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Laurent Kenigswald Transport aérien : bilan de l'expérience américaine de libéralisation et leçon pour l'Europe In: Économie & prévision. Numéro 119, 1995-3. pp. 73-86. Citer ce document / Cite this document : Kenigswald Laurent. Transport aérien : bilan de l'expérience américaine de libéralisation et leçon pour l'Europe. In: Économie & prévision. Numéro 119, 1995-3. pp. 73-86. doi : 10.3406/ecop.1995.5732 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecop_0249-4744_1995_num_119_3_5732

Transport aérien : bilan de l'expérience américaine de libéralisation et leçon pour l'Europe

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Laurent Kenigswald

Transport aérien : bilan de l'expérience américaine delibéralisation et leçon pour l'EuropeIn: Économie & prévision. Numéro 119, 1995-3. pp. 73-86.

Citer ce document / Cite this document :

Kenigswald Laurent. Transport aérien : bilan de l'expérience américaine de libéralisation et leçon pour l'Europe. In: Économie &prévision. Numéro 119, 1995-3. pp. 73-86.

doi : 10.3406/ecop.1995.5732

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecop_0249-4744_1995_num_119_3_5732

ResumenTransporte aéreo: balance de la experiencia americana de liberalizadôn y ensenanzas para Europapor Laurent KenigswaldLa plena liberalizadôn del trafico aéreo europeo prevista para el 1 ero de abril de 1 997 deberîatraducirse en una importante reestructuraciôn de la oferta, una disminucion de los precios ydinamizaciôn de la demanda. Estas previsiones, hasta aqui compartidas por la gran mayorîa de losespecialistas del transporte aéreo, se apoyan en el anâlisis de las profiindas mutaciones intervenidasen los Estados Unidos desde hace mas de quince anos. La mayorîa de estas mutaciones pueden enefecto transponerse al caso del mercado europeo: aumento de las posibilidades de elecciôn, extenciôndel abanico de precios y disminucion de las tarifas promedio. Los razgos ( las caracterîsticas ) de estasevoluciones podrîan sin embargo diferir de aquellas que se registraron en los Estados Unidos: estarîanmenos sustentadas en una reorganizaciôn de las redes radiales y mas en una disminucion de loscostos de las companfas cuya competitividad déjà mucho que desear. Si el balance de la liberalizaciôndel t râf ïco aéreo americano es en gran parte posit ivo, el anâl is is muestra ciertas"insuficiencias"("baches") del organismo encargado de regular la competencia. Sera del dominio de lasautoridades nacionales de regulation y de la Comisiôn europea el evitar la repeticiôn de estos errores,especialmente dotandose de medios para luchar contra la congestion del trafico aéreo y de ciertosaeropuertos.

AbstractAir Transport: Review of the American Liberalization Experience and a Lesson for Europeby Laurent KenigswaldThe complete liberalization of the European skies scheduled for 1 April 1997 should take the form of asubstantial restructuring of the supply, a drop in prices and a stimulation of demand. These forecasts,shared by the vast majority of air transport specialists, are based on the analysis of the extensivechanges made in the United States over more than fifteen years. Most of these changes can betransposed to the European market: greater choice, widening of the price range and decrease inaverage rates. The ways in which these changes are made could nevertheless differ from thoseobserved in the United States. They will probably rely less on a reorganization of the networks into ahub and spoke system and more on a decrease in the costs of insufficiently competitive airlines.Although the assessment of the liberalization of the American skies is largely positive, the analysisreveals certain "failures" by the body in charge of regulating competition. The national regulatoryauthorities and the European Commission will have to avoid reproducing these errors, in particular byfinding the means to effectively curb congestion in the sky and certain airports.

ZusammenfassungLuftverkehr: Bilanz des amerikanischen Liberalisierungsexperiments und Lehren fur Europavon Laurent KenigswaldDie fur den 1. April 1997 vorgesehene vollstandige Liberalisierung des europaischen Luftverkehrs diirftezu einer umfassenden Umstrukturierung des Angebots, einer Senkung der Preise und einerDynamisierung der Nachfrage fuhren. Diese Prognosen, die im iibrigen von der groBen Mehrheit derFachleute des Luftverkehrs geteilt werden, stiitzen sich auf die Analyse der tiefgreifendenUmwalzungen, die in den Vereinigten Staaten seit mehr als funfzehn Jahren vonstatten gehen. Diemeisten dieser Umwalzungen lassen sich in der Tat auf den europaischen Markt ubertragen: Zunahmeder Wahlmôglichkeiten, Erweiterung der Preisschere und Senkung der durchschnittlichen Tarife.Allerdings kônnten sich die Modalitaten dieser Entwicklungen von denjenigen unterscheiden, die in denVereinigten Staaten zutage getreten sind; denn sie wiirden weniger auf einer Neuorganisation der"Speichennetze" und mehr auf einer Senkung der Kosten der Gesellschaften, derenWettbewerbsfahigkeit zu wiinschen tibrig laBt, beruhen. Wenn auch die Bilanz der Liberalisierung desamerikanischen Luftverkehrs weitgehend positiv ist, geht aus der Analyse dennoch hervor, daB der furdie Wettbewerbsregulierung zustandigen Behorde einige Fehler unterlaufen sind. Es wird Aufgabe dernationalen Regulierungsbehôrden und der Europaischen Kommission sein, eine Wiederholung dieserFehler zu vermeiden, insbesondere indem sie die MaBnahmen vorsehen, die zu einer wirksamenBekampfung von Staus am Himmel und auf manchen Flughafen erforderlich sind.

RésuméTransport aérien : bilan de l'expérience américaine de libéralisation et leçon pour l'Europepar Laurent KenigswaldLa libéralisation totale du ciel européen prévue le 1er avril 1997 devrait se traduire par une importanterestructuration de l'offre, une baisse des prix et dynamisation de la demande. Ces prévisions, audemeurant partagés par la grande majorité des spécialistes du transport aérien, s'appuient sur l'analysedes profondes mutations intervenues aux États-Unis depuis plus de quinze ans. La plupart de cesmutations sont en effet transposables au marché européen : augmentation des possibilités de choix,élargissement de l'éventail des prix et baisse des tarifs moyens. Les modalités de ces évolutionspourraient toutefois différer de celles qui ont été relevées aux États-Unis : elles s'appuieraient moins surune réorganisation des réseaux "en étoiles" et plus sur une baisse des coûts des compagnies dont lacompétitivité laisse à désirer. Si le bilan de la libéralisation du ciel américain est largement positif,l'analyse fait toutefois apparaître certains "ratés" de l'organisme chargé de réguler la concurrence. Ilappartiendra aux autorités nationales de régulation et à la Commission européenne d' éviter dereproduire ces erreurs, notamment en se donnant les moyens de lutter efficacement contre lacongestion du ciel et de certains aéroports.

Transport aérien

Bilan de l'expérience

américaine

de libéralisation et

leçons pour l'Europe

Laurent Kenigswald (*)

(*) Direction de la Prévision, chef du bureau de l'Équipement, des transports et de l'énergie au moment de la rédaction de cet article

L'auteur remercie les rapporteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions. Il reste, bien entendu, totalement responsable des erreurs factuelles et des vices de raisonnement qui pourraient subsister.

Économie et Prévision n°l 19 1995-3

L'ouverture à la concurrence européenne du transport aérien, était en retard sur le Grand marché intérieur européen, mais en avance sur la libéralisation des autres activités de réseaux. En effet, celui-ci ne concernait que les biens et les services privés marchands, à l'exclusion des activités de réseau.

Depuis lors, la Commission des Communautés européennes s'est attachée à étendre le champ du Grand marché à ces activités, moyennant la possibilité pour les états-membres qui le souhaitent, de définir et de financer les services potentiellement déficitaires mais jugés utiles à la cohésion sociale (par exemple, assurer à tous un service postal minimum à un tarif modique). Selon les secteurs concernés (électricité, gaz, transports ferroviaires et aériens, poste, télécommunications), les négociations sur l'étendue et le financement de ce service universel et le calendrier de libéralisation du secteur ont été (ou sont encore pour certaines) plus ou moins délicates.

En ce qui concerne le transport aérien, les préoccupations d'équité sociale ou territoriale sont plutôt moins sensibles que dans d'autres secteurs (poste, énergie notamment). Il n'est donc pas surprenant que le transport aérien soit appelé, à la suite de trois "paquets" de mesures intervenues en 1987, 1990 et 1992, à être la première activité en réseau totalement libéralisée.

Dès avril 1997 en effet, rien n'empêchera British Airways de s'établir en France et de proposer une desserte Paris-Bordeaux. Il ne s'agira pas d'un "big bang" à l'image de ce qu'on peut attendre pour les télécommunications le 1er janvier 1998, car le ciel européen est déjà en partie libéralisé. Toutefois, le calme relatif qui a régné jusqu'à présent, à l'exception de la courte bataille tarifaire de la ligne Paris-Toulouse, pourrait bien être le prélude à une bataille sanglante, dans la mesure où la coexistence d'une quinzaine de compagnies "universelles" en Europe paraît difficilement envisageable à terme.

Puisque les escarmouches sont jusqu'ici restées feutrées sur le Vieux Continent, c'est vers les États-Unis qu'il convient de se tourner, d'une part pour se convaincre que les consommateurs trouveront leur compte dans l'ouverture à la concurrence, d'autre part pour analyser les difficultés qu'a rencontré la régulation et en tirer les leçons les plus adéquates pour les régulateurs nationaux et/ou le régulateur européen.

Le caractère pionnier de la réforme, tant pour la dérégulation américaine que pour l'activité de transport aérien, et les effets spectaculaires qu'elle a produit, ont suscité une littérature abondante sur laquelle s'appuie largement ce travail.

Une première partie sera consacrée à la présentation des caractéristiques du transport aérien domestique américain en 1979 (cadre réglementaire, principaux

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acteurs), des objectifs et des contenus de la réforme et à l'analyse des mutations intervenues depuis quinze ans. On s'efforcera de distinguer ce qui relève d'une évolution "au fil de l'eau" et ce qui peut être imputé à la modification du cadre réglementaire. Sur chacun des éléments de bilan, on mettra toutefois l'accent sur les insuffisances de la régulation actuelle, qui contribuent à rendre le tableau un peu moins favorable.

La seconde partie s'appliquera à comparer les caractéristiques du transport aérien européen et du transport aérien domestique américain afin à la fois de prévoir les évolutions les plus probables et de mettre en exergue les conclusions les plus pertinentes qui peuvent être transposées de l'exemple américain. On en tirera quelques indications permettant d'orienter l'action des autorités de régulation de la concurrence.

Quinze ans de mutation des transports aériens domestiques aux Etats-Unis

Les modifications réglementaires Depuis 1938, le Civil Aeronautic Board (CAB) contrôlait l'accès des transporteurs aux liaisons, réglementait leurs tarifs, surveillait les fusions et les accords de coopération, permettait éventuellement des dérogations aux lois anti-trust, et accordait des subventions pour des liaisons non rentables. En pratique, l'action du CAB semblait privilégier un objectif de minimisation de l'entropie du système, c'est-à-dire du nombre d'entrées et de sorties. Les postulants à l'entrée sur un marché étaient très souvent déboutés au profit des compagnies déjà implantées, les fusions appréciées en fonction des risques encourus par les autres transporteurs, les subventions croisées acceptées voire encouragées, et les prix fixés selon une logique de "remboursements des coûts" (Bailey, Encaoua, Joskow). La déréglementation, qui s'opéra progressivement entre 1978 et 1983, mit d'ailleurs en évidence la rigidité dans laquelle le cadre réglementaire qui avait prévalu depuis 40 ans avait enfermé l'organisation du secteur et ses processus de production.

Adopté en 1978,1' Airline Deregulation Act (ADA) organisait l'extinction progressive des compétences du CAB jusqu'en 1984. Les missions relatives à la sécurité aérienne n'étaient pas concernées par l'ADA et restaient du ressort de la Federal Aviation Administration. Le reste de la régulation du transport aérien fut transféré au Department of Transportation (DoT), à savoir notamment le contrôle des accords internationaux entre transporteurs, le contrôle des subventions accordées aux services locaux et la surveillance des fusions. La mission de contrôle des subventions s'est avérée inutile et a disparu à la fin des années 1980. En

revanche, le DoT étant jugé trop laxiste en matière de fusions, les compétences correspondantes ont été transférées au Department of Justice.

En fait, le contenu des missions initialement confiées au DoT n'apparaissait pas fondamentalement différent de celles du CAB, à l'exception notable des tarifs sur lesquels le DoT n'opère aucune surveillance à l'inverse de son prédécesseur. Mais le changement concerne surtout l'esprit dans lequel s'opère la régulation. L'intervention du régulateur est devenue l'exception qui doit être justifiée par une entorse à l'équité de la concurrence, au lieu d'être une règle appliquée systématiquement dès lors que se profilait une modification du paysage organisationnel.

Structure de l'offre

Dans un premier temps, la libéralisation a conduit à une augmentation sensible du nombre de transporteurs : 98 compagnies étaient homologuées en 1986 (dont 61 pour le transport de passagers) contre 33 (dont 28) en 1976. Par la suite le nombre de transporteurs s'est stabilisé au-dessus de 100, mais un taux élevé d'entrées-sorties a continué à prévaloir. Ce bouillonnement contraste avec la stabilité relative que connaissait le secteur auparavant. Parmi les compagnies qui sont apparues dans le tourbillon de la déréglementation, on notera toutefois qu'aucune n'a pris place parmi les majors du secteur et que certaines ont connu des faillites retentissantes : Braniff, People Express, imputables à des erreurs de gestion (Braniff) ou à une qualité de service vraiment faible correspondant à un positionnement trop exclusivement tarifaire (People Express). Il n'en reste pas moins que les "nouveaux transporteurs" ont intensifié la pression sur les coûts et ont eu un impact durable sur le secteur.

Malgré la progression du nombre de transporteurs, la concentration de l'activité s'est intensifiée ces dernières années après avoir diminué dans la période qui a suivi la réforme. Cet argument est souvent utilisé par les détracteurs de la réforme et notamment l'école française (Pavaux, Villiers) à l'appui de leurs réserves. En fait, plus qu'à la concentration globale, le consommateur est surtout sensible aux possibilités de choix qui prévalent sur la ligne qu'il souhaite emprunter. Or, le nombre de transporteurs assurant une liaison s'est accru dans" une grande majorité de cas (Moore, 1984 ; Morrison et Winston, 1990) et l'éventail des tarifs disponibles s'est considérablement élargi. Ainsi, si le nombre moyen de compagnies opérant au niveau national (soit l'inverse de l'indice d'Herfindahl) est revenu de 8,7 en 1978 à moins de 8 aujourd'hui après avoir dépassé 11 en 1985, le nombre moyen de compagnies par liaison offerte est passé de 1,52 à près de 2.

Cette évolution globalement satisfaisante aurait pu l'être plus encore si les autorités de régulation n'avaient pas commis quelques erreurs en matière d'accords entre compagnies. D'une façon générale,

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de tels accords doivent être appréciés en comparant les gains que le consommateur est appelé à retirer de l'amélioration de la productivité des transporteurs, avec les pertes liées aux effets anti-concurrentiels éventuels de l'accord. Or une tolérance inopportune semble avoir prévalu, surtout au moment où le DoT est devenu "principal maître à bord" en matière d'accords de partage de codes et en matière de fusions.

Le partage du code, pratique consistant pour une compagnie régionale à faire enregistrer un vol sous le code à deux chiffres d'une compagnie longue distance, s'est en effet largement répandu. Pourtant, les avantages qu'en retire le consommateur en matière de coordination des vols des deux transporteurs sont souvent faibles au regard de l'effet anti-concurrentiel lié à l'usurpation de la notoriété de la grande compagnie. De telles pratiques doivent d'autant plus être examinées avec attention qu'elles préludent souvent à des fusions.

Concernant précisément les fusions, Borenstein (1989) a étudié le cas de deux accords controversés qui sont intervenus à l'automne 1986 : le rachat par TWA d'Ozark Airlines et la fusion entre Northwest et Republic Airlines. Dans les deux cas, l'accord a conduit à concentrer les trois quarts du trafic d'un hub majeur entre les mains d'un transporteur unique (Minneapolis/St Paul pour Northwest et St Louis pour TWA). Borenstein note d'ailleurs que les parts de marché de Northwest et TWA ont encore progressé après les fusions, notamment sur les vols originaires ou à destination de l'aéroport dont les compagnies s'étaient assurées la maîtrise. Les Frequent Flyer Programs pourraient avoir joué un rôle important dans l'accroissement du pouvoir de marché. Quoiqu'il en soit dans les deux cas, même si les chiffres sont plus nets pour Northwest, les compagnies ont mis à profit leur domination locale pour augmenter les prix (40% pour Northwest sur les lignes où elle s'est retrouvée en position de monopole après fusion) et diminuer la capacité offerte. Cette étude est venue corroborer la thèse d'une complaisance excessive du DoT à l'égard des fusions. Depuis, le Department of Justice, à qui ont été transférées les attributions correspondantes, semble avoir fait preuve de plus de prudence dans ses décisions.

Pour y répondre, considérons une ligne reliant deux villes, assez distantes, l'une importante, l'autre peu peuplée. Avant la déréglementation, la situation qui prévalait était celle d'une desserte par un nombre réduit de transporteurs. On sait que le consommateur vise à minimiser le coût généralisé qu'entraîne pour lui un tel déplacement, somme du coût monétaire du billet et de la valorisation de son temps (il attribue généralement des valeurs différentes au temps de vol, de transfert ainsi qu'à l'avance et au retard par rapport à sa date d'arrivée t* optimale).

L'introduction d'une escale peut être un moyen de minimiser la somme des coûts des compagnies et des consommateurs, améliorant ainsi le bien-être global. En effet, si les conditions géographiques sont favorables, c'est-à-dire s'il existe à proximité de la ville C peu peuplée (afin de ne pas trop allonger le trajet), un aéroport B dont le trafic est dense, il sera préférable pour les compagnies de proposer une desserte avec escale en B, l'intensité du trafic entre A et B permettant une desserte par des avions de plus grande capacité que les appareils assurant la desserte directe AC (économies d'envergure). Au total, malgré l'allongement de parcours qu'introduit l'escale et le coût d'une touchée supplémentaire, le coût moyen du parcours ABC peut être inférieur au coût de AC (cf. graphique 1). Si toutes les compagnies présentes sur ce segment de marché bénéficient d'un accès non discriminatoire aux aéroports, cet avantage de coût sera répercuté au consommateur. Celui-ci aura ainsi de bonnes chances de réaliser des économies sur le coût non monétaire, les fréquences étant plus élevées à la fois sur AB et BC que sur AC et le temps de correspondance souvent faible grâce à une bonne coordination des plages horaires de départ et des plages d'arrivée. En effet, si la demande de déplacements entre deux points s'exprime par une formule gravitaire :

dem(X,Y) = a P°p{X) P°H2Y) la demande

sera beaucoup plus forte sur chacun des segments AB et BC que sur AC, permettant économies de densité, d'envergure et fréquences plus élevées.

Graphique 1 : Hubbing et bien-être des consommateurs

Organisation des réseaux

Un des événements les plus spectaculaires auxquels a conduit la libéralisation du transport aérien domestique est sans doute le développement rapide des vols avec correspondance, dont le corollaire est la formation, chez tous les grands transporteurs, de réseaux en étoile faisant transiter une part importante du trafic par des aéroports ("hubs") servant de plaques tournantes. Le "hubbing" appelle deux questions : est-il une source d'abaissement des coûts pour les compagnies ? Les consommateurs y trouvent-ils leur compte ?

L'introduction d'une escale en B permet d'accroître la fréquence et la taille des avions qu'emprunterons sur les segments AB et BC les anciens utilisateurs de la ligne AC. Ceux-ci auront ainsi de fortes chances de combiner économies et gain de temps global.

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Pour affiner le diagnostic sur l'évolution de la structure des réseaux, Gordon (1991) a étudié l'évolution entre 1978 et 1989 des marchés constitués par 500 paires de villes qui totalisent 60% des des passagers- kilomètres-transportés (PKT) domestiques. Il constate que 422 liaisons n'ont pas changé de mode de desserte (elles sont restées directes ou avec escale), 61 nécessitent dorénavant une escale alors que 17 sont devenues non-stop. La fréquence quotidienne offerte sur les liaisons sur lesquelles une escale a été introduite est passée de 1,5 à 2,5. Ces observations conduisent à relativiser, au moins quantitativement, les évolutions intervenues entre 1978 et 1989, la part des vols avec escale n'étant passée que de 27 à 33%.

Ce constat synthétique pourrait apparaître contradictoire avec les évaluations de la réforme, effectuées notamment par Morrison et Winston (1986, 1993) (cf. ci-après) qui attribuent au développement des réseaux étoiles une part importante des gains de bien-être permis par la libéralisation. En fait, les inefficacités qu'induisent la réglementation du C A B tenaient au moins autant à l'absence de souplesse par rapport à l'évolution de la demande et à une absence d'incitation des compagnies à coordonner leurs correspondances (dans le cas d'un vol avec escale) qu'à un biais systématique en faveur des liaisons non-stop.

À l'encontre de Morrisson et Winston, certains auteurs et notamment Dempsey ( 1 990), estiment que les allongements de parcours et l'introduction de correspondances supplémentaires liés à la nouvelle structure de réseaux dégradent la qualité de service et présentent donc une utilité négative pour le consommateur. Il y aurait donc lieu d'exclure, au minimum, le décompte des sièges- kilomètres-offerts (SKO) ou des PKT, ces allongements "inutiles" de parcours. Une telle correction le conduit à revoir fortement à la baisse les gains de productivité liés à la réforme du transport aérien domestique.

Cet argument apparemment conforme au bon sens, a reçu une réponse convaincante dans un article de Borenstein (1991), que l'article (1989, op.cit) sur les effets néfastes de fusions mal maîtrisés rend peu suspect de complaisance systématique à l'égard de la libéralisation. Borenstein rappelle ainsi que le "hubbing" améliore globalement la qualité du service, l'impact favorable de l'augmentation des fréquences et de la baisse des coûts l'emportant sur l'augmentation du nombre de correspondances (si tel n'était pas le cas, certaines compagnies n'auraient continué avec succès à exploiter un réseau non étoile). Pour appuyer cette augmentation, Borenstein a simulé sur une partie du réseau un système où tous les vols seraient directs ; le nombre de SKO ne serait réduit que de 4%, au prix de l'insatisfaction de besoins latents très importants.

Au total, l'argumentation développée par Dempsey n'apparaît guère recevable ; il n'y a pas lieu de

modifier les statistiques de SKO ou de PKT après 1978 pour mesurer l'impact de la déréglementation sur l'évolution de la demande (PKT) et de la productivité (SKO/employé).

Pour évaluer l'impact de la déréglementation sur la demande, l'analyse à partir des graphiques de PKT ou de SKO se révèle peu convaincante, du moins sur les années qui ont suivi immédiatement la réforme, le deuxième choc pétrolier et la récession qui s'en est suivie ayant pesé sur la demande. Sur dix ans (1977-1987), on constate toutefois une progression de 7,3% par an des PKT, soit une élasticité à la croissance de l'économie américaine beaucoup plus élevée que celle qui prévalait avant la réforme. En l'absence de celle-ci, il est clair que la maturation progressive de l'activité du transport aérien se serait traduite par une moindre élasticité au PIB. Ce constat vient corroborer qualitativement les simulations de Morrisson à Winston selon lesquelles l'impact sur la demande est de l'ordre de 20%.

Qualité de service Une des craintes les plus répandues sur les effets de la libéralisation concernait une dégradation de la qualité de service : moindre ponctualité, incidents divers, voire progression de l'insécurité. Toutes les études consacrées à ces questions concluent à un impact nul voire positif sur les indicateurs de qualité : - mesurée par le pourcentage de vols arrivant moins d' 1/4 heures après l'horaire prévu, la ponctualité est restée pratiquement identique à ce qu'elle était en 1977-1978 ; - le nombre de plaintes reçues par de régulateur (CAB autrefois, DoT aujourd'hui) a fortement diminué ; - concernant les accidents, Phillips (1991) note une diminution de leur gravité, alors que Rose (1990) met en évidence une stabilité de leur occurrence. Les accidents intervenus en 1994 dans le ciel américain ont pu frapper l'imagination. De fait, aucune modification réglementaire n'est intervenue récemment et la situation financière des compagnies avait commencé de se redresser, ce qui exclut l'hypothèse de négligences induites par le souci d'économies. Du reste, le choix des consommateurs fait largement intervenir la réputation des compagnies concurrentes en matière de sécurité et leur intérêt bien compris ne passe donc pas par des économies sur ce poste. Morrison et Winston (1988) ont évalué à 80 dollars de 1983 la désutilité moyenne qui s'attache pour chaque voyageur à une compagnie impliquée dans un accident mortel récent.

La série malheureuse de 1994 doit donc être considérée comme un "point aberrant" de la statistique des accidents et l'analyse doit donc s'appuyer sur une période suffisamment longue. Ainsi, mesurée par le ratio nombre d'accidents mortels pour 100 000 vols, la tendance baissière qui prévalait avant 1978 ne s'est pas inversée depuis, comme le montre le graphique 2.

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Graphique 2 : nombre d'accidents pour 100 000 vols Graphique 3 : tarifs moyen par passagers / kilomètres transportés (en cents)

0" ' ' ' ' ' ■ ■ ■ ■ i ■ ■ ■ ■ i 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985

Source : Air Transport Association 1950 1955 1960

Source : The Airline Quartely 1965 1970 1975 1980 1985 87

Dans l'étude qu'ils consacrent aux questions de sécurité, Morrison et Winston (1988) montrent que l'importance relative des principales causes d'accident- n'a guère chargé depuis la déréglementation et que les pilotes impliqués étaient plutôt plus expérimentés qu'auparavant, comptant notamment plus d'heures de vol sur l'appareil concerné.

Tarifs

Avant la déréglementation, on sait que le CAB fixait les prix en fonction de la distance. Le manque de souplesse du système conduisait à une prise en charge trop partielle des caractéristiques individuelles de chaque liaison et des possibilités induites par l'accroissement de la taille des appareils. Les coûts ayant baissé plus rapidement que les tarifs, les compagnies étaient conduites à se faire une concurrence féroce en matière de fréquences. La libéralisation des prix a donc permis une combinaison concurrentielle (prix, fréquences) plus proche de l'optimum social que celle qui prévalait avant 1978.

L'impact de la déréglementation sur les prix peut se résumer en un quadruple constat : baisse de la recette moyenne, alignement des prix sur les coûts, complexification des tarifs et apparition de programmes de fidélisation de la clientèle. Si les deux premiers phénomènes profitent à l'évidence au consommateur, l'impact des deux derniers viennent en partie le contrebalancer.

Comme les graphiques de demande, les graphiques de tarifs moyens par PKT rendent compte assez mal de l'impact de Y Airline Deregulation Act sur les tarifs (d'autant que les ordonnées du graphique 3 ne sont pas présentées sur une échelle logarithmique).

Pour mieux l'apprécier, Morrison et Winston (1986) ont établi l'équation de formation des prix suivante un univers dérégulé :

log ( Average fare )

= - 4,677 + 0,4136 log (fuel price ) (1,310) (0,1519)

+ 0,5449 log (wage ) + 0,4802 log ( distance) (0,1276) (0,0305)

+ 0,0760 log ( departures) (0,0307)

R2 = 0,92

Où wage représente le salaire moyen versé dans le secteur et departures le nombre de dessertes hebdomadaires proposé sur la ligne.

Sur la base de cette équation, ils estiment que la hausse moyenne des tarifs aurait dû être de 93% en dollars courants entre 1977 et 1983. Cette estimation est d'ailleurs relativement proche de celle de l'évolution des coûts à organisation du transport constant, telle que l'a calculée Y Air Transport Association of America (82%). Que l'on choisisse un déflateur ou l'autre, la hausse des tarifs effectivement constatée entre 1977 et 1983 (38%) apparaît largement inférieure. L'impact de la réforme sur la recette moyenne par PKT se situe ainsi dans une fourchette (24%, 29%).

L'alignement des prix sur les coûts correspond à la disparition des subventions croisées. Dans le cas américain, les liaisons de longue distance ont vu leur prix diminuer plus rapidement que la recette tarifaire moyenne, alors que certaines liaisons à courte

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distance voyaient leur tarif augmenter. En contrepartie, la qualité de service s'est améliorée sur ces lignes, dès lors que la rémunération des transporteurs est redevenue normale.

Enfin, la grille tarifaire est devenue extraordinairement complexe : on comptait à la fin des années quatre- vingt environ 100 000 tarifs possibles, alors que la combinatoire des liaisons possibles est beaucoup plus réduite. Cette inflation est la conséquence du souci des compagnies de maximiser leur recette en ajustant le plus finement possible le prix proposé par une liaison au coefficient de remplissage actuel et aux perspectives du marché. Le "yield management" est d'ailleurs aujourd'hui adopté par la plupart des compagnies dont l'activité s'opère dans un cadre réglementaire souple.

Aux États-Unis, en tout état de cause, les consommateurs ont donc vu, pour une liaison donnée, leur choix d'itinéraire, de fréquences et de tarifs s'élargir considérablement. Pour optimiser leur choix, ils ont donc eu recours plus souvent aux agences de voyages : près de 90% des ventes aujourd'hui contre 56% en 1977 (Encaoua, Perrot, 1991). La rente informationnelle que se partagent les agences vient donc en déduction des gains de la déréglementation pour les consommateurs. Ces pertes en ligne, qui auraient pu être limitées, ont été amplifiées par des phénomènes d'asymétrie d'information entre compagnies et agences d'une part, et entre agences et consommateurs de l'autre.

Agences et compagnies sont en effet liées par des contrats de long terme qui régissent la rétribution des agences. Or 1' "effort" fourni par ces dernières dans la réalisation de leurs tâches n'est pas parfaitement observable. D'autre part, rien ne garantit au consommateur l'objectivité de l'information que l'agence lui fournit. Le consommateur ne sera d'ailleurs incité à augmenter ses coûts de recherche en s'assurant de l'objectivité d'une agence ou en en mettant plusieurs en concurrence, qu'à condition d'être le payeur en dernier ressort, ce qui n'est pas le cas lors de déplacements professionnels.

Dans le cas américain, les asymétries d'information ont été d'autant plus dommageables pour le consommateur que : - les agences étaient souvent incitées à favoriser certaines compagnies, soit à la suite de phénomènes d'intégration verticale (acquisition de réseaux de vente), soit à la suite d'accords de "bonus" (Travel Agents Commission Override ou TACO), qui prévoient des compléments de rétribution lorsque l'agence dépasse un seuil de chiffre d'affaires ou de part de marché ; - les agences disposent le plus souvent d'un seul système informatisé de réservation (SIR) pour

informer le consommateur. Or, dans la mesure où l'investissement que représente un tel SIR dépasse en général la centaine de millions de dollars, les compagnies instigatrices de ces investissements ont généralement cherché à en tirer profit, soit en interdisant à d'autres compagnies d'y avoir accès ou en leur imposant des tarifs prohibitifs, soit en se réservant l'exclusivité de la première page à l'écran qui fait l'objet d'environ 70% des achats (Encaoua-Perrot, 1991 ; Katz, 1988). Malgré l'édiction en 1984 et en 1986 par le Department of Justice de nouvelles règles concernant la liberté d'accès aux SIR, la neutralité d'affichage et la non-discrimination des prix de raccordement, le problème est resté délicat, les compagnies souhaitant en substance qu'un "droit de discrimination minimal" rétribue leurs investissements.

L'apparition des Frequent Flyer Programs (FFP) n'a, quant à elle, bénéficié qu'en apparence aux consommateurs. Ces programmes, que les compagnies européennes et asiatiques ont elles aussi adoptées, consistent en l'attribution de points pour chaque vol effectué, en fonction de la distance et du tarif. Lorsqu'il atteint un certain cumul de points, le bénéficiaire a droit à des vols gratuits selon un barème qui varie selon les transporteurs. Les points sont incessibles et ne sont utilisables que sur les compagnies associées au programme. On conçoit que cet outil de fidélisation de la clientèle biaise le choix des consommateurs en faveur des compagnies dont le réseau est le plus étendu, car ce sont elles qui sont le plus susceptibles d'offrir des vols gratuits réellement attractifs.

Rétribution des facteurs de production

Le travail Le bilan de la libéralisation est, de ce point de vue, ambigu. Le pouvoir des syndicats a été renforcé par la suppression du Mutual Aid Pact, qui garantissait aux compagnies aériennes dont les employés étaient en grève, la solidarité financière des autres transporteurs. Mais, l'arrivée sur le marché de nouvelles compagnies dont le personnel n'est pas syndiqué vient en sens inverse réduire l'audience syndicale (Moore, 1986).

Les études de Morrison et Winston et de Moore (op. cit.) concluent à une légère augmentation du salaire réel, alors que celui-ci reculait légèrement dans l'ensemble de l'économie, et à une progression de l'emploi. Dans les deux cas toutefois, un léger infléchissement s'est produit par rapport au rythme qui prévalait avant la déréglementation à la fois en termes absolus et relativement à d'autres secteurs de l'économie. On constate d'ailleurs que, d'une façon générale, les contrats de travail mis en place après 1978 conduisent à des rémunérations moins élevées que celles des employés en place.

78

Le capital Les études réalisées par Bailey- Williams (1986) et Moore (1986) aboutissent à des conclusions identiques : les compagnies régionales ont vu leurs bénéfices progresser considérablement et de façon régulière alors que les résultats des transporteurs long-courriers étaient stables en moyenne sur la période, mais avec de fortes fluctuations d'une année sur l'autre. Ce constat de forte variabilité, dressé en 1986, n'a rien perdu de sa pertinence aujourd'hui.

En 1986, les deux études précitées concluaient à une stabilité de la valeur boursière relative du transport aérien, alors même que le différentiel de croissance avec le reste de l'économie aurait dû doper les actions des compagnies aériennes. Ce deuxième constat reste grosso modo valable aujourd'hui, une fois dissipés les effets de la myopie induite par les mauvais résultats de 1991, 1992 et 1993.

Au total, il serait tout aussi erroné de prétendre que les compagnies (et leurs actionnaires) ont excessivement profité de la réforme, que de conclure à une concurrence destructrice. C'est donc sans ambiguïté le consommateur qui a retiré l'essentiel sinon la totalité des dividendes de la réforme.

Un chiffrage du bien-être généré par la réforme de 1978 Pour évaluer les gains d'efficacité induits par la libéralisation, il convient de sommer les bénéfices qu'en ont retiré les consommateurs, les producteurs et l'État.

La réforme a permis à l'État d'économiser sur certains coûts administratifs (le fonctionnement du DoT et de la part du DoJ affectée à la surveillance des fusions s'avère beaucoup moins coûteux que le fonctionnement du CAB). Par ailleurs, les gains d'efficacité dans la desserte des liaisons déficitaires ont permis de réduire le montant de subventions nécessaires. La somme de ces deux effets ne dépasse toutefois pas 150 millions de dollars de 1977 (Weidenbaum et De Fina, 1978).

Les bénéfices que les producteurs ont retiré de la réforme font l'objet de controverses. Selon Bailey-Williams (1986) et Moore (1986), la libéralisation aurait été neutre pour les compagnies. Au contraire, Morrison et Winston en estimaient en 1986 l'impact à 2,5 milliards de dollars de 1977, cette évaluation étant légèrement revue à la baisse (4,9 milliards de dollars de 1990) dans l'étude de Winston de 1993 consacrée à l'ensemble des expériences de libéralisations sectorielles aux États-Unis. La méthode utilisée, consistant à évaluer ce qu'aurait été la marge des compagnies en 1977 dans un univers dérégulé n'est, en soi, pas contestable. Toutefois, l'absence, parmi les variables explicatives du taux de marge(1) d'indicateur de l'intensité de la concurrence ou de coûts introduits par la réforme (création des SIR, commissions supplémentaires aux agences, etc..) vient limiter la portée de l'équation obtenue. Par ailleurs, et surtout, la comparaison des gains simulés et des bénéfices effectivement enregistrés par les compagnies fait apparaître que la situation de référence aurait vu les transporteurs enregistrer en

Tableau 1 : pourcentage moyen pondéré d'évolution liée à la dérégulation dans les tarifs, les prix, la fréquence selon la catégorie de l'aéroport de départ et d'arrivée (petit, moyen, gros et non hub)

Catégorie

Non hub-non hub

Non hub-petit hub

Non hub-moyen hub

Non hub-gros hub

Petit hub-petit hub

Petit hub-moyen hub

Petit hub-gros hub

Moyen hub-moyen hub

Moyen hub-gros hub

Gros hub-gros hub

Nombre de liaisons 51

52

45

53

50

69

57

69

161

205

Tarif affaire 21,2

22,5

5,4

16,3

15,3

18,7

25,0

15,6

17,4

8,6

Tarif réduit 22,1

12,3

-0,4

9,1

11,3

10,4

8,1

2,0

-6,8

-17,6

Temps -4,1

-0,8

-5,7

-1,5

-5,1

-4,8

10,1

-4,5

12,7

4,2

Fréquence

33,9

1,4

24,3

28,7

33,9

20,8

19,2

-4,3

14,4

-3,5

79

permanence des déficits, ce qui n'est évidemment pas une hypothèse admissible.

En revanche, l'estimation effectuée en 1986 par Morrison et Winston des gains de bien-être retirés par le consommateur n'a guère fait4'objet de contestations pertinentes par les économistes. La méthode comporte trois étapes : simulation des prix du transport aérien en 1977 dans un cadre dérégulé, simulation de la demande adressée aux compagnies et calcul des gains de bien-être qui en aurait résulté. Les calculs correspondants ont été effectué pour un échantillon de 812 paires de villes représentatives de la diversité du secteur.

Les principes de la première étape ont été retracés. Rappelons que Morrison et Winston évaluent la baisse simulée des tarifs à environ 25%.

La demande adressée aux transporteurs a été estimée à l'aide de deux modèles Logit (un pour les voyageurs de tourisme, l'autre pour la clientèle d'affaires) faisant intervenir la concurrence des modes de transport terrestres (voiture, chemin de fer, bus) dans le comportement de maximisation de l'utilité du consommateur.

Enfin, les gains de bien-être sont évalués pour l'ensemble des modes et divisés par la probabilité pour le consommateur de choisir la voie des airs.

Les résultats sont détaillés dans le tableau 1. D'une façon générale, la fréquence s'est largement accrue (l'étude menée par Winston en 1993 lui confère plus de la moitié des bénéfices de la réforme) et les prix ont baissé, sauf certains tarifs aux départs des plus gros aéroports, en raison des phénomènes de capture des hubs. En revanche, le temps de trajet a plutôt augmenté, contribuant défavorablement au bilan.

Au total, Morrison et Winston évaluaient en 1986 les bénéfices de la réforme pour les consommateurs entre 1,3 et 8,7 milliards de dollars de 1977 suivant le déflateur retenu pour la simulation tarifaire et l'hypothèse effectuée en matière de pourcentage des voyageurs d'affaires payant plein tarif. Le chiffre de 6 milliards de dollars de 1977 soit 35 % du chiffre d'affaires du secteur était jugé le plus plausible.

Cette estimation a toutefois été revue à la baisse en 1993, Winston proposant une fourchette allant de 8,8 à 14,8 milliards de dollars 1990 pour les consommateurs, soit 10 à 15% du chiffre d'affaires du transport aérien.

Leçons pour l'Europe du transport aérien

Les spécificités du marché intra-européen Les différences entre l'Union européenne (à quinze)et les États-Unis sont substantielles et conduisent à une grande prudence dans la transposition des conclusions de la partie précédente. En premier lieu, le cadre réglementaire initial n'était pas le même sur les deux rives de l'Atlantique. Le transport intra-européen étant pour l'essentiel international, il était régi par des accords bilatéraux de partage des capacités entre les compagnies concernées. Le plus souvent, n'étaient concernés qu'un (le) transporteur du pays de départ et un (le) transporteur du pays de départ, le partage se faisant sur une base 50-50, les tarifs des deux compagnies étant bien évidemment identiques. Il s'agissait donc d'un cadre réglementaire encore plus contraignant que celui qui prévalait aux États-Unis.

Par ailleurs, le marché intra-européen diffère nettement du marché américain. Il est d'abord d'une taille cinq à six fois inférieure, à la fois parce que les liens entre états-membres sont plus ténus que les liens qui prévalent à l'intérieur de la fédération américaine, et parce que la moindre superficie de l'Europe rend l'avion plus vulnérable à la concurrence du train et de l'automobile. Le marché intra-européen se caractérise également par une faible distance moyenne d'escale (environ 600 kilomètres contre 2000 aux États-Unis), avec une forte concentration des aéroports et de la population sur une "dorsale" Londres, Francfort, Milan (Pavaux, 1990).

Enfin, la part du trafic charter est beaucoup plus élevée en Europe (près de la moitié des vols et plus de 60% des PKT). Cette contrepartie au régime réglementaire contraignant auquel sont soumis les vols réguliers permet de satisfaire la clientèle "tourisme".

Enfin, le ciel européen se caractérise par un fort degré de congestion de l'espace mais, plus encore, de certains aéroports : Heathrow, Orly et Francfort notamment.

Les grandes lignes de la réforme... La démarche adoptée par la Commission pour ouvrir le ciel européen à la concurrence a, pour le moins, été empreinte de gradualisme : - introduction en 1984 d'une plus grande souplesse dans le partage des capacités et la fixation des tarifs ; - début de mise en œuvre de la libéralisation en décembre 1987 à l'aide de deux règlements et une directive mettant notamment l'accent sur la nécessité de politiques coordonnées et concurrentielles.

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Dans le même temps, le Conseil européen prenait un ensemble de décision qui illustrait une volonté politique de ne pas s'en tenir à un statu quo dans lequel la coopération prendrait le pas sur la concurrence : élargissement des quote-part bilatérales de capacité, autorisation de multidésignation sur la base de paires de pays (à condition que le trafic dépasse un certain seuil) et élargi progressivement à des paires de villes ; création de droits de trafic de 5ème liberté et autorisation de cabotage à condition que le service proposé prolonge un service existant et qu'il concerne au moins un aéroport régional. Enfin, la décision du conseil prévoyait que les prix soient soumis à la règle de "double désapprobation" : un tarif proposé par une compagnie est adopté à moins que les deux états-membres concernés ne s'y opposent conjointement ; - un deuxième "paquet" adopté en 1990 a poursuivi ce processus de libéralisation avant qu'un troisième "paquet" ne le parachève en 1992, laissant toutefois encore cinq années aux compagnies pour s'y préparer. Ce n'est donc qu'à échéance du 1er avril 1997 que les états-membres perdront totalement leurs prérogatives sur les droits de trafic, le cabotage ne pouvant notamment plus être refusé, et que les compagnies jouiront d'une totale liberté tarifaire.

Au total, le processus se sera étalé sur treize années, soit le double de la durée de la période transitoire aux États-Unis. Si les États -Membres les plus favorables à la libéralisation, Royaume-Uni et Pays-Bas notamment, ont négocié des accords bilatéraux permettant d'anticiper sur le processus, d'autres pays, dont la France, ont préféré utiliser au maximum les délais d'adaptation prévus par la Commission.

... et ses conséquences probables Selon les économistes les plus réservés sur l'ouverture à la concurrence, les caractéristiques du transport aérien intra-communautaire devraient conduire à des réorganisations de faible ampleur, limitant ainsi les bénéfices pour le consommateur. Ainsi, Pavaux (1990) estime peu probable la formation de réseaux étoiles en Europe du fait de la concentration des trafics sur la "dorsale" Londres- Francfort-Milan. Par ailleurs, le degré élevé de congestion du ciel et des aéroports européens limiterait la concurrence entre transporteurs. Au total, le consommateur qui bénéficiait déjà avant 1984 de possibilités de choix plus étendues qu'aux États-Unis (vols charters et transports terrestres performants), ne retirerait qu'un profit limité de la libéralisation.

Fondées sur des prémisses incontestables, les conclusions de Pavaux apparaissent largement excessives, comme le prouvent les premières expériences d'ouverture à la concurrence à l'intérieur de la Communauté. Ainsi, l'étude de Abott et Thompson (1990) montre que, sur la liaison Londres-Amsterdam, auparavant desservie

exclusivement par KLM et BA, l'arrivée de quatre nouveaux transporteurs a permis entre 1982 et 1987 un accroissement du trafic de 63%, un accroissement des fréquences de vol de 90%, une baisse en termes réels des prix de la classe économique de 20% et un recul des coûts réels de 11%.

Les estimations de la Commission européenne (1988) tablent sur une réduction des coûts et des prix de 10% soit un surplus pour la collectivité de l'ordre de 10 millions de francs. L'exemple précité laisse penser qu'il s'agit d'un calcul prudent, la transposition des résultats de Winston (1993) conduisant, modulo une règle de trois, à un ordre de grandeur trois fois plus élevé.

En dehors même de toute restructuration des réseaux, les compagnies existantes semblent à même de réaliser des gains de productivité substantiels sur la productivité des hommes et du matériel et des économies conséquentes sur la rémunération de leur personnel. En effet, l'étude de Caves, Christensen et Tretheway (1984), qui fait autorité en matière de productivité dans le transport aérien, laisse penser que, même en intégrant l'impact des facteurs défavorables que sont la faible densité de la plupart des lignes intra-communautaires et la brièveté des liaisons, les coûts unitaires des compagnies européennes restent sensiblement plus élevés que ceux des compagnies américaines. L'ampleur des restructurations intervenues chez British Airways, devenue l'une des compagnies les plus profitables du monde, ainsi que chez Lufthansa et KLM, corrobore l'idée d'un gisement substantiel d'économies.

Par ailleurs, Encaoua et Perrot (1991) notent que l'écart entre prix par PKT et coût par S KO est beaucoup plus élevé en Europe que sur le réseau mondial et que la variance de cet écart entre compagnies européennes est relativement faible. Le consommateur pourrait donc espérer que la concurrence lui garantisse non seulement un alignement des coûts sur ceux des compagnies les plus performantes mais aussi une disparition de la rente dont bénéficiaient les transporteurs les plus abrités.

Il reste ensuite à voir quelles sont les chances d'une réorganisation des réseaux en étoile, qui contribuerait à de nouveaux gains pour le consommateur. La réponse à cette question semble indissociable du traitement des problèmes de congestion, à la fois des aéroports principaux et de l'espace aérien. L'encombrement de certains des principaux aéroports de la Communauté et leur domination par un transporteur, rend difficile la création de réseaux étoiles. Un tel réseau s'articule en effet autour d'une ou plusieurs plaques tournantes à laquelle (auxquels) la compagnie qui opère sur le réseau doit facilement pouvoir accéder.

Les aéroports des principales cités européennes étant pratiquement tous congestionnés, à quelques

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exceptions près comme Roissy, qui souffre en revanche d'un déficit d'attractivité par rapport à Orly, on pourrait envisager la création de hubs secondaires. Encaoua et Perrot (op.cit) ont étudié les conditions auxquelles doit satisfaire un aéroport régional pour devenir une telle plaque tournante et en dégagent trois qui paraissent particulièrement cruciales : une situation géographique centrale, un niveau suffisant de trafic local et des capacités encore imparfaitement utilisées. On pourrait rajouter à ces critères une bonne desserte terrestre de l'aéroport. De tous ces points de vue, Lyon-Satolas constituerait un bon candidat. Constituerait et non constitue, car l'encombrement du ciel européen est un frein supplémentaire à la constitution de réseaux étoiles, qui accroissent, à demande constante, le nombre de vols effectués.

Les accords entre compagnies peuvent être une source supplémentaire d'accroissement de l'efficacité du transport aérien. Mais il convient, si l'on veut qu'ils contribuent au bien-être des consommateurs, de s'assurer qu'ils ne s'accompagnent pas d'entraves à la concurrence telles que leur bilan global soit négatif. Si les accords de coopération technique profitent généralement aux consommateurs, notamment lorsqu'ils visent à mettre en commun certains services fournis à rendements croissants (acheminement des bagages, maintenance au sol, etc.), les accords de coordination d'horaires sur un aéroport et, a fortiori, les accords de partage de codes et les fusions doivent être examinées avec attention par le régulateur, de même que les contrats qui lient transporteurs et agences de voyage.

Les conditions d'une régulation optimale

Garants de l'équité de la concurrence, les régulateurs nationaux devront lutter contre les imperfections de marché que ne manqueront pas de susciter les compagnies aériennes (discriminations à l'accès aux hubs, asymétries d'informations liées à la possession d'un SIR ou à des relations privilégiées avec un réseau d'agences de voyage), ainsi que contre les effets anti-concurrentiels de certains accords entre transporteurs.

Deux types d'accords méritent une attention particulière : - concernant les accords de partage du code qui consistent pour une "petite" compagnie à faire enregistrer ses vols sous le code à deux lettres d'une compagnie plus importante, ils doivent être appréciés au regard du degré d'information du consommateur. Il n'y a pas lieu de l'interdire systématiquement. Toutefois, lorsque par exemple, les appareils de la petite compagnie sont repeints aux couleurs de la grande, il y a usurpation de réputation. Jusqu'ici, de tels accords ont été assez rares en Europe, mais il est probable que la libéralisation du ciel européen rendent la pratique plus fréquente ;

— d'importants accords de fusions sont en revanche intervenus lors de la période transitoire qui s'est ouverte en 1984, et il est déjà possible d'en tirer certaines leçons, en général convergentes avec les enseignements de l'expérience américaine.

On a souligné que l'opportunité d'une fusion devrait être appréciée en comparant l'ampleur des gains d'efficacité que permet l'exploitation des économies de densité et d'envergure aux effets négatifs liés notamment à la création ou au renforcement d'une position dominante sur un aéroport.

Les décisions prises par la Commission lors des fusions intervenues entre British Airways et British Caledonian d'une part, et entre Air France, Air Inter et UTA d'autre part, semblent effectivement inspirées par le souci de garantir au consommateur d'en tirer avantage. Dans le cas britannique, la Commission a ainsi demandé à British Airways d'abandonner certaines de ses liaisons au départ d' Heathrow au profit de nouveaux concurrents, afin de contrecarrer l'effet de concentration des créneaux d'atterrissage et de décollage induit par la fusion. Les mêmes considérations ont inspiré la décision concernant les compagnies françaises, l' accord étant subordonné à l'ouverture partielle du ciel français.

L'efficacité de l'action du régulateur européen a toutefois été contrecarrée par l'action des états-membres concernés. Tout d'abord, le soutien explicite de l'actionnaire principal, sinon unique, des compagnies concernées par la fusion a pratiquement empêché la Commission de rendre un avis négatif, si tant est qu'elle en ait eu la tentation. En second lieu, lorsque le régulateur national se confond avec l'actionnaire principal des compagnies qui opèrent le rapprochement, la tentation est forte de freiner une ouverture du ciel national qui se fait nécessairement au détriment de la compagnie intérieure. Ces difficultés, qui ont été levées dans le cas français par un recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes, illustrent la nécessité de régulateurs nationaux indépendants. Dès que cette condition sera remplie, la pression des états-membres pour autoriser certains accords deviendra d'ailleurs vaine.

Le traitement des asymétries d'information se révèle plus difficile. Ni l'analyse théorique ni la référence américaine ne permettent de dégager des solutions miracles. Certaines conclusions de portée opérationnelle se dégagent toutefois. En premier lieu, toutes les formes d'intégration verticale entre compagnies et agences de voyage doivent bien évidemment être découragées. Mais cela ne suffit pas à garantir l'objectivité de l'information fournie aux consommateurs. L'idéal serait pour cela de supprimer les relations contractuelles entre transporteurs et agences, par exemple en transférant la charge de leur rémunération sur les bénéficiaires du service, c'est-à-dire les consommateurs. Cette rémunération pourrait s'effectuer sur une base

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forfaitaire, une indexation sur le prix du billet n'incitant guère l'agence à l'objectivité. Un tel transfert sur les consommateurs offre toutefois l'inconvénient de bouleverser des habitudes bien ancrées, ce qui pourrait le rendre impopulaire. À défaut, le régulateur devrait s'employer à limiter les clauses incitatives dans les contrats entre transporteurs et agences.

Même si l'agence se veut objective, l'information qu'elle offre au consommateur risque d'être biaisée par le système informatique de réservation qu'elle a choisi. Il appartient donc au régulateur de s'assurer que les SIR présents sur le marché sont ouverts à toutes les compagnies de façon non discriminatoire et que l'information n'est pas biaisée (par exemple, première page écran réservée à la compagnie propriétaire du système). On a vu, dans le cas américain, qu'au-delà des difficultés d'une telle vérification, les exploitants des SIR s'appuient sur les coûts d'investissement qu'ils ont supporté pour en contester la légitimité. À l'évidence, les progrès effectués dans le domaine des bases de données rendraient aujourd'hui possible la création soit d'un système de réservation universel et objectif, soit d'un accès généralisé à l'ensemble des SIR. Malheureusement, les projets de l'IATA en ce sens ont jusqu'ici buté sur l'absence de coopération des compagnies qui, ayant investi sur des SIR, subiraient une perte égale à la valeur résiduelle de leur investissement. Aucune solution ne s'impose donc pour traiter le problème de la tarification et de l'équité de l'accès aux SIR. Comme toute question relative à l'accès de tiers à un réseau, il revient toutefois au régulateur national, européen voire mondial (IATA) de le traiter.

Mais le défi le plus redoutable pour les régulateurs est sans doute celui de la congestion des aéroports principaux. Avant d'étudier en détail les diverses solutions possibles à ce problème, il faut souligner que la question de l'encombrement du ciel européen avec laquelle l'amalgame est parfois fait, semble en revanche susceptible de recevoir un traitement relativement simple. Plus que d'un encombrement du ciel, le transport aérien intra-européen semble en effet souffrir des performances insuffisantes du contrôle de l'espace aérien. Le problème pourrait sans doute être résolu en bonne partie par l'adoption d'un système de contrôle unifié, au niveau communautaire, la multiplicité (plus de 20) et le faible degré de compatibilité des systèmes nationaux utilisés étant une source majeure d'inefficacité. Seule une procédure concertée organisée sous l'égide de la Commission peut permettre de faire émerger le standard le plus performant. Ce n'est qu'après cette démarche, et au vu d'éventuelles carences résiduelles, que l'embauche de contrôleurs aériens supplémentaires devrait être envisagée.

Le problème de la congestion aéroportuaire est à l'origine de deux désagréments majeurs pour le consommateur : limitation de la concurrence et pertes de temps. Aux États-Unis, Morrison et

Winston (1989) ont chiffré les enjeux à 1 1 milliards de dollars. Le phénomène étant encore plus prononcé en Europe, ses enjeux peuvent être chiffrés à plus de 20 millions de francs (après règle de trois), soit un ordre de grandeur comparable avec celui des gains attendus de la dérégulation. Encore s'agit-il là d'enjeux à court terme. Pour le moyen-terme, un traitement insatisfaisant de la congestion obligera à construire des pistes supplémentaires, avec le risque, si le rejet des populations riveraines s'intensifie, de devoir les installer loin des agglomérations desservies. Il en résulterait une perte notable de bien-être pour le consommateur, et de compétitivité pour le transport aérien moyen-courrier par rapport à la montée en puissance du TGV, mode concurrent.

Malgré l'importance de l'enjeu, rares sont les autorités aéroportuaires qui se sont attaquées aux causes de la congestion, c'est-à-dire notamment à l'inefficacité des procédures d'allocation des créneaux d'atterrissage et de décollage ("slots" dans la terminologie anglo-saxonne). Dans la quasi totalité des cas, la règle qui prévaut est celle du droit du grand-père, selon lequel les créneaux d'une compagnie n'ont pas vocation à être redistribués tant qu'ils continuent à être exploités (le transporteur dominant est même parfois associé aux décisions concernant l'allocation des créneaux vacants). Ce système, dans lequel l'antériorité prime sur l'efficacité, constitue une barrière à l'entrée considérable, surtout lorsque, comme à Orly ou à Heathrow, le rythme de rotation des créneaux est faible.

À ces inefficacités dans l'allocation des créneaux entre compagnie, s'en ajoute une autre, de nature tarifaire. Les droits d'atterrissage sont en effet généralement assis sur le poids des appareils. Or une tarification optimale devrait incorporer non seulement les coûts d'entretien des pistes, pour lesquels la variable pertinente est effectivement le poids, mais aussi les coûts d'exploitation, de capital (nécessité de dimensionner les investissements à la pointe) et les coûts externes de congestion. Or ces trois derniers coûts sont pratiquement indépendants du poids des avions, certains auteurs faisant même remarquer que les petits porteurs sont plus sensibles aux remous d'air que les gros et qu'ils imposent par conséquent des délais plus longs entre les opérations. En favorisant les petits porteurs, le système tarifaire actuel renforce, de façon inopportune, la congestion des aéroports, notamment aux heures de pointe.

Bien que ces inconvénients soient généralement admis par les gestionnaires d'aéroports, on ne recense à ce jour que deux expériences de tarifications modulées : l'aéroport de Boston-Logan et les plates-formes londoniennes. Dans les deux cas, les autorités ont fortement différencié les tarifs en fonction de l'horaire demandé, l'écart pouvant aller de 1 à 10 entre creux et super-pointe, et ont atténué les modulations assises sur le poids des

83

avions. L'élasticité de la demande de créneaux à leur coût s'est toutefois révélée plutôt faible, notamment pour les vols transatlantiques ; en revanche, des réallocations significatives entre gros et petits porteurs ont pu être observées.

En tout état de cause, l'expérience de Boston n'a duré que 5 mois (entre juillet et décembre 1988), le Department of Transport ayant jugé que les petits porteurs étaient victimes d'une discrimination arbitraire. Quant à British Airport Authority, elle avait choisi en 1979 un système tarifaire différenciant selon les horaires et selon l'aéroport londonien choisi (Heathrow/Gatwick/Stansted). Alors que BAA a résisté depuis seize ans aux plaintes récurrentes émanant notamment des transporteurs américains, qui arguaient d'une nécessité vitale d'atterrir pendant la pointe du matin, elle semble prête à renoncer d'elle-même. Bien que les tribunaux lui aient toujours donné raison, l'intensification de la concurrence entre plates-formes aéroportuaires européennes la pousse à éviter les conflits avec les compagnies.

Dans le cas français, une tarification plus économique des créneaux conduirait à un renchérissement important du transport intérieur, et notamment des liaisons peu fréquentées, sur lesquelles les deux vols quotidiens se situent nécessairement dans les pointes du matin et du soir.

Une conclusion importante se dégage des deux exemples de BAA et d'Aéroports de Paris : des intérêts nationaux (compétitivité d'une plate-forme, accessibilité du transport aérien domestique) peuvent conduire une autorité aéroportuaire à abandonner ou à ne pas envisager la modulation tarifaire des créneaux, pourtant collectivement préférable à l'échelle de la Communauté. Ceci pose la question de la subsidiarité : si le régulateur national s'avère incapable de faire prévaloir l'intérêt général, la Commission semble fondée à se saisir de la question. Dans le cadre actuel, elle paraît être seule en mesure de faire prévaloir la solution coopérative consistant à généraliser la modulation tarifaire des créneaux.

Les expériences ont toutefois montré que l'élasticité de la demande de créneaux au prix était relativement faible et que la modulation tarifaire ne permettait pas de faire disparaître totalement la congestion. Les instances de régulation devront donc de toute façon s'attacher à améliorer l'efficacité du mode d'allocation des créneaux. En la matière, la référence est l'introduction en 1986 de mécanismes de marché dans quatre aéroports américains (JFK et La Guardia à New- York, O'Hare à Chicago et National à Washington). Dans ce système, les créneaux, attribués initialement selon le principe des droits acquis, sont librement échangeables entre les compagnies, 5% de l'ensemble des créneaux étant repris initialement par le gestionnaire de l'aéroport et distribués à de nouveaux entrants. Le choix d'allouer initialement les créneaux selon le droit du

grand-père s'est révélé d'autant plus contre-productif que l'aversion au risque de nombreuses compagnies les a conduit à stériliser les créneaux les plus attractifs de peur de ne pas pouvoir les racheter plus tard lorsqu'elles en auraient de nouveau besoin (Poole, 1989). Au total, les transactions sont restées peu nombreuses.

Les économistes qui ont étudié la question, à l' image de Borenstein (1988) préconisent généralement de recourir à un système d'enchères dans lequel les gestionnaires d'aéroports seraient initialement propriétaires de l'intégralité des créneaux. Les principales critiques adressées à un tel système ont trait aux coûts de transaction supplémentaires qu'il introduirait, à l'augmentation des coûts de compagnies et donc de leur tarifs qu'elle induirait au risque d'enchères prédatrices et à la discrimination dont souffriraient les transporteurs opérant sur les aéroports les plus encombrés. Ces arguments sont de valeur inégale. La critique relative à la discrimination apparaît injustifiée. Dans la mesure où un marché pertinent se définit par une ville de départ et une ville d'arrivée, tous les transporteurs désirant être présents sur ce marché seraient logés à la même enseigne. Au contraire, la redistribution des cartes à laquelle donnerait lieu un tel système d'enchères devrait plutôt permettre une égalisation des chances. La critique relative à la montée des coûts soulève en revanche la question de l'utilisation des fonds collectés lors de l'enchère initiale. Si la situation financière confortable des gestionnaires d'aéroports laisse penser que leur part du gâteau ne doit pas dépasser les coûts d'organisation des enchères, aucun critère ne semble s'imposer quant au mode de restitution, aux compagnies et aux consommateurs, du reste des fonds collectés.

Le risque d'enchères prédatrices apparaît, quant à lui, faible. S'il est possible, comme cela a été le cas lors de l'expérience menée dans les quatre aéroports américains depuis 1986, que les créneaux soient très fortement valorisés, il n'y a pas lieu de penser qu'un tel comportement serait plus le fait de " grosses " compagnies qui pourraient ainsi empêcher les plus petites d'entrer sur le marché. Aucune raison ne justifie donc de protéger certains transporteurs dans un tel mécanisme d'enchères. Une appréciation incorrecte de la valeur des créneaux de la part de certaines compagnies est néanmoins source d'inefficacité, dans la mesure où les pertes de bien-être induites par la redistribution des fonds collectés seront plus élevées.

D'une façon générale, il est évident que les coûts de transaction et les "pertes en ligne" liées à la redistribution viendront réduire les gains d'efficacité que l'on peut attendre des enchères. Toutefois, l'ampleur des enjeux (au moins 20 milliards de francs pour le transport intra-européen) laisse espérer que les effets positifs l'emporteraient si l'expérience était tentée.

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Finalement, aucune des critiques adressée à la mise aux enchères des créneaux horaires n'apparaît dirimante. Comme dans le cas de la modulation tarifaire des créneaux, le principal problème réside sans doute dans l'opposition résolue des compagnies en place à un tel système qui les priverait de la rente dont elles jouissent actuellement. Sans aller jusqu'à dire que le succès de la libéralisation du transport aérien intra-européen dépend exclusivement de la réponse qu'y sera apportée, il est clair que l'amélioration de l'efficacité des créneaux sera un enjeu stratégique pour les instances de régulation.

Conclusion

Malgré notamment un certain laxisme en matière de fusions et un traitement insatisfaisant des problèmes de congestion aéroportuaire, le bilan de la réforme intervenue aux États-Unis est très nettement positif. Le consommateur en a été le grand bénéficiaire. Winston (1993) a ainsi évalué les bénéfices de la réforme à 4,9 milliards de dollars de 1990 pour les producteurs et 8,8 à 14,8 milliards de dollars pour les consommateurs. Au total, le surplus s'inscrit dans une fourchette allant de 13,7 milliards de dollars 1990 à 19,7 milliards de dollars, soit entre 15% et 20% du chiffre d'affaires du secteur.

Les citoyens américains sont d'ailleurs pleinement conscients des bienfaits de la réforme puisqu'ils sont 69% à la juger positive (contre 52% dans le cas des télécommunications et 47% pour le câble).

Il serait hasardeux de transposer ces pourcentages à l'Europe du transport aérien qui offre de nombreuses différences avec le compartiment domestique aux États-Unis. Rien n'assure pourtant que les consommateurs européens ne doivent pas retirer de la libéralisation à venir des bénéfices comparables à ceux qui ont pu être obtenus outre- Atlantique. La comparaison entre l'Europe d'aujourd'hui et les États-Unis de la fin des années soixante-dix est en effet ambiguë : - les consommateurs du Vieux Continent bénéficient déjà de la souplesse des vols charter, qui représentent la moitié des trajets effectués. Par ailleurs, la faible distance moyenne d'escale, l'intensité de la congestion de certains aéroports majeurs, et la concentration géographique de la population et des activités limitent les chances d'une réorganisation significative des réseaux en étoile, qui a été aux Etats-Unis une des causes principales du succès de la réforme ; - en revanche, les transporteurs européens semblent, à quelques exceptions près être relativement moins efficaces que n'étaient les compagnies américaines à la fin des années 1970 et le marché reste beaucoup plus protégé qu'il ne l'était outre- Atlantique avant la réforme.

Il est donc permis d'espérer que la libéralisation totale qui interviendra en Europe le 1er avril 1997 permettra des gains de bien-être substantiels, dont les consommateurs des pays qui ont opté pour une dérégulation anticipée, Royaume Uni et Pays-Bas notamment, ont déjà en partie pu profiter. L' ampleur des bénéfices que retireront les consommateurs d'un pays dépendra toutefois de façon cruciale de l'impartialité dont fera preuve le régulateur et de l'efficacité avec laquelle il traitera les imperfections du marché et les obstacles à la concurrence.

L'un des dysfonctionnements du marché actuel les plus criants et les plus coûteux pour les compagnies et leurs passagers a trait à l'encombrement du ciel et de certains aéroports. Bien que le premier problème semble pouvoir être résolu beaucoup plus facilement que le second, le traitement de ces deux dossiers nécessite un degré élevé de collaboration entre régulateurs nationaux et une implication active de la Commission des communautés européennes. La question de la réforme du mode d'allocation des créneaux semble être celle dont la solution apporterait le plus de bénéfice aux consommateurs ; c'est également celle où les débats seront les plus tendus et donc celle où un soutien apporté par la Commission au régulateur national apparaît le plus nécessaire.

Par ailleurs, même que l'enjeu est moindre, l'accroissement spontané de la demande provoqué par la baisse des prix peut être en partie neutralisé par la montée corrélative des temps de parcours du centre ville aux aéroports. Il appartient là exclusivement au gestionnaire des aéroports concernés (plate-formes londoniennes ) de conjurer ce risque, notamment lorqu'un mode concurrent performant comme le TGV vient défier la suprématie de l'aérien.

L'importance des enjeux liés à la congestion ne doit toutefois pas faire oublier les questions relatives aux accords de coopération entre compagnies, notamment les fusions, et les problèmes informationnels liés à l' intermédiation des agences et des systèmes informatisés de réservation.

Au total, on le voit, la régulation du transport aérien semble promise à un bel avenir. Bien que certains économistes négligent parfois d'intégrer cet effet, l'apparition de ce nouveau et passionnant métier constitue un des bénéfices potentiels que la collectivité retirera de la libéralisation du ciel européen.

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