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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 536—539 CAS CLINIQUE Sinus de l’ouraque révélé par une suppuration ombilicale à l’âge adulte Urachal sinus presenting as umbilical drainage in an adult male P. Guillot a,, O. Renard b , G. Robert b , J.-M. Ferrière b , M. Beylot-Barry a , M.-S. Doutre a a Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, avenue de Magellan, 33604 Pessac cedex, France b Service d’urologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux cedex, France Rec ¸u le 17 octobre 2008 ; accepté le 20 f´ evrier 2009 Disponible sur Internet le 27 mai 2009 MOTS CLÉS Sinus de l’ouraque ; Chirurgie laparoscopique Résumé Introduction. — Les pathologies de l’ouraque, bien qu’exceptionnelles, nécessitent d’être connues des dermatologues car elles relèvent d’une prise en charge adaptée, confiée aux uro- logues. En l’absence de traitement, les patients sont exposés aux risques de complications infectieuses récurrentes ou de dégénérescence en adénocarcinome vésical. Observation. — Un homme de 32 ans consultait pour un suintement discret et récidivant de l’ombilic depuis environ un an. Il avait déjà eu sans succès plusieurs applications d’azote liquide ainsi que des tamponnements au nitrate d’argent sur une lésion ombilicale de quelques milli- mètres considérée comme un granulome pyogénique. Le diagnostic de sinus de l’ouraque était suspecté cliniquement (inflammation ou suppuration ombilicale) et confirmé par l’uroscanner. Discussion. — Un défaut d’oblitération partiel ou total du canal allantoïdien au cinquième mois de gestation peut être à l’origine de quatre types de pathologies bénignes de l’ouraque. La fistule ombilicovésicale complète (50 %) est en principe diagnostiquée en période néonatale. Chez l’adulte, la forme la plus fréquente est le kyste de l’ouraque (30 %), alors que les sinus ou fistules borgnes externes (15 %), comme dans notre observation, et les diverticules (5 %) sont plus rares. Le geste chirurgical doit emporter l’ouraque et une collerette vésicale. La chirurgie laparoscopique apparaît comme une voie d’abord intéressante chez ces patients jeunes et actifs. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Guillot). 0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2009.02.004

Sinus de l’ouraque révélé par une suppuration ombilicale à l’âge adulte

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Page 1: Sinus de l’ouraque révélé par une suppuration ombilicale à l’âge adulte

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nnales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 536—539

AS CLINIQUE

inus de l’ouraque révélé par une suppurationmbilicale à l’âge adulte

rachal sinus presenting as umbilical drainage in an adult male

P. Guillota,∗, O. Renardb, G. Robertb, J.-M. Ferrièreb,M. Beylot-Barrya, M.-S. Doutrea

a Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, avenue de Magellan,33604 Pessac cedex, Franceb Service d’urologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, place Amélie-Raba-Léon,33076 Bordeaux cedex, France

Recu le 17 octobre 2008 ; accepté le 20 fevrier 2009Disponible sur Internet le 27 mai 2009

MOTS CLÉSSinus de l’ouraque ;Chirurgielaparoscopique

RésuméIntroduction. — Les pathologies de l’ouraque, bien qu’exceptionnelles, nécessitent d’êtreconnues des dermatologues car elles relèvent d’une prise en charge adaptée, confiée aux uro-logues. En l’absence de traitement, les patients sont exposés aux risques de complicationsinfectieuses récurrentes ou de dégénérescence en adénocarcinome vésical.Observation. — Un homme de 32 ans consultait pour un suintement discret et récidivant del’ombilic depuis environ un an. Il avait déjà eu sans succès plusieurs applications d’azote liquideainsi que des tamponnements au nitrate d’argent sur une lésion ombilicale de quelques milli-mètres considérée comme un granulome pyogénique. Le diagnostic de sinus de l’ouraque étaitsuspecté cliniquement (inflammation ou suppuration ombilicale) et confirmé par l’uroscanner.Discussion. — Un défaut d’oblitération partiel ou total du canal allantoïdien au cinquième moisde gestation peut être à l’origine de quatre types de pathologies bénignes de l’ouraque. Lafistule ombilicovésicale complète (50 %) est en principe diagnostiquée en période néonatale.Chez l’adulte, la forme la plus fréquente est le kyste de l’ouraque (30 %), alors que les sinus oufistules borgnes externes (15 %), comme dans notre observation, et les diverticules (5 %) sont

plus rares. Le geste chirurgical doit emporter l’ouraque et une collerette vésicale. La chirurgielaparoscopique apparaît comme une voie d’abord intéressante chez ces patients jeunes etactifs.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Guillot).

151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annder.2009.02.004

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Sinus de l’ouraque révélé par une

KEYWORDSUrachal sinus;Laparoscopic excision

tation base on the bladder must be removed surgically. Laparoscopic surgery offers a valuablealternative to open-surgery and probably leads to less morbidity and shorter convalescence inactive young subjects.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Ldcpfréquence décroissant :• la fistule de l’ouraque (ouraque perméable de l’ombilic

au dôme vésical) (50 %) ; cette malformation coexiste sou-vent avec d’autres anomalies congénitales [2] ;

L’ouraque est un cordon fibreux tendu entre l’ombilic etla vessie. Il s’agit du vestige embryonnaire d’un canal quirelie, durant la vie fœtale, l’allantoïde et la vessie. Nor-malement, l’ouraque s’oblitère progressivement pendant lavie fœtale au cinquième mois de gestation. La persistanced’une perméabilité, selon qu’elle est partielle ou totale, està l’origine de plusieurs types de malformations.

Nous rapportons une observation de sinus de l’ouraque,exceptionnelle par sa révélation à l’âge adulte, paucisymp-tomatique, et dont la cure chirurgicale a été réalisée parlaparoscopie.

Observation

Un homme de 32 ans, sans antécédents, consultait pour unsuintement discret et récidivant de l’ombilic ayant débutéun an auparavant. Il avait déjà eu sans succès plusieursapplications d’azote liquide dans l’hypothèse d’un granu-lome pyogénique, ainsi que des tamponnements au nitrated’argent.

L’examen de l’abdomen montrait un botriomycome ombi-lical de 4 mm (Fig. 1). Il n’y avait pas de sensibilitéabdominale, ni spontanée, ni à la palpation, et aucunemasse n’était palpable. Dans l’hypothèse d’une persistancedu canal omphalomésentérique, une fistulographie et uneéchographie étaient demandées mais c’est directementun scanner qui était réalisé par le radiologue. Il mettaiten évidence un trajet reliant l’ombilic au dôme vésical(Fig. 2), permettant de porter le diagnostic d’une persis-tance du canal de l’ouraque et plus précisément d’un sinusde l’ouraque.

Le patient était confié aux urologues pour une chirur-

gie programmée, en l’absence de complication infectieuseimportante. L’intervention était réalisée sous laparosco-pie. L’anatomopathologie de la pièce opératoire monobloc(72 cm × 8 cm × 2 cm) confirmait la présence de vestigesouraquiens tapissés par un épithélium soit cubique, soit F

rothélial, sans signe de malignité, et entourés par unanchon musculaire lisse (Fig. 3 et 4). L’évolution était

avorable, le patient sortant au cinquième jour postopéra-oire. Aucune récidive n’était notée avec un recul actuel deeux ans.

iscussion

’anomalie de fermeture de l’ouraque se manifeste pares signes cliniques variables en fonction de sa persistanceomplète ou partielle (Fig. 5). On distingue quatre types deathologies bénignes de l’ouraque [1] avec, par ordre de

suppuration ombilicale à l’âge adulte 537

SummaryBackground. — Although urachal remnants are very rare, dermatologists must be aware of themin order to ensure suitable treatment by urologists. Lack of appropriate treatment exposespatients to the risks of recurrent infectious complications or degeneration to vesical adenocar-cinoma.Case report. — A 32-year-old man consulted for mild and recurring umbilical weeping forapproximately 1 year. He had previously undergone unsuccessful treatment, comprising applica-tion of liquid nitrogen and of silver nitrate to an umbilical lesion measuring several millimetresregarded as pyogenic granuloma. The diagnosis of urachal sinus was suspected clinically (umbi-lical weeping or inflammation) and confirmed by urological scan.Discussion. — A defect involving partial or total obliteration of the urachal canal after the fifthmonth of gestation can result in four types of benign abnormalities. Patent urachus (50%) isdiagnosed during the neonatal period, while in adults, the most frequent form is a urachal cyst(30%), with sinuses (15%) and the diverticula (5%) being very rare. The urachus and its implan-

igure 1. Aspect « banal » de bourgeon charnu de l’ombilic.

Page 3: Sinus de l’ouraque révélé par une suppuration ombilicale à l’âge adulte

538 P. Guillot et al.

Figure 2. Uroscanner sans injection : sinus de l’ouraque en coupesagittale ; épaississement sur le trajet de l’ouraque, à proximité dela zone d’insertion ombilicale.

Figure 3. Vestiges ouraquiens entourés d’amas de cellules mus-culaires lisses (collection Dr C. Deminière).

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Figure 5. Pathologies bénignes de l’ouraque : a : fistule ; b : sinus ; c :

igure 4. Vestiges ouraquiens tapissés par un épithélium soitubique, soit urothélial (collection Dr C. Deminière).

le kyste de l’ouraque, relié à l’ombilic et à la vessie parun cordon fibreux (30 %) ;le sinus externe de l’ouraque, cavité borgne reliée àl’ombilic (15 %) ;le diverticule de l’ouraque (5 %).

Ces anomalies sont le plus souvent asymptomatiques,auf la fistule et le sinus de l’ouraque qui sont diagnostiquése plus souvent en période néonatale ou dans la premièrenfance, devant un suintement ou une inflammation de’ombilic. L’incidence des anomalies du canal de l’ouraquehez l’enfant est relativement élevée, estimée à 1/5000 [3].hez l’adulte, ces anomalies sont exceptionnelles et sont lelus souvent responsables d’une suppuration ombilicale.

Le sinus externe de l’ouraque, comme dans notre obser-ation, est rarement associé à d’autres malformationsrologiques. Il résulte d’un défaut d’oblitération haute de’ouraque et communique avec l’ombilic, mais pas avec laessie. Il peut également se manifester par une petite lésione l’ombilic à type de botriomycome. L’exploration cliniqueeut se faire par l’introduction d’une sonde à partir de’ombilic dans le trajet fistuleux. La sonde prend un trajet

escendant vers la vessie et permet d’éliminer une ano-alie du canal omphalomésentérique où le trajet se fait

ers la région lombaire [4]. Néanmoins, cette explorationlinique est rarement pratiquée. L’échographie, surtout àaute résolution, est un examen de première intention utile

diverticule ; d : kyste [1].

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Sinus de l’ouraque révélé par une suppuration ombilicale à

au diagnostic. Elle peut montrer une formation échogènesiégeant en arrière du muscle grand droit, entre l’ombilicet la vessie. La fistulographie permet le diagnostic très aisé-ment [5], en révélant une cavité borgne dirigée vers le bas.Cependant, les limites de l’échographie et de la fistulogra-phie sont réelles, notamment en cas de sinus très courtet étroit, leur faisant préférer l’uroscanner. En revanche,l’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’apporte pasde renseignements morphologiques supplémentaires [6]. Lacystographie permet de rechercher une uropathie malfor-mative associée au sinus de l’ouraque ; elle ne devrait êtreréalisée qu’en cas de point d’appel clinique.

En dehors de ces cas où une malformation urinaire estassociée, le mode de révélation du sinus de l’ouraque est lemême chez l’enfant que chez l’adulte : suppuration ombili-cale et bourgeon charnu. Chez l’adulte, d’autres diagnosticsdoivent être évoqués : nodule de sœur Marie-Joseph (méta-stase ombilicale d’un cancer généralement digestif) [7],endométriose chez la femme jeune [8].

Le traitement chirurgical classique se fait habituellementpar une incision sous-ombilicale médiane ou transver-sale. Les principales complications postopératoires sontl’infection de la paroi et la récidive de la symptomatolo-gie [5]. En cas d’infection importante, le traitement peut sefaire en deux temps, drainage de la collection purulente puisrésection secondaire du sinus. Actuellement, la laparoscopieest de plus en plus pratiquée [9,10]. Ses avantages sont indé-niables dans la prise en charge de cette pathologie bénignechez des patients jeunes et actifs. Ses seules complicationssont des hématomes et des abcès de paroi [11]. Elle peutaussi être utilisée à visée diagnostique dans les cas diffi-ciles. Okegawa et al. ont réalisé une étude comparative surdix patients : six laparoscopies versus quatre laparotomies[12], confirmant que la laparoscopie entraînait des pertessanguines réduites, une reprise de l’alimentation plus pré-coce, une durée d’hospitalisation plus courte (5,3 jours vs10,5 jours) et un préjudice esthétique moindre. La duréeopératoire n’est pas significativement différente (esti-mée à deux heures). L’excision chirurgicale complète doitcomprendre l’ensemble du vestige embryonnaire (cordonfibreux partant de l’ombilic et allant jusqu’à la vessie), ainsiqu’une partie du dôme vésical pour prévenir le risque dedégénérescence.

Lorsqu’elle survient, la dégénérescence cancéreuseprend dans 85 à 90 % des cas la forme d’un adénocarci-nome, plus rarement d’un carcinome développé à partir descellules de transition, ou encore exceptionnellement d’un

sarcome [13]. Le risque majeur des pathologies de l’ouraqueest en effet la dégénérescence de la portion intramuralevésicale du canal. Les tumeurs malignes de l’ouraque ontune prévalence de 1/5 000 000 ; elles concernent en majo-rité des hommes (sex-ratio 3 à 4/1) de plus de 50 ans [14].

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adulte 539

e pronostic est péjoratif : la survie globale à cinq ans variee 9 à 25 % [15].

En conclusion, les pathologies de l’ouraque sont raresais peuvent conduire à des complications infectieuses ou

arcinologiques qui nécessitent une prise en charge chirur-icale adaptée. Les urologues sont les maîtres d’œuvre deette chirurgie spécialisée mais les dermatologues ont unôle important dans le diagnostic précoce de ces anoma-ies congénitales, encore plus rares chez l’adulte que chez’enfant.

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