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  • ROBERT VAN GULIK

    LE JUGE TITrafic dor

    sous les Tang

    Traduit de langlais par Roger Guerbet

  • 10/18

  • Titre original : The Chinese Gold Murders.

  • Les personnages

    En Chine, le nom de famille (imprim ici enmajuscules) prcde toujours le nom personnel.

    PERSONNAGES PRINCIPAUX

    TI Jen-tsie, nouveau magistrat de Peng-lai, petit district

    situ sur la cte nord-est de la province de Chan-tong. Dans le prsent roman, on lappelle le juge ou le magistrat .

    HONG Liang, vieux serviteur de la famille Ti, conseiller dujuge et sergent du tribunal

    MA Jong et TSIAO Ta, les deux lieutenants du juge TiTANG, Premier scribe du tribunal de Peng-lai.

    PERSONNAGES APPARAISSANT DANS LAFFAIRE DUMAGISTRAT ASSASSIN

    WANG T-houa, prcdent magistrat de Peng-lai

    dcouvert assassin dans sa bibliothqueYU-sou, prostitue corenneYi Pen, riche armateur de Peng-laiPO Kai, son employ principal

  • PERSONNAGES APPARAISSANT DANS LAFFAIRE DE LPOUSEENLEVE

    KOU Meng-pin, autre riche armateur de Peng-laiMadame KOU ne TSAO, sa femmeTSAO Ho-sien, pre de la prcdente et docteur en

    philosophieTSAO Min, jeune frre de madame KouKIM Sang, employ principal de KOU Meng-pin.

    PERSONNAGES APPARAISSANT DANS LAFFAIRE DUSDUCTEUR PUNI

    FAN Tchong, Premier commis au tribunal de Peng-lai,

    propritaire dune petite terre louest de la villeWOU, son domestiquePEI Tsiou, fermier de FAN TchongPEI Sou-niang, fille du fermier PEI TsiouAH Kouang, vagabond.

    AUTRES PERSONNAGES

    HAI-YUE, pre abb du Temple du Nuage BlancHOUEI-PEN, prieur de ce templeTSEU-HAI, aumnier du mme temple

  • Avant-propos

    DANS Trafic dOr sous les Tang nous voyons le jugeTi faire ses dbuts de magistrat de district. Il a trente-troisans et part pour son premier poste provincial, celui dePeng-lai, port situ sur la cte nord-est du Chan-tong.

    Suivant la chronologie que nous avons adopte, noussommes alors en lt de lan 663. Lempereur Kao-tsong(de la dynastie des Tang) vient dtendre la suzerainetchinoise sur la plus grande partie de la Core. Lautomneprcdent, ses troupes ont battu plate couture les forcesjaponaises et corennes runies, et la jeune Yusou a temmene en Chine comme captive de guerre. Tsiao Ta afait la campagne de 661 comme capitaine de CentLances.

    Le Paravent de laque vient aussitt aprs Trafic dOrsous les Tang. Nous voyons dans cet ouvrage le juge Tivisiter incognito le district dun collgue et y prendrecontact avec la pgre de lendroit. Cette exprience accrotsa connaissance du milieu , et il apprend quantit dechoses intressantes lorsque son enqute lamne partager (en tout bien tout honneur) la couche de la jolieprostitue mademoiselle illet Rose. Mes nouveauxlecteurs seront peut-tre surpris de voir les personnagesde ces romans tirer tant dobjets divers de leurs manches.

  • Ce fait sexplique de la faon la plus simple : les anciensvtements chinois tant dpourvus de poches, on fourraitdans leurs larges manches les articles de petitesdimensions quon dsirait emporter sur soi. Cette coutumesest conserve fort longtemps et a mme sauv la vie six religieuses europennes pendant linsurrection desBoxers, comme en tmoigne lhistoire suivante entenduelors de mon sjour Pkin en 1935. Pour bien la goter, ilfaut savoir que certaines femmes-bandits du ClesteEmpire cachaient une bille de mtal denviron deuxcentimtres de diamtre dans leur manche, la transformantainsi en une arme redoutable, analogue aux boudinsdtoffe remplis de sable quutilise la pgre occidentale.Une longue pratique rendait ces femmes fort expertes danslart du combat la manche plombe et leur permettait dese dbarrasser dun adversaire en le frappant mortellement la tempe ou de mettre fin aux entreprises dun galantimportun par un coup de semonce sur la main trop hardie.Cette arme pratiquement invisible avait un autre avantage :si un policier fouillait la belle, il ne trouvait sur sa personnerien qui permt de la condamner, comme cela aurait t lecas si elle avait port un couteau par exemple.

    Venons-en maintenant notre histoire. En 1900,pendant le mouvement anti tranger des Boxers, lapopulace chinoise massacra un certain nombre dereligieuses appartenant aux missions catholiques belges etfranaises. Rencontrant un jour un groupe de Chinoissurexcits, six bonnes surs voulurent rejoindre leur gliseo elles pourraient se barricader. Comme la foule

  • menaante leur coupait le chemin, les pieuses femmes sersignrent une mort invitable et recommandrent leurme Dieu. Tout en avanant, les mains croises dansleurs larges manches, elles levrent des bras implorantsvers le Ciel, et ce geste dplaa les missels quellesportaient dans le revers de leurs manches. Saisi de frayeur la vue des protubrances mobiles, lun des assaillantscria aussitt : Les manches plombes ! Les manchesplombes ! ces mots, la foule, pour qui les diablesses-trangres taient capables de toutes lespratiques malfaisantes, se replia prudemment, et lesreligieuses purent atteindre sans encombre leur glise. Undtachement de soldats, envoy par un gnral local quiavait refus de se joindre aux Boxers, vint les dlivrer, etcest ainsi que la vieille habitude chinoise de se servir desa manche comme dune poche sauva six vies humaines !

    R. VAN G.

  • Rencontres et sparations sont choses frquentes en ce monde

    o joie et tristesse alternent comme la nuit et le jour

    les juges passent, mais la justice et le droit demeurent,

    immuables comme la voie impriale elle-mme.

  • PLAN DE PENG-LAI :

    1 Yamen2 Temple de Confucius3 Temple du Dieu de la Guerre4 Temple du Dieu de la Cit5 Tour du Tambour6 Le Jardin aux Neuf Fleurs 7 Htel8 Restaurant aux crabes

  • 9 Quais10 Fleuve11 Faubourg coren12 Crique13 Pont de lArc-en-ciel14 Temple du Nuage Blanc15 Bateaux-de-fleurs16 Grille de protection du canal17 Maison de ville du docteur Tsao18 Maison de monsieur Yi19 Maison de monsieur Kou20 Restaurant dans lequel les lieutenants du juge Ti

    font la connaissance de Po Kai.

  • 1TROIS AMIS SE DISENT ADIEU DANS UN PAVILLONCHAMPTRE UN MAGISTRAT NOUVELLEMENT NOMMRENCONTRE DEUX VOLEURS DE GRAND CHEMIN.

    AU SECOND TAGE du Pavillon de la Joie et de la

    Tristesse, trois hommes savouraient en silence unedernire tasse de vin. Ce vieux restaurant tait bti sur lecoteau couvert de pins qui dominait la grand-route, non loinde la porte Nord de la cit impriale, et une antiquetradition voulait que les fonctionnaires de la mtropolevinssent y dire adieu aux amis nomms des postesprovinciaux ou leur souhaiter la bienvenue quand ilsregagnaient temporairement la capitale. Lauberge tiraitson nom de cette double coutume, comme lindiquait lequatrain, inscrit sur son portail.

    La pluie de printemps tombait du ciel gris avec unemorne rgularit et donnait limpression de ne vouloirjamais finir. Deux fossoyeurs qui travaillaient dans lecimetire, au bas de la colline, taient venus sabriter sousles branches dun pin centenaire.

    Dans la petite salle du restaurant, les convivesachevaient de djeuner. Le moment de la sparation

  • approchait, instant difficile o le cur cherche en vain lesmots voulus. Aucun des trois hommes ne paraissait avoirbeaucoup plus de trente ans. Deux dentre eux portaient lebonnet de brocart des secrtaires subalternes ; letroisime celui qui allait partir arborait la coiffure noiredes magistrats de district.

    Le secrtaire Liang posa sa tasse dun geste brusqueet dit avec humeur :

    Ce qui mirrite le plus, cest la complte inutilit dela chose. Si vous laviez demand, vous auriez facilementobtenu le poste de secrtaire auxiliaire la Cour de justicemtropolitaine. Devenu ainsi le collgue de notre ami Heouici prsent, vous auriez pu continuer avec nous cette petitevie agrable. Au lieu de cela

    Depuis un instant, le nouveau magistrat lissait dungeste impatient sa longue barbe noire.

    Combien de fois vous ai-je dit explosa-t-il. Sematrisant aussitt, il poursuivit avec un sourire contrit :Comme je vous lai souvent expliqu, je suis las dtudiermes problmes criminels uniquement sur le papier !

    Est-ce une raison pour quitter la capitale ? Lesaffaires intressantes ne manquent pas ici. Pourcommencer, il y a celle de ce fonctionnaire du bureau desFinances, Wang Yuan-t je crois, qui sest enfui avec trentelingots dor aprs avoir assassin son propre commis !Monsieur Kouang oncle de notre ami et premiersecrtaire du ministre vient chaque jour rclamer desnouvelles du fugitif. Cela nest-il pas vrai, Heou ?

    Le troisime convive portait linsigne des secrtaires

  • auxiliaires de la Cour mtropolitaine. Aprs une lgrehsitation, il rpondit dun ton soucieux :

    Nous ne possdons pas encore dindice capablede nous mettre sur la piste de ce coquin, mais cest uneaffaire des plus intressantes, Ti.

    Vous savez bien que le prsident de la Cour senoccupe personnellement, rpliqua le jeune magistrat. Vouset moi navons vu jusquici que des copies de picesadministratives sans intrt. Des paperasses, je vous dis,toujours des paperasses !

    Il saisit le cruchon de vin et emplit de nouveau satasse. Les trois hommes demeurrent un momentsilencieux, puis Liang reprit :

    Au moins, vous auriez pu choisir un district plusagrable que Peng-lai, toujours noy dans les brumes desa cte lointaine ! De tout temps on a racont des histoiresplus sinistres les unes que les autres sur cet endroit. Ilparat que les dfunts sortent de leurs tombes par les nuitsde tempte et que des formes tranges flottent dans lesbrouillards apports par locan. On prtend mme quecertains de ses habitants se changent le soir en tigres pourcourir les forts ! Et pour comble, vous allez prendre laplace dun personnage mort de mort violente. Nimportequel homme dou de bon sens aurait refus ce poste si onle lui avait offert, mais vous que rien nobligeait cela, voustes alls le solliciter !

    Le nouveau magistrat coutait dun air absent.Lorsque son ami se tut il scria :

    Ds mon arrive, un mystrieux criminel

  • dcouvrir, imaginez-vous cela ? Adieu la paperasserie etles vaines thories, je vais avoir affaire des tresvivants !

    Pour commencer, cest dun cadavre que vousaurez vous occuper, remarqua ironiquement Heou. Selonlenquteur imprial envoy Peng-lai, on ignore lidentitde lassassin ainsi que le mobile du crime. En outre, jecrois vous lavoir dj dit, une partie du dossier ainexplicablement disparu de nos archives.

    On peut dduire de ce fait que laffaire a desramifications dans la capitale, intervint Liang. Le Ciel seulsait dans quel gupier vous allez vous fourrer, Ti ! Vousavez pass honorablement vos examens littraires, unmagnifique avenir vous attendait ici et vous prfrezvous enterrer dans un endroit perdu comme Peng-lai !

    Je vous conseille de revenir sur votre dcision,reprit le troisime convive dun ton srieux. Il nest pasencore trop tard. Invoquez une indisposition subite pourobtenir un cong de maladie dune dizaine de jours ;pendant ce temps un autre sera nomm votre place.Croyez-moi, je vous parle en ami vritable.

    Le nouveau juge fut profondment touch delexpression suppliante de son camarade. Bien quil leconnt depuis une anne peine, il admirait son espritbrillant et ses dons exceptionnels. Se levant, il rponditavec un sourire mu :

    Japprcie votre sollicitude, Heou, et jy vois unenouvelle marque de votre fidle amiti. Vous avez raisontous deux : il vaudrait mieux pour ma carrire que je

  • demeure dans la capitale. Mais il serait indigne de moi dene pas aller jusquau bout de ce que je viensdentreprendre. Les examens littraires auxquels Liang afait allusion tout lheure appartiennent lantique routine.Ils ne comptent pas davantage mes yeux que ces bellesannes perdues noircir du papier dans le service desArchives mtropolitaines. Je suis capable de servir notreillustre empereur et notre grand peuple de faon plusactive ; ma nomination Peng-lai sera le vritable dbutde ma carrire.

    Ou sa fin, murmura Heou en allant vers la fentre. Ilaperut les fossoyeurs qui reprenaient leur travail ;devenant soudain trs ple, il dtourna la tte et dit enavalant sa salive :

    La pluie a cess. Alors, je pars !Les trois amis descendirent lescalier en spirale et

    arrivrent dans la cour o un homme dun certain ge tenaitdeux chevaux par la bride. Les tasses que le garon venaitdemplir pour le coup de ltrier furent vides dun seul trait,comme il convient, et le voyageur sauta en selle. Soncompagnon aux cheveux gris limita aussitt, puis les deuxcavaliers dvalrent le sentier menant la grandrouteaprs que le nouveau magistrat eut agit son fouet enguise dadieu.

    Les regardant sloigner, Heou dit dun ton soucieux :

  • LES ADIEUX DU JUGE TI SES AMIS

    Je nai pas voulu en parler Ti, mais une personne

    arrive ce matin de Peng-lai ma racont une trangehistoire : il parat quon voit le fantme du dfunt magistraterrer la nuit dans le tribunal.

    Deux jours de chevauche amenrent le juge Ti et soncompagnon la frontire du Chan-tong. Ils la franchirentvers midi, djeunrent dans le poste militaire, et, ayantchang de montures, poursuivirent leur chemin vers lest

  • travers un pays de hautes collines boises.Le nouveau magistrat voyageait en simple robe brune.

    Le costume de brocart vert de sa charge et quelquesobjets personnels emplissaient une paire de vastessacoches pendues sa selle. Ses deux pouses lerejoindraient seulement par la suite, ce qui lui permettaitdemporter le strict minimum de bagages ; plus tard, quandil serait bien install Peng-lai, de grands chariotscouverts amneraient femmes et enfants avec lesdomestiques et tout le mobilier. Son compagnon, le braveHong Liang, stait charg de ce que le juge considraitcomme les plus prcieux de ses trsors : le fameux sabreDragon-de-Pluie (dans sa famille depuis plusieursgnrations) et un vieux trait de jurisprudence etdenqute criminelle dont les marges disparaissaient sousles annotations traces par la belle main de son pre, ledfunt conseiller imprial.

    Hong Liang tait un vieux serviteur de la famille Ti. Tai-yuan, il soccupait dj du futur magistrat, alors toutenfant. Puis les annes passrent, et quand le jeunefonctionnaire stablit dans la capitale pour y fonder unfoyer, le vieil homme ly accompagna, dirigeant lesdomestiques et jouant le rle de conseiller. prsent, ilavait insist pour suivre son matre dans ce premier posteprovincial.

    Laissant sa monture prendre une allure plus aise, lejuge se tourna vers son compagnon.

    Si ce beau temps continue, dit-il, nous atteindronsla ville de garnison de Yen-tcheou avant la nuit. En

  • repartant demain laube, nous serons Peng-lai danslaprs-midi.

    Yen-tcheou, nous chargerons le commandant dela place denvoyer une estafette annoncer notre arrive autribunal, suggra Hong Liang. Comme cela

    Nous ne ferons rien de semblable ! Le premierscribe soccupe temporairement de ladministration dudistrict ; il connat ma nomination, cela suffit. Je prfrearriver limproviste et cest pourquoi jai refus lescorteofferte par le commandant du poste frontire.

    Comme Hong ne rpondait rien, le magistrat reprit : Jai lu le dossier avec soin mais, comme tu le sais,

    sa partie la plus importante manque. Les papierspersonnels de la victime trouvs dans sa bibliothque etrapports par lenquteur imprial ont t vols.

    Pourquoi lenquteur imprial est-il rest seulementtrois jours Peng-lai ? demanda Hong dun ton soucieux.Le meurtre dun magistrat est chose grave ! Il aurait dconsacrer plus de temps lenqute et ne pas quitter laville sans avoir au moins formul une hypothse sur lacause de lassassinat.

    Le juge Ti secoua vigoureusement la tte. Sa conduite est trange, rpondit-il, mais il y a

    dautres points curieux dans cette affaire. Le rapport officielse borne dire que le juge Wang a t trouv mort dans sabibliothque et attribue le dcs labsorption dunepoudre obtenue en pilant des racines de larbre-serpent.On ignore, parat-il, comment ce poison a t administr, etle rapport conclut en spcifiant quon ne possde aucun

  • indice permettant de dcouvrir lidentit du criminel ou sonmobile. Voil tout ce que contient le dossier !

    Aprs un court silence, il ajouta : Ma nomination signe, je voulus avoir un entretien

    avec lenquteur imprial. Le secrtaire de ce hautpersonnage me rpondit que son matre avait quitt lacapitale pour lextrme sud de lEmpire sans avoir laissde notes crites ni dinstructions verbales. Comme tu vois,nous avons tout dcouvrir !

    Hong demeura silencieux ; visiblement il ne partageaitpas lenthousiasme du jeune magistrat.

    Les deux hommes continurent chevaucher sans riendire. Le dcor devenait de plus en plus sauvage ; desarbres immenses bordaient prsent le chemin et, de touscts, dpais fourrs fermaient la vue. Depuis longtempsdj le juge et son compagnon navaient rencontr me quivive quand, soudain, deux cavaliers surgirent dun sentier.Ils portaient des vestes rapices et leurs cheveux taientretenus par des loques bleues crasseuses. Tandis que lunpointait la flche de son arc dans leur direction, lautresavana vers le juge, un sabre la main.

    Descends de cheval, noble tranger ! cria-t-il. Nousacceptons ta monture et celle du vieil homme comme ledon bnvole de voyageurs qui foulent pour la premirefois cette route.

  • 2UN COMBAT ACHARN EST INTERROMPU AVANT LADCISION FINALE. QUATRE HOMMES BOIVENT ENSEMBLEDANS UNE AUBERGE DE YEN-TCHEOU.

    HONG SE PENCHA pour tendre Dragon-de-Pluie au

    juge. Une flche siffla aussitt son oreille. Laisse ce cure-dent tranquille, vieillard, sinon la

    prochaine te traversa la gorge ! cria larcher.Le magistrat se mordit les lvres avec colre. Il stait

    bel et bien laiss surprendre et se maudit davoir refuslescorte militaire.

    Alors, quattendez-vous ? simpatienta le premiermalandrin. Rendez grces au Ciel davoir affaire dhonntes brigands qui vous laissent la vie sauve !

    Je nappelle pas honnte brigand celui qui attaqueun voyageur sans arme en se faisant couvrir par un archer,riposta le juge Ti en mettant pied terre. De vulgairesvoleurs de chevaux, voil ce que vous tes, oui !

    Lhomme sauta de sa monture et vint se planter devantle magistrat, le sabre lev. Il tait plus grand que le juge etsa puissante carrure laissait deviner une force peucommune. Approchant son visage mafflu, il gronda :

  • Ne minsulte pas, chien de fonctionnaire !Le juge Ti devint pourpre. Donne-moi mon sabre, ordonna-t-il Hong.Larcher poussa aussitt son cheval entre le matre et

    le serviteur et dit dun ton menaant : Boucle-la et fais ce quon te commande. Si vous voulez me prouver que vous ntes pas de

    vulgaires voleurs, laissez-moi prendre mon sabre, rpliquale juge Ti. Je rglerai dabord son compte ton camarade,et ensuite je mexpliquerai avec toi.

    Le premier brigand clata de rire. Abaissant sonarme, il dit larcher :

    Accordons au barbu ce quil demande, vieux frre,je veux donner une leon ce manieur de pinceau !

    Le second malandrin regarda le juge dun air songeur. Nous navons pas le temps de nous amuser, dit-il.

    Prenons les chevaux et filons. Cest bien ce que je pensais, sexclama

    ddaigneusement le magistrat. Les bouches sont grandes,mais les curs petits !

    Le colosse jura. Sapprochant de Hong, il saisit lesabre que celui-ci tenait la main et le lana au juge. Cedernier attrapa larme au vol et, aprs stre dpouill desa robe de voyage, spara sa longue barbe en deuxtresses quil noua derrire sa nuque. Dgainant, il dit sonadversaire :

    Quoi quil arrive, vous laisserez mon vieuxcompagnon partir librement.

    Le brigand acquiesa et se fendit aussitt. Le juge

  • para le coup et riposta par une suite de feintes rapides.Surpris, lhomme dut rompre avant de revenir lattaqueavec plus de prudence. Au bout dun instant de combat, lejuge se rendit compte que son adversaire navait jamaispris de leons avec un matre darmes. Mais, si son jeumanquait de subtilit, sa forte musculature le rendaitredoutable, et il se montra un tacticien habile en poussantle magistrat vers le bord du chemin o le sol ingal lemettait son dsavantage. Ctait le premier combat reldu juge Ti et il en savourait chaque seconde en attendant lapremire occasion de dsarmer son adversaire. Larmemdiocre de celui-ci ne put tenir longtemps contre la lamefinement trempe de Dragon-de-Pluie et se brisa soudainen deux.

    Tandis que, tout dconfit, lhomme regardait le tronondacier qui restait dans sa main, le juge se tourna vers lesecond bandit en criant :

    ton tour !Larcher descendit de cheval. Il se dpouilla de sa

    veste, et, remontant les pans de sa robe, les assujettitsoigneusement dans sa ceinture ; il avait pu apprcier lavaleur du magistrat et ne dsirait pas courir de risquesinutiles.

    Aprs avoir ferraill quelques instants avec son nouveladversaire, le juge vit que celui-ci tait un aussi fin bretteurque lui-mme et quil lui faudrait dployer toute sa sciencesil ne voulait pas tre vaincu. Cette constatation lui fitprouver un certain plaisir. Le premier combat avait permis ses membres de se dgourdir ; prsent il se sentait en

  • parfaite condition et Dragon-de-Pluie semblait faire partiede son corps. Il porta une botte savante au truand quirompit avec une lgret inattendue chez un homme deson poids et riposta par de rapides coups de taille.Dragon-de-Pluie parait chaque coup en faisant siffler lair,puis, soudain, fila vers la gorge du brigand quil manqua delpaisseur dun cheveu. Lhomme ne broncha pas etrpondit par une feinte prparatoire une nouvelle attaque.

    COMBAT SUR LA GRAND-ROUTE

  • ce moment, une vingtaine de cavaliers arms

    darbaltes et de piques apparurent au dtour du chemin.En un clin dil, ils eurent entour les quatre hommes. Leurchef, que sa petite cotte de mailles et son heaume pointufaisaient reconnatre pour un capitaine de la policemilitaire, demanda :

    Que se passe-t-il ici ?Fch de voir son premier duel interrompu, le juge

    rpliqua aigrement : Je me nomme Ti Jen-tsie. Je suis le nouveau

    magistrat de Peng-lai et ces trois hommes sont meslieutenants. Nous venons de faire une longue randonne cheval et nous nous amusions croiser amicalement le ferpour nous dgourdir un peu les jambes.

    Le capitaine les examina dun il souponneux. Jaimerais voir les papiers de Votre Excellence, dit-

    il schement.Le juge tira une enveloppe de sa botte droite et la lui

    tendit. Aprs un bref regard au papier quelle contenait,lofficier la lui rendit avec un grand salut.

    Que Votre Excellence me pardonne, dit-il. On nousa prvenus que des voleurs de grand chemin cumaientles environs et je dois me montrer vigilant. Encore toutesmes excuses !

    Il lana un ordre ses hommes, qui sloignrent augalop.

    Quand la petite troupe fut hors de vue, le juge Ti levade nouveau son sabre.

  • En garde ! dit-il en portant un coup de pointe sonadversaire. Celui-ci para, puis, reculant, remit larme aufourreau.

    Reprenez votre cheval et filez, dit-il dun ton bourru.Je suis content quil y ait encore des magistrats commevous dans lEmpire du Milieu.

    Il fit signe son compagnon ; tous deux sautrent surleurs montures. Le juge donna son sabre Hong et dclaraen remettant sa robe :

    Je retire ce que jai dit. Vous tes bien deschevaliers des vertes forts. Mais si vous nabandonnezpas cette profession, vous finirez sur lchafaud comme devulgaires voleurs. Quels que soient les torts dont vous ayez vous plaindre, oubliez-les. On parle de grands combatsavec les barbares du Nord ; larme a besoin dhommescomme vous.

    Et moi, magistrat, rpondit larcher avec calme, jevous conseille de porter vous-mme votre sabre sansquoi vous risquez de vous faire encore surprendre !

    Il fit tourner son cheval, et les deux hommesdisparurent sous les arbres.

    Tandis que le juge Ti passait son arme en bandoulire,Hong Liang remarqua dun ton satisfait :

    Vous leur avez donn une bonne leon, NobleJuge ! Mais que sont exactement ces gaillards-l ?

    Cest le plus souvent pour avoir souffert dinjustices(relles ou imaginaires) que les gens de cet acabitdeviennent des hors-la-loi. Leur rgle est de ne senprendre quaux fonctionnaires de ltat ou aux gros

  • propritaires. Ils aident frquemment les pauvres et ils ontla rputation dtre courageux et chevaleresques. Entreeux, ils sappellent les frres des vertes forts . Cettepetite aventure a rompu agrablement la monotonie denotre voyage mais nous a fait perdre du temps. Pressonsun peu nos montures.

    Ils atteignirent Yen-tcheou au crpuscule. Les soldatsde garde la porte de la ville leur indiqurent un htelrserv aux fonctionnaires en dplacement. Le juge pritune chambre au premier tage et commanda un bonsouper ; la longue chevauche lavait mis en apptit.

    Le repas termin, Hong versa une tasse de thbouillant son matre, qui sassit prs de la fentre.Fantassins et lanciers allaient et venaient sur la grand-place dans leurs cuirasses que faisait tinceler la lueur destorches.

    Un coup fut soudain frapp la porte. Le juge tourna latte et vit entrer deux hommes de haute taille.

    Auguste Ciel ! scria-t-il, voici nos chevaliers desvertes forts !

    Les nouveaux venus sinclinrent gauchement. Ilsavaient toujours les mmes vtements rapics maisportaient prsent des bonnets de chasse. Le colosseavec qui le magistrat stait dabord battu prit la parole.

    Cet aprs-midi, commena-t-il, Votre Excellence adit lofficier de la police militaire que nous tions seslieutenants. Jai discut de la chose avec mon camarade.Comme vous tes un magistrat, cela nous ennuierait devous faire passer pour un menteur, aussi avons-nous

  • dcid de nous mettre loyalement vos ordres si vousvoulez nous prendre votre service !

    Le juge Ti leva les sourcils. Le second visiteur se htadajouter :

    Nous navons jamais travaill pour aucun tribunal,mais nous savons obir, et nous pourrions tre utilesquand il y a des coups donner ou recevoir !

    Asseyez-vous, commanda le juge, et racontez-moivotre histoire.

    Les deux hommes prirent des tabourets. Ses poingsnormes sur les genoux, le colosse toussa pour sclaircirla voix.

    Je mappelle Ma Jong, commena-t-il. Je suis ndans le Kiang-sou. Mon pre possdait une jonque decommerce et jaidais la manuvre. Comme jtaisrobuste et aimais la bagarre, mon pre menvoya chez unprofesseur de boxe. Chez lui, jappris aussi un peu lire et crire afin de pouvoir devenir officier, mais mon premourut bientt, ne laissant que des dettes. Je dus vendrenotre bateau et entrer au service du magistrat local commegarde du corps. Je dcouvris vite que mon nouveau matretait un coquin cruel et corrompu. Un jour quil venait dedpouiller une veuve de tous ses biens en lui faisantconfesser sous la torture des crimes quelle navait pascommis, je lui dis ma faon de penser. Cela ne lui plut paset, fou de rage, il leva la main sur moi. Je lassommai duncoup de poing. Aprs cela, dame, il me fallut fuir et merfugier dans la fort. Toutefois, je jure sur la mmoire demon dfunt pre que je nai jamais tu un homme sans

  • raison et que jai seulement pris leur argent ceux qui enavaient trop ! Mon frre dadoption ici prsent na riendautre se reprocher non plus, je vous en donne maparole dhonneur. Voil !

    Le juge hocha la tte et se tourna vers le secondvisiteur. Celui-ci avait un visage finement model, avec unnez droit et des lvres plus minces que celles de soncompagnon. Tortillant sa petite moustache, il expliqua :

    Jai pris le nom de Tsiao Ta parce que celui de mafamille est honorablement connu dans un certain coin delEmpire fleuri. Un jour, un officier suprieur envoyasciemment la mort une centaine dhommes dont jtaisresponsable. Le gredin disparut, et les autorits qui jerapportai son crime refusrent dagir. Je gagnai alors lesforts et parcourus lEmpire, esprant retrouver lemisrable pour le tuer. Je nai jamais vol de pauvresgens, et mon sabre est pur de sang honnte. Je suis prt vous servir une seule condition : vous me permettrez dereprendre ma libert lorsque jaurai trouv celui que jecherche, car jai jur, sur lme de mes camarades morts,de lui couper la tte et de la jeter aux chiens !

    Le juge Ti regarda longuement les deux hommes encaressant sa barbe. Il dclara enfin :

    Jaccepte votre offre et aussi la condition quy metTsiao Ta. Avec cette rserve : si le destin lui fait retrouvercelui quil cherche, avant dagir il me laissera tenter desatisfaire sa soif de justice par les moyens lgaux. Vousallez maccompagner Peng-lai ; je verrai l-bas sil mestpossible de vous prendre mon service. Dans le cas

  • contraire, promettez-moi de rejoindre immdiatement notrearme du Nord. Avec moi, cest tout ou rien !

    Le visage de Tsiao Ta sclaira. Tout ou rien, rpta-t-il. Ce sera notre devise !Il se leva et vint se prosterner devant le magistrat,

    frappant trois fois le sol de son front en un respectueux ko-teou. Son camarade limita aussitt.

    Quand les deux hommes se furent relevs, le juge leurdit :

    Voici Hong Liang, un fidle conseiller pour qui jenai aucun secret. Vous travaillerez en troite cooprationavec lui. Peng-lai est mon premier poste ; je ne sais pascomment ce tribunal est organis, mais jimagine quescribes, geliers et sbires sont recruts localement commede coutume. Dtranges choses se passent entre sesmurs, parat-il, et le Ciel sait jusqu quel point ces gens-ly sont mls. Jai besoin davoir prs de moi despersonnes en qui je puisse avoir confiance : vous serezmes yeux et mes oreilles. Hong, va dire au garondapporter un cruchon de vin !

    Quand les tasses furent remplies, le juge Ti leva lasienne la sant de ses compagnons, puis leur tourceux-ci burent respectueusement au succs du nouveaumagistrat.

    Le lendemain matin, le juge trouva les trois hommesdans la cour. Ma Jong et Tsiao avaient fait le tour descommerants du lieu et portaient prsent des robesbrunes fort propres serres la taille par des ceinturesnoires. De petites calottes, noires galement, compltaient

  • leur tenue dofficier du tribunal. Le ciel est trs nuageux, Noble Juge, fit observer

    Hong. Nous allons avoir de la pluie. Jai accroch des chapeaux de paille aux selles, dit

    Ma Jong. Ils nous protgeront !Les quatre hommes enfourchrent leurs montures et

    sortirent de la ville par la porte Est. Pendant un mille oudeux, ils rencontrrent de nombreux voyageurs, puis ceux-ci se firent de plus en plus rares. Comme ils traversaientune rgion montagneuse assez dsertique, un cavaliertirant deux chevaux aprs lui les croisa au galop.

    Belles btes ! remarqua Ma Jong. Surtout celle quia une toile blanche sur le front.

    Lhomme ne devrait pas porter ce coffret sur saselle, dit Tsiao Ta. Il lui arrivera des ennuis.

    Pourquoi cela ? demanda Hong Liang. Ici, les receveurs de loyers utilisent ces coffrets de

    cuir rouge pour transporter leur argent. Les gens tant soitpeu aviss les dissimulent dans leurs sacoches.

    Ce garon semble rudement press, fit observer lejuge Ti sans attacher autrement dimportance la chose.

    Vers midi, comme ils atteignaient la dernire crtemontagneuse, une pluie torrentielle se mit tomber.Sabritant sous un gros arbre, ils attendirent la fin delaverse en contemplant la fertile pninsule verte quisoffrait leur vue. Le district du nouveau magistrat faisaitpartie de ces belles terres !

    Tandis quils avalaient un repas froid, Ma Jong racontaquelques-unes de ses aventures avec les petites

  • paysannes. Bien que le juge Ti napprcit gure ce genredhistoires, il dut reconnatre que le conteur possdait uncertain humour caustique assez amusant. Mais quand lecolosse entama le rcit dune autre prouesse, le magistratlinterrompit.

    On ma dit quil y avait des tigres dans la rgion,remarqua-t-il. Je pensais que ces animaux prfraient unclimat plus sec ?

    Tsiao Ta, jusqu prsent silencieux, rponditaussitt :

    Dordinaire, ils se tiennent sur les hauts plateauxboiss, mais lorsquils ont got la chair humaine, il leurarrive de descendre dans les plaines. Nous pourrons peut-tre organiser une chasse au fauve pendant nos loisirs !

    Que pensez-vous des histoires dhommes-tigres ?demanda le magistrat.

    Ma Jong jeta un regard inquiet la sombre fort.Dune voix moins assure, il murmura :

    Je nai jamais entendu parler de cela. Me permettez-vous dexaminer votre sabre, Noble

    Juge ? demanda Tsiao Ta. Si je ne me trompe, cest unelame ancienne.

    Lui tendant son glaive, le magistrat expliqua : Il se nomme Dragon-de-Pluie. Lillustre Dragon-de-Pluie dont tous les manieurs

    dpe parlent avec rvrence ?Un sourire extasi sur les lvres, Tsiao Ta poursuivit

    dun ton plein de respect : Cest la dernire lame forge par Trois-Doigts, le

  • plus clbre armurier de tous les temps. Le meilleur aussi ! Si lon en croit la lgende, dit le juge, Trois-Doigts

    choua huit fois avant de russir ce chef-duvre. Il jura, silrussissait enfin, de sacrifier sa jeune pouse au dieu dufleuve, et la neuvime tentative produisit ce sabre, aveclequel il trancha aussitt la tte de sa femme bien-aime.Une terrible tempte se dchana ; la foudre sabattit surTrois-Doigts, et les vagues cumantes emportrent soncorps et celui de la tendre victime. Ce sabre est lun destrsors de la famille Ti, et, depuis deux cents ans,appartient de droit au fils an.

    Tsiao Ta se couvrit le nez et la bouche dun foulardafin que son haleine ne souillt pas lacier, puis il tira lalame de son fourreau. Llevant respectueusement sur sesdeux mains, il admira lclat vert sombre du mtal et le filde son tranchant sur lequel on napercevait pas la plusminuscule entaille. Une lueur mystique dans le regard, ildit :

    Si je dois mourir un jour par le sabre, je prie le Cielque cette lame soit choisie pour faire couler mon sang !

    Puis, sinclinant profondment, il rendit larme au jugeTi.

    La grosse averse stait transforme en pluie fine. Lesvoyageurs sautrent sur leurs montures et descendirentvers la plaine. Tout en bas, on distinguait la colonne depierre marquant la frontire du district. Le nouveaumagistrat regarda la vaste tendue boueuse et trouva cettevue enchanteresse : ctait son territoire !

    Un nouvel effort fut demand aux chevaux et, vers la fin

  • de laprs-midi, les murailles de Peng-lai apparurent dansle brouillard.

  • 3UN VIEUX SCRIBE EXPLIQUE COMMENT IL A DCOUVERTLE CADAVRE DE SON MATRE. LE JUGE TI FAIT UNE CURIEUSERENCONTRE DANS UN APPARTEMENT VIDE.

    EN APPROCHANT de la porte Ouest, Tsiao Ta fit

    remarquer ses compagnons combien les murailles de laville taient basses.

    Voyez, dit-il, les btiments du corps de garde nontquun tage !

    Si jen crois la carte, expliqua le juge Ti, cette villepossde des dfenses naturelles. On la btie trois millesen amont du fleuve, lendroit o celui-ci rejoint une largecrique. Un fort dfendu par une imposante garnison a trig son embouchure et les soldats fouillent tous lesbateaux, larrive comme au dpart. Pendant la guerreavec la Core, ils ont interdit lentre du fleuve aux jonquesennemies. Au nord, des falaises abruptes bordent la cte,au sud il ny a que des marcages ; cest donc par Peng-lai, seul bon port de la rgion, que se fait tout le commerceavec le Japon et la Core.

    Jai entendu dire dans la capitale que de nombreuxCorens se sont tablis ici, dclara Hong Liang.

  • Principalement des marins, des charpentiers, et aussi desmoines bouddhistes. Ils habitent le faubourg coren qui setrouve de lautre ct de la crique, lest de la ville. Il y a lun vieux temple bouddhique trs renomm.

    Tu vois, dit Tsiao Ta Ma Jong, tu pourras tenter tachance avec une petite Corenne, et, moyennant unesomme modique, recevoir aussitt labsolution !

    Deux gardes leur ouvrirent les portes de la cit. Lejuge et ses compagnons sengagrent dans une grandevoie commerante et arrivrent bientt en vue du Yamen,dont les hautes murailles entouraient les btiments du

    tribunal[1]. Quelques gardes assis sous le gong de bronzemonumental se levrent bien vite pour saluer leur nouveaumatre. Quand le juge fut pass, Hong Liang remarquaquils se jetaient entre eux des regards furtifs.

    Un sbire conduisit le juge Ti au greffe, de lautre ctde la cour principale. Plusieurs commis y maniaient lepinceau sous la direction dun maigre vieillard barbichegrise. Ds quil aperut le juge, le vieil homme vint sarencontre et dit en bgayant :

    Lhumble personne qui a lhonneur daccueillir VotreExcellence se nomme Tang. Comme premier scribe, je mesuis occup des questions administratives en vousattendant, mais, ignorant le jour de votre arrive, je nai pasprpar le repas de bienvenue. Votre Excellence men voitdsol, et je la prie humblement

    Jai pens que le chef du poste frontire vousprviendrait, linterrompit le juge. Il y a eu malentendu, sans

  • doute, mais, puisque me voil, faites-moi visiter le tribunal.Tang les conduisit dans la vaste salle daudience. On

    avait frachement balay le sol, et le tapis de brocart quirecouvrait la haute table place sur lestrade du fond taitdun rouge clatant. Derrire elle, le mur disparaissait sousune tenture de soie dun violet pass, portant brode aucentre lhabituelle licorne dor, symbole de la perspicacit.Le juge Ti lui accorda un regard plein dintrt et franchitune petite porte masque par le rideau.

    Aprs avoir travers un troit couloir, les cinq hommesse trouvrent dans le cabinet du magistrat. Cette picetait aussi bien tenue que la salle daudience, pas un grainde poussire ne souillait le bois poli du bureau, les mursvenaient dtre reblanchis et une belle toffe de brocartmettait sa note vert sombre sur le lit de repos. Le juge jetaun rapide coup dil la salle des archives qui lui faisaitsuite et pntra dans la seconde cour, o slevait la sallede rception. Le vieux scribe expliqua en tremblant quepersonne ny tait entr depuis la visite de lenquteurimprial et quil se pouvait donc quune table ou une chaisene ft pas exactement la place voulue. Le juge Ti regardason interlocuteur avec curiosit. Le dos arrondi, lairembarrass, lhomme paraissait fort mal laise.

    Jusquici, jai tout trouv dans un ordre parfait, dit lemagistrat dun ton quil seffora de rendre rassurant.

    Sinclinant trs bas, Tang rpondit : Votre humble serviteur est entr au Yamen tout

    jeune garon. Il y a quarante annes de cela, et depuis jaifait de mon mieux pour donner toute satisfaction. Jaime

  • que chaque chose soit sa place, Votre Excellence, et touta toujours bien march ici. Mais lorsque je pense que votreprdcesseur a t

    Sa voix se brisa, et il se hta douvrir la porte de lasalle de rception. Quand tous furent rassembls autour dela grande table en bois sculpt qui occupait le centre de lapice, le vieillard tendit respectueusement au magistrat lesceau carr du tribunal. Le juge Ti compara aveclimpression qui figurait sur le registre et signa le reu. prsent, il tait officiellement magistrat du district de Peng-lai.

    Se caressant la barbe, il dit : Le meurtre de mon prdcesseur passe avant

    toutes les autres affaires. Je recevrai les notables et jeremplirai les formalits dusage en temps voulu. part lepersonnel du tribunal, je ne veux voir aujourdhui que lesquatre surveillants de quartier.

    Dans cette ville, il y en a cinq, Votre Excellence. Lecinquime est celui du faubourg coren.

    Est-il chinois ? Non, Votre Excellence. Mais il parle couramment

    notre langue.Le vieillard toussota derrire sa main et continua

    timidement : La situation est un peu particulire ici, Votre

    Excellence, et le prfet a dcid que la colonie corennetablie sur la cte Est serait demi autonome. Unsurveillant de quartier est responsable de lordre, et noshommes ne peuvent sy rendre que sil requiert leur

  • assistance. Cest une situation exceptionnelle, en effet. Il faudra

    que jtudie cela. Pour linstant, commandez tout lepersonnel de sassembler dans la grande salle. Enattendant, je vais jeter un coup dil mes appartementsparticuliers et me restaurer un peu.

    Plus embarrass que jamais, Tang expliqua : Les appartements de Votre Excellence sont en

    parfait tat. Le prcdent magistrat, Son Excellence Wang,les a fait repeindre lt dernier. Malheureusement sesbagages et ses meubles sont encore l. Je ne sais o lesenvoyer, car son frre le seul parent qui lui restait nerpond pas mes lettres. Et comme votre honorableprdcesseur tait veuf, il sest content de louer lesservices de gens dici, qui sont partis aprs son humson dcs.

    O a donc log lenquteur imprial ? Son Excellence a couch sur le divan du cabinet,

    rpondit Tang dun air dsol. Il prenait aussi ses repasdans cette pice. Cela ma chagrin infiniment, VotreExcellence, ctait si peu rgulier. Et prsent que le frrede notre ancien magistrat laisse mes lettres sans rponseje ne sais que faire des meubles

    Tranquillisez-vous, linterrompit le juge. Je nai paslintention de faire venir ma famille ni mes serviteurs avantdavoir clairci lhistoire de ce meurtre. Je vais changer devtements dans mon cabinet pendant que vous montrerezleurs chambres mes lieutenants.

    Il y a un trs bon htel en face du tribunal, Votre

  • Excellence, rpondit aussitt Tang. Cest l que je logeavec ma vieille pouse, et je puis assurer VotreExcellence que ses lieutenants

    Voil qui est fort irrgulier ! Pourquoi nhabitez-vouspas le Yamen ? votre ge, vous devriez connatre lerglement !

    Ltage du btiment qui se trouve derrire la sallede rception mest rserv, Votre Excellence, se hta derpondre Tang. Mais son toit a besoin dtre rpar, aussiai-je pens que je pourrais, de faon provisoirenaturellement

    Entendu en ce qui vous concerne, coupa le juge Ti.Quant mes lieutenants, ils logeront au Yamen. Arrangez-vous pour leur trouver une place dans le corps de garde.

    Tang sinclina profondment et sen alla, suivi de MaJong et de Tsiao Ta. Le sergent Hong accompagna lemagistrat dans son cabinet et, aprs lavoir aid passersa robe officielle, il lui prpara une tasse de th. Tout en sefrottant le visage avec une serviette mouille, le jugedemanda :

    As-tu ide de ce qui peut rendre ce vieuxbonhomme si nerveux ?

    Il semble de nature tatillonne, et notre arriveinattendue la troubl.

    Jinclinerais plutt croire que quelque choseleffraie ici, rpliqua le juge dun air songeur. Cestprobablement pourquoi il est all loger lextrieur. Bah !nous dcouvrirons la raison de sa conduite avec le reste !

    Tang revint bientt annoncer que tout le monde se

  • trouvait dans la salle daudience. Le juge Ti remplaa sonbonnet dintrieur par la coiffure ailes noires de sacharge et gagna le tribunal.

    Sasseyant derrire la haute table du fond, il fit signe Ma Jong et Tsiao Ta de se placer de chaque ct deson fauteuil, puis il pronona quelques paroles decirconstance tandis que le vieux Tang lui prsentait lunaprs lautre les quarante hommes agenouills sur lesdalles de pierre. Le juge nota que les scribes portaient desrobes bleues fort propres et que les casques de fer dessbires taient bien astiqus. Dans lensemble, ilssemblaient tre de braves gens, sauf leur chef dont ilnaima pas lexpression cruelle. Mais il se dit que ceux quiremplissaient cet emploi taient presque toujours desbrutes quil fallait avoir lil. Le contrleur des dcs ledocteur Chen tait un homme dun certain ge lairdigne et au visage intelligent.

    Cest le meilleur mdecin du district et chacunadmire son noble caractre, Votre Excellence, murmuraTang loreille du nouveau magistrat.

    Quand les prsentations furent termines, le juge Tiannona quil nommait Hong Liang sergent du tribunal avecdroit de regard sur les affaires courantes du greffe. Quand Ma Jong et Tsiao Ta, ils soccuperaient des sbires,des gardes et de la prison.

    De retour dans son cabinet, le juge envoya les deuxhommes inspecter le corps de garde et les cellules.

    Ensuite, ajouta-t-il, vous ferez manuvrer les sbireset les gardes. Cela vous donnera loccasion de faire

  • connaissance avec eux et vous verrez ce quils valent.Aprs cela, vous irez vous promener en ville pour vousrendre compte de latmosphre qui y rgne. Jaimeraisvous accompagner, mais jai besoin de rflchir lassassinat de mon prdcesseur. Venez me faire votrerapport ds que vous rentrerez.

    Les deux hommes sortirent, et Tang reparut, suivi dunjeune commis portant deux chandeliers. Le magistrat dit auvieux scribe de sasseoir sur un tabouret, ct du sergentHong. Le petit commis plaa les bougies sur la table etsesquiva sans bruit.

    Je viens de voir sur les rles, commena le juge,que votre commis principal se nomme Fan Tchong. Ilntait pas l tout lheure. Serait-il malade ?

    Tang se frappa le front. Je voulais en parler Votre Excellence, et jai

    oubli ! Je suis trs ennuy. Le cong annuel de Fan acommenc le premier jour de la prsente lune. Il est partipour Pien-fou, la prfecture, et devait revenir hier matin.Vers le milieu de la journe, ne le voyant pas, jai envoy unsbire la petite ferme que Fan possde louest de laville. Le fermier a rpondu que Fan et son serviteur taientrentrs hier et avaient quitt la ferme vers midi. Je suis trscontrari. Fan Tchong est la ponctualit mme, je necomprends pas ce qui a pu lui arriver, et

    Un tigre la peut-tre dvor en route, coupa le jugeque les manires du premier scribe commenaient impatienter.

    Non pas cela, Votre Excellence ! Pas cela !

  • protesta le vieil homme.Son visage tait devenu couleur de cendre et une lueur

    inquite brillait dans ses yeux soudain agrandis. Quavez-vous donc ? scria le juge agac. Je

    comprends trs bien que lassassinat de votre ancien chefvous ait port un coup, mais la chose date dj de deuxsemaines. Quest-ce qui vous terrifie, prsent ?

    Tang sessuya le front. Que Votre Excellence veuille bien mexcuser,

    murmura-t-il. La semaine dernire on a trouv dans lesbois un paysan la gorge ouverte. Un mangeur dhommesdoit rder dans les environs. Je ne dors pas bien en cemoment Joffre mes plus humbles excuses VotreExcellence.

    Mes lieutenants sont des chasseurs expriments,dit le juge. Ils soccuperont de ce fauve. En attendant,servez-moi du th, et mettons-nous au travail.

    Ds que le vieillard eut vers le liquide bouillant, lejuge en avala deux ou trois gorges et se carra dans sonfauteuil.

    prsent, dit-il, je voudrais savoir comment lecrime fut dcouvert. Donnez-moi tous les dtails.

    Tiraillant les poils de sa barbiche, Tang commenadune voix mal assure :

    Le magistrat Wang tait un homme dun commerceagrable et dune vaste culture, Votre Excellence. Il pouvaitavoir cinquante ans, et sil se montrait parfois un peungligent en ce qui concerne la routine journalire, il taittrs strict pour tout ce qui importait rellement. Ctait un

  • magistrat fort capable, Votre Excellence. Avait-il des ennemis ? Pas un seul, Votre Excellence. Son sens de la

    justice le faisait aimer de tous. Il tait trs populaire.Le juge Ti hocha la tte approbativement et Tang

    poursuivit : Il y a deux semaines, un peu avant lheure de la

    premire audience, lintendant vint me trouver au greffe. Ilme dit que notre matre navait pas dormi dans sa chambreet que la porte de la bibliothque tait ferme de lintrieur.Comme Son Excellence travaillait souvent trs tard, jesupposai quElle stait endormie sur un livre et je frappai.Personne ne rpondit. Je frappai de nouveau. Le silencepersista. Craignant que Son Excellence nait t victimedune attaque dapoplexie, jappelai le chef des sbires et luicommandai denfoncer la porte.

    Un tic nerveux agitait la bouche du vieux scribe. Il avalasa salive avec difficult et poursuivit :

    Le magistrat Wang tait tendu par terre devant lerchaud th, fixant le plafond de ses yeux qui ne verraientplus jamais rien. Une tasse gisait sur le tapis, prs de samain droite. Je ttai le corps, il tait froid et dj raide. Jefis immdiatement chercher notre contrleur des dcs ; ildclara que la mort avait d survenir vers minuit et recueillitle liquide de la thire.

    O se trouvait-elle ? Sur le meuble de gauche, Votre Excellence, prs du

    rchaud de cuivre sur lequel on faisait bouillir leau. Elletait presque pleine. Le docteur Chen fit boire un peu de

  • son contenu un chien qui tomba mort immdiatement. Ledocteur Chen fit alors chauffer ce th et identifia le poison lodeur qui sen dgagea. Il ne put procder de mme avecle rcipient pos sur le rchaud, car leau qui tait dedansavait d bouillir jusqu vaporation complte.

    Qui apportait habituellement leau pour le th ? Son Excellence lapportait toujours Elle-mme.Comme le juge Ti levait les sourcils dun air

    interrogateur, Tang sempressa dexpliquer : Son Excellence tait un fervent adepte de la

    crmonie du th, dont il respectait les moindres dtails. Ilallait tirer lui-mme leau dans le puits du jardin et la faisaitbouillir sur le rchaud de la bibliothque. Sa bote th, sathire et ses tasses taient de belles pices anciennesquil gardait sous clef dans le meuble sur lequel reposait lerchaud. ma demande, le docteur Chen examina aussiles feuilles contenues dans la bote th et les trouva tout fait inoffensives.

    Quelles mesures prtes-vous ensuite ? Jenvoyai immdiatement un message au prfet de

    Pien-fou et je fis mettre le corps dans un cercueil provisoirequi fut plac dans les appartements privs. Japposai lesscells sur la porte de la bibliothque. Le troisime jouraprs ce terrible vnement, Son Excellence lenquteurimprial arriva. Il demanda au commandant du fort demettre six hommes du bureau militaire sa disposition etprocda une enqute dtaille. Il interrogea dabord lesserviteurs

    Je sais, je sais, coupa le juge Ti avec impatience.

  • Jai lu son rapport. Il a tabli de faon indiscutable quepersonne navait t mme dempoisonner le th ou desintroduire dans la bibliothque aprs que le magistrat syfut retir. Quand lenquteur imprial est-il reparti ?

    Le matin du quatrime jour, il me commanda defaire dposer le cercueil dans le temple du Nuage blanc, lest de la ville, et de ly laisser en attendant que le frre dudfunt ait choisi le lieu de la spulture. Ensuite, il renvoyales hommes du bureau militaire au fort, puis, prenant lespapiers personnels du juge Wang, il sen alla.

    Le vieillard paraissait mal laise. Jetant un regardanxieux au juge Ti, il demanda :

    A-t-il confi Votre Excellence la raison de cedpart prcipit ?

    Il ma simplement dit, improvisa le juge, quelenqute avait atteint le point o elle pouvait trepoursuivie de faon profitable par le nouveau magistrat.

    Le vieux scribe parut soulag. Jespre que Son Excellence lenquteur imprial

    est en bonne sant ? demanda-t-il. En parfaite sant. Il est en route pour le Sud o

    lattendent de nouvelles tches. prsent, je vais jeter uncoup dil la bibliothque. Pendant ce temps, voyezavec le sergent Hong quelles affaires nous traiterons laudience de demain.

    Il prit lun des chandeliers et sortit. La pluie avait cessmais, dans le jardin qui sparait les appartements privsde la salle de rception, un lger brouillard descendait surles plates-bandes aux subtils dessins. Le juge fut surpris

  • de trouver la porte entrouverte. Il la poussa et pntra dansla demeure dserte.

    Ltude du plan joint au dossier lui avait appris que labibliothque tait au fond du couloir principal. Il dcouvritfacilement celui-ci et remarqua deux passages latraux,sans que son maigre clairage lui permt de voir o ilsaboutissaient.

    Soudain, un homme trs mince sortit du passage leplus proche et sarrta net la vue du magistrat, fixant surlui un regard curieusement dpourvu dexpression. Sonvisage aux traits plutt rguliers tait dpar par une tachede naissance grosse comme une pice de monnaie,malencontreusement place sur sa joue gauche. Le juge futstupfait de voir que linconnu ne portait pas de coiffure. Ilnota vaguement que ses cheveux taient runis en un hautchignon et quune large ceinture noire fermait sa robe dechambre grise.

    Avant que le magistrat pt ouvrir la bouche pour luidemander la raison de sa prsence, lhomme recula sansfaire le moindre bruit et disparut. Afin de mieux voir, le jugeleva vivement sa bougie, mais son geste trop brusque la fitsteindre.

    Revenez immdiatement ! cria-t-il dans lobscurit.Seul lcho lui rpondit, puis le silence sembla se faire

    plus profond dans la maison vide. Limpudent coquin ! murmura le juge Ti avec colre.

    Ttant le mur pour se guider, il regagna le petit jardin etrevint dans son cabinet.

    Tang tait en train de montrer un volumineux dossier

  • au sergent Hong. Avec mauvaise humeur, le juge dit : Quil soit compris une fois pour toutes que je ne

    tolrerai pas de tenue nglige dans le tribunal. Pas mmele soir ni en dehors des heures de service. Je viens derencontrer un individu en robe dintrieur et sans rien sur latte ! Limpertinent ne sest mme pas donn la peine derpondre mes questions. Allez le chercher, que je lui disedeux mots !

    Tang stait mis trembler, en proie semble-t-il uneviolente terreur. Le juge eut soudain piti de lui : aprs tout,le vieux bonhomme faisait de son mieux. Dun ton moinssec, il ajouta :

    Remettez-vous. Au fond, la faute est bnigne. Maisquel est cet homme ? Le veilleur de nuit, je suppose ?

    Avec un regard anxieux vers la porte, Tang demanda : Portait-il une robe grise ? Oui. Et il avait une tache brune sur la joue gauche ? Oui, rpondit de nouveau le juge qui commenait

    simpatienter. Cessez de trembler comme a, et parlezqui est-ce ?

    Baissant la tte, le vieillard murmura : Cest le dfunt magistrat Wang, Votre Excellence.

    Quelque part dans le Yamen une porte claqua de faonsinistre.

  • 4LE JUGE TI VISITE LE LIEU DU CRIME UN RCHAUD DECUIVRE LINTRESSE BEAUCOUP.

    QUELLE porte vient de claquer ? demanda vivement

    le magistrat. Celle des appartements privs, Votre Excellence,

    rpondit Tang dune voix faible. Elle ne ferme pas trs bien. Quon la fasse arranger au plus tt. Caressant

    lentement sa barbe, le juge Ti demeura un long momentsilencieux, pensant au curieux regard sans expression delinconnu dont la silencieuse disparition lintriguait de plusen plus. Il se laissa enfin tomber dans un fauteuil tandis quele sergent le considrait dun air inquiet.

    Le juge fit effort pour se reprendre. Aprs avoir tudiun instant le visage gristre de Tang, il demanda :

    Vous aviez dj vu lapparition ?Le vieux scribe fit un signe affirmatif. Il y a trois jours, Votre Excellence, prcisa-t-il. Dans

    ce cabinet mme. Jtais venu, au dbut de la soire,prendre un document dont javais besoin quand jelaperus prs de la table, me tournant le dos.

    Que se passa-t-il ?

  • Je laissai choir ma bougie en poussant un grandcri, Votre Excellence, puis je courus appeler les gardes.Mais mon retour la pice tait vide.

    Se passant la main sur le front, Tang ajouta : Il portait sa robe dintrieur grise, avec la ceinture

    noire, comme au moment o nous avons trouv soncadavre dans la bibliothque. Il avait perdu son bonnet entombant. Jai la conviction que lenquteur imprial a vuaussi ce fantme, Votre Excellence. Cest la raison de sondpart prcipit, et cest pourquoi il semblait si mal laisependant sa dernire matine ici.

    Le juge tirailla pensivement sa moustache. Au boutdun moment, il dit :

    Ce serait stupide de ma part de nier lexistence dephnomnes surnaturels. Noublions pas que notre matreConfucius lui-mme gardait une grande rserve quand sesdisciples le questionnaient ce sujet. Mais, dun autrect, je crois quil faut dabord chercher si les faits nepeuvent pas sexpliquer de faon rationnelle.

    Le sergent Hong secoua la tte. Ils ne le peuvent pas, Votre Excellence ! scria-t-il.

    La seule explication, cest que le dfunt est priv de reposdans lautre monde parce que son meurtre na pas tveng dans celui-ci. On a dpos son corps dans le templebouddhique, et tant que la dcomposition nest pas tropavance, un mort peut se manifester aux personnes qui setrouvent proximit du cadavre.

    Le juge Ti se leva. Je rflchirai ce problme, dit-il. Pour linstant, je

  • vais examiner la bibliothque. Mais Votre Excellence peut rencontrer de nouveau

    le fantme ! scria le sergent constern. Eh bien ? demanda le juge. Le dsir du dfunt est

    certainement dtre veng. Il doit savoir que cest celaque je travaille, alors pourquoi chercherait-il me gnerdans ma tche ? Quand tu auras termin avec Tang, viensme rejoindre l-bas. Fais-toi escorter de deux gardesmunis de lanternes si cela peut te rassurer !

    Et, sans tenir compte des objurgations des deuxhommes, il sortit.

    Cette fois, il alla chercher au greffe un lampion depapier huil avant de saventurer dans lappartementobscur. Une porte souvrait de chaque ct du couloir oavait disparu le fantme. Poussant celle de droite, il setrouva dans une vaste pice remplie de caisses et deballots empils les uns sur les autres. Tandis quil regardaitentre les caisses, une ombre trange le fit sursautermais ctait seulement la sienne. La pice opposecontenait quelques gros meubles envelopps de nattes. Ilcontinua son chemin et vit que le passage aboutissait une porte massive munie dimposants verrous et ferme clef. Songeur, il regagna le couloir principal et sarrtadevant une autre porte orne dun motif sculptreprsentant des dragons en train de sbattre au milieu denuages. Des planches taient grossirement cloues entravers : les sbires avaient d les mettre l aprs avoirdfonc le panneau pour sintroduire dans la bibliothque.

    Le juge Ti dchira la bande de papier portant le sceau

  • du tribunal puis, ayant pouss le battant, il leva sa lanterneet regarda la petite salle meuble avec lgance etsimplicit. gauche, devant une fentre troite, un meubleen bne supportait le gros rchaud de cuivre sur lequel onfaisait bouillir leau ncessaire la prparation du th ; ct du rchaud se trouvait une exquise thire enporcelaine bleu et blanc . Le reste de la paroi et le muroppos disparaissaient sous de nombreux rayons chargsde livres. Au fond de la pice, prs dune large baie auxcarreaux en papier dune parfaite propret, le juge aperutun bureau ancien en bois de rose pourvu de trois tiroirs chaque extrmit. part deux chandeliers de cuivre, il nyavait rien sur ce meuble, devant lequel tait un confortablefauteuil recouvert dun coussin en satin rose.

    Le juge sapprocha de la natte de jonc place entre lebureau et la table th afin de mieux voir une tachebruntre. Elle avait probablement t faite par le liquidecontenu dans la tasse de Wang quand le th staitrpandu sur le sol au moment de sa chute. Le juge Tiessaya dimaginer la scne. Wang avait dabord mis leau chauffer avant de venir sasseoir son bureau. Quandelle avait commenc bouillir, il stait lev pour la verserdans la thire. Il avait ensuite rempli une tasse, bu unegorge de liquide, et le poison avait agi aussitt. Oui, cestsans doute ainsi que les choses staient passes !

    Voyant une clef sur le meuble dbne, le juge louvrit.Les diffrents ustensiles ncessaires la clbration dece que les connaisseurs appellent la crmonie du th occupaient ses deux rayons. Le juge Ti admira les belles

  • pices, videmment choisies avec amour par un fervent dece rite. Pas un grain de poussire ne les recouvrait :lenquteur imprial tait pass avant lui !

    Le juge alla vers le bureau. Cest dans ses tiroirs prsent vides quon avait dcouvert les papiers personnelsdu dfunt. Le juge Ti soupira. Quel dommage de ne pastre entr le premier dans cette pice !

    Il passa machinalement un doigt sur les livres quiemplissaient les rayons et le retira couvert de poussire.Le magistrat sourit : ici, au moins, personne ne lavaitdevanc. valuant du regard le nombre imposantdouvrages qui constituaient la bibliothque, il rsolutdattendre larrive du sergent pour les examiner.

    Plaant le fauteuil face la porte, il sassit, croisa sesbras dans les vastes manches de sa robe, et essaya de sereprsenter lassassin. Tuer un fonctionnaire de lEmpiretait un crime dtat, un crime passible de la peine capitalesous lune de ses formes les plus svres. Le meurtrierrisquait donc dtre cartel vif, par exemple, ou biendavoir le corps dcoup progressivement en lamellesdans lhorrible supplice de la mort lente . Pour affronterun tel sort, il avait fallu que ses raisons fussent bien fortes.Et comment avait-il introduit le poison dans le th ? En leversant dans le rcipient deau, sans doute, puisque lecontrleur des dcs avait dmontr que les feuilles nonutilises taient inoffensives. moins que seule autresolution possible le criminel nait envoy au magistratdes feuilles imprgnes de poison, en quantit justesuffisante pour la confection dune seule tasse ?

  • Pensant lapparition, le juge Ti soupira de nouveau.Ctait sa premire exprience de ce genre, et il ntaitpas convaincu davoir eu affaire un vrai fantme.Sagissait-il dune mystification ? Non, car le vieux Tang etlenquteur imprial lavaient vu aussi. Et qui donc se seraitpermis de jouer au revenant en plein Yamen ? Alors, aurait-il vraiment aperu le fantme de Wang ? Le juge posa latte sur le dossier de son fauteuil et ferma les paupires,essayant de se rappeler les traits de lapparition. Ntait-ilpas possible, aprs tout, que le dfunt tentt de laider rsoudre lnigme de sa mort ?

    Cette pense lui fit ouvrir brusquement les yeux etfouiller la pice du regard. Personne dautre que lui ne sytrouvait !

    Sans bouger, il contempla dun il paresseux leplafond laqu de rouge. Lune des quatre grosses poutrestransversales tait partiellement dcolore et la poussirealourdissait une toile daraigne qui pendait au-dessus dumeuble th. De toute vidence, le dfunt navait pasattach la bonne tenue de son intrieur la mmeimportance que le premier scribe.

    Hong arriva enfin, suivi de deux gardes porteurs debougies. Le juge leur dit de poser leurs luminaires sur lebureau et, aprs les avoir congdis, expliqua au sergent :

    Les livres et les rouleaux de documents sont lesseules choses qui nous restent examiner. Celareprsente pas mal de travail, mais si tu me les passes lesuns aprs les autres, nous nen aurons pas pour troplongtemps.

  • Hong fit signe quil comprenait et attrapa une pile delivres. Tandis quil les dbarrassait de leur poussire avecsa manche, le juge fit pivoter son fauteuil pour faire face aubureau et se mit tudier les volumes que le sergentposait devant lui.

    Deux heures scoulrent avant que le dernier ouvrageet regagn sa place. Le juge Ti se renversa enfin enarrire et sortit un ventail de sa manche. Le manuvrantvigoureusement, il dit avec un sourire satisfait :

  • LE JUGE TI EXAMINE UNE BIBLIOTHQUE prsent, je vois assez bien quel genre dhomme

    tait le magistrat Wang. Jai parcouru les pomes critspar lui : le style en est excellent mais la pensesuperficielle. Les vers damour prdominent, la plupartdentre eux sont ddis des courtisanes connues de lacapitale ou bien rencontres dans ses autres postes.

    Tang a fait allusion devant moi aux mursdissolues de son matre, remarqua le sergent. Il invitaitfrquemment des prostitues ici et les gardait toute la nuit.

    Le juge Ti hocha la tte. Ltui de brocart que tu mas pass tout lheure

    renferme des dessins rotiques. Wang possdait aussides douzaines douvrages sur lart culinaire ainsi que surles vins et la faon dont on les fabrique dans les diffrentesrgions de lEmpire. Dautre part, sa bibliothquecomprend tous les chefs-duvre des grands potesanciens, chaque volume ayant t visiblement lu, relu, etagrment par lui de commentaires. Les ouvrages desmystiques bouddhistes et taostes ont t lus avec autantdintrt, mais son dition des classiques confucens estdans le mme tat virginal que le jour o elle fut achete !Les sciences naturelles sont assez bien reprsentes ;tous les ouvrages de mdecine ou dalchimie qui fontautorit sont l. Jai not aussi quelques recueilsdnigmes et de devinettes assez rares et plusieursbouquins traitant de mcanique pratique. En revanche, leslivres consacrs lhistoire, au gouvernement,

  • ladministration et aux mathmatiques se font remarquerpar leur absence.

    Tournant son sige vers le sergent, le juge continua : Je conclus de tout cela que Wang tait non

    seulement un pote ayant un sens aigu de la beaut et unphilosophe que les mystiques intressaient, mais aussi ungrand sensuel attach aux plaisirs terrestres. Mlangemoins rare quon ne limagine ! Dnu dambition, ilprfrait occuper un petit poste tranquille, assez loin de lacapitale, o il tait son propre matre et pouvait vivre saguise. Cest pourquoi il ne recherchait pas lavancement, jecrois bien que ce district de Peng-lai si modeste tait sonneuvime poste ! Mais il possdait une intelligence vive etun esprit curieux, do son intrt pour les nigmes et lesmcanismes ingnieux. Cela et sa longue exprienceadministrative faisaient de lui un magistrat assezsatisfaisant, quoique je ne pense pas quil ait jamais faitpasser le devoir avant le plaisir. Ne dsirant pas trelesclave de liens familiaux, il ne sest pas remari aprs ledcs de ses deux pouses ; il se contentait de liaisonsphmres avec des courtisanes ou des prostitues. Il adailleurs admirablement rsum sa personnalit dans lenom donn sa bibliothque !

    Le juge Ti dsigna du bout de son ventail linscriptionaccroche au-dessus de la porte et le sergent ne putsempcher de sourire en lisant : ERMITAGE DELHERBE FOLLE .

    Cependant, reprit le juge, jai dcouvert un petitdtail qui ne concorde pas avec le reste.

  • Tapotant un carnet de format oblong quil avait mis part, il demanda :

    O as-tu trouv ceci, sergent ? Derrire les livres du rayon infrieur. Dans ce carnet, dit le juge, Wang a copi de sa

    propre main une longue liste de dates et de chiffres en yajoutant des pages et des pages de calculs compliqussans un mot dexplication. Or lhonorable dfunt me sembleavoir t le dernier homme sintresser aux chiffres. Jesuppose quil laissait tous les travaux de statistiques auxscribes, nest-ce pas ?

    Cest ce que ma laiss entendre le vieux Tang.Le juge Ti feuilleta le carnet en hochant doucement la

    tte. Il a pourtant pass beaucoup de temps rdiger

    ces notes et il a mticuleusement corrig de lgreserreurs. Les seuls lments qui pourraient servir dindicessont les dates : la premire qui soit mentionne remonte deux lunes.

    Il se leva en glissant le carnet dans sa manche. Je vais tudier cela. Rien ne prouve que ces

    chiffres aient le moindre rapport avec lassassinat mais,quand un petit dtail ne concorde pas avec le reste, ilmrite toujours dtre soigneusement examin. En tout cas,nous pouvons nous faire prsent une ide assezcomplte de la personnalit de la victime, ce qui encroire le manuel du parfait dtective est le premier pasvers la dcouverte de son assassin !

  • 5DEUX EX-CHEVALIERS DES VERTES FORTS DJEUNENTGRATIS. ILS ASSISTENT UNE TRANGE PROCESSION SURLES BORDS DU CANAL.

    PRSENT, dit Ma Jong en sortant du Yamen, le

    plus urgent est de nous emplir la panse. Faire manuvrerces paresseux de sbires ma donn faim !

    Et moi, soif ! complta Tsiao Ta.Les deux amis rentrrent dans le premier restaurant

    qui soffrit leur vue, un petit caboulot plac devant le coinsud-ouest du Yamen et portant la noble enseigne du Jardinaux neuf fleurs. Un vacarme de conversations les accueillitdans la salle bonde. Non sans difficult ils russirent trouver une table libre, prs du haut comptoir o un homme qui manquait le bras gauche touillait des nouilles dans unnorme chaudron.

    La clientle paraissait se composer principalement depetits boutiquiers venus avaler un peu de nourriture avant lecoup de feu du soir, et tous engloutissaient leurs ptesavec un plaisir visible, ne sinterrompant que pour sepasser les cruchons de vin.

    Tsiao Ta attrapa la manche dun serveur qui traversait

  • la salle au pas de course avec des bols de nouilles sur sonplateau.

    Quatre bols comme ceux-l, commanda-t-il. Et deuxgrosses cruches de vin !

    Tout lheure ! rpondit le garon. Vous voyez bienque je suis occup.

    Tsiao Ta dversa immdiatement sur le malheureuxun flot de jurons plus pittoresques les uns que les autres. Lemanchot leva la tte et le regarda fixement, puis, posant sagrande louche de bambou sur le comptoir, il sapprocha, unlarge sourire illuminant son visage inond de sueur.

    Je ne connais dans tout lEmpire fleuri quun seulhomme capable de jurer de la sorte, scria-t-il. Quel bonvent amne ici lhonorable officier ?

    Il ny a plus dhonorable officier, rpliqua le nouvelassistant du juge Ti. Jai eu des ennuis et jai abandonn la fois mon grade et mon nom. prsent, je mappellesimplement Tsiao Ta. Peut-on manger chez toi ?

    Mais bien sr ! rpondit lhomme en slanant versla cuisine. Il en revint bientt, suivi dune norme commrequi portait sur un plateau deux cruches de vin et une grandeassiette de lgumes et de poissons sals.

    Allons, a ira ! scria Tsiao Ta avec satisfaction.Assieds-toi, soldat, et pour une fois laisse ton pousesoccuper de la clientle.

    Le propritaire du petit restaurant approcha untabouret de leur table, tandis que sa femme allait leremplacer derrire le comptoir. Pendant que les deux amisattaquaient la nourriture, lhte leur expliqua quil tait natif

  • de Peng-lai. Libr du service militaire au retour delexpdition de Core, il avait achet ce restaurant avecses conomies et, ma foi, les affaires ne marchaient pastrop mal. Jetant un regard rprobateur aux robes brunesdes deux convives, il demanda en baissant la voix :

    Vous travaillez pour le tribunal ? Il faut bien vivre. Ne vends-tu pas des nouilles, toi ?Sans rpondre, le manchot lana un coup dil

    droite et gauche, puis murmura : Il se passe des choses bizarres dans ce district.

    Savez-vous quil y a quinze jours on a trangl le magistratet dcoup son cadavre en petits morceaux ?

    Tiens, je croyais quil avait t empoisonn,remarqua Ma Jong en avalant une grande gorge de vin.

    Cest ce quon dit officiellement, rpliqua lerestaurateur. Mais il a t rduit en chair pt ! Croyez-moi, les gens dici ne valent pas tripette !

    Le nouveau magistrat est un homme patant,dclara Tsiao Ta.

    Je ne le connais pas, grommela lhte, mais mfiez-vous de Fan Tchong et de Tang.

    Que reproche-t-on ce pauvre vieux gteux ?demanda Tsiao Ta. Il est incapable de faire du mal unemouche.

    Mfiez-vous tout de mme de lui ! Il a des gotsparticuliers. Et il y a plus grave encore.

    Plus grave encore ? rpta Ma Jong. Il se passe Peng-lai plus de choses quon

    nimagine, se contenta de redire le manchot dun air

  • entendu. Je suis n dans le patelin et donc bien plac pourle savoir ! Les inquitants personnages nont jamaismanqu chez nous. Mon vieux pre racontait parfois deces histoires

    Sans en dire davantage, il secoua mlancoliquementla tte et vida la tasse de vin que Tsiao Ta avait poussevers lui.

    Ma Jong haussa les paules. Bah, dit-il, nous dcouvrirons bien le pot aux roses

    nous-mmes ! Quant ce Fan Tchong dont tu as aussiparl, nous nous occuperons de lui plus tard. Pour linstantil a disparu de la circulation.

    Puissions-nous ne jamais le revoir, soupira lerestaurateur. Ce tyranneau exige de largent de tout lemonde. Il est encore plus vorace que le chef des sbires. Lepire cest quil sen prend aussi nos femmes. Il nest pasmal de sa personne et vous imaginez les dgts de cect-l ! Mais Tang et lui sentendent comme larrons enfoire, et le premier scribe sest toujours arrang pourcouvrir son subordonn.

    En tout cas, ses beaux jours sont termins, dclaraTsiao Ta. prsent, il va travailler sous nos ordres. Il doitavoir touch pas mal de pots-de-vin, car jai entendu direquil possdait une petite ferme louest de la ville.

    Une ferme hrite dun parent loign, expliqua lerestaurateur. Elle ne vaut pas grand-chose. Un simple lopinde terre prs du temple abandonn. Mais si cest l-basquil a disparu, ce sont eux qui ont mis la main sur lui.

    Ne pourrais-tu parler de faon intelligible ? scria

  • Ma Jong impatient. Qui a, eux ?Le manchot donna un ordre au serveur. Quand ce

    dernier eut dpos deux normes bols de nouilles sur latable, il dit en baissant la voix :

    louest de la ferme de Fan Tchong, juste lendroit o le chemin communal rejoint la grand-route,slve un vieux temple. Quatre moines lhabitaient encoreil y a neuf ans, quatre moines qui appartenaient au templedu Nuage blanc, le monastre situ hors de la ville, du ctde la crique. Un beau matin, on les trouva morts, la gorgeouverte. Ils ne furent pas remplacs et personne ne dessertplus ce temple, mais leurs fantmes hantent le lieu ducrime. Des paysans y ont aperu de la lumire en pleinenuit, et les gens sen approchent le moins possible. Lasemaine dernire, un mien cousin qui passait par l le soira vu un moine dcapit se promener au clair de lune, satte sous le bras.

    Auguste Ciel ! cria Tsiao Ta. As-tu fini de dbitertes horreurs ? Comment ferai-je pour manger mes nouillessi elles se dressent dans leur bol comme mes cheveux surma tte ?

    Ma Jong pouffa, et les deux compagnons continurentleur repas en silence. Leurs bols vides, Tsiao Ta se leva etfouilla dans sa manche. Lhte arrta vivement son gesteen scriant :

    Non, non, Seigneur Officier ! Ce restaurant et toutson contenu vous appartiennent. Sans vous, les lancierscorens mauraient

    Bon, entendu pour cette fois, linterrompit Tsiao Ta,

  • et merci pour ce repas, mais, si tu veux nous revoir, il tefaudra lavenir accepter notre cot !

    Le manchot protesta de toutes ses forces. Tsiao Ta luitapota lpaule amicalement et entrana son camarade.

    Lorsquils furent dehors, il dit Ma Jong : prsent que notre estomac est plein, au travail,

    vieux frre ! Voyons comment peut-on se rendre comptede latmosphre qui rgne dans une ville ?

    Ma Jong se gratta la tte et, contemplant lpaissebrume qui les entourait, rpondit :

    En dambulant dans ses rues, je suppose.Les deux amis se mirent donc en marche, scartant le

    moins possible des devantures claires. De temps autre, ils sarrtaient pour admirer les marchandisesexposes et senqurir de leur prix. Arrivs devant letemple du Dieu de la Guerre, ils entrrent ; moyennantquelques sapques, ils firent brler des btonnetsdencens, accompagnant leur offrande dune prire pour lerepos de lme des soldats morts en combattant.

    Lorsquils eurent repris leur promenade, Ma Jongdemanda :

    Pourquoi allons-nous toujours combattre lesbarbares au-del des frontires ? Ne ferait-on pas mieuxde les laisser mijoter tranquillement dans leur jus ?

    Tu ne comprends rien la politique, vieux frre,rpliqua Tsiao Ta plein de condescendance. Nous avonsle devoir de les gurir de leur barbarie et de leur apporternotre culture.

    Oh ! mais ces Tartares ne sont pas si btes que a,

  • dit vivement Ma Jong. Sais-tu pour quelle raison ilsnexigent pas que les jeunes filles soient vierges le soir deleurs noces ? Tout simplement parce que, depuis leurprime enfance, ces filles sont sans cesse califourchon surleurs chevaux. Ne va pas raconter a aux demoiselles dechez nous, surtout !

    Pour lamour du Ciel, ferme-la un peu, scria soncamarade. Nous voil gars, prsent.

    Ils se trouvaient dans ce qui leur parut tre le quartierrsidentiel. La rue tait pave de larges dalles unies et, dechaque ct, on distinguait vaguement les murailles debelles demeures. Le brouillard amortissait les bruits et toutsemblait trangement calme.

    Nest-ce pas un pont, devant nous ? demanda MaJong. Alors, nous sommes arrivs au canal qui traverse lapartie sud de la ville. Si nous le remontons vers lest noustomberons de nouveau sur les boutiques.

    Ils passrent le pont et se mirent cheminer le long dela berge.

    Soudain, Ma Jong posa sa main sur le bras de soncompagnon et lui dsigna la rive oppose, peine visibledans la brume.

    Tsiao Ta carquilla les yeux pour mieux voir. Plusieurshommes savanaient, portant sur leurs paules une litiredcouverte. la lueur dun rayon de lune qui filtrait traversle brouillard, le nouveau lieutenant du tribunal vit quunhomme la tte nue tait assis lintrieur, les jambescroises et les bras ramens sur la poitrine. Il semblaitemmaillot dans une toffe blanchtre.

  • Quel est ce singulier personnage ? demanda TsiaoTa.

    Le Ciel seul le sait ! grommela Ma Jong. Les voilqui font halte.

    Un coup de vent chassa un instant la brume et ilsaperurent plus distinctement les porteurs qui dposaient prsent la litire sur le sol. Deux dentre eux levrent degrosses matraques et les abattirent sur la tte dupersonnage assis. ce moment le brouillard se reforma,plus dense quauparavant, et le bruit dun plongeon troua lesilence.

    Au pont, vite ! cria Ma Jong.Faisant demi-tour, ils coururent le long du canal, mais

    le sol tait glissant et la visibilit mauvaise, de sorte quilleur fallut un certain temps pour atteindre le pont. Ils letraversrent rapidement et refirent le chemin inverse surlautre rive. Lendroit o ils pensaient avoir vu ltrangescne tait prsent dsert. Ma Jong fit quelques pas gauche, puis droite, et sarrta pour examiner le sol.

    Il y a des marques profondes ici, finit-il par dire.Cest l quils ont flanqu le pauvre type dans la flotte.

    La brume commenait se lever, leur permettantdapercevoir leau boueuse quelques pieds au-dessousdeux. Ma Jong se dshabilla vivement. Aprs avoir tendusa robe Tsiao Ta, il ta ses bottes et se laissa glisserdans leau, qui lui vint tout de suite mi-corps.

    a pue, sexclama-t-il, mais je ne vois pas decadavre.

    Il avana un peu plus loin, puis revint vers la rive en

  • explorant avec ses orteils lpaisse couche dimmondicesqui tapissait le fond du canal.

    Je ne trouve rien, murmura-t-il, dgot. Nous avonsd nous tromper dendroit. Il ny a que de grosses pierres,des blocs dargile, et de vieux morceaux de papier. Quelgchis ! Aide-moi remonter.

    Une pluie fine se mit descendre du ciel. Il ne manquait plus que a, grommela Tsiao Ta.

    Remarquant quun porche surplombait lentre de servicedune maison aux murs sombres, il alla sabriter dessousavec la robe et les bottes de son camarade. Ma Jongdemeura sous laverse jusqu ce que son corps ftnettoy, puis il rejoignit Tsiao Ta et se scha avec unfoulard avant de se rhabiller. Quand la pluie sarrta, ilsreprirent leur marche en direction de lest. Le brouillardavait presque disparu et ils pouvaient voir, sur leur gauche,les interminables murailles dimposantes demeures.

    Nos dbuts ne sont pas fameux, dit Tsiao Ta dunton amer. Si nous avions eu plus dexprience, nousarrtions ces coquins.

    Ce nest pas lexprience qui permet de voler par-dessus les canaux, rpliqua Ma Jong. Ce pauvre type toutemmaillot de blanc ma fait une triste impression. Venantaprs les folichonnes histoires de ton ami le manchot, savue ma brouill lestomac. Cherchons un endroit o nouspourrons boire un coup.

    Ils avancrent un moment en silence et bientt unelanterne de couleur apparut, indiquant la porte de servicedun grand restaurant.

  • Ils firent le tour du btiment pour chercher lentreprincipale. Dans le vestibule luxueusement meubl, ungaron regarda dun air pinc leurs robes dgoulinantesdeau. Sans soccuper de lui, ils gravirent lescaliermonumental qui menait une belle porte sculpte. Layantfranchie, ils dcouvrirent une vaste salle manger danslaquelle de nombreux convives bavardaient gaiement.

  • 6UN POTE IVRE CHANTE LES BEAUTS DE LA LUNE. TSIAOTA FAIT LA CONNAISSANCE DUNE JOLIE CORENNE.

    LLGANCE des clients installs devant les tables

    de marbre fit comprendre aux deux amis que les tarifs dece restaurant seraient au-dessus de leurs moyens.

    Filons ailleurs, chuchota Ma Jong.Comme ils faisaient demi-tour, un homme maigre,

    assis une table proche de lentre, se leva et dit dunevoix pteuse :

    Venez me tenir compagnie, Messieurs. Rien nemattriste autant que de boire seul !

    Il posa sur eux un regard larmoyant auquel des sourcilscomiquement arqus donnaient un air de perptuelleinterrogation. Sa robe bleu fonc avait t taille dans unesoie coteuse, mais son col tait tach, et de son hautbonnet de velours schappaient des mches en dsordre.Il avait d boire dj plus dune coupe de vin, en juger parson visage congestionn et la rougeur de son grand nezmince.

    Puisque Monsieur nous le demande, arrtons-nousun peu, dit Tsiao Ta.

  • mi-voix, il ajouta : Je ne voudrais pas que le rustre en bas simagine

    quon nous a flanqus dehors !Ils sassirent donc, et leur hte commanda

    immdiatement deux cruchons de vin. Quelle est votre honorable profession ? senquit

    poliment Ma Jong ds que le garon se fut loign. Je me nomme Po Kai, rpondit le maigre

    personnage, et je suis lemploy principal de larmateur YiPen.

    Vidant sa tasse dun trait, il ajouta en se rengorgeant : Mais jcris aussi des vers apprcis des

    connaisseurs ! Puisque vous nous offrez boire, nous passerons

    l-dessus ! rpliqua gnreusement Ma Jong.Renversant la tte en arrire, il leva le gros cruchon et

    en fit lentement couler la moiti du contenu dans sa gorge,imit ensuite par Tsiao Ta.

    Admirable ! scria le pote, merveill. Ici, il estdusage demployer des coupes, mais personnellementjadmire laimable simplicit de votre mthode.

    Nous avions un srieux besoin de nous rafrachir,voil tout, expliqua Ma Jong en sessuyant la bouche avecsatisfaction.

    Po Kai emplit nouveau sa coupe. Cest cela, sexclama-t-il, racontez-moi une bonne

    histoire. Vous autres qui avez lhabitude de courir lesgrands chemins, vous menez une vie si intressante !

    Courir les grands chemins ? rpta Ma Jong avec

  • indignation. Surveillez votre langage, lami. Nousappartenons au tribunal.

    Les sourcils de Po Kai trouvrent le moyen desarrondir encore davantage.

    Apporte-nous le plus gros cruchon de vin que tupourras trouver, cria-t-il au serveur. Puis, sadressant sesinvits, il demanda :

    Ainsi, cest vous qui tes arrivs aujourdhui avec lenouveau magistrat ? Vous ne devez pas tre depuislongtemps son service car vous navez pas lexpressionbate des gens du Yamen.

    Avez-vous connu le dfunt juge ? senquit Tsiao Ta.Ctait aussi un pote, parat-il.

    Je suis ici depuis fort peu de temps, rpliqua leurhte. Posant brusquement sa coupe, il sexclama : Je tiensle dernier vers de mon grand pome en lhonneur de lalune. Regardant les deux amis dun air solennel, ildemanda : Voulez-vous que je vous le rcite ?

    Non ! cria Ma Jong, horrifi. Je vais le chanter, alors. Ma voix est assez jolie, et

    je suis sr que toute la compagnie apprciera mon talent. Non, ne faites pas cela ! le supplirent en mme

    temps ses invits. Voyant lexpression malheureuse dupauvre garon, Tsiao Ta ajouta :

    Nous ne tenons pas la posie sous quelqueforme que ce soit.

    Cest dommage ! soupira Po Kai. Vous vousintressez peut-tre au bouddhisme ?

    Nous chercherait-il querelle ? demanda

  • souponneusement Ma Jong son compagnon. Non, il est ivre, rpondit Tsiao Ta. Se penchant vers

    le pote, il dclara : Jespre que vous ntes pas unsectateur de Bouddha ?

    Je suis son fervent dvot ! rpliqua Po Kai dun tonpinc. Je frquente le temple du Nuage blanc. Le preabb est un saint homme, et le prieur Houei-pen prche lesplus beaux sermons du monde. Lautre jour

    Tsiao Ta lui coupa la parole pour demander : Vous navez plus soif ?Le pote lui jeta un regard de reproche, puis, poussant

    un profond soupir, il se leva et dit dun ton rsign : Allons boire avec ces demoiselles, alors ! Voil qui est parler ! scria Ma Jong plein

    denthousiasme. Vous connaissez lendroit ? Le cheval ne retrouve-t-il pas toujours son curie ?

    rpliqua Po Kai. Il paya laddition et tous trois sortirent.Au-dehors, la brume tait plus paisse que jamais.

    Leur guide les conduisit derrire le restaurant et,sapprochant du canal, siffla dans ses doigts. La lanternedun sampan mergea de lobscurit.

    Po Kai sauta dans la petite embarcation encommandant :

    Aux bateaux ! H l ! scria Ma Jong. Ntait-il pas question

    daller voir les filles ? Mais bien sr ! rpliqua Po Kai dun ton dsinvolte.

    Montez. Et toi, batelier, prends par le raccourci. Cesmessieurs sont presss.

  • Il se faufila sous le toit de paille tandis que sescompagnons saccroupissaient ct de lui. La lgreembarcation senfona dans le brouillard sans quon pertdautre son que le floc de laviron frappant leau. Au boutdun moment, ce bruit mme cessa et le bateau continuade glisser en silence tandis que le batelier teignait salanterne. Bientt le sampan sarrta.

    Posant sa grosse patte sur lpaule de Po Kai, MaJong murmura :

    Si cest un traquenard, je vous tords le cou. Ne dites pas de btises, rpliqua le pote.On entendit un bruit mtallique et le bateau reprit sa

    marche. Nous venons de passer travers la grille de

    protection du canal, expliqua Po Kai. Il y a une brche dansle treillis cet endroit, mais nallez surtout pas raconter lachose au tribunal !

    Les coques noires dune range de jonquesapparurent.

    La deuxime, comme dhabitude, commanda lepote au batelier.

    Quand le sampan se fut immobilis prs de la jonque,Po Kai remit quelques sapques lhomme et grimpa,suivi de ses invits. Se faufilant entre les petites tables etles tabourets pars, il alla frapper la porte dune cabine.Une grosse femme vtue dune robe de soie noire pas trsfrache se montra. Dcouvrant des dents noirtres en unsourire prtention aimable, elle scria :

    Soyez le bienvenu, monsieur Po Kai, et suivez-moi

  • avec ces messieurs.Ils descendirent une chelle assez raide et se

    trouvrent dans une vaste cabine claire par deuxlampions suspendus aux poutres du plafond. Les troishommes sassirent devant une table qui occupait la plusgrande partie de lespace disponible. Aussitt, un individuaux traits grossiers apporta un plateau charg de tasses etde cruchons.

    Tout en servant le vin, Po Kai demanda : O est donc mon cher collgue et ami Kim Sang ? Il nest pas encore arriv, rpondit leur htesse,

    mais nayez pas peur, vous ne vous ennuierez pas enlattendant.

    Elle fit un signe au garon. Ce dernier ouvrit la porte dufond et quatre jeunes femmes entrrent, vtues seulementde lgres robes dt. Po Kai accueillit leur arrive avecun bruyant enthousiasme et, faisant asseoir une fille dechaque ct de lui, dclara :

    Je prends ces deux-l. Oh ! pas pour ce que vouspensez seulement afin dtre sr que ma tasse ne serajamais vide !

    Ma Jong invita du geste une petite personne poteleau visage tout rond venir prs de lui, et Tsiao Taengagea la conversation avec la quatrime de ces dames.Assez jolie, elle se nommait Yu-sou et, bien que denationalit corenne, parlait parfaitement le chinois. Pourlinstant, elle semblait toutefois dhumeur morose etnouvrait la bouche que pour rpondre brivement sesquestions.

  • Votre pays est trs beau, dit-il en passant un brasautour de la taille de la jeune femme. Je lai parcourupendant la dernire guerre.

    Sa partenaire le repoussa aussitt en lui lanant unregard charg de mpris. Tsiao Ta comprit sa gaffe.

    Les Corens sont dexcellents soldats, sempressa-t-il dajouter. Ils se sont trs bien conduits, mais ont dsincliner sous le nombre.

    Yu-sou neut pas lair dentendre. Ne fais pas ta mijaure, ma petite, intervint la

    patronne. Souris un peu et rponds quand on te parle. Laissez-moi tranquille, rpliqua la fille. Mon client ne

    se plaint pas, que je sache !Levant la main pour la gifler, la grosse femme glapit : Je vais tapprendre la politesse, ma mignonne ! Vous, ne la touchez pas ! dit Tsiao Ta en la

    repoussant. Montons sur le pont, scria Po Kai. Je sens dans

    mon foie que la lune vient de se montrer. Kim Sang serabientt l !

    Moi, je reste ici, dit la jeune Corenne Tsiao Ta. Comme il vous plaira, rpondit-il en suivant les

    autres.Une lune mlancolique clairait les jonques amarres

    le long de la muraille denceinte. Par-del les eauxsombres de la crique on apercevait la silhouette de la riveoppose.

    Ma Jong sassit sur un tabouret bas et attira sagrassouillette partenaire sur ses genoux. Po Kai poussa

  • ses deux compagnes vers Tsiao Ta. Occupez-vous delles, dit-il. prsent, mon esprit

    plane plus haut.Debout les mains derrire le dos, il regarda la lune

    dun air extasi. Aprs plusieurs minutes de cettecontemplation, il scria soudain :

    Puisque vous insistez tous, je vais vous chantermon dernier pome ! Allongeant son cou dcharn, ilentama dune voix de fausset :

    Compagne sans pareille de nos chants et de nos

    danses,Amie des mes joyeuses, consolatrice des affligs,

    lune, lune argente Il sarrta pour reprendre haleine puis, brusquement,

    se mit couter. Jentends des sons inharmonieux, dclara-t-il. Jallais faire la mme remarque, dit Ma Jong.

    Cessez donc votre tapage, vous voyez bien que je suis enconversation avec cette jeune personne.

    Je faisais allusion aux sons qui viennent den bas,expliqua le pote. Jimagine que llue de votre ami est entrain de recevo