spectre de pathologies que lapratique des soins amène à traiter. Parailleurs, il y a intérêt à intégrer soinscuratifs et préventifs et partir de lademande de soins pour proposer desactivités - un dépistage, une vaccina-tion - à un patient ou à une populationavec lesquels une relation de confiances’est tissée. C’est pour cette raison quel’intégration des activités de contrôledes maladies dans les soins de santéest le plus souvent souhaitable. Or, elleest généralement faible dans les paysen développement, parce que les

programmes de contrôle des maladiessont souvent mis en œuvre dans descentres de santé et des dispensairespublics qui sont désertés par lespatients. Par ailleurs, certainsprogrammes ou certaines de leursactivités sont aussi mis en œuvre pardes organisations spécialisées, dites« verticales » (ce que des motifstechniques justifient parfois).

Toujours est-il que la « dés-intégration » devient pratiquementinéluctable grâce aux politiquesmenées par les organisations interna-tionales de santé, puisque celles-civisent à privatiser le secteur des soinstout en prévoyant que le contrôle desmaladies reste la responsabilitéopérationnelle du secteur public.

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Finalité lucrative ou servicepublic

En simplifiant, on peut classer lesinstitutions privées et publiques endeux catégories, selon le but qu’ellespoursuivent (lequel n’est pas toujourstransparent…) : les institutions quitraitent les bénéfices comme un but ensoi (c’est le secteur à finalité lucrative)et celles dont la gestion est inspiréepar une préoccupation pour l’équité,la solidarité, l’accès aux soins, ladémocratie (accountability), et le refusde toute discrimination. Il y a donc desinstitutions de santé gouvernementalesqui ont une logique lucrative et desorganisations non-gouvernementalesqui ont une gestion à intérêt public6.

Théoriquement, les politiques deprivatisation visent à transférer lessoins au secteur privé lucratif, (quireprésente l’essentiel du secteur privé

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T Privatisation des soins de santéou développement communautaire des servicespublics ?Jean-Pierre Unger, médecin, enseignant de santé publique à l’Institut de médecine tropicaled’Anvers

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Les politiques de coopération audéveloppement menées par les paysindustrialisés soutiennent, depuis dixans, la privatisation des soins de santédans le Tiers-Monde1, 2, 3, 4. Le cycle denégociations de l’Organisation mon-diale du commerce, qui se termineraen mars 2003, risque même de mettrehors la loi toute prestation de soinsde santé qui ne serait pas privatisée –hormis les programmes de contrôledes maladies : en effet, les servicespublics pourraient ne plus êtreautorisés à délivrer les prestationsoffertes par d’autres organismes5.

Et pourtant, tout indique que lesstratégies de privatisation ont échouéà améliorer le statut sanitaire despopulations. Cet article s’attache àcomprendre les modalités de laprivatisation des soins dans les paysen développement, ses conséquenceset ses déterminants. Il conclut à lalourde responsabilité morale queporteront les dirigeants quisigneraient des accords commerciauxpermettant d’interdire l’offre publiquede soins de santé polyvalents. Ilformule aussi une politique de santéalternative qui tient compte des gravescarences des services gouverne-mentaux de ces pays.

Exposé présenté par l’auteur au Forumsocial de Belgique le samedi 21 septembre2002.

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des pays en développement), avec unfinancement et un contrôle publics.Cette approche donne aux ministèresde la santé, à l’instar de ce qui se passeen Belgique et en France), un rôle degouvernance (stewardship, rectoria)plutôt que d’offre directe de soins.

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Le transfert des soins desanté au secteur privé :cinq scénarios

Le transfert des soins au secteur privélucratif s’effectue de cinq ma-nières différentes, qui peuvent êtrecomplémentaires :

1. l’état vend ses hôpitaux, ce qui estplutôt exceptionnel (exemple : ex-Union Soviétique, Nicaragua) ;

2. l’état sous-finance les institutionspubliques de soins, que les patientsen viennent à déserter. Ceci permetau secteur privé d’offrir des soinssans concurrence subsidiée ;

3. le Gouvernement accorde auxhôpitaux une autonomie de gestionsans exercer un contrôle ni définirdes objectifs de production. Pourcompléter leurs salaires dérisoires,les membres du personnel peuventalors se partager les bénéfices deces institutions. Cette séparationpropriété/gestion (property/mana-gement split)7 est censée améliorerla disponibilité en médicamentsgrâce aux possibilités de réinves-tissement ainsi que la motivationdu personnel, sans recourir aubudget public de la santé8 ;

4. la quatrième méthode consiste àsous-traiter les soins au secteurprivé. En ce sens, les systèmesfrançais et belge constituent le

modèle que la Banque mondialeenvisage d’appliquer aux pays endéveloppement ;

5. pour compléter ces mesures, lesNations-Unies préconisent delimiter le rôle opérationnel dusecteur public au seul contrôle desmaladies, les états devant limiterles soins délivrés dans le secteurpublic à ceux que le secteur privén’offre pas « de manière compéti-tive »9. Les organisations inter-nationales recommandent doncque les centres de santé et dispen-saires publics se bornent à délivrerles activités de contrôle de quel-ques maladies (en général, latuberculose, le SIDA, la malaria,les diarrhées infantiles, et lesmaladies de l’enfance à préventionvaccinale).

Parmi ces cinq méthodes, seules laquatrième et la cinquième ont droit decité dans les articles politiques etscientifiques. Aucune institutionnationale ou supranationale nepréconise officiellement le secondscénario. Mais sur le terrain, c’est bienle sous-financement du secteur publicqui est la modalité de privatisation laplus fréquemment rencontrée. Ils’accompagne de facto d’une limita-tion des services publics aux activitésde contrôle des maladies.

Par contre, tout le monde parle de lasous-traitance des soins dans les paysen développement - mais personnen’en fait (c’est comme le sport !).Pourquoi ? Parce que les pays endéveloppement n’arrivent pas àdégager les fonds requis pour financeret contrôler le secteur privé : ils nemaîtrisent pas le nerf de la guerre, quireste entre les mains des individus.Même dans un pays communiste

comme la Chine, l’état ne dépensaiten 1998 que 38,8 % du total desdépenses de soins de santé10 contreplus de 80 % dans les pays d’Europede l’Ouest.

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Sous-traitance des soins ausecteur privé et qualité dessoins : un échec manifeste

Outre le manque de fonds, la sous-traitance se heurte à des obstacles telsque la Banque mondiale, qui tented’en faire l’expérience en Asie et enAmérique Latine depuis plus de dixans, ne peut apporter aucun résultatprobant à l’appui de sa politique. Aucontraire, tout suggère que dans lespays en voie de développement, lasous-traitance des soins au secteurprivé lucratif ne peut améliorer laqualité et l’accès aux soins à un prixraisonnable.

Signalons d’abord que l’accès auxsoins, principale victime de la privati-sation, ne semble pas préoccupergrand monde : 94 % des pays endéveloppement sont incapables deproduire leurs taux d’admission enhôpital et 91 %, leurs taux d’utilisationdes consultations externes11.

En ce qui concerne l’action des Étatssur les prestataires de soins, Figueraset Saltman reconnaissent que laréforme du secteur médico-sanitaireen Europe a requis des « compétencesen santé publique pour estimer lesbesoins, évaluer les interventions etsuivre l’impact des mesures »12. Maisces compétences font défaut dans lespays en développement. De leur côté,Brugha et Zwi y pointent desinsuffisances majeures de la qualité

Privatisation des soins de santé ou développement communautaire des services publics ?(suite)

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des soins surtout dans le secteurprivé13, et considèrent que c’est larecherche du profit qui provoquel’hiatus entre les connaissances desmédecins et leurs pratiques.

L’hypothèse d’une efficience accruedes soins lorsqu’ils sont sous-traités àdes entreprises privées ne résiste pasà l’analyse des rares étudespubliées14, 15, 16, 17. Ces études suggè-rent, à qualité similaire des soins, uncoût de production légèrementinférieur dans le secteur privé mais uncoût total supérieur pour les autoritéspubliques : la marge bénéficiaire desprestataires privés, avantagés par lescontrats, a toujours dépassé les gainsd’efficience. Sous cet angle, les seulesexpériences positives furent liées àl’achat de soins à certaines organi-sations non-gouvernementales dont lafinalité n’était pas lucrative. Parailleurs, aucune étude n’a examinél’équité de la politique tarifairepratiquée dans les services privés ; pasd’étude non plus pour déterminer sile secteur sanitaire privé des pays envoie de développement stimule lademande irrationnelle de soins – ouau contraire, favorise l’autonomisationdes patients.. Mais il y a tout lieu decroire que la pratique privée nefavorise ni la solidarité entre patientsni l’indépendance des patients vis-à-vis de leur médecin.

Dans les rares pays qui ont risqué lasous-traitance à l’échelle nationale,cette politique s’est avérée inefficaceet inefficiente. C’est en Colombie quel’expérience a été menée le plus loin.Il a fallu pour cela augmenter lesdépenses publiques de santé jusqu’àatteindre 18,2 % des dépenses de l’étaten 1997 et 17,4 % en 199810, une desproportions les plus élevées du conti-

nent18. Les dépenses de santé percapita, qui avaient stagné sous 70 USDpar an avant le début de la réforme,en 1993, ont commencé à croîtrejusqu’à atteindre 227 USD en 199819.Le résultat fut une augmentationmajeure de la proportion du produitnational brut affectée aux soins desanté : elle passa de 3,5 en 1993 à5,4 % en 1997. Mais les dépensespubliques et privées ne pouvaientcontinuer à augmenter - tandis que lacouverture sanitaire, elle, plafonnait.Selon des estimations conservatrices,elle laissait au bord de la route 40 %de la population sans assurance20, etc’était surtout les riches qui profitaientdu système : entre 1992 et 1997, lequintile de revenu le plus favorisévoyait sa couverture augmenter de35 % contre 15 % pour le dernier.Autres problèmes, la couverture parassurance ne se matérialisait pastoujours en accès réel aux soins desanté et le gaspillage était de règle21.

L’échec de la sous-traitance étaitprévisible. En Belgique, l’état réguleet contrôle le secteur privé, formuleles contrats d’achat de soins, vérifiequ’ils sont exécutés, et paye. Mais lasituation est toute différente dans lespays en développement :

• faute d’un bon contrôle social, lesÉtats permettent les nominationsclientélistes, la corruption, et lesdécisions biaisées dans l’adminis-tration ;

• les médecins fonctionnaires, sous-payés, ont presque tous une pratiqueprivée en parallèle ; ils ne vont passcier la branche sur laquelle ils sontassis en produisant des contratsavantageux pour l’État ;

• enfin la sous-traitance implique letransfert de masses financières

colossales qu’il est facile de détour-ner. C’est particulièrement visibledans des pays tels la Roumanie etl’Argentine, où ce sont les associa-tions de médecins elles-mêmes quiont géré les fonds publics destinésaux soins de santé.

Par ailleurs, l’autonomie de gestionaccordée aux hôpitaux publics aboutità un accroissement des coûts pour lesutilisateurs et à une réorientation desactivités hospitalières vers la cliniquesimple et bon marché22 : le personnel,sous-payé, a vite compris qu’il valaitmieux hospitaliser un patient riche quisouffre d’une bronchite, qu’une néces-siteuse dont l’état requiert une inter-vention chirurgicale. C’est ainsi quel’autonomie de gestion a souventabouti à soustraire les hôpitaux publicsau système de santé.

En définitive, «…ce sont des juge-ments prudents qui doivent être émisà propos du bénéfice relatif des inves-tissements consentis pour améliorerles activités du secteur privé (dans lespays en développement, ndla), aucontraire de ceux qui sont effectuésdans un secteur public renforcé»23.

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Quelles sont lesconséquences de la politiquede privatisation pour l’accèsaux soins et leur qualité dansles pays en voie dedéveloppement ?

La situation sanitaire des pays endéveloppement est catastrophique.L’accès aux soins a particulièrementreculé en Chine, dans les ex-républi-ques soviétiques, et en Europe de l’Est

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mais aussi ailleurs dans le Tiers-Monde. Près de 50 % des pays lesmoins développés ne donnent pasd’accès aux soins de santé à leurpopulation24. Un tiers de la populationmondiale n’a pas d’accès régulier auxmédicaments essentiels ; ce tauxdépasse 50 % dans les pays les pluspauvres d’Afrique et d’Asie25.

Cette situation est en partie le résultatde la situation générale des pays endéveloppement : baisse du pouvoird’achat et des salaires, crise budgétairedes Etats26, moindre priorité accordéeaux secteurs sociaux, concentration dupersonnel dans les grandes villes,corruption, et nominations politiques.

Mais la situation sanitaire des pays endéveloppement est aussi (et surtout)le résultat des politiques de privati-sation :

• d’une part, les soins dans le secteurprivé y sont chers, inefficaces, etnon contrôlés. Parce qu’ilsn’appliquent pas leurs connais-sances à leur pratique quand celaréduit leurs revenus, les médecinsprivés multiplient les actes inutiles -examens de labo, rayons X, hospi-talisations, prescriptions et mêmechirurgie. Au Brésil, par exemple,le taux de césarienne est de 31 %dans le secteur public et de 72 %dans le secteur privé27 ;

• D’autre part, l’état des soins dans lesecteur public est catastrophique.Voici ce que l’on peut lire dans leBulletin de l’Organisation mondialede la santé28 : « Où pouvez-vous êtretraité par un médecin qui a travaillél’année dernière plus de milleheures en plus de son horaireofficiel, qui a gagné quinze dollarspar mois mais n’a pas été payé

depuis cinq mois, qui a travaillésans médicaments ni bandages,dans une salle d’opération dont letoit fuit, et où il n’y a plus eu d’inves-tissements depuis des années. Peut-être dans un coin perdu d’Afrique ?Non, c’est en Europe de l’Est,d’après Ellen Rosskam, unespécialiste en sécurité du travail àl’organisation internationale dutravail ». Et de fait, la situation estépouvantable en Afrique – mais pasuniquement dans les coins perdus.Kavalier décrit, dans le Lancet,l’hôpital universitaire de Mbarara(Ouganda) comme étant « à desdécades de cette fin de vingtièmesiècle »29.

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Quelles sont les conséquencesde la politique deprivatisation pour le contrôledes maladies dans les pays envoie de développement ?

Dans la plupart des pays en dévelop-pement, l’utilisation des services desanté du Gouvernement s’est effon-drée. Au Burkina Faso par exemple,cette utilisation (exprimée en nombred’épisodes de maladie/an/ habitant) estpassée de 0,32 en 1986 à 0,17 en199730. Que se passe-t-il alors ?

Tout simplement, les programmes decontrôle des maladies ne peuvent pasatteindre leurs objectifs lorsqu’il n’ya pas de patients dans les structuresqui les hébergent – c’est-à-dire dansles services publics ; et les patientsdélaissent les services n’offrant pasdes soins de qualité, pour se tournervers les services privés qui, eux, seconcentrent sur la demande curative :

on en revient à la nécessité d’intégrerles différentes dimensions des soins,indispensable à la qualité des soins desanté primaire : « des services de santéaccessibles et efficaces sont néces-saires (mais il faut l’admettre, insuf-fisants en soi) pour combattre les troismaladies (visées par le Global HealthFund)…. Malgré une augmentationpar un facteur dix du financementexterne pour le contrôle de la tuber-culose dans les pays en dévelop-pement au cours de cette dernièredécade31, seuls 27 % des cas detuberculose pulmonaire positifs àl’examen microscopique ont accès aupaquet prévu par la stratégieDOTS32 »33.

En outre, les programmes de contrôledes maladies ont aussi le pouvoir dedétériorer les services publics enpolarisant leurs ressources à des finspropres34. Par exemple, le personneldes services publics, sous-payé, passesouvent plus de 50 % de son tempsdans des séminaires de formationrémunérés organisés par ces program-mes. La gestion par objectif, leurpierre angulaire, aboutit à transformerles organisations sanitaires enbureaucraties mécanistes. L’identitéprofessionnelle des médecins s’ydégrade, et les patients désertent lescentres de santé dont les activités selimitent à quelques activités decontrôle.

Rien ne semble donc pouvoir endiguerles épidémies des pays pauvres. Despays comme l’Afrique du Sud et laZambie ont des taux de prévalence duSIDA supérieur à 20 %, et d’autrescomme le Botswana et le Zimbabwe,plus de 30 % ! Seul un quart destuberculeux a accès au programmecomplet de traitement. La malaria

Privatisation des soins de santé ou développement communautaire des services publics ?(suite)

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s’aggrave. L’Organisation mondialede la santé parle de 1,5 à 2 millions etdemi de morts chaque année (contreun il y a vingt ans). Ces chiffressignent l’échec des programmes decontrôle autant que celui de laprivatisation des soins de santé.

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Pourquoi la « science » et lesévaluations ont-elles si peud’impact sur les décisionspolitiques du secteur de lasanté ?

Parce que les vraies raisons de lapopularité des privatisations nerésident pas dans leur impact sur lasanté des gens mais dans la conver-gence des intérêts qui les soutiennent :

• le secteur médical privé des pays endéveloppement fait pression pouraccéder aux finances publiques ;

• les classes moyennes localesrefusent de contribuer par leurstaxes au financement des soins pourles pauvres – d’où le sous-finance-ment du secteur public ;

• les entreprises exportatrices de soinsdes pays industrialisés veulentaccéder aux marchés asiatiques etlatino-américains35, 36 – d’où lalibéralisation de ces marchés ;

• les entreprises pharmaceutiquessont peu intéressées par le marchédes services publics de soins desanté, qui utilise surtout des médica-ments essentiels et génériques etdont la solvabilité est douteuse. Parcontre les programmes de contrôlede maladies, financés par lacoopération des pays industrialisés,représentent un marché intéressantpour le développement de nouvelles

molécules et pour la vente desproduits nouveaux ;

• les politiciens européens privilé-gient le contrôle des épidémies enprovenance des pays en voie dedéveloppement qui éclaboussent lespays industrialisés (tuberculose,SIDA,..), tout comme au 19ème

siècle, le Gouvernement anglaisfinançait des inspecteurs d’hygiènedans les villages pour contrôler latuberculose et les maladies sexuel-lement transmissibles ;

• et, dans les agences de l’aide inter-nationale, les fonctionnaires desprogrammes de contrôle des mala-dies, qui ont un accès privilégié auxdécideurs des pays industrialisés,voient des possibilités de carrièredans la croissance de leur program-me.

Face à une telle coalition, les argu-ments scientifiques et humanitairespèsent peu.

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Un autre monde est-il possible ?Quelques propositions pour despolitiques de santé alternativesdans les pays en voie dedéveloppement

Pour réussir, les politiques de santéalternatives doivent prendre en compteles caractéristiques sociales, politiqueset techniques des pays en dévelop-pement : le déficit démocratique dansles appareils d’état, mais aussi lesressources positives qui existent dansces pays : des communautés organi-sées, et la survivance d’un réseau decentres de santé publics que lespolitiques internationales pourraientsoutenir par des activités autres que

le contrôle des maladies.

1. Soutenir le développementcommunautaire des servicespublics37

Pendant de longues périodes, des payscomme le Botswana, le Zimbabwe,Costa Rica, Cuba, la Chine, et l’Étatdu Kerala en Inde, ont eu de bonsrésultats sanitaires38 associés à uneprestation efficiente des soins de santépar des institutions publiques39. Maisc’était il y a plus de dix ans et de nosjours, tous les services de santégouvernementaux se débattent dansd’inextricables difficultés. Quant aumodèle cubain, il ne peut s’exporterdans des environnements politiquesdifférents.

L’idéologie néo-libérale prétendapporter une solution crédible auxcarences des dispensaires et hôpitauxpublics des pays en voie de dévelop-pement en transférant leurs responsa-bilités au secteur privé. Il fautreconnaître la réalité de ces carencesmais surtout en comprendre les causes.Elles se ramènent à un facteur clé : ledéficit démocratique dans les appareilsd’état, et l’absence de solidaritésociale qui en résulte. Ce déficit estd’ailleurs, peut-être, une bonne défini-tion du sous-développement.

A défaut de pouvoir démocratiser lesministères, il faut essayer de démocra-tiser les hôpitaux et les dispensairespublics en revalorisant l’identitéprofessionnelle des médecins etinfirmiers qui y travaillent. Telle estla logique du développement commu-nautaire des services publics.

Cette approche prend aussi en compteun atout social important des pays endéveloppement : l’existence de

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22 Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

communautés qui s’organisent poursurvivre. Dans les bidonvilles de Rio,Dakar et Manille, dans les zonesrurales, en Afrique du nord, enAmérique Latine, au Moyen-Orient,et en Asie, elles pratiquent la solidaritéde manière élaborée. Elles prennent encharge les écoles primaires, l’évacu-ation des déchets, l’approvision-nement en eau, le conseil juridique, letéléphone, et jusqu’à l’asphaltage – enréponse à l’inefficacité de la solidaritéfamiliale et des États.

C’est ce potentiel qui est utilisé par ledéveloppement communautaire duservice public pour remédier à lafaillite des services publics et assurerun certain pluralisme dans la gestionde leurs structures opérationnelles -hôpitaux et dispensaires. Le dévelop-pement communautaire consiste doncà développer et démocratiser lesservices de santé (dispensaires ethôpitaux) qui affirment être mus parune logique d’intérêt public. Et il y ena beaucoup : à côté des ministères dela Santé, il y a aussi les municipalités,les organisations non-gouvernemen-tales, les églises, les mutuelles et lesassociations communautaires.

Cette démocratisation repose sur lacogestion des services de santé par lesprofessionnels et les utilisateurs. Dansleurs conseils d’administration, diversacteurs peuvent se partager lesdécisions gestionnaires. Il s’agit desutilisateurs, du personnel, des proprié-taires, d’un représentant de l’État - unmédecin de district par exemple - etd’un assistant technique. Toute pro-portion gardée, c’est sur ce principeque l’INAMI gère les finances de lasanté en Belgique.

Par ailleurs, le développementcommunautaire du service publicfavorise l’organisation des commu-nautés dans le secteur de la santé etl’implication des associationscommunautaires (les comités dequartier, de femmes, de jeunes, etc.)dans la gestion des services de santé.Mais ce qui distingue cette stratégiede celle des mutuelles européennes,c’est le dialogue entre associationscommunautaires et professionnels desanté qui se met en œuvre à l’occasionde la cogestion. Il favorise la prise encompte de la demande des populationspar les médecins, et l’action descommunautés pour résoudre certainsproblèmes de santé en réponse auxbesoins identifiés par les profession-nels de santé.

Pour qu’elle soit couronnée de succès,cette approche demande des investis-sements et l’assistance technique etfinancière de la part des États et desagences de coopération au dévelop-pement. En effet, les communautéssont trop pauvres pour pouvoirfinancer l’intégralité des dépenses desanté, en particulier les salaires desprofessionnels ; le nombre d’infra-structures périphériques publiquesoffrant de la médecine de famille etles petits hôpitaux de district estinsuffisant ; et les médicaments et lepetit matériel manquent cruellement.

L’Initiative de Bamako, lancée parl’OMS et l’UNICEF dans le courantdes années 80, était basée sur ceprincipe : investissements condition-nés à un processus de démocratisation.Elle a permis de dynamiser et dedémocratiser des services publics à descoûts raisonnables dans de nombreux

pays en développement40. Toutefoiscette initiative était perfectible, et lesdeux propositions qui suivent tententd’aller dans ce sens.

2. Promouvoir la médecine defamille dans les centres de santé etles dispensaires publics41

Pour transformer la médecine dans lesstructures publiques et y introduire lamédecine de famille et la santécommunautaire, il faudrait planifierdeux activités :

• d’une part, les généralistes et assis-tants médicaux doivent recevoir unencadrement sur leur lieu de travailqui leur apprenne à donner des soinsglobaux (patient-centred care) carleur formation est conçue sur unmodèle technique et biomédical,particulièrement inadapté aux paysen voie de développement. Ilsdoivent aussi apprendre à dialogueravec les communautés pour résou-dre certains problèmes de santé (cequ’on appelle en anglais communitymedicine) ;

• d’autre part, la qualité des décisionscliniques doit être améliorée, ce quiimplique que la médecine redevien-ne une préoccupation des ministèreset des organisations internationales.

3. Elaborer un code de bonneconduite pour les programmes decontrôle des maladies42

Ce code prévoirait entre autre que :

• les activités de contrôle desmaladies soient généralementintégrées, et qu’elles le soient dansdes services de santé qui délivrentdes soins de santé polyvalents autout-venant, sans esprit de lucre. Des

Privatisation des soins de santé ou développement communautaire des services publics ?(suite)

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23Santé conjuguée - octobre 2002 - n ° 22

exceptions sont possibles lorsque lesservices sont totalement dysfonc-tionnels et que le problème ciblé estde grande ampleur. Par exemple,dans les pays d’Afrique Australe,des services communautairesspécialisés dans le suivi des patientsqui ont le SIDA peuvent offrir unealternative aux centres de santé etdispensaires en attendant que ceux-ci soient en mesure d’hébergerlesdits programmes ;

• les programmes explicitent com-ment ils vont éviter d’interférer avecles soins dans les services où ils sontintégrés, en particulier en évitant dese fixer des objectifs exagérémentambitieux ; et qu’ils renforcent lescentres de santé et dispensairespublics par des financements et uneassistance technique non spéciali-sée.

Finalement, pour mener à bien sespropositions, il est indispensable quela politique des ressources humainessoit cohérentes. Cela suppose dessalaires décents, un processus desélection basé sur le mérite et lescompétences, un encadrement appro-prié et la stabilité du personnel.

○ ○ ○ ○

Quelles sont les appuispolitiques dont pourraitbénéficier une politique desanté alternative ?

Un meilleur accès aux soins, unmeilleur contrôle des maladies, ladémocratisation du secteur et unaccroissement de la capacité d’organi-sation des couches sociales défavori-

sées : voilà ce que l’on peut attendredu développement communautaire desservices publics. Mais il lui faut unappui politique. Quel peut-il être ?

En Europe de l’Ouest, les mutuelles,les partis ouvriers et les syndicats sesont battus pour l’accès universel auxsoins de santé – pour l’accès à lamédecine de famille et aux hôpitaux.Et en 1945, ils obtiennent une victoireretentissante : les états interviennentenfin, de manière significative, dansle financement des dépenses de santédes pauvres. Mais dans les pays envoie de développement, personne nese bat pour l’accès aux soins de santé.A travers leurs agences de coopérationet les organisations multilatérales, lespays industrialisés pensent dès lorsavoir le droit d’y réduire cet accès auxseuls programmes de contrôle desmaladies – de façon un peu méchante,on pourrait dire « à de la médecinevétérinaire ».

Par son instabilité, l’Afrique estdevenue un repoussoir à capitaux. Lesdéputés du Parti populaire européen,les démocrates et réformateursdevraient trouver dans nos proposi-tions des possibilités de stabiliser lesinvestissements dans les pays endéveloppement tout en réalisant le« service public actif » cher auxlibéraux. Pour autant qu’ils se fassentl’écho des préoccupations industriel-les, ils devraient comprendre que lesentreprises pharmaceutiques ont toutintérêt à appuyer une stratégie efficacede développement des soins de santé,susceptible d’élargir le petit marchédes pays en voie de développement -appelé « émergeant » alors qu’ilstagne depuis plus de vingt ans.

Les députés de l’Union pour uneEurope des Nations devraient com-prendre qu’il est difficile de limiterl’émigration économique sans rendreplus tolérables les conditions de viedans les pays d’où proviennent lesémigrés. Ils admettront que lesprogrammes de contrôle des nais-sances et de prévention du SIDAfonctionnent mal quand ils ne sont pasaccompagnés d’un accès correct à desservices de santé polyvalents etefficaces, des services où l’on peutrecruter les candidates à la contra-ception au moment le plus approprié.

Les sociaux-démocrates trouveront unappui auprès de leur base électoralepour exporter certains mécanismes quifavorisent la solidarité, et qui leur ontpermis de contribuer aux fondementsde la démocratie en Europe de l’Ouest.

Les écologistes devraient voir icil’occasion de mettre en pratiquecertaines de leurs propositions (dontl’exercice d’un contrôle social surl’appareil d’état) dans des contextesoù les communautés existent encore.

Si le personnel politique peut fermerles yeux sur la souffrance, la mortalitéet l’anxiété évitables par les soins desanté dans les pays en développement,il ne peut ignorer que le manqued’accès aux soins des 60 % de lapopulation mondiale qui vit avecmoins de deux euros par jour est unfacteur d’instabilité politiquemondiale. Que les services sociauxdisparaissent et l’on peut s’attendre àd’autres 11 septembre. Les Etats-Unisen sont conscients, eux qui appuientle développement des services publicsdans les pays qui ont à leurs yeux une

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importance géostratégique et militaire(en Asie Centrale, aux Philippines, eten Jordanie par exemple).

Les professionnels de santé progres-sistes peuvent contribuer à ce que lespartis politiques européens prennentla mesure de l’enjeu sectoriel. Ilsdoivent pour cela s’engager, inlas-sablement, à expliquer les alternativesà la commercialisation des activitéshumaines à finalité sociale.

L’obstination des pays industrialisésà ne pas soutenir les systèmes de soinsde santé dans les pays en dévelop-pement et à les privatiser est largementresponsable de l’échec actuel ducontrôle des maladies et de la politiquedes soins dans les pays en dévelop-pement. Les responsables quisigneraient un accord sur le commercedes services mettant hors la loi laprestation publique de soins de santéporteraient une lourde responsabilitémorale dans le désastre sanitaire,social et politique qui s’annonce.

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E De la santé communautaire à l’oppositionpolitique en passant par les droits de l’homme.L’itinéraire courageux d’un médecin tunisienPatrick Jadoulle, médecin généraliste à la maison médicale la Glaise

En Belgique, il est difficile d’imaginerque l’on puisse être poursuivi pouravoir développé des projets de santécommunautaire. Et pourtant, dans un« pays proche »...

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Depuis plus de vingt ans, le professeurMoncef Marzouki est bien connu dansles milieux scientifiques belgess’intéressant à la santé publique(Écoles de santé publique et Institutde médecine tropicale entre autres)suite à l’expérience de médecinecommunautaire qu’il a développée àpartir de son département del’Université de Sousse, en Tunisie, oùil avait charge de professeur pour lesétudiants en médecine et statut demaître de stage de santé publique pourles étudiants de quatrième doctorat del’Université catholique de Louvain.C’est dans ce cadre que j’ai eu leplaisir de faire sa connaissance fin1985.

Formé comme neurologue en Franceoù il séjourna quinze ans, de retour aupays, il se rend vite compte de lagrande importance des déterminantssocio-économiques sur l’état de santéde la population, déterminants parrapport auxquels la médecine curativereste parfois bien impuissante. Ce quil’amène à développer sur le terrain lanotion de médecine communautaire :partir de la communauté, des habi-tants, pour les aider à définir lesbesoins à rencontrer en vue d’amélio-rer leur état de santé et ensuiteinterpeller les autorités publiques pourque les moyens nécessaires soientlibérés et mis au service de lapopulation. Diverses expériences dece type sont progressivement etlentement mises en place, les étudiantsen médecine sont sensibilisés à cetteapproche, des collaborations sontnouées avec divers services d’hôpi-taux de référence, la reconnaissanceinternationale de l’expérience grandit.

Mais le pouvoir politique tunisien,après l’éviction du président

Bourguiba en novembre 1987,supporte de moins en moins bien cetteapproche communautaire de la santépublique. Car tout ce qui tend àorganiser la population est suspect auxyeux d’un régime fort pour lequel lasanté publique consiste à imposer« d’en haut » des programmes penséspar des technocrates et dont l’objectifessentiel est de faire la promotion durégime dans un esprit de propagande.

Moncef Marzouki est accusé par lesautorités de promouvoir une médecine« communiste », et il est d’autant plusmal vu du pouvoir qu’il devientd’abord président de la Liguetunisienne des droits de l’homme(LTDH) jusqu’à sa suspension par untribunal en novembre 2000, puis porte-parole du Conseil national pour leslibertés en Tunisie (CNLT), organi-sation également interdite par lepouvoir. C’est l’escalade, l’affronte-ment entre deux paradigmes, celuid’un état fort d’une part, et celui d’unpraticien de la santé publique cohérentjusqu’au bout avec ses optionsscientifiques d’un développement parla base impliquant et donc organisantla population. En 1994, déjà il avaitdû purger quatre mois de prison suiteà une condamnation pour avoiraccepté une interview dans un journalespagnol au sujet des droits del’homme dans son pays. En juillet2000, il est arbitrairement licencié deson poste à l’Université de Sousse etempêché d’exercer toute activitéclinique. Ses collaborateurs sontdispersés dans d’autres universités àtravers le pays. Puis en décembre2000, il est condamné à un an deprison pour « diffusion de faussesnouvelles » (toujours ses prises deposition sur les violations des droitsde l’homme en Tunisie) et

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générale (qui avait par ailleurs refuséde l’inviter officiellement), j’ai eu lachance de le revoir durant deux heuresà la terrasse d’un café, sous surveil-lance policière peu discrète. Cetterencontre a donné lieu par la suite àdiverses actions de sensibilisation etde soutien dans le milieu médicalbelge, en collaboration avec descollègues suisses et français.

En juillet 2001, sollicité par plusieursde ses compatriotes vétérans descombats pour la liberté, MoncefMarzouki accepte de devenir porte-parole d’une nouvelle organisationpolitique d’opposition (interditeévidemment), le Congrès pour laRépublique.

Fin septembre 2001, il est condamnéen appel à un an de prison avec sursiset privé pour au moins un an de tousses droits civils et politiques. Lapression policière s’accentue encore :sa maison est surveillée en perma-

nence par la police qui harcèle nombrede ses visiteurs et le suit dans tous sesdéplacements, lui interdisant d’entrerdans tout autre lieu privé que sondomicile. Et même s’il n’existe théori-quement plus aucun obstacle juridiqueà sa sortie du territoire tunisien, il enest quand même empêché à chaquetentative.

Mais les pressions internationalescontinuent tant de la part desorganisations de défense des droits del’homme que de la part du mondemédico-scientifique ou du Parlementeuropéen dont les députés sollicitentexplicitement à ce sujet le Présidentfrançais alors qu’il doit effectuer unevisite éclair de deux jours au Maghrebfin novembre 2001. Et débutdécembre, le pouvoir tunisien lâcheprise et laisse Moncef Marzoukis’envoler pour Paris ! Là, il retrouveses deux filles, jouit pleinement d’uneliberté de mouvement et de paroleretrouvée et rejoint son poste

« participation à uneorganisation non auto-risée » (le CNLT).

Mais les organisationsinternationales de protec-tion des droits del’homme et les milieuxscientifiques parmilesquels MoncefMarzouki est connu etapprécié veillent : desappels en sa faveur sontlancés, un comité inter-national de soutien desprofessionnels de la santépublique se constitue, dessites internet se créent etde nombreuses pressionssont exercées sur leGouvernement tunisienqui, empêtré dans sa propre logiquemais hésitant à effectivement empri-sonner le Dr Marzouki, n’a d’autrealternative que d’interjeter appel lui-même contre ce jugement, sous pré-texte d’une sanction trop clémente !

Moncef Marzouki est alors soumis àune surveillance permanente extrême-ment éprouvante : si ses déplacementsà l’intérieur du pays ne sont guèreentravés, il est soumis à une filaturepolicière quasi-constante, privé devoiture, sa ligne téléphonique est misesous surveillance et fréquemmentcoupée, il est régulièrement victimed’invectives voire de brutalitésphysiques de la part des forces del’ordre et il lui est interdit de quitter lepays pour participer à desmanifestations scientifiques.

En avril 2001, avec une dizained’autres médecins généralistes belgesparticipant au congrès annuel de laSociété scientifique de médecine

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De la santé communautaire à l’opposition politique en passant par les droits de l’homme.L’itinéraire courageux d’un médecin tunisien(suite)

Pour plus d’informations sur la situationde Moncef Marzouki, pour prendre con-naissance de ses très nombreux écrits tantmédicaux que politiques ou littéraires, voirle très bon site internet réalisé par des mé-decins suisses : <globalprevention.com>,et celui de son comité de soutien tunisien :http://membres.lycos.fr/moncefmarzouki/.Pour être tenu informé de sa situation etdes éventuelles actions futures en safaveur, vous pouvez vous signaler à monattention : Patrick Jadoulle, rue JeanEster, 172 à 6030 Marchienne-au-Pont,tél. 071/33.02.95, fax 071/30.01.39, e-mail : [email protected], ouencore à la Fédération des maisonsmédicales.

d’enseignant qui l’attend à l’Univer-sité de Bobigny grâce à l’action decollègues français.

Mais comme il l’a toujours dit, ceséjour européen ne doit constituer pourlui qu’une parenthèse, destinée à luipermettre de retrouver des forces enpoursuivant de l’extérieur son combatau service de la santé et des libertésde la population de son pays. Et àl’échéance 2004, année de scrutinprésidentiel en Tunisie, il compte bieny retourner pour soutenir tous sescompatriotes militants des droitshumains qui continuent de s’y battredans des conditions très difficiles. Nonsans risque, mais non sans courage…

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Chers collègues,

Permettez-moi d’abord d’exprimer magratitude aux professeur Paulus etPestiaux pour l’invitation qu’ils m’ontadressée à donner cette conférence. Jevoudrais par la même occasionremercier mes collègues belges et dumonde entier pour leur chaleureusesolidarité, en regrettant le surcroît detravail et de souci que je donne à desconfrères comme Patrick Jadoulle enBelgique, Virginie Halley Des Fon-taines en France, ou à Paul Bouvier etJean-Charles Rielle en Suisse.

Je me permets aussi de présenter messincères félicitations aux étudiants quiclôturent leur année académique enmédecine générale et reçoivent à cetteoccasion leur permis de pratique. Biensûr, j’aurais préféré leur adresser cesfélicitations en personne, mais ladictature en a décidé autrement.Cela fait bientôt dix ans que je suisempêché de participer normalementaux conférences internationales, ayantété dépossédé de tous mes droits, dontcelui de voyager, et ce simplementpour avoir défendu ceux des autres.

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Le patient partenaire :permis d’exister ?

Mais parlons plutôt du problème quinous intéresse, le sujet de cette confé-rence que j’ai intitulée « Le patient-partenaire, un absent de marque dansle système de soins ».

La maîtrise des dépenses de santé,obsession des pays riches, ou la maî-trise des problèmes de santé commele SIDA, obsession des pays pauvres,passent par le bon fonctionnement dessystèmes de soins. C’est la raison pourlaquelle la réforme de ces systèmes està l’ordre du jour partout dans le mondeet avec le même sens de l’urgence.

Quatre acteurs fondamentaux sontnécessaires pour faire fonctionner oudysfonctionner de tels systèmes : ledécideur politique, le gestionnaire desressources, le professionnel de santéet le patient.

Tout système est régi par des règles,dont la plus importante est celle qu’onpourrait appeler la contrainte systé-mique.

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ET

E Le patient-partenaire, un absent de marque dansle système de soins

Moncef Marzouki, neurologue

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Nous avons tendance à oublier, avecnotre médecine sophistiquée, que leprincipal acteur de la santé n’est pasla technocratie médicale mais lapersonne elle-même. Nous avonstendance à oublier, dans nos sociétésde consensus et d’abondance, que lasanté est aussi un combat culturel,économique et politique. Pour avoirmis ces idées en acte dans son pays,Moncef Marzouki subit depuis desannées des pressions intolérables.Quelques mois après avoir écrit laconférence dont nous vous proposonsici le texte, il a été condamné à un ande prison avec sursis et privé pour aumoins un an de tous ses droits civilset politiques.

Dans un système, un problème ne tientqu’en partie au fonctionnement detelle ou telle composante, il faut aussique les interactions de toutes lescomposantes fonctionnent correcte-ment.Par exemple dans notre système desoins, il ne suffit pas que les quatreacteurs soient au top de leur perfor-mance, il faut qu’ils le soient ensynergie. Si l’un d’eux est défaillant,la performance des trois autres estgravement limitée, et par-là même laperformance du système lui- même.Ainsi avons-nous beaucoup réfléchi ettravaillé, dans toutes les facultés demédecine à produire le fameux fivestars doctor.*Bon clinicien, bon préventioniste, bongestionnaire, bon pédagogue, bonchercheur, il devait apporter unegrande partie de « la » solution auxdifficultés du système de soins.

Mais quid de ce qu’on ose à peineappeler le patient cinq étoiles :coopératif, responsable, usant correc-tement du système, économe de sesressources et partie prenante de toutesles actions de protection et depromotion de la santé ?Un tel patient, que j’appelle le patientpartenaire, est aussi nécessaire à laperformance du système de soinsqu’un bon médecin, un bon gestion-naire ou un bon décideur politique.

Quels sont les facteurs qui font existerun tel patient ou en empêchentl’émergence ? Pour tenter de répondreà cette question, je me placerai dansle cadre dans lequel je fonctionne, àsavoir une société vieille par l’histoire,jeune par la démographie, de culturearabo-musulmane, en transitionéconomique et vivant sous le régimepolitique d’une dictature policière

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déguisée en démocratie d’opérette,comme le loup du chaperon rouge étaitdéguisé en paisible grand-mère. Acharge pour chacun de faire lescomparaisons et d’en tirer ses propresconclusions.

Les stoïciens reconnaissent dans lesproblèmes qui nous accablent deuxcatégories : ceux qui dépendent denous, et ceux qui ne dépendent pas denous et peuvent donc être ignorés.Nous commencerons par le déter-minant qui dépend de nous, à savoirle rôle du paradigme médical domi-nant. Mais nous ne pourrons ignorerque l’absence, ou plutôt l’interdictiond’exister du patient-partenaire, trouveaussi son origine dans le contexteculturel, le système politique et lefaible niveau économique.

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R = D x T x C

Au lieu d’une méthodologie basée surdes questionnaires plus ou moinsvalidés et un fatras de statistiques àqui on peut faire tout dire, j’ai préféréanalyser la responsabilité du médecinen observant les générations d’étu-diants et d’internes qui se sont succédédurant une bonne vingtaine d’annéesdans mon service.Le travail, dans le cadre du Diplômed’étude supérieure spécialisée (DESS)de médecine communautaire avec desgénéralistes en exercice, n’a fait queconfirmer la permanence du phéno-mène observé. C’est avec les étudiantsde première année que j’ai le plus deplaisir à explorer la place - ou plusexactement l’absence de place - dusujet dans le paradigme médicaldominant, déjà solidement implantéavant même l’entrée en faculté.

L’exercice, effectué dans les groupesd’enseignement dirigé, et même enamphithéâtre, consiste à faire réfléchirl’assistance à un problème cliniquebanal : équilibrer un hypertendureprésentatif de la population deshypertendus qu’on verrait dansn’importe quel dispensaire tunisien –pompeusement appelé centre de santéde base – c’est-à-dire d’un homme dela cinquantaine, de condition socio-économique médiocre et de niveaud’enseignement de fin d’étudesprimaires.

Je commence par demander auxétudiants de définir le résultat qu’ilsveulent obtenir par la prise en charged’un tel patient, en écrivant sur letableau un R en majuscule. La correc-tion des chiffres tensionnels est laréponse qui fuse de tous les coins.Mon attitude glaciale réfrène lesjeunes enthousiasmes.Je demande qu’on réfléchisse encoreun peu. Blocage. Je suggère qu’on semette dans la peau du patient, ou qu’ons’imagine que c’est le papa qu’on ac-compagne ce jour là chez le médecin.Il y a toujours quelqu’un – en généralune fille – pour trouver. Il faut rassurerle patient et sa famille.Ah! Voilà le grand mot lâché. Ici jesors mon attirail de citations surl’importance de rassurer, puisées chezRhazes, Avicenne et d’autres grandsancêtres. Voilà le patient concret quicommence à apparaître dans le décor,mais je sens qu’il n’y restera pas bienlongtemps.

Reste à faire trouver aux étudiants quel’objectif est d’abord et surtout depermettre au patient de mener une viesocioprofessionnelle aussi normaleque possible et de prévenir lescomplications de l’hypertension.

Voilà notre R plus achalandé, plushabillé, plus fonctionnel, mais pasforcément heureux de tous cesnouvelles charges qui l’alourdissent.

La seconde partie du dialogue consisteà énumérer les conditions nécessairesà l’obtention de ce résultat complexe.On se perd entre la psychologie, lamédecine, l’assistance sociale. Laconfusion est à son comble. Poursimplifier le problème, je dis auxétudiants qu’on ne s’occupera mainte-nant que de la partie strictementbiologique à savoir la correction deschiffres tensionnels. Tout le monde seprécipite sur ce qui est la conditionsine qua non, à savoir la nécessité d’undiagnostic exact. Je mets à côté de Rle signe = et j’écris cérémonieusementD+ pour diagnostic exact.

Ensuite ?On crie de tous les côtés la réponsequi va certainement faire plaisir aumaître - le traitement, monsieur, letraitement. On prend quelques minutespour lui trouver quelques attributs dugenre adapté, scientifique, efficace,etc.Je mets le signe de la multiplication àcôté de D+ et j’écris T+ pour le bon etscientifique traitement. La formules’écrit donc à présent R = D x T.

Ensuite ?Silence dans la foule. Il y a toujoursun peu de théâtre dans l’enseignementet l’enseignant, surtout s’il répète sapièce depuis des années, connaît bienson public et peut jouer en finesse deses émotions. Seuls le souvenir fugacequ’il y a plein de redoublants dans lasalle, peut-être en train de se moquerde votre numéro, vous gâche un peule plaisir. Quand le silence est devenuparticulièrement dense – les redou-

Le patient-partenaire, un absent de marque dans le système de soins(suite)

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blants ayant été priés de ne pas vendrela mèche - il faut jouer de la provo-cation et annoncer que R peut être nulmême si D et T sont justes à 100 %.Tempête sous les jeunes crânes. Leparadigme inconscient subit à l’évi-dence une secousse sismique.Comment peut-on obtenir un résultatnul en médecine, si on a fait le bondiagnostic et prescrit le bon traitement.Enfin quelqu’un trouve le talond’Achille du paradigme – de nouveauc’est une fille – : «Monsieur, s’il neprend pas ses médicaments, le maladene va pas guérir». Élémentaire moncher Watson.

Notons au passage la remarquablerésistance des étudiants, voire desmédecins à l’utilisation du termepatient, préférant parler de malademême s’agissant d’une consultationd’ophtalmologie pour prescription deverres correcteurs.Le groupe réalise le tour de cochonfait par ce patient à des années de durapprentissage des diagnostics et destraitements. Quel gâchis, quelle insulteaussi à tous ces chercheurs qui ont mistant d’eux-mêmes à trouver ce bonmédicament négligemment oubliédans un tiroir ? Voilà donc le sujetintroduit dans la saine pratiquemédicale par un acte de rébellion, pourne pas dire de sabotage. Je complètela formule en ajoutant un signe demultiplication suivi d’un joli Cmajuscule, expliquant que C signifiecompliance, que compliance réfère aucomportement qui consiste à prendreau moins 80 % du traitement prescrit,que les dernières thèses faites dans leservice sur le sujet ont montré qu’ellene dépassait pas 35 % dans le cas del’hypertension, et que le résultat estdonc nul chez au moins 65 % de nospatients correctement diagnostiqués et

traités. Je ne manque pas de leursignaler que sur le plan économiqueet compte tenu du fait que nousimportons une grande partie de nosmédicaments, l’ardoise pour la Tunisieest sévère, et que ce gaspillage insenséde nos maigres ressources est inac-ceptable.

La formule complète s’écritmaintenant : R = D x T x C.Il devient clair à ces forts enmathématiques, filière hélas presqueobligatoire d’accès aux étudesmédicales en Tunisie, que R peut êtrenul, non seulement si D ou T est nulmais aussi si C l’est.Le plus difficile est à venir carl’excitation - où pointe l’indignationet parfois la rancœur - est à soncomble. Maintenant il faut réfléchirsur le pourquoi de ce comportementaberrant. Les opinions fusent departout. Je consigne en toute vitesseles idées et les accusations, qui devrontêtre discutées et ordonnées dans undeuxième temps.Tous les groupes avec qui j’ai fait cetexercice m’ont paru remarquablementstables dans leur approche duproblème. Il y a d’abord la litanie dela majorité sur le malade tunisienindiscipliné, ignorant, peu coopératifetc. J’ai appelé ce flot d’accusationscontre le patient, le discours de droite.En effet, il va susciter un discours toutaussi véhément et de sens contraireque j’ai appelé le discours de gauche.Il est le propre d’étudiants parlant malle français, passant facilement àl’Arabe révélant un fort accent desrégions pauvres de la Tunisie profondecomme le Nord-ouest ou le Sud. Leurdiscours insiste sur le fait que si l’onne prend pas ses médicaments, c’estparce qu’ils sont trop chers, qu’onhabite loin des pharmacies. Les filles

ramènent le calme en faisant remar-quer que les hommes, pauvres ouriches, sont en général plus indiscipli-nés que les femmes, mais que s’ils ontune femme dans le dos, ils vontprendre leurs médicaments. Il y atoujours quelqu’un pour faire rire legroupe en affirmant qu’avec ou sansfemme, il n’acceptera jamais de semettre un suppositoire.

Il ne faut pas plus de vingt minutes engénéral, pour que le groupe retrouvetous les déterminants de la compli-ance. Le réseau complexe de cesdéterminants finit par se dessiner et jepeux alors expliquer le concept depatient–partenaire. Si la complianceest si nécessaire à la réussite de la priseen charge et si elle est un comporte-ment qui dépend du patient, nousn’avons pas d’autre choix que de lanégocier avec lui. Le médecin doittraiter avec le patient en tant qu’il estune personne qui peut adhérer ou nonau traitement, à qui il ne suffit passimplement de donner des ordres carles comportements humains sontstables, complexes et libres.Pour faciliter l’émergence de cecomportement, il faut nous assurer del’accessibilité géographique etéconomique, discuter avec le patientde ses habitudes, craintes, antécédentsen la matière.Il faut longuement lui expliquerl’enjeu et ses difficultés, obtenir sonadhésion, sa collaboration, lesrenforcer au fil des visites, analyserles causes de l’échec plus que probableen début de traitement, stimuler etassocier le mari ou l’épouse dansl’effort de pression amicale, etc. Ainsile patient finit par devenir partieprenante dans la conduite dutraitement. Il devient l’artisan de sapropre guérison. S’établit alors une

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relation de confiance, de collabora-tion, voire de complicité enrichissantepour les deux parties.

Les filles notent avec application lesparoles du maître, les garçons baillentaux corneilles. Ce n’est plus un coursde médecine mais un cours d’éduca-tion civique. Les forts en maths, c’estbien connu, n’aiment pas les sciencesmolles. Heureusement qu’il y a lescours d’épidémiologie et de statis-tiques pour mériter un peu de respectet de crédibilité.

Quelques années plus tard, je retrouvemes adolescents un peu vieillis, maisquand même beaucoup moins quemoi. Ils sont internes dans le serviceet doivent effectuer une formationintensive avant d’être envoyés dans lescentres de santé primaires de la région,passer leur stage obligatoire de quatremois de médecine générale. Leprogramme de formation comprend la

prise en charge des pathologieschroniques et c’est l’occasion dereprendre pour la marteler l’idée depatient-partenaire qui va maintenantdevenir une réalité incontournable.

Vous avez dit compliance ? Euh !C’est quoi déjà. C’est le… pronostic.Au début de ma carrière, jem’étranglais d’indignation en voyantque rien n’avait survécu de monenseignement. Pourtant ma formuleavait un grand succès parmi lesétudiants qui l’appelaient avec unegentille ironie : l’équation deMarzouki. Et pour cause, elle sortaitpresque systématiquement à tous lesexamens et de génération en généra-tion d’étudiants de première année, onse passait la consigne : surtout ne pasfaire l’impasse sur R= DxTxC.Mais voilà que mes internes butent surl’exercice. R reste désespérément =DxT. Ces jeunes gens et jeunes fillessont visiblement beaucoup moins

intéressées par le débat que du tempsde leur innocente fraîcheur. Ce qu’ilsveulent c’est des recettes sur la priseen charge de l’hypertension, dudiabète, de la diarrhée du nourrisson,etc. Tout le reste relève du superflu.

Au début, j’incriminais l’oubli.Aujourd’hui je sais qu’il s’agit derejet. C’est par un processus actif,volontaire, que la majorité desétudiants ont décidé de chasser de leuresprit la notion de patient – partenaire,car elle n’avait pas de place dans leparadigme dominant dans lequel ilsont baigné pendant cinq ans, à peinedérangé par les brèves et inefficacesmises en doute de l’enseignement dela médecine communautaire.Durant ces années, un rude appren-tissage a mis ces cerveaux déjàlargement préparés par les stéréotypessociaux en conformité avec leparadigme dominant. Le paradigme atoujours des conséquences pratiques.

Le patient-partenaire, un absent de marque dans le système de soins(suite)

Il va nourrir, renforcer,justifier un certain type decomportements et d’at-titudes. C’est ainsi que jeverrai, impuissant et frustré,des générations d’internesmarmonner quelques ordressecs aux patients en fin deconsultation en leur balan-çant une ordonnance malécrite, et passer au suivant,dans une course effrénéecontre le temps, sûrs d’avoirfait correctement leur travailpuisque leur travail d’aprèsle paradigme est de faire desdiagnostics corrects et deprescrire les traitementsappropriés. Le reste commedisent les anglophones :none of my bisness…

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○ ○ ○ ○

Des paradigmes médicaux...

Le paradigme est un des concepts lesplus difficiles à décrire. Ce n’est pasune théorie, ni même un ensemble dethéories. C’est une façon souventinconsciente d’ordonner son savoir etson ignorance. Il permet alors de voirles choses, les êtres et les problèmes,d’une certaine façon. Ce faisant, ilocculte les autres façons de voir. Ilpermet de voir et rend tout autantaveugle.

Les hommes ne peuvent pas plusfonctionner avec deux paradigmes queles ordinateurs ne peuvent fonctionneravec deux systèmes d’exploitation.Quand il y a conflit de paradigme, lasélection darwinienne tend à éliminerle plus faible.

Nous vivons une période où s’affron-tent en médecine, parfois de façonsubtile et d’autres fois à couteaux tirés,deux paradigmes difficiles à concilier.

Dans le premier, qu’on pourraitappeler bio-techniciste ou médico-biologique, la médecine croit trouverson compte dans une solide allianceavec les sciences biologiques, à lalimite en devenant elle-même une purescience biologique. Ce paradigmedominant voit la médecine comme unescience analysant les dysfonction-nements des organes, dont un quis’appelle la psyché, et comme unetechnique les réparant comme onrépare n’importe quelle machinecomplexe. Les dysfonctionnements dela machine doivent être traqués dansles gênes, remonter aux protéines malproduites, de là aux tissus mal tissés,aux organes mal placés, mal formés,

mal défendus, mal irrigués. Dans cemodèle, tout ce qu’on demande aupatient est de prêter son corps le tempsde la révision générale, ce qui n’exclutnullement la courtoisie ou la compas-sion, mais exclut l’essentiel : larelation d’égalité. Dans la vision bio-techniciste conquérante, l’efficacitén’a besoin que du médecin pour réglertous les problèmes. Le patient est à lalimite inutile.

Dans le second paradigme qu’onpourrait appeler médico-social, lamédecine va chercher son efficacitéplutôt dans un mariage fécond avec lessciences humaines. Elle va déplacerson centre d’intérêt de la maladie à lasanté. Son objectif n’est plus de guérirles maladies mais de restaurer,protéger et promouvoir la santé. Ellereconnaît l’importance des facteursbiologiques mais les relativise auprofit d’une vision plus largeimpliquant les facteurs écologiques,culturels, socio-économiques etpolitiques. Dans ce paradigme, l’actede restaurer la santé, de la protéger etde la promouvoir ne se conçoit passans le patient-partenaire.

○ ○ ○ ○

... aux déterminantsculturels...

Mais la victoire du paradigme social,même totale, serait insuffisante à elleseule à faire bouger la montagne. Iciapparaît le rôle structurel desdéterminants culturels, politiques etéconomiques.Le déterminant culturel nous renvoieaux types de rapports qui se tissententre les membres d’une société, aussibien dans le champ du visible, que

dans le spectre de l’imaginaire et dusymbolique.

Parmi les séminaires de formationintensive organisés pour nos internes,celui de l’éducation sanitaire est pourmoi le plus important, une sorte dedernière tentative pour faire émergerla relation susceptible de donner corpsau concept de patient-partenaire. Ils’agit le plus souvent de séances desimulation, où la consultation d’unépileptique, d’un diabétique etc. estjouée par deux internes et discutée parle groupe. Ces scènes, je les ai vu jouerdes centaines de fois par desgénérations d’internes, répétantcomme des automates les mêmesgestes, parlant au patient avec lesmêmes intonations, s’adressant à luiavec des termes similaires, selon undiscours extrêmement stéréotypé.Mon travail d’animateur consiste nonà corriger les messages éducatifs – ceque les internes exigent et n’obtien-nent jamais - mais à leur faire prendreconscience de ce qui se passe lors del’entretien.

Par exemple, je leur demande denommer la position de départ où lemédecin s’assoit derrière son bureauen face du patient, et non du mêmecôté de la table. Les internes gênés, ladécrivent comme une position demaître de classe. Ceux de gauche – ilarrive qu’il en subsiste encorequelques spécimens - comprennentl’importance du détail et renchéris-sent : c’est la position du juge, voiredu commissaire de police.

Je leur demande de qualifier lesintonations de la voix de celui qui jouele médecin. Ils sont tous d’accord pourles décrire comme autoritaires,

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cassantes, hautaines. Même les fillesadoptent ces intonations. L’analysedes contenus – que je transcris autableau, la faculté m’ayant toujoursrefusé une vidéo - est une série dedécouvertes qui met le groupe de plusen plus mal à l’aise.

Je demande qu’on qualifie la structuredu message éducatif. Les mots les plusutilisés sont alors : leçon, ordres,explication de texte, publicité, propa-gande, prêche. On s’arrête longuementaux phrases – clé du genre : si tu neprends pas ton insuline comme je te ledis, tu risques de perdre connaissance,de devenir aveugle, impuissant, etc.De nouveau je demande qu’on qualifieces phrases. Peur, crainte, châtiment,obéissance sont parmi les qualificatifsles plus utilisés.

Prudemment, j’interviens en sug-gérant de réécrire le même messagede façon positive. Le groupe accouchedans la douleur d’un message moinstoxique comme : prends ton insulinerégulièrement et tu n’auras pas àcraindre les complications du diabète.Violentes protestations. « Monsieur,me dit-on, vous ne connaissez pas lesTunisiens. Ils ne marchent qu’à lamenace et à la peur et encore ». Legrand mot est lâché. Suit alors unegrande discussion sur les vertus de lapeur, seule arme pour faire reculer leSIDA, convaincre les mauvaismalades de prendre leur traitement,enfoncer les bonnes informations dansles têtes en bois.

Je demande alors qu’on décrive lestechniques d’apprentissage subies àl’école. Certains remontent dans leurssouvenirs jusqu’à la « falaka »,largement utilisée dans les écolescoraniques d’antan. Il s’agit d’un bout

de bois attaché à une corde avec lequelon enserre les pieds de l’enfant pourappliquer les coups de bâton sur laplante. Sans s’en rendre compte, lesinternes revivent et reprennent à leurcompte tout simplement les tech-niques dont ils ont été eux-mêmesvictimes pour adopter les bonscomportements : autoritarisme,hiérarchie, infantilisation, bourrage decrâne, intimidation, chantage, menace,voire violence physique. Dans un telcontexte, demander à une personne quin’a pas accédé à sa propre autonomiede reconnaître celle de l’autre, apparaîtcomme une absurdité. Le paradigmeà faisceau étroit de la médecine bio-techniciste n’a fait que s’accrocher àune configuration mentale qui lui estaussi adaptée qu’un récepteur cellu-laire à sa molécule spécifique.

○ ○ ○ ○

... aux déterminantspolitiques et économiques...

Le lien entre le déterminant culturelet le déterminant politique est étroitsans être simple. Il faut un terreauculturel particulier pour générer tel outel système politique. Mais ce dernierpeut renforcer des traits culturelscomme il peut leur faire barrage.Ainsi, c’est sur un terreau culturelprofondément hostile à la libération dela femme qu’un pouvoir politique enavance sur sa société a aboli dèsl’indépendance la polygamie et fit dela scolarisation massive des filles l’undes acquis les plus importants du pays.Aujourd’hui, la situation est inversepuisqu’un pouvoir en retard sur lasociété empêche son évolution vers ladémocratie, et donc l’émergence ducitoyen, lui-même préalable politiquedu patient-partenaire.

Je me garderai bien de m’enliser icidans une tentative de définir ce qu’estun citoyen. Disons simplement que lecitoyen est quelqu’un qui s’impliquedans les affaires de la cité et participeà la gestion des problèmes collectifs.Cette sortie hors du champ desproblèmes privés est depuis Periclesla condition sine qua non de la pleinecitoyenneté. N’a-t-il pas dit : « Nousathéniens sommes le seul peuple aumonde à considérer ceux qui nes’occupent pas de politique, noncomme des citoyens tranquilles, maiscomme des citoyens inutiles ? ». Lecitoyen est donc une personne utile,car consciente de ses droits et de sesdevoirs, les assumant et les exerçantdans tous les champs des activitéssociales, dans le respect de la loi, etsans vivre dans la peur. Dans unedictature policière comme celle danslaquelle je vis, il y a autant de citoyensque de cheveux sur la tête d’unchauve.

En fait, la population de sujets del’État totalitaire peut être divisée enquatre grands groupes distincts.Au plus bas de l’échelle vit une masseconsidérable de pauvres gens et degens pauvres, humiliés, apeurés,avilis, manipulés, qui pour survivredoivent quémander leurs droits. Ilssont trop occupés à survivre pourdécoller de leurs problèmes privés.Au-dessus de cette couche de lapauvreté impuissante existe unefraction non négligeable de gensrecroquevillés sur leurs petitsproblèmes personnels, égoïstes,dociles et serviles, vivant dans et parla désinformation, fortement encou-ragés à se passionner pour le footballpour les hommes et les sériessentimentales de la télévision pour lesfemmes.

Le patient-partenaire, un absent de marque dans le système de soins(suite)

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La troisième couche, beaucoup plusmince, est constituée d’hommes et defemmes luttant désespérément pourcomprendre ce qui leur arrive, refusantun sort qu’ils savent injuste etinjustifié. Il est rare qu’ils possèdenttoutes les clés pour comprendrel’origine de leur malheur.Seule une fraction infime, petitecouche superficielle sur cette coupegéologique de l’aliénation, revendiqueet exerce dans la lutte et la répressionson droit à la citoyenneté, c’est-à-direà l’autonomie et à la participation.Le patient-partenaire ne peut se recru-ter que dans cette infime minorité. Ilaura autant de difficulté à exister faceau paradigme médical qu’à exister entant que citoyen face au paradigmeculturel dont la dictature politique estl’expression caricaturale.

Il est évident que le statut économiqueest aussi un paramètre clé dansl’émergence du patient-partenaire.L’impuissance des pauvres à modifieren leur faveur les règles du systèmede soins est étroitement corrélée à leurdépendance économique. N’ayant rienà débourser, ils n’ont rien à réclameret surtout pas l’ingrédient nécessaireau statut : le respect. Le système d’as-sistance médicale gratuite, qui apermis au système tunisien de prendreen charge pendant des décennies lapopulation la plus pauvre, a été aussiun formidable frein à l’émergence dupatient-partenaire. Développant desattitudes d’assistés chez les usagers,il a encouragé l’arrogance des méde-cins, l’incurie de l’administration etl’auto-satisfaction du décideurpolitique.

La situation ne s’est pas beaucoupaméliorée avec le progrès du systèmed’assurances. Les assistés sont tout

simplement devenus des revendi-cateurs. Et pour cause, il manquait uningrédient fondamental pour faire deces gens en mesure de payer lesservices de santé, des personnesresponsables individuellement etcollectivement : la liberté.

Le patient–partenaire n’est passeulement la personne physique ducolloque singulier, mais aussi unepersonne morale incarnée dans cesmultiples associations de malades, desoutien aux projets de recherche surtel ou tel problème de santé.La richesse de ce réseau en Belgiqueou en France a toujours fait monadmiration, avec une petite pointed’envie. Parmi les nombreuses libertésindividuelles et collectives confis-quées par l’Etat totalitaire en Tunisie,le droit à l’association a été et reste lapremière grande victime.

Au début des années 90, j’avais tentéen vain de susciter la créationd’associations d’usagers en espérantqu’elles échapperaient à la paranoïa dusystème.Dans la circonscription où étaitimplanté le service, la tentativerencontra un écho très favorable. Uneassociation de promotion de la santécommunautaire fut créée par deshabitants, menée tambour battant parun instituteur enthousiaste. J’avaisinterdit aux membres de l’équipe d’enfaire partie, pour ne pas recréer desrelations hiérarchiques en leurdemandant de se mettre simplement àla disposition de l’association.

Ce fut la goutte qui fit déborder le vasede l’administration : l’association nefut jamais autorisée. On calma vitel’enthousiasme de l’instituteur, leservice fût dissout au premier conflit

sérieux entre le pouvoir et la Ligue desdroits de l’homme dont j’étais leprésident à l’époque. Fort heureuse-ment je n’étais pas le doyen de lafaculté, le pouvoir aurait été capablede la fermer pour tuer la subversiondans l’œuf.

○ ○ ○ ○

Pour des patients et desmédecins citoyens

A quoi cette réflexion peut-elle meneren pratique ? D’abord, elle permetd’expliquer des échecs cuisants. Oncroyait dans les années 80, qui ont vuse développer les grandes réformes dusystème de soins tunisien, qu’ilsuffisait de mettre sur le marché debons médecins, de bons gestionnaireset les ressources indispensables pourque la machine ronronne.

Nous avions oublié la contraintesystémique. Les nombreux dysfonc-tionnements du système n’étaient pasdus seulement à l’étroitesse d’espritdes médecins, au faible niveau decompétence des décideurs et desgestionnaires, mais aussi au nombredérisoire de citoyens parmi les usagersdu système.Mais que faire puisque l’émergence dupatient-partenaire est d’abord unelente maturation liée à l’avance del’éducation, de la démocratie et dudéveloppement économique.

D’abord le médecin se doit d’être luiaussi un citoyen et de participer encette qualité à la maturation de cesparamètres. En tant que professionnel,il peut anticiper sur la vague défer-lante, comme il peut essayer de s’yopposer. Pour cela, il lui faut refuserun paradigme dans lequel il a été élevé.

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Rien n’est plus difficile. On rentre enconflit avec soi-même et avec l’envi-ronnement. La question qui se pose estde savoir pourquoi on doit quandmême le faire. Parce que le paradigmebio-techniciste qui semble pourtantdonner de si bons résultats est tropétroit, trop simpliste et de par là mêmegénérateur d’inefficacité.

Disons d’emblée que sa contestationexterne, telle qu’elle a été menée pardes idéologues comme Illich dans lesannées 60, ou des sociologues commeBozzini, fortement teintée d’idéologievoire d’anti-médicalisme primaire, aeu peu d’impact.

La vraie source de la remise en causeest interne et se développe aujourd’huiavec force pour des raisons purementmédico-médicales. De plus, elle n’estpas nouvelle puisque le paradigmemédico-social est aussi vieux que lamédecine elle-même. Nourri d’Hippo-crate, renforcé au long des siècles partous les grands « apôtres » de la santépublique comme Avicenne, Rhazes,Ibn El jazzar, Chadwick, Virchow, etplus proche de nous Thomas Mann,le paradigme médico-social est à lamédecine ce que le Gulf Stream est àl’océan. Il en est une partie intégrante.Il la traverse et la féconde tout enrestant distinct, autonome, différent.Ce courant ancien, profond et tenacepuise sa puissance non seulement dansune revendication éthique d’égalité etde justice sociale face à la maladiemais aussi dans une revendicationd’efficacité.

Le patient a disparu en tant qu’acteurautonome et responsable parce que lesvictoires de la médecine bio-techni-ciste donnaient l’impression qu’onn’aurait plus désormais besoin de lui.

Des maladies comme l’appendicite oula méningite ont semblé donner raisonà cette démarche : une bonnetechnique chirurgicale et de bonsantibiotiques guérissent vite et bien.Collaborer signifie se laisser faire etrien de plus. Or voilà que même lesmaladies infectieuses, largementresponsables de l’illusion d’uneguérison sans participation, se révèlentfortement dépendantes de comporte-ments complexes et libres, qu’ils’agisse de compliance dans le traite-ment de la tuberculose, du bon usagedes antibiotiques ou du contrôle desmaladies sexuellement transmissiblesdont la pandémie du SIDA.Qui plus est, la transition épidémio-logique qui installe dans tous les paysles maladies chroniques en tête du hit–parade comme premières sources demortalité et de morbidité rendmarginales les thérapeutiques-expressqui peuvent faire l’économie du sujet.

Les étudiants en médecine ne réalisentpas à quel point la nosologie des pro-blèmes de santé est une constructionintellectuelle temporaire qui reflète lesavoir et l’ignorance d’une époque.Combien de maladies « voyait »Hippocrate et que nous ne « voyons »plus ? Combien de maladies que nousavons étudiées sur le banc des facultésvont se dissoudre, se redistribuer dansde nouvelles entités pathologiques ?De ce point de vue, on pourraitréorganiser des chapitres entiers de lamédecine en partant des comporte-ments et des attitudes. Ainsi onenseignerait le « manger », le« fumer », le « conduire », le« boire », le « se traiter », l’« aimer »comme des problèmes de santémajeurs où les composantes de cescomportements seraient au centre del’analyse, montrant leurs effets sur la

santé. Le traitement des problèmes desanté se révèlerait dans toute sacomplexité et ne se réduirait plus à desprescriptions, souvent des cautères surune jambe de bois. Une telle approchemettrait en scène et en exergue lepatient dans sa totalité, dans sacomplexité de vivant, et non plusseulement comme un gène ou unorgane défectueux.

Il ne s’agit pas de prise de positionidéologique, mais de science, detechnique et d’efficacité. On resteconfondu, a posteriori, quand on atravaillé assez de temps avec lesépileptiques ou les handicapés, de sedire que la souffrance psychologiquea été à peine signalée dans les coursde formation.Or, c’est l’autre face cachée de la luneque la pratique découvre. Rien ne peutêtre fait avec les épileptiques sans undéblayage du terrain concernantcraintes, phobies, préjugés, ragotsentendus, sans une mise à nu del’anxiété permanente chez cespatients. C’est toute une sémiologiesur laquelle la neurologie classiquereste aveugle, seuls l’intéressant lessymptômes dits objectifs. De la mêmefaçon aucun résultat ne peut êtreobtenu sans une intervention enprofondeur sur la compliance.

La condition sine qua non de la priseen charge efficace passe par le travailsur les attitudes en amont de laprescription et sur les comportementsen aval d’elle, restés eux aussi endehors du faisceau étroit de l’analyseclinique classique.Le changement dans le statut dupatient lié à cette évolution ainsi quel’émergence et la domination desmaladies chroniques ne permettentplus la survivance d’un paradigme

Le patient-partenaire, un absent de marque dans le système de soins(suite)

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aussi primaire. Le médecin n’a passeulement à mettre à jour ses connais-sances, mais aussi ses paradigmes.

En réalité le patient–partenaire n’estrien d’autre que le signe et la récom-pense d’une bonne pratique médicale.Et c’est cette bonne pratique que jevous souhaite, tant pour votre gratifi-cation que pour celle de la personnequi s’en remet à vous pour être sou-lagée de l’angoisse ou de la douleur.

○ ○ ○ ○

Je vous souhaite de garder lacouronne invisible

Permettez-moi de conclure en voussouhaitant aussi de garder le pluslongtemps possible ce qu’un proverbearabe appelle la couronne invisible.La santé, d’après ce proverbe, est une« couronne invisible posée sur la têtedes bien portants que seuls voient lesmalades ».L’homme que je suis, talonné dans lemoindre de ses déplacements par lesvoitures banalisées de la policepolitique, surveillé jour et nuit, donttous les visiteurs sont controlés par despoliciers postés à tous les carrefoursconduisant à sa maison, empêché devoyager, de publier, de travailler, cethomme dis-je, voit une deuxièmecouronne sur vos têtes qui vous est toutaussi invisible : la liberté.Puissiez vous les garder toutes lesdeux le plus longtemps possible et nepas oublier que beaucoup d’hommeset de femmes, de par ce vaste monde,n’ont eux sur la tête qu’une couronned’épines.

Sousse le 30-05-2001. *Voir le cahier de Santé conjuguée n°11,2000

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Axel Honneth1 participe, avec diversauteurs européens et américains2, audéveloppement d’une vaste école depensée qui prend en compte lessouffrances provoquées par les dénisde la reconnaissance. Cet angled’approche, souvent situé auxfrontières de l’expérience de la viequotidienne, de l’interrogationphilosophique, du savoir sociologiqueet des pratiques psychanalytiques, viseà déterminer et à expliquer les conflits,les stratégies et les enjeux autour desluttes et des valeurs dites « postmaté-rialistes » ou « postsocialistes »3. Ilconvient à partir de ces réflexions,d’en tirer, pour notre propre compte,un certain nombre de questionnementspolitiques.

« …le traitement préventifdes maladies correspondraità la garantie sociale derelations de reconnaissancesusceptibles de protéger leplus largement possible lessujets contre l’expérience dumépris »

(Honneth, 1999 : 16)

Les conflits sociaux qui portent sur lespratiques et les valeurs de lareconnaissance « ne naissent pas deproblèmes de redistribution, mais dequestions qui touchent à la grammairedes formes de vie ». Il s’agit là dedemandes de réparation, de justice,demandes de reconnaissance de sesparticularités, d’exigence de respectou négativement de refus catégoriquedu mépris, de l’irrespect que d’autrespourraient nous manifester. Plusieursfaits observés dans la vie courantenous incitent à ouvrir l’œil sur ces

nouvelles conflictualités, sur cesnouvelles tendances émergentes dansla vie sociale, politique et culturelle :la jurisprudence fait droit aux plaintespour mobbing ou harcèlement moral,les tribunaux condamnent plusfacilement les actes racistes, les étudesépidémiologiques démontrent claire-ment le haut taux de suicide des jeuneshomosexuels, elles pointent lamauvaise santé et la dépressionnerveuse qui affectent davantage leschômeurs privés à leurs yeux dusentiment de pouvoir participervalablement à la vie économique,politique et sociale. Des chercheurs del’école criminologique françaiseconçoivent le concept de « sociétéincivile » pour rendre compte de ladégradation des routines de la viequotidienne en milieu urbain :accumulation insensible de micro-grossièretés, de vandalisation desespaces publics, petites violences,insultes anodines, etc.

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Malaise en démocratie

Les partis démocratiques sontrelativement mal à l’aise face àl’émergence de ces nouveaux enjeuxet nouvelles conflictualités. Plusieursraisons peuvent l’expliquer : il nes’agit pas là, directement du moins4,d’enjeux redistributifs ; ainsi deman-der à être reconnu n’équivaut pas à unedémarche de type « partage dugâteau ». Difficulté donc de recoderces enjeux là sur l’axe traditionneldroite-gauche. En outre, à la différencedes conflits « matérialistes », quipeuvent s’avérer coopératifs5, cer-taines revendications peuvent léserl’identité par les différences qu’elles

SO

CI

ET

E Comment fonder les politiques de prévention ?Axel Honneth et les politiques de la reconnaissance

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Les professionnels de la santé sontconfrontés à de nouvelles demandesauxquelles ils ne sont pas préparés àrépondre. Ces « nouvelles » problé-matiques constituent les symptômesd’une mutation sociale et exigent desprofessionnels de santé qu’ilsrepensent leur place et leurs modesd’intervention. S’appuyant sur laréflexion de Axel Honnet, PierreAnsay nous invite à partir despathologies sociales pour construirela santé du vivre ensemble.

Pierre Ansay, philosophe

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marquent : les personnes et lesgroupes attachés à la famille tradition-nelle considèrent le mariage homo-sexuel et la possibilité pour les coupleshomosexuels d’adopter un enfantcomme une atteinte à la famille et àl’identité du mariage6, la reconnais-sance des médecines parallèles peutdéstabiliser le paradigme d’unemédecine trouvant sa légitimité dansles protocoles scientifiques et lesappareillages technologiques depointe. En outre, bon nombre deconflits et de revendications émanentde micro-groupes, à partir d’uneindividualisation des trajectoires, del’invention imprévisible de nouveauxmodes de vie. Ils se prêtent peu àl’organisation verticale et pyramidaledes appareils politiques et syndicaux.Ils se conjuguent moins à partir desgrands ensembles structurés demanière autoritaire et davantage àpartir de réseaux souples, fluctuantset horizontaux. Ils n’empruntent pasleur dynamique dans une logique« haut-bas » d’ascension et decontestation sociale, « nous voulonsavoir plus et monter plus haut », maisdans une logique « dedans-dehors »,« nous voulons, malgré nos différen-ces que vous devez reconnaître, êtrededans comme vous ». On trouve làun mélange détonnant de revendi-cations simultanées aux droits à ladifférence et aux droits à la ressem-blance : « laissez nous être différentsmais respectez-nous, aidez-nouscomme les autres ». Témoin de cemalaise, l’extrême difficulté qu’ont lesorganisations syndicales d’intégrer lesrevendications dites « de qualité de lavie », on pense par exemple auharcèlement sexuel sur les lieux detravail, au harcèlement moral exercépar les collègues ou supérieurs et à la

tabagie sur les lieux de travail. Enfin,ces revendications sont difficilementmesurables et évaluables et il estdifficile d’évaluer dans quelle mesureles revendications peuvent êtresatisfaites à la suite de l’applicationde politiques publiques.

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Que veut concrètement dire« communiquer avecautrui ? »

La réflexion d’Honneth s’appuie surune conception enrichie de ce que peutvouloir dire « communiquer avecautrui ». Je ne me construis pas à partirde la tour d’ivoire où je m’enfermepour observer le monde d’en haut, nidans l’aventure de Robinson sur sonîle, mais à travers une myriade d’inter-actions avec les autres, dans la rencon-tre face à face ou au sein de collectifs.Je me découvre à partir de la traditionculturelle de mon milieu familial etsocial et je m’invente dans laréalisation de projets que je construisavec autrui. Quand je communiqueavec lui, ce n’est pas seulement pouréchanger des informations ou pourargumenter selon des procéduresrationnelles. Quand je communique,je demande, implicitement ouexplicitement à l’autre de memanifester tendresse, estime, respect,confiance. Je lui demande de melégitimer, de me prendre au sérieux àpartir de ce que je dis, mais j’attendsaussi qu’il me manifeste de l’intérêt àpartir de ce que je suis, à partir desparticularités, des originalités qui meconstituent, bref, j’attends qu’autruime reconnaisse dans le mouvementmême où je suis disposé, voiredésireux de le reconnaître : « le

développement d’une identité requiertl’affection des proches, le respectuniversel et des solidarités de groupe »(Chaumont J.-M. et Pourtois H.,1999 : 4) ou encore : « dans le langagecourant, on trouve trace de l’idée,tenue pour évidente, que, de manièresubliminale, nous devons notreintégrité humaine à l’assentiment ouà la reconnaissance émanant d’autressujets » (Honneth, 1999 : 12).

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Partir des pathologiessociales pour construire lasanté du vivre ensemble

L’originalité de la réflexion deHonneth vient du fait qu’il prend leschoses à rebours. Au lieu de réfléchirthéoriquement et de nous dire : « voilàcomment devrait être la société justeet bonne à partir de telles et tellesvaleurs orientées par la reconnais-sance », il examine concrètement etmet en place une grammaire précisedu mépris, il étudie avec une précisionanatomique les formes d’avilissementinfligées à la personne. Et c’est à partirdes trois classes de mépris, des troisgammes d’attitudes de non-recon-naissance dont il déploie l’analyse,qu’il construit et qu’il met en place desformes de remédiation, de compen-sation qui peuvent se jouer au niveauindividuel, intersubjectif comme auniveau social et politique.

L’intérêt de cette typologie du mépris,de la non-reconnaissance, de l’insulteest sans doute qu’elle génère pournous, en aval de cette description, unmenu varié de mesures politiquesconcrètes pour construire « uneatmosphère préventive »7.

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Grammaire du mépris

Conçu d’une manière générale, lemépris désigne un comportementadopté par autrui qui nous estpréjudiciable parce qu’il porte atteinteà la personne dans sa compréhensionpositive d’elle-même, compréhensionqu’elle a acquise par des voiesintersubjectives. C’est ainsi que l’onpeut recenser des « blessures identi-taires » qui nous sont infligées pard’autres8. Nous ne pouvons devenirnous-mêmes qu’à partir de l’appro-bation et la reconnaissance d’autrui àtravers des processus de communi-cation globalement gratifiants. Al’inverse, encourir le mépris, lacalomnie, la médisance, l’ironieblessante de la part de personnes quenous serions susceptibles de valorisernous fait douter de nous-mêmes, entant que sujets de désir, acteurssociaux, fabricants techniques,parents, époux(ses), amant(e)s. Lemépris qu’autrui nous porte peut êtredissolvant pour notre identité, soit déjàacquise pour l’adulte, soit en construc-tion pour l’enfant ou l’adolescent(e).Dans certaines circonstances, noussommes amenés à introjecter, àcautionner le verdict négatif qued’autres émettent à notre sujet. Lecaractère ravageur du racisme9 tientjustement dans la capacité tragiquedont font preuve les victimes àintégrer, donc à donner raison auxinsultes et B. Bettelheim, analysant lescamps d’extermination nazis,parvenait à la même conclusion. Ainsi,nous pouvons nous dire : « s’ils disentque je suis moins que rien, c’est queje suis moins que rien, donc mesadversaires ne sont pas si mauvais queça, puisqu’ils ont raison, et donc

puisqu’ils ne sont pas si mauvais queça, alors je souffre moins du traitementqu’ils me réservent, c’est un traitementapproprié infligé par des gens pas simauvais avec qui je pourrai peut-êtretenter quelque chose plus tardpuisqu’ils ne sont pas si mauvais ».

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Les offenses faites au corps

La première classe de mépris porte surles offenses faites au corps de lavictime, à son intégrité physique :tortures, viol, violences diverses,harcèlement sexuel, maltraitance.« … la particularité de formesd’offense physique, telles que la tor-ture ou le viol, ne réside pas seulementdans la douleur physique qu’ellesengendrent. Il s’y ajoute le sentimentd’avoir été exposé sans défense à lavolonté d’un autre sujet jusqu’à en êtreprivé de tout sens de la réalité»(Honneth, 1999 : 14). Notre corps estcomme sali, nous pensons que nousperdons son contrôle, qu’il n’est plusnous, pire qu’il sera objet d’abjectionpour autrui, que nous ne pourrons plusséduire et désirer quiconque. Noussommes envahis de fantasmes néga-tifs. Nous perdons confiance en nousdans la profondeur de notre manièred’être au monde en tant que nous som-mes un corps. L’attachement émotion-nel à autrui sera perçu comme une me-nace dangereuse pour notre intégritéou du moins pour ce qu’il en reste :les récits de personnes violées fontsouvent état de l’impossibilité qu’ellesont d’avoir des relations sexuelles épa-nouissantes avec quiconque : «la for-me la plus élémentaire du rapport àsoi, la confiance en soi, est durable-ment détruite» (Honneth, 1999 : 14).

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Les ravages de « l’exclusionsociale »

La seconde classe de mépris a trait àce qu’Honneth nomme improprementl’exclusion sociale10. Certains habi-tants sont durablement « exclus »,privés de la jouissance de certainsdroits et de certains accès, à des biensmatériels, à des espaces de délibé-ration, à des sources d’information, àl’exercice de sa capacité constructiveet critique de participation citoyenneau sein d’assemblées délibératives,etc. La situation du chômeur de longuedurée est emblématique de cet état defait. L’esclave, le prisonnier, la person-ne colloquée, le parent déchu de sesdroits parentaux montrent d’autresfigures de cette déchéance « juridi-que ». Des formes de mépris insi-dieuses ou plus franches dénient à lapersonne le droit de « dire son mot,son avis » à propos d’enjeux socié-taux, les parents mêmes sont dévalori-sés aux yeux de leurs enfants, de parla destruction de leur statut social detravailleur, leur autorité morale etparentale est minée et ils risquent deperdre le contrôle et l’estime de leursenfants. «… l’expérience de la priva-tion de droits s’accompagne, de ma-nière typique, d’une perte de respectde soi, de la capacité à se rapporter àsoi-même comme à un partenaire d’in-teraction pourvu des même droits quetous les autres» (Honneth, 1999 : 14).

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L’homophobie, le sexisme etle racisme

La troisième classe d’actes de méprisa trait au dénigrement d’individus et/

Comment fonder les politiques de prévention ?Axel Honneth et les politiques de la reconnaissance(suite)

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ou de groupes offensés, insultés dansles particularités émergentes de leurpersonnalité ou de leur mode de vie :il s’agit là de minorités, ethniques,sexuelles, religieuses, diététiques, telsles cyclistes, les végétariens, lesadeptes des médecines parallèles, lestravailleurs d’origine immigrée, lestémoins de Jéhovah, etc. Ces groupesse dégagent de l’ensemble flou de lasociété du même, certains d’entre-euxexercent une sorte de droit àl’infidélité relativement à leurs origi-nes, ils adoptent des comportementsperçus comme déviants, bizarres,sujets de moqueries, voire de racisme.Les modèles de vie et les idéauxauxquels ils s’identifient sont déva-lorisés et par ricochet, ils en viennentà douter de la pertinence de leurengagement, à perdre l’assurance eneux-mêmes, en leurs qualités et leurscapacités propres. Ils perdent l’estimede soi, « Confrontés à la dévalori-sation des modèles de réalisation desoi auxquels ils adhèrent, des indivi-dus ne peuvent pas se rapporter àl’accomplissement de leur existencecomme à quelque chose qui est investid’une signification positive àl’intérieur de leur propre commu-nauté» (Honneth, 1999 : 15).

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« L’esprit » et « le corps » nefont qu’un dans le malheur

La perte de confiance en soi provo-quée par l’agression corporelleconduit à la mort psychique, la pertede respect de soi provoquée par laprivation de droit conduit à la mortsociale et le mépris dépréciant lesvaleurs culturelles et le mode de vied’un sous-groupe ou d’un individu

engendre la perte de l’estime de soilézardée par les blessures psychiques :« L’expérience de l’avilissement et del’humiliation sociale comprometl’identité des êtres humains toutcomme la souffrance générée par lamaladie compromet leur bien-êtrephysique» (Honneth, 1999 : 15).Toute politique de santé préventive seconstruit sans doute sur le postulatbien fondé de l’individu comme unitépsychosomatique. En d’autres termes,les blessures physiques ont leurcorrespondant dans le psychisme etl’inverse. Les statistiques épidémio-logiques le confirment abondamment :les chômeurs sont en plus mauvaisesanté, vivent moins longtemps et àBruxelles, les hommes des communesde la première couronne vivent enmoyenne 8,2 ans en moins que leshommes de la seconde couronne11.

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Quelles sont les stratégies deprévention et les dispositifsde réparation ?

Concernant le rapport que l’individuétablit à son propre corps, l’inverse duviol est l’amour. Dans l’amour, nousnous attachons émotionnellement àautrui et nos affections reçoivent des

confirmations positives de la part desautres. L’amour n’est rien d’autre quela reconnaissance affective : «Lors-qu’il fait l’expérience d’une tellereconnaissance affective, l’individupeut adopter à l’égard de lui-mêmeune attitude de confiance en soi…l’assise d’une sécurité émotionnelledans l’expression de ses propresbesoins et sensations» (Honneth,1999 : 17). Il semble a priori difficilede généraliser les comportementsd’amour à partir de textes de loi et dedispositifs incitatifs. Mais à tout lemoins, l’éducation à la citoyenneté,une gamme de dispositions socialespeuvent éviter que le recours à laviolence soit la seule manière dontdisposent des individus ou des groupespour exprimer leurs désirs ou exposerleurs revendications. Des stagesd’initiation aux procédures démocra-tiques, l’apprentissage des comporte-ments adéquats pour désarmerpacifiquement les situations potentiel-lement violentes permettront auxacteurs d’avancer dans cette direction.En outre, si on ne peut imposerl’amour, on peut du moins atténuer lesblessures provoquées par la haine etla violence : les dispositifs de téléaccueil, SOS viol, SOS femmesbattues, l’aide aux victimes, unegamme complexe de dispositifs

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sociaux appuyés sur des textes de loipermettent à la société de venir en aideaux victimes de violences physiquespar des dispositifs thérapeutiquesappropriés. En outre, les programmessociaux relatifs à la désaffilation12,conçue comme un processus évolutifde perte des relations sociales etprofessionnelles et d’implosion desrelations privées et familialescomportent un volet socio-affectif :bon nombre de processus d’aidecomportent maintenant un voletfamilial visant à revalider les relationsde la personne en détresse avec sonunivers familial.Relativement aux situations deprivation de droits, quand les individusou les groupes se voient empêcherl’accès à un travail, quand la pénuriede ressources les empêchent dedisposer des biens sociaux premiersnécessaires pour construire une viebonne, quand la pauvreté les empêchede participer valablement à laconstruction de la société, il convientde mettre en place, voire de conforterle rôle et les capacités de l’État, à lafois dans l’extension et la diversité deslois et des dispositifs qu’il valide afinde lutter contre la pauvreté, de fourniraux plus démunis un panier de bienset de services marqués d’une certaineinconditionnalité et, en outre, à partirdes ressources individuelles et/ou degroupe, aider les personnes à retrouverles bases sociales de l’estime d’eux-mêmes par la participation à desgroupes de développement commu-nautaire dont les revendications sontbasées sur l’assise des droits créance :« nous avons droit à un logement sain,à une éducation épanouissante pournos enfants, à des revenus deremplacement, nous vivons dans undes plus efficaces États Providence dumonde ! »13.

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Comment valoriser lacitoyenneté en santé ?14

La valorisation de la citoyenneté ensanté prendra trois formes : stimulerla participation active des habitants etdes milieux sociaux et culturels auxpolitiques de santé publique, consacrerla participation active des habitantsdans les processus thérapeutiques àpartir d’une conception élargie du soinet consacrer par des textes de loi lesdroits des patients relativement aupouvoir médical qui se déploie sureux. L’atmosphère préventive dans ledomaine de la santé est confortée parle fait que les habitants sont invitéspositivement à exercer leur citoyen-neté, par la diffusion d’informationsadéquates, par l’animation au sein desécoles, par la constitution de groupesde patients. L’effet est double : la santédu patient est améliorée et le respectqu’il porte à lui-même est restaurépuisqu’il participe activement à ladélibération relative à la mise en placed’actions qui le concernent au premierchef.

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Reconnaître et valoriser ledroit à la trahison

Relativement aux pratiques de déni-grement des minorités, il convient sansdoute, abstraitement de consacrer ledroit à la trahison. L’infidélité à sesorigines ne peut pas, dans une sociétélibérale avancée, recevoir de sanctionsmorales négatives. Positivement, lasolidarité au sein du groupe permet àl’individu de recevoir des confirma-tions positives et des encouragementsà l’engagement qu’il a pris dans samanière de se démarquer au sein de

son mode de vie estimé par lui et parautrui comme particulier : «…larelation de reconnaissance… aideprécisément l’individu à acquérir unetelle estime de soi, à une attituded’assentiment solidaire à l’endroit demodes de vie alternatifs» (Honneth,1999 : 18). Respecté par les autres, ils’estimera davantage. Ce qui pointe iciest la généralisation d’un « libéralismebienveillant » : plusieurs conceptionsde la vie bonne peuvent simultané-ment coexister au sein d’une sociétédémocratique, mais il convient que lescultures minoritaires soient protégéesdes agressions méprisantes, desinsultes et des dévalorisations dont lespartis d’extrême-droite se sont fait unespécialité. Ce qui est en jeu ici, c’estd’empêcher, préventivement, qu’unparticularisme culturel ne se mue enculture dominée par le jeu libre desmarchés et/ou par des attitudes dedénigrement tolérées par le pouvoirpublic. Diverses lois, punissant leracisme, élargissant le domaine desdroits aux minorités sexuelles parexemple, vont dans le sens de favoriserl’estime des autres. L’éducationpermanente a là un immense chantierà poursuivre et divers dispositifs desoins et d’aide sociale peuvent contri-buer à valoriser ceux qui migrent, dansleur corps, dans leur mentalité, dansleurs croyances et dans l’espacegéographique.

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L’expérience de la honte etde la mort sociale

Guère de difficultés, sans doute, àtrouver dans la société ceux qui fontl’expérience amère de la honte et pourqui les violences sur le corps,l’expulsion hors du domaine des droits

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et le dénigrement de ses particularitésse rassemblent dans la même ettragique unité. Le sans domicile fixe,la (le) prostitué(e), le chômeur delongue durée constituent des figuresurbaines qui collationnent ces troisformes de déni de reconnaissance :perte de confiance en soi, de respectde soi et d’estime de soi. Le drame, laculpabilité qui nous travaillenttiennent sans doute au fait que nousanticipons leur mort prochaine, queces personnes proches spatialement,(et c’est là, notons le, une dimensiontypique de la vie urbaine), sontcondamnées à mort sans procès, sansun avocat qui défende le prévenu (?)déjà « prévenu » de sa mort prochaine,on pense à Joseph K. dans la dernièrepage du Procès : « …l’un des deuxmessieurs venait de le saisir à lagorge ; l’autre lui enfonça le couteaudans le cœur et l’y retourna par deuxfois. Les yeux mourants, K… vitencore les deux messieurs penchéstout près de son visage qui observaientle dénouement joue contre joue. –Comme un chien ! dit-il, c’étaitcomme si la honte dût lui survivre ».(Kafka, 1972 : 325).

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Des situations limites

Cependant, l’encouragement politiqueà l’établissement d’actions transver-sales comme la promotion d’axes detravail pointu visant à porter aide etsecours à des groupes et individusparticuliers ne vont pas sans poser deproblèmes. «Car si toute souffrancesociale mérite d’être entendue etanalysée, toutes les stratégies deréparation ne méritent pas d’êtrereconnues» (Chaumont J-M. etPourtois H., 1999 : 8). Certains

dispositifs de compensation et deréparation, vu leur coût, ne seront passupportées intégralement par lespouvoirs publics15. Et puis, certainesmanières de répondre à la haine et aumépris ne font qu’étendre le registrecontagieux de la violence, tels lescomportements de vendetta. Com-prendre le déni de reconnaissancen’est pas approuver sans distanciationn’importe quelle stratégie de compen-sation. En outre, tout particularismen’est pas a priori positif : ainsi, lenégationisme, la non-reconnaissancedont « bénéficient » les parlementairesd’extrême-droite au sein des hémi-cycles parlementaires se justifientmoralement et politiquement. Le dénide reconnaissance dont souffrentcertaines populations peuventconduire certains individus à lacriminalité, au vote et au dévelop-pement des partis d’extrême-droitedont la haine, l’humiliation ressentiesont de puissants moteurs.

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Élargir le domaine de lasécurité sociale ?

En outre, la pensée d’Honneth nousconduit vers les frontières entrel’intime et le social. Bien des blessuresencourues par les individus naissentde « piques » humoristiques, voired’agressions ironiques qu’il serait vainde vouloir réprimer pénalement.Convenons en outre que l’actionpolitique, et cette considération vautpour tous les partis politiquesdémocratiques, ne vise pas à donnerdes leçons de morale même si certainsdispositifs juridiques y incitent. Leslois visant à étendre le domaine desdroits aux minorités sexuelles, cellesqui répriment les actes racistes, les

dispositifs légaux déployant l’arsenaldes ressources disponibles pour lessoins palliatifs montrent que lelégislateur s’ouvre davantage auxproblèmes de vie et au souci de soi.L’opinion publique, dans son immensemajorité, approuve implicitementl’action d’un État libéral culturel-lement et redistributif socialement quimette en place à la fois des actionspréventives et des dispositifs deréparation. La pensée d’Honneth faitsigne vers l’élargissement de la sécu-rité sociale vers des domaines autre-fois réservés à l’intime et au cerclefamilial.L’émergence des particularismes, lamontée en force de l’individualismelibéral, l’accroissement des mobilitésde divers ordres (géographique, social,philosophique, marital) favorisentl’éclosion de nouveaux enjeux et denouvelles conflictualités. « Les as-pects « immatériels » d’une politiquede la reconnaissance ne sont passolubles dans les enjeux habituel-lement pris en compte par lespolitiques sociales et économiques »(Delchambre, 1999 : 31). Comment,dans l’action publique comme dans ledébat politique, ces conflictualitéspeuvent-elles être traitées optimale-ment, en y faisant droit sans pourautant oblitérer les conflictualités plustraditionnelles qui gardent encore leurvigueur dans la régulation des sociétésdémocratiques avancées ? Lesquestionnements, les mutations quisecouent le travail social plustransversalisé avec le travail en santé,les questionnements qu’ils s’adres-sent, les partenariats mis en place avecles acteurs de l’insertion et de la santé,avec les urbanistes et les acteurs dulogement sont au cœur des réponsespratiques à apporter à ces enjeuxnouvellement légitimés par la société

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et la classe politique. Car dans la viebanale et quotidienne, tout se mêle, lesfemmes et les hommes qui souffrentet qui aiment ne cessent de trans-versaliser pour leur propre compte, ilsassocient et recomposent comme desgrands, ils intègrent autant les méprisqu’ils composent des réponses desurvie sans attendre les exhortationspolitiques à la transversalité issues dedémarches hypersectorielles.

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Notes

(1) Axel Honneth est le successeur deJurgen Habermas à la chaire dessciences sociales à l’Université deFranckfurt.

(2) Notamment les philosophes belgesBerten A. et Pourtois H. Dir., Libérauxet communautariens, Paris, PUF,1997, Chaumont J.-M., La concur-rence des victimes, Génocide, identité,reconnaissance, Paris, La Découverte,1997, le numéro 2, Volume XXX,1999, de la revue Recherchessociologiques entièrement consacréeà la réflexion d’A. Honneth. Plusieursphilosophes américains ou canadiens,dont M.Walzer, Sphères de la justice,Paris, Seuil, 1983, S. Cavell, W.Kymlicka et C. Taylor inscrivent cegenre de débats dans la question« chaude » du multiculturalisme et deses effets pervers.

(3) Le terme « postsocialiste » est dûà la théoricienne féministe américaineNancy Fraser. Il faut cependant segarder de voir là une incapacitéqu’auraient les partis sociauxdémocrates de prendre cesrevendications en compte. Voir plusloin.

(4) On verra ultérieurement que desliaisons et des articulations sontpossibles entre diverses revendica-tions postsocialistes ou postmatéria-listes et les enjeux redistributifsclassiques. Ainsi, il semble légitimeque certaines minorités culturelles etles animateurs des communautéshomosexuelles réclament des disposi-tifs d’aide spécifiques et mieuxadaptés au profil et aux spécificités deleurs problèmes et demandes.

(5) On pense notamment aux diverscompromis sociaux qui ont structurél’histoire et la vie sociale de laBelgique, notamment le Pacte socialde 1944 et à divers partages de res-sources accompagnant les accords dela Saint Polycarpe. Pour rappel, un jeuest dit coopératif quand les deuxparties peuvent y gagner à la différen-ce d’un jeu à somme nulle, où les gainsde l’un correspondent aux pertes del’autre (le jeu d’échecs est un belexemple de jeu à somme nulle, commela plupart des compétitions sportives).

(6) Voir à ce sujet le récent avis duConseil d’état qualifié de rétrogradepar le Gouvernement fédéral.

(7) Selon le concept fondé par leDr Matot, du centre de guidance del’Université libre de Bruxelles.

(8) Dans Le Vif L’express du 30novembre, le professeur A. Eraly,(Institut de sociologie de l’ULB)décortique les blessures encourues parles politiciens dans cette mare auxrequins impitoyable qu’est l’arènepolitique.

(9) Dans son adieu au Centre bruxel-lois d’action interculturelle (CBAI),Bruno Ducoli rappelait cette parole duRoi Baudouin en visite au centre : « ily a des regards qui tuent ». Dans le

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numéro 2, 1999, des Recherchessociologiques, la sociologue ChristineSchaut retrace avec une finessed’analyse rarement égalée lesstratégies de compensation quedéploient certains jeunes immigrésface au racisme et au mépris dont ilssont l’objet.

(10) Sur la critique du conceptd’exclusion sociale, voir P. Ansay etA. Goldschmidt, Dictionnaire dessolidarités, Bruxelles, EVO, 1999,articule « exclusion et expulsionsociale » et F. Ligot, « Exclusionsociale, La définir pour en finir »Démocratie, 15 octobre 2001, pp. 1-4.

(11) Lire notamment G. Herman,« Chômage et attente dereconnaissance », Recherchessociologiques, Volume XXX, numéro2, pp. 139-157, 1999. De nombreusesstatistiques établies par l’Observatoirerégional de la santé confirmentempiriquement cette hypothèse.

(12) Il convient sans douted’abandonner définitivement leconcept d’exclusion sociale, tropstatique et risquant de favoriser lesétiquetages et la stigmatisation ettravailler à partir de la réalité évolutivede la désaffiliation.

(13) Au CPAS d’Andenne, Mme

Monique Pineur a organisé des espa-ces de « prendre et donner la parole »et des espaces « du donner et durecevoir ». A la mission locale deForest, le développement commu-nautaire passe d’abord par larégularisation des DENI (demandeursd’emploi non inscrits), puis parl’organisation de groupes délibératifsen contact fréquent et institué avecl’autorité communale.

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Article paru dans le Bis n° 150 de juillet2002.

(14) Ce paragraphe doit beaucoup àla réflexion de Thierry Lahaye.

(15) Par exemple, il semble peuprobable qu’une institution de soinspuisse prendre en charge l’intégralitédu coût d’une analyse, pratiquée àraison de trois séances par semaine.

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Références bibliographiques

Ansay P., La ville des solidarités, EVODRISU, Bruxelles, 1999.

Chaumont J-M. et Pourtois H.,« Introduction » in Recherchessociologiques, Volume XXX, numéro2, 1999.

Delchambre J.-P., « Déinstitution-nalisation, vulnérabilité et enjeux dereconnaissance », in Recherchessociologiques, Volume XXX, numéro2, 1999.

Habermas J., Écrits politiques, Paris,Cerf, notamment le chapitre VI, « Lacrise de l’Etat-Providence », pp. 104-126, 1990.

Herman G., « Chômage et attentes dereconnaissance : Approche par lathéorie de l’identité sociale » inRecherches sociologiques, ibid.

Honneth A. « Les limites dulibéralisme. De l’éthique politique auxEtats-Unis aujourd’hui » in Berten A.,Da Silveira P. et Pourtois H. Eds,Libéraux et communautariens, Paris,puf, pp 359-374, 1999.

Honneth A. « Intégrité et mépris :Principes d’une morale de lareconnaissance », Recherches socio-logiques, Volume XXX, numéro 2,1999.

Kafka F., Le procès, Paris, Folio, p.325, 1972.

Schaut C., « Dénis de reconnaissanceet stratégies de réparation » inRecherches sociologiques, VolumeXXX, numéro 2, 1999, pp. 85-101.

Taylor C., Multiculturalisme.Différence et démocratie. Paris,Flammarion, 1994.

Walzer M., Sphères de la justice, Paris,Seuil. Lire notamment le chapitre 11,sur le thème de la reconnaissance, pp.349-390, 1997.

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TE Les violences conjugales : mythes et réalités

Alain Dessard, médecin généraliste à la maison médicale la Passerelle et Anne-Marie Offermans,sociologueCollaborateurs : Claudine Dawance, Philippe D’Hauwe, Dominique Filée, Alberto Parada, Anabelle Piron, EveleyneRey, médecins ainsi que Anely Colas, psychologue

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En Belgique, selon une étudeuniversitaire de 19981, une femme sursept est victime de violencesconjugales.

Projet de recherche-actionvisant l’élaboration d’un outil desensibilisation et de préventionen matière de violences conju-gales destiné aux médecinsgénéralistes.

Promoteur : le Collectifcontre les violences familialeset l’exclusion de Liège (CVFE).

Partenaires : la Société demédecine générale, commis-sion de Liège, et l’Intergroupeliégeois des maisons médicales(IGL).

Recherche financée par leministère wallon des Affairessociales et de la Santé.

Pays Taille et caractéristique % au coursde l’échantillon d’une vie

Pays-Bas (1989) 1.016 femmes âgées de 20 à 60 ans 26

Canada (1993) 12.300 femmes âgées de 18 ans et plus 25

Suisse (1994) 1.500 femmes âgées de 20 à 60 ans 21

Finlande (1997) / 22

Prévalence, chez les femmes, des formes de violences physique et/ou sexuellecalculée sur base d’échantillons représentatifs de population4

C’est vrai que des « femmes battues »dans notre pratique, nous en connais-sons tous, mais quelle proportion deces femmes connaissons-nous autotal ? Si l’on s’en réfère aux statisti-ques, nous n’en connaîtrions qu’uneinfime proportion : 5 à 10 %… ce quilaisse dans le silence plus de 90 % desfemmes victimes de violenceconjugale2.

Pour comprendre les raisons de cettesous-évaluation du problème par lemonde médical, nous allons passer enrevue certains faits chiffrés, des hypo-thèses explicatives et nous tenteronsde déconstruire certains mythes.

○ ○ ○ ○

Des faits et des chiffres

Comme le met en évidence la dernièreenquête réalisée en Belgique sur lethème des violences interpersonnelles(Université du Limbourg, 1998)3, laviolence au sein du couple touche plusspécifiquement les femmes. Lagravité* et la fréquence des situationsvécues sont identifiées : 13,4 % desfemmes interrogées (une femme sursept âgées de 20 à 49 ans) ont subidurant leur vie des violences physi-

ques et sexuelles graves et répétées dela part de leur partenaire ; 2,3 % deshommes en sont également les victimes.

Les données relatives à la populationféminine belge sont corroborées pardes études menées dans d’autres pays.Des taux de prévalence d’actes deviolence subis par les femmes calculéssur une vie et ce, quels qu’en soientleurs degrés de gravité, sont reprisdans le tableau ci-dessous.

Si les résultats de ces recherches sontpour le moins impressionnants, il estsans doute nécessaire de rappeler,comme l’ont fait les Pays-Bas et laSuisse, l’importance de toutes lesautres formes de violences associéesà ces violences physiques et sexuelles,c’est-à-dire les violences verbale,psychologique et économique.Une certaine prudence reste de rigueurdans l’analyse et l’interprétation desdonnées, vu le manque d’homogénéitéau niveau des formes de violencesétudiées (le nombre et la nature desitems demandés), le contexte danslequel elles s’exercent et les outils decollecte utilisés. On peut toutefoisconclure que les femmes sont les plusexposées aux formes graves deviolences physique et/ou sexuelle.

* La gravité est estimée au départ de troisindicateurs : l’interdépendance entre lesdifférents actes, le vécu subjectif de lapersonne et l’importance des conséquen-ces sur la vie future de la personne.

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La méconnaissance de laproblématique des violencesconjugales

Parmi les raisons avancées par lesprincipales recherches réalisées sur cethème, certaines sont propres auxfemmes victimes de violences,d’autres incombent aux professionnelsde la santé, ou encore relèvent de lasociété elle-même tant par rapport auxvaleurs qu’elle véhicule qu’auxsolutions d’aides proposées. Quantaux auteurs de violences, vu la raretéde leurs consultations sur ce problème,il est difficile de se baser sur eux pourla connaissance de cette problé-matique.

• Au niveau des femmes victimes deviolences

Tout d’abord, il faut savoir qu’aprèsun épisode de violence, deux femmessur trois ne consultent pas5. Cela peutparaître paradoxal lorsqu’on sait que,globalement, les femmes victimes deviolences recourent plus aux consulta-tions de médecine générale, auxconsultations psychiatriques (quatre àcinq fois plus que la moyenne6) et auxservices d’urgence. De toute évidence,il faut admettre que ces femmes quiconsultent le plus souvent parlent detout, sauf de violence.

Pourquoi n’en parlent-elles pas ?

• les femmes ne reconnaissent pasnécessairement la situation deviolence, ni même sa gravité. Eneffet, pour certaines, des actesparfois même très violents ne sontpas perçus comme tels lorsqu’ilsleur semblent involontaires, ou

perpétrés sous l’emprise de laboisson, ou qu’elles pensent lesavoir « provoqués » : commentaccuser quelqu’un que l’on a déjàexcusé ? Welzer-Lang dans son livreArrête !, tu me fais mal7 va mêmejusqu’à faire état d’une perceptionde la violence spécifique aux fem-mes, distincte de celle des hommeslorsqu’ils la reconnaissent. Ainsi, unacte ou un coup n’est perçu par ellescomme de la violence physique ques’il est associé à une intentionexplicite de les faire souffrir.

• Une fois la violence reconnue, lapremière raison mise en évidencequi explique le silence des femmesest le sentiment de honte, d’embar-ras et d’humiliation qu’elles éprou-vent à en parler. Elles n’imaginaientpas que cela aurait pu leur arriverun jour. Elles appréhendent grande-ment le jugement du médecin quireçoit leur appel d’aide (pas toujoursnettement exprimé).

• D’autres facteurs ont trait auxconséquences que les femmes ima-ginent dans la réaction du médecin :peur que ce dernier en parle auconjoint, qu’il dénonce les faits auxservices policiers… Certaines ont lacroyance que le professionnel de lasanté va nécessairement mettre touten œuvre pour qu’elles se séparentde leur compagnon. Elles sont dansl’ambivalence : elles veulent encorecroire en leur couple, espèrenttoujours un changement de compor-tement de la part de ce dernier ou sesentent incapables d’affronter lesobstacles matériels ou les instancesjudiciaires.

• Certains freins à aborder le sujet en

consultation tiennent également à lacomposante familiale. C’est la peurdes représailles du conjoint notam-ment à l’égard des enfants s’il y ena. C’est aussi la loyauté au parte-naire et à leurs enfants : elles neveulent pas être « la cause » del’éclatement de la cellule familiale.

• Enfin, certaines femmes se taisentmais attendent, espèrent de nous desquestions « il a bien dû le voir, pour-quoi ne m’a-t-il rien demandé » ?

• Au niveau des professionnels dela santé

Les obstacles relevés au niveau desprofessionnels de la santé et plusprécisément des médecins généralis-tes8 auxquels ces femmes s’adressenten priorité se situent sur plusieursplans :

• Le savoir : la majorité des médecinsinterrogés s’estiment insuffisam-ment formés et informés : la violen-ce conjugale ne fait pas encorel’objet de cours durant le parcoursuniversitaire.

• Le savoir-faire : si la volonté d’inter-venir de manière adéquate apparaîtclairement, ils sont confrontés à unmanque de temps, reconnaissent leplus souvent un sentiment de frus-tration, d’isolement et d’impuis-sance face à ces situations difficilesà gérer. A quoi bon détecter unproblème qu’on ne pense paspouvoir résoudre… Et pourtant, lesconséquences de cette méconnais-sance du problème sont lourdes9 :« psychiatrisées » ou « sur-investi-guées » suite aux multiples plaintesfonctionnelles qu’elles présentent et

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Les violences conjugales : mythes et réalités(suite)

auxquelles nous ne comprenonsrien, ces femmes se déstructurent deplus en plus. Elles souffrent dedépression (pour plus de 50 %d’entre elles10), ont des conduitesd’addiction (alcool ou abus demédicaments dans 22 % des cas11),font davantage des tentatives desuicide (quatre à cinq fois plus queles autres femmes12), ou même, pourcertaines d’entre elles, l’issue de cessituations se solde par la mort (il fautsavoir, par exemple, que près de lamoitié des situations d’homicidesenregistrées par l’Institut médico-légal de Paris sont le fait de leur mariou de leur partenaire proche13).

• Les attitudes : les médecins sontégalement imprégnés de leurhistoire personnelle. Ils ont leursreprésentations du couple, desrelations hommes-femmes, leurseuil personnel de tolérance. Parfoisc’est la peur d’être intrusif, la peurde choquer qui empêche de poser les« bonnes questions ». Enfin, pour lemédecin de famille, le fait de con-naître et/ou soigner le conjoint estparfois un obstacle pour prendre lerecul nécessaire. Il est certes difficilede soutenir et d’aider aussi bienl’auteur que la victime, en toute hon-nêteté et en gardant toute la confian-ce des deux parties.

• Au niveau de la société

La violence conjugale a longtemps étéconsidérée comme faisant partie de lasphère privée dans laquelle l’État nepouvait s’immiscer. C’est à partir desannées 70, sous l’influence desmouvements féministes, qu’elleacquiert une dimension sociale etculturelle. Apparaissent alors denouveaux modèles d’interprétation

basés sur une lecture de la violencecomme l’expression d’un pouvoir mil-lénaire des hommes sur les femmes.Depuis lors, les choses évoluent, parpalier, certainement encore troplentement face à ce réel problème desanté publique. Ainsi, en Belgique, leviol entre conjoints n’est reconnucomme punissable par la loi quedepuis 1989. Tout récemment, en mai2001, un plan national d’action contrela violence à l’égard des femmes14 aété élaboré. Des campagnes de sensi-bilisation s’appuyant sur des affiches,des brochures… ont suivi ou sont encours, visant aussi bien les jeunes, lesadultes que les professionnels de lasanté. Des projets-pilotes ont notam-ment été lancés dans différentes villesdu pays dont Seraing, Bruxelles,Anvers, Gand…

Malgré ces différentes évolutions oùl’on ose aborder publiquement ce pro-blème, les opinions courantes reposentpour un grand nombre sur des stéréo-types et des préjugés que nousexaminerons ci-dessous.

A ces mythes, s’ajoutent les dimen-sions relatives aux solutions d’aideproposées qui, elles non plus, nejouent pas en faveur de la connais-sance de cette problématique, àsavoir :

• Le manque de services d’aide : lesstructures d’accueil, trop peu nom-breuses et souvent saturées, sont engénéral inaccessibles15 quand lesfemmes victimes de violenceconsultent : dans plus de 70 % descas, c’est le soir, la nuit ou le week-end16. Par ailleurs, l’aide proposéeaux auteurs de violences est quasiinexistante en Belgique.

• L’organisation même des services

proposés : la méconnaissance desstructures et des professionnelsimpliqués dans la gestion de cetteproblématique ainsi que l’absencede réseau de collaboration nefacilitent en rien la prise en chargeadaptée aux patientes.

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Les mythes

Malgré les nombreuses prises deconscience qui ont eu lieu depuis lesprofondes transformations culturelleset politiques des années 70, la sociétévéhicule toujours certains mythes quiont la vie dure et que nous allonsanalyser de plus près.

« La violence conjugale est quelquechose d’exceptionnel, elle n’arriveque dans certains milieux défavo-risés».

Comme les chiffres de prévalenceprésentés ci-dessus en témoignent, laviolence conjugale n’est pas quelquechose d’exceptionnel : en Belgique,une femme sur sept, cela représenteplus de cinq cent mille femmes ayantsubi des épisodes de violencesphysique et sexuelle graves et répétésdurant leur vie. Quant au milieu social,il apparaît comme un facteur de risque.Ainsi, les dernières enquêtes natio-nales françaises et canadiennesattestent que tous les groupes sociauxsont exposés, les inégalités socio-économiques étant à considérercomme un facteur aggravant. Parailleurs, il est important de rappelerl’hypothèse émise par Gonzo et Véga17

selon laquelle la violence est plusvisible dans les milieux défavorisés.Quand les victimes se décident àquitter leur compagnon, celles qui font

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Les antécédents de sévices : il est vraiqu’un certain nombre d’auteurs ont euun passé d’enfant maltraité, mais làencore il semble que ce soit plutôt unfacteur de risque qu’un facteur decausalité. Ce facteur est nettement plusprésent chez les victimes.

Quant au manque de contrôle, ilsemble que ce soit tout le contraire :les auteurs de violence ont le plussouvent un contrôle ou un désir decontrôle absolu sur tout ce qui les

appel aux associations sont souvent lesplus démunies et la violence y estmoins facile à cacher de par l’environ-nement et la moindre pression destabous sociaux. A l’inverse, lesfemmes de milieux plus nantiss’adresseraient plus facilement à desservices privés ou médecins de famillequi s’orienteraient vers des solutionsplus « feutrées ».

« L’auteur de violences est unalcoolique, un fou, un ancien enfantbattu, quelqu’un qui n’a aucuncontrôle…»

Tout n’est pas faux, mais tout est loind’être vrai ! L’alcool, par exemple,d’après les études, serait associé à laviolence conjugale dans 20 à 95 % descas. La réalité est probablement à mi-chemin entre ces deux extrêmes : si lamoitié des hommes violents a unproblème de consommation d’alcool,cela signifie que l’autre moitié n’enn’a pas. En fait, selon les hypothèsesactuelles, un même facteur est respon-sable et de la violence et de la tendanceà abuser de l’alcool. Il en va de mêmeen ce qui concerne la toxicomanie,reconnue comme facteur de risquedepuis une dizaine d’années, tant chezl’auteur que chez la victime18.

La folie : s’il est exact que 15 à 25 %des auteurs sont psychopathes, perversou paranoïaques, cela nous laisse unbon nombre d’auteurs sains d’esprit,souvent décrits comme de « bonspères de famille ». Parce que laviolence vient par crises, on penseparfois que l’auteur doit avoir une« double personnalité ». En fait mêmelorsque les coups ne sont pas là, laviolence existe toujours de façoncontinue par le contrôle, le stress, lestensions et la peur19.

entoure et sur eux-mêmes20.

Les idées reçues concernant la victimesont multiples : « si elle reste, c’estqu’elle y trouve son compte», «elledoit aimer ça puisqu’elle y retourne».

Plusieurs éléments nous permettentd’apporter un éclairage à ces stéréo-types qui éludent une part importantedes situations vécues et qui font unamalgame entre le choix de la relationet le choix de la violence.

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Les violences conjugales : mythes et réalités(suite)

1. Le « Cycle de la violence »21 :

La violence s’installe rarement d’em-blée dans un couple. Le plus souvent,elle est précédée d’une phase calme,qualifiée de « lune de miel », elle-même suivie d’une phase de gestionde la vie quotidienne, avec les conflitset les tensions que cela entraîne et quipeuvent mener à la crise dans certainscouples. Après la phase de violence,viennent les regrets, les excuses, lestentatives de réparation et souvent lecouple retrouve cet état d’équilibre(stabilité de la phase lune de miel)initial. Et puis, la vie quotidiennereprend, les tensions reviennent avecla frustration chez l’auteur et la peurchez la victime. La violence réap-paraît, souvent plus grave et c’est laspirale de la violence. Pour certainscouples, ce cycle dure quinze ans, pourd’autres il dure un jour. Mais denombreuses femmes évoquent cesmoments de réconci-liation, suivisd’accalmies, accom-pagnés de regrets

sincères et parfois de cadeaux et cesont ces moments qui les décident àessayer « encore une fois ». Neperdons pas de vue que cet homme quenous trouvons peut-être monstrueux,elles l’ont choisi, peut-être même àl’encontre de l’avis de leur entourageproche, l’ont aimé et l’aiment encoreparfois.

2. Les conditions de vie

L’état de précarité économique,l’isolement social, les différentesformes de dépendance – économiqueou matérielle, sociale, symbolique,affective - dans lesquels vivent lesfemmes victimes de violencesconjugales sont des obstacles majeursà la prise d’autonomie qui pourrait lesaider à sortir du cycle de la violence.Une étude réalisée auprès d’un groupede femmes ayant fait une demanded’hébergement montre que plus lenombre de terrains de dépendance estimportant, plus le maintien de la

relation est impressionnant : 5 % desfemmes les moins dépendantesretournent vers le partenaire contre75 % des plus dépendantes22.

○ ○ ○ ○

Pourquoi ces mythesbénéficient-ils encore d’unetelle vigueur ?

Leur fonction première semble être derassurer et déresponsabiliser. Puisquela violence n’existe que chez les autreset puisque les auteurs ont tellementd’excuses, on peut ainsi s’éviter touteremise en question et faire appel à desexperts pour la guérir... Il faut admettreque la problématique de la violenceconjugale pose nombre de questionsde société, d’inégalités et de pou-voirs… Une des solutions passeraprobablement par un changementprofond des mentalités et de l’éduca-tion. Songeons aux phrases encoresouvent entendues lors de nosconsultations : « un garçon doit êtrefort », « un garçon ne pleure pas »,« un garçon n’a pas peur »23… Uneautre solution consistera en unemeilleure connaissance de ce champde réalités. Les différentes investiga-tions quantitatives et qualitatives duproblème devraient viser à terme uneévolution des pratiques des profes-sionnels concernés tant dans ledépistage que dans la prise en chargedes victimes et auteurs de violences.

○ ○ ○ ○

Et en attendant, que faire ?

Il n’existe pas de solution toute faite.Les études prouvent qu’une foissensibilisés au problème, les profes-sionnels de santé détectent enD’après Lénore Walker

3ème étape :Justification de l’homme

Conséquence : doute s’installe chez la femme

2ème étape : AgressionConséquence : sentiment

d’outrage vécu par la femme

1ère étape :Climat de tensionConséquences :

peur, anxiété vécue par la femme

4ème étape : Rémission (lune de miel)Conséquence :espoir renaît chez la femme

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moyenne deux fois plus de cas deviolence conjugale24.Il est fondamental de donner à cesfemmes souvent déstructurées despoints de repères : les comportementsviolents ne sont pas normaux, nilégitimes, ni acceptables. Il esttoutefois tout aussi important de ne pasporter un jugement sur la personnemême de l’auteur, mais sur ses actes.Il est également essentiel avec cespatientes de prendre le tempsd’écouter, de valoriser leurs ressourceset de chercher ensemble une solutionen tenant compte des aspects systé-miques du problème, et en respectantle rythme propre à chacune d’entreelles. Ce sont précisément ces aspectsliés aux modes d’interventions, maisaussi des informations sur la problé-matique et les ressources existantesdans le domaine que vise ce projet decollaboration entre des médecinsgénéralistes et une association d’inter-venants psychosociaux. Tout ceci feral’objet d’une brochure, fruit de cettecollaboration, diffusée dans le courantde l’année prochaine aux profession-nels de la santé.

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Bibliographie

(1) Bruynooghe R., Noelanders S.,Opdebeeck S., Geweld ondervinden,gebruiken en voorkomen, Rapport tenbehoeve van de Minister vanTewerkstelling en Arbeid en Gelijke-Kansenbeleid Mevrouw M. Smet,Limburgs Universitair Centrum, 1998.

(2) Stark E., Flit Craft A.H., FrazierW., « Medicine and patriarchalviolence : the social construction of a« private » even », InternationalJournal of Health services, 1979, vol.

9, p. 461-493Op cité, n° 1 ; GoldbergGW., Tomlanovich MC., « Domesticviolence victims in the emergencydepartment », JAMA 251 (24) : 3259-3264, 1984.

(3) Op cité n°1.

(4) Les femmes victimes de violencesconjugales ; le rôle des professionnelsde la santé, Rapport du ministrechargé de la Santé réalisé par ungroupe d’experts réuni sous laprésidence de Monsieur le ProfesseurRoger Henrion, Février 2001.

(5) Lindsey K., Stevens H., « Therole of the accident and emergencydepartment » in the The healthprofessionals p169-177.

(6) Op cité n°2.

(7) Welzer-Lang D., Arrête, Tu mefais mal ! la violence domestique, 60questions, 59 réponses, Québec, vlbéditeur, 1992.

(8) Chambonnet, Douillard, Urion,Mallet, « La violence conjugale : priseen charge en médecine générale », Larevue du praticien, 2000,14(507) :1481-85.

(9) Hendricks-Matthews M. K.,Survivors of Abuse Health CareIssues, Primary Care, juin 1993, vol2, 391-406.

(10) Hilberman, Munson, Sixtybattered women, Victimology : anInternational Journal, 1977-1978,2(3/4) :460-71 ; Rounsaville,Weissman, « Battered women : amedical problem requiringdetection », International Journal ofPsychiatry Medicine, 1977-1978,8 :192-202.

(11) Enquête nationale sur lesviolences envers les femmes en France

(ENVEFF), Enquête coordonnée parl’Institut de démographie, Paris I,décembre 2000.

(12) Garibay-west, fernandez,Hillard, schoof, Psychiatric disordersof abused women at a shelter,Psychiatric disorders of abusedwomen at a shelter, PsychiatricQuartely, 1990, 61 (4) : 295-301 ;Astin, Ogland-Hand, Coleman,« Posttraumatic stress disorder andchildhood abuse in battered women :comparisons with maritally distressedwomen », Journal of consulting andclinical psychology, 1995, 63(2) :308-12.

(13) Lecomte, tucker, Fornes, Instituteof Forensic Medicine, Paris,« Homicide in women. A report of 441cases from Paris and its suburbsovera 7-year period », Journal of clinicalForensic Medicine, 1998, 5 (1) :15-6.

(14) Plan national d’action contre laviolence à l’égard des femmes - étatd’exécution du programme contenudans la note de l’état fédéral, Cabinet

Grande journée organiséepar la Société scientifique demédecine générale-Liège surle thème de la violencefamiliale

Samedi 30 novembre de 12h à 18h- Château d’Harzé - Musée de lameunerie et de la boulangerie -4920 Harzé. Renseignements :SSMG - rue de Suisse, 8 - 1060Bruxelles - Danielle Pianet :02.533.09.82 ; e-mail :[email protected].

Si vous souhaitez dès maintenant desinformations supplémen-taires, vouspouvez consulter le si te<www.sivic.be>.

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Les violences conjugales : mythes et réalités(suite)

de la ministre de l’Emploi, du Travailet de la Politique d’Egalité desChances entre hommes et femmes,Bruxelles, juin 2002.

(15) Roberts G.L., Lawrence M.L.,O’toole B.I. Raphael B., « DomesticViolence in the EmergencyDepartment : 2 - Detection by Doctorsand Nurses », General HospitalPsychiatry 19, 12-15, 1997.

(16) A joint Project between Women’sAid & St. James’ Hospital, Theidentification and Treatment of WomenAdmitted to an Acccident &Emergency Department as a Result ofAssault by Spouses/Partners, Cronin,1993.

(17) Gonzo, Vega, Maltrattate infamiglia : suggerimenti nell’approc-cio alle donne che si rivolgono aiServizi Sociosanitari, Commune diBologna, Associazione gruppo dilavoro e ricerca sulla violenza alledonne, 1999, 1-62.

(18) Op cité n° 4.

(19) Op cité n° 4.

(20) Op cité n° 4.

(21) Macleod L., La femme battue auCanada : un cercle vicieux, 1987.

(22) Opdebeeck S., Afhandekelijkheiden het beëindigen van partnergeweld.Appeldoorn, Leuven, Garant, 1993.

(23) Nasielski S., La prévention enmatière de violence du point de vuede l’analyse transactionnelle : lathérapie de l’homme qui bat sa femme,texte soumis à publication.

(24) Op cité n°15.

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Mais avant toute chose, il nous fautinformer le lecteur de ce que nousentendons par cybernétique.

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Cybernétique

S’il fallait expliciter en préambule ceque recouvre le concept de « cyber-nétique », nous reprendrions la défini-tion qu’en a donné l’auteur même dece néologisme, à savoir NorbertWiener. Selon ce dernier, la cyber-nétique incarne une théorie du contrôleet de la communication des machineset des êtres vivants3. Elle ne traite pasdes objets mais des comportements4,c’est-à-dire des interactions entre unsystème et son environnement. Elleadopte une position systémique deschoses et par-là même une explicationde type circulaire des situations etévénements envisagés.

Sachant cela, les concepts de base dela cybernétique sont la rétroaction (oufeed-back) et l’information5. Notionségalement importantes s’il en est pourla thérapie brève. Nous aurons l’op-portunité d’y revenir ultérieurement.

L’information, pourrions-nous dire,est une suite continue ou discontinued’événements mesurables distribuésdans le temps6. Et selon Wiener, êtrevivant consiste justement à participerà ce type de courant continu d’influen-ces venant du monde extérieur etd’actes agissants sur celui-ci7. Certainsconstructivistes des plus radicauxn’hésitent toutefois pas à prétendreque l’environnement ne contient pasd’information, mais que l’environ-nement est tel qu’il est8. Cette as-sertion n’est cependant pas de celle surlaquelle le cybernétique s’est fondée

pour se construire, elle dont l’étudefondamentale consiste précisément àse pencher sur la différence9 (qu’ils’agisse de deux objets distincts ou del’évolution dans le temps d’un objetunique) source de changement. Etcette différence, pour Von Neumann,procède chez l’être humain d’unetransmission d’information se réali-sant en fonction de deux procéduresque sont la transmission digitale etanalogique10.

Considérant que l’on ne peut pas nepas communiquer, la quantité d’infor-mation d’un message est inversementproportionnelle à sa probabilitéd’apparition. Cette information n’estcependant pas une valeur intrinsèquedu message mais bien une propriétéémergente du contexte en lequel celui-ci est émis. Et par contexte, nouspouvons entendre dans le champd’étude et de résolution de problèmesrelationnels et humains, l’épistémo-logie de l’individu, son système deréférence11, etc.Notons que la notion d’entropieconsiste en une mesure négative del’information. L’entropie est maxi-male, pouvons-nous considérer,lorsqu’un système a atteint son étatdéfinitif, c’est-à-dire un état où toutesles possibilités de changement sontépuisées12. Une autre manière dedécrire l’entropie consiste à reprendrel’assertion de Wiener pour qui unsystème isolé tend vers un état dedésordre maximum13.

Tout système étant un ensemble d’élé-ments en interaction, la rétroaction (oufeed-back) est une action oucommunication visant à répondre àune autre en fonction d’une finalitédéterminée (le retour du système à sonétat d’équilibre appelé aussi

Cybernétique et thérapie brève de Palo AltoUne certaine conception de la santé mentale

Grégory Lambrette, psychologue à la maison médicale Portes Sud d’Arlon et psychologue détachéau centre Emmanuel pour le projet Equal-Luxembourg

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Si l’homme était machine, ilnous faudrait désespérer. Nonpas de tout, mais de prendrecette métaphore mécaniquepour seule vérité. La critiquequ’ainsi l’on formule à l’égardde la cybernétique nousapparaît erronée sinon dépla-cée. Et cet homme dont Fou-cault annonçait froidement ladisparition n’était jamais quel’image tronquée d’un êtredevenu pour certains un simpleet désolant système fermé2.

L’objet de cet article consiste enune présentation succincte de lacybernétique, ainsi que de sonapplication pratique en lechamp de la thérapie brève tellequ’elle fut formalisée parl’école de Palo Alto. L’héritagequ’elle légua, ou plutôt l’influ-ence qu’elle exerça sur celle-cifut considérable et donna uneorientation particulière à cettethérapeutique. Nous tacheronsautant que faire se peut d’enrendre compte.

Communs sont dans le cerclecommencement et fin.

Héraclite, Fragments1.

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homéostasie ou le maintien d’uncertain écart par rapport à ce mêmeétat d’équilibre). Les éléments d’unsystème étant interdépendants, lamodification d’une relation entre deuxde ses éléments entraîne conséquem-ment une modification des autresrelations et de l’ensemble du système.User de la notion de rétroaction sug-gère donc l’adoption d’une causalitécirculaire et non plus linéaire deschoses. La logique explicative peut yêtre renversée même si l’effet neprécède jamais la cause14. Et commedit Héraclite, communs sont dans lecercle commencement et fin. Car l’onest souvent bien en peine de détermi-ner quelle est l’origine d’une boucleinteractionnelle.C’est donc la relation entre élémentset non pas la nature de ceux-ci quiintéresse le modèle cybernétique. Unedes lois se dégageant des prémisses surlesquels celui-ci s’appuie est l’équi-finalité. Cette loi démontre qu’unmême état final peut être atteint à partirde conditions initiales différentes oupar des chemins différents. Cepostulat, appliqué en le champ desrelations humaines, dépathologisetoute considération attribuant à l’un oul’autre la cause du mal, et considère àrebours qu’une même « cause » oucondition initiale peut produire desétats finaux forts différents.

Cela précisé, il nous faut admettre quenombre d’entre nous confondentencore Théorie générale des systèmeset cybernétique. Pour éviter touteconfusion, nous devons considérer lacybernétique comme n’étant au fondqu’une partie de la théorie généraledes systèmes au titre d’une théorie dessystèmes contrôlés fondée sur lacommunication système-environ-nement et sur la communication

interne au système15. Les systèmescybernétiques ne sont qu’un casparticulier des systèmes auto-régulésque la Théorie générale des systèmesétudie de manière plus exhaustive.

événements qui auraient eu le plus dechances de se produire, pour nousdemander ensuite pourquoi un grandnombre d’entre eux ne se sont pasréalisé ; montrant ainsi que l’événe-

Cybernétique et thérapie brève de Palo Alto(suite)

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Héritage

C’est à Bateson qu’est revenu lemérite d’avoir introduit et appliquél’explication de type cybernétique auchamp des sciences humaines, et plusparticulièrement à l’étude de lacommunication. Ainsi considère-t-il,si l’explication de type causal est, engénéral, positive (nous disons, parexemple, que la boule de billard Bs’est déplacée dans telle ou telledirection, parce que la boule de billardA l’a heurtée sous tel ou tel angle),l’explication de type cybernétique esttoujours négative. C’est-à-dire qu’elleexamine d’abord quels sont les

ment particulier étudiée était l’un desrares à pouvoir se produire effective-ment16.Mais si la cybernétique s’occupe dugénéral et non du particulier, c’est pourse poser la question de savoir pourquoiles réalités se réduisent à une si petiteportion des possibilités totales17.

Bateson a ainsi étudié sur base despostulats précités la communicationanimale et humaine, c’est-à-dire dessystèmes qui sont liés par l’informa-tion et évoluent au gré de leurinteraction avec l’environnement (cechangement naturel est dénommé« coécolution »). La diversitépotentielle des conduites individuelles

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est alors perçue comme restreinte parles apprentissages relationnels et parles conduites imposées par le jeu desinteractions au sein des systèmes dontl’individu fait partie18. Le cours desévénements est donc soumis à desrestrictions, à des contraintes.

Appuyant sa réflexion sur la méta-phore de l’information et non plus del’énergie19, Bateson appréhende lessymptômes non plus sous l’angled’une pathologie d’ordre individuelmais bien plutôt comme un troublerelationnel, une adaptation particulièreà un contexte déterminé. La psycho-pathologie, pour autant que cetteexpression ait du sens, peut alors sedéfinir en termes de perturbations dela communication20.

C’est des travaux de Grégory Batesonet de l’approche stratégique de MiltonH. Erickson que l’école de Palo Altova s’inspirer à travers l’associationd’un collège invisible (Jackson,Weakland, Fisch, Watzlawick, etc.)pour reprendre l’expression deWinkin.

Sous l’impulsion donc de multiplesindividus réunis au Mental researchinstitute (MRI*) de Palo Alto, l’onverra fleurir nombre d’études desquelsémergeront un modèle de résolutionde problèmes relationnels.

○ ○ ○ ○

La thérapie brève de PaloAlto

Selon Jay Haley, l’on peut dire qu’unethérapie est stratégique lorsque lepraticien provoque ce qui se passe aucours de la thérapie et prévoit uneapproche singulière pour chaque

problème21. La différence entrel’influence, que ce type de psycho-thérapie reconnaît sinon revendique,et la manipulation étant que dans lepremier cas c’est le patient qui fixe lui-même les objectifs de l’intervention.Dans le second cas, il en est exclupuisque c’est le thérapeute qui s’encharge.La notion de brièveté est, elle, plusparticulièrement liée à l’école de PaloAlto qui structure son travail sur unnombre maximum de dix séances.Cela lui évite de prolonger inutilementune thérapeutique arrivé à son termeou jugée inefficace. Mais il s’agit ausside s’essayer par cela à ce que la boucle« thérapeute - individu » ne deviennepas permanente afin que le patientretrouve rapidement son autonomie.C’est bien ce pourquoi le thérapeutene règle pas lui-même le problèmemais intervient de façon telle que lepatient découvre ses propres moyensde les dépasser et donc ses possiblesressources.

La thérapie brève dont la modélisationet la pragmatique exige de répondre àquatre questions fondamentales parsouci d’efficacité et afin de mieuxcerner ce que pourrait revêtir la notiond’information pour les personnesconcernées.

Ces questions sont :• Quel est le problème ?• Qui est le client ?• Quelles sont les tentatives de

solutions du client et/ou del’entourage pour résoudre leproblème ?

• Quel est l’objectif minimal (doitêtre formulé en termes compor-tementaux et relationnels) ?

Arrivé à cet endroit, il nous semble

opportun d’éclairer quelques conceptsclés de la thérapie brève et stratégique.Ainsi, un problème est-il appréhendécomme une difficulté persistante dontles tentatives de solution destinées àrétablir des conditions acceptables sesont montrées inefficaces. Lapidaire-ment, un problème est par définitionune difficulté qui se répète22. L’écolede Palo Alto a également montré avecbrio que ce sont les tentatives desolution qui entretiennent le problème(la différence entre une solution et unetentative de solution réside enl’efficacité de la première à résoudrele problème rencontré et éprouvé).Ainsi, la thérapie stratégique proposeune rupture dans le système deréactions circulaires qui entretient leproblème23, en amenant, en autres, uneredéfinition de la situation (c’est-à-dire à travers des feed-backs diffé-rents). Et ce parce que le problème...C’est la solution.Ainsi une fois que la demande dupatient a été suffisamment circonscriteet investiguée (la plainte de la person-ne doit être traduit en termes concretssur ce qui la fait souffrir actuellement)et les objectifs fixés de façon tout aussirigoureuse, le thérapeute possède à sadisposition deux grandes catégoriesd’intervention thérapeutiques : lesinjonctions comportementales et lestechniques de recadrage.Recadrer signifie modifier le contexteconceptuel et/ou émotionnel d’unesituation ou le point de vue selonlaquelle elle est vécue. C’est un peuchanger la réalité, ou les éléments decelle-ci, du sujet. De manière un peuabrupte, disons que l’injonctioncomportementale a pour dessein deplacer le patient dans un contexte oùon lui demande de produire volontai-rement son symptôme, dont l’émissionne peut être que spontanée, mais

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entraîne la perte de la qualitésymptomatique de ce dernier. Et ceafin de stopper la tentative de solutioninadéquate mais usuellement utiliséeà travers le paradoxe du « soisspontané ».

Une résolution rapide, parce qu’effica-ce, d’un problème n’entraîne pas à sasuite l’émergence d’un symptômesubstitutif à celui qui a disparu oudiminué. Le déplacement que certainsprésagent sinon annoncent gaillarde-ment pour la thérapie brève n’est enrien constaté par la majorité des sujetsqui s’y sont frottés. Ceux-ci ne nientcependant pas l’existence dedifficultés appréciées comme inhéren-tes à la vie de chacun. Celle quicomporte son lot de peine et de joie.

Un problème n’existe que si quelqu’unle constate24. Cette lapalissade quenous empruntons à Wittezaele recadreà sa manière la perception que l’onpeut avoir d’un même comportementselon que l’on se montre soucieuxd’une certaine cohérence. Ainsil’échec scolaire d’un enfant de dix anspeut être vécu de façon préoccupanteet dramatique pour les parents. Lejeune garçon peut lui n’en faire quepeu de cas. La position qu’adoptel’école de Palo Alto consiste à travail-ler, dans ce genre de cas de figure, aveccelui ou celle qui a un problème, ausens où il s’agit de celui qui neparvient pas à bien vivre et/ou gérerla situation pour qu’elle devienneacceptable, et non pas inévitablementcelui qui est pointé et identifié commel’incarnant. Prosaïquement, a unproblème en thérapie brève celui quien souffre le plus. Il est ainsi parfoispérilleux de faire accepter à despersonnes venues consulter pour unproblème avec leur fils ou fille le fait

que l’on ne rencontrera pas nécessaire-ment leur enfant. Cela se révèle êtreun choc culturel plus facilementacceptable lorsque, en déculpabilisantles parents, on les associe à la thérapiepour les considérer comme faisantdavantage partie de la solution que duproblème.

Il n’en apparaît pas moins qu’il est fortpeu aisé d’évaluer un changementquand la vie elle-même se transforme.Qui y prête attention pourra éventuel-lement s’en convaincre et aimer cela.L’activité thérapeutique qu’adoptel’école de Palo Alto consiste alors àmodifier certaines boucles interaction-nelles afin que le patient puisseretrouver ou créer un rapport à sonenvironnement plus satisfaisant.

○ ○ ○ ○

Notes

(1) Héraclite, Fragments, FataMorgana, 1992, p. 65.

(2) Lire la critique de Atlan H.,« L’homme : système ouvert » inL’unité de l’homme – Tome 3. Pourune anthropologie fondamentale, Sousla dir. de Morin E., Piatelli-PalmariniM., Paris, Seuil, 1974, p. 21-24.

(3) Le terme « cybernétique » est tiréd’un mot grec synonyme de pilotenous déclare Wiener. Lire « Surl’origine du mot « cybernétique » » inCybernétique et Société, de Wiener N.,Paris, Ed. des Deux-Rives, 1952, 287-288.

(4) Ashby W.R., Introduction à lacybernétique, Paris, Dunod, 1958, p. 1.

(5) Von Bertalanffy L., Des robots, desesprits et des hommes, Paris, ESF,1982, p. 75.

(6) Voir Lugan J-C., La systémiquesociale, Paris, P.U.F., 1993, p.26.

(7) Wierner N., Cybernétique etsociété, Paris, Ed. des Deux-Rives,1952, p. 173.

(8) Von Foerster H., « Notes pour uneépistémologie des objets vivants » inL’unité de l’homme – Tome 2. Lecerveau humain, sous la dir. de MorinE., Piatteli-Palmarini M., Paris, Seuil,1974, 139-155.

(9) Une information, pour reprendreBateson, consiste en des différencesqui font une différence. Lire à ce sujetBateson G., La nature et la pensée,Paris, Seuil, 1984.

(10) « Quand on examine le systèmenerveux central, on discerne deséléments qui appartiennent aux deuxprocédures : analogique et digitale...Le neurone transmet une impulsion…Il semble que cette impulsion nerveusesoit, globalement, du type tout-ou-rien, un peu comme un chiffre binaire.Il est donc évident qu’il y a un élémentdigital, mais il est évident qu’il existedans l’organisme diverses séquencesfonctionnelles composites qui doiventpasser par diverses étapes depuis lestimulus original jusqu’à l’effetultime, et que certaines de ces étapessont neurales, c’est-à-dire digitales,quand d’autres sont humorales, c’est-à-dire analogiques. » (Von NeumannJ., Théorie générale et logique desautomates, Seyssel, Ed. ChampVallon, 1996, p. 73).

(11) De l’examen des contextes, nouspouvons dégager une sorte deweltanschauung, de vision du mondede l’individu.

(12) Lire en ce sujet Spire A., Lapensée Prigogine, Paris, Desclée deBrouwer, 1999, p.15.

Cybernétique et thérapie brève de Palo Alto(suite)

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(13) Wiener N., Cybernétique etsociété, Paris, Ed. des Deux-Rives,1952, p. 37.

(14) Bateson G., La nature et lapensée, Paris, Seuil, 1984, p. 67.

(15) Von Bertalanffy L., Théoriegénérale des systèmes, Paris, Dunod,1973, p. 20.

(16) Bateson G., Vers une écologie del’esprit – Tome 2, Paris, seuil, 1980,p.155.

(17) Ashby W.R., Introduction à lacybernétique, Paris, Dunod, 1958,p.157.

(18) Wittezaele J-J., Cybernétique etpsychothérapie, Cybernetica, Vol. 37,1994, 393-406.

(19) A ce titre de Rosnay déclare que« Dans les organismes vivants,l’utilisation de l’énergie est contrôléepar l’information » (de Rosnay J.,L’homme symbiotique, Paris, Seuil,1995, p. 209.).

(20) Ruesch J., « Communication etmaladie mentale » in Communicationet société, Bateson G., Ruesch J.,Paris, Seuil, 1988, 67-111.

(21) Haley J., Un thérapeute hors ducommun : Milton H. Erickson, Descléde Brouwer, Paris, 1995, p. 21.

(22) Fisch R., Weakland J.H., SegalL., Tactiques du changement, Seuil,Paris, 1986, p.33.

(23) Nardone G., Watzlawick P., L’artdu changement, L’Esprit du Temps,Bordeaux, 1993, p. 79.

(24) Wittezaele J-J., Communicationet résolution de problèmes à l’école.L’approche de Palo Alto, Bulletin dePsychologie Scolaire et d’Orientation,n°2, 1997, 53-90.

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Bibliographie

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Fisch R., Weakland J.H., Segal L., TheTactics of Change. Doing TherapyBriefly, San Francisco, Jossey-BassInc., 1982 ; trad.fr. : Tactiques duchangement, Seuil, Paris, 1986.

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Wittezaele J-J., Cybernétique etpsychothérapie, Cybernetica, Vol. 37,1994, 393-406.

*MRI : centre de consultation, de rechercheet de formation en psychothérapie situé àPalo Alto - Californie.

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La carie dentaire est un phénomènechimique de dissolution en milieuacide des cristaux d’émail et dedentine qui constituent les couchessuperficielles des dents. La diminutionlocale du taux d’acidité vient princi-palement de la dégradation du sucrepar des bactéries « cariogènes » enanaérobiose, ce qui transforme lamolécule de sucre en acide lactique.La carie découle donc de trois phéno-mènes importants :

• La présence de bactéries à la surfacedentaire en nombre suffisammentélevé pour pouvoir diminuer locale-ment le taux d’acidité (attaque acidelocale) ;

• La possibilité pour ces bactéries de« manger » dans un milieu anaéro-bie (sous une couche importante dedébris alimentaires divers parexemple) ;

• La présence de sucre.

Les métaux lourds en dentisterie

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Alexandre Libert, dentiste à la maison médicale Kattebroek

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Les caries dentaires constituent ungros problème de santé publique.Inciter la population à les soigner età faire vérifier régulièrement l’état desa dentition est un objectif reconnu partous.Mais les métaux lourds employés dansles amalgames destinés à soigner lescaries soulèvent certains points quantà leur toxicité. Que faut-il en penser ?

La prévention par le brossage avecdentifrice fluoré, le passage de fildentaire et/ou de brossettes inter-dentaires reste encore actuellement lemeilleur moyen de prévenir la carie.Malgré cela, la carie dentaire reste unproblème récurent de santé publique.A travers les siècles, nous sommespassés de l’extraction des dents tropcariée à un système de plus en pluscomplexe d’entretien et de réparationdes dégâts causés par la carie dentaire.

Les amalgames d’argent ont étéintroduits en dentisterie au 19ème sièclepour reconstruire la dent afin depermettre la remise en fonctioncorrecte de l’appareil masticateur. Engros, il s’agit d’un procédé d’alliage àfroid entre deux poudres de métaux (lecuivre et l’argent) catalysé par lemercure : Ag + Cu + 2Hg = AgHg +CuHg = AgCu + 2Hg

Depuis, certains durcisseurs ont étérajoutés et les quantités de mercure ontété fortement réduites dans l’alliage.

○ ○ ○ ○

Pourquoi utiliser desamalgames d’argent ?

Les amalgames d’argent sont utiliséscomme matériaux de reconstructionde prédilection par les dentistes pourles raisons suivantes :

• Leur facilité d’emploi, leur sculp-ture, leur entretien et leur remplace-ment. Ils ne craignent pas la salive,leur mise en place demande peu deprécautions particulières, et ilsoffrent une grande rapidité d’exé-cution tout en laissant un temps detravail raisonnable au praticien pourpeaufiner son travail ;

• Leur très bonne résistance mécani-que à l’abrasion et à la compres-sion ;

• Leur bonne étanchéité primaire :dans la cavité dentaire, après l’enlè-vement mécanique de la carie (parles fraises), les amalgames d’argentsont condensés, avant leur durcis-sement complet, à l’aide de fouloirsce qui rendra virtuel l’espace entrela dent et l’amalgame d’argent.Nous obtiendrons une étanchéité parcompression de l’amalgame d’ar-gent contre les parois dentaires ;

• La longévité de ce type de recon-struction même après une perted’étanchéité : l’argent sous forme desel ionique a un pouvoir bactério-statique (c’est-à-dire inhibant ledéveloppement des bactéries), or lacarie a besoin d’un certain pool debactéries pour pouvoir se dévelop-per (diminuer localement l’acidité).Cette propriété bactériostatique desamalgames d’argent (sels d’argent)ralentit donc l’apparition de cariesecondaire à l’interface dent-reconstruction ;

• Le dernier point important est lecoût de ce type de reconstruction. Ila une durée de vie de cinq à dix ans,ne coûte presque rien en matièrepremière et est rapide à mettre enplace pour de très bons résultats.

Mais les amalgame d’argent ontquelques inconvénients :

• Le mercure rentre dans leur compo-sition à des concentrations plus oumoins élevées en fonction de laqualité et de la marque utilisée. Lorsdu placement, la condensation del’amalgame d’argent fera remonterle mercure (qui est liquide à tempé-rature ambiante) à la surface de lareconstruction. Une grosse part de

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ries de s’y accrocher et de l’attaquer.Le joint finira par percoler (cariesecondaire). Ces joints demandentdonc un entretien régulier chez ledentiste qui en vérifiera la bonneétanchéité et qui repolira l’amalga-me d’argent pour éliminer touterétention éventuelle.

○ ○ ○ ○

La toxicité des métauxlourds

Les plus toxiques sont le cadmium(présent dans les prothèses dentaires),le mercure (présent dans les amal-games d’argent) et le plomb.Le mercure est présent sous formeélémentaire liquide dans l’amalgamed’argent (catalyseur de l’alliage) maisil a tendance à se vaporiser. Il changeaussi facilement de solubilité (lipo-phile ou hydrophile) en fonction deséléments auxquels il se lie. Le mercures’assimile donc assez facilement dansle corps et il franchit aisément lesbarrières naturelles.La forme liquide élémentaire est néan-moins peu toxique pour le corpshumain (elle était encore utilisée, il ya peu comme vermifuge), mais la for-me gazeuse, elle, est plus dangereuse(meilleure assimilation). En effet, sousforme de vapeur, elle va descendre aufond des alvéoles pulmonaires, où ellese lie à des composés organiques (affi-nité pour les dérivés soufré et hydro-carboné). Ce mercure lié va s’accumu-ler dans différents tissus. Au-delàd’une certaine quantité, ce mercure,qui est très mal éliminé, deviendratoxique pour ces tissus. Le grosproblème de ces métaux réside doncdans l’effet cumulatif des différentesexpositions durant la vie (phénomèned’accumulation cumulative).

Les principaux tissus cibles pour lemercure sont :

• Le système nerveux central et péri-phérique qui montre des dégénéres-cences liées principalement audiméthylmercure ;

• Le système immunitaire qui estattaqué au niveau des moléculessoufrées de ses immunoglobulines(anticorps). Le mercure est doncimmuno-toxique localement parcontact mais aussi par voie générale ;

• Les reins qui verront leur tubulinedégradée, diminuant la fonctionrénale ;

• Les intestins où il induirait certainscancers (gros mangeurs de poissonsdont la chair contient beaucoup deméthylmercure).

Précisons quand même qu’il faut êtreporteur de quantité importante demercure pour développer ce genre desymptômes, ce qui implique uneexposition répétée ou très importante.

○ ○ ○ ○

Le développement denouvelles techniquesd’obturations alternatives etesthétiques

L’un des principaux défaut de l’amal-game d’argent réside dans le côtéinesthétique de ce type d’obturation.Aussi, début 1970, les firmes pharma-ceutiques ont mis au point de nou-veaux matériaux de reconstructionesthétiques : les ionomères de verreset les résines composites, dont leslarges palettes de couleurs permettentune belle finition esthétique.

Ces nouvelles obturations présententnéanmoins plusieurs inconvénients :

ce mercure sera alors éliminée dansles cotons, le crachoir et dans lapompe à salive. Cependant, unepartie de ce mercure se retrouvera« prisonnier » de l’amalgamed’argent solidifié dont une infimepartie sera libérée lors de lamastication ou du brossage sousforme de vapeurs de mercure ;

• L’aspect inesthétique du métal et lescolorations dentaires par les selsd’argent les rendent actuellementdifficile à utiliser pour lesreconstructions des dents de devant ;

• Le cuivre et l’argent sont de bonsconducteurs, ce qui peut augmenterles sensibilités au froid aprèstraitement ;

• Avec le temps, les amalgamesd’argent s’oxydent ce qui leur donneun aspect noirâtre. Ces oxydesd’amalgame d’argent marqueront lagencive comme des tatouages et latoxicité du mercure peut entraînerde légères récessions gingivales ;

• La rétention de la cavité, taillée parle dentiste, maintiendra l’amalgamed’argent en place. L’étanchéité decelui-ci vient de la pression exercéepar l’amalgame d’argent contre laparois dentaire lors de la condensa-tion (l’espace dent-amalgamed’argent devient virtuel). Mais, avecle temps, les joints de la reconstruc-tion perdent leur étanchéité. Eneffet, le coefficient de dilatation desamalgames d’argent est différent decelui de la dent. Donc, chaque foisque nous mangeons chaud ou froid,cet espace virtuel se dilate. De plus,le coefficient d’usure à la friction dela dent est différent de celui del’amalgame d’argent. Ces deuxphénomènes induiront l’apparitionde petits escaliers (rétentions), à lasurface du joint dent-amalgamed’argent, qui permettront aux bacté-

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difficiles à mettre en œuvre, ellesdemandent la mise en place d’un sys-tème de collage qui se place sur unesurface séchée (difficulté dans unebouche pleine de salive). Le compositene supporte pas d’être exposé à lasalive (il y perd une partie de sonpouvoir liant et il risque une contami-nation bactérienne). Il n’est pasfoulable ce qui peut engendrer desbulles entre les différentes couches,des pertes d’étanchéité, des microfis-sures et des douleurs à la compression.Ces derniers problèmes sont accentuéspar une rétraction de prise lors de lapolymérisation du composite, ce quioblige le praticien à placer cettereconstruction en strates successives.Il en découle un nombre accrus demanipulations et un temps de place-ment fortement augmenté (il fautquarante secondes de polymérisationpar couche !), ce qui augmente forte-ment le risque de contamination de lareconstruction et le risque d’erreur demanipulation. Le composite n’a pas depouvoir bactériostatique connu ; unecontamination salivaire, et doncbactérienne, se traduit donc par unerécidive rapide de la carie (cariesecondaire).

Il existe actuellement un débat sur latoxicité pulpaire de ces matériauxcomposites mais il ne fait aucun douteque leurs composants sont irritatifs etallergènes au contact des tissus(gencive, parodonte, risque aussi pourle praticien d’allergie de contact).Le méthacrylate, les monomères et lessolvants présents dans la compositiondes matériaux composites sont connuspour être cancérigènes dans lesmilieux industriels où ils sont mani-pulés en grande quantité. Les solvantsont aussi une neurotoxicité bien docu-mentée en médecine du travail, ils

provoquent des dégâts importants etirréversibles dans le système nerveuxcentral. Bien entendu, nous parlons icid’une exposition importante de typeindustrielle aux composantes chimi-ques des composites. Je n’ai trouvé àce jour aucune étude sérieuse sur lesrisques en santé publique de l’exposi-tion chronique des patients auxcomposites dentaires. Les concentra-tions et le nombre de compositesprésents en bouche restent faible et lerisque est dès lors probablementnégligeable pour le patient. Maisqu’en est-il pour le praticien exposé àlongueur d’année à ces produits ?

D’après différentes études in vitro, lapolymérisation des composites montreune perte rapide de l’étanchéité desjoints et une polymérisation incom-plète du matériau dans lequel il peutrester jusqu’à 50 % de monomères oude polymères non liés à la masse... Entrois à cinq ans, cette partie non liéefinira par rendre poreuse l’obturation,ce qui aura comme conséquence unecertaine fragilité à la compression(mastication), l’apparition de colora-tions inesthétiques (dans la masse ousur les joints) et des récidives rapidesde carie (percolation du joint etcolonisation bactérienne du matériaudevenu poreux).

Les plus gros problèmes des matériauxcomposites sont donc la mauvaise bio-compatibilité, la difficulté de mise enœuvre, la durée de vie moindre del’obturation en bouche et sa relativefragilité.Nous manquons aussi d’étude sur lesrisques de ces matériaux sur la santépublique à long terme (reconnu pourle mercure mais rien n’est démontrépour le composite).Il existe bien d’autres matériaux utili-

sés en prothèses fixes (bridges,couronne, inlays, etc.) mais ils ne sontpas pris en charge par les mutuellesen Belgique. Ce sont la porcelaine etdes alliages d’or, de palladium, d’ar-gent, de nikel-chrome et de chrome-cobalt ; les deux derniers étant connuspour leurs propriétés allergènes chezcertaines personnes. Le temps depréparation (taille, empreinte, travaildu laboratoire, collage) et le coût dece type de prothèse restent les princi-paux obstacles à leur utilisation mas-sive, car ils présentent de nombreuxavantages dont la bonne bio-compa-tibilité, la longévité, l’esthétique,l’étanchéité, une certaine facilité pourla mise en œuvre du travail et de sonplacement.

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La toxicité relative desamalgames d’argent et deleurs résidus mercuriels

Les amalgames d’argent ne représen-tent pas la plus grosse exposition aumercure. Il existe de nombreusessources d’exposition au mercure, telsles thermomètres ou les désinfectantscutanés utilisant des dérivésmercuriels comme principe actif ;mais la principale source de mercureest à chercher dans les diverses pol-lutions industrielles tels les inciné-rateurs ou les déchets industriels. Cespolluants peuvent se retrouver par lasuite dans l’air que nous respirons oudans nos assiettes (il faut savoir quela chair de poisson renferme unegrosse quantité de méthylmercurenéphrotoxique et inducteur de cancerdu colon). Les déchets mercuriels sontdonc une grosse cause de pollution del’environnement par les industries ;mais les déchets dentaires sont

Les métaux lourds en dentisterie(suite)

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récupérés par des récupérateursd’amalgame d’argent qui sont fournisavec le système d’aspirations des« unit » dentaires. Ces déchets, seronttraités et triés par des firmes spécia-lisées agréées par l’état.

Il faut reconnaître l’existence d’unecorrélation entre le nombre d’amal-games d’argent présents en bouche etl’absorption de vapeurs mercuriellespar le corps. Les différentes études ontmontré une diminution de la chargede mercure présent dans les cheveuxet les urines quelques mois après avoirretiré les amalgames d’argent de labouche ! Mais les taux présents demercure d’origine dentaire sont endessous du seuil minimum pourinduire les symptômes décrits plushaut, sauf de rares cas d’hypersensibi-lité. Différentes études ont montré,pendant la mastication, des taux devapeurs mercurielles largementinférieures aux normes journalièrespréconisées par les pays européens etles Etats-Unis (la Food and drugadministration en autorise l’utilisa-tion).

Il faut rappeler que le dentiste sera lapersonne la plus exposée à ces vapeursde mercure vu la quantité d’amalgamed’argent placé et enlevé chaque jourau cabinet. Or, les dentistes ne présen-tent pas plus de pathologie d’intoxica-tion au mercure que la populationgénérale. Près de 80 % de lapopulation européenne porte del’amalgame d’argent en bouche.

La Commission européenne a mis enplace une commission d’évaluationdes risques en santé publique desamalgames d’argent. Les conclusionsdu groupe furent les suivantes :

• Les quantités de mercure présentesdans les amalgames d’argent ne sonten général pas suffisantes pourinduire un processus pathologiquechez le porteur.

• Le coût économique du remplace-ment des amalgames d’argent estimpossible à payer pour les institu-tions de remboursement des soinsde santé.

• Il n’existe actuellement aucunmatériau de substitution aussi per-formant en terme de facilité de miseen place et de longévité ayant unemeilleure bio-compatibilité (hormisles prothèses fixes qui font appel àun prothésiste pour leur réalisation).

• Après évaluation des risques parrapport aux avantages observés,sans mettre en danger la vie duporteur, l’amalgame d’argent resteun des matériaux de choix dans lesreconstructions dentaires.

Actuellement, sauf quelques paysnordiques qui ont interdit leur utilisa-tion sous le principe de précaution(sans demander le remplacement desamalgames d’argent déjà placé enbouche), aucun pays n’en a interditl’usage.

Les derniers éléments plaidant en leurfaveur sont la facilité de mise en placepar le praticien, le temps réduit de pla-cement, le moindre coût du matériauet l’effet bactériostatique.Il faut néanmoins éviter de les placerdans certains cas particuliers :

• Les femmes enceintes. Le mercure

passe la barrière placentaire et se re-trouve en petite quantité dans le laitmaternel. Le bébé étant plus fragile,il est dès lors déconseillé de déposerou de placer des amalgames d’ar-gent durant cette période ;

• Les cas d’insuffisance rénale où lemercure largué par les amalgamesd’argent risque d’aggraver la patho-logie ;

• Les cas avérés de sensibilité auxmétaux lourds ;

• Les personnes déjà fort exposéesprofessionnellement au mercure.

○ ○ ○ ○

Conclusion

Le mercure et ses dérivés sontindéniablement toxiques et polluants.Les amalgames d’argent représententune infime partie de cette pollutionenvironnementale et « corporelle ». Ilne faut donc pas la négliger, mais lesavantages tant pour le praticien quepour le patient sont important. Lesautres matériaux mis à notre disposi-tion ne révèlent pas de meilleure bio-compatibilité, si ce n’est les alliagesprécieux et semi-précieux utilisés enprothèse fixées (couronnes, bridges)mais qui présentent des coûts defabrication élevés (qui payera ?). Faut-il dès lors se passer de l’amalgamed’argent ?Chaque praticien de l’art dentaire doitestimer les risques encourus pour luiet son patient lors du choix du matérielde reconstruction, mais la meilleureattitude reste la prévention de la carie.

Je remercie les membres de la maison médicaleKattebroeck pour leurs conseils lors de larelecture du texte, le parodontologue DebeuleF., pour sa documentation, et le Dr Namour S.pour son aide précieuse.

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Nous aussi, on aime lesjeunes

C’est dans les années 80 que l’indus-trie du tabac commence à émerger surle terrain de la prévention, avec dif-férentes stratégies bien articulées. Lespremières campagnes s’adressentdirectement aux jeunes ou à leursparents ; dès le début des années 90,des actions spécifiques s’adressent auxdétaillants ; vers la fin des années 90,l’industrie forge des alliances avec desorganisations reconnues, menant desactivités destinées à la jeunesse. Unefois bien mises au point aux Etats-Unis, ces stratégies seront progres-sivement répandues à travers le mondeentier.

Pourquoi un tel zèle ? A l’époque,deux grands dangers menacent sérieu-sement l’industrie du tabac aux Etats-Unis : d’une part, le public devient deplus en plus critique vis-à-vis des pra-tiques publicitaires, et le mouvementdes droits des non-fumeurs commenceà émerger ; d’autre part, les autoritésenvisagent de prendre des mesureslégales pour limiter la promotion dela cigarette, qui est en passe de franchircertaines limites. Ainsi par exemple,en l978, le secrétaire de la Santé, del’Éducation et du Bien-être accusel’industrie du tabac de faire du marke-ting vers les enfants (notamment enutilisant des bandes dessinées, des« cartoons ») ; la Commission fédéraledu commerce examine la possibilitéde réguler la publicité ; de nombreuxétats envisagent d’interdire les distri-buteurs automatiques, la distributiond’échantillons gratuits, les comptoirsself service, la publicité près des écoles…

Il faut réagir, en force et de toute

urgence ! Le président de l’Institut dutabac observe dans le meeting annuelde l982, que « l’image de lobby imbat-table qu’avait l’industrie a été fis-surée ». Le même Institut suggère trèsvite des pistes intéressantes, dans uneprésentation confidentielle (écrite sansdoute vers l982-83) relative au« développement de la stratégie del’industrie du tabac » : « Adopter desprogrammes socialement responsablespourrait avoir l’impact positif suivant :une compréhension plus fine, chez lesdécideurs, des besoins et des compor-tements de l’industrie. Par exemple,proposer un programme qui découra-gerait les adolescents de fumerpermettrait de prévenir ou de retarderdes mesures de régulation prises àl’encontre de l’industrie du tabac ».

○ ○ ○ ○

La faute aux parentsincompétents et auxmauvaises fréquentations

Un document de travail provenantaussi de l’Institut du tabac (l991)clarifie les enjeux et les stratégies demanière encore plus précise :

« Le programme jeune soutientl’objectif de l’Institut : décourager lesmesures contre-productives de restric-tion vis-à-vis de la publicité, qui pour-raient être prises à tous les niveaux(local, étatique, fédéral) :

• en montrant de manière évidente,continue et persuasive, que l’indus-trie décourage activement le taba-gisme des jeunes et en fournissantune vérification indépendante de lavalidité de ces efforts ;

• en renforçant la croyance selonlaquelle la pression des pairs – etnon pas la publicité – est la cause

L’industrie du tabac et la prévention,ou l’art de montrer patte blanche

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Marianne Prévost, sociologue, chargée de mission à la Fédération des maisons médicales

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L’industrie du tabac a-t-elle une âme ?Pas beaucoup à première vue,penseraient d’aucuns ; mais ellecompense ses méfaits en finançantgénéreusement des campagnes deprévention du… tabagisme chez lesjeunes ! Ainsi, en 2001, Philip Morrispouvait se targuer de soutenir plus decent trente programmes disséminés àtravers septante pays… Ce qui estparticulièrement admirable puisqueles jeunes constituent un solidemarché potentiel… Oui mais,rétorquent des professionnels de santésuspicieux, tout cela n’est que façade,couverture et faux semblant ;quelques-uns de ces méfiants, particu-lièrement fouineurs, ont examiné descentaines d’archives rendues publi-ques suite aux procès intentés àl’industrie du tabac dans les années’90. Il en ressort un remarquablearticle publié dans l’American Journalof Public Health, dont les auteursétudient de manière approfondie cequi se cache derrière les bonnesintentions - et cette analyse laisse,hélas, peu de doute quant à la vertudes fabricants de cigarette.Nous présentons ici quelques pointssaillants de cet article, en conseillantau lecteur de s’y reporter : il contientcent septante-trois références qu’il estimpossible de reproduire ici, et faitpartie de tout un dossier consacré parl’ American Journal of Public Healthà la problématique du tabac (AnneLandman, BA, Pamela M. Ling, MD,MPH and Stanton A. Glantz, PhD,« Tobacco Industry Youth SmokingPrevention Programs : Protecting theIndustry and Hurting TobaccoControl », American Journal of PublicHealth, June 2002, Vol 92, N° 6).

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du tabagisme des jeunes ;• en s’annexant les tendances poli-

tiques centristes et en acculant lesanti-fumeurs à des positionsextrêmes.

La stratégie est parfaitement simple :

• promouvoir avec insistance l’op-position de l’industrie au tabagismedes jeunes ;

• aligner l’industrie sur des concep-tions plus larges, plus complexes duproblème, par exemple l’incapacitédes parents à contrebalancer lapression des pairs ;

• travailler, pour attaquer le « pro-blème », avec des éducateurs et desprofessionnels du bien-être desjeunes qui sont crédibles ;

• amener les mouvements anti-tabacà critiquer les efforts de l’industrie.Focaliser les media sur l’extrémis-me des « antis ». Anticiper etémousser leurs arguments les plusforts… afin de se positionner. Unemédiatisation très large… permet, etc’est important, d’informer le publicque l’industrie dit qu’elle essaie defaire une bonne action («the rightthing») ».

(les italiques et guillemets se trouventdans le document original !).

C’est assez limpide… mais commentles fabricants de cigarettes peuvent-ilsdonc bien élaborer des campagnes deprévention sans scier la branche surlaquelle ils sont assis ? C’est, encoreune fois, parfaitement simple : toutela finesse consiste à élaborer, ens’entourant des compétences néces-saires, des messages qui ne contre-disent pas ou n’interfèrent pas avec lapublicité - dont l’impact se voit parailleurs minimisé, puisque la respon-sabilité du tabagisme des jeunes

repose sur « l’incapacité » desparents…

○ ○ ○ ○

Soyons positifs et ambigus

Le principe de base, c’est de voilerpudiquement les effets négatifs dutabac : ceux-ci ne sont jamais abordésdans ces campagnes, pas plus quel’effet addictif de la nicotine, et cen’est évidemment pas un hasard :« J’aimerais construire notre proprescénario sur la cigarette – n’abordantaucune implication sur la santé, maispositivant le fait que les adolescentsn’ont pas besoin de fumer pour avoirl’air grands, ne doivent pas suivreaveuglément l’exemple des autres, etc.Je pense à consulter un psychologuequi a été un leader dans la recherchedu Gouvernement fédéral sur letabagisme jusqu’à sa retraite en l978 ;s’il pouvait être persuadé de nosbonnes intentions et nous donner lavision du psychologue sur la manièred’aborder cela sans parler de la santé »(extrait d’une lettre écrite en l984 parla vice-présidente de l’Institut dutabac).

Une démarche positive, basée surl’étude des facteurs expliquant lescomportements, et qui n’« assomme »pas les jeunes en brandissant la crainted’effets négatifs à long terme : beau-coup de professionnels de l’éducation

à la santé peuvent seretrouver dans cette appro-che… Mais tout l’artconsiste à construire desmessages pervers ouambigus : le tabagisme desjeunes est présenté demanière récurrente commeun acte de rébellion, « un

choix d’adulte », la cigarette devenantun « fruit défendu ». C’est l’enfancede l’art du message contre-productif(ou très productif, en l’occurrence) :quel jeune n’a pas le désir de goûterau fruit défendu, de se rebeller, d’affir-mer qu’il a l’âge de faire un choixadulte – surtout si on lui dit qu’il esttrop jeune pour ça ? Une recherche demarketing faite pour Imperial Tobaccoen l977 explique fort bien l’attrait du« fruit défendu » : « Bien évidem-ment, un des éléments très attractifsde la cigarette est d’être un fruitdéfendu. Où qu’ils se tournent, lesadolescents sont face à des conseils dene pas fumer. Les lectures scolaires,les professeurs, les parents (mêmeceux qui fument) leur disent de ne pasfumer. Dès lors, quand un adolescentcherche quelque chose qui, en mêmetemps, le fait se sentir différent, et luifait sentir qu’il est assez grand pourignorer le poids de l’autorité, demanière à ce qu’il puisse faire sonpropre choix, que pourrait-il trouverde mieux qu’une cigarette ? ». Enl999, Philip Morris publie dansdifférents magazines une série demessages en pleine page, destinés auxparents : ils représentent une coupe defruits, ou un verre de lait avec desgâteaux, assortis de petites questionssybillines qui pourraient bien titillerl’intérêt des jeunes : « quelles autreschoses mettez-vous hors de portée devos enfants ? », « que laissez-vous àportée de vos enfants ? ».

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Un effet secondaire très intéressant descampagnes de prévention, c’estqu’elles légitimisent la recherche surles jeunes (il faut bien connaître lepublic cible), à un moment où lesétudes publicitaires devenaient de plusen plus inavouables. Menée au nomde la prévention, la recherche permetde collecter tranquillement des don-nées qui - comme la science faitparfois bien les choses !- peuvent trèsbien être exploitées pour promouvoirle tabac auprès des jeunes. Prévenirou promouvoir le tabagisme… lesthèmes étudiés sont sensiblement lesmêmes : style de vie, activités deloisirs, aspirations, attitudes vis-à-visdu tabac…

L’analyse d’une étude faite en l992pour Philip Morris (par son agence depublicité) illustre bien les processus àl’œuvre. L’objectif est ici de « com-prendre les dynamiques à l’œuvrelorsque les jeunes de 12-17 ansrésistent ou succombent à la pressionsociale, particulièrement quand ils’agit de décider de ne pas fumer ».

La recherche indique que cette tranched’âge comporte en fait deux sous-groupes qui ont des sensibilités diffé-rentes : les plus jeunes ne réagissentpas à la publicité comme les plus âgés,ces derniers s’identifient aux jeunesadultes, et chacun est plus sensible auxmessages mettant en scène des jeunesdu sous-groupe auquel il s’identifie.En conclusion, Philip Morris créerades messages de prévention mettant enscène des jeunes de 10-14 ans : cesmessages n’attireront pas l’attentiondes 15-17 ans – chez qui justement, lerisque de devenir fumeur est le plusélevé ; ils resteront dès lors vulné-rables à la publicité ciblant les jeunesadultes…

○ ○ ○ ○

Comment faire un tabacavec une loi anti-tabac ?

Un argument assez peu efficace (voiremême contre-productif) pour luttercontre le tabagisme chez les jeunes,c’est l’interdiction légale (en vigueuraux Etats-Unis pour les moins de dix-huit ans). Eh bien, justement, c’estl’argument central d’un programmeciblant les détaillants. La campagne« It’s the Law» (C’est la loi), lancéeen l990 par l’Institut du tabac et quePhilip Morris reprendra dans sonprogramme «Action Against Access»encourage les détaillants à disposerdes autocollants, des avertissementsstipulant qu’ils ne vendent pas decigarettes aux moins de dix-huit ans.Une série d’e-mails échangés entre dehauts responsables de Philip Morrismontrent que cette action a étélargement médiatisée dans des lieuxoù l’on pouvait être sûr de toucher desresponsables – mais pas trop de jeunes.

Les programmes We Card, Ask First,sont basés sur le même type d’argu-mentaire. Quel est leur intérêt ? Mon-trer bien sûr, la bonne volonté desfabricants de cigarettes, qui peuventainsi arguer de l’inutilité des régle-mentations. Mais aussi, créer denouvelles alliances : un rapportconfidentiel écrit en l992 par un hautresponsable de l’Institut du tabacprécise ainsi que « à des fins de moni-toring, nous avons financé nos alliésdans les commerces de proximité pourqu’ils nous informent régulièrementde l’introduction d’ordonnanceslégales, et qu’ils nous assistent dansles campagnes, afin de stopper lesmesures déraisonnables. La promotiondu programme «Its the law» etd’autres programmes de l’industrie,

jouent aussi un grand rôle à cetégard ». Et, chez Philip Morris, enl994 : « Nous avions besoin d’un sys-tème efficace pour savoir quand et oùdes réglementations locales sontproposées, que ce soit lors de« meetings» en ville, dans les conseilsde cités, ou par les bureaux sanitaires(Boards of Health). En travaillant avecl’Association des commerces deproximité de la Nouvelle Angleterreet avec d’autres compagnies de tabac,nous avons développé un réseau grâceauquel les détaillants locaux peuventnous assister en nous informant sur lesactivités législatives dans chaquecommunauté du Massachusetts. Nousavons découvert qu’avoir suffisam-ment d’avance (sur les décisions), etavoir quelqu’un sur place, cela fait ladifférence ».

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La prévention, ça clope…

Dernière stratégie, la création d’allian-ces avec des institutions reconnues etcrédibles – ce qui permet à l’industriedu tabac de redorer son blason grâceà de nouveaux appuis. Les program-mes de prévention fournissent à cesorganismes la preuve de la bonnevolonté des fabricants de cigarettes, etcréent l’occasion d’une collaborationbien construite. C’est ainsi qu’en l984,l’Institut du tabac sollicite l’Associa-tion nationale des bureaux d’État pourl’éducation (NASBE, NationalAssociation of State Boards ofEducation), pour la diffusion duprogramme «Helping Youth Decide».L’analyse de ce public est très fine :« les membres de NASBE ne sont engénéral pas des éducateurs, mais desmembres de la communauté d’affaireset des élus politiques. Ils n’ont pas

L’industrie du tabac et la prévention, ou l’art de montrer patte blanche(suite)

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vraiment d’idéologie, ils ont générale-ment un bon sens politique et soutien-nent les perspectives du business ; ilne semble pas y avoir de biais anti-tabac parmi eux… Le soutien duNASBE entraînera une certaineprudence dans les établissementsscolaires qui pourraient avoir desobjections à propos du programme ».

Dès le début, les professionnels de lasanté critiquent cette alliance qu’ilsestiment douteuse ; celle-ci se termineen l988, après plusieurs conflits liés àla stratégie de communication, et leNASBE arrête de sponsoriser desprogrammes pour jeunes. Qu’à cela netienne, l’Institut du tabac crée alors sapropre « fondation indépendante », leFamily COURSE Consortium,présentée comme une « asbl composéed’éducateurs, de professionnelsd’organismes de jeunesse et d’autresparties intéressées », dont le seulobjectif est de promouvoir lesprogrammes pour jeunes.

Quelques années plus tard, PhilipMorris poursuit dans la même veine,mais en allant plus loin : il place sespropres représentants dans les bureauxde diverses organisations auxquellesil offre de substantielles allocations.Une très belle réussite est l’allianceréalisée avec le 4H-National Program,qui dépend de la branche éducative duDépartement of Agriculture’sCooperative Extension Service, avecdes bureaux à travers l’ensemble desEtats-Unis. « 4H » signifie «Head,Heart, Hands and Health», le pro-gramme a une réputation bien établieen tant qu’organisation de soutien à lajeunesse. Cet organisme, qui n’avaitjamais traité avec l’Industrie du tabac,se voit offrir un budget considérablepour participer au design et à l’implan-

tation d’un programme anti-tabac. Lanouvelle alliance est rapidementscellée et annoncée – ce qui provoqueimmédiatement une levée de boucliersdu côté des acteurs de santé publique :l’American Lung Association, l’Ame-rican Heart Association, l’AmericanCancer Society, le groupe Americansfor Nonsmokers Rights, l’AmericanMedical Association, le National Cen-ter for Tobacco Free kids, s’unissentpour décrire aux responsables duprogramme 4H la manière dontl’industrie du tabac s’aligne avec desorganisations respectables pour polirson image publique et consolider soninfluence sur le plan légal. Le résul-tat de cette action est que vingt-septbranches d’état de 4H (sur cinquante)rejettent le partenariat avec PhilipMorris ; au niveau national toutefois,ce partenariat est maintenu…

Un bénéfice non négligeable de cetteintense activité préventive, c’estqu’elle permet de pénétrer des lieuxinterdits à la publicité du tabac –depuis certains magasins pour jeunes,jusqu’à des émissions de télévisiontrès populaires, des événement spor-tifs, des Comic Books… A travers sonprogramme «Tobacco is Whacko», laLorrilard Tobacco Company invite lesjeunes à consulter son site web, où ilspourront notamment remplir des ques-tionnaires d’enquêtes... La compagniese crée ainsi une très intéressantemailing list, et recueille de précieusesinformations sur le profil des jeunes…

○ ○ ○ ○

L’évaluation : un écran defumée

Qu’en est-il de l’évaluation ? Nosdétectives ont cherché avec acharne-

ment toutes les traces possiblesmontrant l’efficacité des campagnespour les jeunes menées par l’industrie.Pas de réponse, et d’ailleurs pas dequestion : les évaluations ne portentjamais sur l’impact en terme de taba-gisme ou d’intention de fumer (alorsque ces questions sont régulièrementposées dans les études, parfois trèssophistiquées, menées pour tester lesmessages publicitaires). Ici, lesévaluations portent sur la visibilité descampagnes auprès des adultes, lacompréhension et l’attrait des bro-chures distribuées, l’acceptabilité dela campagne par les fumeurs, l’effetdu programme sur l’image de la firmeconcernée, et, très important, sonimpact en terme de relations publiqueset d’avancées (c’est-à-dire de recula-des) sur le plan législatif et réglemen-taire. Le succès des initiatives vers lesjeunes sera déterminé par le faitqu’elles auront conduit à « uneréduction de l’introduction et del’adoption de mesures législatives quirestreignent ou bannissent nos venteset nos activités de marketing », ainsiqu’à « l’adoption de mesures légalesfavorables à l’industrie du tabac » età « un plus grand soutien de la partdes milieux d’affaire, des parents etdes enseignants » (Philip Morris,l991).

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Ne pas oublier le reste dumonde, y compris le Tiers-Monde…

Dès les années ’90, il s’agira d’étendreces stratégies à travers le monde, quise réveille dangereusement. Commele dit un mémorandum écrit en l993par le responsable de Philip Morrispour l’Amérique Latine, « la pression

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croissante des forces anti-tabac enAmérique Latine a créé le besoind’explorer différentes options pourcontrer la publicité négative. Un thèmea récemment fait surface, le fait queles compagnies multinationalesciblent les enfants dans les campagnespublicitaires. Il faut prendre enconsidération le climat légal négatifqui émerge dans cette région ; et nousavons l’opportunité de créer un climatbienveillant pour l’industrie du tabacen médiatisant une campagnedécourageant le tabagisme des jeunes.Notre objectif : communiquer le faitque l’industrie du tabac n’est pasintéressée à ce que les jeunes fument,et positionner l’industrie comme uneassociation de citoyens concernés, afinde parer aux attaques ultérieures desgroupes anti-tabac ».

Les messages élaborés aux Etats-Unisseront traduits dans toutes les langues,et en respectant toute l’ambiguïté derigueur : « fruit défendu » décliné àtoutes les sauces, accent mis sur lelibre choix plutôt que sur les effetssanitaires … ; un slogan russe évoquel’idée de « sensation, expérimenta-tion », au Japon le tabagisme estassocié à la maturité nécessaire pourconduire un véhicule ; en Pologne unecampagne informe les jeunes de dix-quinze ans qu’ils ne sont « pas assezmurs ou éduqués pour fumer » …

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Et c’est pas tout, et c’est pastout….

Nous n’avons fait ici qu’un survol del’article de l’American Journal ofPublic Health. Il eût été intéressant

(mais la place manque !), d’investi-guer d’autres liens, ceux qui existententre les fabricants de cigarettes etl’industrie pharmaceutique, parfoisvictime de pressions commerciales…C’est ainsi que d’autres investigateursmal intentionnés (référence : RayMoynihan, « Tobacco Giant under-mined Nicorette campaign », BMJ,Volume 325, 17/8/92 ; cet auteur citeune recherche publiée dans JAMA2002 ;288 : 738-44) rapportent despressions subies par la Dow ChemicalCompany, gentiment invitée, dans lesannées 80, à évacuer les messagesanti-tabac suggérés dans ses publicitéspour les chewing gum à la nicotine etles patchs. Même conseil d’amisdélivré à CIBA-Geigy, qui produisaitun patch largement vendu début ’90.Quelle voie d’influence ? Eh bien, parexemple, CIBA-Geigy était depuislongtemps un gros fournisseur depesticides pour l’industrie du tabac...Mais rien ne dit que ces pratiques sontencore d’actualité, bien que « beau-coup d’acteurs de santé publique ontobservé que les (compagnies pharma-ceutiques) hésitent étrangement àmettre leur poids dans les efforts deprévention, et à utiliser des messagesforts dans leurs publicités... » (SimonChapman, cité dans l’article du BritishMedical Journal).

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La seule solution : filtrez vosrelations

Il y a fort heureusement des réactionsvigoureuses, citons-en deux : laLondon School of Hygiene andTropical Medecine a formulé desrecommandations relatives aux parte-

nariats avec des firmes commerciales -partenariats que proposent denombreux secteurs marchands, et quiprésentent évidemment des avantagesnon négligeables. La London Schoolsoutient la nécessité de définir descritères d’acceptabilité pour ces parte-nariats, et de montrer une extrêmevigilance afin de sauvegarder l’indé-pendance académique. Elle a élaborédes guidelines qui fournissent uneexcellente base de réflexion pour tousles acteurs de santé. Ils ne sont pas trèsdifficiles à appliquer, particulièrementen ce qui concerne le partenariat avecle secteur du tabac, relégué pour l’oc-casion en bien mauvaise compagnie :les recommandations excluent d’of-fice « la collaboration directe ouindirecte avec des compagnies dont lesactivités ou les intérêts menacent lasanté publique, tels que l’industrie dutabac et des produits dérivés, le com-merce et la manufacture d’armes. »

Plus près de nous, de nombreuxprofessionnels de santé publique sesont récemment élevés contre la jeuneFondation Rodin, qui, dotée d’impor-tants budgets par Philip Morris (1,85millions d’euros par an pendant cinqans), semble espérer un apportéquivalent de fonds publics. Cet orga-nisme se donne pour mission d’étudierscientifiquement le tabagisme, afin desoutenir particulièrement la préven-tion vis-à-vis des jeunes. Nouspublions ci-contre la carte blanche co-signée par de nombreuses person-nalités médicales, académiques etassociatives dans la Libre Belgique (4juin 2002) et le Journal du Médecin(31 mai 2002)

L’industrie du tabac et la prévention, ou l’art de montrer patte blanche(suite)

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En Belgique, une nouvelle fondation,baptisée « Rodin », a vu le jourrécemment. Parmi ses objectifs, elleannonce celui de fournir un supportscientifique à d’autres organisations età des initiatives, entre autres deprévention du tabagisme chez lesjeunes. Paradoxe : cette fondation,outre un apport annoncé de fondspublics, a conclu un contrat avec PhilipMorris et va recevoir de cette firme1,85 millions d’Euros, chaque année,pendant cinq ans !

On ne peut qu’être abasourdi par unetelle « naïveté ». En effet, pluspersonne n’ignore les stratégies deséduction des cigarettiers.Ainsi, l’Organisation mondiale de lasanté, le Comité anglais d’éducationpour la santé, l’Agence dedéveloppement de la santé, l’Unioninternationale pour la promotion etl’éducation pour la santé, la Fédérationdes organisations de promotion de lasanté de Nouvelle-Zélande, ont inscritdans leurs statuts ou règlementsd’ordre intérieur l’interdiction derecevoir un financement de l’industriedu tabac. Pour sa part, le professeurRichard Smith, éditeur du BritishMedical Journal, a démissionné de sonposte académique lorsque sonuniversité, l’Université de Nottingham,a accepté 3,8 millions £ de l’industriedu tabac. Autres exemples : l’École desanté publique de Harvard a décidéde ne jamais accepter de financementde l’industrie du tabac, ou de n’importequelle entreprise liée d’une manière oud’une autre au tabac ; certaines revuesdébattent sur l’acceptation ou nond’articles scientifiques relatant desrecherches financées par l’industrie dutabac ; et ceux qui sont en faveur de

Tabac : non à la naïveté

telles publications reconnaissent qu’ilest indispensable que cette relationentre recherche et industrie soitclairement connue des lecteurs…Pourquoi une telle unanimité ? Parceque des revues de la littérature ontmontré que les recherches concernantle tabac ont plus de chance d’êtrefavorables à cette drogue si elles sontfinancées par l’industrie descigarettiers. Également parce que cesderniers se construisent un réseau dechercheurs et d’institutions sensiblesà leur cause et leur proposent desstratégies susceptibles d’influencer lespolitiques en leur faveur ou dedévelopper des campagnes deprévention inefficaces, voire contre-productives. Parce que l’industrie peut,au travers d’institutions écrans, entrerdans les écoles et avoir accès auxdonnées qui y sont collectées et quilui sont généralement soigneusementcachées. Parce que l’industriedétourne en sa faveur les résultatsd’études d’une manière perverse, qu’ils’agisse par exemple du tabagismepassif ou des jeunes.

Alors, pourquoi certains de nosministres envisagent-ils, contre lesrecommandations du Dr GroBruntland, directeur général del’Organisation mondiale de la santé, lefinancement de campagnes préven-tives par l’industrie du tabac et

pourquoi pensent-ils même lescofinancer avec des deniers publics ?Pourquoi certains de nos scientifiquesacceptent-ils les offres de l’industrie dutabac ?

Si l’industrie du tabac veut vraimentsoutenir la prévention et la recherche,elle dispose d’autres alternatives : parexemple, elle pourrait proposerd’alimenter le Fonds national de larecherche scientifique médicale et lesDépartements ministériels qui ont lapromotion de la santé dans leursattributions… Ce financement seraitalors évidemment dénué de tout droitde regards et de toute différenciationdes autres sources de financement.Ainsi, les institutions et équipes qui ontaccumulé des compétences depuis denombreuses années dans le domainede la prévention auraient peut-être desmoyens leur permettant de mieuxrépondre aux demandes de plus enplus nombreuses que leur apportentleur efficacité et leur crédibilité sur leterrain.En conclusions, nous disons non auxcampagnes préventives subtilementtélécommandées par l’industrie dutabac, non à toute recherche apportantà cette industrie des informations qui,en définitive, lui seront utiles dans saconquête de nouveaux marchés, ouià la vigilance permanente vis-à-vis deses initiatives.

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L’industrie du tabac et la prévention, ou l’art de montrer patte blanche(suite)

Michel Andrien, directeur du CERES, Université de LiègePierre Bartsch, professeur, président de la FARESLuc BerghmansPierre BizelMichel Boutsen, médecinCharles Burquel, médecin psychiatre à l’UCLLe Centre de diffusion de la culture sanitaire asblLe Centre local de promotion santé de Mons Soignies (Mme Valfer, présidente et Mme V. Bouttin, directrice)Le Centre local de promotion de la santé du Hainaut OccidentalLes Centres de planning familial des femmes prévoyantes socialistesLa Coalition nationale contre le tabacLe Conseil de la jeunesse catholique (CJC)Benoit Dadoumont, Centre local de promotion de la santé de Huy-WaremmesMartine Dal, Prospective jeunesse asblNathalie DavreuxChristian Debock, président du Conseil supérieur de promotion de la santé de la Communauté Wallonie-BruxellesChristophe de Brouwer, professeur à l’École de santé publique de l’ULBAlain Deccache, professeur à l’UCLChristine Deliens, Coordination éducation/santé asblJeanne-Marie Delvaux, ESPACE Santé, LiègeMuriel Dimblon, Centre local de promotion de la santé de Huy-WaremmeBruno Dujardin, professeur à l’École de santé publique de ULBAndré Dufour, médecin, responsable de l’Institut de médecine préventive de la Société scientifique de médecine généraleÉduqua santé AsblM. Einhorn, médecin, rédacteur en chef du Journal du MédecinL’Equipe asLa Fédération belge contre le cancerLa Fédération des Initiatives locales pour l’enfance, BruxellesLes 17 associations membres de la FEDITO Bruxelles (Fédération bruxelloise francophone des institutions pourtoxicomanes)Les 17 associations membres de la FEDITO wallonne (Fédération wallonne des institutions pour toxicomanes)Les Femmes prévoyantes socialistesAnne FenauxNorbert Gensterblum, directeur de l’ASL (Arbeitsgemeinschaft für Suchtvor- beugung und Lebensbewältigung)Marie-Paul Giot, Service toxicomanie du centre de santé mentale du CPAS de CharleroiChristiane.GossetAlda Greoli, directrice du département socio-éducatif des Mutualités chrétiennesAndré Grivegnee, professeur, Cancer Prevention and Screening Clinic, Institut Jules BordetFabienne Hariga, médecin, Modus VivendiPerrine Hunblet, professeur à l’École de santé publique de l’ULBInfor-DroguesJean-Pierre Jacques, médecin, projet LamaVéronique JanzykPascale Jonckheer, médecin à l’Institut de médecine préventive de la Société scientifique de médecine généraleFrance Kittel, professeur à l’École de santé publique de ULBM. Kleykens, Secrétaire générale, Femmes prévoyantes socialistes de LiègeLaurence Kohn, aspirante FNRS à l’École de santé publique ULBMarcel Kornitzer, professeur à l’ULBSophie Köttgen coordinatrice du SUB focal point (Arbeitsgemeinschaft für

Les signataires

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Suchtvor- beugung und Lebensbewältigung)Raphaël Lagasse, professeur à l’École de santé publique de ULBJean Laperche, médecin CUMG-UCL et Fédération des maisons médicalesChantal LEVA, Centre liégeois de promotion de la santéALain Levêque, médecin, chercheur à l’École de santé publique de l’ULBKarin Levie, médecin directeur, Centre de santé UCLVincent Litt, médecin à l’Institut de médecine préventive de la Société scientifique de médecine généralePhilippe Mairiaux, professeur à l’ULGChristian MassotMichel Méganck, médecin, Société scientifique de médecine généralePhilippe Meremans, chargé de recherche à l’École de santé publique UCLMadeleine Moulin, professeur à l’ULBValérie Notelaers, secrétaire générale Jeunesse & Santé ASBLDanielle Piette, professeur à l’École de santé publique de ULBThierry Poucet, journaliste de santé publiqueAxel Roucloux, conseiller en promotion de la santéPierre T. Soumenkoff, Director, International Business Development, Biomedical Systems, Pharmaceutical DivisionBéatrice Swennen, médecinVéronique TellierPatrick Trefois, responsable du Service communautaire de promotion de la santé - asbl Question SantéMuriel van der Heyden, coordinatrice de projets de promotion de la santé Jeunesse & Santé ASBLChantal Vandoorne, directrice du SCPS APES-ULGBernard Vercruysse, médecin, vice-président de la FAGAxelle Vermeeren, médecin coordonnateur, Centre de santé de l’enseignement supérieur

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Pas de fumée sans Freud -Psychanalyse du fumeurPhilippe Grimbert, psychanalysteParu chez Hachette Littératures,2002.

Depuis l’effondrement du mur deBerlin, l’anticommunisme s’est affadidans le discours des bien-pensants.Mais, jamais à court de ressources,l’indignation s’est trouvée d’autresmodes : le tabac. Nourri d’évidencesscientifiques et de platitudesmoralisatrices, l’antitabagismeprimaire dominant est redoutabled’inefficacité : ses plus éclatantesréussites se matérialisent par laségrégation des fumeurs etl’autosatisfaction confortable desévangélisateurs de l’abstinence.

Philippe Grimbert nous offrel’occasion de dépasser les anathèmesstériles en nous conviant à uneréflexion sur l’énigme du tabagismede Freud. Le père de la psychanalyseétait médecin et parfaitementconscient du mal que lui faisaient sescigares adorés, mais jamais il neparvint, malgré de nombreux essais, àbasculer dans le camp des non-fumeurs. Atteint d’un cancer de labouche, opérés de nombreuses fois,appareillé d’une prothèse du palaisqu’il appelait « le Monstre », jusqu’àla fin de sa vie Freud buta sur cetobstacle à jamais infranchi : sanstabac, pour lui pas de travail, pas deconquête de la connaissance... Ce quiconduit Grimbert à se demander si cen’est pas de son « inanalysé » queFreud est mort.

Au fil de sa réflexion, l’auteur nousentraîne dans la vie privée de Freud,au cœur du clivage du moi qui

s’exprimait dans son ambivalence vis-à-vis du tabac, mais aussi dans sesdécouvertes, dans la part que prit letabac à l’élaboration de lapsychanalyse. De la durée de la séanced’analyse (environ deux cigares, enattention flottante) aux théories« tabagiques » de la sexualité(équivalent masturbatoire, passe-partout du désir, pulsion de mort,angoisse de castration...), il dessine leportrait d’un Freud prométhéen quioffrit la connaissance aux hommes etmourut du feu qu’il déroba aux dieux.

LI

VR

ES Pas de fumée sans Freud

Psychanalyse du fumeur

Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman bethune

A intervalles réguliers, l’auteurentrecoupe son développement deconsidérations historiques sur le tabac,de saynètes mettant en scène lesprotagonistes du conflit fumeurs-antifumeurs, du récit de sesdéambulations dans la maison deFreud ou au cimetière où il repose, ouencore d’une attendrissante élégiepour le cinéma Rex, belle salle

parisienne où les fauteuils étaientéquipés de cendriers.

D’une lecture aisée et agréable, Pasde fumée sans Freud stimule laréflexion sur la problématique dutabac. Tant les professionnels appelésà répondre à une demande de sevrageou à élaborer des campagnes, que lesusagers désireux d’explorer ce qui sejoue sous la robe blanche de leurcigarette y puiseront de quoi dépasserles discours primaires. Fumeurscomme non-fumeurs, ne pass’abstenir.