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    INTRODUCTION GNRALE SUR LE CONTENTIEUXADMINISTRATIF

    traduit du nerlandais

    1. INTRODUCTION

    Le clbre juriste du XIXe sicle Edmond Picard a crit pour chaque volumede son monumental ouvrage Pandectes Belges une courte introduction danslaquelle il traite de lun ou lautre aspect de la vie judiciaire1. Dans leprologue du quatrime volume de 1880, Picard stonne du fait quen plus duvaste appareil judiciaire, avec ses justices de paix, ses tribunaux de droitcommun et du commerce, ses cours dappel et dassises, ses tribunaux deguerre et sa Cour de Cassation, il y ait dautres instances judiciaires enBelgique2. Ses observations sur ces juridictions administrativesde 1880 sontencore trs pertinentes aujourdhui. Lauteur sinterrogeait en effet sur lebien-fond de ces juridictions, en marge du pouvoir judiciaire. Quellescomptences avaient-elles? Selon Picard, lexistence des juridictions delpoque tait difficilement conciliable avec les principes de la pratique du

    droit. Il plaidait donc pour une rorganisation des juridictions (et pour lacration dun Conseil dtat). Lobjectif de ce rpertoire est de soulever uncoin du voile en rendant systmatiquement compte de toutes les juridictions,avec leurs comptences respectives.

    Les juridictions administratives, qui ressortent en principe du pouvoirexcutif, sont ce jour assez mal connues, lexception sans doute du clbreConseil dtat. Elles sont comme entoures dun voile de mystre. Leursjugements sont rarement publis et leur grande diversit se prte mal unportrait gnral. Dans la littrature juridique, elles sont frquemment la ciblede critiques contre leur mode de fonctionnement et de remises en cause deleur existence. Elles sont pourtant profondment ancres dans la Constitution.

    On lira dans chaque syllabus ou manuel de droit public que la Constitutionspare en deux groupes les contentieux au sujet desquels un juge peut seprononcer: les contentieux sur les droits civils dune part, les contentieux surles droits politiques de lautre. Les cours et les tribunaux de lordre judiciairesont en principe exclusivement comptents pour les contentieux portant surles droits civils. Les contentieux sur les droits politiques sont en principe aussi

    1Edmond Picard (1836-1924), docteur en Droit (ULB), fit un stage davocat auprs de Jules LeJeune, homme de lettres et journaliste, snateur socialiste de 1894 1908 et ultrieurementministre, fut plusieurs fois btonnier de lOrdre des Avocats, fonda avec lditeur FernandLarcier en 1881Le Journal des Tribunaux, fut aussi fondateur de la Libre Acadmie Picard etde lUniversit Nouvelle. Son rle public sacheva aprs la Premire Guerre mondiale.DUPONT, L., Edmond Picard, FIJNAUT, C., Gestalten uit het verleden, 97-107.2PICARD, Des juridictions administratives, Pandectes belges, vol. IV, 1880, XLV-LXI.

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    soumis aux cours et aux tribunaux, moins que le lgislateur ait expressmentconfi une comptence en la matire une juridiction administrative. Leproblme, cest que la plupart des manuels sen tiennent cette brveexplication, esquivant ainsi une difficult fondamentale, savoir le fait quilnexiste pas de dfinition claire des droits civils et des droits politiques. Maisnous y reviendrons.

    Dans quelle mesure un citoyen peut-il contester une dcision publique et quel juge peut-il faire appel? Cest prcisment dans la dfense du citoyencontre le pouvoir public que les juridictions administratives jouent un rledterminant. Le concept de protection juridique est troitement li au conceptdtat de droit. Le pouvoir excutif doit en effet respecter la loi. Cela peutparatre trange, mais le pouvoir excutif doit protger lui-mme ses citoyenscontre larbitraire du pouvoir excutif. En thorie, le systme doit treorganis de manire ce que le citoyen puisse trouver auprs dun pouvoirprotection contre un autre pouvoir. Une telle protection juridique ne peut treofferte que si larbitrage dun conflit est confi un corps indpendant quipeut par sa dcision annuler lacte irrgulier des pouvoirs publics. Il est

    dusage de dire que la maturit dun tat et son respect pour le citoyen semesurent au degr de perfection de sa protection juridique. Il existe plusieursmanires doffrir cette protection. La France a ainsi cr un Conseil dtatcharg de se prononcer sur les contentieux administratifs, ce qui a donnnaissance un droit administratif spcifique. De par la stricte sparation dudroit public et du droit priv en France, un juge de droit commun est enprincipe habilit prendre connaissance des contentieux administratifs. EnGrande-Bretagne, ladministration est en principe soumise la juridiction dujuge au mme titre que les citoyens. Le systme belge est une sorte decompromis entre le systme franais avec son Conseil dtat et le systmeanglo-saxon avec la comptence globale du juge3.

    Les juridictions administratives sont peu, pour ne pas dire pas du tout,connues des historiens. La littrature est produite par des juristes quisintressent peu au contexte de cration et lvolution de lorganisation, etnoffre donc pas dimage gnrale sur le long terme. Pour combler cettelacune, notre projet dtude adopte un point de vue historique et se concentresur lhistoire, lorganisation, les comptences et le fonctionnement desdiverses juridictions. Ces juridictions ne sigent pas de manire permanente.Elles sont souvent en veilleuse et ne se runissent que quelques fois par an au

    3MAST, Geschillen van bestuur, 9-15. LEMASURIER, Le contentieux administratif en droitcompar. VANDE LANOTTE, Administratieve rechtscolleges, 99-151 dresse un tableaucomplet du systme de tribunaux administratifs dans les pays voisins. Il est intressant de noter

    que la Grande-Bretagne a galement cr un certain nombre de juridictions administratives.

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    sige de leur administration de tutelle. Elles sont gnralement constituesdun magistrat (prsident) et de quelques experts ou fonctionnaires. Lesecrtariat est frquemment confi un fonctionnaire du ministre de tutelle,qui est responsable de la conservation des archives.

    Lobjectif de cette tude constitue une tche complexe. Peu de juristes se sont

    hasards dresser un tableau gnral des tribunaux administratifs.Lexpression "juridiction administrative" est en Belgique un terme fourre-toutcar il existe des dizaines de juridictions dans les domaines les plus divers. Desjuristes de renom ont vu dans les juridictions administratives "une collectiontrs varie", "une gamme trs confuse", "un labyrinthe", "cette mosaquejuridictionnelle, faite dorganes disparates et crs occasionnellement", "unsystme incohrent et chaotique", "une remarquable impression de dsordre etdincohrence" et les jugent "sans la moindre planification, trs ingales etcres au gr des circonstances". Les chiffres les plus divers circulent sur lenombre exact de juridictions. Nous avons trouv les chiffres les plus fiablesdans les tudes de Moureau et Vande Lanotte. Moureau estime 250 leurnombre en 1967, avant la rforme judiciaire. Vande Lanotte parle en 1995 de

    quelque 65 juridictions. Nous avons perdu courage en apprenant que selonCoppens "dresser leur inventaire est tche impossible"4.

    Cette tude des institutions peut paratre assez rbarbative et technique, maisle lecteur ne doit pas perdre de vue que les juridictions administrativesprennent des dcisions dans des affaires qui peuvent avoir un grand impact surla vie quotidienne des citoyens. titre dexemple, le conseil de milice, leconseil de rvision et le conseil de lobjection de conscience se prononaientautrefois sur les demandes dexemption du service militaire pour des motifsmoraux, mdicaux ou thiques. Cest donc eux qui dcidaient si un jeunehomme faisait ou non son service militaire. On peut sadresser lacommission permanente de recours des rfugis pour aller en appel du refus

    daccorder le statut de rfugi politique. Les commissions de librationconditionnelle dcident du sort des dtenus. Les commissions de dfensesociale jugent si une personne est atteinte de troubles mentaux ou non etjugent de la libration des interns. Les tudiants contestant les rsultats

    4Respectivement dans: ALEN,Algemene beginselen, 240. SUETENS,Administratief recht, 42.VANDEKERCKHOVE, Geschillen van bestuur, 29. DELPEREE, Is de oprichting vanadministratieve rechtbanken in Belgi gewenst? TBP, 1977, 255. VELU, La protectionjuridictionnelle du particulier contre le pouvoir excutif,74. STASSEN, Introduction ltudede la rforme du contentieux administratif, RJDA, 241. LESPES, Les juridictionsadministratives du premier degr: Annales de droit et de sciences politiques , 317. SENELLE,Grondwet, 353. MOUREAU, La rforme de lorganisation du contentieux administratif dupremier degr, RJDA, 66. COPPENS, Voor wanneer administratieve rechtbanken in Belgi?

    RW, 912.

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    obtenus aux examens peuvent depuis 2005 sadresser au conseil pour lescontestations dexamens. Le conseil de la concurrence dcide sil y a eu ounon abus de position conomique dominante. Toute personne nayant pasdroit des allocations sociales comme une pension, des indemnits dechmage ou une bourse dtudes peut depuis longtemps faire appel auprsdune juridiction administrative. Limpact pratique de ces organes dans la viecourante est parfaitement illustr dans le remarquable petit livre de Geert VanIstendael et Johan Vande Lanotte intitulDe Procedure5.

    2. QUEL JUGE EST COMPTENT?

    Le citoyen en qute de justice doit pouvoir sadresser au bon tribunal, ce quinest pas toujours une entreprise aise. Il faut dabord se demander si on aaffaire un contentieux subjectif ou objectif. Un droit subjectif est un droitqui existe au titre dun sujet de droit quand celui-ci peut exiger dun autresujet de droit quil pose un certain acte ou quil sen abstienne sur base dunenorme du droit objectif directement contraignante pour ce dernier sujet de

    droit et par lequel le sujet de droit qui exige lexcution de cette obligation aun intrt propre suffisant dans cette excution. Dans les rapports entre lecitoyen et les pouvoirs publics, le citoyen jouit dun droit subjectif vis--visde lautorit lorsque lautorit a une comptence contraignante, cest--direlorsque la norme du droit objectif dtermine la teneur ou lobjet dunedcision que doit prendre lautorit ds lors que les conditions requises sontremplies, de sorte que le citoyen peut exiger un certain comportement sur basedes normes de lautorit. Les contentieux objectifs portent sur la lgalit ou lerespect des normes du droit objectif. De tels contentieux sont soumis par la loiaux juridictions administratives (comme lappel lannulation dactesjudiciaires auprs du Conseil dtat ou des juridictions disciplinaires desOrdres professionnels).

    On distingue dans les droits subjectifs les droits civils et les droits politiques.Larticle 144 de la Constitutionaccorde aux cours et aux tribunaux du pouvoirjudiciaire le pouvoir de juridiction exclusif de prendre connaissance descontentieux portant sur les droits civils6. Larticle 145de notre Constitution

    5VAN ISTENDAEL et VANDE LANOTTE,De procedure.6Art. 144 (art. 92 avant la coordination de la Constitution de 1992-93): "Les contestations quiont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux ". Larticle sinspiredes articles 165, 166 et 183 de la Constitution de 1815:Alle twistgedingen over eigendom ofdaaruit voortspruitende regten, over schuldvordering of burgerlijke regten, behoren bijuitsluiting tot de kennis van de regterlijke magt. Het beleid der criminele justitie wordt bijuitsluiting aan de provinciale hoven en regtbanken, welker oprigting daartoe zal nodig worden

    bevonden, toevertrouwd. De regterlijke macht wordt alleen uitgeoefend door regtbanken, welke

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    donne au lgislateur la possibilit de soustraire au pouvoir judiciaire lecontentieux sur les droits politiques7. Comme Andr Mast, les juges duConseil dtat, de la Cour de Cassation et de la Cour dArbitrage partaienttoujours du principe de la prsomption de constitutionalit. Chaque fois que lelgislateur soumettait un contentieux sur un certain droit une juridictionadministrative, il tait ncessairement question dun droit politique. Cest cequon appelle le critre organique (voir plus loin). En fait, Mast utilisait ici clairement par pragmatisme un raisonnement en boucle qui ne permet pas apriori de qualifier des droits de politiques. De cette manire, le lgislateurpourrait considrer nimporte quel droit comme un droit politique.

    Dans limportant arrt du 18 mars 1997, la Cour dArbitrage changea daviset renona au critre organique. De quoi sagissait-il ? Le Conseil dtat avaitpos la Cour dArbitrage la question prjudicielle de savoir si lescontentieux sur lasile politique, qui avaient t soumis la commissionpermanente de recours des rfugis (une juridiction administrative), portaientsur des droits politiques ou des droits civils. Dans ce dernier cas, ny avait-ilpas violation du principe dgalit puisque tous les contentieux portant sur les

    droits civils taient de la comptence du pouvoir judiciaire? La CourdArbitrage rpondit que "les dcisions sur les demandes de reconnaissancedu statut de rfugi sont des dcisions portant sur un droit politique, puisqueles pouvoirs publics interviennent ici dans lexercice dune fonction qui portesur les prrogatives de lautorit publique de ltat". Le lgislateur peut donclaisser de telles dcisions une juridiction administrative. Limportance de cetarrt rside surtout dans le fait que la Cour dArbitrage se considre depuislors comptente (en vertu des articles 10 et 11 de la Constitution) pour

    bij of ten gevolge deze grondwet worden ingesteld. VELAERS,De Grondwet en de Raad vanState, 462-475. PAS, De grondwet,197-199. RIMANQUE, De grondwet toegelicht, 289-291.SENELLE, Grondwet, 348. THONISSEN, Constitution belge annote, 263-275. MAST,Geschillen van bestuur, 42-48.7Art. 145 (ancien art. 93): "Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont duressort des tribunaux sauf les exceptions tablies par la loi". Clauses empruntes lart. 187 dela Constitution de 1815 : De wet regelt de judiciature wegens geschillen en overtredingen ophet stuk van de belastingen zonder onderscheid. Par cette clause, les Etats Gnraux pouvaientretirer larbitrage des contentieux fiscaux au pouvoir judiciaire. VELAERS, Grondwet, 462-475. PAS, Grondwet, 145-146. RIMANQUE, Grondwet, 292-293. SENELLE, Grondwet, 349-351. On peut mentionner entre parenthses que lart. 145 apparat plusieurs fois dans ladclaration de rvision de la Constitution. titre de justification, il est fait tat de "la grandeincertitude qui rgne sur la signification et la description des concepts de droits politiques etdroits civils. La commission a jug quil y avait lieu de mettre fin aux problmes decomptence qui en dcoulent car ils ralentissent et compliquent le fonctionnement destribunaux de justice et administratifs et portent srieusement prjudice aux sujets de droit"(Doc. Parl. Chambre, 1964-65, 993/1, 13-14 et dans le mme sens, Doc. Parl. Snat 1978-79,

    476/5, 20-21).

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    "apprcier si le lgislateur, en confiant un contentieux une juridictionadministrative a implicitement considr tort ou raison ces droits commedes droits politiques".

    Le spcialiste de la Constitution Andr Alen fait valoir dans son commentairede cet arrt les lourdes consquences que pourrait avoir le fait que la Cour

    dArbitrage peut juger si le lgislateur a retir tort ou raison certainscontentieux au juge civil. Selon Alen, dautres questions prjudicielles de cetype pourraient bien tre poses lavenir. Cela pourrait amener devoirdclarer inconstitutionnelles certaines juridictions (dont il est difficile de diresi elles se prononcent sur des droits politiques)8. Dans les annes suivantes, detelles affaires furent effectivement soumises aux tribunaux. Dans larrtn133/2001, la Cour dArbitrage tudie si la commission dappel auprs duservice de contrle mdical de lINAMI se prononce propos de droitspolitiques. La rponse est convaincante: la Commission agit "dans lexercicedune fonction qui est en rapport avec les prrogatives de lautorit publiquede ltat". La cration dune juridiction tait donc fonde. Partant du critrematriel (voir plus loin), la Cour dArbitrage rpta la mme formulation

    strotype dans les arrts 26/2002, 23/2003 et 49/2003.Larticle constitutionnel 146 stipule enfin que toute juridiction contentieusedoit tre cre par le lgislateur9. Les juridictions qui ne sont pas cres envertu dune loi, mais par arrt royal ou dcret sont donc inconstitutionnelles.Les rformes de ltat successives (1980-1988) posrent des problmes toutes les juridictions administratives qui taient comptentes pour desmatires qui avaient t communautarises. En dpit de cet article de laConstitution, divers lgislateurs rgionaux trouvrent des chappatoires pourcrer un certain nombre de juridictions: la commission disciplinaire et leconseil disciplinaire pour la pratique du sport dans le respect des impratifs desant, le conseil flamand des contentieux pour la radio et la tlvision, le

    conseil dappel des allocations dtudes de la Communaut flamande, de laCommunaut franaise et de la Communaut germanophone, la commission

    8 Cour dArbitrage, arrt n 14/1997 du 18/03/1997. ALEN, Le contrle de la CourdArbitrage sur la qualification lgale des droits politiques dans le sens de lart. 145 de laConstitution: davantage de protection juridique, mais moins de scurit juridique,RW, 1996-97,1423-1428. BLERO, Les droits subjectifs, les droits civils et les droits politiques dans laConstitution. Observations relatives larrt de la Cour dArbitrage 14/97, APT, 1997, 233-279.9Art. 146 (ancien art. 94): "Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut tre tabli quenvertu dun loi. Il ne peut tre cr de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelquednomination que ce soit". La deuxime phrase a t emprunte larticle 57 de la Constitutionfranaise de 1830. VELAERS, Grondwet, 476-485. PAS, Grondwet, 146-147. RIMANQUE,

    Grondwet, 294. SENELLE, Grondwet, 352-359.

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    dappel du Fond spcial dassistance de la Communaut flamande et de laCommunaut franaise. La Cour dArbitrage jugea aussi dans larrt 25/97que le lgislateur rgional flamand avait outrepass ses comptences en crantla commission dappel du Fonds flamand pour lintgration sociale despersonnes handicapes (par le dcret du 27 juin 1990). Cette juridictionadministrative se prononait sur des contentieux concernant les dcisions duFonds flamand propos de la dispense de diverses sortes dassistances auxpersonnes handicapes. La Constitution nautorisant pas le lgislateur rgional crer des juridictions administratives, la Cour dArbitrage conclut que lacration de la commission dappel avait port atteinte la rpartition descomptences entre tat, communauts et rgions. Le lgislateur rgionalremplaa en toute hte la commission dappel par une commissionconsultative avec possibilit dappel auprs du tribunal du travail10.

    Pour viter de tels problmes, il fut dcid lors de la rforme de ltat de1993-94 dadapter les articles 10 et 19 de la loi spciale de rformeinstitutionnellesde manire ce que les Communauts et les Rgions puissentagir en vertu de leurs comptences implicites dans des domaines qui taient

    jusque l exclusivement rservs au lgislateur fdral. partir du 30 juillet1993, les lgislateurs rgionaux purent donc crer des juridictionsadministratives, mais dans les strictes conditions imposes par la CourdArbitrage. Les lgislateurs rgionaux ne pouvaient agir sur le terrain deslgislateurs fdraux que si la cration dune juridiction par le lgislateurrgional tait considre comme ncessaire pour lexercice des comptencesde la Communaut ou de la Rgion. La Cour dArbitrage dit en outre dans sonarrt que la matire doit se prter un traitement diffrenci et que la crationde la juridiction ne peut avoir quun impact marginal sur les comptencesfdrales. Suite la (mini) rforme de ltat de 2001, la formule "aprslentre en vigueur de la loi spciale de rforme des institutions" a t rajoute larticle 19. Une distinction est ainsi faite entre les matires rserves quientrent dans le cadre de la Constitution datant davant et daprs la rformeconstitutionnelle de 1980. Pour ce qui concerne les clauses de la Constitutiondatant daprs la rforme constitutionnelle, le mot "loi" doit en principeprendre un sens de distribution des comptences. Pour ce qui concerne lesclauses constitutionnelles datant davant 1980, il est vident que le lgislateurne pouvait pas tre conscient de cet aspect du mot " loi". Par cette distinction,

    10Mme le Conseil dEtat a estim quune juridiction cre en vertu dune loi ne peut pas treremplace par sa propre juridiction (C.E. Cas de lasbl Institut Mdical de Menin, n41.909 du

    8/02/1993). Voir aussi les notices mentionnes.

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    la comptence du lgislateur rgional de crer des tribunaux administratifs estencore une fois confirme et quelque peu claircie11.

    3. UNE DISCUSSION SUR LE SEXE DES ANGES

    La rpartition des comptences entre les tribunaux de droit commun et lesjuridictions administratives telle quelle a t dcrite plus haut est tout saufsimple et ne contribue gure lefficacit de ladministration de la justice. Ladistinction entre droits civils et droits politiques semble artificielle etthorique. Personne ne semble savoir ce que sont exactement les droitspolitiques. La Constitution ne propose pas de dfinition des concepts et lesdbats du Congrs National napportent pas non plus de rponses. Lajurisprudence na pourtant pas pargn les efforts pour parvenir unedescription du concept. Elle a mme donn lieu de longues discussionsacadmiques auxquelles ont particip nos plus minents jurisconsultes.Initialement, la notion de droit civil tait interprte au sens strict. taientconsidrs comme des droits civils les droits des particuliers dans leurs

    relations mutuelles. Selon la jurisprudence du XIXe sicle, les droits taientpratiquement inexistants dans la relation entre les particuliers et ltat.

    Avec le temps, une tendance se dessina de confier au pouvoir judiciaire unecomptence exclusive, le droit civil prit un sens plus large et les droitspolitiques un sens trs limit. Dans larrt Flandria du 5 novembre 1920, laCour de Cassation dcida que les droits civils "sont les droits qui sontorganiss dans la Constitution Civile et dans les lois complmentaires".Paralllement, on sen tenait une dfinition stricte des droits politiques12.Les droits politiques taient limits de cette manire au droit de vote et audroit dtre lu. Selon le Procureur Gnral Paul Leclerq, une juridictionadministrative ne se prononait pas sur un droit mais sur une faveur

    lorsquelle dcidait daccorder une allocation sociale. Il faut garder lespritque le citoyen de lpoque a trs peu de contacts avec ltat et que le domaine

    11Art. 19 de la loi spciale de rformes institutionnelles (MB 15.08.1980), modifi par la loispciale visant achever la structure fdrale de ltat du 16.07.1993 (MB 20.07.1993) et la loispciale portant transfert de diverses comptences aux rgions et communauts du 13.07.2001(MB3/08/2001). Voir aussi PAS, De door de grondwet aan de wet voorbehoudenaangelegenheden, ALEN, De 5e staatshervorming van 2001, Bruges, 2002, 54-59. Disc. Parl.de la loi spciale de rformes institutionnelles, voir SEUTIN, De nieuwe bevoegdheden vanGemeenschappen en Gewesten,195-205. Voir aussi larrt de la Cour dArbitrage n49/2003.12Les droits politiques au sens de larticle 93 de la constitution sont lensemble des droits departiciper lexercice des pouvoirs qui manent de la nation, ils appartiennent lhomme entant quil est citoyen (Cass, 14/04/1921, Pas, I, 138 et Cass, 11/05/1933, Pas, I, 222 cit dans

    LENAERTS,Burgerlijke, 22-23).

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    dapplication des droits politiques est trs restreint. On peut conclureglobalement que les droits lis au statut de personnes naturelles ou les droitsqui concernent exclusivement les rapports entre les individus (comme lescontrats, la vente, la location) sont des droits civils. La plupart desjurisconsultes sentendent aussi dire que le ius tributi (le droit relatif auximpts), le ius suffragii (le droit au suffrage), le ius honorum (le droit relatif la fonction publique) et le ius militiae (le droit relatif la milice) sont desdroits politiques13.

    Sur base de larticle 158 de la Constitution, la Cour de Cassation estcomptente pour les conflits dattribution, cest--dire les conflits decomptence entre les cours et les tribunaux et les juridictions administratives.Cette comptence est rgle par les articles 33 et 34 de la loi du Conseil dtat qui dsignent la Cour de Cassation comme linstance comptente pourprendre connaissance dun pourvoi en cassation contre un arrt du Conseildtat sexprimant sur une exception dincomptence, sur une demande derglement dun domaine juridique.

    4. RSUM HISTORIQUE

    4.1. Lpoque de la Rvolution franaise

    Sous lAncien Rgime en France, le roi tait un monarque de droit divin. Ilpromulguait des lois et dirigeait lappareil administratif selon son bon vouloir.Il nommait les juges qui statuaient au nom du roi et ne refusait pas de jouerles juges lui-mme. Il y avait un vritable labyrinthe dorganes judiciaires:tribunaux sculiers, rguliers, cours fodales,cours allodiales,juridictions demagistrats, etc. La Rvolution Franaise se solda naturellement par ledmantlement des structures en place et lintroduction dune strictesparation des pouvoirs base sur les ides de Montesquieu (telles quelles

    sont exposes dans De lesprit des lois). Montesquieu distinguait troispouvoirs: le lgislatif, lexcutif et le judiciaire. Ils doivent la fois secontrler les uns et les autres et fonctionner ensemble. Les anciens tribunaux,qui staient opposs toutes sortes de rformes fiscales, politiques, socialeset conomiques, reprsentaient labsolutisme aux yeux des rvolutionnaires.La crainte quils feraient obstacle la rvolution se traduisit par une fortedominance du pouvoir lgislatif et du pouvoir excutif au dtriment dupouvoir judiciaire.

    13Pour une bonne analyse de ce dbat, voir BLERO, Les droits subjectifs, les droits civils et lesdroits politiques dans la Constitution, AP(T), 1997(21), 4, 233-279 (base sur sa thse dedoctorat indite). CAMBIER, Principes, vol.1, 284-337. LEROY, Contentieux administratif,

    82-97. MAST, Geschillen van bestuur, 54-58.

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    Lide que le citoyen devait tre protg contre les actes de ladministrationfit trs lentement son chemin dans les esprits. Avec les clauses du dcret des1-5-15 octobre 1789, reprises dans la Constitution du 14 septembre 1791, lepouvoir judiciaire jouit initialement de tout le pouvoir en matire juridique. Ledcret des 16-24 aot 1790 constitue la base de lorganisation judiciaireactuelle. Les privilges furent supprims au nom de lgalit: tous les citoyenssans distinction furent dsormais traduits devant les mmes tribunaux. Lesjugements pnaux taient du ressort du tribunal criminel compos de douzejurs populaires tirs au sort. Dans dautres domaines, les jurys populairesfurent carts et on opta pour des nouveaux tribunaux constitus de magistratslus: tribunaux de police, justices de paix, tribunaux de commerce, tribunauxde droit commun (tribunaux de district), cours dappel et une cour decassation pour garantir la cohsion de la jurisprudence. La Constitution delan VIII mit toutefois rapidement fin lexprience des juges lus (Napolondcida de choisir lui-mme les juges et dcrta leur inamovibilit). Dautresinnovations manaient du fait que les fonctions excutives et judiciairestaient strictement spares, ce qui rendait toujours possible une double

    disposition et faisait que les jugements et les arrts devaient tre motivs ettays "au nom du Peuple franais"14.

    La comptence des tribunaux fut limite par la Convention en vertu du dcretdes Conflits du 16 Fructidor de lan III (2 septembre 1795). Toutes lesmatires dans lesquelles ladministration ou des fonctionnaires furentimpliqus taient soustraites la juridiction des tribunaux, sauf autorisationexpresse des autorits15. Lide tait de mettre fin aux nombreux contentieuxcauss par lintroduction des impts rvolutionnaires (qui faisaient tort auTrsor). Ces contentieux furent dsormais arbitrs par le chef dtat enpersonne, aprs avis du Conseil dtat16. On appela cela le systme de la"garantie administrative". Paradoxalement, cest l que rsident les racines

    14 Dcret du 1-5-15 octobre 1789 contenant les articles constitutionnels sur la nature dugouvernement, les pouvoirs lgislatif, excutif et judiciaire. Constitution franaise du 3-14septembre 1791 (Pas, 1esrie, tome 1, 239-257). Dcret du 16-24 aot 1790 sur lorganisationjudiciaire (Pas, 1esrie, tome 1, 310-333).15 Dcret du 16 Fructidor de lan III qui dfend aux tribunaux de connatre des actesdadministration et annule toutes procdures et jugements intervenus cet gard (Pas, 1 esrie,tome 7, 33-40). En vertu du dcret du 21 fructidor de lan 3 relatif aux fonctions des corpsadministratifs et municipaux, le ministre de la Justice et le Directoire excutif rglaient lesconflits de comptences (Pas, 1esrie, tome7, 44-46). Exemples: arrt du 2 Germinal an 5 quiordonne la dnonciation au tribunal de cassation de deux jugements rendus par les tribunauxcivils dans une affaire du ressort des autorits administratives (Pas, 1esrie, tome 7, 553-555) etarrt du 5 fructidor an 9 relatif un conflit dattribution entre les autorits administrative etjudiciaire du dpartement de la Somme (Pas, 1esrie, tome 11, 2-3).

    16ALEN,Rechter en bestuur in het Belgische publiekrecht, tome1, 525-536.

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    des futures juridictions administratives. Johan Vande Lanotte le rsume decette faon: "Rechtspreken werd genterpreteerd als het beslechten vangeschillen tussen particulieren of omgekeerd gesteld juger ladministration,cest administrer. Deze leemte in de geschillenbeslechting werd opgevulddoor de administratie zelf die hierdoor rechter en partij werd. Door hetsysteem van de administration-juge werd het actief bestuur almachtig,vermits zij over haar eigen daden moest oordelen en enkel onderworpen wasaan politieke controle. Door de rechter te integreren in het bestuur is hij geenvreemde meer die zich inmengt met de administratieve overheidsdaden maareen orgaan van het bestuur zelf dat belast is met het intern toezicht op deadministratieve handelingen"17.

    Les administrations dpartementales sont un exemple typique. En vertu de laloi des 9-11 septembre 1790, fut cr au sein de ladministrationdpartementale un bureau spcial charg de se prononcer sur les contentieuxadministratifs concernant les impts directs, les contentieux entre les autoritset les entrepreneurs de travaux publics et les contentieux entre particuliersdont les terrains taient expropris pour lamnagement de routes et de

    canaux. Les Pays-Bas mridionaux ayant t annexs par la France partir du1er octobre 1795, la lgislation franaise devint galement dapplication dansnos contres. Cette mission juridique fut ultrieurement assume par lesuccesseur juridique de ladministration des dpartements, cest--dire leConseil de prfecture. En vertu de la loi du 28 Pluvise de lan VIII (14fvrier 1800), le Conseil de prfecture arbitra les contentieux concernant lesimpts directs, les contentieux entre ladministration et les entrepreneurs detravaux publics, les contentieux sur le ddommagement de particuliersexpropris par ltat, les dsaccords sur la vente de biens nationaux, lescontentieux sur la distribution des cots dentretien des canaux et des coursdeau non navigables, les contentieux en matire de dommages subis par lesgrandes routes et les contentieux concernant lutilisation de terrains et boiscommunaux. Cette fonction judiciaire allait tre tendue au fil des annes sousla forme des tats Dputs (1815-30) et de la Dputation Permanente de laprovince (1830 - nos jours)18. Bien quil existt dj un Conseil dtat, il

    17VANDE LANOTTE,Administratieve rechtscolleges, 15.18Dcret du 6-11 septembre 1790 portant sur la procdure pour les autorits administratives etjudiciaires en matire dimpts, de travaux publics, de commerce et jusqu la suppression desanciennes cours et anciens tribunaux (Pas, 1e srie, tome 1, 359-361). Loi du 28 Pluvise delan VIII concernant le dcoupage du territoire franais et ladministration (Pas, 1esrie, tome10, 78-116). Voir aussi la notice sur la Dputation Permanente CHEVALLIER, Llaborationhistorique, 65-84. DE FOOZ, Droit administratif, 238-260. BELINFANTE, Kort begrip van

    het administratief recht, 93-97. VAN DER STICHELE,Administratieve rechtspraak in Belgi,

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    peut difficilement tre considr comme une juridiction administrative.Ctait en fait un collge qui donnait son avis sur des projets de loi et lescontentieux administratifs, mais le Consul, puis lEmpereur avait toujours ledernier mot.

    4.2. La priode hollandaise

    Aprs le Congrs de Vienne, les Pays-Bas septentrionaux et mridionauxfurent runis dans le Royaume des Pays-Bas. La constitution de 1815accordait de trs larges comptences au roi. Les ministres ne devant rpondreque devant lui, le roi Guillaume Ier rgna en despote clair. Thorbeckequalifiait le Royaume des Pays-Bas d "tat rglement la faonnapolonienne dot dune faade constitutionnelle". L aussi, le Conseildtat ntait quun organe consultatif du roi qui prenait les dcisions demanire autonome, mais, en raction certains abus, le systme franais de lagarantie administrative fut abrog (ds 1814 en fait). Les frictions entre lesjuges et ladministration ne se firent pas attendre et un certain nombre deprocs causrent un grand moi dans les milieux administratifs. Rapidement,

    des voix slevrent pour que soit mis fin "larrogance des autoritsjudiciaires qui ignorent la puissance publique". Sous la pression du pouvoirexcutif, Guillaume Ier changea radicalement de politique et rtablit par ledcret du 5 octobre 1822 une procdure de conflits analogue celle qui taiten vigueur sous loccupation franaise. Le contrle judiciaire faisaiteffectivement obstacle une administration efficace. Les gouverneurs deprovince pouvaient soulever des conflits (par une sorte de veto) lorsquuneadministration ou un administrateur tait traduit devant un tribunal, aprs quoile roi lui-mme arbitrait laffaire, aprs consultation du ministre de la Justiceet du Conseil dtat. Les tribunaux se dclaraient incomptents chaque foisque ladministration tait implique dans une procdure. La protectionjuridique contre les actes publics illgaux tait donc trs limite et le systme

    donnait invitablement lieu des abus19

    .4.3. La naissance et ltablissement de ltat belge

    La politique autoritaire de Guillaume Ier dans les Provinces mridionalesdclencha rapidement un mouvement de rsistance parmi les libraux et lescatholiques. Aprs les heurts des fameuses Journes de Septembre 1830 et la

    381-383. LENAERTS, Burgerlijke, 23-27. LUST, Rechtsherstel, 62-63. BERX,Rechtsbescherming, 55-56.19 AR du 5/10/1822 contenant des dispositions lgard des conflits dattribution entre lesautorits administratives et judiciaires (Pas, 2e srie, tome 7, 135-136). Le dcret des conflitsfut rapidement contest et fut finalement supprim en 1844. DRION, Administratie contrarechter. LENAERTS, Burgerlijke, 27-34. ALEN, Rechter en bestuur, 724-729. LUST,

    Rechtsherstel, 63. BERX,Rechtsbescherming, 56-57.

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    raction hsitante de Guillaume Ier, une Autorit Provisoire fut forme et fitproclamer lindpendance de la Belgique le 4 octobre 1830. Une commissionconstitutionnelle, avec comme principaux membres E.C. de Gerlache, Ch. DeBrouckre, J.B. Nothomb, J. Lebeau, P. Devaux et P.F. Van Meenen, futcharge de prparer un projet de constitution. Llection dune assembleconstitutionnelle -le Congrs National- eut lieu le 3 novembre 1830. CeCongrs tait charg de dbattre de la nouvelle constitution qui fut proclamele 7 fvrier 1831. La Constituante belge ragit larbitraire et aux abus dugouvernement prcdent en renforant le pouvoir lgislatif et en crant unemonarchie parlementaire. Aux yeux des rvolutionnaires belges, le Conseildtat tait le symbole de la toute-puissance de Guillaume Ier et fut doncsupprim (son rtablissement ne fut pas une mince affaire). Le pouvoirjudiciaire avait pour principale tche de contrler le pouvoir excutif. Lelgislateur voulait mettre fin au systme de ladministration juge et dclaradonc les cours et les tribunaux comptents pour tous les contentieuxconcernant les droits subjectifs. titre dexception, larbitrage de contentieuxsur les droits politiques pouvait tre confi aux juridictions administratives,

    comme il a dj t mentionn

    20

    .Dans sa thse de doctorat, Paul Van Orshoven a analys ce fameux article 145de manire minutieuse et convaincante. Il ressort des dbats du Congrsnational que cette exception ntait conue que pour les contentieux sur lesimpts directs. La proposition de la Commission constitutionnelle prvoyaitque tous les contentieux sur des droits politiques et civils soient du ressort destribunaux, sauf exceptions fixes par la loi. Cette proposition fut approuvepar les 1e, 2e, 3e, 5e, 6e, 7eet 9edivisions du Congrs National. La 4e divisionsouhaitait confier au pouvoir judiciaire tous les droits civils et politiques(proposition Forgeur). La dixime division proposa de remplacer laproposition "sauf exceptions fixes par la loi" par la proposition suivante: "laloi rgle larbitrage portant sur les contentieux fiscaux". La division centraleproposa de rendre les tribunaux de droit commun exclusivement comptentspour les contentieux civils, mais de permettre que pour les contentieuxpolitiques, des exceptions soient prvues par la loi, parce quelle considrait"utile" de ne pas confier larbitrage de certains contentieux fiscaux auxtribunaux. Cette clause fut finalement adopte car, en 1831, presque tous lesimpts directs taient des impts de rpartition: la recette fiscale taitpralablement fixe et rpartie entre les contribuables. Si un contribuable

    20LENAERTS, Burgerlijke, 34-40. LUST, Rechtsherstel, 64-65, BERX, Rechtsbescherming,57-61. Pour plus dinformations sur la naissance de la Constitution, voir le trs intressantarticle de GILISSEN, La constitution belge de 1831: ses sources, son influence, Res Publica,

    1968 (10), 5, 107-141.

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    particuliers et pouvoirs publics. Ces contentieux taient rsolus dansladministration mme par un appel administratif et, dans des casexceptionnels, par une commission spcialement cre cet effet. Lespremiers "dfricheurs" de notre droit public, les professeurs Charles DeBrouckre et Franois Tielemans, font valoir dans leur monumental maisinachev Rpertoire de lAdministration que des commissions consultativesavaient t cres pour arbitrer de tels contentieux administratifs,commissions que lon appelait couramment conseils de contentieux23. Unexemple tir au hasard dans lAnnuaire Administratif et Judiciaire nousapprend effectivement quau XIXe sicle, il y avait dans chaque ministreplusieurs dpartements qui portaient dans leur intitul le mot contentieux. Cescomits et dpartements crs par arrts royaux ntaient pourtant pas desjuridictions administratives. Ils formulaient des avis sur les contentieuxadministratifs et la lgislation ou prononaient ce quon appelait des appelsadministratifs. Leur existence tmoigne toutefois de lutilit dorganesspcialiss pour arbitrer les contentieux administratifs.

    Quelques juridictions administratives qui avaient t cres pendant la priode

    franaise ou hollandaise furent maintenues, comme la Dputation Permanentedj cite, les conseils de prudhommes, qui soccupaient des petitscontentieux quotidiens entre patrons et ouvriers et les conseils de milice quijugeaient des motifs dexemption du service militaire et de laptitude mdicaledes appels. Lorsque les intrts du citoyen entraient clairement en conflitavec ceux de ltat, le lgislateur utilisait prudemment sa comptence pourcrer des juridictions administratives, sattaquant ainsi progressivement limmunit de ladministration. Il ny eut pendant tout le XIXe sicle, quunequinzaine de juridictions en service. La premire juridiction belge fut la Courdes Comptes, cre ds 1830. Cette institution fut charge par le lgislateur decontrler les recettes et les dpenses de ltat. Outre un certain nombre detches administratives, la Cour des Comptes se vit aussi confier uneimportante comptence juridictionnelle lgard des fonctionnairescomptables. Si la vrification des comptes, des irrgularits ou des entorses la loi taient constates dans le cadre de la gestion des comptables ou dansle cadre des dcisions de dpenses des ordonnateurs, la Cour des Comptespouvait par ses dcisions rcuprer ces sommes et imposer ventuellementune amende, une suspension provisoire ou une dmission (ce qui est toujoursle cas aujourdhui).

    Le conseil des mines cr en 1837 jouit dune comptence juridictionnelle enmatire de concessions minires. Aprs la signature du clbre Trait des

    23DE BROUCKERE,Rpertoire de ladministration et du droit administratif de la Belgique,

    tome 1, 406-407.

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    XXIV Articles en 1839, les Pays-Bas reconnurent la Belgique et la paix futconclue entre les deux pays. Un certain nombre de questions pineuses durenttre rgles par un trait supplmentaire, comme le problme de la divisionentre les deux pays de la dette publique antrieure 1830. Un nouveau traitfut donc sign le 5 novembre 1842, crant une commission de liquidationcharge de se prononcer sur les contentieux portant sur la liquidation desdettes contractes par les anciennes autorits autrichiennes et hollandaises. Lecommissaire des monnaies (1848) et le conseil d'administration de la caissegnrale d'pargne et de retraite(1869) se virent confier eux aussi des tchesjudiciaires.

    Aprs lmoi caus par les grands travaux de fortification dans et autour du"rduit national" Anvers en 1873, et aprs le travail de lobby du parti duMeeting, la commission des servitudes militaires fut charge de verser desddommagements aux propritaires de terrains frapps de servitudes. Lesconseils de rvision assumrent la mme anne la tche de juger en dernierappel de laptitude militaire des appels, tche jusque l assume par laDputation Permanente. Les directeurs des impts acquirent en 1881 une

    comptence judiciaire pour les contentieux portant sur les impts directs. LeBanc d'preuves des armes feu ligeois arbitra partir de 1888 lescontentieux entre fabricants darmes ou ouvriers de lindustrie de larmementet le Banc propos de lpreuve et du poinonnage des armes feu. Lesconseils civiques de rvision de la garde civique jugeaient des motifsdexemption ou de dispense de participation la garde civique locale. Il fautsouligner que les juridictions du XIXe sicle furent souvent des organesadministratifs qui reurent en plus des tches judiciaires.

    4.4. Lentre-deux-guerres

    En labsence de possibilit dappel, la protection juridique du citoyen contreles dcisions arbitraires de ltat tait pratiquement inexistante. Soumis lautorit hollandaise, le Conseil dtat avait en effet cess dexister en 1830.Bien quil y ait eu au XIXe sicle deux essais mmorables sur les dfaillancesdu contentieux administratif belge de la main du futur ministre de la JusticeJules Lejeune et du futur prsident de la Cour de Cassation Alfred Giron, lescritiques sur le comportement arbitraire des administrations publiques nevirent vraiment le jour que durant lentre-deux-guerres. Avec lvolutionprogressive dun tat gendarme vers un tat-Providence, le risque dabus depouvoir par le pouvoir excutif alla croissant. Des spcialistes comme RenMarcq, Maurice Bourquin (ULB), Henri Velge (UCL) et Louis Wodon (ULB,futur chef de cabinet dAlbert Ier) exprimrent dans un certain nombredouvrages fondamentaux des critiques lgard du systme de la garantie

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    administrative et du manque de protection juridique du citoyen 24. Lessolutions suggres allaient de lattribution au pouvoir lgislatif de lacomptence pour les contentieux administratifs la cration dune cour ducontentieux administratif ou dun Conseil dtat. Lorsque, aprs la PremireGuerre mondiale, notre Constitution fut revue pour que soit introduit lesuffrage universel simple (pour les hommes), le gouvernement Delacroix Ienvisagea de profiter de loccasion pour crer une cour de contentieuxadministratif.

    Fortuitement et probablement par crainte que soit cr un Conseil dtat quilui retirerait son pouvoir juridictionnel, la Cour de Cassation revint ennovembre 1920 sur sa position quant larbitrage de contentieux impliquantles pouvoirs publics. Dans le clbre arrt Flandria, la Cour reconnat leprincipe de la responsabilit publique. Mettant fin la garantie administrativetelle quelle tait propage dans les crits de Henrion de Pansey, larrt stipulaque tout droit civil relve de la protection du pouvoir judiciaire, quil sagissedun droit viol par un particulier ou par une autorit publique 25. Lavocatgnral Paul Leclercq fit valoir dans sa conclusion la diffrence entre la

    conception franaise et la conception belge de la sparation des pouvoirs.Cette distinction fut dailleurs largement examine dans louvrage de LouisWodon paru en 1920. La solution que suggrait Wodon, savoir unlargissement des comptences des tribunaux de droit commun, fut en partieadopte dans larrt Flandria, contrant ainsi la cration du Conseil dtat.

    Ce spectaculaire revirement mit un temps au placard les projets dugouvernement. Mais tous les problmes ntaient pas rsolus. Les tribunauxlimitaient leur contrle de lgalit aux simples vices de forme et auxproblmes de comptence, si bien quun grand nombre dactes administratifschappaient au contrle judiciaire. Afin dy remdier, il fallait selon HenriVelge crer une juridiction capable dannuler les dcisions administratives et

    accorder ventuellement des dommages et intrts. En 1930, Velge publia sontude relative Linstitution dun Conseil dtat. Lauteur y rejettesystmatiquement toutes les objections la cration dune telle juridiction. Lelivre fut bien accueilli dans le monde acadmique et politique. Il y avait

    24MARCQ,La responsabilit de la puissance publique. BOURQUIN,La protection des droitsindividuels. VELGE, Linstitution dun Conseil dtat en Belgique. WODON, Le contrle

    juridictionnel de ladministration.25Avec larrt Flandria, la Cour de Cassation mettait fin la distinction entre ltat commepersonne publique et comme pouvoir public; si ladministration porte atteinte un droit civil ducitoyen, elle commet une irrgularit pour laquelle un simple juge est comptent (Cass,05.11.1920, Pas, 1920, I, 239, conclusions de P. Leclercq). CORNIL, Porte de larrt decassation du 5 novembre 1920. Sujtion des pouvoirs publics au droit public, BJ, 1939, 449.

    LUST,Rechtsherstel, 67-70. ALEN,Rechter en bestuur, tome 1, 628-630.

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    dailleurs lpoque un certain nombre de projets de loi allant dans ce sens.Pour toutes sortes de raisons, il fallut pourtant attendre jusquen 1946 pourque la loi portant cration du Conseil dtat soit adopte. Selon Velge, LaSection de Lgislation du Conseil dtat tait conue comme un organeconsultatif auprs des diverses assembles lgislatives. La Sectiond'Administrationdevait en qualit de juridiction administrative se prononcersur certains contentieux administratifs. Sa tche la plus importante consiste se prononcer sur les recours en annulation dactes administratifs (lasuspension est aussi possible depuis 1991). Elle dispose encore du pouvoirjuridictionnel total sur certains contentieux constats dans la loi lectorale etdans dautres lois, intervient comme juge de cassation contre les dcisions desjuridictions administratives subalternes, arbitre les contentieux en matire decomptences et fixe le montant des dommages et intrts pour prjudicesexceptionnels.

    Le problme ntait pas entirement rsolu pour autant. Dans un deuximemouvement, la Cour de Cassation (de 1930 1958) sen tint uneinterprtation trs large du concept de droit civil. Pour cette raison, la Cour de

    Cassation refusa, contrairement au Conseil dtat, de reconnatre le caractrejuridictionnel de certaines commissions concernant les allocations daidepublique. La Cour de Cassation essayait ainsi de se protger contre larestriction ( ses yeux lusurpation) du pouvoir judiciaire 26. Pour faireobstacle la cration de juridictions administratives et, pour empcher quedes contentieux soient soustraits au pouvoir judiciaire, la Cour de Cassationordonna que les nouvelles lois sociales soient assimiles aux droits civils.Dans cet esprit, certains juristes dprciaient chaque droit subjectif en droitcivil: pour le Procureur Gnral Paul Leclercq, les juridictions institues par laloi relative aux dommages de guerre et par les lois sur les pensions, taientdes organes administratifs, alors que le lgislateur avait dans lide de crerune juridiction, attendu que lappel en cassation tait possible. Andr Mastqualifia cette doctrine de "ftichisme du droit civil. Leclercq tait tellementconvaincu de lexcellence du pouvoir judiciaire que lide dune juridictionadministrative lui tait insupportable"27.

    26BERX,Rechtsbescherming, 64-66.27 Mast ajoute encore que Leclercq a fait preuve de davantage dacharnement que dediscernement contre ce quil appelait lenvahissement progressif dune partie de ldificejudiciaire par ladministration, envahissement que la mystique du Conseil dtat rclame. LeConseil dtat est un cadavre quon a beau tuer, il renat des poussires comme le Phenix de sescendres. MAST, Administratieve rechtsmacht en de grondwet, TBP, 76-77. MAST, Is eenheidvan rechtsmacht mogelijk?, 111-112. LECLERQ, La pense juridique du procureur gnral,

    tome I, 157. LUST,Rechtsherstel, 74-75.

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    4.5. Linstitution de la scurit sociale

    Comme il a dj t mentionn, la mesure dingrence de ltat dans la vieprive du citoyen allait fortement augmenter durant lentre-deux-guerres etsurtout aprs la Seconde Guerre mondiale. Le principe du laisser-faire envigueur au XIXe sicle fut remplac par ltat providence, les pouvoirs

    publics se chargeant de la vie sociale, conomique, financire et culturelle. Lenombre de contentieux entre le citoyen et ltat ne fit par consquentquaugmenter. Afin de garantir la protection juridique du citoyen, on laboraprogressivement un imposant ensemble de juridictions administratives.Linstitution de la scurit sociale fit elle seule augmenter sensiblement lenombre de juridictions. Chaque loi prenant de nouvelles dispositions socialesallait de pair avec la cration dune juridiction administrative ou dune"commission darbitrage" qui permettait au citoyen daller en appel contre lesdcisions administratives concernant lattribution dune aide financire deltat. Au lieu de nous livrer une numration laborieuse de noms et dedates (que lon trouvera dans le rpertoire), nous nous en tiendrons ici unedescription de lvolution gnrale.

    Les racines de la scurit sociale, qui accompagne aujourdhui chacun dentrenous du berceau la tombe, se situent au XIXe sicle. Avec la doctrine dulibralisme conomique, les ouvriers restrent longtemps sans protectioncontre les excs de lindustrialisation. La bourgeoisie, qui avait en mains lesrnes politiques, considrait la protection sociale comme inutile. En cas deperte de revenus due la maladie, le chmage ou la vieillesse, les ouvriersdevaient se rsoudre faire appel leurs maigres conomies, la solidaritfamiliale - en dclin -, la charit ou laumne. Les conditions difficiles devie et de travail poussrent les ouvriers crer spontanment des socitsdentraide, anctres des mutualits. En contribuant de leur plein gr cessocits, les ouvriers se garantissaient un revenu en cas de maladie. Aprs la

    sanglante vague de grves de 1886, le lgislateur dcrta les premires loissociales: la loi sur le travail des femmes et des enfants (1889), la loi sur lesassociations professionnelles (1898), la loi sur le contrat de travail (1900), laloi sur les accidents du travail (1903) et les lois sur la dure de travail et lerepos dominical (1905). Les mutualits furent reconnues et subventionnespar ltat par la loi du 23 juin 1894. Afin de soutenir les mutualits etdencourager les ouvriers pargner, les premires caisses syndicales dechmage et de retraite furent aussi subventionnes partir de 1900. Cest lapriode de lassurance volontaire subventionne.

    Avec la dmocratisation qui suivit linstauration du suffrage universel simpleen 1919 et la participation au gouvernement du Parti Ouvrier Belge cr en

    1885, la lgislation sociale se dveloppa rapidement. Le Fonds National de

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    Crise versait des allocations aux chmeurs depuis 1920. Lassurance retraitepour ouvriers devint obligatoire en 1924; elle donnait droit une rente deretraite lge de 65 ans (forme par capitalisation des contributions dupatron, de louvrier et de ltat). Les employs bnficirent du mme rgimeen 1925. Il faut remarquer cet gard que les marins et les mineurs taientsous le rgime de lassurance vieillesse obligatoire depuis 1845 pour lespremiers et depuis 1911 pour les seconds. Lassurance contre les maladiesprofessionnelles devint obligatoire en 1927. Les allocations familiales,instaures en 1930, donnrent droit tous les salaris une allocation ( lacharge de lemployeur). Depuis 1937, les indpendants ont eux aussi droit auxallocations familiales. La loi sur les congs pays, adopte en 1936, donna chaque employ droit 6 jours de congs pays par an.

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, des ngociations eurent lieu entrereprsentants des patrons et salaris. Elles dbouchrent sur le Pacte Social,dcrt peu aprs la Libration. En change de la paix sociale, un seulsystme de scurit sociale devint obligatoire pour tous les salaris et laconcertation paritaire fut instaure. Larrt-loi du 28 dcembre 1944 assura

    les ouvriers contre les vicissitudes de la vie: maladie, invalidit, chmage,vieillesse, et leur garantit allocations familiales et congs pays. Cesallocations furent finances par les contributions des employeurs et dessalaris et furent consolides par des institutions paritaires 28.

    Dans le domaine du droit social, quantit de commissions furent cres, sanssavoir si ces celles-ci avaient une tche judiciaire ou administrative. Certainesde ces commissions sont progressivement devenues de vritables organesjudiciaires. Elles taient lorigine des organes purement administratifs quiexaminaient en seconde ou troisime instance la requte des ayants droit pourobtenir les indemnits fixes par la loi. Selon Herman Lenaerts: "de aanspraakop die prestaties niet als een volwaardig subjectief recht werd aangezien, maar

    als een door de staat toegekend, niet afdwingbaar voordeel. Weliswaarbepaalde de wet de voorwaarden waaronder dit voordeel moest wordenverleend, maar over de vraag of die voorwaarden vervuld waren, oordeeldehet bestuur eenzijdig"29. La scurit sociale tait initialement considrecomme une faveur, et non comme un droit.

    La question de savoir si les droits sociaux participaient des droits civils ou desdroits politiques y tait troitement lie. En dautres mots, la cration de

    28Honderd jaar sociaal recht in Belgi1886-1986. VANTHEMSCHE, De beginjaren van desociale zekerheid in Belgi. CHLEPNER, Cent ans dhistoire sociale en Belgique. CORDY,De grote ontwikkelingsstadia van de sociale wetgeving 1866-1966, R.B.S.S., 1967, 929-951.Politieke geschiedenis van de sociale zekerheid in Belgi,R.B.S.S.,1998, 489-746.29LENAERTS, Sociaal procesrecht, 63.

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    juridictions tait-elle bien constitutionnelle? Pour illustrer ce dbat, il estprfrable de faire appel un exemple. loccasion de la rforme de la loi surles retraites des ouvriers en 1955, le Parlement se demanda quel juge taitcomptent pour dventuels contentieux ce niveau. Le projet de loi prvoyaitla cration de juridictions administratives, mais en mme temps, unamendement avait t introduit pour en donner la comptence au juge de paix.Ltude des travaux parlementaires montre la confusion qui rgnait sur lesconcepts de droits civils, politiques et administratifs. La loi du 21 mai 1955chargea finalement les commissions de rclamation et la commission dappelpour retraites douvriers de larbitrage des contentieux. Lorsque, peu aprs,fut galement revue la loi sur la retraite des employs, le lgislateur rsolut leproblme par un compromis typiquement belge. Layant droit pouvait choisirlui-mme de faire appel auprs de la juridiction comptente ou auprs descours et tribunaux du pouvoir judiciaire. Avec cette demi-mesure, lelgislateur vita de trancher entre droits civils et droits politiques.

    Bien que le Conseil dtat se soit exprim dans ses avis contre ce systmedual, la mme disposition fut reprise dans dautres lois sociales. On retrouve

    ainsi dans la loi du 12 juillet 1957 portant sur les pensions de retraite et desubsistance des employs, la disposition selon laquelle "linstitution desjuridictions () ne porte pas prjudice la comptence des cours ettribunaux(). Laction porte par une personne devant une des juridictionsinstitues () implique reconnaissance de sa comptence. Toutefois unepersonne cite devant elle peut, par voie dexception, prsenter avant toutautre moyen de dfense, contester la comptence des juridictions prcites,auquel cas le juge de droit commun est saisi doffice par dcision de renvoi etse prononce sur la comptence avant tout dbat au fond".Cette disposition at ajoute par la loi du 1er aot 1957 la loi du 21 mai 1955 relative lapension de retraite et de survie des ouvriers. La loi du 7 janvier 1958 appliquale mme principe aux commissions du chmage. La loi du 28 mars 1960concernant les pensions de retraite et de subsistance des indpendants contientla mme disposition, que lon retrouve dans la fameuse loi unique du 14fvrier 1961 propos de lassurance maladie et invalidit. Ce curieux rgimefut supprim pour les pensions de retraite et de subsistance par la loi du 31aot 1963. Selon lexpos des motifs, cette disposition navait jamais tinvoque dans la pratique, puisque tous les contentieux taient arbitrs par desjuridictions administratives30. Le professeur Lenaerts confirme galementdans son manuel sur le droit de procdure sociale quil na pratiquement past fait usage de la procdure devant les cours et tribunaux. Cela montretoujours selon le mme auteur, "dat er een rele behoefte was aan

    30Doc. Parl. Chambre 1962-63, 573, 21.

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    administratieve rechtscolleges die verkozen werden boven de gewonerechtbanken"31.

    4.6. Le clbre arrt TRINE

    Un problme supplmentaire avait surgi entre-temps. Certains juristes, PierreWigny et Herman Lenaerts en tte, firent mention dun troisime type dedroits: les droits administratifs. Ils entendaient par l les avantages quepouvait tirer le plaignant de lois qui avaient pour objectif lintrt gnral. Cesont prcisment ces avantages qui selon la Cour de Cassation ntaient pas dela comptence du pouvoir judiciaire, mais dont seule lautorit administrativepouvait prendre connaissance. Cette nouvelle vision souleva de nombreusescritiques dans la jurisprudence, et fit valoir que la Constitution ne faisaitaucune mention de droits administratifs. La Cour de Cassation mit fin lacontroverse avec le fameux arrt Trine du 21 dcembre 1956. En qualifiant dedroit politique le droit aux allocations de chmage, exemple type de ce queWigny et Lenaerts entendaient par droit administratif, la Cour de Cassationconfirmait quil nexistait en vertu de la Constitution que des droits civils et

    des droits politiques. Elle coupait ainsi dfinitivement court au dbat sur lesdroits administratifs et par la mme occasion lintrt quavait suscit ledbat. Dautre part, la Cour de Cassation, qui avait toujours refus dereconnatre les droits politiques comme tels, tendit ainsi sensiblement lacatgorie des droits politiques. La raison sous-jacente en fut de mettre unterme aux droits administratifs32. Deux ans plus tard, dans son arrt du 28 mai1958, la Cour de Cassation revint sur cette position en dcidant que le droit la pension militaire tait un droit civil et relevait donc exclusivement de la

    31 LENAERTS, Sociaal procesrecht, 67-68 en citaat 69. Lenaerts tait le spcialiste delpoque en matire de juridictions sociales, voyez notamment: LENAERTS, De burgerlijke,

    politieke en administratieve rechten. LENAERTS, De administratieve rechtbanken inzakewerkloosheid en ziekteverzekering, RW, 1951, 1009-1014. LENAERTS, De geschillen inzakemaatschappelijke zekerheid,An. Dr. Sc. Pol., 1952, 451-493. LENAERTS, De grondwettigheidvan de administratieve rechtscolleges inzake sociale zekerheid, Politica-Berichten, 1957, 352-358.32 Arrt de la Cour de cassation du 21.12.1956. Pas. 1957, I, 431-467. LENAERTS,

    Burgerlijke, 41-47, 315-330. ALEN, Rechter en bestuur, tome 1, 631-632. CAMBIER,Principes, tome 1, 184-192. LUST,Rechtsherstel, 70-80. GANSHOF VAN DER MEERSCH,Existe-t-il des droits administratifs et sociaux distincts des droits politiques ?, JT, 1957, 49-62.MAST, Geschillen van bestuur, 59-61. RW 1957-58, 1285. MAST, Les droits administratifssubjectifs existent-ils en droit public belge ? RCJB, 1957, 168-178. PERIN, Faut-il rviserlarticle 93 de la Constitution ?, JT, 1957, 141-144. BERX, Rechtsbescherming, 65-66. DEVISSCHERE, De instelling van administratieve rechtscolleges door de uitvoerende macht,TBP, 1957, 6-14. WIGNY, Droits administratifs subjectifs, JT, 1957, 361-365. WIGNY,Droitadministratif, 331-345. GOOSSENS, Recherches sur les critres de distinction des droitsindividuels: droits civils, droits politiques, droits administratifs, Ann. Fac. Dr. Lige, 1960,

    149-286.

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    comptence des tribunaux de droit commun. Dans les commentaires consacrs cet arrt, ce retour aux positions antrieures est unanimement dplor33.Lincertitude persistait donc sur la distinction entre droits civils et droitspolitiques, avec toutes les consquences que cela engendra.

    5. QUAND PEUT-ON PARLER DUNE JURIDICTIONADMINISTRATIVE?

    La rponse cette question est complique en raison de plusieurs facteurs.Dabord, un certain nombre dorganes administratifs exercent aussi unecomptence judiciaire. Deuximement, les procdures pour contentieuxsoumis des organes dadministration actifs et des juridictions seconfondent depuis une dcennie sous linfluence de larticle 6 de laConvention europenne des Droits de lHomme. La frontire entre actesjudiciaires et actes administratifs a t de tous temps un des problmes lesplus difficiles rsoudre dans notre droit public. Le problme a donn lieu

    une grande confusion, quantit de points de vue divergents et unemultitude de controverses parmi les juristes34. La distinction entre un organeadministratif et une juridiction administrative est trs floue dans la pratique.Le lgislateur accorde quantit dorganes des comptences sans inscriredans la loi de quelle nature judiciaire sont ces comptences. Lappellation delorgane (commission, conseil ou collge) ne permet pas davantage de tirerdes conclusions. Dans la jurisprudence et dans la doctrine du droit sontapparus progressivement des critres diffrents pour dterminer si un acte estde nature juridictionnelle ou non35. Nous les prsentons ici sous formesimplifie.

    33Arrt de la Cour de cassation du 28.05.1958, Pas, 1958, I, 1067-1069. RW, 1958-59, 203.RJDA, 1959, 67. CAMBIER, Un conflit dattribution, JT, 1959, 53-58. DE VISSCHERE,Burgerlijke et politieke rechten, TBP, 1960, 3-14. LENAERTS, Recente rechtspraak van hetHof van Cassatie over burgerlijke en politieke rechten, RW, 1958-59, 193-204. DEVISSCHERE, Steeds op zoek naar het politiek recht, TBP, 1958, 215.34 Voir par exemple LEROY, Les rglements et leurs juges. VAN MENSEL, Deadministratieve rechtshandeling. Een proeve. VRANCKX,Administratieve rechtshandelingen.35DEMBOUR, Les actes de la tutelle administrative, 22-43. CAMBIER, Principes, tome 1,118-148. BERX, Rechtsbescherming, 489-594. MAST, Geschillen van bestuur, 28-38.LENAERTS, Juridictions administratives, 9-27. VANDE LANOTTE, Administratieverechtscolleges, 32-45. MAST, Overzicht, 755-770. MAST, Droits civils, droits politiques etintrts administratifs, JT, 1947, 193-195. LUST, Rechtsherstel, 74-81. LENAERTS, Derechtsprekende handeling,RW, 1957, 1921-1934. LEROY, Contentieux administratif, 108-112.

    LEWALLE, Contentieux administratif, 344-369.

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    5.1. Le critre statutaire

    Le critre statutaire36part du statut des juges administratifs. Cest un principede droit lmentaire que les juges doivent pouvoir se prononcer en touteindpendance et impartialit. Les garanties ncessaires en matire decomposition et dorganisation de la juridiction doivent tre inscrites dans la

    Constitution afin de garantir lindpendance des juges lgard de toutes lesparties impliques. Il faut en premier lieu considrer la relation entre les jugeset le pouvoir excutif. Lindpendance implique que les juges administratifspeuvent jouir dun statut similaire celui des juges de droit commun. Cela neveut pas dire quils doivent tre nomms vie, mais quils soient protgscontre la dmission arbitraire et que la dure de leur mandat ne soit pas tropcourte. En outre, les juges administratifs ne doivent pas recevoir dinstructionsde suprieurs hirarchiques sur la manire dont un contentieux est arbitr et nepeuvent donc pas tre appels rpondre de leurs dcisions, ni faire lobjet demesures disciplinaires.

    Deuximement, tous les juges doivent tre impartiaux. Selon la doctrine, cette

    impartialit doit tre aussi bien personnelle que structurelle. Limpartialitpersonnelle implique que le juge nait pas de parti pris et nait pas le moindreprjug. Les juges devant inspirer la confiance aux citoyens dans une socitdmocratique, il ne peut pas y avoir non plus le moindre soupon de partialitde la part du juge. Limpartialit structurelle implique que la loi exclut lemoindre doute en la matire. Cest pourquoi la loi interdit le cumul defonctions dans certains cas. Mentionnons que chaque juge ayant un intrtpersonnel dans une affaire peut toujours tre dessaisi de laffaire en vertu duvieil adage "nemo iudex in causa sua" (nul ne peut tre juge dans sa propreaffaire).

    Lindpendance et limpartialit de certains juges administratifs peuvent tremises en doute. Certaines juridictions administratives donnent limpressiondtre trs dpendantes des milieux politiques et professionnels dont ellesmanent. Le plus grand problme cet gard a t longtemps celui de lacomposition des Conseils de lOrdre des professions librales, qui donna lieu une kyrielle de procdures devant la Cour de Cassation. F. Delpre parle cet gard d "une justice retenue et corporatiste"37. Dans dautres cas, leproblme est plus subtil. Des questions peuvent ainsi srieusement tre posesquant au rle du secrtaire ou du greffier de certaines juridictions. Souvent,

    36 Ce critre est souvent appel critre organique dans la doctrine du droit. Pour viter lesconfusions, nous optons ici pour critre statutaire.37 DELPEREE, Is de oprichting van administratieve rechtbanken in Belgi gewenst? TBP,1977, 255-264. Mme article: DELPEREE, Des tribunaux administratifs en Belgique? AP(T),

    1976-77, 73-84.

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    les fonctionnaires qui veillent au bon droulement de la procdure en termeslogistiques occupent aussi une fonction dans ladministration qui a pris ladcision conteste. Le fait que le secrtariat dune juridiction a une certaineinfluence sur les dcisions judiciaires soulve des questions sur sonindpendance.

    Si les conditions ci-dessus sont remplies, on pourra conclure quil sagit dunacte juridictionnel. En poussant ce raisonnement, il serait impossible quunecomptence administrative et une comptence judiciaire soient runies dansun mme organe. Cest pourtant souvent le cas dans la pratique. On peut enoutre exprimer des doutes sur les garanties dindpendance et dimpartialitque peut offrir une Dputation Permanente constitue de personnel tatique.Le critre statutaire nest donc pas dterminant.

    5.2. Le critre formel

    En vertu du critre formel, chaque juridiction administrative doit rpondre certaines rgles de procdure garantissant un procs quitable toutes lesparties. La Constitution belge et la Convention europenne des Droits de

    lHomme (art.6 et 13 bien quils concernent en premier lieu les affaires civileset criminelles) garantissent un certain nombre de principes dune bonneadministration de la justice38:

    a) Lobligation de prendre une dcision motive. Chaque juridiction alobligation de prononcer un jugement sur les recours en instance, sans quoi ily a dni de justice. Larticle 149 de la Constitution stipule en outre quechaque organe juridictionnel a lobligation de prononcer un jugementmotiv39. Lobligation de motivation contraint le juge raisonner et justifierses dcisions. Tant la Cour de Cassation que le Conseil dtat reconnaissentque lobligation de motivation est un principe de droit gnral qui permet auxjuges dappel et de cassation de contrler la dcision, et cela, mme sil ny a

    aucune disposition lgale ce sujet.38 BERX, Rechtsbescherming, 229-437. VAN DRIESSCHE, Over rechtscolleges en deuitoefening van de jurisdictionele functie, TBP, 1967, 153-159. LENAERTS, Deadministratieve rechstcolleges et art. 96 et 97 GW, TBP, 1957, 276-279.VANDEKERCKHOVE, Geschillen van bestuur, 29-34. VANDE LANOTTE, Administratieverechtscolleges, 46-48. LAMBRECHTS, Geschillen van bestuur, 166-168. LENAERTS,

    Burgerlijke, 328-330. VAN MENSEL, De Belgische federatie, 73-83. PAS, Grondwet, 202-212. VELAERS, Grondwet, 486-495. WIGNY, Droit administratif, n460-470.ALEN, Compendium van het Belgisch staatsrecht, tome2, 380-386 en 498-507. VANDELANOTTE, Handboek EVRM, artikelsgewijze commentaar, tome 1, 372-646 et tome 2, 77-126. DE SMET, Het recht op behoorlijke rechtsbedeling. Een overzicht op basis van art. 6EVRM.39 Art.149 de la Constitution: "Tout jugement est motiv. Il est prononc en audience

    publique".

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    b) La publicit des sances telle quelle est fixe dans les articles 148 et 149de la Constitution est seulement valable pour les tribunaux de lordrejudiciaire40. Selon un arrt de la Cour de Cassation et du Conseil dtat, lapublicit des audiences pour les juridictions administratives nest valable quelorsquelle est expressment stipule dans la loi. La publicit offre unegarantie importante contre larbitraire judiciaire et permet un contrle socialexterne par la presse et lopinion publique.

    c) Lobjection et le traitement quitable. Selon la Cour de Cassation et leConseil dtat, le processus dobjection est une caractristique essentielledun jugement. Il est important que chaque partie puisse prendre connaissancedes recours de lautre partie et ait loccasion dy rpondre. On a galement ledroit dtre entendu, de consulter le dossier complet et dobtenir lassistancedun avocat. Le dbat contradictoire est lui aussi une forme de protectioncontre larbitraire.

    d) Le dlai raisonnable a pour but de mettre fin dans un dlai raisonnable lincertitude judiciaire. Les critres dont tient compte la Cour europenne des

    droits de lhomme quand elle dcide si le dlai raisonnable a t dpass ounon sont la complexit de laffaire, le comportement du plaignant, lattitudedes autorits comptentes et limportance de laffaire.

    Dune part, on retrouve un certain nombre de ces principes dans lorganisationdes organes administratifs qui nont pas de comptences juridictionnelles, etdautre part, il existe des juridictions qui ne respectent pas certaines de cesformes de procdure. Les formes de procdure sont la consquence duntraitement juridictionnel et non linverse.

    5.3. Le critre matriel

    En vertu de ce critre, chaque juridiction a pour objectif darbitrer un

    contentieux judiciaire. Dune part, les faits sont tablis et de lautre, unjugement est prononc qui, conformment la loi, offre une solution aucontentieux. Il y a l une claire distinction entre les tches judiciaires et lestches administratives. Puisque ce critre est trs difficile appliquer dans lapratique, la Cour dArbitrage a donn dans son arrt n 14/1997, dont il a djt fait mention, une nouvelle teneur au critre. Le contentieux porte sur un

    40Art.148 de la Constitution "Les audiences des tribunaux sont publiques, moins que cettepublicit ne soit dangereuse pour lordre ou les murs". Cette prcaution avait t prise enraction aux consultations huis clos de lAncien Rgime. LENAERTS, De administratieverechtscolleges en de art. 96-97 van de GW., TBP, 1957, 276-279. VELU, Larrt de la Cour deCassation du 9/10/1959 et le problme de lapplication aux juridictions administratives des

    rgles constitutionnelles sur la publicit des audiences,JT, 1960, 441-446 et 460-467.

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    droit politique lorsquune autorit agit dans lexercice dune fonction qui setrouve dans un rapport tel avec les prrogatives de puissance publique deltat quelle se situe en dehors de la sphre des litiges de nature civile.

    5.4. Le critre organique

    Selon ce critre labor par Andr Mast, il est ncessairement question dundroit politique lorsque le lgislateur confie larbitrage dun contentieux unejuridiction administrative. Ce critre non plus nest pas concluant. Lelgislateur peut donc qualifier nimporte quel droit de politique sans setromper. Mast utilise un raisonnement qui ne permet pas priori de savoirquels droits peuvent tre qualifis de politiques. Il y a dune part quantitdappels administratifs tablis par la loi sans quil sagisse dappelsjuridictionnels. Dautre part, il a dj t tabli que pour le Conseil dtatcomme pour la Cour de Cassation, le fondement judiciaire dune juridictionadministrative est une condition sine qua non. Il faut enfin remarquer que lecritre organique napporte en rien une rponse la question de savoir si lacomptence que le lgislateur a confie un organe administratif est de nature

    juridictionnelle ou non.5.5. Le critre de lautorit de la chose juge

    Vande Lanotte, Cromheecke et Lefranc ont galement introduit un nouveaucritre: lautorit de la chose juge. Ils dfinissent un acte juridictionnelcomme "een door een orgaan of persoon genomen specifieke beslissing diesteeds gezag van gewijsde bezit". Lautorit de la chose juge lie unedcision de justice met en lumire la prsomption lgale de vrit. Celasignifie que la juridiction qui a prononc un jugement ne peut en principe pasrevenir sur sa dcision, sauf si des recours exceptionnels sont introduits(cassation, opposition de tiers). Dautres juridictions doivent respecter lejugement jusquau point de droit et lautorit est oblige de prendre les

    mesures ncessaires pour excuter la dcision. Un acte judiciaire administratifna pas le mme caractre dfinitif. Vande Lanotte et consorts retournent leschoses car en fait, un acte judiciaire a lautorit de la chose juge parce quilest juridictionnel, il nest pas juridictionnel parce quil a lautorit de la chosejuge. Lautorit de la chose juge est bel et bien un critre, mais il nest pasdterminant.

    5.6. La solution?

    Il nexiste pas de solution toute prte. Certains critres sont sans doute uneconsquence de la catgorisation en juridiction au lieu dun critre dedistinction. Aucun des critres prcits nest du reste probant. Pour sortir delimpasse, la majorit de la magistrature et de la jurisprudence plaide pour une

    combinaison cohrente de ces critres. Chaque juridiction doit faire lobjet

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    dune analyse concrte et lapplication des textes de loi aux critressusnomms peut permettre de dterminer sil sagit dun organe administratifou judiciaire41. Nous utilisons pour notre tude la mthode de travail pratiquelabore par Vande Lanotte:

    1e tape: Si la loi stipule expressment que lorgane cr est une juridiction

    administrative ou prend des dcisions juridictionnelles ou que les dcisionsont lautorit de la chose juge, il sagit sans conteste dune juridictionadministrative. Cependant, lautorit de la chose juge nest jamaisexplicitement exprime dans les lois, mais plutt suggre.

    2etape: Si la loi prvoit un recours en cassation auprs du Conseil dtat oude la Cour de Cassation, ou si une possibilit dappel auprs des CoursdAppel ou du Conseil dtat est prvue dans la loi, nous avons affaire unejuridiction administrative.

    3etape: Si le texte de loi ne mentionne ni explicitement ni implicitement lanature juridique de lorgane, il convient de consulter les travauxparlementaires. Sur base de cette consultation ou sur avis du Conseil dtat, il

    peut apparatre que le lgislateur ait eu lintention de crer un organejuridictionnel. On parle communment dune "juridiction", de "jugements ","darrts", de "juge", etc.

    4etape: Si la loi et les travaux parlementairesne donnent pas dindications,tous les critres doivent tre tests. Selon Vande Lanotte, il sagit dunedcision arbitraire car la dcision finale peut tout aussi bien tre motive dansle sens inverse. Beaucoup dorganes ont un caractre ambigu42. Comme nousne sommes pas des juristes de formation et que nous nous aventurons l surun terrain sensible, la jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseildtat constitue notre principal fil conducteur. La cration, ces derniresannes, de multiples organes quasi-juridictionnels constitue une difficult

    supplmentaire. Dans un article intressant, Eddy Wymeersch les dfinitcomme des "organen van het bestuur die deelnemen aan of belast worden metde bestuursfunctie en hierbij de regels naleven die doorgaans door dejurisdicties worden gehanteerd". Il dtecte une tendance ce que la plupartdes actes judiciaires administratifs voluent dans la direction de procduresjudiciaires. Cest naturellement une bonne chose pour la protection juridique

    41 Le Conseil dtat, la Cour de Cassation et la Cour dArbitrage ont galement suivi cettemthode de travail, mais sans lexpliciter dans leurs arrts. Il faut remarquer quil nexisteaucune hirarchie parmi les critres et quil nest pas ncessaire de les remplir tous.CROMHEECKE, De pragmatische benadering van het begrip administratief rechtscollege doorhet Arbitragehof, CDPK,1997, 410-412.42VANDE LANOTTE,Administratieve rechtscolleges, 41-44.

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    du citoyen, mais la distinction entre actes administratifs et juridictionnels nendevient que plus difficile faire. titre dexemple, Wymeersch cite uncertain nombre dinstitutions du monde conomique: le haut comit decontrle, les services denqute commerciale, la commission bancaire, lacommission des normes comptables, la commission des commandespubliques et le conseil du contentieux conomique43.

    6. LA PROCDURE

    Le droit administratif belge na pas de rgles de procdure gnralessappliquant toutes les juridictions administratives, ce qui constitue unegrave lacune selon certains juristes. Chaque juridiction administrative a desrgles de procdure spcifiques inscrites dans la loi de cration, le dcretdexcution ou le rglement interne et, dans certains cas, ces rgles ne sontmme pas crites. La plupart des juridictions se prononcent sur un actejudiciaire administratif manant dune autre autorit administrative. Avantque ces juridictions puissent tre saisies, le plaignant peut ou doit introduire

    un recours administratif auprs de lautorit administrative. "Hetadministratief beroep is een beroep dat wordt ingesteld bij een orgaan van hetactief bestuur dat ertoe strekt op grond van legaliteits- en/ofopportuniteitsoverwegingen een beslissing van dat orgaan zelf, of van eenhirarchisch onderschikt orgaan te doen intrekken of wijzigen". Linterjectiondun recours administratif ne suspend en principe pas lexcution de ladcision administrative. Il existe diverses formes de recours administratifs44.Dans le cadre du recours gracieux, le citoyen demande lorgane public enquestion de revenir sur la dcision prise ou de la modifier. Cette forme derecours est toujours possible et nest restreinte par aucune condition formelle.Ladministration publique concerne nest toutefois pas oblige de ragir etsera rarement dispose revenir sur une dcision prise. Le recourshirarchique est inscrit dans la structure hirarchique de lorganisationadministrative. Le citoyen demande au suprieur hirarchique dexercer sacomptence pour ordonner son subalterne de revoir la dcision en question.La plupart dentre eux pourront juger de manire plus objective la dcision

    43WYMEERSCH, De quasi-jurisdictionele functie, TPR, 1982, 841-885.44De nombreux juristes ont dfini ces recours. Nous reprenons ici les dfinitions de VANDELANOTTE, Administratieve rechtscolleges, 48-50. Voyez aussi LEWALLE, Contentieuxadministratif, 263-297. MAST, Geschillen van bestuur, 7-9. VANDE LANOTTE,

    Basisbegrippen, 1-3. ALEN, Algemene beginselen, 235-240, BOES, Administratif recht, 188.MAST, Overzicht van het Belgisch administratif recht, nr. 550-552. VAN ORSHOVEN,Ontwikkelingen, 4-6. LANGOHR, Inleidende bijdrage, 41-44. DEMBOUR, Les actes de la

    tutelle administrative, 299-308. DE ROY, Het georganiseerd beroep.

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    prise, mais il faut dautre part compter avec la solidarit administrative. Lecitoyen peut aussi faire un recours de tutelle pour les dcisions desadministrations locales et territoriales afin dobtenir que la dcision prise soitsuspendue ou annule parce que contraire la loi. Lautorit de contrle jugetoutefois en toute libert de donner suite ou non au recours. Dans notresystme judiciaire, un recours auprs dune juridiction administrative nestrecevable que si le plaignant a puis tous les recours administratifs organisscontre la dcision conteste. Sil nexiste quune possibilit, sans obligation,de saisir un organe de recours, on ne peut pas parler dun recours administratiforganis. Dans le cas de recours non organis, il ny a de la part de linstancede recours aucune obligation de dcider.

    Bien que la composition des juridictions administratives, la dure des mandatsde leurs membres, leur comptence territoriale, leurs rgles de procdure etleur dlai dappel varient considrablement, nous mentionnons ici laprocdure qui, selon notre tude, constitue le plus grand dnominateurcommun. Les rgles du code de procdure civile ne sappliquent pas auxjuridictions administratives. La procdure judiciaire administrative a un

    caractre inquisitoire et crit. Cela signifie que ds que le plaignant saisit lajustice, laffaire est confie au juge. En principe, la procdure est mene parcrit avec la possibilit pour les parties de sexpliquer sance tenante par voieorale. La procdure est donc relativement simple et assez informelle. Laffairedoit tre soumise par crit dans les dlais prescrits par la loi et le documentdoit contenir les donnes didentification du plaignant, le sujet de sa requte etles recours. Les droits de la dfense exigent que les parties puissent prendreconnaissance de toutes les pices du dossier. Pendant lexamen du dossier, lejuge administratif dispose dune grande libert de jugement pour appeler destmoins, effectuer une enqute sur place ou faire appel des experts. Lepourvoi en seconde instance nest pas un principe et est inclus ou non dans lalgislation crant la juridiction44.

    Le recours en cassation est presque toujours possible. Normalement, le jugeadministratif en cassation est le Conseil dtat. Mais au XIXe sicle, alorsquil nexistait pas encore de Conseil dtat, le lgislateur avait donn par deslois spcifiques la comptence la Cour de Cassation pour casser lesdcisions de certaines juridictions45. Avec linstauration du Conseil dtat en

    44 VANDE LANOTTE, Administratieve rechstcolleges, 51-52. LAMBRECHTS, Geschillenvan bestuur, 166-168.45 En particulier, la Cour des Comptes, la Dputation Permanente, le directeur rgional desimpts, le collge des bourgmestre et chevins, le conseil suprieur de milice, les conseils dervision, les conseils de rvision de la garde civique, le conseil dappel des objections de

    conscience, les conseils dappel de lordre des avocats, des mdecins, les chambres des

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    1946, il fut dcid de faire du Conseil le juge de cassation gnral pour lesdcisions des juridictions administratives infrieures, pour assurer quelqueunit dans la jurisprudence46. Dans la loi du Conseil dtat du 23 dcembre1946, ce juge ntait pas explicitement mentionn. Le fameux article 9dclarait la section d'administration comptente pour se prononcer sur lesappels lannulation des actes et rglements des autorits administrativessubalternes ou contre les dcisions contentieuses administratives. Les juristespartageaient pratiquement lunanimit lopinion que le lgislateurintroduisait avec ce passage sibyllin une possibilit de cassation contre lesdcisions des juridictions administratives subalternes. Cela posamanifestement quelques problmes en juger par la loi du 3 juin 1971, quiajouta larticle 9 une phrase selon laquelle les juridictions administrativesdoivent se conformer la dcision dannulation si telle a t la dcision duConseil dans son arrt.

    Ce nest quavec la loi du 25 mai 1999, qui formule explicitement unedistinction entre recours en annulation et recours en cassation, que le doute futlev. Larticle 142 de la loi du Conseil dtat est formul depuis lors comme

    suit: "La section dadministration statue par voie darrts sur les recours encassation forms contre les dcisions contentieuses rendues en dernier ressortpar les juridictions administratives pour contravention la loi ou pourviolation des formes, soit substantielles, soit prescrites peine de nullit".Dans un pourvoi en cassation, le Conseil ne se prononce par sur le fond delaffaire. Il doit considrer les faits constats par le juge subalterne commeprouvs et va uniquement juger si la juridiction concerne a appliqucorrectement ou non la loi. Cette tche est comparable celle de la Cour deCassation lgard des tribunaux de droit commun. En cas dannulation,laffaire est renvoye devant la mme juridiction, une autre juridiction ou une

    juridiction spcialement cre en fonction de ce que prvoit la loi. Laffaireest de nouveau soigneusement examine et un nouveau jugement estprononc47.

    notaires, la commission suprieure de dfense sociale, les cours de rparation des dommages deguerre et le conseil d'enqute maritime.46 Aprs 1946, le lgislateur a rendu la Cour de Cassation comptente pour connatre desrecours en cassation contre les dcisions des juridictions suivantes: le conseil dappel delobjection de conscience, les conseils dappel des pharmaciens, des architectes, des mdecins,vtrinaires, des huissiers de justice, des rviseurs dentreprises, des comptables et experts-comptables, des juristes dentreprise, le conseil de la concurrence, le directoire de lindustriecharbonnire, les commissions de libration conditionnelle, et linspecteur des douanes etaccises.47 Contrairement la multitude de publications sur le pourvoi en annulation, il y a trs peu

    douvrages spcifiques sur le pourvoi en cassation auprs du Conseil dtat. VAN DAMME,

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    En matire de principes dune bonne administration de la justice, comme ledbat contradictoire, la motivation des dcisions, la publicit des sances etautres, la procdure fixe par la loi pour les juridictions administratives taitsouvent inadquate. Ds son installation en 1948, le Conseil dtat alargement contribu redresser la barre. Par ses arrts en qualit de juge encassation, le Conseil a considr certaines rgles de procdure gnralesdapplication aux juridictions administratives, mme lorsque aucun texte deloi ne limposait. De cette manire, la plus haute juridiction administrative amis fin aux situations inacceptables, sans toutefois combler toutes les lacunes.

    7. RFORMER LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF?

    Sous linfluence de la crise conomique, lintervention de ltat augmenta demanire spectaculaire dans les annes 1930. Cela sexprime aussi dans lenombre croissant de juridictions administratives cres la mme poque. Parvoie de consquence et en raison aussi de lvolution des relations entre lecitoyen et ladministration, toute une srie dtudes, de propositions de lois et

    de rformes partielles en matire darbitrage du contentieux administratif ontvu le jour. Ds le dbut des annes 1930, des juristes influents comme JulesLesps et Marcel Vauthier exprimrent des critiques sur le dsordre quirgnait dans le domaine du contentieux administratif48. Une journe dtudefut organise lULB sur ce thme le 23 avril 1934. Les rapports de cettejourne furent publis dans la Revue de lAdministration de 1935. HenriMatton, prem