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BIBEBOOK STENDHAL LE CHEVALIER DE SAINT-ISMIER

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  • BIBEBOOK

    STENDHAL

    LE CHEVALIER DESAINT-ISMIER

  • STENDHAL

    LE CHEVALIER DESAINT-ISMIER

    1927

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1147-8

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    Sources : B.N.F. fl

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    Lecture

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • C 1640; Richelieu rgnait sur la France, plus terrible quejamais. Sa volont de fer et ses caprices de grand homme es-sayaient de courber ces esprits turbulents qui faisaient la guerreet lamour avec passion. La galanterie ntait point ne. Les guerres dereligion et les factions soudoyes par lor des trsors du sombre PhilippeII avaient dpos dans les curs un feu qui ne stait point encore teint laspect des ttes que Richelieu faisait tomber. Alors, on trouvait chez lepaysan, chez le noble, chez le bourgeois, une nergie que lon ne connutplus en France aprs les soixante-douze ans du rgne de Louis XIV. En1640 le caractre franais osait encore dsirer des choses nergiques, maisles plus braves avaient peur du Cardinal; ils savaient bien que si aprslavoir oens on avait limprudence de rester en France, on ne pouvaitlui chapper.

    Cest quoi rchissait profondment le chevalier de Saint-Ismier,jeune ocier appartenant lune des plus nobles et des plus riches fa-milles du Dauphin. Par une des plus belles soires du mois de juin, ilsuivait tout pensif la rive droite de la Dordogne vis--vis du bourg deMoulon; il tait cheval, suivi dun seul domestique. Il se trouvait alorstout prs du joli village de Moulon. Il ne savait sil devait hasarder den-

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    trer dans Bordeaux, on lui avait dit que le capitaine Rochegude y avaitla principale autorit. Or ce capitaine tait une me damne du Cardinal,et Saint-Ismier tait connu de la terrible Eminence. Quoiqu peine gde vingt-cinq ans, ce jeune gentilhomme stait extrmement distingudans les guerres dAllemagne. Mais en dernier lieu, se trouvant Rouendans lhtel dune grandtante qui lui destinait un hritage considrable,il stait pris de querelle dans un bal avec le Comte de Claix, parent dunprsident au parlement de Normandie tout dvou au Cardinal, et qui in-triguait dans ce corps pour le compte de Son Eminence. Tout le monde Rouen connaissait cette vrit, cest pourquoi ce prsident y tait pluspuissant que le gouverneur; cest pourquoi aussi Saint-Ismier, ayant tule comte sous un rverbre onze heures du soir, stait ht de sortir dela ville sans mme se donner le temps de rentrer chez sa tante.

    Arriv au haut de la montagne de Sainte-Catherine, il stait cachdans le bois qui alors le couronnait. Il avait envoy avertir son domestiquepar un paysan qui passait sur la grande route. Ce domestique navait euque le temps de lui amener ses chevaux et davertir sa tante quil allait secacher chez un gentilhomme de ses amis qui habitait une terre dans lesenvirons dOrlans. Il y tait peine depuis deux jours lorsquun capucin,protg par le fameux pre Joseph et ami de ce gentilhomme, lui envoyaun domestique qui vint de Paris en toute hte et crevant les chevaux deposte. Ce domestique tait porteur dune lettre qui ne contenait que cesmots:

    Je ne saurais croire ce quon dit de vous. Vos ennemis prtendentque vous donnez asile un rebelle contre son Eminence.

    Le pauvre Saint-Ismier dut senfuir de la terre prs dOrlans, commeil stait enfui de Rouen, cest--dire que le gentilhomme son ami tantvenu le joindre la chasse, o il tait de lautre ct de la Loire, pour luicommuniquer la terrible lettre quil recevait, le chevalier, aprs lavoirembrass tendrement, sapprocha du euve dans lespoir de trouverquelque petit bateau; il eut le bonheur de voir prs du bord un pcheurqui, mont dans la plus exigu des nacelles, retirait son let. Il appela cethomme:

    Je suis poursuivi par mes cranciers; il y aura un demi-louis pourtoi, si tu rames toute la nuit. Il faudra me dposer prs de mamaison une

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    demi-lieue avant Blois. Saint-Ismier suivit la Loire jusqu , faisantle tour des villes pied pendant la nuit, et le jour se faisant conduire parquelque petit bateau de pcheur. Il ne fut rejoint par son domestique etses chevaux qu , petit village voisin de . De l, suivant la mer cheval, et une lieue de distance, et laissant entendre, lorsquon le pres-sait de questions, quil tait un gentilhomme protestant, parent des dAu-bign et comme tel un peu perscut, il eut le bonheur de gagner sansencombre les rives de la Dordogne. Des intrts assez puissants lappe-laient Bordeaux, mais comme nous lavons dit, il craignait fort que lecapitaine Rochegude neut dj reu lordre de larrter.

    Le cardinal tire beaucoup dargent de la province de Normandie,lune de celles qui ont t le moins puises par nos troubles. Le prsidentLepoitevin est le principal instrument qui favorise toutes ses leves de de-niers; il se moquera bien de la vie dun pauvre gentilhomme tel que moi,au prix de la raison dEtat qui lui crie: De largent avant tout! Cestprcisment parce que le Cardinal me connat que je suis plus malheu-reux: je nai pas de chance dtre oubli.

    Cependant, les raisons qui faisaient dsirer Saint-Ismier dentrer Bordeaux, taient tellement puissantes quayant continu suivre la rivedroite de la Dordogne aprs sa runion avec la Garonne, il arriva la nuitnoire . Un batelier le transporta, lui, ses chevaux et son domestiquesur la rive gauche. L, il eut le bonheur de rencontrer des marchands devins qui avaient achet prcisment du capitaine Rochegude un permisdentrer Bordeaux de nuit avec leurs vins que la grande chaleur du soleil,pendant la journe, pouvait gter. Le chevalier mit son pe sur lune deleurs charrettes et entra dans Bordeaux, comme minuit sonnait, un fouet la main, et sentretenant avec un des marchands. Un instant aprs, ayantgliss un cu dans la poche de cet homme et repris lestement son pe, ildisparut, sans dire mot, un tournant de la rue.

    Le chevalier parvint jusquau porche de Saint-Michel; l il sassit.Me voici dans Bordeaux. Que rpondrai-je, se dit-il, si le guet

    vient minterroger? Pour peu que ces gens-l soient moins pris de vinqu lordinaire, il ny a pas dapparence de leur dire que je suis un mar-chand de vin; cette rponse pouvait passer tout au plus dans le voisinagedes charrettes charges de barriques. Jaurais d, avant de quitter mes

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    chevaux, prendre un des habits de mon domestique; mais ainsi vtu jene puis pas tre autre chose quun gentilhomme; et si je suis un gentil-homme, jattire lattention de Rochegude qui me fourre au chteau Trom-pette, et sous deux mois ma tte tombe en place publique, ici ou Rouen.Mon cousin, le marquis de Miossens, qui est si prudent voudra-t-il me re-cevoir? Sil ne sait pasmon duel de Rouen, il voudra donner des ftes pourclbrer ma bienvenue; il dira tous ces Gascons que je suis un favori duCardinal. Sil sait que jai pu dplaire, il naura de paix avec lui-mmeque lorsquil aura envoy son secrtaire me dnoncer au Rochegude. Ilfaudrait pouvoir parvenir la bonne marquise linsu de son mari; maiselle a des amants, et il est jaloux au point davoir, dit-on, fait venir desdugnes dEspagne Paris. Nous le plaisantions sur ce que sa maison deBordeaux tait garde comme un chteau-fort. Dailleurs, comment arri-ver cet htel, magnique dit-on, moi qui de la vie ne fus en cette ville?Comment dire un passant: Enseignez-moi lhtel de Miossens, maisdonnez-moi le moyen dy entrer linsu du Marquis? Rellement, cetteide na pas le sens commun. Il est clair aussi que tant que je resteraiau milieu des pauvres maisons qui entourent cette glise, je nai aucunechance de rencontrer lhtel de mon cousin que lon dit fort beau.

    Le beroi de lglise sonna une heure.Je nai pas de temps perdre, se dit le chevalier. Si jattends le jour

    pour entrer dans une maison quelconque, le Rochegude le saura. Tout lemonde se connat dans ces villes de province, surtout parmi les gens dunecertaine sorte.

    Le pauvre chevalier se mit donc errer, fort embarrass de sa per-sonne et ne sachant trop quel parti prendre. Un silence profond rgnaitdans toutes les rues quil parcourait. Lobscurit aussi tait profonde. Ja-mais je ne me tirerai de ce cas-ci, se disait le chevalier. Demain soir,je me vois au chteau Trompette; il ny a pas moyen dchapper.

    Il aperut de loin une maison o il y avait de la lumire.Quand ce serait le diable, se dit-il, il faut que je lui parle.Comme il approchait, il entendit un grand bruit. Il coutait fort atten-

    tivement, cherchant deviner ce que ce pouvait tre, lorsquune petiteporte souvrit. Une grande lumire t irruption dans la rue; il vit un fortbeau jeune homme, mis avec une magnicence qui approchait de la re-

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    cherche. Ce beau jeune homme avait lpe la main; il se fchait, maisnavait pas lair en colre, ou du moins ctait une colre de fatuit. Lesgens qui lentouraient avaient lair de subalternes et semblaient chercher lapaiser. En approchant de la porte le chevalier entendit que ce jeunehomme si bien mis se fchait, les autres cherchaient lapaiser et lappe-laient M. le comte.

    Saint-Ismier tait encore quinze ou vingt pas de cette porte qui taitsi vivement claire, lorsque ce beau jeune homme, qui depuis une demi-minute tait sur le pas de la porte, en sortit vivement, criant toujourscomme un homme qui se fche pour tre admir, et agitant follementson pe, quil avait toujours la main; il tait suivi dun autre hommepresque aussi bien vtu que lui. Saint-Ismier regardait ces deux hommeslorsquil fut aperu par le premier, celui quil avait entendu appeler lecomte. Aussitt ce comte courut sur lui en jurant, lpe la main, et vou-lut lui en donner un grand coup au travers de la gure. Saint-Ismier, bienloin de sattendre cette attaque, mditait un compliment quil comptaitadresser ce jeune homme bien mis, pour lui demander o tait lhtelde Miossens. Saint-Ismier, qui tait fort gai, donnait dj son corps lebalancement dun homme qui a fait une connaissance trop intime avecles bons vins du pays. Il trouvait la fois plus gai et plus sr daborderce gentilhomme comme sil et t demi ivre. Pendant quil riait djdes grces quil cherchait se donner, il fut sur le point de recevoir autravers de la gure le fort grand coup dpe que le comte lui destinait;il en sentit toute la lourdeur sur le bras droit, avec lequel il couvrit sonvisage.

    Il t un saut en arrire.Je suis battu, dit-il.Il tira son pe, rouge de colre, et attaqua cet insolent.Ah! tu en veux, scria le comte. Cest tout ce que je demandais. Tu

    en auras.Et il attaqua Saint-Ismier avec une ardeur et une audace incroyables.Dieu me pardonne, il veut me tuer, se dit Saint-Ismier. Ici, il faut du

    sang-froid. Saint-Ismier rompit plusieurs reprises, parce que le gentil-homme qui suivait le comte avait tir son pe, et stait plac sa droiteet cherchait aussi piquer le chevalier.

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    Dcidment, ils vont me tuer, se disait celui-ci en rompant encoreune fois, lorsquil prota de limprudence du comte qui se jetait sur lui,pour lui lancer un coup dpe dans la poitrine. Le comte para le coupen relevant lpe du chevalier qui lui entra dans lil droit, pntra desix pouces; et le chevalier sentit son fer arrt par quelque chose de dur;ctait los de lintrieur du crne. Le comte tomba mort.

    Comme le chevalier, fort tonn de ce rsultat, tarda un peu reti-rer son pe, lhomme qui tait derrire le comte, lui donna un grandcoup dpe dans le bras, et linstant le chevalier sentit une quantit desang chaud qui lui coulait le long du bras. Depuis un quart de minute,cet homme, qui venait de blesser le chevalier, criait au secours de toutesses forces. Huit ou dix personnes sortirent de lauberge, car ctait uneauberge et la premire de Bordeaux. Saint-Ismier remarqua fort bien quequatre ou cinq de ces personnes taient armes. Il se mit fuir de toutesses forces. Jai tu un homme, se disait-il, me voil plus que veng duncoup dpe que jai reu sur le bras. Et dailleurs, tre pris ou tre tu,pour moi cest la mme chose. Seulement si jarrive Rochegude, au lieude prir en brave homme au coin dune rue, jprouverai la vilenie davoirla tte coupe en place publique.

    Notre hros se mit donc se sauver de toutes ses forces. Il repassadevant lglise, puis arriva une rue fort large et, ce quil lui parut, fortlongue. Lorsque les gens qui le poursuivaient eurent fait deux ou troiscents pas dans cette rue, ils sarrtrent. Il tait temps pour le pauvrechevalier qui tait tout essou. Il sarrta aussi une centaine de pasdes gens qui le poursuivaient; il se baissa beaucoup et se t petit, se ca-chant derrire le poteau dun garde-fou qui se trouvait dans la rue huitou dix pas des maisons. Les gens qui lavaient poursuivi ayant fait unmouvement il se mit fuir de plus belle, et t bien ainsi cinq ou six centspas le long de cette grande rue; mais il entendit un bruit de pas mesurs,il sarrta sur-le-champ.

    Voil que jai aaire au guet, se dit-il.Aussitt, il se jeta en courant de toutes ses forces dans une rue

    fort troite qui donnait dans la grande; il tourna par plusieurs petitesrues, sarrtant pour prter loreille toutes les demi-minutes; il ne trouvadabord que des chats auxquels il faisait peur; mais comme il tournait

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    dans une toute petite rue, il entendit venir lui quatre ou cinq hommesparlant dune voix grave et fort pose.

    Voici encore le guet, se dit-il, ou le diable memporte.Il se trouvait alors vis--vis une porte fort grande et fort charge de

    grosses moulures en bois, mais dix pas plus loin il y avait une toutepetite porte quil poussa. Il se hta dentrer et se tint derrire, retenant sarespiration. Il pensait que les hommes la voix grave qui venaient lui,avaient bien pu le voir entrer et quils pourraient pousser la porte et entreraprs lui, auquel cas il voulait se cacher derrire la porte, ressortir, dsque ces hommes seraient entrs de quelques pas dans une sorte de jardinplant de grands arbres, sur lequel souvrait cette porte, et reprendre sacourse. Les hommes, qui revenaient de souper, sarrtrent pour bavarderdevant la petite porte, mais ne la poussrent point. Saint-Ismier qui avaitpeur savana dans cette sorte de jardin; il arriva une grande cour, puis une plus petite qui lui sembla pave en carreaux de marbre. Il regardaitde tous les cts pour voir sil ne trouverait personne qui parler.

    Ceci est une maison riche, se disait-il. Cest tout ce qui peut marri-ver de plus heureux; si je trouve un domestique de bonne maison il serasensible lcu que je lui orirai et me conduira lhtel deMiossens.Quisait mme si, en lui donnant deux cus, il ne consentira pas me cacherun jour ou deux dans sa chambre, et mme, qui sait, devenir pour untemps mon domestique? Ce serait assurment ce qui pourrait marriverde plus heureux.

    Dans cet espoir, Saint-Ismier trouva un escalier quil monta. Cet esca-lier sarrtait au premier tage vis--vis une grande fentre qui tait ou-verte sur un balcon. Il tait sur ce balcon, regardant de tous les cts, lors-quil crut entendre quelque bruit dans lescalier. Il nhsita pas passeren dehors du balcon sur une corniche en se retenant au volet de bois de lapremire fentre. Il parvint un second balcon, qui ntait qu quelquespieds du premier. La fentre tait ouverte, il entra. Il trouva un petit esca-lier qui lui sembla de marbre blanc et dune grande magnicence. Arrivau second tage il trouva une portire, laquelle lui sembla garnie de clousdors. Il vit comme un peu de lumire au bas de cette portire, il la tira lui tout doucement et se trouva vis--vis dune porte garnie dornementsen cuivre ou en argent, car malgr lobscurit profonde ils lui semblaient

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    briller.Mais ce qui tait bien plus important pour le pauvre chevalier, il aper-

    ut un peu de lumire par le trou de la serrure. Il en approcha lil; il neput rien voir; il crut distinguer qu lintrieur il y avait une draperie.

    Cest sans doute quelque appartement fort riche, se dit-il. Son pre-mier mouvement fut de chercher ne faire aucun bruit. Mais enn, sedit-il, il faut bien que je nisse par parler quelquun, et seul comme jesuis, perdu dans un vaste htel, au milieu de la nuit, il vaut mieux queje parle un matre qu un domestique. Le matre pourra comprendrefacilement que je ne suis pas un voleur. Retenant la portire de la maingauche, de la droite il prit la poigne de cette porte quil ouvrit doucementen disant de la voix la plus aimable quil put faire:

    Monsieur le comte, permettez-moi dentrer.Personne ne rpondit. Il resta quelque temps dans cette position,

    ayant son pe couche terre entre ses deux pieds, de faon pouvoirla saisir fort rapidement, sil en avait besoin. Il rpta une seconde fois lejoli compliment quil avait invent:

    Monsieur le comte, voulez-vous me permettre dentrer?Personne ne rpondait. Il remarqua que la chambre tait orne avec

    la dernire magnicence. Les murs taient recouverts de cuirs dors re-levs en bosse. Vis--vis de la porte, il y avait une magnique armoiredbne avec une quantit de petites colonnes, dont les chapiteaux taientde nacre de perles. Le lit tait un peu sur la droite, les rideaux de damasrouge lui semblaient tirs. Il ne pouvait voir dans le lit. Celle des quatrecolonnes quil apercevait tait dore; deux gnies, qui lui semblrent enbronze dor, soutenaient de leurs bras levs une petite table de jauneantique sur laquelle taient deux chandeliers dors, dans lun desquelsbrlait une bougie; et ce qui ne laissa pas dinquiter beaucoup notre h-ros, ctait quauprs de cette bougie il aperut distinctement cinq ou sixbagues en diamant. Il avana, en rptant les plus beaux compliments; ilvit une chemine orne dune magnique glace de Venise, puis une tablequi supportait une superbe toilette de tapis vert. Sur cette toilette il yavait encore des bagues et une montre enrichie de pierreries, et dont lemouvement tait le seul bruit qui sentendait dans lappartement.

    Dieu sait les cris que va pousser le matre de toutes ces choses pr-

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    cieuses, lorsquil va se rveiller en sursaut et mapercevoir; mais il fauten nir, se dit-il. Voici plus dun quart dheure que je perds en vains m-nagements et dans le fol espoir de ntre pas pris pour un voleur. Rsolu savancer, il lcha la porte quil retenait toujours de la main gauche .Elle roula sur ses gonds et se referma avec un petit bruit. Me voici pri-sonnier, se dit le fugitif.

    Par un mouvement instinctif, il sapprocha de la porte: il tait impos-sible de louvrir den dedans. Fort piqu de cette circonstance, il avanarsolument vers le lit. Les rideaux taient entirement ferms. Il les ouvriten faisant toutes sortes dexcuses ridicules au personnage quil ne trouvapoint, car le lit tait vide, mais dans un assez grand dsordre qui montraitquil avait t rcemment occup. Les draps, dune toile admirable, taientbords de dentelles. Le chevalier prit la bougie, pour mieux y voir; il mitla main dans le lit: il conservait encore quelque chaleur. Le chevalier trapidement le tour de la chambre, et son inexprimable chagrin reconnutquil tait peu prs impossible de se sauver. Il navait dautre ressourceque celle de dchirer les draps et de chercher en faire une sorte de corde laide de laquelle il pourrait essayer de descendre dans un lieu fort obs-cur, qui tait plus de quarante pieds au-dessous de la fentre. Il t devains eorts pour distinguer si ctait une cour ou un toit.

    Et puis, quand jarriverai l-bas sain et sauf, je serai peut-tre toutaussi en prison quici?

    Une ide illumina tout--coup le chevalier:Il ny a point dpe dans cette chambre. Les valets de chambre au-

    ront sans doute emport les vtements du noble personnage qui lhabite.Mais enn, ils ont d lui laisser son pe. Peut-tre quil a t surpris pardes voleurs, et il sera sorti sur eux, lpe la main. Mais toujours est-ilbien singulier quil nait quune pe.

    Alors le chevalier se mit examiner la chambre avec un soin extrme.Il nit par trouver sur le tapis, tout prs du lit, deux petits souliers de satinblanc et des bas de soie excessivement troits.

    Parbleu, je suis un grand nigaud! scria-t-il, je suis chez une1. Stendhal par distraction, avait crit cette phrase la premire personne: Rsolu

    mavancer, je lchai la porte que je retenais N. D. L. E.

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    femme!Un instant aprs, il trouva des jarretires garnies de dentelles dargent.

    Il trouva sur un fauteuil une petite jupe de satin rose.Cest une jeune femme, scria-t-il avec transport, et sa curiosit

    fut si vivement excite quil oublia tout fait la crainte de nir par laprison, cest--dire par la mort, qui tait son sentiment dominant depuisquil avait tu ce jeune homme au milieu de la rue. Dans sa curiosit, lechevalier oublia tout fait la crainte dtre pris pour un voleur. Il senallait, la bougie la main, et son pe nue sur le bras gauche, ouvranttous les tiroirs de la toilette. Il y trouvait un grand nombre de bijoux fortriches et de fort bon got; plusieurs cassettes fort lgantes avaient desinscriptions en langue italienne. La matresse de cette chambre aura t la cour, se dit-il. Il trouva des gants excessivement petits, et qui avaientt ports. Elle a des mains charmantes, se dit-il. Mais quelle ne fut passa joie lorsquil trouva une lettre.

    Ainsi cette chambre est occupe par une femme apparemment jeuneet jolie. Un homme lui fait la cour, et ses hommages ne sont pas agrs.

    A peine notre hros ne fut-il plus anim par la curiosit quil se sentithorriblement fatigu. An de se donner le temps de voir la personne quientrerait, il alla sasseoir dans la ruelle de lalcve. Il comptait bien at-tendre en veillant la n dune aventure qui pouvait tourner fort mal pourlui, mais il sendormit bien vite.

    Il fut rveill par la porte quouvrait avec bruit la femme de chambrede la dame qui habitait en ce lieu.

    Allez vous coucher, dit-elle, je nai besoin de rien, mais je vous re-commande par-dessus tout de venir me rveiller linstant si ma mre setrouve encore indispose.

    Saint-Ismier, rveill en sursaut, et peine le temps de comprendreces paroles. Le rideau de lalcve souvrit; une jeune lle parut, tenant la main la bougie qui clairait la chambre. Une extrme pouvante se pei-gnit dans ses traits lorsquelle aperut un homme couvert de sang couchdans sa ruelle. Elle jeta un petit cri, sappuya sur le lit, et comme Saint-Ismier se relevait prcipitamment pour venir son secours, sa terreur futaugmente. Elle jeta un second cri plus vif, tomba tout fait vanouie,la bougie tomba aussi et steignit. Ltonnement quelle et de voir un

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    homme tendu sur le plancher avec des habits tout souills de sang fut siviolent, ainsi que notre hros lapprit par la suite, quelle svanouit, tom-bant dabord sur le lit, puis sur le plancher. Dans ce dsordre, la bougiesteignit. Le bruit et le mouvement veillrent Saint-Ismier, mais quoi-quil et fait quatre ou cinq campagnes et vu dtranges accidents dansles guerres dAllemagne, envenimes par le fanatisme, jamais il ne staittrouv dans un cas aussi embarrassant. Dabord en se rveillant en sur-saut, il ne savait o il tait, peine revenu lui-mme. Il saisit vivementson pe, il couta; tout tait dans un profond silence. Il toucha ce quilui tait tomb sur la jambe, il trouva une personne quil crut morte; iltrouva une main dont la petitesse et la peau fort douce lui rent penserque ctait une femme que quelque jaloux avait tue.

    Il faut la secourir, se dit-il.Ds ce moment, il retrouva tout son sang-froid. La tte de cette femme

    tait sur son genou. Il retira la jambe le plus doucement quil put, releva latte de ce corps et lappuya sur un carreau. Il trouva tant de chaleur sousles bras en soulevant le corps quil pensa que peut-tre cette personnentait quvanouie par suite de quelque grande blessure.

    Il faut faire tout au monde pour sortir dici, se dit-il. Il ny a pas esprer de faire entendre raison au mari jaloux ou au pre furieux quia tu cette femme. Il est impossible quil ne revienne pas bientt pourvoir si sa vengeance est accomplie ou pour faire enlever le cadavre; et silme trouve dans cette chambre tout couvert de sang et ne pouvant direcomment jy suis venu, pour peu que cet assassin ait envie de se justier,il dira que cest moi qui ait tu cette femme, et il me sera impossible derien rpondre qui ait lapparence de la raison.

    Notre hros se releva, cherchant avec beaucoup de soin ne pas bles-ser la personne qui tait presque couche sur lui dans cette ruelle sitroite. Mais il donna un fort grand coup de pied dans le ambeau quiroula au loin et t beaucoup de bruit. Notre hros sarrta, profondmentimmobile, et serrant la garde de son pe. Mais aucun bruit ne suivit cegrand bruit. Alors il se mit tter avec la pointe de son pe tout le tourde la chambre. Ce fut en vain; il ne trouva aucune issue. Il tait gale-ment impossible douvrir la porte et de lbranler. Il ouvrit de nouveau lafentre, il ny avait ni balcon, ni corniche qui permit de tenter une va-

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    sion.Ma foi, je naurai aucun reproche me faire, si cet accident me

    conduit lchafaud en voulant fuir la prison: je me suis mis moi-mmeen prison.

    Comme il prtait loreille avec une profonde attention, il entendit unmouvement du ct du lit. Il y courut, ctait la jeune femme quil croyaitblesse et qui avait t rveille de son vanouissement par le bruit quilavait fait en cherchant branler la porte. Il prit le bras cette femmeet la peur acheva de la tirer de son vanouissement. Tout coup, cettefemme retira brusquement le bras, et poussant le chevalier avec quelqueviolence:

    Vous tes un monstre, scria-t-elle. Votre procd est abominable.Vous voulez ternir mon honneur et me forcer ainsi vous accorder mamain. Mais je saurai frustrer tous vos desseins. Si vous parvenez medshonorer aux yeux du monde, jirai nir ma vie dans un couvent pluttque de me voir jamais la marquise de Buch.

    Le chevalier sloigna de quelques pas et passa de lautre ct du lit.Pardonnez-moi, Madame, toute la peur que je vous donne. Je vous

    annoncerai dabord une excellente nouvelle: je ne suis pas le marquis deBuch, je suis le chevalier de Saint-Ismier, capitaine au rgiment de Royal-Cravate, dont je pense que jamais vous navez entendu parler. Je suis ar-riv Bordeaux neuf heures du soir, et comme je cherchais lhtel deMiossens, un homme fort bien vtu est tomb sur moi dans la rue, lpehaute. Nous nous sommes battus et je lai tu. On ma poursuivi long-temps. Jai trouv ouverte une petite porte: ctait celle de votre jardin.Jai mont un escalier, et comme il me semblait que lon me poursuivaittoujours, jai pass du balcon de lescalier celui de votre antichambre.Voyant de la lumire ici, je me suis avanc en adressant toutes sortes dex-cuses au gentilhomme que je troublais, et lui racontant assez ridiculementmon histoire haute voix, ainsi que je le fais en ce moment. Je mouraisde peur dtre pris pour un voleur. Toutes ces politesses ont fait que jene me suis aperu quaprs un gros quart dheure que ce lit ntait pointoccup. Il parat que je me suis endormi. Jai t rveill par le corps dunepersonne tue qui tombait sur moi. Jai trouv une charmante petite mainde femme, je suis ici dans la chambre nuptiale de quelque grand seigneur

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    jaloux, car javais tout le loisir dadmirer la magnicence et le bon gotde lameublement. Je me suis dit: ce jaloux dira que cest moi qui ai tusa femme. Alors, Madame, jai dpos votre tte sur un carreau le plusdoucement que jai pu, et je viens de tenter les derniers eorts pour sor-tir de cette chambre. Je vous le rpte, Madame, je me crois un fort galanthomme, et ce soir, neuf heures, pour la premire fois de ma vie, je suisentr dans Bordeaux. Ainsi, Madame, je ne vous ai jamais vue, je ne saispas mme votre nom, je suis au dsespoir de lembarras que je vous cause.Mais du moins vous navez rien craindre de moi.

    Je fais mon possible pourme rassurer, rpondit la dame aprs uninstant. Elle sappelait Marguerite; elle tait lle de la Princesse de Foix,et ses deux frres ayant t tus trois ans auparavant la bataille de ,elle tait reste lunique hritire des biens et des titres de cette grandemaison, ce qui lavait expose une innit dimportunits et mme demauvais procds de la part dune foule de gentilshommes qui prten-daient lpouser.

    Je crois tout ce que vous me dites, Monsieur, mais cependant lehasard cruel, dont vous me racontez les circonstances, peut me perdredhonneur. Je suis seule avec vous dans ma chambre, sans lumire, et ilest trois heures du matin; il convient que jappelle au plus tt une femmede chambre.

    Pardon, Madame, si je vous parle encore de moi. Le capitaine Ro-chegude est mon ennemi, et quand je suis entr Bordeaux, je fuyais, carje suis poursuivi pour un autre duel, que jai eu le malheur davoir il ya quelques temps. Une parole de vous, Madame, peut menvoyer au ch-teau Trompette, et comme lhomme que jai tu est fort protg, je nensortirai que pour marcher lchafaud.

    Je serai prudente, dit la dame, mais laissez-moi sortir.Elle courut la porte quelle ouvrit avec un secret et referma aussitt

    avec un grand bruit, et notre hros se trouva encore une fois seul, sanslumire et en prison.

    Si cette femme est laide, et par consquent mchante, se dit le che-valier, je suis un homme perdu. Cependant, sa voix tait douce. Dans tousles cas je vais tre attaqu par des domestiques. Il ny a pas marchan-der; je vais tuer le premier qui se prsentera. Cela peut crer un moment

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    de trouble et de confusion, pendant lequel je pourrai peut-tre descendrelescalier et regagner la rue.

    Il entendit parler dans lescalier.Tout va se dcider, se dit-il.De la main gauche, il saisit un carreau quil prtendait jeter aux yeux

    de lhomme qui lattaquerait, et alla se placer derrire le rideau de lalcve.La porte souvrit. Il vit entrer une lle assez belle qui tenait une bougie

    dune main et qui de lautre retenait la porte. Elle jeta dabord les yeuxpartout et nayant point vu ltranger, elle se mit dire:

    Je mimaginais bien que ce ntait quune plaisanterie, et que vousvouliez seulement mempcher de dormir par une histoire si trange.

    Comme elle disait ces mots, le chevalier vit entrer une jeune personnede dix-huit ou vingt-ans et dune admirable beaut, mais fort srieuse etmme un peu inquite. Ctait Marguerite de Foix. Elle poussa la porte quise referma, sans rpondre la demoiselle de compagnie qui tait entre lapremire, et dun air tout pensif lui t signe quelle savant vers lalcve.

    Le chevalier voyant deux femmes seules, en sortit, tenant son pe parla pointe. Mais cette pe nue et les taches de sang, dont il tait encorecouvert, produisirent leur eet sur la camriste qui devint excessivementple et se retira vers une des fentres. Le chevalier ne songea plus la pri-son, ni ses duels; il admira la rare beaut de la jeune personne qui taitdevant lui debout et un peu interdite. Elle rougit beaucoup cependant,elle regardait le chevalier avec une extrme curiosit.

    On dirait quelle me reconnat, pensa-t-il. Puis il se dit: Mes ha-bits ne sont pas surchargs dornements, comme ceux de ce beau jeunehomme que jai tu, ils sont la dernire mode de Paris. Peut-tre quellea bon got et que leur lgance simple lui plat.

    Le chevalier se sentait pntr de respect.Madame, les tnbres mtaient favorables. Elles me laissaient tout

    mon sang-froid. Permettez, cependant, que je renouvelle ici toutes mesexcuses pour lembarras abominable o mes malheurs vous jettent.

    Permettez-vous, Monsieur, que les choses qui vous concernentsoient connues dAlix? Cest une personne de beaucoup de bon sens, quijouit de toute la conance de ma mre, et dont les conseils pourront noustre utiles.

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    Alix sapprocha aprs avoir allum plusieurs bougies et approch, surun signe de Marguerite, un second fauteuil de celui o elle stait placeen entrant.

    Marguerite, qui semblait perdre de sa mance et de son inquitude,engagea la conversation de faon que le chevalier recommena son his-toire.

    Apparemment, se disait le chevalier, que cette demoiselle Alix agrand crdit sur lesprit de la mre de la jeune personne, qui voudrait quesa mre apprt par Alix tout le dtail de lvnement singulier de cettenuit.

    Mais une chose ne laissait pas que dinquiter notre hros: cette llesi belle semblait faire des signes sa suivante Alix.

    Serait-il bien possible, se dit le chevalier, que ces femmes me tra-hissent, et que, tandis quelles me retiennent ici occup leur racontermon histoire, elles eussent envoy chercher main-forte pour marrter?Ma foi, il en sera ce quil pourra; je crois que de ma vie je nai vu unepersonne aussi belle et qui ait une physionomie aussi imposante.

    Les soupons du chevalier redoublrent, lorsque la jeune personne luidit avec un certain sourire inexplicable: Voudriez-vous, Monsieur, noussuivre jusque dans une galerie voisine?

    Dieu sait, pensa le chevalier, la compagnie que nous allons trouverdans cette galerie! Ce serait bien le cas, pensa-t-il, de lui rappeler dansquel eroyable danger je tombe si lon me met en prison.

    Mais cette remarque prudente ne peut venir qu un homme qui agrand peur; et il ne put se rsoudre encourir le mpris dune personnequi avait une mine si haute.

    Alix ouvrit la porte, le chevalier orit son bras cette jeune personnesi belle et si imposante, dont il ne savait pas mme le nom. On traversa lepalier du petit escalier de marbre. Alix poussa un bouton cach au fonddune moulure, et lon entra par une porte drobe dans une vaste galeriede tableaux.

    Nous avouerons que le chevalier, en y entrant, serrait fortement lapoigne de son pe.

    Cest ici, Monsieur, dit Marguerite, que je vous proposerai de vouscacher jusqu ce que ma mre ait pu tre informe des vnements

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    tranges qui, cette nuit, vous ont amen chez elle. Il est juste de vousinformer, Monsieur, que vous tes chez la princesse de Foix. Les gardesde M. Rochegude noseraient pntrer dans cet htel.

    Mademoiselle, rpliqua Alix, il me semble impossible queMonsieurhabite la mme maison que vous. Si une telle chose se savait, on ne pour-rait pas la nier. Au premier abord, il faudrait une explication, et toute ex-plication est mortelle pour la rputation dune jeune lle, surtout quandcette lle se trouve la plus riche hritire de la province.

    Il y a trois ans, Monsieur, dit Marguerite notre hros, qu la fu-neste bataille de jai eu le malheur de perdre mes deux frres. Depuiscette poque, ma mre est sujette des vanouissements subits et fortalarmants. Cest un de ces vanouissements qui la saisie cette nuit; jaicouru auprs delle, et cest pendant ce temps que vous avez pu pntrerdans mon appartement dune faon si bizarre. Mais, Monsieur, cette gale-rie ne laisse pas que de renfermer quelques peintures assez curieuses. Jevous engagerai, sil vous plat, jeter un coup dil sur quelques-unes.

    Le chevalier la regarda.Ah, elle est folle, pensa-t-il. Cest dommage.Tout en faisant cette rexion, il avait fait quelques pas avec elle.Voici un jeune guerrier couvert dune armure qui nest plus en usage,

    celle des anciens chevaliers; mais toutefois la peinture est estime.Le chevalier restait ptri dtonnement: il reconnaissait son propre

    portrait. Il regardait Marguerite dont le grand srieux et lair noble ne sedmentaient point.

    Je pense, dit enn notre hros, que je vois ici une ressemblance for-tuite.

    Je ne sais, dit Marguerite, mais ce portrait est celui de Raymondde Saint-Ismier, cornette au rgiment des Gardes lorsquil y a quatre ans,mon pauvre frre an, le duc de Candale, voulut runir les portraits detous ceux de nos parents qui existaient cette poque. Ainsi vous voyezbien, Mademoiselle, dit Marguerite Alix, quil est possible que ma mreore un asile un de nos parents, monsieur de Saint-Ismier, poursuivipour un crime irrmissible, un duel.

    En disant ces mots, Marguerite sourit pour la premire fois et avecune grce charmante.

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    Il en sera tout ce que Mademoiselle voudra. Certainement il nestpas convenable daller rveillerMadame la Princesse aprs la nuit areusequelle a passe. Je supplie Mademoiselle de me donner des ordres, maisde ne pas me demander de conseils.

    Et je me gterais le bonheur extrme que je dois ce portrait,dit notre hros, si je sourais que ce que Mademoiselle croit devoir une parentmalheureusement fort loigne, la portt quelque dmarchedsapprouve par Mlle Alix.

    Eh bien, si vous voulez partir, reprit Marguerite avec une grcecharmante, je suis en vrit fort en peine du moyen. Cet htel a unconcierge, ancien militaire, qui porte le nom pompeux de Gouverneuret qui, tous les soirs, doit placer sur son chevet la cl de toutes les portesextrieures; et surtout, lheure quil est, la petite porte du jardin, quevous avez trouve seulement pousse, est ferme. La maison proprementdite a un portier, et hier soir sur les minuit je le vis apporter toutes lescls ma mre, qui les mit sur une petite table de marbre ct de sa che-mine. Alix veut-elle aller chercher sur cette table la cl ncessaire pourvous faire sortir?

    Quatre ou cinq femmes veillent autour du lit de Madame la Prin-cesse, dit Alix, et ce serait l laction la plus imprudente et la moins secrteau monde.

    Eh bien, cherchez donc unmoyen pour faire sortir de lhtel notreparent, M. de Saint-Ismier, ici prsent.

    On chercha longtemps sans trouver. Alix, pousse bout par les ob-jections de sa matresse, nit par commettre une imprudence.

    Vous savez, Madame, que lon na pas touch lappartement de M.le duc de Candal. Or, ct de son lit, il y a une chelle de soie avecdes chelons en bois, qui me semble avoir une quarantaine de pieds delongueur. Elle est fort lgre et un homme peut fort bien sen charger. Alaide de cette chelle, Monsieur descendra dans le jardin. Une fois dans lejardin, si on le trouve la chose est dj beaucoup moins compromettantepour vous; il y a tant de femmes dans cette maison! En second lieu, tout lextrmit du jardin, du ct de la petite glise du Verbe Incarn, il y a unpetit endroit o lemur na pas plus de huit pieds de haut; il y a des chellesde toutes les espces dans le jardin: Monsieur pourra monter facilement

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  • Le chevalier de Saint-Ismier Chapitre

    ce mur, et sil veut, pour descendre il pourra couper un morceau delchelle de soie.

    A ce point du plan de campagne de la savante Alix, Marguerite partitdun grand clat de rire.

    n

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.