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1 Colloque « Effets de style au Moyen Age », Aix-en-Provence, 28-31 mai 2008 organisé par Chantal Connochie-Bourgne et Sébastien Douchet Julien Ferrando Un style de composition musicale au service de la papauté : le motet politique à la cour de Clément VI Préliminaire Alors qu'en cette première moitié du XIVe siècle les conceptions du pouvoir royal et princier évoluent vers une modification notable de la notion de règne, les pontifes vont se livrer un combat doctrinal afin de faire face à ces mutations de l'exercice politique. Ainsi, la modification progressive de la société féodale voit l'arrivée en France, d’un nouveau moyen de gouverner : l’État souverain 1 . En Italie la bourgeoisie d’affaires s’impose peu à peu dans les cités influentes telles que Padoue, Florence, Bologne et s’insinue dans leur vie politique. La redécouverte de la politiques et Éthiques (je mettrais au singulier) d'Aristote entraîna le développement d'une conception d'un État séculier. Ainsi dès 1260 la notion de science politique se développe chez ces théoriciens. Cet instrument, de plus en plus ouvert sur le monde temporel, annonce le déclin progressif de la toute-puissance du pape et de l'Église. Dans ce mouvement, les conceptions sur l'homme, fruit de la création divine, évoluent pour aller vers l’idée d’un homme totalement politique dans sa nature : une nouvelle conception de la philosophie médiévale incluant une certaine vision naturaliste du monde, du ciel, de la vie et de la fin de l’homme 2 . Le « célèbre » conflit entre Philippe le Bel et le pape Boniface VIII a fortement marqué les esprits et engagé un combat juridique et doctrinal virulent. Il n’empêche que la papauté veut garder sa primauté juridictionnelle et politique. Elle s’oriente 1 «Ainsi, l'idée que le pouvoir de gouverner provenait d'une source divine coexistait avec des idées de naturaliste relative à l'État ; l'obligation de principe pour le dirigeant d'exercer un gouvernement divin persista et, chez beaucoup d'auteurs, les prétentions de la juridiction ecclésiastique limitée toujours l'exercice de la souveraineté séculière. »... « À partir de la fin du XIIe siècle, les canonistes et les civilistes développèrent les notions de souveraineté territoriale, reflétant ainsi les tendances contemporaines dans le domaine du gouvernement. Les juristes appliquèrent d'abord ces notions au gouvernement des rois. Deux formules célèbres furent utilisées: le roi est empereur dans son royaume (Rex in regno suo est imperator reg annulé ni sui); le roi ne reconnaît aucun supérieur »: Burns, James Henderson, 1993, Op.Cit.,. p342. 2 Marcel PACAUD, la théocratie, l'église le pouvoir au Moyen Âge, Desclée, Paris.1989, p 340

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Colloque « Effets de style au Moyen Age », Aix-en-Provence, 28-31 mai 2008 organisé par Chantal Connochie-Bourgne et Sébastien Douchet

Julien Ferrando

Un style de composition musicale au service de la papauté : le motet politique à la cour de Clément V I

Préliminaire Alors qu'en cette première moitié du XIVe siècle les conceptions du pouvoir

royal et princier évoluent vers une modification notable de la notion de règne, les pontifes vont se livrer un combat doctrinal afin de faire face à ces mutations de l'exercice politique. Ainsi, la modification progressive de la société féodale voit l'arrivée en France, d’un nouveau moyen de gouverner : l’État souverain1. En Italie la bourgeoisie d’affaires s’impose peu à peu dans les cités influentes telles que Padoue, Florence, Bologne et s’insinue dans leur vie politique. La redécouverte de la politiques et Éthiques (je mettrais au singulier) d'Aristote entraîna le développement d'une conception d'un État séculier.

Ainsi dès 1260 la notion de science politique se développe chez ces théoriciens. Cet instrument, de plus en plus ouvert sur le monde temporel, annonce le déclin progressif de la toute-puissance du pape et de l'Église. Dans ce mouvement, les conceptions sur l'homme, fruit de la création divine, évoluent pour aller vers l’idée d’un homme totalement politique dans sa nature : une nouvelle conception de la philosophie médiévale incluant une certaine vision naturaliste du monde, du ciel, de la vie et de la fin de l’homme2. Le « célèbre » conflit entre Philippe le Bel et le pape Boniface VIII a fortement marqué les esprits et engagé un combat juridique et doctrinal virulent. Il n’empêche que la papauté veut garder sa primauté juridictionnelle et politique. Elle s’oriente

1 «Ainsi, l'idée que le pouvoir de gouverner provenait d'une source divine coexistait avec des idées de

naturaliste relative à l'État ; l'obligation de principe pour le dirigeant d'exercer un gouvernement divin persista et, chez beaucoup d'auteurs, les prétentions de la juridiction ecclésiastique limitée toujours l'exercice de la souveraineté séculière. »... « À partir de la fin du XIIe siècle, les canonistes et les civilistes développèrent les notions de souveraineté territoriale, reflétant ainsi les tendances contemporaines dans le domaine du gouvernement. Les juristes appliquèrent d'abord ces notions au gouvernement des rois. Deux formules célèbres furent utilisées: le roi est empereur dans son royaume (Rex in regno suo est imperator reg annulé ni sui); le roi ne reconnaît aucun supérieur »: Burns, James Henderson, 1993, Op.Cit.,. p342. 2Marcel PACAUD, la théocratie, l'église le pouvoir au Moyen Âge, Desclée, Paris.1989, p 340

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donc très rapidement vers l'origine et la légitimité de son autorité sur la terre de plus en plus contestée afin d’en démontrer le bienfondé3.

D’un point de vue plus musical et jusqu’au début du XIVe siècle, la papauté considérait la musique comme un élément fonctionnel, étroitement lié à la liturgie. Cependant l’évolution du contexte géopolitique, des mentalités, ainsi que des théories de la « politique » entraînent une lutte juridique et intellectuelle entre les cours temporelles et intemporelles. Dans ces conditions la papauté va très vite se rapprocher d’un genre particulièrement usité en cette première partie du XIVe siècle : le motet. Ce genre déjà en place depuis au moins 1250, va grandement évoluer au cours de ce siècle pour devenir un outil véritablement complémentaire dans l’art de gouverner. Cependant, outre l’aspect purement formel, le motet va se construire une véritable singularité dans l’art de la rhétorique en instaurant peu à peu des schèmes de composition communs et inéluctables. Ce genre fut largement étudié sous un aspect trop souvent globalisé, ne permettant pas de singulariser ses différentes variables.

Nous proposons par conséquent d’évoquer le style du motet « tardo médiéval » en fonction en France dès 13424, qui semble hériter des premiers motets politiques italiens. Il atteindra au XVe siècle, son paroxysme de complexité avec Dufay. Toutefois, parler de style pour la musique médiévale étant assez délicat, nous allons donc recadrer notre conception par rapport au motet et sa forme, puis nous analyserons dans une dimension herméneutique, une œuvre particulièrement singulière de ce style : le motet Petre Clemens / Lugentium siccentur/ Non est inventus du grand Philippe de Vitry composé dans le giron de la cour de Clément VI en Avignon.

3 Julien Ferrando, 2006, « L’ars rhetorica musicalis en Avignon au temps des papes : L’exemple du motet

« Petre Clemens » de Philippe de Vitry (1342) », in Music and the Arts, Part two. Proceedings from ICMS 7. Ed. par Eero Tarasti Acta Semiotica Fennica n°XXIII, Helsinki. 4 Nous nous référons ici à la date du motet de Philippe de Vitry Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est

inventus, premier motet politique complet, destiné à un pape.

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Le style du motet tardo-médiéval :

Le motet est généralement approché en premier lieu sous une vision plutôt manichéenne. Toutefois, il s’avère que les discours inscrits dans ces productions s’organisent sur un plan argumentatif bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Par conséquent, comment définir ce style ?

Tout d’abord en considérant tous les aspects possibles de lecture d’un motet politique, car il n’existe pas vraiment de cas d’école. Ce principe est d’ailleurs l’apanage de la recherche musicale. Le style est généralement lié à une notion de récurrence technique dans un corpus d’œuvre, à la singularité d’élément. Nous le verrons dans un instant cet aspect peut être rapidement réducteur.

Même si nous considérons que le style peut bien évidemment se construire à partir d’idiome musical, institutionnalisé comme on peut le voir à travers chaque période musicale (le style de Frescobaldi, le style classique chez les Viennois, le style Wagnérien..), nous ne pouvons nous contenter de rester dans cette optique de recherche.

De plus, depuis une soixantaine d’années la recherche musicologique a tenté d’intégrer les formes dans des « moules » stylistiques préétablis. Ces « canons » stylistiques ce sont très vite révélés inadaptés et hors propos : ils ne tiennent habituellement pas assez compte de la singularité d’écriture et sortent généralement les œuvres de leur contexte anthropologique. Dans ces conditions, la notion de style peut très vite devenir artificielle et caduque. Un des meilleurs exemples concerne l’étude des musiques avignonnaises pour le sanctuaire, notamment à travers le répertoire du manuscrit de la bibliothèque capitulaire d’Apt, Ms 16 bis. Les musicologues ont très vite tenté de ranger les différentes pièces de ce répertoire dans des « tiroirs stylistiques » prédéterminés. Comme le souligne Jocelyn Chalicarne5 dans son article sur « la musique et le verbe », « Généralement les études abordant ces compositions consistent soit en une tentative de reconnaissance des procédés de l’Ars nova, soit en une conceptualisation du discours musical par le biais de la notion de « style d’écriture ». Cette notion de style va se voir sous-divisé en plusieurs catégories précises : -le style motet pour les œuvres s’organisant suivant un ténor sans texte et des voix supérieures avec texte. -Le style chanson avec un ténor sans texte et une voix supérieure avec texte. -Le style simultané est quant à lui organisé en plusieurs voix avec textes en styles homorythmiques.

5 Chalicarne, Jocelyn : La musique et le verbe : composer en polyphonie à la chapelle pontificale d’Avignon, in

Etude grégorienne XXXII, édition Abbaye Saint Pierre de Solesme, 2004. p.178.

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En général, la recherche essaie de comprendre l’objet musical par le biais d’écrits issus d’un même contexte historique, ce qui revient à comprendre un document musical à partir de seuls documents annexes, non nécessairement musicaux. Elle en oublie parfois presque totalement la réalité de l’œuvre musicale et son insertion dans le contexte socio-anthropologique qui en a suscité et motivé la production. Ici, on cherche à l’inverse à compléter ces techniques. En conséquence, il convient d’ouvrir notre champ de recherche sur une conception plus complexe et plus « large » du style du motet politique. Pour ce faire, essayons de définir ce qu’est une œuvre musicale.

L’œuvre musicale est en elle-même, singulière par la manière même dont elle se déploie. Elle est unique par sa configuration et ses dispositions d’écriture et s’offre ainsi à nous comme un document, un reflet d’une activité humaine, d’un environnement intellectuel et sociologique unique. Elle est donc un « monument » au même titre que n’importe quel témoignage artistique, sauf qu’elle inscrit ses spécificités non pas dans la pierre ou sur le parchemin, mais dans le son. Mais le son est aussi associé à une autre activité langagière : la parole linguistique et le texte littéraire qui la transcrit. On nomme ces deux dimensions sémiotiques de l’œuvre chantée6 ; « sémiose littéraire » et « sémiose musicale ». Cette association « polysémiosique » donne à l’œuvre chantée, notamment, un sens consubstantiel qu’aucun autre « monument » ou document d’archives ne peut révéler. Longtemps obturé par la recherche historique, le musical est pourtant un élément capital de l’histoire des hommes. C’est un témoignage unique et spécifique de leurs activités, qui mériterait d’être compris pour tel dans son pouvoir d’éclairer l’histoire. L’œuvre musicale est un monument. Un monument qui se révèle être un document. Un document qui prend figure par l’œuvre telle qu’elle est musicalement écrite, comme sens, texte, parole proférée, discours. Il s’agit par là, d’exploiter pour notre recherche la fonction d’« objet de civilisation » de l’œuvre musicale, reprise de Pierre Francastel par Bernard Vecchione dans son « anthropologie musicale historique »7. L’aboutissement est une approche qu’il nomme sémiorhétorique et qui se révèle être une articulation de l’anthropologie musicale historique à une sémiotique de l’invention-signe, pour laquelle le corpus médiéval des œuvres de circonstance, notamment politiques, offre un terrain privilégié pour une étude précise des « encodages » de sens8.

6 Le terme de « sémiose » fait référence à un ensemble de signes faisant partie d’une même forme de

langagiarité, Cf., Bernard VECCHIONE, 1997,op. cit., p.118-119.

7 Pierre FRANCASTEL, la figure et le lieu : L’ordre visuel du Quattrocento, Gallimard, 1967,.

8 Bernard Vecchione précise même à ce sujet : « à la fois sur l’encodage en dispositifs d’œuvres d’un sens tout à

fait original, et sur la possibilité pour un lecteur non prévenu du code de pouvoir en déchiffrer la signification ». « D’où la triple distinction, dit-il, que je me forçais de faire entre sémiotique de l’instauration, sémiotique de l’institutionnalisation et sémiotique du déchiffrement, tout en reconnaissant que ces trois orientations distinctes de recherche s’ancraient en la question centrale d’une sémiotique de l’invention. Je rejoignais par là la question

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Par là même, Bernard Vecchione anticipera les préceptes de Georges Molinié sur la mise en place d’une sémiostylistique impliquant la question des effets de l’œuvre9. Ces effets de l’œuvre sont dus à « l’impact » sur un auditoire, mais également sur l’interprète10. Cet « impact » vient de ce que l’œuvre inscrit comme dispositif d’écriture pour attirer l’attention sur elle et pour se faire lire par des dispositifs novateurs. On peut considérer à notre niveau que le style est en quelque sorte la facture du compositeur, son tour de main, mais qui n’apparaît pas obligatoirement dans son immédiateté. La rhétorique par le biais d’un dispositif innovant devient un discours percutant. En conséquence, le style, c’est ce qui fait parole. Ce n’est pas la musique qui fait style c’est la manière dont je la rends. Cependant cet aspect herméneutique du style ne doit pas nous faire oublier un aspect important du style : un processus compositionnel basé sur de schèmes d’écritures caractéristiques d’un genre et d’une fonction. Un style d’écriture peut se déterminer en fonction des besoins des commanditaires ou de ce que le compositeur cherche à faire passer dans sa production. Ce postulat n’implique en aucune façon, une volonté d’intégrer un ensemble d’œuvres dans un cadre théorique rigide, mais à considéré plutôt un processus compositionnel basé sur des schèmes d’écritures caractéristiques à un genre et à sa fonction. Afin de bien cerner ces aspects nous nous proposons d’aborder une oeuvre particulièrement importante dans la production musicale du XIVe siècle : le motet Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est inventus est un motet à trois voix, composé par Philippe de Vitry, probablement en Avignon au début du pontificat de Clément VI.

de l’innovation sémantique soulevée par Paul Ricœur à propos de la « métaphore vive », comme antérieurement par Francastel dans ses lectures de tableaux

8. »

9 Georges MOLINIE, 1998, Sémiostylistique. L’effet de l’art, Presses Universitaires de France, Paris.

10 Cet aspect ne peut être malheureusement pris en compte pour la musique médiévale.

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Un des premiers archétype du style du motet politiq ue tardo-médiéval : Petre Clemens / lugentium siccentur/ Non est invent us De Philippe de Vitry.

La pièce n’existe que dans une seule source complète, le Codex d’Ivrea, (Ivrea Biblioteca Capitolare J. IV 115),11 où elle est consignée dans une disposition à la française, avec un Ténor en clef d’UT3, un Duplum et un Triplum en clef d’UT1 tous les deux (Annexes 6 et 7). Le Codex d’Ivrea est la source la plus importante du répertoire « politique » avignonnais. De dimensions moyennes (32 x 22,5 cm), l’ouvrage ne possède plus de couverture. Il est constitué de six liasses de 5, 5, 6, 4, 6 et 6 bifolii successivement. La notation utilisée est celle de l'Ars Nova. Elle comporte occasionnellement des notes rouges (notation colorée). Son intérêt premier réside dans la diversité de son répertoire, tant liturgique que profane. Au contraire du manuscrit d’Apt qui ne comporte que des pièces liturgiques, des mouvements de messes et seulement deux motets de Philippe de Vitry, le Codex Ivrea se révèle la source principale et souvent unique de certaines œuvres, source majeure des motets de Philippe de Vitry, comme le Petre Clemens,12 mais aussi de bon nombre de motets de Machaut. Le travail paléographique extrêmement poussé de Karl Kugle pour sa Thèse en 1993 a remis totalement en cause l’hypothèse d’une origine avignonnaise ou de l’entourage de la cour de Gaston Phébus. Pour lui, le manuscrit d’Ivrea serait issu du chapitre de la cathédrale d’Ivrea et aurait été copié entre 1380 et 1390 par deux clercs savoyards13. Plusieurs pistes semblent plausibles pour expliquer la présence du Petre Clemens dans le Codex d’Ivrea. Tout d’abord, il va de soi que la copie du motet est tardive, et bien loin du contexte politique de Clément VI. Il nous faut donc comparer cette source avec d’autres sources indicatives de ce motet.

11

Nous désignerons désormais comme « Manuscrit d’Ivrea ». La source est répertoriée dans le RISM en B,IV,2

sous la côte I—IVc.

12 Seuls des doublons des textes sont connus à ce jour. Le Manuscrit de Vienne par exemple (Wien, ÖNB 4195,

conservé à l’Osterreïche Nationalbibliothek sous la cote A—Wn, Ms 4195, f.157, désigné ci-après comme

Manuscrit de Vienne ÖNB 4195), ne comporte que le texte complet du motet, sans la musique. Soulignons que

l’existence du manuscrit est attestée dans l’index du manuscrit de la Trémoïlle (B.N.F, fonds nouv. acq. franç.

23190, olim Serrant Château, ducs de la Trémoïlle), qui ne se présente aujourd’hui que sous la forme d’un seul

bifolio et dont la totalité des musiques a disparu.

13 D’autres scribes ont été identifiés par Karl KÜGLE. Néanmoins, ces deux noms semblent être les principaux

instigateurs. Le travail d’authentification a pu être mis en œuvre par KÜGLE grâce à un travail paléographique

poussé, fondé sur une étude comparative entre les écrits des archives d’Ivrea. Ce travail a permis, entre autres,

de dégager les caractéristiques graphologiques des deux copistes.

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La première est le manuscrit de Vienne ÖNB 4195. Produite du vivant même de Clément VI, elle se présente comme un livre d’écrits personnels du pape. Le Codex est constitué de 161 feuillets en parchemin, et fut, semble-t-il, copié en Avignon à partir des années 1340. Il contient des sermons et divers écrits « prêchés » en consistoire sur des thèmes politiques chers à Clément VI, comme la campagne qu’il menait contre Louis de Bavière, le prétendant au trône de l'empire, ou la réponse qu’il fit au peuple de Rome, délivré, qui lui demanda, par le biais d’une pétition, le retour dans l’Urbs. Ces sermons furent écrits par Clément VI avant et après son élection comme pape,14 et sont constitués en deux cycles : ceux de l’Archevêque Pierre Roger, écrits autour de 1340, et ceux du pape Clément VI, écrits juste après son élection. C’est à cet endroit, après le sermon Aperi labia mea, aux ff. 154v.-155v., prônant que là où se trouve le pape se trouve Rome, écrit vers la fin de 1342, que se trouvent consignés les deux textes littéraires complets du motet Petre Clemens. Les textes musicaux ne sont pas copiés. Seuls les textes littéraires le sont. Pourtant, malgré ce manque de la musique, cette source n'en est pas moins importante, car elle renferme le texte inédit du Ténor sous l’incipit « Non est [fuit] inventus similis illi ». Ainsi, cette partie manquante dans le manuscrit musical d'Ivrea est complétée par cette source exclusivement littéraire. L'intérêt est d'autant plus grand que ce texte de Philippe de Vitry fait partie intégrante d'un livre personnel du pape et montre par conséquent l'importance que le motet pouvait revêtir aux yeux du pontife. À la fin du texte, nous trouvons un colophon nous indiquant le nom du destinataire, Clément VI, celui du compositeur, Philippe de Vitry, et la date de sa composition, « aux alentours du temps de la nativité du Seigneur, pour la première année de son pontificat ».15 Cette composition musicale est intégrée aux propres écrits canoniques du pontife16. De tout cela il ressort que le motet Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est inventus fut vraisemblablement composé pour Clément VI aux alentours du

14

Andrew WATHEY, 1993, « The motets of Philippe de Vitry and the Fourteenth-Century renaissance », Early

Music History, 12, Cambridge University Press, p. 138-139.

15 « Magistri Philippus de Vitrejo in laudem Pape Clementis Vjti anno suo primo circa natalem domini ».

16 Un autre manuscrit comporte une version tronquée de cette œuvre. C’est un recueil de pièces poétiques,

conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote, Paris, B.N.F., fonds Lat., Ms.3343. Le Petre Clemens apparait au folio 50 sous la seule forme du texte poétique de sa voix de Triplum. Les textes des autres voix sont manquants. Une dernière source est le manuscrit de la Trémoïlle que nous avons déjà évoqué. Dans l’index du manuscrit, qui seul subsiste aujourd’hui, la citation du Petre Clemens se dégage aux ff. 12v-13, sous l’intitulé « Lugentium ». Ce manuscrit semble avoir été copié en 1376. Le début de l’ouvrage laisse apparaitre un colophon et une datation : « …millesimo trecentesimo septuagesimo sexto ». De plus, une recherche codicologique à permis de mettre partiellement à jour le nom de l’auteur de la compilation : « Quem scripsit Michael de [...]ia, ejusdem principis capellanus… ». Il semblerait que ce soit Michel, chapelain du roi de France Charles V.

16 On trouve la trace de ce dernier dès 1371 dans l’entourage royal, puis au début du XVe siècle, cité

dans cet ouvrage,16

faisant partie du fond la bibliothèque de Philippe le Bon.

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temps de la nativité de 1342-1343. La circonstance précise de l’exécution du motet n’est pas vraiment connue. Le Petre Clemens/ Luggentium siccentur/ Non est inventus similis illi », semble être grandement représentatif de l’art rhétorique en usage à l’époque de la papauté avignonnaise. Cette pièce correspond en effet à la période faste du pontificat de Clément VI. De plus, le contexte historique tendu qui entoure cette œuvre donne matière à nos investigations.

Dans tous les cas, le discours rhétorique met à jour des liens indiscutables entre l’œuvre musicale et l’édifice architectural. Ce discours est singulier et véhicule de ce fait un message propre qu’aucune chronique ne pourrait aussi bien décrire.

Que vais-je lire ? La façon dont la société avignonnaise se manifeste à travers cette œuvre. Je déchiffre donc cette œuvre au moyen de la discursivité tout en étudiant la mise en configuration du discours. Cependant, l’œuvre que nous allons étudier n’est pas une simple métaphore. Elle cherche à persuader un auditoire. Le motet Petre Clemens semble donc une évidence ; D’un point de vue scientifique, ce choix tombait également sous le sens : nous souhaitions aborder une œuvre musicale issue du contexte anthropologique avignonnais sous l’angle de type herméneutique. Cette œuvre semblait offrir un terrain particulièrement propice à ce type d’étude. L’engouement pour cette œuvre est généralement assez grand depuis les cinq dernières années. Bien entendu les recherches des prédécesseurs et plus particulièrement de la musicologie anglaise (Maragaret Bent, Andrew Wathey) américaine (Andrew Tomasello, Alicia.V.Clark) et française avec Olivier Cullin, ont permis de faire des avancées sans précédent pour comprendre la pièce. Toutefois, aucune ne s’est véritablement intéressée à étudier de manière précise tous les éléments que le motet pouvait nous offrir. L’attention s’est principalement portée sur les archives environnant l’œuvre musicale. Le corpus en lui-même, bien que largement étudié depuis une quinzaine d’années par les chercheurs n’a pas vraiment fait l’objet d’analyse aussi poussée sur le plan de l’interprétation des dispositifs d’écritures. Ces derniers, par leur originalité, peuvent nous renseigner sur le contexte d’une œuvre et sur sa création. Les dispositifs d’écritures n’impliquent pas une simple analyse de leur configuration, mais plutôt une lecture profonde des différentes couches de sens que possède l’œuvre. En conséquence, notre but est d’intégrer, d’atteindre des éléments conscients ou inconscients que le compositeur a instauré en acte dans sa création, éléments qui par leur agencement, pourront nous renseigner sur « l’environnement » de l’œuvre.

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Etude des textes littéraires

Les différentes transcriptions des textes nous proposent assez fréquemment des variantes. Il fallait donc faire le point sur ces différences afin de proposer un texte final fiable : une lecture comparative entre les deux sources fiables d’Ivrea et de Vienne17.

Ces corrections nous ont permis de retrouver la métrique poétique du décasyllabe pour la majorité des vers des trois poèmes. Le manuscrit de Vienne nous a été d’un très grand secours. Sa rédaction semblait en tout cas plus juste du point de vue de la langue. Néanmoins, il fallait agir avec attention et ne pas tomber dans une approche corrective absolue. Certaines singularités du codex d’Ivrea devaient être respectées (le cas par exemple du mot Germalia dans la source musicale, qui apparait comme Gymnasia dans le manuscrit de Vienne). Du point de vue paléographique on remarque que le manuscrit de Vienne est écrit dans une graphie complète. Le manuscrit d’Ivrea au contraire, propose une version du Petre avec un texte littéréraire consigné en abréviations latines, afin de pallier au manque de place sur le manuscrit. Nous nous sommes aidé du dictionnaire d’Adriano Cappelli afin de traduire au mieux les mots des textes.18

La version définitive du triplum et du duplum, a donc été constituée dans une démarche de lecture prenant référence, la version musicale du motet. Nous proposons par conséquent une version expurgée de fautes des transcripteurs, en faisant ressortir les mots corrigés en gras.

17

Cf, Julien Ferrando, 2008, « In cathedra Sancti Petri » : l’argument grégorien au service de la théocratie

avignonnaise in Studi Musicali, Academia Santa Cecilia Roma, Article en cours de publication.

18 Adriano CAPPELLI, 1985, Dizionnario di abbreviature latine ed italiane, Sesta Edizione, Milan, Ulrich Hoepli.

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TRIPLUM

1. Petre Clemens tam re quam nomine

Cui nascenti Donantis dextera

2. Non defuit qui ymo cardine Et supremo beata munera

3. Superes felix ac omnia Que reliqua celi benignitas

4. Dare potest non defuit, pia Pyeridum sacrarum dignitas

5. Harum (solus?) precellis dotibus

Harum dono cuncta germalia 6. Carmentina pegasei pedibus

Transvectus es a puericia

7. Aut fata vero aut ipsa prospera Te fortuna, melius, Spiritus

8. Sublimavit, ergo considera Quod Cephas es sed orbi deditus

9. Quod monarcha sed servus omnium

Princeps orbis sed orbis languidi 10. Servus nempe sed delirantium

Ac ne cui tandem sint perfidi 11. Arte princeps serve Danielicum

[dimelicum] Torque fides mundiales celis

12. Regnum divum furorem tragicum

Potens pie compescere velis 13. Absint tuo Tyestes tempore

Et Athreus absint Thebaides

14. Abutentes fraterno iecore Unumque sint scissi Philipides

15. Urbern vide classis per equora

Deterreat principes Thaneos 16. Clangor tube Turcorum pectora

Decipiant augures Mempheos 17. Consoletur tristis Armenia Et elatus succumbat Ismael 18. Et germinet deserta Syria Et depressus resurgat Israel

19. Tunc nature gloriosissimus

Triumphator tributum solvere

20. Non dolebis heres legitimus Ihesu Cristi moriens libere 21. Et si desint marmore et gemula Ac metallum sculpenda funeri 22. Erit tandem tumulus vermula

Sem-per fama respondens operi 23. Quam posceris prebit regula Gubernandi faveant operi

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Duplum

1. Lugentium siccentur occuli

Plaudant senes exultent parvuli 2. Umbre mortis quoniam regio

Quos tenuit splendoris visio 3. Est exorta radio Spiritus

Clemens sext[a] factus [sanctus] divinitus

4. Stupor orbis O tersum speculum

Ad formandum virtutum modulum 5. Tu Cirei Syris Apollinis

Pervasiti vigor certaminis 6. Phitonistas heresies [horsis] ubere

Crapulatos solos prosternere 7. Ac dum flectis sermonis tympanum

Corda rapis ad auris organum 8. Petrus primus petrum non deseris

Vices eius quia recte geris

9. Tu clemens es et Clemens dixeris

[Pesagi/ Pelagi/ Pecagi?] qui fontis aperis

10. Venas gratis Indis et rudibus

Athlanticis et Ethiopibus 11. Stiris quoque, quid in preconia

Laudum mira fundat iusticia 12. Non sugentur memento secula

Non mana tumescunt guttula 13. Nec ulla laus addendere mentis

Tuis unquam poterit inclitis 14. Vulgi tamen modica porcio

De te saltem clangere gestio 15. Vivat,vivat orbi perutilis

Tuis unquam poterit inclitis

Ténor ( Non est inventus similis illi)

La versification des poèmes du Petre Clemens se fonde, dans la grande majorité des vers, sur une succession de décasyllabes. Le texte en exergue du Ténor, dans la citation du manuscrit de Vienne, se forme en un vers décasyllabique, <Non est in-ven-tus si-mi-lis il-li>, exactement découpé en deux moitiés de 5 syllabes chacune, formant groupe verbal (<Non est in-ven-tus>) et groupe nominal (<si-mi-lis il-li>), et au sein desquelles l’ordre de composition est inversé (2 syllabes puis 3, vs. 3 syllabes puis 2 : <Non est> puis <in-ven-tus>, vs. <si-mi-lis> puis <il-li>. Comme Bernard Vecchione l’a montré dans ses études d’autres motets, ce qui se figure au Moyen Age en symétrie et en non-symétrie, ordre et désordre, est très important pour l’expression du sens. Ce qui se figure en « temps direct » ou en « inversion » l’est aussi19. Pour ce qui est des voix chantées, le Triplum est constitué d’un ensemble de 46 vers de 10 syllabes, à l’exception, dans le manuscrit musical d’Ivrea, comme nous l’avons vu, du vers 5, <su-per-es fe-lix ac om-ni-a>, hypocatalectique, qui n’en renferme que 9. Ces vers ont une division en hémistiches en général régulière, les divisant en deux parties de 4 et 6 syllabes respectivement. 19

Bernard VECCHIONE, 1997, « Entre rhétorique et pragmatique… », op. cit., p. 359-360.

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12

Découpage fort différent dans sa composition de celui du vers 9. On remarque cependant que le vers 13 (<Aut fa-ta ve-ro ip-sa pros-pe-ra> est de même composition prosodique que le vers servant d’exergue au Ténor : 10 syllabes décomposées en deux moitiés de 5. Les rimes sont plates. Leur répartition nous permet de regrouper les vers du poème soit en 23 distiques, soit, en remarquant que les couples de rimes sont doublés au début du poème, puis triplés pour le dernier couple de rimes, comme agencés en 10 quatrains (les 40 premiers vers) et un envoi d’un sextain (les 6 derniers vers). Ce second agencement a l’avantage d’être en quelque sorte récurrent : les 40 premiers vers, qui forment les 10 premiers quatrains, s’agençant alors de telle manière que chaque quatrain renferme à son tour 40 syllabes réparties en 4 ensembles (4 vers) de 10. Ici aussi, comme dans les textes des motets étudiés par Bernard Vecchione,20 le retournement (ou chiasme) que forme la composition du poème en ces deux niveaux est remarquable : 40 vers en 10 ensembles de 4 vers, et, pour chaque quatrain, 40 syllabes en 4 ensembles de 10 syllabes (inversion du contenant et du contenu : 10 vs. 4, et 4 vs. 10).

Après avoir présenté les structures générales de l’œuvre nous nous proposons de comprendre comment les différents éléments, textes et musiques pouvaient s’inscrire et produire du sens. Ainsi par une étude en deux étapes nous aborderons en premier lieu, les éléments audibles et visibles –L’ars rhetorica musicalis- dans un deuxième temps, nous atteindrons les couches les plus complexes de l’œuvre – les tropations.

L’ars rhetorica musicalis au service du pape.

Lors du congrès de l’ICMS6 d’Imatra (2001)21nous avions démontré que le langage musical était hautement considéré par les hautes sphères dirigeantes tant temporelles qu’intemporelles. Nous avions présenté l’idée d’une construction musicale et textuelle complexe dans le motet repérable à l’audition. L’œuvre permettait donc de débattre d’un problème politique, comme un ars rhetorica musicalis . Comme le souligne Bernard Vecchione « La discursivité de ces oeuvres ne s'affiche pas avec évidence, et l'herméneutique de la signification a dû s'effacer derrière une discursologie mettant l'accent sur les opérations d'interprétation des formes en laquelle l'oeuvre musicale se produit au lecteur....figuration, narration, argumentation : toutes les manières de mettre en forme, et toutes les fonctions se trouvent dans chacun des motets latins. »22 En ce qui concerne la mise en

20

Bernard VECCHIONE, 1997, op. cit., p. 356-357. Bernard Vecchione remarque ce chiasme non seulement au sein même du poème

du motet Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay, mais également entre les proportions du poème et celles de l’architecture de

la cathédrale de Florence sont ce motet est le motet de dédicace.

21 L’ars rhetorica musicalis en Avignon au temps des papes : L’exemple du motet « Petre Clemens » de Philippe de Vitry (1342). In

Music and the Arts, Part two. Proceedings from ICMS 7 2001. Ed. par Eero Tarasti Acta Semiotica Fennica n°XXIII, Helsinki.

22 Bernard VECCHIONE, 1998, Op. cit., p344-345.

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13

forme du discours, Bernard Vecchione précise : « Il s’ensuit que le discours que produit le motet médiéval est un discours complexe, mais qu’il possède en plus une nature composite. Il n’est pas que fiction, mais parle aussi de la réalité ; il n’est pas que narratif, mais se déploie aussi, et essentiellement, comme un discours rhétorique, une argumentation. Il ne se manifeste pas que par son paraitre, la surface de ce qui s’affiche par lui immédiatement ; mais aussi par tout cet ensemble de dimensions cachées, réseau complexe de « sous-textes » (littéraires autant que musicaux) et d’ « inter-textes ».« Épaisseurs multiples des inscriptions, régime de discursivité composite (discours factuel et discours de fiction tout à la fois), genre discours composte aussi (tout à la fois rhétorique et narratif, figuratif), la discursivité du motet offre l’un des exemples les plus complexes de discursivité formée dans l’humanité »23.Tous ces éléments sont donc ici mis en œuvre dans un discours régi par les lois d’un art rhétorique hors pair, symbole parfait de l’union entre le littéraire et le musical : un ars rhetorica musicalis. À travers cette dénomination, nous faisons référence ici à Aristote et plus particulièrement à son traité de rhétorique « Ars Rhetorica » spécialement orienté vers la rhétorique de type politicienne et uniquement destiné au langage verbal. De fait, nous avions proposé d’emprunter ce titre en le transférant vers le musical. Le motet se révélait être un système particulièrement adapté à mettre en forme, une argumentation elle-même d’ambition politicienne. construite dans une configuration hautement intellectuelle et régie par une intersémiosicité entre texte et musique24. L’un et l’autre peuvent se cautionner et se compléter. Le texte n’a pas la primauté du sens. La musique peut signifier simplement par elle même, par ses propres moyens qui peuvent différer avec le littéraire. À partir de ce point de vue, on aborde l’œuvre dans son ensemble avec un recul nécessaire à toute étude. Pour résumer, je définirais l’ars rhetorica musicalis comme un art de convaincre, de persuader par les sons. La composition d’un motet devait débuter par le choix d’une pièce liturgique servant de base à un ténor. Cependant, L’ars rhetorica musicalis désigne plus spécialement l’art d’organiser le discours du motet suivant des structures argumentatives à la fois musicales et textuelles. De la sorte, l’organisation de ces discours dépendait du propos qui était débattu dans l’œuvre et de la qualité du destinataire. Les transmetteurs sont donc choisis avec minutie. Les destinataires pouvaient être multiples. Il convenait donc d’offrir différentes lectures possibles de l’œuvre.

23

ibid.

24 Cf, idem p 348 : « les oeuvres de circonstances sont d'une extrême subtilitas. Pour nom d'une subtilité réduite à une subtilité

rythmique. Mais un raffinement extrême de la pensée. Chanter, pour un cérémonial spécifique, elles se constituent en des

systèmes où musique et texte, parfois multiple, créent sens par leur coopération. Intersémiosicité intrinsèque : coopération entre

dimensions sémiosiques in presentia (musique et poésie). Intersémiosicité extrinsèque : coopération entre les dimensions in

presentia et les dimensions in absentia (musique et architecture ou poésie et peinture par exemple). Interpoeticité,

intermusicalité aussi : coopération au sein d'une même sémiose, poétique ou musicale. Le sens n'est pas donné à priori par le

texte, par l'un des textes, ou le système des textes. Il résulte de la coopération spécifique mise en oeuvre, spécialement inventé

(inventée ? la coopération spécifique, ou le sens ??) pour une pièce donnée ».

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Présentation des morphologies de l’ars rhetorica mu sicalis;

Le Parcours sonore

L’œuvre s’organise, comme la plupart des motets de l’époque, suivant des structures isorythmiques mais également suivant des parties clairement définies par les deux sémioses : littéraire et musicale. Le découpage en fonction de l’isorythmie comme nous l’avons évoqué précédemment, fut largement étudié par les musicologues. Cette structuration nous amène donc vers l’organisation suivante :

-Une section introductive de quatorze brèves. -Sept sections de trente-trois brèves correspondant aux sept occurrences rythmiques de la talea. -Enfin une courte coda conclut le discours. Cependant les parties délimitées par l’isorythmie ne correspondent généralement pas à la structure du discours musical mis en place dans les voix supérieures. Alors que la partie isorythmique structure le ténor très clairement, les voix supérieures semblent régies par une autre organisation. Le discours du motet s’agence selon une organisation précise et récurrente qui semble être, d’une certaine façon, à but pédagogique afin de guider l’auditeur. Ainsi, l’œuvre s’articule autour d’une grande partie introductive de 30 brèves puis de 6 parties constituées comme les parties isorythmiques de 33 brèves. Pour conclure une courte conclusion de sept brèves.

L’introduction :

De la mesure 1 à 925 nous retrouvons la partie introductive du découpage isorythmique, cependant cette partie nous allons le voir est beaucoup plus importante ici. Alors que dans le découpage isorythmique, la partie d’introduction sert à souligner la dédicace à Clément VI par le jeu subtil des échelles de son du ténor et leurs symboles, ici tous les éléments du discours musical sont donnés comme des « échantillons » de la matière sonore du motet.

Ce début s’organise donc autour d’une caccia avec entrée des voix successives du triplum puis du Motetus.

Triplum- Tenor

Les deux voix qui introduisent le motet, le triplum et le ténor sont écrites dans un style déchant. Durant les deux premières mesures, le triplum cite les mots Petre Clemens sur une pédale de fa du ténor, puis ce dernier rejoint sur le « tam, la voix supérieure» en homorythmie.

25

La numérotation de tout ce chapitre se base sur l’édition L’oiseau Lyre : Philippe de Vitry, oeuvres complètes éditées par Leo

SCHRADE, avec une nouvelle Introduction de E.H. Roesner, 1984, Monaco.pp 97-103

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15

Fig. 1 (Découpage en Iso-structure).

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16

De la mesure 10 à 11, un court passage toujours en style déchant : chaque voix suit son propre chemin. Mesure 12 à 19, c’est une partie en dialogue, où chaque voix supérieure se tait pour écouter l’autre, le ténor continuant sa course indépendamment. Mesure 20, court passage en style déchant avec le motetus qui exécute à des moments réguliers, le rythme semi-brève /minime/ semi-brève (alt)/ minimes /semi-brève (alt)/ semi-brève (3).

Fig. 2 Fig. 3

Le triplum possède quant à lui un motif plus dynamique (Fig.2) à cause de l’enchaînement des trois minimes, minime semi-brève/ minimes/ semi-brève. Cette cellule reviendra fréquemment tout au long de notre motet comme nous pouvons le voir avec la formule (fig.3). Par la suite, nous enchaînons par une partie en tuilage débutant à la mesure 21 et se terminant la mesure 24 incluse. De 25 à 27 s'établit un hoquet dans lequel Vitry joue avec les ambitus des deux plans sonores, des voix supérieures et du ténor. Cette introduction se termine dans un style Déchant et homorythmique par les mesures 28 à 29. À la mesure 30, on trouve une cadence suspensive (deuxième note du mode sol) basée sur une tierce

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17

Partie en Isostructructures I à VI

Chaque partie est comme nous l'avons vu précédemment, constituée de 33 brèves.Le parcours musical de chaque partie sera identique. On nommera ce découpage Iso-structure.

Un début en style dialogue :

Comme l'introduction, chaque voix expose son texte. Généralement lorsque le duplum termine son motif, il s’imbrique dans le grave, surpplanté par le triplum qui commence dans l’aigu.

Fig. 4 (partie en style dialogue).

Une partie en style déchant, qui alterne deux formules : l’une au triplum (A) basée sur une formule en diminution écrite dans une temporalité plus dynamique que le motetus

L’autre (B) est régie par une homorythmie entre les deux voix qui contraste avec la partie (A).

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18

Fig. 5

Une autre partie en style dialogue :

Fig. 6

C'est dans cette partie d'ailleurs que débute, toujours au même endroit,

chaque séquence iso-rythmique.

Une autre partie en déchant avec un triplum diminué :

Fig. 7

A B

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19

Une partie en tuilage, où chaque voix s'imbrique l'une à l'autre par un système ingénieux consistant soit, à répéter au triplum la note chantée précédemment par le duplum (5), soit à la chanter à l’unisson permettant une liaison parfaite entre l'avant-dernière note de la voie inférieure et note suivante du triplum (6). Dans notre exemple nous voyons le mi au duplum qui transite vers l’unisson de sol aux deux voix et se conclut sur le la au triplum.

Fig. 8

-une partie en hoquet :

Fig. 9

-Une partie en déchant homorythmique, qui semble calmer l'agitation des éléments précédents.

5 6

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20

Fig. 10

Une cadence sur la 33e brève.

Fig. 11

Juste après la cadence, la partie en dialogue recommence et c'est le début de la partie suivante. Le schéma se répète, ainsi de suite durant les cinq autres parties.

Les signatures musicales

Dans ces quelques mesures apparaît une cellule mélodique (Fig.49) motif (a) sous le mot « Clemens » qui reviendra tout au long de l’œuvre, La-si-do. De ces trois notes, seul les deux piliers La et Do sont à retenir. Le si n’est qu’une note de passage. Le motif se retrouve répété sept fois dans cette introduction, ce qui conforte notre point de vue. Clark propose le sept comme signature de Clément par rapport aux sept lettres qui composent son nom. La musique configure par elle-même cette signature en la répétant. De plus, le motif débute sur la note la, qui correspond à la troisième note du mode de fa authente. Le « C » de Clément est quant à lui la troisième lettre de l’alphabet.

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21

Si nous résumons, la signature s’effectue tant sur le plan musical que littéraire en se déployant de la manière suivante :

Le motif est répété sept fois. De plus, nous pouvons voir ici une relation étroite entre musique et texte. D’un point de vue musical le C (3e lettre de l’alphabet) correspond à la 3e hauteur du mode de fa authente. Pour le texte, le mot Ces la signature du pape « Clemens ». Dans ces quelques mesures émerge donc la cellule mélodique qui reviendra tout au long de l’œuvre. Nous retrouvons cette signature dans la première partie, avec un dispositif bien plus complexe au motetus comme ici :

Fig. 12

Le texte cite la dédicace Clemens sextus sanctus. Le mot débute sur la note la. Cependant, cette dernière ne reprend pas le motif que nous venons de voir. Le système semble ne pas fonctionner ici. Pourtant lorsqu’on regarde le triplum, le thème est de nouveau cité en même temps dans un ambitus qui supplante le motetus. De fait à l’audition c’est le motif supérieur qui est retenu par l’auditeur. Clemens débute encore une fois sur le la. Il existe donc des relations étroites entre les deux voix discursives. Lorsque le compositeur veut rajouter un sens supplémentaire, il utilise tous les éléments de l’œuvre pour arriver à ses fins. Ici il semblerait que Vitry ait souhaité souligner le caractère sacré de Clemens en jouant sur une relation très subtile où l’élément de signature du pontife ressort sous le mot sacra au même moment où le nom du pontife est évoqué au motetus, en dédicace, au sixième vers du poème. Peut-on y voir double signature musicale et littéraire ? Cette proposition semble plausible, vu son utilisation fréquente tout au long de l’œuvre.

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Le motif de Clemens du début sert d’enchaînement entre les parties I et II en isostructure, mais surtout conclut le morceau, nous y reviendrons plus loin.

Les interrelations

Nous venons de voir que Vitry met en relation, à certains endroits, les deux voix discursives par le procédé de signature. Ces relations peuvent exister d’une autre manière par le bien de pont sonore entre les voix, qui semblent s’organiser suivant le sens des textes. A l’audition ces passages sont particulièrement perceptibles, car écrits dans des valeurs rythmiques longues. Voici le premier exemple (Fig 34) qui apparaît dans la partie I, mes 37-38 :

Fig. 13

Nous avons cette relation entre RA et DA : une assonance de voyelle très marquée à l’audition. Nous avons ici une relation de tierce SOL-SI dans l’ordre SI/SOL. Donc une relation par un intervalle hautement symbolique la tierce = 3. Cependant pourquoi que cela signifie-t-il ? Nous avons là, le parfait exemple de coopération texte et musique. En effet le compositeur cherche à faire remarquer qu’à cet endroit le sens des deux textes est identique, il sont en accord et semblent représenter : L’aspect sacré de la personne que représente le pape. Pour ce faire, étudions ce que nous disent les textes à cet endroit.

Fig. 14

DUPLUM

Que les yeux des affligés se sèche,

que les vieillards applaudissent,

que les jeunes se réjouissent,

car une vision de splendeur a surgi,

depuis la région de l'ombre de la mort.

TRIPLUM

Pierre Clément, tant par tes actes que

par tes actions

A qui la dextre de celui qui donne

n’a pas manqué depuis la naissance.

Toi qui heureux, surpasses les dons

sacrés

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Le sens des deux textes à cet endroit est très clair. Ils traitent tout deux de la sacralité de la personne du pape. D'un côté, il est élu pape par l’Esprit saint. De l’autre il est décrit comme un pape qui est destiné depuis son enfance à cette mission. Nous avons donc ici une totale concordance des textes et de la musique avec l’assonance de rimes. Les deux mondes s’accordent totalement sur la sacralité du pape, donc de sa légitimité. La musique nous donne les clefs pour mieux appréhender le sens du motet. Nous sommes, par conséquent, dans une relation intersémiosique extrêmement poussée26, où au chaque sémiose coopère étroitement pour dire bien au-delà d’une simple lecture littérale.

Deuxième cas de relation dans la deuxième partie mesure 70-71, on remarque cette fois-ci une autre configuration : Les rimes ne s’accordent plus entre elles. La musique par l’accord de quinte est toujours en accord parfaitement consonant dans la théorie harmonique du quatorzième. Qu’est que cela signifie ? Nous remarquons que nous avons ici un cas plus subtil. Le texte du triplum expose le fait que le pape a évolué depuis son enfance sous l’hospice des muses et de Dieu lui-même. Le texte du motetus expose plutôt la qualité vertueuse. Les textes n’ont pas tout à fait la même thématique. Ils ont cependant une qualité commune : des thématiques extrêmement élogieuses. Nous terminons à la fin du morceau par une relation très importante. Lors de la cadence finale, le triplum cite le mot Operi, le motetus lui évoque la fin du mot similis. Les deux voix supérieures du discours sont à la quinte, en parallèle, et semblent se conclure en harmonie. Le ténor se détache lui pour basculer de la pédale de sol vers la note finale du mode fa. Les deux discours se retrouvent finalement sur le mot Operi. Ses œuvres de gouvernances : Les deux voix semblent présupposer qu’elles s’accompliront dans le futur.

Fig. 15

(Conclusion)

26

Bernard VECCHIONE,1997, Modélisation et Heuristique, in les modèles dans l’art, Presse universitaire de Strasbourg Strasbourg

p43-46.

5 5 5

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Etude des discours argumentatifs

A cette étape de notre étude, nous venons de voir comment fonctionnait la mécanique de « L’ars rhetorica musicalis» par le biais de l’intersémiosicité ; de la mise en relation des discours musicaux et littéraire. A travers ceci, nous avons pu révéler des éléments discursifs multiples. D’une part, le parcours musical, qui tient un rôle de guide prépondérant pour l’auditeur, mais également comme élément palliatif du « littéraire », (dans le sens où l’un et l’autre, par des éléments singuliers de l’intersémiose). Nous avons pu voir dans la partie introductive par exemple, que la signature de Clément VI n’était pas immédiatement audible et que notre compositeur l’insère dès le début de son œuvre au commencement du ténor, par une relation symbolique extrêmement poussée. La dédicace ne s’arrête pas là, et Vitry ajoute un élément intersémiosique très subtil : une micro-cellule sous le mot Clément La-si-do, qui revient régulièrement dans le morceau en soulignant un mot important comme le sacrarum où pour lier une partie à une autre. Cependant le motet ne se déploie par que dans « son paraître, la surface de ce qui s’affiche par lui immédiatement ; mais aussi par tout cet ensemble de dimensions cachées, réseau complexe de « sous-textes » littéraires comme musicaux »27. Nous sommes donc devant une forme de discours multiple bien au-delà du simple fait que le motet comporte deux textes différents. A la fois : -une forme argumentative par la rhétorique pure, -narrative par l’exposition des actions de Clément VI, mais également en traitant des éléments politiques environnant le motet. Le motet revêt donc un caractère multiformel qui agit comme parole. Cependant, les travaux de Bernard Vecchione sur le corpus politique italien comme français, ont permis de faire parler les œuvres de manière beaucoup plus précise. Cette écriture complexe tient avant tout d’une mise en forme par des moyens multiples qui sont mis en relation. Ces textes sont d’une part uniques : ils ont été créés pour une circonstance précise. Ils peuvent réemployer une partie d’autres textes déjà différents, par un procédé « synecdotique », de rappel d’une partie pour le tout. C’est ce que l’on appelle des tropes qui consistent à réemployer des éléments existant et de les dépasser afin de créer quelque chose de nouveau mais en étroite relation avec le passé.

27

Bernard VECCHIONE, 2007, poétique du motet médiéval. Article en cours de publication. p3.

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Etude des sous-textes:

En premier lieu, le mot qui sera l’objet de la recherche. Ce mot doit être stratégique et coller avec le contexte. Il faut donc le détecter à travers le texte des différentes voix du motet. L’analyse consiste donc à consigner sous le texte d’origine, dans un ordre précis chaque première occurrence de chaque lettre d’un vocable ou d’une principale. Le cas échéant les répétitions de lettres et de le reconstituer en intégralité. Chaque texte est donc un ensemble qui délimite par son début et sa fin une séquence particulière. Dans ses travaux sur le motet Nuper rosarum flores, Bernard Vecchione avait appliqué ce principe sous le texte du motet afin de rechercher la présence de l’incipit du Tenor, Terribilis est ocus ciste, comme nous pouvons voir dans l’exemple qui suit :

Fig. 16:

Poème Nuper rosarum flores (tropation depuis l’incipis de l’antienne rituelle

Terribilis est locus iste).

Le sous-texte fait donc apparaître l’incipit recherché, de manière indiscutable. En outre, il est possible de signaler entre parenthèse toute répétition d’occurrence. Ainsi même si certaines lettres se répètent, la première est prise en considération, les suivantes sont des redondances. La répétition d’une lettre n’est possible et ne fonctionne qu’à l’intérieur de la première occurrence de chaque lettre.

Exemple :

HiEm(e) Lic(e)

T…..E…..(e)……(e)….RRI……i….BI…… ]

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Le E de Terribilis est donc tout d’abord exposé sous Hieme. Le second « e » du mot marque la seconde répétition est ainsi de suite. Le texte court est un ordre total mais un sous ensemble par rapport au texte. C’est donc une sorte d’emboîtement d’un ordre total dans un autre ordre total. A chaque occurrence de l’expression recherchée, débute une nouvelle section. Chaque section tropée expose une organisation généralement très significative pour la compréhension de l’œuvre qui peut différer ou corroborer l’organisation extérieure de l’œuvre. Le choix du mot ou des expressions est large et dépend de la circonstance de l’œuvre. Tropation de l’incipit d’une pièce grégorienne, d’un texte long ou court28. De ce fait on peut trouver des tropations multiples dans une œuvre. La nature du texte est semble-t-il symbolique comme on peut le voir dans la plupart des motets politiques italien comme français. Dans le Nuper rosarum flores, On retrouve le trope de Ora la prière qui représente l’acte personnel du pontife Eugène IV (Gabriele Condulmer), commanditaire de la cathédrale de Florence. Le trope de Terribilis est locus ciste. Cet acte ne peut être effectif sans la reunion du peuple de Florence dans la prière. Il est nécessaire que le peuple se réunisse pour prier dans un acte collectif. Par conséquent le trope du mot Ora représente acte seul, le trope Terribilis locus iste révèle l’acte collectif. Le pontife seul se livre à la consécration, mais il a besoin du peuple de Florence pour que cet acte soit effectif. -Le texte long (terribilis…) c’est le texte du rituel de la collectivité -Le texte court de la priére (Ora), le texte rituel personnel du pontife. Le fait d’une presentia ou d’absentia du trope, ouvre des possibilités d’interprétation non négligeables. Entre silence et son s’installe une rhétoricité interne à l’œuvre complémentaire et nécessaire à tout acte de lecture de ses productions politiques. En reprenant les techniques d’analyse appliquées notamment dans les motets politiques comme le Nuper Rosarum de Dufay, l’Ave regina caelorum de Marchetto da Padova et le Plange Regni Respublica de Machaut, intéressons nous à l’étude des poèmes du Petre Clemens. Toutefois la difficulté première est de trouver ce qui peut être tropés, et pour quelle(s) raison(s). En reprenant le concept du motet ainsi que les traités, nous savons que l’essence même de l’œuvre c’est le ténor. Le fait de choisir telle ou telle pièce grégorienne comme support de la forme est extrêmement stratégique. Nous avons vu précédemment que le ténor de notre motet posait problème au sujet de son origine tout particulièrement. En conséquence, nous savons grâce aux travaux de Wathey, que l’incipit de notre ténor est Non est inventus similis illi. Les travaux de A.V.Clark ainsi que nos propres recherches ont permis d’authentifier avec plus de certitude, la source grégorienne à travers le verset : Non est inventus du Graduel Ecce Sacerdos. L’expérience des travaux de Bernard Vecchione a montré que les ténors sont généralement employés dans ces systèmes de sous-texte. La figure 52, est éloquente et présente les deux tropations du « Terribilis est locus ciste » que l’on retrouve en partie dans le « iste » du mot « christe ». Il est donc possible que Vitry ait procédé à l’écriture des textes en prenant comme point de départ ces paramètres. Nous y reviendrons dans un instant.

28

Bernard VECCHIONE, 1997, Op.Cit., p54-55.

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Afin de clarifier notre analyse nous choisirons plusieurs cas spécifique dans la recherche des sous-textes : La première démarche logique au moment d’aborder ces sous textes est de rechercher la citation du Ténor, « soubassement » absolu d’un motet. Dans notre cas, c’est le Non est inventus similis illi. Le premier cas s’intéressera donc au trope du Non est inventus et de son L’application dans le duplum. Par la suite nous nous intéresserons à un autre type de trope : les tropes signatures qui impliquent généralement le commanditaire d’une manière spécifique dans le discours. De fait, dans le second cas nous aborderons les tropes « Clemens » (le nom du pontife) et Petre Clemens (allusion à la chaire de St Pierre) afin de voir si Vitry propose d’une part une dédicace du pontife autre que ce que nous avons abordé dans la lecture des iso-structures ; une relation imbriquée dans une interelation musique et texte. Par la suite nous verrons si l’expression Petre Clemens est également présente en trope, dégageant une structure argumentative logique.

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Tropation du texte du Ténor « Non est inventus simi lis illi » au Duplum

(AI) Introduction (Iso-Structures)

<LugeNtium siccentur Occuli / PlaudeNt sEneS exulTent parvulI /

[1] < N...............(n)....O......................N E....S........T..(t) I........

(BII) Partie I (Iso-Structure)

Umbre mortis quoNiam regio / Quos temrunt splendoris Visio /

..................(i).......N....................................(n)......(n)........V................

Est exorta radio spiritus / ClemeNs sexTUS factuS dIvinitus /

E..(e)...................................(e)(e)N.......TUS S..I..(i).(i)..............

(BIII) Partie II (Iso-Structure)

Stupor orbis o tersuM speculum / Ad formandum vIrtutum moduLum /

...............(i)............M............(m)..... .......(m).....(m).I.....................L......... ..

Tu cIrei SyrIs ApoLLI—> // <—Nis / Pervasiti vigOr certamiNis /

.......I.(i).S I.........LLI > // (2) < N....... ...................O.............N

(BIV) Partie III (Iso-Structure)

Phitonistas horsis ubEre / CrapulatoS solos prosTernere /

E(e)..................S(s)..(s)......T

Ac dum flectIs surmoNis timpanum / Corda rapis ad auris organum /

I.............N............(n)................................................................

(BV) Partie IV (Iso-Structure)

Petrus primus petrum non deseris / VicEs eius quia recte geris /

..................................(n)(n)........... ..V...E.(e)………(e).(e)(e)..........

Tu clemeNs es eT clemens dixeris / pegasei qui fontis aperis /

…...(e)…N........T.....................................................(t)...............…

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29

(BVI) Partie V (Iso-Structure)

Venans gratis vidis et rUdibuS / AthlantiScIs et ethiopibus /

.....................................U..(u)S S.I...........(i)..(i)...........

Stitis quoque qui in preconia / LauduM mane sudat justIcia /

..(i)(i)...............(i)(i)..........(i)......... ....M..........................I.............

(BVII) Partie VI (Iso-Structure)

Non angentur memento secuLa / Non mana tumescunt gutula /

..............................................L.............................................(l)……….

Nec ulla laus addendere mentIS / tuIs unquam poterit incLitis /

….........(l)(l)(l).............................IS I......................(i)..(i).L............

(BVIII-CIX) Partie VII (Iso-structure et Coda)

vuLgI > // <tamen modIca porcio / de te saltem clangere gestio

....L..I > // <

Vivat vivat orbi perutilis / CUI NON EST INVENTUS TUUS SIMILIS >

[CUI] NON EST INVENTUS……..SIMILIS [ILLI] >

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30

Interprétation du trope L’étude du duplum nous fait apparaître trois tropations de l’incipit du ténor : Non est inventus similis illi. Les deux premiers englobent respectivement, les parties « Mineure et Majeure » des prémisses. La conclusion quant à elle possède un trope qui un tronqué [Non est…]. Pour quelle raison ? Généralement lorsqu’il y a brisure ou énonciation incomplète, il y a signification29. Cependant, lorsqu’on étudie de plus près cette fin, on se rend compte que le vers se termine par un rappel du ténor : « Cui, non est inventus similis » La seule différence réside dans le cui qui remplace le illi. Vitry a bien entendu adapté l’incipit au discours de son motet. Les deux mots ont quasiment le même sens mais non pas la même fonction grammaticale. Le cui et un pronom relatif quant au illi il s’agit d’un pronom démonstratif. Il peut également se comprendre comme adverbe de lieu à cet endroit là, ce qui est particulièrement intéressant pour la traduction : [Non est inventus similis illi : Il n’existe pas de semblable à cet endroit.] La différence n’affecte en rien le sens. Pour aboutir, il semble que le trope opère une fusion, sur le dernier vers, entre ce qui manque et ce qui est dit dans le texte apparent. Ainsi le trope peut très facilement se conclure et se comprendre en se fusionnant avec la citation apparente du duplum : ta-mEn Mo-di-ca por-ci-o

N...o.........................

de te sal-tem clan-ge-re ge-sti-o

..........................n e..........st

>

vi-vat, vi-vat or-bi pera-ti-lis

.............................................................

cu-i non est [in-ven-tus tu-us si-mi-lis>

[(CUI) NON EST] INVENTUS SIMILIS (illi) ......>

Le « paraître » est la langue des hommes. Le « caché » est celle du ciel. Le trope ne semble pas faire partie du domaine des hommes. Il n’est pas immédiatement compréhensible. Dans notre analyse le trope et le texte sont différents mais cette différence s’amenuise ici lors de la conclusion afin que les deux textes ne fassent qu’un. L’accord entre les deux voix semble efficace pour renouer le lien avec le ciel. Nous verrons d’ailleurs dans un instant que le trope peut s’accorder avec d’autres tropes afin que lorsqu’il est incomplet il puisse tout de même se conclure.

29

Bernard VECCHIONE, 2007, « sur les sous-textes » des poèmes des motets médiévaux, Article en cours de publication. p1-2.

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Les délimitations :

-Le premier trope : il est marqué par le mot « Lugentium » (assécher) et se termine sur « Apollinis ». Cette première partie constitue la partie panégyrique, qui traite de la personne de Clément VI issue d’un rayon de l’esprit saint. Sa dédicace est présente à cet endroit, Clement sextus sanctus divinitus. Pour finir l’éloge s’oriente sur une personnification de Clément comme l’Apollon de Syra, dieu de la lumière, de l’harmonie et de la musique. Les autres dieux l’aimaient et le craignait en même temps. Il n’était pas question qu’une fête se déroule sans lui sur l’Olympe. Quand il montait au palais de Zeus avec ses compagnes les Muses, tous les dieux l’accueillaient avec beaucoup de joie. Alors, Apollon prenait sa cithare et le palais retentissait des chants des dieux, tandis que les déesses menaient la danse. Sa musique avait un tel pouvoir que même le terrible Arès, dieu de la guerre, s’apaisait en entendant sa cithare, pendant que s’éteignait la redoutable foudre de Zeus. Ce dernier mot fait la liaison avec le trope suivant. Cette personnification au dieu sert de pivot au raisonnement et introduit la majeure du raisonnement. Il y a enjambement.

- Le deuxième trope : Apollon fait le lien entre l’éloge de la personne du pontife et ses actions pour le monde et l’Eglise. Le temps bascule de fait au mode indicatif et passé composé. Il se termine sur le mot vulgi (le peuple).

- Le troisième trope, tronqué, débute sur la conjonction de coordination : tamen et ne se conclut pas. Nous pouvons voir ici l’hommage du compositeur envers le pontife. Il s’implique directement dans cette partie du poème pour lui rendre hommage en se mettant à sa juste place de serviteur. Vitry veut proclamer au monde la phrase du graduel Ecce sacerdos : il n’existe au aucun semblable à toi ! Après avoir étudié les tropations issues du ténor, nous allons nous orienter pour conclure cette étude, vers ce que nous appellerons ici les tropes signatures. Ce sont des tropes impliquant dans leur déploiement une signature d’un commanditaire, en l’occurrence chez nous Clément et plus particulièrement sa signature latine Clemens. Puis en parallèle nous évoquerons la signature de Pierre Clemens, -Petre Clemens- et de son implication par rapport à la chaire de St Pierre. A travers leur implantation le trope pourrait corroborer le propos de l’œuvre comme Clément VI dédicataire et seul représentant de Saint Pierre.

Nous nous focaliserons ainsi sur le triplum qui possède la symbolique de la chaire de Saint-Pierre. Ainsi, comment Vitry pourrait justifier que cette voix et bien une référence à la pièce Bone Pastor Petre Clemens accipe ? Nous allons essayer de comprendre cette démarche en recherchant les tropes de ces deux textes et de repérer le cas échéant, les symbioses possibles entre les deux sous-textes.

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32

Tropation de « Clemens » et « Petre Clemens » « Non est inventus similis illi » au triplum

(AI) Introduction (Iso-Structures)

(1) < PETRE CLEMENS > // (2) <

< Petre Clemens tam re quam nomine > // <Cui nascenti donantis dextera /

(1) < CLEMENS > // (2) < C................................

(BII à BVIII) Parties I à VII (Iso-Structure)

P..E................T..............R........

Non de-fu-it, qui ymo cardine / E su-PrEmo be-a-Ta mune-Ra /

.........................................................................................................

.......E ................C........................................L....E.........................................

supEres feLix aC omnia / QuaE reliqua ceLi bEnignitas /

.................L.............................E...........................................................

........................................................M.....................................

Dare potest nec defuit pia / PyeriduM sacra rum dignitas /

.......................................................M...............................................

...............E...........................................N......................................

harum prEcellis dotibus / ha- // -rum doNo cuncta Germalia /

.............E.............................................N.....................................

............................S > /// < (3) PE..........T R...........................E C..........

Carmentina pegaSei > // < PEdibus / TRansveCtus es a puEriCia /

...........................S >// < (3) C...................................

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33

.......................................................................L.............................

aut fata vero aut ipsa propera / te fortuna meLius spiritus /

……………………………………….................L..........................

..........................E.....................................................................................

Sublima- // -vit Ergo considera / Quod Cephas es sed orbi deditus /

.........................E...................................................................................

........M................E...................N.....................S > // (4) <

Quo Monarcha sEd servus omNium / PrincepS > // < orbis sed orbi languidi / .............M……...........E............N.........................S > // (4) <

PE..................T...................................................R................

Servus nemPE sed deliranTium / AC ne cui tandem sint peRfidi /

C...................................................

......E C........................L.....................E..........M................E..............

ArtE prinCeps serve danieLicum / TorquE fides Mundialis cElis /

.............................................L.....................E..........M...............E............

.......N...................................................S > //

RegNum tuum furorem tragicum / PotenS > //

.............................................................S > //

< (5) P.E.........................................T..............................RE

< PiE Conpescere veLis / AbsiT tuo TyEstes teMpoRE /

< (5) C.......................L..........................E..........M......E.........

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34

C.............

Et austerus absiNt ThebaideS > // < Abutentes fraterno jeCore /

.........................N.................S > // < (6) C..............

.......................................L.......E...........M......E..................................

unumque sint scissi PhiLipidEs / UrbeM vidE classis per equora /

……………………….L…..E………..M….E……………………….

…………………..S>//<(6) PE.T..R.........

Deterreat principeS > // < Thaneos / CLlangor turbE turcoruM PEcToRa /

.............................S>//< (7) CL.................E............M....E...........

...E....................................... C...... LE.................MEN....

DECcipiaNt augureS > // < mempheos / ConsoLEtur tristis ArMENia /

................N............S>//<(8) C.......LE....................MEN.........

............S > // < (7)

Et elatuS > // < suCcumbat IsmaeL / Et gerMinEt deserta Syria /

............S> // < (9) C.........................L...E.......M...E...............................

P...E...................T...R..E C………..L…………………………

Et dePrEssus resurgaT IsRaEl / TuNC nature gLorioSis- > // < -simus /

.............................................................N.........................S > // < (10)

.

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.............................................E............................................M..............

Triumphator tributum solvEre / Non dolebis heres legitiMus /

…E.............................NS > // < (8)

JhEsu Christe morieNS > // < LibEre / Et si desint Marmor et gEmula /

C.....................................L...E.........................M................E.........

PE..........................T........................................R..............

Ac metallum sculPENda funeri / Erit Tandem tumuluS > // < veRmula /

..................................N....................................................S > // <(9)

..E > //

SEmper > // < fama respondens operi / Quam posceris prebit regula /

Gubernandi faveant operi

Interprétation des tropes :

A travers l’étude des textes, nous retrouvons bien l’emploi des deux signatures :

-Clemens

-Petre Clemens rappel de l’office de Saint Pierre que nous avons évoqué tout au long de notre travail.

En ce qui concerne les signatures de Clément VI, nous remarquons dans cette voix dix signatures, dont une apparente et neuf tropées. Cette situation, apparent-caché, n’est pas nouvelle. Nous l’avons déjà évoquée dans notre analyse sur le Non est inventus vu plus haut.

Les signatures tropes accompagnent comme un hypotexte, tout le propos du texte. C’est une sorte de caution qui est assurée par le « paraphe » de Clément : tout ce qui est dit, est cautionné par le pape lui même.

Pour le cas du Petre Clemens, il est évoqué huit fois.

-Sept fois en tropes cachés

-Une fois en trope apparent.

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Pour bien appréhender notre analyse, nous proposons d’analyser les deux tropes qui semblent fonctionner en parallèle : Plusieurs éléments le montrent notamment en premier lieu sur la fin de la Partie I (Pegasei).

D’un point de vue musical, nous arrivons au moment de la cadence qui conclue la première partie en Iso-structure. A cet endroit les deux tropes de Clemens et Petre Clemens se rejoignent. Ils sont donc en accord tout deux sur le mot Pegasei qui est, nous l’avons vu, une figure marquante de la mythologie antique, mais également de la poétique de cette période30. Le premier trope caché du Petre Clemens enchaîne aussitôt sur le mot Pedibus. Pour le trope Clemens, le mot pedibus réitère le S de Clemens, c’est la cadence qui conclue la première partie.

………..……….S>> (3)Pe…………..

carmentina pegasi pedibus

.......................S…………...(s)>>

Cadence de Fin de la Partie I (Iso-structure)

Par la suite, lors de la fin de la deuxième partie, alors que nous attendions de retrouver le même principe, les tropes dépassent la cadence et se terminent sur le mot suivant. L’idée première est de constater que les tropes ne ramènent à rien ici. Or il suffit de se pencher un peu plus sur le mot pour se rendre compte que nous avons là, mis en exergue, un mot qui rentre dans un champs lexical du pouvoir : Princeps.

Ce mot qui en lecture littérale est inclus dans la phrase « Princeps Orbis » : prince du monde, s’avère être ici mit en relief une seconde fois à cet endroit. Par littéral comme par le trope.

Nous allons retrouver par la suite, le même fonctionnement à la fin de la troisième partie avec le mot « Potens » (Cf., le souverain qui possède un grand pouvoir). Cette correspondance n’est pas un hasard. Les sous-textes convergent pour démontrer le pouvoir universel du pontife.

Autre cas à la fin de la partie IV sur le mot « Principes » le prince (où celui qui est à la tête, qui a le premier rang, la première autorité).

30

Cf., la ballade de Vitry, « De grec en Gaulle appelé. » vue plus haut.

Concordance

Musique et Sous-textes

Trope 2 (Petre

Clemens)

Trope 1 (Clemens)

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Ainsi ces trois enjambements sont les seuls à fonctionner dans toute l’œuvre, grâce au repérage que nous signale la fin des deux tropes. Ces trois enjambements proposent une explication rationnelle de l’exercice du pouvoir de Clément VI.

Cependant un mot domine par rapport aux deux autres : c’est le mot potens. Ce dernier se place entre les deux occurrences de Princeps.

Fig. 17

Le potens comme nous l’avons vu est celui qui domine, qui possède un pouvoir insurpassable. Le Princeps peut se lire comme celui qui est le plus important : la première autorité. Encore une fois par le jeu subtil de la coopération entre musique et texte, Vitry donne des éléments supplémentaires pour démontrer la légitimité de son pontife. En conclusion il ressort de cette figure que du fait qu’il est l’autorité et le seul « chef » de l’Eglise, sa décision de maintenir son siège en Avignon est légitime.

Par la suite on ne retrouve pas une telle correspondance. Cependant une autre construction signifiante se profile au niveau des tropes du Petre Clemens. Les parties VII et VIII possèdent toutes deux un trope qui débute et se termine comme elles. La délimitation est claire, sans enjambement. Les tropes confirment donc la délimitation en iso-structure qui appararaît à l’oreille.

Le trope VIII est par contre incomplet. Il se termine sur le mot Petre. Le Clemens n’apparaît pas. Il apparaît par contre au même moment dans le trope 2 de « clemens ». L’énonciation se fait au même moment. Il est tout à fait possible d’envisager que les deux sous-textes peuvent se compléter. Ainsi le Petre Clemens, à cet endroit, pourrait faire un pont entre les deux tropations et souligner encore une fois que Clément VI est légitimement en place à Avignon sur le siège de St Pierre.

Fig. 18

« la liaison entre des deux tropes »

Principes Princeps

Potens

Texte Duplum

Trope 1 « Petre

Clemens »

Trope 2

« Clemens »

……..Petre.

….CLemens

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Cette forme de lecture transversale, nous l’avons vu, peut être effective entre les voix, comme ce fut le cas pour le trope tronqué du « Non est inventus »31. Elle peut l’être également, dans une même voix dans le cas d’une « polytropation32 », où chaque trope d’une même voix peut se compléter si besoin est. Le but principal étant de mettre tout en œuvre pour déployer des propos cohérents entre-eux, allant dans une même direction afin de rendre de manière efficiente tous les discours vers tous les destinataires.

C’est ce que nous avons ici, où la tropation ne donne pas d’élément nouveau, mais sert de caution plutôt, par toute cette organisation rhétorique complexe de L’ars rhetorica musicalis, pour servir la politique du pape d’une manière semble t-il beaucoup large qu’un texte politique.

Avec cette tropation on se rend compte que ce n’est pas simplement par la « configuration»33 que le compositeur cherche à nous signaler mais également par la dysconfiguration. Dans notre cas c’est l’emjambement qui interpelle. Le fait que le trope Clemens dépasse la cadence de fin des trois iso-structures amène une mise en exergue des trois mots clefs bien utiles pour Clément VI.

Cependant notre étude ne pourrait être complète si nous en restions là. Nous venons de nous préoccuper d’une lecture approfondie et détaillée. Quelles structures pourraient ressortir des textes après les avoir approchées de manière aussi détaillée ? D’un point vue argumentatif, les textes de motets sont régis par une même organisation rhétorique du discours. Suivant le choix de cet agencement le propos sera alors évoqué dans une argumentation adaptée.

Un agencement argumentatif complexe :

L’œuvre est un élément de culture extrêmement riche. Par conséquent, pour bien comprendre nous avons atteint les « couches de sens beaucoup plus profonde en étudiant la lecture du signifiant. Cette lecture est comme l’appelle Bernard Vecchione « démantèlement, fragmentation, découpage34 ». Les poèmes sont avant tout des raisonnements qui ont une structure généralement hiérarchisée :

Bipartite, tripartite et quadripartite. Comme le souligne Vecchione, « A chaque niveau, on distingue entre quelque chose d’important et quelque chose de secondaire. »…. « On parlera de segment principal et de segment secondaire. Par ailleurs, la succession de ces niveaux indique un ordre dans lequel les opérations d’institutions du raisonnement sont effectuables »35.

31

Rappelons que ce trope incomplet se complétait par le texte du duplum qui est énoncé au même moment.

32 Par ce thème nous entendons un système de sous-textes multiples découlant d’une même voix.

33 Ici une concordance entre les différents discours musicaux et littéraires.

34 Bernard VECCHIONE, 1997, Op.Cit., pp37-39

35 Op.Cit., p38.

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39

Fig. 19« Les différents niveaux de lectures »36

Premier niveau :

Ce type de discours politique, présent dans la majorité des motets de cette période, offre un agencement du raisonnement en deux parties : un avant et un après37. Structure qui peut s'interpréter par la suite en prémices et conclusion.

36

Schéma tiré de l’article « Modélisation et Heuristique », Op.Cit., p38.

37 À ce sujet, Bernard VECCHIONE propose de prendre distance avec la tradition des rhétoriques argumentatives. Il considère qu'une

théorie des discours de raisonnements, doivent se distinguer des autres types de discours tels que les récits des figurations. Plus il

distingue deux types de raisonnement :

- les raisonnements logiques

- les raisonnements rhétoriques

Ainsi, de son point de vue, tout discours qui se présente comme un raisonnement s'organise en deux parties : des prémices d'une

conclusion.

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Second niveau :

Un deuxième partitionnement s'effectue au niveau des prémisses :

� Prémisse mineure

� Prémisse majeure

Nous voyons qu’une hiérarchie s'opère entre une prémisse mineure de moindre importance face à une prémisse majeure qui expose une partie stratégique du raisonnement. Ce découpage n'accorde pas la même importance à cette partie si le discours est de type logique ou de type argumentatif. Dans le cas d'un type argumentatif, ce n'est pas cette partie qui domine : c'est la conclusion.

Un troisième niveau :

C’est un agencement prosodique et argumentatif en trois parties qui consiste à appliquer une distinction entre les trois fonctions que l’on retrouve dans un raisonnement et qui concerne précisément « l’agencement interne » du signifié. Ce niveau de raisonnement s'organise en trois parties bien distinctes :

Antelepse

Lepse

Katalepse

Généralement dans un raisonnement de type argumentatif, la tradition et de décomposer le discours et plus précisément la partie prémices, en deux éléments mineurs et majeurs.

Alors que dans les discours de type logique, l'accent est mis sur la deuxième partie des prémices majeures, en ce qui concerne les raisonnements de type argumentatif l'accent est porté sur la conclusion.38.

Cette partie majeure du raisonnement se retrouvera ici en section initiale de la conclusion.

Cette section porte le nom de Lepse :

« pour être compris, un raisonnement doit permettre au destinataire d'isoler ce segment central. La position de celle-ci, comme section terminale des prémices, où comme section initiale de la conclusion, permet d'identifier le type de raisonnement auquel on a affaire et de comprendre quel type de preuve est ainsi en oeuvre dans le raisonnement 39«.

38

Bernard VECCHIONE, 1997, p 40-41

39 Bernard VECCHIONE, Op.Cit., p37.

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� L’Antelepse, constitue la partie initiale du discours qui prépare le raisonnement.

� La lepse, est le point central du raisonnement : ce sur quoi on argumente.

� La Katalepse est la phase terminale du raisonnement qui résout la lepse et qui donne le but pour lequel on a argumenté.

Cas pratiques

Le Duplum

En ce qui concerne le Duplum, le raisonnement s’organise tout d’abord en deux grandes parties :

Une Prémisse qui se divise elle-même en deux parties : mineure et Majeure.

Premisse mineure :

« Lugentium….. ……..modulum » : C’est L’éloge du Pontife. Le passage évoque également sa filiation divine et sa signature : Clément le sixième.

Premisse Majeure :

« Tu cirei Sy-ris.................Vulgi». les actions accomplis de Clément VI

La Conclusion

« Tamen……..similis illi » : Elle fait intervenir Vitry lui-même qui annonce le non est inventus similis illi.

Au deuxième niveau : nous avons l’organisation Antelepse-Lepse-Katalepse.

-L’Antelepse prépare le raisonnement en englobant les premisses Mineure et Majeure. Elles démontrent les actions que Clément a accomplies pour l’Eglise. Elle est clairement délimitée en parallèle par les deux tropes « Non est inventus ».

-la Lepse et la Katalepse. Ces deux parties englobent la totalité de la conclusion et la bipartitione :

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La Lepse : Ce pourquoi je discute :«Tamen modica porcio de te saltem motetus gestio » » Cependant à ma modeste place, mon seul but est de chanter tes faits ».

Le tamen ici implique une conséquence :

C’est un marqueur de relation, un mot dont la fonction dans le discours est d’établir des relations logiques, spatiales ou temporelles entre les phrases. Les marqueurs de relation, en exprimant les liens de sens qu’entretiennent entre elles les idées, assurent la cohérence du texte et jouent, de ce fait, un rôle sémantique important. De plus, lorsqu’ils structurent l’information en marquant les transitions, ces marqueurs de relation occupent, à l’instar de certains autres mots, groupes de mots ou phrases, la fonction d’organisateurs textuels.

De plus en considérant la tropation du ténor, la dernière occurrence tronquée, incomplète s’arrête sur le mot gestio.

Le compositeur parle directement en son nom et s’adresse directement au pape.

La Katalepse : La conclusion de mon raisonnement séparée de la phrase précédente par le mot cui.

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VuLgI // tameN mOdica porcio

.....L...I > < N.....O.........................

De te sal-tem claNgEre geSTio //

.................................N E...........S.T >

>

// Vivat, vivat orbi perutilis

<

CUI NON EST [INVENTUS tu-us SIMILIS] >

[(CUI) NON EST]…INVENTUS...................SIMILIS (illi) .>

Lepse

Katalepse

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Duplum / Argumentation par la tropation de l’incipit

Non est inventus similis illi

<<NNoonn eesstt iinnvveennttuuss ssiimmiilliiss iillllii>> // << NNoonn eesstt iinnvveennttuuss ssiimmiilliiss iillllii>> //// <<NNoonn eesstt >> // <<CCuuii nnoonn eesstt iinnvveennttuuss ssiimmiilliiss ((iillllii))>>

PPPRRREEEMMMIIISSSSSSEEESSS CCCOOONNNCCCLLLUUUSSSIIIOOONNN

AANNTTEELLEEPPSSEE //// LLEEPPSSEE KKAATTAALLEEPPSSEE

<< LLuuggeennttiiuumm………………aappoollllii-->> <<--nniiss…………......……....VVuullggii >> << TTaammeenn…………ggeessttiioo >> << VViivvaatt…………ssiimmiilliiss >>

Mineure Majeure

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Le triplum :

La relation tropes et structures argumentatives, apparaît ici de deux manières : par le trope non est inventus et par les tropes signatures Clemens /Petre Clemens.

Un élément supplémentaire vient soutenir nos suppositions : le temps du récit, qui évolue du passé au présent et s’oriente vers le futur qui caractérise les parties Lepse et Katalepse.

Cependant, c’est à ce moment de notre travail que le schéma de tropation vu plus haut va nous aider à déterminer la place de la Lepse et de la Katalepse.

Quel est véritablement le point central de notre raisonnement ? On remarque que le plan de tropation en sous-texte se termine sur le mot « tumulus ».

C’est la fin des sous-textes ainsi que des prémisses. La phrase ici « Erit tandem tumulus vernula » sert de liaison pour introduire ce pour quoi on discute ; la phrase « semper fama, respondens operi » (ton tombeau sera la solide renommée, réponse éternell à ton œuvre ; la règle par toi exigée perdurera). C’est la Lepse. Cette phrase marque l’importance du pouvoir de Clément VI et de ses actions qui établiront et perpétueront sa renommée et ce bien au delà de son passage sur cette terre. Par la suite c’est le mot Quam qui sectionne et marque la Katalepse : Quam posceris prebebit regula gubernandi faveant operi.40 : C’est la Katalepse qui conclut ainsi le raisonnement.

Cette dernière phrase est d’ailleurs une problématique en elle même. On peut la lire dans le sens premier que nous venons de présenter, mais également dans un sens secondaire qui se rapporte plutôt à l’actualité historique qui entoure cette œuvre et que nous avons présentée plus haut. On peut y voir Vitry souhaitant à son pape la reconnaissance de tous ses pairs et pourquoi pas un appel au maître du Saint Empire Romain Germanique, Louis de Bavière pour qu’il reconnaisse l’obédience avignonnaise.

Ainsi le raisonnement rhétorique de ce poème fait ressortir la rhétorique suivante :

Antelepse : le pape a accompli des actions louables et dignes de sa place sur le siège de Pierre.

lepse : ainsi elles lui vaudront la reconnaissance et la gloire éternelle.

Katalepse : à conditions que ces règles soient appliquées par ses dignes « héritiers »

Cette constatation peut s’appliquer également dans le motetus (Lugentium siccentur) où est cité le nom de Clément VI (clemens sextus). Nous appliquons ici le même principe de tropation que précédemment, mais en utilisant cette fois-ci l’incipit du la teneur : « Non est inventus similis illi ».

40

« Mais cette renommée ne pourra perdurer que si et seulement si ces préceptes sont suivis et appliqués à la lettre par tes

successeurs ».

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Triplum

Argumentation par la conjonction des tropations des mots Clemens et Petre Clemens

<< CCoorrrreessppoonnddaannccee // // << CCoorrrreessppoonnddaannccee

uunn ccoonnttrree uunn ddeeuuxx ccoonnttrree uunn

eennttrree llaa ttrrooppaattiioonn ddee CClleemmeennss eennttrree llaa ttrrooppaattiioonn ddee CClleemmeennss

eett cceellllee ddee PPeettrree CClleemmeennss >> eett cceellllee ddee PPeettrree CClleemmeennss >>

<< PPrréésseennccee eenn ssoouuss--tteexxttee ddee CClleemmeennss eett PPeettrree CClleemmeennss >> //// << AAbbsseennccee eenn ssoouuss tteexxttee ddee CClleemmeennss eett PPeettrree CClleemmeennss >>

PPPRRREEEMMMIIISSSSSSEEESSS CCCOOONNNCCCLLLUUUSSSIIIOOONNN

AANNTTEELLEEPPSSEE //// LLEEPPSSEE KKAATTAALLEEPPSSEE

<< PPeettrree………………....……ppootteennss>><<ppiiee……....ttuummuulluuss >> << vveerrmmuullaa……ooppeerrii >> << qquuaamm……ssuuppeerrii >>

Mineure Majeure

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Conclusion

Au moment de conclure notre propos nous nous rappelons notre problématique : évoquer le style du motet tardo-médiéval à travers le motet Petre clemens production issue du contexte de l’Avignon de Clément VI. Outre une mise en garde contre le terme « Style » et des problèmes qu’entraînent son application notamment au niveau de la classification formelle, nous avions proposé de comprendre comment une œuvre musicale polytextuelle et plus précisément le motet pouvait par son style spéficique soutenir le pontife. Notre étude à permis de révéler une configuration d’écriture complexe, en différentes couches de sens superposées. Ainsi le style du motet polytextuel, pourrait se définir comme un ensemble d’éléments rhétoriques tant textuels que musicaux : la musique associée au littéraire permet de devenir un média, par ses dispositifs d’écritures, mais également par le fait que le motet est copié et dispersé dans les milieux intellectuels. C’est donc un moyen de communication qui touche non seulement le monde des hommes – qui conteste le pape, mais également le monde du ciel – qui l’atteste. L’œuvre musicale, par le jeu d’une coopération unique entre littéraire et musical, offre un moyen singulier de « dire » la politique : une telle production n’aurait pas la même portée dans un simple appareil littéraire. Par conséquent, « Le littéral » constitue une première lecture qui, par le jeu d’un parcours sonore hautement sophistiqué, agit d’une manière presque pédagogique afin de faire comprendre les poèmes à un plus grand nombre, au même titre que les vitraux des cathédrales. Cependant ici, la pédagogie s’adresse à des intellectuels de haut rang. Ce niveau de lecture correspondrait donc au monde de la terre. Les ambitus sont donc traités de la sorte afin de permettre aux voix de s’imbriquer, se compléter ou de s’effacer lorsque l’autre est plus importante. Nous nous retrouvons encore une fois dans une configuration de Tempus Aevum Eternitas, organisation du temps typique de la pensée Scholastique de cette époque.

Une deuxième étape nous permet d’atteindre un niveau plus complexe, au niveau de la compréhension : La coopération entre les éléments discursifs du discours semble interagir comme des « ponts » entre les voix. Les Interrelation et les signatures musicales apparaissent et permettent par des jeux très subtils entre musique et texte, de cautionner la légitimité du pontife. Nous sommes dans le niveau qui correspondrait à celui des intermédiaires. Ces intermédiaires qui représentent ceux qui permettent de faire le lien entre le ciel et la terre : les ecclésiastiques et le pape, leur chef suprême.

Enfin le niveau le plus complexe : celui des textes tropés, des textes sous-jacents. On atteint le niveau des voix destinées au monde du ciel. Les textes tropés par le silence, la non-énonciation dans la bouche des hommes n’empêchent pas ces textes de se former au fur et à mesure de la lecture et de créer un sens que seul ce monde impalpable peut atteindre dans son immédiateté. Cette production musicale s’inscrit parfaitement dans la série des pièces politiques médiévales, étudiées par Bernard Vecchione. On retrouve entre toutes ces productions une certaine homogénéité dans l’élaboration des discours. Il semble ainsi qu’il existe une certaine manière, fixe et immuable de composer ces œuvres qui débutent avec Marchetto da Padova et semblent

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s’affirmer jusque au moins Guillaume Dufay. Cependant, ces techniques s’avèrent être issues d’une large « palette » de dispositif d’écriture que le compositeur utilisait en fonction des besoins de sa production. Grâce à cette dernière, il pouvait choisir les éléments utiles et stratégiques à sa production et les utiliser pour servir, voire desservir, un dédicataire. En conséquence, il serait intéressant d’ouvrir notre terrain d’étude à d’autres œuvres politiques avignonnaises, notamment les motets composés sous l’obédience de Clément VII. Nous pourrions ainsi nous poser la question de savoir comment la politique du pontife peut se déployer dans ces œuvres ? Existe-t-il des similitudes au niveau des dispositifs d’écriture, avec les morphologies du Petre Clemens ? À partir de ces travaux d’analyse, il serait bon de mettre en relation l’ensemble du corpus politique d’Avignon pour dresser un état des plus exhaustifs sur les moyens mis en œuvre par les compositeurs pour servir leurs commanditaires et permettre peut-être de dégager un « style » de motet politique spécifique à la papauté.

Pour citer ce document Julien Ferrando, « Un style de composition musicale au service de la papauté : le motet politique à la cour de

Clément VI », Effets de style au Moyen Age, 28-31 mai 2008, Senefiance, PUP, à paraître 2009.

URL : http://www.univ-provence.fr/gsite/Local/cuerma/dir/textes/Ferrando2008.pdf