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SUR L'INVENTION ET LE DEVELOPPEMENT DES TECHNIQUES Gilbert SIMONDON LES MODALITES DE L’INVENTION TECHNIQUE Ce cours vise a distinguer les modalites de l'invention etudiees d'apres les documents laisses par le developpement des techniques. Ces modalites sont au nombre de trois : 1. L’analyse separatrice, procede le plus elementaire et le plus long, spontanement adopte dans l'invention prescientifique, quand l'outillage mental est insuffisant pour permettre de dominer une foule d'operations syncretiquement organisees sous forme de reseau. Dans ce reseau dont le statut contraignant maintient une large population d'operateurs et d'executants en situation existentielle (celle du travail et de ses normes collectives) intervient comme force de progres l'embarras reciproque que se causent mutuellement les nombreuses operations concentrees en un etroit espace et devant s'accomplir en un temps limite. De meme que, selon la perspective de Darwin, les necessites de l'adaptation font « eclater comme un coin le visage de la nature », de meme, dans les reseaux techniques preindustriels et prescientifiques, le conflit entre les operations fait evoluer chacune de ces operations selon les voies diver- gentes d'une purification et du degagement concret et materiel de leur schema essentiel, parfois hypertelique, mais parfois aussi capable de se deployer en dehors du milieu oil il a pris naissance. A travers la division du travail social dans les lieux a haute concentration d'activite (chantiers, mines), les modalites du travail evoluent d’un syncretisme statutaire vers une relation analytique contractuelle. Le support technique de cette

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SUR L'INVENTION ET LE DEVELOPPEMENT DES TECHNIQUES

Gilbert SIMONDON

LES MODALITES DE L’INVENTION TECHNIQUECe cours vise a distinguer les modalites de l'invention etudiees

d'apres les documents laisses par le developpement des techniques. Ces modalites sont au nombre de trois :

1. L’analyse separatrice, procede le plus elementaire et le plus long, spontanement adopte dans l'invention prescientifique, quand l'outillage mental est insuffisant pour permettre de dominer une foule d'operations syncretiquement organisees sous forme de reseau. Dans ce reseau dont le statut contraignant maintient une large population d'operateurs et d'executants en situation existentielle (celle du travail et de ses normes collectives) intervient comme force de progres l'embarras reciproque que se causent mutuellement les nombreuses operations concentrees en un etroit espace et devant s'accomplir en un temps limite. De meme que, selon la perspective de Darwin, les necessites de l'adaptation font « eclater comme un coin le visage de la nature », de meme, dans les reseaux techniques preindustriels et prescientifiques, le conflit entre les operations fait evoluer chacune de ces operations selon les voies diver- gentes d'une purification et du degagement concret et materiel de leur schema essentiel, parfois hypertelique, mais parfois aussi capable de se deployer en dehors du milieu oil il a pris naissance. A travers la division du travail social dans les lieux a haute concentration d'activite (chantiers, mines), les modalites du travail evoluent d’un syncretisme statutaire vers une relation analytique contractuelle. Le support technique de cette

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evolution reside dans un processus d'induction concrete et materialisante qui donne a chaque operation le guide de ses limites precises, conden- sant les fluctuations multiformes d'une population d'actions dans l'optimum de leur tendance centrale. Au lieu de l'infinite d'omieres toutes differentes, et de la multitude de montees et de descentes aleatoires selon les inegalites du terrain, le chemin de bois puis le chemin de fer, materialisation rigoureuse et optimale de la tendance des trajets, sont l'analogue de la loi que l'induction substitue en fin d'analyse a la popula­tion des individus. Ce degagement de lois, donnant aux operations des supports fixes, precis et rigoureux, permet l'organisation des reseaux par la legalisation du domaine spatio-temporel de chaque groupe d'operations.

2. Dans le cas precedent, les realites techniques evoluent avec les operations dont elles sont l'enveloppe ; les operations evoluent avec les operateurs, c'est-a-dire avec des groupes humains larges. De nom- breuses contraintes, la difficulte de l'enseignement et du transfert d'un savoir concret, non formalise, rendent partiellement compte de la lenteur du progres prescientifique, ralenti par une hysteresis culturelle, et sti- mule seulement par les necessites vecues et eprouvees au cours de l'accomplissement des operations ; au sein du travail, l'information existe, mais a l'etat engage et implicite, non de maniere explicite et for­mulae sous forme de symboles ; l'information est distribute au sein de Taction et incorporee aux supports techniques de cette operation, consti- tues en majeure partie par des « machines passives ». Le progres est freine parce qu'il demande une veritable reconstruction des supports materiels de Taction dans les reseaux, qui dominent les groupes, enve- loppant eux-memes chacun des individus.

Au contraire, la metrologie et la science offrent a l'individu isole le puissant instrument d'une information explicite et formulee qui est, pour la pensee, l'analogue de l'outil que chacun porte avec soi et utilise au moyen de ses seules forces. Alors devient possible la deduction anticipa- trice, la prevision sur modeles. L'inventeur est un operateur mental et conceptuel post-scientifique qui domine son travail. Son action, au lieu d'etre distribute dans le temps et engagee dans les multiples supports materiels d'un reseau qui domine l'homme par la duree, l'etendue et la complexite, s'exerce sur un modele manipulable, plus petit que

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l'operateur, a la disposition de ses moyens operatoires comme de son outillage mental. L ’invention porte en ce cas surtout sur des sous- ensembles ou des composants, constitues d'un seul coup en dehors du monde du travail par un homme isole et a part, comme l'inventeur du XIXe siecle. Une telle invention peut rester inutilisee, ou ne penetrer que plus tard dans le monde economico-social de techniques reellement utilisees. Formellement, elle se caracterise surtout comme une synthese, une rencontre de donnees extraites de chapitres anterieurement separes des sciences deja formalisees. Techniquement, elle fait generalement appa- raitre un tertium quid, un composant qui n'est pas la simple materialisa­tion d'une loi, mais l'intersection d'une pluralite de lois, comme le mon- trent les exemples de la machine de Gramme, du moteur thermique a combustion interne, du moteur electrique asynchrone. Ces deductions convergentes, liberees du frein de la fin collective, ont ete rapides et nombreuses de 1800 a 1870 ou 1880. Elies ont trouve un domaine d'election dans les systemes de transformation des machines actives (moteurs).

3. Apres l'etape prescientifique de l'analyse collective divergente et l'etape post-scientifique de la synthese individuelle convergente, apres, done, cette induction technique de masse et cette deduction constructive de l'homme seul, s'opposant comme le continu lent et le discontinu rapide, apparait l'interaction parallele des techniques et des sciences, caracte- ristique de l'epoque actuelle, et reunissant a nouveau travail et savoir; mais il ne s'agit plus ici d'un travail de masse oppose au savoir d'un seu l; travail et savoir echangent leur efficacite et accomplissent leur processus d'interaction dans le cadre d'une equipe restreinte, destinee a la recherche et socialement definie par ce but dans le cadre d'un programme. Le processus mental n'est plus essentiellement inductif ni deductif, analysant ou synthetisant, mais avant tout transductif, transportant de domaine en domaine un scheme, decouvrant et instituant des paralle- lismes au lieu d'amorcer des divergences dans les reseaux ou d'apporter des convergences dans les composants. II produit des organismes de plus en plus etroitement concretises, coordonnes synergiquement avec eux-memes ; autrement dit, il fait naitre, au sens propre du terme, des objets techniques, complets et depla9ables, rigoureux comme une axio- matique saturee, et constituant pour eux-memes, grace a la correlation

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entre leur structure et leur fonctionnement, leur condition d'existence complexe. Ces objets sont viables parce que leurs proprietes decoulent d'un probleme suppose resolu: ils sont auto-normatifs, auto-constituants, et auto-limites. C'est pourquoi, en eux, l'essentiel est le regime, la rever­beration interne, la relation entre l'entree, la sortie, et l'alimentation, comme pour un organisme vivant dans son milieu, avec l'ensemble de ses fonctions de regulation et d'information.

La troisieme etape a vu le developpement des machines a informa­tion proprement dites, car le processus transductif de pensee s’exerce a plein sur les fonctionnements dont les schemas sont transposables parce que directement formalisables ; precisement, le caractere essentiel des machines a information releve d'une telle formalisation, etant donne qu'il y a coincidence entre le processus mental de representation par formali­sation et l'operation interne de ces machines.

Mais il importe de noter par ailleurs que l'etude technico-scienti- fique des machines a information aboutit a reconsiderer les trois etapes de revolution des techniques et de l'invention a partir du systeme le plus complexe et le plus parfait, qui est celui de l'ensemble presque ferme (modulateur en etat metastable, qui foumit la base active des machines a information).

De ce point de vue, les machines passives developpees par la premiere etape apparaissent comme des systemes d'evitement des inci­dences, tendant vers l'equilibre le plus stable, degradant en chaleur, par des oscillations progressivement amorties, les singularites occurrentes ; ceci est vrai d'une maison, d'un pont, d'une voute, mais aussi d'une voie ferree, qui minimise autant que possible les irregularites du sol, allonge les courbes, egalise les pentes, compense l'acceleration centrifuge : ce qui a ete decouvert a l'epoque preindustrielle et prescientifique comme un effet d’une induction materialisant une tendance centrale des parcours peut etre repris et perfectionne comme moyen de changement d'ordre de grandeur amortissant les incidences macrophysiques en energie micro­physique non orientee (chaleur, degradation de l'energie).

La logique du second type d'inventions est celle de la conservation du meme ordre de grandeur, dont l'ideal est l'equilibre indifferent, carac- terisant la condition du meilleur rendement possible des systemes de transformation dont l'entree et la sortie sont egalement macrophysiques

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ou egalement microphysiques ; cette logique se caracterise par un ideal de reversibilite.

Enfin, les machines a information realisent a nouveau une condition d'irreversibilite, mais en sens inverse de celle des machines passives : elles accueillent comme signal, dans leur entree, des incidences quasi­microphysiques, et, par une cascade de relais asservissant une energie d'alimentation d'un ordre de grandeur macrophysique, donnent a la singu­larity incidente une efficacite macrophysique : ce sont des systemes de desamortissement.

UNE ETHIQUE DE L ’INVENTION TECHNIQUES’il est possible de definir un ars inveniendiNon, en principe, car la decouverte du tertium quid ne peut etre

determinee par des voies positives ; il comporte de l'aleatoire ; l'invention est un des aspects majeurs de la liberte en acte ; rien ne dit ou il faut prendre les materiaux a synthetiser. La preconisation du tertium quid et de la mediation reste formelle, trop vaste pour guider, dans le concret de chaque cas, la recherche reelle ; il faut a la fois etre impregne de la mul­tiplicity diverse de l'actuel et libre par rapport a elle.

Par contre on peut abaisser les barrieres inhibitrices de l'audace de chercher, individuellement ou collectivement, par isolement ou par tech­nique du groupe de brainstorming (« think up or shut up »). Osborn apprend surtout (productive thinking) a rester libre, individuellement et collectivement, et a balayer l'universalite des possibles, en faisant bon accueil au hasard. Les methodes strictement formelles sont assez creuses, car le formalisme itere.

II y a des propedeutiques a l'invention, mais non une methode pour inventer. Si « ars » signifie methode, chemin a travers les difficultes et conduisant au but, il n'y a pas d'art complet d'inventer; tout au plus, une ethique de l'invention, et une gymnastique de l'inventeur pour s'entretenir en activite.

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La necessite est-elle mere de Vinvention ?D'inventions mineures, o u i: fermeture automatique des portes de

metro par defaut de personnel au moment de la guerre ; le buna (caoutchouc synthetique) en Allemagne ; les ersatz. Mais il s'agit plutot de decouvertes que d'inventions, parce que les situations de besoin creent une exploration vaste des ressources et l’abaissement des bar- rieres collectives de « l'esprit critique » ou sens du ridicule (normes col­lectives de conformisme et de prohibition) ; le besoin desocialise, deco­here les interdits. La famine conduit a chercher toutes les racines comes­tibles, a manger des Corbeaux, des Rats ; ce sont la des experiences qui accroissent l'information et favorisent des decouvertes : le caoutchouc synthetique, mele a la gomme d'hevea, donne un produit plus resistant que la gomme naturelle vulcanisee ; le noir de fumee aussi ameliore le caoutchouc.

Science et techniqueCes deux termes ne constituent pas un couple a opposition simple.

II faut poser l'ensemble. La science, domination du sujet sur l'objet parce qu'il le connait (et il le connait parce qu’il a isole un effet : Raman, Compton,...), s'oppose a l'existence, ou le sujet est noye dans un monde indefini, et infiniment plus complexe que lui, parce qu'il recele de l'aleatoire, de l'evenementiel, de l'historique actuel, et une societe indefi- nie d'autres sujets aussi complexes que lu i ; le degre d'imprevisibilite des occurrences et de complexite des couplages transcende infiniment les capacites d'apprehension du sujet. Meme si l'univers ne m'ecrase pas materiellement, il sature mes possibilites d'apprehension ; sa complexite depasse infiniment celle du sujet, et ses moyens ; l'univers est source.

La technique est entre science et existence ; elle n'est d'ailleurs pas seule a occuper cette position mediane. Les positions medianes sont celles ou sujet et objet ont meme degre de complexite, meme envergure ; ils sont en situation d'equivalence et se font equilibre, forment couple. L'acte d'invention, essentiel a la relation technique entre objet et sujet, est symetrique de l'acte d'intuition, essentiel a l'attitude (et a la relation) clinique, intermediaire entre science et engagement existentiel. Entre technique et clinique se situe l'art, qui peut etre pres de la clinique

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(comprehension et expression, art romantique) ou pres de la technique (surrealisme, invention d'objets) ; entre romantisme et surrealisme se situe l'art dit classique. Dans la clinique, l'objet preexiste au sujet; dans la technique, le sujet preexiste a l ’objet, parce qu'il l'invente ; dans l'art, il s'agit d'une rencontre et d'un mutuel agrement de correspondance.

Situations intermediaires d'equivalence sujet-objetTerme extreme : Terme extreme :sujet domine objet illimiteobjet limite domine sujet

CLINIQUE/ l’objet-autrui\

' preexiste a \1’apprehension :intuition ^

c r T i r \ i r i ? / ADTi j v I I j I i L I j " /U\ 1 C i A l u 1 I L l l L i l /

le degre \ sympathie, / le sujet estd ’organisation\ connivence, ,/ enveloppe commedu sujet \ correspondance / un hie et nuncdepasse celui de \ avec un aspect / infime par leVeffet etudie \ limite du reel / degre tresqui est mis en eleve d’organisationcondition TECHNIQUE et d’imprevisibilited ’objectivite invention des diachronieset de positivite le sujet inventeur et des synchronies.parce qu’isole preexiste mais se L’universdu reste du regenere dans domine l ’homme.monde. l’invention quiLe sujet sait : pose unil enveloppe, objet-repondantmesure, domine. espece de double

du sujet.Note : il est conseille de lire le livre de Jacques Lafitte intitule Reflexions sur la science des machines, Paris, Librairie Bloud et Gay, 1932. Lafitte distingue trois types de machines : passives (architecture), actives (ex : moteurs) et reflexes (machines auto-regulatrices).

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II n'est pas facile de retenir l'idee generate de Lafitte selon laquelle la philosophie aurait d'abord reflete l'Architecture et les machines pas­sives en donnant le primat a l'idee de substance, puis la mecanique et les machines actives avec la notion de cause, enfin les machines reflexes avec l'idee dq finalite. Autant qu'une doctrine de la substance, la philoso­phie de Platon repose sur l'idee generale d'une transmission de l'information avec degradation (a partir des archetypes, dans la genera­tion et la corruption) ; celle d'Aristote repose largement sur l'etude du vivant; elle inclut l'idee de finalite. D'autre part, les machines reflexes ne sont pas le seul type des machines a information ; une machine a calculer n'est reflexe que pour les controles, done de maniere accessoire ; l'aspect reflexe est un frein contre les erreurs. On peut noter d'ailleurs que cette loi des trois etats est tres differente de celle de Comte, qui place d'abord l'agent (done la finalite) puis la substance (gravitas insita), enfin la cause sous forme de loi. On peut songer a une hysteresis des cultures plutot qu'a une simultaneity des fondements de la philosophie et des techniques dominantes d'une epoque.

Les limites du mecanisme en philosophieLa doctrine de Descartes est un mecanisme au sens de Taction par

contact et du solide parfait (figure et mouvement) : theorie du continu et du fini, done de l'iteration et de la reversibilite, comme dans les machines simples : conservation du produit du deplacement par la projection de la force sur la direction du deplacement. Descartes imagine des modeles de vrilles se vissant ou se devissant les unes dans les autres pour pouvoir rendre compte de l'attraction et de la repulsion des poles d'aimants ; la matiere subtile rend compte de l'action a distance en termes d'action par contact. Newton ne procede guere autrement quand il rend compte par l'ether des lois de la gravitation.

En fait, la philosophie sort du mecanisme quand elle rencontre et accepte l'irreversibilite, done l'infini ou l'indefini, le non-retour, l'impossibilite de la reversibilite et de l'iteration,

a - par la thermodynamique ; selon la loi de degradation, impliquant que, les possibilites d'auto-transformation d'un systeme ferme siege de transformations tendant vers zero, il faut une intervention exterieure a ce systeme pour le reordonner de maniere macroscopique ; e'est

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l'irreversibilite de l'augmentation d'entropie, par degradation des energies potentielles et passage de l'energie d'une situation macroscopique a une situation microscopique (ou « macrophysique » et « microphysique »). (Hypothese du demon de Maxwell).

b - par le developpement de la theorie des champs, correlative d'un univers infini, done sans retour de l'energie emise a son point de depart. A partir de la theorie des courants de deplacement, on peut concevoir que de l'energie emise sous forme d'une radiation electromagnetique (Maxwell) s'eloigne de sa source sans retour.

Seul un systeme ferme (done sans radiations emises) et a trans­formations reversibles (done non thermodynamique) est proprement mecanique.

Peut-on considerer les machines passives (un poteau, un chemin) comme machines ?

C'est d'abord une question de definition : si Ton cree une hierarchie (outils et instruments, ustensiles, machines-outils, machines veritables, reseaux techniques), le mot « machine » ne s'applique pas a tous les objets techniques. Mais Lafitte donne le nom de machine a tous les objets techniques. Or, un poteau, un chemin, sont effectivement des objets techniques ; ils fonctionnent en eux-memes ; un poteau flechit et revient elastiquement a sa position premiere ; un chemin aussi; les cons­tructions fonctionnent par tout un ensemble de flexions et de tractions ; un immeuble tres eleve, soumis au vent, peut entrer en oscillation, comme un pont soumis a des impulsions periodiques, si la periode propre de la construction est voisine de celle des impulsions ; il ne serait pas deraisonnable d'installer au sommet des grands immeubles des amortis- seurs d'oscillations, comme ceux qui sont employes sur les vehicules, si ces immeubles doivent etre soumis a des rafales regulieres de vent (afin d'eviter les phenomenes de resonance).

Descartes pense la construction d'un immeuble comme celle d'une machine simple, e'est-a-dire comme l'organisation d'un systeme lineaire de transfert par etapes; le roc supportant les fondations, le certum quid et inconcussum est transfere assise par assise jusqu'aux combles ; la construction vaut ce que vaut la plus faible de ses assises, comme une chaine vaut ce que vaut le plus faible de ses maillons ; ce mode segmen-

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taire et additif de construction s'oppose au systeme des parements enserrant un blocage, qui peut donner naissance a des composantes hori- zontales provoquant un detriplement de la muraille (mur « souffle »); autrement dit, un mur ne peut etre techniquement defini comme un couple de forme et de matiere mise en forme : il se produit un travail des ele­ments les uns par rapport aux autres.

Le cas des constructions par assises est d'ailleurs un cas ideale- ment simple. Generalement, le fonctionnement interne est plus complexe, car il existe aussi des liaisons entre les murs (poutres, planchers), et entre les murs et la toiture ; le sol lui-meme fonctionne en une certaine mesure et se tasse au cours de la construction, un peu comme un navire que Ton charge s'enfonce dans l'eau. C'est pourquoi les architectes tech- niciens disent que le plus important d'une construction est la partie qui ne se voit pas.

Aussi bien, l'invention est possible en matiere de construction, et il serait possible d'etudier les inventions des machines statiques comme celles des machines actives ; en fait, tous les objets techniques sont actifs ; ceux que Lafitte nomme machines passives sont ceux en lesquels le fonctionnement doit ne creer que de.faibles deplacements, pratique- ment negligeables pour l'usage, mais nullement negligeables pour la conception du scheme : ce sont des machines actives en etat permanent d'equilibre, et meme en etat d'equilibre volontairement consolide, avec des deplacements limites ; dans certaines constructions, il est tenu compte des deplacements inevitables (ponts metalliques reposant sur des galets pour permettre la dilatation, Tour Eiffel reposant sur des verins permettant de conserver la verticalite malgre les tassements du sol).

En matiere de « machine passives », l'invention apparait aussi comme un degagement fonctionnel et organique du tertium quid qui permet une meilleure auto-correlation des termes anterieurement dicho­tomises, antithetiques l'un par rapport a l'autre, comme l'inducteur et l'induit des altemateurs avant l’invention de Kingdon. Tel est le role des organes de butee dans les constructions romanes puis gothiques, par rapport a la dualite originaire du portant et du porte ; l'arc boutant, exte- rieur aux murs ou colonnes (organe portant), permet une complete auto­correlation des parties verticales, portantes, et de la toiture en voute, portee. Techniquement, il s'agit en quelque maniere d'une continuation de

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la voute par-dela les murailles ou colonnes, jusqu'au sol, mais seulement sous forme tres discontinue (arcs), ce qui degage entierement l'interieur de l'edifice et permet de remplacer d'epaisses murailles par de simples colonnes entre lesquelles s'etendent des baies, ou par des piliers relati- vement espaces ; au lieu de rester un massif de masonnerie intervenant par sa masse, le mur se purifie en devenant seulement un porteur verti­cal : cette fonction peut etre remplie par des piliers ou des colonnes.

Le beton arme precontract est un materiau qui peut travailler a l'extension, comme le bois ou le metal, et non pas seulement a la com­pression, comme un assemblage de pierres ; il en resulte un nouveau fonctionnement possible en architecture, engendrant des techniques diffe- rentes de celles du batiment en pierre, et en particulier des porte-a-faux considerables rationnellement employes.

Un autre exemple de tertium quid en matiere de machines passives est la construction en profiles metalliques verticaux (exemple du gratte- c ie l); les murs ne sont plus porteurs (murs-rideaux); ils pourraient done entrer en correlation avec les elements horizontaux (planchers et plafonds) sans etre astreints a la condition de verticalite, jadis necessi- tee par leur role mixte de porteurs et d'elements delimitateurs de l'espace interieur par rapport a l'espace exterieur. II serait ainsi possible de retrouver de maniere rationnelle et fonctionnelle l'organisation des cons­tructions en bois debout (anciennes eglises de Norvege) ou des cons­tructions en colombages.

La division tripartite de Lafitte est tres interessante, car elle a une valeur historique indeniable : elle montre les grandes etapes des tech­niques successivement dominantes (construction, machines simples et moteurs, machines a information). Toutefois, elle ne doit pas etre prise de maniere radicale, car meme les machines passives contiennent des fonctionnements internes comparables a ceux des machines actives, ainsi que des circuits reflexes impliquant une information engagee.

II ne faut pas non plus trop facilement accepter l'idee selon laquelle les machines passives constituent une solution paresseuse a des pro- blemes qui auraient pu etre resolus par des machines actives : un aque- duc en pente douce remplace en effet des conduites forcees ou des pompes ; mais les anciens ne pouvaient pas construire des canalisations, et meme des corps de pompe, resistant a de hautes pressions et capables d'assurer un debit constant et eleve ; la solution de l'aqueduc

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demande une importante construction, mais elle equivaut a un systeme automatique, puissant et durable d'adduction d'eau par des machines actives ; l'aqueduc est parfaitement relie aux conditions naturelles, et utilise l'energie hydraulique naturelle (gravite, pente uniforme) pour le transport de l'eau.

Une etude rationnelle, reellement technologique (ou mecanolo- gique) des machines passives, decelant l'importance des caracteres d'activite et de relation reflexe, pourrait en particulier etre conduite sur l'exemple de la voute, a partir des « fausses voutes » primitives cons- truites en encorbellement sans taille des voussoirs (exemple : les bories de Gorde), puis des voutes en berceau (fig. 100), ensuite des voutes d'aretes romaines et romanes (fig. 101); la voute d'aretes, sans compor- ter d'arcs-boutants, repond deja au besoin de decharger les murailles de la poussee horizontale qui tend a les ecarter lorsqu'elles supportent une voute en berceau. Enfin, le systeme des organes de butee exterieurs a la muraille acheve cette evolution et donne naissance a un systeme indefi- niment extensible en longueur (alors que la voute d'arete ne peut guere s'ecarter du carre). Ce mode de construction, en se complexifiant sous forme d'arcs-boutants a double ou multiple volee, est egalement, au moins de maniere theorique, illimite en hauteur; l'art gothique a utilise cette possibility pour l’accroissement des dimensions horizontales et verticales rendues independantes de la largeur.

On peut noter que la coupole est issue d'une reduplication indefinie de voutes s'intersectant, ce qui supprime angles et aretes.

Claudel a quelque raison d'ecrire (VAnnonce faite a Marie) que l'art « chretien » des cathedrales est pense a partir de l'interieur. Mais on peut noter toutefois que les coupoles sont aussi, sinon pensees tout au moins faites de l'interieur ; tout au moins les coupoles en beton des Romains, avec ou sans caissons, qui furent employees dans les Thermes, avant que Sainte-Sophie de Constantinople ne realise une prodigieuse coupole ; les Romains avaient diminue la difficulte de la poussee de la coupole sur les murs ou colonnes la soutenant en la rendant monoli- thique, ce qui permettait de la construire extremement mince (quelques centimetres, chose impossible avec l'emploi des voussoirs ; la technique du beton est aussi, a sa maniere, l'une des solutions apportees au pro- bleme de la poussee laterale exercee par les voutes sur leurs supports.

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(Sommaire)Les pages precedentes comportent seulement, apres vingt pages

de mise en place de concepts, un exemple de reseau technique (la mine), ou l'invention et le progres viennent de la centralisation operatoire sur le puits, autour duquel divergent (en se purifiant) et convergent (en se concretisant) les autres operations ; le puits est le central de ce reseau preindustriel, berceau de multiples inventions qui ont pris leur essor et quitte la mine pour se repartir dans le monde : chemin de fer, locomotive, machine a vapeur... Le principe des inventions et du progres est en ce cas la dichotomie entre central et annexes.

Ensuite, l'expose passe a l'etude des sous-ensembles ou compo­sants, dont les exemples sont pris en electrotechnique : transformateurs, generatrices, moteurs. Ici, l'invention fondamentale vient de la position du tertium q u id : masses de fer done de l'altemateur de Kingdon, spires en court-circuit dans le rotor du moteur a induction, dit synchrone, qui marque un recours au transformateur, puisqu'il s'agit la d'un veritable secondaire a usage interne.

Entre reseaux et sous-ensembles, il faudrait maintenant etudier les machines completes — constructions, moteurs ou machines a information— selon la division tripartite de Lafitte qui s'applique a cet ordre de gran­deur et a ce degre d'organisation de l'objet technique. Pourrons-nous aborder ce travail sous forme de photographies doublees d'explications verbales ? — Pour les lecteurs, nous signalons qu'il se trouve partielle- ment dans Du mode d’existence des objets techniques.

Pour etre complet selon son ordre logique, cet expose, apres avoir envisage les reseaux et les composants, devrait etudier le niveau inter­m ediate de complexite et d'organisation, a savoir les objets techniques individualises, ceux precisement que Lafitte nomme machines (passives, actives ou reflexes). Dans le reseau, le principe de l'invention est la for­mation d'un central h densite fonctionnelle elevee, permettant la correla­tion entre de multiples terminaux qui peuvent se purifier par determina­tion etroite de leurs caracteristiques fonctionnelles optimum ; e'est done la division entre central et terminaux, tendant vers l'unicite fonctionnelle des terminaux, qui est a l'origine du developpement dans les ensembles plus grand que l'objet technique individualise. Au contraire, dans les composants (transformateur, alternateur, moteur electrique), e'est la

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decouverte ou plutot la position par construction d'un tertium quid qui permet le progres de l'organisation ; l'invention ajoute un troisieme terme ; elle n'est plus une analyse mais une synthese reelle, faisant apparaitre un terme nouveau.

Quant aux objets techniques individualises, ils progressent essen- tiellement par concretisation, ce qui n'est ni une analyse ni une synthese, mais une saturation des differentes caracteristiques dans l'organisation de leur reciprocity. Par exemple, le moteur thermique, apres s'etre per- fectionne d'abord par analyse, comme un ensemble possedant un central (ameliorations separees de la chaudiere et du condenseur, du cylindre, de la distribution et de l'admission par la coulisse de Stephenson), puis par synthese (carburateur, allumage electronique), s'est enfin concretise dans son individuality (systeme de Diesel oil l'injection temporisee de carburant dans l'air pur chauffe par la compression remplace a la fois le carburateur et la magneto d'allumage); la concretisation reunit et rem­place la fonction de l'analyse (central et terminaux) et celle de la syn­these (tertium quid) en elevant le niveau d ’organisation ; l'objet tech­nique individualise, ou les composants sont plurifonctionnels, reunit le mode d'organisation du reseau et celui du sous-ensemble, ou composant . C'est pourquoi l'arc-boutant, tertium quid, est seulement le second terme du progres technique en architecture ; il reste a operer en un troisieme temps la concretisation de la construction consideree comme realite indi- vidualisee. Au cours de revolution, la structure de l'objet change de cate- gorie.

Machines et etres vivantsLes « machines reflexes » de la cybemetique sont essentiellement

des ensembles de regulateurs qui simulent bien les tactismes (avec leurs seuils et leurs inversions de sens : tortues de Grey Walter) ainsi que les conditionnements pavloviens. L'homeostat d'Ashby simule bien la recherche d'equilibres complexes entre l'individu et le milieu. Quant aux memoires des machines a information, elles simulent avant tout la memoire immediate. Par contre, ce sont les processus de developpement (incluant la reproduction amplifiante et diversificatrice), les aspects affectivo-emotifs de la vie, et les actes d'invention individuelle qui appa- raissent comme l'aspect le plus eloigne, chez les etres vivants, de

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l'existence des machines. Ce qui est le plus eloigne de l'objet technique, c'est la conscience et ce qu'elle recouvre.

Fin du cours 1968-1969, ler semestre.

NOTE SUR L’OBJET TECHNIQUEJusqu'a ce jour, l'objet technique, apparaissant dans une societe ou

les relations verticales predominent, ne peut echapper au fatalisme d'un classement manicheen : il sera objet d'art ou objet utile. Quelques essais pour operer une synthese de l'intention esthetique et de la visee utilitaire se sont manifestos avec courage, notamment dans la construction auto­mobile avec l'ingenieur Gregoire et dans la construction architecturale avec l'architecte Le Corbusier.

Mais une veritable synthese ne peut s'operer que par un change- ment d'attitude de l'homme envers l'objet technique. A notre avis, le dua- lisme fondamental qui gouveme la repartition dans les deux categories de l'utilitaire et de l’esthetique trouve sa source dans l'antithese socialement vecue de deux attitudes : l'objet utilitaire est le remplagant de l'esclave. Comme lui, il doit obeir sans defaillance, etre fidele, ne pas manifester de spontaneite inventive, ne pas entrer en rebellion. II ne doit pas manifes­ter sa vie interieure, son mecanisme, ses difficultes. II doit etre bon a tout faire, comme cette esclave moderne que Ton nomme bonne a tout faire. L'objet esthetique correspond au contraire a l'attitude du maitre, c'est-a- dire au loisir, a la schole : il doit donner a l'homme une certaine conscience de lui-meme, conscience edulcoree et purificatrice, conscience de la communication avec ses semblables libres en lesquels il reconnait la forme entiere de l'humaine condition...

...L'objet technique ne doit plus etre traite comme un esclave ou apprehende comme moyen de jeu : il doit etre saisi dans son interiorite dynamique, dans le schematisme concret, mais ouvert, de sa structure et de son fonctionnement. Nous ne voulons pas employer ici une foule de metaphores qui pourraient etre mal comprises ; mais nous devons pourtant avoir recours a des expressions imagees pour dire ce qu'est l'objet technique comme symbole interhumain. Un symbole, dans la civili­sation grecque ancienne qui a invente ce mot, est un instrument de reconnaissance par rapprochement et coincidence. Lorsqu'un voyageur

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avait noue des relations d'hospitalite avec un etranger qui l'avait accueilli, il ne se separait pas de son hote sans avoir brise en deux un objet simple, tel que pierre, vase, coquillage ou bijou : il conservait l'une des deux moities de cet objet unique et remettait l'autre a son hote. Plusieurs generations pouvaient passer: on se transmettait en forme d'heritage les symboles — etymologiquement, les choses qu'on rapproche — et si un jour l'un des descendants de ces deux hommes qui avaient noue des relations d'hospitalite venait a entreprendre un voyage, il emportait avec lui le sumbolon et sa coincidence avec l'autre moitie du meme objet origi- nel manifestait l'authenticite de la relation nouee jadis.

De meme, l'etre technique est un symbole, la moitie d'un tout qui attend son complement, a savoir l'homme. L'etre technique, ce produit du travail humain, est la cristallisation d'une longue serie d'efforts, de travaux, diriges par une intention, soutenus et reflechis par une volonte intelligente. II n'en est pas seulement le fruit, comme une recompense sans lien avec l'acte qu'elle recompense, mais il en est la traduction et pour ainsi dire l'enregistrement fidele. II faut connaitre le langage de l'etre technique par lequel se reactualise le geste humain qui l'a produit. L'etre technique est un faisceau coherent de schemes objectives par un support materiel. Ce travail cristallise quest l'etre technique ne doit pas etre traite comme un capital capable de produire automatiquement encore du travail, ainsi qu'un capital economique produit encore un travail par le jeu de la plus-value : l'etre technique serait alors du travail humain aliene, producteur d'une alienation plus grande. L'etre technique doit etre envi­sage comme un etre ouvert, polarise, qui appelle son complement qu'est l'homme au travail, dans la coincidence du tout recompose. L'utilisateur doit prendre la place du constructeur. II faut pour cela qu'il coincide avec le schematisme essentiel inscrit dans l'etre technique, qu'il soit capable de le penser, de le comprendre, de l'aimer comme s'il l'avait fait. La dualite homme-nature se resorbe dans l'unite fonctionnelle de l'homme au travail.

L'humanisme ancien etait, au sens large, une culture etendue, bien assimilee, variee et riche. Au sens precis, il etait la pratique de l'humanite, c'est-a-dire de cette attention genereuse et penetrante par laquelle l'homme libre, depassant les distinctions sociales de maitre et d'esclave, reconnait l'esclave comme homme et veut faire de lui un etre qui pense, qui sent et qui veut... Redecouvrir l'homme, pouvoir dire

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comme le sage vieillard de Terence : « Humani nil a me alienum puto »— « Rien d'humain ne m'est etranger » — tel est le projet de l'humanisme ancien, toujours valable aujourd'hui. Mais tandis que l'humanisme ancien cherche a redecouvrir l'homme dans l'homme, l'humanisme modeme cherche en outre a redecouvrir l'homme dans sa prison modeme, c'est-a-dire dans le produit du travail humain qu'est l'etre technique...

...La machine ne doit etre consideree par l'enfant ni comme instru­ment de jeu, ni comme chose utile, mais comme objet technique que l'etre humain apprend a connaitre en le completant... La machine exige de nous des services et nous en rend, comme un am i; l'echange des services, preferable a l'esclavage, n est meme pas encore la relation la plus haute et la plus adequate a la machine. II faut « tirer le joug » avec elle, la bien connaitre, travailler en ne la prenant ni comme fin, ni comme moyen, mais comme camarade de travail et comme etre complementaire... Cette rela­tion horizontale doit remplacer toute relation verticale.

Les educateurs peuvent developper chez l'enfant le respect de la machine en apprenant a l'enfant a la construire, a la reparer, a l'entretenir avant et apres son utilisation. De plus une conscience historique de l'invention progressive des dispositifs utilises dans une machine peut donner un sentiment vif de la presence humaine que represente la struc­ture d'une machine. Sans doute, il ne faut pas tomber dans une idolatrie de la machine. Mais entre l'idolatrie et le mepris existe la saine re­connaissance fondee sur une frequentation attentive...

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102. Organes de but£e 103. Arcs-boutants (Epoque romane, cathe- gothiques (premiere drale de Durham, 1133) moitie du Xllle s.)

105. Coupole

suspendue

104. Mur-boutant au-dessus

des collateraux de la cathe- drale de Durham (Xlle siecle

106. Coupole sur

pendentifs