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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 2, 191-199 © Masson, Paris, 2004. 191 F M C REVUE GÉNÉRALE Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours : mise au point et conduite à tenir à partir de 2003 F. Rigaudière (1,2), I. Ingster-Moati (1,2), J.-C. Hache (3), J. Leid (4), R. Verdet (5), P. Haymann (6,7), M.-H. Rigolet (8), X. Zanlonghi (9), S. Defoort (3), J.-F. Le Gargasson (1,2) (1) Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision (Biophysique), Hôpital Lariboisière, Paris. (2) Université Paris 7, INSERM U-483, Paris. (3) Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision, Hôpital R. Salengro, CHU, Lille. (4) Cabinet d’Ophtalmologie, Pau. (5) Cabinet d’Ophtalmologie, Avignon. (6) Service d’Ophtalmologie, Hôpital Intercommunal, Créteil. (7) Fondation Rothschild, Paris. (8) Unité d’Électrophysiologie, CHNO des XV-XX, Paris. (9) Laboratoire d’Exploration Fonctionnelle de la Vision, Clinique Sourdille, Nantes. Correspondance : F. Rigaudière, Hôpital Lariboisière, Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision (Biophysique), 2, rue Ambroise Paré, 75010 Paris. E-mail : [email protected] Le texte a fait l’objet du thème du 7 e séminaire des « Actualités en Exploration de la Fonction Visuelle » en septembre 2002 à l’UFR Lariboisière-Saint-Louis, Paris. Reçu le 16 juillet 2003. Accepté le 14 novembre 2003. Up-dated ophthalmological screening and follow-up management for long-term antimalarial treatment F. Rigaudière, I. Ingster-Moati, J.-C. Hache, J. Leid, R. Verdet, P. Haymann, M.-H. Rigolet, X. Zanlonghi, S. Defoort, J.-F. Le Gargasson J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 2: 191-199 The early detection of macular toxicity linked to long-term antimalarial treatment requires reg- ular ophthalmological screening based on patients’classification based on their results com- pared to successive controls. Patients are classified as “low risk” with screening every 18 months if all of the following criteria are met: age under 65 years, no associated renal, hepatic or retinal disease, treatment for less than 5 years, dose less than or equal to 6,5mg/ kg/d for hydroxychloroquine and 3mg/kg/d for chloroquine (for a lean patient’s weight); “at risk, without fundus findings” with screening every 12 months if one of the following criteria is met: age over 65 years (at the start of or during treatment), antimalarial treatment for more than 5 years, daily dose higher than recommended, presence of renal and/or hepatic disease; “at risk, with fundus findings” with screening every 6 months if a retinal dysfunction has been detected and even if treatment is established or followed. Screening consists of an in-depth clinical examination and at least two complementary tests of macular function: color vision (desaturated-Panel-D15 test) and/or static macular perimetry (central 10 degrees) and/or macular electroretinography (pattern ERG/multifocal ERG). If any changes or anomalies are found between two successive check-ups, the state of the retina can be assessed by angio- graphy and global retinal function by full-field-ERG and electro-oculogram (EOG). The progres- sion from one check-up to the next decides whether a course of treatment will be followed. Key-words: Long-term (hydroxy)-chloroquine treatment, screening for macular drug toxicity, desaturated-Panel-D-15 test, static macular perimetry, angiography, PERG, mfERG, full-field- ERG, EOG. Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours : mise au point et conduite à tenir à partir de 2003 La détection d’une maculopathie liée à la prise d’antipaludéens de synthèse (APS) au long cours repose sur une surveillance ophtalmologique régulière. Celle-ci s’appuie sur la classifi- cation des sujets au vu des résultats comparés entre contrôles successifs. Les patients sont classés – « à faibles risques », avec une surveillance tous les 18 mois, si tous les facteurs suivants sont satisfaits : âge inférieur à 65 ans, sans anomalie rénale, hépatique, rétinienne associée, POURQUOI SURVEILLER ? Les antipaludéens de synthèse (APS, chloroquine : Nivaquine ® , Savarine ® ou hydroxychloroquine : Plaquénil ® ) sont des composés initialement utili- sés pour la prévention et le traite- ment du paludisme. Ils ont depuis longtemps démontré leur efficacité dans certaines pathologies rhumato- logiques ou dermatologiques au pre- mier rang desquelles la polyarthrite rhumatoïde et le lupus. Ils sont le plus souvent prescrits sans interrup- tion durant plusieurs années. Ils sont généralement bien tolérés et présen- tent peu de contre-indications. La sur- venue possible d’effets secondaires oculaires, comme une thésaurismose cornéenne sans conséquence fonc- tionnelle ou une maculopathie irré- versible pouvant conduire à la perte de la vision centrale, pose la question du mode et de la fréquence de la sur- veillance ophtalmologique lors de la prise des APS au long cours. Stratégie controversée La stratégie de la prévention de la sur- venue d’une maculopathie aux APS

Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours : mise au point et conduite à tenir à partir de 2003

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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 2, 191-199© Masson, Paris, 2004.

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FMC

REVUE GÉNÉRALE

Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours :mise au point et conduite à tenir à partir de 2003

F. Rigaudière (1,2), I. Ingster-Moati (1,2), J.-C. Hache (3), J. Leid (4), R. Verdet (5), P. Haymann (6,7), M.-H. Rigolet (8), X. Zanlonghi (9), S. Defoort (3), J.-F. Le Gargasson (1,2)

(1) Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision (Biophysique), Hôpital Lariboisière, Paris.(2) Université Paris 7, INSERM U-483, Paris.(3) Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision, Hôpital R. Salengro, CHU, Lille.(4) Cabinet d’Ophtalmologie, Pau.(5) Cabinet d’Ophtalmologie, Avignon.(6) Service d’Ophtalmologie, Hôpital Intercommunal, Créteil.(7) Fondation Rothschild, Paris.(8) Unité d’Électrophysiologie, CHNO des XV-XX, Paris.(9) Laboratoire d’Exploration Fonctionnelle de la Vision, Clinique Sourdille, Nantes.Correspondance : F. Rigaudière, Hôpital Lariboisière, Service d’Exploration Fonctionnelle de la Vision (Biophysique), 2, rue Ambroise Paré, 75010 Paris.E-mail : [email protected] texte a fait l’objet du thème du 7

e

séminaire des « Actualités en Exploration de la Fonction Visuelle » en septembre 2002 à l’UFR Lariboisière-Saint-Louis, Paris.Reçu le 16 juillet 2003. Accepté le 14 novembre 2003.

Up-dated ophthalmological screening and follow-up management for long-term antimalarial treatment

F. Rigaudière, I. Ingster-Moati, J.-C. Hache, J. Leid, R. Verdet, P. Haymann, M.-H. Rigolet, X. Zanlonghi, S. Defoort, J.-F. Le Gargasson

J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 2: 191-199

The early detection of macular toxicity linked to long-term antimalarial treatment requires reg-ular ophthalmological screening based on patients’classification based on their results com-pared to successive controls. Patients are classified as “low risk” with screening every18 months if all of the following criteria are met: age under 65 years, no associated renal,hepatic or retinal disease, treatment for less than 5 years, dose less than or equal to 6,5mg/kg/d for hydroxychloroquine and 3mg/kg/d for chloroquine (for a lean patient’s weight); “atrisk, without fundus findings” with screening every 12 months if one of the following criteriais met: age over 65 years (at the start of or during treatment), antimalarial treatment for morethan 5 years, daily dose higher than recommended, presence of renal and/or hepatic disease;“at risk, with fundus findings” with screening every 6 months if a retinal dysfunction has beendetected and even if treatment is established or followed. Screening consists of an in-depthclinical examination and at least two complementary tests of macular function: color vision(desaturated-Panel-D15 test) and/or static macular perimetry (central 10 degrees) and/ormacular electroretinography (pattern ERG/multifocal ERG). If any changes or anomalies arefound between two successive check-ups, the state of the retina can be assessed by angio-graphy and global retinal function by full-field-ERG and electro-oculogram (EOG). The progres-sion from one check-up to the next decides whether a course of treatment will be followed.

Key-words:

Long-term (hydroxy)-chloroquine treatment, screening for macular drug toxicity,desaturated-Panel-D-15 test, static macular perimetry, angiography, PERG, mfERG, full-field-ERG, EOG.

Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours : mise au point et conduite à tenir à partir de 2003

La détection d’une maculopathie liée à la prise d’antipaludéens de synthèse (APS) au longcours repose sur une surveillance ophtalmologique régulière. Celle-ci s’appuie sur la classifi-cation des sujets au vu des résultats comparés entre contrôles successifs. Les patients sontclassés – « à faibles risques », avec une surveillance tous les 18 mois, si tous les facteurs suivantssont satisfaits : âge inférieur à 65 ans, sans anomalie rénale, hépatique, rétinienne associée,

POURQUOI SURVEILLER ?

Les antipaludéens de synthèse (APS,chloroquine : Nivaquine

®

, Savarine

®

ou hydroxychloroquine : Plaquénil

®

)sont des composés initialement utili-sés pour la prévention et le traite-ment du paludisme. Ils ont depuislongtemps démontré leur efficacitédans certaines pathologies rhumato-logiques ou dermatologiques au pre-mier rang desquelles la polyarthriterhumatoïde et le lupus. Ils sont leplus souvent prescrits sans interrup-tion durant plusieurs années. Ils sontgénéralement bien tolérés et présen-tent peu de contre-indications. La sur-venue possible d’effets secondairesoculaires, comme une thésaurismosecornéenne sans conséquence fonc-tionnelle ou une maculopathie irré-versible pouvant conduire à la pertede la vision centrale, pose la questiondu mode et de la fréquence de la sur-veillance ophtalmologique lors de laprise des APS au long cours.

Stratégie controversée

La stratégie de la prévention de la sur-venue d’une maculopathie aux APS

F. Rigaudière et coll. J. Fr. Ophtalmol.

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est encore objet de controverses.Cette maculopathie constitue unecomplication suffisamment rarepour que certains ne préconisentqu’une surveillance clinique oph-talmologique régulière entrant alorsdans une logique comptable desanté publique. D’autres estimentque l’atteinte périfovéolaire initialequi peut évoluer vers une maculo-pathie constitue, malgré sa rareté,un risque lourd pour le patient. Ils re-commandent alors une surveillanceclinique ophtalmologique très ré-gulière, associée à des examenscomplémentaires.

But de la surveillance

Il est rappelé que la maculopathieaux APS correspond cliniquementà une baisse d’acuité visuelle bila-térale associée à une image en œilde bœuf vue au fond d’œil et/ouà l’angiographie rétinienne. Cettemaculopathie se traduit par unedyschromatopsie acquise mise enévidence par le Panel D15 désaturéet/ou un scotome annulaire relevésur les champs visuels centraux et/ouune altération de la fonction ma-culaire (voire de toute la surfacerétinienne) avec retentissement surles explorations électrophysiologi-ques appropriées. Les altérationsdes examens complémentaires peu-vent être dissociées (ou incomplè-tes). Cette maculopathie est rare-ment réversible à l’arrêt des APS.Elle peut se stabiliser mais aussicontinuer à évoluer malgré l’arrêtdu traitement. Dans la majorité descas, elle est précédée de signes infra-cliniques qu’il s’agit de mettre enévidence précocement par des exa-

mens cliniques ophtalmologiqueseffectués régulièrement, associés àdes examens complémentaires ap-propriés. Alors que l’acuité visuelleet le fond d’œil restent normaux,un ou plusieurs examens complé-mentaires peuvent présenter desaltérations signant des dysfonc-tionnements périfovéolaires, cettesituation étant désignée par cer-tains comme une intoxication austade pré-clinique ou pré-maculo-pathie [1].

Le but de la surveillance ophtalmo-logique de la prise au long coursd’APS est de mettre en évidence desmodifications débutantes du fonc-tionnement périfovéolaire, c’est-à-dire de détecter l’intoxication austade pré-clinique afin de procéderà la diminution de la posologie voireà l’arrêt du traitement.

Mécanismes de toxicité

Le mécanisme de toxicité réti-nienne des APS n’est pas, à ce jour,parfaitement compris. Compte tenude l’usage étendu de ces molécu-les et de leur ancienneté, on nepeut qu’être étonné du petit nom-bre d’études toxicologiques oupharmacologiques concernant l’ef-fet dose-dépendant sur l’épithé-lium pigmentaire, les différentesstrates de la neuro-rétine et/ouzones rétiniennes (macula, péri-phérie). Il paraît important que desétudes pharmacologiques, cibléessur ce problème soient intensifiéesafin d’élucider les degrés de dé-pendance éventuelle entre lesdifférents niveaux de dysfonction-nements et l’atteinte toxique irré-versible maculaire.

L’absorption de l’hydroxychloro-quine présente une grande variabi-lité inter-individuelle [2] pouvantexpliquer que certains patientspuissent avoir des doses cumuléestrès importantes (de plus de3 000 g) lors des traitements delongues durées, sans atteinte oph-talmologique [3], alors que d’autresprésentent des maculopathies pourdes doses nettement moindres [3].Des recherches sur une prédisposi-tion génétique sont actuellement àl’étude concernant des mutationssur le gène ABCR [4].

La chloroquine induit une hypo-protéinémie [5] et une baisse deconcentration des facteurs plaquet-taires [6]. L’hydroxychloroquine sefixe au niveau des protéines plas-matiques et se concentre dans lescellules sanguines ; son dosagedoit être sanguin et non pas seule-ment plasmatique ce qui est diffi-cile à effectuer à titre de surveillanceen routine [2]. Son métabolisme hé-patique et son excrétion rénalesont reconnus, laissant entrevoir lanécessité d’une surveillance ren-forcée en cas de troubles de lafonction hépatique ou rénale.

Son tropisme pour les tissuscontenant de la mélanine et enparticulier l’épithélium pigmen-taire est reconnu. Les modifica-tions fonctionnelles de l’épithéliumpigmentaire rapportées dans denombreuses études lors de la priseprolongée d’APS, n’ont pas fait lapreuve d’un lien direct entre undysfonctionnement global de l’épi-thélium pigmentaire et l’atteintemaculaire irréversible, d’autantplus que des études récentes surdes cultures de tissu épithélial

traitement depuis moins de 5 ans, posologie inférieure ou égale à 6,5 mg/kg/j pour l’hydroxychloroquine et 3 mg/kg/j pour la chloroquine (massemaigre du sujet), – « à risques, sans atteinte rétinienne », avec une surveillance tous les 12 mois, si l’un des facteurs suivants est satisfait : âgeinférieur à 65 ans (au début ou en cours de traitement), prise d’APS depuis plus de 5 ans, posologie quotidienne supérieure à celle recommandée,présence d’anomalies rénales ou hépatiques et – « à risques, avec atteinte rétinienne », avec une surveillance tous les 6 mois, si une anomalierétinienne a été décelée et si le traitement est malgré tout institué ou poursuivi. La surveillance comprend un examen clinique approfondi et auxmoins deux examens complémentaires de la fonction maculaire : vision des couleurs (Panel-D15-désaturé) et/ou champ visuel automatisé (10

°

centraux) et/ou électrorétinographie maculaire (Pattern-ERG – multifocal-ERG). Si des modifications ou anomalies sont trouvées entre deux bilanssuccessifs, l’état peut être précisé par angiographie ainsi que la fonction rétinienne globale par ERG-flash et EOG. L’évolution d’un bilan à l’autreconditionne la poursuite ou non du traitement.

Mots-clés :

Traitement par (hydroxy)-chloroquine au long cours, prévention de la toxicité maculaire, Panel-D15-désaturé, champ visuel automatisé,angiographie, P-ERG, mf-ERG, ERG-flash, EOG.

Vol. 27, n° 2, 2004 Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours

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pigmentaire, effectuées en présencede chloroquine, ne montrent pasde modification notable de sonmétabolisme cellulaire [7]. Les mo-difications fonctionnelles de l’épi-thélium pigmentaire semblent da-vantage liées à une altération deleurs lysosomes qui permettent laphagocytose des photorécepteurs,qu’à une atteinte directe des cellu-les épithéliales [8].

Plusieurs mécanismes à l’originede la maculopathie sont évoqués :une atteinte initiale (ou secon-daire) des corps des cellules gan-glionnaires suivie (ou précédée) decelle des photorécepteurs [9].Dans l’hypothèse d’une altérationinitiale du fonctionnement descorps des cellules ganglionnaires,les autres couches de la neuro-rétine resteraient intactes dans unpremier temps, l’atteinte des pho-torécepteurs apparaissant pour-tant dans un second temps relati-vement rapidement, celle del’épithélium pigmentaire et de lachoroïde plus tardivement [10]. Laconfiguration anatomique des corpsdes cellules ganglionnaires expli-que que leur altération initialepuisse se traduire par un dysfonc-tionnement rétinien de la périfo-véola, zone annulaire située entreles 2 et 10 degrés autour de l’axevisuel, avec conservation du fonc-tionnement de la zone fovéolaire.En effet, la moitié des cellules gan-glionnaires sont réparties sur unezone rétinienne vue sous un angled’environ 30 degrés et les corpsdes cellules ganglionnaires ont unedensité maximale sur une zone ré-tinienne couvrant les 12 degréscentraux autour de la fovéola. Il estrappelé que la fovéola est la dé-pression avasculaire vue sous unangle d’environ 2 degrés, situéeau centre de la macula et qui necontient que des cônes. Elle cor-respond idéalement à l’image réti-nienne de focalisation du point defixation : c’est le fonctionnementde la fovéola qui est testé lors del’évaluation clinique de l’acuité vi-suelle. C’est pourquoi, au coursd’une atteinte débutante, l’acuité

visuelle évaluée cliniquement peutrester normale.

Quel que soit le mécanisme initialde cette maculopathie, l’atteintedébute par un dysfonctionnementde la zone périfovélaire que l’oph-talmologiste praticien doit s’effor-cer de dépister en surveillant spé-cifiquement, régulièrement et defaçon comparative, le fonctionne-ment des différentes zones macu-laires (fovéola et périfovéola) àl’aide de tests appropriés [11].

LES TESTS MACULAIRES

Les examens complémentaires per-mettant la surveillance du fonc-tionnement des différentes zonesmaculaires sont de deux types. Lesuns dits « subjectifs » peuvent êtreréalisés au cabinet du praticien ; lesautres dits « objectifs » demandentdes appareillages et des compéten-ces plus spécialisés qu’un ophtal-mologiste praticien est à mêmed’acquérir.

Tests « subjectifs »

Ils sont classiquement au nombrede deux. Ces deux examens né-cessitent une participation activedu patient qui doit comprendre latâche qui lui est demandée. Ilspeuvent être pratiqués au cabinetde l’ophtalmologiste praticien quitiendra compte, dans l’interpréta-tion des résultats, des facteurspouvant les modifier comme laprésence d’une cataracte, d’unemodification de la pression intra-oculaire, de l’apparition d’une ré-tinopathie ou d’une neuropathieintercurrente.

La vision des couleurs

L’examen doit être effectué àl’aide du Panel D15 désaturé deLanthony sous un éclairage adé-quat de type « lumière du jour »,chaque œil étant examiné séparé-ment. Ce test est spécifiquementadapté au dépistage des anoma-lies acquises et permet d’apprécierle fonctionnement des quelques

degrés centraux de façon simple etrapide [12].

Le champ visuel automatisé

Son relevé, effectué à l’aide d’unprogramme adapté à l’explorationdes dix à quinze degrés centraux,permet de quantifier la sensibilitédes différentes zones maculaires (fo-véola et périfovéola) grâce à uneméthodologie codifiée [13].

Tests « objectifs »

Ils doivent être spécifiques des ré-ponses des différentes zones ma-culaires (fovéola et périfovéola).Ces examens ne nécessitent qu’uneparticipation restreinte de la partdu patient ; ils peuvent même êtreeffectués chez un patient peu coo-pérant.

L’ERG pattern : P-ERG

Il est spécifique du fonctionne-ment des corps des cellules gan-glionnaires dont une bonne partoccupe la zone périfovéolaire [14].

L’ERG multifocal : mf-ERG

Il permet de tester séparément depetites aires rétiniennes répartiessur les 30 degrés centraux ; les mo-difications localisées des réponsespermettent de suivre les variationsde fonctionnement des différenteszones maculaires [15, 16].

Les potentiels évoqués visuels :PEV

Les PEV par damiers alternantssont spécifiques de la fonction desdifférentes zones maculaires si laconduction le long de l’ensembledes voies visuelles est normale.

Contraintes et limites

Le P-ERG et le mf-ERG sont deuxexamens électrorétinographiquesspécifiques de la fonction des dif-férentes zones maculaires. Ils pré-sentent cependant des contrainteset des limites. Par exemple, pour leP-ERG, la réfraction portée par lesujet doit être optimale pour quel’image du test structuré soit bienfocalisée sur la rétine ; de plus,

F. Rigaudière et coll. J. Fr. Ophtalmol.

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l’amplitude normale du signal P-ERG est faible (de l’ordre de quel-ques microvolts) et parfois difficileà bien discerner du bruit de fond.Pour le mf-ERG, la fixation de la ci-ble par le sujet doit être parfaite-ment stable et fovéolaire pour queles différentes zones maculaires sti-mulées successivement soient tou-jours les mêmes. Les PEV par da-miers alternants nécessitent aussiune bonne focalisation du teststructuré sur la rétine (mêmecontrainte que pour le P-ERG). Laréponse évoquée, recueillie en re-gard des aires occipitales, combinele signal issu des différentes zonesmaculaires et la conduction de cesignal le long de l’ensemble desvoies visuelles, depuis la rétinejusqu’à l’aire visuelle primaire ; laconduction doit être présupposéenormale. Cet examen est rarementmis en œuvre dans ce cadre de sur-veillance à la recherche de dys-fonctionnement maculaire induitpar toxicité, mais aucun argumentscientifique ne s’y oppose.

Les résultats de ces trois testsélectrophysiologiques maculairessont à interpréter à la lumière deceux de l’ERG-flash (test global).

LES TESTS GLOBAUX

Jusqu’ici, pour la surveillance de laprise au long cours des APS, lestests électrophysiologiques mis enœuvre étaient des tests globaux àsavoir l’ERG-flash et l’EOG. Ils doi-vent évoluer vers de nouvellesméthodes, mieux adaptées à unesurveillance plus spécifique des dif-férentes zones maculaires.

L’ERG-flash est, en effet, le refletdu fonctionnement des photoré-cepteurs et des couches internesde toute la surface rétinienne. Seulun dysfonctionnement portant surune large surface rétinienne peuten modifier de façon significativeles résultats. De même, l’EOG est-il la traduction du fonctionnementglobal de l’épithélium pigmen-taire, si la fonction rétinienne est

normale. Ces deux examens sontindispensables pour détecter ouquantifier un trouble préexistantde la fonction rétinienne et/ou del’épithélium pigmentaire ; ils en-trent dans le cadre du bilan initialdes patients présentant des ano-malies rétiniennes avant la misesous traitement (voir ci-dessouspatients dits « à risques, avec ris-ques visuels initiaux »).

Ces deux examens (ERG-flash etEOG) appréciant le fonctionne-ment global rétinien, ne sont pasles mieux adaptés au dépistageprécoce de la survenue progressived’un dysfonctionnement des diffé-rentes zones maculaires ou d’unemaculopathie. En effet, une atteinterétinienne maculaire débutante n’aqu’une traduction minime sur leursrésultats, proche de la variationaléatoire normale constatée d’unesession à l’autre entre des résultatseffectués régulièrement, pouvantlaisser passer inaperçu un dysfonc-tionnement périfovéolaire débu-tant.

La mise en œuvre d’examensélectrorétinographiques maculai-res (P-ERG et/ou mf-ERG) sembleêtre un bon compromis entre lesmécanismes supposés de l’intoxi-cation par APS, la localisation d’undysfonctionnement initial et lesnouvelles techniques mises à la dis-position des praticiens effectuantdes examens complémentaires enélectrophysiologie.

SURVEILLANCE

AU LONG COURS

En pratique, que peut-on proposeraux patients pour la surveillanceophtalmologique lors d’un traite-ment par antipaludéens de syn-thèse au long cours ? En s’ap-puyant tant sur leur expérienced’ophtalmologistes et de praticiensd’examens complémentaires quesur les recommandations américai-nes récemment publiées sur le sujet[17, 18], les co-auteurs proposentdes lignes directrices, développéesci-dessous, pour que les ophtalmo-

logistes praticiens effectuent unesurveillance raisonnable en tenantcompte à la fois de l’intérêt des pa-tients et des impératifs économi-ques actuels.

Classer les patients

La stratégie, le mode et le rythmede la surveillance ophtalmologiquevont dépendre du niveau initial derisques du patient. Les patientspeuvent être classés initialementen trois niveaux de risques, pa-tients « à faibles risques », « à ris-ques, sans risques visuels initiaux »ou « à risques, avec risques visuelsinitiaux ». Cette classification est àeffectuer par l’ophtalmologiste àl’aide des informations généralesqui lui seront fournies par le méde-cin prescripteur (dont la dose quo-tidienne d’APS prescrite) et desrésultats du bilan ophtalmologiquepré-thérapeutique. Cette classifi-cation peut évoluer par la suite.

Informations générales

Le médecin prescripteur doit préci-ser l’âge du patient, sa taille et sonpoids, la pathologie pour laquellele traitement est prescrit, l’état deses fonctions rénale et hépatique,l’antériorité éventuelle d’un traite-ment par APS et l’ensemble destraitements actuellement en coursainsi que la posologie quotidiennedes APS prescrite.

Dose d’APS maximale recommandée

La dose d’APS prescrite doit êtrecomparée à la dose maximale re-commandée pour que le risque desurvenue de complications oculairessoit faible ou dose dite « à risquesvisuels faibles ». Toutes les étudess’accordent pour donner les va-leurs de la dose maximale à pres-crire afin de diminuer le risque desurvenue d’une complication ocu-laire comme étant de 6,5 mg/kg/jpour l’hydroxychloroquine (Plaqué-nil

®

) et 3 mg/kg/j pour la chloro-quine (Nivaquine

®

), rapportée à lamasse maigre du sujet, c’est-à-direà son poids effectif.

Vol. 27, n° 2, 2004 Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours

195

Le poids effectif d’un patient cor-respond à son poids idéal, calculéà partir de sa taille (exprimée enmètre) et de l’indice de masse cor-porelle (IMC) moyen normal cor-respondant

1

,

si

son poids réel estsupérieur ou égal à son poids idéal,ou bien il correspond à son poidsréel, si ce dernier est inférieur à sonpoids idéal. Le

tableau I

permetl’évaluation du poids idéal dupatient

2

en connaissant sa taille etfacilite le calcul du nombre decomprimés d’APS à prescrire parsemaine, rapporté à son poids ef-fectif, pour que le risque iatrogènereste faible.

Bilan pré-thérapeutique

Le bilan ophtalmologique pré-thé-rapeutique doit être effectué parl’ophtalmologiste praticien, avantle début du traitement ou, au plustard, dans les trois mois qui suiventla première prise du médicament.Il va ou non mettre en évidencedes risques visuels initiaux.

Ce bilan doit au moins compren-dre pour tous les patients un exa-men clinique qui comporte la me-sure de l’acuité visuelle de près etde loin avec la meilleure correction,une bio-microscopie à la recherched’une thésaurismose cornéenne,ou d’un début de cataracte, unexamen du fond d’œil avec pupilledilatée pour une observation ma-culaire approfondie.

L’examen clinique est associé àau moins deux examens complé-mentaires appréciant le fonction-nement des différentes zones ma-

culaires. Ils pourront, par exemple,être choisis parmi les suivants :vision des couleurs par test PanelD15 désaturé, champ visuel centralautomatisé (des 10 à 15

°

cen-traux), électrorétinographie macu-laire (P-ERG et/ou mf-ERG). Lechoix de deux examens complé-mentaires conditionne le suivi ulté-rieur qui devra être effectué régu-lièrement à l’aide de ces deuxmêmes examens (voir ci-dessous).C’est la comparaison de leurs résul-tats d’un bilan à l’autre qui sera si-gnificative, plus que la multiplicationdes examens complémentaires.

Le résultat de ce bilan ophtalmo-logique pré-thérapeutique permetde déterminer si tout est initiale-ment normal ou si le patient pré-sente des anomalies rétiniennessusceptibles de majorer les risquesmaculaires liés à la prise des APS.Des anomalies peuvent être dé-couvertes à l’occasion de ce bilanou être déjà connues dans les an-técédents du patient, leur retentis-sement en étant précisé.

Selon la nature des anomalieséventuellement mises en évidenceou précisées au cours de ce pre-mier bilan, il peut être légitimed’effectuer des complémentsd’examens pour préciser l’état dela rétine (photographie du fondd’œil et angiographie) et celui deson fonctionnement global (neuro-rétine par ERG-flash et épithéliumpigmentaire par EOG).

Cependant, toute pathologiemaculaire préexistante à la prised’APS devrait être une contre-indi-cation à ce traitement à moins quela pathologie en cause n’engage lepronostic vital. Dans ce cas, la res-ponsabilité de la prescription d’APSincombe au médecin prescripteurqui doit informer son patient desbénéfices du traitement mais aussides risques pour la fonction vi-suelle.

Niveaux initiaux de risques

Les informations générales ainsique les résultats du bilan pré-thé-rapeutique permettent de classerle patient en trois niveaux initiauxde risques.

Un patient est considéré commeétant « à faibles risques » si l’en-semble des conditions suivantessont réunies : âge inférieur à65 ans en début de traitement, pasde traitement antérieur par APS,dose quotidienne prescrite ne dé-passant pas la dose maximale re-commandée, absence d’anomaliesassociées de la fonction rénale ouhépatique, absence de pathologierétinienne préexistante connue ourévélée par le bilan ophtalmologi-que pré-thérapeutique.

Un patient est considéré commeétant « à risques, sans risques vi-suels initiaux » si une seule desconditions suivantes est présenteen début de traitement : âge supé-rieur à 65 ans, traitement pour lu-pus érythémateux disséminé, trai-tement antérieur par APS durantplus de 5 ans, dose quotidienneprescrite dépassant la dose maxi-male recommandée, fonctions ré-nales ou hépatiques anormales.

Un patient est considéré commeétant « à risques, avec risques vi-suels initiaux » si le bilan pré-thé-rapeutique a mis en évidence uneatteinte rétinienne préexistante.Dans ce cas, les risques pour lafonction visuelle peuvent être telsqu’ils fassent discuter de l’oppor-tunité de la mise en route du trai-tement ou de sa poursuite si letraitement vient d’être instauré.

Mode et rythmes de surveillance

Les mode et rythmes de la sur-veillance ophtalmologique au longcours doivent être bien compris etbien acceptés par les patients. Ilssont un compromis entre lescontraintes créées par les examensà effectuer et les risques encouruspar le traitement. Ils sont adaptésau patient selon ses risques ini-tiaux. Cependant, un patient qui,au début de son traitement, estclassé comme étant « à faibles ris-ques », peut devenir « à risques »si son âge devient supérieur à65 ans en cours de traitement, si letraitement dure plus de 5 ans ou sila dose hebdomadaire prescrite,

1

Il est rappelé que l’indice de masse cor-porelle (IMC) d’un sujet est le rapportentre son poids réel (PR exprimé en kg)et sa taille (T exprimée en mètre) au carréIMC = PR/T

2

. La valeur moyenne nor-male de l’IMC est de 22,4 pour unhomme et de 22,7 pour une femme.Une valeur d’IMC comprise entre 19 et27 reste normale, une valeur compriseentre 27 et 30 caractérise un surpoids,une valeur supérieure à 30 une obésitéet inférieure à 19 une maigreur.

2

La valeur utilisée de l’IMC pour le calculest la valeur moyenne normale soit 22,4pour un homme et 22,7 pour unefemme.

F. Rigaudière et coll. J. Fr. Ophtalmol.

196

Tableau IDose hebdomadaire d’APS pour des risques visuels faibles en fonction du poids effectif du patient.

Poids idéal (kg) calculé en fonction de la taille en m

Poids effectif (kg)Plaquénil®

(1 cp = 200 mg)Nb cp/semaine

Nivaquine® (1 cp = 100 mg) Nb cp/semaine

38 9 8

Taille (m) Homme Femme40 9 8

42 10 9

1,40 44 44 44 10 9

1,42 45 46 45 10 10

1,44 46 47 47 11 10

1,46 48 48 48 11 10

1,48 49 50 49 11 10

1,50 50 51 51 12 11

1,52 52 52 52 12 11

1,54 53 54 53 12 11

1,56 55 55 55 13 12

1,58 56 57 56 13 12

1,60 57 58 58 13 12

1,62 59 60 59 14 13

1,64 60 61 61 14 13

1,66 62 63 62 14 13

1,68 63 64 64 15 13

1,70 65 66 65 15 14

1,72 66 67 67 15 14

1,74 68 69 68 16 14

1,76 69 70 70 16 15

1,78 71 72 71 16 15

1,80 73 74 73 17 15

1,82 74 75 75 17 16

1,84 76 77 76 17 16

1,86 77 79 78 18 16

1,88 79 80 80 18 17

1,90 81 82 81 19 17

1,92 83 84 83 19 18

1,94 84 85 85 19 18

1,96 86 87 87 20 18

1,98 88 89 88 20 19

2,00 90 91 90 21 19

Poids effectif = – poids idéal si poids réel supérieur à poids idéal ; – poids réel si poids réel inférieur à poids idéal.

Vol. 27, n° 2, 2004 Surveillance ophtalmologique de la prise des antipaludéens de synthèse au long cours

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rapportée à son poids effectif pourque le traitement soit efficace,dépasse la dose recommandée diteà risques visuels faibles. De même,l’évolution de sa vision, la survenuede pathologies visuelles ou généra-les intercurrentes (en particulierl’apparition de complications réna-les et/ou hépatiques) peuvent éga-lement faire passer un patient de lacatégorie « à faibles risques « danscelle d’un patient « à risques ». Deces différentes possibilités d’évolu-tion dépendent les mode et ryth-mes de surveillance qui devrontêtre adaptés. Quelques grandes li-gnes sont suggérées.

Patients « à faibles risques »

Pour ces patients, il est conseilléd’effectuer, tous les 18 mois, unbilan ophtalmologique identique àcelui pratiqué au cours du bilanpré-thérapeutique, à savoir un exa-men clinique approfondi et lesdeux examens complémentairesde surveillance choisis initialementparmi la vision des couleurs, lechamp visuel central automatiséou l’électrorétinographie maculaire(P-ERG et/ou mf-ERG). Si les résul-tats restent normaux et qu’aucunepathologie rénale et/ou hépatiquen’interfère, mais si le traitementdure depuis plus de cinq ans, il estconseillé de poursuivre une sur-veillance identique de façon plusrapprochée, par exemple tous lesans, le patient devenant alors unpatient « à risques ».

Patients « à risques »

Pour les patients classés « à risques,sans risques visuels initiaux » le oules facteurs qui sont à l’origine des« risques » doivent être considérésselon qu’il s’agit initialement del’âge du patient (> à 65 ans) ou sile patient, initialement plus jeune,est traité pour lupus et/ou présenteune atteinte rénale et/ou hépati-que. Ces derniers facteurs sont eneffet plus importants pour le risquepotentiel de survenue d’une ma-culopathie car la mauvaise élimi-nation des APS augmente leurconcentration dans l’organisme.

Pour ces patients, il est conseilléd’effectuer, tous les ans, un bilanophtalmologique identique à celuieffectué au cours du bilan pré-thérapeutique : examen cliniqueapprofondi et les deux examenscomplémentaires choisis initiale-ment.

Après dix années de traitementet si les résultats des bilans ophtal-mologiques successifs sont restésnormaux, il est conseillé de rappro-cher les bilans qui sont alors effec-tués selon les modalités conseilléespour les patients initialement « àrisques, avec risques visuels ini-tiaux », c’est-à-dire tous les sixmois. Pour les patients âgés deplus de 80 ans, la surveillance parexamens complémentaires subjec-tifs est plus difficile à mettre enœuvre, elle se fera davantage àl’aide des examens objectifs appro-priés.

Pour les patients classés « à ris-ques, avec risques visuels initiaux »si, malgré les risques visuels ini-tiaux, il a été décidé que le patientpouvait entreprendre un traite-ment par APS d’un commun ac-cord entre l’ophtalmologiste prati-cien et le médecin prescripteur,après informations fournies au pa-tient des risques visuels encourus,la surveillance de ces patients doitêtre très attentive. Elle doit s’effec-tuer tous les six mois, par un exa-men clinique approfondi et aumoins deux examens complémen-taires choisis initialement et tousles ans

,

par une angiographie etune électrophysiologie explorant lafonction globale la rétine (ERG-flash et EOG). Toute modificationconstatée d’un bilan à l’autre doitreposer la question de la poursuiteou de l’arrêt du traitement. Pources patients, les risques de surve-nue d’une maculopathie sont réelsquelle que soit la durée de la prised’APS. De nouvelles moléculesétant à la disposition du praticientraitant, il est probablement préfé-rable de se tourner vers ces nou-veaux traitements plutôt que dedéployer cette stratégie de sur-veillance visuelle coûteuse entemps et en moyen, qui n’est pas

une garantie absolue contre la ma-joration des risques visuels initiauxet la survenue ou majoration d’unemaculopathie.

Faire face aux anomalies

Plusieurs situations anormales peu-vent se présenter chez des patientsinitialement classés « à faibles ris-que » ou « à risques, sans risquesvisuels initiaux », alors que l’en-semble du bilan ophtalmologique(examens clinique et complémentai-res) effectué au cours du précédentcontrôle était normal, ces patientsétant surveillés respectivement tousles 18 mois et tous les ans durantles cinq premières années de leurtraitement. Des « conduites à te-nir » possibles sont suggérées selondiverses situations, les anomaliesconstatées chez des patients « à ris-ques, avec risques visuels initiaux »ayant été évoquées ci-dessus.

Examen clinique normal…

Et un examen complémentaireanormal

L’examen clinique reste normalmais est associé à une anomalied’un des deux examens complé-mentaires choisis pour la sur-veillance. La conduite à tenir peutêtre la suivante : vérifier l’absencede facteurs oculaires (cataracte,glaucome, modification de la ré-fraction etc.) et/ou généraux inter-currents, vérifier l’absence de sur-dosage, contrôler le résultat desdeux examens complémentaireschoisis après un délai de 6 mois.

Si, lors de ce second contrôle,l’examen clinique est toujoursnormal et que le même examencomplémentaire reste anormalsans autre origine retrouvée que laprise des APS, il est conseilléd’effectuer un troisième contrôle 4à 6 mois plus tard et de demanderau médecin prescripteur s’il estpossible de diminuer la posologiehebdomadaire.

Si lors du second contrôle, sansautre cause oculaire intercurrentepossible, l’examen clinique esttoujours normal mais que les deux

F. Rigaudière et coll. J. Fr. Ophtalmol.

198

examens complémentaires choisispour la surveillance sont anor-maux, il est conseillé de faire uneangiographie. Si l’angiographieest anormale montrant des altéra-tions dans la zone maculaire, unarrêt du traitement est demandé.Si l’angiographie est normale, unediminution de la posologie ou bienun arrêt temporaire du traitementpeut être envisagé avec un contrôledes examens ayant impliqué cettemodification, soit 4 mois après ladiminution de la posologie, soitavant toute reprise du traitementsi celui-ci a été suspendu.

Et deux examenscomplémentaires anormaux

L’examen clinique reste normalmais est associé à une anomaliedes deux examens complémentai-res choisis pour la surveillance. Siseuls les APS semblent la causepossible de ces anomalies, il estprudent de contrôler le résultat deces deux examens complémentai-res environ 4 mois après et d’effec-tuer, si possible avant cette date,une diminution de la posologiehebdomadaire en accord avec lemédecin prescripteur des APS.

Si lors de ce second contrôle,l’examen clinique est toujours nor-mal et qu’un seul de ces deux exa-mens complémentaires est denouveau anormal, un troisièmecontrôle est à envisager environ 4à 6 mois plus tard.

Si lors de ce second contrôle,l’examen clinique est toujoursnormal et que les deux examenscomplémentaires sont toujoursanormaux sans autre cause visuelleretrouvée que les APS, il est logi-que de chercher à mettre en évi-dence une atteinte périfovéolaireinfra-clinique (ou intoxication pré-clinique) en faisant une angiogra-phie. La conduite à tenir a étédécrite ci-dessus selon les résultatspossibles de l’angiographie.

Examen clinique anormal…

L’examen clinique initialementnormal, devient anormal. Commeprécédemment, il faut s’interro-ger sur la dose cumulée, l’absence

de surdosage, l’existence de fac-teurs visuels ou généraux intercur-rents. L’examen clinique doit êtreconfronté aux résultats précédents(modification subite, progressive…)et à ceux de l’évolution des deuxexamens complémentaires choisispour la surveillance. Une angiogra-phie doit être faite. Si elle est nor-male, il est logique de contrôler lesrésultats de tout le bilan ophtalmo-logique 3 à 4 mois après ; si elle estanormale, il est licite de recomman-der la suspension ou l’arrêt du trai-tement au médecin prescripteur.

CONCLUSION

Les complications visuelles liées àla prise d’antipaludéens de syn-thèse sont rares surtout lorsque ladose est bien adaptée au poids ef-fectif et que la durée du traitementest inférieure à 5 ans.

La surveillance ophtalmologiquepeut être effectuée au cabinet parl’ophtalmologiste praticien (exa-mens clinique et complémentai-res). Ses rythmes et mode suggérésci-dessus semblent correspondre àune attitude médicale « raisonna-ble » avec des contraintes accep-tables pour un patient traité aulong cours. Ils paraissent être unbon compromis, dans l’état actueldes connaissances, entre une dé-tection précoce de la survenuepossible d’anomalies périfovéolai-res débutantes pour éviter uneévolution ultérieure vers une ma-culopathie cécitante et la réalisa-tion abusive d’examens inutiles etcoûteux. Ils doivent cependantêtre adaptés à chaque patient, lerôle de l’ophtalmologiste praticienétant au cours de cette sur-veillance, primordial.

Remerciements :

Au Professeur Mi-chael F. Marmor (US) pour les échan-ges fructueux effectués sur le sujet, àKate Grieve (UK) pour son aide à lamise en forme anglaise du résumé, àChristiane Lestrade et Delphine Leyritpour leur participation à l’organisationdu 7

e

séminaire « Actualités en Explo-ration de la Fonction visuelle » en sep-tembre 2002, sur le thème « Sur-

veillance de la prise au long cours desAPS : nouvelles pistes ».

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Annexe

Mémo pour la surveillance ophtalmologique d’un traitement par antipaludéensde synthèse au long cours (actualisation 2003).

Préciser

Âge,Taille et poids/poids idéal,Pathologie traitée,Anomalies rénales et/ou hépatiques associées,Durée de la prise – antécédents de prise,Dose journalière prescrite/dose à faibles risques visuels (6,5 mg/kg/j : Plaquénil

®

et 3 mg/kg/j : Nivaquine

®

),Traitements associés,Antécédents ou pathologies ophtalmologiques associés.

Examens de surveillance

• Bilan ophtalmologique initialExamen clinique :

– acuité visuelle ;– fond d’œil.

Examens complémentaires, deux parmi les trois suivants :– vision des couleurs : test Panel D15 désaturé ;– champ visuel automatisé environ 10 degrés centraux ;– électrorétinographie maculaire (pattern-ERG : P-ERG, multifocal-ERG : mf-ERG).

• Si patient à risques rétiniens ajouter :– angiographie ;– ERG-flash et EOG.

• Bilan ophtalmologique de surveillance régulièreExamens clinique et complémentaires

– doivent être comparatifs ;– mode et rythme (18, 12, 6 ou x* mois) selon leurs résultats comparés et successifs.

Conclusion

La mise en route (ou poursuite du traitement) est autorisée ou contre-indiquée.Le traitement est :– à suspendre temporairement,– à poursuivre avec diminution de la dose.Un bilan ophtalmologique de contrôle est à pratiquer dans x* mois.

Remarques

En France, la plupart des ophtalmologistes praticiens peuvent effectuer ce bilan ; les principaux centres d’ophtal-mologie pratiquent les examens complémentaires plus spécialisés.

Aux États-Unis, l’American Academy of Ophthalmology (2002) préconise : un examen clinique, un champ visuelautomatisé central (ou un grille d’Amsler), en option : la vision des couleurs (Panel D15 désaturé) ; pour les patientsà hauts risques oculaires : une angiographie et un mf-ERG.