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J.A. 1002 Lausanne | www.letemps.ch Mardi 15 septembre 2015 | N° 5308 CHF 3.50, France € 3.00 Le Temps Pont Bessières 3, CP 6714, 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 - Rédaction Fax +41 21 331 70 01 www.letempsarchives.ch Collections historiques intégrales: Journal de Genève, Gazette de Lausanne et Le Nouveau Quotidien Index Avis de décès 20 Bourses et changes 16 Fonds 18, 19 Téléphones utiles 20 Toute la météo 12 L’essentiel Un test suisse réduit les risques de thrombose liés à la pilule > Santé Les femmes prédisposées aux accidents vasculaires pourront être mieux dépistées En Europe, la libre circulation vacille face aux flots de migrants Alors que les pays de l’UE rétablissent l’un après l’autre les contrôles aux frontières, les dirigeants européens se sont entendus lundi sur la répartition de 32 000 réfugiés. Ils ont aussi décidé de frapper les réseaux de passeurs avec des moyens militaires. ö Pages 5, 6, 11 En Suisse, 350 000 femmes prennent la pilule contracep- tive. Et 400 d’entre elles, chaque année, souffrent d’une throm- bose, la formation d’un caillot sanguin susceptible de boucher une artère, avec des conséquen- ces parfois très graves. Le risque de thrombose a freiné l’expansion des pilules de 3e et 4e générations, pourtant censées provoquer moins d’ef- fets secondaires. En Suisse, le cas de Céline Pfleger, handicapée après un accident vasculaire en 2008, a spectaculairement illus- tré ce problème. Mais la situa- tion pourrait changer grâce au test mis au point par une société lausannoise, Gene Predictis. Sa méthode de dépistage généti- que vient d’être validée clinique- ment par une étude menée sur 1600 femmes. Elle doit permet- tre d’identifier les femmes pré- disposées par leurs gènes à la formation de caillots sanguins lorsqu’elles prennent la pilule. Ce nouveau test illustre les progrès rapides de la médecine personnalisée, qui vise à soigner les patients de façon différenciée en fonction de leur bagage géné- tique. Selon Gene Predictis, son test permet d’identifier huit fois mieux les femmes vulnérables aux risques de thrombose que la méthode traditionnelle, basée sur des questionnaires de santé. ö Page 3 La presse est una- nime à célébrer le «renouveau» littéraire romand, avec l’émergence d’une génération illustrée par le succès mondialisé de Joël Dicker. Mais dans les coulisses de cette fête médiatique, la réalité est moins éclatante, juge l’écrivain Jérôme Meizoz. A-t-on encore affaire à de la littérature, ou à de la simple appli- cation de recettes? öPage 11 Service clients: www.letemps.ch/abos 0848 48 48 05 (tarif normal) Conversation Coups de fil au Palais Fathi Derder, qui observe la cam- pagne puis la Coupole, revient sur l’interdiction de téléphoner durant les débats. Page 2 International Grèce, virage à droite? Ce dimanche, les Grecs votent pour des législatives anticipées. Qui pourraient marquer le retour au pouvoir de la droite. Page 4 Suisse FIFA, l’enquête s’étend Vers de nouvelles inculpations: les enquêtes autour de la FIFA s’élar- gissent, annoncent le procureur de la Confédération Michael Lauber et son homologue améri- caine Loretta Lynch. Page 8 Sciences Des voitures autonomes La Haute Ecole Arc Ingénierie de Neuchâtel participe à un concours de mini-voitures autoguidées. Un domaine de recherche en pleine ébullition à l’heure où Peugeot annonce à son tour une voiture sans conducteur. Pages 12, 13 Economie Les objectifs d’Actelion Actelion, la plus grande société de biotechnologie européenne, veut acquérir ZS Pharma. Sa responsa- ble scientifique s’explique. Page 13 Culture Le peintre et l’image Au Kunstmuseum de Berne, Toulouse-Lautrec fait dialoguer photographie et peinture. Page 22 Sport L’implacable «Djoker» Retour sur la nuit américaine où Novak Djokovic a brisé le rêve de Roger Federer à l’US Open. Page 23 Der Colère à la ferme Christian Hofmann a réuni 600 agriculteurs dans sa grange. Pour un élan de révolte qui révèle la détresse des producteurs. Page 24 Editorial Union européenne, les réfugiés au cœur Par Luis Lema Les Accords de Dublin? En miettes. L’espace Schengen? A genoux. Par son ampleur, par sa soudaineté et surtout par son caractère profondément… mo- derne, la «crise des migrants» est en train de faire voler en éclats le cadre vieillot par lequel l’Union européenne entendait se mettre à l’abri du monde extérieur. Des frontières externes ver- rouillées, un espace interne empli de liberté: sur le papier, un système parfait, efficace et ra- tionnel qui, en matière de requé- rants d’asile, évitait les «dou- blons» et assurait à la fois l’ordre et la tranquillité. Dans les faits, pourtant: une manière, pour l’Europe continentale, de tenir les quémandeurs à distance, de les rejeter sur les marges. Grèce, Italie, Espagne: voilà des années que ces pays ne sont pas les mieux portants du continent. Le système, depuis longtemps, n’offrait même plus l’illusion de fonctionner. Cette tentative de faire dispa- raître les importuns n’y a rien pu. Concrètement, des centaines de milliers de réfugiés syriens, irakiens ou afghans (les guerres d’à côté) ont refusé de disparaî- tre. Symboliquement, ils ont reçu l’appui, tardif mais décisif, d’An- gela Merkel, cette chancelière que la presse allemande sur- nomme aujourd’hui la «sainte Jeanne-des-réfugiés». Sous son patronage, les invisibles ont désormais droit de cité. Ils ont conquis le cœur de l’Europe. Il n’y aura plus moyen de les déloger. Face à pareil mouve- ment, les Accords de Dublin – conçus pour d’autres temps – apparaissent pour ce qu’ils sont réellement, dans toute l’étroi- tesse de leurs arrière-pensées. Les réactions de panique sont à la mesure de ce chamboulement. Sur la route ouverte des «mi- grants», les murs réapparaissent, mettant à mal, comme jamais, l’espace Schengen. Chacun se méfie maintenant de son voisin, quand il ne le vilipende pas pour de bon: la Macédoine de la Grèce, la Serbie de la Macédoine, la Hongrie de la Serbie, l’Autriche de la Hongrie. Chacun aimerait encore fermer les vannes. La défiance est générale envers une Allemagne qui, bientôt, pourrait fort bien commencer à se méfier d’elle-même. En fermant à son tour l’accès, Berlin vient de couper le flux qu’elle a en grande partie contri- bué à accélérer. Une simple respiration, ou la preuve, comme veulent le croire les partisans de frontières nationales étanches, que le cirque a assez duré? Même si c’est pour des raisons diamé- tralement opposées, chacun prend à témoin le cas allemand. La preuve, s’il en fallait une, que le pays de la sainte Jeanne-des- réfugiés est devenu aujourd’hui le cœur palpitant de l’Europe. Les banques face au défi numérique Après avoir encaissé la fin du secret bancaire, la place finan- cière suisse affronte un nouveau défi. Le développement des tech- nologies financières – du paie- ment mobile aux logiciels de gestion automatisée – la con- traint d’évoluer de nouveau, et vite. Pour survivre, les banques s’adaptent. UBS se développe dans le «mobile banking». Un pôle «fintech» émerge à Genève. Le point sur cette révolution dans notre hors-série Finance. La littérature romande à l’ère du people Jazz Yaron Herman, la quête bouleversante d’un pianiste iconoclaste Page 21 Reportage Bramer comme un cerf, un dimanche au concours des imitateurs Page 23 EDDY MOTTAZ Economie & Finance Les réfugiés risquent fort d’être un fardeau économique Page 14 FINANCE LES BANQUES AU DÉFI DE L’ÈRE NUMÉRIQUE LA CHINE CONTINUE DE FAIRE RÊVER SE PRÉPARER À L’ÈRE DE LA TRANSPARENCE FISCALE LES CONSEILLERS À LA CLIENTÈLE DEVRONT FAIRE CERTIFIER LEURS COMPÉTENCES Yves Bouvier et l’affaire des Picasso volés Nouvel épisode, nouveau re- bondissement spectaculaire dans l’affaire Yves Bouvier. Le transpor- teur d’art ge- nevois a été mis en examen à Paris pour re- cel et doit ver- ser une caution de 27 millions d’euros. Une héritière de Pi- casso, Catherine Hutin-Blay, l’accuse d’avoir revendu des ta- bleaux volés qui lui apparte- naient. Le Genevois affirme n’avoir jamais suspecté le moin- dre vol. ö Page 6

Un test suisse réduit les risques de thrombose liés à la pilule

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Page 1: Un test suisse réduit les risques de thrombose liés à la pilule

J.A. 1002 Lausanne | www.letemps.ch

Mardi 15 septembre 2015 | N° 5308 CHF 3.50, France € 3.00

Le TempsPont Bessières 3, CP 6714, 1002 LausanneTél. +41 21 331 78 00 - RédactionFax +41 21 331 70 01

www.letempsarchives.chCollections historiques intégrales: Journal de Genève, Gazette de Lausanne et Le Nouveau Quotidien

IndexAvis de décès 20

Bourses et changes 16

Fonds 18, 19

Téléphones utiles 20

Toute la météo 12

L’essentiel

Un test suisse réduit les risquesde thrombose liés à la pilule> Santé Les femmes prédisposées aux accidents vasculaires pourront être mieux dépistées

En Europe, la libre circulation vacille face aux flots de migrants

Alors que les pays de l’UE rétablissent l’un après l’autre les contrôles aux frontières, les dirigeants européens se sont entendus lundi sur la répartition de 32 000 réfugiés. Ils ont aussi décidé de frapper les réseaux de passeurs avec des moyens militaires. öPages 5, 6, 11

En Suisse, 350 000 femmesprennent la pilule contracep-tive. Et 400 d’entre elles, chaqueannée, souffrent d’une throm-bose, la formation d’un caillotsanguin susceptible de boucherune artère, avec des conséquen-ces parfois très graves.

Le risque de thrombose afreiné l’expansion des pilules de3e et 4e générations, pourtant censées provoquer moins d’ef-fets secondaires. En Suisse, le casde Céline Pfleger, handicapéeaprès un accident vasculaire en2008, a spectaculairement illus-

tré ce problème. Mais la situa-tion pourrait changer grâce autest mis au point par une société lausannoise, Gene Predictis. Saméthode de dépistage généti-que vient d’être validée clinique-ment par une étude menée sur1600 femmes. Elle doit permet-

tre d’identifier les femmes pré-disposées par leurs gènes à laformation de caillots sanguinslorsqu’elles prennent la pilule.

Ce nouveau test illustre lesprogrès rapides de la médecinepersonnalisée, qui vise à soignerles patients de façon différenciée

en fonction de leur bagage géné-tique. Selon Gene Predictis, sontest permet d’identifier huit foismieux les femmes vulnérablesaux risques de thrombose que laméthode traditionnelle, baséesur des questionnaires de santé.öPage 3

La presse est una-nime à célébrer le«renouveau»littéraire romand,avec l’émergenced’une générationillustrée par le

succès mondialisé de Joël Dicker. Mais dans les coulisses de cette fête médiatique, la réalité est moins éclatante, juge l’écrivain Jérôme Meizoz. A-t-on encore affaire à de la littérature, ou à de la simple appli-cation de recettes? öPage 11

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ConversationCoups de fil au PalaisFathi Derder, qui observe la cam-pagne puis la Coupole, revient sur l’interdiction de téléphoner durant les débats. Page 2

InternationalGrèce, virage à droite?Ce dimanche, les Grecs votent pour des législatives anticipées. Qui pourraient marquer le retour au pouvoir de la droite. Page 4

SuisseFIFA, l’enquête s’étendVers de nouvelles inculpations: les enquêtes autour de la FIFA s’élar-gissent, annoncent le procureur de la Confédération Michael Lauber et son homologue améri-caine Loretta Lynch. Page 8

SciencesDes voitures autonomesLa Haute Ecole Arc Ingénierie de Neuchâtel participe à un concours de mini-voitures autoguidées. Un domaine de recherche en pleine ébullition à l’heure où Peugeot annonce à son tour une voiture sans conducteur. Pages 12, 13

EconomieLes objectifs d’ActelionActelion, la plus grande société de biotechnologie européenne, veut acquérir ZS Pharma. Sa responsa-ble scientifique s’explique. Page 13

CultureLe peintre et l’imageAu Kunstmuseum de Berne, Toulouse-Lautrec fait dialoguer photographie et peinture. Page 22

SportL’implacable «Djoker»Retour sur la nuit américaine où Novak Djokovic a brisé le rêve de Roger Federer à l’US Open. Page 23

DerColère à la fermeChristian Hofmann a réuni 600 agriculteurs dans sa grange. Pour un élan de révolte qui révèle la détresse des producteurs. Page 24

Editorial

Union européenne, les réfugiés au cœurPar Luis Lema

Les Accords de Dublin? En miettes. L’espace Schengen? A genoux. Par son ampleur, par sa soudaineté et surtout par son caractère profondément… mo-derne, la «crise des migrants» est en train de faire voler en éclats le cadre vieillot par lequel l’Union européenne entendait se mettre à l’abri du monde extérieur.

Des frontières externes ver-rouillées, un espace interne empli de liberté: sur le papier, un système parfait, efficace et ra-tionnel qui, en matière de requé-rants d’asile, évitait les «dou-blons» et assurait à la fois l’ordre et la tranquillité. Dans les faits, pourtant: une manière, pour

l’Europe continentale, de tenir les quémandeurs à distance, de les rejeter sur les marges. Grèce, Italie, Espagne: voilà des années que ces pays ne sont pas les mieux portants du continent. Le système, depuis longtemps, n’offrait même plus l’illusion de fonctionner.

Cette tentative de faire dispa-raître les importuns n’y a rien pu. Concrètement, des centaines de milliers de réfugiés syriens, irakiens ou afghans (les guerres d’à côté) ont refusé de disparaî-tre. Symboliquement, ils ont reçu l’appui, tardif mais décisif, d’An-gela Merkel, cette chancelière que la presse allemande sur-nomme aujourd’hui la «sainte Jeanne-des-réfugiés». Sous son

patronage, les invisibles ont désormais droit de cité. Ils ont conquis le cœur de l’Europe.

Il n’y aura plus moyen de lesdéloger. Face à pareil mouve-ment, les Accords de Dublin – conçus pour d’autres temps – apparaissent pour ce qu’ils sont réellement, dans toute l’étroi-tesse de leurs arrière-pensées. Les réactions de panique sont à la mesure de ce chamboulement. Sur la route ouverte des «mi-grants», les murs réapparaissent, mettant à mal, comme jamais, l’espace Schengen. Chacun se méfie maintenant de son voisin, quand il ne le vilipende pas pour de bon: la Macédoine de la Grèce, la Serbie de la Macédoine, la Hongrie de la Serbie, l’Autriche

de la Hongrie. Chacun aimerait encore fermer les vannes. La défiance est générale envers une Allemagne qui, bientôt, pourrait fort bien commencer à se méfier d’elle-même.

En fermant à son tour l’accès,Berlin vient de couper le flux qu’elle a en grande partie contri-bué à accélérer. Une simple respiration, ou la preuve, comme veulent le croire les partisans de frontières nationales étanches, que le cirque a assez duré? Même si c’est pour des raisons diamé-tralement opposées, chacun prend à témoin le cas allemand. La preuve, s’il en fallait une, que le pays de la sainte Jeanne-des-réfugiés est devenu aujourd’hui le cœur palpitant de l’Europe.

Les banques face au défi numérique

Après avoir encaissé la fin dusecret bancaire, la place finan-cière suisse affronte un nouveaudéfi. Le développement des tech-nologies financières – du paie-ment mobile aux logiciels degestion automatisée – la con-traint d’évoluer de nouveau, etvite. Pour survivre, les banques s’adaptent. UBS se développedans le «mobile banking». Unpôle «fintech» émerge à Genève.Le point sur cette révolutiondans notre hors-série Finance.

La littérature romande à l’ère du people

JazzYaron Herman, la quête bouleversante d’un pianiste iconoclaste Page 21

ReportageBramer comme un cerf, un dimancheau concours des imitateurs Page 23

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Economie & FinanceLes réfugiés risquent fort d’êtreun fardeau économique Page 14

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FINANCELES BANQUES AU DÉFI DE L’ÈRE NUMÉRIQUELA CHINE CONTINUE DE FAIRE RÊVER

SE PRÉPARER À L’ÈRE DELA TRANSPARENCE FISCALE

LES CONSEILLERS À LA CLIENTÈLE DEVRONT FAIRE CERTIFIER LEURS COMPÉTENCES

Yves Bouvier et l’affaire des Picasso volés

Nouvel épisode, nouveau re-bondissement spectaculaire

dans l’affaireYves Bouvier.Le transpor-teur d’art ge-nevois a étémis en examenà Paris pour re-cel et doit ver-

ser une caution de 27 millionsd’euros. Une héritière de Pi-casso, Catherine Hutin-Blay,l’accuse d’avoir revendu des ta-bleaux volés qui lui apparte-naient. Le Genevois affirmen’avoir jamais suspecté le moin-dre vol. öPage 6

Page 2: Un test suisse réduit les risques de thrombose liés à la pilule

3Temps fort Le TempsMardi 15 septembre 2015

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Prendre la pilule sans risque de thrombose> Santé Les femmes sous contraceptif oralont des risques plus ou moins élevésde développer une thrombose, d’autant plus si le produit est de 3e ou 4e génération

> La société Gene Predictis vient de validerun test génétique permettant de connaître ces risques. Une avancée qui fait débat parmi les gynécologues et experts en génétique

Olivier Dessibourg

Toute médaille a son revers. Lamise au point de la pilule contra-ceptive, en 1956, a constitué une im-mense avancée. Même si celle-ci est accompagnée d’effets secondaires plus ou moins fréquents et sérieux. Ainsi, les produits dits de «3e et 4e» générations induiraient un risque plus élevé de thromboses veineuses profondes. Cette pathologie peut générer de graves complications, comme l’a mis en évidence, en 2008,le cas très médiatisé d’une adoles-cente schaffhousoise, vivant depuis avec une paralysie et un handicap qu’elle impute à la prise de la pilule nommée Yasmin (lire ci-dessous). Installée au Parc scientifique de l’EPFL, la société Gene Predictis af-firme avoir trouvé la parade: elle a validé cliniquement son test généti-que permettant d’identifier les fem-mes risquant de développer une thrombose lorsque celles-ci sont placées sous contraception orale. Selon ses développeurs, ce test mé-dical, remboursé par la plupart des caisses maladie, complète grande-ment l’approche traditionnelle des médecins envers ce problème.

Dans le monde, plus de 100 mil-lions de femmes se voient prescrire la pilule. En Suisse, parmi les 350 000 qui y recourent, plus de 400présentent, chaque année, une thrombose. Selon Gene Predictis, enEurope, le nombre de cas annuels est estimé à 22 000, qui génèrent des coûts de l’ordre de 200 millions d’euros pour les systèmes de santé.

Lorsqu’ils prescrivent une pilule,les médecins tiennent compte de

cette problématique, en deman-dant à leur patiente si elle présente certains facteurs pouvant augmen-ter le risque de thrombose, qui est en moyenne, pour des femmes ne prenant pas la pilule, d’environ troiscas sur 10 000. Ces facteurs in-cluent: âge supérieur à 35 ans, taba-gisme, antécédents familiaux, surpoids, diabète, hypertension, migraines ou maladies cardiaques valvulaires. La prescription même d’une pilule accroîtra ce risque d’un facteur 3 à 5, selon les études et les produits. Ce qui reste largement ad-missible, selon les instances de santé publique; il faut savoir que le corps d’une femme vivant une gros-sesse ou en situation post-partum présente naturellement, du fait des changements hormonaux, un ris-que estimé à vingt fois plus élevé de souffrir d’une thrombose.

«Jusque-là, les médecins devaientse fier à leur appréciation de l’état de santé de leur patiente avant de lui prescrire une pilule, explique Joëlle Michaud, directrice scientifi-que de Gene Predictis. Désormais, ils bénéficieront, avec notre test, d’un outil aux bases objectives et scientifiques.» Une première ver-sion de ce dernier est sur le marché depuis 2013 pour un coût de

270 francs. Mais la société vaudoise assure aujourd’hui l’avoir validé grâce à une vaste étude de cohorte, ayant inclus plus de 1600 femmes sous contraception orale, et dont la moitié ont développé une throm-bose. Chez toutes, une analyse des variations génétiques (polymor-phismes) a été effectuée. «Nous avons mis au point un algorithme ciblant une série de polymorphis-mes qui prédisposent à la formationde caillots en cas de prise d’une pi-lule», détaille Joëlle Michaud. Com-binés aux facteurs comportemen-taux et environnementaux ainsi qu’aux types de molécules présen-tes dans les contraceptions hormo-nales, ces facteurs génétiques per-mettent au final de quantifier plus précisément le risque de throm-

bose. Résultat: «Par comparaison avec le dépistage traditionnel actuel(un questionnaire médical basé donc sur l’âge, l’état de santé, l’histo-rique familial), notre test a permis d’identifier correctement huit fois plus de femmes en ayant développé une», résume la scientifique.

Il existe au moins un autre testsimilaire, produit par le laboratoire allemand ProGenom, qui est dispo-nible en Suisse, mais qui ne teste que deux polymorphismes, liés à la thrombose en général.

Cette avancée lausannoise s’ins-crit dans deux champs d’explorationmédicale très actuels. Le premier vise à réduire les effets secondaires des médicaments. Le test de Gene Predictis permettra peut-être de redorer le blason des pilules de 3e

et 4e générations, que l’on sait pré-senter moins d’effets secondaires, mais qui étaient tombées en dis-grâce. Récemment, en Suisse comme à l’étranger, ces pilules ont suscité le dépôt de multiples plain-tes de patientes les considérant comme la cause d’embolies ou de thromboses subies. En France, le Mi-nistère de la santé ayant décidé en 2013 de ne plus les rembourser, leurvente a baissé de 45%. Et la Société suisse de gynécologie, elle, recom-mande de privilégier les pilules de 2e génération lorsque c’est possible. Joëlle Michaud en est convaincue, «ce test étant remboursé, les femmesqui en auront pris connaissance vont davantage le demander à leur médecin» – une démarche qui reste la seule possible pour en bénéficier.

Quant au deuxième domaineconcerné, il s’agit de la médecine personnalisée ou de «précision», quiambitionne de soigner les patients en fonction de leur bagage généti-que, et dans lequel Gene Predictis affirme être pionnière depuis 2005.

Avant tout, ce test «est une ma-gnifique avancée pour la santé des femmes», estime Thierry Pache, gy-nécologue et président du conseil d’administration de Gene Predictis: «Plus de 5%, des femmes portent desvariations génétiques qui les prédis-posent à une thrombose. Un tel outil est indispensable pour conti-nuer à prescrire la pilule de la ma-nière la plus sûre. Dans cette opti-que, Pill Protect est un test que beaucoup de praticiens espéraient, l’espoir est maintenant réalité.»

Test génétique. Le domaine de la médecine personnalisée, qui veut soigner les patients selon leur bagage génétique, explose. LAUSANNE, FÉVRIER 20144

«Ce test étant remboursé, les femmes vont davantage le demanderà leur médecin»

«Ce test devra être accepté par les médecins»> L’avis de trois spécialistes du domaine

k Que vaut ce test?«On ne peut que se réjouir si un

nouveau test permet de réduire la mortalité et la morbidité chez les femmes prenant la pilule, surtout celles à risque, dit Vincent Mooser, directeur de la Biobanque institu-tionnelle de Lausanne, au CHUV. Cetest – qui plus est conçu en Suisse – serait une nouvelle confirmation des promesses de la médecine per-sonnalisée.» Cela dit, «les données de l’étude de cohorte n’ont pas été publiées. Il est donc encore difficile de se prononcer sur la réelle validitéde ce test.» «Nous allons publier ces données, répond Goranka Tanacko-vic, directrice de Gene Predictis, so-ciété conceptrice du test. Mais, nousconsidérions plus urgent de mettre d’abord cette nouvelle solution à disposition des médecins. Nous préparons aussi un brevet, d’où uneconfidentialité sur ces données. Mais nous les montrons volontiers aux gynécologues intéressés.» Pour Stylianos Antonarakis, professeur au département de médecine géné-tique de l’Université de Genève, «cette chronologie d’actions n’est pas habituelle… A ce stade préma-turé, je ne recommanderais donc pas le recours à ce test. Mais si les données quant à son efficacité sont divulguées et validées, il consti-tuera une avancée intéressante.»

k Son mode de conception est-il fiable?Autant pour Vincent Mooser que

pour Stylianos Antonarakis, ce nou-

veau test reste fragile, car «il repose sur une étude dite rétrospective», remarque Vincent Mooser. Autre-ment dit, le test génétique a été ap-pliqué sur 1600 femmes alors que les scientifiques savaient que la moitié d’entre elles avaient connu une thrombose. Il s’agirait aussi de mettre sur pied une étude prospec-tive, pour tenter de vraiment pré-dire la survenue de thrombose, «afin de déterminer si ce test con-duit bien à une réduction du nom-bre de thromboses liées à la prise dela pilule», dit le médecin du CHUV.

«L’absence de conclusions d’étu-des prospectives est ce qui a con-traint certaines sociétés proposant de tels tests génétiques à repenser leurs activités, comme 23andMe aux Etats-Unis», ajoute Stylianos Antonarakis. «Nous avons eu une belle opportunité de faire cette étude rétrospective à l’échelle inter-nationale, et ce type d’étude reste nécessaire, dit Goranka Tanackovic. Nous sommes aussi intéressés par une étude prospective et sommes ouverts aux collaborations, en Suisse ou ailleurs.» Vincent Mooser tient à positiver: «Les éléments déjà à disposition semblent rassurants, et ce test va bénéficier à certaines femmes. Cela dit, outre son intérêt clinique, il devra aussi montrer son bénéfice médico-économique.»

k Quel est le rôle réel des gènes dans le problème?Pour Vincent Mooser, «ce test

pourrait donner une fausse assu-rance en faisant oublier les autres facteurs de risques de thrombose aux femmes sous pilule – fumer, prendre du poids, etc. Les gènes ont

certainement un rôle contributif à ceproblème, mais il faut le relativiser.» Goranka Tanackovic insiste: «Sans inclure l’aspect génétique, le pouvoirprédictif du test est faible.»

Médecin-chef en gynécologie àl’Hôpital cantonal de Fribourg, Anis Feki soulève un autre point: «L’inté-rêt général pour un tel test est là. Mais le déclenchement de throm-bose chez les femmes sous contra-ceptif a des sources multigénétiques.Le test livre un score de risque plus ou moins haut basé sur les altéra-tions de plusieurs gènes. De plus, même si un gène présente une muta-tion, ce n’est pas pour autant que cel-le-ci s’exprime forcément pour in-duire une pathologie. Comment vont réagir les femmes à qui l’on dit que quelques gènes seulement sont altérés? Même avec un score de ris-que bas mais avéré, vont-elles radica-lement se détourner des pilules avec œstrogènes, qui peuvent induire ces thromboses?» Goranka Tanackovic estime que «les femmes ne vont pas tourner le dos à leur pilule». Et de rappeler que «la prendre ou pas res-tera une décision à discuter avec le médecin, qui aura toujours autorité dans son évaluation. Avec le test, ils disposent d’un outil objectif pour mieux quantifier le risque.» Selon Joëlle Michaud, directrice scientifi-que de Gene Predictis, il est vrai que «ce test devra d’abord être accepté par les médecins, qui n’ont pas en-core l’habitude de travailler avec des outils génétiques en prévention.»

k Comment vont réagirles pharmas?Comment les firmes pharma-

ceutiques, sur la sellette depuis les

récentes affaires avec les pilules de 3e et 4e générations, accueillent-el-les ce test? «Maintenant qu’il est possible de dépister les femmes à risque, cela pourrait constituer un levier pour elles pour relancer la promotion de ces produits présen-tant aussi des avantages» en termesd’effets secondaires, admet Joëlle Michaud, qui précise que Gene Pre-dictis a mené son étude de valida-tion en totale indépendance.

Anis Feki, lui, estime que cet as-pect des effets secondaires est mi-neur, «tant chaque femme doit trouver avec son médecin la pilule qui lui convient le mieux». A l’in-verse, le médecin-chef postule que ce test, parce qu’il permettrait de détecter beaucoup plus de femmes à risque, pourrait porter un coup aux pharmas, qui produisent beau-coup plus de pilules œstro-proges-tatives (impliquées dans cette pro-blématique des thromboses) que de pilules sans œstrogènes.

Contacté par Le Temps, l’un de cesfabricants de contraceptifs, Bayer (Suisse), reste évasif: «Faute d’infor-mations suffisantes, Bayer ne peut pas se prononcer sur le test généti-que cité, dit sa porte-parole Liliane Pieters. Comme les femmes présen-tent des réponses très diverses aux différents types de contraceptifs, il leur est souhaitable d’avoir le choix. Les médecins connaissent leurs patientes et ils savent les con-seiller au mieux.» De toute ma-nière, conclut Stylianos Antonara-kis, «les sociétés pharmaceutiques ne vont pas bouger avant que les instances de santé publique ne donnent leurs recommandations». O. D.

Le cas cruel de Céline Pfleger> L’adolescente suisse, victime d’une thrombose, est au centre d’un bras de fer médical et judiciaire

Céline Pfleger. Ce nom n’évoque apriori pas grand-chose. Pourtant, cette jeune Schaffhousoise est au cœur d’un immense scandale phar-maceutique ayant débuté en 2008.

Alors qu’elle prend la pilule Yas-min depuis à peine quatre semaines, l’adolescente de 16 ans est victime d’une embolie pulmonaire, suivie d’un arrêt cardiaque et de plusieurs mois de coma qui la laissent lourde-ment handicapée. A l’hôpital de Schaffhouse, les médecins n’identi-fient qu’un seul facteur de risque lié àl’apparition de la thrombose, à sa-voir la prise de ce contraceptif de 3e

génération. La famille, appuyée par sa caisse maladie, la CSS, intente alors une procédure contre la firme Bayer, qui produit la Yasmin, en invo-quant le fait que la notice d’informa-tion destinée aux patientes était la-cunaire et ne mettait pas suffisamment en exergue les risques d’embolie, deux fois plus élevé par rapport aux autres pilules.

Médecins responsablesLe Tribunal fédéral décide pour-

tant, en début de cette année, de blanchir complètement l’entreprise allemande. Pour les juges de Mon-Repos, l’information donnée aux pa-tientes n’est pas un critère pertinent, ces dernières n’étant pas en mesure d’apprécier les dangers encourus. A contrario, la responsabilité incom-berait aux médecins, qui auraient pour leur part reçu des données suf-

fisantes. La CSS n’en démord pas. Nonseulement elle accuse Bayer d’avoir induit les médecins en erreur, en dé-livrant des informations trompeu-ses, mais elle reproche aussi à Swiss-medic de ne pas avoir fait son travail, elle qui devrait, en tant qu’autorité de surveillance, garantir la sécurité des médicaments et la véracité des informations les concernant.

Le test génétique prédisant les ris-ques de thrombose chez des patien-tes sous contraception orale pour-rait-il à l’avenir éviter de tels imbroglios, en devenant systémati-que pour toutes les patientes souhai-tant prendre la pilule? «Pour l’heure, on ne force pas les médecins à prati-quer de tels tests pour diagnostiquerles risques liés au cholestérol ou au diabète, alors qu’un excès de choles-térol ou de sucre dans le sang tue plus de gens en Suisse, que ces tests sont bon marché et que leur valeur médico-économique est bien dé-montrée», tempère Vincent Mooser, directeur de la Biobanque institu-tionnelle de Lausanne. Quant à la so-ciété suisse de gynécologie obstétri-que, elle ne s’est pas encore sérieusement penchée sur la ques-tion. Son président David Ehm se montre néanmoins enthousiaste quant à l’existence d’un tel test. «Je n’hésiterais pas à l’utiliser si son effi-cacité est démontrée», ajoute le mé-decin.

Du côté des caisses maladie, onaffiche encore une certaine pru-dence. «Face à un risque de throm-bose, ce test ne dit pas quelle pilule est la meilleure pour vous, argu-mente Konstantin Beck, chef du CSS Institut. L’information dans ce sens n’est toujours pas suffisante pour le grand public.» Sylvie Logean