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Vents du Mventsdumorvan.org/pdfs/pdfs/vdm-0190.pdf · 2013. 8. 5. · Vers 1930, à la Presle: Albertestle garçonnet de gauche, la tête penchée. Ses parents sontà droite, sa mère

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Vers 1930, à la Presle: Albert est le garçonnet de gauche, la tête penchée. Ses parents sont àdroite, sa mère devant, son père en retrait.

En 1927, le moulin de la Presle est lapropriété de Jean Baroin, dit «JeanBian », marié àJeanne Léger (décédée le11 novembre 1924). Le couple a septenfants, dont André et Pierre.Les propriétaires précédant Jean Baroinsont le meunier Dominique Rateau(décédé le 18 mars 1895) et sa femmeReine Brossier (décédée le 18 juillet1902). Le couple a une fille, MarieRateau, mariée à Lazare Jean Guyot, quiprendra la succession de son beau~père.

Dominique Rateau avait acheté la Presle« il y a quarante ans environ» (suivantacte de 1927) à Emiland Gabin et safemme Marie Baroin.

Le moulin de la Presle est probablementle moulin le plus connu du Morvan parceque Monique et Albert Martin, les actuelsmeuniers, ont su en faire un lieu d'ac~

cueil et de chaleur qui est apprécié partous les visiteurs.Albert est de ceux qui ont non seule~

ment la mémoire précise, mais quisavent raconter avec tous les détails lavie qui animait les moulins.Des recherches d'archives que nousavons faites, nous n'avons recueilli quepeu de choses: par contre, grâce àAI1?ert, nous pouvons reconstituer unebonne partie de la vie du moulin de laPresle depuis 1928.Le père d'Albert, Etienne Martin, naquiten 1891 de parents qui étaient fermiersà Montbois, au pied de Château~Chinon.

Lorsqu'il eut quitté l'école communale,et comme la plupart des enfants del'époque, il fut placé au Moulin desMoulins (commune de Corancy), « éM'leignes », comme commis, chez JulesRoquelle qui y était meunier.Ce Roquelle eut une fille et deux fils,

lm Vents du M.orvan

Henri, qui fut par la suite meunier aumoulin de Savault (Ouroux) et le « Bali »(sobriquet) qui tint le moulin de Corancy(actuelle pisciculture).Etienne Martin se maria le 4 avril 1920,alors qu'il était domicilié à la Bâtisse(Corancy).Il était alors journalier et suivait notam~ment les batteuses du père Trinquet.Vers 1923~ 1924, le couple a vécu enferme à Lorien (Corancy). C'est en 1924que naît Albert; sa mère alla accoucherchez ses parents âArdilly, entre Corancyet Chaumard. Ils eurent quatre enfants.Etienne Martin voulait un moulin. Il avaittravaillé chez Roquelle et en avait pro~

bablement appris plus ou moins lemétier.En 1928, il achète le moulin de la Presleau meunier ~~ Jean Bian» (du nom deBaroin) dont un des fils, Pierre Jean Bianétait meunier lui~même. Lautre, André,exploitait le moulin de la Brouelle, actuel~

lement disparu.

Le moulin de la Presle était à l'époque del'achat dans un très triste état: cave com~

blée de sable et de gravats, papier huiléaux carreaux en guise de vitres, etc...Pierre Baroin, le meunier, avait quatreenfants et était de la même générationqu'Étienne Martin. Il partit, après lavente du moulin, vivre à Planchot et l'onne sait pas pourquoi le moulin fut vendu15 000 F sur un crédit d'une quinzained'années.Lorsqu'Étienne Martin s'installe au mou~

lin, il achète deux ânes gris, dont un sor~

tait de Château~Chinon,de chez le pèreGuérot. Il se mit à faire les tournées jus~

qu'à la Chaise, l'Huis Prunelle avec sesdeux bêtes et une carriole bâchée.Ils prirent aussi un lot ou deux de ~~ coues~

sots» pour manger « le farnèze »(1e « fari~

nage, mouture grossière »). Une année,vers 1933~34, ils avaient acquis un lotde huit cochons à la Saint~Jean, àPlanchez; ils les ont revendus le mêmeprix qu'ils les avaient achetés. Toujourscomble de misère, deux ou trois ansaprès leur installation, la roue du mou-­lin casse. C'était une roue en bois dumême modèle que celle qui existe tou~

jours au moulin de Mignage (Ouroux).Une roue en bois dure environ une ving-­taine d'années. Elle s'use progressive~

ment et prend du jeu: les boulons et lestiges filetées qui joignent les jantesrouillent et ne peuvent plus être resser~

rés. Les parties d'aubier pourrissent etforment des trous, notamment dans lesjantes. Lensemble se disloque petit àpetit. La roue devient «saoule », en tour~

nant, elle vient à raboter le mur et unbeau jour, elle s'effondre et c'est fini.La roue de la Presle se cassa donc vers1930, en plein hiver, avec une trentainede porcs à nourrir. Étienne Nlartin conti~

nuait de faire des tournées grâce à soncollègue, le Tchène de Boutenot qui luimoulait son grain.Une nouvelle roue fut construite dans

Albert et Monique Martin

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le pré au pignon de la roue, par « LaiZambe » de Lorien, un charpentier enroue. Il travailla avec deux ~ trois com~

mis et ils montèrent la roue avant de laplacer.Une image a frappé Albert qui avaitsix ~ sept ans à l'époque: sans grandsmoyens, des crics et des palans, leshommes relevèrent la roue et la pla~

cèrent dans le bief. Avant, ils avaienttiré l'arbre (l'axe) de roue, une piècede bois d'environ cinquante centi~

mètres de diamètre sur trois ~ quatremètres de longueur, de l'intérieur dumoulin. Quand la roue fut en place et« d'hauteur », ils repoussèrent l'arbrepour l'y emmancher et ensuite la caler.Il fallut donc un mois pour que tout fûtterminé.Une roue s'abîme moins vite lorsqu'elletourne régulièrement et qu'elle est tou~jours mouillée. Ici, au moulin de laPresle, elle est très exposée: elle souffrede l'alternance de l'humidité et du soleilpar son exposition et par le manquede protection (arbre ou toiton).De plus, les roues en général souffraientdu gel en hiver: en effet, avec l'écla~

boussement, le mur et le froid, l'eaugèle progressivement, même si la rouetourne. Elle arrive à se souder aupignon. « Ça tire» d'abord, en dépitd'un lâcher d'eau plus important, etpuis finit par se bloquer. Les meuniersétaient obligés de casser la glace à lacognée mais, de toute façon, la roueétait déséquilibrée et tournait de façonirrégulière. D'autre part, sur le bief~

étang, la glace atteignait d'importantesépaisseurs et l'eau coulant sur la roueet créant un vide sous la glace, celle~ci

finissait par craquer et former des gla~

çons dans tous les sens.

ralimentationdu moulinLe moulin de la Presle est alimenté parun bief qui capte, en amont, l'eau duMartelet, un ruisseau qui prend sa sour~

ce dans les bois de Serault, en Grosse(Planchez) .Or, en amont du moulin se trouvent després. Autrefois, pour les irriguer au prin~

temps, les propriétaires captaient l'eaudu bief. Mais souvent sans s'occuperdes besoins du moulin. Ainsi, certainsbarraient le bief avec des branches desapin et des mottes d'herbe pour détour~

ner l'eau et ces barrages étaient her~

métiques.

Quand l'Étienne partait en tournée, ilne s'en apercevait pas, mais quand ilrevenait, il n'y avait plus assez d'eaudans le bief pour faire tourner la roue.Alors il prenait sa pioche et allait déga­ger le canal d'amenée. Un petit bief tra~

versait les prés du «Rapide », deCoquillon, de «Lai Cheûne» et du« Moineau ». Ils n'étaient pas toujoursd'accord entre eux mais quand ça arri~

vait, ils captaient l'eau pour leur pro~

priété trois ~ quatre jours ou plus. Le« meulé }> n'avait alors plus assez d'eauet c'était la guerre.Le père Grilladin avait notamment ache­té l'Étang Contantin (étang de flottage)vers 36~37, 5 000 F à la Chandelle, enmontant sur le meunier qui le voulaitpour réserve d'eau. Une fois acquis, ilassécha cet étang pour en faire un pré.Étienne Martin, venant d'une commu~

ne limitrophe (Corancy) était considéréà Planchez comme un « étranger» et,par conséquent, eut à subir des ennuisen conséquence et notamment d'un

propriétaire qui captait l'eau spéciale~

ment pour le gêner. C'était des disputes'qui suivaient et qui se sont parfois ter~

minées par une baignade dans leMartelet.Le bief appartenait, en effet, au moulinet on ne pouvait pas (1'usage est tou~

jours d'actualité) arrêter l'eau de coulerjusqu'à la roue. C'est un peu commeune ligne électrique qui traverse des pro~

priétés et que l'on ne peut toucher.D'autre part, ce n'est pas au meunierd'entretenir le bief, mais au propriétai~.re dont le pré est traversé.Pour l'un des prés situés en amont de laPresle, il est stipulé sur un acte que lepropriétaire pouvait prélever de l'eaudans le bief « le dimanche pendant lamesse ».Cela démontre une fois de plus que lalégende selon laquelle les habitants desvillages s'entendaient mieux autrefoisest erronée. S'il y avait entente, c'est, leplus souvent qu'il y avait intérêt (travauxen commun, matériel d'emprunt, etc...).

Vents du Morvan ID

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... Albert Martin rhabille la meule gisante à l'occasion del'Université rurale de 1987, organisée par l'association"Lai Pouèlée ':

Le meunier et safille Chantal, remplissent la trémie.....

La moutureà la PresleÉtienne Martin, à son arrivée en1928, ne moulait pas de blépour faire de la farine panifiable,tout comme Étienne Grillot àBoutenot.Il ne faisait que la mouture pourles bêtes et la farine de blé noir.En effet, en 1918, la plupart desfoyers ne cuirent plus à domici­le et l'on acheta progressive­ment aux boulangers.Par contre, la bluterie existait à laPresle mais elle était éqUipée defin grillage (comme un garde-man­ger) uniquement pour le blé noir.Le meunier se payait unique­ment sur la marchandise et pasun client ne lui donnait d'argent.Pour la mouture des bêtes, il pré­levait quatre livres à la mesure(vingt litres). Selon les céréales,la mesure équivalait à seize kilosenviron de blé, à neuf-dix kilosd'avoine.Le meunier ne retirait de l'ar­gent frais que des cochons qu'ilélevait. Au début, à la Presle,on engraissa des porcelets:puis, par la suite, les Martineurent deux truies et un verrat.Une truie porte cent quatorzejours et peut faire deux portéesde dix porcelets par an. On pré­férait les vendre vers trente

kilos que de les engraisser.De plus, ils eurent deux-troisvaches, puis six, et les deux ânespour le transport. À noter qu'É­tienne Martin ne disposa jamaisd'un vélo ou d'une moto, à plusforte raison d'une automobileou d'un camion.Il faisait ses tournées, ses deuxânes attelés en flèche, jusqu'auxRoux, l'Huis Prunelle, la Chaise,la Fiole, mais pas Boutenot.Plus tard, en 1940, Henri Roquel­le du moulin de Savault, installades soies (ou tamis) de chez Tri­pette et Renault à la bluterie de laPresle. Étienne Martin se conten­tait de ce qu'il avait, mais son filsAlbert, qui aimait le métier etavait seize ans, fut convié par H.Roquelle à son moulin de troispaires de meules pour apprendrela mouture du blé.Pendant la guerre, la Presle mou­lut donc du blé et que du blépratiquement. Lorsqu'on vou­lait moudre, et par conséquent,transporter du grain de sondomicile au moulin, il fallait unlaisser-passer (comme pour l'al­cool) que l'on se procurait à larecette de Planchez. Par contre,on fraudait souvent, en empor­tant plus de blé que celui auquelon avait droit.Certains, aussi, comme LouisAbridge, avait habillé les rouesde bois de sa charrette de bou­dins de paille pour rouler la nuitsans bruit et emporter son grainsans se faire surprendre par l' ad­ministration française ou par lesAllemands qui réquisitionnaient.Le moulin de la Presle tournaiten permanence et tous les locaux(grenier, cave, grange, etc ... )étaient bourrés de sacs en atten­te de mouture. Il n'y eut pas devisites désagréables de contrôle.

Le rhabillagedes meulesMoudre du grain consiste à fairefrotter deux pierres superposéesqui, ce faisant, écrasent la grai­ne et en extirpent la farine.Ces pierres sont creusées desillons qui permettent un travailplus efficace. Néanmoins, en sefrottant, les sillons de ces

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pierres, d~ ces meules finissent pars'émousser et il faut les « rhabiller»à l'aide de marteaux spéciaux.On soulève la meule tournante(l'autre est gisante) à l'aide d'unepotence et l'on peut ainsi procéderau rhabillage de chacune des pierres.Dans la région, les « meulés » s'en~

traidaient et allaient se donner lamain à tour de rôle. Dans d'autrescoins, des « professionnels » itiné~

rants passaient épisodiquementdans les moulins.Étienne Martin mourut en 1945après une opération et un refroidis~

sement qu'il avait pris. Son fils,Albert, l'actuel meunier, prit doncla succession.Mais, en 1946, la roue de bois queson père avait fait refaire en 1930,céda à son tour. Albert acheta celledu moulin de la Brouelle à M. Billardqui procédait à la reconstruction dePlanchez, sinistré pendant la guer­re. C'est d'ailleurs pour en récupérerles matériaux à cette fin que laBrouelle fut progressivementdémonté et qu'il n'en reste rienaujourd'hui.Le moulin de la Brouelle avait cesséson activité, d'après Albert Martin,vers 1943~44.

La roue, intérieure et protégée dusoleil et du gel, fut donc immobili~

sée pendant deux ou trois ans etétait encore en état.Elle était un peu plus petite que cellede la Presle, mais plus large (quatremètres de diamètre environ). Ellefut sortie avec trois paires de bœufs,deux du vieux Beau de Boutenot, leJousé et une du «Jean des Biottes »de la Chaise.Deux paires tiraient la roue couchéesur un chariot et une tirait l'arbre,l'axe.Par contre, en remontant de laBrouelle, le chemin était bordé dedeux murs de pierre qui empê~

chaient la roue de passer. Il fallutdonc user d'habileté pour la sortir.D'autre part, l'axe de l'ancienne rouede la Presle était cylindrique. Celuide la Brouelle était hexagonal. Il fal~

lut donc les changer avec les moyensde l'époque et c'est le charron dePlanchez, Jean Latelize, grand~pèrede Monique Martin, l'actuelle meu~

nière, qui aida à replacer la roue dela Brouelle. C'était le «Jean Nom deDieu }}, d'une expression qui lui étaitchère.«Jean, vous gôtez vé nô 7 }} (vousdéjeunez avec nous 7). « Ah, ben,non de djeu, i va ô dire ai lai bour~

jouaize l }}.

Il était toujours nu-pieds dans sessabots, été comme hiver.La roue fut remontée en deux~trois

jours. Et elle a tourné de 1946 à1948, date à laquelle Albert s'estmarié puis est parti travailler surParis.Sa mère a continué de faire tournercette roue jusque vers 1950 pourfaire de l'électricité avec une dyna­mo de, camion et une batteried'avion (quel programme n.Albert et Monique Martin revenaientrégulièrement en vacances, puis samère lui écrivit un jour que la roueavait cédé. C'était la fin. Albertessaya de la restaurer un peu puisla démonta. Des ferrailleurs vinrentrécupérer la fonte du rouet, maisl'ancien meunier avait mis sa mèreen garde et le moulin resta inté­rieurement intact.Une fois ses filles mariées et parties,la mère d'Albert demeura seule aumoulin de 1956 à 1965 pour décé~

der en 1966.Revenu en retraite en 1982, Albertsouhaita faire retourner son moulinqu'il avait quitté pendant trente~

quatre ans.Il essaya de trouver une roue quiallât, mais en vain.Il put cependant acheter un arbreen fonte et des brassards à MichelJean qui les avait récupérés àChampeau (Saulieu).Un serrurier de Château~Chinon,M.Desmoulins au nom prédestiné, refitune roue en 1984.L'ancien arbre de la roue de laBrouelle achève ses jours dans lacour du moulin et son prédécesseurest, lui aussi, au bord de la rivière.

Aujourd'hui, le moulin tourne etmoud du blé noir.Il est un rendez-vous des amis desmoulins et ses meuniers sont aussichaleureux et accueillants que de lafine fleur de farine.Ils ont fait de leur moulin un pôled'attraction et ils sont un exemple àsuivre par les anciens meuniers oules proprié~aires de moulins duMorvan et d'ailleurs.

Le moulin peut se visiter en télé,.­phonant au préalable au03 86 78 43 46.

Association « Moulins du Morvan »,

6, rue du Rivage, 58000 Nevers.

Vents du Morvan Il