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UNIVERSITE MONTPELLIER I...Monsieur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier et directeur ... « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur

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UNIVERSITE MONTPELLIER I

CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE

MASTER 2 Droit Privé Économique

L'INFLUENCE DES POSITIONS DOMINANTES

Sur les marchés non-dominés

Par Pauline PLANCQ

Mémoire réalisé sous la direction de Mme Alexandra PAULS

Doctorante à la faculté de droit de Montpellier

Année universitaire 2013 - 2014

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La Faculté n'entend donner aucune approbation ni aucune improbation aux opinions

émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur

auteur.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à :

Madame Alexandra Pauls, Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier et directrice

de ce mémoire,

Monsieur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier et directeur

du Master Droit Privé Économique,

Monsieur Malo Depincé, Maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier et

directeur du Master Consommation et Concurrence.

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LISTE DES ABREVIATIONS

ADLC Autorité De La ConcurrenceAff. AffaireAMN Autorisation de Mise sur le MarchéBOCCRF Bulletin Officiel de la concurrence, de la

consommation et de la répression des fraudes

Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles

Cass. Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

CA Paris 1ère Ch. 1 ère Chambre de la Cour d'Appel de ParisCE Communauté EuropéenneCJCE Cour de Justice de la Communauté

EuropéenneCJUE Cour de Justice de l'Union EuropéenneComm. CommentaireCons. Conc. Conseil de la concurrenceD. Recueil DallozGSK Laboratoire GlaxoSmithKlineIbid Ibidem ( ici même )JCP G Semaine Juridique édition GénéraleLPA Les Petites AffichesObs. ObservationPréc. PrécitéRec. Recueil de jurisprudence de la Cour de

Justice des Communautés EuropéennesTFUE Traité sur le Fonctionnement de l'Union

EuropéenneTPICE Tribunal de Première Instance des

Communautés Européennes

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE.................................................................................p.8

PARTIE I : L'EFFET LEVIER DES POSITIONS DOMINANTES .....................p.13

Introduction de la première partie................................................................................p.14

CHAPITRE I. Une qualification d'abus de position dominante légitime.............p.16

Section 1. Une qualification en cohérence avec la politique de concurrence...............p.16

Section 2. Une application manifeste de l'article 102 du TFUE...................................p.21

CHAPITRE II. Une qualification originale d'abus devenue complexe.................p.30

Section 1. L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la qualification

d'abus............................................................................................................................p.30

Section 2. L'émergence d'une « règle de raison » contrariante......................................p39

Conclusion de la première partie...................................................................................p47

PARTIE II : L'EFFET MAGNETIQUE DES POSITIONS DOMINANTES.......p50

Introduction de la seconde partie...................................................................................p51

CHAPITRE I. Une qualification d'abus de position dominante imprévue............p53

Section 1. Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets magnétiques......p53

Section 2. Une qualification écartée par le droit de la concurrence..............................p60

CHAPITRE II. Une qualification d'abus aménagée mais insuffisante...................p67

Section 1. Une admission stricte de la qualification d'abus, pérennisée........................p67

Section 2. Un assouplissement entravé par un juridisme infertile.................................p75

Conclusion de la seconde partie....................................................................................p87

CONCLUSION GENERALE.....................................................................................p87

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« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous

attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre

intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce

n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage »

Adam Smith

La Richesse des Nations, 1776

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INTRODUCTION

La position dominante en droit de la concurrence n'est pas définie par les textes

nationaux ni par les textes européens qui condamnent les abus de position dominantes.

La jurisprudence caractérise cette situation comme « une position de puissance

économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au

maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la

possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis à vis de

ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs »1.

Cette indépendance de comportement détenue par l'opérateur, mise en exergue par la

définition de position dominante, ne peut être appréhendée par les Autorités de la

concurrence que grâce au pouvoir de marché de ce dernier.

Le pouvoir de marché de l'opérateur ne peut s'apprécier qu'au sein d'un marché

délimité. Il s'agit dans l'analyse des Autorités de la concurrence du « marché en cause »,

ou du « marché pertinent ».

C'est à partir de l'examen du marché en cause que le pouvoir de marché de l'opérateur

pourra être considéré, et qu'une position dominante sera constatée ou non.

La notion de marché est donc au centre du droit de la concurrence. Selon la

communication de 19972, elle doit permettre d'établir le cadre dans lequel la

Commission Européenne et les juridictions nationales appliquent la politique de la

concurrence.

Pourtant, au même titre que la position dominante, la notion de marché n'est pas définie

ni par les textes européens, ni par les textes nationaux.

1 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, point 65.2 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit

communautaire de la concurrence, Journal officiel n° C 372 du 9 décembre 1997 p. 0005 – 0013.

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l'Autorité de la concurrence a néanmoins affirmé dans ses Rapports3 que « le marché,

au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se

rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique », et la

communication du 9 décembre 1997 de la Commission est venue également préciser

que « le marché en cause dans le cadre duquel il convient d'apprécier un problème

donné de concurrence est déterminé en combinant le marché de produits et le marché

géographique ».

Or, si le marché en cause trouve une définition opportune pour la mise en œuvre des

règles de concurrence, il n'existe aucune indication quant à l'identité de ce marché.

Comment les Autorités de concurrence procèdent-elle au choix de ce marché qui se veut

unique et distinct de tous les autres, pour mettre en œuvre la politique de concurrence ?

La délimitation du marché est essentielle dans l'application des règles de concurrence et

dans l'appréciation de la position dominante des entreprises. Cette notion permet de

caractériser ou non un abus de position dominante avec plus ou moins de facilité. En

effet, plus le marché est largement défini, plus l'opérateur aura la possibilité d'échapper

à une qualification d'abus. Au contraire, un marché trop étroitement délimité offre un

terrain propice aux condamnations.

Mais la question se pose, outre la délimitation, du choix du marché à prendre en

considération pour l'application des règles de concurrence.

Ainsi, la notion de marché constitue un instrument fondamental des règles de

concurrence, qui peut très bien fournir des limites aux objectifs du droit de la

concurrence4. Tant par sa délimitation, que par son identité.

Il est nécessaire donc que l'appréhension du marché en cause dans l'application du droit

de la concurrence recouvre autant que possible la réalité économique.

3 Voir par exemple Rapport annuel pour 1991, p.48.4 L. VOGEL, « Les limites du marché comme instrument du droit de la concurrence », La semaine

juridique édition générale, n°6, 1994, p.73.

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Il s'agit de la problématique posée par l'influence des positions dominantes.

L'influence des positions dominantes met en exergue l'appréhension des marchés, et

plus particulièrement consacre l'importance de l'identité du marché pertinent dans la

prise en compte des abus.

Ce phénomène que nous souhaitons étudier afin de relever incidemment le rôle du

marché pertinent dans la qualification d'abus, s'entend de l’interaction des positions

dominantes avec les marchés non-dominés par l'opérateur.

En effet, la position dominante peut influencer les marchés que l'opérateur ne domine

pas. Pour ce faire, ce dernier peut commettre des actes au sein du marché dominé qui

affectent un marché distinct, ou l'opérateur peut encore mettre en œuvre des pratiques

sur un marché distinct, qui doivent être rattachées à la détention de sa position

dominante.

Dans le premier cas, il s'agit de l'influence de la position dominante la plus apparente.

Ce phénomène s'apprécie en tant qu'effet levier de position dominante.

Dans le second cas, l'influence de la position dominante est plus subreptice, mais reste

réelle. Il s'agit d'un effet magnétique de position dominante. Ici, la pratique réalisée sur

un marché distinct par un opérateur en position dominante sera irrésistiblement attirée,

liée, à la domination de ce dernier.

L'étude que nous souhaitons mener propose une réflexion sur le rôle de la délimitation

des marchés dans la qualification d'abus de position dominante, en droit de la

concurrence.

Nous nous sommes concentrés davantage sur l'interaction de la position dominante avec

les marchés distincts.

Ainsi « l'influence » des positions dominantes souligne, selon nous, la frontière

juridique qui existe entre le marché dominé par l'opérateur et les marchés distincts, qui

doit parfois être relativisée.

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L'interaction entre la position dominante et les marchés distincts se concrétisera dans

cette étude par les effets leviers, et les effets magnétiques de position dominante.

Pour répondre à problématique, c'est à dire celle de l'impact de la délimitation des

marchés dans la qualification d'abus, nous proposons d'appréhender la prise en compte

par la politique et le droit de la concurrence des deux types d'influences de position

dominante possible.

La première partie de ce mémoire sera donc consacrée à l'étude de l'effet levier de

position dominante ( PARTIE I ), et la seconde livrera une analyse sur l'effet magnétique

de position dominante ( PARTIE II ).

Finalement, cette étude a été inspirée par la modernisation du droit de la concurrence

européen, vaste mouvement lancé en 2005, qui confirme l'avènement d'une nouvelle

politique de concurrence clairement dirigée vers les abus d'éviction.

Cette étude trouve également son intérêt dans la constatation d'un phénomène de plus en

plus accru de « super » position dominante. La mondialisation nourrit les opérateurs

économiques puissants, qui occupent désormais des positions dominantes à l'échelle

terrestre. Or, de telles ascensions, dont l'explication qui se fonderait sur une concurrence

par les mérites laisserait à douter, doivent être encadrées encore plus strictement par le

droit de la concurrence pour ne pas que le marché souffre à terme de ces accaparements.

Finalement avant de commencer notre mémoire sur l'influence des positions

dominantes, nous soulignerons afin que le lecteur garde ces remarques à l'esprit, que le

droit de la concurrence se définit comme « les règles qui tendent à préserver la liberté

et l'équilibre de la concurrence des différents acteurs économiques au profit des

consommateurs »5.

Tous les moyens peuvent être mis à disposition des juridictions pour ces fins, grâce à la

discrétion du droit de la concurrence, que nous n'avons d'ailleurs pas manqué de

5 L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, Vuibert, collection Dyna'sup droit, 2ème édition, 2001, paragraphe 16, p.20.

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rappeler tout à l'heure.

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PREMIERE PARTIE :

L'EFFET LEVIER DES POSITIONS DOMINANTES

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INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

L'influence des positions dominantes signifie que la détention de celles-ci permet à

l'opérateur de provoquer des effets au-delà du marché qu'il domine.

Le cas de figure le plus simple de l'influence des positions dominantes consiste à ce que

les effets de la domination soient nés de l'exploitation par l'opérateur de sa puissance

économique sur le marché qu'il domine.

Il s'agit d'un effet levier de position dominante.

L'expression « l'effet de levier » revêt plusieurs significations en droit de la

concurrence. Pour la Professeure Catherine Prieto, l'objectif de l'effet levier est

d'acquérir de nouvelles parts de marché6, alors que le Professeur David Bosco considère

plutôt que l'entreprise s'appuie sur sa puissance économique « afin de se comporter de

façon autonome sur le marché accessoire »7.

La doctrine avance également des hypothèses selon lesquelles l'effet de levier en droit

de la concurrence est strictement lié à la théorie des facilités essentielles, ou à la

pratique commerciale controversée des ventes liées.

Dans notre étude, nous nous rallierons à la définition de l'effet de levier donnée par le

Professeur David Bosco. Ainsi nous entendons par l'effet de levier des positions

dominantes, un opérateur en position dominante qui affecte des marchés-non dominés

en profitant de sa puissance économique installée sur le marché dominé.

La notion retenue met donc en exergue l'interaction de la position dominante avec un

« marché accessoire », selon le professeur David Bosco. Néanmoins nous ne nous

limiterons pas à cette seule perspective et envisagerons au lieu du seul marché

accessoire à la position dominante, tous les autres marchés distincts du marché dominé.

6 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.7 D. BOSCO et C. PRIETO, Droit européen de la concurrence, ententes et abus de position dominante,

Bruylant, collection droit de l'Union Européenne, 2013.

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L'appréhension du phénomène d'effet levier des positions dominantes recouvre donc

l'étude des abus de position dominante commis par les opérateurs sur les marchés

dominés, qui possèdent des effets sur des marchés distincts. La professeure Marie

Malaurie-Vignal avait d'ailleurs pu mettre en exergue cette catégorie dans ses œuvres8.

L'enjeu de cette première partie est donc de constater comment l'influence des positions

dominantes, lorsqu'elle s'appuie sur l'utilisation d'un effet levier, est encadrée par la

politique et le droit de la concurrence actuels, ainsi que par la pratique jurisprudentielle.

Pour appréhender le phénomène des effets de levier de position dominante sur les

marchés non dominés, nous proposons une lecture en plusieurs temps.

Tout d'abord nous constaterons que l'effet de levier des positions dominantes relève

naturellement d'un abus de position dominante ( I ), mais que, néanmoins, l'originalité

de ces situations impose une grande diligence dans la qualification de l'abus ( II ).

8 M. MALAURIE-VIGNAL, L'abus de position dominante, LGDJ, collection Systèmes, 2003.

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CHAPITRE I.

UNE QUALIFICATION D'ABUS DE POSITION DOMINANTE LEGITIME

L'effet de levier des positions dominantes est naturellement appréhendé par la politique

de concurrence et le droit de la concurrence car ils répondent à la qualification d'abus de

position dominante.

La politique de concurrence et le droit de la concurrence ne sont pas en effet

synonymes, et il s'avère donc important de constater la convergence de la théorie de la

concurrence ( Section 1 ) et du formalisme de la concurrence ( Section 2 ), dans le

domaine des effets leviers de position dominante.

Section 1. Une qualification en cohérence avec la politique de concurrence

Les politiques de concurrence européenne et française ont pour objectif de protéger le

marché afin de servir in fine les intérêts des consommateurs. Elles promettent d'une part

la liberté de marché, mais imposent d'autre part une concurrence qui ne soit pas faussée.

La politique de concurrence réprime donc, dans cette optique, les comportements des

opérateurs économiques affectant le marché, tout en conversant avec la liberté des

entreprises.

Dans cette optique, la politique de la concurrence s'adresse aux opérateurs en position

de puissance économique, du fait qu'ils sont susceptibles d'altérer la concurrence sur le

Marché intérieur. Il s'agit de la mise en place d'une répression des abus de position

dominante, dont font partie intégrante les effets levier.

Cette répression diffusée par les politiques de concurrence de l'Union Européenne et

Française s'articule autour d'un compromis entre la régulation, qui sanctionnerait les

effets leviers ( §1 ), et le libéralisme économique, qui tolérerait ce phénomène ( §2 ).

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§1. Une lutte politique fondamentale contre les effets leviers

La politique européenne et française de concurrence sont animées par la doctrine de

l'ordolibéralisme, issue de l'Allemagne de l'après-guerre.

Selon cette doctrine, la préservation d'une structure concurrentielle des marchés est un

objectif primordial, et l'accaparement de l'accès au marché par de gros opérateurs

économiques doit être évité. L'entreprise dominante doit en effet laisser un degré

suffisant de concurrence sur les marchés pour que celle-ci soit efficace.

Il existe donc au sein de la politique de concurrence européenne et française, une

certaine contestation des positions dominantes.

L'ordolibéralisme de nos politiques de concurrence se concrétise notamment par la

fameuse « responsabilité particulière » des opérateurs en position dominante.

Ainsi, selon la jurisprudence de la Commission Européenne et de la Cour de Justice de

l'Union Européenne, « la constatation de l'existence d'une position dominante

n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie

seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une

responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective »9.

La politique européenne et française de concurrence sanctionnent donc des atteintes à la

concurrence formées par des opérateurs en position dominante, qui ne seraient pas

considérées comme telles si elles avaient été réalisées par de banals concurrents.

La Commission Européenne a en effet précisé qu' « elle n'exigeait pas qu'il y ait un lien

nécessaire entre la position dominante de l'entreprise considérée et la possibilité de

mise en oeuvre de la pratique »10.

9 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346, point 57.10 Rapport de la Commission Européenne sur la politique de concurrence pour 1985, p. 23.

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Il faut remarquer que l'atteinte à une concurrence effective, condamnée par la politique

de concurrence, s'apprécie le plus souvent en pratique par une tentative d'éviction

formée par l'opérateur en position dominante de ses concurrents, à des fins

d’accaparement des marchés. Il s'agit d'ailleurs des abus considérés comme les plus

dangereux, et qui constituent donc la priorité de l'action de la Commission

Européenne11.

Or, la mise en œuvre d'un effet de levier par un opérateur en position dominante a

justement pour finalité principale de réserver à l'opérateur un marché en amont ou

en aval de sa position dominante. En cela, les effets leviers des positions dominantes

possèdent des conséquences nocives sur le marché et constituent incontestablement des

tentatives d'éviction concurrentielles.

Elles sont donc combattues par la politique de concurrence européenne et française,

d'après les orientations de celles-ci.

Ainsi, la politique de la Commission encadre indirectement les effets de levier des

positions dominantes, en ce qu'ils s'apprécient comme des abus d'éviction.

Il faudra donc retenir que la politique européenne et française de concurrence s'attachent

profondément à lutter contre les abus d'évictions que constituent l'effet levier des

positions dominantes.

Néanmoins, cette politique ne s'avère pas aussi homogène que ce premier constat le

laisse croire. La politique de concurrence européenne et de la France connaissent en

effet un « dédoublement » doctrinal, qui pourrait nuancer l'affirmation selon laquelle

l'effet levier des positions dominantes est strictement combattu par la politique de

concurrence.

11 Ainsi, dans la communication de la Commission - « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes » - Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7, il est affirmé que l'objectif de la politique de concurrence européenne est « de faire en sorte que les entreprises dominantes n'entravent pas le libre jeu de la concurrence en évinçant leurs concurrents par des pratiques anticoncurrentielles, en ayant de ce fait un effet défavorable sur le bien-être des consommateurs ».

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§2. Une lutte nuancée par les économistes

Les Autorités européennes et françaises condamnent donc les effets levier des positions

dominantes en raison de leurs effets d'éviction sur le marché, mais cette lutte rencontre

des limites. Ces dernières sont fixées par la nouvelle mouvance économique qui affecte

les institutions européennes et françaises.

Comme il l'a été reproché à l'ancienne politique de concurrence américaine, la politique

européenne s'est en effet exposée à de vives critiques de la part des économistes, du fait

qu'elle privilégiait les concurrents et contestait les grands opérateurs des marchés.

Assez succinctement, la politique de concurrence américaine privilégiait aux origines

les concurrents faibles, et les protégeait des concurrents les plus forts. Il s'agit là même

de la raison d'être de l'avènement du droit « Antitrust », symbolisé par la promulgation

du Sherman Act en 1890.

Or, l'école de Chicago a renversé cette position dans les années quatre-vingt, en

soulignant la nécessité de laisser croître le marché sans intervention de l'Etat, et de

stopper toute protection des petits concurrents afin de faire bénéficier le consommateur

des résultats des pratiques concurrentielles.

Cette mutation de la politique américaine a affecté la politique de concurrence

européenne et française. Selon la professeure Catherine Prieto12 en effet, les États-Unis

et les grands opérateurs économiques ont fait le reproche aux institutions

communautaires de protéger les concurrents et non la concurrence, et ces dernières y ont

été sensibles.

De plus, la mondialisation a conduit logiquement les Autorités européennes et

américaines à s'entendre sur le sens à donner à leur politique de concurrence, en faveur

donc d'une influence américaine, considérés comme les pionniers de l'Antitrust, sur la

politique de l'Union Européenne13.

12 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.13 D. J-BERGER, « Les doctrines européenne et américaine du droit de la concurrence », in La

modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, collection Droit & Economie, 2006, p.117.

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La Commission a ainsi renversé l'impression d'une politique de concurrence dirigée vers

la protection des concurrents, en affirmant que l'enjeu de sa politique consistait bien

dans la protection finale du consommateur.

Ainsi, dans sa communication en date de février 200914, la Commission a expressément

recentré sa politique autour du bien-être du consommateur, dans le but de rasséréner les

inquiétudes et les critiques qui étaient développées contre elle.

La Commission Européenne affirme ainsi qu' « en appliquant l'article 82 aux pratiques

d'éviction des entreprises en position dominante, la Commission visera en particulier

celles qui sont les plus préjudiciables aux consommateurs » et qu'elle « n'ignore pas

que l'important est de protéger l'exercice d'une concurrence effective et non de protéger

simplement les concurrents ».

Il faut donc s'attendre à une évolution de plus en plus affirmée de la politique de

concurrence européenne et française, qui tend désormais plus à favoriser les opérateurs

en situation de puissance économique qu'auparavant, en rejetant la protection des

concurrents.

Nous avons donc pu constater que les politiques de concurrence de l'Union Européenne

et de la France envisageaient les hypothèses d'effet de levier des positions dominantes,

et qu'elles les appréciaient même comme une de leurs priorités, en raison des effets

d'éviction que suppose ce phénomène sur le marché.

Il s'agit désormais de confirmer que cette politique, réprimant en théorie les effets levier

de position dominante, est effectivement mise en œuvre par le droit de la concurrence

formel.

14 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

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Section 2. Une application manifeste de l'article 102 du TFUE

La politique de concurrence européenne et française se concrétisent formellement par

l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, ainsi que par

l'article L420-2 du Code de commerce.

Néanmoins, du fait de la similarité entre le texte européen et le texte français, nous nous

appuierons uniquement sur le Traité européen dans cette étude.

La politique de concurrence se concrétise d'autre part par la jurisprudence fondatrice

issue de l'application de l'article 102 du Traité de Lisbonne.

La mise en œuvre de la politique de concurrence passe ainsi logiquement par la

constatation de l'adéquation du texte du traité avec cette dernière ( §1 ), mais surtout par

la constatation de son adéquation avec la jurisprudence européenne originelle ( §2 ).

§1. Confortée par la discrétion du texte formel

L'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne

devrait donc s'appliquer aux effets levier de position dominante, au regard du signal

donné par la politique de concurrence.

Cet article, anciennement article 86 et 82 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne, dispose que : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans

la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait

pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante

sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

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Ainsi, pour mettre en œuvre l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne, il est nécessaire de réunir quelques critères.

Le texte exige en effet pour son application une exploitation abusive d'une position

dominante sur le marché dominé ( 1 ), qui affecte la concurrence entre Etats-Membres

( 2 ).

1. L'exploitation abusive d'une position dominante

Nous avons déjà défini l'effet de levier des positions dominantes par le phénomène où

un opérateur en position dominante utilise sa puissance économique sur le marché qu'il

domine, pour affecter des marchés non-dominés.

Ainsi, selon notre définition, un effet levier d'une position dominante admet

systématiquement l'exploitation d'une position dominante, localisée sur le marché

dominé.

L'effet de levier des positions dominantes serait donc encadré par le texte, à condition,

bien sûr, que l'exploitation par l'opérateur de sa position dominante soit « abusive »,

mais là encore, rien n'est précisé par l'article 102 du Traité de Lisbonne.

Le texte subordonne également son application lorsque le commerce entre Etats-

Membres se retrouve affecté par les agissements abusifs de l'opérateur en position

dominante.

2. La nécessité d'une affectation du marché

L'effet levier de la position dominante doit provoquer des effets sensibles sur le

commerce entre Etat-Membres afin de pouvoir être saisi par les Autorités. Néanmoins,

selon l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, ces effets

peuvent être concrets ou seulement potentiels.

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Le texte admet donc très largement la répression des abus de position dominante,

puisque l'utilisation abusive d'une position dominante implique naturellement

l'affectation du marché, et qu'au surplus, ces effets peuvent être seulement présumés.

Le seul obstacle à la qualification d'abus d'un effet levier consiste dans la pertinence de

la localisation de l'affectation du marché. L'effet levier, en effet, peut influencer

seulement le marché qui n'est pas dominé par l'opérateur, et demeurer au contraire sans

effets sur le marché dominé.

Or, sur ce point, il est nécessaire de faire remarquer que l'article 102 du Traité sur le

Fonctionnement de l'Union Européenne n'exige en aucun cas que les effets de l'abus

soient relevés sur le marché dominé. Il suffit, plus largement, que « le marché intérieur

ou une partie substantielle de celui-ci » soient « affectés » par l'exploitation abusive par

l'opérateur de sa position.

Ainsi, les Autorités qui ont eu pour la première fois à se saisir d'un tel phénomène ont

pu s'exclamer qu'« il ne fait aucun doute qu'un abus de position dominante sur un

marché peut être condamné en raison d'effets qu'il produit sur un autre marché »15.

En théorie, tout semble donc indiquer que les effets levier des positions dominantes

relèvent de l'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne.

Le texte paraît même traiter spécialement d'une de ces hypothèses : l'article 102,

paragraphe 2-d du Traité de Lisbonne anticipe en effet certaines catégories d'abus fondé

sur un effet levier, dont notamment la pratique de la vente liée16. Cette pratique est en

effet symptomatique d'un effet levier.

15 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris/Commission, aff. T-128/98, Rec. CJCE 2000, II, p. 3929, point 164.

16 L'article 102 paragraphe 2-d du Traité de Lisbonne inclut dans les pratiques qu'il interdit, de « subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats ».

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Les rédacteurs du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ont en vérité

volontairement offert un champ d'application large à l'article, et ce à des fins

téléologiques.

Par exemple la notion d'exploitation abusive n'est pas précisément définie dans le traité,

et reçoit une définition par illustrations jurisprudentielles. La Commission a en effet

déjà pu affirmer que l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne énumère un certain nombre de pratiques abusives qu'elle interdit mais

« qu'il s'agit d'une énumération à titre d'exemple qui n'épuise pas les modes

d'exploitation abusive de position dominante interdits par le traité »17.

C'est donc la jurisprudence européenne qui encadre réellement la mise en œuvre de

l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Il nous faut donc

l'apprécier afin de constater ou non la prise en compte réelle des effets levier de position

dominante en droit de la concurrence.

§2. Précisée par la jurisprudence

La jurisprudence a ménagé la discrétion laissée par l'article 102 du Traité sur le

Fonctionnement de l'Union Européenne, ou sa sévérité, en aménageant plusieurs

conditions à la qualification d'abus fondé sur un effet levier.

Comme il l'a déjà été fait remarquer, il existe plusieurs sortes de pratiques mises en

œuvre par les opérateurs en position dominantes, qui constituent des effets leviers.

Chacune de ces pratiques ont reçu des conditions supplémentaires à la qualification

d'abus de position dominante. Nous pouvons ainsi relever deux catégories d'effet levier

dont la qualification est conditionnée par la jurisprudence : celui fondé sur des ventes

liées ( 1 ) et ceux fondés sur un refus de contracter ou pratiques s'y apparentant ( 2 ).

17 CJCE, 21 février 1973, Continental Can/Commission, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215

24

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1. L'effet levier fondé sur des ventes liées

Les ventes liées, ou pratique de couplage, constituent un effet levier de la part des

opérateurs en position dominante car ils permettent de lier l'achat d'un produit ou

service à un second. L'opérateur en position dominante souhaite donc par la mise en

œuvre de ces pratiques se réserver un marché, et évincer finalement ses futurs

concurrents.

Les ventes liées sont néfastes pour les consommateurs car elles les privent de choix,

mais le sont tout autant pour les concurrents, car elles subtilisent leur clientèle. Ces

pratiques sont donc expressément visées dans l'article 102-2-d du Traité sur le

Fonctionnement de l'Union Européenne.

Toutefois, malgré cette nocivité apparente, elles peuvent être tolérées par les Autorités

de la concurrence et ne pas constituer un abus de position dominante, à certaines

conditions.

Selon la doctrine en effet, dont notamment l'école de Chicago dont nous avions mis en

exergue leur faveur pour les effets leviers, les ventes liées procurent des effets pro-

concurrentiels, tel que l'enrichissement du produit initial en faveur du consommateur et

des gains d'efficience, en faveur de l'opérateur en position dominante lui-même.

Ainsi selon l'article 102-2-d la présence d'un lien suffisant entre le produit liant et le

produit lié ou la constatation d'usages commerciaux justificatifs permet de faire

échapper l'effet levier de la qualification d'abus.

Néanmoins, si la pratique de vente liée peut théoriquement échapper à la qualification

d'abus en s'appuyant sur la réunion de ces critères, la jurisprudence européenne a déjà

pu s'écarter du texte du Traité en ignorant ces-dites conditions contenues dans l'article

102, et en les considérant facultatives. Il s'agit de l'arrêt du 14 novembre 1996 Tetra

Pak18.

18 CJCE, 14 nov. 1996, TetraPak/Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I, p. 5961.

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En l'espèce, Tetra Pak, qui détenait une position dominante sur le marché du

conditionnement aseptique, se réservait le marché du conditionnement non aseptique en

liant la vente de ses machines d'emballages à ses propres cartons non aseptiques.

L'opérateur se défendait que le carton et les machines de conditionnement vendus

possédaient un lien naturel, et que ce couplage de vente était conforme aux usages

commerciaux. La Cour de Justice écarta ces arguments en opposant sa liberté d'action

dans l'appréciation d'abus, qu'elle caractérisa en l'espèce19.

Ainsi la qualification d'abus d'effet levier de position dominante fondé sur une pratique

de couplage peut se heurter à des critères expressément inscrits au sein de l'article 102

du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, mais cet obstacle est à

relativiser compte tenu de la pratique jurisprudentielle.

Il existe d'autres pratiques relevant d'un effet levier de position dominante dont la

qualification en abus s'oppose à des conditions particulières, distinctes de tous les autres

abus.

2. L'effet levier fondé sur un refus de contracter

Le refus de contracter constitue un abus d'effet levier de position dominante du fait de

l'impossibilité pour le concurrent d'obtenir un produit ou un service indispensable à son

activité, qui détenu par l'opérateur en position dominante. L'opérateur en position

dominante peut ainsi affecter le marché de ce contractant en l'évinçant progressivement

du marché, dans le dessein d'étendre sa puissance économique ou la renforcer.

Le refus de contracter relève de la liberté contractuelle, qui implique que chacun puisse

accepter ou refuser de contracter, même lorsque l'opérateur est en position dominante.

Néanmoins, lorsque le refus de contracter de l'opérateur en position dominante porte sur

19 « La liste des pratiques abusives établie à l'article 86 du traité n'est pas limitative ; en conséquence, même lorsque la vente liée de deux produits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu'il existe un lien naturel entre les deux produits en question, un abus peut être constitué, à moins que la pratique ne soit objectivement justifiée », point 37 de l'arrêt précité.

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des « installations essentielles », les Autorités de la concurrence peuvent alors forcer

l'opérateur condamner son refus de fourniture.

Ainsi l'arrêt Bronner20 est venu encadrer plus étroitement la qualification d'abus du refus

de contracter des positions dominantes. Cette jurisprudence limite la qualification d'abus

à la réunion de trois conditions cumulatives.

Le défaut d'une seule peut donc faire échapper l'opérateur à une condamnation.

Ces conditions sont que le bien ou service en question est indispensable pour les

concurrents et que le refus doit éliminer la concurrence sur un marché dérivé distinct.

Finalement le refus ne doit pas pouvoir être justifié objectivement.

La qualification d'un abus fondé sur un refus de contracter peut également être

complexifiée par l'intervention de droits intellectuels. Ceux-ci protègent en effet

l'innovation issue des mérites de l'opérateur et confèrent à ce dernier une jouissance

exclusive.

L'arrêt « Magill »21 vient donc restreindre un peu plus la possibilité de qualifier l'effet

levier de position dominante fondé sur un refus de contracter, en exigeant l'existence de

« circonstances exceptionnelles ».

En l'espèce, des sociétés de télédiffusion irlandaises refusaient de communiquer leurs

grilles de programme à une société qui souhaitait publier un guide hebdomadaire

global, car celle-ci aurait fait concurrence à leurs propres guides individuels.

Pour que l'abus soit admis, la Commission exige alors que les trois critères de l'arrêt

Bronner soient réunis, avec la condition supplémentaire que ce refus de contracter

devait faire obstacle à l'apparition d'un produit nouveau.

20 CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner GmbH & Co. KG/Commission, aff. C-7/97, Rec. CJCE 1998, I, p. 7791.

21 CJCE, 6 avril 1995, Magill/Commission, aff. C-241/91, Rec. CJCE 1995, I, p. 743.

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La jurisprudence est donc plus sévère pour qualifier en abus un refus de contracter, car

on considère que les entreprises peuvent être découragées d'innover si la Commission

accentue son interventionnisme. Les conditions qu'elle pose à cette qualification sont

encore plus exacerbées lorsqu'il s'agit d'un refus fondé sur un droit intellectuel.

Toutefois, en pratique, cette tolérance du refus de contracter n'empêche pas

systématiquement les condamnations des opérateurs en position dominante, comme par

exemple celle emblématique de la société Microsoft en 2007 par la Commission

Européenne, et même celle de Magill, dans l'arrêt précité.

Finalement, il existe différents tests de prix qui doivent être mis en œuvre par les

Autorités de la concurrence en présence d'un effet levier fondé sur une pratique de prix.

Ainsi la qualification en abus d'une pratique de prédation ou de ciseau tarifaire

dépendra du résultat obtenu au test du coût marginal moyen à long terme, appelé

également test du concurrent aussi efficace.

Il est nécessaire de conclure qu'en dépit de la discrétion laissée par l'article 102 du Traité

sur le Fonctionnement de l'Union Européenne dans la qualification d'abus de position

dominante, il existe des conditions plus fermes pour ceux fondés sur certains effets

levier de position dominantes. Ces critères ont été relevés au sein du Traité de Lisbonne

pour des hypothèses spéciales, et également au sein de la jurisprudence.

Néanmoins, ces critères sont précautionneusement analysés par les Autorités de

concurrence dans chaque espèce et conduit ainsi pour la plupart à la condamnation de

l'opérateur en position dominante.

Nous avons donc pu constater que les effets levier de position dominante pouvaient

légitimement être qualifiés d'abus au sens de l'article 102 du Traité sur le

fonctionnement de l'Union Européenne. Cette qualification peut parfois exiger des

conditions supplémentaires, selon la nature de l'effet levier relevé.

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Ainsi, le droit de la concurrence est bel et bien conforme à la politique de concurrence

que nous avons rappelée précédemment.

Il s'agit désormais d'appréhender la spécificité des phénomènes des effets de levier des

positions dominantes, afin de mettre en exergue le rôle de la délimitation des marchés

dans la qualification d'abus.

29

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CHAPITRE II.

UNE QUALIFICATION ORIGINALE D'ABUS DEVENUE COMPLEXE

Si nous avons constaté dans une première partie que les effets levier de position

dominante relevaient légitimement de l'application de la politique de concurrence et de

sa mise en application, il s'avère que l'originalité de ce phénomène peut s'opposer en

pratique à la qualification d'abus de position dominante et à la condamnation de cette

pratique. Les abus fondés sur des effets levier ne s'apprécient pas en effet comme de

simples abus d'exploitation, qui traduisent des « rentes de situation », mais mettent en

exergue l'intervention d'un marché non-dominé.

Au surplus de l'originalité de l'abus fondé sur un effet levier de position dominante, il

s'avère que cette qualification devra s'appuyer sur la nouvelle analyse économique des

Autorités de la concurrence. Cette nouvelle approche est alors susceptible de remettre

en question la qualification d'abus des effets leviers.

Il faut donc rendre compte d'une part de l'influence d'un marché-non dominé dans le

processus de qualification d'abus, qui soulève la problématique d''une mutation des

règles de concurrence ( Section 1 ), et d'autre part, il faut remarquer que la qualification

d'abus des effets levier pourrait souffrir de la nouvelle flexibilité de la politique de

concurrence ( Section 2 ).

Section 1. L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la qualification

d'abus

L'appréhension des marchés-non dominés par l'opérateur en position de puissance

économique intervient dans le processus de qualification d'abus de position dominante

lors de la prise en compte de l'abus de position dominante.

30

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Toutefois cette prise en compte reste originale, du fait de la localisation des effets du

comportement de l'opérateur en position dominante sur un marché distinct de celui qu'il

domine.

Cette spécificité conduit d'une part à l'admission de l'infraction d'abus de position

dominante fondé sur un effet levier ( §1 ), qui entraîne un aménagement surprenant de

l'appréhension même des marchés par les Autorités de concurrence ( §2 ).

§1. Admission contestée de l'abus fondé sur un effet levier

Le fameux arrêt Zoja de 197422 est l'un des premiers à consacrer la possibilité de

condamner un abus de position dominante fondé sur un effet levier en prenant

expressément en compte l'affectation du marché non-dominé.

La Cour déclare opportunément ici que le marché des produits dérivés, en l'espèce un

marché en aval de la position dominante, doit en effet être pris en compte afin de

constater les effets de l'exploitation abusive de la position dominante.

En l'espèce, la Commission avait considéré que l'opérateur Zoja s'était réservé le marché

en aval du marché où il détenait sa position dominante.

Selon cet arrêt en effet, « il s'ensuit que le détenteur d'une position dominante sur le

marché des matières premières qui dans le but de les réserver à sa propre production

des dérivés, en refuse la fourniture à un client, lui-même producteur de ces dérivés au

risque d'éliminer toute concurrence de la part de ce client, exploite sa position

dominante d'une façon abusive au sens de l'article 86 »23.

Néanmoins cette qualification d'abus ne modifie pas pour autant l'ordonnancement de

l'analyse de la Commission Européenne.

Ainsi, la juridiction précise que l'appréhension du marché non-dominé est « sans

relevance en ce qui concerne la détermination du marché à prendre en considération

22 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.23 Arrêt précité, point 25.

31

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pour la constatation d'une position dominante », et que par conséquent la considération

du marché non-dominé n'intervient bien « qu'afin de déterminer les effets du

comportement » de l'opérateur en position dominante.

L'arrêt Télémarketing, ou « CBEM », du 3 octobre 198524 se révèle lui aussi intéressant

du fait qu'il consacre l'abus de position dominante fondé sur un effet levier, lors d'une

question préjudicielle posée à la Cour de justice de l'Union Européenne.

Cette dernière était en effet de « savoir si le fait, pour une entreprise détenant une

position dominante sur un marché donné, de se réserver ou de réserver à une entreprise

appartenant au même groupe ( … ) une activité auxiliaire (…) sur un marché voisin

mais distinct, constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 ».

L'arrêt Zoja avait ainsi pu admettre cette infraction dans son espèce, mais l'arrêt CBEM

a le mérite de rattacher objectivement cette qualification d'abus à l'article 102 du Traité

sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. L'arrêt CBEM précise également que

cette qualification d'abus peut s'appliquer à une pratique commise sur le marché dominé

de l'opérateur qui constitue un service indispensable pour l'opérateur présent sur le

marché affecté par la pratique. Ainsi l'hypothèse d'abus fondé sur un effet levier n'est

pas réservée aux pratiques qui connaissent des effets sur les marchés dérivés, mais

s'applique plus généralement aux marchés en amont.

Il est donc nécessaire que les marchés présentent un certain lien de connexité.

La Cour de Justice de l'Union Européenne répond donc par l'affirmative à la question

préjudicielle posée, à l'appui de la jurisprudence Zoja. La prohibition des effets leviers,

lorsqu'ils ont pour dessein de réserver un marché à l'opérateur en position dominante,

est consacrée en tant que nouvelle application jurisprudentielle de l'article 102 du Traité

sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

Toutefois, cette nouvelle application jurisprudentielle a bien sûr été logiquement

contestée par les opérateurs en position dominante. Surtout lorsque l'opérateur en

question ne cherchait pas, par la mise en œuvre de son effet levier, à se réserver le

24 CJCE, 3 octobre 1985, Centre belge d'études de marché contre Compagnie luxembourgeoise de Télédiffusion, aff. 311/84, Rec. CJCE 2006, I, p. 3261.

32

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marché aval de celui qu'il domine.

Ce fut par exemple le cas dans la jurisprudence Aéroports de Paris, du 12 décembre

200025. En l'espèce l'Aéroport de Paris avait utilisé sa position dominante d'exploitant

des aéroports parisiens pour imposer des redevances commerciales discriminatoires aux

opérateurs des marchés en aval, afin de renforcer sa position dominante sur le marché

dominé.

L'opérateur en position dominante conteste la qualification d'abus, car les effets

anticoncurrentiels des redevances en cause sont caractérisés sur des marchés ( celui des

compagnies aériennes et celui des prestataires de services d'assistance en escale ) sur

lesquels il n'était pas présent.

Or, la juridiction lui répond opportunément qu'au regard de la jurisprudence Zoja et

Télémarketing précitées, « il ne fait aucun doute qu'un abus de position dominante sur

un marché peut être condamné en raison d'effets qu'il produit sur un autre marché ».

La juridiction objectivise donc davantage l'abus fondé sur un effet levier, car celui-ci ne

nécessite pas que l'opérateur cherche à se réserver un marché, il suffit de constater que

la structure du marché intérieur soit affectée par la pratique de l'opérateur. Ainsi, il

importe peu que « le requérant souligne n'avoir aucun intérêt à fausser le jeu de la

concurrence sur les marchés des services d'assistance en escale et des services de

transports sur lesquels il n'est pas présent ».

La Commission rappelle donc que « la notion d'exploitation abusive est une notion

objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de

nature à influencer la structure d'un marché », et en l'espèce, elle rallie la pratique de

l'opérateur Aéroports de Paris à un renforcement de position dominante. Or selon la

jurisprudence Continental Can de 197326, cette pratique peut être abusive « quels que

soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet, même en dehors de toute faute ».

Ainsi, la Cour avait déclaré dans cet arrêt que « le problème du lien de causalité entre la

position dominante et son exploitation abusive ne revêt pas d'intérêt ».

25 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris/Commission, aff. T-128/98, Rec. CJCE 2000, II, p. 3929.

26 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.

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Finalement, il apparaît après analyse de la jurisprudence postérieure aux arrêts Zoja et

Télémarketing, qui consacrent la qualification d'abus de position dominante des effets

levier, que les juridictions requièrent constamment une certaine connexité entre le

marché où la position dominante est localisée, et entre le marché affecté par la pratique.

Ainsi, dans l'arrêt Irish sugar du 7 octobre 199927, le Tribunal de Première Instance de

la Communauté Européenne déclare que :

« relève de l'article 86 l'octroi, par une entreprise détenant une position dominante sur

le marché du sucre industriel, de remises de prix discriminatoires à ses clients, selon

que ces derniers sont ou non des emballeurs de sucre concurrents de celle-ci sur le

marché du sucre destiné à la vente au détail, dans la mesure où, d'une part, il existe une

connexité indéniable entre les marchés du sucre industriel et du sucre destiné à la vente

au détail ( …) ».

L'arrêt British Airways du 17 décembre 200328 confirme cette impression, et déclare que

« un abus de position dominante commis sur le marché sectoriel dominé mais dont les

effets se font sentir sur un marché distinct où l'entreprise concernée ne détient pas de

position dominante peut relever de l'article 82 CE pour autant que ce marché distinct

soit suffisamment connexe au premier »29.

Nous retiendrons donc que la mise en œuvre d'un effet levier par un opérateur en

position dominante, affectant les marchés non-dominés, constitue une pratique

originale30, qui ne se heurte pas à la qualification d'abus. Toutefois, cette spécificité

reconnue par les Autorités de la concurrence impose qu'une relation puisse être établie

entre ces derniers et le marché dominé par l'opérateur.

Selon un raisonnement a contrario donc, un marché dont la proximité avec le marché

27 TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar c/ Comm., aff. T-228/97, Rec. CJCE 1999, II, p. 2969.28 TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff. T-219/99, Rec. CJCE 2003, II, p.

5917.29 Arrêt précité, point 127.30 Ainsi l'arrêt Irish Sugar reconnaît la spécificité des abus fondé sur un effet levier : l'originalité de la

pratique en cause est d'avoir été commise sur le marché du sucre industriel et de sortir ses effets anticoncurrentiels sur le marché du sucre destiné à la vente au détail, sur lequel la requérante et ses clients emballeurs de sucre sont concurrents. Cette particularité n'exclut pas l'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

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dominé de l'opérateur n'est pas suffisamment établie pourrait permettre à l'exploitation

abusive de la position dominante d'échapper à une condamnation. Il nous semble que les

juridictions limitent strictement la notion d'exploitation abusive d'une position

dominante, déjà citée.

En tout état de cause, la qualification du marché affecté par la pratique revêt un enjeu

important, d'où certainement l'évolution et la complexification dans l'analyse des

Autorités de la concurrence européenne et française de la notion de marché.

§2. Aménagements opportuns de la notion de marché

Dans la jurisprudence Zoja de 197531, la Commission avait constaté la position

dominante d'Istuto et de CSC sur le marché des matières premières utilisées pour la

fabrication de l'éthambuthol, dans le secteur pharmacologique. La Commission avait

retenu que l'exploitation abusive de cette position dominante avait provoqué des effets

au sein du marché des produits dérivés, c'est-à-dire le marché de l'éthambutol.

Or, l'opérateur en position dominante se défend que le marché de l'éthambutol existe. Ce

dernier ferait en effet partie de celui des médicaments anti-tuberculeux, beaucoup plus

large. Ainsi le marché de l'éthambutol ne pouvant être appréhendé, il serait impossible

de construire un marché séparé des matières premières pour la fabrication de ce produit

dérivé.

L'enjeu est ici important. Si l'éthambutol ne pouvait constituer à lui seul un marché, et

que ce produit s'incorporait au sein du marché des médicaments anti-tuberculeux, alors

l'effet d'éviction provoqué par l'opérateur en position dominante n'aurait jamais pu être

retenu.

31 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.

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La Cour de Justice de l'Union Européenne, qui contrôle le raisonnement de la

Commission dans sa décision de 1972, admet ainsi que la mise en exergue du marché de

l'éthambutol « est de nature à permettre une meilleure appréciation des effets de

l'infraction alléguée »32.

L'argumentation de la Juridiction révèle assez bien l'importance de délimiter les

marchés qui gravitent autour de la position dominante de l'opérateur, et de procéder à

une certaine flexibilité dans cette appréhension. Ainsi, lorsqu'elle admet l'infraction

fondée sur un effet levier de position dominante en des termes généraux33, elle précise

auparavant que « contrairement aux thèses des requérantes, il est possible de distinguer

le marché des matières premières nécessaires à la fabrication d'un produit et le marché

sur lequel ce produit est écoulé », et en même temps, admet « même si le marché des

dérivés ne constitue pas un marché en soi ».

Une souplesse dans délimitation des marchés s'avère donc indispensable pour

considérer la nocivité de l'abus fondé sur un effet levier. Ainsi, un marché distinct de

celui sur lequel est localisé la position dominante trop largement délimité pourrait faire

échapper l'abus à une condamnation, la tentative d'éviction ne pouvant pas être assez

caractérisée. Ainsi, selon notre raisonnement, si la Commission n'avait pas retenu

l'existence du marché dérivé de l'aminobuthanol et avait retenu celui des médicaments

anti-tuberculeux, la décision aurait certainement été différente.

S'explique alors le raisonnement de la Commission dans l'arrêt, qui affirme justement

que « pour faire constater les effets du comportement litigieux, il est justifié de

considérer que l'éthambutol a son propre marché ».

Dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 février 200534, la société Decaux possédait

une position dominante sur le marché du mobilier urbain et proposait des prix

discriminatoires affectant le marché de la publicité extérieure, dans le but d'évincer un

32 Arrêt précité point 21.33 Nous avons constaté précédemment cette admission. Dans l'arrêt Zoja, la Cour de Justice déclare en

effet qu'« un abus de position dominante sur le marché des matières premières peut donc avoir des répercussions restrictives sur la concurrence dans le marché où s'écoulent les produits dérivés, qui sont à prendre en considération dans l'appréciation des effets de l'infraction », arrêt précité, point 22.

34 CA Paris, 1ère Ch., 22 février 2005, Decaux, Concurrences, 2-2005, p.54.

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concurrent.

Cet arrêt est intéressant en ce que la Cour d'appel de Paris précise qu'une fois le marché

affecté par l'effet levier de la position dominante est considéré comme un marché

« aval » de celui dominé par l'opérateur, ce dernier ne peut plus contester le lien de

connexité entre ces deux35.

Cette remarque est importante, car l'infraction est dans une certaine mesure appréciée

per se. Les effets anticoncurrentiels de la pratique d'éviction sont en effet présumés, au

regard de la relation de proximité qu'entretient le marché distinct et le marché dominé

par l'opérateur en position dominante.

Finalement, les juridictions qualifient les marchés non-dominés par l'opérateur en

position dominante de marchés « distincts », même si ces derniers sont étroitement liés.

Elles retiennent également la qualification de marché connexe, de marché primaire,

secondaire, amont ou aval voire de sous-marché. Il n'existe aucune définition donnée

par les Autorités de la concurrence. Elles utilisent ces dénominations sans pour autant

exposer les raisons de ce choix. En réalité, les différentes catégories de marché que nous

venons de citer trouvent leur source en économie, mais le manque de précision dont fait

preuve les institutions de la concurrence laisse craindre pour la sécurité juridique des

opérateurs économiques.

Cette remarque est d'autant plus vraie que ces notions ont vocation à s'incorporer au sein

d'une ultime notion de marché : celle de marché en cause ou de marché pertinent, qui,

cette fois-ci, relèvent exclusivement du droit de la concurrence et non plus du domaine

économique. Dans le cadre de l'article 102 du traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne en effet, la notion de marché pertinent ou de marché en cause recouvre le

marché pris en compte par les Autorités de la concurrence pour l'établissement des

abus de position dominante36.

35 Selon l'arrêt précité : « considérant que c'est en vain que la société JC Decaux SA conteste ensuite l'existence d'un lien de connexité entre ce marché, sur lequel elle exerce une domination, et celui sur lequel les abus ont été relevés, à savoir le marché de la publicité extérieure où elle ne détient que 21% des parts de marché ; qu'en effet, le marché de la publicité extérieure, qui englobe l'affichage traditionnel et la publicité sur mobilier urbain, constitue un marché aval du marché de la fourniture de mobilier urbain ».

36 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, Journal officiel n° C 372 du 9 décembre 1997 p. 0005 – 0013.

37

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Concernant les abus fondés sur un effet levier de position dominante, les Autorités

retiennent le marché sur lequel est localisée la position dominante de l'opérateur, ainsi

que le marché distinct qui a été affecté par cette pratique.

En tout état de cause, cette pléthore de marchés complexifie l'analyse des Autorités de la

concurrence, et inquiète légitimement les opérateurs, qui craignent le manque de

discernement économique des juridictions et l'arbitraire de leurs décisions.

Nous remarquons qu'à la lecture de ces premières jurisprudences, il apparaît

vraisemblablement qu'une pratique commise par un opérateur en position dominante sur

son marché dominé, qui affecte un marché distinct éloigné, pourra certainement

échapper à la qualification d'abus. En effet, si la démonstration d'effets

anticoncurrentiels de la pratique sont réduits lorsque les marchés présentent un certain

degré de connexité, alors, selon un raisonnement a contrario, ceux-ci devront

nécessairement être rapporté par les juridictions lorsque le marché affecté par le

comportement est trop éloigné de celui dominé par l'opérateur en position dominante.

La raison est que dans toutes les jurisprudences énoncées, l'infraction admise, que nous

avons vu précédemment, tend soit à un renforcement de la position dominante, soit à

réserver un marché à l'opérateur.

Ce renforcement ou cette réservation est en effet plus difficile à admettre sur un marché

qui n'est pas en lien avec la position dominante de l'opérateur, car la mise en œuvre de

telles pratiques s'avère illogique d'un point de vue stratégique pour l'entreprise en

position dominante.

Les effets du comportement de l'opérateur en position dominante peuvent donc

contrarier la qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet levier, en ce

qu'ils complexifient la tâche des Autorités de la concurrence. Ces derniers ne sont pas en

effet des spécialistes en économie.

Or, la prise en compte des effets de l'abus des positions dominante intervient de plus en

plus dans la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne. Ce phénomène s'apprécie comme l'émergence d'une règle de raison à

l'européenne, et peut donc fournir un obstacle à la nocivité déclarée des abus de position

38

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dominante fondés sur un effet levier.

Section 2. L'émergence d'une « règle de raison » contrariante

Il existe une grande mouvance au sein de la politique du droit de la concurrence, qui

tend les Autorités à se détacher d'une qualification d'abus de position dominante per se

et à se fonder plutôt sur une analyse économique, qui échappe pourtant à sa compétence.

Nous avions déjà évoqué ce trait de la politique de concurrence actuelle dans la

première partie de notre étude. Nous allons désormais nous atteler à approfondir ce

constat et à en analyser les effets concrets sur la qualification d'abus des effets leviers de

position dominante.

L'approche de l'abus par les effets a été insufflée par le droit américain de l'Antitrust, et

renverse la vision de la politique de concurrence européenne et française originelles.

Cette évolution politique affecte donc l'appréhension des effets levier de position

dominante, en remettant en question leur nocivité qu'avait jusqu'alors dénoncée la

jurisprudence européenne.

Toutefois, avant même la mutation de notre politique et droit de la concurrence, il

existait déjà une certaine tolérance envers les abus de position dominante au sein des

Autorités de la concurrence. Cette souplesse a d'ailleurs certainement ouvert la voie à la

nouvelle analyse économique des Autorités de concurrence dans leur appréhension des

abus de position dominante.

Il s'avère donc nécessaire de relever ces nouveaux intervenants à la qualification d'abus

de position dominante fondée sur un effet levier, qui peuvent constituer des obstacles à

cette caractérisation

39

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Néanmoins, contrairement à la première partie de cette étude où la légitimité de la

qualification d'abus des effets levier était analysée, nous nous apprêtons ici à relever les

points de contestation de l'abus.

Ainsi nous préjugeons ici que l'effet levier mis en œuvre par l'opérateur en position

dominante réunit tous les critères de l'abus de position dominante, et nous nous

proposons d'étudier désormais les échappatoires à la condamnation de l'abus.

Nous constaterons donc ces nouveaux obstacles à la qualification d'abus selon leur

intervention dans la condamnation des abus de position dominante. Ainsi il faudra

appréhender dans un premier temps la nouvelle approche par les effets de la

jurisprudence européenne ( §1 ), puis relever les exceptions de défense qui peuvent être

opposées par l'opérateur après la qualification d'abus ( §2 ).

§1. La nouvelle approche par les effets

La communication du 24 février 200937 de la Commission semble importer discrètement

une règle de raison originaire du droit de la concurrence américaine dans le droit des

abus de position dominante européen et français. Il s'agit d'un point essentiel de la

« modernisation » de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne.

Selon cette communication en effet, « dans certaines circonstances, la Commission

peut être amenée à réaliser une appréciation détaillée avant de conclure que le

comportement en question risque de porter préjudice aux consommateurs »38. La

consécration par la Commission de l'approche par les effets se concrétise également par

le rappel dans sa communication de l'importance de mettre en oeuvre plusieurs « tests »

économiques, utilisés pour qualifier l'abus de la pratique.

37 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

38 Point 22 de la Communication précitée.

40

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Selon l'approche par les effets, les abus de position dominante fondés sur un effet levier

ne constitueraient plus des infractions per se. La qualification d'abus de ces

comportements peut donc rencontrer des obstacles.

Cette évolution s'apprécie comme la fameuse « approche par les effets » de notre

nouvelle politique de concurrence, qui s'apparente au bilan concurrentiel des juridictions

américaines. Ainsi, si le bilan concurrentiel s'avère positif, la pratique pourra ne pas être

condamnée par les Autorités de concurrence. Cette analyse économique de la pratique

mise en œuvre par l'opérateur en position dominante constitue une vraie mutation de la

politique et droit de concurrence, qui jusque-là considéraient que « dès lors que l'article

86 du traité ne prévoit pas la possibilité de l'octroi d'une exemption, les pratiques

abusives sont interdites quels que soient les avantages auxquels elles donnent

éventuellement lieu pour les auteurs de telles pratiques ou les tiers »39.

Cette approche par les effets a été révélée par l'affaire Microsoft. Dans son arrêt du 17

septembre 200740, le Tribunal de Première instance des Communautés Européennes a

éclipsé l'ancienne jurisprudence, selon laquelle il suffisait pour caractériser l'abus de

supposer un effet d'éviction engendré par les pratiques de l'opérateur41.

Ainsi, la Commission s'est appliquée à procéder à une analyse économique inhabituelle

au lieu de se satisfaire des critères communément admis pour la pratique des ventes

liées.

En l'espèce, Microsoft avait mis en œuvre, parmi d'autres pratiques, des ventes liées de

son logiciel Windows Media Player, qui était donc attaché à son système d'exploitation

Windows.

Selon le Tribunal dans cette affaire, « la Commission a estimé que, compte tenu des

39 CJCE, 20 septembre 2003, Atlantic Container Line, point 907, aff. jointes T-191/98 et T-212/98 à T-214/98, Rec. CJCE 2003, II, p. 3275, point 1112.

40 TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE 2007, II, p. 3601.

41 L'arrêt Michelin II ( TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003, II, p. 4071 ) et British Airways ( TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff. T-219/99, Rec. CJCE 2003, II, p. 5917 ) déclaraient ainsi qu'il importait peu de caractériser l'effet négatif de la pratique abusive. Or dans ces deux affaires, il existait en effet une réelle concurrence sur le marché qui pouvait être prouvée par la diminution des parts de marché des opérateurs en position dominante.

41

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circonstances spécifiques de l'espèce, elle ne pouvait se contenter de considérer –

comme elle le fait normalement dans les affaires en matière de ventes liées abusives –

que la vente liée d'un produit donné et d'un produit dominant a un effet d'exclusion sur

le marché per se. Elle a, dès lors, examiné plus en avant les effets concrets que la vente

liée en cause avait déjà eus sur le marché des lecteurs multimédias permettant une

réception en continu ainsi que la manière dont ce marché était appelé à évoluer »42.

La pratique des ventes liées ne serait plus alors considérée comme une infraction per se,

et il serait nécessaire de démontrer les effets nocifs de la pratique sur la concurrence, et

ne plus seulement les présumer43. Toutefois cette analyse ne conduit pas

systématiquement les Autorités de concurrence à refuser la qualification d'abus. Ainsi la

Commission a condamné Microsoft pour ses pratiques, qui possédaient selon elle des

effets anti-concurrentiels.

Finalement, l'approche par les effets développée par les Autorités européennes de la

concurrence a bien été mise en œuvre par nos autorités nationales de concurrence, dès

leur connaissance de l'intention de la Commission de mettre en place cette nouvelle

analyse.

Ainsi l'Autorité de la concurrence, anciennement Conseil de la concurrence, avait

procédé à l'analyse concrète des effets de la pratique de dans l'affaire Canal + du 18

mars 200544.

En l'espèce, l'opérateur Canal +, en position dominante sur le marché de la télévision à

péage, proposait aux consommateurs une offre couplée des abonnements de Canal + et

de Canal satellite, alors que ces chaînes avaient été toujours vendues séparément.

L'Autorité de la concurrence déclare alors que « la position dominante occupée par la

société Canal Plus sur le marché de la télévision à péage ne saurait justifier que lui

soit, a priori et par principe, interdit le lancement d’offres couplant la chaîne Canal

Plus au bouquet CanalSatellite », et qu' « il convient donc de rechercher si cette

42 TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE 2007, II, p. 3601, point 868.

43 D. BOSCO, « Regards sur la modernisation de l'abus de position dominante », Les Petites Affiches, 2008, et L. IDOT, « Les ventes liées après les affaires Microsoft GE Honeywell », revue concurrence n°2, 2005.

44 Cons. Conc., 18 mars 2005, Canal + déc. n° 05-D-13, Rapport annuel d'activité 2005 p. 191

42

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pratique revêt un objet ou présente des effets anticoncurrentiels ».

L'Autorité de la concurrence conclura finalement que la pratique de couplage avait eu

des effets bénéfiques pour les consommateurs, et que l'effet d'éviction de l'opérateur

TPS sur le marché pertinent n'avait pas pu être établi.

Finalement, la mutation de la politique et du droit de la concurrence s'explique d'une

part par la prise en compte du bien-être du consommateur, et d'autre part l'évolution

économique que connaît la Commission Européenne est également politique. Il s'agit en

effet de combattre les « faux négatifs », c'est à dire les pratiques qui, per se, sont

interdites mais qui en pratique procurent des avantages aux consommateurs, et de

confirmer la convergence de la politique européenne de concurrence avec celle

américaine, dans un contexte de mondialisation.

Or, il nous semble que l'effet levier des positions dominantes constitue la pratique la

plus à même de recevoir une analyse économique positive, du fait qu'elle produit des

effets sur un marché distinct de celui dominé par l'opérateur. Ainsi, les effets de la

pratique seront relativisés, en tenant compte du fait que la situation concurrentielle du

marché distinct n'est pas affectée par la position dominante de l'opérateur.

Ainsi, seuls les effets leviers dirigés vers des marchés véritablement connexes à celui

sur lequel est détenue la position dominante de l'opérateur pourront encore conduire à la

qualification d'abus.

Cette nouvelle approche par les effets intervient donc au moment de l'appréciation de

l'abus, de sa qualification, mais l'abus, une fois caractérisé, peut également bénéficier

d'une éventuelle exception de défense, opposée par l'opérateur en position dominante

après avoir usé d'un effet de levier.

43

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§2. Les exceptions de défense

Selon la communication du 24 février 2009 de la Commission qui expose les priorités

retenues pour l'application de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union

Européenne45, la Commission examine, après que la pratique ait été qualifiée d'abus, les

arguments avancés par l'entreprise dominante pour justifier ce comportement.

L'entreprise pourra ainsi « démontrer soit que son comportement est objectivement

nécessaire, soit qu'il produit des gains d'efficacité substantiels qui l'emportent sur les

effets anticoncurrentiels produits sur les consommateurs »46.

La communication rappelle expressément que l'opérateur en position dominante ayant

commis un abus d'éviction peut invoquer des justifications pour la mise en œuvre de

cette pratique ( 1 ), mais entrouvre également la possibilité de nouvelles justifications,

fondées sur l'efficience du comportement anticoncurrentiel ( 2 ).

1. Les justifications objectives de l'effet levier

L'opérateur en position dominante qui commet un abus peut justifier son comportement

devant les Autorités de la concurrence.

Ces justifications ont été dégagées dans le fameux arrêt « United Brands Company » de

197847. Dans cet arrêt, la Cour de justice avait en effet admis que la protection des

intérêts commerciaux pouvait faire obstacle à la qualification d'abus48, même si en

l'espèce les justifications apportées par l'entreprise n'étaient pas jugées objectives.

45 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

46 Point 28 de la communication précitée.47 CJCE, 14 févr. 1978, United Brands contre Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, points

183 à 189.48 Au point 189 de l'arrêt précité : « s'il est exact, comme le fait remarquer la requérante, que l'existence

d'une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu'il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger sesdits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser ».

44

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Cette première possibilité pour les entreprises en position dominante réalisant des abus

fondé sur un effet de levier d'échapper à sa condamnation a ainsi pu faire relativiser la

sévérité de la répression de l'article 102 du Traité de Lisbonne49. Néanmoins, cette

ouverture a été profondément restreinte par l'usage qu'à fait la jurisprudence de cette

nouvelle règle. Celle-ci a en effet exigé que la pratique abusive soit proportionnée à

l'objectif poursuivi, et qu'elle n'est pas pour motif d'étendre ou de renforcer une position

dominante.

La jurisprudence « Hitli »50 a également limité l'efficacité des éventuelles justifications

d'un abus fondé sur un effet levier de position dominante, en estimant que l'argument de

la sécurité des consommateurs ne pouvait empêcher, en l'espèce, la qualification d'abus

et qu'il appartenait seulement aux Autorités compétentes d'agir dans de telles

hypothèses.

L'opérateur Hitli pratiquait en effet des couplages de produits, lui permettant d'étendre

sa position dominante au marché aval, celui de la vente de clous compatibles avec ses

pistolets. La Cour de justice lui a donc reproché l'usage de son effet de levier

prétendument pour garantir la sécurité des consommateurs, en soulignant qu'il existait

d'autres alternatives moins abusives que d'évincer un concurrent qui procède à la vente

de produits dangereux et se livre à de la publicité mensongère.

Ainsi, les conditions justificatives de l'abus fondé sur un effet levier se réduisaient

quelque peu.

L'arrêt « Irish Sugar »51 est venu également limiter le champ des justifications opposées

par les entreprises en position dominante qui s'appuient sur un effet levier.

L'entreprise Irish Sugar possédait une position dominante sur le marché du sucre

industriel mais intervenait également sur le marché du sucre en détails. Sur plusieurs

années, l'entreprise a appliqué des prix discriminatoires sur le sucre industriel à l'égard

49 Par exemple, l'arrêt du 29 juin 1978 de la CJCE, BP, Aff. 77/77, Rec. CJCE 1978, p. 1513, a accepté la justification de l'opérateur en position dominante, qui consistait à faire valoir une pénurie du produit afin de justifier la pratique de prix discriminatoires.

50 TPICE, 12 décembre 1991, Hilti contre Commission, aff. T-30/89, Rec. CJCE 1991, II, p. 1439.51 TPICE, 7 oct. 1999, Irish Sugar contre Commission, aff. T-228/97, Rec. CJCE 1999, II, p. 2969.

45

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des emballeurs de sucre. Ainsi Irish sugar procédait à l'activation de l'effet levier de sa

position dominante afin de se réserver le marché aval du sucre en détails. La firme a

tenté de justifier ce comportement en arguant d'une pratique commerciale défensive,

dirigée contre l'existence d'un commerce illégal52. Or, la Cour de justice a estimé que

ces arguments ne pouvaient pas non plus suffire à empêcher la qualification d'abus.

Il existe donc des justifications que peut apporter l'opérateur en position dominante pour

éviter d'être condamné pour l'utilisation d'un effet levier, néanmoins notre étude révèle

que l'appréciation de ces justifications sont strictement appréciées par les Autorités de la

concurrence.

Toutefois, la Commission a décidé d'en proclamer à nouveau la vigueur.

La communication de février 2009 de la Commission a ainsi réitéré la force des

justifications objectives des abus de position dominante, et l'a même précisé53.

L'entreprise en position dominante qui a s'est appuyé sur un effet levier de sa situation

de puissance économique peut également tenter d'échapper à la condamnation de son

abus en faisant valoir des gains d'efficacité.

2. les gains d'efficacité de l'effet levier

Les gains d'efficacité constituent également une exception de défense opposable à la

qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet levier. Il s'agit de

permettre à l'opérateur dont le comportement a été caractérisé d'abus, de démontrer que

la pratique emporte plus d'effets pro-concurrentiels qu'anti-concurrentiels, en faveur du

consommateur.

52 Selon le point 154 de l'arrêt précité : « une telle discrimination serait justifiée par la différence fondamentale qui existe entre les emballeurs de sucre, d'une part, et l'industrie de transformation, d'autre part, en leur qualité d'acheteurs de sucre industriel. En effet, seule la consommation de cette dernière réduirait le surapprovisionnement structurel de la requérante, lui rendant, dès lors, un service que ne lui rendent pas les emballeurs ».

53 Il est nécessaire de « se fonder sur des facteurs extérieurs à l'entreprise dominante », comme la santé ou la sécurité, selon le point 29 de la Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

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Selon la communication de la Commission de février 2009, en effet : « une entreprise

dominante peut aussi justifier des pratiques aboutissant à évincer les concurrents par

des gains d'efficacité d'une ampleur suffisante pour qu'il soit peu probable que les

consommateurs en subissent un préjudice net ». La communication envisage par la suite

des conditions de recevabilité de cette justification pour chaque type d'abus et les gains

d'efficacité qui seront pris en compte.

L'appréhension des gains d'efficacité tendent à se confondre avec la nouvelle approche

par les effets des Autorités de la concurrence. L'arrêt Microsoft de 2007 en constitue

l'une des illustrations. Il ne sera donc pas discuté plus avant de cette exception de

défense.

Il faudra donc retenir, en tout état de cause, qu'il existait dès les années 1970 des

obstacles à la qualification d'abus pour les effets levier des positions dominantes, même

si bien souvent ceux-ci était trop stricts pour être appliqués.

Néanmoins, il existe aujourd'hui une approche économique mise en place par les

Autorités de la concurrence, qui remet en question l'orientation de la politique de la

concurrence. De ce fait les abus fondés sur des effets levier de positions dominantes

seront plus difficiles à qualifier et à condamner.

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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

L'effet levier des positions dominantes s'apprécie comme un phénomène intrinsèque à

l'exploitation d'une position dominante.

L'opérateur en situation de puissance économique cherche en effet naturellement, par

tous les moyens possibles, à renforcer son influence.

Cette quête d'influence se concrétise par la mise en œuvre de pratiques concurrentielles

ou anti-concurrentielles sur le marché dominé par l'opérateur. Mais ici, la structure

effective de concurrence du marché a d'ores et déjà été sérieusement affectée par la

puissance économique de l'opérateur, et les risques d'une qualification d'abus par les

Autorités de concurrence sont élevés.

Ainsi, l'opérateur va se fonder sur de nouvelles stratégies pour servir l'influence de sa

position dominante.

L'opérateur va notamment outrepasser son domaine de domination et interagir avec de

nouveaux marchés, dans le but de renforcer discrètement sa puissance ou même de

l'étendre.

L'interaction de la position dominante avec le marché non dominé la plus aisée, mais la

plus remarquée, est celle où l'opérateur s'appuie sur sa puissance économique détenue

sur le marché dominé pour impacter les marchés distincts.

Il s'agit d'un effet levier de position dominante, qui s'apprécie également comme un

effet « boomerang », du fait que les pratiques mises en œuvre par l'opérateur n'ont que

pour dessein la croissance de sa position dominante.

Il est donc certainement salvateur que la politique et le droit de la concurrence

appréhendent ce phénomène caractéristique des positions dominantes, mais toute la

problématique réside dans l'identité de ses bénéficiaires.

48

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La politique de concurrence et le droit de la concurrence contestaient en effet, aux

origines, l'accaparement du marché par de grands opérateurs économiques. Il s'agissait

plus d'une protection des concurrents que d'une politique tournée vers le bien-être des

consommateurs.

Néanmoins, ce postulat a changé, et aujourd'hui il est affirmé et réaffirmé par les

institutions européennes que le bien-être des consommateurs constitue effectivement

l'essence du droit de la concurrence appliqué aux abus de position dominante.

Or, si les effets levier des positions dominantes sont indéniablement nocifs pour les

concurrents qui les subissent, en ce qu'ils provoquent des effets d'éviction à l'encontre

de ce dernier, ils le paraissent finalement moins envers les consommateurs.

Ainsi, la politique de concurrence offre depuis ces dernières années plus de marge aux

opérateurs en position dominante, et relativise en pratique les effets levier des positions

dominantes. Ceux-ci s'apprécieraient alors simplement comme l'évolution prévisible des

situations de domination économique, que l'Etat ne peut ni contrôler ni condamner sauf

prêcher l'interventionnisme public.

Toutefois, nous ne pouvons pas non plus relativiser entièrement l'appréhension des

effets leviers des positions dominantes par les Autorités de concurrence. Ce phénomène

constitue en effet de graves tentatives d'éviction concurrentielle, qui sont considérées

comme les plus dangereuses par le droit de la concurrence.

Le consommateur, qui constitue le centre de la politique de concurrence, est en effet

désavantagé, à terme, de ces évictions concurrentielles.

Finalement, il peut paraître moins risqué pour l'opérateur en position dominante qui

souhaite renforcer sa situation de puissance de mettre en œuvre des pratiques à cet effet

sur un marché distinct de celui dominé.

Il s'agit d'une stratégie de domination indirecte, dont l'un des intérêts réside dans les

49

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possibilités pour l'entreprise en position dominante d'échapper à une condamnation.

SECONDE PARTIE :

L'EFFET MAGNETIQUE DES POSITIONS DOMINANTES

50

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INTRODUCTION DE LA SECONDE PARTIE

Nous avons donc constaté dans un premier titre que l'influence des positions dominantes

se traduisait par l'affectation des marchés non-dominés, lorsque l'opérateur exploitait sa

puissance économique sur le marché dominé.

Le rayonnement des positions dominantes peut aussi s'illustrer par une pratique

commise par l'opérateur en position dominante sur un marché qu'il ne domine pas, mais

qui s'explique en raison sa position dominante. Dans ce cas, la pratique commise par

l'opérateur gravite autour de la position dominante, et peut juridiquement y être

rattachée.

C'est ce que nous appellerons ici l'effet magnétique des positions dominantes. Il s'agit

d'une expression inédite, créée pour les besoins de notre étude, qui reflète parfaitement

le phénomène que nous souhaitons analyser.

Ainsi, « l'effet magnétique » de la position dominante suggère bien que les pratiques

commises par l'opérateur en situation de puissance économique sur un marché non-

dominé peuvent néanmoins être rattachées à cette position dominante, car ces actes sont

en effet attirés par le magnétisme de la position dominante.

Contrairement à l'effet magnétique des positions dominantes, l'effet levier, impliquait,

lui, métaphoriquement, que l'opérateur en position dominante ait commis ses pratiques

anticoncurrentielles sur le marché dominé, où il y prend donc un appui pour affecter des

marchés distincts.

L'enjeu de l'étude de l'effet magnétique des positions dominantes est d'analyser

l'encadrement de ce phénomène par la politique de concurrence et son droit.

Il sera alors possible de comparer à la fin de ce mémoire l'encadrement de ce

phénomène issu de l'influence des positions dominantes avec celui de l'effet levier.

51

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Nous proposons à ces fins, d'apprécier, en premier lieu, l'adéquation du droit et la

politique de concurrence par rapport au phénomène de l'effet magnétique des positions

dominantes ( I ) pour ensuite constater que l'appréhension qui en a été faite par la

jurisprudence ( II ).

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CHAPITRE I.

UNE QUALIFICATION D'ABUS DE POSITION DOMINANTE IMPREVUE

Comme il avait pu être réalisé lors de l'analyse de l'effet levier des positions

dominantes, il convient de déterminer si la politique de concurrence, mais également le

droit de la concurrence, sont enclins à appréhender le phénomène d'effet magnétique des

positions dominantes.

Dans un premier temps nous analyserons donc l'état de la politique de concurrence

( Section 1 ) pour ensuite constater son adéquation avec le droit de la concurrence

( Section 2 ).

Section 1. Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets magnétiques

La politique de la concurrence européenne nous apparaît hésitante vis à vis de la

répression des effets magnétiques de position dominante. D'une part les notions sur

lesquelles elle repose limitent strictement cette qualification d'abus ( 1 ), et d'autre part,

l'utopie d'une concurrence méritante transcende l'hypothèse inverse ( 2 ).

Ces deux charpentes opposées de la politique de la concurrence nous font alors nous

interroger sur une possible appréhension des effets magnétiques de position dominante.

§1. Une politique de concurrence entendue restrictivement

Nous avons déjà pu constater lors de l'appréhension par la politique de concurrence des

effets leviers que notre politique de concurrence s'appuyait à l'origine sur un courant de

pensée ordo-libéral, concrétisé par la fameuse « responsabilité particulière »de ne pas

porter atteinte à la concurrence effective et non faussée issu de l'arrêt Michelin54.

L'ordolibéralisme de notre politique de concurrence assurerait donc certainement la

répression des abus fondés sur un effet magnétique de position dominante, car elle a

54 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin contre Commission, Aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346, point 57.

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pour nature de favoriser une concurrence « parfaite »55.

Ainsi, il importerait peu que la pratique à incriminer soit localisée sur un marché

distinct, si celle-ci a pour dessein de s'accaparer un nouveau marché. Rappelons en effet,

que l'ordolibéralisme originel a pour vocation de préserver le marché de la formation de

grands opérateurs économiques et de servir l'égalité des concurrents.

Néanmoins, ce mythe de la concurrence parfaite issu de la pensée ordo-libérale de

l'après-guerre a été remplacé par le nouvel objectif d'efficacité économique, que

sollicitait la doctrine.

La responsabilité particulière des opérateurs en position dominante est donc moins

étendue qu'elle ne l'était auparavant, et se soumet désormais à une approche économique

des pratiques mises en œuvre par l'opérateur en position dominante.

Au surplus de l'abandon de la pensée ordo-libérale dans la nouvelle politique de

concurrence, qui vient limiter la prise en compte des effets magnétiques, il s'avère que la

notion même de position dominante dessert l'appréhension de ce phénomène.

La notion de position dominante, en effet, précède nécessairement la pensée ordo-

libérale de la politique de concurrence, et la preuve en est de la fameuse responsabilité

particulière qui met en jeu cette notion.

Cette responsabilité que nous pensions accueillante de la répression des effets

magnétiques des positions dominantes, signifie que : « la constatation de l'existence

d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise

concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des

causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à

une concurrence effective ».

55 David J. GERBER, « Les doctrines européenne et américaine du droit de la concurrence » in La modernisation du droit de la concurrence, p.121 LGDJ, collection Droit & Economie, 2006.

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Or, la notion même de position dominante limite la discrétion qui aurait pu naître de la

conception de responsabilité particulière des opérateurs en position dominante.

La position dominante se définit en effet comme « une position de puissance

économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au

maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la

possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis

de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses

concurrents, de ses clients, et finalement, des consommateurs »56.

Ainsi il est logique de déduire de ces termes que l'opérateur ne dispose que d'une liberté

de comportement seulement sur le marché où il se trouve en position de puissance

économique, et non pas sur les marchés distincts.

En suivant ce raisonnement, la liberté que soulève la pensée ordo-libérale pour la

répression des abus de position dominante serait donc réduite aux marchés sur lesquels

l'opérateur possède la faculté de se comporter de manière indépendante vis à vis de ses

concurrents. La responsabilité particulière des opérateurs en position dominante serait

ainsi exclue en dehors du marché non-dominé.

Il faut donc retenir que la politique de concurrence relative aux abus de position

dominante ne vise que les pratiques des opérateurs réalisées sur les marchés déjà atteints

par leur puissance économique.

Il importe donc peu l'appréhension des comportements de ces opérateurs sur des

marchés qu'ils ne dominent pas, car la présomption principale est que ces derniers ne

bénéficient pas d'indépendance de comportement sur ces marchés.

56 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, point 65.

55

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Nous avons développé un obstacle conséquent à la prise en compte des abus fondés sur

les effets magnétiques des positions dominantes par la politique de concurrence, qui

réside dans les notions employés par les Autorités de concurrence.

La notion de position dominante n'est pas la seule employée par la politique de

concurrence qui limite la prise en compte des effets magnétiques des positions

dominantes.

La notion de marché joue également un rôle central dans la politique de concurrence.

La notion de position dominante n'existe d'ailleurs qu'au travers de la conception de

marché.

Or cette notion issue de la politique de concurrence, entend en elle-même un

cloisonnement du champ des règles de concurrence. En effet, le marché doit être

délimité par les Autorités de la concurrence, car il ne peut être identifié qu'un seul

marché en cause pour l'application du droit de la concurrence.

La notion de marché confirme donc encore en fois l'impression que la position

dominante de l'opérateur ne peut qu'être constituée que sur le marché où les pratiques de

ce dernier ont été localisées, et réciproquement.

En effet, en l'absence de position dominante sur le marché, il est logique de croire que

celui connaît une situation concurrentielle saine, et qu'il n'ait nulle besoin d'une

protection particulière assurée par les Autorités, sauf à consacrer un interventionnisme

exacerbé.

La liberté économique vient en effet limiter le champ d'application de la politique de

concurrence. Celle-ci ne saurait concerner des marchés sains qui ne connaissent pas un

degré de concurrence restreint.

Ainsi, si nous arrêtions notre analyse à la seule considération que la politique de

concurrence ne vise que la préservation des marchés affectés par l'existence d'une

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puissance économique, les effets magnétiques des positions dominantes ne pourraient

jamais être appréhendées, car même si in fine ils bénéficient à la position dominante de

l'opérateur sur son marché dominé, une partie du raisonnement manquerait.

Toutefois, la politique de concurrence s'appuie également sur des valeurs fondatrices,

qui peuvent briser les obstacles érigés par les définitions que nous venons

d'appréhender.

Les valeurs de la politique de concurrence sont puissantes, mais encore faut-il que le

phénomène d'effet magnétique des positions dominantes puisse intéresser ces-dites

valeurs pour que de tels comportements soient réprimés par la politique de concurrence.

Celle que nous envisagerons dans cette étude, en faveur de la prise en compte des effets

magnétiques des positions dominantes par la politique de concurrence, est celle de la

« concurrence par les mérites ».

§2. Le vecteur de la concurrence par les mérites

Nous avons déjà pu rapporter précédemment que la fameuse « responsabilité

particulière » des entreprises en position dominante pouvait supporter l'appréhension

des effets magnétiques des positions dominantes, mais que corrélativement, cette notion

était strictement limitée par la notion de position dominante puis de marché.

Néanmoins, nous pensons fortement que la notion de responsabilité particulière des

opérateurs en position dominante peut contenir un rôle dans l'extension de la politique

de concurrence aux effets magnétiques, et ce en dépit de ses interactions avec d'autres

notions issues de la politique de concurrence telles que la notion de position dominante

et de marché.

Une des autres conceptions issues de la politique de concurrence qui vient étayer notre

raisonnement en faveur d'une extension de la politique de concurrence aux effets

magnétiques, est la fameuse notion de « concurrence par les mérites ».

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Selon l'arrêt Hoffman La Roche57, le comportement incriminé par les Autorités de la

concurrence est constitué « par le recours à des moyens différents de ceux qui

gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des

prestations des opérateurs économiques »58.

Le fameux arrêt Akzo du 3 juillet 199159 précisera également que « l'entreprise en

position dominante ne doit pas recourir à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une

concurrence par les mérites »60.

Ce nouveau critère de la concurrence par les mérites resurgira encore dans la

jurisprudence postérieure61, sans être néanmoins davantage précisé.

Malgré l'importance affirmée de la concurrence par les mérites, celle-ci est en effet

difficilement définie, et il faut se référer à la doctrine pour en capter l'essence.

Selon la professeure Catherine Prieto, en effet, la concurrence effective suppose que les

mérites des uns et des autres puissent être librement appréciés par le consommateur62.

Cette imprécision porte gravement atteinte à la sécurité juridique, et suscite la crainte

chez les opérateurs économiques, car cette notion permettrait en effet d'outrepasser les

infractions déjà recensées par la Commission.

Sur ce point, le professeur Patrick Rey considère que ce n'est plus le type de pratique

qui doit déclencher la mise en œuvre de la politique de concurrence, mais bien les effets

sur le marché du comportement de l'opérateur économique63.

57 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.58 Selon le point 91 de l'arrêt précité.59 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.60 Selon le point 69 de l'arrêt précité.61 Ce critère sera en effet réaffirmé dans l'arrêt TPICE du 1er avril 1993, BPB Industries et British

Gypsum/Commission, Aff. T65-89, Rec. CJCE 1993, p. 389, au point 94 ; arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755, au point 147 ; arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, Aff. T-229/94, Rec. p. II-1689, au point 78 ; arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999 Irish Sugar/Commission, Aff. T-228/97 Rec. CJCE 1999, II, p. 2969, au point 111 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, Aff. T-203/01, au point 97 et arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van Den Bergh Foods/Commission, Aff. T-65/98, Rec. p. II-4653, au point 157.

62 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.63 P. REY, « Concurrence par les mérites » in La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ,

collection Droit & Economie, 2006, p. 151.

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Ainsi, le professeur Patrick Rey exhorte à sortir des hypothèses d'école pour mieux

appréhender la réalité économique des marchés.

Finalement, l'imprécision de la concurrence par les mérites sera fondue dans l'analyse

économique des Autorités de la concurrence, et permettra d'encadrer des abus qui

n'auraient pu être réprimés sur les fondements prévisibles du droit de la concurrence.

Selon Bo Vesterdorf, la sécurité juridique en droit de la concurrence entendue comme la

généralité de la règle et la prévisibilité de ses applications « n'a guère de sens en droit

économique ». En effet, « la réalité économique se satisfait mal d'habits juridique trop

étroits et une approche formaliste, si elle est juridiquement satisfaisante, risque de ne

pas permettre de saisir la réalité économique ou de mal l'appréhender »64.

En tout état de cause, la responsabilité particulière et la concurrence par les mérites est

consacré dans la dernière communication de la Commission Européenne de février

200965. Celle-ci précise en effet que « l'entreprise dominante peut participer au jeu de

la concurrence par ses mérites » mais qu' « il lui incombe toutefois une responsabilité

particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence

effective et non faussée dans le marché commun »66.

Nous avons pu constater que la politique de concurrence n'a pas vocation à appréhender

les effets magnétiques de position dominante.

Néanmoins l'espoir d'un élargissement de cette politique de concurrence est palpable,

avec l'émergence de l'approche par les effets et de la concurrence par les mérites, qui

rejettent les approches d'abus per se au profit de la réalité économique.

64 Bo VESTERDORF, « Considérations sur la notion de concurrence par les mérites » in La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, collection Droit & Economie, 2006, p.163. L'auteur était alors président du Tribunal de Première instance des Communautés Européennes.

65 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

66 Selon le point 1 de la communication précitée.

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L'interprétation de la politique de concurrence en faveur de l'appréhension des effets

magnétiques de position dominante peut être confirmée à la lumière du droit formel de

la concurrence, ou ce dernier peut au contraire ériger de nouveaux obstacles à cette

hypothèse.

Section 2. Une qualification écartée par le droit de la concurrence

De même que pour l'appréhension du phénomène d'effet levier des positions

dominantes, il convient pour celle de l'effet magnétique des positions dominantes

d'analyser d'une part les textes formels du droit de la concurrence ( 1 ) et de relever

ensuite les considérations jurisprudentielles générales qui influencent leur prise en

compte ( 2 ).

§1. Le phénomène des effets magnétiques ignoré de l'article 102 du Traité

La politique de concurrence passe par la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le

Fonctionnement de l'Union Européenne. Nous rappelons que ce dernier dispose que :

« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce

entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs

entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur

ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

A priori, cette formulation n'interdit en rien la prise en compte des effets magnétiques

des positions dominantes, à la condition que ceux-ci constituent une exploitation

abusive par l'opérateur de sa situation de puissance économique.

Or, l'exploitation d'une position dominante pourrait s'entendre d'une exploitation qui ne

pourrait avoir lieu que sur le marché où la position de puissance économique est

détenue.

Si tel était le cas, l'effet magnétique, en ce qu'il suppose que la pratique commise par

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l'entreprise en position dominante soit localisée en dehors du marché dominé, ne

pourrait être appréhendé par le droit de la concurrence.

Néanmoins le texte ne précise rien et ne peut confirmer notre avertissement.

Ainsi, à défaut de précisions, une exploitation abusive de position dominante pourrait

s'illustrer par une pratique commise par un opérateur en position dominante sur un autre

marché que celui dominé.

Le phénomène d'effet magnétique pose donc la problématique de savoir ce que constitue

une « exploitation abusive » d'une position dominante.

Nous ferons remarquer en effet que l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de

l'Union Européenne ne comporte aucune indication en ce qui concerne les exigences

afférentes à la localisation de l'abus sur le marché des produits.

Le critère de l'affectation du commerce entre États-membres pourrait d'ailleurs servir de

vecteur à notre hypothèse selon laquelle l'exploitation abusive d'une position dominante

pourrait se réaliser sur un marché distinct de celui dominé.

Ainsi, les fins téléologiques de la politique de concurrence justifieraient la qualification

d'abus de position dominante à un effet magnétique de position dominante.

En tout état de cause, l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne ignore l'appréhension des effets magnétiques des positions dominantes.

Il est donc nécessaire d'analyser les précisions jurisprudentielles apportées sur le champ

d'application du droit de la concurrence.

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§2. Une jurisprudence indifférente mais accommodante

Comme nous l'avons déjà constaté, la jurisprudence a opportunément précisé le champ

d'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

Certaines de ces précisions ont donc pu affecter l'appréhension du phénomène d'effet

magnétique des positions dominantes.

La jurisprudence a ainsi précisé la notion d'exploitation abusive de la position

dominante et l'abus, qui accueille indirectement la prise en compte des effets

magnétiques des positions dominantes ( 1 ).

La jurisprudence a également consacré une approche de la notion d'«entreprise » de

l'article 102 du Traité de Lisbonne qui illustre d'une certaine manière une appréhension

des effets magnétiques de position dominante par le droit de la concurrence ( 2 ).

1. Une exploitation abusive de position dominante tolérante

La jurisprudence a interprété les conditions nécessaires à la qualification d'abus de

l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Ces interprétations

peuvent parfois supporter la prise en compte des effets magnétiques de position

dominante.

L'une des questions qui se posait à la lecture de l'article 102 du Traité sur le

Fonctionnement de l'Union Européenne était de savoir si un lien de causalité entre la

position dominante et l'abus était indispensable.

Ce lien de causalité entre l'abus et la position dominante est en effet présumé lorsque la

pratique répréhensible a eu lieu sur le marché dominé par l'opérateur. Selon la

professeure Catherine Prieto67, l'abus de position dominante apparaît en quelque sorte

indissociable de la position dominante elle-même. Cette constatation s'explique car

l'abus naît du concept de « pouvoir de marché ».

Or, un tel lien de causalité ne peut être présumé en présence de pratiques commises sur

67 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.

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un marché distinct de celui dominé par l'opérateur.

L'arrêt Hoffman-La Roche 68 répond à cette problématique. Selon l'arrêt en effet: « la

notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une

entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un

marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question le degré de

concurrence est déjà affaibli ( … ) »69.

L'arrêt précise également : « qu'on ne saurait, pour écarter la qualification

d'exploitation abusive de position dominante, accepter l'interprétation […] selon

laquelle l'exploitation abusive impliquerait que l'utilisation de la puissance économique

conférée par une position dominante soit le moyen grâce auquel l'abus a été réalisé »70.

Ainsi, grâce à la vision téléologique de la Cour de Justice de l'Union Européenne du

droit de la concurrence, la jurisprudence consacre l'indifférence d'un lien de causalité

entre la position dominante et les pratiques commises par l'opérateur pour la

qualification d'abus.

Il faut néanmoins remarquer que s'il importe peu que ce soit l'exploitation ou non de la

position dominante qui ait permis à l'opérateur d'influencer le degré de concurrence du

marché, il apparaît nécessaire que ce soit bien le marché dominé qui ait subi les effets

de ce comportement.

S'explique d'ailleurs la nécessité, pour la qualification d'abus fondé sur un effet levier,

de révéler un lien de connexité entre le marché dominé et le marché distinct. Ce dernier

est alors considéré comme une sorte d'extension du marché dominé.

Finalement, l'arrêt Continental Can71 confortera la jurisprudence Hoffman-La Roche

ainsi que notre analyse, en affirmant que le lien de causalité entre la position dominante

68 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.69 Selon le point 91 de l'arrêt précité.70 Ibid.71 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.

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et son exploitation abusive « ne revêt pas d'intérêt, le renforcement de la position

détenue par l'entreprise pouvant être abusif et interdit par l'article 86 du traité, quels

que soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet »72

Nous retrouvons là encore une appréciation large des comportements susceptibles de

relever d'un abus de position dominante, qui s'appuie en toute vraisemblance sur la

vision ordo-libérale de la « responsabilité particulière » des opérateurs en position

dominante.

Néanmoins, cette liberté dans la qualification d'abus persiste à être limitée à la condition

que les effets du comportement se fassent bien ressentir sur le marché dominé de

l'opérateur. D'où la nécessité de relever un renforcement de position dominante dans la

jurisprudence Continental Can.

Ainsi, la jurisprudence interprète très largement la notion d'exploitation abusive, qui est

nécessaire à la qualification d'abus. Nous pouvons donc espérer que l'effet magnétique

des positions dominantes soit bien appréhendé par le droit de la concurrence du fait de

cette souplesse, malgré l'imprévision du texte 102 du Traité de Lisbonne.

Finalement, la jurisprudence générale de l'Union Européenne a pu s'emparer de

certaines hypothèses d'effets magnétiques de position dominante en s'appuyant

indirectement sur la notion d'entreprise.

2. le détour par la notion élargie d'« entreprise »

Seules les « entreprises » sont concernées par la répression des abus de position

dominante, selon l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

Cette notion d'entreprise renvoie à celle d'« unité économique » en jurisprudence.

Celle-ci permet de considérer qu'une société mère et sa filiale constituent une seule et

même entité, une seule et même entreprise.

72 Selon le point 27 de l'arrêt précité.

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Ainsi, la société mère peut être incriminée par les Autorités de la concurrence, pour des

actes réalisés par sa filiale.

Pour ce faire, il est nécessaire néanmoins qu'il existe une unité d'action entre les deux

entreprises ainsi que des liens structurels, et que ne soit pas constatées de stratégies

commerciales indépendantes.

Ainsi, si une filiale commet une pratique abusive sur le marché où elle est établie mais

qu'elle ne possède pas de position dominante, l'abus sera imputé à la société mère qui

disposera d'une telle situation de puissance économique.

On peut ainsi relever dans l'arrêt du 6 avril 199573 de la Cour de justice, qu'il avait été

fait grief à BPB industries d'une pratique mise en œuvre par sa filiale sur le marché du

plâtre de construction et des plaques de plâtres en Irlande et Irlande du Nord.

De même, lors de l'arrêt du 6 mars 197474, CSC s'était défendu que sa filiale Istuto était

responsable de la pratique dont s'était saisie la Commission Européenne. Or, la filiale en

question ne possédait pas de position dominante sur le marché où les pratiques avaient

été commises, contrairement à la société mère, CSC.

Au regard de ces éléments, l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne ne pouvait être appliquée.

Ainsi, la Commission contourne cette difficulté dans la qualification d'abus en retenant

que l'opérateur en position dominante détenait bien le pouvoir de contrôle de sa filiale et

l'exerçait de telle sorte qu'il fallait les traiter comme ne formant qu'une seule et même

entreprise en ce qui concernait la pratique relevée.

Nous avons donc pu appréhender l'orientation de la politique de concurrence et le droit

de concurrence vis à vis des effets magnétiques des positions dominantes. Il ressort de

cette analyse que ces derniers ne sont pas considérés, aux premiers abords, comme des

abus de position dominante.

73 CJCE, 6 mars 1995, BPB contre commission, aff. C-310/93 P.74 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.

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Néanmoins, si théoriquement les effets magnétiques des positions dominantes ne

s'apprécient pas comme la priorité de la politique et du droit de la concurrence, ils

peuvent tout de même être appréhendés par ces derniers sur des fondements

téléologiques.

En effet, la jurisprudence a pu démontrer sa faculté à assouplir les conditions de

qualification d'abus de position dominante, en posant toutefois certaines limites

attachées à la notion de marché dominé.

Ainsi, en réunissant certains des éléments essentiels à la qualification d'abus de position

dominante, les effets magnétiques de position dominante pourraient légitimement être

appréhendés par le droit de la concurrence.

A ce titre, la notion de concurrence par les mérites, d'affectation du marché entre Etats-

membres, et d'exploitation abusive constituent tout autant d'arguments à cette

appréhension.

Nous retiendrons donc ici que la qualification des effets magnétiques des positions

dominantes en abus n'a pas été prévue par la politique et le droit de la concurrence, mais

que cette qualification serait bel et bien envisageable si la jurisprudence se libérait d'une

trop grande rigueur juridique.

Il faut désormais, en effet, analyser la jurisprudence européenne et interne qui se sont

vues confrontées à des hypothèses d'effet magnétique des positions dominantes, afin de

trancher cette problématique.

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CHAPITRE II.

UNE QUALIFICATION D'ABUS AMENAGEE MAIS INSUFFISANTE

L'absence de prise en compte des effets magnétiques des positions dominantes par le

droit et la politique de la concurrence pose la problématique de la force de l'analyse

économique dans la mutation des règles préexistantes.

Ainsi, si originellement il n'avait pas été prévu par les rédacteurs du Traité de Lisbonne

qu'un abus de position dominante puisse être constitué par des pratiques réalisées sur un

marché distinct de celui dominé par l'opérateur, la pratique a démontré que ce dernier

possédait des raisons de mettre en œuvre de tels comportements.

En effet, l'opérateur en position dominante peut intervenir stratégiquement sur un

marché qu'il ne domine pas, dans le dessein de renforcer sa domination sur son marché

dominé.

Les juges, face à ces pratiques, ont alors assoupli le droit de la concurrence qui

s'opposait à la poursuite de ces pratiques, et ont confirmé l'admission, sous certaines

conditions, de la qualification d'abus des effets magnétiques des positions dominantes

( Section 1 ).

Finalement, cet assouplissement, aussi opportun soit-il, s'apprécie parfois de manière

trop restreinte pour être efficace et constituer une réelle innovation du droit de la

concurrence ( Section 2 ).

Section 1. Une admission stricte de la qualification d'abus, pérennisée

Ce sont les arrêts de la Cour de justice de 1991, Akzo et de 1996, Tetra Pak, qui ont

ouvert la voie à la qualification d'abus de position dominante des effets magnétiques, en

subordonnant cette admission à deux conditions alternatives ( §1 ). Les arrêts

postérieurs, aussi bien internes que européens, ont confirmé cette jurisprudence ( §2 ).

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§1. La consécration de circonstances particulières nécessaires à la qualification

d'abus

Deux conditions alternatives ont été posées par les premières jurisprudences qui ont eu à

connaître d'un abus fondé sur un effet magnétique de position dominante.

L'admission d'un effet magnétique de position dominante sera en effet subordonnée à la

démonstration de la volonté de l'opérateur de renforcer sa position dominante lors de la

mise en œuvre de pratiques sur un marché distinct ( 1 ), ou à la présence d'un lien de

connexité entre le marché dominé par l'opérateur et celui, distinct, où a été commis la

pratique ( 2 ).

Il s'agit de conditions alternatives, mais elles doivent s'accompagner des autres critères

nécessaires à la qualification d'un abus de position dominante pour conduire

effectivement à la condamnation de l'effet magnétique.

1. La nécessité d'une volonté de renforcer la position dominante : l'arrêt Akzo

La jurisprudence ECS/Akzo Chemie du 3 juillet 199175 est la première à envisager une

hypothèse d'abus fondé sur un effet magnétique. Elle consacre la première condition

alternative à la qualification d'abus d'un effet magnétique : celle de constater un

renforcement de position dominante.

En l'espèce, Engineering and Chemical Supplies ( ECS ) produisait un peroxyde

organique particulier, le peroxyde de benzoyle, qui était utilisé à la fois dans la

fabrication de plastique et comme additif pour la farine.

Akzo Chemie possédait lui, une position dominante sur le vaste marché des peroxydes

organiques.

Ce dernier redoutait l'entrée de ECS sur le marché des peroxydes organiques pour

plastiques. Akzo Chemie avait alors mis en œuvre une pratique de prix d'éviction,

75 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.

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concentrée non pas sur le marché des péroxydes organiques que la société dominait,

mais sur le sous-marché des additifs pour farine au Royaume-Uni et en Irlande.

Or, l'essentiel du chiffre d'affaire d'ECS était localisé sur ce dernier. Ainsi la pratique

d'éviction mis en œuvre par Akzo empêchait donc ECS de mener à bien son projet de

s'étendre sur le marché des peroxydes organiques pour l'industrie plastique, en affectant

ses moyens financiers.

La Cour de Justice de l'Union Européenne confirmera la décision de la Commission

Européenne du 14 décembre 198576, qui avait condamné cette pratique au titre d'abus de

position dominante.

Akzo, qui avait donc formé un pourvoi contre la décision de la Commission Européenne,

opposait que le marché en cause ne pouvait pas s'apprécier comme celui des péroxydes

organiques, qu'elle dominait, mais devait se définir comme celui des additifs de farine,

où la pratique d'éviction avait été commise.

Le marché en cause s'apprécie en effet en pratique comme le marché où est détenue la

position dominante de l'opérateur, du fait que dans les hypothèses ordinaires d'abus, ce

marché se confond avec celui où est répertoriée la pratique.

Or dans l'arrêt du 3 juillet 1991, la Cour de justice fait état de « circonstances

particulières »77 dans l'espèce, qui permettent donc d'échapper aux tenants de la

jurisprudence Zoja. Celle-ci rejetait en effet la prise en compte des marchés non-

dominés dans la caractérisation d'une position dominante78 et donc dans l'appréciation

du marché en cause.

76 Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff. 85/609/CEE, Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985.

77 Selon le point 38 de l'arrêt précité.78 Selon le point 21 de l'arrêt de la CJCE du 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff.

6 et 7-73, Rec. I. 223 : « la décision attaquée n'envisage le marché de l'éthambutol qu'afin de déterminer les effets du comportement visé ; que si un tel examen est de nature à permettre une meilleure appréciation des effets de l'infraction alléguée, il est cependant sans relevance en ce qui concerne la détermination du marché à prendre en considération pour la constatation d'une position dominante ».

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En l'espèce, la Cour de Justice considéra que la substituabilité des produits ( le peroxyde

de benzoyle pouvait s'utiliser sur le marché des péroxydes organiques pour plastique et

sur le marché des additifs de farine ), ainsi que l'affirmation par un cadre de la société

que le comportement d'Akzo Chemie était destiné non pas à renforcer la position de la

société sur le marché des additifs de farine mais bien de maintenir sa position dominante

sur le marché des péroxydes organiques pour plastique, suffisaient à considérer que le

marché en cause pour l'appréciation d'une position dominante était non pas le marché

sur lequel avait eu lieu l'abus, mais bien sur le marché pour lequel la pratique avait été

réalisé.

Ainsi, la Cour de Justice confirme la décision de la Commission, qui s'était alors appuyé

sur la jurisprudence Continental Can79, et Hoffman La Roche80 pour déclarer que le lien

de causalité entre la pratique abusive et la position dominante était sans intérêt dans

l'hypothèse d'un renforcement d'une position dominante.

Il s'ensuivait alors, selon la décision de la Commission Européenne dans l'affaire Akzo,

qu' « une position dominante détenue sur un marché pouvait être exploitée abusivement

par un comportement adopté sur un marché différent de celui où la position dominante

est détenue (tel qu'un sous-marché spécialisé ou un marché connexe) »81.

L'arrêt Akzo est essentiel en ce qu'il affirme que le marché en cause pour la qualification

d'abus ne s'apprécie non pas comme le marché où les pratiques ont été relevées, mais

qu'il est constitué par le marché pour qui les pratiques mises en œuvre bénéficient.

Ainsi, la volonté de l'opérateur de renforcer sa position dominante en mettant en œuvre

des pratiques sur un marché distinct permet de qualifier ce comportement d'abus de

position dominante.

79 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.80 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.81 Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff. 85/609/CEE,

Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985, point 85.

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Cette première consécration jurisprudentielle de la qualification d'abus des effets

magnétiques de position dominante a été suivie par une seconde, qui propose une

condition alternative à cette qualification d'abus.

2. La nécessité d'un lien de connexité entre le marché distinct et le marché dominé :

arrêt Tetra Pak

L'arrêt Tetra Pak du 14 novembre 199682 consacre la seconde condition alternative à la

qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet magnétique : celle de

constater le lien de connexité entre le marché distinct où est commis l'abus, et le marché

dominé de l'opérateur qui les a mis en œuvre.

En l'espèce, Tetra pak détenait une position dominante sur les marchés aseptiques tant

des machines que des cartons d'emballage, mais partageait le marché des machines et

des cartons non aseptiques avec plusieurs autres concurrents.

Un de ces derniers lui reproche alors d'avoir procédé à des pratiques commerciales

constitutives d'un abus de position dominante sur les marchés non aseptiques83.

La différence avec l'affaire Akzo est qu'ici les pratiques mises en œuvre ne bénéficiaient

pas à la position dominante de Tetra Pak. Elles ne produisaient des effets que sur les

marchés non-aseptiques, et en cela, ne pouvait pas être considérée comme un

renforcement de position dominante.

La Commission considère alors que dans le contexte de la présente espèce, les pratiques

mises en oeuvre par Tetra Pak sur les marchés non aseptiques sont susceptibles de

relever de l'article 86 du traité sans qu'il ne soit nécessaire d'établir l'existence d'une

position dominante sur ces marchés pris isolément, dans la mesure où la prééminence de

cette entreprise sur les marchés non aseptiques, combinée avec les liens de connexité

82 CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak contre Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I, p. 5961.83 Parmi ces griefs figurent des ventes de cartons à des prix prédatoires, l' imposition de conditions

déloyales à la fourniture de machines de remplissage ainsi que la vente de ce matériel à des prix prédatoires.

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étroits entre ces marchés et les marchés aseptiques, conférait à Tetra Pak une

indépendance de comportement par rapport aux autres opérateurs économiques présents

sur les marchés non aseptiques. Cette indépendance de comportement était de nature à

justifier la responsabilité particulière de Tetra Pak, et ainsi de faire relever ses pratiques

de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

Ce qui est remarquable dans l'arrêt Tetra pak rendu en octobre 199484, c'est que la

juridiction déclare expressément que l'article 86 du traité ne contient aucune condition

explicite à la localisation de l'abus, et qu'il convient donc de s'en remettre aux finalités

poursuivies par le Traité.

Celles-ci se concrétiseraient par la fameuse « responsabilité particulière » dégagée dans

l'arrêt Michelin85 : celle de de ne pas porter atteinte par son comportement à une

concurrence effective et non faussée dans le marché commun. Ainsi, l'arrêt le Tribunal

de Première Instance des Communautés Européennes affirme que « le champ

d'application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise en

position dominante doit donc être apprécié au regard des circonstances spécifiques de

chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence »86.

La vision ordo-libérale de la politique de concurrence originelle ressort ainsi très

distinctement du raisonnement téléologique dégagé par la Cour de Justice de l'Union

Européenne.

La Commission pose donc une exception au principe selon lequel l'article 102 du Traité

de Lisbonne présuppose l'existence d'un lien entre la position dominante et le

comportement prétendument abusif, qui n'est normalement pas présent lorsqu'un

comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même

marché.

84 TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755.85 TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003, II, p. 4071.86 TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755, point 115.

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Cette exception consiste à relever une indépendance de comportement de l'opérateur sur

le marché distinct, qui signifierait concrètement l'extension de la position dominante de

l'opérateur sur ce dernier marché. Les Autorités de la concurrence n'admettent pas pour

autant cette requalification de la position dominante et admettent seulement la

« prééminence » de l'opérateur sur le marché distinct.

Néanmoins cette prééminence est déduite du lien de connexité entre les marchés de telle

sorte que l'opérateur puisse être en mesure de prévoir que son comportement peut

relever de l'article 102 du Traité, sans que ne soit portée atteinte à la sécurité juridique87.

Finalement, il faudra retenir de l'admission d'abus fondé sur un effet magnétique, que

les critères de la qualification seront choisis en fonction de la localisation des effets de

la pratique.

Si la pratique de l'opérateur affecte seulement le marché non-dominé, alors il sera

nécessaire de démontrer que celui-ci est connexe au marché dominé par l'opérateur. Si

la pratique comporte des effets sur le marché dominé alors que la pratique est dirigée

vers un marché distinct, alors il faudra démontrer que ces effets résultent de la volonté

de l'opérateur en position dominante de maintenir ou de renforcer sa position.

§2. La confirmation jurisprudentielle des circonstances particulières

Il est courant de ne retenir en droit de la concurrence que les arrêts Akzo et Tetra pak

appréhendés précédemment lorsqu'il est question d'effet magnétique de position

dominante. Or, plusieurs jurisprudences postérieures ont eu le mérite de préciser

l'exception des circonstances particulières posées par ces arrêts.

Ainsi la décision de l'Autorité de la concurrence du 28 avril 198788 mettait en exergue

l'avantage que possédait la société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne,

87 Selon le point 229 de l'arrêt du TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755 : « […] en outre, eu égard à sa position sur les marchés concernés et à la gravité des atteintes portées à la concurrence, la requérante ne pouvait manquer d'avoir conscience d'enfreindre l'interdiction énoncée à l'article 86 du traité ».

88 Cons. Conc., 28 avril 1987, SNMP, décision n°87-D-8, BOCCRF 15 mai 1987, Recueil Lamy, n°277, Rev. Conc. Consom . 1987, n°39, p.74, étude Pantz.

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caractérisé par sa relation avec la Commission d'Organisation de la Vente, qui lui

permettait de faire pression sur des candidats à l'agrément ou des détaillants pour qu'ils

se dotent de mobiliers.

En l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait déduit le lien entre le marché de la presse,

dominé par la Société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne, et le marché du

mobilier d'agencement, non-dominé, des pouvoirs que cette société détenait dans

l’instruction des dossiers de création ou de mutation des diffuseurs pour exercer des

pressions sur les points de vente candidats à l’agrément.

La décision de l'Autorité de la concurrence du 21 octobre 199789, « Pompes funèbres de

Gonesse », retient, lui, « la position prééminente » de l'opérateur sur le marché des

prestations funéraires, qui permet de qualifier d'abus de position dominante l'insertion

de clause de non-concurrence excessive dans les contrats de mandats, et cela même si

l'opérateur est en position dominante seulement sur le marché de l'activité de chambre

funéraire en île de France.

On retiendra ici que la pratique commise sur un marché plus étendu géographiquement

que le marché dominé par l'opérateur peut relever d'un abus de position dominante, en

vertu de la connexité des marchés.

Finalement, dans la décision de l'Autorité de la concurrence du 5 mars 2001, « Société

Française des Jeux »90, les circonstances particulières nécessaires à la qualification

d'abus d'un effet magnétique se caractérisaient par le lien de connexité entre le marché

dominé par l'opérateur et le marché distinct où les effets de la pratique s'étaient fait

ressentir. Néanmoins, ce lien de connexité n'était pas déduit objectivement par la

proximité entre le marché dominé et le marché distinct, mais était déduit du

comportement de l'opérateur en position dominante, qui avait procédé au financement

abusif de sa filiale91.

89 Cons. Conc., 21 octobre 1997, Pompes funèbres de Gonesse, décision n°97-D-76, rapport d'activité annuel 1997 p.86.

90 Cons. Conc., 5 mars 2001, Française des jeux, décision n°00-D-50, BOCCRF 24 avril 2001, p. 343, Recueil Lamy, n°849, comm. Grall J.-C.

91 Selon l'arrêt précité : « lorsque les pratiques consistent en l’application sur le marché concurrentiel de prix bas rendus possibles par des transferts de ressources provenant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur le marché dominé par l’auteur des subventions, l’existence de la relation de

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Nous avons donc pu constater une grande stabilité des tenants de la jurisprudence Akzo

et Tetra Pak au sein de la jurisprudence postérieure. Les aménagements à la

qualification d'abus des effets levier sont donc admis et pérennisés.

Il convient désormais de constater que même si a priori ces innovations

jurisprudentielles semblent salutaires, en réalité la prise en compte des effets

magnétiques est entravée par un grave juridisme prégnant en droit de la concurrence.

Cette rigueur juridique affecte alors significativement l'efficacité des avancées

jurisprudentielles qui avaient été réalisées jusqu'alors.

Section 2. Un assouplissement entravé par un juridisme infertile

D'après nos constatations précédentes, le droit de la concurrence se serait ouvert à la

poursuite des effets magnétiques des positions dominantes grâce à la discrétion de la

jurisprudence. Or, l'une des caractéristiques de la jurisprudence s'apprécie comme son

instabilité et ses possibilités de revirements.

Ainsi, si l'acquis jurisprudentiel que nous avions appréhendé avait pu nous convaincre

d'un assouplissement dans la qualification d'abus des effets magnétiques des positions

dominantes, cette ouverture a pu considérablement se rétrécir au cours de la fameuse

affaire GlaxoSmithKline ( §1 ). Nous mettrons alors en exergue à la fin de l'analyse de

cette dernière jurisprudence la relativité de la prise en compte des effets magnétiques de

position dominante, qui s'opère selon nous au détriment de tout réalisme économique

( §2 ).

causalité entre les pratiques et la position dominante s’induit du seul comportement de l’entreprise dominante ; qu’en d’autres termes, cette dernière, par le financement abusif de l’activité concurrentielle, établit elle-même un lien de connexité entre les deux marchés ».

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§1. La restriction des effets magnétiques dans l'affaire GSK

L'affaire GlaxoSmithKline ( GSK ) et notamment l'arrêt de Cour de cassation en date du

17 mars 200992, marque le premier refus par les Autorités de concurrence de caractériser

un abus fondé sur un effet magnétique de position dominante, contre le raisonnement de

l'Autorité de la concurrence. Il s'agit d'une jurisprudence de droit interne, mais qui met

en œuvre le droit européen93, conformément au règlement du 16 décembre 2002,

n°1/2003/CE, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues à l'article 101

et 102 du traité par les juridictions nationales.

L'appréhension de l'affaire GSK sera scindée en deux étapes, qui mettront en évidence

les différentes perspectives des juridictions intervenues. Tout d'abord nous relèverons la

condamnation de GSK dans la décision de l'Autorité de la concurrence du 14 mars 2007

( 1 ) puis nous constaterons la relaxe opérée par les juridictions de contrôle ( 2 ).

1. La condamnation de GSK par l'Autorité de la concurrence

Le laboratoire GlaxoSmithKline a été poursuivi dès le 21 juillet 2000 par l'Autorité de

la concurrence pour avoir mis en œuvre des prix prédateurs sur un marché non dominé,

dans le but de se construire une « réputation d'agressivité ». Celle-ci était destinée à

dissuader les concurrents présents sur un marché non-dominé de pénétrer le marché

dominé de l'opérateur.

Le laboratoire GlaxoSmithKline possédait une position dominante sur le marché de

l'aciclovir injectable, qui constituait un médicament « princeps » et qui était protégé par

un brevet détenu par GSK mais expiré en mai 1999, et qui était commercialisé sous le

nom de « Zovirax injectable ». Le laboratoire était également présent sur le marché du

92 Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs. Chevrier E. et D. 2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20, n°1404, obs. V. S., Rapport de cassation pour 2009 p.405.

93 L'Autorité de la concurrence a en effet appliqué l'article L420-2 du Code de commerce, mais aussi l'article 82 du Traité CE, devenu 102 du TFUE dans sa décision du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D-09, rapport d'activité annuel 2007 p.90.

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Céfuroxime sodique grâce à son « Zinnat injectable », sans pour autant y détenir cette

fois de position dominante.

Le brevet du Zovirax injectable arrivait à expiration, et GSK s'inquiétait de l'arrivée de

nouveaux concurrents sur le marché de l'aciclovir. Le laboratoire mis donc en place sur

le marché du Céfuroxime une pratique de prix bas, en y vendant de 1999 à 2000 le

Zinnat injectable à un prix inférieur à son prix d'achat et en remportant ainsi la quasi-

totalité des appels d'offre d'établissements hospitaliers.

L'Autorité de la concurrence qualifie alors cette pratique de prédation par construction

d'une réputation94.

Pour condamner GlaxoSmithKline à une amende de 10 millions d'euros pour prédation,

l'Autorité de la concurrence fonde son raisonnement sur une impressionnante analyse

économique, où il retient d'abord le « test de coût » inhérent à toute pratique de

prédation, puis relève une stratégie de prédation de l'opérateur.

Cette affaire possédait des liens avec la jurisprudence Akzo95, qui pour la qualification

d'abus de l'effet magnétique, avait exigé de démontrer en quoi la pratique constatée sur

le marché connexe était de nature à protéger ou à renforcer la position de l’auteur de la

pratique sur le marché dominé.

Ainsi, pour retenir en l'espèce un renforcement de position dominante de l'opérateur

GSK, conformément à la jurisprudence Akzo, l'Autorité de la concurrence retient que les

marchés concernés sont tous des marchés hospitaliers, avec en conséquence, une

94 Selon le point 257 de la décision précitée, la réputation par réputation ou par signal est : « celle dans laquelle le prédateur cherche à se bâtir une réputation d'agressivité. Typiquement, il s'agit d'une situation dans laquelle le prédateur est soumis à la menace d'entrée de plusieurs concurrents sur des marchés différents (soit des marchés successifs, soit des marchés de produits distincts). Il choisit l'un d'entre eux et se comporte sur celui-ci de manière très agressive en tarifant en dessous de ses coûts. Observant cette agressivité, et pourvu, là encore, que la crédibilité du message soit assurée, les concurrents potentiels s'abstiendront d'entrer sur les autres marchés, redoutant un comportement identiquement agressif du prédateur ».

95 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.

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identité de demandeurs et une identité d'offreur (GSK France). L'Autorité de la

concurrence s'appuie surtout sur le critère de la clientèle retenue par la jurisprudence

Tetra Pak96. Selon lui, en effet, « le même acheteur (l’hôpital ou le groupement d’achat)

qui s’approvisionne en médicaments, est un indice de cette connexité »97.

L'Autorité relève encore le lien opéré par laboratoire GSK entre les deux médicaments

lorsqu’il a proposé des remises liant les prix du Zinnat injectable à l’achat du Zovirax

injectable.

Finalement, l'Autorité de la concurrence retient le paradoxe selon lequel le laboratoire

GlaxoSmithKline a choisi d’être agressif sur un marché à faible enjeu financier et

accommodant sur celui à fort enjeu financier. Ce paradoxe s'explique alors selon

l'Autorité par la mise en oeuvre par GlaxoSmithKline d’une politique de prédation par

réputation.

La simplicité des éléments mis en exergue par l'Autorité de la concurrence dans son

raisonnement peut se comprendre du fait qu'elle retient de l'arrêt Tetra Pak du 14

novembre 199698 une facilité de consacrer le lien de connexité. L'Autorité de la

concurrence explique en effet que selon cette jurisprudence, un tel lien peut être

également prouvé par la simple démonstration d’effets anticoncurrentiels sur le marché

connexe, du fait d’une ou de plusieurs position dominante99.

Finalement, sans analyser le raisonnement économique tenu par l'Autorité de la

concurrence, la prédation mise en œuvre par GlaxoSmithKline possédait des effets sur

96 Selon le point 29 de l'arrêt de la CJCE du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I, p. 5961 : « le fait que les différents matériels soient utilisés pour le conditionnement des mêmes produits liquides de base fait apparaître que les clients de Tetra Pak dans un secteur sont aussi des clients potentiels dans l’autre ».

97 Selon le point 272 de la décision du Cons. Conc. du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D-09, rapport d'activité annuel 2007 p.90.

98 CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. CJCE 1996, I, p. 5961.99 Selon le point 271 de la décision du Cons. Conc. du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D-

09, rapport d'activité annuel 2007 p.90 : « la constatation de l’ensemble de ces éléments permet de déduire l’existence d’un lien de connexité suffisant au regard des critères posés par l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes Tetra Pack du 14 novembre 1996 ».

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les marchés qui avaient pu être mesurés.

Ces effets étaient directs, et indirects selon l'Autorité de concurrence, qui précise bien

que la pratique de prédation, pour être abusive, ne nécessite pas de relever des effets

concrets car ceux-ci peuvent seulement être potentiels.

En l'espèce donc, l'Autorité de la concurrence avait constaté, d'une part, sur le marché

non dominé où la pratique de prédation avait eu lieu, que plusieurs des concurrents

n'étaient pas entrés sur le marché de du céfuroxime sodique alors que ceux-ci avaient

obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché en 2004. Il s'agissait des opérateurs Teva

et Merck.

D'autre part, sur le marché dominé, celui de l'aciclovir, l'Autorité de la concurrence

remarquait que bien que de nouveaux laboratoires avaient proposé des génériques sur le

marché de l'aciclovir, la part de marché du laboratoire GSK demeurait élevée, en dépit

de l'expiration de ses droits intellectuels sur le princeps.

De plus, beaucoup de laboratoires ayant obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché

ne sont pas entrés sur le marché de l'aciclovir. Sur 13, seulement 5 sont entrés, tout en

n'y disposant que de faibles parts de marché.

Un des laboratoires qui avait obtenu une des autorisations et s'était ravisé à entrer sur le

marché de l'aciclovir, déclarera que « Les raisons pour lesquelles le laboratoire

Panpharma décide de demander une AMM et donc de rentrer sur un marché tiennent à

l’existence du marché, c’est-à-dire à sa taille, aux volumes qu’il est possible de réaliser.

Parmi les indicateurs qui éclairent le choix de la décision finale [de ne pas pénétrer le

marché ], le prix de vente pratiqué les années avant la fin du brevet, par le laboratoire

titulaire du brevet, est bien entendu déterminant. Si le prix est trop bas, il est dissuasif.

Bien évidemment nous anticipons sur les évolutions de ce prix ».

L'Autorité de la concurrence en conclura que « l'anticipation » de ce laboratoire des prix

du Zovirax qui l'a donc dissuadé de rentrer sur le marché, constitue un effet de la

réussite de la pratique de prédation par réputation mise en œuvre par GlaxoSmithKline.

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Or, malgré tous les efforts de l'Autorité de la concurrence dans sa démonstration, les

juridictions de contrôle ont cassé ce raisonnement.

2. La relaxe d e GSK par les juridictions de contrôle

Toute la difficulté de condamner la pratique de prédation de GlaxoSmithKline résidait

dans la démonstration que la pratique possédait bien un lien avec la position dominante.

En dehors de cette caractéristique, la qualification de la pratique de prédation passe par

le fameux « test de coût » mis en œuvre dans l'arrêt Akzo100. Il s'agit de comparer entre

les prix pratiqués pendant la période alléguée de prédation et les coûts exposés par

l'entreprise pour fournir le produit ou le service vendu. A la fin de cette analyse, soit il

est constaté que le prix pratiqué par l'entreprise dominante est inférieur au coût moyen

variable, soit il est constaté le prix pratiqué est compris entre le coût variable et le coût

moyen complet.

Dans le premier cas, la présomption que l'entreprise dominante a fait ce sacrifice en vue

d'évincer les concurrents qu'elle cherchait à éliminer est établie, et dans le second, il

incombe à l’autorité de concurrence de démontrer que la politique de prix de

l’entreprise s’inscrit dans une stratégie d’éviction.

Bien sûr l'entreprise peut toujours apporter des justifications à son comportement pour

éviter la qualification de pratique de prédation.

En l'espèce, l'Autorité de la concurrence, approuvée par la Cour d'appel de Paris dans

son arrêt du 8 avril 2008101, a considéré que le laboratoire GlaxoSmithKline avait bien

pratiqué des prix inférieurs au coût moyen variable du Zinnat injectable. Il existait donc

une présomption selon laquelle le comportement de l'opérateur constituait une

prédation.

100Selon les points 71 et 72 de l'arrêt Akzo de la CJCE du 3 juillet 1991, Akzo contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359 : « des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (ceux qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs ».

101CA Paris, 8 avril 2008, n°RG : 2007/07008.

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Néanmoins, du fait que les pratiques aient été relevées sur un marché distinct de la

position dominante de l'opérateur, il fallait au surplus démontrer en quoi la pratique

constatée sur le marché connexe était de nature à protéger ou renforcer la position de

l’auteur de la pratique sur le marché dominé, selon la jurisprudence Akzo.

Ainsi, lorsque le laboratoire GlaxoSmithKline forme un appel contre la décision de

l'Autorité de la concurrence, la Cour d'appel ne sanctionne pas le test de coût opéré par

ce dernier mais souligne que l'imputation d'une pratique de prédation au laboratoire

GlaxoSmithKline pose problème.

Tout d'abord, les liens entre le marché de l'aciclovir et du céfuroxime sodique restent

limités à des caractéristiques générales des marchés concernés et aucun élément ne

permet de démontrer un lien, pourtant nécessaire, entre les pratiques du laboratoire

GlaxoSmithKline et une stratégie d'éviction par réputation d'agressivité.

Une telle pratique est d'ailleurs destinée à dissuader par signal les concurrents d'entrer

sur le marché dominé de l'opérateur. Or, la Cour d'appel de Paris relève que les

concurrents de GlaxoSmithKline sur le marché dominé de l'aciclovir mais absents du

marché du céfuroxime où ont été relevées les pratiques, ne pouvaient être informés

immédiatement des pratiques et du « message » de GSK.

Quant à Panpharma et Ggam, deux concurrents de GlaxoSmithKline qui étaient

présents sur le marché du céfuroxime et qui envisageaient d'entrer sur le marché de

l'aciclovir, la Cour d'appel retient que la déclaration du dirigeant de PanPharma sur

laquelle l'Autorité de la concurrence avait pris appui, ne fait pas référence au

comportement de GSK sur le marché du céfuroxime sodique. Cette déclaration est donc

trop indirecte pour être pertinente. Quant à Ggam, la Cour d'appel de Paris retient que

celui-ci était bien entré sur le marché de l'aciclovir, même s'il en était sorti rapidement

pour des raisons inconnues.

Finalement, la Cour d'appel relève que 3 fabricants de génériques avaient pénétré le

marché de l'aciclovir.

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Le raisonnement de la Cour d'appel de Paris est très strict. La juridiction contredit

chaque argument développé par l'Autorité de la concurrence et en envisage de nouveaux

en faveur du laboratoire GlaxoSmithKline.

La Cour de cassation approuvera le raisonnement de la Cour d'appel dans son arrêt du

17 mars 2009102. Selon elle, il n'existe pas de circonstances particulières de nature à

établir un lien entre le comportement de la société GSK sur le marché non dominé et la

position dominante détenue par cette société sur l'autre marché, à l'appui de la

jurisprudence Akzo et de la jurisprudence Tetra Pak.

Ainsi, la décision de l'Autorité de la concurrence est cassée, et le laboratoire

GlaxoSmithKline échappe à une amende de 10 millions d'euros.

Il faut désormais tirer les leçons des arrêts GlaxoSmithKline, qui révèle une certaine

indifférence du droit de la concurrence à l'égard des effets magnétiques de position

dominante.

§2. La prise de conscience d'une absence d'innovation

Nous allons désormais nous attacher à relativiser la prise en compte des effets

magnétiques de position dominante par le droit de la concurrence, en tirant toutes les

constatations possibles des jurisprudences précédentes qui semblaient consacrer cette

ouverture, mais qui, en réalité, ne jouent qu'un rôle relatif.

La jurisprudence GlaxoSmithKline sert au plus haut point cette analyse.

La jurisprudence Tetra Pak et Akzo, que nous avons d'ores et déjà appréhendées,

semblent consacrer deux conditions alternatives à la qualification d'abus d'effet

magnétique des positions dominantes. Cette impression est renforcée à la lecture d'un

des attendus de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2009 sur l'affaire

102 Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs. Chevrier E. et D. 2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20, n°1404, obs. V. S., Rapport de cassation pour 2009 p.405.

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GlaxoSmithKline. Ce dernier mérite d'être reproduit :

« Mais attendu que les articles L. 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE

présupposent l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement

prétendument abusif qui n'est normalement pas présent lorsqu'une pratique abusive est

mise en œuvre sur un marché distinct du marché dominé ; que ces dispositions peuvent

cependant trouver application notamment lorsque l'autorité de concurrence démontre

l'existence de circonstances particulières telles celles relevées par la Cour de justice

des Communautés européennes (arrêt du 3 juillet 1991, Akzo Chemie BV, C-62/86,

points 35 à 45) établissant que c'est pour renforcer sa position dominante sur un

marché qu'une entreprise a mis en oeuvre une pratique abusive sur un marché distinct

qu'elle ne domine pas, ou telles celles relevées par la même Cour (arrêt du 14

novembre 1996, Tetra Pak International, C-333/94, points 21 à 33) démontrant que des

marchés présentent des liens de connexité si étroits qu'une entreprise se trouve dans une

situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble des

marchés en cause »

Ainsi, le choix entre plusieurs critères aux fins de la qualification d'abus de l'effet

magnétique de position dominante est avantageux, et constitue la preuve d'une prise en

compte sérieuse des effets magnétiques.

Or, en réalité, les circonstances particulières relevées dans l'arrêt Tetra Pak et celles

relevées dans l'arrêt Akzo tendent à se confondre. Il n'existe en effet aucun choix dans

les critères à mettre en œuvre aux fins d'une qualification d'abus d'effet magnétique.

Le seul véritable critère est donc celui de la connexité des marchés, et la seule

distinction notable entre les circonstances particulières relevées dans l'arrêt Tetra Pak et

Akzo consistent dans la localisation des effets du comportement.

En effet, nous aurions pu penser que la démonstration d'un renforcement de position

dominante pour qualifier d'abus la pratique commise sur un marché distinct de la

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domination se détacherait de la preuve d'un lien de connexité entre les deux marchés en

cause.

Selon notre raisonnement, la circonstance particulière dégagée de l'arrêt Akzo pour la

qualification d'abus de l'effet magnétique de la position dominante devait être rapportée

en apportant par tous moyens la preuve que la pratique possédait un lien avec la position

dominante, et non pas le marché dominé.

Or, les jurisprudences postérieures à l'arrêt Akzo ont pourtant procédé à la démonstration

du renforcement de position dominante opérée par la pratique réalisée sur le marché

distinct par la preuve d'un lien de connexité entre le marché distinct et le marché

dominé.

La preuve d'un renforcement de position dominante ne pourrait donc être rapportée en

pratique que par la démonstration d'un lien de connexité satisfaisant entre le marché

dominé et le marché distinct. Il nous semble qu'il s'agit là d'un raisonnement contraire

aux tenants de la jurisprudence Continental Can103, qui affirme que le renforcement de

position dominante est interdit, quels que soient les moyens employés à cet effet. Cet

arrêt semblait en effet considérer cette pratique comme fondamentalement contraire à la

politique de concurrence, ce qui nous laisse supposer que la démonstration de ce

comportement ne peut se limiter à la preuve d'un seul lien de connexité entre un marché

dominé et un marché distinct.

Finalement, les circonstances exceptionnelles énoncées dans les arrêts Tetra Pak et Akzo

trouvent rapidement leurs limites dans la contestation des liens de connexité entre le

marché dominé et le marché où les pratiques ont été localisées.

Les relations entre le marché distinct et le marché dominé sont en effet appréciées très

strictement. Ainsi la Cour d'appel de Paris ainsi que la Cour de cassation ont cassé le

raisonnement soutenu par l'Autorité de la concurrence dans l'affaire GlaxoSmithKline en

balayant chacun de ses arguments, en dépit du large faisceau d'indice que ces derniers

constituaient.

103 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.

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Or, si nous pouvons admettre que le raisonnement tenu par l'Autorité de la concurrence

dans l'affaire GSK quant aux liens de connexité entre le marché dominé et le marché

distinct pouvait être renversé, et ce malgré la somme de ces arguments, l'analyse

économique de l'Autorité était, elle, incontestable.

Le test de coût mis en œuvre par l'Autorité de la concurrence avait révélé une

présomption de prédation. Ces résultats avaient d'ailleurs été approuvés par la Cour

d'appel de Paris et la Cour de cassation.

Ainsi, la rigueur juridique l'a emporté sur l'analyse économique alors que la politique et

le droit de la concurrence tendent à se sensibiliser d'une approche par les effets.

En tout état de cause, la mise en œuvre d'une pratique de prédation sur un marché

distinct du marché dominé se justifie au regard de l'intérêt financier de l'opérateur. Ainsi

la protection d'une position dominante par la mise en oeuvre de prix prédateurs sur le

marché dominé constitue une hypothèse coûteuse pour l'opérateur.

Au contraire, la mise en œuvre de telles pratiques sur un marché connexe à celui de la

position dominante et qui est plus étroit, permettra d'envoyer des signaux aux

concurrents potentiels à moindre coût. Ce raisonnement ce tient au regard de l'ampleur

du sacrifice de l'opérateur sur le marché dominé, sur lequel les quantités vendues sont

plus importantes que sur le marché connexe.

Or, de toute évidence les critères mis en œuvre par les juridictions dans la qualification

de l'abus fondé sur effet magnétique sont trop stricts dans l'hypothèse d'une prédation.

Ces critères exigent en effet la démonstration d'un fort lien de connexité entre la

position dominante et le marché distinct alors que l'opérateur évite justement de

sacrifier un marché à fort enjeu financier, et donc, proche de sa domination.

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Il faudra retenir qu'un abus de position dominante ne peut être caractérisé que pour des

pratiques commises sur un marché dominé, ou selon des circonstances telles que les

pratiques relèvent de la position dominante de l'opérateur sur son marché dominé.

Ainsi, l'avancée jurisprudentielle des affaires Tetra Pak et Akzo reste relative, car elle

était prévisible. Elles reflètent seulement une des facettes de la réalité économique des

positions dominantes, dont le droit de concurrence pouvait sans trop de difficulté se

saisir.

En cela, il n'existe aucune réelle innovation dans la prise en considération des effets

magnétiques des positions dominantes, puisque ceux appréhendés par le droit de la

concurrence constituent en pratique des abus de position dominante quasi-

ordinaires. Seule la notion de marché complexifie l'analyse des Autorités de

concurrence et rend ces abus originaux.

Nous conclurons cette partie en affirmant que les « circonstances exceptionnelles » qui

permettent de qualifier d'abus un effet magnétique de position dominantes n'en sont pas,

et qu'il s'agit pour les juridictions de redonner seulement la juste appréhension des

marchés, en admettant concrètement une extension légitime de la position dominante.

Il faut espérer cependant que la nouvelle analyse économique des Autorités de la

concurrence puisse réaffirmer la consécration d'abus fondés sur des effets magnétiques,

mais ces espoirs paraissent vains du fait que cette méthode repose sur le temps et de

l'argent qui manquent à nos juridictions.

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CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

Les effets magnétiques des positions dominantes ont reçu un certain écho auprès de la

politique et droit de la concurrence, qui à l'origine, ne les envisageaient pas.

Ce phénomène a pu s'appuyer, pour être appréhendé par le droit de la concurrence, sur

quelques jurisprudences qui avaient développé des conceptions larges de la notion

d'abus.

L'effet magnétique des positions dominantes a même connu des aménagements

jurisprudentiels spéciaux, réalisés lors de la découverte de ce phénomène par les

Juridictions.

Au fur et à mesure de la découverte de ces situations, la qualification d'abus des effets

magnétiques de position dominante s'est pérennisée, et installée.

Néanmoins, l'ouverture apparente du droit de la concurrence à la prise en compte des

effets magnétiques de position dominante est en réalité strictement contrôlée.

L'effet magnétique de l'opérateur en position dominante n'est en effet appréhendé qu'à la

condition que l'opérateur possède un degré d'indépendance dans son comportement,

sur le marché sur lequel il a réalisé ses pratiques anticoncurrentielles.

Ainsi, nous pouvons considérer que les effets magnétiques des positions dominantes ne

sont réellement condamnés que lorsque le marché sur lequel le comportement est

localisé, est assimilable au marché dominé de l'opérateur. Ce dernier doit en effet

détenir une déformation de position dominante, que la jurisprudence considère comme

un état de « prééminence ».

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Il existe donc une grande rigueur juridique dans l'appréhension du phénomène des effets

magnétiques des positions dominantes, qui supplante la réalité économique de ce

phénomène, comme l'a démontré l'affaire GlaxoSmithKline.

Finalement, nous pourrons retenir qu'à l'heure d'aujourd'hui, les effets magnétiques de

position dominante sont réellement considérés par le droit et la politique de concurrence

à la condition que l'effet magnétique, c'est à dire l'attirance irrésistible de la pratique à la

domination, soit avéré et incontestable.

Il faut donc en conclure que tous les effets magnétiques des positions dominantes ne

sont pas pris en compte par notre droit de la concurrence, et que l'opérateur en position

dominante peut être considéré comme un concurrent banal, malgré les ressources de son

pouvoir de marché.

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CONCLUSION

La qualification d'abus des comportements d'opérateurs en position dominante suppose

que ces derniers soient en situation de position dominante.

L'incrimination de ces comportements nécessite également que la pratique de l'opérateur

se rapporte à cette position dominante.

L'étude sur l'influence des positions dominantes nous démontre en effet que

l'appréhension des effets levier et magnétiques de position dominante par la politique et

droit de la concurrence est subordonnée à l'existence d'un lien de connexité entre le

marché dominé et le marché distinct.

Or, un la mise en œuvre d'un tel critère peut servir d'obstacle à une qualification d'abus

de position dominante.

Nous pensons donc que les Autorités de concurrence ne doivent pas s'attacher à une

analyse trop juridique du marché, déconnectée de la réalité économique. Cette difficulté

devrait être en effet se soumettre à un droit de la concurrence téléologique.

Finalement, il est assez paradoxal de constater que la prise en compte des effets levier

est relativisée par la nouvelle approche économique des Autorités de concurrence, alors

que cette nouvelle analyse, appliquée aux effets magnétiques de position dominante,

ouvrirait pour ces derniers la qualification d'abus.

En effet, l'approche per se des abus de position dominante garantissait la condamnation

des effets levier de position dominante par les Autorités de concurrence.

Or, cette méthode est aujourd'hui remplacée progressivement par une analyse

économique insufflée par le droit américain de la concurrence, qui tend à combattre la

certitude de la nocivité de la pratique que présumait la réunion des critères objectifs

d'abus.

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D'autre part, les abus fondés sur un effet magnétique de position dominante ne

pouvaient être caractérisés du fait de leur incapacité à réunir tous les critères objectifs de

l'abus. Or, la supplantation de l'approche objective d'abus par la nouvelle analyse fondée

sur les effets permettrait d'élargir la qualification d'abus aux effets magnétiques.

Or, dans l'état actuel de la politique et du droit de la concurrence, l'approche par les

effets ne peut supplanter l'analyse juridique des Autorités, par manque de temps et de

moyens analytiques et financiers.

Il existe donc un « double filtre » à la qualification d'abus, qui affecte évidemment

l'appréhension des effets leviers et magnétiques des positions dominantes.

Cette multiplication de contrôle rend effectivement plus difficile la condamnation des

interactions de la position dominante avec les marchés non-dominés, qui n'a, pour le

surplus, jamais été aisée.

Il faut craindre en effet que la modernisation de la politique de concurrence, loin de

rendre plus accessible le droit de la concurrence, va complexifier davantage les grilles

d'analyse des Autorités de la concurrence.

Nous admettrons finalement que l'effet magnétique des positions dominantes et l'effet

levier constitue des phénomènes inversés. Ils n'ont donc pas les mêmes finalités et la

même nocivité.

Or, le point central de la prise en compte de l'influence des positions dominantes sur les

marchés non-dominés par la politique et droit de la concurrence, demeure bien la

constatation ou non d'une nocivité de ces pratiques sur les marchés, au détriment in fine

du consommateur.

Il importe donc que ces pratiques connaissent de telles conséquences. L'effet levier est

relativement considéré comme néfaste pour la concurrence, et cela même au regard

d'un bilan concurrentiel intervenant en sa faveur.

La mise en œuvre d'un effet magnétique constitue, elle, la pratique qui pose le plus de

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doute quant à l'affectation qu'elle entraîne sur le marché. En effet, si la pratique est mise

en œuvre sur un marché non-dominé par l'opérateur, il est logique de croire que cette

pratique sera aussi efficace que si un autre concurrent du marché l'avait réalisée.

Or, la pratique d'éviction constitue ici la contre-hypothèse la plus pertinente. La

Commission dans sa communication du 24 février 2009 sur les orientations retenues

pour la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union

Européenne aux pratiques d'éviction, déclare justement qu'« il peut être plus aisé pour

l'entreprise dominante d'adopter un comportement prédateur en ciblant sélectivement

certains clients au moyen de prix peu élevés, car cela lui permettra de limiter ses

pertes »104. Ainsi la Commission reconnaît indirectement que la mise en œuvre d'une

pratique de prédation sur un marché distinct de celui de la domination sera préférée par

l'opérateur à une prédation mise en œuvre sur le marché dominé.

Or les pratiques de prédations constituent une des pratiques d'éviction les plus

dangereuses, pour les concurrents mais surtout pour les consommateurs, qui à terme,

constate la ré-augmentation des prix.

Ainsi, si les marchés non-dominés constituent un terrain idéal pour la mise en œuvre de

telles pratiques, il ne peut être admis que les effets magnétiques de position dominante

connaissent des conséquences résiduelles.

Pour conclure, le contrôle des abus de position dominante est un domaine dans lequel

certaines questions sont encore ouvertes. Il s'agit en effet d'un sujet qui ne suscite qu'un

intérêt relatif pour la doctrine. Néanmoins, le droit de la concurrence est actuellement en

mutation, et la Commission affirme la priorité que doit revêtir l'appréhension des effets

d'éviction.

L'influence des positions dominantes a donc vocation à devenir de plus en plus encadrée

par les Autorités de la concurrence et à soulever encore une pléthore d'interrogations.

104 Selon le point 72 de la Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.

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VI. TABLE CHRONOLOGIQUE DE LA JURISPRUDENCE CITEE

Jurisprudence européenne

Cour de Justice de l'Union Européenne

- CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215

- CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I.

223

- CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p.

207

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- CJCE, 29 juin 1978, BP, Aff. 77/77, Rec. CJCE 1978, p. 1513

- CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec.

CJCE 1979, p. 461

- CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346

- CJCE, 3 octobre 1985, Centre belge d'études de marché contre Compagnie

luxembourgeoise de Télédiffusion, aff. 311/84, Rec. CJCE 2006, I, p. 3261

- CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p.

3359

- CJCE, 6 mars 1995, BPB contre commission, aff. C-310/93 P

- CJCE, 6 avril 1995, Magill/Commission, aff. C-241/91, Rec. CJCE 1995, I, p. 743

- CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I,

p. 5961

- CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner GmbH & Co. KG/Commission, aff. C-7/97,

Rec. CJCE 1998, I, p. 7791

- CJCE, 20 septembre 2003, Atlantic Container Line, point 907, aff. jointes T-191/98 et

T-212/98 à T-214/98, Rec. CJCE 2003, II, p. 3275

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Tribunal de première instance des Communautés Européennes

- TPICE, 12 décembre 1991, Hilti contre Commission, aff. T-30/89, Rec. CJCE 1991, II,

p. 1439

- TPICE, 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, Aff. T65-89,

Rec. CJCE 1993, p. 389

- TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755

- TPICE, 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, Aff. T-229/94, Rec. p. II-1689

- TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar contre Commission, aff. T-228/97, Rec. CJCE

1999, II, p. 2969

- TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris contre Commission, aff. T-128/98, Rec.

CJCE 2000, II, p. 3929

- TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003, II, p.

4071

- TPICE, 23 octobre 2003, Van Den Bergh Foods/Commission, aff. T-65/98, Rec. p. II-

4653

- TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff. T-219/99, Rec.

CJCE 2003, II, p. 5917

- TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE

2007, II, p. 3601

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Commission Européenne

- Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff.

85/609/CEE, Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985

Jurisprudence nationale

Cour de cassation

- Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs.

Chevrier E. et D. 2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20,

n°1404, obs. V. S., Rapport de cassation pour 2009 p.405

Cour d'appel de Paris

- CA Paris, 1ère Ch., 22 février 2005, Decaux, Concurrences, 2-2005, p.54

- CA Paris, 8 avril 2008, n°RG : 2007/07008

Autorité de la concurrence

- Cons. Conc., 28 avril 1987, SNMP, décision n°87-D-8, BOCCRF 15 mai 1987,

Recueil Lamy, n°277, Rev. Conc. Consom . 1987, n°39, p.74, étude Pantz

- Cons. Conc., 21 octobre 1997, Pompes funèbres de Gonesse, décision n°97-D-76,

rapport d'activité annuel 1997 p.86

- Cons. Conc., 5 mars 2001, Française des jeux, décision n°00-D-50, BOCCRF 24 avril

2001, p. 343, Recueil Lamy, n°849, comm. Grall J.-C

- Cons. Conc., 18 mars 2005, Canal + déc. n° 05-D-13, Rapport annuel d'activité 2005

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p. 191

- Cons. Conc., 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D-09, rapport d'activité

annuel 2007 p.90

VII. SITES INTERNET

– Curia.europa.eu

– Europa.eu

– www.autoritedelaconcurrence.fr

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS.......................................................................................................p4

LISTE DES ABREVIATIONS........................................................................................p5

SOMMAIRE....................................................................................................................p6

INTRODUCTION...........................................................................................................p8

Partie I – L'effet levier des positions dominantes.....................................................p13

Chapitre I – Une qualification d'abus de position dominante légitime......p16

Section I – Une qualification en cohérence avec la politique de

concurrence............................................................................................p16

§1. Une lutte politique fondamentale contre les effets leviers...p17

§2. Une lutte politique nuancée par les économistes.................p19

Section II - Une application manifeste de l'article 102 du TFUE..........p21

§1. Confortée par la discrétion du texte formel..........................p21

1. L'exploitation abusive d'une position dominante.......p22

2. La nécessité d'une affectation du marché...................p22

§2. Précisée par la jurisprudence................................................p24

1. L'effet levier fondé sur des ventes liées......................p25

2. L'effet levier fondé sur un refus de contracter............p26

Chapitre II – Une qualification originale d'abus devenue complexe..........p30

Section I – L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la

qualification d'abus................................................................................p30

§1. Admission contestée de l'abus fondé sur un effet levier.......p31

§2. Aménagements opportuns de la notion de marché...............p35

Section II – L'émergence d'une « règle de raison » contrariante...........p39

§1. La nouvelle approche par les effets......................................p40

§2. Les exceptions de défense....................................................p44

1. Les justifications objectives de l'effet levier...............p44

2. Les gains d'efficacité de l'effet levier.........................p46

Partie II – L'effet magnétique des positions dominantes........................................p50

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Chapitre I – Une qualification d'abus de position dominante imprévue....p51

Section I – Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets

magnétiques...........................................................................................p53

§1. Une politique de concurrence entendue restrictivement......p53

§2. Le vecteur de la concurrence par les mérites.......................p57

Section II – Une qualification écartée par le droit de la concurrence....p60

§1. Le phénomène des effets magnétiques ignoré de l'article 102

du Traité.....................................................................................p60

§2. Une jurisprudence indifférente mais accommodante...........p62

1. Une exploitation abusive de la position dominante

tolérante..........................................................................p62

2. Le détour par la notion élargie d'« entreprise »..........p64

Chapitre II – Une qualification d'abus ménagée mais insuffisante............p67

Section I Une admission stricte de la qualification d'abus pérennisée...p67

§1. La consécration de circonstances particulières nécessaires à la

qualification d'abus.....................................................................p68

1. La nécessité d'une volonté de renforcer la position

dominante : Arrêt Akzo..................................................p68

2. La nécessité d'un lien de connexité entre le marché

distinct et le marché dominé : Arrêt Tetra Pak...............p70

§2. La confirmation jurisprudentielle des circonstances

particulières................................................................................p73

Section II – Un assouplissement entravé par un juridisme infertile......p75

§1. La restriction des effets magnétiques dans l'affaire GSK....p76

1. La condamnation de GSK par l'Autorité de la

concurrence....................................................................p77

2. La relaxe de GSK par les juridictions de contrôle.....p80

§2. La prise de conscience d'une absence d'innovation.............p82

CONCLUSION.............................................................................................................p87

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................p92

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