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8 actualités Actualités pharmaceutiques n° 473 Avril 2008 Un nouveau traitement de la leucémie myéloïde chronique (LMC) est commercialisé par Novartis. Quelques années après le lancement de l’imatinib, premier inhibiteur de tyrosine kinase, s’agit-il, à nouveau, d’un traitement révolutionnaire ? J usqu’à ces dernières années, les seuls traitements proposés dans la leucémie myéloïde chronique comprenaient l’hydroxycarbamide (Hydréa ® ), inhibiteur de la ribonucléotide- diphosphate réductase, utilisable en ambulatoire, qui permettait de prolonger un état asymptomati- que, mais sans véritable rémis- sion, le clone du chromosome transloqué Philadelphie persistant dans la moelle. Le seul traitement pouvant guérir les malades était donc la greffe de moelle précédée d’un traitement myélodestructeur de la moelle malade. Si cette tech- nique permet de guérir un patient sur deux de moins de 45 ans, elle nécessite de trouver un greffon compatible HLA et engendre une mortalité de l’ordre de 20 %. La mise sur le marché de l’inter- féron alpha (IFNα) a permis une rémission dans 25 % des cas, en inhibant notamment la synthèse protéique des cellules myéloïdes. Les IFN permettent non seule- ment une rémission hématologi- que, mais aussi parfois une rémis- sion cytogénétique. La survie des patients a été significativement améliorée. L’imatinib (Glivec ® ), puissant inhibiteur de tyrosine kinase BCR-ABL au niveau cel- lulaire, est indiqué dans la LMC- Ph+ en crise blastique, en phase accélérée ou chronique lorsque la greffe de moelle osseuse ne peut être envisagée comme un traitement de première intention ou chez des patients chez qui l’IFNα ne peut être utilisé. Ainsi, l’imatinib entraîne une réponse favorable aux niveaux clinique et hématologique, mais également une réponse cytogénétique avec la normalisation du caryotype. Cependant, une résistance pri- maire (rare en traitement chro- nique) ou secondaire est parfois observée. De plus, ce traitement peut être responsable de l’appa- rition de crampes, de douleurs osseuses et articulaires, d’une élévation des transaminases et de cytopénies, imposant son arrêt. Une alternative intéressante... C’est pour toutes ces raisons qu’a été développé le nilotinib (Tasigna ® ) qui se lie aussi sélectivement et avec une grande affinité sur le site de liaison ATP de la kinase BCR- ABL. Il inhibe la prolifération cellu- laire, aussi bien des lignées cellu- laires que des cellules LMC Ph+ primaires, et allonge la survie dans les modèles animaux murins de LMC 1 . Le nilotinib est actif contre les formes mutantes de BCR-ABL résistantes à l’imatinib et inhibe aussi, aux doses thérapeutiques, la PDGFR et la kinase c-kit. Il est indiqué dans le traitement de la LMC chromosome de Ph+ en phases chronique et accélérée, résistant ou intolérant à un traite- ment antérieur incluant l’imatinib. Cependant, les données d’effica- cité chez des patients ayant une LMC en crise blastique – quand ils en auraient le plus besoin – ne sont pas disponibles. Se présentant sous forme de gélules dosées à 200 mg (boîtes de 112 gélules), Tasigna ® est dis- ponible depuis le 18 février der- nier. La dose initiale recomman- dée est de 400 mg deux fois par jour, soit 800 mg par jour 2 . Les pri- ses journalières doivent se faire, à 12 heures d’intervalle environ, en dehors des repas. Le patient ne doit consommer aucun aliment pendant les deux heures précé- dant la prise et pendant une heure au moins après celle-ci. La prescription doit être initiale- ment hospitalière et les renou- vellements sont réservés aux spécialistes en oncologie ou en hématologie. ...malgré la survenue d’effets indésirables Tasigna ® n’échappe pas à la surve- nue d’effets indésirables. Sa sécu- rité a été testée chez 438 patients sur une durée moyenne de traite- ment de 5 à 8 mois 3 . Parmi eux, 13 % ont nécessité une interrup- tion du traitement en raison d’effets indésirables majeurs. La principale manifestation toxique du niloti- nib est la myélosuppression avec thrombopénie (27 %), neutropénie (15 %) et anémie (13 %), justifiant une surveillance de l’hémogramme tous les 15 jours en début de traite- ment, puis tous les mois. Les effets indésirables non hématologiques les plus fréquents rapportés jus- qu’à présent sont éruption cutanée, prurit, nausées, céphalées, fatigue, constipation et diarrhées. La plupart sont cependant d’intensité légère à modérée. Aucune donnée sur l’utilisation de Tasigna ® chez des femmes enceintes n’est disponible. Les ex- périmentations animales n’ont pas montré de tératogénicité, mais on a observé une toxicité fœtale et embryonnaire à des doses qui étaient aussi toxiques pour la mère. Tasigna ® ne sera donc pas administré durant la grossesse. Le nilotinib étant métabolisé dans le foie par l’intermédiaire du CYP3A4, l’administration concomitante par des inhibiteurs puissants du CYP3A4 (kétoconazole, itracona- zole, voriconazole, clarithromycine, ritonavir ou autres inhibiteurs de la protéase) augmentant la biodispo- nibilité du nilotinib, devrait donc être évitée. Le jus de pamplemousse et d’autres aliments inhibant le CYP3A4 sont aussi à proscrire. De même, la prise simultanée d’in- ducteurs du CYP3A4 (rifampicine, carbamazépine, phénobarbital, phénytoïne, millepertuis) peut diminuer l’exposition au nilotinib. Enfin, le nilotinib étant lui même un inhibiteur compétitif des CYP3A4, 2C8, 2C9 et 2D6, il peut augmen- ter les concentrations plasmatiques de midazolam ou de coumarine. L’administration simultanée de Tasigna ® avec d’autres substrats de ces enzymes, qui ont une faible marge thérapeutique, impose la prudence. Sébastien Faure Maître de conférences des Universités, Faculté de pharmacie, Angers (49) [email protected] Références 1. Kaur P et coll. Nilotinib treatment in mouse models of P190 Bcr/Abl lymphoblastic leukemia. Mol Cancer 2007; 6: 67. 2. RCP Tasigna ® . 3. Kantarjian HM et coll. Nilotinib (formerly AMN107), a highly selective BCR-ABL tyrosine kinase inhibitor, is effective in patients with Philadelphia chromosome-positive chronic mye- logenous leukemia in chronic phase following imatinib resistance and intole- rance. Blood 2007; 110(10): 3 540-6. NDLR : Vous pouvez lire un article sur la leucémie myéloïde chronique en page 25 de ce numéro. Recherche Un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase

Un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase

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8actualités

Actualités pharmaceutiques • n° 473 • Avril 2008

Un nouveau traitement

de la leucémie myéloïde

chronique (LMC) est

commercialisé par

Novartis. Quelques

années après le

lancement de l’imatinib,

premier inhibiteur

de tyrosine kinase,

s’agit-il, à nouveau,

d’un traitement

révolutionnaire ?

Jusqu’à ces dernières années, les seuls traitements proposés dans la leucémie

myéloïde chronique comprenaient l’hydroxycarbamide (Hydréa®), inhibiteur de la ribonucléotide-diphosphate réductase, utilisable en ambulatoire, qui permettait de prolonger un état asymptomati-que, mais sans véritable rémis-sion, le clone du chromosome transloqué Philadelphie persistant dans la moelle. Le seul traitement pouvant guérir les malades était donc la greffe de moelle précédée d’un traitement myélodestructeur de la moelle malade. Si cette tech-nique permet de guérir un patient sur deux de moins de 45 ans, elle nécessite de trouver un greffon compatible HLA et engendre une mortalité de l’ordre de 20 %.La mise sur le marché de l’inter-féron alpha (IFNα) a permis une rémission dans 25 % des cas, en inhibant notamment la synthèse protéique des cellules myéloïdes. Les IFN permettent non seule-ment une rémission hématologi-que, mais aussi parfois une rémis-sion cytogénétique. La survie des patients a été significativement améliorée. L’imatinib (Glivec®), puissant inhibiteur de tyrosine kinase BCR-ABL au niveau cel-

lulaire, est indiqué dans la LMC-Ph+ en crise blastique, en phase accélérée ou chronique lorsque la greffe de moelle osseuse ne peut être envisagée comme un traitement de première intention ou chez des patients chez qui l’IFNα ne peut être utilisé. Ainsi, l’imatinib entraîne une réponse favorable aux niveaux clinique et hématologique, mais également une réponse cytogénétique avec la normalisation du caryotype. Cependant, une résistance pri-maire (rare en traitement chro-nique) ou secondaire est parfois observée. De plus, ce traitement peut être responsable de l’appa-rition de crampes, de douleurs osseuses et articulaires, d’une élévation des transaminases et de cytopénies, imposant son arrêt.

Une alternative intéressante... C’est pour toutes ces raisons qu’a été développé le nilotinib (Tasigna®) qui se lie aussi sélectivement et avec une grande affinité sur le site de liaison ATP de la kinase BCR-ABL. Il inhibe la prolifération cellu-laire, aussi bien des lignées cellu-laires que des cellules LMC Ph+ primaires, et allonge la survie dans les modèles animaux murins de LMC1. Le nilotinib est actif contre les formes mutantes de BCR-ABL résistantes à l’imatinib et inhibe aussi, aux doses thérapeutiques, la PDGFR et la kinase c-kit.Il est indiqué dans le traitement de la LMC chromosome de Ph+ en phases chronique et accélérée, résistant ou intolérant à un traite-ment antérieur incluant l’imatinib. Cependant, les données d’effica-cité chez des patients ayant une LMC en crise blastique – quand ils en auraient le plus besoin – ne sont pas disponibles.Se présentant sous forme de gélules dosées à 200 mg (boîtes

de 112 gélules), Tasigna® est dis-ponible depuis le 18 février der-nier. La dose initiale recomman-dée est de 400 mg deux fois par jour, soit 800 mg par jour2. Les pri-ses journalières doivent se faire, à 12 heures d’intervalle environ, en dehors des repas. Le patient ne doit consommer aucun aliment pendant les deux heures précé-dant la prise et pendant une heure au moins après celle-ci.La prescription doit être initiale-ment hospitalière et les renou-vellements sont réservés aux spécialistes en oncologie ou en hématologie.

...malgré la survenue d’effets indésirablesTasigna® n’échappe pas à la surve-nue d’effets indésirables. Sa sécu-rité a été testée chez 438 patients sur une durée moyenne de traite-ment de 5 à 8 mois3. Parmi eux, 13 % ont nécessité une interrup-tion du traitement en raison d’effets indésirables majeurs. La principale manifestation toxique du niloti-nib est la myélosuppression avec thrombopénie (27 %), neutropénie (15 %) et anémie (13 %), justifiant une surveillance de l’hémogramme tous les 15 jours en début de traite-ment, puis tous les mois. Les effets indésirables non hématologiques les plus fréquents rapportés jus-qu’à présent sont éruption cutanée, prurit, nausées, céphalées, fatigue, constipation et diarrhées. La plupart sont cependant d’intensité légère à modérée.Aucune donnée sur l’utilisation de Tasigna® chez des femmes enceintes n’est disponible. Les ex-périmentations animales n’ont pas montré de tératogénicité, mais on a observé une toxicité fœtale et embryonnaire à des doses qui étaient aussi toxiques pour la mère. Tasigna® ne sera donc pas administré durant la grossesse.

Le nilotinib étant métabolisé dans le foie par l’intermédiaire du CYP3A4, l’administration concomitante par des inhibiteurs puissants du CYP3A4 (kétoconazole, itracona-zole, voriconazole, clarithromycine, ritonavir ou autres inhibiteurs de la protéase) augmentant la biodispo-nibilité du nilotinib, devrait donc être évitée. Le jus de pamplemousse et d’autres aliments inhibant le CYP3A4 sont aussi à proscrire. De même, la prise simultanée d’in-ducteurs du CYP3A4 (rifampicine, carbamazépine, phénobarbital, phénytoïne, millepertuis) peut diminuer l’exposition au nilotinib. Enfin, le nilotinib étant lui même un inhibiteur compétitif des CYP3A4, 2C8, 2C9 et 2D6, il peut augmen-ter les concentrations plasmatiques de midazolam ou de coumarine. L’administration simultanée de Tasigna® avec d’autres substrats de ces enzymes, qui ont une faible marge thérapeutique, impose la prudence. �

Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

Références1. Kaur P et coll. Nilotinib treatment

in mouse models of P190 Bcr/Abl

lymphoblastic leukemia. Mol Cancer

2007; 6: 67.

2. RCP Tasigna®.

3. Kantarjian HM et coll. Nilotinib

(formerly AMN107), a highly selective

BCR-ABL tyrosine kinase inhibitor, is

effective in patients with Philadelphia

chromosome-positive chronic mye-

logenous leukemia in chronic phase

following imatinib resistance and intole-

rance. Blood 2007; 110(10): 3 540-6.

NDLR : Vous pouvez lire un article

sur la leucémie myéloïde chronique

en page 25 de ce numéro.

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