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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 110–121 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Fiche pédagogique Une décision de justice pas-à-pas : responsabilité pénale d’un neurochirurgien Khady Badiane-Devers 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 3 mars 2014 Résumé Un neurochirurgien pose le bon diagnostic et pratique correctement une intervention délicate, une cranios- ténose, chez un jeune enfant. Mais le praticien sous-estime des saignements peropératoire, ce qui complique la surveillance, et il en résultera des séquelles graves, après un choc hypovolémique. La Cour de cassation (29 octobre 2013, n o 12-86233) estime que la responsabilité pénale du neurochirurgien était engagée, pour une faute caractérisée. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Un praticien hospitalier neurochirurgien pratique une craniosténose sur une jeune enfant de six mois. Le diagnostic et le geste opératoire sont jugés hors de critiques. Au cours de l’intervention, sont apparus des saignements, ce qui n’est pas fautif en soi, mais en revanche ces saignements ont été minorés et les informations n’ont pas été données, ce qui a compliqué la surveillance opératoire, et fait perdre ensuite un temps décisif pour une ré-intervention, devenue nécessaire. Il en est résulté un choc hypovolémique entraînant des lésions ischémiques cérébrales, elles même à l’origine de séquelles neurologiques sévère. L’analyse de la responsabilité est loin d’être évidente. Le tribunal avait relaxé le médecin, et la cour d’appel l’a condamné, arrêt confirmé par la Cour de cassation (Crim. 29 octobre 2013, n o 12-86233). 1. Synthèse des faits et de la procédure Le 16 octobre 2002, à l’hôpital neurologique et neurochirurgical Pierre-Wertheimer de Lyon, le jeune Louis, le 14 mars 2002, a été opéré d’une craniosténose à type de trigonocéphalie Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.007

Une décision de justice pas-à-pas : responsabilité pénale d’un neurochirurgien

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 110–121

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Fiche pédagogique

Une décision de justice pas-à-pas : responsabilité pénaled’un neurochirurgien

Khady Badiane-Devers22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 3 mars 2014

Résumé

Un neurochirurgien pose le bon diagnostic et pratique correctement une intervention délicate, une cranios-ténose, chez un jeune enfant. Mais le praticien sous-estime des saignements peropératoire, ce qui compliquela surveillance, et il en résultera des séquelles graves, après un choc hypovolémique. La Cour de cassation(29 octobre 2013, no 12-86233) estime que la responsabilité pénale du neurochirurgien était engagée, pourune faute caractérisée.© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Un praticien hospitalier neurochirurgien pratique une craniosténose sur une jeune enfant de sixmois. Le diagnostic et le geste opératoire sont jugés hors de critiques. Au cours de l’intervention,sont apparus des saignements, ce qui n’est pas fautif en soi, mais en revanche ces saignementsont été minorés et les informations n’ont pas été données, ce qui a compliqué la surveillanceopératoire, et fait perdre ensuite un temps décisif pour une ré-intervention, devenue nécessaire. Ilen est résulté un choc hypovolémique entraînant des lésions ischémiques cérébrales, elles mêmeà l’origine de séquelles neurologiques sévère.

L’analyse de la responsabilité est loin d’être évidente. Le tribunal avait relaxé le médecin, etla cour d’appel l’a condamné, arrêt confirmé par la Cour de cassation (Crim. 29 octobre 2013,no 12-86233).

1. Synthèse des faits et de la procédure

Le 16 octobre 2002, à l’hôpital neurologique et neurochirurgical Pierre-Wertheimer de Lyon,le jeune Louis, né le 14 mars 2002, a été opéré d’une craniosténose à type de trigonocéphalie

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.007

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au cours de laquelle se sont produites des pertes sanguines peropératoires ayant provoqué unchoc hypovolémique entraînant des lésions ischémiques cérébrales à l’origine d’un handicapneurologique et neuro-sensoriel très sévère.

À l’issue de l’information, le neurochirurgien a été renvoyé du chef de blessures involontairesdevant le tribunal correctionnel.

CommentaireLe médecin est un praticien hospitalier, de statut public. Mais dans la mesure où a été engagée

une plainte pénale, il comparait à titre personnel devant le tribunal correctionnel. Mais il ne peutêtre jugé là que sur le plan pénal. L’indemnisation de la famille reste toujours à la charge del’hôpital, et ressort du tribunal administratif. La seule limite est la faute détachable, c’est-à-direune faute qui par sa nature est étrangère aux fonctions confiées (par ex. : des coups volontaires,une agression sexuelle, un détournement d’argent. . .).

Le tribunal correctionnel l’a relaxé. Les parties civiles et le ministère public ont relevé appelde cette décision.

CommentaireAprès l’instruction pénale, le médecin est renvoyé devant le tribunal correctionnel, qui l’a

jugé innocent. L’appel formé par le Parquet et la famille remet en cause totalement le juge-ment, et la cour d’appel doit statuer sur tous les points du dossier. Cette affaire montre àquel point le débat judiciaire est ouvert, car le tribunal et la cour d’appel ont eu des analysesopposées.

La cour d’appel de Lyon, par arrêt du 30 août 2012, a condamné le neurochirurgien pourblessures involontaires à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, 3000 euros d’amende, et arejeté des demandes formées au titre des frais de procédure (Art. 475-1 du Code de procédurepénale).

Le médecin est déclaré coupable du délit d’atteinte involontaire à l’intégrité d’une personneayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois sur la personne de jeuneLouis par la commission des fautes de maladresse, d’imprudence, inattention, négligence oumanquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlementset de l’avoir condamné à la peine d’emprisonnement de quatre mois avec sursis et au paiementd’une amende de 3000 euros.

CommentaireLa cour d’appel a reconnu la culpabilité pénale. Comme le médecin est un praticien hospitalier,

elle ne peut statuer sur l’indemnisation du dommage, qui relève d’un recours contre l’établissementde santé, devant le tribunal administratif. En revanche, la cour a rejeté la demande formée au titredes frais de procédure, et qui devait être acceptée. C’est la seule condamnation civile que risquele praticien hospitalier.

Les personnes physiques qui n’ont pas causé elles-mêmes le dommage mais qui ont,soit créé, soit contribué à créer la situation qui en est à l’origine, ou encore qui n’ontpas pris les mesures permettant d’éviter, peuvent être condamnées pénalement, à la condi-tion que leur faute soit être d’une particulière gravité ; qu’il convient alors d’établir qu’ellesont :

• soit violé de facon manifestement délibérée une obligation de prudence ou de sécurité prévuepar une loi ou un règlement ;

• soit commis une faute caractérisée, sans relation obligatoire avec un texte et qu’elles nepouvaient ignorer le risque important pour autrui (Code pénal, art. 222-19).

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2. Cour d’appel de Lyon, 30 août 2012

2.1. Les points non fautifs et hors débat

L’ensemble des experts consultés considèrent à l’unanimité que le diagnostic de la craniosté-nose a été bien posé et que l’indication opératoire s’imposait chez le jeune A. . .

Par ailleurs, la technique opératoire proposée et suivie par le neurochirurgien était adaptéeet conforme aux règles alors en vigueur de la science. Le neurochirurgien opère, ouvre la boîtecrânienne, retire le bandeau frontal devant être reconstruit, remet celui-ci en place, suture.

Ainsi, l’acte chirurgical en lui-même ne souffre d’aucune critique et d’aucun manquement.L’opération visant à gommer la trigonocéphalie et à reconstruire la boîte crânienne a été parfai-tement réussie. L’ensemble des praticiens, consultés pour expertise, n’ont relevé aucune fauteà l’encontre du neurochirurgien qui a réalisé la reconstruction de la boîte crânienne dans lesrègles ».

CommentaireLa cour délimite le litige, et précise que le diagnostic et la technique opératoire ne comportent

aucune faute, au sens pénal. On verra que sont en cause des saignements mal évaluées et pastraités. Il faut donc bien souligner que la survenance de ces saignements n’est pas, en elle-même,considérée comme fautive.

2.2. Défaut d’information

Parmi les fautes reprochées au neurochirurgien, figure le défaut d’information aux parents dupatient mineur notamment sur les risques normalement prévisibles de l’intervention chirurgicalequ’il se proposait de réaliser sur la personne de celui-ci.

CommentaireLe juge d’instruction a commis une faute en visant ce grief, car la responsabilité qui découle

d’un défaut d’information est uniquement de type civil. C’est ce que la cour va relever, mais elledonne toutefois quelques indications de fait.

Sur ce défaut d’information, le collège d’experts parisiens (neurochirurgien et anesthésiste)rappellent que si les parents du jeune Louis A ont été informés, aux dires du chirurgien, desrisques chirurgicaux inhérents à ce type de pathologie et des risques encourus en cas d’abstentionchirurgicale, il n’a pas été signé par les parents un consentement écrit détaillé.

Il n’y a cependant pas lieu d’apprécier l’éventuelle commission de cette faute par le praticienhospitalier puisque le défaut d’information ne peut, en l’état de la jurisprudence actuelle et de laloi, que constituer une faute de nature civile et non pénale.

CommentaireL’information a-t-elle été donnée ? Le médecin dit que « oui », ce que contestent les parents,

et il n’a pas été fait d’écrit. L’information peut aussi ressortir des pièces du dossier, de la manièredont sont décrits les entretiens, des courriers émis ou échangés, de documents remis. . . De même,il faut prendre en compte la nécessité et l’urgence de la situation, qui imposait l’opération, ce quipeut conduire le médecin à ne pas trop mettre en avant les risques.

La question est en fait doublement indifférente. D’abord, l’indication opératoire était unenécessité, et une information plus exhaustive n’aurait rien changé. Ensuite, et surtout, cette ques-tion ne relève que du contentieux civil. Une insuffisance de l’information préalable ne peut pasengager la responsabilité pénale, ce que relève la cour d’appel.

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2.3. Sous-estimation des pertes sanguines et absence de communication

2.3.1. Le griefC’est le second grief : la sous-estimation des pertes sanguines peropératoires et leur retentisse-

ment, et l’absence de communication avec l’anesthésiste du caractère hémorragique non habituelde l’opération.

Les déclarations du neurochirurgienIl résulte de la première audition du neurochirurgien que ce dernier tout en indiquant que

l’intervention s’était bien passée au niveau chirurgical, a concédé qu’elle avait été un peu pluslongue et un peu plus hémorragique que d’habitude.

CommentaireL’aveu ne suffit pas en matière pénale, car il faut toujours apporter la preuve, mais cette

reconnaissance est un bon indice. Il faut bien rappeler que le geste chirurgical a été jugé horsde critique. Ainsi, la survenance de ce tableau hémorragique ne révèle aucune faute. Toute laquestion est de savoir comment cette donnée a été traitée.

2.3.2. Les témoinsLe docteur F. . ., directeur adjoint de l’EFS Rhône-Alpes et directeur du site de Lyon, a indiqué

lors de son audition chez le juge, qu’en ce qui concerne l’intervention chirurgicale subie parl’enfant A. . ., alors que généralement il n’est utilisé qu’une partie de la poche de plasma et nonla poche complète, il avait alors passé commande pour ce patient de deux poches de plasma et decinq concentrés de globules rouges, ce qui signifie qu’il y a eu des pertes de sang très importantesà compenser.

L’anesthésiste a concédé qu’une hypotension artérielle était survenue chez le patient en find’intervention qu’il avait signalé au neurochirurgien.

Enfin lors de son audition, le docteur G. . . qui a accueilli le jeune Louis A. . . au servicede réanimation pédiatrique de l’hôpital de Lyon a également rappelé que suite à une chute detension, celui-ci a été transfusé et a recu une poche de sang adulte, que la tension était remontéeprovisoirement, conduisant l’anesthésiste à prescrire de l’éphédrine et de l’albumine à 4 %.

Il s’ensuit que dans un tel contexte, le neurochirurgien n’a pu que prendre conscience desimportantes pertes de sang du mineur.

Or, non seulement, il n’a pas communiqué sur celles-ci avec le médecin anesthésiste, mais qu’iln’a pas davantage effectué une quelconque surveillance de son patient lorsqu’il a notamment quittéle bloc opératoire avant la fin totale de l’intervention.

CommentaireLa cour n’a pas encore abordé les expertises, mais une option se dégage nettement : non-prise

en compte d’un saignement inhabituel, et aucune communication dans l’équipe. Mais il va falloiranalyser les expertises pour parvenir à la certitude de la preuve.

2.3.3. Les expertisesConcernant les fautes reprochées, le collège d’experts désignés pour apprécier les

comportements des deux médecins lors de l’intervention subie par le jeune Louis, énonce dansleur rapport les constatations suivantes :

• « à aucun moment les pertes sanguines n’ont été évaluées par l’équipe chirurgicale, aucunemention d’hémorragie ou de transfusion peropératoires ne figure dans le compte-rendu chirur-gical » ;

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• « ce n’est qu’à 12 H 32 que le premier hémocueper-opératoire a été réalisé, montrant unehémoglobine à 8,6 g » ;

• « après un premier épisode d’hypotension relative, traité par une petite quantité de macromo-lécules, la transfusion a été débutée à partir de 13 heures » ;

• au total, 150 mL de concentrés ont été transfusés.

« La décompensation hémodynamique a commencé à partir de 14 heures. Le traitement misen place, éphédrine et transfusion de 100 mL de concentrés globulaires, était manifestementinsuffisant. Il aurait été utile à ce moment de disposer d’un gaz du sang pour évaluer le PH artérielet surtout le trou anionique (acidémie), ainsi que l’hémoglobine vraie ».

« Bien que l’homoncule après transfusion ait retrouvé une valeur de 12, 1 g, la détresse hémo-dynamique n’a pas été évaluée à sa juste valeur par l’équipe anesthésique ».

« À aucun moment, il n’est fait mention d’une modulation des doses de produits anesthésiquesqui aurait cependant été nécessaire, malgré les différents traitements employés, éphédrine, rem-plissage par l’albumine, une pression artérielle basse et une tachycardie croissante sont notées àpartir de 15 heures ».

CommentaireCes points mis en avant par la cour concernent le premier aspect du grief, à savoir la sous-

estimation de l’hémorragie. Les experts sont très affirmatifs en écrivant qu’à aucun moment lespertes sanguines n’ont été évaluées par l’équipe chirurgicale. Or, cette tâche relève du chirurgien.

Le même collège énonce également dans le même rapport :« On peut, par ailleurs, noter un défaut de communication entre l’équipe chirurgicale et l’équipe

anesthésique. Le fait que l’intervention soit plus laborieuse que d’habitude n’a pas été signalé parl’équipe chirurgicale. Aucune appréciation des pertes sanguines n’est mentionnée par l’équipechirurgicale qui n’a pas averti l’équipe anesthésique du caractère anormalement hémorragique del’intervention ».

« En fin d’intervention, le neurochirurgien senior, ayant le plus d’expérience de cette patho-logie, n’était plus présent alors que la situation devait être considérée comme préoccupante.L’information postopératoire fournie aux parents par le docteur Y. . . sur les problèmes rencontrésétait inadaptée et largement insuffisante ».

« La collaboration entre les différents membres de l’équipe ayant participé à l’intervention nepouvant pas être considérée comme optimale. En effet, si la compensation des pertes sanguinesrelève de la seule responsabilité de l’anesthésiste réanimateur, le contrôle direct de ces pertessanguines par l’hémostase chirurgicale relève de la responsabilité du chirurgien, et celui-ci nepeut se soustraire à sa responsabilité partagée dans leur appréciation ».

« Un échange permanent d’information est nécessaire dans ce type d’intervention et ne semblepas avoir eu lieu dans le cas présent ».

« Il apparaît à l’analyse des faits que la détresse hémodynamique s’est constituée au momentde la fermeture cutanée qui a été confiée à un médecin en formation, bien que le docteur H. . . aitindiqué que la tension restait un peu basse alors que la compensation semblait adéquate ».

CommentaireOn se trouve ici à un bon niveau de preuve. Il ne suffit pas de dire que les médecins ne

communiquent pas. Il faut apporter des éléments médicaux qui le montrent, ce qui est fait demanière claire.

En ce qui concerne l’absence de communication entre les deux médecins dans son rapportd’expertise, le professeur I. . . énonce : « parmi les éléments que l’on peut retenir des déclarationsdu neurochirurgien, on peut citer que ce médecin déclare « ne pas savoir ce qui s’est passé ».

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« En début d’intervention, le saignement avait été un petit peu plus important que d’habitudeet le neurochirurgien l’aurait signalé à l’anesthésiste. La communication avec l’anesthésiste s’estfaite régulièrement et notamment le neurochirurgien a demandé à plusieurs reprises à l’anesthésistesi tout se déroulait normalement, ce qui lui a été confirmé chaque fois. Cependant, le neurochirur-gien reconnaît que cette intervention s’est avérée plus laborieuse et plus longue que d’habitude.Il aurait même dit clairement à l’anesthésiste : “ca saigne beaucoup, peut-être l’enfant ne dort-ilpas bien” ».

« L’anesthésiste serait passé plusieurs fois du côté chirurgical pour voir le champ opératoire.Le neurochirurgien signale également que deux anesthésistes ont été appelés en renfort, et cesdeux praticiens semblent avoir confirmé le déroulement normal de l’intervention ».

CommentaireCe rapport d’expertise est moins net. Il fait bien état d’une communication, mais assez à sens

unique. Surtout, si les saignements ne sont pas cachés, ils sont bel et bien sous-estimés.Le professeur M. . ., membre du second collège d’experts strasbourgeois désigné par le magis-

trat instructeur, stigmatise également le comportement du chirurgien qui n’a pas su dans laphase peropératoire transmettre son sentiment sur le caractère hémorragique non habituel del’intervention à l’équipe qui l’entourait.

2.3.4. La confrontationLors de la confrontation du 21 mars 2008 (D. 244), le neurochirugien a affirmé pour sa part,

que c’était lors de la dépose du bandeau fronto-orbitaire qu’il avait été amené à revenir à plusieursreprises sur l’hémostase car le suintement lui semblait plus important qu’à l’habitude. Il se sou-venait l’avoir signalé à l’anesthésiste, tandis que celui-ci a indiqué pour sa part ne pas se souvenirde cette difficulté, ni avoir vu le chirurgien revenir avec insistance particulière sur l’hémostase.

Au terme de la confrontation, l’anesthésiste a maintenu qu’au jour de l’intervention, il n’avaitpas été alerté par son confrère neurochirurgien sur des « suintements sanguins (selon les proprestermes employés par le neurochirurgien), soit des pertes sanguines ».

Lors de sa comparution devant la cour, le neurochirurgien a confirmé l’existence de cessuintements, synonyme d’hémorragie persistante et diffuse.

CommentaireLa confrontation, comme la comparution devant le juges, sont des éléments éclairant, car ils

permettent d’apprécier le comportement personnel.

2.3.5. Analyse de la courIl est ainsi établi outre la sous-estimation par le neurochirurgien des pertes sanguines subies par

Louis ainsi que leur retentissement sur l’état général de ce dernier, l’absence de communicationentre le neurochirurgien et l’anesthésiste sur le caractère hémorragique non habituel de l’opération.

Lorsque des médecins interviennent au sein d’une équipe médicale sur un pied d’égalité,il entre dans la responsabilité personnelle de chacun, en vertu du principe de l’indépendanceprofessionnelle, de veiller à ce que leur confrère assume effectivement son rôle (Art. R. 4127-64 du CSP). Aucun des deux médecins, c’est-à-dire le chirurgien et l’anesthésiste « ne peut sedésintéresser de la défaillance qu’il est à même d’apercevoir de la part de l’autre ».

Il existe donc une complémentarité des responsabilités de chacun des médecins dans l’intérêtsupérieur du patient : chaque médecin ayant un devoir particulier d’attention quant à l’effectivitédes soins des autres médecins concourant à l’intervention. Ce devoir en quelque sorte de« surveillance réciproque » incombe tant au chirurgien qu’à l’anesthésiste. Aucun d’entre eux « nepouvant se désintéresser de la défaillance qu’il est à même d’apercevoir de la part de l’autre ».

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CommentaireCet attendu très juste est une excellente synthèse des relations devant exister entre médecins.

Le chirurgien doit donner toutes les informations nécessaires à son confrère, qui va assurer lasurveillance postopératoire, et doit conserver un regard sur cette prise en charge. Mais là encore,la cour ne peut affirmer : elle doit expliquer, ce qu’elle va faire de manière convaincante.

Le docteur neurochirurgien n’a pas su transmettre à l’anesthésiste, l’information des problèmesd’hémostase qu’il avait rencontrés à plusieurs reprises durant l’intervention chirurgicale avec lejeune Louis, outre les suintements sanguins présentés par le mineur, en vérifiant notamment quecette information avait bien été comprise de la part de son confrère ce qui aurait empêché quele patient ne continue à s’enfoncer toujours un peu plus dans le tableau de choc hypovolémique,créant les conséquences irréversibles dont il reste désormais atteint.

Un tel comportement constitue une faute de maladresse et de négligence voire d’imprudence desa part en ce sens que son propos trop bref a été inapproprié pour être compris par son jeune confrèreanesthésiste, le neurochirurgien senior ayant adopté un comportement que ne pouvait être comprispar son confrère jeune anesthésiste inexpérimenté, empêchant ce dernier de résoudre la situationanesthésique du patient qui l’intriguait en disposant du maximum de paramètres lui permettantde pouvoir prendre une décision thérapeutique appropriée à l’état de celui-ci, éventuellement enconsultant un confrère plus expérimenté et en livrant à ce dernier des informations très précisespermettant d’apprécier la réalité de la situation du patient.

Le neurochirurgien, en ne donnant pas à l’anesthésiste des informations suffisantes pour sur-veiller l’évolution de l’état d’un enfant ayant présenté des saignements et suintements lors d’unecraniosténose plus longue et plus hémorragique que d’habitude, a commis en cela une fautecaractérisée qui a conduit à sous-estimer l’ampleur du phénomène hémorragique intervenantconcomitamment à une baisse de la tension artérielle et une augmentation du pouls associés à unetachycardie, à l’origine d’un choc hypovolémique à la suite duquel le patient présente des lésionsirréversibles.

Il s’agit là d’une faute d’évidence et de négligence caractérisée commise par le neurochirurgienqui influencera sur le cours de l’opération et la santé du patient.

CommentaireC’est là, après l’analyse des expertises et des pièces du dossier, que la Cour apporte son

jugement, et qualifie la faute. C’est une faute involontaire, mais avec des éléments de gravitésuffisamment marqués pour retenir la notion de faute caractérisée, qui conduit à prononcer lacondamnation pénale.

2.4. Délégation fautive à l’interne

2.4.1. Le griefLe troisième grief est celui d’une délégation fautive par le neurochirurgien de la fermeture

cutanée à un interne alors que le patient était en situation précaire.Il est reproché au docteur Carmine Y. . . d’avoir délégué la fermeture cutanée à un médecin en

formation alors que le patient était en situation précaire.

2.4.2. En droitAu jour de l’intervention, l’article 3 du décret no 99-930 du 10 novembre 1999 fixant au jour

de l’intervention subie par le jeune Louis le statut des internes et des résidents en médecine, desinternes en pharmacie et des internes en odontologie prévoyait :

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« l’interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic, de soins par déléga-tion et sous la responsabilité du praticien dont il relève. L’interne en médecine spécialisée (optionBiologie médicale) participe, en outre, à l’étude du métabolisme des substances médicamen-teuses et toxiques ainsi qu’à l’élaboration et à la validation des analyses biologiques concourantà la prévention, au diagnostic à la surveillance des traitements ».

Désormais, l’article R. 6153-3 du CSP précise que « l’interne exerce ses fonctions par déléga-tion et sous la responsabilité du praticien dont il relève ».

CommentaireIl faut le dire et le rappeler. L’interne n’est pas médecin, et il ne peut exercer que dans le cadre

d’une coopération effective avec le médecin senior, qui doit toujours vérifier quelle est le niveaud’apprentissage de l’interne.

2.4.3. Les expertisesDans leur rapport, les trois experts parisiens énoncent :« Pendant toute la phase de fermeture cutanée par l’interne (temps connu pour être particu-

lièrement hémorragique), la pression artérielle moyenne mesurée par le dispositif automatisé estrestée inférieure à 30 mm de mercure, seuil susceptible de provoquer une ischémie cérébrale ».

« Même si l’interne était habitué à effectuer lui-même cette fermeture, dans le contexte decette intervention « longue et hémorragique, il est évident que la fermeture par le neurochirurgiensenior, voire la fermeture par les deux, le neurochirurgien senior et l’interne, aurait réduit letemps de fermeture, très probablement réduit les pertes sanguines liées à ce temps de fermeture,diminué la gravité de la perte sanguine, et permis une mise en œuvre plus rapide des mesures deréanimation en accélérant la fermeture ».

« Par ailleurs, le départ du neurochirurgien de la salle d’opération montre qu’il n’avait pasapprécié la gravité de la situation hémodynamique de l’opéré, et traduit objectivement un manquede coopération entre les équipes d’anesthésie et de neurochirurgie. La responsabilité de l’internene peut évidemment être retenue sur ce point ».

Les experts énoncent encore :« Le praticien, en laissant l’interne assurer la fermeture cutanée, temps connu pour être hémor-

ragique, alors que selon ses propres dires, l’intervention avait été particulièrement longue ethémorragique, n’a pas fait preuve de prudence ».

CommentaireLes experts sont ici particulièrement affirmatifs. L’interne savait faire le geste, mais dans le

contexte de cette intervention, difficile, c’était au senior d’agir. Son départ assez précipité du blocest un élément très péjoratif.

2.4.4. AnalyseIl s’évince des dispositions de l’article 3 du décret no 99-930 du 10 novembre 1999 fixant le

statut des internes et des résidents en médecine au jour de l’intervention subie par le jeune Louisque pour recevoir une formation réelle et convenable, il était et est indispensable que le praticiendont relève l’interne, contrôle réellement les actes qu’il accomplit en fonction de la nature et dela difficulté de ceux-ci, le référent devant toujours être en mesure d’intervenir immédiatement,pour prodiguer ses conseils, voire palier les carences ou insuffisances de son élève.

Il s’évince également de ces rappels de bon sens, mais surtout des textes ci-dessus mentionnés,qu’il appartenait au neurochirurgien de vérifier et contrôler les actes accomplis par l’interne quil’assistait notamment dans un domaine aussi pointu que la neurochirurgie, alors que le patient avaitsaigné plus abondamment et que l’intervention chirurgicale avait été plus longue et laborieuse

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que d’ordinaire, et alors que le médecin anesthésiste avait manifesté au cours de l’opération desdoutes sur l’état du patient à la suite du remplissage de ce dernier et avait souhaité consulter deuxcollègues anesthésistes en les bipant au cours de l’intervention.

CommentairePour la cour, la faute du praticien est inadmissible, quasi désinvolte.D’ailleurs entendu le 20 novembre 2003, M. N. . ., interne en neurochirurgie, conscient de

ses limites professionnelles, devait très loyalement déclarer en fin d’audition au fonctionnaire depolice qui l’entendait.

« Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter si ce n’est que je suis en formation et qu’il y a deschoses qui m’échappent encore. J’apprends. Je n’ai pas encore assez d’expérience pour pouvoirtenter d’apporter une explication aux défaillances présentées par l’enfant Louis A. . . après sonopération. Je peux juste dire à nouveau que d’après mon souvenir, rien de particulier ne s’estproduit durant cette intervention ».

Ainsi, la présence du docteur Y. . . jusqu’à la fin de l’opération se justifiait d’autant qu’ilapparaissait comme le seul patricien vraiment qualifié pour ce type d’opération alors que lepatient avait par ailleurs saigné plus que la normale.

Par ailleurs, en sa qualité de coordonnateur de l’équipe chirurgicale, il ne pouvait quitter le blocopératoire après s’être assuré que le problème du saignement qui demeure le problème majeurdans ce type d’intervention avait été correctement évalué et pris en compte ce qui n’a pas été lecas et ce qu’il n’a manifestement pas fait.

Malgré les différents traitements employés (éphédrine, remplissage par l’albumine), le chi-rurgien avait été noté à partir de 15 h une pression artérielle basse et une tachycardie croissante.Cette situation devait être considérée comme préoccupante par toute l’équipe médicale présente.Le neurochirurgien, en quittant la salle d’opération avant la fermeture de l’incision, phase connuepour être particulièrement hémorragique, a non seulement commis un manquement à une obli-gation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement en ne contrôlant pas l’actepratiqué par un interne (décret no 99-930 du 10 novembre 1999, art. 3) mais également une fauted’imprudence et de négligence caractérisée : la fermeture par le neurochirurgien senior et l’interneaurait permis de réduire le temps de fermeture et les pertes sanguines liées à ce temps de fermeture,donc de diminuer la gravité de la perte sanguine mais surtout de permettre une mise en œuvreplus rapide des mesures de réanimation en accélérant la fermeture.

Le cumul de ces manquements constitue une faute caractérisée dont il est certain qu’elle a étél’un des causes du décès. De telle sorte, la culpabilité doit être retenue.

CommentaireVoilà dans quelles conditions la cour réforme le jugement, et prononce la condamnation pénale

du médecin. Au regard de ce que sont les normes jurisprudentielles, la faute caractérisée est bienétayée. Par ailleurs, le neurochirurgien, qui avait toutes les informations, avaient nécessairementconscience du grave danger qui pesait sur l’enfant.

3. Recours en cassation

3.1. Moyens en défense

1/ La responsabilité pénale du médecin ne peut être engagée que si les imprudences ou négli-gences qui lui sont reprochées ont directement causé le dommage et non pas seulement contribuéà l’aggraver, ou s’il a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière

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de prudence ou de sécurité, ou commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’uneparticulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

Ne saurait constituer une faute caractérisée pénalement répréhensible le fait pour le neurochirur-gien de n’avoir pas fourni à l’anesthésiste une information suffisante sur la nécessité de surveillerl’état de l’enfant ayant présenté des saignements et suintements lors d’une craniosténose pluslongue et plus hémorragique que d’habitude. En décidant que cette déficience de communicationavec l’anesthésiste en cours d’opération chirurgicale constituait une faute caractérisée établissantle délit, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

CommentaireLe neurochirurgien semble prêt à reconnaître qu’il y a eu une faute, mais il estime que la faute

n’atteint pas le degré de la faute caractérisée. Une faute, même reconnue, doit atteindre ce seuil degravité pour engager la responsabilité lorsque le lien de causalité entre cette faute et le préjudicen’est pas « direct » au sens de la loi, c’est-à-dire immédiat la faute ayant causé elle-même tous leseffets. En l’occurrence, il y avait eu plusieurs interventions humaines après les actes et décisionsdu praticien, et le lien de causalité est certain, mais indirect.

2/ L’appréciation et la quantification des pertes sanguines au cours d’une intervention chirurgi-cale sont extrêmement délicates. Il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que, selonles experts, c’est l’absence de recours à une surveillance hémodynamique invasive avec cathé-ter artériel et veineux central qui a permis l’insuffisante prise de conscience de l’importance despertes hémorragiques et du choc hypovolémique en ayant résulté. Le neurochirurgien en déduisaitqu’en sa qualité de chirurgien n’ayant pas la responsabilité du contrôle des moyens techniques misen œuvre par l’anesthésiste pour contrôler l’état du patient et en particulier le niveau des pertessanguines, le simple fait de n’avoir pas su délivrer à l’anesthésiste une information nécessairementsubjective sur son appréciation du caractère inhabituel des pertes hémorragiques ne pouvait êtrequalifié de faute caractérisée au sens de l’article 222-19 du code pénal.

En s’abstenant de répondre à ce moyen, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.CommentaireLe neurochirurgien tente de minimiser son rôle, là encore pour passer sous le seuil de la faute

caractérisée.3/ La responsabilité pénale du médecin ne peut être engagée, lorsque la faute reprochée n’a pas

causé directement le dommage, que s’il a commis une violation manifestement délibérée d’uneobligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou commis unefaute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

L’article 3 du décret no 99-930 du 10 novembre 1999, applicable à la date des faits litigieuxdispose que l’interne en médecine exerce des fonctions notamment de soins « par délégation etsous la responsabilité du praticien dont il relève ». Il n’est pas exigé du praticien responsable del’interne qu’il soit à proximité immédiate de l’interne lorsque celui-ci effectue des actes de soins.

En l’espèce, la cour d’appel reconnaît d’ailleurs que le référent doit contrôler réellement lesactes de l’interne et être en mesure d’intervenir immédiatement pour prodiguer ses conseils oupallier les carences de l’interne. En affirmant néanmoins que le fait pour le la neurochirugiende s’être éloigné du bloc opératoire pendant la phase de fermeture cutanée du patient effec-tuée par l’interne suffisait à caractériser une violation manifestement délibérée d’une obligationparticulière de prudence ou de sécurité, la cour d’appel a violé les textes.

CommentaireLe praticien cherche à relativiser sa faute, mais surtout il soutient que ce fait, à la supposer

fautif, n’entretient pas un lien de causalité certain avec le décès. Ce point conduit à distinguer lescaractères certain et direct du lien de causalité. Il n’est pas nécessaire que le lien de causalité soit

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direct. Un lien indirect, comme c’est souvent le cas dans le travail en équipe, peut être suffisant,s’il est prouvé que la faute a certainement participé à la survenance du dommage.

3.2. Réponse de la Cour de cassation

3.2.1. Sur le plan pénalLe 16 octobre 2002, à l’hôpital neurologique et neurochirurgical Pierre-Wertheimer de Lyon,

Louis A. . ., né le 14 mars 2002, a été opéré d’une craniosténose à type de trigonocéphalie au coursde laquelle se sont produites des pertes sanguines peropératoires ayant provoqué un choc hypo-volémique entraînant des lésions ischémiques cérébrales à l’origine d’un handicap neurologiqueet neuro-sensoriel très sévère.

À l’issue de l’information, le neurochirurgien a été renvoyé du chef de blessures involontairesdevant le tribunal correctionnel qui l’a relaxé. Les parties civiles et le ministère public ont relevéappel de cette décision.

Pour infirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable de blessures involontaires, l’arrêtretient que, dans un contexte de craniosténose plus longue et plus hémorragique que d’habitude,le neurochirurgien, en ne donnant pas à l’anesthésiste des informations suffisantes pour surveillerl’évolution de l’état d’un enfant ayant présenté des saignements et suintements, a commis unefaute caractérisée ayant conduit à sous-estimer l’ampleur du phénomène hémorragique intervenantconcomitamment à une baisse de la tension artérielle et une augmentation du pouls associée à unetachycardie. Les juges ajoutent qu’en déléguant la fermeture cutanée de l’incision, phase connuepour être particulièrement hémorragique, à un médecin en formation puis en quittant le blocopératoire alors que le patient était en situation précaire, il a commis une faute de négligence etd’imprudence caractérisée ayant empêché de réduire le temps de fermeture et ainsi de diminuer lagravité de la perte sanguine et permettre une mise en œuvre plus rapide des mesures de réanimation.

En statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.CommentaireLa Cour de cassation ne rejuge pas les faits. Mais elle estime que l’arrêt est suffisamment étayé

en fait, procède à une juste analyse du droit, et a donc logiquement conclut à la culpabilité.On entend parfois que la Cour de cassation ne juge que la forme, et c’est très inexact. La Cour

ne se prononce pas sur les faits, qui sont définitivement jugés par les cours d’appel. Mais à partirde ces faits, elle vérifie si le droit a bien été respecté, sur la forme et sur le fond.

3.2.2. Sur les frais de défenseL’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 475-1 du code de procédure

pénale pour les frais exposés par les parties civiles, tant en première instance qu’en appel et nonpayés par l’État.

Même dans le cas où la réparation du dommage échapperait à la compétence de la juridictionjudiciaire, la personne qui, conformément à l’article 2 du code de procédure pénale, prétend avoirété lésée par une infraction, est recevable à se constituer partie civile pour faire établir l’existencede cette infraction et possède, par l’effet de sa constitution, le droit de solliciter une indemnité surle fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Pour se déclarer incompétente pour connaître des demandes des parties civiles à l’encontredu praticien sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, après avoir dit queseules les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de l’action indemnitaireexercée par elles en raison d’une faute commise par un praticien hospitalier dans l’exercice deses fonctions et non détachable de celles-ci, la cour d’appel énonce que le juge judiciaire est

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incompétent pour se prononcer sur l’octroi d’une indemnité au titre des frais irrépétibles mis à lacharge du prévenu.

En se déterminant ainsi alors qu’elle avait déclaré les parties civiles recevables en leur consti-tution au soutien de l’action publique, la cour d’appel a méconnu les textes et principes susvisés.

CommentaireLa chambre correctionnelle ne peut statuer sur l’indemnisation, qui relèvent toujours de

l’établissent, sauf cas de faute détachable, c’est-à-dire d’une gravité telle qu’elle se détache de lafonction. Le débat n’est pas ouvert pour une faute de négligence ou d’imprudence, et la familledoit donc engager un recours devant le tribunal administratif, contre le centre hospitalier.

En revanche, il en va différemment des frais exposés pour la défense. L’article 475-1 du codede procédure pénale permet à la partie civile d’obtenir une prise en charge partielle. Le médecindoit donc s’attendre à devoir régler une somme de quelques milliers d’euros, sans doute entre3000 et 5000, soumis à l’appréciation de la Cour.

Les praticiens hospitaliers, de droit public, et salariés, de droit privé, n’engagent pas leurresponsabilité civile personnelle, même en cas de condamnation pénale, sauf s’il s’agit de lacatégorie exceptionnelle de la faute détachable. La situation est différente pour les libéraux, etceux-ci doivent impérativement être assurés.