377
L’ART, L’ICÔNE ET LA RUSSIE DOCUMENTS RUSSES SUR L’ART ET L’ICÔNE DU XVI e SIÈCLE AU XVIII e SIÈCLE 1

srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

L’ART, L’ICÔNE ET LA RUSSIE

DOCUMENTS RUSSES SUR L’ART ET L’ICÔNE

DU XVIe SIÈCLE AU XVIIIe SIÈCLE

1

Page 2: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Collection

THÉOLOGIE ORTHODOXE

L’ART, L’ICÔNE ET LA RUSSIE

DOCUMENTS RUSSES SUR L’ART ET L’ICÔNE DU XVIe SIÈCLE AU XVIIIe SIÈCLE

Textes présentés et annotés

par Stéphane BIGHAM

Traduction Ariadna EPSHTEYN

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE GGC Éditions

2

Page 3: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Réalisation de la page couverture : Dominic Dubuc Direction artistique : Diane Corriveau Caza

Infographie : Productions G.G.C. ltée

© Productions G.G.C. ltée 53, rue Belvédère Sud

Sherbrooke (Québec) JIH 4B3 Téléphone : (819) 821-4109 Télécopieur : (819) 821-9975

Distributeur exclusif : Agence du livre

2205, rue Parthenais Montréal (Québec) H2K 3T3 Téléphone : (514) 525-4442 Sans frais : 1 800 597-3116

Télécopieur : (514) 525-4443

Les Éditions G.G.C. remercient la SODEC du soutien accordé à son programme d’édition

dans le cadre de leurs programmes de subventions globales aux éditeurs.

Dépôt légal - Bibliothèque nationale du Québec, 2000 Bibliothèque nationale du Canada, 2000

ISBN 2-89444-096-0

3

Page 4: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

AVANT-PROPOS

La Faculté de théologie, d’éthique et de philosophie de l’Université de Sherbrooke offre depuis 1998 un Certificat de théologie orthodoxe dont une des finalités est de tisser des ponts entre les cultures et les communautés religieuses préoccupées de la quête de sens en humanité. L’équipe de professeurs et de chercheurs impliqués dans ce projet entend contribuer activement à l’enrichissement culturel de nos milieux, particulièrement par des publications d’œuvres importantes liées à la théologie orthodoxe. Le premier titre de cette nouvelle collection est la démonstration de l’apport original que des chercheurs peuvent donner à notre monde. Aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, l’art iconographique fut objet, en Russie, de débats et de déclarations qui témoignent d’une quête de fidélité théologique à une longue tradition. Le travail du Père Bigham, qui a minutieusement présenté et annoté les documents traduits par Mme Ariadna Epshteyn, nous introduit dans une époque marquée par une tension entre l’adaptation au goût des masses ou de la facilité mercantile et la rigueur d’un art inspiré par une volonté de traduire adéquatement le Mystère.

Jean Desclos, doyen

4

Page 5: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

INTRODUCTION par Stéphane Bigham

Ce recueil de textes est le fruit d’une longue période de recherche. Cette dernière a commencé avec la lecture du livre de Léonide Ouspensky, La Théologie de l’icône dans l’Église orthodoxe. Au chapitre 12 (« L’hésychasme et l’épanouissement de l’art russe », pp. 235 ss.), l’auteur cite et commente des extraits du premier document russe sur l’iconographie : Message à un iconographe. Aux chapitres 14 (« L’art du XVIIe siècle : un art divisé ; L’abandon de la Tradition ») et 15 (« Le Grand Ie Concile de Moscou et l’image de Dieu le Père »), il étudie une série de textes qui présentent plusieurs points de vue sur l’art et l’iconographie russes du XVIIe siècle, toujours en extraits traduits. À la page 304 de La Théologie se trouve la longue note #15 où sont catalogués ces textes, mais à part les références aux textes russes, il n’y a aucune mention de traductions. Je n’en ai jamais trouvé ailleurs, non plus. Des traductions partielles ne sont évidemment pas à dédaigner ; par contre, des traductions complètes sont nettement à préférer. Donc, je conçois ce présent recueil comme un supplément du livre d’Ouspensky.

Alors, l’idée — devrais-je dire l’inspiration — m’est venue de les faire traduire moi-même. D’abord, il fallait des textes. Ensuite, n’ayant aucune compétence en langues slaves, j’avais besoin de traducteur. Grâce à une amie russe, Nathalie Labrecque-Pervouchine, j’ai rencontré une traductrice et fidèle collaboratrice, Ariadna Epshteyn. Sans elle, ce projet n’aurait jamais vu le jour. Trouver les textes originels était long, mais pas difficile. Dans les bibliothèques universitaires ici à Montréal, aux États-Unis et en Russie, un à un, j’ai pu localiser les livres contenant les documents complets ou, dans certains cas, des extraits d’un manuscrit inédit. Vous, le lecteur, vous avez maintenant entre les mains le résultat de ce labeur. Pour leur contribution à la réalisation de ce livre, je voudrais remercier Paul Miklachevsky, Montréal, qui a traduit le sermon d’Avvakoum et le père Vladimir Yagello, Paris, qui a vérifié les traductions.

Pour faciliter la compréhension des documents, il faut une grille d’interprétation qui les organise, qui leur donne un sens, qui montre leurs liens, les uns avec les autres. Je sais très bien que les événements, personnages et documents historiques sont sujets à plusieurs interprétations, selon le point de vue de celui qui les traite, mais dans le cas des documents présentés ici en traduction française, je suis, moi, cette personne et je les présente selon ma grille d’interprétation. En réalité, mon point de vue n’est pas tellement le mien. Il est celui que Léonide Ouspensky a déjà élaboré dans son livre, ci-haut mentionné, et dans ses autres écrits sur l’iconographie canonique. Mon esprit critique trouve son interprétation de l’histoire de l’icône en Russie entièrement satisfaisante, dans ses grandes lignes, et c’est à l’intérieur de ce cadre interprétatif que je présente les documents entièrement traduits.

5

Page 6: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Mais quelles sont ces grandes lignes ? Ce sont les six périodes de l’histoire de l’icône en Russie :

I. Le préludeII. L’âge d’or III. Le début du déclin IV. Le conflit entre deux visions de l’icône V. L’effacementVI. La renaissance.

I. LE PRÉLUDE

Les Xle, Xlle et XIIIe siècles. Le prélude comprend la période entre l’introduction de l’icône — essentiellement en forme grecque — en terre kiévienne au tour du baptême de saint Vladimir (988), d’une part, et saint Serge de Radonège (1314-1392), d’autre part. Ces dates sont approximatives, mais c’est pendant ce temps que les missionnaires grecs et leurs disciples russes ont planté le christianisme orthodoxe, y compris l’icône. Cette plante ne pouvait que produire une nouvelle variété, à la fois identique et différente, de celle qui poussait à Constantinople. Il n’est pas impossible, pourtant, qu’il y ait eu des influences des Slaves du Sud parce les Bulgares étaient orthodoxes déjà avant saint Vladimir. Quant à l’icône, c’est l’époque de l’émergence, lente mais certaine, d’une iconographie russe. Saint Alipy (1078 ?-1114), le premier saint iconographe de la nouvelle terre, à peine un siècle après le Baptême, est un signe éclatant de l’aptitude des Slaves du Nord pour l’icône. À part les chroniques, nous avons peu de documents écrits de cette période et aucun texte théologique qui réfléchit sur la nature et le sens de l’icône.

II. L’ÂGE D’OR

Les XlVe et XVe siècles sont la période de l’âge d’or. La spiritualité hésychaste, dont le plus grand maître s’appelle saint Serge de Radonège (1314-1392), dominait et a trouvé son expression artistique classique dans les œuvres de Théophane le Grec (c. 1385-1415) ; de saint André Roublev (c. 1365-1430) et de son compagnon de jeûne, Daniel Tchorny (1365-1430) ; et, au début du XVIe

siècle, Maître Denys (c. 1445-1505)1. Et tout à fait à la fin de cette période, nous avons le document, Message à un iconographe, Dans notre recueil, le premier texte est un article analytique de N. K. Goléizovsky : « Message à un iconographe et les échos de l’hésychasme dans la peinture russe des XVe-XVIe

siècles » (1). Le Message, lui, est le deuxième document (2). L’âge d’or de la spiritualité et de l’iconographie russes établit l’étroite relation entre l’art de l’Église et la sainteté. En fait, les deux présentent le même contenu : l’une est une vision théologique, une manière de concevoir la vie en Dieu et la prière ; l’autre fait voir cette vision en lignes et couleurs. La dissociation subséquente et progressive de

6

Page 7: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

la sainteté et l’art est la marque de la décadence dans les deux domaines.

III. LE DÉBUT DU DÉCLIN

Pour le XVIe siècle, la troisième période (c. 1500-1600), nous ne possédons pas de traités pour témoigner de l’introduction d’éléments perturbateurs, telles l’image de Dieu le Père et d’autres mystico-didactiques et allégoriques, mais les controverses théologiques de l’époque et les décisions discordantes des conciles montrent le début des orages à venir. L’un de ces conciles, le Stoglav 1551, a le mérite d’avoir fait appel à l’autorité de saint André Roublev et à d’autres ainsi établissant le standard par lequel les artistes et les œuvres ultérieurs devraient se mesurer2.

IV. LE CONFLIT ENTRE DEUX VISIONS DE L’ICÔNE

La plupart de nos documents se concentrent dans cette quatrième période, le XVIle siècle (1600-1700) où deux visions de l’icône s’affrontaient violemment : les « conservateurs » — en général, mais pas exclusivement, grécophiles et latinophobes — étaient allergiques aux influences artistiques occidentales qui, selon eux, minaient l’intégrité de l’icône et, par conséquent, de la foi orthodoxe. Ils prônaient une fidélité à la Tradition voyant les images protestantes et catholiques comme étrangères à cette dernière. Les « libéraux » — certainement latinophiles — s’opposaient aux « conservateurs » et accueillaient les influences occidentales comme des forces libératrices, les déliant du lourd fardeau du passé.

Comme nous l’avons déjà indiqué, nous partageons l’interprétation d’Ouspensky qui voit dans le XVIIe siècle un art sacré en crise, divisé contre lui-même. Quel que soit le point de vue par lequel on aborde ce siècle, tous sont d’accord que c’est une période charnière où s’effritaient les bases traditionnelles de l’icône et où s’installait une nouvelle vision de l’art. Mais si l’on tient à l’icône comme une « visibilisation » de la foi orthodoxe, si l’on vénère les icônes de saint André Roublev et des autres iconographes de l’âge d’or comme les modèles de la plus haute spiritualité, on ne peut faire autrement que de s’attrister des résultats du « progrès », de s’inquiéter de la « libération » apportée par les partisans des nouvelles influences. Par contre, si l’on applaudit l’application à l’icône de la vision esthétique de la Renaissance, et de l’art occidental en général, les XVIII e

et XIXe siècles sont la gloire de la Russie. On ne peut nier pourtant que les deux visions de l’art sacré sont évidemment différentes. Pendant le XVIIe siècle, un standard, un canon, a remplacé un autre. Nos documents ouvrent une fenêtre sur cette période pleine de controverses ; en les lisant, il n’est pas difficile d’imaginer les protagonistes se disputer entre eux, se lançant des insultes les uns aux autres.

7

Page 8: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Alors, notre troisième document s’intitule « Josef Vladimirov : ”Traité sur l’art” »(3), par É. Ovtchinnikova. C’est un article explicatif où l’auteur situe le quatrième texte, Lettre d’un certain iconographe, Joseph, à l’iconographe du tsar, le très-sage peintre, Simon Fédorovitch (4), par Joseph Vladimirov qui, probablement mort vers 1665-1666, était peintre au Palais des Armures. Vladimirov a écrit ce traité, à la demande de son ami Simon Ouchakov, le chef de l’atelier iconographique du tsar, pour pourfendre les peintres de mauvaises icônes et pour défendre les nouvelles conceptions de l’art.

Ensuite, vers 1667, le cinquième document, la réponse de Simon Ouchakov au traité de Vladimirov : Discours à celui qui aime l’iconographie. (5). Ouchakov, lui aussi, favorisait les nouveaux courants et était, probablement le plus grand peintre du siècle, mais on peut se demander à quel point il était iconographe, au moins selon la tradition de saint André Roublev de l’âge d’or. Quant au Discours lui-même, je soupçonne que le texte présenté ici n’est qu’un extrait d’un document plus long3. N’ayant pas d’introduction, le Discours commence un peu abruptement. Il me semble qu’Ouchakov aurait mentionné le nom de son ami Vladimirov — même si celui-ci était déjà mort, ce qui n’est pas impossible — et ce qui a occasionné la publication de son traité.

Juste avant, ou peut-être pendant, le Grand Concile de Moscou 1666-1667, Siméon Polotsky a préparé Une Requête ou message au tsar au cours du Grand Concile de Moscou (6). Polotsky était un homme aux multiples talents et encourageait les idées nouvelles dans tous les domaines, y compris dans celui de l’art. Nous n’avons pas pu trouver tout le texte de sa Requête, mais des extraits se trouvent dans le chapitre IX de sa biographie. Ce chapitre est notre sixième document.

Le septième texte est un extrait du décret du Grand Concile de Moscou (7), 1666-16674, faisant écho du concile Stoglav, en ce qui concerne l’image de Dieu le Père et de la Trinité. Ces images et leur justification théologique sont, à notre avis, le signe par excellence de la présence d’une vision étrangère à la tradition patristique de l’orthodoxie et à son iconographie canonique qui est fondée sur l’invisibilité essentielle de Dieu et sur l’incarnation du Verbe de Dieu, le Christ. Le Concile a prononcé contre l’image de Dieu le Père, tout en l’acceptant dans un cas de l’Apocalypse : une décision qui déroge à la logique du reste du texte.

Le Message des trois saints patriarches (8), 1668, est le premier texte de la période postconciliaire. On aurait espéré entendre de personnages ecclésiastiques si éminents un son de cloche hautement théologique et spirituel — voire hésychaste — en défense de l’icône traditionnelle et canonique, mais malheureusement les patriarches ne se montrent pas très sensibles à cet aspect de l’art sacré de leur propre Église.

8

Page 9: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

En 1669, le tsar Alexis a publié son propre décret, Message du tsar(9), faisant écho à celui des patriarches.

Dans les trois derniers documents du XVIIe siècle, nous avons des défenseurs acharnés de l’iconographie traditionnelle. L’archiprêtre Avvakoum, le chef de fil des vieux-croyants, a attaqué les influences catholiques et protestantes dans l’art sacré russe. Dans sa Quatrième causerie au sujet de la peinture d’icônes (10), 1673, il ne ménage pas ses mots en dénonçant les images étrangères qui s’introduisent dans l’art de l’Église russe officielle. Il est ironique, mais vrai, qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, lorsque l’icône canonique avait presque entièrement disparu, ce soient les vieux-croyants qui ont préservé cette image traditionnelle jusqu’à la renaissance du XXe siècle.

Le moine Euthyme est connu par un texte, réédité dans Questions et réponses du moine Euthyme concernant l’histoire de l’art russe au XVIIe siècle (11) où il reprend, parmi d’autres, la question de l’image de Dieu le Père dont le Concile de 1666-1667 avait déjà parlé. Euthyme était un jeune disciple du moine Épiphane Slavinetsky5, un érudit de Kiev qui a travaillé comme professeur, auteur et traducteur à Moscou entre 1648 et 1675. Euthyme, comme son maître d’ailleurs, était grécophile et latinophobe, un défenseur de l’icône canonique. Dans son texte, Euthyme mentionne un sermon de Joachim, le patriarche de 1674 à 1690. Notre document, Questions et réponses, peut donc être placé entre ces dates.

Le patriarche Joachim, lui-même, a laissé un Testament (12) écrit autour de 1690, l’année de sa mort. Il était un farouche partisan du camp grécophile et latinophobe. Nous n’avons pas pu trouver une édition de tout le Testament ; mais les extraits que nous présentons ici ne laissent aucun doute de son opinion sur les icônes manifestant des influences occidentales6.

V. L’EFFACEMENT

Les XVIIIe et XIXe siècles. Notre dernier document, Rapport déposé au secrétariat du Sénat gouvernant à Saint-Pétersbourg (13), écrit par Ivan Zaroudny en 1715, ne témoigne pas de la controverse autour du nouveau style du XVIle siècle, mais plutôt de la bureaucratisation dans laquelle l’art de l’icône est tombé dans le règne de Pierre I et pendant le reste de cette période. Déjà en 1715, la guerre entre les deux courants — l’un traditionnel et canonique, l’autre esthétique et réaliste — n’était plus. Si, avant Pierre I, il existait un doute au sujet du vainqueur éventuel, Pierre a dissipé toute équivoque. La Russie, y compris l’iconographie de l’Église orthodoxe russe, a résolument pris le chemin de l’occidentalisation. Étant devenu un département de l’État, ayant été incorporé dans le système administratif gouvernemental, « l’art sacré devint un art à la fois de l’Église et de l’État. »7 Peut-être est-il mieux de dire que l’art sacré de cette

9

Page 10: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

période n’était ni de l’Église ni de l’État. Puisqu’il a occulté sa vraie vocation de rendre visible la vision théologique de l’orthodoxie, cet art sacré n’était qu’un piètre concurrent, au plan esthétique, des images catholiques et protestantes. Et puisqu’il ne pouvait quand même pas oblitérer les traditions de sa propre mémoire ecclésiale, l’art sacré hybride de la période synodale servait mal un État qui était de plus en plus sécularisé : trop traditionnellement orthodoxe pour concurrencer l’art de l’Occident ; pas assez orthodoxe pour être fidèle à sa propre nature.

VI. LA RENAISSANCE

Néanmoins, la renaissance de l’icône canonique à la fin du XIXe et au XXe siècles témoigne de la vivacité des racines qui dormaient, attendant un climat plus favorable pour pousser. Nous, dans notre temps, avons heureusement reçu la bénédiction d’en voir la floraison. Nous résumons ici les documents publiés dans ce recueil :

1. N. K. Goléizovsky, « Message à un iconographe et les échos de l’hésychasme dans la peinture russe des XVe-XVIe siècles », Vizantiisky Vrémennik XXVI, Moscou, 1965, pp. 219-238. 2. Joseph de Volokolamsk, Message à un iconographe, édité dans N. A. Kazokov, Ya. S. Lourié, Les mouvements hérétiques anti-féodaux dans la Russie du XIVe-XVIe siècles, #17, Moscou-Leningrad, 1955, pp. 320-373. 3. É. Ovtchinnikova, « losif Vladimirov, ”Traktat ob iskousstve” », Drévnérousskoyé lskousstvo XVII, Moscou, 1964, pp. 9-23. 4. Joseph Vladimirov, Lettre d’un certain iconographe, Joseph, à l’iconographe du tsar, le très-sage peintre, Simon Fédorovitch, édité par É. Ovtchinnikova, Drévnérousskoyé Iskousstvo XVII, Moscou, 1964, pp. 24 ss. 5. Simon Ouchakov, Discours à celui qui aime l’iconographie, Mastéra iskousstva ob iskousstvé, IV, 1937, pp. 27-30 ; version en russe moderne, Istorija Estetiki. Pamjatniki mirovoj esteticheskoj mysli, y. 1, Moscou, 1962, pp. 455-462. 6. Siméon Polotsky, Une Requête ou message au tsar au cours du Grand Concile de Moscou., extraits pris de la biographie L. N. Maïkov, Siméon Polotsky, Otcherki iz istorii rouskoï litératoury XVII-XVIII stol., ch. IX, Saint-Pétersbourg, 1889, pp. 134-149. 7. « Sur les iconographes et Sabaoth », Chapitre 43, Actes des Conciles de Moscou de 1666-1667, Moscou, 1893, dans Léonide Ouspensky, La Théologie de l’icône, Paris, Éditions du Cerf, 1980, pp. 345-348. 8. Le Message des trois saints patriarches, dans P.P. Pékarsky, éd., lzvestiya Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v. Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 6-14. 9. Le Message du tsar, dans P. P. Pékarsky, éd., lzvestiya Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v. Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 15-21.

10

Page 11: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

10. L’archiprêtre Avvakoum, Quatrième causerie au sujet de la peinture d’icônes, Vie de l’archiprêtre Avvakoum et Livre des sermons, N. K. Goudzia, éd., Moscou, 1960, pp. 135-137. 11. Le moine Euthyme, Questions et réponses du moine Euthyme concernant l’histoire de l’art russe au XVIIe siècle, G. Filimonov, éd., Vestnik Otcht. drevnérousskogo iskousstva, Moscou, 1874-1876, pp. 17-22. 12. Le patriarche Joachim, Testament, dans Serge Bolchakov, réédité par Théodore Ouspensky, Manuel d’iconographie, Moscou, 1903, pp. 2-3. Bolchakov cite Bouclier où se trouvent les fragments du Testament. Voir aussi N. Pokrovsky, Les Monuments de l’iconographie et de l’art chrétiens (en russe), Saint-Pétersbourg, 1900, p. 370. 13. Ivan Zaroudny, Rapport déposé au secrétariat du Sénat gouvernant à Saint-Pétersbourg, dans P. P. Pékarsky, éd., lzvestiya Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 1-6 et 21-30.

NOTES

1. Pour la Vie de saint André Roublev, ainsi que celle d’autres saints iconographes et des maîtres, voir S. Bigham, « Les héros de l’icône », L’icône dans la tradition orthodoxe, Montréal, Québec, Médiaspaul, 1995, pp. 69-128. 2. Pour une exposition des problèmes, voir chapitre 13, « Les conciles moscovites du XVIe siècle et leur rôle dans l’art sacré », La Théologie de l’icône, Paris, Éditions du Cerf, 1980, pp. 259-279, ainsi que S. Bigham, « Les canons sur l’iconographie », Études iconographiques, Nethen, Belgique, Éditions Axios, 1993, pp. 7-44. 3. Lindsey A. J. Hughes confirme cette intuition dans son article, « The Moscow Armoury and Innovations in Seventheenth-Century Muscovite Art », Revue Canadienne-Américaine d’Études Slaves, #13, 1-2, 1979, note 72, p. 214 : « Part of the treatise is reproduced in Mastera iskusstva, IV, 27-30. » 4. Voir La Théologie, pp. 345-348, et Bigham, « L’image de Dieu le Père dans l’iconographie et la théologie orthodoxes », L’icône..., pp. 129-211. 5. Voir Paul Meyendorff, Russia, Ritual, and Reform, Crestwood, New York, St. Vladimir’s Seminary Press, 1991, pp. 108-113. 6. Hughes, ibid., indique une autre publication qui semble contenir une édition du Testament plus ample que celle que nous reproduisons ici : Matérialy dlia istorii roda Savelovykh (Ostrogozhsk : Tipo-Lit. M.O. Azarovoï, 1896), Il, pp. 42-44. Nous n’avons pas pu consulter cette dernière avant de publier ce recueil.7. La Théologie, p. 390.

11

Page 12: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

MESSAGE À UN ICONOGRAPHE ET LES ÉCHOS DE L’HÉSYCHASME DANS LA PEINTURE RUSSE

DU XVe-XVIe SIÈCLE 1 par N. K. Goléizovsky

Le Message à un iconographe2 ainsi que les trois traités sur la vénération des icônes qui le suivent ont été publiés par Ya. S. Lourié en entier et en un seul document à partir du manuscrit le plus ancien qui nous soit parvenu, daté du début du XVIe siècle. Ce manuscrit est conservé à la bibliothèque publique de Saltykov-Schedrine, dans la collection Sophia n. 1474, avec des corrections faites à partir d’un manuscrit de la première moitié du XVIle siècle, Saltykov-Schedrine, 0. 1. 65, et avec des lectures parallèles à partir du manuscrit le plus ancien du Prosvétitel de Joseph de Volokolamsk, Saltykov-Schedrine, coll. de Solovetsk, n. 346/326. Le tout se trouve dans le livre de N. A. Kazakov et Ya. S. Lourié Les mouvements hérétiques anti-féodaux dans la Russie du XlVe-XVIe

siècles, Moscou-Leningrad, 1955, pp. 320-373. Avant cette publication, seul le « Message » avait été publié, sans les trois traités auxquels il sert de préface, avec une introduction par P. K.3 et sous le titre « Le Message de Joseph de Volokolamsk à un moine iconographe », Moscou, OIDR, 1847, n. 1, partie IV.

Depuis sa dernière publication, Le Message à un iconographe avait souvent été cité par les historiens soviétiques en tant que document historique de la polémique anti-hérétique de la fin du XVe siècle. Cependant, personne n’avait encore eu l’idée de voir dans le Message une source importante pour l’étude des vues sur l’art répandues dans la Russie de Roublev et de Dionysios.

Ya. S. Lourié considère que le Message à un iconographe a été écrit dans les années 80-90 du XVe siècle. Toutefois, la date de ce document est difficile à établir, vu que les quatre écrits qui le composent diffèrent sensiblement les uns des autres, aussi bien au niveau de style qu’au niveau de genre. Il est probable que ces écrits étaient initialement des compositions indépendantes et que c’est en tant que telles qu’ils ont commencé à être connus bien avant d’être rassemblés sous un seul titre. Or ce qui nous intéresse ici, c’est bien le fait que ces écrits ont été rassemblés pour des fins de propagande contre les hérétiques et pour le renforcement de l’idéologie dans l’art.

Les historiens soviétiques ont suffisamment argumenté la présence des mouvements variés et contradictoires dans l’hérésie de l’époque. Le verdict du concile de 1490 mentionne que plusieurs hérétiques...

...insultaient l’image du Christ et les autres images saintes peintes sur les icônes et que d’autres...parlaient en mal des saintes icônes et que

12

Page 13: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

d’autres...brisaient et brûlaient les icônes...et que d’autres...jetaient les saintes icônes et les crucifix par terre et les couvraient de boue et que d’autres...jetaient les saintes icônes dans des seaux à vidanges et faisaient beaucoup d’autres choses blasphématoires contre les saintes images représentées sur les icônes.

D’autres faits pittoresques sont rapportés dans le message de l’archevêque de Novgorod, Gennade, au concile des évêques en octobre 1490 :

Il y a ici un certain Alexeiko, un scribe, qui, s’étant saoulé, a pénétré dans une chapelle, décrocha du mur l’icône de la Dormition et l’a arrosée de mauvaises eaux ; il a mis aussi les autres icônes la tête en bas. Et il y a tant d’autres cas d’iconoclasme, mais anonymes, dont on ne sait rien.

Toutefois, ce sont les faits rapportés dans le message de Gennade à Niphonte, l’évêque de Souzdal (janvier 1488) qui nous semblent particulièrement révélateurs, en ce qu’ils témoignent de la prolifération de l’hérésie dans le milieu des iconographes et des sculpteurs sur bois :

J’ai trouvé ici une icône, dans l’église du Sauveur, de la rue d’Ilya — c’est soit la Transfiguration avec l’un des actes, ou bien c’est dans les fêtes que j’ai vu peinte cette scène de la circoncision ; l’un des actes représente la circoncision du Christ de la manière suivante : Basile de Césarée tient le bras et la jambe coupés du Christ et l’inscription porte : « circoncision de notre Seigneur Jésus Christ ». Puis on m’avait amené d’Oiat un prêtre et un diacre qui avaient donné à un homme une croix en bois sur laquelle étaient sculptés le sexe féminin et masculin ; le chrétien qui avait porté cette croix sur lui se sentit mal, tomba malade et finit par en mourir.

De toute évidence, tous les hérétiques n’étaient pas nécessairement des iconoclastes. On sait, par exemple, que « quelques-uns des hérétiques » fondaient leur argumentation en se référant aux représentations iconographiques.

D’autre part, les iconographes de la seconde moitié du XVe siècle, sans qu’ils aient aucun rapport avec l’hérésie, avaient parfois tendance à inventer de nouvelles iconographies, en vulgarisant les dogmes religieux. Selon les informations contenues dans la lettre d’un collaborateur de Gennade, le traducteur Dimitri Guérassimov, adressée au diacre Mikhail Grigoriévitch Misiour-Mounéhine de Pskov, cette vulgarisation consistait essentiellement dans la représentation sur les icônes des puissances incorporelles ainsi que dans une interprétation fantaisiste de l’Écriture. Guérassimov écrit :

Celui qui voudrait peindre des icônes en se servant des paroles de

13

Page 14: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’Écriture pourrait arriver à une infinité de compositions. Il y a même eu une grande discussion sur ce sujet dans notre monastère en présence de l’archevêque Gennade. Les moines ont préféré laisser parler les iconographes et voilà que s’est levé Pereplav, un grand artiste, et, parlant pour les autres, dit : « Seigneur, nous peignons les icônes à partir des icônes des anciens maîtres qui nous ont appris à peindre ; or leurs icônes ont elles-mêmes été copiées sur les icônes grecques. Mais on ne nous avait jamais expliqué sur quels passages de l’Écriture se base l’iconographie de ces icônes. Et vos gens de Pskov ont préféré écouter les iconographes plutôt que l’archevêque... »

La grande prolifération des représentations mystico-didactiques au XVIe siècle a provoqué la célèbre protestation du ministre d’État Ivan Viskovaty. Il est probable que le foisonnement de ces icônes a été alimenté par l’existence d’une tradition assez ancienne. Cela semble se confirmer par la remarque du prêtre Sylvestre, de l’église de la Bonne Nouvelle, dans ses Plaintes où il parle de l’affaire Viskovaty : « Tous ces iconographes peignaient à partir d’anciennes icônes qu’ils avaient chez eux. »

En considérant le Message à un iconographe, Ya. S. Lourié fait remarquer que les opinions auxquelles s’oppose l’auteur du Message ne peuvent être celles d’un seul groupe hérétique : « Il est difficile de dire si ce que nous avons ici représente tous les écarts théoriquement possibles du dogme, dont notre auteur veut se distancer, ou bien s’il s’agit des hérésies réelles. » À notre avis, le Message à un iconographe est loin de détailler au complet « tous les écarts théoriquement possibles du dogme ». Il ne pouvait avoir qu’un but essentiellement pratique : éclairer les questions principales de la polémique anti-hérétique et empêcher de nouvelles tentatives de compositions contraires au contenu des dogmes philosophiques et religieux du christianisme. Ceci est confirmé par le caractère polémique du document, l’époque de son apparition (l’apogée du mouvement hérétique) ainsi que le choix des citations de la Bible et des écrits des Pères de l’Église.

Le but du présent article n’est pas de relever les sources dont avait pu se servir l’auteur du Message. Ce travail a été amplement fait dans l’étude de B. Vassiliev, « Prosvétitel de Joseph de Volokolamsk » — cet article n’a jamais été publié et est conservé dans la collection des manuscrits de la bibliothèque publique de la république soviétique de l’Ukraine, n. 2181 — ainsi que dans le livre du chercheur bourgeois T. Spidlik sur Joseph de Volokolamsk. Cependant, il nous semble que la question des « emprunts » devrait être posée d’une autre manière. L’intérêt d’une analyse des sources réside non pas dans la question des « emprunts » mais dans le lien vivant qu’on pourrait découvrir entre ceux-ci et la situation historique qui les a suggérés. Il serait également intéressant de relever les idées propres à l’auteur et d’évaluer l’originalité de la construction

14

Page 15: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

logique du Message, d’où l’importance primordiale d’établir avec exactitude l’identité de l’auteur et du destinataire de ce document.

On a toujours considéré Joseph de Volokolamsk comme l’auteur le plus probable du Message. Cette opinion se fonde essentiellement sur le fait que les trois traités sur les icônes ont été éventuellement incorporés par Joseph de Volokolamsk dans son recueil Prosvétitel ; leur style et contenu semblent vérifier cette hypothèse.

On sait également que Joseph de Volokolamsk s’intéressait à l’art des grands iconographes et avait une haute idée de leurs œuvres Deux versions de la Vie de Joseph, l’une composée par Sawa l’évêque de Kroutitsk et l’autre écrite par Lev-Anikita Philologue, contiennent l’indication suivante : « Et quand il [Joseph] a pris l’habit de moine, des peintres sont venus le voir. »

Cependant, l’hypothèse qui désigne Joseph de Volokolamsk comme l’auteur du Message à un iconographe se heurte à l’objection qui avance que la partie introductrice coïncide presque exactement avec le Message d’un staretz spirituel à un frère de Nil Sorsky. De même, le style, la structure et la logique de ces deux textes sont caractéristiques des autres écrits de Nil Sorsky. En se fondant sur ces données, Ya. S. Lourié avance l’hypothèse que Nil Sorsky pourrait être « l’auteur de tout le document ». Le fait que le Message a été inclus par Joseph de Volokolamsk dans son Prosvétitel n’infirme pas cette supposition puisque de tels « emprunts » étaient courants dans la littérature russe du XVe siècle.

Toutefois, certains chercheurs, en partant des idées de Nil Sorsky sur la décoration des églises, ont avancé que ni lui ni ses disciples ne pouvaient avoir joué un rôle important dans le développement de l’art russe. Essayons d’analyser leur argumentation.

Nil Sorsky a des mots assez durs pour ce qu’il appelle « l’amour des choses » et exige que les moines ne possèdent rien de précieux ou de décoré. En se rapportant à Jean Chrysostome, il affirme qu’ » il ne faut point se servir de vases sacrés en or ou en argent, et les autres décorations sont également superflues ». Plus loin [dans le même texte], il semble condamner la beauté en général :

Pachôme le grand ne voulait même pas qu’on décore l’église qu’il avait fait bâtir à Mochosse ; il y a fait ériger de belles colonnes en briques mais la même pensée lui revenait : il n’est pas bien que l’homme s’émerveille devant l’œuvre de ses propres mains ni qu’il se glorifie de la beauté de ses édifices. Nil a ordonné à ses moines d’attacher une corde aux colonnes et de tirer de toutes leurs forces, jusqu’à ce que les colonnes s’inclinent et deviennent moins belles à regarder...Et puisque de si grands saints parlaient et agissaient ainsi, c’est notre devoir de fuir ces choses...

15

Page 16: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Son refus ascétique des « visages lisses et efféminés » qui figuraient si souvent sur les icônes de l’époque semble viser même les représentations des saints : « ...même s’ils [ces visages] sont ceux des saints, même si l’on croit qu’il n’y a rien de passionnel là-dedans, il faut encore s’en défaire au plus vite. »

Toutefois, il ne faudrait pas oublier que Nil Sorsky était un disciple de la pratique hésychaste et de la contemplation spirituelle, qui n’est accessible qu’aux moines de la plus grande expérience. « Écoute ton cœur mais n’accepte point les rêves et les images qui viennent devant ta vue », écrit-il au sujet de la « prière intelligente » mais se presse d’ajouter : « Toute mesure...convient au sage. » Nil Sorsky savait très bien que pour les novices le passage vers l’acte métaphysique de la « pratique intelligente » ne peut se faire que graduellement.

Il est impossible d’arriver à lire les livres sans avoir appris l’alphabet. De même, il est encore moins possible que celui qui n’a pas acquis les premières étapes — qui consistent dans l’abandon de toutes les choses dicibles ou indicibles, un abandon tel en fait qu’on puisse se dire mort à toutes ces choses...— puisse chanter et prier dans son intelligence sans jamais se fatiguer et avec assez de concentration. Or, c’est cela la pratique du cœur.

Et s’il est trop difficile de se défaire des pensées et d’atteindre à l’abandon complet de toute chose terrestre, Nil Sorsky propose ceci : « Dirige tes pensées vers quelque autre objet divin ou humain. »

Qui plus est, dans les manuscrits du XVIle au XVIIIe siècle qui contiennent les écrits de Nil publiés par M. S. Borovkova-Majkova, se trouvent des passages qui incitent à prier « en s’inclinant très bas devant une sainte icône » et « en embrassant les vénérables images des saints ».

Ainsi donc, il n’y a aucune raison d’accuser Nil Sorsky d’être un ennemi juré de l’art, un iconoclaste. Assurément, les questions liées à la « pratique extérieure » ne pouvaient l’intéresser autant qu’elles intéressaient Joseph de Volokolamsk et ses disciples. Mais il est tout aussi certain que Joseph, avec son intérêt pour la fonction idéale et didactique de l’art, ne pouvait avoir ignoré les problèmes qui faisaient l’objet des écrits de Nil et peut-être des autres startzi d’outre Volga, dont on ne sait encore que trop peu de choses.

Alors qui était l’auteur, ou plutôt le compilateur, du Message à un iconographe ? Le gros des arguments est pour Joseph de Volokolamsk.

Il est important d’établir l’identité de celui à qui s’adresse le Message. On a longtemps pensé qu’il s’agit de Théodose, iconographe et fils de Dionysios, que la Vie de Joseph de Volokolamsk décrit comme un implacable détracteur des

16

Page 17: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

hérétiques. Cependant, les chercheurs n’ont pas trouvé d’autres arguments pour soutenir l’hypothèse selon laquelle Théodose est bien celui à qui est destiné le Message. R. K., dans sa préface à la publication de la première partie du Message, souligne que « le contenu du Message laisse entendre qu’il est adressé à un moine ». Cependant, selon la juste remarque de Lourié, « nulle part dans le Message (sauf dans le titre qui, lui, a été ajouté par les éditeurs), on ne trouve d’indication que le correspondant était un moine ». On peut ajouter à cela qu’aucune source qui nous est parvenue — même pas dans le Message à Tretiakov cité par P. K. — ne désigne Théodose comme moine.

L’auteur du Message appelle son correspondant « mon cher frère spirituel » et avoue que ce dernier lui a « demandé plus d’une fois d’en parler...bien que je n’en sois pas digne ». En manifestant un profond respect pour son correspondant, il dit :

J’ai décidé d’oublier mon manque d’intelligence et la faiblesse de ma raison et j’ai fait ce que tu me demandais en me souvenant de ta foi et de ton amour du bien. J’ai donc osé composer et t’envoyer ce message qui ne sera certainement pas à la hauteur de tes souhaits.

Joseph de Volokolamsk et Nil Sorsky étaient alors des hommes âgés et pouvaient s’adresser de cette façon à un homme de leur âge, mais certainement pas à un jeune qui ne pouvait avoir alors plus de 30 ans.

Il serait donc intéressant de relever les faits suivants. Premièrement, les premières mentions de Théodose dans les écrits de Joseph n’apparaissent que dans les années 1510-1511. Deuxièmement, les chroniques, qui décrivent en 1481-82 la décoration par Dionysios et ses collègues de la cathédrale de la Dormition dans le Kremlin de Moscou, ne disent mot du fils du peintre. Il est probable que ses fils étaient alors trop jeunes et peu expérimentés pour participer à un travail de cette envergure. Troisièmement, Théodose était plus jeune que son frère Vladimir, ce qui est évident du fait que son nom suit celui de son frère dans la liste des peintres qui travaillaient à la décoration de l’église de la Dormition de la Vierge au monastère de Joseph de Volokolamsk. Ce travail a été achevé après 1486. Et en quatrième lieu, Théodose était le plus jeune des quatre peintres qui ont composé les « Quatre évangiles » en 1507 ; son nom figure le dernier dans la liste.

Peut-on voir dans Théodose le correspondant de Message ? Les faits déjà mentionnés montrent que Théodose, bien que talentueux, était trop jeune et trop peu connu à l’époque et ne devait recevoir sa première commande indépendante qu’en 1508, dans la cathédrale de la Bonne Nouvelle au Kremlin de Moscou. Or le Message est adressé à celui qui « supervise ceux qui peignent les vénérables et divines icônes », c’est-à-dire à un peintre d’importance, à un maître des

17

Page 18: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

iconographes. Il serait donc plus juste de supposer que, quel que soit l’auteur du Message, ce dernier s’adressait à Dionysios, un grand iconographe, dont l’art était très apprécié des contemporains. Il est plus que probable que c’est Dionysios qui a conseillé à Joseph de Volokolamsk de rassembler sous un même titre les trois traités sur la vénération des icônes, qui devaient ainsi servir à édifier non seulement ses disciples mais aussi tous les iconographes de la Russie.

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

18

Page 19: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Le Message à un iconographe se divise en quatre documents distincts.

1. Le « Message » lui-même qui, d’une certaine manière, sert de préface aux trois autres documents. 2. Le « Traité contre la nouvelle hérésie des hérétiques de Novgorod qui disent qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme. » 3. Le « Traité où l’on montre à partir des saintes Écritures, de quelle manière et pourquoi les chrétiens doivent vénérer les saintes icônes... » 4. Le « Traité dirigé contre les hérétiques de Novgorod qui disent qu’il ne faut pas peindre sur les saintes icônes la sainte et indivisible Trinité... »

1. La première partie est une attaque contre les « hérétiques...dont la démence et l’insolence ont sévèrement troublé la divine Église apostolique en y introduisant des croyances juives. » Les sources reliées à l’hérésie de Moscou et de Novgorod sont remplies d’allusions au judaïsme : « les dix commandements des juifs », le désir des hérétiques de se faire « circoncire dans la foi juive », leur observance du sabbat, leur refus des icônes en tant qu’ » idoles », etc. En relevant l’élément judaïsant de l’hérésie, l’auteur du « Message » pense avant tout à l’attention particulière que les hérétiques portaient aux textes de la Bible qu’ils utilisaient pour fonder leurs principes iconoclastes. L’Ancien Testament comporte toute une série d’indications interdisant toute représentation figurative [de la divinité]. Cet interdit est formulé avec le plus de force dans les dix commandements de Moïse.

Dans leur combat contre la vénération des icônes, les hérétiques se servaient beaucoup des livres de Moïse comme en témoignent, entre autres, les gloses de Perm, c’est-à-dire des notes de l’hérétique Ivan Chernyi dans les marges d’un recueil de textes bibliques du XVe siècle qui est conservé à la bibliothèque de Lénine, collection d’Oundolsky, no 1.

En faisant son profit de certains passages contradictoires ou obscurs de la Bible, l’auteur du « Message » réfute avec astuce, et un par un, tous les arguments des hérétiques, faisant parfois appel au Nouveau Testament. Dans chaque cas, il procède à une conclusion logique que sa digression lui a permis de déduire.

Il cite la Bible : « Tu ne te feras pas d’idole...et tu ne te prosterneras devant aucune idole... » Ensuite il explique : « c’est-à-dire aucune idole sinon celle qui est décente. Ainsi, si tu crées une image pour l’honneur et la gloire de Dieu, tu ne commets pas de péché ». Ceci donne à penser — et c’est l’idée qu’on trouve plus loin dans le texte du « Message » — que celui qui crée une représentation « indécente » est un pécheur et, donc, les mauvaises icônes ne peuvent être considérées comme saintes. Ceci rappelle la proposition, plus récente, du concile de Stoglav dans le passage adressé aux iconographes : « Maudit soit celui qui est négligeant dans le travail de Dieu »4. Il est clair que la

19

Page 20: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

« négligence » devait être comprise dans le sens de déviation par rapport au canon iconographique. Il est certain que les décrets de Stoglav, émis seulement 50 ans plus tard, ont utilisé quelques idées exprimées dans le Message à un iconographe. Mais on n’y retrouve plus cette compréhension du travail de l’iconographe comme une « pratique intelligente » qui était propre à notre document. Selon le Stoglav, la tâche de l’iconographe se réduit au simple copiage : « Peindre et dessiner avec un grand soin...en gardant l’œil sur l’icône des vieux maîtres, et représenter à partir de bons modèles... »

Dès le milieu du XVIe siècle, la créativité dans l’art iconographique a été remplacée par le pédantisme de l’art narratif. Contrairement au Stoglav, les principes idéologiques proposés dans le « Message » forment la somme des développements dans l’art iconographique jusqu’à la fin du XVe siècle et laissent au peintre toute la liberté de créer selon les mouvements de son inspiration. Ainsi on trouve, dans le premier des trois traités, l’affirmation que l’iconographe doit « ...créer des images...et pour ce faire élever son esprit vers Dieu ». Selon l’auteur du Message à un iconographe, on ne peut aspirer à remplir sa tâche d’iconographe sans cette « pratique intelligente ».

Cette même vision de la liberté créative était tout aussi caractéristique de la période plus ancienne. On peut rappeler ici la célèbre phrase d’Épiphane le Sage au sujet de Théophane le Grec : « Quand il dessine ou peint, on ne le voit jamais se servir de modèles, comme le font certains de nos iconographes. » Ces paroles d’Épiphane indiquent clairement qu’il était contre le copiage borné, auquel il opposait l’art inspiré de Théophane le Grec et exigeait que les iconographes travaillent à la manière de Théophane qui « réfléchissait sur les choses matérielles et spirituelles et voyait la beauté spirituelle avec les yeux de son intelligence. »

2. Le premier traité est, comme il s’ensuit de son titre, entièrement consacré à la question « pourquoi il faut vénérer les icônes ». En faisant appel aux exemples tirés de l’Ancien Testament, l’auteur souligne que cette vénération est, en fin de compte, la même chose que la prière, puisque l’une et l’autre sont indissociables : « Quand nous voulons demander quelque chose à un roi terrestre, nous nous prosternons d’abord devant lui et ensuite nous faisons notre demande. » Et en passant de l’exemple terrestre à l’exemple divin, il enchaîne : « En quoi le prosternement diffère-t-il de la prière ? Nous nous prosternons devant Dieu en lui adressant nos prières. »

Selon l’auteur du Message, la vénération des icônes est une chose toute naturelle, elle s’entend d’elle-même : « Tout le monde acceptait un tel prosternement comme un lieu commun connu de tous. » Et il explique : « Par exemple, nous honorons les rois et les princes, mais nous ne les divinisons pas. Aussi, nous nous honorons les uns les autres mais nous ne nous divinisons pas mutuellement. » De la même manière, il faut « nous prosterner devant la sainte

20

Page 21: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

et vénérable image de notre Seigneur Jésus Christ, devant celles de tous les saints...et devant les autres choses sacrées » que le Christ lui-même « a ordonné de fabriquer pour sa gloire. » En vénérant les icônes, « nous les servons sans les tenir pour des dieux. Mais nous le faisons pour la gloire et l’honneur de Dieu et de ses saints ».

Les icônes sont spéciales du fait de leur sens « divin » qui doit pénétrer tous les attributs extérieurs de l’icône et être compris immédiatement. C’est dans l’idée qu’exprime l’œuvre — et non dans l’or, les couleurs, le bois, etc. — qu’on voit le caractère fondamental qui différencie l’icône des autres représentations : « Les saintes icônes devant lesquelles nous, les chrétiens, nous prosternons aujourd’hui et les impures idoles devant lesquelles se prosternaient les Grecs. Le prototype des saintes icônes est saint et honorable, alors que le prototype des idoles est mauvais, impur et démoniaque. » Ainsi, s’il y a une différence entre les icônes et les « idoles grecques », ce n’est pas la différence dans la manière des peintres païens et chrétiens qui est importante mais l’opposition fondamentale dans la signification idéale de leurs œuvres.

3. Le deuxième traité, plus exactement narration, où il est question de la spécificité des icônes et de leur perception, est une sorte d’instruction sur ce « de quelle manière et pourquoi les chrétiens doivent vénérer les saintes icônes ».

Une courte réponse à cette question se trouve au tout début du traité. Il faut vénérer les icônes...

...car ce qu’on ne peut voir avec nos yeux corporels, nous le contemplons avec l’esprit, grâce à l’image iconique...Cette image sensible élève notre esprit et notre pensée par le désir et l’amour vers la divinité ; ce n’est pas la chose sensible que nous vénérons alors, mais la beauté que nous pouvons contempler dans cette représentation de la divinité.

Cette citation n’a rien d’original. Il s’agit ici d’une idée apologétique traditionnelle de la relation entre l’image sensible et son prototype transcendant, qui tire sa source de la relation platonique entre l’objet et son idée. Cependant, cette brève proposition sert à définir l’essence des icônes, leur signification pratique, ce dont doit se préoccuper le peintre dans son travail d’iconographe. La perception sensible de la beauté de l’image doit mener à la « contemplation spirituelle », diriger la pensée vers le désir du divin et de son amour, préparer à la prière « intelligente ». D’autre part, cette contemplation permet au profane de comprendre l’idéal de la perfection humaine auquel chacun doit aspirer. C’est avant tout l’idéal de la beauté spirituelle de celui qui sacrifie sa vie pour le salut des hommes, modèle de la pureté morale qu’on doit exprimer dans ses actes, car cette morale repose sur la promesse de l’amour universel. Ce n’est pas un hasard que les traits de cet idéal, dans sa relation à l’homme, sont regroupés

21

Page 22: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

dans le deuxième traité du Message à un iconographe. Tout cela exige du peintre une conscience claire et distincte de sa responsabilité en tant qu’iconographe. Cette responsabilité le met au même rang que tout autre militant de l’idée, en faisait de lui un « guerrier du Christ », et c’est pourquoi le Stoglav affirme que « n’importe qui ne peut pas être iconographe » et qu’il faut honorer les iconographes plus que les « hommes simples ». L’œuvre artistique doit être parfaite pour que sa qualité artistique corresponde à la grandeur de l’idée qu’elle exprime afin que l’idée puisse devenir active, capable d’éduquer les hommes et leur donner une philosophie dont dépendent l’utilité de la vie de chaque homme, le destin de l’individu et de tout le pays.

4. Il faut remarquer qu’à la fin du troisième traité, consacré tout spécialement à ce « comment les chrétiens doivent représenter la très-sainte Trinité sur les saintes icônes », il y a des coïncidences textuelles avec le passage du deuxième traité cité plus haut. Mais l’idée du texte est ici plus accentuée et plus convaincante que dans le deuxième traité lequel, d’ailleurs, a quelque chose d’une compilation. Tout cela permet de penser que le troisième traité pouvait avoir été composé avant le deuxième.

Dans sa réfutation formelle des arguments hérétiques quant à la présence dans l’Écriture de nombreux passages contredisant le triple caractère de la divinité, l’auteur du troisième traité trouve une solution astucieuse à cette difficulté :

Beaucoup de contradictions qu’on pense remarquer dans les saintes Écritures ne sont qu’apparentes. L’impression d’incohérence est plutôt causée par notre manque de discernement et d’attention et par la négligence dans la lecture. Or, les propos des saints hommes ne changent pas. Nous ne pouvons, étant charnels, espérer comprendre les choses spirituelles...

Dieu le Père est « invisible, incorporel, indescriptible, indicible, inconcevable ». Tous ceux qui ont vu Dieu « n’ont jamais pu apercevoir l’essence de la divinité » mais seulement diverses manifestations sensibles de celle-ci. On dirait que l’auteur du traité justifie par là toute représentation de la divinité, pourvu que cette représentation corresponde à l’Écriture : « En effet, Dieu n’apparaît pas tel quel mais sous telle forme que le spectateur puisse le voir. » C’est ce qui explique pourquoi le Stoglav ne dit rien au sujet de la représentation exacte de la Trinité : « II faut peindre les icônes à partir des anciennes images, comme celles des Grecs ou d’André Roublev et d’autres grands iconographes, et donner à l’icône le titre de la « Sainte Trinité. » L’auteur du troisième traité dit :

En effet, tout ce qui se dit et s’écrit sur Dieu se dit et s’écrit non pas selon la puissance et la majesté de Dieu, mais selon la faiblesse de ceux qui écoutent, ou encore — comme on dit — selon le besoin, de sorte que ceux qui ont la chance d’avoir de telles visions n’essaient pas d’analyser en

22

Page 23: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

profondeur ces mystères, mais qu’ils croient avec crainte et respect.

Dans ce même contexte, on trouve une explication particulièrement intéressante du symbolisme iconographique :

La Sainte Trinité est apparue à Abraham sous forme humaine, alors que les saints Pères nous ont instruits de la représenter sur les saintes icônes comme des êtres divins et royaux, comme des anges. Mais ils l’ont fait pour donner à ces représentations de la divinité plus d’honneur et plus de gloire. Ainsi, le fait que les divines Personnes sont assises sur le trône symbolise leur royauté et leur majesté. Et les couronnes qui entourent leur saint front font référence au cercle, qui est le symbole de Dieu-prince-de-toutes-choses, car de même que le cercle n’a ni commencement ni fin, de même Dieu est sans commencement et sans fin. Et le fait que l’on représente les divines Personnes avec des ailes laisse voir qu’elles sont des êtres célestes, qui se meuvent par eux-mêmes, qui s’élèvent vers les hauteurs, qui ne sont accablés de rien, qui ne sont pas liés aux choses de la terre. Et le sceptre qu’ils ont dans la main symbolise leur pouvoir, leur autorité et leur puissance. Voilà ce que symbolise leur représentation en tant que des êtres divins, royaux et angéliques.

La question de l’union dans les icônes « du divin » et « de l’humain », question cruciale pour le problème du réalisme dans l’art russe ancien, trouve un nouveau traitement dans le deuxième traité.

Seule une image terrestre, proche de l’homme, peut être comprise de ce dernier et l’inciter à sympathiser avec le divin et à l’imiter : « Le Seigneur connaît la faiblesse de l’homme qui ne peut embrasser ce qui dépasse sa nature et qui s’en écarte pour son malheur. » Le trait de séparation entre l’image corporelle, réelle, et « l’indescriptible » (qui est l’objet de l’iconographie) est clairement tracé par l’auteur du deuxième traité dans sa discussion du dogme des deux natures du Christ. Le Christ est « indescriptible selon sa divinité », tandis que sa représentation iconographique est « son image selon l’humanité ». L’icône, fabriquée avec des « matériaux corruptibles », ne représente que la nature humaine du Christ, « son humanité qu’il a assumée pour notre salut. » Mais l’humain dans le Christ est intrinsèquement lié à sa divinité : « sa personne...est unique, car il est le Fils de Dieu et de la Vierge, en même temps Dieu et homme...de sorte qu’il agit selon deux volontés distinctes — divine et humaine — qui composent son être. » Sa volonté divine s’est exprimée dans les miracles, sa volonté humaine dans le fait qu’il a accepté « les passions de l’âme associées à la chair humaine qu’il a prise sur lui » ; le Christ a réprimé en lui tous les sens et les passions indignes de l’homme et montrait ainsi l’exemple de la perfection morale. C’est donc dans la création d’une image idéale de l’homme parfait — image qui peut non seulement inciter à de nobles pensées mais aussi susciter la

23

Page 24: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

réflexion philosophique orientée de manière appropriée — que consiste, en fin de compte, la tâche de l’iconographe.

Ensuite l’auteur du deuxième traité indique comment on doit représenter les saints qui « sont incorporels et indescriptibles. Cependant, plusieurs hommes les ont aperçus. »5 Il dit la même chose des autres représentations et remarque enfin : « Nous vénérons leurs très-honorables et désirables images ; nous nous prosternons devant elles ; nous pensons qu’elles se trouvent comme vivantes parmi nous, car leur amour est grand. » Ainsi toute icône est comprise comme un exemple vivant et positif, digne d’être vénéré et suivi comme modèle, et capable de produire un effet moral sur l’homme.

L’homme, cette « merveilleuse et miraculeuse union » du corps et de l’esprit, était considéré dans la vieille Russie comme l’expression ultime de la beauté que Dieu a conférée à la création. Les vices, étrangers à la nature humaine, et le moyen de s’en défaire, sont dus au libre arbitre de son âme, la libre volonté de l’homme. Tout le Message est secrètement imprégné de l’idée que ce n’est pas l’homme qui sert la vérité mais la vérité qui sert l’homme. C’est ce qui explique les nombreuses références du Message à l’éthique qui n’ont, en apparence, aucun rapport avec sa polémique contre l’iconoclasme. V. N. Lazarev a donc raison d’observer que « les questions éthiques, y compris les problèmes de la morale pratique, jouaient...un rôle important dans la conscience religieuse de l’époque, qui avait peu de goût pour les propositions abstraites de la théologie byzantine. »

Déjà les participants du Vile concile œcuménique voyaient dans la peinture « un livre pour les illettrés ». En discutant de la vénération de l’évangéliaire, l’auteur du deuxième traité compare sa signification à celle des icônes :

Il n’y a aucune différence entre eux...Le scribe a composé l’évangile en y décrivant par les mots l’apparence charnelle du Christ. Le peintre fait la même chose en peignant sur la planche l’apparence charnelle du Christ. Ce que l’évangéliaire raconte par les mots, le peintre l’exécute à coups de pinceau.

En établissant un parallèle entre le travail de l’artiste et celui du narrateur, l’auteur du deuxième traité souligne l’importance du travail des iconographes et met en valeur la signification didactique propre aux icônes.

La tâche de l’iconographe revient à rendre accessibles à l’homme simple et sans éducation — dans ce cas, simple paroissien de la fin du XVe siècle — les propositions philosophiques et théologiques de l’Écriture, en les incarnant en images.

Enfin, l’auteur du deuxième traité soulève une question importante : comment 24

Page 25: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

vénérer les icônes, comment les percevoir « dans ton âme par la pensée et dans ton corps par les sens ? »

La première condition pour une perception active de l’icône doit être, selon lui, la concentration et la paix de l’âme :

Chassons de notre pensée tous les soucis du quotidien — la rancune et la colère, la violence et la haine ainsi que les désirs de la chair ; disposons nos yeux pour les larmes, en nous remettant complètement aux choses célestes. En d’autres termes, comme le dit le prêtre : « Tenons-nous bien. »...comme un archer qui, s’il veut lancer ses flèches avec justesse, commence par choisir avec soin la meilleure posture pour son corps... Et toi, fais de même pour mieux viser la tête du diable. Commence par prendre soin de la piété de tes sens et ensuite occupe-toi de la piété intérieure afin que tes flèches — qui sont la prière — atteignent le diable avec justesse.

En se préparant à la prière, l’homme doit se défaire de toutes les pensées inutiles et se concentrer de manière à diriger son esprit vers des réflexions tristes : « Affligeons notre âme en pensant à la mort et au compte que nous aurons à rendre de nos péchés, en pensant au Jugement Dernier qui sera sans merci et sans pardon. » Ce n’est qu’après cette étape qu’on peut commencer à prier en contemplant l’icône.

Ainsi, pour bien percevoir l’icône, il est nécessaire de créer un contraste entre le désespoir de l’âme et la bonté qui se dégage du regard de l’icône. Ce contraste bouleverse la pensée et la prépare ainsi à une réception active de l’idée contenue dans l’icône :

Car de même que l’attroupement des nuages assombrit l’air laissant tomber de nombreuses gouttes, après quoi la pluie cesse et tout se remplit de paix et de lumière, de même la tristesse, tant qu’elle est en nous, assombrit nos pensées, mais les paroles de la prière et ensuite les larmes l’épuisent. Alors notre âme, oublieuse des vaines conversations du monde, devient toute claire, comme si Dieu avait projeté un rayon de lumière dans la pensée de celui qui prie. C’est cela : la lumière de la prière est comme la lumière de la lampe.

Et il disait auparavant : « Emploie tout ton cœur [...] à élever ton intelligence jusqu’à la contemplation de la sainte, unique et vivifiante Trinité que tu contempleras dans la pensée et dans ton cœur pur. »

Les passages cités expriment en termes simples la théorie hésychaste de la « prière intelligente » qui, selon Nil Sorsky, n’est que le germe. Son fruit est l’étape supérieure, la pratique intelligente — un état où l’homme se fond avec

25

Page 26: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’infini, avec une lumière incorporelle où il voit Dieu.

Il est indubitable que le moment de « l’illumination de la pensée » était considéré comme la condition essentielle de la perception active de l’icône. Il est possible que la théorie proposée par l’auteur du Message ait eu quelques liens avec l’idée aristotélicienne du catharsis — purification du psychique des passions négatives.

Le Message à un iconographe, à la suite des traités anti-iconoclastes byzantins, affirme sans équivoque la supériorité de l’idée, de la signification, sur le côté matériel de l’iconographie. Cependant, l’auteur du Message avait parfaitement conscience du fait que l’idée de l’œuvre ne peut devenir accessible qu’à travers la « contemplation sensible » et dépend donc de la force de l’effet que le peintre peut atteindre en créant l’image. C’est pourquoi il ne nie point « l’aspect matériel de la beauté » de l’image et affirme même sa nécessité, ce qui ne l’éloigne pourtant en rien de la philosophie intellectuelle de Nil Sorsky et des hésychastes : pour lui, la beauté extérieure est symbole et synonyme de la beauté spirituelle. Selon la remarque judicieuse de D. S. Likhachev, le peintre de la vieille Russie « n’aspirait pas à créer dans ses œuvres une illusion de la réalité. Il représentait plutôt son essence, son ”sens” parfois caché, et il le faisait selon l’idée qu’il en avait. »

L’apparition du Message à un iconographe témoigne de la compréhension claire des contemporains de l’importance sociale de l’art. Après l’inclusion de ce document dans le célèbre recueil de Joseph de Volokolamsk, intitulé Prosvétitel (l’instructeur), il a joué un rôle important dans le développement des points de vue artistiques de l’époque ultérieure. Les chercheurs ont relevé l’influence du Message sur les écrits de Maxime le Grec, du métropolite Macaire, de Zinovy Otensky et d’autres. Parmi les écrits qui ont continué la tradition du Message à un iconographe, on trouve les traités anti-iconoclastes de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle : Petit Livre du clerc Vasili, publié en 1588 à Ostrog, où la question des icônes est discutée dans la partie VI de cette publication ; le traité anonyme Sur les icônes, les crucifix, la glorification de Dieu, la glorification et la prière des saints, publié vraisemblablement à Vilna en 1602 ; l’écrit Contre les iconoclastes et toutes les mauvaises hérésies que S. Platonov date de 1624-1633 ; et d’autres.

La tradition de ce genre de traité « apologétique » s’est conservée assez longtemps. Cependant, on doit remarquer que même dans les écrits aussi orthodoxes que le Message du patriarche Païssy d’Alexandrie de 1668 apparaissent des traits nouveaux, qui n’existaient pas à l’époque antérieure : on s’intéresse plus aux questions de l’esthétique qui perdent ainsi le lien organique avec la théologie qu’elles avaient à l’origine. Selon la formule de V. I. Lénine 6, à partir du XVIIe siècle, commence « une nouvelle période dans l’histoire russe ». De ce fait, l’affirmation de lu. N. Dimitriev, selon laquelle « les propositions théoriques des traités [du XVIIe siècle — N. G.] ne diffèrent en rien et même

26

Page 27: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

coïncident avec les vues sur l’art qui existaient auparavant dans la vieille Russie », n’est pas entièrement satisfaisante. Quelques nouveautés dans le débat sur les icônes apparaissent déjà au XVIe siècle. Il s’agit avant tout d’un intérêt croissant pour le détail de l’iconographie et de nouvelles conclusions sur la signification des représentations qui en découlent. Toutefois, ces idées se fondent encore sur celles proposées pour la première fois dans le Message à un iconographe.

******************

La question de la compréhension du beau dans la vieille Russie — avant le XVIe

siècle — n’a presque pas été étudiée. Le manque de sources écrites oblige les chercheurs à se fonder presque entièrement sur l’intuition.

Il est absolument évident que le Message à un iconographe, au-delà de son but polémique, est aussi une sorte de traité sur les questions de l’art religieux. Ceci est confirmé 1) par les expressions de l’auteur (« et c’est de même qu’il faut peindre sur les saintes icônes... », « c’est de la même manière qu’il faut représenter en peinture... »), 2) par ses digressions sur l’art iconographique qui n’ont aucun rapport avec sa critique de l’hérésie et 3) par ses réflexions théologiques, qui n’auraient pas manqué d’intéresser tout iconographe avec un penchant pour la philosophie. En faisant un vaste usage de l’argumentation des défenseurs byzantins des icônes, l’auteur du Message essaie de l’amalgamer avec la théorie hésychaste de la pratique intelligente.

L’hésychasme est apparu en Russie dans les années 20 du XIVe siècle et une fois « canonisé » dans la deuxième moitié de ce siècle, il a pénétré dans la littérature (Épiphane le Sage, Photius) et dans la peinture (Théophane le Grec). Ce mouvement s’est si bien adapté et assimilé qu’il en a perdu, avec le temps, toute indépendance et s’est dilué dans la théologie officielle, sans pour autant cesser d’exister puisque encore dans la deuxième moitié du XVe siècle, on en trouve des adeptes tels qu’un Nil Sorsky.

Quels changements dans l’art a pu occasionner l’apparition du Message à un iconographe ?

Le nombre d’objets d’art de la période avant Roublev qui nous sont parvenus dans un état satisfaisant est assez limité. Cependant, la plupart de ceux-là témoignent de la perte progressive par les peintres moscovites de la base idéologique qui avait déterminé la spécificité du style de ce qu’on appelle l’école de Roublev. Ces peintres ont appris de Roublev à estimer la beauté expressive de la ligne, à appliquer avec adresse la technique du « jaunissement » et de la « dilution », à utiliser toute la richesse des couleurs vives et agréables pour l’œil ; mais, avec tout cela, ils se sont trop engoués pour le côté formel de la peinture, ce qui a amené à l’apparition d’œuvres hautes en couleurs mais peu profondes

27

Page 28: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

quant à l’idée.

Apparemment, tout cela inquiétait beaucoup les connaisseurs de l’art et les amateurs des maîtres anciens. En parlant dans sa Réponse aux sceptiques de l’art de Daniel Tchorny et de « son élève » André Roublev, Joseph de Volokolamsk s’opposait à l’art des iconographes contemporains qu’il avait l’air de blâmer en disant qu'il ne faut jamais s’exercer dans les choses terrestres, mais toujours élever son intelligence et sa pensée vers la lumière immatérielle et divine, et toujours lever ses yeux sensibles vers les images du Seigneur et de sa très-pure Mère et de tous les saints, images peintes avec des couleurs matérielles.

Joseph de Volokolamsk voyait que la pénétration hésychaste du sens des phénomènes, c’est-à-dire la capacité que Roublev a héritée de Théophane le Grec d’exprimer « l’intelligible » au moyen des images sensibles s’est perdue chez ses successeurs. Alors, quelle place parmi ces successeurs revient à Dionysios ?

Nous savons que Joseph de Volokolamsk estimait les œuvres de Dionysios au moins autant que celles de Roublev. Si nous faisons confiance aux évaluations de Joseph et si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle Dionysios était le « commanditaire » du Message à l’iconographe, alors l’œuvre de ce dernier devrait être mise à part dans l’art russe de la deuxième moitié du XVe siècle. À la lumière de ces faits, on serait amené à reconnaître Dionysios comme l’héritier et le continuateur de la tradition de Roublev-Théophane, opposé aux recherches formelles de l’art de son temps.

Notre approche contredit sur plus d’un point toute l’opinion savante de notre temps sur Dionysios. Mais sur quoi se fonde l’argumentation de cette opinion ? À part deux icônes de l’artiste attribuées « avec certitude » (sont-elles signées ?) — le Sauveur et la Crucifixion au monastère de Paul Obnorsky — et l’icône Hodiguitria que Dionysios a restaurée en 1482, il n’y a aucune autre œuvre qu’on pourrait lui attribuer sans hésitation. C’est pourquoi la théorie qui fait de Dionysios le fondateur de l’approche formelle dans l’art russe, celui qui l’a standardisé et y a introduit un élément pompeux et officiel, nous semble prématurée.

Sous ce rapport, l’opinion exprimée par de nombreux historiens de l’art selon laquelle l’œuvre de Dionysios serait de caractère essentiellement mondain et même « officiel », semble particulièrement contestable.

Il ne faut pas croire que Dionysios ne s’intéressait qu’aux fonctions dogmatique et spirituelle de l’art. Les éléments formalistes qu’on retrouve effectivement dans les œuvres de Dionysios témoignent, à mon avis, non pas tant des intérêts

28

Page 29: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

profanes du peintre que d’une recherche incessante d’un langage plus expressif, capable de provoquer un état de contemplation spirituelle. Ce n’est que dans les travaux de ses successeurs que ces éléments ont acquis un caractère « mondain » qui a évolué au XVIe siècle vers l’étrange style pompeux de l’école de Moscou. Cependant, la question du rôle de Dionysios dans le développement de l’élément séculier dans l’art de la vieille Russie dépasse les objectifs du présent article et nécessiterait une étude à part.

Les sources n’ont pas préservé les noms des commanditaires laïques de Dionysios. Il est peu probable que Dionysios ait été « l’un des peintres préférés d’Ivan III » : celui qui a commandé les fresques de la cathédrale de la Dormition n’était pas le grand prince, mais l’archevêque de Rostov, Vassian Rylo, qui avait connu Dionysios quand ce dernier travaillait au monastère de Paphnuce-Borovsky. Ivan III, exclusivement préoccupé de la politique, était à peine un connaisseur de la peinture. Il n’a jamais choisi lui-même les peintres, préférant laisser ce soin à ses courtisans et à leurs goûts ; la floraison culturelle de son règne s’explique principalement par les ambitions politiques du grand prince. Qui plus est, il y a de sérieuses raisons de suspecter qu’il sympathisait avec les hérétiques de Novgorod qui professaient l’iconoclasme.

Et que dire enfin du voyage que Dionysios, alors un vieillard, a fait au lointain monastère de Théraponte, citadelle des non possesseurs, qui abritait à cette époque des hommes tels que l’ancien archevêque de Rostov, 1481-89, Joasaph et Spiridon-Savva, tous deux mis au ban par Ivan III et naturellement peu inclinés à sympathiser avec le grand prince.

Il y a raison de penser que ce voyage de Dionysios n’était pas le fait du hasard. Pendant ce temps, il a certainement eu l’occasion de visiter d’autres monastères des non possesseurs (tels que le monastère Spaso Kamennyi ou celui de Cyrille) qui entretenaient des relations étroites avec le mont Athos et où Dionysios a peut-être même eu l’occasion de travailler. Il est possible que l’invitation à venir décorer l’église du monastère n’était qu’un motif parmi d’autres. Joseph de Volokolamsk s’intéressait beaucoup à l’activité des startzi d’outre Volga et avait lui-même visité leurs monastères reconnus pour leurs bibliothèques et leurs icônes. Il pouvait avoir conseillé à Dionysios d’entreprendre ce voyage. Et puis, il y a une autre possibilité : ce voyage de Dionysios au monastère de Théraponte, refuge des exilés du grand prince, était-il la conséquence de son propre bannissement ?

Selon le témoignage des sources, Dionysios était laïque. Mais cela ne veut pas dire que ses intérêts se limitaient aux thèmes séculiers. Il est difficile de croire qu’un peintre dont l’œuvre était si intrinsèquement liée avec les questions philosophiques et religieuses, ait pu être resté indifférent à ces questions à l’époque où le tumulte intellectuel était à son apogée et quand, selon l’expression de Joseph de Volokolamsk, « tous, moines et laïques, chez eux et sur les places

29

Page 30: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

publiques, doutaient de la foi et la questionnaient ».

En effet, même un examen superficiel de l’iconographie des fresques de l’église de la Nativité de la Vierge au monastère de Théraponte permet d’affirmer que tous les sujets qui y sont traités se rapportent, plus ou moins directement, à la lutte contre l’hérésie des judaïsants.

Certains parmi vous blasphémaient notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, et sa très-pure Mère ; d’autres parmi vous disaient que notre Seigneur Jésus Christ n’est pas le Fils de Dieu ; d’autres encore injuriaient par des discours blasphématoires les grands hiérarques, les thaumaturges et plusieurs grands et vénérables saints Pères de l’Église ; et d’autres parmi vous injuriaient les sept conciles des saints Pères.

Telle est l’accusation portée contre les hérétiques dans le jugement du concile de 1490. On retrouve ici les principaux thèmes que voulait accentuer le peintre des fresques du monastère de Théraponte : glorification de la Vierge comme 1) la Mère de Dieu du Verbe incarné dans a) la Liturgie des saints Pères sur l’abside centrale et dans b) la Vierge avec l’Enfant, les anges à genoux et les hiérarques sur la frise, mais aussi comme 2) protectrice, bienfaitrice et reine du monde dans a) la Pokrov (intercession/protection) de la lunette au-dessus de l’abside de l’autel, dans b) la « En toi se réjouit » sur le mur sud, dans c) l’Hommage à la Mère de Dieu sur le mur nord et dans d) le Jugement Dernier sur le mur ouest.

Le thème de la Vierge s’entrelace avec celui de la glorification des vénérables saints Pères, des grands hiérarques et thaumaturges, que les hérétiques « injuriaient par des discours blasphématoires », et se conclut par les illustrations symboliques de l’Acathiste.

Dans toutes les représentations où figure le Christ, on souligne la vérité et le sens divin de son incarnation. Les scènes des évangiles, qu’on retrouve dans les fresques (résurrection de la fille de Jaïre, guérison des aveugles, etc), sont là pour prouver la nature divine du Christ, niée par les hérétiques.

Enfin, des compositions illustrant les conciles œcuméniques — sur les murs nord, sud et ouest — ainsi que la vision de Pierre d’Alexandrie et celle du frère de Léontius sont également dirigées contre les hérétiques.

Dans son article sur l’iconographie des fresques du monastère de Théraponte, I. E. Danilova observe avec raison que [...]

ce ne sont pas les épisodes dramatiques ou le canevas narratif et pseudo-historique de la légende sacrée qui intéressait Dionysios mais, avant tout, la signification théologique des principaux dogmes de la religion orthodoxe.

30

Page 31: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

On pourrait dire la même chose de l’auteur du Message à un iconographe. Dans les deux cas, l’attention particulière portée à la signification des dogmes était déterminée par la polémique contre les hérétiques.

Il serait particulièrement intéressant d’examiner comment la méthode de Dionysios influencée, selon Joseph de Volokolamsk (Réponse aux sceptiques), par celle de Roublev, pouvait aider à la réalisation de ces objectifs. Tout comme l’auteur du Message à un iconographe, Dionysios utilise dans son œuvre les théories hésychastes et avant tout celle de la prière intelligente.

Un chercheur perspicace [I. E. Danilova] a observé que déjà dans l’icône Hodiguitria du monastère de l’Ascension, Dionysios représente non pas tant une image qui serait l’objet de la prière mais « plutôt la prière elle-même, la communication avec l’icône » ; tandis que dans les fresques du monastère de Théraponte, « l’objet d’adoration disparaît définitivement. » Les compositions de Dionysios sont construites de manière à ce que les personnages représentés participent à la prière commune — à laquelle l’auteur du Message accordait une signification toute particulière — et à la prière individuelle de tous les fidèles présents. Et pourtant, ce qui est représenté n’est pas la prière. Celle-ci est le résultat de la pratique intelligente, décrite avec tant d’expression dans les traités hésychastes. Voici comment cet état est décrit par Nil Sorsky : « Je vois une lumière qui n’existe pas dans le monde [...] au fond de moi je vois le Créateur du monde, je parle avec lui, je l’aime, je mange, en me nourrissant richement de cette seule vue, et m’unissant à lui je monte au ciel. » Dans cet état, l’homme réalise qu’il est supérieur aux anges, car pour ces derniers, Dieu « est invisible...en essence, tu es inaccessible dans ta nature, mais moi je te vois de tous les côtés, et l’essence me mêle à ta nature. »

Plus haut dans cet article, j’ai dit que le principe « de l’image matérielle vers le prototype immatériel » constitue la partie intégrante de la théorie hésychaste de la vision spirituelle. Voici une conséquence de cette théorie : le monde réel est infiniment inférieur au monde idéal, et moins parfait que le monde attendu. C’est là le secret de la méthode de Dionysios. Le peintre représentait le monde voulu, attendu (résultat final de la pratique hésychaste) dans lequel est atteint (selon l’enseignement hésychaste — aussi bien au niveau corporel que spirituel) un état de divinisation. Les figures de Dionysios sont pénétrées d’une beauté surnaturelle, elles sont placées dans un espace irréel privé de volume propre à la terre, qui est comme la lumière des rayons immatériels concentrée à travers le prisme de la réalité supérieure. La solution picturale de cette idée a été suggérée à Dionysios par les œuvres de Roublev. La gamme des couleurs des fresques du monastère de Théraponte constitue une variété infinie de couleurs vives mais transparentes et lumineuses où prédomine un bleu ciel clair.

La théorie psychologique des hésychastes exigeait une constante limitation et

31

Page 32: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

même élimination des pensées et des actes extérieurs et mondains. Le dépassement de ces pensées et de leurs manifestations extérieures était considéré comme une condition nécessaire pour atteindre à l’état de la pratique intelligente. Les extases des moines byzantins ont été remplacées en Russie par le calme de la pratique du cœur, dont les principes étaient partagés autant par un partisan de la vie commune tel que Joseph de Volokolamsk, que par l’adepte de la silencieuse vie monastique tel que Nil Sorsky. Les icônes et les fresques de Dionysios illustrent ces principes en images.

Le mouvement des figures est au ralenti, marqué par une attitude légèrement courbée ou par un geste, généralement des mains, qui détermine la signification de la composition. Les regards sont calmes, sérieux et tendres. Joseph de Volokolamsk, préoccupé par la pratique extérieur, conseille d’être économe dans ses mouvements, de marcher tranquillement. Nil Sorsky, d’accord avec Joseph, dit que « l’homme intérieur est reflété dans l’homme extérieur » et exige que le regard du moine soit aussi plein d’humilité et de tendresse que son attitude corporelle, « car même un regard peut offenser un frère. »

NOTES

1. Le texte russe dont nous présentons ici la traduction française se trouve dans Vizantiisky Vrémennik XXVI, Moscou, 1965, pp. 219-238. 2. Que le lecteur distingue clairement entre les deux façons d’écrire le mot MESSAGE ; le « Message » désigne la première des quatre parties et le Message désigne les quatre parties ensemble. Goléizovsky ne distinguait pas les deux, créant ainsi une difficulté pour le lecteur. 3. Dans la publication russe, l’introduction dont on parle ici a été signée tout simplement « P. K. ». Nous n’avons pas d’autre information sur ce mystérieux personnage. 4. Jr 48, 10 : « Maudit celui qui fait l’œuvre du Seigneur avec mollesse. » 5. Goléizovsky a mal lu le texte du Message à ce point : « Deuxième Traité », section 8 « Icônes des saints », 2° paragraphe. Il est très clair que l’on parle des anges et non pas des hommes saints. Les hommes ne sont pas « incorporels et indescriptibles » que « plusieurs hommes [...] ont aperçus ». 6. Pour un chercheur soviétique, citer Lénine dans un article où il n’a absolument pas de place allait sans doute de soi. Pour nous, par contre, ces quelques mots clignotent comme un spot géant indiquant le prix intellectuel à payer pour être publié dans l’Union soviétique. [L’éditeur]

32

Page 33: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

MESSAGE À UN ICONOGRAPHE*

Je t’invite, mon cher frère spirituel, à prendre connaissance des écrits qui expliquent le vrai sens des Écritures divines ; je te les envoie parce que tu aimes Dieu et aussi parce que tu m’avais demandé plus d’une fois de t’en parler pour éclairer ton âme et pour perpétuer ma mémoire après la mort bien que je n’en sois pas digne. Cependant, tu aurais tort si tu me croyais fort en actions et en paroles, mais tu connais ma faiblesse et cela ne te gêne pas. Et puisque tu me demandes une consolation, non pas pour la chair mais pour l’esprit, j’ai décidé d’oublier mon manque d’intelligence et la faiblesse de ma raison et j’ai fait ce que tu me demandais en me souvenant de ta foi et de ton amour du bien. J’ai donc osé composer et t’envoyer ce message qui ne sera certainement pas à la hauteur de tes souhaits mais tout au moins à la mesure de mes capacités.

Cependant, mon écrit tombe bien, car de nos jours le monde s’est rempli de menteurs, je veux dire de ces hérétiques de Novgorod qui disent qu’il ne faut pas se prosterner devant1 les objets faits par l’homme, c’est-à-dire les vénérables icônes, la sainte et vivifiante croix et les autres objets sanctifiés et divins que notre Seigneur a bénis et glorifiés dans la nouvelle grâce2 et dans l’Ancien Testament. Mon écrit te sera donc d’autant plus utile que tu supervises ceux qui peignent les vénérables et divines icônes.

Mon message comporte trois traités. Le premier sera utile pour confondre les hérétiques qui disent qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme ; j’y montre, en m’appuyant sur les divins écrits des prophètes et des justes de l’Ancien Testament, que l’on se prosternait devant les objets faits par l’homme dès le moment où l’on a créé l’église3, appelée sanctuaire (skinia) à l’époque, et qu’on continuait à se prosterner devant eux dans le temple de Salomon, car Dieu lui-même ordonna de les créer pour sa gloire. Le deuxième traité sera utile à tout chrétien, à celui surtout qui ne possède pas beaucoup de livres ou qui ne connaît pas les saintes Écritures ; j’y montre, en m’appuyant sur les divins écrits du Nouveau Testament, des apôtres, des bénisseurs4 et de nos vénérables et divins pères, de quelle manière et pourquoi il faut se prosterner devant les saintes icônes, la sainte et vivifiante croix, le saint évangéliaire, les très-purs et divins mystères et les vases sacrés où s’accomplissent ces divins mystères, ainsi que les reliques des saints et les églises de Dieu. Après cet exposé, j’explique brièvement de quelle manière et pour quelle raison nous devons nous honorer les uns les autres, pourquoi nous devons honorer les tsars et les princes et de quelle façon nous devons aujourd’hui nous prosterner devant Dieu selon le Nouveau Testament et ne servir que lui. Le troisième traité est dirigé contre les hérétiques qui disent qu’il ne faut pas peindre sur les saintes icônes la sainte et indivisible Trinité, car, disent-ils, Abraham vit Dieu4a en

33

Page 34: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

compagnie de deux anges et non pas la Trinité. Dans ce traité, se trouve le récit tiré des saintes Écritures qui confirme qu’Abraham vit effectivement la sainte Trinité et que donc les chrétiens ont le devoir de peindre sur les saintes icônes la sainte et indivisible Trinité. Sache, cependant, toi qui aimes Dieu, que tout cela n’est pas le fruit de mes réflexions ; ce que je t’envoie ici est plutôt une compilation des extraits de plusieurs écrits divins, car je sais que tu n’as pas une grande bibliothèque.

Lis tout cela avec intelligence et prie Dieu pour qu’il me pardonne ma faible raison et ne m’oublie pas après ma mort — comme tu me l’as promis — car je suis vieux et la coupe de la mort avec son breuvage m’attend déjà. Elle est douce à boire si on s’est confessé ; si on ne l’a pas fait, elle est par contre plus âpre que l’absinthe. Voici pourquoi le saint prophète David prie en disant : « Exauce ma prière et ma supplication, Seigneur ; prête l’oreille à mes larmes. Ne garde pas le silence, car je suis un étranger chez toi, un pèlerin, ainsi que tous mes pères. »5 « Soulage-moi par la confession pour que je repose en paix. »5a Sa Mais la confession ne peut se faire sans la purification de l’âme ; la purification de l’âme ne peut se faire sans larmes ; les larmes ne peuvent être dans la révolte, car la révolte trouble la raison et ne lui permet pas de voir ses péchés. Et alors, l’homme s’habitue à la négligence et à l’oubli qui, à leur tour, amènent les passions. C’est l’itinéraire de ceux qui vivent dans la paresse ; c’est le secret qui se cache en moi. C’est pourquoi j’ai peur et je tremble de boire la coupe de la mort : elle viendra à moi, elle m’atteindra et je ne saurai la fuir. Et quand le prince noir du monde m’attrapera au vol et découvrira mes péchés, je retrouverai les vraies larmes, mais ce sera déjà inutile. Car l’esclave qui sait la volonté de son maître et ne l’exécute pas sera battu sans pitié. Mais pour ceux qui tous les jours boivent au nom du Christ la coupe de la mort par leurs larmes et leurs souffrances, la coupe de la mort est un divin remède et elle est plus douce qu’une coupe de miel. Car le breuvage de la mort prépare la santé de l’âme dans le siècle à venir. Ainsi, un pieux moine décida un jour de guérir ses péchés de son vivant et alla chez un grand et célèbre médecin spirituel et lui dit ceci :

— As-tu une potion qui peut guérir les péchés ? — Oui, j’en ai une, vénérable père !— Et en quoi consiste cette potion ? — Va dans la montagne, c’est-à-dire dans le désert, prends-y la racine spirituelle qui est la pauvreté et l’humiliation au nom du Christ, débarrasse-toi des feuilles qui sont la concupiscence et les désirs, enduis-toi de myrrhe du Liban qui est l’humilité et la crainte de Dieu, ensuite enduis-toi de myrrhe de l’Inde, balan, qui est la chasteté et la pureté, puis enduis-toi de myrrhe calban qui est l’aide aux malades et leurs douces prières pour toi. Broie tout cela dans le mortier de l’observance et passe-le au tamis de ta pure et bonne vie ; alors, mets le tout dans une jarre propre qui est en toi, verses-y

34

Page 35: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’eau de l’amour spirituel et chauffe la jarre de ton cœur au feu du divin désir. Quand tu auras ainsi préparé ces ingrédients, sors-les du potage avec la cuillère de ta paix et de ton silence, mange-les comme tes habitudes spirituelles et ne reviens plus jamais sur tes pas.

Voilà en quoi consiste ce breuvage qui guérit les péchés ! Nous prierons donc pour que nos âmes aussi se nourrissent de ce remède par les prières de la très-pure Mère de Dieu et de tous les saints. Amen.

PREMIER TRAITÉ

Le premier traité combat la nouvelle hérésie des hérétiques de Novgorod qui disent qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme. II comporte des témoignages tirés des saintes Écritures qui démontrent que l’Ancien Testament aussi prescrit de se prosterner devant les objets faits par l’homme, ceux que le Seigneur Dieu ordonna de façonner pour sa gloire. II est encore plus important aujourd’hui de se prosterner devant ces objets faits par l’homme, tels que les saintes icônes, la sainte et vivifiante croix ainsi que d’autres objets divins et sanctifiés que notre Seigneur Jésus Christ ordonna de façonner pour sa gloire.

Il y a beaucoup d’hérétiques, surtout dans notre génération, qui se sont fait séduire par les hérétiques de Novgorod dont la démence et l’insolence ont sévèrement troublé la divine Église apostolique en y introduisant des croyances juives. Nous allons maintenant parler de ces gens possédés par cette terrible hérésie, ceux qui disent qu’il ne faut pas se prosterner devant l’image matérielle du divin Verbe qui s’est fait chair pour notre salut, c’est-à-dire devant l’icône de notre Seigneur Jésus Christ, ni devant celles de la très-pure Mère de Dieu et de tous les saints, ni devant la sainte et vivifiante croix, ni devant l’évangéliaire divin, ni devant les saints et vivifiants mystères du Christ, ni devant les vases sacrés où s’accomplissent ces mystères, ni devant les reliques des saints, ni devant les églises de Dieu. Ces fous se démènent en injures et salissent de leurs mains impies les saintes croix et les divines icônes et, tels des chiens enragés, ils les déchirent en pièces avec leurs dents et les jettent dans des endroits malpropres en disant qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme, car Dieu dit à Moïse : « Tu ne te feras pas d’idole ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici bas ou dans les eaux sous la terre »6 ; il dit encore à Moïse : « Vous ne vous fabriquerez pas de dieu en argent ou en or et tu ne te prosterneras devant aucune idole taillée ou en métal fondu »7 ; et Dieu répond à Moïse : « Mais vous, vous vous fabriquez beaucoup d’idoles et vous vous prosternez devant elles et vous les servez »8.

Or, nous, en appelant Dieu en aide, leur répondons ceci : Voyez, hommes déments et impies, quelles sont les paroles de Dieu quand il s’adressa à Moïse ? : « Tu ne te feras pas d’idole ni rien qui ait la forme de... »6. Vois

35

Page 36: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

comment il le dit : « pas d’idole... » ! S’il avait dit : « Tu ne te feras pas d’idole », vous auriez raison de dire ce que vous dites. Mais Dieu dit  : « Tu ne te feras pas d’idole ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut... »6 en voulant parler des Grecs qui faisaient leurs idoles en forme de sorciers, d’hommes adultères, d’assassins, d’animaux, d’oiseaux et de reptiles qu’ils proclamaient être leurs dieux et devant lesquelles ils se prosternaient en disant : « Ce sont nos dieux et il n’y a pas de dieux sinon ceux-là ». Vois donc pourquoi Dieu dit : « Tu ne te feras pas d’idole ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel...  »6 et « vous ne vous fabriquerez pas de dieu en argent ou en or et tu ne te prosterneras devant aucune idole taillée ou en métal fondue »7, c’est-à-dire aucune image sinon celle qui est décente »9. Ainsi, si tu crées une image pour l’honneur et la gloire de Dieu, tu ne commets pas de péché. Dieu lui-même en témoigne, car il dit d’abord : « Tu ne te feras pas d’idole »6, et ensuite ordonna à Moïse de fabriquer beaucoup d’images. Car d’abord il ordonna de construire son temple, c’est-à-dire le sanctuaire, et ensuite d’aménager son intérieur à l’image des choses célestes comme suit : Il dit à Moïse de fabriquer en or des chérubins — car il y a des chérubins dans les cieux — et de les mettre à l’endroit du temple où il était interdit d’entrer, et il ordonna encore de fabriquer l’arche de l’alliance en bois impérissable [d’acacia], et de lui apporter les deux tablettes de pierre sur lesquelles il écrivit les dix commandements avec son saint doigt ; alors il ordonna de mettre le tout dans l’arche de l’alliance avec une jarre pleine de manne et avec le bâton d’Aaron ; et il ordonna de fabriquer beaucoup d’autres choses encore. Il ordonna aussi de décorer les murs et les voiles du temple avec les images des chérubins tissées avec des fils d’or, d’azur et de pourpre. Et quand Moïse s’apprêta à bâtir le sanctuaire, Dieu lui dit : « Vois donc et fais selon le plan qui t’a été montré sur la montagne »10 ; « quant à l’apparence extérieure du sanctuaire, fais-le à la ressemblance des choses terrestres ».10a Vois donc combien d’objets taillés et en métal fondu furent fabriqués par ce même Moïse. Le sanctuaire était plein d’objets faits en or, en argent, en pourpre, en lin fin, et en métal fondu et les tablettes de la Loi étaient taillées en pierre. Et si quelqu’un avait alors demandé à Moïse : « Comment se fait-il que Dieu a dit qu’il ne faut pas fabriquer d’idole qui représente ce qui est dans les cieux et que toi tu viens d’en fabriquer une telle quantité ? », il aurait répondu que Dieu parlait des images qu’on prend pour des dieux et non des images comme Dieu lui-même l’avait ordonné, et de les créer en élevant son esprit vers Dieu. Se prosterner devant ces images est agréable à Dieu pour autant qu’on ne les divinise pas, à l’exemple des Grecs, mais qu’on fasse comme Moïse qui, ayant fabriqué le sanctuaire avec des objets en métal fondu ainsi que les tablettes en pierre taillée, se prosterna devant eux et les honorait sans les diviniser. Il les fabriqua pour la gloire et en honneur du vrai Dieu, sous l’ordre de ce dernier.

Mais l’hérétique, qui raisonne comme un Juif, parle ainsi :

Même si ces objets sont saints et honnêtes parce que Dieu a ordonné à

36

Page 37: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Moïse de les fabriquer — je veux dire le sanctuaire, les chérubins, l’arche de l’alliance, les tablettes, la jarre avec la manne et les autres choses — ils sont dignes d’être honorés, mais il reste qu’il ne faut se prosterner devant rien sinon le Dieu Un, car il est écrit : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte. »11 Par contre, ni Dieu, ni Moïse, ni aucun des prophètes n’ont jamais ordonné de se prosterner devant les objets fabriqués par l’homme.

À ce genre d’argument, il faut répondre en ces paroles-ci : Mais si les prophètes n’ont pas ordonné de se prosterner devant ces objets, comment se fait-il que des hommes importants se prosternaient devant eux : non pas des hommes humbles ou méprisés mais le grand prophète et législateur Moïse lui-même ainsi que le père de Dieu4a, le grand roi et prophète David, et ensuite Jonas, Daniel et Esdras ? Car en effet tous ceux-là se prosternèrent devant les objets fabriqués par l’homme.

Les saintes Écritures en témoignent, car il y est dit que Moïse et le peuple qui était avec lui avaient encerclé le sanctuaire et se prosternaient devant lui, mais à une certaine distance. Et il est encore raconté dans l’Exode que lorsque Moïse pénétrait dans le sanctuaire, une nuée en forme de colonne descendait sur le temple et Dieu entrait dans le sanctuaire dans cette nuée, et ayant aperçu cette colonne de nuée, les hommes du peuple se prosternaient devant elle, chacun de l’entrée de sa tente. Or, comment se fait-il qu’ils se prosternaient devant une colonne de nuée alors que Dieu dit : « Tu ne te feras pas d’idole ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. »6 Eux, pourtant, ils se prosternaient devant une colonne de nuée sans avoir vu Dieu qui était dedans ? Ils se prosternaient devant une colonne de nuée et le sanctuaire parce qu’il est impossible de voir Dieu dans son essence et c’est à cause de notre faiblesse que Dieu se revêtait d’une colonne de nuée et venait dans le sanctuaire revêtu de cette nuée lumineuse qui lui servait d’habit selon le mot du prophète : « Il s’est revêtu de lumière comme d’un habit et il avait le sanctuaire au lieu de sa maison céleste. »12 Mais Dieu ne pouvait-il parler avec les hommes que dans le sanctuaire ? Non, mais il voulait ainsi montrer la gloire et l’honneur originels de l’édifice sacré de Dieu et nous faire comprendre que le Seigneur Dieu de l’univers apparaît là où il y en a un qui lui est dédié. Ainsi ceux qui ne se prosternaient pas devant Dieu parce qu’ils ne le voyaient pas, se prosternaient devant lui en le voyant entrer dans le sanctuaire revêtu d’une colonne de nuée. C’est que Dieu voulait montrer que la nuée lumineuse dans laquelle il apparaissait était vénérable et sainte et que le sanctuaire dans lequel il entrait était aussi saint et vénérable, et qu’il fallait se prosterner devant cette lumière comme on se prosterne devant Dieu. Et quand il se montrait aux hommes dans une colonne de nuée qui entrait dans le sanctuaire, tous se prosternaient devant elle et personne ne disait : « Nous n’avons pas vu Dieu mais seulement une colonne de nuée. Comment pouvons-nous nous prosterner

37

Page 38: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

devant une colonne de nuée ou un sanctuaire ? » Et personne ne dit non plus : « Nous nous prosternons devant toi, Seigneur, mais nous ne nous prosternons pas devant la colonne de nuée ni devant le sanctuaire. » Mais ils se prosternèrent devant ces trois : Dieu, sa lumière et son saint sanctuaire. Les Écritures saintes en témoignent en disant : « Tout le peuple voyait la colonne de nuée dressée à l’entrée de la tente ; tout le peuple se levait et chacun se prosternait à l’entrée de sa tente. »13 Le témoignage des Écritures est véridique et véritable qui dit, dans l’Exode, que Moïse et les hommes qui étaient avec lui se prosternaient devant le sanctuaire.

Et ce n’est pas ce passage seulement qui témoigne du prosternement devant le sanctuaire mais aussi ceux d’autres divins prophètes. Nous commencerons par le témoignage du premier grand prophète, le roi David, car David lui-même témoigne qu’il se prosternait devant le sanctuaire. Il dit en effet : « Prête l’oreille à mes paroles » et « ...vers ton saint temple je me prosternerai, pénétré de ta crainte. »14 II apparaît clairement ici combien David était pieux à l’égard du temple, car il ne dit pas : « Prête l’oreille à toutes mes paroles » et « .., vers toi je me prosternerai... » Non, qu’est-ce qu’il dit ? : « ...vers ton saint temple je me prosternerai »14 ! Mais comment David voulait-il que Dieu écoute ses paroles s’il se prosternait devant le temple ? Comment voulait-il que Dieu l’écoute s’il se prosternait devant autre chose que Dieu ? Et pourtant, Dieu l’écoutait, car il se prosternait devant Dieu ! C’est que le prophète voulait montrer que se prosterner devant Dieu et se prosterner devant le temple sont la même chose. Et il dit encore : « J’entrerai dans ta maison ; et vers ton saint temple, je me prosternerai pénétré de ta crainte. »14 Il ne dit pas simplement :

« Je me prosternerai », mais il ajoute « pénétré de ta crainte ». Tu vois donc qu’il se prosternait devant le temple, mais qu’il craignait non pas le temple mais Dieu. Or, craignait-il une chose en se prosternant devant une autre ? Non, mais il se prosternait devant Dieu et il ne craignait que Dieu, tout en voulant montrer clairement dans ce passage qu’il faut aussi se prosterner devant le temple, car en se prosternant devant le temple, on se prosterne devant le Seigneur Dieu qui a ordonné d’édifier le temple pour sa gloire. Or, s’il n’avait pas fallu se prosterner devant le temple, le prophète n’aurait pas dit : « vers ton saint temple, je me prosternerai. » Alors, David mentait-il en disant cela ? Voulait-il signifier qu’il ne faut pas se prosterner devant le temple en disant : « vers ton saint temple, je me prosternerai » ? Mais si même David ment, qui dit la vérité ? Et pourtant David lui-même dit : « Détruis tout ce qui ment 0. Ainsi, si David dit la vérité en disant : « vers ton saint temple, je me prosternerai », et plus d’une fois d’ailleurs, alors qui osera affirmer qu’il ne faut pas se prosterner devant le temple ?

David parle de la même manière du prosternement devant un autre objet disant : « Exaltez le Seigneur notre Dieu et prosternez-vous devant l’escabeau de ses pieds, car ce lieu est saint. »16 Pourquoi ne dit-il pas ici : « Prosternez-vous devant lui » ? Mais David l’a déjà dit plus d’une fois auparavant, et les autres

38

Page 39: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

prophètes aussi ont dit qu’il faut se prosterner devant Dieu, et maintenant, voulant montrer qu’il faut aussi se prosterner devant le saint temple, David dit : « ...et prosternez-vous devant l’escabeau de ses pieds ».16 Mais si quelqu’un dit qu’il ne sait pas ce que le prophète David veut dire par là, ce dernier l’explique en parlant de la part de Dieu : « Ainsi parle le Seigneur : le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds. »17 Ainsi, David ordonnait de se prosterner devant l’escabeau des pieds de Dieu18. Un autre prophète dit également que la terre est l’escabeau des pieds de Dieu.’8 Mais cela veut-il dire que David ordonnait de se prosterner devant la terre ? Pas du tout. Quand tu entends « La terre est l’escabeau de mes pieds », ne crois pas qu’il s’agit ici uniquement de la terre que nous, les hommes, piétinons tous les jours ; le prophète parle plutôt de toute la terre et de tout ce qui est sur la terre, tout souffle et toute créature, et c’est sur ce tout que Dieu pose ses pieds. Mais parmi toutes les créatures et parmi tous les souffles de la terre, le temple du Dieu universel, avec toutes les choses qu’il contenait était l’entité la plus vénérable, car Dieu lui-même ainsi que tous ses prophètes et apôtres ordonnaient de le vénérer et de se prosterner devant lui afin que tous les hommes aient pu être sauvés et soient encore sauvés grâce au temple. En effet, le prophète dit bien que Dieu pose ses pieds sur toute la terre et sur tout ce qui est sur la terre. Et David ordonnait bien qu’on se prosterne devant l’escabeau des pieds de Dieu qui n’est autre que le temple. David témoigne lui-même que l’escabeau de ses pieds veut dire la demeure de Dieu ; en effet, il a dit plus tôt : « ...vers ton saint temple, je me prosternerai... »14, et maintenant il ordonne de se prosterner devant l’escabeau des pieds de Dieu. Mais si la demeure de Dieu et l’escabeau de ses pieds n’avaient été qu’une même chose, David n’aurait pas ordonné de se prosterner devant l’escabeau des pieds de Dieu dans la même mesure que devant le temple de Dieu. Et comme dans l’Ancien Testament, le temple avec ses objets divins était l’escabeau des pieds de Dieu, de même dans le Nouveau Testament, l’église, la vénérable et sainte croix, les vénérables icônes et les autres objets sacrés représentent l’escabeau des pieds de Dieu. Jérémie témoigne aussi que le temple de Dieu est l’escabeau de ses pieds, car il dit en pleurant sur Jérusalem : « Comment ! Le Seigneur dans sa colère veut assombrir la Belle Sion. II jette de ciel en terre la splendeur d’Israël. Il ne se souvient pas de l’escabeau de ses pieds au jour de sa colère. »19 Dans les Écritures, la fille de Sion signifie les hommes de Sion que Dieu a jetés dans la douleur en les faisant prisonniers des Chaldéens et en précipitant des cieux la gloire de Jérusalem. Et comme il précipita des cieux Satan, de même il en précipita la gloire de Jérusalem, qui est la gloire des Juifs, car ils avaient péché et il les soumit à la haine de tous les peuples. Et s’il ne pensait pas à l’escabeau de ses pieds, c’est-à-dire le temple, c’est qu’il comptait le soumettre aussi à la haine et aux injures. Tu vois donc que l’escabeau de ses pieds n’était autre que le temple ! C’est pour cela que Moïse, David et tous les autres se prosternaient devant la demeure de Dieu en se prosternant devant l’escabeau de ses pieds. Et si Moïse ne s’était pas prosterné devant la tente de la rencontre, David non plus ne se serait pas prosterné devant

39

Page 40: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

le temple, car les prophètes faisaient toute chose selon les ordres de Moïse le législateur et ne faisaient jamais rien selon leur propre volonté. Ainsi, si David se prosternait devant la demeure de Dieu, comme il en témoigne lui-même, on peut en déduire sans erreur que Moïse aussi se prosternait devant elle. Et si Moïse et David se prosternaient devant la demeure de Dieu, il est alors clair que tous les hommes qui étaient avec eux se prosternaient aussi devant elle. Donc, puisque le grand législateur Moïse ainsi que le roi et le prophète David se prosternaient devant la demeure de Dieu, alors comment tous les hommes pourraient-ils ne pas se prosterner devant elle en voyant le législateur ainsi que le prophète et roi, messagers de Dieu, se prosterner devant elle ? Et à l’époque, la demeure était le sanctuaire ; en effet, les Écritures l’appellent soit tente de la rencontre, comme lorsque Dieu dit à Moïse : « Tu feras avancer les lévites devant la tente de la rencontre et tu rassembleras toute la communauté d’Israël »20, soit sanctuaire (skinia), comme lorsque Dieu dit : « Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai parmi eux »21, ou encore la tente de la rencontre quand Dieu dit : « II mit le chandelier dans la tente de la rencontre, en face de la table, sur le côté opposé de la demeure.... »22 Ainsi Moïse et David se prosternaient devant le sanctuaire (skinia) qui est la demeure faite par l’homme, et ils se prosternaient devant les objets fabriqués par l’homme pour la gloire et l’honneur de Dieu. En effet, ces objets saints rendaient la demeure sacrée et c’est à cause de ces objets saints qu’ils se prosternaient devant la demeure comme les Écritures le confirment dans l’Exode. Il y est dit que lorsque Moïse avait terminé la construction de la tente de la rencontre, il mit dans l’arche de l’alliance les tablettes des commandements ainsi que la jarre et le bâton d’Aaron — les témoignages de la rencontre de Dieu — et il introduit l’arche dans la tente de la rencontre et il tira le rideau sur elle. Alors la fumée divine voilait la tente et la remplissait de la gloire du Seigneur. Et le Seigneur parlait à Moïse de l’intérieur de la tente de la rencontre. Or, tant que l’arche n’était pas dans la tente, il n’y avait aucune manifestation de Dieu ; celle-ci ne se produisit que lorsque l’arche se trouvait à l’intérieur de la tente qui se remplissait alors de la gloire de Dieu. Ce n’est qu’alors que Dieu parlait à Moïse. Et quand, au temps d’Élie, les ennemis emportaient l’arche, les hommes le déploraient en disant : « La gloire est bannie parce que l’arche de Dieu avait été prise. »23 Mais quand l’arche avait été libérée, David la plaça dans la maison d’Oved-Edom et le Seigneur bénit la maison d’Oved-Edom. David entendit les paroles du Seigneur qui avait béni la maison d’Oved-Edom et il dit : « Et David rentra pour bénir sa maison »24 et il prit l’arche de la maison d’Oved-Edom et la mit dans la sienne et Dieu bénit la maison de David. Et quand Salomon avait construit son temple, il y mit tous ces objets saints et vénérables — c’est-à-dire l’arche, les tablettes, la jarre, etc. — et alors le temple se remplit de la gloire de Dieu de sorte que les prêtres ne pouvaient pas commencer le service. Ainsi, l’expérience montre que ces objets sacrés sanctifiaient le temple et que l’on se prosternait devant lui à cause de ces objets.

Les hommes venaient de tous les pays pour se prosterner devant le temple. Et

40

Page 41: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

ce n’est pas seulement à Jérusalem qu’on se prosternait devant le temple mais aussi dans d’autres pays et villes. Les Écritures le confirment en parlant du prophète Daniel qui, étant à Babylone, se mettait à genoux trois fois par jour, face à Jérusalem, priait et se confessait devant le Seigneur Dieu. Mais le prophète se prosternait-il ainsi devant la pierre et les murs de la ville ? II est clair qu’il se prosternait devant le temple de Dieu qui était à Jérusalem, car Jérusalem était sainte à cause du temple qui s’y trouvait et c’est pour cela que Daniel faisait face à Jérusalem lors du prosternement. Le prophète savait très bien que le Seigneur se trouve partout dans l’univers, à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud, mais il faisait sa prière face au Sud où se trouvait Jérusalem. Or, si quelqu’un dit que le prophète faisait sa prière face au Sud où se trouvait Jérusalem parce que les Écritures disent : « Le Seigneur, sonnant le cor, s’avancera dans les ouragans du midi »25, on peut alors citer un autre passage où il est dit : « Chantez pour Dieu qui monta au ciel à l’Orient. »26 Ainsi Dieu se trouve aussi à l’Est. Et les Écritures disent encore : « Faites la voie à celui qui est monté à l’Ouest, son nom est Seigneur. »27 Ainsi Dieu se trouve aussi à l’Ouest. Et il est dit encore : « Les côtes du Nord sont la ville du grand roi, on reconnaît Dieu dans ses palais. »28 Ainsi Dieu se trouve aussi au Nord. Le prophète savait que Dieu se trouve partout dans le monde. Or, il ne s’agenouillait ni face à l’Est, ni face à l’Ouest, ni face au Nord mais seulement face à Jérusalem qui est au Sud. Cela veut-il dire qu’il s’imaginait que la divinité ne pouvait être qu’à Jérusalem ; la limitait-il ainsi à un seul endroit ? Pas du tout. Mais en faisant face à Jérusalem, le prophète voulait montrer la gloire du temple de Dieu, car à l’époque il n’y avait autre temple que celui qui était à Jérusalem. C’est pourquoi le prophète s’agenouillait seulement face à Jérusalem, c’est-à-dire face au temple. Et même si à l’époque Jérusalem et son temple étaient en ruines, il y avait encore des restes du saint temple et de la ville comme en témoignent les Écritures en parlant de Jérusalem. Car il est dit que lorsque les Juifs habitant à Babylone avaient entendu lire les livres du prophète Jérémie au sujet de la ruine de Babylone aux mains de Cyrus le Perse, ils commencèrent à pleurer, à jeûner et à prier souvent devant le Seigneur Dieu de l’univers. Ils rassemblèrent autant d’argent que chacun pouvait donner pour l’envoyer à Jérusalem au prêtre Joaqim, fils d’Helcias, et à tous ceux qui étaient à Jérusalem en disant :

Et ils dirent : Voici, nous vous avons envoyé de l’argent ; avec cette somme, achetez des victimes en vue des holocaustes et des sacrifices pour les péchés, achetez de l’encens, faites des offrandes, présentez des sacrifices sur l’autel du Seigneur notre Dieu, et priez pour la vie de Nabuchodonosor, roi de Babylone et celle de son fils Balthazar, afin que leurs jours soient comme les jours du ciel sur la terre. Alors le Seigneur nous donnera la force et illuminera nos yeux ; nous vivrons à l’ombre de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et à l’ombre de son fils Balthazar, nous les servirons pendant de nombreux jours et nous trouverons grâce devant eux.29

41

Page 42: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Il est clair que s’il n’y avait plus été aucuns restes du saint temple à Jérusalem, les Juifs de Babylone n’auraient pas envoyé de l’argent à Jérusalem pour y faire les sacrifices. Or, à cette époque, il n’y avait dans le monde aucun endroit à part le temple de Jérusalem où l’on pouvait offrir les sacrifices comme en témoignent les trois adolescents : « Il n’y a plus en ce temps-ci ni prince, ni prophète, ni chef, ni holocauste, ni sacrifice, ni oblation, ni encensement, ni lieu pour présenter les prémices devant toi et pour trouver grâce. »20 Le prophète Isaïe savait qu’il y avait encore des restes du saint temple et de la ville et il savait aussi que Dieu allait de nouveau rétablir le temple et la ville. Isaïe dit en effet : « Je dis de Cyrus : ”C’est mon berger” ; tout ce qui me plaît, il le fera réussir, en disant pour Jérusalem : ”Qu’elle soit rebâtie”, et pour le Temple : ”Sois de nouveau fondé !” Ainsi parle le Seigneur à son messie : À Cyrus que je tiens par sa main droite... »31 Et Zacharie dit ceci de la reconstruction du temple : « Ce sont les mains de Zorobabel qui ont posé les fondements de cette maison, ce sont elles aussi qui l’achèveront. »32 Et Aggée dit encore : « La gloire dernière de cette maison dépassera la première, dit le Seigneur. »33 C’est pour cela que Daniel se prosternait vers Jérusalem, car il se prosternait ainsi vers le temple. Si ce n’avait pas été ainsi, le prophète n’aurait pas fait face au Sud où se trouvait le temple, mais il se serait plutôt tourné vers l’Est, car Dieu est la lumière de la raison et le soleil de la vérité. Les Écritures racontent en effet que Dieu planta un jardin à l’Est dans l’Éden, qu’il y introduit l’homme et qu’ensuite Dieu lui parlait souvent à l’Est de sorte qu’aujourd’hui, quand nous cherchons notre patrie originelle, nous nous prosternons devant Dieu en faisant face à l’Est. Et les Écritures disent encore que Dieu fit monter Énoch dans le ciel à l’Est et c’est également à l’Est que Dieu ordonna à Noé de fabriquer l’arche et conversa avec lui. Ainsi, même si Dieu se trouve partout dans le monde, c’est à l’Est qu’il montrait le plus souvent sa force et ses miracles. Pourtant, tout en le sachant, Daniel faisait sa prière uniquement face au Sud, là où était le temple, car le prophète savait que là où se trouvait le temple du Seigneur Dieu de l’univers, se trouvait aussi la demeure du Seigneur, comme le Seigneur Dieu le dit à Salomon : « ...cette maison que tu as bâtie, je l’ai consacrée afin d’y mettre mon nom à jamais ; mes yeux et mon cœur y seront toujours. »34 Et puisque le Seigneur Dieu lui-même dît que son nom, ses yeux et son cœur seront toujours dans le temple, il est alors clair que le Seigneur Dieu lui-même est dans le temple. Et David dit : « De son temple, il a entendu ma voix... »35 Mais si l’on sait maintenant que Dieu est dans sa demeure, qui osera ne pas se prosterner devant elle ! Ainsi donc, celui qui se prosterne devant la demeure de Dieu se prosterne devant le Seigneur Dieu lui-même.

Quand, au retour de Babylone, les Juifs rebâtirent le temple une nouvelle fois, l’arche de l’alliance n’y était plus, car, comme le raconte Esdras, Jérémie l’avait cachée dans un endroit inconnu. Mais ils gardaient encore la mémoire de l’intérieur de la demeure de Dieu et de tous ces saints et antiques objets, fabriqués originellement par Moïse pour la tente de la rencontre et reproduits ensuite par Salomon : l’autel, l’encensoir, le chandelier à sept branches et les

42

Page 43: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

autres choses. Salomon donc bénit le temple avec ces objets ; c’était encore un temps où Dieu faisait parler les prophètes. Et c’est pourquoi on se prosternait encore à cette époque devant le temple, comme en témoigne les Écritures en parlant d’Esdras : « Comme Esdras priait et confessait ses péchés, en pleurs et prosterné devant la maison de Dieu... »36 Mais si Esdras, prophète et maître qui avait Dieu pour témoin, se prosternait devant le temple, comment les hérétiques osent-ils dire qu’il ne faut pas se prosterner devant la demeure ?

Les prophètes se prosternaient devant le temple et ils levaient les bras vers lui, comme en témoigne David lui-même en disant : « Écoute la voix de ma prière quand je crie vers toi, quand j’élève mes mains vers ton temple saint. » 37 Tu vois donc clairement que lorsqu’il priait Dieu, c’est vers son saint temple qu’il levait les bras ! Et les prophètes avaient aussi cette coutume de lever les bras vers Dieu comme en témoigne David en disant : « De combien de façons ma chair te désire, dans une terre déserte, sans chemins et sans eau. Ainsi je te bénirai tout au long de ma vie, et j’élèverai les mains en invoquant ton nom. »38 Et il est dit de Salomon qu’il monta sur l’autel en cuivre et leva les bras vers Dieu. Et il y a encore beaucoup de passages dans les Écritures qui parlent des saints levant les bras vers Dieu. Mais si David se prosternait devant la demeure de Dieu comme il se prosternait devant Dieu, et s’il levait les bras vers elle comme il les levait vers Dieu, qui oserait dire qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme !

Jonas le prophète parle de même : « Et ma prière parvient jusqu’à toi, jusqu’à ton temple saint. »39 Tu vois qu’il ne dit pas simplement : « Et ma prière parvient jusqu’à toi » et s’arrête là, mais il ajoute : « jusqu’à ton temple saint... » N’est-il pas clair que le prophète montre ainsi l’unité de Dieu et du temple ? II est clair que le prophète se prosternait devant le temple comme il se prosternait devant Dieu, car si le prophète ne s’était pas prosterné devant le temple, il aurait dit : « Et ma prière parvient jusqu’à toi » et il n’aurait rien ajouté au sujet du temple. Mais il voulait que sa prière aille à Dieu aussi bien qu’au temple. Or, si quelqu’un prie Dieu c’est qu’il se prosterne devant lui. En effet, quand on dit que le prophète adressait sa prière à Dieu ainsi qu’au temple, il est clair qu’il se prosternait devant le temple, car s’il ne s’était pas prosterné devant lui, il ne lui aurait pas adressé de prière. Quand nous voulons demander quelque chose à un roi terrestre, nous nous prosternons d’abord devant lui et ensuite nous faisons notre demande. Et si nous nous prosternons devant le roi terrestre avant de lui faire notre demande, comment peut-on dire que les prophètes qui levaient les bras vers le temple et lui adressaient leurs prières ne se prosternaient pas devant le temple ? En quoi le prosternement diffère-t-il de la prière ? Nous nous prosternons devant Dieu en lui adressant nos prières. Et si le prosternement et la prière sont la même chose, qui osera dire qu’il ne faut pas se prosterner devant le temple alors que les prophètes se prosternaient devant lui, lui adressaient leurs prières et levaient les bras vers lui tout autant qu’ils se prosternaient devant

43

Page 44: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Dieu, le priaient et levaient les bras vers lui ?

Alors, comment les hérétiques peuvent-ils dire qu’il ne faut pas se prosterner devant les objets faits par l’homme ? Il est clair que le temple et tout ce qu’il contenait étaient des choses faites par l’homme. Or, les saints prophètes ont montré, clairement et distinctement, que celui qui se prosterne devant le temple de Dieu se prosterne devant Dieu qui avait ordonné de créer le temple pour sa gloire. Et si ce n’avait pas été ainsi, les prophètes ne se seraient pas prosternés devant le temple et n’auraient pas levé leurs bras ni leurs prières vers lui. Mais les prophètes se prosternaient devant le temple, lui adressaient leurs prières et levaient les bras vers lui sans le tenir pour une divinité ; ils le faisaient pour la gloire et l’honneur de Dieu, car ils savaient qu’il n’y avait rien de plus agréable à Dieu que son temple. Les Écritures en témoignent dans l’Exode : « Moïse acheva ainsi tous les travaux. La nuée recouvrit la tente de la rencontre et la gloire du Seigneur remplit la demeure..., car la nuée du Seigneur était sur la demeure pendant le jour, mais pendant la nuit, il y avait en elle du feu...Le Seigneur appela Moïse et de la tente de la rencontre lui adressa la parole. »40

56 Mais si quelqu’un dit : « Pourquoi y a-t-il si peu de gens qui disent qu’il faut se prosterner devant les objets faits par l’homme ? Il n'y a que Moïse, David, Jonas, Daniel, Esdras et quelques autres de moindre importance. » Mais Moïse n’est-il pas le plus connu ? David n’est-il pas le plus juste ? Jonas, Daniel et Esdras ne sont-ils pas les plus véridiques ? Ce sont des rois, des prophètes, des législateurs, des maîtres ; qui est plus digne de foi que ces grands hommes ? Et si tous les prophètes n’en ont pas parlé, c’est parce que tout le monde acceptait un tel prosternement comme un usage connu de tous. Les Écritures parlent beaucoup des choses extraordinaires, mais il n’est pas grand besoin de parler souvent des choses évidentes, car qui ne sait pas qu’il faut se prosterner devant le Seigneur Dieu ? Mais si l’on sait qu’il faut se prosterner devant le Seigneur Dieu, on sait aussi qu’il faut se prosterner devant la demeure de Dieu, créée pour son service et sa gloire. Et si ce n’avait pas été ainsi, David et Moïse ne se seraient pas prosternés devant le sanctuaire et Jonas, Daniel et Esdras ne se seraient pas prosternés devant le temple construit par Salomon. Car la demeure du Seigneur Dieu de l’univers est sainte et vénérable, et les objets créés pour la gloire et l’honneur du Seigneur sous son ordre sont tout aussi saints et vénérables. Ils sont dignes qu’on les honore et que l’on se prosterne devant eux. Il y a des choses devant lesquelles il ne faut pas se prosterner, qu’il ne faut pas diviniser, mais nous avons beaucoup de choses que nous honorons et que, pourtant, nous ne divinisons pas. Par exemple, nous honorons les rois et les princes, mais nous ne les divinisons pas. Aussi, nous nous honorons les uns les autres, mais nous ne nous divinisons pas mutuellement. Et si aujourd’hui nous honorons les rois et les princes et si nous nous honorons les uns les autres, combien plus les Juifs de l’Ancien Testament devaient-ils honorer le sanctuaire et le temple construit par Salomon et toutes les choses saintes qui s’y trouvaient, choses que le Seigneur Dieu avait ordonné de fabriquer pour sa gloire. Et nous,

44

Page 45: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

les chrétiens du Nouveau Testament, nous devons faire de même et nous prosterner devant la sainte et vénérable image de notre Seigneur Jésus Christ, devant celles de tous les saints qui lui ont été agréables et devant les autres choses sacrées que notre Seigneur Jésus Christ a ordonné de fabriquer pour sa gloire.

Mais l’hérétique dit : « Si vous parlez ainsi de ces choses, alors que dites-vous de ces paroles de Dieu : ”Vous ne me traiterez pas comme un dieu en argent ni comme un dieu en or — vous ne vous en fabriquerez pas." ?41 Or, vous dites qu’il faut se prosterner devant les objets faits par l’homme. » À cet argument hérétique, il faut répondre comme suit : Dieu parle ici des Juifs qui se fabriquèrent un veau d’or dans le désert et dirent : « Voici tes dieux, Israël »41a, car ensuite ils établirent une idole moabite qu’ils appelaient Molek ; plus tard, ils servirent Baal-Péor ; sous Achab, ils servirent Baal, c’est-à-dire Chronos ; sous Manassé, ils servirent Zeus ; sous Érovam, ils servirent trois vaches d’or ; et sous Nabuchodonosor, ils se prosternaient devant l’image de ce dernier en disant : « Gloire à toi, Nabuchodonosor. »42 Le prophète parle de ces mêmes gens quand il dit : « Ils immolèrent leurs fils et leurs filles aux démons... »43 C’est de ces hommes dont parlent les Écritures, car ils abandonnèrent le vrai Dieu et se fabriquèrent des idoles modelées sur des hommes méchants et des animaux muets et ils les prirent pour des dieux. Quant à nous, nous ne nous créons pas d’idoles et nous ne disons pas à nos icônes : « Voici nos dieux », et nous ne fabriquons pas de dieux en argent et en or. Mais nous utilisons l’argent et l’or et autres matériaux pour fabriquer la sainte et vivifiante croix ou les saintes icônes ; nous les considérons saintes et vénérables ; et nous nous prosternons devant elles et nous les servons sans les tenir pour des dieux. Mais nous le faisons pour la gloire et l’honneur de Dieu et de ses saints. Jacob n’honorait pas le bâton de Joseph mais Joseph qui le tenait. Les Juifs, en se prosternant devant les tablettes de pierre, les chérubins d’or et les autres objets du temple, ne se prosternaient pas devant l’essence de la pierre, de l’or, du bois mais devant Dieu qui fit faire ces objets. De la même manière, nous nous prosternons devant la vénérable croix, les saintes icônes et les autres objets sacrés créés pour la gloire et l’honneur de Dieu et nous ne nous prosternons pas devant l’or, les couleurs, le bois ou les autres matériaux dont ces choses sont faites mais devant le Christ et ses saints.

Mais l’hérétique, qui raisonne comme un Juif, dit encore : « David dit : ”Les idoles des nations sont de l’argent et de l’or, ouvrage de la main des hommes...  ; elles ont des yeux, et ne voient pas. Elles ont des oreilles, et n’entendent pas.”44 Il me semble que David parle ici des icônes. » À cet argument hérétique, il faut répondre comme suit : Puisque tu dis, hérétique, que David compare ici les icônes aux idoles qui ont des lèvres mais ne parlent pas, qui ont des yeux mais ne voient pas, qui ont des oreilles mais n’entendent pas, comment se fait-il alors que ce même David avait dans son temple, c’est-à-dire dans le sanctuaire, des

45

Page 46: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

chérubins en or que Moïse avait fabriqués sous l’ordre de Dieu ? Ces chérubins avaient des lèvres mais ne parlaient pas ; ils avaient des yeux mais ne voyaient pas ; ils avaient des oreilles mais n’entendaient pas. Et comme David avait ces chérubins d’or dans son temple, de même nous avons des icônes dans nos églises. Il avait des chérubins faits en or et en bois, et nous avons des vénérables croix et des saintes icônes faites en or, en argent et en bois. II avait des chérubins d’or, d’argent, de pourpre, d’azur et de rouge brodés en soie sur les parois et les voiles du sanctuaire, et nous avons dans nos églises les images des saints brodées en soie sur les voiles et sur les épitaphions. Et même si nos icônes ne sont pas brodées mais peintes avec des couleurs, y a-t-il une différence entre la broderie et la peinture ? Car si le brodeur et le peintre sont tous deux habiles, l’image que chacun fera ressemblera exactement à celle de l’autre : l’un la créera avec divers fils de soie, l’autre avec diverses couleurs. Tu vois bien que nous ne faisons rien qui aille à l’encontre des Écritures ! À l’époque, il y avait des chérubins dans le sanctuaire, fondus en or ou brodés sur les murs et les voiles ; ils avaient des lèvres mais ne parlaient pas, etc., mais cela ne les rendait pas moins sacrés ; tout le peuple les honorait et se prosternait devant eux parce que Dieu avait donné ordre de les créer pour son honneur et pour sa gloire et parce qu’il faisait de grands, formidables et ineffables miracles à cause d’eux. De la même manière, nous avons dans nos églises les saintes icônes et autres objets sacrés pour l’honneur et la gloire du vrai Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, et de ses saints.

D’abord, il faut bien comprendre ce qu’est une icône et une idole, car il y a une très grande différence et une complète incommensurabilité entre les saintes icônes devant lesquelles nous, les chrétiens, nous prosternons aujourd’hui et les impures idoles devant lesquelles se prosternaient les païens. Le prototype des saintes icônes est saint et honorable, alors que le prototype des idoles est mauvais, impur et démoniaque. Et si les icônes sont semblables aux idoles, alors le sanctuaire construit par Moïse et le temple érigé par Salomon sont aussi semblables aux temples des idoles ; leurs sacrifices sont semblables aux sacrifices que les païens faisaient pour leurs idoles ; l’arche de l’alliance, contenant les tablettes de la Loi et autres objets, est alors semblable au coffre où tu gardes les objets du quotidien ; le verdoyant bâton d’Aaron est semblable à celui qui te sert de support pour marcher ; et le chandelier d’or à sept branches est semblable au chandelier dont tu te sers pour éclairer ta maison. Si ces objets sacrés sont semblables aux choses du quotidien, alors les saintes icônes le sont aussi. Mais il n’en est rien ! Tu te prosternes devant ces objets parce que la grâce de Dieu a bien voulu nous toucher à travers eux. Et c’est de la même manière que la grâce de Dieu a bien voulu nous toucher aujourd’hui à travers les saintes icônes, la sainte et vivifiante croix et autres objets sacrés. Au temps du déluge, Dieu n’avait pas besoin de l’arche pour sauver Noé, car tout lui est possible. Mais il sauva Noé en se servant d’une chose inanimée fabriquée par l’homme et il nous sauve aujourd’hui de la même façon à travers ces objets

46

Page 47: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

inanimés mais sacrés. De même, il pouvait sauver les Juifs des morsures des serpents sans l’aide du serpent d’airain, mais sa volonté indicible voulait les sauver de la mort à travers un serpent d’airain et c’est de la même manière que Dieu prépare aujourd’hui notre salut à travers des objets visibles tels que les saintes icônes et autres objets sacrés. Car même si ces objets sont inanimés et fabriqués par l’homme, ils continuent à nous sauver du déluge des péchés et de la morsure des mauvaises pensées grâce à l’incarnation du Verbe divin.

Et si dans l’Ancien Testament on se prosternait devant le temple créé par l’homme et devant les autres objets que Dieu lui-même avait ordonné de fabriquer pour sa gloire, alors combien plus devrait-on se prosterner aujourd’hui, dans la Nouvelle Grâce2, devant l’image de notre Seigneur Jésus Christ peinte sur les icônes ? Car Dieu ordonna aussi de broder son image sur l’épitaphion, comme le dit le prophète Isaïe : « Ces jours-là, il y aura un autel du Seigneur au cœur du pays d’Égypte. » 45 Et « il y aura l’image du Seigneur sur cet autel. »45a

Et plus tard, les saints apôtres demandèrent au saint apôtre et évangéliste Luc de peindre l’icône de son très-pur visage [du Christ] pour vénérer sa divine incarnation et sa résurrection. Et le saint apôtre et évangéliste Luc peignît aussi l’image de la très-pure et véritable Mère de Dieu. C’est pourquoi il faut honorer la sainte et vivifiante croix, l’évangéliaire divin, les saints et vivifiants mystères du Christ, les vases sacrés où se consomment ces mystères, les reliques des saints ainsi que les églises de Dieu et se prosterner devant eux. Et il faut également peindre les icônes des saints prophètes et apôtres, des martyrs et des bénisseurs4 et il faut honorer tous les saints et se prosterner devant eux.

Mais l’hérétique objecte encore : « Si vous dites qu’il faut se prosterner devant l’icône du Christ, que dites-vous des autres que vous appelez saints, les icônes desquels vous peignez et dont vous honorez les ossements morts, devant lesquels vous vous prosternez ? » À cet argument hérétique, il faut répondre comme suit : Comme c’est le saint apôtre et évangéliste Luc qui fut le premier à peindre l’icône de notre Seigneur Jésus Christ et de sa très-pure Mère et ensuite celles des saints apôtres et prophètes, nous ne faisons que suivre son exemple en peignant et en honorant non seulement l’image de notre Seigneur Jésus Christ et de sa très-pure Mère, mais aussi les vénérables images des saints et des hommes de Dieu qui en étaient aimés, tels que les anciens justes, prophètes et patriarches qui ressuscitaient les morts, ouvraient les yeux des aveugles, chassaient les démons et faisaient beaucoup d’autres miracles avec l’aide de Dieu ; David en parle ainsi : « Tes amis, Seigneur, ont été mes meilleurs amis »46

, et encore : « Elle est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints »47, et aussi : « Dieu est glorifié dans le conseil des saints. »48 Et Isaïe dit : « Les justes vivent éternellement. »49 Et il y a plusieurs autres propos semblables. Notre Seigneur Jésus Christ en parle ainsi : « Vous êtes mes amis »49a et « Qui vous accueille m’accueille moi-même... »49b Et il dit encore : « Vous êtes le sel de la terre...Vous êtes la lumière du monde... » 49c, et aussi : « Qui vous écoute

47

Page 48: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

m’écoute... »49d et encore : « ...là où je suis, là aussi sera mon serviteur. »49e

Pour cette raison, quand il nous arrive d’apercevoir à l’église un saint, ou une partie de l’habit dans lequel il servait Dieu, ou un os de son corps ou la poussière qui vient de son cercueil, nous les considérons vénérables et saints et nous nous prosternons devant eux et nous les embrassons avec amour, car tout cela est sacré et touché par la grâce du Saint-Esprit comme en témoignent les miracles et les guérisons qu’occasionnent ces choses. En honorant ces serviteurs du Christ, nous honorons le Christ lui-même pour autant que ses serviteurs lui ont été agréables.

Tu vois qu’à travers ces choses, nous honorons Dieu et non pas ces choses inanimées. Et quand nous peignons l’icône d’un saint, ce n’est pas pour nous prosterner devant sa matérialité, mais parce qu’en regardant cette image matérielle, notre esprit et notre pensée s’élèvent vers Dieu et se remplissent du désir et de l’amour de Dieu, au nom desquels la grâce divine opère ses indicibles miracles et guérisons.

Mais l’hérétique dit encore : « Pourquoi Dieu ferait-il ses miracles à travers ces choses, fabriquées et inanimées ? » À quoi il faut répondre : Et pourquoi, dans le cas des miracles de Moïse, Dieu a conféré la force miraculeuse non pas directement à lui mais à son bâton ? Et Dieu a conféré sa grâce à la peau de mouton d’Élie, dont s’est servi Élisée pour faire des choses formidables qu’il avait été incapable de faire par lui-même. Les Juifs honoraient les tombes des prophètes et des patriarches, et les Israélites ont apporté d’Égypte les ossements de Joseph qui sont venus à bout des scorpions dans le désert et le corps mort d’Élisée ressuscite un défunt. L’Ancien Testament est plein de choses fabriquées et inanimées qu’on honorait et qui produisaient des miracles, tels que le voile de la tente de la rencontre fait de lin et de laine, l’arche de l’alliance en bois, le bâton d’Aaron et le temple de Salomon avec tout ce qu’il contenait : des chérubins d’or au-dessus de l’arche de l’alliance, des chérubins brodés sur les parois et sur le rideau. Tout cela n’est-ce pas inanimé et fabriqué par les mains humaines à partir des matériaux sans vie ? Alors, pourquoi Dieu a-t-il caché sa grâce dans ces choses sensibles dont elle devait agir ? Or, dans la Nouvelle Grâce4, notre Seigneur Jésus Christ fait la même chose en cachant sa grâce dans la sainte église et dans les autres choses sacrées et divines. Et c’est pour cette raison qu’il faut aujourd’hui se prosterner devant la vénérable icône du Verbe divin incarné qui voulait partager le lot humain, parmi les créations des hommes, et qui a organisé mon salut à travers sa chair. Il faut aussi se prosterner devant l’icône de sa très-pure Mère, la vénérable et vivifiante croix et les autres objets sacrés qui sont honorés dans le Nouveau Testament — pour avoir droit à plus de grâce. La grâce du Saint-Esprit qui s’est répandue dans le Nouveau Testament fait par elle-même des miracles, des guérisons et des signes sacrés qui dans l’Ancien Testament ne se faisaient que par l’intermédiaire

48

Page 49: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

du sanctuaire, des voiles et des bandelettes sur le front dont les Juifs se protégeaient de la sueur. Cette force de la Nouvelle Grâce’ était impensable dans l’Ancien Testament. Celui qui veut en savoir plus devrait lire le saint Évangile du Christ, les actes et les souffrances des apôtres ainsi que les vies des saints bénisseurs4, de nos vénérables et divins pères, des saintes martyres et des vénérables femmes. Il connaîtra alors la vérité et comprendra que les Juifs n’avaient pas autant de grâce que dans l’ère du Nouveau Testament.

Mais ce n’est pas seulement pour cela qu’il faut honorer les vénérables icônes et les autres objets sacrés dont nous avons parlé ; il y a beaucoup d’autres témoignages divins, et beaucoup d’autres mystères, de grands miracles qui prouvent notre point. Nous en parlerons maintenant plus longuement en nous appuyant sur les divins écrits du Nouveau Testament, des apôtres, des bénisseurs4 et de nos vénérables et divins pères. Et je dirai aussi de quelle manière et pourquoi il faut se prosterner devant les saintes icônes, devant les autres objets sacrés que notre Seigneur Jésus Christ a ordonné de fabriquer pour sa gloire et devant tous les hommes qui lui ont été agréables. Finalement, j’expliquerai comment il faut honorer les rois, les princes et nous-mêmes les uns les autres : j’expliquerai de quelle façon il faut aujourd’hui se prosterner devant Dieu selon le Nouveau Testament et ne servir que lui. Je parlerai de tout cela dans le deuxième traité.

DEUXIÈME TRAITÉ

Le deuxième traité où l’on montre à partir des saintes Écritures, de quelle manière et pourquoi les chrétiens doivent vénérer les saintes icônes, la sainte et vivifiante croix, le saint évangéliaire, les très purs et divins mystères et les vases sacrés où se consomment ces divins mystères, ainsi que les reliques des saints et les églises de Dieu.

On y montre aussi de quelle manière et pourquoi nous devons nous honorer les uns les autres et pourquoi nous devons honorer les tsars et les princes, et de quelle façon nous devons aujourd’hui vénérer le Seigneur Dieu selon le Nouveau Testament et ne servir que lui.

1. TRINITÉ

Un chrétien doit connaître la façon de représenter la sainte, consubstantielle et indivisible Trinité sur les saintes et vénérables icônes, sur les murs et sur les vases sacrés et il doit se prosterner devant cette image pure et divine avec respect et crainte mais aussi avec foi et amour, et il doit l’embrasser avec un immense désir et une grande ferveur. Car ce qu’on ne peut voir avec nos yeux corporels, nous le contemplons dans l’esprit grâce à l’icône. Et bien que la sainte, toute puissante et vivifiante Trinité n’avait jamais été décrite selon sa divinité, il reste que de nombreux prophètes justes et vénérables, qui parlaient

49

Page 50: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

pour Dieu, en ont laissé des témoignages et des descriptions. Elle est apparue à Abraham sous une forme humaine et sensible et elle lui ordonna de la décrire telle qu’elle lui est apparue. Cette image sensible élève notre esprit et notre pensée par le désir et l’amour vers la divinité ; ce n’est pas la chose sensible que nous vénérons alors, mais la beauté que nous pouvons contempler dans cette représentation de la divinité. Devant cette icône, la terre se remplit de chants de louange en l’honneur de la sainte, consubstantielle et vivifiante Trinité, mais l’honneur rendu à l’image est destiné à son prototype. Et ce n’est pas seulement ici-bas que nous sommes sanctifiés et illuminés par le Saint-Esprit lors de cet acte de vénération, mais nous recevrons une grande et ineffable récompense également dans le siècle à venir quand les corps des saints seront plus brillants que le soleil : voilà pourquoi l’on honore et l’on embrasse avec amour l’indivisible essence de la divinité représentée en trois Personnes sur l’icône et pour quelle raison l’on prie devant cette image divine de la sainte et vivifiante Trinité.

2. JÉSUS CHRIST

C’est de la même manière qu’il faut représenter en peinture la très pure image de notre Seigneur Jésus Christ, l’Homme-Dieu, l’embrasser et se prosterner devant elle, car le Fils vivant, le roi, est sans commencement, uni au Père, incorporel et intangible. Il est la Parole de Dieu, notre Seigneur, qui pose ses pieds sur le firmament ; il tient la terre dans ses mains ; il est celui qui a pris la poussière de la terre et en modela l’homme de sa propre main selon son image et sa ressemblance ; il le rendit digne de son intelligence, lui donnant l’agrément des plaisirs ineffables du Paradis ; il le nomma roi de tous les êtres ; et même quand l’homme a été ravi par le serpent et sombra dans le péché — et du péché dans la mort —, le Seigneur ne l’abandonna pas. Ayant vu le péril de la race humaine et étant descendu du ciel par la grâce de son Père et du Saint-Esprit, le Fils entra dans le sein de la Vierge Marie et la lumière de la Vérité brilla dans le sein de sa mère. Cette lumière était comme la semence de la chair et il est né — Dieu s’est fait homme ; il nous a déclaré la grande puissance de sa divinité par des signes, des miracles et autres merveilles. II envoya ses apôtres chasser le mal et enseigner le bien, il étouffa l’élan du péché par le pardon, et il encouragea le zèle des justes par des promesses incorruptibles. II a assumé nos faiblesses et nos maux dans son être, nous avons torturé son corps et Il se soumit à une mort des plus humiliantes. Mais il ressuscita et monta dans le ciel en nous laissant le témoignage inoubliable de sa vie sur la terre pour que ceux qui espèrent en lui n’abandonnent pas le bien dans le passage des temps et dans les profondeurs de l’oubli. C’est à cause de tout cela que nous représentons en peinture les traits de son très pur et divin visage et que nous élevons ensuite notre intelligence vers sa divinité incorporelle. II l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son être, qui porte toute chose par la parole de sa puissance — quand il empreignit d’un coup sur le voile de lin les traits de son très vénérable visage et l’envoya ensuite à Abgar qui ne pouvait quitter le lit depuis plusieurs années déjà à cause d’une maladie mais qui

50

Page 51: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

fut guéri juste en touchant à ce saint voile. Et quand ses divins disciples et apôtres ont vu ce miracle, ils ont peint son visage en sa présence et ont transmis cette image véridique aux générations futures pour qu’on puisse en faire des copies, se prosterner devant elle et la vénérer. Cette très pure image a produit beaucoup de miracles, de signes et de guérisons qui continuent même de nos jours. Et comme le Seigneur avait pris de sa très pure Mère son corps, qui avant la résurrection était corruptible et mortel sans jamais être dépourvu de divinité ni dans le sein de la mère, ni sur la croix, ni dans le tombeau, de même sa très pure image peut bien être fabriquée de matériaux corruptibles. Néanmoins, la divinité en reste inséparable.

C’est pourquoi nous devons nous prosterner devant son icône, l’honorer et la vénérer comme si c’était le visage même du Seigneur tout en nous rendant compte que l’essence divine n’est pas réductible à son très pur visage, car l’essence de Dieu ne peut être vue ni par les anges ni par les hommes. De même, il ne faut pas croire que c’est là le Christ dans la chair, car le Christ est indescriptible selon sa divinité qu’il est impossible de contempler sinon quand il viendra la seconde fois. Il faut donc comprendre que son icône est son image selon l’humanité. C’est également dans ce même esprit que nous nous prosternons, encensons et allumons les cierges devant l’image de la très honorable et vivifiante croix, ainsi que devant le saint évangéliaire et les saints mystères de Dieu lors de la vénération. II faut bien donc que nous nous prosternions devant sa très pure et très vénérable icône avec amour, et que nous la vénérions en l’embrassant avec respect, peur et crainte mais aussi avec foi, car Dieu qui est indescriptible se fit homme pour que nous le voyions dans la chair tout en nous souvenant de son être premier. Ainsi, puisque les louanges adressées à l’icône visent son prototype, ce qu’on vénère dans les icônes et par elles est la vérité même.

3. VIERGE MARIE

Les saints apôtres et les saints pères nous ont également ordonné de peindre sur les saintes icônes la très pure image de notre immaculée souveraine, la Mère de Dieu et de nous prosterner devant elle. Car tous les prophètes, apôtres et justes témoignent qu’elle est bien la Mère de Dieu. Ils affirment que c’est elle qui, pur d’âme et de corps, mit au monde Emmanuel au corps incorruptible. Ils déclarent aussi que si le premier refuge de la divinité n’avait pas été pur et immaculé comme elle, la chair de toute humanité n’aurait pu être sauvée, de sorte que c’est grâce à la seule Mère de Dieu que — depuis Adam et jusqu’à la fin du monde — furent, sont et seront établies la gloire et l’honneur de toutes les choses sacrées, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des justes, des saints et des humbles. II faut donc nous prosterner devant son icône comme devant sa personne même parce que quand Luc, apôtre de Dieu4a, a peint sur une planche le portrait de notre très pure souveraine et Mère de Dieu et le lui fit voir, elle l’a

51

Page 52: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

regardé et dit avec piété et assurance : « Ma bénédiction est sur cette image. » Alors sa parole devint acte et depuis cet instant jusqu’à nos jours, sa très pure icône n’a cessé de produire sans nombre des miracles, des signes et d’autres merveilles, de sorte que toute nouvelle image de la très pure Mère de Dieu reçoit toujours sa très sainte grâce originelle. Et quand nous nous prosternons souvent devant sa très pure icône, nous recevons par sa médiation tous les biens de notre vie ainsi qu’une mort juste et sans reproche ; elle nous délivre aussi des visions du diable et nous donne la main ferme lorsque nous peignons. Nous avons besoin d’elle et nous l’appelons à nous comme nous avons besoin d’air pour respirer : comme son Fils et Dieu, qui est partout et qui remplit toute chose, la mère de celui-ci qui est sans limites accourt à tous ceux qui l’appellent plus vite que la foudre n’atteint la terre. Et puisque son fils Jésus Christ tient l’essence de sa divinité du Père et l’essence de sa chair de sa vierge Mère — car c’est la double nature du Fils de Dieu qui devait sauver le monde —, alors c’est grâce à la Vierge Marie que Dieu a pu vivre parmi nous.

4. CROIX

Les saints apôtres et pères nous ont aussi ordonné de nous prosterner avec piété et foi devant la vénérable et vivifiante croix. Même si elle est faite de bois, elle est une arme redoutable de la sainte force contre le diable et contre toutes les forces ennemies, car elle a été sanctifiée par le très vénérable sang du Verbe de Dieu qui y fut crucifié et elle a aussi le pouvoir de bénir par la force de Dieu à cause de l’image du corps humain du Christ qui y est cloué — Dieu 4a qui fut enterré, qui ressuscita et qui monta aux cieux dans la gloire. Mais ce n’est pas seulement devant cette vénérable et vivifiante croix originelle sur laquelle le Christ a été crucifié qu’il faut nous prosterner ; il faut en faire autant devant tout crucifix qui représente la vivifiante croix du Christ, car c’est à cette croix que le Christ avait été cloué. De quelque matériau qu’on fasse un crucifix, il recevra toujours la grâce et la bénédiction du corps du Christ notre Dieu qui y avait été crucifié. C’est aussi le signe que nous devons apposer sur notre front, sur le cœur et sur toutes les parties de notre corps. Ce sceau empêchera l’ennemi de nous atteindre, car Dieu lui-même parle ainsi à travers le prophète Ézéchiel : « [...] que vos yeux soient sans compassion et vous sans pitié. Vieillards, jeunes hommes et jeunes filles, enfants et femmes, vous les tuerez jusqu’à l’extermination : mais ne vous approchez de personne qui portera la marque. »” David parle de la même chose en disant : « Mais tu as donné à ceux qui te craignent un signe pour qu’ils échappent aux traits de l’arc. »51 Et encore, comme dit Ézéchiel : « Que la lumière de ton visage nous marque, Seigneur, car nous avons ton signe sur le front. »52 Ainsi, par ce signe, nous nous proclamons fidèles et nous nous démarquons des infidèles ; ce signe est notre bouclier et nos armes. Les mots ne suffiront pas pour décrire les merveilles et les grands miracles produits par ce signe : il est apparu dans le ciel au grand roi Constantin qui a vaincu par la suite tous ses ennemis avec son aide ; il est aussi apparu en

52

Page 53: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

plein jour dans le ciel de Jérusalem à Constance, fils de Constantin et sa lumière éclipsa celle du soleil ; la même chose se produisit lors du règne d’Héraclius. On ne saurait énumérer toutes les autres occasions de son apparition.

5. ÉVANGÉLIAIRE

Il faut également nous prosterner devant le saint évangéliaire, car la très pure image de notre Seigneur Jésus Christ est similaire au saint évangéliaire de sorte que nous devons nous prosterner avec la même ferveur devant les deux. II n’y a aucune différence entre eux, car ils annoncent tous deux la même Bonne Nouvelle. Le scribe a composé l’évangéliaire en y décrivant par les mots l’apparence charnelle du Christ et il transmit son œuvre à l’Église ; le peintre fait la même chose en peignant sur la planche l’apparence charnelle du Christ qu’il transmet ensuite à l’Église : ce que l’évangéliaire raconte par les mots, le peintre l’exécute par les coups de pinceau. Et de même qu’en me prosternant devant l’icône je vénère non la planche ni les couleurs de la peinture mais la représentation du corps du Christ, de même ce n’est pas devant le papier et l’encre que je me prosterne en vénérant le saint évangéliaire mais devant l’histoire du Christ qu’il raconte.

6. MYSTÈRES

Il faut aussi nous prosterner devant les saints mystères de Dieu et devant le très pur corps et le très vénérable sang de notre Seigneur Jésus Christ, car au commencement il créa l’homme libre auquel il ordonna d’obéir toujours à son créateur, mais l’homme transgressa ce commandement et a été livré à la mort et à la corruption. Or, le maître et le créateur de notre race s’assimila, de par sa grâce, notre nature et il a été homme mais sans péché, et il se mêla à notre substance faible et indigente, et de sa chair il purifia notre chair, et de son âme il sanctifia notre âme, comme le Seigneur l’a dit lui-même : « Ceci est mon corps et mon sang du Nouveau Testament que je verse pour vous, mangez et buvez en rémission des péchés. »53 La parole de Dieu est vivante et puissante, elle fait tout ce qu’il désire, comme lorsqu’il a dit : « Que la lumière soit — et la lumière fut »54, et aussi : « Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l’Esprit de sa bouche, toute leur puissance »55, et encore : « Que la terre détruise l’herbe morte »56 et cela reste ainsi encore aujourd’hui puisque la terre détruit chaque fois l’herbe morte, poussée par l’ordre de Dieu. Quand Dieu le Verbe a voulu s’incarner, il devint homme de par le sang de la très pure Vierge Marie, et il constitua sa chair sans semence et quand il était cloué sur la croix, il nous a donné le sang et l’eau qui s’écoulèrent de sa côte. Si tout cela a été possible à Dieu, pourquoi ne pourrait-il pas faire que le pain devienne son corps, que le vin mêlé de l’eau devienne son sang ? Quand la sainte Vierge Mère de Dieu a demandé à l’archange : « Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? »57, il lui répondit : « Le Saint-Esprit viendra sur toi et la puissance du Très Haut te

53

Page 54: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

couvrira de son ombre. »58 C’est de la même façon que le Saint-Esprit arrive lors de la communion et rend possible ce saint mystère. Le Seigneur connaît la faiblesse de l’homme qui ne peut embrasser ce qui dépasse sa nature et qui s’en écarte pour son malheur ; c’est pourquoi le Seigneur descend chaque fois jusqu’à nous et sanctifie notre nature pour l’élever au-dessus d’elle-même.

Lors du baptême, on lave l’homme avec de l’eau et on l’oint avec de la myrrhe, selon la tradition, mais Dieu ajoute à la myrrhe le don du Saint-Esprit, car l’homme est fait d’âme et de corps de sorte que Dieu nous purifie par l’eau et par l’Esprit selon notre double être : l’eau visible lave le corps qui est visible et l’Esprit invisible purifie l’âme qui est invisible. La même chose se passe avec la communion : les hommes, selon la tradition, mangent le pain et boivent le vin et l’eau, mais Dieu y ajoute sa divinité pour élever notre nature au-dessus d’elle-même. De même, Dieu a pris de la Vierge son corps, mais ce n’est pas cette chair ressuscitée qui nous descend maintenant du ciel : c’est le pain, le vin et l’eau qui se transforment en corps et sang de Dieu par l’action du Saint-Esprit, selon la parole du Seigneur qui dit : « Car ma chair est vraie nourriture et mon sang vraie boisson »59, ainsi que : « [...] celui qui me mangera vivra par moi. »60

Alors, chacun qui consomme ce corps et boit ce sang — comme s’il avait les lèvres blotties sur la côte même du Seigneur — doit le faire avec foi et respect, car cela se fait pour la rémission des péchés et la vie éternelle, pour la bonne santé de l’âme et du corps : Dieu brûlera ainsi nos péchés et bénira notre cœur. Mais si quelqu’un consomme ces mystères sans foi et sans respect, ils le précipiteront dans la torture et le supplice puisque la mort du Seigneur a donné la vie éternelle aux croyants et la souffrance et le supplice éternels aux mécréants.

Il n’existe pas d’image du corps et du sang des saints mystères, selon la parole du Seigneur qui dit : « Voilà mon corps et mon sang » et non pas : « Voilà l’image de mon corps et de mon sang ». Ce sacrifice [l’eucharistie] que nous faisons à Dieu — depuis les confins de l’Orient jusqu’à l’Occident — est pur et non-sanglant, car il doit sanctifier et vivifier notre âme et notre corps : il est incorruptible et il ne moisit pas et ne se transforme jamais en impuretés. Il n’est pas comme la nourriture humaine habituelle, mais il est plutôt comme le cierge de cire. La cire brûle invisiblement sous la chaleur du feu et le feu qui se nourrit de la cire éclaire toute la demeure. Le Saint-Esprit agit de la même façon, car en se mêlant au pain, au vin et à l’eau pour les transformer en corps et en sang du Christ, il rend ces nourritures pures et incorruptibles (alors que la nourriture humaine est corruptible). C’est donc le feu divin qui les consume mystiquement et par-delà les limites de la nature.

Alors, si dans le temps de l’Ancien Testament on purifiait le corps de l’homme par le sang et les cendres des boucs, des veaux et des génisses, combien plus le sang du Christ — qui s’est offert en très pur sacrifice à Dieu par le Saint-Esprit —

54

Page 55: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

doit purifier notre conscience des actes de la mort, comme le dit l’apôtre. Alors, purifiés par ce sang, mêlons-nous au corps et à l’esprit du Seigneur ; soyons comme le corps du Christ. Et puisqu’à travers ce corps et ce sang, nous recevons en nous la sainte divinité du Christ, nous serons tous comme les membres d’un seul corps, car Dieu s’est associé mystiquement à la chair humaine la vivifiant par cette association. Mais que l’on ne s’imagine pas que la chair a été englobée dans l’Être divin. La chair est unie à la divinité plutôt comme le fer est uni au feu : avant la sanctification, il n’y a que le pain, le vin et l’eau, mais après que les prêtres ont fini leurs prières et que le Saint-Esprit les a sanctifiés et brûlés, ces nourritures se transforment en corps et en sang du Christ. Donc, quand nous acceptons ces mystères des mains du prêtre, nous devons le faire avec crainte et piété, comme si nous avions devant nous non pas un simple homme mais le séraphin lui-même qui nous tend une cuillère embrasée : « L’un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. II m’en toucha la bouche et dit  : ”Dès lors que ceci a touché tes lèvres, ta faute est écartée, ton péché est effacé.” »61

Si nous croyons qu’un mène une mauvaise vie, nous ne devons pas le juger : seul celui qui voit les choses cachées est son juge. Quant à toi, compte tous tes prochains comme des hommes dignes, sauf les excommuniés déclarés. Car si quelqu’un mène une vie exemplaire, il a droit aux mêmes offrandes et au même sceau du Saint-Esprit que tous les autres qui participent à la communion. Vois cet exemple : un homme a une bague en or, un autre en a une en fer, mais sur les deux est représentée l’image du tsar, car ces bagues servent à cacheter la cire. Si tu es sage, essaie de dire lequel des cachets dans la cire a été fait par la bague de fer et lequel par celle d’or. Tu ne pourras pas faire la différence puisque ce ne sont que les outils qui sont différents, l’image est la même. C’est la même chose dans notre cas où il y a différence entre les hommes et non pas dans les biens spirituels. L’offre du Saint-Esprit ne sera pas diminuée par l’indignité du prêtre, car bien que tous n’aient pas la même faveur de Dieu, tous subissent l’action du Saint-Esprit. Alors, ne juge pas les juges, toi qui es condamné ; ne va pas faire paître les bergers, toi qui es brebis ; et ne compare pas la dignité de l’un ou de l’autre. Considère, plutôt, tous les prêtres comme des hommes dignes, sauf ceux qui enseignent l’hérésie, car si quelqu’un est hérétique, il faut nous garder d’accepter son enseignement, d’en recevoir la communion ou d’entretenir des contacts avec lui. Mais fuir l’hérétique ne suffit pas, il faut le condamner et le dénoncer de toutes ses forces afin de ne pas partager sa perte.

Et maintenant, s’il se trouve parmi les fidèles des hommes qui mènent une vie impure, à cause d’excès de nourriture ou de vin, ou bien si quelqu’un a l’âme souillée par la colère ou la rancune, que ceux-là n’osent pas s’approcher de ce très pur feu divin avant de se purifier par une confession véridique de toute souillure d’âme et de corps. Car si quelqu’un qui n’est pas digne participe à la communion, il tue ainsi le Christ lui-même. Comme dans le temps où les Juifs ont crucifié son corps, de même aujourd’hui nous souillons son corps si l’âme de

55

Page 56: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

celui qui y communie est impure. Car celui qui a déchiré la robe du roi et celui qui l’a souillée subiront la même mort : le saint est pour les saints. Ainsi l’apôtre dit : « ...car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation »62, et aussi : « Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d’infirmes et qu’un certain nombre sont morts »63, car le saint est destiné non pas aux impurs mais aux saints.

7. VASES SACRÉS

Il faut également vénérer les vases sacrés où s’accomplissent les divins mystères qui les sanctifient et les rendent divins et nous prosterner devant eux. Car si le feu qui touche au fer donne à ce dernier quelque chose de son essence de sorte que le fer — noir et froid — devient semblable au feu, combien plus la divine chair et le divin sang de notre Dieu4a et Maître, qui se consomment indiciblement et terriblement dans ces vases sacrés, doivent conférer à ces derniers la majesté de leur grâce. Déjà dans l’Ancien Testament, Dieu a dit à Moïse : « Fabrique des plateaux, des cuillères, des vases et des coupes de sacrifice, et puis tous les autres réceptacles ainsi que la cuvette d’ablutions et tout ce qui va avec elle, et vous ferez cuire la viande dans ce lieu saint et les prêtres mangeront la viande dans ces vases lesquels les sanctifieront après quoi ce lieu deviendra le saint des saints. »64 Donc si les Juifs vénéraient ces vases dans lesquels il n’y avait que le sang et la viande des animaux sacrificiels, combien plus nous devons vénérer aujourd’hui ces vases sacrés et divins pleins de la grâce de Dieu, car dans ces vases se consomment la chair et le sang de notre Seigneur Jésus Christ pour le salut du monde.

8. ICÔNES DES SAINTS

Il faut aussi vénérer les vénérables icônes des saints et nous prosterner devant elles, et avant tout devant celle de Jean Baptiste, le premier annonceur du règne de Christ, que le Seigneur lui-même a loué en ces mots : « En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste. »65 Car il est prophète aussi bien qu’apôtre, il est juste et saint parce qu’il a vécu dans la chair comme s’il n’était pas charnel et il a été martyrisé pour le Christ.

Il faut aussi vénérer les icônes des archistratèges Michel et Gabriel ainsi que celles des autres puissances célestes et nous prosterner devant elles ; ces anges sont nos bienheureux protecteurs et défenseurs qui portent nos prières et nos demandes aux oreilles du Seigneur Sabbaoth, qui prient toujours pour nous, qui viennent séparer notre âme du corps à l’heure de notre mort et qui l’arrachent aux avides démons pour l’amener vers Dieu. II est vrai qu’ils sont incorporels et indescriptibles. Cependant, plusieurs hommes les ont aperçus. Dans l’Ancien Testament, Joël, Ézéchiel, Daniel et Isaïe en ont vu. Dans le Nouveau Testament, la très pure Mère de Dieu a vu l’archange Gabriel ; les myrophores,

56

Page 57: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

les apôtres devant le tombeau du Christ et Pierre dans la prison en ont vu. Et c’est selon ce qui a été vu d’eux qu’il faut représenter leur divin visage sur les vénérables icônes.

II faut aussi vénérer l’icône des saints prophètes, et nous prosterner devant elle, parce que ces derniers ont annoncé la venue du Christ par des mots et des actes. Ils se sont purifiés par leur sang et par leur bonne vie, car ils s’habillaient de peaux d’animaux et étaient éprouvés par l’humiliation et les blessures. On lançait sur eux des pierres, on les méprisait et on les tuait à l’épée ; ils vivaient dans l’indigence, dans la peine et dans la haine alors que l’univers entier n’était pas digne d’eux.

Et il faut aussi vénérer les icônes de tous les autres justes de l’esprit et nous prosterner devant elles : les pères de l’Église, les patriarches, les rois et les juges. Mais, avant tous ceux de la Loi et avant tous les autres saints, il faut vénérer les ancêtres4a de Dieu, Joachim et Anne qui ont eu la chance d’engendrer une pareille fille : la Mère de Dieu selon Dieu, Reine selon le Roi, Dame selon le Seigneur et Maîtresse selon le Maître. Ses parents ont eu droit à des grâces telles que le monde n’avait pas connues depuis Adam et n’en connaîtra pas jusqu’à son dernier jour, car leur fille, en vérité la Mère de Dieu, les a rendus parents du Seigneur.

II faut aussi nous prosterner devant les icônes des très glorieux apôtres et les vénérer, car ils étaient comme les frères du Seigneur, mais aussi ses témoins, ses émules et ses serviteurs dans sa vie humaine lorsqu’il entra volontairement dans sa très pure passion pour notre salut. Ces hommes ont fait le tour de la terre sans jamais se reposer ni satisfaire leur corps et ils étaient persécutés, battus, humiliés, méprisés, crucifiés et tués. C’est pourquoi ceux qui ressemblent à ces hommes, ou leur sont supérieurs, ont toujours sauvé et continueront de sauver le monde.

9. AUTRES SAINTS

Il faut également vénérer les icônes des myrophores et nous prosterner devant elles parce que ces femmes, autant que les apôtres, ont servi le Christ dans sa vie humaine et dans sa très pure passion, ont été les premières à le voir ressuscité et ont péri dans le sang et la douleur au nom du Christ. Et il faut faire de même pour les icônes des saints et victorieux martyrs qui, tels des guerriers du Christ, ont versé leur sang pour lui et ont bu la coupe de la mort en participant ainsi à sa vivifiante mort, à sa passion et à sa gloire. Ils ont laissé tomber tous les biens d’ici-bas — la patrie, les honneurs, les dignités, les parents, leurs femmes, leurs enfants, leurs frères et leurs amis — en rivalisant les uns avec les autres dans l’empressement de verser leur sang pour le Christ et comme une seule âme dans plusieurs corps, ils ne se laissaient pas détourner de l’amour de

57

Page 58: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Dieu en s’apitoyant sur les larmes de leur père, la douleur de leur mère ni sur les cris de leurs enfants.

Et il faut faire de même pour les icônes des saints thaumaturges et des saints qui ont pratiqué l’indigence, car ils guérissent nos maux et nos maladies.

Et il faut faire de même pour les icônes de nos vénérables prêtres et évêques qui ont plu à Dieu par le jeûne, la souffrance, les larmes et la sueur, car même s’ils n’ont pas eu l’occasion de verser leur sang pour le Christ, ils ont pourtant versé beaucoup de larmes. Ils ont été accablés de lourdes et pénibles tâches ; ils ont vécu dans la douleur et dans la peine ; ils épuisaient leur corps par la faim, le manque de sommeil, la soif ; et ils passaient l’hiver pieds nus et presque sans vêtements en souffrant pour l’amour du Christ.

Et il faut faire de même pour les icônes des saintes martyres et des femmes saintes qui ont transformé la faiblesse féminine en courage masculin. Les unes ont versé leur sueur pour le Christ, d’autres leur sang ; en abandonnant la vie du monde, elles ont volé vers le Christ : elles ont fait briller la terre noire comme les cieux et elles ont rendu les endroits sombres lumineux comme des étoiles. C’est pourquoi nous vénérons leurs très honorables et désirables images ; nous nous prosternons devant elles ; nous pensons qu’elles se trouvent comme vivantes parmi nous, car leur amour était grand ; et nous imitons leur vie puisqu’elles ont plu à Dieu. Leurs icônes, leurs églises et leurs reliques guérissantes qui s’y trouvent nous donnent toujours d’incroyables miracles. C’est pour cela que nous devons représenter ces saintes sur les murs, les planches et les vases sacrés en fabriquant leur image en or ou en argent ou en quelque autre matériau et nous devons également construire de saintes églises en leur honneur. Il faut vénérer ces femmes autant que les autres saints par les mots et par les écrits, dans la pensée et dans les sacrifices et sur les icônes mais sans les diviniser. Notre Seigneur Jésus Christ, qui nous aime tant, ne trouve pas désolant notre zèle quand il nous voit vénérer ces saintes ; bien au contraire, il s’en réjouit pour elles et nous aime encore plus, car elles sont comme sa famille et il les aime comme telles. Il dit en effet à leur sujet : « ...là où je suis, là aussi sera mon serviteur »66, et encore : « Vous êtes mes amis... »67 ; et : « ...mais vous n’êtes pas du monde : c’est moi qui vous ai mis à part du monde... »68 ; et : « Qui vous écoute m’écoute, et qui vous repousse me repousse... »69 ; et encore : « l’habiterai en eux et j’irai en eux et je serai leur Dieu. »70

Et il faut également vénérer les reliques des saints et nous prosterner devant elles comme devant leurs personnes vivantes, car comme dit le prophète : « L’âme du juste vit dans la main de Dieu »71 et encore : « ...ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit... ? »72. L’âme du juste est dans la main de Dieu et son corps est le temple du Saint-Esprit, il est comme la source de toute vie, le Christ, dont l’âme divine quitta le très pur corps au moment de sa

58

Page 59: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

terrible et vivifiante mort. Son corps pourtant n’en fut pas pour autant privé de la divinité, car le Christ est lui-même le puissant Verbe qui se trouve dans les profondeurs de Dieu son Père dont il partage l’essence, même si son âme a été en enfer73 et son corps a été dans la tombe. De même, Dieu s’approprie le corps et l’âme des saints qui ont su conserver leur unité avec Lui en vivant selon ses commandements et qui ont été aimés de Dieu jusqu’à la fin. Et il se les attache, comme on attacherait des membres à la tête pour constituer un corps, de sorte que l’esprit des saints fait un avec celui de Dieu qui se mélange à leurs âmes et à leurs corps non seulement de leur vivant mais il ne les abandonne pas même après la mort : ainsi leurs restes et leurs os sont toujours remplis de grâce divine. Et comme le Seigneur leur a donné le don spirituel de sa force pour faire des miracles lors de leur vivant, de même leur corps séparé de l’âme n’en reste nullement privé. Il est donc erroné de les appeler morts — quelle chair morte pourrait faire des miracles ? — car ils sont comme vivants, selon la parole du Seigneur qui dit : « ...quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »74 On croirait que ces os ne sont que de la poussière et de la terre. Or, ils sont la terreur des démons ; ils ouvrent les yeux des aveugles ; et ils guérissent les lépreux, les paralysés et autres maladies. Bien que ces os soient sortis de la terre ; ils ont communié avec le Seigneur et ils se sont débarrassés de leur apparence charnelle pour s’habiller d’une apparence céleste. C’est pourquoi l’âme des saints est conservée dans le Trésor céleste, alors que leur corps doit rester encore dans les profondeurs de la terre pour l’amour des hommes, car ces corps aident les vivants et nous guérissent de nos maux. Ainsi nous prions toujours ces saints devant leurs reliques pour qu’ils nous aident auprès du Seigneur, car Dieu ne refuse jamais de les entendre en se rappelant leurs peines, leur sueur, leur mort par l’épée, leurs blessures, leur sang versé en son saint nom et leur amour pour lui parce qu’ils l’aimaient plus que leurs parents et leurs enfants, plus que tout dans le monde.

10. ÉGLISES

II faut aussi vénérer les saintes et vénérables églises et nous prosterner devant elles avec foi et crainte, car déjà dans l’Ancien Testament, Dieu ordonna à Moïse de fabriquer le sanctuaire qui n’est autre qu’une église. Dieu dit à Moïse : « Tu dresseras la demeure d’après la règle qui t’a été montrée sur la montagne »10 et la forme de tous ses vases, et ensuite il dit : « Rassemble les hommes dans le sanctuaire pour qu’ils écoutent mes paroles »75. Et il est également écrit dans le livre des Rois : « ...et Samuel était couché dans le Temple du Seigneur... »76 et « Salomon bâtit la Maison et l’acheva »77 sur l’ordre de Dieu, car Dieu parla ainsi à David : « C’est lui [Salomon] qui bâtira une Maison pour mon Nom... »78. Et notre Seigneur Jésus Christ lui-même dit : « Tu es Pierre et je construirai sur toi mon Église »79. Et les saints apôtres ont fondé l’Église à Jérusalem après l’ascension de notre Seigneur Jésus Christ, comme cela est raconté dans les Actes : « En ce jour-là éclata contre l’Église de Jérusalem une violente

59

Page 60: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

persécution. »80 Et il est dit de l’apôtre Pierre : « Pierre était donc en prison, mais la prière ardente de l’Église montait sans relâche vers Dieu à son intention. »81

Pierre et Jean ont aussi organisé une église à Lydda en l’honneur de la Mère de Dieu. Aussi Clément, disciple de Pierre, écrit que quand l’apôtre Pierre guérit à Rome Sophie, parente de l’empereur, il demanda à cette dernière d’organiser dans son grand palais une église en honneur de la très pure Mère de Dieu. La bienheureuse Sophie agit immédiatement et donna l’église à Pierre qui l’a sanctifiée et y a mis les reliques du saint martyr Étienne ; cette église existe toujours à Rome et on l’appelle Sainte Sophie. Tu vois ici comment Dieu lui-même utilisait les miracles pour créer les saintes et divines églises. Et ensuite, le Christ confia cette tâche aux saints apôtres et aux saints pères enseignants, qui sont venus après les saints apôtres, pour qu’ils établissent les saintes églises et pour qu’on se prosterne devant elles avec foi et crainte, car il n’y a pas de foi en notre Seigneur Jésus Christ en dehors de l’église : la foi et l’église vont ensemble.

11. VERS QUELLE DIRECTION NOUS PROSTERNER

Certains disent qu’il faut nous prosterner devant les saintes icônes et devant les saintes églises face à l’Est sinon il ne faut pas nous prosterner du tout. Quelle ignorance et surtout quelle tentation ! Car s’il t’arrive d’apercevoir le tsar ou le prince, tu te prosterneras devant lui non pas nécessairement en faisant face à l’Est mais selon les circonstances. Et puisque tu te prosternes devant le tsar ou le prince en faisant face à l’Ouest, au Nord et au Sud, tu feras autant pour l’image du roi céleste ainsi que pour toutes les autres icônes et les églises de Dieu — en te prosternant face à l’Ouest, au Nord et au Sud, selon les circonstances. En effet, les saints apôtres et plus tard les divins pères nous ont enseigné de représenter les vénérables et saintes images de notre Seigneur Dieu et de ses saints sur tous les murs des saintes églises (sur le mur nord autant que sur le mur sud) et de nous prosterner devant elles et de les honorer en conséquence. Et si les saints apôtres et pères ont ordonné de nous prosterner en faisant face à l’Est, c’est que Dieu est la lumière de la raison et le soleil de la justice. David dit en effet : « Chantez le Seigneur, les royaumes de la terre, le Seigneur qui monta au ciel de l’Orient »82 ; de même dans les Écritures, le Christ est parfois appelé Orient, comme dit le prophète : « Voilà l’homme dont le nom est l’Orient »83, « Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden à l’Orient... »84 Alors, en nous prosternant devant Dieu face à l’Est, c’est comme si nous voulions retrouver notre patrie originelle. Et quand on a crucifié le Seigneur, il faisait face à l’Ouest de sorte que nous nous prosternons devant lui en faisant face à l’Est. Et lors de son ascension, il se dirigea vers l’Orient de sorte que les apôtres se prosternèrent devant lui en faisant face à l’Est. C’est de là aussi qu’il viendra de nouveau, selon sa propre parole : « En effet, comme l’éclair part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. »85 C’est donc en attendant cet événement que nous nous prosternons face à l’Est, mais nous le faisons intelligemment et sans exagérer, c’est-à-dire

60

Page 61: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

surtout quand nous n’avons devant nous ni de vénérable et vivifiante croix, ni de saintes icônes, ni de sainte église, ni d’autres objets sacrés,

12. ÉGLISE EXTÉRIEURE VS INTÉRIEURE

D’autres disent, selon une logique erronée, que les églises n’ont aucune raison d’être, car l’homme lui-même est l’église puisque l’apôtre Paul dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »86, et : « Car nous sommes, nous, le temple du Dieu vivant... »87 ; Jean Chrysostome dit aussi que « les murs ne font pas l’église, l’église est le rassemblement d’hommes fidèles et pieux ». Mais tu sais ce que l’apôtre dit des saints et des pieux qui portent en eux le Saint-Esprit ; il dit en effet : Vous êtes comme le sanctuaire de Dieu et l’esprit de Dieu habite en vous, vous êtes l’église du Dieu vivant. »87a Car le Seigneur lui-même a ainsi parlé de ces hommes : « ...et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » 88 et c’est en se fondant sur ces paroles que l’apôtre les a appelés temple de Dieu. Mais ce furent ces mêmes apôtres qui ont commandé avec le plus d’insistance de construire des églises jusqu’à la fin des temps et ils n’ont nulle part abrogé ce commandement. Et si notre père Chrysostome dit que « les murs ne font pas l’église » mais que « l’église est le rassemblement d’hommes fidèles et pieux », il le dit sans pour autant réfuter la nécessité de la construction des églises. Comment peut-on du reste remettre en question l’importance de la construction des églises alors que Dieu lui-même l’avait ordonnée à ses prophètes et à ses apôtres et plus tard aux saints pères ? D’ailleurs, Chrysostome lui-même dit quelque part que l’église est plus honorable que les cieux. En fait, ce qu’il a voulu dire en assimilant l’église au rassemblement des hommes pieux, c’est ceci : si nous pensons construire et décorer richement des églises en nous souillant entre temps par des péchés, des passions et de mauvaises actions, alors Dieu n’épargnera ni les saintes églises, ni sa propre image, ni ses très purs mystères pour ramener les pécheurs à la crainte et à la piété. Ainsi il n’a pas épargné la sainte arche de l’alliance, mais la laissa entre les mains des étrangers et de leurs prêtres sans loi, et il dit aussi à Salomon : « ...si tu gardes mes lois et mes coutumes, je maintiendrai pour toujours ton trône royal sur Israël...Mais si vous venez, vous et vos fils, à vous détourner de moi, si vous ne gardez pas mes commandements et mes lois..., alors je retrancherai Israël de la surface de la terre... ; cette Maison je la rejetterai loin de ma face et Israël deviendra la fable et la risée de tous les peuples. »89 Et c’est ce qui est arrivé au temps de Kenaana et de Sédécias quand le Seigneur a laissé détruire la ville et le temple et a brûlé la maison du roi en abandonnant tout le reste à la destruction et à la profanation : les objets sacrés, la gloire des chérubins, les habits des prêtres, les livres des prophéties, les marques des apparitions, les vases sacrés ainsi que tous les habitants de la ville devenue démente. La ville et le temple ne furent reconstruits qu’au temps de Zorobabel, d’Esdras et de Josué fils de Sédécias. Tu vois donc que dès que le roi et son peuple ont sombré dans le

61

Page 62: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

péché, les hommes et les églises furent abandonnés à la destruction et à la profanation ; mais quand Zorobabel et ceux qui étaient avec lui ont amadoué la divinité, alors Dieu a rétabli le temple aussi bien que les hommes. De même, quand au temps du roi Antiochus, ils ont encore une fois retrouvé leurs mauvaises habitudes, le temple et les hommes furent une fois de plus laissés à la destruction et à la profanation.

Cela s’est toujours passé ainsi et restera ainsi jusqu’à la fin des temps, comme en témoigne l’histoire tirée des écrits des startzi. On y raconte qu’il y avait à Jérusalem un saint staretz qui se trouva un jour dans l’église de la sainte résurrection du Christ où il a été surpris par la présence d’une très mauvaise odeur qui remplissait l’endroit. II demanda alors à l’ange : « D’où vient cette puanteur et pourquoi ne la fais-tu pas disparaître ? ». L’ange lui répondit : « Cette puanteur est causée par les mauvaises actions des ecclésiastiques qui habitent ici. Il n’y a aucun moyen de la faire disparaître autrement que par le feu.  » Bientôt apparurent les Perses et ils brûlèrent le Temple et ceux qui y vivaient indignement. Cependant, quand les gens se sont départis de leur haine et de leur injustice habituelles, le Seigneur Dieu a eu pitié d’eux et aida le pieux roi Héraclius à vaincre les Perses et à reconstruire cette église sur l’ancienne fondation excavée.

Chrysostome le dit bien : « Les murs ne font pas l’église, l’église est le rassemblement d’hommes fidèles et pieux ». Les hommes auraient tort de se glorifier uniquement par le nombre et la beauté de leurs églises si en même temps ils mettaient Dieu en colère par leurs actions, car il faut plaire à Dieu par de bonnes actions. Ces dernières incluent la construction des saintes églises où l’on doit prier avec crainte et terreur, tout en vénérant les choses divines avec foi et amour. Car lorsque tu vénères l’église, l’icône, les saintes reliques, la vénérable et vivifiante Croix ou tout autre objet sacré, en ce faisant tu vénères celui même auquel sont dédiées cette église, cette icône ou ces reliques. Mais plus que tout, tu vénères ainsi Dieu lui-même. De même, si tu profanes l’église, l’icône ou les saintes reliques, alors tu profanes Dieu lui-même ainsi que ses serviteurs. Or, si quelqu’un profane l’image du roi, il payera de sa tête. Combien plus terrible sera dans ce cas la punition de celui qui aura profané une église ou l’image du roi des cieux et de ses saints ? Il sera puni de la peine capitale selon les règles de la loi de Dieu et il sera maudit à jamais. Après la mort, il sera condamné aux flammes éternelles avec le diable et les Juifs qui ont crucifié le Christ en disant : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants. »90 Mais ceux qui, avec foi et amour mais aussi avec crainte et terreur, se prosternent devant les très vénérables et divines icônes, la vénérable et vivifiante croix, le saint évangéliaire, les très purs mystères de Dieu, les vases sacrés où s’accomplissent ces mystères, les très vénérables reliques des saints et devant les églises de Dieu, ceux-là vivront une vie bonne et pieuse, comme de justes et fidèles serviteurs du Seigneur. Et quand ils passeront dans l’autre monde, ils

62

Page 63: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

entendront la gracieuse et douce voix de notre très bienheureuse Souveraine, la Mère de Dieu qui prie toujours pour nous, leur dire : « C’est bien, bon et fidèle serviteur... ; viens te réjouir avec ton maître »91, « ...là où je suis, là aussi sera mon serviteur »92. Aussi devons-nous nous prosterner avec respect devant la très vénérable icône de la Mère de Dieu ainsi que devant les icônes de tous les saints qui ont plu à Dieu depuis le début des temps, en embrassant avec amour la représentation picturale des blessures et des souffrances qu’ils ont subies pour le Christ, car en ce faisant nous rendons également hommage à notre Seigneur Jésus Christ qui partage sa gloire avec Dieu son Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles.

Et maintenant, nous dirons quelques mots de ce comment nous devons nous honorer les uns les autres et comment nous devons honorer et servir le tsar et le prince, et de quelle façon nous devons aujourd’hui vénérer le Seigneur Dieu et ne servir que lui. Sois attentif.

13. LES UNS ET LES AUTRES

Si nous nous prosternons les uns devant les autres, nous le faisons parce que Dieu a créé l’homme à son image. Et comme nous sommes tous les serviteurs d’un maître commun et bon, nous devons nous prosterner les uns devant les autres, selon l’ancienne tradition. Le livre de la Genèse dit en effet  : « Jacob...vit qu’Ésaü arrivait..., et se prosterna sept fois à terre jusqu’à ce qu’il se fût approché de son frère. »93 Et encore : Jacob a vu Joseph, son fils, et « se prosterna appuyé sur l’extrémité de son bâton »94, et « Les frères de Joseph arrivèrent et se prosternèrent devant lui, face contre terre. »95 De même, quand Moïse a vu Ophor : « ...Moïse s’agenouilla à terre et se prosterna »96.

L’autre raison pour nous prosterner les uns devant les autres est le fait que nous sommes tous des frères dans le Christ et que nous sommes comme les membres de son corps, engendrés de la semence incorruptible qui est le Verbe du Dieu vivant et baptisés tous ensemble dans les eaux du même baptême. Dieu a dit : « ...c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même »97 ; le Seigneur dit dans les évangiles : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres »98, et aussi : « À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres »99 ;

l’apôtre dit : « Considérez les autres plus honorables que vous-mêmes »100 ; et on a dit aussi : « Nous devons mourir pour nos frères comme le Christ est mort pour nous. »101 Les saints pères disent : « Celui qui a vu son frère, a vu le Seigneur mon Dieu ». Car même si nos proches nous prennent en haine, nous blâment, nous offensent ou nous blessent, rien de tout cela n’est suffisant pour nous dissuader de l’amour que nous avons pour eux, selon la parole du Seigneur qui dit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. »102 Mais si quelqu’un abroge les commandements de Dieu et propage des enseignements

63

Page 64: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

hérétiques, nous devons non seulement nous détourner de lui mais le fuir comme un serpent et le condamner avec colère, selon la parole du prophète qui dit : « Irritez-vous, mais ne péchez pas... »103. Notre Seigneur Jésus Christ dit également : « ...et s’il refuse d’écouter même l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts »104 et encore : « Et si ton œil entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi... »105 Et l’apôtre dit : « Ne vous associez pas aux œuvres stériles des ténèbres ; démasquez-les plutôt »106 et encore : « Extirpez le mal qui est en vous, car il mêle votre justice au péché. »107 Et il dit aussi : « Celui qui est hérétique, écarte-le après un premier et un second avertissement... »108

Et il y a plusieurs autres passages de ce genre dans les Écritures.

Aussi, prosternez-vous les uns devant les autres, mais pas devant l’hérétique dont on doit se détourner.

14. TSARS ET PRINCES

Si nous devons servir le tsar, le prince ou un maître et nous prosterner devant eux, c’est qu’il plaît à Dieu que nous obéissions aux pouvoirs terrestres et les honorions, car ces derniers prennent soin de nous et nous gouvernent. Il est écrit en effet : « Que les hommes du prince ne parlent pas en mal de lui »109 et l’apôtre dit : « Craignez Dieu, honorez le roi »110 et : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres d’ici-bas avec crainte et tremblement... »111, car ces hommes ont été choisis par Dieu qui leur donna le pouvoir de pardonner et de torturer la chair mais non pas l’âme. C’est pourquoi nous devons servir nos maîtres dans la chair et non pas dans l’âme et les honorer comme des seigneurs et non comme des dieux, selon la parole du Seigneur qui dit : « Rendez à César ce qui est à César et ce qui est à Dieu à Dieu. »112 Si donc tu sers ton maître et te prosternes devant lui de cette façon, cela n’affectera pas le salut ou la perte de ton âme mais t’apprendra plutôt à craindre Dieu, car le roi est le serviteur de Dieu qui pardonne ou châtie les hommes.

Mais si le roi qui gouverne les hommes est lui-même gouverné par des passions et des péchés tels que la concupiscence, la colère, la perfidie, l’injustice, la fierté, la rage et pis encore — l’impiété et le blasphème — un tel roi sert non pas Dieu mais le diable. Ce n’est alors pas un roi mais un tortionnaire. Jésus Christ notre Seigneur traite un tel roi perfide de renard en disant : « Allez dire à ce renard... »113 Et le prophète dit : « Périsse le roi qui vit dans le péché, car ses chemins sont pleins de ténèbres.114 Et les trois adolescents n’ont pas obéi à l’ordre du roi Nabuchodonosor, mais l’ont traité d’ennemi de la loi et de traître le plus perfide de la terre. Fais de même et n’obéis pas à un roi ou à un prince qui te pousserait au déshonneur ou à la perfidie ; n’obéis pas même s’il te torture, même s’il te menace de mort ! En témoignent les prophètes, les apôtres et tous les martyrs qui ont péri par la main des rois perfides auxquels ils ont osé désobéir. C’est donc ainsi qu’il faut honorer les rois et les princes.

64

Page 65: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ici se termine mon discours sur ces sujets.

15. NOUVEAU TESTAMENT

Et maintenant, parlons de ce comment nous devons aujourd’hui vénérer le Seigneur Dieu selon le Nouveau Testament et ne servir que lui.

Avant tout, un vrai chrétien doit apprendre dans les saintes Écritures ce qu’est Dieu et comment nous devons aujourd’hui en parler. Celui qui prendra cette peine connaîtra véritablement la manière de vénérer le Seigneur Dieu selon le Nouveau Testament et de ne servir que lui. On ne doit pas faire comme les Juifs qui ne reconnaissent qu’une seule personne et une seule essence en Dieu en rejetant le Fils et le Saint-Esprit, ni comme les païens qui adorent plusieurs dieux mais ne connaissent pas les trois personnes et les trois hypostases114a du Père, du Fils et du Saint-Esprit qui font l’unité de Dieu. D’ailleurs, quand tu entends dire que le Père a engendré le Fils et que le Saint-Esprit procède du Père, ne crois pas que Dieu le Père est fait comme nous et ne pense pas qu’il a engendré un fils-créature comme nous engendrons nos enfants, ni que le Saint-Esprit est fait comme notre souffle qui se dissipe dans l’air. C’est là l’indicible et l’ineffable mystère de la sainte Trinité, inconcevable à l’intelligence des anges et des hommes. Un dieu concevable n’est point Dieu : si nous sommes incapables de concevoir et de décrire un ange ni même notre propre âme créée, alors il est nécessaire que le Créateur de toutes choses soit inconcevable. Ceux qui essaient de concevoir Dieu essaient de mesurer la mer par poignées d’eau, et quand ils avancent dans les profondeurs, ils tombent tout de suite dans l’hérésie, car ces profondeurs sont ineffables et indicibles. Ne demande pas comment il est, car il est au-delà du comment. N’essaie pas de voir comment est l’apparence de Dieu, car il est plus grand que l’apparence. Et s’il y a dans les saintes Écritures quelques considérations à ce sujet, elles ne sont pas à la mesure de Dieu mais à la mesure de la faiblesse de ceux qui écoutent. Nous tenterons donc ici un bref résumé, à la mesure de notre faiblesse, de ce comment les Écritures parlent de Dieu.

Les Écritures en parlent ainsi : Dieu est éternel, il est et il sera ; il n’a pas de début et n’a pas de fin. Dieu est le Père, Dieu est le Fils, Dieu est le Saint-Esprit : en trois personnes, trois hypostases, trois fois saint, trois fois éternel, trois fois agissant, trois fois lumineux, triple et un, trois fois solaire, trois fois puissant, trois fois brillant, trois fois clair, divinité unique en trois hypostases, être unique en trois hypostases, nature unique en trois personnes. Quand tu entends parler des trois personnes et des trois hypostases, ne t’imagine pas qu’il y a trois dieux, dont le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais confesse plutôt la sainte Trinité qui est le Dieu Un. Et quand tu dis « le Père, le Fils et le Saint-Esprit », ce ne sont pas là des noms différents pour un seul être mais ceux des hypostases

65

Page 66: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

distinctes. Car le Père ne s’appelle pas Fils, le Fils ne s’appelle pas Père, et le Saint-Esprit ne s’appelle ni Père, ni Fils. Dieu s’appelle Trinité, car bien qu’il ait trois personnes et trois hypostases, il est un être unique dont l’essence, la divinité, la sagesse, la force et la volonté sont tout aussi uniques. Aucune de ces personnes n’a été avant ou après l’autre : le Père, le Fils et le Saint-Esprit vont ensemble, il n’y a entre ces divines personnes aucune différence d’âge, de caractère, de volonté, d’initiative, d’action, de passions ou d’autres choses dans ce genre, propres à l’homme. C’est pourquoi la divinité en est unique et non pas triple ; ce sont les trois hypostases qui sont distinctes, c’est-à-dire les trois personnes. Aucun des membres de la sainte Trinité n’a été avant ou après les autres, aucun n’a grandi ou vieilli, aucun n’a eu un début ni aura une fin.

La première grande lumière de la vérité est Dieu le Père : inengendré, incorruptible, invisible, incorporel, indescriptible, indicible, inconcevable, créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses, visibles et invisibles. La lumière du Fils est telle qu’il l’a dit lui-même : « Je suis la lumière du monde »115 ; il est la lumière de la vérité née de la lumière de la vérité, vrai Dieu né du Dieu vrai, image et ressemblance de la divinité, verbe agissant, sagesse plus vaste que toutes, substance et force plus créatrice que toute la création. Il est la cause de tout être et tout ce qu’a le Père le Fils l’a aussi, comme il l’a dit lui-même : « Tout ce qu’a mon Père, tout cela est à moi »116 ; « Celui qui m’a vu a vu le Père »117 ; et « Je suis dans le Père et le Père est en moi. »118 Car le Fils est né du Père avant le début des temps, sa naissance est indicible, ineffable, inconcevable, impassionnelle, sans union corporelle, sans mélange du sang, incorporelle, incorruptible comme le rayon sorti du soleil, comme la flamme sortie du feu, comme la rivière sortie de la source. II n’est pas né comme naissent les hommes qui ne peuvent alors rester dans celui qui les a engendrés, mais il est sorti de son Père comme le rayon sort du soleil et éclaire le monde tout en demeurant dans le soleil, inséparable de sa source. Il en est sorti comme la flamme et la lumière sortent du feu et nous donnent la lumière sensible tout en restant dans le feu ; il en est sorti comme la rivière sort de la source et comble la soif des hommes tout en restant inséparable de la rivière. Le Verbe est éternellement dans le Père, provient du Père et est inséparable de lui, indivisible et inhérent au Père.

16. HUMANITÉ DU CHRIST

Maintenant que nous avons brièvement parlé de la divinité du Christ, parlons un peu de son humanité qu’il a assumée pour notre salut.

Bien que Dieu, le Christ est devenu homme pour les hommes, à la fin des temps : Dieu tout puissant, éternel, inengendré, invisible, inconcevable et indescriptible, qui connaît le cœur de tous les hommes, est né de la sainte Vierge Marie, Mère de Dieu. Sa naissance est double : la première, éternelle,

66

Page 67: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

intemporelle, incorporelle, comme la lumière du soleil, est celle de par son Père ; la seconde est celle de par la sainte Vierge Marie, fécondée sans semence par le Saint-Esprit. Cela fait que nous lui reconnaissons deux natures, divine et humaine. Sa Personne, par contre, est unique, car il est le Fils de Dieu et de la Vierge, en même temps Dieu et Homme, double dans sa nature. Alors, il est d’une nature avec son Père selon la divinité et il est d’une nature avec sa Mère selon l’humanité de sorte qu’il agit selon deux volontés distinctes — divine et humaine — qui composent son être. Sa volonté divine lui a permis de faire des choses divines en tant que Dieu, que ce fût la résurrection des morts, la guérison des aveugles ou autres ineffables miracles. Quant à sa volonté humaine (ses désirs), elle va avec les passions de l’âme associées à la chair humaine qu’il a prise sur lui pour connaître véritablement, et non pas en apparence, la nature de l’homme, en s’écartant cependant — comme de choses indignes de sa très pure divinité — de la haine et de toutes les mauvaises passions qui souillent l’homme. Il a vécu ses passions également selon sa double nature : sa chair souffrait et mourait sur la croix, mais sa divinité restait impassible. Et quand il est mort, bien qu’immortel, dans la chair, quand son âme divine a abandonné son très pur corps, sa divinité est restée inséparable de sa chair. Il était donc toujours le Dieu tout puissant siégeant avec son Père sur le trône des cieux, alors même que son corps était dans la tombe et que son âme descendit aux enfers pour montrer aux âmes qui s’y trouvaient la voie de la vie éternelle. Et quand il en remonta, il a pris avec lui les âmes qui ont cru dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit et il a laissé les autres mécréants en enfer (comme il l’avait fait sur la terre où il a sauvé les croyants et a damné les mécréants). II est aussi apparu à ses disciples dans une chair incorruptible et purifiée par la résurrection, puis il monta au ciel dans cette chair purifiée et s’assit à droite de son Père ; sa chair ne tombait pas en poussière comme cela se passe avec nous. Et il viendra encore, dans la gloire, pour juger les vivants et les morts, et son royaume n’aura pas de fin.

17. SAINT-ESPRIT

Quant à la lumière qu’est le Saint-Esprit, c’est le Dieu vrai et vivifiant, parfait, à l’essence commune au Père et au Fils, tout puissant, maître universel, lumière totale qui gouverne, possède, règne, domine, qui est sans commencement, invisible, inconcevable, inexplorable, ineffable, qui a créé avec le Père et le Fils tous les êtres sensibles et pensants. Il procède du Père et non pas du Fils comme le soutiennent les hérétiques latins. C’est d’ailleurs nul autre que notre Seigneur Jésus Christ, lequel dit toujours la vérité, qui témoigne que le Saint-Esprit procède du Père et non du Fils quand il dit : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père... »119 N’est-ce pas qu’il n’a pas dit : « qui procède de moi » ? Et il dit aussi : « Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours »120 et encore : « le vous ai dit ces choses tandis que je demeurais

67

Page 68: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

auprès de vous ; le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses... »121. Tu vois bien qu’il n’a pas dit nulle part : « le Saint- Esprit qui procède de mon Père et de moi ». Or, quel témoignage est plus véridique que les paroles du Seigneur ? Et puisque le Christ est le Verbe de Dieu, puisqu’on l’appelle la Sagesse et la Vérité de Dieu, puisqu’il sait tout en tant que Dieu, alors qui osera soutenir que ses paroles sont erronées sinon ceux qui ne croient pas que Jésus Christ est le vrai Dieu ? Or si l’on le reconnaît comme le vrai Dieu, il faut aussi qu’on reconnaisse la vérité absolue de ses paroles. Mais les hérétiques prétendent que si le Christ a dit tout cela, il l’a fait en tant qu’homme, en voulant montrer l’humilité de son être charnel, car il est vrai que le Christ a souvent parlé de lui avec l’humilité propre à son humanité, comme lorsqu’il a dit : « Vous cherchez à me tuer comme un homme »122 et il y a beaucoup d’autres passages semblables dans les saints évangiles. Cela fait dire aux hérétiques que c’est à cause de cette humilité que le Christ ne s’est pas signalé comme l’autre source du Saint-Esprit en parlant du Saint-Esprit procédant du Père, car le Christ a souvent dit des choses humbles selon son humanité et des choses importantes selon sa divinité. Mais tous ces raisonnements sont complètement erronés et hérétiques. En effet, quand le Seigneur a dit : « Je vous enverrai...l’Esprit... », il est clair qu’il a parlé ici en tant que Dieu et non en tant qu’homme, car un homme ne donne pas d’ordres à Dieu. Or, puisque le Saint-Esprit est Dieu, il est clair que le Christ lui aussi ne pouvait dire cela qu’en tant que Dieu : « Je vous enverrai...l’Esprit... » Mais ce qui ferme vraiment la bouche à ceux qui soutiennent que le Saint-Esprit procède non seulement du Père mais aussi du Fils, c’est bien le fait que le Christ a dit à plusieurs reprises, et non pas une seule fois, que le Saint-Esprit procède du Père.

Certains disent cependant qu’à une occasion le Christ a soufflé et a dit à ses disciples : « Recevez le Saint-Esprit »123 et ils fondent sur cette histoire leur croyance que le Saint-Esprit procède du Fils. Mais le grand Athanase commente ainsi cet épisode : il faut comprendre que lorsque le Christ a soufflé et a dit à ses disciples « Recevez le Saint-Esprit », il leur a donné non pas le Saint-Esprit en tant que tel mais un don spirituel, car il dit ailleurs : « ...c’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous... »124

Or, puisque dans l’épisode en question le Christ n’a pas encore quitté ses disciples, il est clair que son souffle ne signalait pas la venue du Consolateur mais le don de la grâce spirituelle, car après avoir dit : « Recevez le Saint-Esprit », il a ajouté ceci : « ...ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »125 Cette phrase éclaire le sens de cet épisode : le souffle du Christ est le don spirituel de pardonner ou de retenir les péchés, et non pas la substance et la personne du Saint-Esprit. II existe en effet dans les Écritures l’habitude d’appeler les dons spirituels « esprits », comme lorsque Isaïe parle du Christ : « Un sceptre poussera de la racine de Jessé, et il fleurira, et sept esprits se poseront sur lui,

68

Page 69: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

sept présents spirituels »126. Il ne faut pas penser qu’il s’agit ici réellement de sept saints esprits distincts : Isaïe précise d’ailleurs lui-même que ce sont là les sept dons spirituels dont l’esprit de sagesse, l’esprit d’intelligence, l’esprit de discernement, l’esprit de lumière, l’esprit de fermeté, l’esprit de piété ainsi que l’esprit de la crainte de Dieu. Grégoire le Théologien dit également : « Ce sont les actes spirituels, dis-je, qu’Isaïe se plaît à qualifier d’esprits, car l’Être du Saint-Esprit ne se divise pas mais distribue les dons spirituels. » Ce n’est donc que lorsqu’il monta au ciel que les disciples ont essentiellement pris part au Saint-Esprit, comme le Seigneur le dit lui-même : « ...mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous »127 et c’est ce qui a eu lieu à la Pentecôte, comme en témoigne l’apôtre Pierre. Il dit en effet : « Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité, nous tous en sommes témoins. Exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du Père l’Esprit Saint promis et il l’a répandu, comme vous le voyez et l’entendez »128, c’est-à-dire la Pentecôte et non pas lors de l’épisode disputé.

Ainsi le témoignage de notre Seigneur Jésus Christ en ce qui concerne la procession du Saint-Esprit du Père est appuyé par celui du grand apôtre Pierre qui précise que le Saint-Esprit est venu à la Pentecôte et non pas lors de l’épisode disputé. Du reste, les sept saints Conciles œcuméniques, avec leurs deux mille saints pères, ainsi que les saints conciles régionaux, composés de plusieurs célèbres pères pieux et thaumaturges, témoignent tous pour la confession de la foi orthodoxe en le Saint-Esprit vivifiant et véridique, qui procède du Père. Aucun de tous ces hommes n’a jamais parlé du Saint-Esprit procédant du Fils.

18. SAINT-ESPRIT : CITATIONS

Les prêtres, les évêques ainsi que toutes les saintes lumières de l’Église se sont joints aux conciles pour renforcer et observer ce postulat selon lequel le Saint-Esprit procède du Père et non du Fils. En voilà des exemples.

1) Basile le Grand : « Le Père engendre, le Fils est engendré par le Père et le Saint-Esprit procède du Père : telles sont les seules distinctions dans la sainte Trinité. » 2) Grégoire le Théologien : « Le Saint-Esprit est véritablement esprit. II procède du Père mais autrement que le Fils : il n’est pas engendré mais procède. » 3) Jean Chrysostome : « Il dit : ”Osez pour que l’enseignement ne reste pas sans témoignage ; l’Esprit de vérité qui procède du Père contribuera aux signes et aux miracles, car ce n’est pas de moi que je le ferai sortir mais je vous le donnerai de la part de mon Père.” Mais s’il dit ailleurs : ”Je l’ai envoyé”, il montre ainsi son égalité avec le Père. » 4) Grégoire de Nysse : « Le Père engendre le Fils — il est Père ; et le Fils

69

Page 70: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

qui en est né est le Verbe ; alors il y a le Fils et il y a le Saint-Esprit qui est l’esprit saint, car il procède du Père ; le Saint-Esprit éclaire toutes les choses. » 5) Grégoire le Dialogue, qui est devenu célèbre après le sixième concile, dit ceci : « L’Esprit consolateur procède du Père et repose sur le Fils. » 6) Jean Damascène : « Le Père est la source et la cause du Fils et de l’Esprit ; le Fils n’est pas la cause de l’Esprit ; le Père est l’unique cause du Fils et de l’Esprit. » 7) Denys l’Aréopagite : « La source de la divinité est le Père, alors que le Fils ainsi que l’Esprit de la divinité conçu par la semence de Dieu, de ce rejeton qui a germé de Dieu sont comme deux fleurs qui ont la même essence que le Père unique dont elles proviennent. Mais il est impossible de décrire ou de voir comment cela est. » 8) Épiphane de Chypre : « Nous disons ”Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit” et nous ne disons pas ”dieux”, car la divinité est unique dans ses trois noms. Le Fils unique est né du Père unique ; alors que le Saint-Esprit, l’esprit de Dieu, qui est toujours avec le Père et le Fils, est sorti de Dieu le Père et il a pris le Fils, et le Fils, et l’a fait apparaître dans le monde et a éprouvé les profondeurs de Dieu ; et quand le Fils est monté vers le Père, le Père a envoyé l’Esprit Saint au nom du Fils et le Saint-Esprit a repris les travaux du Fils et il les a affirmés et les a enseignés clairement dans le monde. » 9) Grégoire le Thaumaturge : « Unique est Dieu le Père du Verbe vivant, unique est le Seigneur Dieu qui vient de Dieu, l’unique vient de l’unique, unique est le Saint-Esprit qui a pris son être de Dieu et qui est apparu aux hommes en tant que Fils. » 10) Damas, pape de Rome : « Soit maudit tout et chacun qui ne dit pas que le Saint-Esprit qui procède du Père existe en vérité, que le Fils est engendré par l’être divin, et qu’il est Dieu du Verbe provenant de Dieu. » 11) Thalasse l’Africain : « Nous savons que le Père est le commencement de toutes les choses, car il a engendré le Fils et il est la source éternelle du Saint-Esprit, sa source coéternelle, incommensurable et infinie. » 12) Saint Cyrille d’Alexandrie : « Nous ne voulons pas que le credo tel qu’établi aujourd’hui soit déformé par quelqu’un. Ce credo est : ”Je crois en un seul Dieu...” tel qu’établi par les saints pères, car ce n’était pas eux qui l’ont composé mais ce furent les paroles de l’Esprit de Dieu le Père qui en procède et qui n’est pas non plus étranger au Fils de par l’être du Verbe. » 13) Césaire, frère de Grégoire le Théologien : « La première lumière véridique est le Père, et le Fils aussi est lumière, comme il le dit lui-même : ”Je suis la lumière du monde.” L’Esprit divin est également lumière, car il procède du Père, sa source. » 14) Germain, patriarche de Constantinople : « Celui qui soutient que le Saint-Esprit procède du Fils, autant que du Père, et que le Fils est le commencement de l’être du Saint-Esprit ainsi que de l’être du Père, celui

70

Page 71: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

qui parle ainsi mérite d’être condamné. Il s’en va vers sa perte, car ces paroles humilient le Saint-Esprit et nient son honneur, »

Mais il se pourrait que quelqu’un proteste en disant : « Si le fait que l’Esprit procède du Père ne diminue en rien le Fils par rapport au Père, alors le fait de procéder du Fils ne peut pas diminuer le Saint-Esprit par rapport au Fils.  » Si donc on te propose un tel argument, tu dois répliquer en ces termes : « Le Fils a une seule cause et un seul commencement qui est le Père, mais toi tu dis que le Saint-Esprit en a deux, le Père et le Fils, ce qui revient à dire qu’un seul est sorti de deux, mais tu ne dis pas pour autant que le Fils unique a aussi été engendré par (ou procède de) deux. Tu dis qu’il procède du Père unique. Or, si tu veux que le Saint-Esprit soit égal au Fils, tout en provenant de lui, il aurait fallu que tu postules deux commencements et deux causes non seulement au Saint-Esprit mais aussi au Fils : le premier procéderait du Père et du Fils, le second du Père et du Saint-Esprit, et les deux seraient à l’égalité. Tu veux parler de leur égalité, mais tes propres paroles la nient et la rabaissent, car tu donnes deux commencements et deux causes au Saint-Esprit et tu n’en donnes qu’une seule au Fils. Mais même si le Fils est l’égal du Père en tout, tu n’oserais dire que le Fils est la cause et le commencement du Père. Car si tu osais le dire, regarde ce que cela donnerait : tu bouleverserais l’ordre divin, tu offenserais la divinité et tu pervertirais les saintes Écritures. De même, si tu dis que le Saint-Esprit procède du Fils, tu offenses par là la divinité et tu bouleverses l’être et l’ordre de la sainte Trinité, car la sainte Église de Dieu enseigne que le Père possède le Fils et qu’il possède le Saint-Esprit, et nous ne disons pas qu’il y a trois dieux mais que le Dieu Un est ces trois qui sont égaux en essence, en divinité et en puissance. Cependant, bien qu’ils soient égaux en tout, le Père reste la cause et le commencement du Fils et du Saint-Esprit, alors que le Fils n’est pas la cause du Père, le Saint-Esprit n’est pas la cause du Fils, et le Fils n’est pas la cause du Saint-Esprit. Et comme le Saint-Esprit n’est ni le commencement ni la cause du Fils, de même le Fils n’est ni la cause ni le commencement du Saint-Esprit. En effet, nous disons et nous croyons que le Père est la cause des deux autres, mais cela est ineffable et inconcevable pour les hommes et pour les anges.

Comme le dit le grand Denys, la divinité est inconcevable dans son essence, mais l’on peut quand même la chanter par des images concevables ; autrement dit, nous nous formons une idée de Dieu à partir des phénomènes visibles. Par exemple, la sphère du soleil englobe le rayon et la lumière et les trois forment un ensemble indivisible mais différencié, tout à fait comme le Père, le Fils et le Saint-Esprit où le Père n’est pas antérieur aux deux autres, tout comme le soleil n’est pas antérieur au rayon et à la lumière. Mais si tu dis que la sphère du soleil est antérieure au rayon et à la lumière, tu seras dans l’erreur. Et si tu dis que la lumière et le rayon sont antérieurs à la sphère du soleil, ce sera aussi erroné. Vois comment, alors que les trois éléments restent ensemble, la sphère du soleil est le commencement et la cause de la lumière et des rayons, tout comme le

71

Page 72: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Père est le commencement et la cause du Fils et du Saint-Esprit. Et si quelqu’un dit que la sphère du soleil a pour cause le rayon et la lumière, il sera dans l’erreur et tout le monde lui dira : « Tu es fou, tu n’as plus la notion du bon sens. » De même, si quelqu’un dit que la cause et le commencement du Père sont le Fils et le Saint-Esprit, il sera dans l’erreur, tout comme s’il avait dit que la cause et le commencement du Saint-Esprit sont non seulement le Père mais aussi le Fils. Car même si aucun membre de la divine Trinité n’a été avant ou après les autres, il reste que le Père est le commencement et la cause du Fils et du Saint-Esprit, comme en témoigne le Fils en parlant de lui-même : « ...car le Père est plus grand que moi. »129 Il a parlé ainsi selon son humanité, mais aussi et surtout pour souligner son commencement et sa cause : le Fils est né du Père et non pas le Père du Fils. Et si quelqu’un dit que le Saint-Esprit procède du Fils, cela est comme s’il avait dit que le Père est la cause et le commencement du Fils et du Saint-Esprit, tout comme le Fils est la cause et le commencement du Saint-Esprit. Mais alors si le Fils est la cause et le commencement du Saint-Esprit au même titre que le Père, alors le Saint-Esprit aurait dû dire que « le Fils est plus grand que moi, car il est ma cause et je procède de lui », comme le Fils a dit de son Père : « le Père est plus grand que moi. »129 Mais l’on ne trouve aucune citation de ce genre attribuée au Saint-Esprit Car même si aucun des membres de la Sainte Trinité n’a été avant ou après les autres puisque le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont toujours ensemble, il reste que c’est le Père unique qui est le commencement et la cause du Fils et du Saint-Esprit et le Fils n’est pas le commencement du Saint-Esprit. Donc, si quelqu’un dit que le Fils est aussi le commencement et la cause du Saint-Esprit et que ce dernier procède du Fils, cet homme offense la divinité en parlant ainsi et il la bouleverse par ses mauvaises paroles, selon le mot de Grégoire le Théologien qui dit : « Alors ce sera une encore plus grande offense à la divinité qui en prendra ombrage, et la création se sentira accablée par le déshonneur de la divinité ».

Du reste, qui osera raisonner par soi-même sur la divinité, de sa langue sale et de sa chair souillée — au risque d’attirer sur sa tête les foudres de Dieu — au lieu de s’instruire auprès des saintes Écritures des prophètes et des apôtres et auprès des écrits de nos saints pères porteurs de Dieu ? C’est pourquoi, au lieu de raisonner par nous-mêmes, avons-nous recueilli ces témoignages tirés des Écritures saintes et les avons transcrits ici un par un pour qu’ils nous mènent droit à la vraie foi et nous empêchent de nous perdre et de périr dans la confusion. L’orthodoxie apostolique ainsi que l’enseignement des saints conciles et les conseils de nos grands et saints pères sont comme les habits royaux que nous devons revêtir pour devenir les héritiers du royaume des cieux par la grâce du véridique, vivifiant et tout puissant Saint-Esprit qui procède du Père, et non du Fils, et qui est vénéré et loué avec le Père et le Fils, selon la parole du prophète qui a dit : « Celui qui a cette foi est un vrai Israélite et il n’a pas de flatterie en lui »130 et celui qui est comme cet Israélite saura vraiment ce qu’est Dieu et comment il faut en parler.

72

Page 73: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

19. PRIÈRE

Par ailleurs, il faut également savoir comment l’on doit vénérer le Seigneur Dieu. Ainsi, quand tu vénères le Seigneur ton Dieu, soit dans sa divine église, soit ailleurs, emploie tout ton cœur, tout ton esprit et toutes tes pensées à élever ton intelligence jusqu’à la contemplation de la sainte, unique et vivifiante Trinité que tu contempleras dans la pensée et dans ton cœur pur. Appelle ce Dieu lin le Père, le Fils et le Saint-Esprit, créateur et architecte des choses visibles et invisibles, tout en levant tes yeux sensibles sur les choses suivantes :

1) la divine et la très honorable icône de la sainte, unique et vivifiante Trinité,

2) l’image mi-humaine mi-divine de notre Seigneur Jésus Christ, 3) l’image de sa très pure Mère, 4) l’image d’un saint, 5) la vénérable et vivifiante croix du Christ, 6) son saint évangéliaire, 7) ses très purs et divins mystères, 8) ses saintes églises, 9) les vases sacrés où se consomment ces divins mystères,10) ou encore les reliques des saints.

Vénère ces objets dans ton âme par la pensée et dans ton corps par les sens. Mais, que veut dire « vénérer dans l’âme par la pensée et dans le corps par les sens » ? Écoute attentivement ce que je t’en dirai.

Quand tu te lèves devant ton Dieu pour la prière, commence par prendre pour règle de ne pas te tenir paresseux, ramolli et nonchalant, de ne pas penser aux vanités et aux pourritures du quotidien ; ensuite, en silence et en contenant tes mouvements et gestes habituels, présente-toi à Dieu, les membres liés et les pieds pieusement posés. Ayant chassé de tes pensées tous les soucis du quotidien — la rancune et la colère, la violence et la haine ainsi que les désirs de la chair — dispose tes yeux pour les larmes, en te remettant complètement aux choses célestes. En d’autres termes, comme le dit le prêtre : « Tenons-nous bien. »130a Se tenir bien et pieusement veut simplement dire se tenir devant Dieu avec crainte et terreur et aussi avec une âme sobre et alerte, comme un archer qui, s’il veut lancer ses flèches avec justesse, commence par choisir avec soin la meilleure posture pour son corps et puis, se mettant bien en face de la cible, décoche des flèches l’une après l’autre ; et toi, fais de même pour mieux viser la tête du diable. Commence par prendre soin de la piété de tes sens et ensuite occupe-toi de la piété intérieure afin que tes flèches — qui sont la prière — atteignent le diable avec justesse.

73

Page 74: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Quant à la prière, je ne parle pas d’une prière qui n’est que dans la bouche mais de celle qui sort des profondeurs de la pensée. Une telle prière est comme le sapin qui, parmi tous les arbres, ne se laisse pas terrasser par les vents, car ses racines s’enfoncent profondément dans le sol. Et tout comme ce sapin, la prière qui monte des profondeurs de la pensée s’élève bien haut dans le ciel. C’est pourquoi le prophète a dit : « Des profondeurs, j’ai crié vers toi, Seigneur. »131 Tu vois bien comment il parle en priant : sa prière sort du plus profond de son cœur, contrairement à une mauvaise prière qu’on pratique avec paresse. Aussi, la prière qui élève l’esprit au ciel est celle qu’on exécute avec soin, en ayant le cœur désolé et la pensée affligée. C’est tout comme les eaux qui, tant qu’elles courent sur un terrain égal, ne s’élancent pas vers le haut, mais il suffit qu’on les rassemble en barrant leur cours pour que, contraintes, elles se jettent vers le haut plus vigoureusement que n’importe quelle flèche. Cela est pareil pour la pensée humaine qui, tant qu’elle reste insouciante et inconsciente de soi, ne fait que s’étaler et s’épandre dans tous les sens ; mais quand on l’étreint entre la sage tristesse et la sage douleur pour la forcer hors de sa vallée, alors, violemment contrainte, elle élève vers le ciel de pures et puissantes prières. Car le prophète dit : « Vers le Seigneur, dans ma tribulation, j’ai crié et il m’a exaucé. »132 Aussi, affligeons notre âme en pensant à la mort et au compte que nous aurons à rendre de nos péchés, en pensant au Jugement Dernier qui sera sans merci et sans pardon et à l’abîme infranchissable du feu noir qui rage dans les terribles souterrains des enfers, mais pensons également à Dieu et au royaume céleste peuplé de saints anges. Rien n’est plus efficace que ces pensées pour chasser la paresse et la langueur lors de la prière. Aussi, chassant toute paresse et toute langueur ainsi que tous les soucis du quotidien, rassemblons nos pensées et concentrons-nous ; remettons-nous entièrement aux choses du ciel comme si nous étions tout près du trône de la gloire divine ; et puis faisons notre prière en nous rendant bien compte en quelle compagnie nous nous adressons à Dieu : c’est que dans la prière tu te tiens avec les chérubins et tu voles par la pensée avec les séraphins, et tu communies par la chair avec les forces incorporelles, car tu as la chance de te tenir devant le Maître de tous les êtres.

Alors, pensant à tout cela, réchauffons, affligeons et contraignons notre conscience, car celui qui prie dans la douleur attire toujours dans son âme la douceur divine qui vient des larmes. Car de même que l’attroupement des nuages assombrit l’air, laisse tomber de nombreuses gouttes et puis la pluie s’éteint, et tout se remplit de paix et de lumière, de même la tristesse, tant qu’elle est en nous, assombrit nos pensées, mais les paroles de la prière et ensuite les larmes l’épuisent et alors notre âme, oublieuse des vaines conversations du monde, devient toute claire, comme si Dieu avait projeté un rayon de lumière dans la pensée de celui qui prie. C’est cela : la lumière de la prière est comme la lumière de la lampe.

74

Page 75: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ainsi, si tu apprends à prier avec autant de soin, tu n’auras pas besoin que les hommes t’enseignent comment prier, car Dieu éclairera directement ta pensée.

20. PRIÈRE COLLECTIVE

Mais si la prière individuelle a quelque force, la prière collective en a une qui est d’autant plus grande qu’il y a d’individus impliqués : car dans la prière collective l’on est incité par la présence des voisins à montrer plus d’ardeur et de courage. Quand une pierre est frappée contre une autre, le choc produit beaucoup d’étincelles qui réchauffent la pierre d’habitude froide : ainsi l’accumulation d’étincelles prend le dessus sur la nature invétérée. Mais si cela arrive aux pierres, combien plus le choc des âme doit-il les réchauffer par le feu spirituel. Ainsi, au début des temps, il y avait seulement douze hommes dont un seul, Judas, a péri, mais les onze autres, qui étaient fidèles, ont donné naissance à cent vingt individus qui se sont multipliés jusqu’à trois mille, puis cinq mille et finalement ont rempli tout l’univers par la connaissance de Dieu. Cela a été possible parce que ces hommes n’avaient jamais abandonné l’Église, mais ils se tenaient toujours ensemble et fréquentaient le sanctuaire où ils écoutaient les prières et la lecture des paroles, au lieu de murmurer et de converser des vanités du quotidien. Ainsi donc, s’ils ont allumé un si grand feu spirituel dans le monde, c’est qu’ils ont d’abord réussi à le garder vivant dans leur communauté et ils ont fini par attirer à eux tout l’univers.

Donc, si quelqu’un dit : « je peux aussi bien faire ma prière chez moi », cet homme se flatte dans son erreur, car bien qu’on puisse toujours prier chez soi, il est impossible que cette prière soit aussi bonne que celle qui se fait à l’église où il y a tant de prêtres, où il y a les chants du chœur qui s’élèvent comme un seul vers Dieu, où il y a l’unanimité, l’accord et l’union de tous les participants. Dans cet instant, mon ami, il n’y a pas que les hommes qui unissent leurs voix dans un formidable cri à Dieu, mais les anges aussi se prosternent devant le Seigneur et les archanges prient tous ensemble. Et comme les hommes qui, en allant chez le tsar, prennent avec eux des branches d’olivier pour que, en regardant ces branches, le tsar se rappelle de la pitié et de l’amour des hommes, de même les anges, en se présentant à Dieu, lui proposent non des branches d’olivier mais le corps même du Seigneur et le prient ainsi pour la nature des hommes. Et nous aussi, quand nous prions, nous prions pour ceux-là mêmes, Seigneur, pour qui tu as donné ta vie, pour qui tu as versé ton sang pour qui tu as sacrifié ton corps — car tu nous aimes, toi, qui as pourtant été avant l’humanité.

Tout cela fait que si tu pries le Seigneur dans la solitude, ta prière n’a pas les mêmes chances d’être entendue que si tu pries à l’église, car à l’église, il y a les prêtres qui font la prière. Et s’il y a des prêtres, c’est que la prière du peuple est faible et il faut bien qu’elle s’unisse à une prière plus puissante pour pouvoir atteindre le ciel. Paul en témoigne quand il dit : « C’est lui qui nous a arrachés à

75

Page 76: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

une telle mort et nous en arrachera ; en lui nous avons mis notre espérance : il nous en arrachera encore. Vous y coopérez vous aussi par votre prière pour nous. »133 La prière a également sauvé Pierre de la prison : « ...mais la prière ardente de l’Église montait sans relâche vers Dieu à son intention. »134 Si donc la prière de l’Église a été si salutaire pour Pierre, comment pourrais-tu sous-estimer sa puissance et quelle réponse pourrais-tu espérer pour une prière solitaire ? En effet, l’Église s’est enracinée dans le monde plus fermement que le firmament et il serait plus facile de voir le soleil s’éteindre que l’Église disparaître de la terre. L’armée des anges loue Dieu dans le ciel tandis que sur la terre les hommes jubilent dans l’Église ; au ciel, les séraphins entonnent le chant trois fois saint et le même chant s’élève de la terre où la multitude humaine s’unit en chœur. La célébration est la même dans le ciel et sur la terre, même action de grâce, même joie, même gaieté. Et tout cela a été rendu possible grâce à l’ineffable incarnation du Seigneur et au travail du Saint-Esprit, auxquels s’ajoutèrent également la sagesse et la grâce du Père ; et c’est donc cette Trinité qui commande depuis le ciel l’ordre de nos liturgies, telle une cloche qui appelle les fidèles.

Ainsi rien n’est plus propice à améliorer notre vie que la gaieté que nous ressentons à l’église. À l’église, les affligés trouvent la joie, les accablés la consolation, les opprimés la tranquillité. L’Église met fin à la guerre, arrête les armées, chasse les démons, guérit les maladies, refoule les malheurs, raffermit les villes chancelantes, ouvre les portes du ciel, brise les chaînes de la mort, soulage les plaies qui viennent du ciel, brise les calomnies des hommes et donne la paix. L’Église dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos, »135 Quoi de plus agréable que cette voix, quoi de plus doux que cet appel qui nous promet le repos de nos peines, la guérison de nos maux, la gaieté pour notre cœur affligé. Aussi, mes amis, arrivons au gai refuge de l’église plus tôt que Pierre et Jean n’étaient arrivés au tombeau du Seigneur ; arrivons en avance, sans attendre la dernière cloche quand les chants ont déjà commencé ; mais, dès que le premier coup de cloche se fait entendre, abandonnons toutes nos occupations et dépêchons-nous, avec diligence et zèle, d’arriver dans ce lieu saint afin d’expier nos péchés au lieu d’en accumuler encore plus par la paresse.

21. CONDUITE À L’ÉGLISE

Alors qu’est-ce qu’on attend de nous lors de la prière ? C’est de nous présenter à Dieu avec une grande crainte embellie et cachée par la piété, avec une pensée dirigée vers le ciel, avec contenance du corps, avec un cœur affligé. Tout cela nous permettra ensuite de manifester notre état d’esprit par notre façon de nous tenir, de contenir nos gestes, de parler avec une voix humble et paisible. Ces choses de base sont faciles à pratiquer — tout au moins pour quiconque qui veut essayer. Et le Seigneur aime et accueille toujours tout ce qui est silencieux et

76

Page 77: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

humble : si je pose mon regard sur quelqu’un, dit-il, c’est avant tout sur celui qui est humble, silencieux et qui craint mes paroles. Le Seigneur ne veut pas que nous nous distrayions à l’église de notre dialogue avec lui pour les vaines conversations du quotidien, en mêlant ainsi des impuretés aux perles ; ces bavardages, lors de la liturgie, offensent le Seigneur et sont donc un crime et un grand péché. En effet, quand quelqu’un converse avec un prince, il fait tout pour lui montrer son respect afin d’en tirer plus de faveurs : il manifeste son respect par l’expression de son visage, par la voix, par la retenue de ses gestes — les mains et les pieds bien contenus, le corps retiré sur lui-même, et il limite son discours uniquement à ce qu’il veut du prince en lui demandant sa faveur. Car s’il ose parler d’autres choses sans la permission du prince, il sera puni par le plus douloureux des châtiments. Mais toi, qui te tiens devant le prince du ciel, devant lequel tremblent les anges, tu te permets d’abandonner ta conversation avec lui et tu parles des pourritures, de la poussière et de tes fils d’araignée ! Comment pourras-tu endurer le châtiment pour une telle lèse-majesté ! Qui te sauvera de cette terrible torture et comment peux-tu ne pas la craindre, ne pas en trembler, misérable ! Ne sais-tu pas que le prince du ciel et de la terre est présent, invisible, parmi nous, qu’il voit les pensées de chacun, qu’il tourmente notre conscience, et que les anges tremblent devant lui ? Or, tu ne penses pas à cela, mais, nonchalant et distrait, tu racontes n’importe quoi et tu ne sais pas toi-même ce que tu dis : fou et bas que tu es ! Tu n’entends pas ta propre prière et tu veux que Dieu l’écoute. Tu murmures à genoux mais tes pensées s’envolent. Ton corps est replié sur lui-même. Ta volonté est hors de toi. Tes lèvres disent la prière tandis que ta pensée compte tes biens, tes acquis. Ta pensée erre dans l’impur labyrinthe de tes sales calculs et, en passant par la perfidie, l’envie et la haine, elle arrive au meilleur marché à conclure. C’est que le diable est perfide. Il sait combien nous nous enrichissons lors de la prière. Il choisit ce moment pour nous tenter encore plus que d’habitude afin d’attirer sur nous la colère de Dieu, car il sait que c’est la seule offense qui puisse vraiment mettre le Seigneur en colère, vu que lors de la prière nous honorons Dieu non pas comme les serfs honorent leur maître (ou comme les soldats honorent leur chef) mais comme cela est entre les amoureux. Celui qui parle à sa bienaimée le fait avec attention. Mais nous, en parlant à Dieu de nos péchés et en demandant son pardon pour tant de crimes, nous trouvons encore le moyen d’être paresseux et nonchalants. Comment peux-tu, misérable fou, ne pas avoir peur de raconter en église ce que tu as entendu lors de quelque honteuse foire, de vociférer comme un crieur au marché, de parler des vétilles en ce moment terrible — qui est le temps de la liturgie —, de penser aux vanités, de bâiller de paresse et de te laisser aller sans aucune retenue ? Écoute ceci : si un démon aperçoit une maison vide, aménagée et sans porte, il y entre tout de suite et sans aucune crainte, comme dans une demeure abandonnée, S’il voit, pourtant, quelqu’un qui est sobre et plein de crainte et de frémissement devant Dieu, qui est prosterné et élevé spirituellement au point de s’accrocher presque au ciel lui-même et qui laisse couler des ruisseaux de larmes, si, dis-je, le démon aperçoit un tel homme, il

77

Page 78: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

n’osera même pas lever les yeux sur lui.

22. SUJETS DE PRIÈRE

Or, si quelqu’un dit que nous avons parfois un grand besoin de la faveur de Dieu pour régler les problèmes de notre quotidien, mais que les prières que nous faisons à l’église ne sont pas toujours exaucées de sorte que certains commerces fleurissent alors que d’autres continuent à sombrer — de quoi se plaint-on ? Quelle faveur peut-on espérer pour ce genre de choses, alors que les prophètes et les apôtres nous montrent le Seigneur lui-même, assis tout en haut sur son trône distribuant des honneurs et des couronnes à ceux qui le méritent et renvoyant ceux qui en sont indignes dans le feu des enfers ? Mais toi, hypocrite, tu te moques de Dieu si tu espères profiter de son pouvoir en lui demandant de telles vanités et il t’en reviendra une torture insupportable ainsi que l’ultime châtiment ! Je vous prie et je vous ordonne : ne faites pas ça ! N’essayons pas de trouver des justifications pour nos péchés : tout cela est une ruse du diable et de tels calculs sont vains et pleins de tentation. Car même s’il nous arrive de nous trouver dans un grand besoin au point que cela rende notre vie insupportable, nous devons nous occuper de ces problèmes ailleurs qu’à l’église. Mais si nous allons à l’église pour y parler de nos acquisitions, de nos biens, de toutes ces choses vaines et corrompues, l’on aurait mieux fait de ne pas y aller du tout plutôt que d’offenser le Seigneur. Car même si un tel homme prend la peine d’aller à l’église, il le fera en vain : il est impur et désagréable à Dieu parce qu’il transforme l’église de Dieu en un repaire des brigands. Quant au misérable qui va à l’église en espérant augmenter ses richesses et ses profits, il n’en sera rien ! Au contraire, Dieu, indigné, fera disperser ce que cet homme a déjà de biens, selon le mot du Seigneur qui dit à travers le prophète : « Vous avez rempli vos maisons et moi, j’ai dispersé tout cela »136, de sorte que celui qui voudra s’enrichir de cette manière finira par pleurer le peu qui lui restera, car il perdra tous ses biens. Et celui qui s’enrichira par l’injustice — et même si son profit est minime —, celui-là aurait mieux fait de détruire tout son avoir plutôt que d’ajouter un peu de mal au bien qui était en lui. Car le Seigneur a dit : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez....il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. »137 Mais l’homme plein de passions est toujours mécontent et son esprit est constamment préoccupé par des questions de profits, la perfidie et les désirs passionnels ; son cœur est aveuglé par les passions ; il s’occupe de mille vanités excepté son salut ; même quand il se tient devant le roi du ciel, il continue de penser aux futilités de l’instant et il se préoccupe des petitesses temporelles et des vanités les plus éphémères. Quelle faveur peut-il espérer de Dieu ? Ayons la crainte et tremblons devant le Seigneur. Écartons-nous de toutes les vaines préoccupations, surtout au terrifiant moment de la prière. Et même si nous sommes préoccupés, même s’il nous arrive d’y penser un instant, n’en

78

Page 79: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

faisons rien qui déplaise à Dieu. À quoi bon souffrir en vain et nous torturer devant le malheur par des projets futiles et impossibles qui nous épuisent et qui ne nous aident pas ? D’autant plus que si quelqu’un s’adonne à ces préoccupations en présence — combien formidable ! — de Dieu et s’il se permet de l’insulter lors de la prière par des propos déplacés, ce misérable fera du mal non seulement à lui-même mais il dérangera aussi ses voisins et les distraira de leur prière. Alors, essayons tous ensemble d’être pieux et dans la mesure du possible, refrénons un tel homme et chassons-le de l’église en tant qu’un destructeur de notre salut, et cela même s’il nous ennuie, même s’il crache sur nous ou même si ses propos sont très convaincants, même si ses actes nous semblent plaisants. Cependant, mon ami, ne désespère pas de tes efforts pour guérir de tels hommes ! Nous devrions, en effet, faire comme ce médecin qui soigne un malade mental et qui ne se lasse pas d’essayer malgré la difficulté de la tâche. Et nous aussi, souffrons des peines et des malheurs pour nos frères, car le malade se jette souvent sur son soigneur, déchire sa robe, se moque de lui, l’insulte et crache sur lui, mais le médecin ne lui en veut pas. Il ne se met pas en colère contre le malade et ne lui en garde aucune rancune, car il ne veut qu’une chose : voir cet homme guéri. Qu’il est absurde que certains se préoccupent tant de leur santé physique et ne se soucient nullement du trépas de leur âme ! Aussi, même si ton malade te prend aujourd’hui en haine, il ne pourra te nuire et il finira par te remercier. Qu’il te croît son ennemi, tu auras Dieu pour ami. Si donc nous agissons de cette manière, nous sauverons nos frères, nous recevrons alors le pardon de nos péchés et nous serons plus près de Dieu qui nous en récompensera plus que pour la prière, car celui qui prie le fait pour soi seul. Si, par contre, il refrène un insolent, cela sera utile à beaucoup : à ceux d’abord qui craignent Dieu et veulent le servir dans l’humilité de leur cœur mais aussi à ceux qui sont insolents. Cela fera que nous serons doublement récompensés et nous aurons le Seigneur lui-même parmi nous qui distribuera des couronnes à tous les pieux.

Ici se termine mon discours sur la manière pieuse de prier à l’église.

23. PRIÈRE HORS D’ÉGLISE

Cependant, s’il t’est impossible d’aller à l’église, ne dis pas que « je ne peux prier ailleurs qu’à l’église », car le Seigneur appelle et accueille les prières — d’où qu’elles viennent — de ceux qui sont purs de cœur et justes dans leurs actes. Il les écoute avec une grande attention, et cela même si l’endroit ne semble pas convenable pour la prière : ce n’est pas l’endroit qui est important mais la manière de prier. Jérémie pria Dieu alors qu’il était dans la citerne ; les trois adolescents ont prié Dieu alors qu’ils étaient dans le feu de la fournaise ; Daniel a prié Dieu alors qu’il était dans la fosse aux lions ; Job était assis dans un tas de poux priant Dieu et il en reçut le double de ses anciennes richesses ; Moïse était dans la mer mais Dieu lui a parlé et dit : « Qu’as-tu à crier vers moi ?138 ; le larron

79

Page 80: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

était sur la croix mais il s’est ouvert les portes du paradis. Et toi aussi, mon ami bien-aimé, où que tu sois — dans la mer, sur la route, à la maison, en marche, assis, au lit ou dans n’importe quel autre endroit — aie la conscience tranquille et ne cesse de prier en disant : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, pardonne-moi », et Dieu t’écoutera, car il possède la terre et ses confins. Il est bon et convenable de prier partout et de soupirer souvent sur ses péchés : quand Corneille priait ainsi, un ange lui est apparu et dit : « Tes prières et tes largesses se sont dressées en mémorial devant Dieu. »139 Mais le fait de prier chez lui a-t-il pu nuire à Corneille ; la prière du pharisien au temple — pleine d’arrogance et de vantardise — a-t-elle pu profiter à ce dernier ? Non, car la prière n’a de bien que si on la fait en ayant le cœur humble, l’esprit affligé et la pensée pleine de gratitude. Remercie Dieu si tu es entendu et fais de même si tu n’es pas entendu ; continue de prier jusqu’à ce que Dieu t’entende : dans les deux cas, ta prière sera bonne, que tu reçoives ou non sa faveur. II est parfois bon de ne rien recevoir ; si Dieu croit que nous en avions eu vraiment besoin, il nous le donnera. Et ce n’est pas non plus parce que Dieu nous hait et nous abhorre qu’il ne répond pas à nos prières : il fait ainsi parce qu’il veut que nous accourions toujours à lui, comme font les pères qui aiment leurs enfants. Car si l’enfant se conduit mal, le père ne le pardonne pas tout de suite, non pas parce qu’il hait son enfant, mais pour que ce dernier ne prenne pas l’habitude de mal faire. Et c’est de même que Dieu éprouve la patience de ceux qui le prient. Aussi est-il bon de prier souvent et avec zèle, les larmes aux yeux et les soupirs aux lèvres, jusqu’à ce que notre prière soit entendue.

C’est donc ainsi qu’il faut aujourd’hui vénérer le Seigneur Dieu selon le Nouveau Testament. Quant à ce comment et pour quelle raison l’on doit se prosterner devant les saintes icônes et autres objets sacrés, j’en ai suffisamment parlé plus haut dans ce deuxième traité.

24. COMMENT SERVIR DIEU

Quant à la manière bonne et correcte de servir le Dieu Un, sache qu’en vérité ce n’est pas en sacrifiant des bêtes muettes, comme c’était chez les Juifs et les Grecs, mais en gardant juste et pure ta foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit, comme tu l’as promis à ton baptême, et en agissant avec crainte et amour, comme tu l’as promis au Christ. Mais en quoi consiste exactement cette vie juste et pure que tu dois observer ?

Écoute ceci : avant tout, aime ton Seigneur Dieu de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toutes tes forces et qu’il soit dans toutes tes pensées au point que ni la vie, ni la mort, ni le présent, ni le futur ne pourront te détourner de son amour. Et puis, fais en sorte que toutes tes habitudes, toutes tes mœurs, tous tes actes lui soient agréables.

80

Page 81: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Sois juste, véridique, déterminé, courageux, sage ; console les affligés, nourris les pauvres, donne un toit aux étrangers, protège les opprimés ; sois doux envers Dieu, amical envers les hommes, sois patient dans le malheur, sans rancune, généreux, clément, poli dans tes réponses, concis dans tes paroles, humble, sincère ; sois fils de l’Évangile et fils de la résurrection, héritier de la vie ; n’aime pas l’or, ne juge pas les autres, prie souvent, sois affligé par tes péchés, sois joyeux d’être avec Dieu ; sois assoiffé, affamé, résigné, va les yeux à terre mais l’esprit levé vers le ciel ; que ton pas soit léger, ta voix calme, tes paroles convenables, mange et bois avec retenue ; tais-toi devant les hommes plus âgés, écoute les plus sages, obéis aux puissants, aie un amour sincère pour tes égaux et pour ceux qui sont moindres que toi ; fuis les mauvais, les passionnels, les débauchés ; parle peu et pense beaucoup, ne sois pas insolent dans tes paroles, ne t’adonne pas trop aux conversations, ne sois pas insolent dans le rire ; embellis-toi par l’humilité, travaille de tes mains, sois reconnaissant à tous, endurant dans les peines, sois humble avec tout le monde, garde ton cœur fermé aux mauvaises pensées ; ne te préoccupe pas de la vie des paresseux, n’envie pas ceux qui mènent une vie sainte, réjouis-toi pour ceux qui font le bien et ne les envie pas, pleure sur les pécheurs et ne les condamne pas, car ils ont leur juge qui jugera chacun selon ses actes. Ne dénigre pas celui qui veut se débarrasser de ses péchés, et ne te justifie jamais toi-même mais confesse tes péchés devant Dieu et les hommes ; ne sois pas hypocrite dans tes conversations, ne calomnie personne et ne prends pas plaisir à écouter les calomnies des autres ; ne te laisse pas submerger par la rage, ne te laisse pas posséder par le désir, ne te fâche pas en vain contre un homme sincère, ne garde pas rancune contre quelqu’un, n’aspire pas à la vengeance. Si l’on t’insulte, ne réponds pas par la même monnaie ; si l’on te bat, ne te défends pas ; si l’on t’offense, ne retourne pas l’insulte.

Du reste, évite les conversations des femmes et la boisson, car le vin et les femmes forcent parfois les hommes intelligents, ceux qui observent les commandements du Seigneur, à faire défaut à Dieu. Ne désespère jamais mais attends de Dieu récompense et encouragement et aie le désir de la vie éternelle. Punis les insolents, console les faibles, soigne les malades, sois bon hôte, aime tes frères ; fais la paix avec les autres fidèles, fuis l’hérétique, lis les livres conseillés et ne touche pas à ceux qui ont été condamnés.

Aie le désir des biens du ciel et ne t’accapare pas ceux de la terre, car ces derniers sont des pièges où tu te feras prendre comme un oiseau. Sois un simplet dans la sagesse du monde, mais aie la sagesse dans le Christ, car c’est une chose que la sagesse du Christ et c’en est une autre que la sagesse du monde qui a fait crucifier le Seigneur de la gloire. Garde pour toi ce que tu as aujourd’hui, mais laisse les matins au Seigneur, car il a dit : « ”Que la lumière soit !” et la lumière fut »140 ; ainsi, à chaque nouvelle journée, Dieu t’assurera de passer à travers.

81

Page 82: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Abandonne les choses de la terre pour recevoir les choses du ciel ; sois pauvre sur la terre et tu seras riche au ciel ; aie faim et soif sur la terre et une joie éternelle t’assouvira au ciel ; reste caché ici-bas et tu te manifesteras dans l’au-delà, garde le silence ici-bas et tu parleras avec audace au Père dans l’au-delà. Sois fils de la résurrection et de la vie, et recherche ta patrie, comme les jours — enfants de la lumière — recherchent leur père ; et ne pose pas de limite à ton élan mais force ta voie jusqu’à ce que tu atteignes les portes de la cité céleste. Et tant que tu es ici confiné dans la chair141, ne te fatigue jamais de travailler à tous ces exploits ascétiques. De jour en jour, travaille à ton salut, ne perds pas de temps, car il n’y a pas de messager pour annoncer notre mort. Sois sombre et joyeux, triste et gai en même temps : tu seras sombre et triste pour l’humilité ; tu ne t’attacheras pas aux joies de la terre ; tu seras joyeux et gai pour résister aux offenses des démons, car ton âme se réjouira dans le Seigneur. Attache-toi au Seigneur par la foi et l’amour — alors les délices de ce monde ne pourront t’en distraire. Ferme les yeux sur les choses visibles et retrouve la vue intérieure pour les choses de l’au-delà. Asservis ton corps, libère ton âme et ne rends pas la vie facile à ton corps, car la chair s’insurge au moindre laisser-aller.

Ne fuis pas les peines ici-bas et tu te rempliras d’une grande joie dans l’au-delà, car notre vie ici est un marché. Laisse tomber les biens temporels et tu recevras les biens éternels, cède ce peu pour recevoir beaucoup plus ; et ne te repose pas avant le repos éternel, ne t’assouvis pas des biens de la terre avant les biens éternels.

Que la lecture de mauvais livres soit amère pour toi, mais réjouis-toi comme du miel de la lecture des Écritures saintes et des livres des saints hommes. Prête oreille aux conseils prodigués dans ces livres, prépare tes mains pour exécuter ce qu’ils te disent, et aie le silence sur les lèvres et l’intelligence dans le cœur. Évite les vaines paroles et ne dis que des choses sages et utiles.

Vise toujours à atteindre les plus hautes vertus et préoccupe-toi autant des moindres ; toutefois, ne diminue pas l’importance de tes pêchés, même les plus insignifiants, et travaille à les extirper. Sois un fidèle trésorier des vertus et que la crainte de Dieu soit ta clef : c’est elle qui ouvrira et fermera tes lèvres. Aie le regard et la parole convenables ; réponds si l’on te questionne et tais-toi si l’on ne s’adresse pas à toi, de peur que ta langue — agitée par un cœur insolent — ne blesse quelqu’un ; plutôt, que ta première parole soit toujours celle de consolation et elle t’assurera l’amour des hommes sincères. Dans la conversation, aie le visage clair et cela réjouira ton interlocuteur ; et quand tu t’adresses au pauvre, fais attention de ne pas l’offenser, car — comme dit la parabole — l’offense faite à un pauvre irrite Celui qui l’a créé. N’aie pas honte d’incliner la tête devant tout être créé à l’image et à la ressemblance du Seigneur. Ne manque jamais d’honorer celui qui est plus âgé que toi et applique-

82

Page 83: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

toi à conforter sa vieillesse ; approche dans la paix un homme de ton âge ; accueille avec amour celui qui est plus jeune que toi ; ne manque pas à te lever en présence des hommes plus importants que toi.

Donne à manger à celui qui a faim, donne à boire à celui qui a soif — comme le Seigneur lui-même l’a ordonné —, donne des habits à celui qui est nu, conduis l’étranger dans ta maison, visite celui qui est malade, visite la prison et vois la peine des prisonniers et s’ils te demandent quelque chose donne-leur ce qu’ils demandent, sois affligé et soupire et pleure avec eux, et rappelle-toi que beaucoup d’entre eux souffrent tant de douleurs pour un seul péché, alors que nous, qui péchons sans cesse, continuons à bien manger et à vivre dans le confort. Sois affligé par tes péchés, soupire sur les tentations, compatis avec ceux qui souffrent dans la ville où tu habites et dans celles des alentours.

Cherche au moins un homme qui craint Dieu et sers-le de toutes tes forces, et attache-toi à lui de toute ton âme et de tout ton corps. Et si tu trouves un tel homme, ne sois plus triste, car tu as trouvé en lui la clé du royaume des cieux : suis-le partout et en toute chose, écoute ses paroles et fais tout pour lui être agréable. Trouve-toi un refuge paisible, un monastère ou la demeure des hommes saints. Va chez ces hommes, souffre avec eux et console-les dans leur pauvreté. Apporte-leur tout ce que tu as d’utile dans ta maison, car ce que tu leur remettras, tu le remettras dans les mains du Seigneur lui-même. Vois quelle est la volonté de Dieu : ce que le roi du ciel exige de sa créature est en vérité bien peu de choses et facile à faire. Donne ce peu et tu recevras l’éternité ; donne une chose et reçois-en cent en retour, car ce que l’on donne au pauvre Dieu nous le repayera.

25. TA MAISON

Honore les fêtes de Dieu et de ses saints, et lors des festivités, n’en profite pas tout seul, mais donne à manger aux affamés et donne à boire aux assoiffés. Ouvre ta maison aux pauvres et aux humbles plutôt qu’aux riches et célèbres, accueille les orphelins et les veuves et tous ceux qui n’ont aucun endroit où se réfugier. Et que ta maison soit riche ou pauvre, remercie le Seigneur Dieu pour tout, car tout cela se fait par la Providence divine, l’œil de Dieu voit et observe tout en permanence.

26. RAPPELLE-TOI

Aussi, donne à Dieu un dixième de tes biens, car il est celui qui t’a donné la vie ici-bas et qui t’a promis la vie éternelle dans l’au-delà. Ce monde-ci et sa gloire passeront dans le néant et alors viendra le Seigneur avec les puissances célestes ; il jugera chaque homme et il récompensera chacun selon ses actes. C’est pourquoi, rappelle-toi, qu’un matin tu verras le ciel s’ouvrir, tu apercevras les anges, tu comparaîtras devant le Dernier Tribunal et tu auras à rendre

83

Page 84: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

compte de ta vie, de tes actes, de tes paroles et de tes pensées. Aussi, prends soin de toi, pense à toi et rappelle-toi tes péchés et ta condamnation. Rappelle-toi que l’homme est mortel, faible et sujet aux passions. Rappelle-toi que la vie de l’homme est triste et pleine de souffrances, et que beaucoup périront : les bons141a et les mauvais, les sages et les ignorants, les riches et les pauvres. Rappelle-toi que l’homme est faible, qu’il ne peut supporter le labeur de toute une journée ni rester éveillé toute une nuit. Rappelle-toi combien tu as péché depuis ta jeunesse. Rappelle-toi que, jour et nuit, tu luttes avec un lion et un serpent. Pense combien d’âmes, qui ont négligé de craindre Dieu, languissent sous la terre, implorent en vain un moment de répit et pleurent — au fin fond de l’abîme — leurs erreurs, leur paresse, leur voracité, leurs perfidies. Rappelle-toi combien vaste est cet océan de la vie ordinaire qui est causé par notre chair ; combien il y a de tempêtes, d’agitation, de vents, de péchés, combien il y a de larmes dans les villes, dans les foyers, sur les places publiques. Rappelle-toi combien il y a eu d’hommes depuis Adam et jusqu’à nos jours : tous ont sombré dans l’oubli ; seuls ceux qui ont vécu tous les jours de leur vie selon les commandements de Dieu ont trouvé la gloire dans le ciel et sur la terre.

N’y a-t-il rien de bon dans ce monde ? Qu’est-ce qui n’est pas une tentation ? Tout est rempli de maux et de terreur : notre naissance se fait dans la douleur, notre mort nous fait peur, et ce qu’il y a après la mort est indicible et inconcevable. Nous mangeons sans retenue, notre veille et notre sommeil sont pleins de tristesse, et cette chair que nous portons ne veut pas nous obéir  : elle s’insurge dans la santé et désespère dans la maladie. Il suffit que nous manquions de nourriture et déjà nous perdons toutes nos forces. Qui n’a pas vécu les malheurs de cette vie, qui n’a pas goûté aux eaux salées de cet océan amer, qui n’a pas combattu ses vagues et qui n’a pas gémi sur ses flots ? Combien de grands hommes se sont laissé séduire par cette vie et combien de bons commencements ont buté sur ses pièges ? Rappelle-toi que bientôt tu quitteras tout ce monde visible, le ciel, la terre et les hommes. Rappelle-toi que ton corps et ton âme ne valent rien : un petit chagrin te prend tout entier, une seule parole t’anéantit, un mal négligeable te réduit en cendres tel un feu et te jette dans le dernier désespoir. Dans ce monde, toute joie finit dans les larmes : aujourd’hui l’on célèbre un mariage et le lendemain l’on pleure un mort  ; ce jour-ci l’on grandit et le lendemain matin l’on pourrit ; aujourd’hui l’on engendre des enfants et on les enterre le lendemain ; l’on se réjouit le jour et l’on pleure le lendemain ; aujourd’hui l’on est riche et le lendemain l’on n’a plus rien ; aujourd’hui l’on baigne dans la gloire et le lendemain l’on grouille de vers.

Retrouvons donc la crainte et tremblons de terreur, car nous ne savons pas ce qui nous arrivera. C’est pourquoi il faut confesser nos péchés, car il n’y a pas de repentir après la mort : nous y recevrons ce que nous aurons fait ici-bas, et ce que nous aurons semé ici-bas nous le recueillerons dans l’au-delà142. Il viendra notre jour et heure, mes frères ! Il viendra et nous n’y échapperons pas. L’épée

84

Page 85: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

de Dieu viendra sur nous et n’épargnera personne et ne tolérera aucun marchandage lorsque l’homme quittera tout et s’en ira tout seul, pauvre et nu, impuissant, sans défense, sans audace, mal préparé, la tête basse, pleurant et gémissant, couvert de sueur, les yeux errants, grinçant des dents, tout tremblant, les mains dans les cheveux, la langue brûlante ; il voudra courir et ne pourra pas, il cherchera de l’aide et n’en trouvera point. Un peu de ce feu — et tout n’est que néant, un peu de cette souffrance — et tout n’est que vanité. Et après, il n’y aura que la nuit — profonde, noire, terrifiante, insupportable. On le conduira comme un forçat vers des lieux terribles et horrifiants où l’on pleure et ne rit jamais, où l’on est oppressé et où l’on ne mange pas, où les pécheurs vivent dans la peur et la terreur perpétuelles, accablés de terribles jougs, versant des torrents de larmes parmi d’indicibles gémissements et des soupirs qui ne se taisent jamais, brûlés par un feu inextinguible, dévorés par d’innombrables vers, plongés dans la nuit noire à jamais privés de lumière, soumis à un impitoyable et incorruptible juge. Aussi instruisons-nous en pensant perpétuellement à tout cela et aidons-nous nous mêmes en crachant sur toutes les délices de ce monde : laissons-les à ce monde et à ses libertés, à toutes ces préoccupations et à toutes ces passions qui font le monde, et fuyons-les, car elles nous poussent vers le trépas. Aussi soyons attentifs à nous-mêmes et à notre Dieu, abandonnons notre corps aux maux et aux souffrances, car il mérite beaucoup de plaies, et repentons-nous de toute notre âme en disant : voilà, j’ai tout abandonné et je t’ai suivi, j’ai tout laissé tomber, car je te crains. Espérons que notre repentir arrive jusqu’aux nues, que nos gémissements atteignent le ciel, que nos prières et nos bonnes actions et aumônes viennent devant Dieu. Servons le Seigneur dans la crainte et endurons tous les maux et toutes les souffrances afin de goûter aux biens que le Seigneur a promis à ceux qui l’aiment, car les commandements de Dieu mentionnés plus haut sont la lumière et la vie.

C’est à toi de décider si tu les observeras ou si tu les négligeras. Emploie-toi donc à t’instruire sans cesse à leur exemple et demeure dans leur sillon. Écris ce court discours dans ton cœur et noue-le autour de ton cou, car il est bien meilleur que la couronne du roi — sa couronne le conduira aux enfers alors que celle-ci montrera la voie de la vie éternelle à tous ceux qui voudront prendre le désirable chemin de la sainteté, qui a aussi été celui de tous les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui ont su plaire au Christ et qui l’ont servi par des labeurs, des peines, des souffrances, le jeûne et le martyre pour pouvoir ensuite se lever des morts et célébrer avec les anges la bienheureuse, l’éternelle et l’incorruptible face du Christ. Amen.

Voilà. Voici ce que signifie : « Sois le serviteur du Seul Unique ». Ici se termine mon discours sur cette question et sur d’autres.

Finalement, terminons en disant ceci : maintenant nous en savons assez sur la façon de vénérer les saintes icônes, la sainte et vivifiante croix et les autres

85

Page 86: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

objets saints fabriqués pour l’honneur et la gloire de Dieu ; de même que sur la façon de nous honorer les uns les autres, d’honorer les rois et les princes, sur ce qu’est Dieu et comment l’on doit aujourd’hui en parler, et de quelle façon nous devons aujourd’hui vénérer le Seigneur Dieu selon le Nouveau Testament et ne servir que lui, qui est l’éternelle et la tri-solaire lumière du Père, du Fils et du Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.

TROISIÈME TRAITÉ

Le troisième traité est dirigé contre les hérétiques de Novgorod, qui disent qu’il ne faut pas peindre sur les saintes icônes la sainte et indivisible Trinité, car, disent-ils, Abraham a vu Dieu4a en compagnie de deux anges et non pas la Trinité. Ce traité comporte le récit tiré des saintes Écritures qui confirme qu’Abraham a effectivement vu la sainte Trinité et que donc les chrétiens ont le devoir de peindre sur les saintes icônes la sainte et indivisible Trinité.

Il faut savoir que tous les commandements de notre Seigneur Jésus Christ sont admirables et bénéfiques puisqu’ils ont été énoncés pour permettre notre salut  : Jésus Christ ne désire pas la mort du pécheur, il veut sauver tout le monde en amenant les gens à la compréhension de la vérité — soit par ses propres paroles, soit par l’intermédiaire des saints prophètes, des apôtres, des saints pères et des évêques qui sont nos maîtres. Mais notre ennemi éternel, le diable, ne cesse jamais d’épier l’occasion de nous pervertir et de nous faire perdre le droit chemin. Beaucoup, depuis Adam et jusqu’à nos jours, sont tombés dans ses pièges : il apprit aux uns l’idolâtrie, aux autres le meurtre, l’adultère et les autres péchés ; et à d’autres encore, il a montré l’hérésie, qui est le pire des péchés et le plus impur de tous les crimes. Nombreux sont ceux qui en souffrent aujourd’hui, et ils ont déjà proféré assez de mauvaises et insolentes paroles qui ont entraîné beaucoup d’autres gens dans cette hérésie, dont le principal péché consiste en une interprétation pervertie des saintes Écritures, ce qui est dû à l’abandon par ces hérétiques de l’incorruptible foi orthodoxe au profit de la religion juive. Je parle ici du protopresbytre143 Alexis, du prêtre Denis, de Théodore Kouritsyna et de ses acolytes, qui ont perverti — pour leur propre perte — les saintes Écritures, et qui ont semé cet enseignement juif d’abord dans le Grand Novgorod et ensuite dans beaucoup d’autres villes et régions.

Nous allons parler d’un seul aspect de cette méchante hérésie qui est le suivant : les hérétiques soutiennent qu’il ne faut pas peindre sur les saintes icônes la sainte et vivifiante Trinité, car, disent-ils, Abraham a accueilli et a donné l’hospitalité à Dieu4a en compagnie de deux anges et non pas la Trinité143a. Mais ils disent cela parce qu’ils ont l’habitude de pervertir les saintes Écritures en fonction de leur hérésie et le diable est bien fier d’avoir trouvé de telles aides, comme — lors de la crucifixion — il en avait trouvé une en la personne de Judas.

Quant à nous, nous n’allons rien inventer pour réfuter cette hérésie : nous allons 86

Page 87: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

puiser dans les anciens récits des divins prophètes et ainsi montrer qu’Abraham a vu Dieu en trois personnes, c’est-à-dire le Père, le Fils et le Saint-Esprit143b. Le grand Moïse dit en effet : « Le Seigneur apparut à Abraham aux chênes de Mambré. »144 Tu vois bien qu’il dit simplement que le Seigneur apparut à Abraham et non pas que « le Seigneur apparut à Abraham en compagnie de deux anges. » Ainsi, Abraham a parlé de Dieu et il n’a rien dit à propos des anges. Ceux qui connaissent les saintes Écritures savent très bien que la divinité se manifestait souvent aux saints hommes, mais si Dieu se manifestait seul, les Écritures le disait tel quel, et s’il se manifestait avec des anges, les Écritures le disent aussi tel quel. Dieu est apparu seul à Noé ; et il est apparu seul mais plusieurs fois à Abraham, de même à Moïse. Les Écritures le précisent bien dans chaque cas. Et quand il apparut à Jacob sur l’échelle avec des anges, quand il apparut à Isaïe assis sur le trône et avec des séraphins devant lui ou quand il apparut à Daniel comme l’Ancien des jours entouré d’une foule innombrable, tout cela les Écritures le précisent également. Mais dans notre cas à nous, les Écritures n’indiquent nullement que Dieu est apparu à Abraham avec deux anges. Que disent les Écritures ? Ceci : « Le Seigneur apparut à Abraham...Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. A leur vue, il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre et dit : ”Mon Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, veuille ne pas passer loin de ton serviteur. Qu’on apporte un peu d’eau pour vous laver les pieds, et reposez-vous sous cet arbre. Je vais apporter un morceau de pain pour vous réconforter...” [...] Abraham se hâta vers la tente pour dire à Sara : ”Vite ! Pétris trois mesures de fleur de farine et fais des galettes !” et il courut au troupeau en prendre un veau bien tendre. Il le donna au garçon qui se hâta de l’apprêter. Il prit du caillé, du lait et le veau préparé qu’il plaça devant eux ; il se tenait sous l’arbre, debout près d’eux. Ils mangèrent. » 145 Et eux, ils étaient assis tous les trois sur un même siège, égaux en gloire, en honneur, aucun plus important ou moindre que les autres, et Abraham les servit et se prosterna devant tous les trois sans faire de différence entre eux. Mais si c’était en effet Dieu avec deux anges, comment les anges auraient-ils osé s’asseoir sur le même siège que Dieu ? Tu ne trouveras nulle part dans les Écritures d’indications que des anges aient jamais pris place à côté de Dieu ; par contre, le Nouveau et l’Ancien Testament témoignent tous deux que le Fils et le Saint-Esprit sont assis sur le même trône que le Père.

Le très sage Paul dit du Christ : « Nous avons un grand prêtre qui est assis à la droite du trône de la majesté dans le ciel, et qui a offert un seul sacrifice pour tous les péchés, et il est toujours assis à la droite de Dieu, et il attend que ses ennemis tombent sous ses pieds. »146 Et il dit encore : « Pour les anges, il a cette parole : ”Celui qui fait de ses anges des esprits, et de ses serviteurs une flamme de feu.” Mais pour le Fils, celle-ci : ”Ton trône, ô Dieu, est un trône éternel” et ”c’est un sceptre de droiture que le sceptre de ton règne. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tes compagnons.” »147 Le prophète David dit, en voulant montrer la gloire du Fils unique : « Ton trône est préparé depuis l’origine. »148 L’apôtre Paul

87

Page 88: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

dit un peu la même chose dans son interprétation quand il dit  : « ...lui qui fait de ses anges des esprits, et de ses serviteurs des flammes de feu »149 et il dit au Fils : « Ton trône est préparé depuis l’origine. » Mais pour qu’on ne commence pas à dire que ceci (« Ton trône est préparé depuis l’origine. ») est adressé au Père plutôt qu’au Fils, l’apôtre a ajouté : « ...c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tes compagnons.” » II ne dit nulle part que le Père a été oint d’huile — c’est le Fils unique qui a été oint d’huile selon son humanité ; et c’est de lui également que parle ce même prophète quand il dit : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. »150 C’est donc parce qu’il est un prêtre qu’il a été oint d’huile. C’est que le Maître Christ est comme Melchisédech qui s’était fait prêtre en dehors de la loi de Moïse ; l’apôtre Paul en dit en effet ; « Mais Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C’est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n’est pas œuvre des mains, — c’est-à-dire qui n’appartient pas à cette création-ci —, et par le sang non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu’il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, et qu’il a obtenu une libération définitive. »151 C’est pourquoi le prophète dit : « ...c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse. » En fait, la chair du Seigneur a été sacrée par la venue sur lui du Saint-Esprit, qui est « une huile d’allégresse » ; et en disant « de préférence à tes compagnons », le prophète parle de la totalité des hommes, car tous les hommes participeront au moins en partie au don de l’Esprit. Le Saint-Esprit est venu sur le Fils de Dieu et il demeura sur lui et, comme dit Jean, il resta éternellement inséparable de lui, car il partage son essence. Certains pourraient prétendre qu’il s’agit ici (« ...c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse ») d’un roi ou d’un prêtre selon la loi puisque ces personnes étaient parfois appelées dieux ; mais s’il s’agit d’un roi ou d’un prêtre selon la loi, le prophète n’aurait pas dit « ton trône est préparé depuis l’origine », car le trône de ces hommes n’est pas éternel, il périt avec leur royaume. Seul notre Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, aura son trône dans les siècles des siècles et c’est à lui que s’adresse le prophète en disant : « Ton trône, ô Dieu, est un trône éternel. » Et c’est pareil quand le même prophète dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : ”Siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds.” »152 Or il faut savoir que la locution « jusqu’à ce que » n’a pas ici un sens limitatif — c’est simplement une habitude des Écritures de l’employer ainsi. C’est comme lorsque Dieu dit aux prophètes : « le suis, je suis et jusqu’à ce que vous soyez vieux — je suis. »153 Or il est clair qu’on ne veut pas dire ici que l’être de Dieu dépend de la vieillesse de l’homme.

De même, certains croient que dans la phrase « Siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds », l’on s’adresse à Dieu comme on le ferait à un simple homme et que donc le Seigneur n’a pas toujours été assis à côté de Dieu à cause de la locution « jusqu’à ce que » ; pour prévenir donc une telle interprétation et voulant montrer l’éternel être de Dieu et le fait qu’il a toujours été assis à côté du Père, le prophète a ajouté plus loin : « De mon

88

Page 89: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

sein je t’ai engendré avant l’étoile du matin. »154 « L’étoile du matin » indique qu’il a été avant le temps et « de mon sein » montre l’unité de l’être et de l’essence — il est né de nul autre, dit-il, que de mon être. Mais s’il est consubstantiel au Père et engendré de lui, il est nécessaire qu’il soit aussi assis sur le trône avec lui. Tu vois donc bien que le Fils partage le trône avec Dieu et non pas avec les anges.

Le Saint-Esprit est aussi égal en honneur au Père, il s’assoit à son côté, et il est vénéré et célébré avec le Père, comme le disent les prophètes et le suprême apôtre, l’apôtre Pierre : « Le don de la prophétie ne vient pas de la volonté humaine : c’est le Saint-Esprit qui montre la voie aux saints hommes de Dieu. »155 Le très sage Paul en dit aussi : « Seul le Saint-Esprit fait tout, et ce que nous faisons, nous le faisons par le Saint-Esprit.156 Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. »157 Et David dit : « Tu enverras ton Esprit, et ils seront créés. »158 lob aussi dit quelque chose de similaire : « C’est le souffle de Dieu qui m’a fait... »159 Et Joël dit : « Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair. »160 Isaïe dit : « ...finalement c’est donc que le Seigneur Dieu m’a envoyé, avec son Esprit. »161 Et encore : « Le Saint-Esprit est venu et leur montra la voie. »162 Et il dit encore : « Mais vous accepterez mes paroles et mes lois, telles que je les ai léguées par mon Esprit à mes serviteurs les prophètes. »163 Tu vois bien que le Fils et le Saint-Esprit sont consubstantiels au Père et partagent sa gloire et son honneur. Mais s’ils sont consubstantiels au Père et s’ils lui sont égaux en honneur et en gloire, alors il faut qu’ils partagent le trône avec lui.

Quant aux anges, le vertueux Paul en dit : « Et auquel des anges a-t-il jamais dit : ”Siège à ma droite...” ? »164 Les anges sont de la création et les créatures de la sainte et indivisible Trinité, ils sont les serviteurs de son éternelle et inconcevable gloire, et chaque ange connaît son rang et la dignité qui lui incombe.

Ici se termine mon discours sur ces questions.

Mais parlons du mystère suivant. La sainte Trinité étant indicible et inconcevable, son apparition à Abraham a aussi été indicible, inconcevable. Et c’est pourquoi Abraham s’adresse à ces trois personnes tantôt comme aux trois personnes, tantôt comme à un seul être. Ainsi, quand il dit « Mon Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux », il s’adresse à un seul, mais quand ensuite il dit « pour vous laver les pieds », il s’adresse aux trois personnes. Et cela n’est pas simplement une façon de parler qu’Abraham a choisie ; c’est que lorsque Abraham voyait ces trois personnes et les appelait « Seigneur », c’était pour indiquer l’unité de la divinité, et quand il s’adressait aux trois, c’était pour montrer les trois hypostases, c’est-à-dire les trois personnes de la divinité. Mais ce qui me paraît être le grand et glorieux mystère dans tout ceci, c’est ce que Dieu a bien voulu accomplir dans la maison d’Abraham. Il lui montra d’abord le mystère de la sainte Trinité ; et puis il a mangé chez lui, et a bien voulu lui donner la promesse de la naissance

89

Page 90: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

d’Isaac malgré la vieillesse de Sarah, ce qui est une préfiguration de la naissance sans semence du Sauveur. Tout cela est ineffable et au-dessus du naturel : que Dieu ait la forme humaine, que cet être incorporel puisse prendre un repas, qu’une vieille femme qui a passé l’âge de la maternité puisse donner naissance, ou qu’une vierge puisse concevoir un enfant sans mari et le mettre au monde sans corruption. En vérité, là où vient ce Dieu qui dépasse le naturel, là toutes les choses dépassent le naturel. Et les Écritures disent ensuite : Les trois visiteurs « mangèrent » et lui dirent : ”Où est Sara ta femme ?” Il répondit : ”Là, dans la tente.” Le Seigneur reprit : ”Je dois revenir au temps du renouveau et voici que Sara ta femme aura un fils.”165 Or Abraham savait que Dieu le lui avait déjà promis auparavant en disant : « Tu n’appelleras plus ta femme Saraï du nom de Saraï, car elle aura pour nom Sara. Je la bénirai et même je te donnerai par elle un fils. »166 Alors comment Abraham aurait-il pu ne pas se rendre compte que c’était encore là une apparition de Dieu, si Dieu lui avait déjà promis un fils et venait maintenant accomplir sa promesse ? D’ailleurs, même si la sainte et indivisible Trinité a bien voulu se montrer à Abraham sous la forme humaine, elle a tôt fait de lui révéler sa divinité et sa force. Les Écritures disent plus loin : « Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé ». Le Seigneur dit : « Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? »167 Or, comment un simple voyageur — pauvre d’aspect, sans gardes ni serviteurs contre la multitude des esclaves du riche Abraham — comment aurait-il osé traiter ce dernier de serviteur ? Et les Écritures disent ensuite : « Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre... »168 Cela a clairement montré à Abraham qu’il avait bien Dieu devant lui, car Dieu lui avait déjà dit auparavant : « ...en toi seront bénies toutes les familles de la terre. »169 et c’est aussi ce qu’il dit maintenant : « ...en qui seront bénies toutes les nations de la terre... » Et comme Abraham savait que ce n’était pas des hommes mais que c’était une apparition du Seigneur, il les servit tous les trois avec les mêmes honneurs et il leur lava les pieds à tous les trois.

II est donc clair et certain que la sainte, indivisible et vivifiante Trinité a effectivement manifesté son mystère à son bon serviteur Abraham, le mystère qui consiste en ce que la Trinité est une tout en étant triple : elle est une dans sa divinité et dans son être, mais elle a trois personnes et trois hypostases. Les Écritures disent en effet : « Le Seigneur partit lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham et Abraham retourna chez lui. Les deux anges arrivèrent le soir à Sodome... »170 Tu vois ici que seul Dieu le Père170a s’en sépara, en envoyant les deux autres — c’est-à-dire le Fils et le Saint-Esprit — à Sodome. Car personne ne peut jamais envoyer Dieu le Père où que ce soit. Or le Fils dit de lui-même : « C’est mon Père qui me glorifie... »171 Et le Fils dit du Saint-Esprit : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père... »172 De même quand, au commencement, le Père voulut créer l’homme, il a dû d’abord convaincre le Fils et le Saint-Esprit de participer à la création et c’est pourquoi il

90

Page 91: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

a dit : « Faisons l’homme... »173 Et quand il a voulu anéantir le rassemblement impie qui a décidé d’ériger la tour de Babel, il ne l’a pas fait avant de consulter le Fils et le Saint-Esprit, auxquels il dît : « Allons, descendons et brouillons ici leur langue... »174 Et c’est de la même manière qu’il procède ici. Ainsi, en décidant d’anéantir ce peuple sale, impur, insolent et sauvage, et de délivrer le juste du péril, il y envoie le Fils et le Saint-Esprit pour montrer à tous que la sainte Trinité ne fait qu’un dans sa volonté, son pouvoir et ses décisions.

Ici se termine mon discours sur ces questions.

Et puis il faut aussi parler de ce que plusieurs trouvent étrange dans les Écritures. Ils se demandent en effet : « Comment se fait-il que les saints pères, qui sont nos divins maîtres, disent tantôt qu’Abraham a reçu chez lui la sainte Trinité, tantôt qu’il a accueilli Dieu4a avec deux anges et d’autres fois encore qu’il a reçu la visite de trois anges ? »175 Mais l’incohérence de ces passages n’est qu’apparente. En réalité, il n’y a là aucune contradiction ; et qui plus est, si l’on revoit certains témoignages de l’Ancien et du Nouveau Testament, on verra que tout cela est parfaitement concordant. Par ailleurs, le grand Maxime dit que ce qui est écrit dans les deux Testaments ne peut être résolu par soi-même, mais que ce n’est pas la faute des saints pères, qui proféraient de belles choses par l’inspiration du Saint-Esprit : beaucoup de contradictions qu’on pense remarquer dans les saintes Écritures ne sont qu’apparentes. L’impression d’incohérence est plutôt causée par notre propre manque de discernement et d’attention et par la négligence dans la lecture. Or, les propos des saints hommes ne changent pas. Nous ne pouvons, étant charnels, espérer comprendre les choses spirituelles ; comme l’a dit un saint : « Ceux qui raisonnent dans la chair, comprennent les Écritures non pas selon la volonté du Saint-Esprit mais selon la volonté de la chair. »176

Alors efforçons-nous d’arriver à la bonne compréhension dans la crainte de Dieu, et libérons-nous pour accéder, dans l’humilité, aux choses divines ; car, comme le dit le divin Jean Chrysostome, si nous pouvions saisir chaque idée177 dans son vrai sens et s’y prendre au bon moment et pas n’importe comment, alors tout nous apparaîtrait parfaitement cohérent et pas du tout contradictoire. Les saints pères l’ont bien dit : « Toute bonne chose qui n’arrive pas au bon moment tourne en mal » et « Ce n’est pas la nature de la chose qui en est coupable mais l’inintelligence de ceux qui s’en saisissent »178, comme l’a dit le divin Jean de Climaque. Or, une chose qui a peut-être failli nous faire mourir, cette même chose devient salutaire si on la prend au moment propice. Aussi, ne cherchons pas avant l’heure à comprendre tout cela par notre propre fier raisonnement, car si nous essayons, nous ne réussirons pas parce que dans les Écritures, pour comprendre certains passages, il faut soit trouver des témoignages correspondants dans d’autres parties des Écritures, soit connaître la situation du passage179 et l’inspiration de l’auteur. Tous les écrits saints qui ont été transmis à l’Église de Dieu sont absolument incorruptibles et douter de leur vérité serait les

91

Page 92: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

humilier ; il faut donc s’efforcer de les suivre en tout et de chercher leur sens réel plutôt que de s’arrêter à ce qui nous en semble. Mais si quelqu’un s’entête à y chercher des incohérences ou à rabaisser leur vérité en y appliquant sa propre raison, cet homme sera certainement le plus dément de tous les vivants. Ce sont les Grecs, les Juifs et les hérétiques qui blâment les Écritures uniquement parce qu’ils ne veulent pas admettre, qu’avec toutes leurs opinions, ils n’y comprennent rien ; et cela a fait qu’ils ont sombré dans la tentation et dans toutes sortes de vices.

C’est pourquoi si l’on veut comprendre les Écritures, l’on ne doit pas compter sur son intelligence, aussi brillante qu’elle soit ; la sagesse est de suivre chaque parole des Écritures telle quelle et d’acquérir par là l’intelligence des plus profonds mystères du Saint-Esprit dont témoignent les Écritures.180

Ainsi donc, c’est en s’appuyant sur les témoignages des Écritures et non pas sur nos raisonnements que nous allons essayer d’éclairer le passage en question. Nous commencerons donc par répertorier certains passages de l’Ancien Testament et des prophètes ainsi que des saints Évangiles et des apôtres qui nous aideront à mieux comprendre la question des contradictions ; ensuite nous passerons aux écrits sur la sainte et vivifiante Trinité, composés par nos saints pères qui sont nos divins maîtres. L’analyse de tous ces passages devra nous démontrer que ceux qui comprennent mal les Écritures n’y voient que l’incohérence, alors que ceux qui ont la bonne intelligence des saintes Écritures y trouvent partout un parfait accord.

ANCIEN TESTAMENT

Dans l’Ancien Testament, l’on voit que Dieu a d’abord ordonné de faire des sacrifices, des holocaustes, de fabriquer des instruments à cordes, des orgues, des tympans et des flûtes ; et puis l’on voit que ce même Dieu, qui n’aime plus tout cela, ne veut pas en entendre parler, mais les hait et les déteste. Ainsi, il est écrit dans Lévitique : « Le Seigneur appela Moïse et, de la tente de la rencontre, lui adressa la parole : ”Parle aux fils d’Israël ; tu leur diras : Quand l’un d’entre vous apporte un présent au Seigneur...Si c’est un holocauste...” »181 Mais dans le livre de Jérémie, Dieu dit : « Qu’ai-je à faire de l’encens importé de Saba, du roseau aromatique d’un pays lointain ? Vos holocaustes, je n’en veux pas... »182

Et dans le livre d’Isaïe, Dieu dit : « ...tous ceux qui gardent le sabbat sans le déshonorer...je les ferai venir à ma sainte montagne, je les ferai jubiler dans la Maison où l’on me prie ; leurs holocaustes et leurs sacrifices seront en faveur sur mon autel... »183 Mais après, il dit à ces mêmes hommes : « Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le Seigneur ? »184 et « Les holocaustes de béliers, la graisse de veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus. [...] Vos néoménies et vos solennités, je les déteste... » 185 Et dans le livre de David, il dit : « Rendez au Seigneur la gloire de

92

Page 93: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

son Nom, prenez des victimes et entrez dans ses parvis. »186 Et plus loin il dit : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation... »187, et « Je n’accepterai pas des taureaux de ta maison, ni des chevreaux de tes bercails. »188

Or qu’est-ce que tout cela ? Comment Dieu peut-il en même temps vouloir et détester, aimer et haïr une seule et même chose ? La solution en est la suivante : Dieu leur a bien donné la loi ; quant aux sacrifices et aux holocaustes, il n’en a pas donné l’ordre mais leur permit de les pratiquer, par condescendance pour leur faiblesse. Mais quand ils ont offert un sacrifice au veau d’or, Dieu a dû leur donner un commandement concernant les sacrifices, et c’est alors aussi qu’il leur a permis de le célébrer par la musique et jouer de l’orgue : c’est qu’il les voyait se démener et se bousculer autour des idoles pour leur offrir des sacrifices, et il voyait que certains l’avaient déjà fait. C’est pourquoi il leur ordonna de lui offrir des sacrifices, en disant : « Puisque vous vous démenez dans votre désir de faire des sacrifices, tout au moins faites-les pour moi. »189 Et c’est pourquoi il leur ordonna alors de lui faire des sacrifices. Toutefois, il ne les laissa pas faire n’importe quoi et il inventa un très sage moyen de les contenir en ordonnant que les sacrifices soient faits dans une seule ville. Et quand, après maintes années et après maints signes et miracles, ils ont finalement compris — quoique imparfaitement — qui est en vérité ce Dieu vivant, à ce moment le Seigneur Dieu n’a plus voulu accepter les offrandes des bêtes muettes ni la musique et les chants de l’orgue. Il dit alors à travers le prophète : « Épargne-moi le bruit de tes chants, je n’écouterai pas les psaumes de tes orgues. »190 Et ensuite il dit justement : « Qu’ai-je à faire de l’encens importé de Saba, du roseau aromatique d’un pays lointain ? Vos holocaustes, je n’en veux pas... »182 ; « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation... »187 ; et aussi « le n’accepterai pas des taureaux de ta maison, ni des chevreaux de tes bercails. »188 Tout cela montre clairement que si Dieu leur avait ordonné de faire des sacrifices et de jouer de l’orgue, ce n’était pas parce qu’il avait lui-même besoin des sacrifices et de la musique des orgues : c’était simplement par condescendance pour leur faiblesse et à cause de leur dureté et de leur indocilité. Et cela explique pourquoi Dieu tantôt ordonne, tantôt retire son ordre ; pourquoi il aime et hait en même temps.

Il y a plusieurs autres passages du même genre dans les Écritures. Salomon dit en effet : « Car le sort des fils d’Adam, c’est le sort de la bête, c’est un sort identique : telle la mort de celle-ci, telle la mort de ceux-là, ils ont tous un souffle identique : la supériorité de l’homme sur la bête est nulle, car tout est vanité. Tout va vers un lieu unique, tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière. »191 Et il dit ensuite : « Le sage a le dessus sur l’insensé. »192 Mais il avait dit avant que « la supériorité de l’homme sur la bête est nulle »191, et maintenant il dit que le juste a un avantage non seulement sur les bêtes mais aussi sur les pêcheurs. Il dit en effet des pécheurs : « Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces ; car il n’y a ni œuvre, ni bilan, ni savoir, ni sages dans le séjour des morts où tu t’en iras. »193 Et il dit des justes : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment

93

Page 94: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

ne les atteindra plus. »’194 ; « Mais les justes vivent pour toujours ; [...] aussi recevront-ils la royauté splendide et le diadème magnifique de la main du Seigneur. »195 et aussi « Son héritage est parmi les fils de Dieu et parmi les saints. »196 Tout cela montre clairement que l’homme et la bête n’auront pas la même fin, pas plus que les justes n’auront pas la même fin que les pécheurs, car les bêtes ne vivent pas après la mort et ne vont pas en enfer, mais l’âme des pécheurs vit après la mort et s’en va en enfer à cause du mal qu’elle a fait, alors que l’âme des justes après la mort est dans la main de Dieu et les justes en reçoivent le royaume du bien et la couronne des vertus — et c’est ce qui confirme que les hommes ne sont pas pareils aux bêtes. Or, quand Salomon dit que « la supériorité de l’homme sur la bête est nulle »191, il le dit pour montrer l’imperfection et la faiblesse de l’homme qui vit dans le péché. Mais quand il veut montrer la gloire et la dignité du juste, alors il dit que « les justes vivent pour toujours ; [...] aussi recevront-ils la royauté splendide et le diadème magnifique de la main du Seigneur »195 et que « son héritage est parmi les fils de Dieu et parmi les saints. »196 Et il dit encore : « Réjouis-toi, jeune homme dans ta jeunesse, que ton cœur soit heureux aux jours de ton adolescence... »197 Et puis il dit : « ...car la jeunesse et l’aurore de la vie sont vanité. »198 Et il dit aussi : « Ce que, moi, je reconnais comme bien, le voici : il convient de manger et de boire... »199 Mais il dit ensuite lui-même : « Mieux vaut aller à la maison de deuil qu’à la maison du banquet... »200 Or, quand il dit : « Réjouis-toi, jeune homme dans ta jeunesse, que ton cœur soit heureux aux jours de ton adolescence... »197, il le dit parce que son cœur est plein de joie. Et quand il dit : « ...car la jeunesse et l’aurore de la vie sont vanité. »198, il le dit à cause des désirs charnels de la jeunesse. De même, quand il dit qu’ » il convient de manger et de boire... »199, il le dit parce qu’il a le cœur lourd et que le vin réjouit le cœur de l’homme et le pain lui donne des forces. Mais quand il dit : « Mieux vaut aller à la maison de deuil qu’à la maison du banquet... »200, il le dit à cause de la vérité spirituelle, car dans la maison en deuil on commémore la mort.

NOUVEAU TESTAMENT

En effet, les Écritures saintes parlent souvent ainsi d’une seule et même chose, mais le sens de ces passages varie selon le moment et selon l’inspiration de celui qui parle. Ainsi, certaines choses dans les saintes Écritures se disent à la suite d’une question, d’autres sont occasionnées par une réponse, d’autres encore se disent tantôt pour la vérité spirituelle, tantôt à cause du désir charnel, tantôt parce que celui qui parle est triste, ou bien parce qu’il a la joie dans le cœur. Chacune de ces inspirations se retrouve dans les Écritures au moment opportun et bien qu’elles semblent concerner un même sujet, leur sens n’est pas le même. Cela n’est pas propre uniquement à l’Ancien Testament ; la même chose se fait dans le Nouveau où l’on dit tantôt une chose, tantôt une autre, de sorte qu’on croit souvent y voir des contradictions.

94

Page 95: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ainsi, notre Seigneur Jésus Christ dit dans le saint Évangile : « Le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils... »201 Mais il dit lui-même : « Je ne juge personne. »202 Et il dit aussi : « Il est vrai que je me rends témoignage à moi-même, et pourtant mon témoignage est recevable. »203 Mais un peu plus loin il dit : « Si je me rendais témoignage à moi-même, mon témoignage ne serait pas recevable. »204 Nombreux sont ceux qui croient que ces paroles du Christ se contredisent et sont en désaccord entre elles, car le Christ dit d’abord qu’il est juge et après il dit : « Je ne juge personne »202 ou bien quand il dit : « ...je me rends témoignage à moi-même, et pourtant mon témoignage est recevable203 et après, « mon témoignage ne serait pas recevable. »204 Mais en fait il n’y a ici aucune contradiction et, bien plus, tout est parfaitement cohérent. C’est que la parole de Dieu ne change pas et ne peut être contradictoire ou incohérente, et cela s’applique aussi à ces paroles évangéliques de notre Seigneur Jésus Christ.

Ainsi, quand il dit que « le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils... »201, il veut montrer par là sa puissance et sa majesté, montrer qu’il est le vrai juge des vivants et des morts, comme le prophète Isaïe témoigne de lui : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : ”Merveilleux-Conseiller, Dieu fort, Père à jamais, Prince de la paix.” »205 Or, celui qui est le Dieu fort, le Maître et le Prince de la paix est aussi le juge des vivants et des morts. En d’autres mots, le Christ parlait ici de son Second Avènement où il aura à juger les vivants et les morts. Et quand tu l’entends dire après : « Je ne juge personne »202, sache qu’il parle ici de son Premier Avènement et c’est aussi de cela qu’il parle en disant : « ...je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde. »206 Et quand il dit : « Mon témoignage est recevable »203 comme il est vrai que « le Père qui m’a envoyé a lui-même porté témoignage à mon sujet »207, cela est comme ce qu’il disait de lui-même ou par la bouche des prophètes ; ainsi, il a témoigné de lui-même sur le Jourdain et sur le mont Thabor où il a dit  : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ! »208 et il l’avait fait par des signes et d’étonnants miracles lors de sa naissance et lors de sa crucifixion — et c’est pourquoi son témoignage est véridique. Et quand il dit ailleurs que « si je me rendais témoignage à moi-même, mon témoignage ne serait pas recevable »204, alors que faire de tant d’autres passages où il dit lui-même — et plus d’une fois — que « Je suis la lumière »209, que « Je suis le pain de la vie »210, et (en s’adressant à la Samaritaine et à l’aveugle210a) : « Je le [le Messie] suis, moi qui te parle. »211 Et puis il s’était plus d’une fois proclamé Dieu et l’égal du Père, en disant : « Moi et le Père nous sommes un » 212 et puis « Tout ce que possède mon Père est à moi. »213 Et pourtant il dît ici : « Si je me rendais témoignage à moi-même, mon témoignage ne serait pas recevable. »204

Mais si son témoignage n’est pas recevable, alors quel espoir du salut pouvons-nous avoir ? Or, il parle ainsi à cause des Juifs, car les Juifs voulaient le confondre en disant : « Tu te rends témoignage à toi-même ! Ton témoignage

95

Page 96: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

n’est pas recevable ! »214 Et c’est pour leur répondre que le Christ a dit : « Si je me rendais témoignage à moi-même, mon témoignage ne serait pas recevable ; c’est un autre qui me rend témoignage. [...] Vous avez envoyé une délégation auprès de Jean et il a rendu témoignage à la vérité. »215 Alors les Juifs envoyèrent leurs hommes chez Jean le Baptiste pour le questionner au sujet du Christ et il leur répondit en ces mots : « l’a i vu et j’ai témoigné que cet homme est vraiment le Fils de Dieu »215a et « Celui qui croit au Fils aura la vie éternelle, et celui qui n’obéit pas au Fils ne verra pas la vie. »216 Et il y a beaucoup d’autres choses que Jean le Baptiste a dites à ces Juifs au sujet du Christ. Après quoi, le Christ a dit ce qu’il a dit aux Juifs : « Vous êtes allés voir Jean et vous avez vous-mêmes trouvé son témoignage recevable, et vous l’avez mieux écouté que vous ne m’avez écouté moi. C’est pourquoi je vous dis selon votre propre raisonnement : si mon témoignage n’est pas recevable, au moins ayez honte devant le témoignage de Jean Baptiste, chez qui vous êtes allés vous-mêmes comme chez un témoin digne de confiance, et que vous avez vous-mêmes trouvé recevable. J’ai trois témoins pour moi : mon Père, mes actes et Jean — et tous les trois témoignent en ma faveur, bien que, d’après votre raisonnement, mon témoignage ne soit pas véridique. »217 Et il y a beaucoup d’autres passages de ce genre dans les évangiles, des passages qui semblent contradictoires mais qui sont en fait parfaitement concordants.

Les bienheureux apôtres écrivent de la même manière. Par exemple, Pierre, le suprême apôtre, dit : « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. »218 Le grand apôtre Paul dit quelque chose de similaire : « ...gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec..."219

Plusieurs trouvent que c’est là une bien étrange contradiction : comment se fait-il que ces apôtres, qui ont eux-mêmes renié la foi juive et aboli la foi grecque, qui ont entrepris tant de travaux, qui ont souffert tant de malheurs et de persécutions qu’on ne saurait les dénombrer, qui ont finalement versé leur sang et donné leur vie pour amener les Juifs et les Grecs à croire en Christ, et pour abolir ainsi la foi grecque et juive — comment se fait-il donc que ces mêmes apôtres disent d’abord que « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui »218 et ensuite « ...gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec... »219 Mais si cela est ainsi, alors pourquoi le bienheureux Pierre dit-il : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en lui... »220 et « car aucun autre nom sous le ciel n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut »221

aucun nom autre que celui de notre Seigneur Jésus Christ ; tous les prophètes en témoignent et disent que tout homme qui croit en lui aura droit en son nom à la rémission des péchés.222 Mais alors, comment se fait-il que ce même apôtre dise ensuite : « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. »218

96

Page 97: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Comment peut-on concilier ces propos ? Car il a dit d’abord : « II n’y a aucun salut ailleurs qu’en lui... »220 et « car aucun autre nom sous le ciel n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut »ni et maintenant il dit : « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. »218 Mais s’il est vrai « qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. »218, alors pourquoi n’a-t-il pas laissé Corneille et ses compagnons demeurer dans leur foi, puisqu’ils craignaient Dieu et étaient plus justes que tous les hommes, au lieu de les baptiser dans le nom de Jésus Christ — et cela même s’ils étaient justes et avaient la crainte de Dieu ? Car si un homme juste de n’importe quel peuple pouvait vraiment être agréable à Dieu, alors pourquoi notre Seigneur Jésus Christ aurait-il dit à ses saints disciples : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit »223 — car « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. »224 Tu vois comment il le dit : « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné »224 et il leur ordonne d’enseigner tous ses commandements et pas seulement de baptiser. Et il a dit ensuite : « Nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. »225

Alors comment cela se pourrait-il qu’un homme juste de n’importe quel peuple soit agréable à Dieu ? Car chez les autres peuples, il n’y a pas de naissance de l’eau et de l’Esprit ; les Juifs ont la circoncision, les Grecs font des vœux aux idoles. Alors comment cela se pourrait-il qu’un homme juste de n’importe quel peuple soit agréable à Dieu ?

C’est que lorsque l’apôtre Pierre dit qu’un homme juste de n’importe quelle nation est agréable à Dieu s’il le craint, il parle ici de tous ceux qui vivaient avant l’incarnation, la crucifixion et la résurrection du Christ, c’est-à-dire des hommes tels que Corneille et ses semblables qui, Juifs ou Grecs, étaient justes, avaient la crainte de Dieu et n’adoraient pas les idoles mais le vrai Dieu. Mais après l’incarnation du Christ, après sa crucifixion et sa résurrection, il ne pouvait plus y avoir d’autre nom sous le ciel qui pouvait nous donner le salut que celui de notre Seigneur Jésus Christ, comme le Seigneur le dit dans le saint évangile : Celui qui ne renaîtra pas de l’eau et de l’esprit dans le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, celui-là ne pourra pas trouver le salut226 — fût-il le plus vertueux de tous les hommes. L’apôtre Pierre l’a montré quand il a baptisé Corneille, dont la vertu avait été attestée par Dieu lui-même. Or, comme on l’a déjà dit, Pierre parlait de ceux qui vivaient avant l’incarnation du Christ et avant sa crucifixion et sa résurrection ; et il l’a dit à l’occasion suivante : alors que les Juifs interdisaient aux apôtres de baptiser ceux qui n’étaient pas circoncis, la sainte toile est apparue à Pierre dans le ciel et lui révéla ce qu’il devait répondre aux Juifs, c’est-à-dire que tout homme qui craint Dieu et agit avec justice est agréable à Dieu. Sauf que c’était avant l’incarnation du Christ que la crainte de Dieu et une vie

97

Page 98: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

juste étaient suffisantes pour plaire à Dieu, et maintenant, en plus de cela, il faut aussi être baptisé pour lui être agréable.

Or si quelqu’un demande si un homme qui ne craint pas Dieu et n’agit pas avec justice peut être admis au baptême, la réponse est non : un homme qui n’a pas la crainte de Dieu et qui n’agit pas selon la vérité ne peut être admis au baptême. Par contre, il suffit qu’un homme, qui ne mène pas encore une vie juste, veuille se faire baptiser pour qu’il trouve la crainte de Dieu et la justice, car en acceptant le baptême il a renié Satan et tous ses actes et s’est remis au Christ et à ses saints, et cela le rend juste et pieux. De sorte que quand le suprême apôtre Pierre dit que tout homme qui craint Dieu et agit avec justice est agréable à Dieu, il veut dire par là qu’aujourd’hui on plaît à Dieu par le baptême qui est les prémices d’une vie vertueuse, et qu’avant l’incarnation du Christ c’était par la crainte de Dieu et par une juste vie.

De même, quand le grand apôtre Paul dit : « ...gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec... »219, il le dit de ceux qui vivaient avant l’incarnation du Christ et qui faisaient le bien. Mais maintenant, c’est-à-dire après l’incarnation du Christ, cela n’est plus pareil : gloire, honneur et paix au Juif et au Grec et à tout homme qui fait le bien et qui croit en Christ et qui a accepté le seau de son baptême, comme le dit le bienheureux Paul : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ »218 et « il n’y a plus ni Juif, ni Grec [...] vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. »228 Et il dit ensuite : « ...s’il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs — il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes »229 et « il y a un seul Corps et un seul Esprit. »230 Toute chose se fait par lui et nous sommes en lui. Ceux qui acceptent ces principes ont droit à la paix et à la faveur de Dieu ; et ceux qui contredisent ces propos, l’apôtre en dit ceci : « Mais si quelqu’un, même nous ou un ange du ciel, vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! »231 Or les Juifs et les Grecs s’opposent à tout cela dans leurs discours et dans leurs actes, et ils insultent la croix du Christ, et ils ne croient pas en sa résurrection. Alors comment se fait-il que Paul ait dit : « ...gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec... »219 D’autant plus qu’il dit des Grecs : « Ne vous y trompez pas ! ni les débauchés, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les pédérastes de tout genre...n’hériteront du royaume de Dieu. »232 Et puis il dit des Juifs : « ...l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ... »233 et « Christ a payé pour nous libérer de la malédiction de la loi »234, « car si, par la loi, on atteint la justice, c’est donc pour rien que Christ est mort. »235 Et il dit aussi : « Tenez donc ferme et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage. Moi, Paul, je vous le dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien. »236 Et pourtant il avait dit tantôt : « ...gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec... »219 Mais s’il a dit cela, alors pourquoi a-t-il laissé Alexandre et

98

Page 99: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Hyménée237, qui ont renié la foi en Christ, à la disposition de Satan ; pourquoi a-t-il aveuglé Mime qui voulait détourner Antipatre de la foi en Christ ?238 Il est donc clair qu’il parle ici de ceux qui vivaient avant l’incarnation du Christ et qui craignaient Dieu et ne servaient pas les idoles. Et c’est de ceux-là aussi qu’il a dit : « Quand des païens, sans avoir de loi, font naturellement ce qu’ordonne la loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes, eux qui n’ont pas de loi. »239

Maintenant que je vous ai parlé, brièvement, de ces questions et que je vous ai présenté ces quelques passages des Écritures, l’on peut comprendre que ceux qui n’ont pas le bon sens des Écritures saintes les étudient en vain et n’y trouvent partout que l’incohérence, alors que ceux qui les examinent avec justice et sans en douter, ceux-là voient le parfait accord qui règne dans les deux Testaments.

SAINTS PÈRES

De la même manière, quand nos divins saints Pères parlent de la Trinité, leurs propos concordent parfaitement : qu’ils disent qu’Abraham a accueilli la sainte Trinité, trois anges ou encore Dieu4a accompagné de deux anges.240 Jean Chrysostome dit en effet que, comme Abraham avait un grand amour pour tous les hommes, il a eu la chance d’accueillir chez lui la sainte Trinité, et il leur lava les pieds, abattit un veau et leur prépara un repas. Et ensuite, ce même auteur dit qu’Abraham a accueilli chez lui, par hospitalité, Dieu avec deux anges ; et c’est lui encore qui dit après : « Le patriarche Abraham était assis devant sa porte et il attira chez lui ces passants, comme le pêcheur qui, lançant son filet dans la mer pour attraper des poissons, le retire rempli d’or et de perles : de même Abraham qui, guettant des hommes, attrapa des anges. » Tu vois ce que dit ce grand homme, digne émule des apôtres. Il parle d’abord de la sainte Trinité ; ensuite il parle de Dieu avec deux anges ; et puis il dit : Abraham a accueilli chez lui des anges. Saint Jean Damascène fait de même en disant d’abord : « La sainte et indivisible Trinité est invisible à nos yeux sensibles ; et c’est un miracle qu’elle ait daigné prendre refuge chez Abraham » ; et puis ce même auteur dit : « Abraham, qui avait pitié des mendiants, a eu la chance d’accueillir chez lui Dieu avec deux anges. » Et saint André de Crête dit : « Le patriarche a accueilli les anges près du chêne de Mambré. » Et saint Joseph l’Hymnographe dit : « Tu as vu de tes yeux, bienheureux Abraham, la sainte Trinité et tu lui donnas l’hospitalité, comme si tu étais son ami de toujours ! » Et il y a beaucoup d’autres passages de ce genre dans les écrits des saints pères inspirés par Dieu où l’on dit tantôt qu’Abraham a accueilli chez lui Dieu avec deux anges, tantôt qu’il a accueilli chez lui la sainte Trinité et tantôt qu’il a accueilli chez lui trois anges. Ceux qui n’ont pas l’intelligence du sens profond de ces écrits inspirés par Dieu disent qu’il y a des contradictions et des incohérences. Mais il n’en est rien et il n’en sera rien ! Ce qui se dit dans ces écrits développe une seule idée et a un seul sens.

99

Page 100: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Lorsqu’on y parle d’Abraham qui a accueilli chez lui la sainte Trinité, cette façon de parler est véridique et parfaitement juste, comme nous l’avons argumenté à plusieurs reprises au début de ce traité. Et lorsqu’on y parle d’Abraham qui a accueilli chez lui Dieu avec deux anges ou, simplement, des anges, cela est tout aussi véridique et tout aussi juste. Mais ces paroles ont été dites selon la sagesse et leur sens recèle un mystère, comme les Écritures le disent : « Mon mystère est pour moi et pour les miens. »241 Or les « miens » sont ici les saints de Dieu. Et c’est pourquoi les saints pères se gardent bien de ne rien inventer par eux-mêmes, mais suivent les Écritures où — entre autres choses — l’on appelle Dieu tantôt un ange, tantôt un homme. En effet quand le prophète Isaïe dit : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné »242, « de crème et de miel il se nourrira... »243 Il parle du Fils comme d’un homme. Et quand il dit : « On l’appellera Ange du Grand Conseil »244, il l’appelle un ange. Et puis quand il dit : « ...la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera la nom d’Emmanuel... »245, c’est-à-dire Dieu avec nous, là il le montre vraiment en tant que Dieu. Ainsi donc, il se trouve que le prophète parle du Fils de Dieu en l’appelant successivement « homme », « ange » et « Dieu ». Mais les saints pères savent très bien que l’essence, aussi bien que la nature, du Père, du Fils et du Saint-Esprit est la même, et c’est pourquoi dans les Écritures on appelle le Fils « Dieu » et « ange », et on le nomme « homme ». Or, c’est selon la même logique que les Écritures disent tantôt qu’Abraham a accueilli Dieu avec deux anges, tantôt que le patriarche a donné l’hospitalité à des anges et tantôt qu’il a accueilli chez lui la sainte Trinité.

Mais ce ne sont pas seulement les prophètes qui appellent le Fils respectivement « Dieu », « ange » ou « homme ». Dieu lui-même, en parlant de lui-même, se dit plus d’une fois « ange » et « homme », comme en témoigne le livre de la Genèse où il dit : « L’ange du Seigneur l’appela du ciel et cria : ”Abraham, Abraham...N’étends pas la main sur le jeune homme..., car maintenant je sais que tu crains Dieu...” »2406. Donc ici, il se dit ange. Et quand il dit : « ...toi qui n’as pas épargné ton fils unique pour moi »247, là il se montre en tant que Dieu. Et les Écritures disent encore : « L’ange de Dieu me dit en songe : ”Jacob,...j’ai vu ce que Laban te fait. Je suis le Dieu pour lequel, à Béthel, tu as oint une stèle...”  »248

Tu vois bien qu’il dit : « Je suis le Dieu... ». Les anges sont bien des créatures de Dieu, pas Dieu lui-même. Et comment un ange se nommerait-il lui-même « Dieu » ? Les saints anges savent comment Lucifer, Étoile du Matin, qui au commencement était source de lumière, devint ténèbres à cause de son arrogance, c’est-à-dire dès que la pensée lui est venue qu’il était comme le Tout-Puissant. Et la même chose est arrivée à Adam quand il a accepté le conseil du serpent qui a dit : « Vous serez comme des dieux »249, et c’est alors qu’il fut condamné à connaître la mort. Alors comment serait-ce possible qu’un ange se dise « Dieu » ? Un peu plus loin dans la Genèse, il est écrit : « ...Jacob resta seul. Un homme se roula avec lui dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore.

100

Page 101: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

[...] Jacob appela ce lieu Peniël — c’est-à-dire Face-de-Dieu — car ”j’ai vu [un ange250] Dieu face à face et ma vie a été sauve.” Le soleil se levait quand il passa Penouël. »251 Ainsi, quand il est dit au début : « un homme se roula avec lui... », il s’agit de l’apparition de Dieu sous une forme humaine. Et quand Jacob dit  : « J’ai vu un ange face à face », il s’agit de l’apparition de Dieu en tant qu’ange. Et quand il est dit : « Et le soleil se leva sur lui quand Face-de-Dieu s’en alla »252, il s’agit ici de la manifestation de Dieu en tant que Dieu. Du reste, cette lutte de Jacob avec Dieu est mentionnée dans toute une quantité de livres. Ainsi donc, Dieu apparut à Jacob sous la forme d’un homme et sous celle d’un ange.

En effet, il est écrit dans le livre des Juges : « L’ange du Seigneur apparut à cette femme et lui dit : ”Je sais que tu es stérile et que tu n’as pas d’enfant, mais tu vas concevoir et enfanter un fils.” [...] Puis la femme rentra chez elle et dit à son mari...Alors Manoah implora le Seigneur et dit : ”...que l’homme de Dieu...vienne encore vers nous...” [...] et l’ange de Dieu vint encore vers la femme. »253 « Et Manoah insistait pour qu’il mange du pain, et il s’apprêtait à lui préparer un bouc, car il croyait que c’était un simple humain. Mais l’ange lui dit  : « Je ne mangerai pas de ton pain, je suis moi-même le pain de la vie. »254 Quoi de plus véridique que ces témoignages, surtout que le Fils de Dieu aussi dit de lui-même dans les Évangiles : « C’est moi qui suis le pain de vie. »255 De sorte qu’ici nous avons un soi-disant ange qui est en fait le Fils de Dieu, car lui aussi a dit : « C’est moi qui suis le pain de la vie. »255 Et les Écritures disent ensuite : « Manoah dit à sa femme : ”Nous allons sûrement mourir, car nous avons vu Dieu.” »256 Ainsi, Dieu s’est manifesté dans cet épisode d’abord sous une forme d’homme et puis en tant qu’un ange. On trouve beaucoup de passages semblables dans les Écritures saintes où Dieu apparaît capable de se faire ange et d’être nommé homme.

Compte tenu de tout cela, les saints pères qui sont nos maîtres ont parfaitement raison de dire tantôt qu’Abraham a accueilli chez lui la sainte Trinité, tantôt qu’il a accueilli chez lui Dieu avec deux anges et tantôt que le patriarche a donné l’hospitalité à des anges : toutes ces appellations sont vraies. Car si ce n’était pas le cas, comment ces saints pères, qui ont la connaissance des divins mystères, auraient-ils osé contredire les Écritures, puisque les Écritures disent : « Le Seigneur apparut à Abraham »257, alors qu’eux parlent tantôt d’anges qui sont apparus à Abraham, et tantôt ils disent que c’était Dieu avec deux anges, et puis ils parlent de ce que la sainte Trinité est apparue à Abraham. Mais n’est-il pas évident qu’il s’agit ici des manifestations de Dieu tantôt en tant que Dieu, tantôt en tant qu’ange et tantôt en tant qu’homme ? Du reste, l’ange ne peut se dire Dieu puisque Dieu est apparu à Abraham.

Ne sois pas surpris que Dieu puisse se manifester lui-même sous la forme humaine et sous la forme d’un ange ; ni qu’il apparaisse non seulement aux pieux et aux justes, mais également aux pécheurs et aux infidèles auxquels il

101

Page 102: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

s’est montré plus d’une fois, comme en témoigne, par exemple, le livre de la Genèse. Il y est dit en effet : « Dieu vint trouver Abimélek en songe pendant la nuit et lui dit : ”Tu vas mourir à cause de la femme...” [...] ”Rends maintenant à cet homme sa femme, car c’est un prophète qui intercédera en ta faveur pour que tu vives.” »258 Et il y est dit ensuite : « Dieu vint trouver de nuit, en songe, Laban l’Araméen, il lui dit : ”Garde-toi de ne rien dire à Jacob en bien ou en mal." »259 Et puis il est dit dans l’Exode : « Dieu vint auprès de Balaam pendant la nuit et lui dit : ”Si c’est pour t’appeler que ces hommes sont venus, vas-y, pars avec eux. Mais tu feras seulement ce que je te dirai.” »260 Et il y a beaucoup d’autres passages de ce genre dans les Écritures de sorte que, si Dieu se montre aux pécheurs et aux hommes impurs, alors quoi d’étonnant qu’il se montre aux saints et aux justes, lui qui est le Seigneur Dieu, l’organisateur de toutes les choses, qui est partout présent en personne et qui accomplit toutes les choses. Aussi, ne t’imagine pas que tous ces passages ont été insérés par besoin et qu’ils ne sont pas véridiques : en effet, Dieu s’est souvent montré aux justes et aux pécheurs, mais voici ce qui est tout aussi merveilleux : en ce faisant, il a su se confiner dans le buisson, dans le nuage, dans la tempête et dans la fumée. Moïse en témoigne dans sa prière où il dit : « Ne nous apparais pas, [Dieu] Généreux, dans le bruit des pierres et dans le son des trompettes, mais entre dans notre for intérieur et lave nos péchés. »261

Mais celui qui supporte la théorie des contradictions dirait encore que, si ce qu’on a dit est vrai, alors les anges en tant que tels n’apparaissent nulle part dans les Écritures, puisque Dieu lui-même se transforme en ange ou en homme et se manifeste partout sous ces formes. Or, écoute ceci avec intelligence : lorsqu’il s’agit de l’apparition de Dieu sous forme humaine ou sous celle d’un ange, les Écritures disent que c’est Dieu qui est apparu, en tant qu’ange ou en tant qu’homme, et les Écritures ne l’appellent pas ange. Et lorsqu’il s’agissait de l’apparition d’un ange en tant que tel, les Écritures ne l’appellent pas Dieu mais ange, comme en témoigne le livre de Genèse qui, en parlant de la vision de Jacob, qui a vu ce merveilleux escalier avec des anges qui le remontaient et le descendaient et avec Dieu assis dessus, ne dit pas que ces anges étaient le Seigneur. De même, quand Dieu est apparu à Balaam dans la demeure de ce dernier, les Écritures ne disent pas que c’était l’apparition d’un ange, et quand Balaam a vu un ange sur la route, les Écritures ne disent pas que c’était l’apparition de Dieu mais précisent que c’était bien un ange qui est apparu à Balaam. De même, Josué, fils de Noun, a vu l’ange du Seigneur et il ne dit pas que c’était Dieu ; et c’est bien un ange qui a transporté le prophète Habaquq à Babylone ; et c’est encore un ange qui a décimé 185 000 Assyriens ; et c’est l’archange Michel qui décida du corps de Moïse ; et Daniel a vu l’archange Gabriel et il ne dit pas qu’il a vu Dieu. Et il y a beaucoup d’autres passages de ce genre dans les Écritures.

Ainsi, donc, il faut comprendre que, bien que les saints hommes de Dieu de

102

Page 103: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’Ancien et du Nouveau Testament aient eu beaucoup d’ineffables visions parce qu’ils étaient éclairés par le Saint-Esprit, ils n’ont jamais pu apercevoir l’essence de la divinité et des choses invisibles, mais ces choses invisibles se manifestaient à eux — pour des raisons données et en tant qu’un don particulier de Dieu — dans le sanctuaire, en images ou sous forme d’énigmes. En effet, Dieu n’apparaît pas tel quel mais sous telle forme que le spectateur puisse le voir. C’est pourquoi il apparaît tantôt comme un vieillard, tantôt comme un jeune homme, tantôt dans le feu, tantôt dans le froid, tantôt dans le vent, tantôt dans les armes — sans jamais changer son être, mais en se montrant sous diverses formes que nous sommes capables de distinguer. Quant à l’ange, celui-ci se manifeste aussi sous diverses formes, selon le besoin et sur l’ordre de Dieu, mais il ne peut être appelé Dieu. De sorte que, lorsque tu entends parler de la diversité des manifestations de Dieu, ne t’imagine pas que la divinité a plusieurs formes : la divinité est incorporelle et foncièrement indescriptible ; et c’est pour notre utilité qu’elle nous apparaît dans des visions. Il est impossible pour l’homme de voir l’essence de Dieu, pas plus que celle de l’ange.

Ici s’arrête mon discours sur ces sujets.

Mais disons aussi quelques mots sur la question suivante. Les Écritures disent que la sainte Trinité est apparue à Abraham sous forme humaine, alors que les saints pères nous ont légué de la représenter sur les saintes icônes comme des êtres divins et royaux, comme des anges. Mais ils l’ont fait pour donner à ces représentations de la divinité plus d’honneur et plus de gloire. Ainsi, le fait que les divines personnes soient assises sur le trône symbolise leur royauté et leur majesté. Et les couronnes qui entourent leur saint front font référence au cercle, qui est le symbole de Dieu-principe-de-toutes-choses, car de même que le cercle n’a ni commencement ni fin, de même Dieu est sans commencement et sans fin. Et le fait que l’on représente les divines personnes avec des ailes laisse voir qu’elles sont des êtres célestes, qui se meuvent par eux-mêmes, qui s’élèvent vers les hauteurs, qui ne sont accablés de rien et qui ne sont pas liés aux choses de la terre. Et le sceptre qu’ils ont dans la main représente leur pouvoir, leur autorité et leur puissance. Voilà ce que signifie leur représentation en tant que des êtres divins, royaux et angéliques. En effet, tout ce qui se dit ou est écrit sur Dieu, se dit et s’écrit non pas selon la puissance et la majesté de Dieu, mais selon la faiblesse de ceux qui écoutent, ou encore — comme il a été dit — selon le besoin. De sorte que ceux, qui ont la chance d’avoir de telles visions, n’essaient pas d’analyser en profondeur ces mystères, mais croient avec crainte et respect.

Et nous aussi, nous croyons dans notre cœur et dans notre esprit et nous proclamons par notre langue et par des mots qu’en vérité Abraham a vu la sainte, indivisible et toute puissante Trinité, et c’est pourquoi nous la représentons sur les saintes icônes, et c’est pourquoi nous nous prosternons

103

Page 104: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

devant la divine et très pure image de la sainte Trinité, dont l’être est indescriptible, ineffable et inconcevable. Et nous proclamons que la divinité apparaissait — de par sa miséricorde et de par sa clémence illimitée — aux pères, aux prophètes, aux patriarches et aux rois, dans le sanctuaire et, selon le besoin, sous diverses formes. Et que telle qu’elle leur était apparue à l’époque, telle nous la représentons aujourd’hui sur les très vénérables icônes.

Devant cette icône, la terre se remplit de chants trois fois saints de louange en l’honneur de la tri-sainte, indivisible et vivifiante Trinité et cette image sensible élève notre esprit et notre pensée, par un grand désir et un fervent amour, vers son inconcevable prototype. Or, ce n’est pas la chose sensible que nous vénérons alors mais la beauté que nous pouvons contempler dans cette représentation de la divinité : car l’honneur fait à l’image est destiné à son prototype. Et ce n’est pas seulement ici-bas que nous sommes sanctifiés et illuminés par le Saint-Esprit lors de cet acte de vénération, mais nous recevrons une grande et ineffable récompense également dans le siècle à venir, quand le corps des saints sera plus brillant que le soleil : voilà pourquoi l’on honore et l’on embrasse avec amour l’indivisible être de la divinité représenté en trois personnes sur l’icône et pour quelle raison l’on prie devant cette image divine de la sainte et vivifiante Trinité, en remerciant le Père, le Fils et le Saint-Esprit — notre Dieu, auquel appartiennent la gloire, le pouvoir, l’honneur, l’adoration et la majestueuse beauté : en tout temps, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

128 NOTES

Joseph de Volokolamsk, Message à un iconographe, édité dans N. A. Kazokov, Ya. S. Lourié, Les mouvements hérétiques anti-féodaux dans la Russie du XIVe-XVIe siècles, #17, Moscou-Leningrad, 1955, pp. 320-373.

1. Le mot russe, ici traduit par se prosterner devant, est un calque du mot grec proskynein qui désigne l’action corporelle de se plier, de se mettre à genoux, de s’étendre à terre devant quelqu’un ou quelque chose. Voici le sens premier du terme. Mais puisque l’on peut se prosterner pour plusieurs raisons, le mot en lui-même n’est pas assez précis pour rendre le sens théologique de ce texte. Il est étonnant que l’auteur n’ait pas reproduit en russe la distinction en grec entre proskynésis, vénération offerte à des personnes ou à des objets dignes d’honneur, et latreia, l’adoration offerte à Dieu seul. Bien que l’on puisse se mettre à terre devant Dieu, un homme ou un objet, le geste corporel étant identique devant les trois, la signification du geste n’est pas la même. Nous avons donc gardé l’ambiguïté du russe et du grec en nous servant de se prosterner devant tout en nous rendant compte qu’adorer est la traduction précise de se prosterner devant Dieu tandis que vénérer traduit se prosterner devant un homme ou un objet. 2. Il faut comprendre « l’ère du Nouveau Testament ».

104

Page 105: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

3. Par le mot désignant « le temple où sont célébrés les mystères chrétiens », autrement dit, « église », l’auteur nomme tout édifice sacré, que ce soit la tente de la rencontre de Moïse, le temple de Salomon ou une église chrétienne. Ce manque de précision dans le vocabulaire est un peu déconcertant ; nous avons donc traduit le mot « église » avec plus de précision par « temple », « tente de la rencontre » ou autres mots appropriés selon le contexte. 4. Il faut comprendre « évêques » ou « prêtres », ceux qui bénissent. 4a. Ici, et ailleurs dans le texte, l’auteur désigne le Christ par le mot Dieu. Ce dernier a plusieurs significations dont le contexte précise l’interprétation : 1) l’Être divin, 2) le Père, 3) le Verbe, le Fils avant l’incarnation, 4) le Saint-Esprit, 5) la Trinité, 6) le Fils après l’incarnation, c’est-à-dire Jésus Christ, 7) comme adjectif, divin. 5. Ps 38, 13-14, traduction française de la Septante : Les Psaumes : Prières de l’Église, Placide Deseille, trad., Paris, YMCA-Press, 1979. Toutes les citations des psaumes seront désormais prises de la Septante puisque l’auteur lui-même travaillait à partir d’une traduction slavonne de la Septante. S’il y a d’autres sources, elles seront indiquées. 5a. Pour cette dernière phrase du Ps 38,15 (« Épargne-moi, afin que je trouve le lieu du rafraîchissement, avant que je ne m’en aille et ne sois plus. »), l’auteur cite sa propre version. Ici, comme pour presque toutes les citations bibliques, il reproduit plus ou moins bien le texte. Il se peut qu’il cite de mémoire, pas toujours de manière fiable. Cependant, dans l’ouvrage, l’auteur suggère qu’il a, contrairement à d’autres, une bonne bibliothèque sous la main. 6. Ex 20, 4-5a. Pour les textes autres que les psaumes où la version de l’auteur ne diffère pas de la TOB, nous citons cette dernière. 7. Tel qu’écrit, ce texte ne se trouve pas ; peut-être est-il une compilation de plusieurs textes ; Ex 20, 5b : « Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas. » 8. Référence incertaine. 9. Jusqu’à ce point, la façon dont l’auteur se sert du mot idole ne cause aucun problème de compréhension puisque ce terme garde sa signification première d’ » image matérielle prise comme un faux dieu ». Mais le mot idole dans l’expression « aucune idole sinon celle qui est décente » étonne. Comment un chrétien peut-il considérer une idole, quelle que soit sa forme, comme « décente » ? Toute idole, par définition, est indécente. La source du problème se trouve dans une autre imprécision de vocabulaire. Lorsque le mot idole se trouve dans le 2e commandement ou dans un contexte désignant une image matérielle prise comme un faux dieu, il véhicule sa signification normale et restreinte. Utilisé, pourtant, dans un contexte où on veut indiquer un sens général et large, tel qu’exprimé par image ou forme, la traduction idole n’a pas du tout sa place. Alors, nous traduisons idole quand le sens est restrictif et image quand le sens est général. Le manque de précision chez notre auteur dans son vocabulaire sur l’importante distinction entre idole et image est néanmoins surprenant.

105

Page 106: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

10. Ex 25,40 ; voici un texte semblable, Ex 26, 30 : « Tu dresseras la demeure d’après la règle qui t’a été montrée sur la montagne. » 10a. Référence incertaine. 11. Une citation du Nouveau Testament où Jésus invoque l’Ancien Testament ; Mt 4, 10 : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte. » Dt 6, 13 : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu craindras, c’est lui que tu serviras. » 12. Version approximative du Ps 103 1-2 de la Septante : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, Seigneur mon Dieu, tu as été grandement magnifié ; tu t’es enveloppé de louange et de splendeur, tu as jeté sur toi la lumière comme un manteau, tu as déployé le ciel comme une peau. » 13. Ex 33, 10. 14. Ps 5, 2 et Ps 5, 8. 15. Telle quelle, la référence est incertaine ; peut-être Ps 106, 42 : « A cette vue, les hommes droits se réjouissent, et toute injustice ferme la bouche. » 16. Ps 98, 5. 17. Is 66, 1. Il semble que l’auteur attribue ici à David les paroles du prophète Isaïe. 18. Nous n’avons pas pu trouver cette référence dans les écrits d’un autre prophète ; tous les autres passages qui mentionnent l’ » escabeau », le « marchepied » ou le « piédestal » de Dieu se trouvent dans les écrits d’Isaïe ou dans les psaumes de David. 19. Lm 2, 1. 20. Nb 8, 9. 21. Ex 25, 8. 22. Ex 40, 1-4. 23. I S 4, 22. 24. 2 S 6, 20. 25. Za 9, 14. 26. Référence incertaine, peut-être d’Is 24, 15 : « On glorifie le Seigneur à l’Orient, le nom du Seigneur, Dieu d’Israël, dans les îles de la mer. » 27. Référence incertaine, peut-être d’Is 59, 19 : « Alors on craindra, depuis le couchant, le nom du Seigneur... » 28. Référence incertaine, peut-être du Ps 47, 2-4 : « Grand est le Seigneur, et très digne de louange, dans la ville de notre Dieu, sur sa sainte montagne ; solides sont ses assises, pour la joie de toute la terre. Le mont Sion, du côté de l’Aquilon, est la cité du grand Roi, Dieu se fait connaître dans ses citadelles... ». Peut-être du Ps 48, 3-4 : « Belle et altière, elle réjouit toute la terre. L’Extrême-Nord, c’est la montagne de Sion, la cité du grand roi. Dans les palais de Sion, Dieu est connu comme la citadelle. » 29. Ba 1, 10-12. 30. Da 3, 38.31. Is 44, 28-45, 1. 32. Za 4, 9.

106

Page 107: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

33. Ag 2, 9. 34. 1 R 9, 3. 35. Ps 17, 7. 36. Es 10, 1. 37. Ps 28, 2. 38. Ps 63, 2 et 5. 39. Jn 2, 8. 40. Ex 40, 33-37 et Lv 1, 1. 41. Ex 20, 23. 41a. Ex 32, 4. 42. Référence incertaine. 43. Ps 105, 36-37. 44. Ps 113, 12-15. 45. Is 19, 19. 45a. L’auteur fait un grand saut : une stèle n’est pas tout à fait la même chose qu’une icône. Rien n’exige qu’une stèle porte une image. 46. Référence incertaine. 47. Ps 115, 6. 48. Ps 88, 8. 49. Sg 5, 15. On attribue traditionnellement la Sagesse à Salomon, comme toute la littérature sapientielle, et non à Isaïe. 49a. Jn 15, 14. 49b. Mt 10, 40. 49c. Mt 5, 13-14. 49d. Lc 10, 16. 49e. Jn 12, 26. 50. Ez 9, 5. 51. Ps 59, 6. 52. La référence telle que citée ici est incertaine. 53. Ceci est une paraphrase de la sainte Cène : Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 15-20. 54. Gn 1,3. 55. Ps 32, 6. 56. Référence incertaine. 57. Lc 1, 34. 58. Lc 1, 35. 59. Jn 6, 55. 60. Jn 6, 57. 61. Is 6, 6-7. 62. 1 Co 11, 29. 63. 1 Co 11, 30. 64. Peut-être est-il un texte uni d’Ex 27, 1-8 et Lv 7, 6 ; telle que citée, elle est incertaine. 65. Mt 11, 11.

107

Page 108: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

66. Jn 12, 26. 67. Jn 15, 14. 68. Jn 15, 19. 69. Lc 10, 16. 70. 2 Co 6, 16 cite l’Ancien Testament : « Au milieu d’eux, j’habiterai et je marcherai, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Lv 26, 12) et « Ma demeure sera auprès d’eux ; je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. » (Ez 37, 27). 71. Référence incertaine. 72. 1 Co 6, 19. 73. Les enfers, au pluriel, désignent le lieu des morts ; l’enfer, au singulier, l’état de damnation éternelle. 74. Jn 11, 26. 75. Référence incertaine ; voir note #20. 76. 1 Sa 3, 3. 77. 1 R 6, 14. 78. 2 Sa 7, 13. 79. La citation est de Mt 16, 18 : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église... » ll est un peu étonnant de constater que cet auteur interprète la « pierre » sur laquelle le Christ bâtira son Église comme Pierre lui-même au lieu de la foi de Pierre. Cette dernière, la foi de Pierre, est la compréhension orthodoxe traditionnelle tandis que la première est plutôt l’exégèse catholique romaine. 80. Ac 8, 1. 81. Ac 12, 5. 82. Référence incertaine, peut-être d’Is 24, 15. 83. Référence incertaine. 84. Gn 2, 8. 85. Mt 24, 27. 86. 1 Co 3, 16. 87. 2 Co 6, 16. 87a. 2 Co 6, 16. 88. Jn 14, 23. 89. 1 R 9, 4-7. 90. Mt 27, 25. 91. Mt 25, 21. 92. Jn 12, 26. 93. Gn 33, 3. 94 Gn 47, 31 ; l’auteur cite une vieille version grecque reprise en Hb 11, 21. La version rituelle est celle-ci : « ...Israël se prosterna au chevet de son lit. » 95. Gn 42, 6. 96. Nous n’avons pas pu trouver une référence à ce personnage (Ophor ou Othor) ; voir peut-être Ex 34, 8. 97. Lv 19, 18.

108

Page 109: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

98. Jn 13, 34. 99. Jn 13, 35. 100. Référence incertaine. 101. Référence incertaine. 102. Lc 6, 27. 103. Ps 4, 5, repris en Lc 4, 26. 104. Mt 18, 17. 105. Mt 18, 9. 106. Ep 5, 11. 107. Référence incertaine. 108. Ti 3, 10. 109. Référence incertaine. 110, 1 Pi 2, 17. 111. Ep 6, 5. 112. Mc 12, 16. 113. Lc 13, 32. 114. Référence incertaine. 114a. Les mots personne, du latin, et hypostase, du grec, sont des synonymes qui désignent le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La Tradition ecclésiale s’en sert pour nommer ce qui est triple et différencié dans la Trinité. Par contre, les synonymes nature, essence et substance désignent ce qui est commun entre les personnes. 115. Jn 8, 12. 116. Jn 16, 15. 117. Jn 14, 9. 118. Jn 14, 11. 119. Jn 15, 26. 120. Jn 14, 15-16. 121. Jn 14, 25-26. 122. Jn 7, 19 et 8, 37 : pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » L’auteur a ajouté « comme un homme » qui n’est pas dans le Nouveau Testament. 123. Jn 20, 22. 124. Jn 16, 7. 125. Jn 20, 23. 126. Is 11, 1-2 : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. » 127. Ac 1, 8. 128. Ac 1, 32-33. 129. Jn 14, 28. 130. Référence incertaine ; peut-être Jn 1, 48 : « Voici un véritable Israélite en qui il n’est point d’artifice. » C’est plutôt le Christ qui parle de Nathanaël et non un prophète de l’Ancien Testament.

109

Page 110: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

130a. Le début de l’anaphore de la liturgie de saint Jean Chrysostome. 131. Ps 129, 1. 132. Ps 119, 1. 133. 2 Co 1, 10-11. 134. Ac 13, 5. 135. Mt 11, 28. Le je ici est le Christ qui parle de lui-même ; notre auteur dit que c’est l’Église qui parle d’elle-même. 136. Référence incertaine, peut-être Pr 1, 13 : « Nous trouverons toutes sortes de biens précieux. Nous remplirons nos maisons de butin. » 137. Mt 6, 25 et 32. 138. Ex 14, 15. 139. Ac 10, 4. 140. Gn 1, 3. 141. Sentons-nous ici l’odeur d’une certaine philosophie platonique où l’homme est conçu comme une âme emprisonnée dans un corps ? 141a. Qo 9, 2. 142. L’auteur rejette toute idée de purgatoire. Il est catégorique sur cette question et il s’apparente donc au discours de certains réformateurs qui répandront sous peu leurs idées dans l’Europe occidentale du XVIe siècle. Il serait intéressant d’entendre son explication des prières pour les défunts qui sont une partie intégrante de la lex orandi de l’Église orthodoxe. 143. Le plus haut degré du clergé orthodoxe marié. 143a. En réalité, il y a trois interprétations patristiques des visiteurs : 1) trois vrais anges, 2) le Christ et un ange de chaque côté, et 3) trois anges/hommes/personnages qui représentent typologiquement et allégoriquement les trois Personnes de la Trinité. (L. Thunberg, « Early Christian Interpretations of the Three Angels in Gen. 18 », Studia Patristica VIII (« Texte und Untersuchugen »), 1966, pp. 560-570.) Notre auteur a raison de condamner les hérétiques pour leur refus de peindre l’Hospitalité d’Abraham, mais il est bien orthodoxe de dire que le visiteur du milieu préfigurait le Christ et que les deux autres étaient des anges. Eusèbe de Césarée indique que c’est cette interprétation christologique qui fut peinte sur une image à Mambré à son époque : « Ceux qu’Abraham a accueillis sont assis, l’un de chaque côté de celui qui au milieu les dépasse en honneur. Ce dernier est notre Seigneur et Sauveur... » (La Démonstration évangélique V, 9 ; voir une traduction anglaise par W. J. Ferrar, Londres, SPCK, 1920, pp. 253-254) Notre auteur concède, un peu plus loin, que plusieurs interprétations sont possibles et bien enracinées dans la tradition patristique. 143b. L’auteur adopte ici la troisième interprétation, et comme nous le verrons un peu plus loin, d’une façon étonnante. 144. Gn 18, 1. 145. Gn 18, 1-9. 146. L’auteur crée son propre texte continu à partir de plusieurs passages : Hb 1, 3 ; 1, 13 ; 4, 14 ; 8, 1.

110

Page 111: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

147. Hb 1, 7-9 qui cite Ps 103, 4 & Ps 44, 7-8. 148. Ps 92, 2. 149. Ps 103, 4. 150. Ps 109, 4, cité par Hb 7, 17. 151. Hb 9, 11-13. 152. Ps 109, 1. 153. Référence incertaine. 154. Ps 109, 3. 155. Référence incertaine. 156. Référence incertaine. 157. 1 Co 2, 10. 158. Ps 103, 30. 159. Jb 33, 4. 160. JI 3, 1. 161. Is. 48, 16. 162. Référence incertaine. 163. Référence incertaine. 164. Hb 1, 13 qui cite Ps 109. 165. Gn 18, 8-10. La traduction française reproduite ici suppose que les trois ont posé la question à Abraham, « Ils mangèrent et lui dirent... ». La Bible de Jérusalem traduit de la même façon. L’auteur, par contre, cite une traduction slavonne de la Septante grecque : « Le Seigneur demanda à Abraham : ”Où est ta femme Sara ?” Abraham répondit : ”dans la tente.” Et le Seigneur lui dit : ”Ta femme Sara donnera naissance à un fils à cette même heure [après son] temps.” » La Bible d’Alexandrie, une traduction française de la Septante, confirme le singulier : « Et lui se tenait à côté d’eux sous l’arbre. Il lui dit  : ”Où est Sara ta femme ?” » (La Bible d’Alexandrie I, Genèse, Paris, Les Éditions du Cerf, 1989) L’argumentation de l’auteur se fond ici sur le singulier de la Septante mais n’est pas grandement infirmée parce que le texte biblique, même en hébreux, est très équivoque sur l’identité et le nombre du ou des visiteur(s) mystérieux. 166. Gn 17, 15-17. 167. Gn 18, 16-17. 168. Gn 18, 18. 169. Gn 12, 3. 170. Gn 18, 33-19, 1. 170a. L’auteur prend une position très osée en disant que celui qui partit est Dieu le Père. Tout au plus, les pères ont dit que « le Seigneur » était une préfiguration du Christ. Dire que le Père s’est fait voir est extrêmement rare, plusieurs disant que Dieu le Père ne se fait voir, ne se manifeste qu’à travers le Fils. 171. Jn 8, 54. 172. Jn 15, 26. 173. Gn 1, 16. 174. Gn 11, 7. 175. Voici, nous avons précisément les trois interprétations contenues dans les

111

Page 112: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

textes patristiques. En défendant la tradition iconographique de l’Église, l’auteur élimine deux des traditions légitimes. 176. Il est malheureux que notre auteur cherche à supprimer les différences, les incohérences et même les contradictions par une cohérence forcée, qui n’est reflétée ni dans le texte biblique ni dans les écrits des pères. L’essence même d’un mystère est qu’il ne peut s’exprimer dans un langage logique et cohérent, voire scientifique. Il relève plutôt du langage poétique, imagé. 177. Traductrice : Le mot idée veut dire principe ou premier sens mais le mot russe peut également se traduire par chapitre. 178. Quant aux auteurs et aux références exactes de ces citations, peut-être écrites de mémoire, nous ne pouvons pas être plus précis. 179. Traductrice : Traduction littérale : « connaître le moment propice » ;

traduction possible : « connaître le contexte. » Voir la section « Nouveau Testament » (p.9), premières lignes du premier paragraphe : « le sens [de ces passages] varie selon le moment et selon l’inspiration du locuteur. » 180. Les idées de l’auteur sur l’exégèse laisse un peu à désirer. 181. Lv 1, 1-3. 182. Jr 6, 20a. 183. Is 56, 6-7. 184. Is 1, 11. 185. Is 1, 11-14. 186. Ps 95, 8. 187. Ps 39, 7. 188. Ps 49, 9. 189. L’auteur fait répondre Dieu ; ce n’est pas une citation biblique. 190. Référence incertaine, peut-être Ez 26, 13 : « Je ferai cesser le tumulte de tes chants et la voix de tes cithares ne se fera plus entendre. » 191. Qo 3,19-20. 192. Qo 6, 8 : « En effet, qu’a de plus le sage que l’insensé... ? » L’auteur transforme cette question en déclaration. Ainsi, il donne au texte un sens contraire à celui de l’auteur de Qo qui veut dire qu’il n’y a pas de différence entre le sage et l’insensé. 193. Qo 9,10. 194. Sg 3, 1. 195. Sg 5, 15-16. 196. Sg 5, 5 : « Comment donc a-t-il été admis au nombre des fils de Dieu et partage-t-il le sort des saints ? » L’auteur transforme la question, posée par les impies en voyant le salut du juste, en déclaration. 197. Qo 11, 9. 198. Qo 11, 10. 199. Qo 5, 17. 200. Qo 7, 2.201. Jn 5, 22. 202. Jn 8, 15.

112

Page 113: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

203. Jn 8, 14. 204. Jn 5, 31. 205. Is 9, 5. 206. Jn 12, 47. 207. Jn 5, 37. 208. Mc 9, 7. 209. Jn 9, 5. 210. Jn 6, 48. 210a. Jn 9, 37. 211. Jn 4, 26. 212. Jn 10, 30. 213. Jn 16, 15. 214. Jn 8, 13. 215. Jn 5, 31-33. 216. Jn 3, 36. 217. Jn 5, 31-47 ; l’auteur cite ce passage très librement en ajoutant des nuances qui ne sont pas dans le texte. 218. Ac 10, 34-35. 219. Rm 2, 10. 220. Ac 4, 12a. 221. Ac 4, 12b. 222. Une paraphrase de Ac 3, 17-21. 223. Mt 28, 19-20. 224. Mc 16, 16. 225. Jn 3, 5. 226. Une combinaison libre des textes déjà cités. 227. Ga 3, 27. 228. Ga 3, 28. 229. 1 Co 8, 5-6. 230. Ep 4, 4. 231. Ga 1, 8. 232. 1 Co 6, 9-10. 233. Ga 2, 16. 234. Ga 3, 13. 235. Ga 2, 21. 236. Ga 5, 1-2. 237. 1 Ti 1, 20. 238. Référence incertaine. 239. Rm 2, 14. 240. L’auteur semble accepter les trois interprétations telles que notées en note #143a. 241. Référence incertaine.242. Is 9, 5. 243. Is 7, 15.

113

Page 114: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

244. Is 9, 5 ; la TOB, « Merveilleux-Conseiller ». La Septante parle d’un messager/ange de grand conseil ». L’auteur se sert d’une traduction slavonne de la Septante. 245. Is 7, 14. 246. Gn 22, 11-12. 247. Gn 22, 12. 248. Gn 31, 11-13. 249. Gn 3, 5. 250. L’auteur substitue le mot ange pour le mot Dieu qui est dans le texte biblique ; même la Septante dit Dieu. 251. Gn 32, 25-32. 252. Le texte de l’auteur n’est pas tout à fait celui de la Bible. Il interprète le mot Peniél/Penouêl, Face-de-Dieu, comme un nom divin qui désigne Dieu lui-même. 253. Jg 13, 3-14. Jusqu’à cette phrase, l’auteur suit fidèlement le texte biblique, mais pour les versets suivants, il s’en écarte. 254. Voici le texte biblique, Jg 13, 15-16 : « Manoah dit à l’ange du Seigneur : ”Permets que nous te retenions et que nous t’apprêtions un chevreau.” L’ange du Seigneur dit à Manoah : ”Même si tu me retenais, je ne mangerais pas de ton pain, mais si tu veux faire un holocauste, offre-le au Seigneur” » 255. Jn 6, 34. 256. Jg 13, 22. 257. Gn 18, 1. 258. Gn 20, 3-7. 259. Gn 31, 24. 260. Nm 22, 20 ; l’auteur place ce passage dans le livre d’Exode, mais il se trouve dans le livre des Nombres. 261. Référence incertaine.

114

Page 115: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

JOSEPH VLADIMIROV ET SON TRAITÉ SUR L’ART

par E. S. Ovchinnikova

Joseph (Osip) Vladimirov (dates de naissance et de mort inconnues) apparaît pour la première fois dans les documents des années 40-60 du XVIle siècle en tant que peintre et illustrateur de la salle de l’Arsenal au Kremlin de Moscou. Nous avons très peu de renseignements sur sa vie. Vladimirov est issu d’une famille de petits commerçants de laroslavl où il a vécu de façon presque permanente. Dans l’une de ses requêtes des années 1653-1654, il se qualifie de « peintre-chef de la grande ville de laroslavl ». Mais dans les années 1660, il se dit peintre de Moscou. Les renseignements que nous avons sur son activité artistique sont encore plus minces. Celle-ci a débuté de toute apparence dans les années 40 du XVIIe siècle. Jusqu’aux années 1660, il a participé sans relâche à tous les grands travaux de décoration murale et de peinture au Kremlin commandés par le tsar. Ainsi en 1642-1644, ce sont les fresques de la grande cathédrale de la Dormition ; en 1652, c’est le début de la décoration de la cathédrale des Archanges ; en 1652-53, il a apparemment participé à la peinture des icônes et des fresques de l’église de la Trinité, rue des Nikitniki, dans la Cité-de-Chine à Moscou. En 1659, il a décoré les murs des églises cathédrales de Rostov le Grand. En 1660, à Moscou, il a travaillé les fresques, les icônes et les bannières dans les cathédrales du Kremlin et dans la salle de l’Arsenal. En ce temps-là, il habitait à Moscou dans la maison de son ami Ouchakov. Depuis cette époque, sa vie, sa carrière, ses recherches théoriques sont étroitement liées à la ville de Moscou.

Dans les années 60 du XVIle siècle, Vladimirov s’est vu affecté, en tant qu’illustrateur, à l’imprimerie de Moscou pour remplacer le graveur et l’illustrateur décédé Zacharie Loukine.1 Il y a occupé pendant cinq ans (1660-1664) le poste important de l’unique illustrateur titulaire de l’imprimerie, ce qui lui permettait de déployer sans contrainte sa prodigieuse créativité et de transformer de façon sensible la manière d’illustrer les livres publiés à cette époque à Moscou. Les sources historiques qui nous permettent de cerner la vie de Vladimirov jusqu’au temps de son travail à l’imprimerie de Moscou ne parlent pas de sa vie après cette époque.

Il n’est pas mentionné parmi les peintres appelés à Moscou en 1666 lors d’une nouvelle grande commande ; de toute apparence, il est déjà mort. Il est possible que son traité, écrit pour défendre la nouvelle direction dans l’iconographie, soit sa dernière œuvre.

En nous fondant sur ce document, nous pouvons affirmer que, dans les années 1665-1666, Vladimirov se consacrait entièrement à terminer son travail sur la

115

Page 116: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

théorie de l’art. Les années 60 ont marqué le pic de son activité théorique. Elles étaient aussi les années de son plus grand rapprochement avec Ouchakov. L’amitié de ces deux grands peintres-penseurs russes se fondait non seulement sur une affinité personnelle mais aussi sur l’unité de leur philosophie sur l’art qui a laissé une trace indélébile dans l’histoire de l’art russe du XVIle siècle.

Vladimirov était, comme nous l’avons déjà dit, issu d’une famille de petits commerçants de Iaroslav’. Nous savons que c’est dans ce milieu aux tendances démocratiques qu’on trouve une recherche particulièrement active et persistante de nouvelles formes du réalisme dans l’art, proches du folklore, et reflétant le renouveau populaire lié aux violentes insurrections des paysans et des petits commerçants, lesquelles ont marqué le XVIle siècle.

Parmi les travaux authentifiés comme appartenant à Vladimirov, signalons son dessin Le Christ Incréé gravé et imprimé à Vienne en 1663 avec l’inscription au verso en polonais : « Iconographe Joseph Vladimirov le moscovite »2. Ce dessin témoigne de nouvelles recherches dans la technique de représentation du visage humain, un sujet que Vladimirov discute abondamment dans son œuvre sur la théorie de l’art.

Nous possédons aussi l’icône La Descente du Saint-Esprit sur les apôtres (circa 1666), peinte par Vladimirov pour l’église de la Trinité, rue des Nikitniki à Moscou. La composition strictement verticale, soulignée par l’arrangement pyramidal du groupe central, avec la haute figure de la Mère de Dieu au centre entourée des apôtres qui sont placés en bas au premier plan, démontre des innovations qui sont ici très évidentes. On voit une approche nouvelle dans la manière de présenter l’architecture — comme un arrière-plan au théâtre. Cependant, malgré l’aspect décoratif de cette approche, on y retrouve une nouvelle façon de maîtriser l’espace. Le peintre n’a pas vraiment réussi a dépasser le caractère plat de la perspective particulier à l’iconographie et de trouver la bonne solution. Ceci est très évident dans sa manière de représenter le sol comme une sorte de plancher peint aux carreaux. Mais la nouveauté est surtout manifeste dans la manière audacieuse et vivante de peindre les figures humaines. Le peintre voulait donner de nouvelles poses et du mouvement aux apôtres assis, en mettant l’accent sur les gestes des mains. On voit du volume dans les corps et les plis des vêtements. Les couleurs de l’icône sont plus claires et vives. Ces nouveaux traits de l’iconographie de Vladimirov montrent qu’il commençait à se sentir plus libre face au dogme de l’Église et n’hésitait pas à s’écarter de la tradition.

Une autre nouveauté significative se trouve dans l’inscription du peintre au verso de l’icône sous forme d’une sorte de sceau, brûlé sur le bois avec une estampe de métal et qui dit : « Iconographe Joseph Vladimirov ». L’apparition de la signature du peintre sur une icône peut être liée à ses déclarations théoriques

116

Page 117: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

sur l’importance de la signature de l’artiste ou de son sceau sur ses œuvres. Une telle exigence est absolument nouvelle pour une théorie de l’art russe et soulève une question importante de la responsabilité du peintre face à son œuvre.

Les nouvelles tendances dans la pratique de l’art appelaient une justification théorique qui formulerait et affirmerait les nouveaux principes de l’art. L’un de ces traités théoriques du XVIle siècle s’intitule Traité sur l’art dans lequel l’auteur, Vladimirov, se montre défenseur déterminé et progressiste du renouvellement de l’art.

Le Traité s’ouvre sur un appel à Ouchakov et se subdivise en deux parties. Dans la première partie contenant trente-six chapitres sont brièvement énumérées les déclarations sur l’art des auteurs antiques. La deuxième partie est consacrée à la polémique de Vladimirov avec l’archidiacre serbe Jean Plechkovitch, lequel représentait la vue conservatrice sur l’art. Pour développer sa propre philosophie sur l’art, Vladimirov appuie souvent son point de vue en citant les écrits des anciens et en s’y référant.

L’écrit de Vladimirov est un rare exemple de la pensée théorique du XVIIe siècle en ce qu’il est composé à la hauteur des exigences scientifiques de cette époque, a une composition claire et est écrit dans une langue vive et imagée.

Vladimirov était l’un des hommes les plus cultivés de son temps. Si on se fie à la liste des sources qu’il a utilisées pour son traité, on peut facilement s’imaginer quels livres il avait sous la main pendant son travail. La mention d’un livre sur « les dessins géométriques » est particulièrement intéressante quand on connaît ses recherches dans le domaine de la perspective. Sa familiarité avec les cosmographies démontre son intérêt pour les progrès de la géographie après les grandes découvertes de l’époque. Vladimirov et ses contemporains ont pu avoir accès aux exemples de l’art de la Renaissance à travers la Bible illustrée de Piscator3 et autres beaux livres européens. Cela leur a ouvert de nouveaux horizons qui témoignaient des changements radicaux que subissait l’art.

En unifiant ses expériences de renouvellement dans l’art, Vladimirov était le premier en Russie à formuler une théorie de la nouvelle approche de la réalité qui a amené la sécularisation de l’art et le dépassement du schéma symbolique propre au Moyen Âge.

Mais Vladimirov a écrit le Traité sur l’art, qui critique la tradition iconographique, à l’époque où les formes religieuses de la pensée étaient encore intactes. Et pourtant, à travers une enveloppe extérieure, on voit ressortir de nouveaux et audacieux jugements sur l’art, l’exigence d’une approche plus totale de la vie et de l’homme réel, aussi une propagande du principe laïque de la peinture. Toutes ces recherches dans la philosophie esthétique étaient liées aux nouvelles

117

Page 118: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

tendances dans l’art de l’époque et ont certainement dû influencer la pratique contemporaine de la peinture en contribuant à préparer le terrain pour la formulation d’un art laïque et réaliste en Russie.

* * * * * * * * * * * * * * * * * *

Nous trouvons les premières mentions des écrits de Joseph Vladimirov en 1825 dans la description des manuscrits slavons du comte F. A. Tolstoï, où il est indiqué que dans l’un des manuscrits du XVIle siècle, il y a un « Message à l’iconographe du tsar Simon Théodorovitch de la part de Joseph. On croit que c’est un extrait d’un grand traité sur la bonne peinture des icônes »4. À part cette courte note, il n’y a pas d’indication sur l’existence d’autres copies du Traité. Il est possible qu’au début du XIXe siècle seul cet extrait de l’écrit de Vladimirov ait été connu.5 II n’y a rien ici qui laisserait deviner la familiarité de l’auteur avec le texte complet de l’écrit de Vladimirov ; il n’y a que la suggestion de la possibilité de l’existence de ce texte « sur la bonne peinture des icônes ». C’est dans cette note qu’a été formulé pour la première fois le titre qui restera associé à l’écrit de Joseph Vladimirov : Message à Simon Ouchakov.

Plus tard, A. Ch. Vostokov parlera d’un manuscrit du Traité de Vladimirov conservé au Musée de Roumiantzev.6

D. A. Rovinsky est le premier à citer diverses déclarations de Vladimirov sur l’art7 ; il utilisait une copie du manuscrit de la Bibliothèque Publique qu’il a fait faire pour I .E. Zabeline. En suivant l’exemple de K. Kalaïdovitch et P. Struve, il appelle cet écrit Message de l’iconographe Joseph à Simon Ouchakov. Il parle souvent de ce « curieux message » « sur la très sage technique de la peinture des icônes » dans son livre et démontre une connaissance approfondie du texte de Vladimirov. Rovinsky montre bien l’importance du Traité pour l’histoire de l’art russe, mais malheureusement il n’indique nulle part où se trouve le manuscrit en question ni le numéro de ce dernier.

Le manque de recherche sur cette question au milieu du XIXe siècle et de renseignements sur la vie de l’auteur du Traité est apparent dans ce que D. A. Rovinsky a commis deux erreurs relevées par G. D. Filimonov8. En premier lieu, dans son dictionnaire des peintres du XVIIe, Rovinsky nomme trois peintres différents : Joseph l’iconographe, Joseph Vladimirov et Osip Vladimirov9. Il estime que l’auteur du Traité est Joseph l’iconographe et ne se rend pas compte que les deux autres noms indiquent une seule et même personne [Osip est l’équivalent russe de Joseph]. Deuxièmement, il se trompe en disant qu’Osip Vladimirov était élève de S. Ouchakov10 : une erreur qu’on retrouvera souvent dans les recherches ultérieures sur l’histoire de l’art russe et même dans les travaux des chercheurs d’aujourd’hui.

118

Page 119: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Le mérite de la première publication des extraits du Traité de Vladimirov à partir d’une copie appartenant au comte Ouvarov revient entièrement à F. Bouslaev11. On trouve quelques précieux renseignements sur le travail de l’illustrateur de l’imprimerie de Moscou, Osip Vladimirov, dans le livre de V. E. Roumiantzev De l’art de la gravure et des graveurs12. Ce livre jette une lumière nouvelle sur la vie et l’œuvre de Vladimirov tout en soulevant le problème de l’identité de cet illustrateur Osip Vladimirov qui travaillait à l’imprimerie de Moscou dans les années 1660-1664 et qui avait quelque lien avec Joseph Vladimirov, l’iconographe du tsar, originaire de Iaroslav !, dont le dessin a servi de prototype à la gravure du Christ Incréé fait à Vienne en 1663.

On trouve la solution de ce problème dans l’écrit de G. D. Filimonov que nous avons déjà mentionné, « S. Ouchakov et l’iconographie russe de l’époque »13. Filimonov a réussi à identifier les trois noms différents mentionnés par D. Rovinsky à une seule personne : celle de l’iconographe Joseph Vladimirov. Un autre mérite du travail de Filimonov est sa tentative de déterminer la date de la composition du Traité, qu’il situe en 1664, alors que Vladimirov était illustrateur à l’imprimerie de Moscou. Troisièmement, Filimonov a complètement réfuté l’opinion de Rovinsky selon laquelle Vladimirov était disciple d’Ouchakov. Nous souscrivons aux arguments de Filimonov destinés à démontrer que Vladimirov était plus âgé qu’Ouchakov.

Malgré de nombreuses bonnes idées qu’on retrouve dans l’écrit de Filimonov, nous ne pouvons accepter l’interprétation idéologique qu’il donne à Vladimirov, particulièrement en ce qui concerne la relation de Vladimirov avec l’Occident. Filimonov qualifie cette dernière comme « une sympathie chaleureuse d’un peintre russe pour l’art de l’Occident »14. Après une étude approfondie du Traité, cette relation nous apparaît plus complexe.

L. N. Maïkov15, qui a écrit à la même époque que Filimonov, a fait une autre contribution significative à la découverte de la valeur du Traité. Lui aussi reconnaît Osip Vladimirov comme étant l’auteur du Message à Ouchakov et met en évidence le rôle formateur que cet écrit a joué dans l’histoire de l’art russe à l’époque des grands bouleversements dans cette histoire. Il voit Vladimirov comme un peintre novateur, qui a « créé de nouvelles tendances dans son art ». il met en valeur la lutte de Vladimirov contre l’obscurantisme et l’artisanat iconographique. Il était aussi le premier à remarquer la très grande influence des écrits de Vladimirov sur le Message circulaire du tsar datant de 1669 ainsi que sur les notes de Polotsky.

C’est donc dans les années 70 du XIXe siècle que Maïkov a reconnu l’importance de Vladimirov pour la pensée esthétique de son époque, mais l’opinion de Maïkov n’a pas été relevée par ses successeurs, avant ou après la Révolution de 1917. Nous ne savons pas si Maïkov avait eu entre les mains un manuscrit authentique du Traité ou s’il s’est contenté de suivre les renseignements fournis

119

Page 120: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

par Bouslaev. Maïkov ne mentionne aucun manuscrit du Traité.

Malgré ses tendances idéalistes, Bouslaev a montré ses qualités de chercheur consciencieux en analysant le Traité dans son Esthétique russe du XVIle siècle16

où on trouve un choix très convaincant d’extraits du Traité destinés à montrer la solidité de la base théorique des nouvelles tendances dans l’art russe. En même temps, les jugements de Bouslaev sur les innovations annoncées dans le Traité ne sont pas toujours très justes. Un exemple est la façon dont Bouslaev caractérise la relation de Vladimirov à l’Occident. Il sous-estime également l’importance pratique du Traité de Vladimirov pour l’art contemporain du XVIIe

siècle et l’influence qu’il a eue sur la philosophie esthétique de son époque 17. Bouslaev semble penser que le Traité n’est qu’une glorification des œuvres de Simon Ouchakov18.

Bouslaev suit Rovinsky en ce qu’il n’identifie pas Joseph, auteur du Traité, avec Osip Vladimirov, qui travaillait à l’imprimerie de Moscou.

Aucun des auteurs susmentionnés n’a touché à la question du destin du manuscrit originel de Vladimirov et n’a pas pris la peine de se pencher sur la question des rapports entre celui-ci et les copies qu’ils ont utilisées pour leurs recherches.

Nous trouvons la mention d’un autre manuscrit du Traité en 189119.

L’archimandrite Léonide20 mentionne la copie du Traité provenant de la collection des manuscrits du comte Ouvarov. Comme ses contemporains, il l’appelle Message à S. Ouchakov « sur la bonne peinture des icônes ». Dans sa description du manuscrit, Léonide se préoccupe surtout de la polémique de l’auteur avec le représentant du camp adverse, l’archidiacre serbe Plechkovitch. Ce dernier rejetait les icônes peintes dans le style nouveau et incitait le peuple à ne pas les vénérer. Nous relèverons la remarque suivante de Léonide : « Des extraits de cet écrit se retrouvent dans des recueils, mais il se rencontre rarement en entier. Le manuscrit présent est probablement le plus ancien. » Léonide, qui semble connaître le Traité à partir des extraits, ne trouvait pas nécessaire de s’intéresser à la question de la provenance de cette copie unique du Traité entier qu’il avait recensée dans la collection d’Ouvarov et ne donna donc aucune indication sur ses origines et son histoire.

En 1895, N. P. Sobko a publié le deuxième volume de sa vaste œuvre, Dictionnaire des peintres russes21, et nous y trouvons le peintre « Joseph l’iconographe » qui est présenté comme l’auteur du Message à S. Ouchakov. Nous y retrouvons aussi un disciple d’Ouchakov, « Joseph Vladimirovitch ou Vladimirov ». Ainsi, l’auteur du dictionnaire semble retourner aux opinions de Rovinsky et de Bouslaev, en passant par-dessus les recherches de Filimonov et

120

Page 121: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

de Maïkov. Il n’y a d’ailleurs aucune référence à leurs travaux dans la bibliographie de Sobko22. Cette solution plutôt simpliste du problème de l’identité du peintre induira en erreur nombre de chercheurs ultérieurs.

N. P. Likhachev a soulevé dans un article la question de la confusion entourant la mystérieuse identité de l’auteur du Traité.23

Likhachev commence par relever l’erreur de Sobko qui croit que Joseph l’iconographe est une autre personne qu’Osip Vladimirov, et qui attribue le célèbre Traité au premier des deux. Il déclare que Rovinsky et Bouslaev, tous les deux, commettent l’erreur de ne pas identifier « l’iconographe Joseph », auteur du Traité, avec Osip Vladimirov mentionné par Zabeline dans « Les documents » et « sur la gravure du Christ Incréé de 1663 ». Likhachev se réfère aux recherches de Filimonov, Maïkov et Grigorov dont les arguments lui paraissent décisifs. En analysant le texte du Message à Ouchakov, il arrive à la conclusion que ce dernier a été nécessairement écrit « à l’époque de Nikon ». Cela lui permet d’associer l’auteur du Traité aux données trouvées dans les sources des années 1660 et de le rapprocher donc de Simon Ouchakov. Likhachev conteste l’opinion de Rovinsky selon laquelle Vladimirov était disciple d’Ouchakov. Il démontre également de façon très convaincante que l’icône La Bonne Nouvelle de 162624 ne peut être attribuée à Vladimirov, auteur du traité sur l’iconographie, en se fondant sur l’observation que les premières mentions de l’iconographe Osip Vladimirov originaire de laroslavl dans les documents historiques datent de beaucoup plus tard. Après son étude du Traité et de l’œuvre de Vladimirov, ainsi que des archives, Likhachev est le premier à proposer une solution suffisamment argumentée du problème de l’identité de l’auteur du Traité sur l’art et réfute définitivement l’erreur selon laquelle Vladimirov était disciple d’Ouchakov.

I. E. Zabeline ne mentionne le Traité sur l’art de Vladimirov nulle part dans ses travaux et ce malgré le fait qu’il a beaucoup étudié le XVIle siècle. Cependant, dans son « Documents pour l’histoire de l’iconographie russe », il présente un certain nombre de sources qui font référence au travail de Vladimirov à l’Arsenal25. Zabeline ne pouvait, bien sûr, passer à côté d’une question aussi importante pour l’histoire de l’art russe au XVIle siècle : celle de l’apparition d’un premier écrit théorique sur l’art. On le voit en ce qu’en 1850 il a commandé à Rovinsky de lui faire une copie du manuscrit du Traité de Vladimirov conservé à la Bibliothèque Publique26.

Nous n’avons cependant trouvé aucune indication de la familiarité de Zabeline avec le manuscrit originel conservé à la Bibliothèque de Lénine. Nous n’avons pas non plus pu découvrir des traces de la familiarité de Zabeline avec la copie du Traité provenant de la collection du comte Ouvarov. Quant à Bouslaev, il n’avait probablement pas pu prendre connaissance de la copie du Traité que possédait Zabeline.

121

Page 122: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Nous avons des raisons de croire que Zabeline pensait publier en entier une des copies du manuscrit du Traité et c’est pourquoi il voulait qu’on lui en fasse une copie. Dans l’une de ses lettres à Zabeline (le 20 mai 1850), Rovinsky écrit  : « Publiez plus vite les documents sur l’iconographie. Mais attendez mon arrivée avant d’imprimer ceux d’Ouchakov... Je viens de copier Les Pensées sur la Peinture d’Ouchakov. »27 Est-ce que Rovinsky désigne ainsi le Traité de Vladimirov dont il vient de faire la copie pour Zabeline et qui à cette époque était considéré comme une apologie de l’art d’Ouchakov ? Ou bien est-ce une référence à l’écrit d’Ouchakov lui-même intitulé Discours à celui qui aime l’iconographie, dont un manuscrit se trouvait également à la Bibliothèque Publique ? Nous ne pouvons trancher sur cette question. Il reste hors de doute, cependant, que Zabeline et Rovinsky s’apprêtaient à publier un traité sur l’art provenant de la Bibliothèque Publique mais sans jamais pouvoir mener ce projet à bien.

À notre époque, le Traité de Vladimirov a été publié en traduction et en extraits dans le quatrième volume de la série Maîtres de l’art parlent de l’art28. Le texte publié est accompagné d’annotations. Ce début prometteur n’est pourtant pas exempt de défauts qui s’expliquent par un manque de profondeur dans l’étude de l’originel du traité et l’insuffisance des données sur l’auteur de cette œuvre rare.

Le titre donné à l’écrit de Vladimirov n’est pas très heureux non plus. Traité de l’iconographie réduit la portée de ce document dont le projet est beaucoup plus ambitieux. Les éditeurs ne trouvent même pas nécessaire de mentionner que le titre a été donné par eux, car le manuscrit originel n’a aucun nom et était connu jusque là sous le titre de Message à Simon Ouchakov.

I. I. Joffre, dans son intéressant travail de 1944 sur la « Renaissance Russe », met pour la première fois en évidence la nécessité historique qui a amené au XVIIe siècle à l’apparition des premières théories de l’esthétique fondées sur une perception sensible du monde, de la vue en tant qu’un organe des sens et non plus seulement sur la contemplation spirituelle29. Il explique donc l’apparition de ces traités par les circonstances historiques : le fait que la pensée religieuse du XVIIe siècle ait pris un tournant décisif vers le monde réel, et donc par la victoire des principes réalistes et humanistes. Joffre appuie ses arguments théoriques en citant des extraits des écrits sur la théorie de l’art du XVIIe siècle. Mais il perpétue la fâcheuse erreur d’attribuer le Traité à Simon Ouchakov sans expliquer sa position.

En 1953, Yu. N. Dimitriev publie un article intitulé « La théorie de l’art et les vues sur l’art dans les écrits de la Vieille Russie »30. Dans son article, qui constitue probablement un extrait d’un travail plus vaste, il montre de façon convaincante que dans la Vieille Russie, qui ne connaissait pas d’écrits spécialisés sur la

122

Page 123: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

théorie de l’art, des discussions sur l’art se rencontrent dans divers documents de l’époque et dans des chroniques. Il analyse ces jugements pour montrer la libération graduelle de la pensée théorique de l’emprise de la théologie, mais il ne parle presque pas du Traité de Vladimirov.

Une solution de compromis apparaît à cette époque dans les débats sur l’identité de l’auteur du Traité. Vladimirov est maintenant vu à la fois comme l’auteur du document et comme disciple d’Ouchakov. On ne sait pas trop pourquoi31. Les idées théoriques de Vladimirov sont amplement discutées par Yu. N. Dimitriev dans son introduction au volume VI de l’Histoire de l’art russe. En mettant en évidence les innovations dans la façon des peintres/penseurs du XVIIe siècle de voir le monde, Dimitriev déclare que « dans ses débats avec les défenseurs des traditions, Vladimirov démontre une vision nouvelle, plus réaliste, de la représentation artistique, une nouvelle idée de la ressemblance et de la beauté »32.

On trouve une première publication plus complète du Traité dans la série des documents de la pensée esthétique — en extraits et traduit en russe moderne — dans le volume Histoire de l’esthétique.33

L’analyse de l’écrit d’Osip Vladimirov ainsi que l’étude des documents des archives et de l’héritage artistique nous permettent d’affirmer que dans la première moitié du XVIIe siècle, il n’existait qu’un seul peintre russe, Osip ou Joseph Vladimirov, qui était d’abord iconographe à laroslavl et ensuite à Moscou, qui fut illustrateur à l’imprimerie de Moscou, auteur du Traité sur l’art et ami de Simon Ouchakov, et qui aimait se donner des noms variés tels que Osip, Os’ka, Joseph Vladimirov, iconographe Joseph, iconographe Joseph Vladimirov, et qui signait ses œuvres de tous ces noms.

* * * * * * * * * * * *

La version la plus complète du Traité sur l’art a été conservée en un seul exemplaire, une copie du XVIle siècle appartenant à la collection du comte Ouvarov (Musée de l’Histoire, #915). Une autre copie plus tardive qui s’y rapproche le plus est conservée à la Bibliothèque Publique sous le numéro Q-1-1101.

Le manuscrit originel de Vladimirov n’est pas connu. Il y a toute raison de croire que le texte du Traité existait en plusieurs copies et que le cercle de son influence était assez vaste. La date exacte de la composition n’est pas spécifiée et est difficile à établir avec précision, mais les chercheurs s’accordent à la rapporter à l’année 1664. L’analyse du texte, par contre, permet de préciser le cadre chronologique.

123

Page 124: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Au tout début du Traité, l’auteur parle de la correction des livres liturgiques en ces mots :

Or, il y avait aussi des défauts dans la tradition ancienne et pas seulement dans le domaine de l’iconographie mais même dans les Écritures, c’est-à-dire chez les scribes et les traducteurs de la langue hellénique au slavon. De nombreux livres grecs ne coïncident pas avec les nouveaux livres russes dans les mots et le sens des mots, de sorte qu’aujourd’hui encore les savants s’efforcent de les corriger dans la mesure du possible. (ff. 4-4 verso)34

Ainsi au moment de la composition du Traité, on avait déjà commencé la correction des livres liturgiques, mais ce travail était encore loin d’être terminé, car l’auteur dit : « ...et jusqu’à aujourd’hui des hommes savants essaient de les corriger. »

Ce travail se prolongeait même après la chute du patriarche Nikon. Ceci veut dire que la mention des corrections dans le Traité ne définit que les limites chronologiques du début [terminus a quo] de la composition qu’on ne peut donc situer plus tôt que 1654. Sur le feuillet 46, Vladimirov parle encore des années 1654-1655 en relation avec un crucifix que les habitants de laroslavl avaient érigé35. Cette double référence à l’année 1654, l’une oblique et l’autre directe (feuillet 46) permet de penser que Vladimirov a commencé son traité après 1654. On peut aussi se fonder sur l’étude du texte pour définir le terminus ad quem de la composition du traité.

Sur le feuillet 61, l’auteur parle du patriarche Nikon et de sa position sur la question de l’art, et en ce faisant il indique le titre complet du patriarche : « mais lui, le grand seigneur, le très saint Nikon, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Petite, Grande et Blanche, a beaucoup de zèle pour l’art des saintes icônes. »

La mention du titre complet du patriarche indique que l’auteur a écrit et a terminé le Traité avant le 13 décembre 1666, qui est la date du jugement du patriarche Nikon36. Ainsi le travail sur le traité ne pouvait avoir lieu qu’entre les années 1654 et 166637.

L’analyse du Traité de Vladimirov permet de réduire encore plus les limites chronologiques et de préciser la date de sa composition. Sur le feuillet 1-1 verso, dans son message à Ouchakov, Vladimirov lui rappelle leur conversation sur l’art qui avait eu lieu lors du séjour de Vladimirov sous le toit hospitalier de son ami. Il en parle en ces mots :

Quand je t’avais rendu visite il y a un an, et bien que ce ne fût que pour peu de temps, j’ai beaucoup appris à l’écoute de tes bonnes et utiles paroles qui

124

Page 125: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

s’écoulaient comme du miel de tes lèvres lors de notre doux entretien. Tu me demandais alors, en réponse à ton sage raisonnement, ce que je pensais au sujet de certaines choses nécessaires à l’iconographie et qui pourtant se font maintenant sans art, soit à cause du simplisme inculqué comme méthode, soit à cause du mépris et de la négligence des peintres à cet égard.

L’importance de ce passage réside dans le fait qu’il permet de préciser les années d’un rapprochement particulier de Vladimirov et d’Ouchakov à Moscou, et de donner une idée de l’époque de la composition du Traité.

Les sources indiquent qu’après 1654 Vladimirov habitait chez Ouchakov en 1660, car le 15 janvier de cette année le tsar avait convoqué les iconographes de toutes les villes pour la décoration de la cathédrale des Archanges à Moscou. Dans la liste des peintres convoqués, à côté du nom de Vladimirov, on trouve cette note : « Osip Vladimirov est à Moscou et il habite chez Simon Ouchakov. »38

Si on suppose que la conversation d’Ouchakov et de Vladimirov sur l’art avait eu lieu en 1660, alors il faut admettre qu’un an plus tard, en 166139, il avait déjà terminé son traité, comme cela découle de son message à Ouchakov. Mais la documentation pour la composition (le Traité comporte 113 citations et références) a certainement dû prendre plus d’un an de travail ardu et minutieux. Vladimirov lui-même en parle mieux que personne (feuillet 1, verso) : « J’ai rassemblé à la fin de cette lettre quelques témoignages sur cette question — citations des anciens récits et de l’histoire, mais aussi le point de vue des modernes — qui est la cause de ces difficultés, et je les ai présentés en deux parties... » Cette remarque indique que, lors de la composition du message, le Traité était déjà écrit.

Depuis 1660, Vladimirov habitait Moscou. Ce sont les années de son travail fructueux à l’imprimerie de Moscou ainsi que l’époque de sa floraison en tant qu’artiste et penseur et de son rapprochement avec Ouchakov. Nous croyons ne pas nous tromper en affirmant que c’est pendant ce dernier séjour à Moscou entre 1660 et 1664 que Vladimirov s’est consacré à rassembler les documents et à la composition de son œuvre. Cela coïncide justement avec son travail en tant qu’illustrateur à l’imprimerie de Moscou qui a beaucoup contribué à former ses nouvelles vues. Cette période est marquée par une lutte acharnée entre différentes tendances dans l’art qui rendait nécessaire la composition d’un traité sur l’art. Les activités du gouvernement à cette époque ne contredisent pas non plus cette supposition parce que les autorités préparaient le Concile de 1666-1667 où devait être posée la question de l’art russe. On attendait du Concile une décision définitive sur ce sujet.

125

Page 126: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Il est probable que Siméon Polotsky ait composé sa Requête de 1667 en vue de la préparation des arrêtés du Concile concernant l’art. Il est tout aussi possible que le Discours à celui qui aime l’iconographie d’Ouchakov, écrit en 1667, constitue également un document qui a servi à la préparation de ces arrêtés. On peut dès lors supposer qu’Ouchakov ait demandé à Vladimirov d’écrire sur l’art dans le cadre de ces mêmes préparations du Concile et de ses arrêtés. Dans ce cas, le Traité de Vladimirov ne pouvait avoir été terminé avant 1665-1666.

C’est d’ailleurs le moment de poser la question : Qui était le premier à produire un traité théorique sur l’art ? Vladimirov ou Ouchakov ? Nous trouvons une réponse dans le texte même du Traité. Au début, (feuillet 1 verso), Vladimirov rappelle à Ouchakov leur conversation sur l’art et dit directement que c’est Ouchakov qui le pressait d’écrire sur les raisons de la décadence dans l’art russe contemporain et de partager son savoir sur les techniques des peintres russes : « Tu me pressais alors, seigneur, de t’écrire au sujet de la difficile technique du ”véritable portrait” qu’est l’art élégant des iconographes. »

De son côté, Vladimirov, qui estimait hautement l’habileté d’Ouchakov en tant que peintre, a demandé à ce maître de la peinture, connu pour sa grande expérience, de la partager avec les autres peintres russes. Vladimirov le dit ainsi (feuillet 9 verso) :

Compte tenu de la situation, je supplie tous ceux, dotés d’intelligence et supérieurs dans l’art de la peinture, de donner aux personnes qui le cherchent au moins une étincelle de savoir. Et si elles sont capables de l’assimiler, qu’elles en profitent ; elles accueilleront alors en elles tout un brasier de sagesse — et que ceux qui donnent nous pardonnent autant que ceux qui reçoivent.

Et comme en réponse à ces propos, Ouchakov a décidé de faire son Alphabet de l’art, un manuel pour les peintres, qui contient les figures humaines représentées dans diverses postures et mouvements. Ce manuel était destiné à aider les peintres à trouver des formes plus vivantes à représenter. Vladimirov et Ouchakov adressaient leurs écrits aux contemporains et essayaient par là de surmonter l’inertie de la tradition médiévale de l’Église qui freinait le progrès de l’art.

Avant Vladimirov et Ouchakov, les noms des peintres ne se rencontraient que rarement ; la plupart étaient anonymes. À cette époque, on plaçait les peintres au niveau des artisans. Dans son texte, Vladimirov est le premier en Russie à mettre en valeur le peintre laïque, et le fait en louant l’art et le talent de son ami Ouchakov. Il est donc le premier à vouloir dissocier la peinture du simple artisanat, et il exige du peintre une grande maîtrise de son art et des connaissances professionnelles. Il essaie d’opposer au traditionnel

126

Page 127: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

apprentissage et au travail d’après les modèles l’instinct créateur du peintre, son intérêt pour la Nature et la vie réelle. Son exigence du rapprochement de l’art et de la vie est bien cette idée nouvelle que Vladimirov a apportée à la culture picturale de son temps.

Le fait que les écrits de Vladimirov et d’Ouchakov soient apparus presque en même temps témoigne avant tout du besoin de conceptualiser les progrès de la peinture contemporaine et met en évidence les grands problèmes qui préoccupaient les peintres à la frontière de deux époques dans l’art. Ces premiers documents théoriques du XVIe siècle, leur orientation polémique, nous ont apporté les échos de la lutte qui se livrait alors entre une nouvelle direction dans l’art et les vestiges d’une tradition médiévale en déclin.

* * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Le premier traité russe sur l’art, écrit par le peintre Joseph — ou Osip Vladimirov — ne nous est connu que par le manuscrit de la fin du XVIle siècle provenant de la collection du comte A. S. Ouvarov, conservé dans la section des manuscrits du Musée de l’État (Ouvarov, #915).

Les mentions par Vostokov et Bychkov de l’existence d’autres manuscrits du Traité n’ont pas attiré l’attention des chercheurs. Mais il existe bien trois autres manuscrits du XVIIe, et nous avons la preuve de l’existence d’un autre manuscrit (un 5e donc) dans la copie qu’en a fait faire Zabeline au XIXe siècle.

En se fondant sur l’analyse textuelle des manuscrits, de l’écriture, du papier et des signes de papier, il est possible d’établir une chronologie des copies du Traité sur l’art de Vladimirov.

1. Nous considérons comme le plus ancien (manuscrit A) celui qui est conservé à Moscou, dans la section des manuscrits de la Bibliothèque de Lénine. Ce dernier est lié avec le Chronographe du Musée de Roumiantzev, #458. Il est à part et n’a pas de début ni de fin, se terminant abruptement, au hasard. Il commence au feuillet 12 verso et se termine au feuillet 51 verso si on le compare à celui d’Ouvarov. À certains endroits, il contient des différences significatives qu’on ne retrouve pas dans les autres copies et qui sont très intéressantes à cause de leur critique sociale virulente de l’état des choses à l’époque. La présence dans ce manuscrit des corrections d’éditeur datant du XVIIe siècle laisse croire que nous avons ici un exemple rare de la copie manuscrite du Traité de Vladimirov. Le papier de ce manuscrit, avec le signe d’un fou du roi qui a un col à cinq coins, est daté des années 1660-166540 .

L’écriture de ce manuscrit est large et rapide, comme c’était la coutume au XVIIe

siècle. La langue et l’orthographe sont un peu différentes des autres copies. Le

127

Page 128: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

style est imagé, vivant, parfois même assez mordant, mais surtout riche en émotions et très expressif. Sa simplicité et son caractère direct de même qu’une orthographe qui va à l’oreille, le rapprochent de la langue parlée populaire. Beaucoup de ratures et de mots corrigés, de répétitions, d’ajouts dans les marges et dans le texte laissent supposer que nous avons ici une des premières copies de l’auteur, un brouillon, qui avait été corrigé au XVIIe siècle par deux mains différentes.

Les corrections faites dans une écriture claire et sans fautes d’orthographe, présentent un intérêt particulier. Elles montrent que le correcteur n’était pas un individu quelconque mais un familier de l’auteur et qui partageait ses convictions. Dans les ajouts des marges faits par cette main, on sent le désir de préciser la portée sociale des idées de l’auteur, notamment dans le passage sur la condition opprimée et difficile des peintres russes par rapport aux artisans, les forgerons et les maçons (feuillet 824 verso)41. Le rédacteur se met d’accord avec l’auteur pour protester contre cette situation humiliante des peintres, qu’on traite en gens du peuple et qu’on accable d’impôts. Il parle de la nécessité de la liberté pour permettre au peintre de créer : « ...car il faut que l’art de la peinture soit libre. »

Qui donc pouvait être ce correcteur au XVIIe siècle ? On voudrait même se demander si cette copie n’est pas le tout premier manuscrit de l’auteur.

Mais la comparaison de l’écriture de Vladimirov qu’on voit dans les exemples récemment retrouvés de sa signature sur les preuves de paiement de salaire42 et celle du manuscrit ne laisse pas de place à une telle hypothèse. C’est probablement une copie d’un premier brouillon de l’auteur dont le Traité était alors au stade de corrections et de finition définitives. D’autre part, la comparaison de la main qui a placé des ajouts dans les marges avec les exemples connus de l’écriture d’Ouchakov fait ressortir une ressemblance dans la forme des lettres C, Tz, P, Zh et autres. Ceci laisse penser que le rédacteur en question pouvait être Ouchakov lui-même.

Dans un des passages de son œuvre Vladimirov dit (feuillet 63 verso - feuillet 7) :

Et maintenant, mon sage seigneur Simon Fédorovitch, autant que Dieu voudra éclairer les yeux de ton cœur, examine attentivement nos écrits et, si tu trouves quelque chose de mal pensé ou d’obscur, de grâce, ne me méprise pas, mais penche-toi sur notre travail et aide-nous de tes conseils.

Il s’ensuit que Vladimirov pouvait très bien avoir lui-même passé son travail à peine terminé à Ouchakov pour fins de correction, d’autant plus que c’est Ouchakov lui-même qui lui avait suggéré de l’écrire.

128

Page 129: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

La proximité des corrections dans le manuscrit avec l’écriture d’Ouchakov nous permet de suggérer que le manuscrit A pouvait bien être la copie du Traité que Vladimirov a fait parvenir à Ouchakov aux fins de prise de connaissance et de commentaires. La date du papier, l’écriture du correcteur, et surtout les paroles de Vladimirov lui-même ne contredisent pas cette hypothèse.

Ainsi nous avons toutes les raisons de considérer le manuscrit A lié avec le Chronographe #458 comme la première copie du Traité. Les ratures et les ajouts dans les marges et dans le texte laissent penser que nous avons ici une œuvre à laquelle l’auteur et le correcteur du XVIle siècle accordaient une importance capitale.

2. Je considère comme le manuscrit suivant dans l’ordre chronologique celui de la collection d’Ouvarov (#915) (manuscrit B), et qui est la copie la plus complète du Traité. Ce manuscrit est conservé à Moscou dans la section des manuscrits du Musée de l’Histoire, in-quarto, sur 78 feuillets recto verso, dans une reliure du début de XIXe siècle.

Ce manuscrit comporte du papier daté des années 1681-168443, l’écriture est à cheval entre celle du XVIIe siècle et celle des temps de Pierre le Grand. Tout cela permet de rapporter ce manuscrit aux années 80 du XVIle siècle. Le style littéraire manifesté dans la simplification de la syntaxe, plus un grand nombre de synonymes dans les marges pour expliquer des mots vieillis et difficiles à comprendre, et l’apparition des références aux sources différencient le manuscrit d’Ouvarov par rapport à celui du Chronographe #458.

Le manuscrit d’Ouvarov est écrit dans une langue du XVIle siècle parfois proche de la langue parlée, parsemée de formes ukrainiennes et même polonaises. Mais la langue du manuscrit n’est pas égale, elle change d’un endroit à l’autre. Dans les passages qui traitent des sujets théologiques et ecclésiastiques, la langue devient lourde et officielle, livresque et élaborée, avec des florilèges qui vont jusqu’à rimer les mots, une syntaxe très compliquée qui est souvent difficile à comprendre. En d’autres termes, le manuscrit perd dans de tels passages la simplicité presque parlée propre au manuscrit A.

3. Nous avons connaissance d’un troisième manuscrit grâce à la copie provenant du fond de 1. E. Zabeline et qui n’a pas de référence à sa source. Cette copie se trouve dans la section des documents manuscrits du Musée de l’Histoire à Moscou. Elle est du XIXe siècle, faite sur 55 demi-feuillets recto verso, elle est écrite à l’encre, sur un papier de scribe et elle ne nous est pas parvenue en entier. Elle est conservée dans deux dossiers sous forme de cahiers (fond de Zabeline, #440, dossier #1070 et #560). La copie n’a pas de début (elle commence au feuillet 2 verso selon le manuscrit d’Ouvarov). Dans la marge supérieure du premier feuillet (feuillet 183), il y a le titre écrit au crayon à mine,

129

Page 130: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

probablement par Zabeline lui-même : Message de l’iconographe Joseph à l’iconographe du tsar Simon Fédorovitch (Ouchakov).

Si on juge par les corrections à l’encre, on peut conclure que cette copie était faite pour Zabeline par D. Rovinsky à partir d’un originel inconnu mais qui servit ensuite à contrôler les erreurs dans la copie. Dans la marge supérieure au début de la deuxième partie de la copie se trouve une note au crayon de la main de Zabeline et qui fait référence au Chronographe du Musée de Roumiantzev #458. Pourtant il semble que le manuscrit du Chronographe soit resté inconnu à Zabeline, tout comme à Bouslaev et à Filimonov.

La comparaison de cette copie avec le manuscrit d’Ouvarov et avec un autre manuscrit conservé à la Bibliothèque Publique (voir plus loin) permet d’établir une grande ressemblance textuelle avec ce dernier.

On peut croire que la copie de Zabeline avait été faite à partir d’un exemplaire du manuscrit du XVIIe qui nous est resté inconnu. Il est probable qu’un manuscrit utilisé par Zabeline et Rovinsky dans les années 1850 soit conservé dans la Bibliothèque Publique de M. E. Saltykov-Schédrine, mais nous n’en connaissons ni le numéro ni le code. La remarque suivante de Zabeline est intéressante : « En avril 1850, Dimitri Aleksandrovitch [Rovinsky] est allé à Saint-Pétersbourg...Profitant de l’occasion, je lui ai demandé de copier à ta Bibliothèque Publique le message de l’iconographe Joseph à l’iconographe Ouchakov sur l’art pictural ... »44 Dès lors, il n’est pas impossible que la copie de Zabeline qui se trouve au Musée de l’Histoire soit celle précisément qui a été faite par Rovinsky à la Bibliothèque Publique pour Zabeline. Nous avons toutes les raisons de le croire d’autant plus que lors de la comparaison de la copie avec l’originel, on avait fait sur la copie nombre de notes et de remarques — la main ressemble tout à fait à l’écriture de Rovinsky, ce qui permet de rapporter cette copie au milieu du XIXe siècle.

Ainsi la copie de Zabeline, faite sous la supervision de Rovinsky, reproduit peut-être un manuscrit du Traité qui reste encore à découvrir (manuscrit C).

4. Le quatrième manuscrit, qui se trouve à la Bibliothèque Publique de M. E. Saltykov-Schédrine (manuscrit D), in-quarto, est mis ensemble avec un recueil du XVIIe siècle (no. Q. XVII-23) provenant de la collection du comte F. A. Tolstoï qui contient divers articles édifiants. La copie du Traité se situe sur les feuilles 150-164, elle est incomplète et se termine abruptement au début du chapitre 14 (selon le manuscrit d’Ouvarov feuillet 20 verso). Le trait caractéristique de cette copie est qu’il contient le début du Traité — l’adresse de l’auteur à Ouchakov, comme c’est le cas dans le manuscrit d’Ouvarov. L’écriture est le seuil-officiel (polou-oustav), le signe de papier date de 169745 et la comparaison textuelle de cette copie avec le manuscrit d’Ouvarov la situe dans les années 90 du XVIl e

siècle. 130

Page 131: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

5. Le cinquième manuscrit est également conservé à la Bibliothèque Publique de Saltykov-Schédrine (manuscrit E), dans un recueil du XVIIe siècle, in-quarto (no. Q. 1-1101) sur 278 feuillets, dans une reliure de carton assez récente46. Le manuscrit E est en désordre, certains feuillets ont été mélangés lors du copiage (début : ff 203 verso - 208 ; fin, à partir des mots « Préface aux lecteurs » : ff 46 - 97 verso). Mais ce manuscrit comporte le texte presque complet du Traité et commence, tout comme celui d’Ouvarov, par l’adresse de l’auteur à Simon Ouchakov.

Cette copie provient de la collection de I. D. Bogdanov et a été obtenue par ce dernier à Moscou. C’est en 1888 que la collection des manuscrits slavons-russes de Bogdanov, et donc le manuscrit de Vladimirov, a été transmise à la Bibliothèque Publique. Le manuscrit est exécuté en écriture semi-officielle (polou-oustav) de la fin du XVIIe siècle, par une seule main, l’encre en est blême, les majuscules, très décorées, sont exécutées à l’encre rouge47. Le papier n’est pas très ancien, avec des signes qui datent des années 1691-169748. Le trait caractéristique du manuscrit E se trouve dans les titres de chaque chapitre, écrits à l’encre jaunâtre, qui ne se trouvent pas dans les autres manuscrits du Traité que nous connaissons et qui ont été ajoutés par le scribe. Ce dernier a pris ces titres dans la table des matières. On peut rapporter le manuscrit E à la toute fin du XVIIe siècle.

Une nouveauté dans ce manuscrit est le titre général : Message d’un certain iconographe Joseph à l’iconographe du tsar et très sage peintre Simon Fédorovitch. Le titre et sa forme, pris dans les premières lignes du Traité confirment la date tardive de cette copie, qui fut corrigée et augmentée par le scribe dans le souci de faciliter la compréhension du texte au lecteur. La comparaison des manuscrits nous a permis d’établir la ressemblance textuelle des manuscrits E, C (de Zabeline) et D (Bibliothèque Publique). Leurs points communs sont les fautes et les erreurs, l’ajout des synonymes dans le texte qui ont remplacé les mots vieillis et difficiles à comprendre. En comparant ces copies, nous avons découvert que certains de ces synonymes se trouvent dans les marges du manuscrit B (Musée de l’Histoire). Aucun de ces manuscrits ne comporte de titres de chapitre, comme on en voit dans le manuscrit E. Pour nous, l’intérêt du manuscrit E se trouve surtout en ce qu’il permet d’expliquer pourquoi, dès le début du XIXe siècle, F. A. Tolstoï, D. A. Rovinsky, I. E. Zabeline, l’archimandrite Léonide, etc. s’obstinaient à appeler l’œuvre de Vladimirov Message. C’est bien le titre, ajouté par un scribe, qui se trouve dans cette copie tardive du Traité.

L’analyse textuelle des manuscrits nous amène aux conclusions suivantes :

1. La copie-archétype avec des corrections et des ajouts du XVIIe siècle,

131

Page 132: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

retrouvée dans le Chronographe #458 (manuscrit A) est une rareté. La version ultérieure définitive, corrigée et abrégée, est celle qui a été copiée et distribuée le plus largement dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Ces copies ne diffèrent pas beaucoup entre elles. 2. Le manuscrit B, bien que plus court et contenant des différences, remonte au manuscrit A. 3. Les manuscrits B et E représentent la version la plus brève du Traité avec des différences mineures dans le texte ; de plus le manuscrit E est le seul qui possède un titre. 4. La copie de Zabeline et les manuscrits D et E n’ont pas de différences majeures et remontent probablement à une seule source que nous ne connaissons pas encore. 5. Les manuscrits B, D et E ont l’adresse à Ouchakov.

Il est hors de doute qu’au XVIle siècle il existait d’autres manuscrits intermédiaires entre nos copies A et B49.

NOTES

1. V. E. Roumiantzev, Renseignements sur la gravure et les graveurs à l’imprimerie de Moscou aux XVIe-XVIIe siècles, Moscou, 1870, p.19. 2. N. Pokrovsky. Manuel iconographique [podlinnikj de Siy, #2, Moscou, 1896, pp. 51-52. 3. Sur le feuillet #41 verso du Traité de Vladimirov, nous trouvons la liste complète des gravures connues de lui, de toute évidence, par la Bible du Piscator (Musée de l’Histoire, collection Ouvarov, #915). 4. Description des manuscrits slavons-russes du comte F. A. Tolstoi ; section II, #53, K. Kalaïdovitch et P. Struve, éd., Moscou, 1825. 5. L’écrit en question provenant de la collection des manuscrits de F. A. Tolstoï est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Publique de Saltykov-Schédrine (Q. XVII, 23). 6. A. Ch. Vostokov. Description des manuscrits slavons-russes du Musée de Roumiantzev, Saint-Pétersbourg, 1842, colonne 775. Il se trouve aujourd’hui dans la section des manuscrits de la Bibliothèque de Lénine (Roumiantzevsky, Chronographe #458). 7. Publié originellement en 1856 sous le titre « Histoire des écoles russes de l’iconographie jusqu’à la fin du XVIIe siècle », Notes de la société archéologique, Saint-Pétersbourg, 1856. Voir aussi D. Rovinsky Survol de l’iconographie en Russie jusqu’à la fin du XVIIe siècle, Moscou, 1903, pp. 8 et 51. 8. G. D. Filimonov. « Simon Ouchakov et l’iconographie russe contemporaine », Recueil de l’année 1873, la Société de l’art russe ancien, Moscou, 1873, pp. 67-68. 9. D. Rovinsky. « Énumération des iconographes russes de toutes les écoles », Survol de l’iconographie en Russie jusqu’à la fin du XVIIe siècle, partie III, p. 41, pp. 134-135, et p. 162.

132

Page 133: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

10. Ibid., p. 43. 11. Quelques passages du Traité ont d’abord paru dans F. I. Bouslaev, L’anthologie historique des langues slavone et russe ancienne, composée par, Moscou, 1861, pp. 1450-1454. De nos jours, ce manuscrit est conservé dans la section des manuscrits du Musée de l’Histoire (Ouvarov, #915). 12. Roumiantzev, Renseignements, p. 19 (voir note #1 ci-haut).13. Recueil de l’année 1873, pp. 80-83 (voir note #8 ci-haut). 14. Ibid., p. 81. 15. L’article de Maïkov sur Siméon Polotsky a été d’abord publié en 1875 dans la revue La Russie ancienne et nouvelle (L. N. Maïkov. « Essais sur la littérature russe des XVIIe et XVIIIe siècles », Saint-Pétersbourg, 1889, « De l’auteur », page V) ; voir aussi L. N. Maïkov. S. Polotsky sur l’iconographie russe, Saint-Pétersbourg, 1889. 16. F. Bouslaev. Œuvres, volume II, Saint-Pétersbourg, 1910, pp. 423-434. Il est important de préciser que l’écrit de Bouslaev était connu des chercheurs avant sa publication. Ainsi G. D. Filimonov le mentionne à la page 80 de son écrit (voir l’écrit en question) ; voir note #8 ci-haut. 17. En même temps, dans son article intitulé « Manuel de peinture en version XVIIIe siècle », Bouslaev lui-même met en valeur l’importance de l’écrit de Vladimirov pour les peintres des XVIle-XVIIIe siècles, et renvoie même aux passages et aux extraits du Traité sur la peinture qu’il avait découverts au début d’un manuel iconographique [podlinnik] du XVIIIe siècle qui appartenait au peintre de l’école de Palekh, F. V. Dolotov : Bouslaev. Œuvres, volume II, pp. 436-437 et p. 439. 18. Filimonov y tient particulièrement ; voir Recueil de l’année 1873, p. 81 et autres (note 8 ci-haut). 19. I. A. Bychkov, Catalogue de la collection des manuscrits slavons-russes de 1. D. Bogdanov, #1, Saint-Pétersbourg, 1891, p. 279, #111. Cette copie se trouve aujourd’hui dans la section des manuscrits de la Bibliothèque Publique de Saltykov-Schédrine. 20. L’archimandrite Léonide, Description systématique des manuscrits slavons- russes de la collection du comte A. S. Ouvarov, partie II, Moscou, 1893, #1278 (915), p. 514. Cette copie est aujourd’hui conservée dans la section des manuscrits du Musée de l’Histoire. 21. N. P. Sobko. Dictionnaire des peintres russes, volume II, #1, Saint-Pétersbourg, 1895, colonne 527. 22. À cette époque, I. Zabeline avait déjà publié les documents de l’Arsenal parmi lesquels se trouvent des références à Joseph Vladimirov : « Documents pour l’histoire de l’iconographie russe », Vremennik de la société moscovite de l’histoire et de la Russie ancienne, livre 7 , Moscou, 1850, pp. 8, 13, 24 et 27. 23. N. P. Likhachev, L’iconographe du tsar, Joseph, et ses icônes, Saint-Pétersbourg, 1897. 24. lbid, p. 6. 25. Zabeline (voir note #22 ci-haut).

133

Page 134: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

26. 1. E. Zabeline, « Souvenirs de D. A. Rovinsky » : article du docteur de l’Académie, Saint-Pétersbourg, 1896, p. 8. 27. Ibid. 28. Les maîtres de l’art parient de l’art, volume IV, Moscou, 1937, pp. 19-26. 29. I. I. Joffre, « Notes savantes de l’Université de Leningrad », Série des sciences philologiques, #9, 1944, p. 246. 30. Yu. Dimitriev, « La théorie de l’art et les vues sur l’art dans les documents écrits de la Vieille Russie », Travaux du Département de la littérature russe ancienne de l’Institut de la littérature, volume IX, Leningrad-Moscou, 1953, pp. 97-116. 31. L’Histoire de Moscou, volume 1, Moscou, Académie des Sciences de l’URSS, 1953, p. 658. 32. Yu. Dimitriev et I. Danilova. « Dix-septième siècle et sa culture », Histoire de l’art russe, volume IV, Moscou, Académie des Sciences de l’URSS, 1959, p. 52. 33. Histoire de l’esthétique. Documents de la pensée esthétique mondiale, Moscou, 1962, pp. 441-462. 34. Références au manuscrit d’Ouvarov conservé au Musée de l’Histoire sont données dans le texte même de notre article. 35. Voir la reproduction de ce crucifix en gravure dans D. Rovinsky, Les images russes populaires, livre II, Saint-Pétersbourg, 1881 et L’Atlas, volume II, Saint-Pétersbourg, 1881, #634. 36. Après que le patriarche Nikon eut perdu son titre, les documents et les écrits du XVIIe siècle ne l’appellent plus « très saint patriarche ». Par exemple, on peut consulter « La liste des titres » de la Bibliothèque de l’Ermitage (#78172) où, sur la feuille 101 verso, l’image de Nikon est précédée de l’inscription « l’ancien patriarche ».37. Le 13 décembre 1666, Nikon a été condamné, destitué de son titre de patriarche et exilé au monastère de Théraponte sur le lac Blanc. Le 12 décembre 1666, lors du Concile et en présence des patriarches de l’Orient, on l’a spolié des attributs de son titre, apportant ses effets au réfectoire du patriarche. À partir de cet instant, Nikon est redevenu un simple moine : A. Viktorov, Description des livres d’événements et des documents anciens des ordres de la Gour des années 1613-1725, #lI, Moscou, 1883, p. 625 ; et Dimitriev, note 1, p. 98 (voir note #30 ci-haut). 38. Zabeline, p. 27 (voir note #22 ci-haut). 39. « Quand je t’avais rendu visite il y a un an... » (feuillet 1). 40. Dans le Chronographe, le signe de papier représente un bouclier avec un serpent (feuillets 799 verso, 621 verso, etc) que Tromonine rapporte aux années 1638-1649 (K. Tromonine. Explication des signes qu’on rencontre sur le papier, Moscou, 1891, #1128, 1168-1638). Il y a un autre signe, en forme d’une croix des Lotharings (Tromonine, #1335, 1337, 1338-1649). Cela permet de situer le Chronographe dans la première moitié du XVIIe siècle. Le papier du cahier qui contient le Traité est plus tardif et possède le signe d’un petit fou du roi avec un col à cinq coins (feuillet 825, etc). K. Tromonine rapporte ce type de signe de

134

Page 135: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

papier à l’année 1666 (K. Tromonine, #1244). On retrouve le même signe dans un manuscrit de 1666 (Musée de l’Histoire, Section des manuscrits, Collection de Simonov, #58, avec les lettres romaines LS). 41. Il est intéressant de comparer le texte du Traité avec la requête des iconographes de laroslavl qui s’en rapproche assez par le contenu. Le groupe était dirigé par un Osip Vladimirov et la requête a été présentée au tsar en 1653 ou en 1654. (Archives centrales, fond de l’Arsenal, dossier 5175, feuillet 1 (1653-1654)). 42. Archives centrales, Les livres d’économie de l’office du Patriarche, les livres des dépenses, #60, année 1660, feuillet 485 ; #62, année 1661, f. 72 verso ; #64, année 1664, f.172 verso. 43. Le papier de tout le manuscrit est le même, avec des « vergers » ; mais les quelques signes de papier qui s’y rencontrent sont différents. Le plus fréquent est celui d’un grand fou du roi avec un col à sept coins. Dans les cinq cahiers du manuscrit, on rencontre plusieurs variantes de ce type qu’il n’est pas facile de situer. Sur les feuillets 16-21, le type du fou est proche de celui qu’on voit chez N. P. Likhachev #479 (Le papier et les plus anciens moulins à papier dans l’État de Moscou, Saint-Pétersbourg, 1891, #479 et K. Tromonine : Explication des signes qu’on rencontre sur le papier, #384, le fou y est daté de 1676-1682). Un autre type du fou du roi avec un col à sept coins, un peu déformé (ff. 34-35), est analogue à celui qu’on voit dans le livre du scribe de Solya Vychegodskaya de 1684 (Ouvarov 901, in-quarto, indiqué par T. V. Dianova). Un troisième signe est celui d’un bouclier sous une couronne avec un lion, une épée, la foudre et les lettres romaines CDG (ff. 42-43, 58-59, etc). Le signe des sept provinces libres est rapporté par Likhachev à l’année 1681 (ibid., #501) alors que K. Tromonine le situe en 1658 (ibid., #700). Comparez la main du manuscrit d’Ouvarov avec les manuscrits suivants : Le livre des articles des années 1642-1683, de la collection du Bureau des affaires étrangères au Musée de l’Histoire, section des manuscrits, fond 440, archives 3273, f. 375, et Le Livre de l’Atelier de la menuiserie années 1660-1685 (ibid., fond 440, archives 366, f. 158). 44. Zabeline, p. 8 (voir note #26 ci-haut). 45. Voir la section des manuscrits du Musée de l’Histoire, collection du Synode, #671, année 1697. Le signe de papier de ce manuscrit m’a été indiqué par T. V. Dianova. 46. Exposition — Histoire de la culture russe des XIe-XVIIe siècles dans des documents écrits, catalogue, Moscou, 1959, note 1, p.79. 47. Bychkov, #111, p. 279 (voir note #19 ci-haut). 48. Fou du roi avec un col à sept coins, déformé, daté de l’année 1691, et un bouclier avec les armes, une couronne, et une corne de chasseur, daté de 1681-1697 (K. Tromonine., #1738, #1340, #1003). Ce signe se maintiendra jusqu’au XIXe siècle. 49. Les exemplaires du Traité qui nous sont parvenus portent des traces de peinture sur les bords des feuilles assez usés. Ceci pourrait indiquer que les peintres le consultaient lors de leur travail.

135

Page 136: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

LETTRE D’UN CERTAIN ICONOGRAPHE, JOSEPH, À L’ICONOGRAPHE DU TSAR, LE TRÈS SAGE PEINTRE,

SIMON FÉDOROVITCH*

A l’hagiographe du tsar1 et au très sage peintre, seigneur Simon Fédorovitch2 : que Dieu soit ta joie dans l’espérance des biens futurs ! Joseph l’iconographe embrasse ton front plein de sagesse ; et je prie Dieu que te soient donnés la paix, la santé et le salut à la fin de tes jours, en récompense de l’hospitalité bienveillante que tu as montrée à mon humble personne.

Quand je t’avais rendu visite il y a un an, et bien que ce ne fût que pour peu de temps, j’ai beaucoup appris à l’écoute de tes bonnes et utiles paroles qui s’écoulaient comme du miel de tes lèvres lors de notre doux entretien. Tu me demandais alors, en réponse à ton sage raisonnement, ce que je pensais au sujet de certaines choses nécessaires à l’iconographie et qui pourtant se font maintenant sans art, soit à cause du simplisme inculqué comme méthode, soit à cause du mépris et de la négligence des peintres à cet égard.

Tu me pressais alors, seigneur, de t’écrire au sujet de la difficile technique du « véritable portrait » qu’est l’art élégant des iconographes. J’ai rassemblé à la fin de cette lettre quelques témoignages sur cette question — citations des anciens récits et de l’histoire, mais aussi le point de vue des modernes qui est la cause de ces difficultés — et je les ai présentés en deux parties, à l’appréciation de ta sagesse.

Dans la première, je rappelle le clairvoyant raisonnement des saints hommes du passé qui soutenaient que la beauté des saintes icônes doit être agréable, en l’honneur du Christ, dont l’icône doit avoir la priorité sur d’autres images pour que nous, les fidèles, ayons toujours Dieu devant les yeux.

D’autre part, j’ai aussi parlé d’un très dur et méchant blasphémateur de l’art des saintes icônes, au blasphème et au blâme duquel j’ai trouvé une manière de répondre qui commence de la même façon que l’apprentissage des fils des médecins. À cet endroit, seigneur, je ne peux manquer de te rappeler ce Serbe qui, à l’époque, blâmait la peinture alors que nous nous entretenions des questions et des réponses présentées lors du grand concile par le très fidèle tsar et grand prince de toutes les Russies, Ivan Vassiliévitch3, dont je me rappelle encore le saint et clairvoyant zèle pour le très sage art des peintres et la manière de peindre les icônes qu’il discute en détail dans les chapitres suivants de son livre : Chs. 27, 41, 43, 74 et dans le dernier Ch. 1004.

Le métropolite Iassaphe5 mentionne aussi notre problème dans sa réponse aux 136

Page 137: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

questions du tsar où il lui dit ceci au sujet des iconographes : il faut que dans chaque ville on rassemble dans les bâtiments publics toutes les icônes qui manquent de maîtrise, qu’on trouve les iconographes qui en sont les auteurs et qu’on leur ordonne de ne plus peindre d’icônes tant qu’ils n’auront pas appris à bien les peindre chez de bons maîtres.

Et alors que nous discutions de tout cela, voilà qu’entre dans ta maison cet archidiacre serbe et, nous prenant au mot, commence à nous contredire. Ensuite, lançant un regard furieux sur l’image que tu as faite de Marie Madeleine, il cracha et dit que les Serbes ne reconnaissent pas d’images si pleines de clarté et sur ce notre conversation fut coupée, et aussi nous avons dû nous séparer.

Mais depuis cette rencontre, mon âme brûle de zèle et une grande pitié me dévore quant à ces choses dont même ceux qu’on tient pour de grands esprits ne savent que dire, et restent déconcertés par les difficultés que pose l’art des peintres. Or, les simplets et les ignorants qui viennent, on ne sait d’où, s’occuper de l’iconographie ne savent pas faire la différence entre le croche et le droit. Ils ne font que suivre la manière caduque. Et si l’image est vieillie et assombrie par le temps, ils préfèrent encore y voir la manière ancienne et louent la noirceur. Ils blâment, contre tout bon sens, la beauté des images des saints peintes de manière nouvelle, comme ce Serbe qui trouve que la très sage et très lumineuse peinture des saintes icônes n’est pas bonne6.

Cependant, je crois qu’il raisonne ainsi, soit par ignorance soit par malice, en voulant nous mettre à l’épreuve, croyant que, comme les Russes sont stupides et aiment tout ce qui est ancien, ils feraient mieux de louer même certaines choses maladroites et laides dans les icônes comme si c’était des signes de la manière ancienne. Car la tradition, comme on dit, est une loi non écrite. Or, il y avait aussi des défauts dans la tradition ancienne et pas seulement dans le domaine de l’iconographie mais même dans les Écritures, c’est-à-dire chez les scribes et les traducteurs de la langue hellénique au slavon. De nombreux livres grecs ne coïncident pas avec les nouveaux livres russes dans les mots et le sens des mots, de sorte qu’aujourd’hui encore les savants s’efforcent de les corriger dans la mesure du possible.

La même chose, seigneur, s’applique aux icônes. Plusieurs copies russes, même parmi les meilleures, ne coïncident pas avec les modèles grecs, les copies nouvelles diffèrent beaucoup des anciennes et vice versa, car les modèles anciens vieillissent avec le passage du temps et perdent leurs couleurs alors que d’autres sont abîmés et ternis par les ignorants revendeurs d’icônes qui les enduisent plusieurs fois à l’huile de lin cuite7.

Dans le texte des Cent Chapitres du tsar Ivan Vassiliévitch, il est ordonné que les évêques inspectent et restaurent les icônes et qu’ils veillent à ce que les icônes

137

Page 138: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

soient copiées à partir des modèles bien conservés, l’œil collé sur l’image des peintres anciens, et non pas à partir de ces icônes à l’apparence noircie afin de ne pas peindre les saintes personnes trop lugubres.

En effet, Lestvitchnik8 propose une belle parabole dans sa Parole aux fidèles où il dit : « II est honteux pour les maîtres d’enseigner à partir des copies pleines d’erreurs et pour les peintres de créer à partir des pastiches ». Car il existe chez les peintres des yeux de l’esprit dont la rapidité est semblable au soleil quand il monte dans le ciel et illumine toute la nature de ses rayons et en imprègne l’air tout entier. Il en est de même pour le peintre sage qui, dès qu’il a posé son regard sur le visage d’une personne, retient dans les yeux de son esprit tous les traits sensibles de l’homme pour les traduire ensuite en image sur papier ou sur quelque autre matériau. Et quand il dessine ainsi, il le fait d’après un modèle général de figure ou de visage ; mais on le montrera à l’endroit approprié.

Or, maintenant, il s’agit de savoir où les amateurs ignorants ont trouvé cette loi selon laquelle ils ordonnent de peindre le visage des saints uniformément sombre et noirci. Est-ce que toute la race humaine a été créée avec la même apparence ? Est-ce que tous les saints avaient la face sombre et la chair maigre ? Et même si ici-bas ils avaient les membres meurtris, dans l’au-delà ils sont apparus l’âme et le corps illuminés. Quel démon devint si jaloux de la vérité qu’il forgeât un tel complot contre les très lumineuses personnes des saints ? Qui des gens raisonnables ne manquerait pas de rire d’une pareille folie selon laquelle la noirceur et les ténèbres sont préférables à la lumière ? Ce sont ces apôtres des ténèbres qu’annihile la formidable voix d’Isaïe qui dit : « et les voilà tels des tisons ôtés du feu »9, et ailleurs : « comme un cadavre, tu seras gisant dans les montagnes ; détesté, tu seras parmi tant de cadavres. »12

Vois, mon sage lecteur, combien de choses se trouvent un peu partout dans les saintes Écritures. La noirceur et l’apparence enfumée ont été imposées par Dieu au seul diable, pas aux images des saints. Concernant les images, rappelons-nous que ce n’est pas seulement aux justes qu’il promit le don de la lumière, mais il est aussi venu chez les pécheurs leur disant : « Vos péchés seront lavés, je vous ferai blancs comme de la neige et je vous purifierai comme le blé »11 et ailleurs : « le suis la lumière de la vérité, celui qui marche en moi ne marchera pas dans les ténèbres. »12

Écoute-moi, seigneur, et essaie de comprendre : comment cela se peut-il que les images des saints, qui suivaient les commandements du Christ, soient sombres ?

De nombreuses vies de saints racontent comment ils s’humiliaient en jeûnant et en couchant par terre sans jamais se laver le visage, mais après la mort n’étaient-ils pas les premiers à être éclairés et à passer de tant de misères à la

138

Page 139: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

joie et à une félicité ineffable ? Si tant de pécheurs repentis sont déjà passés des ténèbres à la lumière, alors combien plus facilement les justes y accèdent.

Si tu es un véritable connaisseur des Écritures divines, ne sois pas paresseux : lis le « Prologue » du 26 décembre13 et tu y verras l’histoire d’un évêque qui ne voulut pas écouter l’accusation d’adultère dont deux femmes étaient l’objet et, ne voulant pas les juger sans preuves, il demanda à Dieu de lui montrer la vérité sur ces femmes, et il reçut une révélation : un ange lui apparut qui lui montra la différence entre le visage des justes et celui des pécheurs. Les uns avaient le visage barbouillé de sang et couvert de suie ; les autres, clair et lumineux. Dans le même « Prologue » du 1er avril se trouve la vision de Paul le Simple14.

Et maintenant, mon sage seigneur Simon Fédorovitch, autant que Dieu voudra éclairer les yeux de ton cœur, examine attentivement nos écrits et, si tu trouves quelque chose de mal pensé ou d’obscur, de grâce, ne me méprise pas mais penche-toi sur notre travail et aide-nous de tes conseils. Alors, réjouis-toi dans la lumière véridique du Christ, porteuse de vie, qui éclaire les écrits pieux. Remercie Dieu et qu’il te rende sage dans le véritable art du portrait, comme il l’a fait dans l’antiquité pour Beçalel dans son travail de la construction du sanctuaire15. Amen.

Le grand Salomon a dit : « Ce que tu dis à un sage développe sa sagesse ; ce que tu dis à un homme honnête augmente son savoir. »16 Et comme le Christ, le Fils, est lui-même la bienheureuse source de toute sagesse et le donneur de l’intelligence, il a prononcé de ses lèvres cette divine parole : « À celui qui a, l’on donnera davantage ; tandis qu’à celui qui n’a rien on enlèvera même le peu qu’il a. »17 Effrayé par cette terrible menace, j’ai eu peur de ressembler à ce serviteur paresseux, qui a pris et caché son seul talent dans un cœur avide et l’a enterré dans le silence pour être condamné à tout jamais.

Même s’il y a eu un temps où ma langue était paralysée par la paresse, qu’en ma ferveur pour Dieu, elle se délie maintenant. Je ne romprai plus l’enchaînement de mon discours qui mène à la révélation de la vérité et je parlerai sans envie ni recel au cher zélé qui veut apprendre l’art de la peinture. Mais comme il se doit, avant de découvrir la vérité, il faut qu’il acquière l’humilité et l’intelligence et autres vertus semblables. Ainsi, de ces écrits il apprendra avec intelligence le sens de l’art et la bonne technique.

Cependant, je vous prie, seigneurs, experts dans les citations des saintes Écritures, permettez-moi de dire un mot sans façon ni rhétorique. Je ne veux rien dire de nouveau ni de contraire aux dogmes traditionnels, mais il me faut parler de la manière qui aurait pu nous guider sans dommage, suivant l’antique tradition des saints, et de la façon dont on aurait pu réussir dans ses limites. Le vice et la folie en auraient été ôtés comme on sépare l’ivraie du blé pur. Le bon

139

Page 140: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

grain n’a-t-il pas été semé en nous d’abord ? La foi nous a été transmise toute belle et bonne, juste et sainte. Mais bien que la piété se soit bien enracinée dans les cœurs chrétiens, comme dans une terre fertile et humide, il arrive que, parmi tant de bonnes herbes, il en apparaisse aussi des mauvaises. D’où sortent-elles ? L’ennemi des hommes en est la cause.

Or, il nous est venu une certaine perversion du regard à cause des iconographes maladroits et sans vergogne. Beaucoup de folies et de délires se trouvent dans les icônes, de sorte que dans cet art honorable et noble, la fureur et le caprice ont pris la place de la sagesse ; de tels excès ne se trouvent ni dans l’art des cordonniers, ni encore moins dans celui des joailliers, ni dans d’autres métiers honorables où tu ne découvrirais pas de fautes aussi méprisables. J’ai honte de détailler tout cela ici. l’ai aussi de la peine à constater qu’à cause de certains hommes maladroits, il nous vienne ces excès pleins de fausseté, au lieu de la noblesse et de la fidélité aux modèles anciens.

Et ainsi ce sage chemin de l’art se couvre de ronces et celui qui veut y passer perd sa voie et se dit à lui-même : qui sait et qui comprend ce que nous faisons ici, et qui nous montrera comment faire ? Comme quelqu’un a dit : « Sans comprendre et sans savoir, ils marchent dans les ténèbres. »18

Compte tenu de la situation, je supplie tous ceux, dotés d’intelligence et supérieurs dans l’art de la peinture, de donner aux personnes qui le cherchent au moins une étincelle de savoir. Et si elles sont capables de l’assimiler, qu’elles en profitent ; elles accueilleront alors en elles tout un brasier de sagesse — et que ceux qui donnent nous pardonnent autant que ceux qui reçoivent.

Et voici une table des matières pour un lecteur consciencieux.

Ch. 1 De ceux qui peuvent en quelque façon percevoir la manifestation de la divinité, mais pas son essence Ch. 2 De l’image surnaturelle de la face du Christ Dieu-Homme sur le voile de lin Ch. 3 De l’image surnaturelle de la très pure Mère de Dieu, qui se trouve à Lydda Ch. 4 À chacun ses traits propres Ch. 5 Comment on doit copier sur des modèles fidèles Ch. 6 De la représentation des êtres incorporels non pas selon leur nature, mais selon ce qui s’en manifeste Ch. 7 Comment les anciens maîtres avaient un grand zèle pour les icônes Ch. 8 De l’incorruptibilité du corps des saints et du témoignage de leur glorieuse apparence Ch. 9 De la vraie technique du portrait et comment on ne doit pas fixer ses yeux spirituels sur l’image d’un être mais diriger son esprit sur celui qu’elle représente Ch. 10 Du mépris dans la représentation du saint quant à l’aspect réel de ce dernier Ch. 11 Des représentations insolentes et injurieuses

140

Page 141: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ch. 12 De l’amour inintelligent que les gens portent aux mauvaises icônes et les raisonnements pharisiens dont ils le justifient Ch. 13 De l’indésirable sacrifice de Caïn Ch. 14 11 faut que nous, tous et chacun, fassions au moins une seule fois le bien plutôt que le mal Ch. 15 De l’intelligent agneau Jésus Christ, Fils de Dieu, et de son image immaculée Ch. 16 De l’insolence de la mauvaise iconographie Ch. 17 De la tentation chez les mauvais peintres, et du péché qui est en eux Ch. 18 De la construction et de l’aménagement du sanctuaire (skinia) dans l’antiquité Ch. 19 De ceux qui attendent des signes des icônes Ch. 20 De ceux qui sont plus attentifs aux images sur les pièces de monnaie qu’à l’image iconographique du Christ Ch. 21 De la contemplation des bonnes icônes et de la représentation fidèle du Christ Ch. 22 Des signes incompréhensibles Ch. 23 Pourquoi il nous vient parfois des signes des icônes Ch. 24 Comment même les mauvaises icônes pouvaient devenir miraculeuses dans l’antiquité Ch. 25 Puisque Dieu lui-même a voulu se montrer dans le Temple, il faut qu’on fasse pour l’église des choses belles et décentes Ch. 26 Discours du patriarche de Constantinople Mélétios sur les temples voués à la prière Ch. 27 De ce que semblent voir ceux qui révèrent les mauvaises icônes Ch. 28 De la mauvaise représentation des rois mortels Ch. 29 De l’impossibilité de reproduire exactement l’aspect du Christ en image Ch. 30 De la bonne représentation des personnes royales. Ch. 31 De la décoration déraisonnable des mauvaises icônes, avec de l’argent Ch. 32 De la vraie adoration de Dieu Ch. 33 Dieu ne se trouve ni dans les châsses d’or, ni dans la mauvaise peinture, ni là où on l’adore Ch. 34 Nous vénérons l’image peinte du Christ dans notre chair ambitieuse mais notre esprit perçoit son aspect originel Ch. 35 De l’apparition surnaturelle du visage du Christ sur le voile de lin, qui doit être le modèle du peintre afin qu’on ne vénère pas l’image d’un autre Ch. 36 De l’intelligence naturelle des iconographes, de la bonne composition des icônes de Mgr Malker, archevêque de Vologda, et de l’élection des maîtres artistes à la tête des iconographes dans son évêché

PARTIE I

On parlera ici de la très sage habileté des peintres, de l’art élégant des iconographes, de l’intelligente perception des êtres tels qu’ils sont en réalité, et de l’insolence mensongère de ceux qui peignent des mauvaises icônes.

141

Page 142: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

[Chapitre 1 : De ceux qui peuvent en quelque façon percevoir la manifestation de la divinité, mais pas son essence]

Nous, les fidèles, devons toujours avoir Dieu devant les yeux, selon le prophète qui dit : « J’ai vu le Seigneur devant moi, il est toujours devant mes yeux. »19

C’est cet Être lui-même, unique en trois personnes, Dieu adoré et loué, Dieu le Père19a qu’il voyait en esprit et en regardant il ne pouvait percevoir que sa manifestation sans voir son essence, comme dirent les prophètes : Isaïe 6, Daniel 7, Amos 9 ; Osée 12,11 : « ”J’ai multiplié les apparitions” et je me suis fait la force des prophètes, je n’ai pas montré mon essence même, mais je suis descendu et j’ai dit à ceux qui regardaient et ne pouvaient voir : Dieu Un apporte partout la lumière et éclaire ceux qui d’ici-bas lèvent fidèlement leurs regards vers lui. »19b

Et finalement, le divin Paul dit : « ”Lorsque arriva la fin des temps, Dieu envoya son Fils qu’il a conçu et qui est né d’une femme” ; ainsi nous vint pour nous sauver non pas un messager ni un ange, mais le Verbe divin du Saint des Saints lui-même, indivisible de la Trinité à l’essence unique ; né de la très pure Vierge. Le Dieu-Homme est venu pour nous, qui s’appropria toute notre nature excepté le péché. »20

[Chapitre 2 : De l’image surnaturelle de la face du Christ Dieu-Homme sur le voile de lin .- Chapitre 3 : De l’image surnaturelle de la très pure Mère de Dieu qui se trouve à Lydda]

Et il a laissé pour notre salut l’image de son aspect divin incarné dans l’homme, qu’il envoya à Abgar sur le voile de lin et qui fut reproduite maintes fois à Lydda et ensuite ces images de Dieu se répandirent dans les églises. Et en plus, Luc, l’évangéliste inspiré par Dieu, apporta à la sage Mère de Dieu l’image qu’il avait peinte d’elle ; et elle lui conféra sa grâce. Tout cela, Dieu l’avait prévu comme la première étape de notre salut qui consiste en ce que nous contemplions sa sainte et très pure image et que nous la vénérions, ayant peint d’abord dans notre cœur l’aspect originel de son visage. La même chose vaut pour l’image de la Vierge Marie, Mère de Dieu. Et c’est à partir de cette époque que l’Église universelle accepta de vénérer les icônes de tous les saints qui ont été agréables à Dieu depuis le début des temps. Mais avant la venue du Verbe divin sur la terre, il n’y avait pas d’images de ceux qui avaient trouvé la gloire céleste par la pureté de leur vie, comme on en voit aujourd’hui, qui sont vénérées dans les saintes églises : les icônes des pères, des prophètes et des patriarches. C’est le Saint-Esprit (dont les voies sont inconnues) qui a décidé que [le Verbe] devait venir, celui même dont ces [saints] hommes avaient prédit la venue. Et il est venu, le Christ de vérité, attendu depuis longtemps par les anciens et par nous, et il nous a transmis sa véritable image, comme cela avait été prédit auparavant, et a glorifié sa Mère par l’icône surnaturelle qui se trouve à Lydda ainsi que par les innombrables miracles de celle-ci21.

142

Page 143: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

[Chapitre 4 : À chacun ses traits propres]

Et depuis, selon les traits de chacun des saints, d’habiles iconographes dessinèrent leur image, de sorte qu’on voit dans les églises les traits mêmes de ces saints, par exemple ceux de saint Jean Baptiste, représentés tels qu’ils sont sur son icône. Tels étaient les apôtres et les autres saints, tels ils furent représentés à l’époque par de sages iconographes à Jérusalem, à Rome, en Grèce, et plus tard en Russie.

Et puis, il faut comprendre qu’il est bon que les iconographes montrent du zèle et de l’application à la peinture de l’image immaculée du Christ. La même chose vaut pour l’image de sa très pure Mère, des anges, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des évêques, des moines et de tous les saints qui ont été agréables au Seigneur depuis le début des temps.

[Chapitre 5 : Comment on doit copier à partir des modèles fidèles]

Et pourvu que l’on transcrive l’image du Christ à partir des modèles bons et vrais, celle-ci ne différerait en rien de son image divino-humaine sur le voile de lin. Et l’image de la très pure Vierge sera semblable à celle de son icône surnaturelle qui se trouve à Lydda. De même est ressemblante l’image de saint Jean Baptiste, qui est en Grèce et où repose aussi sa tête honorable. Et les images des autres saints sont également à l’endroit où chacun d’eux s’exerçait dans la prière et le jeûne pour la gloire de Dieu. Leurs images ont été peintes de leur vivant par les iconographes les plus habiles sur l’ordre de leurs disciples qui, poussés par l’amour pour lui, décidèrent de faire en sorte que rien ne se perdît de l’aspect originel de leur maître.

[Chapitre 6 : De la représentation des êtres incorporels non pas selon leur nature, mais selon ce qui s’en manifeste]

Quant aux amis des saints, qui n’ont pas connu ces derniers de leur vivant, ayant appris des hommes justes et dignes de confiance que l’aspect des saints a été suffisamment bien reproduit par les iconographes, ces amis s’employèrent à questionner de près ces hommes sur l’apparence de chacun des saints et les représentèrent ensuite selon les indications reçues. Et quant à la manière dont on a acquis les prémices de la représentation picturale des anges incorporels, la réponse est évidente : ce ne sont pas les apparitions d’anges qui manquaient. La première occasion dans ce sens eut lieu quand Adam, notre père originel, fut chassé du Paradis à cause de ce qu’il avait mangé et qui lui enleva la paix de l’âme. Le Seigneur mit à l’entrée un chérubin armé d’une épée de feu pour garder l’accès à l’arbre de la vie. Et ensuite, Dieu lui-même apparut à Abraham, célèbre par son hospitalité, en trois personnes angéliques. Moïse, Josué et

143

Page 144: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Manoah ont aussi vu des anges, mais si nous dessinons les êtres incorporels, ce n’est pas à partir de leur essence, mais selon ce que nous pouvons en percevoir avec nos yeux sensibles. C’est ainsi que nous les représentons.

[Chapitre 7 : Commendes anciens maîtres avaient un grand zèle pour les icônes]

Les anciens maîtres ont mis beaucoup de zèle et de peine pour maîtriser ces choses. Ils firent de grands sacrifices, jusqu’à donner leur sang et en mourir, pour le perfectionnement de l’art iconographique. Et quand enfin, armés de la grâce divine, ils vainquirent leurs adversaires et firent taire l’abîme des dénigrements que déversaient les lèvres hérétiques, ils établirent un consensus universel sur la manière de peindre les icônes. Toutes les règles furent recueillies dans un volume qu’ils transmirent ensuite à l’Église de Dieu.

De nombreux traités furent rassemblés, pour cette cause, avec lesquels les anciens maîtres composèrent un volume à plusieurs chapitres où l’on traite de la représentation corporelle du Christ, de la Vierge et de tous les saints qui ont été agréables à Dieu et où l’on traite également de la manière de les vénérer, de les honorer, de les représenter sur des planches propres avec piété et sainteté, pour que ces représentations soient semblables à l’aspect véritable de ces personnes — telles qu’elles étaient à l’époque, telles qu’elles sont maintenant ou telles qu’elles reposent dans leur chair incorruptible22.

[Chapitre 8 : De l’incorruptibilité du corps des saints et du témoignage de leur glorieuse apparence]

Et c’est ainsi que leur aspect se trouve consciencieusement attesté et transcrit par de très sages iconographes qui le peignent en fixant les yeux sur leur modèle. Il est bon que les iconographes travaillent en regardant une telle image, comme le Grand Livre23 l’indique à la page 228 : « Dans toutes nos saintes églises peut être vue la beauté agréable et sage des saintes icônes ». Voyez aussi dans le même livre comment les bonnes représentations des saints sont transmises aux églises ; voyez aussi le livre De la foi24, à la page 82.

[Chapitre 9 : De la vraie technique du portrait et comment on ne doit pas fixer ses yeux spirituels sur l’image d’un être mais diriger son esprit sur celui qu’elle représente]

Ainsi ce livre montre qu’en gardant ses yeux corporels fixés sur l’icône et les yeux du cœur sur celui qu’elle représente, il faut autant que possible contempler l’aspect véritable du saint, et non pas celui d’un autre, de manière à ce que le visage du saint soit transcrit sur l’icône avec le plus de ressemblance possible avec l’original.

144

Page 145: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Mais que dire aujourd’hui de ces représentations ? Certains ont les vrais modèles mais les copies qu’en font nos iconographes d’ici diffèrent les unes des autres, n’étant ni corrigées, ni véritablement certifiées, alors qu’elles devraient se ressembler comme sorties d’une typographie.

[Chapitre 10 : Du mépris dans la représentation du saint quant à l’aspect réel de ce dernier]

Cela se passe quand, par la négligence des sages ou la paresse des administrateurs, et par le peu de zèle du clergé, cet art est laissé aux soins des simplets et des ignorants qui, sans modèle, se permettent de peinturlurer sans aucun art des icônes mauvaises et laides. Ce n’est pas pour peindre de si grossières icônes, ni pour la vente en gros, que Dieu ordonna de représenter les saints. C’est plutôt pour reproduire leur vrai aspect, leur courage, leur patience dans la souffrance et leur sainte vie afin que nous retrouvions, nous aussi, notre conscience et que nous acquérions la connaissance en contemplant leurs véridiques images, au lieu de nous attirer une fois de plus les moqueries et le mépris de la part des infidèles à cause de ces peintures insolentes et mal faites.

[Chapitre 11 : Des représentations insolentes et injurieuses]

Et où encore pourrait-on trouver des folies pareilles à celles qui existent chez nous ? Cet art honorable et sage que représente l’iconographie est souillé et bafoué par des ignorants pour les raisons que voici : partout dans les villages, les revendeurs et les colporteurs traînent d’horribles icônes dans leurs hottes. Ce ne sont pas des êtres humains qu’ils y ont peinturlurés mais des hommes sauvages.

Et le comble de l’indécence, ces icônes passent de revendeurs en revendeurs, comme de simples copeaux de chanvre, par centaines et par milliers à la fois. Les marchands de Shouia, de Kholuj et de Palekh25 les vendent au marché. Et de telles icônes sont envoyées dans des villages lointains où on les échange contre un œuf ou un oignon, comme des sifflets d’enfant, mais la plupart du temps, on les échange contre des vêtements, du vin ou d’autres biens du même genre. Et ces revendeurs séduisent le peuple par leurs discours mensongers en disant que les belles icônes ne donnent pas nécessairement le salut, car parmi les icônes miraculeuses plusieurs sont mal peintes.

[Chapitre 12 : De l’amour inintelligent que les gens portent aux mauvaises icônes et les raisonnements pharisiens dont ils le justifient)

Et en entendant de telles choses, les habitants de la campagne ne prennent plus les belles icônes mais cherchent celles qui sont bon marché. Et même s’ils en voient une qui est vraiment très laide, ils pensent que c’est d’autant plus

145

Page 146: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

probable qu’elle soit miraculeuse et ils l’achètent, sans trop dépenser non plus.

Et ce n’est pas seulement le petit peuple qui est ainsi envoûté ; ceux qui se vantent de leur intelligence et de leur culture ne font pas mieux. S’il leur arrive de voir une représentation belle et pieuse du Christ ou des saints, ils ne sont pas les premiers à dire que cette sainte icône est digne de vénération et agréable à l’Église. Non, ces grippe-sous raisonnent autrement : ils commencent par demander si l’icône n’est pas trop chère, ils marchandent, et ils discutent sans cesse du prix comme s’ils achetaient un prisonnier. Et pour conclure l’affaire, ils disent que de toute manière ce n’est pas les icônes chères qui portent le salut mais que « nous croyons et nous vénérons les mauvaises icônes tout autant et pour la même raison » et « s’il n’y avait pas de mauvaises icônes bon marché, comment les humbles pourraient-ils prier ? »

En vérité, ces paroles viennent du peu d’intelligence et du peu de foi des gens. Est-ce que le pauvre, quoi qu’il fasse, est si pauvre que cela ? Chaque jour, il réchauffe et nourrit son corps, il l’habille de vêtements et il se préoccupe continuellement de ces choses. Mais de toute sa vie, ne peut-il se permettre d’offrir — même une seule fois — au Christ et à ses saints le présent de sa foi parfaite, et d’honorer la sainte icône du Christ d’un prix digne de sa piété ?

[Chapitre 13 : De l’indésirable sacrifice de Caïn]

Ne sais-tu pas que Caïn a été puni d’avoir voulu jouir du meilleur de sa récolte en donnant à Dieu le reste des restes ? Et ne faisons-nous pas la même chose, même si nous sommes riches, quand nous nous rassasions de mets variés et habillons nos femmes et nos enfants d’habits chers, en choisissant les tissus rouges et pourpres ? Et pourquoi n’éprouve-t-on aucune peine à puiser chaque jour dans ses coffres pour rendre sa maison plus confortable, mais quand il faut faire quelque chose pour honorer Dieu, on se met à compter ses sous et on croit sombrer dans l’indigence ?

[Chapitre 14 : Il faut que nous, tous et chacun, fassions au moins une seule fois le bien plutôt que le mal]

Cependant, même si nous sommes vraiment pauvres, il suffit que chacun honore Dieu et les saints par des icônes vraies et belles, dignes d’eux, pour qu’ensemble nous soyons capables de bien faire en toute chose d’autant que Dieu a depuis l’aurore des temps légitimé l’excès dans les bonnes actions. Dans l’Exode, le Seigneur parla ainsi à Moïse et à Aaron au sujet des sacrifices : « Allez dire au peuple d’Israël : le dixième jour de ce mois, que chacun se procure un agneau par famille et par maison. Et s’il en manque ou que quelqu’un dans la famille n’en est pas satisfait, qu’on invite alors la famille de son voisin selon le nombre de personnes qu’elle comporte et que chacun prenne pour soi

146

Page 147: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

un agneau selon ses besoins. L’agneau qu’on prendra sera un mâle d’un an, sans défaut ! »26

[Chapitre 15 : De l’intelligent agneau Jésus-Christ, Fils de Dieu, et de son image immaculée]

Tel a été le commandement divin à l’origine des temps, mais aujourd’hui c’est le Christ, Fils de Dieu lui-même, qui nous est apparu dans la grâce — [’agneau raisonnable, bien plus honorable que ces agneaux de sacrifice — qui nous a montré son image pour nous inciter à la foi et il nous l’a laissée ici-bas. C’est à partir de cette image du Christ que les iconographes habiles et pieux doivent copier son aspect avec vérité et ressemblance, plutôt que de s’édifier dans la foi en regardant ces icônes horribles et impies, que des malappris et des ignorants peinturlurent selon leur bon vouloir, sans se servir de la vraie image du Christ comme modèle. Car même si ces icônes impies sont parfois la cause de visions, cela ne sera pas assez pour justifier devant le juste Juge l’impiété et le mépris de ceux qui, tout en ayant connaissance de la belle image immaculée et divine de notre Seigneur Jésus Christ, font des peintures grossières et impies en se faisant ainsi apôtres de la fausseté et des ténèbres tentatrices au lieu de porter la lumière de la vérité.

Tu sais du reste que Dieu veut condamner ces insolents et ces tentateurs et il ordonnera de les enchaîner, tels des serviteurs menteurs et paresseux, et de les jeter dans les ténèbres extérieures. Mais ce n’est pas seulement par des tortures futures que Dieu décourage ces fous furieux : il les condamne et les punit pour leur arrogance ici-bas tout autant.

[Chapitre 16 : De l’insolence de la mauvaise iconographie]

Ainsi, au temps de l’empereur grec Léon le Grand, un certain iconographe, entreprit de peindre le Christ à partir de l’image de Zeus et sa main fut tout de suite paralysée. Elle resta paralysée jusqu’à ce que l’artiste se fût repenti et que le patriarche Ghennady l’eût guéri par sa prière27.

Cependant, tous ne subissent pas le même sort vu que Dieu ne se montre pas toujours aussi prompt à dénoncer et à châtier les mauvais peintres, car il est généreux et longanime, jusqu’au bout. Mais ceux qui ne se repentent pas et ne cherchent pas la vérité, ceux-là il les condamne à souffrir éternellement. Tout cela devrait suffire pour qu’aucune personne qui vénère véritablement les icônes des saints ne se laisse tenter par des icônes mal peintes.

[Chapitre 17 : De la tentation des mauvais peintres et du péché qui est en eux]

Les ignorants, qui ont peu de foi, se laissent tenter eux-mêmes, d’autres 147

Page 148: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

succombent à la tentation à cause de leur négligence des choses saintes, et d’autres encore à cause de leur avarice. Ces derniers recherchent des icônes bon marché et des iconographes malhabiles ou, encore mieux, des serfs qui peindraient n’importe quoi juste pour être nourris. Ce genre de mœurs conduit l’homme non pas vers l’intelligence de l’art mais vers la misère et l’indigence spirituelles, et une complète ignorance de la manière de créer les objets de piété.

[Chapitre 18 : De la construction et de l’aménagement du sanctuaire dans l’antiquité]

Au sujet de ces derniers, Dieu avait, dans l’antiquité, donné ses indications à Moïse pour la construction et l’aménagement du sanctuaire, au deuxième livre de Moïse : « Moïse convoqua Beçalel, Oholiav et les autres artisans à qui le Seigneur avait accordé une grande habileté et qui étaient disposés à exécuter les travaux. »28 Tu vois que Dieu commande de créer les choses saintes non pas aux serfs ni aux ignorants mais à ceux qui sont sages, car ces derniers ont reçu de Dieu en leur cœur l’habileté et l’intelligence parfaite de l’art. Ils sont donc les seuls qualifiés pour créer les représentations iconographiques de manière à ce qu’il n’y ait pas dans le sanctuaire divin rien de honteux ou de mal fait.

Or, s’il y a tant de laideur et d’impiété dans nos icônes, c’est qu’elles sont créées non pas selon les commandements divins, ni ceux des saints, mais par l’habitude qu’ont prise les rustres campagnards de peindre ces horreurs chez eux. Leurs œuvres se retrouvent maintenant même dans les églises, par nos péchés et notre ignorance.

Cette habitude impie elle-même s’est d’abord implantée à cause des malappris et des revendeurs, qui vivent de la vente des icônes. Une autre cause est la paresse des prêtres qui ne s’occupent pas assez de l’inventaire de leur église ; mais la raison principale de la prolifération de mauvaises icônes est bien l’inculture grossière de ceux qui pensent d’abord à l’argent, à l’or, et qui aiment enrichir leurs demeures, remplir leurs écuries de chevaux de luxe, et achètent de mauvaises icônes pour leur église en se justifiant, dit-on, de ce que même les mauvaises icônes avaient accompli des miracles dans le passé.

[Chapitre 19 : De ceux qui attendent des signes des icônes]

On dirait que la ruse de telles gens ressemble à celle d’Ananias et Saphira qui essayèrent de tenter Dieu en fraudant le prix [de leur propriété]29. Mais ces gens-là ont tellement à cœur leur avoir qu’ils préfèrent acheter de mauvaises icônes pour rien et en attendent ensuite des signes miraculeux. Ils méprisent ainsi la beauté et la dignité des saintes images. En vérité, ils tentent Dieu : ils ne vénèrent pas les vraies icônes des saints mais font comme ces Pharisiens qui, dans le passé, ont demandé au Christ des miracles, non pas pour la foi mais

148

Page 149: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

pour le tenter.

Et qu’est-ce que le Christ leur a répondu ? Il dit : « Cette génération est une génération méchante ; elle demande un miracle ! En fait de miracle, il ne lui en sera pas donné d’autre que le miracle de Jonas. »30 Et les Juifs n’ayant pas trouvé cette parabole convaincante, comment auraient-ils pu croire au Christ  ? C’est pareil pour celui qui attend des miracles des icônes. Ainsi méprisent-ils l’enseignement sorti de la bouche même du Christ. De même, quand les Juifs lui ont demandé ce qu’il pensait de l’impôt imposé par les Romains, le Christ a dit : « Montrez-moi une pièce d’argent. Le visage et le nom gravés sur cette pièce, de qui sont-ils ? Les Juifs répondent : De César. Alors il dit ceci : Rendez à César ce qui est à César, et rendez à Dieu ce qui est à Dieu. »31 Et si tu es un vrai chrétien, ne dirais-tu pas que l’impôt de César est moins important que celui de Dieu ? Et n’est-il pas vrai alors que l’image du Christ est beaucoup plus importante que celle des rois ?

[Chapitre 20 : De ceux qui sont plus attentifs aux images sur les pièces de monnaie qu'à l’image iconographique du Christ]

Mais tu as un grand respect pour ce qui est gravé sur la monnaie, alors que tu négliges sans crainte l’icône du Christ. Tu respectes les impôts annuels imposés par la loi royale, mais de toute ta vie, tu n’as pas encore trouvé une seule occasion pour payer ton dû à Dieu en t’achetant une icône digne de lui. Et si tu penses l’honorer par des icônes laides et impies, en espérant des miracles de celles-ci, tu es de mauvaise foi, car si même la voix de l’évangile ne t’a pas encore convaincu, comment pourraient le faire les icônes miraculeuses ? Disons-le : si tu t’achètes des icônes laides, c’est que tu penses d’abord à économiser tes sous et que tu n’as aucun souci de ce que l’image des saints soit décente. Quant à ce qu’on dit des miracles produits par de mauvaises icônes, tout le monde n’a pas l’intelligence pour pouvoir en parler.

Car ce n’est pas pour les miracles que les sages peintres ont commencé à représenter les portraits des saints ou autres...

[Chapitre 21 : De la contemplation des bonnes icônes et de la représentation fidèle du Christ]

...mais pour que leur aspect soit préservé éternellement, pour que l’on se rappelle toujours d’eux et qu’on les aime. Et celui qui pense que les icônes mal peintes et inauthentiques peuvent être agréables, celui-là se flatte vainement dans son esprit, car il a été dit : « Ils ne font qu’à leur tête et ils font selon leur désir. »32

Et quand tu t’apprêtes à contempler l’icône d’un saint, veille à ce que ce soit une

149

Page 150: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

bonne représentation, et quand tu apprends à peindre l’image du Christ, veille à ce qu’elle soit fidèle. Tu te mettras ainsi sur le bon chemin, mais si tu acceptes des icônes laides et mauvaises et que tu en attends des miracles, alors tu t’enfonces dans le mal et dans le dernier des péchés...

[Chapitre 22 : Des signes incompréhensibles]

...et cela malgré les miracles que tu pourrais éventuellement recevoir de ces icônes laides et insolentes.

Cela rappelle l’histoire de ce moine qui, disait-il, avait constamment des visions lors de la liturgie, pensant que les anges l’aidaient dans son service. Mais voilà qu’un diacre l’aperçut lors de la liturgie qui gesticulait passionnément, et trouva sa manière hérétique. Et quand, ensuite, ce moine demanda aux anges, qui l’aidaient dans son service mais qui ne lui indiquaient jamais comment faire, s’ils pensaient que le diacre avait raison, un ange lui répondit : « L'homme apprend d’un autre homme, mais l’ange n’enseigne pas, ni n’accuse. »

La même chose vaut pour les icônes, mon cher ami ; quand même de mauvaises icônes produiraient des miracles, elles n’ont pas été peintes par des anges mais par des ignorants et des malappris.

[Chapitre 23 : Pourquoi nous recevons parfois des signes des icônes]

Et puis il arrive que les miracles se produisent à l’occasion, comme le montre la légende du miracle de la ville de Virita (Beyrouth) où les Juifs se moquaient du Christ et ont percé ses icônes avec une lance. Dieu leur donne un signe de cette icône ; elle se couvrit de sang et d’eau, pour convaincre les Juifs de la vraie foi. Cette engeance au cœur dur n’a pas cru et a été frappée de maladie ; mais ils y apportèrent ensuite leurs malades en voulant tenter Dieu, et il les a guéris sur-le-champ. Or, cette icône était restée longtemps dans un grenier chez les chrétiens mais n’avait jamais produit de miracles avant la venue des Juifs. Ainsi, c’est par suite de l’impiété des Juifs et non pas à cause de l’attente des chrétiens que Dieu a choisi de montrer un signe par l’intermédiaire de cette icône.33

Le même fait est rapporté dans ce qu’on dit de l’empereur grec Emmanuel. Chaque fois qu’il faisait une bonne action, il peignait de ses propres mains une icône du Christ, mais cela n’a jamais occasionné de miracles. Finalement, quand il se rendit coupable d’une grande impiété devant Dieu — c’est-à-dire quand il condamna les prêtres — alors dans la nuit, il fut battu par les anges et vit en rêve l’icône du Christ qu’il avait peinte lui-même et qui disait en le montrant du doigt : « Battez ce mauvais sujet qui se permet de juger avant mon propre jugement. » Et pourquoi le Christ n’a-t-il pas dit plutôt : « Laissez-le, car il a peint une belle icône de moi-même » ? Mais Dieu ne pardonne pas l’insolence, même aux rois.

150

Page 151: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Et je pourrais te dire encore beaucoup de choses sur ce sujet si tu voulais m’écouter.34

[Chapitre 24 : Comment même les mauvaises icônes pouvaient devenir miraculeuses dans l’antiquité]

Mais revenons aux miracles. Ceux qui ont l’intelligence sereine savent combien de miracles avaient eu lieu en Israël dans l’antiquité, quand le grand prophète Moïse faisait des miracles avec son bâton : Moïse le transforma en serpent devant le Pharaon35, fraya un chemin ferme à travers la mer36 et rendit l’eau douce et buvable36. Tous ces miracles se produisirent pour glorifier non pas ce bâton ni d’autres objets sensibles mais le prophète Moïse lui-même et son intercession devant Dieu pour son peuple.

Et quand dans le désert le peuple souffrait des serpents, Dieu ordonna à Moïse de faire un serpent d’airain et de le monter sur une perche pour que tous ceux qui le voient soient guéris des morsures38. Et à ce moment-là, est-ce la nature même de l’image du serpent d’airain qui avait cette vertu de guérir les morsures ? Non, c’est Dieu lui-même qui guérissait sans l’aide de quelque image. Quant à l’effigie du serpent, elle ne servait à rien devant Dieu mais a été montrée seulement en tant qu’une occasion d’étonnements momentanés pour Israël et d’histoires à raconter.

Et encore un exemple39 : quand Balaam allait chez le roi Balaq pour maudire Israël, Dieu a voulu dénoncer sa hardiesse à travers son âne, pour qu’il cesse de combattre en vain la force et les ordres divins ; et pendant que Balaam allait ainsi sur son âne, voilà que tout à coup ce dernier ouvre grand ses mâchoires et dit  : « Que t’ai-je fait pour que tu me battes ? » Et tout de suite, un ange apparut à Balaam avec une épée, se dressant au milieu de la route. Balaam, horrifié, tomba de l’âne et se cassa la jambe. Mais remarque ici comment Dieu préfère faire taire son messager naturel, l’ange qu’il a envoyé, et fait parler à sa place, miraculeusement, une bête impure et muette pour dénoncer la stupidité et l’insolence de Balaam. Et en effet, quoi de plus merveilleux qu’un âne parlant à Balaam au lieu d’un ange ? Mais ce miracle rend-il l’âne honorable et digne d’apparaître comme intermédiaire, parlant et discutant, entre l’ange et l’homme ? Non, malgré le miracle, il reste un être impur et risible, bref une bête.

Vois donc la force de Dieu qui fait des miracles même à travers des formes impies et indignes. La grâce n’est en rien atteinte si elle descend sur des choses impures, ni si elle s’applique à notre indignité. Non, elle est plus forte que tout et elle nous couvre sans cesse de ses dons surnaturels et indicibles, et, tel un père, elle fait plaisir à ses enfants si elle se montre plus souvent. Le Seigneur est omnipotent, et ce n’est pas seulement à travers les forces intelligibles et sensibles — c’est-à-dire les anges et les hommes — qu’il fait des miracles et

151

Page 152: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

montre des signes mais à travers toute créature. Tout est au service de sa force, y compris les quatre éléments naturels — l’air, l’eau, la terre et le feu — quand il couvre les branches sèches de feuilles neuves et ordonne aux bourgeons de s’épanouir ; quand il dessèche par une parole le figuier verdoyant et fait couler l’eau du rocher, quand il fait les montagnes s’ouvrir et fait jaillir le feu pour montrer l’horreur des tortures de l’enfer qui nous attendent. Tout cela, Dieu le fait pour notre salut et nous conduit ainsi à la connaissance de la vérité.

Toi qui as douté des miracles, regarde quelles choses ont servi à Dieu dans l’antiquité pour manifester sa grâce.

[Chapitre 25 : Mais puisque Dieu lui-même a voulu se montrer dans le sanctuaire, il faut qu’on fasse les choses de l’Église belles et décentes]

Et lorsqu’il a voulu se montrer en personne dans le sanctuaire, Dieu ordonna à Moïse d’aménager d’abord le sanctuaire avec des choses belles et nobles, comme cela est raconté dans le deuxième livre de Moïse : « Tu dresseras la demeure d’après la règle qui t’a été montrée sur la montagne »40 — [« Puis tu feras un voile de pourpre violette, pourpre rouge, cramoisi éclatant et de lin retors ; on y fera des chérubins artistement travaillés. »41] — « ainsi tu construiras le sanctuaire selon l’image qui t’a été montrée sur la montagne et tu feras une planche en or pur et tu y graveras le symbole de la bénédiction divine [qui est sur vous]. »

Tout cela a été fait par Beçalel, Oholiav et les autres artisans à qui le Seigneur avait accordé une grande habileté et intelligence pour rendre belles les choses saintes selon les indications du Seigneur. Et aucun de ceux-là n’a jamais rien fait de contraire aux indications du Seigneur, ou pour se moquer du prophète, mais Moïse et ses artisans ont construit l’antique sanctuaire avec beaucoup de soin, à la ressemblance de l’image montrée à Moïse. Et maintenant le véritable aspect du Christ nous a été montré dans la grâce, qu’on doit respecter encore plus que cet antique sanctuaire. Il nous faudrait donc faire preuve d’un soin encore plus grand dans la décoration de nos églises qui doivent être belles et saintes, plutôt que de vexer Dieu avec des icônes mal peintes et fallacieuses, ou vanter sans discernement les miracles en passant sous silence la laideur des icônes qui les suscitent.

[Chapitre 26 : Discours du patriarche de Constantinople Mélétios sur les temples voués à la prière]

En effet, Mélétios, patriarche du Constantinople, écrit ceci dans son livre appelé Six Chapitres42 (édition d’Ostrog) au sujet des temples consacrés à la prière et construits pour la gloire de Dieu ; dans le chapitre 6, page 19, il dit : « Et où trouverions-nous aujourd’hui chez nous des peintres habiles, c’est-à-dire des

152

Page 153: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

iconographes qui auraient du respect pour Dieu et peindraient les saintes images avec piété à partir des représentations originelles, dont on pourrait embellir les saints temples réservés à la prière ? Mais au lieu de cette piété et de cette maîtrise, on accroche aux murs des églises des icônes qui ont été faites en rigolant et en jurant. »

Et encore un argument au sujet des icônes impies : dans le Lithos, ou la Pierre43, un critique parle ainsi au sujet des icônes laides et contre la fausse théorie de la perspective de Cassien Sakovitch, page 2 I : « Il est raisonnable de dire que ce pêché est la faute de l’iconographe, non de l’Église. » C’est une réflexion très juste de sa part, car l’Église n’est jamais coupable de péchés, mais ce sont ses serviteurs qui y introduisent l’impiété. Mais si seulement les pasteurs n’avaient pas laissé les ignorants s’occuper des choses saintes à la risée de tout le monde, s’ils avaient décidé de mettre à la tête des peintres les meilleurs iconographes, il n’y aurait pas eu de blâme au sujet des icônes.

Mais aujourd’hui, il ne reste presque plus d’iconographes habiles dans les diocèses : on a laissé le champ libre aux peinturlureurs qui se sont multipliés et ont inondé de leurs badigeonnages non seulement les boutiques et les maisons du peuple, mais les églises elles-mêmes. Cela donne raison à ceux qui haïssent le Christ, les hérétiques, qui ne reconnaissent pas les saintes icônes, et qui se sont donc mis à persécuter les chrétiens encore plus vigoureusement sous le prétexte du peu de valeur de nos icônes. Tout cela montre quel dommage subissent nos églises à cause de la mauvaise réalisation des icônes.

[Chapitre 27 : De ce que semblent voir ceux qui révèrent les mauvaises icônes]

Mais si quelqu’un pense croire aux icônes impies, qu’il écoute ce qu’en dit le Seigneur lui-même : « Il ne suffît pas de me dire : ”Seigneur, Seigneur” ! pour entrer dans le royaume des cieux : il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. »44 Et son disciple dit encore dans son épître, en encourageant la foi des fidèles : « Mes bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits, pour voir s’ils sont de Dieu. [...] C’est à cela que nous reconnaissons l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’erreur. »45

La même prudence est de mise avec les icônes. L’Église ne doit pas accepter n’importe quelle image ou apparence, elle doit plutôt vérifier d’abord si c’est bien une image du Christ ou de ses saints et si elle est bien peinte et avec justesse. Ce n’est qu’alors qu’elle pourrait l’accepter. Une icône impie et mal peinte est souvent une honte pour l’Église et est contraire au modèle originel. Son auteur ferait mieux de s’occuper de la poterie plutôt que de peindre des icônes qui couvrent la sainte Église de honte plutôt que d’honneur.

153

Page 154: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Beaucoup de gens, en effet, interprètent de travers cette parole qui dit que ce n’est pas le produit de l’art que nous honorons en vénérant les icônes et ils s’inclinent alors devant des icônes mal peintes. Mais en fait, cela veut dire simplement qu’il ne faut pas diviniser les icônes, et n’indique nullement qu’on peut mal peindre l’image des saints et vénérer des icônes laides.

[Chapitre 28 : De la mauvaise représentation des rois mortels]

Serait-ce un honneur pour le roi terrestre si un incapable ou un ignorant peignait son portrait avec des traits laids et grossiers, et le lui apportait dans son palais pour lui manifester son respect ? N’est-il pas évident que cet homme aurait reçu en récompense non pas de l’argent mais de cruelles tortures pour avoir rendu laide l’image du roi ? Même les scribes ont un grand soin de transcrire sans fautes le nom et les titres du roi, car il suffit de se tromper sur un seul mot pour être puni sur le champ.

[Chapitre 29 : De l’impossibilité de reproduire exactement l’aspect du Christ en image]

Or, l’aspect du roi céleste n’est acceptable, comme il est facile de le voir, que tel qu’il a été peint, beau et conforme au prototype, par un habile iconographe.

Déjà dans l’antiquité, on s’émerveillait devant cet art des iconographes. Le grand Chrysostome dit dans ses écrits, plus spécialement à l’occasion d’un enseignement moral dans ses Entretiens (pages 1770 et 2769)46, que l’art des peintres est une chose digne d’admiration. Mais de quels peintres parle-t-il dans sa parabole « La sagesse de la Providence et du Créateur » ? Certainement pas de ces ignares et de ces incapables qui peinturlurent des faces horribles sur les échiquiers et les planches de fortune et qui les troquent, comme on l’avait dit, contre un oignon ou un œuf aux femmes des paysans. On dit que la sagesse guide la main de l’iconographe, mais l’honneur des iconographes est bafoué, les icônes sont traînées aux marchés de campagne et leur saint art est foncièrement falsifié par des ignorants.

N’est-ce pas là la cause même du mépris que nous souffrons des païens qui se moquent non pas des icônes belles et saintes, ni des images des saints, mais de nos peintures maladroites et de notre incapacité de saisir la vérité des modèles ?

Non, ce n’est pas pour louer la foi païenne des latins que je dis cela, mais il reste qu’une bonne technique est respectée même chez les païens, car bien qu’ils manquent de foi, ils couvrent cependant leurs murs et leurs manuscrits d’images des apôtres et des prophètes exécutées avec beaucoup de maîtrise47.

[Chapitre 30 : De la bonne représentation des personnes royales]

154

Page 155: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Or, quand il s’agit de peindre les rois saints ou guerriers, on convoque d’habiles iconographes qui, de leurs mains expérimentées, représentent à la perfection ces personnes royales. Et si le peintre voit qu’il n’a pas encore saisi tout à fait les traits de son modèle, il corrige à l’infini sa peinture, jusqu’à ce qu’il réussisse un portrait exact et réaliste.

Mais si des hommes mortels méritent un tel respect et si l’on compose avec tant de circonspection le portrait des rois terrestres, ne devrions-nous pas montrer encore plus de zèle et de fidélité au modèle en travaillant sur l’image du Christ et de ses saints, au lieu de croire aux mensonges des ignares et des badigeonneurs venant du bas-peuple ?

Il existe — et il serait bon de se la procurer — une représentation fidèle du Christ dont on devrait se servir comme modèle : c’est son portrait sur le voile de lin qui a été envoyé à Abgar. Mais si on n’arrive pas à le trouver, il en existe un autre sur une tuile, il y en a même deux de ces tuiles. Or, si ceux-là non plus on ne peut les trouver, car ils sont très anciens, il reste que des copies fidèles de l’aspect originel du Christ existent encore chez les bons et habiles peintres chrétiens de ces pays.

Ainsi, il faut préférer la vérité au mensonge et créer des images vraies et fidèles au modèle.

Mieux vaut que tout le monde ait chez soi une seule mais bonne image du Christ devant laquelle on prie, plutôt qu’un seul chrétien se procure beaucoup d’icônes impies et laides, ce qui offenserait Dieu qui en est le modèle.

[Chapitre 31 : De la décoration déraisonnable des mauvaises icônes avec de tarent]

Mais si quelqu’un objecte, en vantant le passé, que nos pères avaient des icônes laides qu’ils décoraient avec de précieux revêtements d’argent, les repliant généreusement sur les côtés et même sur le dos de la planche pour pouvoir vénérer sans crainte ces icônes si mal peintes ; à celui qui pense ainsi s’adresse la voix de l’apôtre : « Périsse ton argent, et toi avec lui... »48 Et si tu préfères adorer l’argent plutôt que la sainteté des images, les images des saints ne te donneront ni bonheur ni richesse, car il n’y a pas d’amour dans ton cœur pour leur aspect.

[Chapitre 32 : De la vraie vénération de Dieu]

Mais si tu veux vraiment vénérer l’image du Christ, va chez des sages iconographes pour qu’ils te peignent l’aspect du Christ avec zèle. Par ailleurs, si tu te crois pauvre et incapable d’acquérir une icône véridique du Christ, aie la foi,

155

Page 156: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

pense au puits de Jacob, dirige ton esprit vers le Christ, telle cette Samaritaine, et demande-toi dans ton cœur où et comment Dieu accueille un vrai fidèle. Et alors les yeux de ton cœur s’ouvriront et tes oreilles sensibles entendront Jean le Théologien annoncer la Bonne Nouvelle à travers ces paroles du Christ : « Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. [...] Mais l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. »49

Mais si quelqu’un, adorant Dieu, croit que Dieu est là avec lui en chair et en os dans cette icône, celui-là n’honore Dieu qu’en paroles mais adore quelque autre personne, pas Dieu. Son offrande est alors vaine, car Dieu n’est pas dans les peintures qu’on en fait. II a, par contre, la propriété d’être partout, en même temps, et de venir chez tous, et il ne peut être retenu. Dieu est esprit, car le Seigneur désigna son Père incorporel par son nom spirituel et ordonna qu’on l’adore en esprit et en vérité, en s’adressant à lui, son Fils, pour qu’il nous révèle la vérité ; car Dieu veut que le Fils soit dans les paroles de l’adoration : « Puisque la divinité se montre autant dans l’image du Seigneur que dans celle du Père et aussi dans l’Esprit, pour cette raison le Saint-Esprit, le Père et le Fils sont également inséparables dans l’adoration. »50

[Chapitre 33 : Dieu ne se trouve ni dans les châsses d’or, ni dans la mauvaise peinture, ni là où on l’adore]

Ces paroles évangéliques montrent clairement que Dieu ne peut être ni dans les décorations d’or, ni dans des oklads d’argent, ni encore moins dans les mauvaises peintures, mais uniquement dans une image véridique et fidèle à l’aspect du Christ.

[Chapitre 34 : Nous vénérons l’image peinte du Christ dans notre chair ambitieuse, mais notre esprit perçoit son aspect originel]

Et en honorant son icône dans la chair, nous plions notre corps devant elle, mais notre esprit adore sa divinité invisible dans la vérité et c’est ainsi que nous adorons le Christ, Fils de Dieu, qui s’est incarné dans la chair humaine...

[Chapitre 35 : De l’apparition surnaturelle du visage du Christ sur le voile de lin, qui doit être le modèle du peintre afin qu’on ne vénère pas l’image d’un autre]

...et qui nous a laissé sa véritable image pour en témoigner. Cette image n’a pas été peinte par la main d’un homme, mais le Christ lui-même l’a créée miraculeusement de ses propres mains. C’est cette sainte et vraie image qu’il faut reproduire pour qu’on ne vénère pas l’image d’un autre.

[Chapitre 36 : De l’intelligence naturelle des iconographes ; <Chapitre 37> 156

Page 157: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

De la bonne composition des icônes de Mgr Malker, archevêque de Vologda ; et de l’élection des maîtres artistes à la tête des iconographes dans son évêché]

Ainsi, c’est dans leurs créations que les peintres trouvent la valeur de leur propre savoir-faire artistique. Quand ils peignent quelqu’un et trouvent que le portrait ne ressemble pas au modèle, ces artistes sont les premiers à blâmer leur propre incapacité à copier avec vérité. Si donc le portrait est laid et dégradant, ils ne l’associent pas à la personne qui servit de modèle mais le considèrent comme une chose méprisable et sans nom.

Mais que dire de ceux qui peignent des icônes impies ? Et à quoi ces dernières serviraient-elles sinon à insulter outre toute mesure le modèle originel lui-même ? [Ch. 37 ; le texte russe indique ici le début d’un 37e chapitre bien que la liste de chapitres mentionnés ne le cite pas.] Mais voilà quelqu’un qui montra un grand zèle devant Dieu dans son archevêché — son excellence Mgr Malker, archevêque de Vologda51. Ne pouvant supporter d’entendre le blâme et les injures contre les icônes impies, il a ordonné définitivement aux mauvais artisans de ne plus peindre d’icônes pour ne pas couvrir de honte cet art honorable. Et il a émis un décret qui désignait des maîtres artistes élus parmi les meilleurs peintres, et menaça d’anathème celui qui aurait osé désobéir et peindre avec impiété la sainte image du Christ ou de la Vierge.

Quant aux icônes de bons maîtres, il a ordonné qu’elles soient authentifiées par son propre sceau indiquant la date et que le maître lui-même y pose sa signature et son sceau, et que la sainte Église n’accepte que ces icônes approuvées. Que Dieu lui donne de s’affirmer dans l’intelligence et la sagesse spirituelle !

Mais si quelqu’un soutient que ce n’est pas la chose la plus essentielle parmi les dogmes de l’Église, ou que la représentation iconographique est la dernière en importance parmi les objets du culte, celui qui pense ainsi est un menteur et il n’aime pas les icônes. Car est un hypocrite celui qui dit vénérer les saintes icônes, mais qui ne regarde même pas ce qui y est représenté. Maudit soit celui, est-il dit, qui fait avec négligence le travail de Dieu52. Du reste, faisons les choses sacrées dans la crainte de Dieu. Amen.

PARTIE II

RÉPONSE À CEUX QUI BLÂMENT LA PEINTURE DES SAINTES ICÔNES OU OBJECTION À UN CERTAIN JEAN, DÉTRACTEUR MAL PENSANT

Ma réfutation commencera comme l’apprentissage des fils des médecins auxquels on enseigne qu’il faut d’abord donner à ceux qui souffrent de maux de ventre non pas des breuvages doux et sucrés, mais des potages âpres et aigres jusqu’à ce que les parasites qui rongent leurs entrailles dépérissent. Les

157

Page 158: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

guerriers qui vont au combat font la même chose : ils ne se contentent pas de faire briller leurs armes devant l’ennemi et de revenir ensuite ; de vrais guerriers vont directement au sein des troupes ennemies avec l’épée dégainée et les frappent sans pitié, jusqu’à la victoire. On procède de même dans les débats écrits.

Quand certains sentent en eux l’attaque du doute incitant au mensonge et à l’injure concernant les choses saintes et bonnes, ils décident alors de s’affirmer dans le zèle de Dieu et s’arment ainsi contre l’ennemi qui s’insinue dans leur pensée. Et contre l’ennemi concupiscent et ses paroles mensongères, on prépare des réponses suivant l’esprit du Christ, à l’image d’un bouclier, comme dit l’apôtre : x Revêtez l’armure de Dieu...Recevez enfin […] le glaive de l’Esprit »53, c’est-à-dire la connaissance des Écritures saintes. Ce n’est donc pas par ses propres discours que l’on doit se convaincre, mais en puisant en d’antiques écrits. On interpose ainsi entre nous et l’ennemi le témoignage des hommes inspirés par Dieu, en espérant briser ainsi les pièges de l’ennemi invisible et de Satan lui-même, comme on confond un menteur impotent et craintif. Quant aux ennemis visibles, c’est-à-dire ces hommes aux pensées légères qui blâment vainement l’art pictural, il n’y a pas lieu de se taire à leur sujet.

C’est à toi que je parle, Jean Plechkovitch, détracteur sans vergogne. Pourquoi t’attaques-tu aux beaux décors des églises et ressuscites ainsi une vieille querelle ?

Qui donc t’a rempli aujourd’hui de ce détestable venin qui t’incite à philosopher en t’inspirant haineusement de Copronyme54 et des autres iconoclastes ? C’est à eux que tu veux ressembler en proclamant qu’il ne faut vénérer aucune icône du Sauveur ou de la Vierge qui soit peinte par un étranger55. Tu induis ainsi en tentation non seulement toi-même mais aussi tes partisans, car tu insultes l’icône du Christ par des calomnies injurieuses. Et on entend partout dire de toi que tu ordonnais de mettre l’image peinte du Christ dans des endroits les plus malfamés et lugubres. Vraiment, tu as perdu la vue, tu as plongé dans les ténèbres de l’ignorance et, comme ludas, tu n’as pas voulu comprendre la vérité.

Tu dis que seuls les Russes ont le don de peindre les icônes et que donc il ne faut vénérer que l’art russe et ne pas reconnaître ni vénérer les icônes venues d’ailleurs56. Mais en raisonnant ainsi, comment expliques-tu qu’il y a à l’étranger un grand amour pour la sagesse et surtout un grand zèle pour le sage art de peindre ? Comment expliques-tu que les peintres étrangers non seulement peignent l’image du Christ et de la Vierge sur les murs et les planches et l’impriment habilement sur le papier, mais aussi qu’ils ne méprisent pas pour cela la mémoire de leurs rois terrestres ni n’oublient de les représenter. C’est qu’ils s’inspirent du courage de ces héros dont ils chantent les exploits et peignent

158

Page 159: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’image ; ils représentent aussi toutes sortes de choses et les vies des saints ; ils les représentent si bien qu’on les croirait vivants57.

En regardant toutes ces peintures, les infidèles58 s’éclairent les uns les autres et éduquent leurs enfants. Ils leur montrent d’abord les peintures de la Genèse, c’est-à-dire de la création du monde, de la tentation d’Adam et de son expulsion du Paradis terrestre, et ensuite celles de l’histoire de Moïse. D’autres représentent les rois d’Israël et les prophètes jusqu’à Jean le Précurseur, la Nativité, le Baptême et la Passion, et ensuite les actes des apôtres et l’Apocalypse — tout cela comme si c’était vivant59.

Ensuite ils peignent les rois romains et grecs, russes et perses, turcs et tchèques, et plusieurs autres qu’ils représentent tels qu’ils étaient de leur vivant, et en habits de l’époque, dessinés avec précision. Cela fait que chaque peuple connaît le visage et l’aspect de son roi et tout le monde se réfère au portrait du roi comme au souverain lui-même pour glorifier ce dernier. De telles peintures sont un honneur pour la nation et une gloire suprême pour son roi.

Il arrive que parmi tous ceux-là se trouve le portrait de notre tsar russe, peint ou imprimé dans des « cosmographies » ou dans des atlas qui décrivent, grâce aux recherches des sages explorateurs, toutes les capitales du monde et les rois qui y gouvernent.

Alors, que dis-tu de ce portrait du tsar, Plechkovitch ? Mérite-t-il d’être loué et honoré avec amour ? Ou proposes-tu de le reléguer aux bains pour l’humilier, comme tu le fais pour les icônes du Christ peintes par des maîtres étrangers ?60

Vraiment, tu aurais l’air d’un fou et d’un ignorant. Qui humilie ainsi l’image du tsar manque gravement à la civilité. Mais puisque tu te forces, par peur, d’honorer l’image du tsar terrestre, où as-tu trouvé le courage d’humilier l’icône du Christ, tsar céleste ?

En dénigrant ainsi l’art pictural61, tu t’opposes aux Écritures saintes et tu t’éloignes de l’antique tradition des pères en rejetant l’art et la sagesse des étrangers. N’étais-tu pas toi-même un étranger auparavant, n’est-ce pas chez les païens que Dieu a établi d’abord l’Église ? Pense à la grande foi de cette femme païenne du pays de tes prédécesseurs anciens [les iconoclastes des VIIle et IXe

siècles à Byzance], celle qui souffrait d’une continuelle hémorragie et qui fit fondre en cuivre la statue du Christ adulte en taille réelle pour la mettre à l’entrée de sa maison en souvenir de ses grands miracles mais surtout pour vénérer l’image du Fils de Dieu62. Dis-moi, Plechkovitch, bavard détracteur, quels artistes, grecs ou russes, ont créé de leurs pieuses mains cette statue ? Or, il n’y avait même pas encore d’artistes russes à cette époque et donc, semble-t-il, ces artisans étaient en fait ceux-là mêmes qui sculptaient, par ailleurs, les statues d’autres dieux, des dieux païens.

159

Page 160: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Mais encore meilleur est le récit de saint Paul arrivant à Athènes63 qui, visitant un panthéon, s’exclama : « Leurs dieux ! » Puis il vit parmi les idoles une qui avait l’inscription « Au dieu inconnu ». II la distingua des autres et non seulement la loua, mais il la bénit comme la première image annonçant la Bonne Nouvelle du Christ et ordonna de la vénérer en tant qu’image du Fils de Dieu64.

II existe beaucoup de pieuses images de ce genre en d’autres pays : en Grèce et chez les Romains, en Bulgarie et chez les Hongrois, en Lituanie et en Biélorussie où on a peint de nombreuses icônes en l’honneur des saints. Nous devrions en parler plus longuement, mais nous le ferons à une autre occasion.

Et maintenant que tu as entendu toutes ces choses âpres pour tes oreilles au sujet de la pieuse création des icônes, veuille en entendre encore au sujet de l’origine païenne de ce sage art pictural dont témoigne d’abord l’exemple d’Abgar, roi d’Édesse qui désirait ardemment aller voir le Christ à cause de ses nombreux miracles mais qui ne pouvait le faire étant tombé malade. Il envoya alors auprès de lui son très sage peintre Ananias pour que ce dernier peigne fidèlement l’image du Christ et la lui rapporte afin qu’il puisse régaler ses yeux de l’aspect de ce thaumaturge et s’en consoler de sa tristesse et de ses maux.

Ananias arriva donc en Judée et, exécutant avec soin les ordres de son maître, trouva le Christ qui était en train d’enseigner au peuple ; il voulut alors le peindre en cachette et à l’insu du Christ qui n’avait jamais encore été peint auparavant. Mais il n’aurait pas pu saisir l’insaisissable si ce n’eût été que le Christ, Fils de Dieu, lui montra lui-même le mystère de son être corporel : il se lava le saint visage et l’essuya d’un voile de lin sur lequel s’imprimèrent exactement ses traits humains. Il le donna à Ananias et renvoya celui-ci chez Abgar avec une lettre pour guérir ce dernier, mais surtout pour le convaincre de sa venue sur terre, incarné dans la chair.

Abgar reçut l’image du Christ, l’embrassa avec amour et s’en couvrit la tête. Il fut alors purifié non seulement des plaies qui infestaient son corps mais aussi en esprit, car il abandonna à cet instant l’idolâtrie païenne. Et en adoptant la foi chrétienne, il fut baptisé par Thaddée l’apôtre, peu après l’Ascension du Christ65. Mais ce roi d’Édesse, Abgar, n’était-il pas un étranger et un païen ? Et il était loin de la loi et des communautés hébraïque et chrétienne.

Or, pourquoi ni la Loi, ni le Christ législateur lui-même n’avaient condamné ni empêché l’art pictural et la création de la première icône ? Bien au contraire, l’action miraculeuse et surnaturelle du Christ affirme l’art iconographique et lui procure son premier modèle. Ce modèle enseigna la sagesse de l’art à Ananias, le peintre qui la transmit ensuite aux autres iconographes. À partir de ce temps, l’art pictural chez les païens a toujours grandi en sagesse et fut tenu pour un art

160

Page 161: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

honorable : ce n’est pas pour s’en moquer ou pour les humilier qu’on peignait les icônes des saints dans l’antiquité.66

On dirait, Plechkovitch, que tu remarques toujours mieux la paille dans l’œil de ton voisin que la poutre dans le tien. Vois un peu quelles icônes peintes par des Russes on vend sur nos marchés, tu en trouveras beaucoup qui ne sont pas meilleures que des gribouillages sur papier. Mais tu en achètes quand même vu leur coût modique et tu les vénères dans ta sottise. Ton hypocrisie t’a déjà coûté la santé : tu t’es cassé la hanche dans une bagarre, tu es tombé, et maintenant tu es boiteux des deux jambes à cause de ton manque de foi.

Il existe un crucifix fait par des artisans russes que nos chrétiens orthodoxes ont placé en 7163 (1654-1655) sur la montagne en face de la ville de Iaroslav pour protéger celle-ci, comme d’une visière ou d’un bouclier, contre les vents de la peste.

Mais toi, Plechkovitch, détracteur malpensant, tu tournes le dos à la croix et tu dédaignes et fuis, tel un noir démon, l’image du Christ qui est peinte dessus, et face à elle tu es anéanti, comme la fumée qui s’échappe du feu, et tu ne participes ni aux chants, ni aux prières, ni aux processions du peuple chrétien dont tu partages la foi, et tu essaies d’en détourner tes concitoyens en les pêchant avec l’appât, comme Satan.

Ta langue bavarde et menteuse incite aux troubles le petit peuple et décourage son amour pour l’icône du Christ en disant ceci : « C’est un Allemand qui est peint sur cette croix placée sur la montagne. » Ces paroles que tu as prononcées sont rapportées par Léonty Nikitin, un homme digne de foi, qui témoigne devant Dieu de ta mauvaise langue. De toute évidence, tu es, en toi-même et pour les autres, un ennemi juré de la croix du Christ.

Car si tu étais un vrai serviteur du Christ et si tu voyais un étranger peindre sans respect l’icône du Christ ou sa croix, tu devrais racheter cette cône de notre Seigneur Christ ou prier gentiment pour qu’on te la confie — et cela uniquement par piété. C’est ce qu’a fait ce pieu Joseph d’Arimathie, défenseur du Christ au conseil supérieur, qui réussit à se procurer une audience chez l’injuste Pilate et ses hommes, et retira de leurs mains sanglantes le corps du Christ crucifié qu’il avait eu la permission de descendre de la croix. Aucun doute ni aucune fausse pensée ne lui traversèrent l’esprit, et il n’eut pas peur de rompre l’ancienne loi et de risquer ainsi la punition des Juifs. Mais il prit son unique Législateur dans ses bras et le mît dans son tombeau neuf, comme un trésor sans prix ; et il mérita ainsi d’être éternellement à ses côtés dans le royaume des cieux.

C’est cet exemple que tu aurais dû suivre, mais tu as préféré t’assimiler aux Juifs quand, en sortant de la ville, tu as injurié l’image du Christ sur la montagne comme les Juifs qui ne firent que hocher la tête à la vue du crucifiement, et

161

Page 162: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

rentrèrent chez eux. Ainsi en blâmant et en insultant bêtement une icône du Christ faite par des infidèles, mais de bonne qualité67, tu offenses Dieu pas moins qu’un infidèle, tu te joins aux Juifs, tu crucifies le Christ de nouveau avec eux, tu réjouis Satan, tu iras en enfer avec lui et tu finiras par te blâmer toi-même.

Et d’ailleurs, comment réagirais-tu si tu voyais tes ennemis traîner dans la boue et déchirer pour s’en moquer l’habit préféré de ton père ? Te joindrais-tu à ces gens pour piétiner cet habit avec tes pieds et cracher dessus ? Ou bien, même si tu avais le cœur dur, serais-tu peiné par ce spectacle (comme Israël à la vue du vêtement ensanglanté de son fils préféré Joseph), et n’arracherais-tu pas ce vêtement des mains injurieuses, par amour pour celui qui t’a engendré, et, le pliant avec soin, n’en recouvrirais-tu pas les épaules de ton père ? Ai-je bien décrit ton action ? Ou négligerais-tu d’aider ton père en le voyant ainsi maltraité ?

Où est ta raison, haïsseur ? Car il est dit que seuls ceux qui connaissent la vérité et ont la raison saine sont dans le vrai. C’est pourquoi nous devons connaître tout ce qui se rapporte à l’art et à la création artistique.

Quand nous voyons une icône, russe ou étrangère, du Christ ou de la Vierge bien imprimée ou habilement peinte, nos yeux se remplissent d’amour et de joie et non pas de haine et d’envie, comme feraient les Juifs, car nous ne blâmons pas les bonnes icônes des saints, de production étrangère. Bien au contraire, nous estimons ces beaux objets plus que toutes les autres choses de la terre, nous les rachetons aux étrangers avec piété. Ou nous les obtenons en échange contre des cadeaux importants et nous accueillons l’image du Christ peinte sur bois ou imprimée sur papier en l’embrassant avec amour. Comme le prescrit la loi, nous apportons ces icônes aux prêtres qui les sanctifient par des prières spéciales et bénissent l’image de Dieu en l’aspergeant d’eau bénite, comme cela est indiqué dans la loi concernant la bénédiction des objets du culte. Et c’est l’honneur que font aux icônes tous ceux qui sont initiés aux icônes68.

Mais toi, Plechkovitch, homme envieux et mauvais, tu es le seul à te démener comme un chien enragé et à te pervertir le cœur. Tu nous interdis d’accepter les icônes faites par des étrangers alors que toi-même tu te sers couramment de leurs créations astucieuses. Interroge ton père et les autres anciens et ils te diront que tous les objets sacrés qui se trouvent dans nos églises chrétiennes russes sont de provenance étrangère — les habits, les amphores, les voiles, les suaires, tous les beaux tissus tressés d’or, les pierres précieuses et les perles. Tout cela, tu le reçois des étrangers, tu l’introduis dans les églises, tu en décores l’autel et les icônes et tu n’y vois rien de répugnant ou d’inacceptable69.

Mais quoi de plus parfait que ce mystère ? Ce n’est pas simplement l’image de Dieu qui reproduit son apparence originelle que tu perçois sur les objets de culte, mais tu bois le sang même qui s’écoule du côté du Christ sous l’apparence du vin venant du raisin. Or, réponds-moi : est-ce les Grecs ou les Russes qui

162

Page 163: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

cueillent ce raisin, quelles mains pieuses en pressent le vin, et de qui l’obtiens-tu ? Ne viendrait-il pas par hasard des Allemands ou de quelque autre peuple grossier ? Et non seulement ils le manient de leurs mains impures, mais ils le piétinent de leurs pieds sales dans les pressoirs.

Alors, quelle est ta réponse, Plechkovitch ? Puisque tu dis que toutes ces choses sont sanctifiables par les prières des prêtres, pourquoi une icône du Christ ne le serait-elle pas, fut-elle de production étrangère ? Tu dis que tu as été effrayé par une icône du Sauveur exécutée avec trop de réalisme ; est-ce pour cela que tu l’as jetée à terre ? Mais tu as toutes les raisons d’avoir peur, aveugle badigeonneur, car si tu as été effrayé par l’aspect du Christ ici-bas, pense quelle sera ta terreur à son Second Avènement, à moins que tu ne te repentes et ne demandes pardon à Dieu devant cette même icône du Christ que tu as détruite.

L’Emmanuel sur cette icône a les yeux pleins de bonté et d’autorité, comme en témoigne son histoire. Mais ta langue, ennemie de Dieu, dit qu’elle est allemande. Et comment ta gorge ne s’est-elle pas étonnée d’en entendre sortir un tel mot ? Tes oreilles sourdes n’entendent-elles pas l’éternel chant de David, prophète et roi, qui proclame : « Tu es le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres. »70 N’est-ce pas de l’Emmanuel lui-même que David parle ici ? Et encore : « Par ta beauté et ta bonté », « dépêche-toi de monter sur le trône et règne. »71 Et c’est ce qui arriva : quand notre Dieu plein de bonté a décidé de nous sauver par la grâce, il nous a montré son Fils unique né de la chair de la Vierge, et qui, ayant vécu un court temps parmi les hommes, s’est humilié jusqu’à la mort et le tombeau. Mais ne crois pas que cette humiliation a rendu laid le corps du Christ, ni qu’il ait vécu dans l’indignité pendant son existence humaine.

Cette extrême humiliation était nécessaire, pour autant qu’il s’était incarné divinement dans la chair esclave, et a accepté volontairement de souffrir dans cette chair les tortures et la mort pour racheter le péché d’Adam. Mais sa douce chair était sans faille ni péché ; il avait le corps d’un homme beau et parfait, aussi intègre, dit-on, — selon son âge et sa taille naturelle, et aussi beau — que celui d’Adam. Toutes ces qualités, il les a conservées même lors de sa passion et au moment de sa sépulture, comme en témoignent les douces paroles de sa très pure Mère. La très sainte Vierge l’a vu souffrir volontairement, et enlaçant de ses bras son corps très pur et le mettant sur ses genoux, elle embrassa maternellement le doux visage du Christ, et on l’a entendue prononcer ces tristes paroles dignes de pitié : « Je souffre tant, mon Fils, enfant de ma douleur, quand j’embrasse tes yeux sans lueur, ceux-là mêmes que j’ai vus sur la croix et qui étaient si pleins de bonté ! »72

Et dans un autre chant du même canon, ode 8 : « Nous t’entendions, ô pure Mère, quand tu pleurais sur ton doux Fils Jésus, et tes lèvres bougeaient avec

163

Page 164: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

grâce, et tes yeux étaient beaux de lumière et de bonté. »73 Et en entendant cette voix maternelle, qui n’en serait pas ému ? Ou qui aurait l’idée de contester la beauté du Christ ? Déjà dans l’antiquité, les prophètes l’ont annoncé par ces mots solennels : « En nous sauvant, tu nous couvriras de gloire et d’une grande beauté tu nous couvriras. »74 Et ailleurs : « Je ne demanderai qu’une chose à Dieu et je la rechercherai : de vivre toute ma vie dans la maison de Dieu, et de contempler la beauté du Seigneur, et de fréquenter sa sainte Église. »75

Vois comment le prophète aspire à contempler la beauté du Seigneur. Mais toi, vil envieux, tu as fermé tes yeux obscurcis. Et selon le mot du Christ, «  Tu vois et tu hais, tu écoutes et tu n’entends pas »76, combien y a-t-il de passages dans les Écritures saintes qui proclament l’apparence lumineuse et glorieuse du corps du Christ ? Tant était forte la lumière quand il a montré sa gloire à ses disciples sur le mont Thabor qu’ils ne purent supporter l’éclat de son visage, tombèrent à terre et se cachèrent les yeux.

Et dans un autre récit : quand les infidèles recherchaient et persécutaient les chrétiens, Trophime et Eucarpe, deux hommes puissants d’une ville de Nicomédie, s’illustrèrent par leur cruauté en torturant les chrétiens. Mais un jour, chemin faisant, ils entendirent une voix qui leur dit : « Pourquoi montrez-vous tant d’ardeur à persécuter mes serviteurs ? »77 Ils se prosternèrent alors et se dirent : « En vérité, le Dieu des chrétiens est puissant. »78 Et ils se levèrent et virent un être vêtu de blanc et très beau, assis au milieu d’un nuage entouré d’une grande foule qui le contemplait. Ils furent frappés par ce spectacle et d’infidèles, ils devinrent les plus fervents adorateurs du Christ.

Mais toi qui te dis fidèle, pourquoi doutes-tu de la beauté du Christ ? Ses propres paroles démontrent le mieux de son visage divin et humain, non mortifié quand il dit à ses disciples : « ...ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite... »79 Inutile de dire que lui-même n’exagérait jamais son chagrin et ne se comportait pas en Pharisien hypocrite, comme le rapportent les sages évangélistes. C’est pour cela que les maîtres Juifs de la loi l’ont pris en haine, ne pouvant supporter ses accusations et, par envie pour la grande sagesse et la bonté de son regard, ils en parlèrent comme d’un ripailleur et d’un soûlard.80

Et maintenant toi aussi, Plechkovitch, tu raisonnes comme ces Juifs et tu blâmes avec eux le très lumineux visage du Christ, porteur de joie, et tu inventes la loi selon laquelle il faut peindre le Christ avec un visage hagard et mortifié. Et tu prends en exemple ces vieilles icônes noircies par la fumée qui ont été plus d’une fois enduites d’huile de lin et grillées dans les fours de séchage. Or, ce n’est pas le résultat de l’art mais du travail de ces revendeurs incultes. Ils le font pour plaire aux rustres qui aiment les icônes sombres, car ils croient qu’une icône sombre ne déteint pas avec le temps.81

164

Page 165: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe chez les bons maîtres. Chaque icône, c’est-à-dire chaque représentation d’un être humain, est composée en parfait accord avec la disposition des traits et des membres de cet être, de sorte que chaque image ou icône neuve est peinte avec des couleurs vives et lumineuses, ainsi qu’avec le jeu d’ombre et de lumière, ce qui donne à l’image du volume et de la réalité.82 Avec le passage du temps, les couleurs de l’icône s’adoucissent et deviennent moins éclatantes ; d’autres, icônes négligées, s’assombrissent à cause de la fumée [des cierges]. Mais les belles icônes sont alors rénovées par des mains pieuses et retrouvent leur beauté originelle.

Ce n’est pas le cas des icônes impies qu’on enduit avec tant de zèle d’huile de lin qu’elles ne laissent plus voir leur laideur. Les échangeurs et les revendeurs, qui vont avec cette production d’un village à l’autre, et qui séduisent par leurs discours les paysannes, disent que plus il y a d’huile de lin mieux on peint l’icône et que pour cette raison, disent les vendeurs d’icônes, tous ces barbouillages sont saints.

Or, où trouveras-tu une telle recommandation, depuis le temps des apôtres et jusqu’à nos jours ? Tu n’en trouveras aucune de la part des Russes, à part peut-être chez les hérétiques latins83. Ceux-là, dit-on, pratiquent un drôle de rituel le Grand Jeudi : ils rassemblent un tas d’os provenant de plusieurs cadavres, et par ses prières le pape les consacre en l’honneur de chaque saint. Ils les marquent alors, les couvrent de métal ouvragé, les mettent sous le verre dans des châsses et les conservent ensuite honnêtement comme les reliques des saints.

Je ne saurais dire si en effet ils vénèrent ces choses. Quant à nous, nous persévérons dans notre culte originel des saintes icônes et nous croyons avec Jean Damascène et tous les saints théologiens qui s’accordent avec lui, et nous vénérons les saintes icônes, les Évangiles et la Croix. Cependant, ce ne sont pas les choses — la peinture, les couleurs, les planches, le papier, l’encre — que nous honorons, mais l’aspect du Christ notre Seigneur, tel qu’il est décrit dans les récits évangéliques.84

Regarde comment ces histoires s’accordent sur l’apparence du Christ — là est la vérité. Et c’est dans les quatre évangiles qu’on trouve une description fidèle de l’incarnation du Verbe, de la naissance et du baptême du Christ, de son enseignement qui nous sauve, de ses miracles, de sa passion et de sa résurrection. Nous vénérons et nous croyons ce qui est écrit dans les évangiles. Quant à certaines additions ou omissions mensongères des hérétiques, nous les rejetons et refusons même d’en entendre parler.

On raisonne de la même manière au sujet de la Croix. Si quelqu’un se signe avec impiété, soit par ignorance, ou par manque d’habileté, son geste n’est pas

165

Page 166: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

considéré comme étant le signe de la Croix elle-même mais simplement comme un mouvement de la main.

On s’attache d’autant plus à vérifier si l’image du Christ notre Seigneur sera peinte selon son apparence originelle et avec vérité, quant à la beauté de ses vertus corporelles. Si c’est le cas, on la vénère, l’honore et l’embrasse avec amour, telle une couronne de roi.

Mais si l’icône ne ressemble pas au modèle originel ou si elle a été peinte avec impiété et maladresse par un rustre grossier et ignorant, on rejette absolument cette peinture offensante comme un vice, méchant et impardonnable. Ce sont des infidèles et des hérétiques, ceux qui calomnient l’aspect originel, divin et charnel, du Christ en disant : « Qui connaît le Christ ? » ou « Qui l’a vu ? », ou « Qui pourrait le peindre avec vérité ? »85

À ceux-là, nous indiquerons un témoignage véridique sur la vénération des saintes icônes. Dans le Grand Livre86, où sont rassemblés les écrits de nombreux et célèbres saints, sur le feuillet 166, il est dit : « Par la grande beauté de son aspect originel, au Christ notre Dieu véritable... », etc., jusqu’au feuillet 167, fin de la strophe. Il y a aussi une référence aux livres qui affirme la double nature du Christ, et ensuite une brève note : « C’est pour cela que les écrits fidèles à Dieu racontent que la nature de ce dernier était à la fois humaine et divine », fin de la strophe. Et c’est ainsi que nous nous appuyons sur le visible pour comprendre l’invisible.

Les mêmes caractéristiques se manifestent dans l’image de la sainte Vierge, celle qui est apparue par elle-même sur l’une des colonnes qui supportent le temple de Lydda21. Cette image est la perfection même : la Vierge y est représentée dans la fleur de l’âge. Cette peinture est faite non de main d’homme mais de Dieu et elle ne s’abîme pas mais reste toujours intouchée, avec ses belles couleurs qui brillent comme neuves dans une composition des plus agréables, en insistant sur les arabesques des vêtements et des membres.

Cette fresque a été recopiée par des iconographes sous forme d’icône sur bois. Germain, patriarche de Constantinople, vit que toutes les nations la vénéraient pour sa ressemblance avec l’original. II proclama alors qu’elle devrait aussi s’appeler « romaine », car au temps des persécutions87, elle se retrouva mystérieusement à Rome et revint ensuite à Constantinople par elle-même.

Une autre icône, celle de Christ Notre Seigneur représenté dans la fleur de l’âge, est également allée à Rome. Elle montrait toutes les caractéristiques de l’aspect divin et humain du Christ, comme le rapportent les témoins contemporains : haut de trois coudées88, épaules légèrement voûtées comme signe d’humilité, beaux yeux, nez élégant, cheveux blonds et beaux, petite barbe un peu plus sombre, et

166

Page 167: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

les mains délicates aux doigts longs comme chez sa mère dont il tient son apparence humaine. Tout cela est relaté dans le Grand Livre.86

Mais ensuite, on y précise qu’on ne peut espérer apercevoir la présence divine dans cette très pure image peinte, car il est impossible de voir l’essence divine, que ce soit dans l’apparence de l’ange ou de l’homme. Ainsi le Christ lui aussi n’a pas été décrit dans sa nature divine mais selon ce qu’on sait de son aspect charnel, tel qu’il l’a montré lui-même sur le voile de lin ; car avant cela aucun iconographe ne pouvait espérer saisir l’image du Christ, pour s’en glorifier. Mais le très sage Créateur de toutes les choses s’est bien rendu compte du grand désir d’Abgar de voir son visage ; il a donc pris de l’eau, un voile de lin et il y a imprégné simplement son visage, sans se servir des couleurs des peintres. L’image qui en est sortie était tout aussi pleine de vie que l’original. II a envoyé ce voile avec une lettre à Édesse chez Abgar. Et de là, les copies de cette image véridique du Christ, exécutées par d’habiles iconographes, se sont propagées dans tout l’univers, chez toutes les nations.

Tu es le seul dans tout l’univers à dénigrer cet art des saintes icônes que tous, depuis les pères, respectent et révèrent plus que toutes autres choses. Le grand Basile en parle, dans son écrit sur les 40 martyrs, et dit ceci : « ...les écrivains et les peintres représentent souvent le Christ, les uns l’embellissant par les mots, les autres en le dessinant sur les planches. L’écrivain représenta dans les évangiles l’aspect entier du Christ comme en chair et le transmit à l’Église ; le peintre fit la même chose, en représentant sur le bois tous les beaux sujets de la doctrine de l’Église, depuis le premier Adam jusqu’à la naissance du Christ, et toute l’histoire de l’incarnation du Christ, et le martyre des saints. Il transmit tout cela aussi à l’Église. Ainsi ces deux arts racontent la même chose bien que l’évangéliste raconte à l’aide des mots qui inspirent directement les actions. » 89

Mais toi, Plechkovitch, homme à l’intelligence limitée, tu te démènes avec tes mauvaises pensées et tu insultes l’icône vivante du Christ par de gros mots, tu la blâmes et tu l’injuries. Vraiment, tu fais ainsi planer la malédiction sur ta propre tête et tu bourres tes propres entrailles de charbons ardents, car il est écrit dans le Mot du pape romain, Léonce : « 1-1 que ceux qui osent ôter quelque chose au canon de l’Église, aux Évangiles ou au signe de la croix, ou à la peinture des saintes icônes soient jetés hors de la communauté des prêtres ; quant aux séculiers, qu’ils soient excommuniés, et ceux qui n’acceptent pas ce qui est ici énoncé, qu’ils soient excommuniés loin de la sainte Église. »90 De quel témoignage plus concluant as-tu besoin alors même que la sainte Église d’Orient a toujours affirmé et n’a jamais rejeté la peinture des saintes icônes ?

Et maintenant toi, bouc bêlant, tu veux annihiler l’art pictural par tes discours mensongers, en prétendant que le patriarche lui aussi n’accepte pas les icônes peintes et qu’il maudit les peintres. Tes calomnies soulèvent l’orage de

167

Page 168: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’iconoclasme dans le peuple. Tu souffles tes paroles haineuses et corruptrices dans les oreilles des gens simples et sans convictions fermes, et tu manigances des calomnies contre notre grand seigneur, sa sainteté Nikon, patriarche de Moscou, et tu pervertis le cœur de nos chrétiens. Mais tu le fais sans vraiment comprendre pourquoi le patriarche condamne certaines sortes de peintures.

Car notre grand seigneur, sa sainteté Nikon, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Grande, Petite et Blanche, s’occupe de près de la très honorable peinture des saintes icônes, en voulant décorer les saintes églises avec des œuvres de choix. Il ne maudit pas l’art pictural, mais seulement condamne les peintres grossiers et impies, qu’ils soient russes ou latins, et il n’accepte pas que l’on humilie l’Église par de mauvaises icônes ; s’il empêche la prolifération de mauvais peintres, c’est qu’Il aime le vrai art pictural.91

II suffit de voir toute cette impiété, c’est-à-dire tous ces ignorants, qui osent peindre des portraits d’après nature alors qu’ils n’ont aucune technique et n’ont jamais étudié chez les maîtres. Or, voilà ce qu’on dit de cette très bonne école d’art pictural : si quelqu’un t’y faisait entrer, tu y verrais beaucoup de compositions extraordinaires aux couleurs précieuses et des images étranges et bizarres. Les étudiants se partagent le travail ; l’un dessine la tête, un autre peint le bras et un troisième encore représente des visages sur des tableaux d’essais. Leur travail est surveillé par leur maître ou un très bon professeur d’art. Il refait le dessin de l’un, corrige la peinture d’un autre ou vient près d’un autre encore. Et prenant un stylet, il gratte les couches de la nouvelle peinture pour la repeindre en améliorant l’image. Et il leur apprend encore toutes sortes de moyens techniques.

Nous t’indiquerons également ce qu’a à dire sur les peintres et les honorables icônes notre très pieux seigneur, le tsar et grand prince Ivan Vassiliévitch de toutes les Russies, dans sa réponse au grand concile :

Conformément aux ordres du Tsar, dans la ville souveraine de Moscou, dans toutes les villes, le métropolite, les archevêques, les évêques, surveilleront l’exercice du culte, et surtout les saintes icônes et les peintres d’icônes, et s’assureront que tout est conforme aux règles sacrées. Ils détermineront les obligations des peintres d’icônes, diront suivant quelles règles ils doivent figurer la représentation charnelle de Dieu notre Seigneur, de Jésus-Christ Notre Sauveur, de sa très chaste Mère, des puissances célestes, de tous les saints qui, de tout temps, ont su complaire à Dieu.

Le peintre doit être plein d’humilité, de douceur, de piété : il fuira les propos futiles, les railleries. Son caractère sera pacifique, il ignorera l’envie. II ne boira pas, ne pillera pas, ne volera pas. Surtout il observera, avec une scrupuleuse attention, la pureté spirituelle et corporelle. [S’il ne peut vivre dans la chasteté jusqu’à la fin, il se mariera selon la loi et prendra femme.]

168

Page 169: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

II fera de fréquentes visites à ses pères spirituels ; les informera de toute sa conduite, jeûnera et priera d’après leurs instructions et leurs leçons, aura des mœurs pures et chastes, ignorera l’impudence et le désordre.

Il peindra avec un soin scrupuleux l’image de notre Seigneur Jésus-Christ, de sa très chaste Mère, des saints prophètes, des apôtres, des saints et des saintes qui ont subi le martyre, des femmes vénérables, des prélats, des pères vénérables, selon la ressemblance, selon le type consacré ; les yeux fixés sur les œuvres des peintres précédents, il prendra pour modèles les meilleures icônes. Si ces peintres, nos contemporains, vivent fidèles aux instructions qu’on leur a données, s’ils accomplissent avec soin cette œuvre agréable à Dieu, ils seront récompensés, par le tsar, les prélats veilleront sur eux et leur témoigneront plus de respect qu’aux gens du commun.

Ces peintres prendront des élèves, les surveilleront, leur enseigneront la piété et la pureté, [et les conduiront chez leurs pères spirituels. Ceux-ci leur apprendront, selon le règlement qu’ils tiennent de leurs évêques, quelle vie, exempte d’impudence et de désordre, convient à un chrétien].

Que les élèves suivent avec attention les leçons de leurs maîtres. Si un élève, par la grâce de Dieu, révèle des dispositions artistiques, le maître le conduit chez l’évêque. Celui-ci examine l’icône peinte par l’élève, voit si elle reproduit l’image vraie et la ressemblance, fait une enquête approfondie sur son existence, s’informe s’il mène une vie pure et pieuse, selon les règles, exempte de tout désordre. Il le bénit ensuite, l’invite à vivre désormais dans la piété, à pratiquer sa sainte profession avec un zèle infatigable, et lui donne les marques d’honneur qu’il accorde à son maître, qu’il refuse aux gens d’humble condition.92

Et quoi que tu puisses croire, Plechkovitch, ces mêmes règles et honneurs ont toujours été dispensés aux peintres de la part des grands tsars d’autrefois. Vois quelles lois ont toujours guidé les Russes dans la peinture des saintes icônes. Et d’où tiens-tu, pauvre dément, que l’Église n’aime pas l’art pictural ? Car tu racontes que dans une cathédrale de Moscou le patriarche a jeté par terre toutes les icônes peintes et a ordonné de les gratter afin de les repeindre.

Or, tu ne sais pas, pauvre fou, qu’il est permis de non seulement gratter des images mauvaises et impies, mais aussi de brûler les icônes trop vieillies, comme c’est stipulé dans la réponse des chrétiens à Papiscus le Juif, qui vivait à Jérusalem à l’époque du patriarche Sophrony93. Il y est dit que ce n’est ni le bois ni la peinture qu’on adore puisqu’on brûle souvent les icônes vieilles ou effacées, et qu’on les remplace par de nouvelles, pour mieux remémorer les saints. On comprend donc que les icônes ne sont pas des divinités et ne peuvent faire autre chose que d’élever notre esprit vers l’aspect originel du Christ ou de ses saints,

169

Page 170: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

et c’est leur force qui agit alors dans les icônes.

Si une image est faite avec élégance, on la vénère telle quelle et on reconnaît tout de suite qui elle représente ; mais si elle est vieillie ou couverte d’une couche trop épaisse d’huile de lin, donc peu claire, une telle image ne fait pas plus honneur au saint qu’une simple planche qu’on vénérerait. Car l’aspect du saint y est terni comme l’aspect de la croix le serait si la pierre ou le bois en était pourri. Quant à for et à l’argent, ceux-là ne peuvent en aucun cas faire l’objet de vénération, dit le grand Jean Damascène dans ses écrits qu’on appelle Les Cieux94.

Je t’en ai déjà dit assez sur la peinture des saintes icônes, mais as-tu saisi intelligemment, Plechkovitch, pourquoi il y a des icônes noires et blanches, claires et riantes ou mortes ou peintes ?

Or, regarde un peu comment on représente l’Annonciation de l’incarnation du Christ sur terre : l’archange Gabriel se tient debout devant la très sainte Vierge qui est assise. Et comme ces anges qu’on voit souvent dans le saint des saints, le beau visage de l’archange est peint clair et jeune, et non pas sombre et méchant. Quant à la Vierge, elle y est représentée telle que Chrysostome l’a décrite dans son discours sur l’Annonciation de la très sainte Mère de Dieu : visage de jeune fille, bouche de jeune fille, corps de jeune fille, etc. Et c’est ainsi que la représentent les sages iconographes95.

Dans la Nativité du Christ, on voit la Mère assise, et l’enfant couché dans la crèche. Et comment voudrait-on qu’un si jeune enfant ait le visage sombre et terne ? Non, il faut le représenter blanc et rose, beau et non pas laid, selon le prophète [David] qui dit : « Le Seigneur a établi son royaume, il s’est revêtu de beauté. »96 Et ailleurs : « Seigneur, nous marcherons dans la lumière de ton visage et nous nous réjouirons de ton nom. »97 ?

On représente de même tous les autres épisodes de sa venue corporelle sur terre. Quand il va volontairement à sa passion, on le représente sur un âne. Et au milieu de sa passion, quand il reste debout devant Pilate, on le voit attendri. Quand on le conduit à l’exécution, il porte lui-même sa croix sur l’épaule. Et quand, sur la croix, il appelle pour la dernière fois son Père et expire, à partir de ce moment et pendant les trois jours avant sa résurrection, on le représente mort, avec les yeux fermés et les sens impuissants, comme en témoigne le prophète : « II n’y a en lui ni regard ni bonté, car la vie est partie sous la terre et le corps est mis dans le tombeau. »98 Ensuite il se lève glorieusement, apparaît aux disciples et monte au ciel. Tout cela est représenté à partir de son apparence charnelle et de sa vie sur terre.

On peint de la même façon l’aspect du martyr. Quand le saint est conduit à

170

Page 171: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’exécution, il y va vivant et agile comme un cerf qui va boire à la rivière. Mais après que le bourreau l’a exécuté, sa tête ressemble à celle d’un homme mort et on représente son cadavre gisant à côté.

Mais si tu veux apprendre quelque chose du rayonnement du corps des saints, tends l’oreille et écoute les paroles des écrits inspirés par Dieu, secoue l’aveuglement de tes yeux et vois comment les choses se passaient à l’origine. Sur le mont Sinaï, après avoir reçu de Dieu la Loi, le grand prophète Moïse est descendu dans la plaine auprès d’Israël tenant dans ses bras les tables sur lesquelles le doigt de Dieu avait tracé les lettres de la Loi et les fils d’Israël n’ont pas pu regarder le visage de Moïse à cause de sa luminosité, de sorte qu’Aaron a dû lui mettre un voile sur la tête. Et c’est à visage couvert que Moïse a parlé aux fils d’Israël.

En représentant cette scène, comment pourrais-tu peindre le visage de Moïse selon ta manière, sombre et noirci, puisque tu aimes tant, Plechkovitch, les icônes lugubres et enfumées ? Mais cela ne sera pas selon ta mauvaise volonté, car la vérité n’est pas assujettie aux coutumes des ignorants. C’est la coutume des ignorants qui doit obéir à la vérité.

Cependant, la vérité requiert parfois qu’on représente hagards les visages des ermites comme celui d’Élie, adorateur de Dieu, ou de Jean Baptiste, l’égal des anges, et d’autres habitants du désert : Onuphre, Marc, Paul de Thèbes et d’autres qu’on doit représenter dans le même style.

Les très sages maîtres peuvent représenter les saints selon leur vie et leurs actes, vieux et desséchés par la faim, maigres et meurtris, exactement comme ces vénérables hommes étaient dans la vie, où ils ont préféré mépriser leur chair pour être beaux dans l’au-delà. Certains, dès leur mort ici-bas, ont reçu l’incorruptibilité de la chair et ont fait voir un visage plein de lumière. Comme cela est dit de la clarté du visage de saint Carpe dans « Le Mémorial » des saints : à sa mort, son visage devint plus lumineux que le soleil99. Beaucoup d’autres saints ont été ainsi glorifiés par Dieu à leur mort, bien avant de recevoir ce rayonnement et cette beauté qui sont donnés aux justes dans l’au-delà.

Et que dire de cette récompense et du couronnement qu’ils y reçoivent ? N’y seraient-ils pas encore plus lumineux, tels justement que nous les voyons aujourd’hui sur certaines de nos icônes ? C’est que nous ne peignons pas seulement leur aspect terrestre pour perpétuer leur mémoire, fussent-ils vraiment beaux et puissants ici-bas, car cela n’est rien comparé à leur clarté céleste.

Mais rappelons encore ce qui a été écrit dans l’antiquité, au sujet de la véritable beauté et puissance des saints, sur David et Salomon, sur Esther et Judith, et sur les enfants de Job dans le ciel, et aussi sur Suzanne. Quand les vieillards ont vu cette dernière, si belle, ils se sont enflammés pour elle. Puis ils l’ont accusée

171

Page 172: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

d’adultère, et après l’avoir calomniée devant la cour, ils lui ont ordonné de découvrir son visage pour se délecter encore de la beauté lumineuse de son visage. Mais l’âme de Suzanne était pure et rien n’aurait pu lui nuire, même si le diable lui-même avait été jaloux de sa beauté et avait voulu la mettre à mort. Mais ces juges eux-mêmes, complices du diable, ont été condamnés à la mort, comme le rapporte le grand prophète Daniel, qui a pris des notes lors du procès de Suzanne et qui témoigne qu’elle était belle à voir. Or, il y avait beaucoup d’autres personnages d’une beauté comparable dans l’antiquité.

Et maintenant, Plechkovitch, tu conseilles aux iconographes de peindre sombres et laids les visages des saints et tu nous enseignes à mépriser les anciens écrits. Mais un peintre sage et un moine intelligent ne font jamais ainsi, car ils représentent l’aspect des saints et les épisodes des Écritures en accord avec les récits de celles-ci, tels qu’ils les ont entendues et vues dans leur imagination100.

Et comme dans l’antiquité, beaucoup de saints des temps modernes, hommes et femmes, avaient une belle apparence. La mère du premier empereur chrétien, Constantin, la noble Hélène, n’était-elle pas belle ? L’histoire des empereurs romains rapporte que Constance Chlore, père de Constantin le Grand, ne put trouver aucune autre femme aussi belle dans toute l’Italie. On peut dire la même chose des martyrs : les grands-martyrs Georges, Dimitrius, Théodore et autres, et la sainte mégalomartyre Catherine dont la beauté et l’éclat du visage sont semblables à la lune dans les cieux. Quant à la très vénérée, mégalomartyre Barbara, on raconte qu’il n’y a jamais eu de femme aussi belle, car elle était semblable à un ange. Mais la beauté et la bonté de ces saints leur ont été conférées par Dieu.

Comme Dieu a dit lors de la création du monde : « faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. »101 Et puisque l’homme fut créé ainsi, avec l’image de Dieu en lui et une âme vivante, comment peux-tu récuser aujourd’hui la beauté vivante des images des saints et envier la beauté qu’ils ont reçue de Dieu. Ainsi Satan enviait jadis la bonne apparence du premier homme Adam et le poussa à la transgression par ses mensonges. Tu fais de même en croyant que la beauté de la créature n’est pas agréable à Dieu et en essayant par des mensonges de nous détourner des belles et saintes icônes, comme si toi-même tu étais séduit par quelque diable. Gare à toi, envieux mensonger ! Cesse de calomnier la belle peinture des saintes icônes, ou tu seras précipité, comme Satan, dans les abysses !

Retourne-toi et vois comment le disciple aimé du Christ, Jean, ayant aperçu un adolescent qui le dessinait dans le sable, apparut à ce dernier et l’a envoyé chez Chinaria, maître du roi. Ensuite, lui-même ou un ange apparaissait souvent à l’adolescent lors de son apprentissage. Quand ce dernier a complété enfin l’icône du Théologien, habilement dessinée et très lumineuse, la nouvelle de

172

Page 173: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

cette œuvre merveilleuse n’a pu échapper au roi. Et lorsqu’on a amené l’icône du Théologien dans le palais royal, elle rayonnait comme le soleil102, et c’était à cause du fond blanc sur lequel les couleurs étaient posées et non parce qu’elle était sombre, comme on en voit beaucoup aujourd’hui dans les villages où la négligence des paysannes laisse les icônes s’enfumer et se dessécher près de l’intense chaleur du foyer.

Mais toi, ignorant, tu penses que c’est là le vrai art et la vraie maîtrise des anciens peintres. Et tu veux qu’on se range sur ces modèles sans comprendre que l’art ancien lui-même n’était pas exempt de toutes sortes de maladresses à cause de mauvais iconographes. La même chose s’est produite dans l’art du chant : les anciens chanteurs étaient souvent maladroits et déformaient les paroles des chants de sorte qu’à cause de ces chanteurs ignorants, les églises s’emplissaient dans l’antiquité de paroles impies au lieu de chants de louange.

Nous te montrerons ici quelques exemples de ces mêmes absurdités dans l’art iconographique. Va voir les icônes des anciens maîtres et tu verras qu’elles sont pleines de fables impossibles. Par exemple, les ignorants racontent que quand l’archange Michel prit l’habit, il n’avait pas encore la force de vaincre Satan et que pour cela il a dû attendre de devenir moine. Et c’est en suivant ces fables grossières que des iconographes bêtes et aveugles ont impunément représenté l’archange Michel en habit noir de moine combattant Satan lors du Second Avènement. Quel homme à l’intelligence claire ne rirait pas de telles folies dont il est même honteux de parler ? Mais les anciens iconographes étaient sans loi ni surveillance et ils aimaient représenter ces fables mensongères sur les icônes.

Ou encore dans la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres, où trouverais-tu l’image de la sainte Mère ? Serait-elle quelque part dans un coin noir de la chambre où les apôtres se sont rassemblés ? Non, elle n’y est pas du tout. Tu vois maintenant que ce n’est pas l’intelligence qui guidait les anciens dans leurs choix. Ils croyaient que la Mère de Dieu n’avait pas part à la réception de la grâce du Saint-Esprit et ils ne la représentaient jamais en compagnie des apôtres103.

Mais il y avait des faussetés beaucoup plus méchantes et injurieuses pour Dieu. Par exemple, quelques anciennes icônes comportent l’impiété suivante : ces bandits d’iconographes de l’époque représentaient le Second Avènement en peignant le Christ sur la croix dans les entrailles de son Père, comme si Sabaoth le tenait dans son sein.

Tout cela n’est-ce pas le résultat de ce qu’on laisse les ignorants se procurer sans discrimination des icônes impies ? Que dire si les iconographes eux-mêmes faussent leur propre art ? Nous n’avons donc plus qu’à nous demander : y a-t-il encore des gens intelligents qui savent distinguer une bonne icône ou

173

Page 174: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

choisir une bonne image du saint ?

Qui le sait, à part les personnes royales qui envoient leurs hommes à l’étranger chez de sages peintres pour qu’ils peignent leur portrait, et qui sont prêts à payer n’importe quel prix pourvu que l’image soit ressemblante ?

Quant aux icônes impies, tu peux t’en procurer beaucoup pour une seule pièce d’argent au marché où on les vend en séries, en les clouant les unes aux autres. Elles sont si laides et si bon marché que même la poterie se vend plus cher que ces icônes. Nous voudrions que cette impiété ne soit pas tolérée à ce point, mais c’est aux dirigeants d’en décider. Quant à nous, nous devons nous conformer aux ordres, comme cela sied aux théologiens. Nous sommes prêts à endurer des peines salutaires non seulement de la part de notre pays, mais nous saluons également toute épreuve étrangère propice à nous corriger.

Comme les abeilles travailleuses ramassent le doux miel des fleurs en survolant sans cesse les prés, de la même manière la vaste intelligence des peintres apprend à tout faire avec justesse et imagine intelligemment tout cela dans son cœur. Elle voit tout, elle veut tout découvrir et elle essaie de représenter avec ressemblance non seulement les choses du siècle, mais son ouïe et sa raison touchent aussi à l’invisible et elle lui donne une apparence visible par le dessin.

Mais si quelqu’un arrive à ce niveau de maîtrise par soi-même, ce ne sera pas par les déviations d’une intelligence sans envergure qu’il osera entreprendre cette tâche, mais grâce à une raison claire, qui lui permettra d’atteindre un niveau de perfection digne de louanges. C’est ce qu’on raconte de Luc, l’apôtre divin — gloire à lui pour la bonne nouvelle du Christ ! — qui, ayant appris par lui-même l’art de la peinture, a peint sur une planche l’aspect de notre très pure Mère de Dieu et Vierge Marie elle-même, en se conformant absolument à la noblesse du modèle qu’il avait sous les yeux et en rendant exactement tous ses traits : sa taille moyenne, son beau et saint visage féminin, un front haut et clair, le nez long et droit, ses très beaux yeux noirs comme ses sourcils. Quant à ses lèvres, il les a peintes belles et très pures, et ses doigts longs et minces, mais proportionnés. Sa tête lumineuse est embellie de cheveux châtains décorés avec élégance. Après avoir complété cette image aussi parfaite qu’un miroir, il l’a présentée à la très sainte Vierge et elle lui a conféré la grâce. Les saints apôtres ont ordonné au bienheureux évangéliste Luc de représenter sur une icône le très pur visage du Christ pour le vénérer dans son humanité divinisée. Luc peignit aussi les images des saints prophètes et apôtres, avec ressemblance et habileté, comme en témoignent les Actes des Apôtres.

Sur toutes ses Icônes, on voit que saint Luc peignait assis, en tenant la planche non pas sur ses genoux mais l’ayant devant lui sur un chevalet ; et après les avoir toutes peintes, il les a laissées à Jérusalem. Mais étant d’abord un

174

Page 175: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

évangéliste, il s’exerçait ainsi dans la prédication de la Bonne Nouvelle du Christ et c’est pour cela qu’il peignait des icônes lors de ses voyages pour les païens. Certains croient donc qu’il existe beaucoup d’icônes de la main de Luc ; et il suffit qu’on retrouve quelque vieille icône sans signature et dont personne ne connaît plus l’origine pour que les ignorants la prennent tout de suite pour l’une des icônes de Luc. Ce faible raisonnement des ignorants les persuade fortement de préférer les icônes sombres et noircies par la vieillesse, et aussi des icônes laides et impies, que des revendeurs laissent partir à très bon marché.

Quant aux peintures habiles et chères, ces impurs les haïssent et les accusent d’induire les chrétiens en tentation par la grande beauté des visages des saints. Ceux qui ont l’intelligence légère se laissent facilement persuader par ces idées et s’enflamment de mauvais désirs pour les saintes icônes. En vérité, ils s’assimilent ainsi aux habitants de Sodome qui, ayant la raison affaiblie, furent remplis d’un mauvais désir en voyant dans la maison de Lot ces convives qui ressemblaient aux anges. Et ils ont pressé Lot pour qu’il leur livre ses hôtes. Mais penses-y : Comment ces hommes sans vergogne avaient-ils ainsi déshonoré la divinité ? Comme la paille est mangée par le feu, ainsi, par leur propre injustice, ont péri les mauvais habitants de Sodome. On dit que leur enfer fume encore aujourd’hui.

Mais comment, malgré tous ces exemples, oses-tu, tentateur, regarder les images des saints avec cette impure malice et imaginer de telles tentations dans ton cœur ? Un pieux chrétien ne doit jamais poser un regard de ce genre, ni sur la beauté des images ni même sur les prostituées, et surtout pas sur les icônes — pour ne pas vexer en vain les saints. Une telle idée est signe de l’absence de toute crainte de Dieu et d’une grande profanation. Mais si quelqu’un voit dans les icônes une séduction corporelle et n’y aperçoit rien de spirituel, c’est que sa malice l’a rendu aveugle. Le grand Paul proclame au sujet de telles gens : « ...ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel ; ceux qui vivent selon l’esprit, ce qui est spirituel. »104

Quant à nous, ô Christ, Lumière véritable, donne à tes fidèles le rayonnement de la vérité et permets-nous de rester toujours dans la lumière de ton visage, et de peindre ta très sainte image dans la crainte et avec zèle, et d’enseigner sans jalousie cet art à ceux qui le désirent. Permets-nous enfin de recevoir, avec tous les saints, les biens éternels.

NOTES

*Joseph Vladimirov, Lettre d’un certain iconographe, Joseph, à l’iconographe du tsar, le très sage peintre, Simon Fédorovitch, édité par É. Ovtchinnikova, Drévnérousskoyé lskousstvo XVII, Moscou, 1964, p. 24 ss.

1. Alexis Romanov : 1645-1676. 175

Page 176: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

2. Simon Ouchakov : 1626-1686. 3. Ivan IV le Terrible : 1533-1584. 4. E. Duchesne, Le Stoglav ou les Cent chapitres, recueil des décisions de l’assemblée ecclésiastique de Moscou 1551, Paris, Bibliothèque de l’Institut français de Pétrograd, 1920 ; S. Ostrogorsky, « Les décisions du ”Stoglav” concernant la peinture d’images et les principes de l’iconographie byzantine », Byzanz und die Welt der Slawen, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1974. 5. Le métropolite Macaire de Moscou (1542-1563) présidait le concile Stoglav, et non le métropolite lassaphe. 6. A ce point-ci, nous entrons dans le vif de la question brûlante sur l’iconographie : le conflit entre le nouveau style, représenté par Vladimirov et Ouchakov, et le style traditionnel, représenté par le Serbe Plechkovitch. Vladimirov associe toute une série de mots au nouveau courant : « beauté », « clarté », « manière nouvelle », etc. Par ces derniers, il indique qu’il fait partie du courant influencé par la peinture occidentale dont il veut intégrer les principes et techniques dans la peinture traditionnelle russe, c’est-à-dire l’iconographie. Vladimirov caractérise la peinture ancienne par une autre série de mots : « la manière caduque », une image « vieillie et assombrie », « la manière ancienne », etc. Il prône tout ce qui vient des pays cultivés et modernes de l’Europe occidentale, et sur ce point, il n’a pas tort d’admirer le bon côté du progrès technologique de l’Occident. Par contre, dans son enthousiasme pour l’Occident, il n’a pas su distinguer entre l’iconographie, un art d’Église, et les principes qui la soutiennent, d’une part, et les principes et techniques de la peinture européenne, de l’autre. Puisque nous, en fin XXe siècle et grâce aux études accomplies dans toutes sortes de domaines de l’art traditionnel de l’icône et de la Russie, nous avons une plus grande perspective sur toute la question, nous connaissons les icônes anciennes et surtout celles de la période de Roublev dont la mémoire commençait à disparaître à l’époque de Vladimirov et d’Ouchakov. Après encore plusieurs siècles, nous pouvons voir les résultats du mouvement encouragé par le nouveau style. Nous savons que la peinture européenne a failli noyer complètement la tradition de l’icône traditionnelle et ecclésiale. Nous connaissons aussi les efforts des Russes, chrétiens et communistes, en vue de redécouvrir et restaurer l’icône orthodoxe à sa place en tant qu’image qui obéit à ses propres principes fondamentaux. 7. Vladimirov a tout à fait raison d’attirer l’attention sur le fait que ceux qui, à son époque, défendaient les icônes dans « la manière caduque » eux-mêmes connaissaient mal l’icône traditionnelle. Une icône couverte de noirceur, de suie n’est autre chose qu’une icône sale et devrait être nettoyée pour voir les couleurs. Nous nous demandons, pourtant, si tous les défenseurs pensaient que les icônes devraient être sombres : peut-être les plus ignorants, mais tous ? Nous connaissons, à partir d’autres sources, ce contre quoi les partisans de la manière ancienne protestaient : les images catholiques et protestantes importées en Russie par les occidentalisants.

176

Page 177: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

8. Saint Jean Climaque : vers 579- vers 649. 9. Référence incertaine, peut-être Is 7, 4 : « Que ton cœur ne défaille pas à cause de ces deux bouts de tison fumants... » 10. Référence incertaine. 11. Ps 50, 9. 12. Jn 8, 12. 13. Une référence au synaxaire, livre contenant les vies des saints pour chaque jour. Nous ignorons l’identité de l’évêque mentionné ici. 14. Voir le 7 mars, Synaxaire III, le hiéromoine Macaire, éd., Thessalonique, Grèce, Éditions To Perivoli Tis Panaghias, 1990, pp. 315-317. 15. Ex 31, 1-11. 16. Pr 9, 9. 17. Mt 25, 28. 18. Ps 81, 5. 19. Is 6,1. 19a. Y a-t-il confusion ou imprécision ici ? Vladimirov dit que le prophète a vu « cet Être lui-même, unique en trois personnes... », c’est-à-dire la Trinité ; il continue : « ...Dieu adoré et loué, Dieu le Père... ». On ne peut pas identifier la Trinité avec Dieu le Père. De toutes façons, la tradition patristique, qui est la racine de l’orthodoxie, voit plutôt les théophanies de Dieu dans l’Ancien Testament comme des préfigurations du Verbe incarné, le Christ. Voir S. Bigham, « L’image de Dieu le Père dans l’iconographie et la théologie orthodoxes », L’icône dans la tradition orthodoxe, Montréal, Médiaspaul, 1995, pp. 129-211. 19b. Cette citation commence avec un verset d’Osée 12, 11, mais la suite ne semble pas être une citation exacte d’un texte. Peut-être est-ce une compilation interprétative de la part de Vladimirov. 20. Ga 4, 4, plus une interprétation de l’auteur. 21. Voir Sendler, Egon, Les icônes byzantines de la Mère de Dieu, Paris, Bellarmin/Desclée de Brouwer, 1992, pp. 99-101. 22. Référence à des hermeneia, en grec, et podlinniki, en russe : Denys de Fourna, « Le guide de la peinture », P. Durand, trad., dans Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine avec une introduction et des notes, M. Didron, éd., Paris, Imprimerie royale, 1845 ; traduction anglaise : The Painter’s Manual of Dionysius of Fourna, Paul Hetherington, trad., Londres, Rœbuck Press, 1978. Une publication récente montre des dessins : An Iconographer’s Patternbook : The Stroganov Tradition, Christopher Kelley, trad., Torrence, Californie, Oakwood Publications, 1992 ; une autre donne des descriptions verbales : An Icon Painter’s Notebook : The Bolshakov Edition, Gregory Melnick, trad., Torrence, Californie, Oakwood Publications, 1995. 23. Référence incertaine. 24. Référence incertaine. 25. Ce sont des villages connus à l’époque pour la production des icônes : Torzhkova, Vera, Unkown Palekh, Moscou, Russian Style Joint Stock Company, 1993 (distributeur : Oakwood Publications, Torrance, Calif.).

177

Page 178: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

26. Ex 12, 3. 27. Ce « Léon le Grand » est Léon 1 (457-474) ; le patriarche, Gennadios I (458 471). 28. Ex 36, 2. 29. Ac 5, 1-10. 30. Luc 11, 29. 31. Mt 22, 15-22. 32. Référence incertaine. 33. L’auteur se réfère à la légende de l’icône du Christ de Beyrouth ; voir « Beyrouth », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 8, col. 1305-1306. 34. Manuel Il Paléologue (1391-1425) était moine et auteur de textes théologiques, mais nous n’avons pas d’information qu’il était iconographe. 35. Ex 4, 3 ss. 36. Ex 14, 6 ss. 37. Ex 15, 22 ss. 38. Nb 21, 6 ss. 39. Nb 22, 5 ss. 40. Ex 26, 30. 41. Ex 26, 31. 42. Référence incertaine. 43. Référence incertaine. 44. Mt 7, 21. 45. 1 Jn 4, 1 & 6. 46. Référence incertaine. 47. L’expression « la foi païenne des latins » étonne un peu. D’abord, comment peut-on dire que la foi des catholiques romains est « païenne » ; on comprendrait « hétérodoxe », voire « hérétique », mais païenne ? Deuxièmement, on aurait pensé que Vladimirov, vu son engouement pour tout ce qui est occidental, ait été plus indulgent pour la foi catholique. Apparemment que non. Il ne faut pas oublier que le milieu du XVIIe siècle était une époque d’intense rivalité entre les trois familles de la chrétienté : orthodoxe, catholique et protestante. 48. Ac 8, 20. 49. Jn 4, 21. 50. Référence incertaine. 51. Nous n’avons aucune autre information sur ce prélat. 52. Jr 48, 10 : « Maudit celui qui fait l’œuvre du Seigneur avec mollesse... » 53. Ep 6, 10. 54. Constantin V Copronyme (741-775), fils de Léon III et le deuxième empereur iconoclaste. 55. Est-ce une fidèle réflexion de l’accusation de Plechkovitch qui, lui-même un Serbe, est un « étranger » ? Les Serbes, les Grecs, etc., peignaient des icônes. Le sens du mot étranger peut-il signifier « non orthodoxe » ? 56. Il semble un peu curieux qu’un Serbe orthodoxe ait dit que seulement l’art

178

Page 179: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

russe est digne de vénération, en excluant ainsi les icônes serbes et grecques. Plechkovitch voulait-il dire que les Russes, parmi tous les peuples, sont les plus doués pour l’iconographie ? Il ne serait ni le premier ni le seul à l’affirmer. N’oublions pas que nous sommes ici en pleine polémique ; il n’est pas impossible, donc, que l’exagération s’infiltre quelque peu. 57. L’expression « à l’étranger », compte tenu de l’orientation occidentalisante de Vladimirov, doit signifier « l’Europe ». Le naturalisme de la peinture de l’époque en Occident, ce que Vladimirov admire surtout, est désigné par « ...on les croirait vivants ». 58. « Infidèles » : encore un langage dur pour les catholiques et les protestants. 59. Vladimirov ne semble pas distinguer entre une icône — disons, de la Nativité — et un tableau dont le sujet est la nativité du Christ. Ce n’est pas le sujet qui transforme une peinture en icône, mais plutôt la manière de représenter ce mystère. Selon les principes de la peinture occidentale de l’époque, par contre, la seule différence entre l’art sacré et l’art profane était le sujet. Et dans les deux cas — art profane ou sacré — tout devrait être le plus réaliste possible : « ...tout cela comme si c’était vivant ». 60. Ici se pose la vraie question ; Les peintres « étrangers » — c’est-à-dire catholiques et protestants — peignent-ils des icônes ou tout simplement des tableaux illustrant des scènes de la Bible ou de l’histoire de l’Église ? 61. Est-ce l’art pictural que Plechkovitch dénigre ou l’application à l’iconographie de principes et de techniques propres à un autre type d’art ? En comprenant que nous faisons face ici à deux types d’art, l’icône et l’art de la Renaissance, — une distinction que Vladimirov ne reconnaissait pas — le conflit entre les deux protagonistes est plus compréhensible. 62. Pour le premier récit historique de cette histoire, voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VII, 18, Sources Chrétiennes 41, Paris, Éditions du Cerf, 1965, pp. 191-192. 63. Ac 17, 16-34. 64. Vladimirov dépasse nettement la limite d’une libre interprétation du passage scripturaire. Dans une polémique, il est très dangereux de s’ouvrir ainsi à une contre-attaque de l’adversaire. 65. Pour l’histoire de cette légende, voir S. Bigham, Les chrétiens et les images : les attitudes envers l’art dans l’Église ancienne, Montréal, Les Éditions Paulines et Médiaspaul, 1992, pp. 66-68. 66. Vladimirov passe un peu à côté de la vraie question. Il est bien connu que l’Église a commencé parmi les vrais païens, les « étrangers », et qu’elle a adopté et adapté certains éléments de l’art païen de l’antiquité. De toutes façons, Plechkovitch ne s’indigne pas des gens d’autres nationalités que la russe mais plutôt des peintres qui importent une vision de l’art pictural différent de celle qui soutient l’iconographie. 67. Notons la combinaison de mots dont se sert Vladimirov : d’abord une « icône » du Christ peinte sur la croix, mais par un « infidèle » — un Allemand, probablement protestant, puisque Plechkovitch prétend que l’image ressemble à

179

Page 180: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

un Allemand — mais « de bonne qualité ». Vladimirov condamne sévèrement l’artiste mais loue son œuvre. 68. L’auteur soulève une question intéressante : Quel est le but de la bénédiction d’une icône ? Une icône perd-elle quelque chose si elle n’est pas bénite ; gagne-t-elle quelque chose par la bénédiction ? Un tableau de Rembrandt devient-il une icône s’il est bénit ? Les iconoclastes du VIIIe siècle disaient que les icônes étaient profanes parce que, à leur époque (787), il n’existait aucune prière de bénédiction pour elles. Les pères de Nicée II répondirent qu’elles n’avaient pas besoin, de même que la croix, de bénédiction pour être vénérables. (D. Sahas, Icon and Logos : Sources in Eighth-Century Iconoclasm, Toronto, University of Toronto Press, 1986, p. 99.) 69. C’est grave ici. Vladimirov met l’icône sur le même plan que les autres éléments décoratifs utilisés pour embellir une église. Une théologie de l’icône fait défaut. Les beaux tissus utilisés dans la fabrication des ornements sacerdotaux, les pierres précieuses qui décorent un évangéliaire, etc. ne peuvent véhiculer, de la même façon qu’une icône, la révélation chrétienne. 70. Ps 44, 5, traduction de la Septante, Les Psaumes : Prières de l’Église, Placide Deseille, trad., Paris, YMCA-Press, 1979, p. 86. 71. Peut-être Ps 44, 4-5 : « ...dans ta splendeur et ta beauté ; va, marche en vainqueur et règne. » 72. Le canon, ode 8, samedi, grand canon du soir. 73. Samedi, grand canon du soir. 74. Référence incertaine : peut-être Ps 8, 6, Psaumes, p. 32. 75. Ps 26, 4, Psaumes, p. 57. 76. Référence incertaine : peut-être Mt 13, 14-15. 77. Le 18 mars, « Trophime et Eucarpion », Le Synaxaire : Vies des Saints de l’Église Orthodoxe Ill, Thessalonique, Éditions « To Perivoli tis Panaghias », p. 404. 78. Cette citation ne se trouve pas telle quelle dans le récit du synaxaire. 79. Mt 6, 16. 80. Que le Christ ait été physiquement beau ou non n’a pas de grande importance. Nous n’avons pas la moindre idée de son aspect physique et de toute façon la beauté acclamée par une époque n’est pas nécessairement la beauté de la suivante. Quant aux icônes, la beauté en soi n’est pas l’un des canons fondamentaux. Évidemment, on ne veut pas peindre exprès une icône laide, mais la quête — devrais-je dire le culte — de la beauté, surtout définie par l’esthétique occidentale du XVIIe siècle, ne devrait pas être le premier souci d’un iconographe authentique. Voir S. Bigham, « Ce qu’est l’art de l’icône : un lexique », L’icône dans la tradition orthodoxe, Montréal, Les Éditions Médiaspaul, 1995, pp. 41-43. 81. Vladimirov a tout à fait raison de dénoncer l’idée selon laquelle les icônes devraient être presque noires. La lumière est de l’essence d’une icône. 82. Vladimirov applique à tort les principes de l’art du portrait naturaliste à l’iconographie.

180

Page 181: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

83. L’auteur lance encore des « fleurs ». 84. C’est un peu naïf de la part de Vladimirov de penser que des pratiques douteuses concernant les reliques — si son récit concernant le pape est historiquement vrai — se limitent aux catholiques romains. L’histoire montre que les orthodoxes se donnaient aussi allègrement que les catholiques à des corruptions pareilles. 85. Références incertaines ; peut-être les dires de certains peintres, en Russie ou ailleurs. 86. Référence incertaine. 87. L’iconoclasme byzantin des VIIIe et IXe siècles. 88. Une coudée équivalait à environ 50 cm. 89. « Je vous en rappellerai la mémoire et je vous représenterai leurs faits en raccourci comme dans un tableau pour votre utilité. Les peintres et les orateurs savent mettre au jour par le pinceau et par l’éloquence les actions mémorables des grands hommes pour animer les autres à les imiter ; la peinture fait à peu près le même effet que l’histoire et la parole ; en exposant à vos yeux les actions éclatantes des martyrs, j’encouragerai à suivre leurs traces ceux qui leur ressemblent en quelque façon par le courage. » : Basile le Grand, « Sermon XVII : Des Quarante Martyrs », Avertissement sur les sermons de Saint Basile et d’Astère d’Amasée, Paris, 1801, p. 236. 90. Référence incertaine ; peut-être du Liber Pontificalis, de saint Léon le Grand. 91. Vladimirov semble nettement fausser l’histoire. Ce n’est pas seulement contre les icônes de mauvaise qualité que s’insurgea le patriarche Nikon. Les données historiques indiquent que c’est précisément contre l’art occidental qu’il protesta. Plechkovitch n’était peut-être pas le plus éloquent ni le plus cultivé des défenseurs de l’iconographie traditionnelle, mais il n’était pas le seul à s’indigner de l’introduction d’éléments étrangers dans l’art de l’icône. Voir L. Ouspensky, La Théologie de l’icône, Paris, Les Éditions du Cerf, 1980, pp. 325-329. 92. E. Duchesne, Le Stoglav ou les Cent chapitres ch. XLIII, Paris, 1920, pp. 133-134. Les textes entre crochets se trouvent dans la traduction de Duchesne mais sont absents de l’édition d’Ovtchinnikova. 93. Référence incertaine. 94. Référence incertaine. 95. En réalité, « les sages iconographes » ne devraient guère s’intéresser à ces aspects extérieurs de la Mère de Dieu. Plus ils se concentrent sur l’extérieur, moins ils perçoivent la beauté intérieure. 96. Ps 92, 1, Psaumes, p. 162. 97. Référence incertaine. 98. Référence incertaine ; peut-être Is 53, 8. 99. Il y a plusieurs saints appelés Carpe ; donc il est difficile de préciser de qui parle l’auteur. 100. Vladimirov évoque le principe de l’illustration des textes bibliques. Ceci nécessite que les peintres exercent leur imagination. Ce mot, qui peut avoir plusieurs significations, est vu comme un des ennemis de l’iconographe quand il est synonyme de fantaisie.

181

Page 182: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

101. Gn 1, 26. 102. Nous ignorons la source de cette histoire apocryphe. Notons, par contre, que Vladimirov témoigne de l’importance d’un fond clair : soit doré, soit blanc. 103. Malgré lui, Vladimirov témoigne de l’icône traditionnelle de la Pentecôte où la Mère de Dieu ne figure pas, et justement. Bien sûr qu’elle était présente à l’événement lui-même, mais cette icône présente à la fois l’événement historique et l’Église symbolisée par les apôtres seulement. Puisque Marie n’était pas un apôtre, elle n’a pas sa place dans cette image. L’espace vide dans la partie supérieure de l’icône est pour le Christ invisiblement présent. Voir L. Ouspensky, « Quelques considérations au sujet de l’iconographie de la Pentecôte », Le Messager de l’Exarchat du Patriarche russe 33-34, 1960, pp. 45-92. 104. Rm 8, 5.

182

Page 183: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

DISCOURS À CELUI QUI AIME L’ICONOGRAPHIE1 par Simon Ouchakov

Le plus sage artiste de tous, le Créateur de toutes les choses spirituelles et matérielles, créa l’homme à son image et à sa ressemblance et lui conféra cette capacité de l’âme qu’on appelle « imagination » et qui permet à l’homme de représenter en images toutes les formes de la création.

Le Créateur donne à chacun le talent de représenter la nature2, mais l’excellence de ce talent varie de l’individu à l’individu. Ainsi il donne à certains le talent naturel de créer avec facilité, aux moyens de différents arts, des représentations visibles des objets à partir des conceptions mentales. Ceux-là reçoivent leur talent par la grâce, comme Beçalel, dont Moïse dit que « Dieu le remplit de son esprit pour toute tâche »3, ou comme Oholiav, dont il est dit : « Et j’ai mis dans son cœur la conscience et le sens de l’art, pour qu’il fasse tout selon ce que moi je t’avais ordonné de faire »4. D’autres, cependant, n’arrivent à ce niveau de maîtrise qu’avec beaucoup de peine et, comme les artisans dans les autres métiers, ils doivent prier et jeûner pour y accéder.

Parmi tant de métiers et d’arts qui existent dans le monde, sept seulement sont considérés « libres ». Les Grecs anciens estimaient, selon le témoignage de Pline l’Ancien5, que le premier et le principal de ces sept est l’art de la représentation, subdivisé en six catégories : la sculpture dont les matériaux sont la pierre, le bois, l’ivoire et en général tout ce qui peut être taillé  ; la poterie où l’on utilise l’argile, la chaux, la cire, la farine et d’autres matériaux du même genre ; la fonte à partir de l’or, de l’argent, de l’airain et d’autres métaux pouvant être fondus par le feu ; l’art de tailler qu’on pratique sur les coquillages et sur les pierres précieuses ; l’art de la gravure sur les plaques de cuivre où l’image gravée est ensuite imprimée sur le papier ; et finalement l’art de la peinture qui surpasse tous les autres, car la peinture reproduit l’objet avec plus de finesse et plus de ressemblance en représentant avec plus de précision ses qualités6. C’est pourquoi la peinture a été particulièrement utilisée dans la décoration des églises. Tous ces arts se regroupent donc sous le nom de l’art de la représentation. Cet art a toujours été hautement estimé, dans tous les pays et dans toutes les couches sociales, et on l’a beaucoup pratiqué à cause de sa grande utilité. Car les images, c’est-à-dire les représentations, c’est ce qui prolonge la vie de la mémoire : la mémoire de ceux qui ont vécu et celle des événements du passé. Les images prêchent la vertu dont elles représentent la force ; elles donnent une seconde vie aux défunts et l’immortalité à leur gloire ; elles incitent les vivants à l’émulation en rappelant les exploits des grands hommes du passé. Les images nous permettent de contempler de nos propres yeux des choses inaccessibles et lointaines et elles présentent simultanément

183

Page 184: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

les choses qui se trouvent dans différents endroits7.

C’est ce qui a fait que cet art honorable était si admiré dans le passé et que des gens nobles et même de grands rois ne dédaignaient pas de le pratiquer, en ajoutant à leur sceptre le pinceau du peintre : ils estimaient que le pinceau et le sceptre se complémentent et que l’un ne diminue pas l’autre.

En effet, si le Roi des rois et le Souverain des souverains était le premier créateur d’images, pourquoi est-ce que l’on n’honorerait pas les rois terrestres pour leurs créations des images ?

Le premier créateur de l’image est Dieu lui-même, car il imprima sa propre divine image sur les tables de l’âme du premier homme. Les Écritures saintes parlent ainsi de cette première image : « Et Dieu créa l’homme et il le créa à l’image de Dieu »8. Le Dieu indescriptible apparut incarné9 à nos aïeuls quand, ayant l’apparence humaine, il se promenait et conversait avec eux dans le Paradis terrestre. Ensuite, il apparut sur l’échelle céleste à Jacob le patriarche. Il se montra de dos à Moïse. Les prophètes Isaïe et Michée le virent assis sur le trône. Amos se tint à côté de son autel. Le prophète Daniel le vit sous forme d’un vieillard, l’Ancien des jours. Mais toutes ces visions ne concernent que les formes de la divinité, pas son être. Personne n’a jamais vu Dieu tel quel, comme le dit Jean l’Évangéliste, confident du Christ.

Tout cela fait que Dieu, le Tout-Puissant, est le premier créateur des images. Et bien que les dix commandements semblent interdire de fabriquer des représentations, tout homme sensé comprendra que cette interdiction concerne la fabrication des représentations pour la pratique de l’idolâtrie et non pas ces images belles et stimulantes pour l’esprit qui nous montrent la divine Providence. Dans l’Ancien Testament, Dieu lui-même ordonna de créer de telles représentations : il ordonna de mettre des chérubins sur l’arche de l’alliance ; il ordonna de fabriquer le serpent d’airain dans le désert et il conféra à cette effigie la force qui guérissait des morsures des serpents venimeux.

Dieu, dont la volonté est inchangée, avait-il décidé de changer pour cette occasion ses propres commandements ? Impensable !

Et que dire du sage Salomon qui mit dans son beau temple, si aimé de Dieu, des chérubins fabriqués en bois d’olivier, des bœufs, des lions d’airain et d’autres représentations du même genre ? S’il avait créé tout cela contrairement aux commandements de Dieu, Dieu n’aurait pas été si favorable à ce temple.

Il est donc clair que Dieu n’interdit pas toutes les représentations, mais seulement celles que certains fous prennent pour des divinités. Ces hommes déraisonnables adorent ces représentations comme si elles étaient le vrai Dieu,

184

Page 185: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

qui est unique. De telles représentations sont en effet honteuses et inadmissibles.

Quant à nos images chrétiennes, nous les vénérons ardemment, il est vrai, mais nous ne les prenons pas pour des divinités. Ce n’est pas l’image matérielle que nous adorons, mais son prototype.

Celui qui reçoit le sceau du roi, l’honore et l’embrasse ; cependant, ces signes de respect ne sont pas destinés à l’objet matériel qu’est le sceau mais à celui que représente l’image sur le sceau, c’est-à-dire le roi. Ce n’est donc point la cire qu’on honore mais le roi lui-même, et par respect pour le roi, l’on honore également l’image qui le représente.

Dans le Nouveau Testament aussi, on trouve des images faites par le Seigneur. Le Christ notre Seigneur lui-même imprima, sans l’aide des couleurs, sa très pure face sur le voile de lin et envoya cette divine image au roi Abgar d’Édesse.

Et le Saint-Esprit ne créa-t-il pas une représentation de lui-même lorsqu’il apparut sous forme d’une colombe au-dessus du Jourdain ? Or, puisque le Seigneur Dieu lui-même ne dédaigne pas de créer des représentations de lui-même, n’est-il pas légitime que nous désirions suivre son exemple ?10

D’ailleurs, le Seigneur Dieu n’est pas seul à pouvoir se représenter en images ; tout ce qui est, tout ce que nous voyons dans le monde, possède le même mystérieux et merveilleux pouvoir.

Toute chose placée devant un miroir s’y reflète grâce aux merveilleuses propriétés du miroir voulues par la sagesse de Dieu : quoi de plus miraculeux que ce miracle de la réflexion dans un miroir ! Si l’homme se meut, son reflet s’y meut aussi ; s’il reste immobile, son reflet fait de même ; s’il rit, son reflet rit aussi ; s’il pleure, son reflet fait de même. Quoi que l’homme fasse, le reflet dans le miroir reproduira exactement son moindre geste, tout en apparaissant comme un être à part mais n’ayant ni âme ni corps réels.

De la même manière, on observe souvent comment divers objets se reflètent dans l’eau, sur le marbre ou sur tout autre objet bien poli, et l’image ainsi reflétée se dessine immédiatement et sans l’intervention d’aucun instrument.

N’est-ce donc pas Dieu lui-même et la nature des choses qui nous apprennent l’art de la représentation ?

L’Église, mère de tous les vrais croyants, a dès l’origine du christianisme accepté la représentation iconographique des saints, telle que l’image du Christ sur le voile de lin qu’il y imprima lui-même et l’image de la Vierge peinte par saint Luc : quand l’apôtre la présenta à la très sainte Mère de Dieu, celle-ci prédit que sa

185

Page 186: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

grâce y resterait associée à jamais.

Le vénérable Job11 accepta la statue du Christ notre Seigneur, qu’avait fait faire la femme hémorroïsse guérie par le Christ. Le Seigneur glorifia cette statue par de nombreux miracles en faisant pousser à ses pieds une herbe guérissante. Le saint Nicodème peignit aussi une belle icône du Christ12 ; cette icône fut crucifiée injurieusement par les Juifs mécréants, mais Dieu la glorifia par de nombreux miracles, comme en témoignent saint Athanase et la quatrième session du Septième Concile.

Il existe une multitude d’autres saintes icônes dont parlent les pères de l’Église. Celui qui pourra compter ces nombreuses icônes et les miracles qu’elles ont occasionnés et continuent d’occasionner pourra tout aussi bien peser le feu sur une balance, mesurer la force des vents et compter les gouttes de la pluie.

Cependant, le diable, qui hait la beauté de l’Église et de la Grâce divine et qui compromit l’image de Dieu en séduisant Adam que Dieu a fait à son image, ce même diable ne cesse de calomnier les saintes icônes à travers ses serviteurs qui prétendent que la lumière est ténèbres et que la grâce divine est en fait puanteur de l’enfer. À cause de cela, de nombreux défenseurs de l’orthodoxie souffrirent de terribles martyres en luttant pour l’honneur des icônes et leur sang coula dans tous les pays de l’Orient. Il fallut attendre le Septième Concile pour que les icônes soient enfin retournées aux églises, à la grande joie des orthodoxes.

Ces icônes furent hachées en mille morceaux par des iconoclastes, mais elles ont survécu alors que leurs persécuteurs continuent de subir l’éternel châtiment de Dieu. On jeta ces icônes dans le feu, mais elles n’y périrent point alors que ceux qui voulaient les détruire sont brûlés éternellement dans le feu de l’enfer. On jeta ces icônes dans l’eau, mais elles ne coulèrent pas alors que leurs persécuteurs se noyèrent dans les profondeurs de la géhenne, comme le pharaon dans la mer. Telle est la justice de Dieu.

Nous savons quel a été le divin châtiment de ces persécuteurs et c’est pourquoi nous vénérons les saintes icônes en les embrassant avec amour, et quand nous nous prosternons devant elles, notre pensée s’élève vers leurs prototypes.

C’est justement l’effet qu’on veut atteindre en apprenant le bel art iconographique. En représentant la personne et les actes des saints, nous gravons avec amour dans notre âme la mémoire de leur vertu et quand nous nous appliquons à représenter avec vérité les souffrances des martyrs, c’est que nous voulons réveiller la sympathie de celui qui contemplera l’icône et le faire ainsi participer aux mérites du martyr.

Ainsi, Basile le Grand fut ému jusqu’aux larmes par l’icône du saint Barlaam qui 186

Page 187: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

préféra laisser sa main au feu plutôt que d’offrir un sacrifice aux idoles. En voyant cette icône du saint Barlaam, Basile le Grand la loua en disant :

Mais je diminue vos victoires par les froides louanges que je vous donne : il faut que des langues plus éloquentes vous louent, c’est aux plus habiles docteurs à faire votre éloge ; fameux peintres des actions des hommes illustres, ajoutez ce qui manque au tableau que je viens de faire ; employez tout votre artifice, et les plus vives couleurs, pour mettre la dernière main au portrait que je n’ai qu’ébauché ; j’avouerai que vous me surpassez dans l’art de décrire les combats et les victoires des athlètes, mais je m’applaudirai de ma défaite. Dépeignez exactement comment cette main a vaincu l’activité du feu : je serai bien aise de voir que vous mettiez dans un plus beau jour les combats de notre héros. Que les démons se dispersent, et pour achever de les confondre, montrez-leur la main brûlante du saint martyr : peignez dans le même tableau Jésus-Christ, qui donne le prix de ce combat ; qu’il soit loué dans tous les siècles. Amen.13

C’est ainsi que nous tous devrions être capables de peindre les saintes icônes — pour que les fidèles s’émerveillent à leur vue et en parlent, comme le fit Basile le Grand.

Nous savons que celui qui est négligent dans le service de Dieu sera damné14. Mais, hélas, nous sommes paresseux et donc souvent négligents dans notre travail, car nous pensons plus aux biens terrestres qu’à notre mérite devant notre Père céleste. Nombreux sont ceux parmi nous qui ne maîtrisent pas suffisamment l’art de la peinture. Les icônes qu’ils peignent méritent le rire plutôt que la vénération et la piété, car elles provoquent la colère de Dieu et sont la risée des étrangers et la honte des gens honnêtes. J’en suis consterné, car je brûle de zèle pour la maison de Dieu et j’aime la beauté de son église.

Dieu a donné à mon humble personne le talent de peindre et je l’ai exercé jusqu’à maintenant au profit des vendeurs d’icônes. Mais je ne veux pas l’enterrer ainsi pour ne pas subir le châtiment de Dieu et c’est pourquoi j’ai décidé de composer, avec l’aide de Dieu et en exerçant mes talents de peintre, une sorte d’ » alphabet » de la peinture, c’est-à-dire un recueil de dessins des parties du corps humain qui sont le plus souvent utilisées dans notre art iconographique15. Ces dessins seront gravés sur des plaques de cuivre pour que, une fois imprimés avec précision, elles servent tous ceux qui pratiquent notre honorable art. J’ai l’espoir que ce gage de mon amour pour la peinture sera accueilli avec gratitude, surtout une fois que tout le monde aura compris combien cette méthode est utile au perfectionnement de notre art iconographique. Du reste, cette reconnaissance de l’utilité de mon œuvre sera pour moi une récompense du travail que j’aurai accompli.

187

Page 188: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ainsi, le bien qu’on fait retourne au Dieu du bien ; ainsi, j’offrirai à Dieu les fruits du talent qu’il m’a donné et je ne serai pas privé de la récompense céleste. En posant mes espoirs en Dieu, je voudrais que vous tous, pour qui j’ai œuvré, priiez Dieu pour moi afin qu’il me pardonne mes péchés et me rende digne — moi qui ai peint ici-bas son image et les images de ses saints — de contempler sa propre divine face et la face de ses divins serviteurs au Royaume des cieux où toutes les forces célestes chantent sa gloire et son honneur maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

NOTES

1. Simon Ouchakov, Discours à celui qui aime l’iconographie, Mastéra iskousstva ob iskousstvé, IV, 1937, pp. 27-30 ; version en russe moderne, Istorija Estetiki. Pamjatniki mirovoj esteticheskoj mysli, y. 1, Moscou, 1962, pp. 455-462. 2. Notez l’expression « représenter la nature » qui souligne une idée clé du nouvel esthétisme, emprunté évidemment à l’Occident chrétien, et qui, au XVIIe

siècle, était en train de remplacer l’iconographie traditionnelle dans l’art officiel de la Russie. Une autre traduction, plus littérale mais moins compréhensible — « Le Créateur donna à chaque être un talent pareil avec la nature, mais dans les différents grades de l’habileté. » — réduit dans cette phrase la clarté de l’idée que la tâche principale de l’art est de copier la nature. Cette idée, par contre, est bien représentée ailleurs dans ce discours. 3. Ex 31, 3 : « Je l’ai rempli de l’esprit de Dieu pour qu’il ait sagesse, intelligence, connaissance et savoir-faire universel. » 4. Ex 31, 6 : « ...j’ai mis la sagesse dans le cœur de chaque sage pour qu’ils fassent tout ce que je t’ai ordonné... » 5. Pline l’Ancien, 23-79 ap. J.-C. : auteur romain qui écrivit l’Histoire naturelle en 37 volumes. 6. La peinture est la reine des arts parce qu’elle reproduit la nature le plus fidèlement : une autre expression de la philosophie d’art d’Ouchakov. 7. Voici les caractéristiques classiques de l’utilité des images : souvenir des exploits des saints, aide-pédagogique pour enseigner les illettrés, modèle de piété pour inspirer les fidèles à imiter les saints. 8. Gn 1, 27. 9. « ...en chair et en os... » : c’est une expression un peu trop concrète quand elle qualifie « le Dieu incorporel et indescriptible ». Normalement, l’orthodoxie voit dans les théophanies de l’Ancien Testament des préfigurations de l’incarnation du Christ. Il n’est pas clair si Ouchakov fait référence ou non à cet enseignement traditionnel en invoquant cette théophanie et d’autres de l’Ancien Testament. 10. Il est à noter qu’Ouchakov ne distingue pas très nettement entre les images dans l’Ancien Testament, donc avant l’incarnation, et celles du Nouveau Testament, après l’incarnation. Il met sur le même pied d’égalité l’image du Saint-Esprit en tant que colombe et l’image du Dieu incarné. 11. Nous ignorons ce « vénérable Job ». Pour cette histoire, voir Eusèbe de

188

Page 189: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Césarée, Histoire ecclésiastique VII, XVIII, Sources chrétiennes 41, Paris, Les Éditions du Cerf, 1955, pp. 191-192. 12. C’est la plus ancienne référence, que nous ayons pu trouver, à la tradition désignant Nicodème comme iconographe ; voir « Deux documents russes concernant les saints iconographes, L’icône..., p. 254. Pour l’histoire de la tradition de cette icône et le septième concile de Nicée, voir « Beyrouth », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 8, col. 1305-1306 ; G. Dumeige, Nicée ll, Paris, Éditions de l’Orante, 1978, pp. 28, 51 et 117. 13. Selon les études critiques, saint Basile n’est pas l’auteur de ce sermon, mais plutôt saint Jean Chrysostome : J. Garnier, Basilii Caesareae Cappadociae : opera omnia ll, Paris, Apud Gaume Fratres, Biblioplas, 1739, pp. II-VIII ; H. Delehaye, « Saint Barlaam : Martyr à Antioche », Analecta Bollandiana XXII, 1903, p. 132 ; É. Rouillard, « Recherches sur la tradition manuscrite des ”Homélies diverses” de S. Basile », Revue Mabillion 48, 1958, pp. 81-98. 14. Jr 48, 10 : « Maudit celui qui fait l’œuvre du Seigneur avec mollesse... » 15. « Un recueil de dessins » désigne un podlinnik, des livres de modèles dont se servaient les artistes. Les Grecs en avaient aussi bien que les Russes : Denys de Fourna, « Le guide de la peinture », P. Durand, trad., dans Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine avec une introduction et des notes, M. Didron, éd., Paris, Imprimerie royale, 1845 ; traduction anglaise : The Painter’s Manuel of Dionysius of Fourna, Paul Hetherington, trad., Londres, Rœbuck Press, 1978. Une publication récente montre des dessins : An Iconographer’s Patternbook : The Strogonov Tradition, Christopher Kelley, trad., Torrence, Californie, Oakwood Publications, 1992 ; une autre donne des descriptions verbales : An Icon Painter’s Notebook : The Bolshakoy Edition, Gregory Melnick, trad., Torrence, Californie, Oakwood Publications, 1995. Il semble qu’Ouchakov n’ait pas réalisé son vœu.

189

Page 190: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

SIMÉON POLOTSKY (1629-1680) ET « LA REQUÊTE AU TSAR

AU COURS DU GRAND CONCILE DE MOSCOU »1

La plupart des œuvres littéraires de Polotsky ont été composées du vivant du tsar Alexis Mikhaïlovitch [règne de 1645-1676]. Il est permis de croire que Siméon cherchait ainsi à justifier la constante faveur du tsar à son égard. La mort d’Alexis (le 30 janvier 1676) et la montée sur le trône de Théodore Alekseïevitch [règne de 1676-1682] ont donné de nouveaux moyens à l’influence que Siméon avait déjà dans la politique et dans la société moscovites. En effet, le jeune tsar a été élève de Siméon et partageait sans doute les vues de son précepteur. De son côté, Siméon se sentait maintenant plus en confiance face au parti qui lui était hostile. Ses activités sont devenues plus variées et, bien que cela l’ait empêché désormais de se consacrer à des travaux littéraires d’importance, il a continué de servir la cause des lumières russes, ne serait-ce que par sa pensée, ses conseils, ses connaissances. Car c’était là la cause à laquelle Siméon tenait de tout son cœur.

Dans la deuxième moitié du XVIle siècle, notre littérature nationale [c’est Maïkov qui parle de la littérature russe] s’est enrichie considérablement en s’ouvrant à la littérature occidentale. Certains des travaux littéraires de Siméon qui datent du règne de Théodore Alekseïevitch témoignent de ce mouvement. Du vivant d’Alexis, Siméon n’avait fait qu’une seule traduction : celle de De cura pastoral’ du pape Grégoire le Grand (mort en 604) qui traite des questions spécifiquement ecclésiastiques. Cependant, entre 1677 et 1679, Siméon a fait toute une série de traductions et de compilations [...] dont un recueil de 11 dialogues théologiques 2

en se servant de divers traités latins.

Dans le dialogue sur la vénération des icônes, Siméon s’est trouvé confronté, entre autres, à la remarque suivante : « Beaucoup d’icônes sont mal peintes, ce qui déshonore leur prototype, et c’est pourquoi il ne faut pas vénérer ces icônes. » À cela, Polotsky a répliqué qu’il ne faut pas identifier la qualité de l’œuvre picturale à la valeur du prototype. Les icônes mal peintes n’atteignent en rien à l’honneur des saints. Elles mettent plutôt en évidence le manque de maîtrise chez le peintre qui doit être corrigé, sinon il faut interdire à l’iconographe de pratiquer son art tout court. Cette réponse de Siméon nous amène à un autre domaine de la culture russe où Siméon a aussi eu son mot à dire.

La vieille Russie se préoccupait beaucoup de la beauté de ses églises. Cependant, l’état de l’art iconographique de l’époque n’était pas toujours à la hauteur de ses préoccupations honorables. Au milieu du XVIe siècle, le célèbre concile des Cent Chapitres [Stoglav] a sévèrement condamné les nombreuses déviations de l’iconographie contemporaine perpétuées par les peintres

190

Page 191: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

ignorants. Il a exposé le manque de maîtrise de ces peintres ainsi que les libertés qu’ils se permettaient de prendre à l’égard de la tradition iconographique, et a proposé à ces malappris le modèle idéal de l’iconographe qui, grâce à sa pureté d’âme et de corps ainsi qu’à sa piété, est capable de peindre les saintes icônes « selon l’image, selon la ressemblance et selon l’être, en regardant les œuvres des anciens peintres ». Cependant, si le concile pouvait imposer la fidélité à la tradition, il était incapable d’indiquer les méthodes nécessaires pour améliorer la technique des peintres. Au XVIle siècle, des œuvres des peintres occidentaux ont commencé à se faire voir dans la capitale russe, principalement sous forme de gravures. Ces rares exemples ont certainement servi aux meilleurs de nos iconographes.

L’œil s’habituait au dessin fin et gracieux, à la noblesse de la composition, aux belles arabesques des étoffes. Le peintre s’accoutumait à la nature qui est le guide de tout art. La vivacité des couleurs de ces œuvres étrangères le frappait par ce charme inconnu en Russie que seul l’art qui reproduit la nature est capable d’exercer. [...] Le peintre russe de l’époque a ressenti le besoin de la beauté, du naturel, de la réalité ; il a senti combien ce besoin légitime était en accord avec un sentiment religieux profond.3

L’un des iconographes du temps du patriarche Nikon, Joseph Vladimirov, a pris conscience de ces nouvelles tendances dans son propre travail et a décidé d’exposer par écrit ses réflexions sur ce sujet ; il a dédié son œuvre à un ami, l’iconographe Siméon Théodorovitch Ouchakov. Dans son traité, Joseph condamne les mauvais peintres avec autant de sévérité que le Stoglav, mais, en bon peintre qu’il était, Joseph est allé plus loin et a parlé de la technique de la peinture. Tout en proclamant sa fidélité à l’orthodoxie, Joseph ne s’est pas gêné pour donner en exemple les gravures et les peintures des occidentaux. Aux images sombres et difformes des peintres « grossiers », il oppose les icônes claires et colorées et donc défendait ainsi les droits de la beauté et du naturel dans les images saintes. Cependant, Joseph faisait partie d’une infime minorité parmi les iconographes russes de l’époque. C’est pourquoi le Grand Concile de Moscou de 1666-1667 a dû une fois de plus revenir sur la question de l’iconographie et, tout comme le Stoglav, se prononcer sur les améliorations qui s’imposaient dans ce domaine.

Le document qui témoigne des soins apportés par ce concile à la question iconographique est l’épître circulaire royale de 1669. Le texte en est comme suit :

Nous, selon la volonté de Dieu le grand Souverain de la nation russe orthodoxe chrétienne, ayant estimé que le peuple russe doit vivre dans la sainteté, décrétons — en vertu du pouvoir qui nous est conféré par le Roi de tous les rois et le Seigneur de tous les seigneurs — que les saintes et honorables icônes de Dieu, de la très pure Vierge, des puissances célestes,

191

Page 192: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

des saints hommes et des saints pères théophores, seront peintes selon le mérite des actions et des personnes représentées, en accord avec l’indispensable tradition de la sainte Église de l’Orient. Aucune action blâmable ou personne indigne de cet honneur ne pourront être représentées sur les icônes. L’art et la connaissance de la peinture seront sauvegardés avec un zèle spécial : car il est juste et pieux de représenter Dieu et les hommes pieux et justes qui l’ont servi avec des moyens artistiques à la hauteur de leur mérite, afin qu’une représentation négligente d’une personne sainte ne détourne d’elle la vénération qui lui est due.

En s’efforçant d’élever l’art iconographique à la hauteur digne de cette sainte occupation, l’épître circulaire royale proposait également des mesures qui devaient amener le succès de ce projet. On y lit plus loin :

Nous désirons que l’on choisisse des iconographes dont la réputation n’est plus à faire, afin qu’ils apprennent cet art aux autres peintres et témoignent par écrit de la compétence de ces derniers. Et que tous ceux qui ne se rendent pas dignes d’une telle recommandation écrite à cause de leur manque d’habileté dans cet honorable art, que tous ceux-là s’occupent de la peinture profane uniquement. Et si jamais ils osent toucher à l’iconographie, qu’on leur prenne leur pinceau et qu’on les punisse pour avoir manqué de respect à notre décret royal.

Ainsi, on prévoyait introduire une surveillance spéciale de la production iconographique et regrouper les peintres en ateliers iconographiques. L’idée de la surveillance de l’art iconographique par des autorités religieuses remonte à Stoglav ; mais l’idée des ateliers iconographiques appartient au XVIIe siècle. On peut également citer un remarquable passage de l’épître où l’on exprime l’idée que l’art iconographique est non seulement plus noble que tous les autres arts mais qu’il devrait être mis au même rang que l’écriture des livres :

Notre Seigneurie se plairait également à ce que les peintres des saintes icônes vénérées pieusement par tous les hommes, soient honorés partout et de tous selon la dignité de leur art. Comme sous le pieux règne de Constantin, l’égal-aux-apôtres, et des autres souverains fidèles, les ecclésiastiques étaient à l’honneur, s’asseyaient dans l’assemblée royale aux côtés des nobles et étaient honorés au même titre que ces derniers, de même nous voudrions qu’on honore dans notre royaume chrétien les peintres des saintes icônes, et qu’on respecte ces habiles et honnêtes décorateurs de nos églises au même titre que des ecclésiastiques, et qu’on les mette au-devant de tous les autres artisans, et que leur pinceau multicolore soit à l’égalité avec le stylet ou la plume de l’écrivain. Car il faut que les ouvriers d’un art que tout le monde respecte soient honorés à l’égal de leur propre art.

192

Page 193: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Stoglav aussi prescrivait que les autorités ecclésiastiques autant que les dignitaires et le peuple « honorent les peintres pour leur art honorable ». Mais les indications du Stoglav relèvent uniquement du point de vue des autorités ecclésiastiques alors que dans l’épître de 1669 la question des iconographes concerne l’État et la société en général.

Les recommandations données dans le message du concile n’ont pas eu de suites. Sous le tsar Alexei Mikhaïlovitch, il n’y a eu aucune réglementation pour les iconographes et il semble même que l’épître en question, destinée « aux iconographes de la florissante ville de Moscou », n’ait pas été publiée. Le document dont nous avons tiré les citations ci-dessus a été composé par Siméon de Polotsk4 qui était non seulement l’auteur de cette épître, mais également celui qui avait inspiré au tsar l’idée sur laquelle son écrit est fondé. Cela est évident si l’on considère qu’à l’époque du Grand Concile de Moscou, c’est-à-dire bien avant l’épître de 1669, Siméon avait adressé au tsar Alexis Mikhaïlovitch une requête qui traitait des questions de perfectionnement de l’art iconographique russe.5 Si l’on se rappelle combien Siméon était actif dans les travaux du concile de 1666-1667, on ne s’étonnera pas de le voir s’occuper du perfectionnement de l’art iconographique.

Dans la requête ou, plus exactement, dans le mémoire de Siméon, la question de l’art iconographique est discutée en détail. Tout au début de la requête, Siméon dit ceci :

Dans les villes et les villages de votre grand et glorieux royaume, votre Majesté, il y a beaucoup de gens simples qui négligent de peindre les saintes icônes selon la bonne méthode et qui ne veulent pas apprendre cet art spirituel en bonne et due règle afin de glorifier, par de belles icônes, la sainte Trinité et Dieu le Père qui est en elle, et les saints qui sont ses serviteurs. Il y a aussi ceux qui ne connaissent absolument rien aux rudiments de l’art, des gens illettrés qui ne savent pas dire la différence entre les couleurs et qui, pourtant, trafiquent les saintes icônes. Ils en demandent le prix double et donnent refuge aux mauvais peintres qui osent peindre les divines icônes sans aucun art ni ressemblance à la nature et presque sans couleurs. En un mot, ils sont des peintres qui n’ont aucun égard à l’honneur du divin art iconographique et qui ne pensent qu’à remplir leur ventre. Les marchands en gros transportent ces icônes par chariots vers des villages éloignés et les échangent — honteusement — contre à peu près n’importe quoi et, toujours sans se soucier de l’honneur de l’art. Ils les transportent aussi dans des pays voisins. Cela donne raison aux étrangers de blâmer le divin art iconographique. Quant aux peintres qui veulent vraiment apprendre l’art iconographique, ils sont souvent écrasés par la misère qui les force à abandonner leur métier ; leur exemple décourage les autres qui se détournent de l’art iconographique et nos

193

Page 194: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

divines églises perdent en splendeur.

Ensuite, Siméon explique en détail l’importance de l’art iconographique et parle des origines de ce dernier ainsi que de son développement sous la tutelle des pères de l’Église et des conciles et grâce aux soins des empereurs byzantins ; il mentionne également les efforts du Stoglav, appelé par Ivan le Terrible [1533-1584], d’améliorer l’art iconographique dans le royaume moscovite. Mais, continue Siméon, avec le temps...

...cet honorable art a été envahi par toutes sortes d’irrégularités... De bons peintres se sont faits rares dans les diocèses et un laisser-aller général s’est installé ; les icônes des mauvais peintres ont commencé à se voir non seulement dans les pavillons des marchands ou dans les maisons des gens du peuple mais également dans les églises et dans les monastères. [...] La prolifération des peintres ignorants et des malappris est la cause de beaucoup d’irrégularités qu’on trouve aujourd’hui sur les icônes qui sont mal peintes et indignes du regard d’un chrétien. Ainsi, au lieu d’un art honorable et conforme aux modèles, nous avons une prolifération d’images fausses et laides. Le bon chemin de l’art se couvre de ronces et ceux qui veulent encore l’emprunter se découragent en se disant : « Qui saurait nous dire que faire et qui nous montrerait comment faire ? » L’Église de Dieu est profanée par la prolifération des icônes laides et fausses et cela se produit pour les raisons suivantes. Dans les villes, dans les villages et dans les recoins les plus éloignés se trouvent beaucoup d’hommes simples [en marge, cette note : « ceux de Palekh, de Shouia, de Kinesh, de Kholia »7] qui peignent des icônes sans se soucier de la vérité ; ils les peignent sur des planches arrachées aux fenêtres et sur des échiquiers, ils y gribouillent des visages odieux et ils ne s’arrêtent jamais mais passent cette horrible production aux revendeurs en prétendant que ce sont là des icônes. Les revendeurs mettent ces icônes sur le marché et c’est ainsi que le mal se répand. Quoi de plus honteux pour l’art iconographique qu’une icône mal peinte ? Or, ces mauvaises icônes passent d’un revendeur à l’autre par centaines et par milliers, sans aucun scrupule ni soin.

Siméon a puisé ces renseignements sur la production et la prolifération des mauvaises icônes dans le traité de Joseph Vladimirov. Il est plus que probable que c’est aussi le cas de ce qu’il dit des icônes « sombres » — pourquoi et comment elles deviennent noircies et comment cela est important aux yeux des gens du peuple.

II est évident que toute chose créée est sujette à la corruption, en raison de sa nature. Mais les mauvaises icônes deviennent sombres plus vite que normal parce qu’on n’en prend pas soin et qu’elles sont constamment exposées à la fumée, sans compter l’effet de l’huile de lin dont on les induit.

194

Page 195: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Les icônes bien peintes, quant à elles, sont régulièrement restaurées par des hommes qui s’y connaissent et elles retrouvent sans difficulté leur splendeur originelle. Mais si l’on avait voulu restaurer une mauvaise icône, cela ne ferait que découvrir son ultime laideur et c’est pourquoi on les enduit si souvent d’huile de lin : pour cacher leur laideur.

En développant plus loin sa pensée sur l’état pitoyable de l’art iconographique en Russie, Siméon adopte le point de vue qu’il contredira plus tard lui-même dans sa polémique avec les protestants.

Est-ce dans ces gribouillages qu’on verra la beauté du prototype, ces gribouillages qu’on échange un peu contre n’importe quoi : les oignons, les œufs, les peaux, le lin etc. ? Est-ce ainsi qu’on fait honneur aux peintres : en traînant leurs œuvres dans les marchés, à la risée des ignorants ? N’est-ce pas là la cause du mépris que les étrangers ont pour notre art ? Des hommes mauvais et sans scrupule vendent ces icônes au prix double à des gens du peuple qu’ils allèchent par des propos mensongers pour les convaincre de la valeur de leur marchandise. Et à ceux qui luttent pour la beauté des icônes, ces menteurs disent : « La beauté de l’image ne donne pas la lumière ; car s’il n’y avait pas de mauvaises icônes bon marché, comment les pauvres feraient-ils pour prier ? » En vérité, ceux qui parlent ainsi sont des mécréants, leurs paroles sont pleines de mensonges et de bêtises ; ceux qui les écoutent ne sont pas meilleurs.

Ensuite Siméon dit que les pauvres, pourtant, prennent bien soin de leur corps, en l’habillant et en le nourrissant. Or, n’est-il pas plus nécessaire que les hommes fassent des sacrifices pour Dieu, c’est-à-dire, qu’ils achètent des icônes bien faites, bien que plus chères, au lieu de se laisser tenter par le bon marché des mauvaises ? En prouvant par cet argument « du contraire » que les icônes doivent être belles en elles-mêmes, Siméon donne des exemples des grands hommes du passé qui prenaient soin de leurs propres représentations : Alexandre le Grand ne permettait pas de représenter sa personne à part Apelle ; l’empereur Auguste a interdit aux malappris de fabriquer ses effigies. Plus loin viennent des exemples de l’époque contemporaine.

Ensuite la requête contient des renseignements intéressants sur l’activité des peintres étrangers en Russie :

Et on commence à voir la même chose chez nous ici : beaucoup de gens emploient des peintres étrangers à faire leurs portraits ; ces peintres sont très respectés et ont droit à une riche récompense. On commence à choisir les peintres un peu comme on choisit ses vêtements ou les autres choses de ce genre : on veut le meilleur.

195

Page 196: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Alors, Siméon revient à ses accusations et dit :

Mais ce n’est pas ainsi qu’on agit pour les représentations du Christ et de ses saints. Lorsqu’on voit une icône bien peinte et belle, on commence par demander son prix et on finit par prendre celle qui est moins chère, plutôt que de dire qu’une belle icône est digne d’être vénérée et d’embellir nos églises.

Siméon trouve que c’est ce mépris de l’iconographie et de l’art en général qui est responsable du mauvais état de l’iconographie en Russie et du peu de profit qu’il apporte aux bons peintres : C’est ce qui fait que cet art honorable et saint est tombé si bas et qu’il y a tant de bons iconographes qui changent de profession et deviennent scribes, clercs ou marchands et que d’autres, en les regardant, laissent tomber l’idée d’apprendre l’iconographie. Par contre, ceux qui savent à peine peindre, ceux-là continuent de pratiquer l’iconographie et vivent comme des rois, en toute liberté. Et cela est possible uniquement parce qu’il n’y a aucun contrôle officiel de la production iconographique.

Mais ce que Siméon trouve plus triste encore que cette situation économique, c’est la manière qu’ont les pouvoirs municipaux de disposer des bons iconographes en les obligeant d’abandonner l’iconographie au profit de quelques devoirs civiques secondaires.

Ceux qui peignent de belles icônes n’en retirent aucun respect et on ne leur laisse pas la liberté de pratiquer leur noble art. Le conseil de la ville les envoie aux postes de percepteurs d’impôts, ils travaillent dans les auberges, ils doivent payer des impôts aux conseils des villages, et leurs conditions ne diffèrent en rien de celles des gens du peuple. Leur travail est sans perspective et sans espoir, car contrairement aux gens simples — des marchands et des clercs sont libres dans leur profession — les iconographes ne retirent ni honneur ni profit de leur labeur. De plus, ceux qui supervisent le travail des peintres connaissent mal le métier et forcent les iconographes à faire plus, en moins de temps — comme c’est l’habitude des superviseurs. Ils offensent ainsi les peintres et les obligent à pervertir leur art.

Ce mépris de l’art indignait Siméon tellement qu’il s’écrie dans sa requête

Ceux qui appellent les iconographes des « gribouilleurs de Dieux sont des hommes aux langues méchantes et mensongères et ils offensent Dieu lui-même en parlant ainsi. Que leur mauvaise bouche ne puisse jamais s’ouvrir pour prononcer de tels propos !

Siméon termine son apologie par une description éloquente de la noblesse du saint art iconographique.

196

Page 197: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Les passages que nous avons montrés témoignent du lien étroit entre la requête et l’épître du concile de 1669. Les idées et les faits présentés dans la requête ont certainement servi de base à la composition de l’épître. !lest vrai que les recommandations du concile n’ont pas réussi à changer la situation de l’iconographie en Russie et Siméon lui-même a dû admettre, par la suite, dans sa polémique avec les protestants, que l’art en Russie était fort peu développé. Cependant, il est à remarquer que dans le domaine de l’art Polotsky se déclare encore une fois comme un partisan des améliorations et que, malgré son attitude critique vis-à-vis de la culture moscovite, il a tout de même su y voir des signes de renouveau. Après avoir lu le traité de l’iconographe Joseph Vladimirov et admiré les peintures de Simon Ouchakov, Polotsky a su apprécier le mouvement des peintres moscovites dont ils témoignaient et il leur a tendu la main.

Un autre mérite de Polotsky qui transparaît dans le message du concile de 1669 est sa façon de voir l’iconographie non pas comme un simple métier mais comme un travail spirituel, un peu comme celui de l’écrivain8.

NOTES

1. Siméon Polotsky, Une Requête ou message au tsar au cours du Grand Concile de Moscou, extraits pris de la biographie de Siméon Polotsky : L. N. Maïkov, Siméon Polotsky, Otcherki iz istorii rouskoï litératoury XVII-XVIII stol., ch. IX, Saint-Pétersbourg, 1889, pp. 134-149. 2. Note dans le texte de Maïkov : Les manuscrits de la bibliothèque du Synode de Moscou. 3. Note dans le texte de Maïkov : Th. Bouslaev, Esthétique russe du XVIIe siècle dans Istoricherskie Ochersi Russkoï Narodnoï Clovesnocti i Iskousstva, t. Il, 1861, p. 403. 4. Note dans le texte de Maïkov : Cette épître est connue seulement d’après la copie dans le recueil de la bibliothèque synodale de Moscou, no.130 de l’ancien catalogue, feuilles 172-173 ; mais le manuscrit lui-même est composé uniquement des écrits de Siméon. « L’index » de l’évêque Sawa le décrit de la manière suivante (Moscou, 1858, p.247) :

C’est un recueil des épîtres, des lettres et des messages du tsar et du patriarche ; modèles des lettres et des messages des particuliers pour des occasions diverses ; divers poèmes, épitaphes, etc. (dans le genre d’un manuel de lettres).

Il est tout à fait exact que plusieurs messages dans ce recueil ont le caractère de modèles, mais d’autres sont en fait des copies faites à partir de véritables messages de Siméon adressés à diverses gens ou de ces gens à Siméon, ou encore il s’agit des copies des documents où l’on mentionne Siméon. Telle est, par exemple, la copie du message de Lazar Baranovich au tsar Alexis

197

Page 198: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Mikhaïlovitch, où il demande qu’on lui permette de publier à Moscou, sous la surveillance de Siméon, un recueil de ses sermons. Nous avons d’ailleurs publié ce message dans « Archives russes » de 1875, livre III, p.308-309.

Siméon plaçait dans ce recueil tous les messages, épîtres et lettres qu’il composait à la demande de certaines personnes ou à leur nom ; c’est donc au nombre de ces documents qu’on retrouve justement l’épître circulaire royale de 1669 concernant l’art iconographique. 5. [Note dans le texte de Maïkov] La requête de Siméon se trouve, sous forme de notes préliminaires, dans un recueil du musée de Roumiantzev - N° CCCCLXXVI, feuillets 12-20. Ce recueil est décrit par Vostokov dans sa Description de manière suivante (p.554) : « Composé dans la Russie polonaise, il contient des traités dogmatiques qui concernent l’histoire de l’Église » (suit la liste des traités). Mais celui qui a vu l’écriture de S. Polotsky dans les manuscrits écrits de sa propre main, qui sont conservés à la bibliothèque du Synode de Moscou, verra tout de suite que l’écriture de la plupart des manuscrits du recueil appartient à la même main. De plus, la composition du recueil est également indicatrice de Siméon : parmi les traités du recueil se trouvent quelques sermons de Polotsky extraits de ses Vêpres de l’âme, ainsi que quelques actes se rapportant à l’affaire de Nikon, etc. Ainsi, nous avons toutes les raisons de croire que ce recueil est en fait le carnet de notes de Siméon où il rapportait ses remarques, les citations et les ébauches de ses compositions. Le manuscrit a été probablement initié à Moscou et Siméon a continué de le remplir au fur et à mesure sur une période de quelques années, mais surtout à la fin des années 60 du XVIIe siècle. Grâce à l’aimable coopération de l’archiviste du département des manuscrits du Musée public de Moscou et du Musée de Roumiantzev, D. P. Lebedev, nous avons pu obtenir une excellente copie de la requête susmentionnée. La date de la composition du manuscrit, entre 1666 et 1667, est évidente à partir du contenu même du document. 6. [Note de l’éditeur] Nous avons ici une référence à un phénomène que certains, dont l’auteur, désigneraient comme un signe de la corruption de la tradition iconographique : l’adoption de l’art religieux occidental et la transformation des icônes en images pieuses. L’image de la « Trinité du Nouveau Testament », que Siméon loue ici signifie une corruption beaucoup plus grave que celle des « gribouillages » des artistes sans talent. Bien que Siméon ait été très conscient de la seconde et en ait été justement scandalisé, il semble ignorer la première. 7. [Note de l’éditeur] L’évaluation de Siméon concernant le travail des artistes de Palekh, ou plutôt celle de l’auteur de la note, n’est pas partagée par tous. Voir Vera Torzhova, Unknown Palekh, Russian Stock Joint Stock Company, 1993, distribué par Oakwood Publications, Torrance, CA, 1993. 8. [Note de l’éditeur] Ce chapitre se termine avec une traduction russe d’une hymne catholique à la Vierge, qui n’a aucune relation avec le sujet du chapitre — l’iconographie — mais sert à introduire le chapitre suivant sur la poésie de Siméon.

198

Page 199: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

LE GRAND CONCILE DE MOSCOU 1666-1667

CHAPITRE 43*

Nous décrétons qu’un peintre habile, qui soit en même temps un homme bon (détenant une dignité ecclésiastique), sera nommé moniteur des iconographes, leur chef et leur surveillant. Que les ignorants ne puissent se moquer des saintes icônes du Christ, de sa Mère et de ses saints, laides et mal peintes ; et que cesse toute vanité d’une prétendue sagesse qui a fait prendre à chacun l’habitude de peindre selon sa fantaisie, sans référence authentique, et notamment par des représentations diverses [...] le Seigneur Sabaoth. Nous ordonnons de ne plus peindre dorénavant l’image du Seigneur Sabaoth selon des visions insensées et inconvenantes, car personne n’a jamais vu le Seigneur Sabaoth (c’est-à-dire Dieu le Père) dans la chair. Seul le Christ est peint tel qu’il a été vu incarné, c’est-à-dire représenté dans sa chair et non selon sa divinité ; de même la très-sainte Mère de Dieu et les autres saints de Dieu...

Il est tout à fait absurde et inconvenant de peindre sur les icônes le Seigneur Sabaoth (c’est-à-dire le Père) avec une barbe blanche, ayant le Fils monogène dans son sein avec une colombe entre eux, car personne n’a jamais vu le Père dans sa divinité ; le Père, en effet, n’a pas de chair et ce n’est pas dans la chair que le Fils fut engendré du Père avant les siècles. Et si le prophète David dit  : « le t’ai engendré dans mon sein avant l’étoile du matin » (Ps 109, 3), cette génération n’est certes pas corporelle ; elle fut indicible et inconcevable. Car le Christ lui-même dit dans le saint Évangile : « Personne ne connaît le Père sinon le Fils. » Et Isaïe le prophète demande dans son chapitre 40 : « A qui voulez-vous comparer Dieu et quelle image ferez-vous qui lui ressemble ? Est-ce une image faite par un sculpteur de bois, ou par un orfèvre qui, ayant fondu de l’or, l’en recouvre, ou lui donne une ressemblances De même le saint apôtre Paul dit dans le chapitre 17 des Actes : « Ainsi donc, étant de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, de l’argent ou de la pierre travaillés par l’art et le génie de l’homme. » Et saint Jean Damascène dit aussi (livre 4, Les cieux, chapitre 17 sur l’image) : « Qui peut faire une imitation de Dieu l’invisible, l’incorporel, l’indescriptible, l’inimaginable ? C’est le comble de la folie et de l’impiété que de faire l’image de la divinité. » Saint Grégoire le Dialogue l’interdit aussi de façon semblable. C’est pourquoi le Seigneur Sabaoth qui est la divinité, et la génération du Père avant les siècles de son Fils monogène, ne doivent être perçus que par notre esprit ; quant à peindre cela en images, il ne convient en aucun cas de le faire, et cela est impossible. Et le Saint-Esprit n’est pas, par sa nature, une colombe, mais il est par nature Dieu. Or personne n’a jamais vu Dieu, comme en témoigne le saint évangéliste et théologien Jean. Toutefois, au saint Baptême du Christ dans le Jourdain, le Saint-Esprit apparut sous la forme d’une colombe et c’est pour cela qu’il convient

199

Page 200: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

de représenter le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe à ce seul endroit. Ailleurs, ceux qui ont de l’esprit ne représentent pas le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ; car sur le Mont-Thabor, il apparut sous la forme d’une nuée et ailleurs d’une autre façon. D’autre part, Sabaoth n’est pas le nom du Père seul, mais de la Sainte Trinité. Selon Denys l’Aréopagite, Sabaoth se traduit de la langue hébraïque par « le Seigneur des Puissances ». Or le Seigneur des Puissances, c’est la Sainte Trinité : le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Et si le prophète Daniel dit avoir vu l’Ancien des jours assis sur le trône du jugement, cela ne s’entend pas du Père, mais du Fils qui, à son second avènement, jugera toute nation de son jugement redoutable.

On peint également dans les icônes de la sainte Annonciation le Seigneur Sabaoth qui souffle de sa bouche et ce souffle atteint le ventre de la très-sainte Mère de Dieu. Mais qui a vu cela ou quelle sainte Écriture en témoigne ? Où a-t-on pris cela ? Il est évident qu’un tel usage et d’autres choses semblables sont adoptés et empruntés à des gens à la sagesse vaine ou plutôt à l’esprit dérangé ou absent. C’est pourquoi nous ordonnons que dorénavant ces peintures déplacées, nées d’une sagesse vaine, cessent. Ce n’est que dans l’Apocalypse de saint Jean que le Père aux cheveux blancs peut être représenté, faute d’autre possibilité, à cause des visions qui y sont contenues.

II est beau et convenable de placer, dans les saintes églises, au-dessus de la Déesis, au lieu du Seigneur Sabaoth, une croix, c’est-à-dire la Crucifixion de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ suivant la norme conservée depuis les temps anciens dans toutes les saintes églises des pays d’Orient, à Kiev et partout sauf dans l’État moscovite. C’est là un grand mystère que garde la sainte Église...

Nous disons cela pour confondre les iconographes afin qu’ils cessent de faire des peintures fausses et vaines et que dorénavant ils ne peignent rien selon leur propre idée et sans référence authentique.

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

* » Sur les iconographes et Sabaoth », Chapitre 43, Actes des Conciles de Moscou de 1666-1667 Moscou, 1893, dans Léonide Ouspensky, La Théologie de l’icône Paris, Éditions du Cerf, 1980, pp. 345-348.

200

Page 201: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

LE MESSAGE DES TROIS TRÈS SAINTS PATRIARCHES*

Païssy, par la volonté de Dieu pape et patriarche de la grande et pieuse ville d’Alexandrie et juge universel ; Macaire, par la volonté de Dieu patriarche de la ville d’Antioche et de tout l’Orient ; Joasaph, par la volonté de Dieu patriarche de Moscou et de toute la Russie.

Siméon Métaphraste1 a dit avec justesse que la main d’un iconographe est une chose des plus sages et nous ajoutons que la main d’un iconographe pieux et honnête est une chose à la fois sacrée et très honorable, car si nous essayons de chercher le commencement de cet excellent art, nous verrons que le premier iconographe n’était autre que Dieu, créateur et bâtisseur de toutes les choses, dans la mesure où il a désiré créer l’homme. a Faisons l’homme, dit-il, à notre image selon notre ressemblance » (Gn 1, 26) de sorte que la première image du Seigneur Dieu lui-même est l’homme. Et Dieu a donné son image à l’homme qu’il a créé et à tous ceux qui devaient suivre. Ainsi, l’image est une sorte d’imitation et le mot icône lui-même signifie la relation qui existe d’une image à l’autre et de chacune avec un prototype. Aussi, ce n’est pas Gygès2 des Indes qui a inventé l’art de l’iconographie, et ce n’est pas Pline3 [l’Ancien] qui y a pensé le premier, pas plus que Pyrrhus4 ou Aristote5 ; et ce n’était ni Polygnote6 ni Théophraste7 qui ont été les premiers à en discuter ; ce n’étaient pas les Égyptiens ou les Corinthiens ou les Chiotes ou les Athéniens qui ont été les premiers à utiliser cet art honorable, comme certains semblent croire. C’est le Seigneur Dieu lui-même, qu’on dit être l’auteur de tous les arts et de tous les métiers, qui a introduit et perpétué cet art dans le monde, et c’est en se fondant sur ce témoignage certain et véridique que l’Église d’Orient chante la gloire de celui qui a décoré le ciel d’étoiles et a rendu belle la terre avec des fleurs. C’est pour cela que les sages Grecs8 ont décrété que les esclaves et les prisonniers n’ont pas le droit d’apprendre l’art de la peinture mais que seuls les fils des nobles et des clercs puissent s’y instruire. Les Romains avaient des lois similaires et la première de ces lois est celle de Flavius9, du nom d’un grand peintre appelé Flavius10. Et quand Paul Émile11 a demandé qu’on lui envoie d’Athènes un philosophe et un iconographe qui pouvaient apprendre aux jeunes ce bel art mais aussi représenter en couleurs les grandes victoires du consul, on lui a dépêché un seul homme, Mitrodore, qui était à la fois philosophe et peintre. Et que dire de tous ces princes et seigneurs de premier ordre qui n’avaient pas honte de pratiquer la peinture et n’y voyaient rien d’indigne de leur titre, mais comptaient cela comme un honneur et une gloire de plus de pouvoir tenir un pinceau trempé de couleurs dans la main habituée à tenir le sceptre.

L’art iconographique a attiré, tel un aimant, Boris12 (ou, selon une autre 201

Page 202: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

appellation, Barasis), qui était le premier prince bulgare à devenir chrétien. Il a vu une très belle peinture représentant le Deuxième Avènement du Christ et la gloire des saints que la vertu leur a acquise, ainsi que les tourments de l’enfer promis aux impies lors du Jugement Dernier qui doit rétablir la justice. Émerveillé de ce qu’il a vu peint sur le mur, Boris s’est converti au christianisme. De la même manière, le grand prince Vladimir de Kiev et de toutes les Russies a trouvé la foi en voyant l’image du Deuxième Avènement du Seigneur représenté sur un couvert funéraire [plochtchnitsa] que lui avait montré le grand maître et philosophe saint Cyrille13 ; le prince a été baptisé et a éclairé toute la terre russe du saint baptême.

L’apôtre Paul a prêché à Athènes à l’aide d’images14 et a converti plusieurs au vrai Dieu et à la vraie foi. Grégoire de Nysse15 raconte comment il a pleuré devant l’icône sur bois représentant Abraham levant le couteau sur son fils Isaac qu’il avait promis en sacrifice. On peut se rappeler aussi ce que raconte le Nazianzine16 au sujet d’un jeune débauché qui, ayant vu le superbe portrait d’un sage (celui de Polémon) accroché aux portes d’une maison de joie, a été si effrayé que le feu de ses passions s’en est éteint. Et pénétré de pieuse honte, le jeune homme a fui ses débauches, comme s’il avait été transi par une flèche ou la foudre à l’aspect de ce vénérable portrait.

Il serait impossible d’énumérer tous les témoignages de la gloire iconographique, tout comme selon le proverbe il serait impossible d’épuiser la mer Atlantique avec une coupe. Par conséquent, nous ne rappelons ici que les cas les plus mémorables.

Selon le témoignage d’hommes très honorables, saint Luc l’évangéliste a peint le portrait de la Vierge qui, ayant vu ce dernier, a bien voulu lui conférer la grâce thaumaturge de sorte que ces icônes, copiées sur ce portrait, continuent encore aujourd’hui de produire des guérisons. Cette icône peinte par le divin Luc était conservée à Constantinople, dans l’église de la Vierge de Hodiguitria, construite par la reine Pulchérie17, comme en témoigne Nicéphore Calliste18 dans le livre 30 de son écrit. Ensuite, l’icône était conservée dans l’église de Sainte-Sophie mais celle-ci a été pillée par les Vénitiens qui ont emporté l’icône. Pour ce sacrilège, le patriarche Thomas de Constantinople19 a jeté sur eux l’anathème. Et que dire de l’histoire de l’apôtre Ananias20 qui essayait de toutes ses forces de peindre le portrait du Christ mais n’y a pas réussi, car le visage du Seigneur ne cessait de changer. Alors le Sauveur lui-même a pris un voile et y a imprimé son visage qui y est resté comme vivant, un véritable miracle digne de la divinité.

On pourrait rappeler également l’histoire de la sainte Véronique21 qui, lorsque le Christ portait la très sainte croix sur ses épaules et était tout couvert de sueur de son labeur, lui a donné un bout de linge dont il s’est essuyé le visage. Son aspect y est resté clairement imprégné, tout plein de sainteté et des traces de ses

202

Page 203: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

pieuses souffrances. Puis, il y a à Rome, près du théâtre de Marcellus, une image de la Vierge avec le Sauveur dans ses bras22. Toute d’or et de saphirs, elle a été faite de la main des anges (selon la pieuse croyance) et offerte à sainte Gallia qui a nourri douze pauvres tout au long de sa vie.

Ainsi, puisque l’art iconographique est aussi supérieur en honneur à tous les autres arts et métiers que le soleil est supérieur aux planètes — que le feu aux autres éléments, que le printemps aux autres saisons, que l’aigle à tous les autres oiseaux et que le lion à toutes les autres bêtes — il faut honorer et respecter les maîtres de la peinture et les couvrir d’honneurs propres à leur statut spécial, car l’iconographe est un serviteur de l’Église, un narrateur des histoires saintes et séculières, plus habile en cela que l’écrivain. Tout le monde connaît l’histoire de Jules César qui, s’étant inspiré des tableaux représentant les victoires d’Alexandre le Grand, s’est fait si avide des conquêtes qu’il est devenu sous peu le maître de Rome et personne, sinon Apelle, n’osait le peindre, tout comme, selon le témoignage d’Horace, seul Lysippe avait le droit de sculpter les effigies d’Alexandre23.

Les images sont comme des prêcheurs qui ne dorment jamais ou comme des orateurs qui éveillent la piété des hommes. Ainsi, les fidèles simples appellent le livre de Jean Damascène24 « livre à caractères blancs », car la très longue histoire sainte y est représentée uniquement en couleurs et en images qui se comprennent à première vue, de sorte que ce livre agit rapidement et pieusement sur notre intelligence. Simonide25 avait bien raison de dire que l’art iconographique est la poésie sans paroles, et la poésie est la peinture parlante. Et le plus grand des sages, Platon26, ne se trompait pas en disant que l’art pictural n’est vivant que lorsqu’il n’a pas besoin de mots pour expliquer son glorieux effet.

Compte tenu de tout cela, nous aimerions penser que dans une grande ville telle que Moscou, ce nid de piété où l’on sait apprécier l’excellence de cet art, les iconographes seront en honneur et recevront un statut digne de leur mérite, et qu’ils ne seront pas méprisés ou négligés comme des gens dont l’occupation est inutile. L’art pictural est, comme nous venons de le montrer, une chose merveilleuse, honorable et digne des rois, car il ajoute l’honneur du prototype au mérite de l’image. Saint Basile, homme de Dieu et grand parmi les saints, et avant lui le sage Stagirite [Aristote] ont dit clairement que le mouvement est le même vers l’image et la chose qu’elle représente27. Le divin Athanase28 explique la même chose par le portrait du roi : en voyant l’image du roi, on y voit le roi, et en voyant le roi on le reconnaît dans son image.

De la même manière, l’honneur fait aux iconographes, habiles décorateurs de nos églises, est un honneur fait au Créateur du ciel et de la terre qui était le premier à rendre beaux les astres, les bêtes et toute la sphère de la terre qu’il a

203

Page 204: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

revêtue de fleurs multicolores et qui a formé l’homme — petite image d’un grand monde29 — par la parole de son âme, tel qu’il est dit. En vérité, la Trinité représente bien le seul Dieu, car elle contient en elle l’intelligence, la parole et l’esprit. Nous proposons ainsi et nous décrétons 1) que les peintres des saintes icônes, vénérées par les rois et les patriarches et par tous les chrétiens, soient honorés, comme cela était le cas à l’époque du premier grand roi chrétien, Constantin30, lorsque les iconographes s’asseyaient avec l’assemblée royale, au même titre que le clergé et les nobles ; 2) qu’ils aient de l’autorité et que les meilleurs parmi eux soient leurs chefs ; et 3) qu’ils soient divisés en six catégories comme cela est écrit dans le livre de Grégoire le Théologien sur saint Basile, feuilles 2769 et 180631 :

les premiers, ceux qui peignent d’après nature ; les deuxièmes, ceux qui travaillent d’après les images ; les troisièmes, ceux qui copient les images trait pour trait ; les quatrièmes, ceux qui possèdent l’art intermédiaire ; les cinquièmes, ceux qui peignent en prenant l’exemple sur les maîtres ; les sixièmes, ceux qui apprennent chez des professeurs.

Il faut prendre un grand soin de tous ces iconographes et maintenant que le grand et pieux roi et prince, Alexis Mikhailovitch, est souverain de toutes les Russies — grande, petite et blanche — nous avons pensé qu’il serait bon que les peintres soient examinés par un iconographe habile et pieux et qu’ils signent de leur main le document qui certifierait leur habileté. Et, une fois leur habileté certifiée selon les catégories détaillées ci-dessus, qu’ils aient droit à des honneurs appropriés à leur rang. Quant à ceux qui se permettraient de peindre sans l’art nécessaire et sans la permission de pieux maîtres iconographes, qu’ils soient non seulement privés d’honneurs mais soumis à la loi et punis, car cet art sacré ne peut pas tolérer de telles atteintes. II est dit : « Maudit soit celui qui est négligent dans le travail de Dieu. »32 Qu’ils peignent donc des sujets laïques et non pas les saintes icônes qui représentent la beauté de leur prototype. Ou bien, qu’ils aillent chez de bons maîtres et y apprennent leur art, et que personne alors n’ose les blâmer pour l’excellent art qu’ils pratiquent ni les rabaisser au rang de simples roturiers — bons pour n’importe quelle besogne — et qu’on ne les force plus à peindre des choses indifférentes pour qu’ils fassent défaut au serment de leur art. Et que personne ne s’oppose jamais à cet établissement des iconographes, car ce sont des serviteurs de l’Église de Dieu qui travaillent pieusement à sa gloire. Que cela soit ainsi !

Ce message a été donné par nous, les patriarches, dans la grande et souveraine ville de Moscou en l’an 1668 de l’incarnation de Dieu le Verbe, le 12e jour de mai.

NOTES

*Le Message des trois saints patriarches, dans P. P. Pékarsky, éd., lzvestiya 204

Page 205: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v. Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 6-14.

1. Siméon Métaphraste (mort autour de l’an 1000), fonctionnaire, écrivain et hymnographe byzantin. Il est surtout connu pour les vies des saints qu’il a composées. 2. Gygès (687-652 av. J.-C.), roi de Lydie, un royaume grec en Asie mineure, capitale Sardes, connu pour sa richesse ; selon la légende, Gygès avait un anneau qui le rendait invisible. 3. Pline l’Ancien (29- 79 ap. J.-C.), auteur et amiral romain, étant mort dans la catastrophe causée par l’éruption du Vésuve. Il a écrit l’Histoire naturelle, 37 volumes, contenant ses observations scientifiques. 4. Pyrrhus ll (319-272 av. J.-C.), roi d’Épire. 5. Aristote (384-322 av. J.-C.), philosophe grec, précepteur d’Alexandre le Grand. 6. Polygnote (actif de 470 à 440 av. J.-C.), artiste peintre grec dont les œuvres sont mentionnées par Pline l’Ancien ; il est le fondateur de la peinture murale grecque. 7. Théophraste (372-287 av. J.-C.), philosophe grec, élève de Platon et d’Aristote ; il est devenu directeur de l’école de philosophie, le Lycée, fondée par Aristote en 335. 8. Probablement une référence à Solon, homme politique d’Athènes, un des Sept Sages de la Grèce, et qui, comme Archonte d’Athènes à partir de 594, a réformé la constitution de la ville. 9. Flavius Cneius, jurisconsulte à Rome ; au début du IVe siècle av. J.-C. (304), il a publié le premier livre de droit romain. 10. Le peintre Flavius : référence incertaine. 11. Paul-Émile (230-160 av. J.-C.), général romain et consul qui a conquis le royaume grec des Antigonides en 168 av. J.-C. Deux textes de l’antiquité appuient les patriarches.

1) « Y [à Athènes] vivait à la même époque Métrodore, qui était à la fois peintre et philosophe et d’une grande autorité dans l’une et l’autre science. C’est pourquoi lorsque le vainqueur de Persée, L. Paulus, demanda aux Athéniens de lui envoyer le philosophe le plus estimé qu’ils connussent pour faire l’éducation de ses enfants, ainsi qu’un peintre pour exécuter des ornements lors de son triomphe, les gens d’Athènes choisirent Métrodore, affirmant qu’il était le plus remarquable pour répondre à chacune de ces exigences, ce qui fut aussi l’opinion de Paulus. » (Pline l’Ancien, Histoire naturelle XXXV, 40, 135, J.-M. Croisille, trad., Paris, Société d’Édition « Les Belles Lettres », 1985, p. 93.) 2) « Dans la suite, il [Paul-Émile] laissa voir à plusieurs reprises qu’il désirait encore être consul et fit même acte de candidature, mais il échoua ; dès lors, après cette déconvenue, il se tint tranquille, uniquement occupé du culte des dieux et de l’éducation de ses enfants ; il donnait à ceux-ci la formation nationale et traditionnelle qu’il avait lui-même reçue, et leur

205

Page 206: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

dispensait avec plus de zèle encore la culture grecque. Car ce n’étaient pas seulement des grammairiens, des sophistes et des rhéteurs, mais encore des sculpteurs, des peintres, des dresseurs de chevaux et de chiens, des maîtres de vénerie, tous Grecs, que ces jeunes gens avaient auprès d’eux. Et leur père, si quelque affaire publique ne l’en empêchait pas, assistait à leurs études et à leurs exercices ; c’était, de tous les Romains, celui qui aimait le mieux ses enfants. » (Plutarque, Vies : Paul-Émile 6.8, R. Flacelière et É. Chambry, trads., Paris, Société d’Édition « Les Belles Lettres », 1966, p. 77.)

12. Boris de Bulgarie, baptisé en 864 par un certain Méthode. Était-ce le Méthode dans « Cyrille et Méthode », apôtres aux Slaves ? Voir Atanas Bozhkov, Bulgarian Icons, Sofia, 1987, p. 70 et S. Bigham, L’icône dans la tradition orthodoxe, Montréal, Médiaspaul, 1995, p. 112. 13. Vladimir de Kiev baptisé en 988. Si nous acceptons que le Méthode qui a baptisé Boris de Bulgarie ait été l’un des apôtres aux Slaves, il semble que les Russes, ne voulant pas apparaître moins illustres que leurs cousins bulgares, se soient approprié l’autre apôtre aux Slaves, Cyrille, ainsi que l’anecdote qui l’accompagne. Même si le Méthode qui a baptisé Boris était l’un des apôtres aux Slaves, il est impossible, vu les 124 ans qui séparent les deux événements, que ce Cyrille soit l’autre apôtre aux Slaves. Par contre, dans le domaine de la légende, de telles invraisemblances ne sont pas rares. 14. Ac 17, 16-34. Saint Paul a certainement attiré l’attention de ses auditeurs à une idole — dédiée « au dieu inconnu » — pour illustrer son point, mais ce n’est pas tout à fait la même chose que de dire que saint Paul « a prêché à Athènes à l’aide d’images ». Après tout, l’argument essentiel des iconophiles repose précisément sur la différence fondamentale entre une idole et une icône. 15. Discours sur la divinité du Fils et de l’Esprit Saint, voir Les images, D. Menozzi, éd., Paris, Cerf, 1991, p. 70. 16. Grégoire de Nazianze, Poème sur la vertu, PG 37, 737-738. Il est à noter que les patriarches n’étaient pas trop familiers avec l’histoire de l’image de Polémon parce qu’ils se sont trompés sur l’identité de la personne dont les passions se sont éteintes. Dans le grec et dans la traduction latine, c’est la femme — et non pas l’homme — qui s’est convertie après avoir regardé l’image de Polémon. 17. Pulchérie, impératrice, femme de Marcien, l’empereur romain à Constantinople qui a convoqué le concile de Chalcédoine en 451. 18. Nicéphore Calliste Xanthopoulos (mort autour de 1335), historien, poète et hagiographe byzantin. Il a composé une histoire de l’Église dont nous possédons les livres racontant les événements jusqu’à l’an 610. 19. Patriarche Thomas de Constantinople. Selon la liste de patriarches de Constantinople donnée par Ostrogorsky dans History of the Byzantine State, (Rutgers University Press, New Brunswick, N. J., 1969, p. 585), deux patriarches portent ce nom : Thomas I (607-610) et Thomas II (667-669) ; ils ne sont même pas mentionnés dans l’Oxford Dictionary of Byzantium. Venise n’était évidemment pas une puissance au VIIe siècle. Nous ignorons donc l’identité de

206

Page 207: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

ce patriarche. Voir E. Sendler, Les icônes byzantines de la Mère de Dieu, Paris, Bellarmin et Desclée de Brouwer, 1992, pp. 91-92. 20. II s’agit de l’histoire du roi Abgar d’Édesse. 21. Comme le note L. Ouspensky (La Théologie de l’icône, Paris, Cerf, 1980, p. 29, note 7 et pp. 318-319, note 50) les patriarches accréditent cette légende tardive occidentale, pour la première fois dans une source orthodoxe. 22. Voir Sendler, pp. 96-99. 23. Cette phrase pose des problèmes. Le sens évident est de faire une comparaison entre Jules César et Alexandre le Grand. César voulait imiter Alexandre dans le domaine de l’art aussi bien que dans celui des conquêtes. Selon la construction de la phrase, on comprend qu’Apelle seul avait le droit de peindre César comme Lysippe seul avait le droit de sculpter Alexandre le Grand. Et c’est Horace, poète latin du ler siècle av. J.-C., qui nous livre cette information. Ceci est impossible, par contre, parce qu’Apelle vivait au IVe siècle av. J.-C. et était l’un des artistes — pas le seul — qui ont peint le portrait d’Alexandre. Lysippe, également du IVe siècle av. J.-C., faisait partie de ce groupe restreint mais distingué. Voici le texte de Horace : « Il plut au roi Alexandre le Grand, ce Chérilus qui, en paiement de vers mal tournés, véritables avortons, reçut tant de philippes, monnaie royale. Mais, si l’on touche l’encre, elle laisse après elle une marque et une tache : ainsi, trop souvent, les écrivains ternissent par des vers déplorables des actions éclatantes. Ce même roi, dont la prodigalité paya si cher un poème si ridicule, fit défense par un édit que personne, sauf Apelle, ne prît le pinceau, que nul, hors Lysippe, ne coulât le bronze pour représenter les traits du vaillant Alexandre. » (Horace, Épîtres II, 1, 233-242, F. Villeneuve, trad., Paris, Société d’Édition « Les Belles Lettres », 1961, pp. 161-162.) 24. C’est une sorte de livre illustré, une « bande dessinée » de l’époque, attribué au grand iconologue, mais pas iconographe, saint Jean Damascène. 25, Simonide (556-468 av. J.-C.) poète grec. 26. Platon : Nous n’avons pas pu trouver un texte de Platon qui corresponde à cette paraphrase. 27. « ...l’honneur rendu à l’image passe au prototype. » : Saint Basile, Traité sur le Saint-Esprit, A. Maignan, trad., Paris, Desclée de Brouwer, 1979, p. 103. 28. « Dans l’image, on a la représentation et la forme de l’empereur et, dans l’empereur, la raison de l’image. Qui voit l’image voit l’empereur. Qui honore l’image honore l’empereur. En fait, l’image n’est que sa forme et sa figure. » : Saint Athanase d’Alexandrie, Discours contre les ariens, III, 5, dans G. Dumeige, Nicée 11, Paris, Éditions de l’Orante, 1978, p. 28. 29. Une allusion à la doctrine stoïcienne selon laquelle chaque personne humaine est un mini-monde, « un monde en miniature, un ”microcosme” qui est le reflet du ”macrocosme” ». (J. Gaarder, Le monde de Sophie, Paris, Seuil, 1995, p. 151.) 30. Nous ne connaissons aucune source historique qui confirme cette affirmation.

207

Page 208: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

31. Est-ce une référence au Panégyrique sur saint Basile prononcé à l’occasion des funérailles de ce dernier ? Si oui, nous n’y trouvons pas les six catégories dont parlent les patriarches. 32. Le concile de Stoglav, chap. 43, cite Jr 48, 10 en l’appliquant au travail des iconographes : « Maudit celui qui fait l’œuvre du Seigneur avec mollesse. » (TOB) Voir E. Duchesne, Le Stoglav ou les cent chapitres, Bibliothèque de l’Institut français de Pétrograd, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1920, pp. 133-135.

208

Page 209: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

MESSAGE DU TSAR*

Par la grâce de Dieu, nous sommes le grand tsar et grand prince Alexis Mikhaïlovitch, souverain de toutes les Russies, chef, héritier et maître incontesté des terres de l’Est, de l’Ouest et du Nord.

Nous avons le zèle de Dieu et les heures et les jours qui nous ont été donnés par Dieu, nous ne les employons pas seulement à vivre pour notre plaisir. C’est uniquement par la volonté de notre Créateur que nous a été donnée la vie et que notre front fut décoré de cette couronne garnie d’une pierre majestueuse. Nous savons donc qu’il faut aimer la beauté de sa maison et qu’il faut embellir l’endroit de sa demeure, en nous appliquant avec soin à cette tâche sans fermer l’œil, et tant que nous recevrons de Dieu des forces nouvelles, nous lui en serons reconnaissant dans notre cœur jusqu’à la fin de nos jours et nous montrerons notre reconnaissance de manière appropriée et pieuse en ne refusant pas notre aide royale aux efforts des pasteurs de l’Église pour améliorer la piété et la beauté de l’Église ; et nous ajouterons à ces efforts notre aide puissante, dont la puissance est appuyée par la grâce de Dieu tout-puissant, en fournissant à ces pasteurs tous les moyens jugés nécessaires pour propager et multiplier la gloire de Dieu.

Ainsi, en l’an 7175 [1667], dans notre souveraine et pieuse ville de Moscou furent rassemblés pour discuter des questions théologiques lors d’un très saint concile, le très saint et très pieux seigneur et père des Églises, le pape Païssy, patriarche d’Alexandrie et arbitre universel, ainsi que le très saint et très pieux seigneur et père des Églises, patriarche Macaire d’Antioche et de tout l’Orient, ainsi que le très saint et très pieux seigneur et père Joasaph, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, ainsi que tous les autres très saints pasteurs de notre royaume et des terres étrangères.

Cette sainte assemblée a jugé bon et beau de s’occuper de la question de l’iconographie et des iconographes afin que les saintes icônes soient peintes honnêtement, habilement et avec grâce, dignes de décorer nos églises de manière à ce que s’accroisse le nombre de ceux qui lèvent les yeux pieux sur ces icônes et que leur cœur se remplisse de repentir, leurs yeux de larmes et d’amour de Dieu et de ses serviteurs, et qu’ils soient incités à l’imitation des actions pieuses de ces derniers, de sorte que ceux qui se trouveront devant ces icônes croiront se trouver dans le ciel en présence des prototypes mêmes de ces images.

On décréta également que les peintres de ces œuvres gracieuses, habiles, honnêtes et pleines de maîtrise, seront honorés et recevront tout le respect qui

209

Page 210: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

leur est dû.

Le tout a été confirmé par les trois très saints et très pieux patriarches qui inclurent ces ordres dans leur Message, signé de leur main et scellé de leur sceau.

Nous, selon la volonté de Dieu, le grand Souverain de la nation russe orthodoxe chrétienne, ayant estimé que le peuple russe doit vivre dans la sainteté, décrétons — en vertu du pouvoir qui nous est conféré par le Roi de tous les rois et le Seigneur de tous les seigneurs — que les saintes et honorables icônes de Dieu, de la très pure Vierge, des puissances célestes, des saints hommes et des saints pères théophores, seront peintes selon le mérite des actions et des personnes représentées, en accord avec l’indispensable tradition de la sainte Église de l’Orient. Aucune action blâmable ou personne indigne de cet honneur ne pourront être représentées sur les icônes. L’art et la connaissance de la peinture seront sauvegardés avec un zèle spécial : car il est juste et pieux de représenter Dieu et les hommes pieux et justes qui l’ont servi avec des moyens artistiques à la hauteur de leur mérite, afin qu’une représentation négligente d’une personne sainte ne détourne d’elle la vénération qui lui est due.

Nous désirons que l’on choisisse des iconographes dont la réputation n’est plus à faire, afin qu’ils apprennent cet art aux autres peintres et témoignent par écrit de la compétence de ces derniers dans les six catégories suivantes :

1) les premiers, ceux qui peignent d’après la nature ; 2) les deuxièmes, ceux qui travaillent d’après les images ; 3) les troisièmes, ceux qui copient les images trait par trait ;4) les quatrièmes, ceux qui possèdent l’art intermédiaire ; 5) les cinquièmes, ceux qui peignent en prenant l’exemple sur les maîtres ; 6) les sixièmes, ceux qui apprennent chez des professeurs.

Tous doivent veiller à ce que cet art noble prospère et se perfectionne. Quant à ceux qui ne se rendent pas dignes de pratiquer l’iconographie à cause de leur manque d’habileté, qu’ils s’occupent de la peinture profane uniquement. Et si jamais ils osent toucher à l’iconographie, qu’on leur coupe la main et qu’on les punisse pour avoir manqué de respect à notre décret royal.

Et que les peintres des saintes icônes soient honorés partout et de tous les fidèles comme sous le pieux règne de Constantin, l’égal-aux-apôtres, et des autres souverains fidèles ; on les faisait alors asseoir aux côtés des nobles de la cour royale. Et nous voudrions que dans notre royaume chrétien, on honore de même les habiles peintres des saintes icônes.

Il est bien que les artisans d’un si saint et honorable métier soient eux aussi honorés.

210

Page 211: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Dieu lui-même fut le premier artiste, lui qui créa l’homme à son image et à sa ressemblance, et qui ordonna que le visage des anges soit représenté dans le temple et sur l’arche de l’alliance.

Dans le Nouveau Testament, le Seigneur Christ lui-même a bien voulu, à deux reprises, imprimer les traits de son visage sur un voile de lin : l’un pour le roi Abgar et l’autre pour la pieuse femme Véronique.

Même le Saint-Esprit a pratiqué cet art en créant son image sous forme d’une colombe qui apparut au-dessus du Jourdain comme le racontent les apôtres.

Et saint Luc était aussi iconographe et fit une image de la Vierge qui l’a acceptée en cadeau.

Et au septième concile de l’Église universelle, toute l’Église catholique a béni l’œuvre des iconographes et a consacré la vénération des icônes, de sorte que tous les tsars et patriarches et tous les chrétiens les vénèrent et les honorent.

Cet honneur leur vient des paroles mêmes de Dieu, car de nombreuses icônes furent créées par la volonté de Dieu, telle l’icône de la Vierge à Rome qui tient l’enfant Jésus dans ses bras, lequel est représenté en or sur un fond de saphir  ; telle aussi l’icône de la Vierge conservée dans le très grand et saint monastère de Kiev-Petchersk, qui fut peinte par Dieu à la place du saint iconographe Alipy.

Par ailleurs, de nombreux seigneurs laïques ne trouvaient pas honteux de se consacrer à cet art glorieux ; et depuis des siècles plusieurs fils de riches. au lieu de passer leur vie dans la débauche et l’oisiveté, se consacrent à l’art du pinceau multicolore ; et même les rois, habitués à tenir un sceptre d’or, aimaient se distraire à l’aide du pinceau et à appliquer avec science les diverses couleurs pour imiter Dieu et la Nature.

Qui fut dans la Rome ancienne le très célèbre Paul-Émile, dont la gloire est chantée dans tant de traités historiques ? Or il alla chercher à Athènes Mitrodore qui était à la fois iconographe et philosophe pour que ce dernier apprenne aux jeunes les victoires de Paul-Émile de la plus belle façon.

De la même manière, aussi glorieuse que fut la famille des Flavius, leur ancêtre Flavius s’est acquis par son pinceau d’iconographe une gloire tout aussi grande qu’eux tous par l’épée et la lance aiguisée.

Et les sages législateurs grecs considéraient la peinture si honorable qu’ils interdirent aux esclaves et aux prisonniers d’étudier l’iconographie qui fut réservée aux fils des nobles et des clercs.

211

Page 212: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Tel fut le respect témoigné par Dieu, l’Église et tous les seigneurs de tous les siècles à cet honorable art de sorte que les peintres qui se servent avec grâce de leur pinceau multicolore sont supérieurs à ceux qui écrivent avec le stylet et la plume de même qu’à tous les autres artisans. Ainsi personne n’a le droit de leur donner des ordres à moins de se connaître lui-même dans leur art honorable ; et personne n’a le droit de les blâmer et de les forcer à peindre des sujets profanes ou de les astreindre au service civil.

Nous prenons Dieu pour témoin et nous ordonnons, en vertu de notre pouvoir royal, d’observer scrupuleusement et d’exécuter tout ce qui est écrit plus haut dans ce message royal au sujet des saintes et honorables icônes et des iconographes, de même que tout ce qui est dit de façon plus élaborée dans le Message des trois très saints patriarches.

Et nous ordonnons de communiquer ce message aux iconographes, et nous y apposons notre sceau pour sceller ces ordres par notre pouvoir royal. Ce message a été écrit dans le palais du tsar dans la ville de Moscou, en l’an 7178 depuis la création du monde et en l’an 1669 depuis l’incarnation de Dieu le Verbe.

*Le Message du tsar, dans P.P. Pékarsky, éd., lzvestiya Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v. Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 15-21.

212

Page 213: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

QUATRIÈME CAUSERIE D’AVVAKOUM AU SUJET DE LA PEINTURE D’ICÔNES*

Dieu a bien voulu souffrir que les iconographes peignant des icônes d’une façon indigne se soient multipliés sur notre terre russe. Ceux qui peignent ainsi appartiennent aux rangs de la société inférieurs, alors que leurs supérieurs de la société leur sont favorables. Et tous se dirigent vers l’abîme de la perdition s’accrochant l’un à l’autre comme il a été écrit : « L’aveugle conduisait l’aveugle. » (Mt 15, 14) Tous les deux tomberont dans la fosse, car ils errent dans la nuit de l’ignorance. Quant à celui qui marche alors qu’il fait jour, il ne trébuchera pas, car il voit la lumière de ce monde, ce qui veut dire : celui qui est éclairé par la lumière de l’entendement voit avec prudence les embûches et les ruses de l’hérésie et perçoit avec finesse toutes les nouveautés sans se laisser embourber dans les conseils inventés par les pécheurs.

Et voici l’affaire présente : ces artistes peignent l’image du Sauveur Emmanuel avec le visage arrondi, la bouche rouge, les cheveux ondulés, les mains et les muscles épais, les doigts gonflés ; de même les jambes et les hanches sont grasses, et tout entier, il a été fait ventru et gras comme un Allemand. Il ne manque qu’une épée à la hanche. Tout cela est peint selon une pensée charnelle, car les hérétiques aiment eux-mêmes l’épaisseur de la chair et jettent à terre ce qui est sublime. Tandis que le Christ, notre Dieu, n’avait que des sentiments raffinés comme nous enseignent les théologiens. Tu peux lire dans Marguerite1 ce qu’a écrit Chrysostome au sujet de la naissance de la Mère de Dieu. Ce livre contient une image du Christ et de la Mère de Dieu qui ne s’approchent même pas de loin, de ce que les hérétiques ont inventé maintenant.

Et tout cela a été inventé par ce chien-loup du diable, Nikon : peindre comme s’ils sont vivants à la façon étrangère ou allemande, car les étrangers peignent l’Annonciation de la très sainte Mère de Dieu comme si elle était enceinte avec le ventre qui pend sur les genoux. En un clin d’œil, le Christ peut devenir un homme fait, dans le sein même de sa mère. Et chez nous à Moscou, il y a le livre La Verge de direction2 dans lequel il est écrit textuellement à ce sujet : « Le Christ est déjà homme fait, lors de sa conception, et tel il naît. » Et ailleurs : « Tel un homme de trente ans. » Voilà, regardez, braves gens : un homme peut-il naître avec des dents et une barbe ? Je m’en rapporte à vous tous, du plus petit au plus grand : une chose pareille a-t-elle jamais été ? Ils ont fait pis que ces étrangers, eux les ennemis de Dieu. Quant à nous, les orthodoxes, nous confessons ce que nous apprennent les saints : Jean Damascène et d’autres. Le Christ, notre Dieu, lors de la conception est déjà fait dans ses membres c’est-à-dire les articulations, mais sa très sainte chair s’est formée en neuf mois selon la

213

Page 214: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

coutume et il en naquit un bébé et non un homme fait, comme de trente ans. Et voilà que les peintres d’icônes commencent à peindre le Christ à sa naissance avec une barbe tout en se référant à ce livre et c’est ainsi que c’est devenu la règle chez eux. Et la Mère de Dieu est peinte enceinte au moment de l’Annonciation, tout comme le font les vils étrangers. Le Christ en croix est gonflé, il est gentiment grassouillet et ses pieds sont comme de petits tabourets : Oh ! Oh ! Les pauvres. Ô Russie, pourquoi as-tu voulu avoir les mœurs et les coutumes des Allemands ? Nicolas le Thaumaturge reçoit le nom allemand de Nikolaï3 . Il y a bien un Allemand de nom de Nikolaï4 et du temps des apôtres, il y avait un Nikolaï qui était un hérétique5. Mais il n’y a pas de Nikolaï parmi les saints. Il n’y en a eu un qu’avec eux. Nicolas le Thaumaturge le supporte, mais pas nous. Si seulement on pouvait prendre la tête d’un de ces chiens et la lui retourner avec la gueule en arrière, et qu’il se promène ainsi dans Moscou. Mais que peut-on y faire ? Le Christ leur a accordé un temps, comme écrit l’apôtre Jude : « Comme le Seigneur sauva le peuple hors de la terre d’Égypte, il fit ensuite périr les incroyants. Mais il a décidé de contenir par des liens éternels dans les ténèbres les anges qui n’ont pas obéi à leur supérieur et ont quitté leur demeure. »6 Tu vois, toi qui m’écoutes que Dieu supporte leur présence, même si ce sont des démons, jusqu’au jour du jugement. Alors ils [ces chiens] recevront tout ce qui les attend, et maintenant qu’ils se moquent — ensemble avec les démons — du Christ, de Nicolas, de tous les saints, de la Mère de Dieu notre lumière et de nous autres, comme les diables se moquent des prêtres. Alors, qu’ils se démènent ! Jean Chrysostome7 était meilleur que nous, mais quand le temps vint on l’a exilé tout comme on a fait pour nous. Il en fut de même pour le métropolite Philippe8 à Moscou. Il se produit beaucoup de cela. Mais si quelqu’un désire servir Dieu, il ne convient pas qu’il se plaigne sur son propre sort. Il lui convient de sacrifier sa vie non seulement pour la possession de livres saints, mais aussi pour la justice dans le monde. Comme Chrysostome l’a fait pour la veuve et pour le jardin de Théognoste 8a et comme à Moscou

Philippe l’a fait sous le règne des régiments d’Oprinchniki. Combien plus lorsqu’il s’agit de ce qui pervertit l’Église, chaque fidèle ne doit pas raisonner mais aller dans le feu. Dieu te bénira et que notre bénédiction soit avec toi pour toujours. Il n’est pas nécessaire d’aller en Perse pour chercher des fours enflammés. Dieu nous a donné une Babylone chez nous à Borovsk9. Là il y a un four chaldéen où sont martyrisés les saints adolescents qui, imitant les chérubins, chantent l’hymne trois fois saint. Le pouvoir s’est bien installé. Mieux que la maison de Nabuchodonosor, les palais et les demeures des femmes sont décorés d’or, les cloisons et les murs sont dorés et les passages sont pavés de pierres précieuses, les jardins sont plantés d’arbres divers, les oiseaux chantent, les animaux crient dans les jardins, les fruits et les herbes mûrissent et donnent un parfum qui se répand. Nabuchodonosor, tout gonflé, parle au Dieu du ciel  : « Tu règnes au ciel et moi je suis ton semblable ici sur terre. »10 Et lorsque Dieu vit son orgueil invétéré, il transforma Nabuchodonosor en taureau par-devant et en lion par-derrière et il est resté sept ans dans un bois avec les bêtes. Il mangeait

214

Page 215: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

de l’herbe jusqu’à ce qu’il se soit repenti. C’est ainsi que le Seigneur s’oppose aux orgueilleux tandis qu’il donne le paradis aux doux. Croyants, comprenez comme les trois adolescents, grâce à leur souffrance dans le royaume sont honorés sur toute la terre tandis que Nabuchodonosor est abaissé. Cette histoire est un modèle pour ceux qui veulent hériter du salut. Toi non plus, serviteur de Dieu, ne t’incline pas devant ce qui est peint d’une façon inconvenante, d’après la tradition allemande. Tout comme les trois adolescents ne se sont pas inclinés sur le champ devant la statue en or de Deire11 à Babylone. Cette image était alors grasse et grande comme les images actuelles peintes à la façon allemande ! Et il y a beaucoup de changements dans ces icônes. Les cheveux sont peignés, les habits sont modifiés et les doigts sont assemblés à la manière de Malaxa12. Au lieu du signe du Christ, tu dois baiser la Malaxa de perdition. Sais-tu de quoi je parle ? Ils peignent cette main de façon tordue. Si tu ne veux pas mourir, ne baise pas ; c’est le sceau de l’Antéchrist. Crache sur elle ; elle te donnera de mauvaises pensées. Si elle était peinte selon le modèle, elle n’en donnerait pas. Quant à toi, incline-toi vers le ciel, vers l’Orient mais ne t’incline pas devant une telle icône. Sur cela, que la paix soit avec vous et nous vous donnons notre bénédiction. Moi, pécheur l’archiprêtre Avvakoum, avec les pères et les frères en Jésus-Christ, tous ensemble, nous vous saluons beaucoup, tous les fidèles. Priez pour nous et nous devons prier pour vous. Gloire à notre Dieu en tout. Amen.

NOTES

*L’archiprêtre Avvakoum, Quatrième causerie au sujet de la peinture d’icônes, Vie de l’archiprêtre Avvakoum et Livre des sermons, N. K. Goudzia, éd., Moscou, 1960, pp. 135-137 ; Paul Miklachevsky a traduit le sermon.

1. La Vie de l’archiprêtre Avvakum, Pierre Pascal, trad., Paris, Gallimard, 1960 ; voici ce que Pascal dit de ce livre, p. 232 : « Margaritae, Moscou, 1” novembre 1641... Recueil d’origine byzantine. L’édition moscovite contient 30 sermons de saint Jean Chrysostome (6 sur les Anoméens, 6 contre les Juifs, 6 sur les Séraphins, 5 sur le riche et Lazare, 3 sur David et Saul, 4 sur Job), plus ”14 sermons ajoutés aux Margaritae” : aux catéchumènes, sur la pénitence, sur le baptême, sur l’Incarnation, etc. À la fin, une très longue Vie de Saint Jean Chrysostome, par Georges, archevêque d’Alexandrie. » 2. Un autre nom, Le Sceptre de gouvernement, Siméon Polotsky, Moscou, 1666 ; il contient des réfutations des arguments de ceux qui s’opposaient aux réformes. 3. Avvakoum identifie le changement de prononciation de certains noms avec l’occidentalisation de la Russie. Une vieille prononciation du nom de Nicolas, NicOla avec l’accent tonique sur la lettre o, est devenue NikolAj avec l’accent sur la lettre a. 4. Nous ignorons la personne à qui Avvakoum fait référence. 5. Ap. 2, 6 : « Mais tu as ceci en ta faveur : comme moi-même, tu as en horreur les œuvres des Nicolaïtes. » Nous n’en connaissons presque rien de ce groupe.

215

Page 216: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

6. Jd 1, 5-6, Bible de Jérusalem : « Je veux vous rappeler que le Seigneur, après avoir sauvé le peuple de la terre d’Égypte, a fait périr ensuite les incrédules. Quant aux anges qui n’ont pas conservé leur primauté, mais ont quitté leur propre demeure, c’est pour le jugement du grand Jour qu’il les a gardés dans des liens éternels, au fond des ténèbres. » 7. Saint Jean a été exilé de Constantinople en 404 quand il a osé critiqué la conduite de l’impératrice. 8. Saint Philippe était le métropolite de Moscou pendant le règne d’Ivan le Terrible. Il a osé publiquement prendre Ivan à part pour sa cruauté envers la population chrétienne de son pays. En colère, Ivan l’a mis en prison et en 1569, l’a fait étrangler par son bourreau favori. Avvakoum se présente comme un martyr ; il se voit comme un juste persécuté injustement par un gouvernement impie. Il se met en compagnie de ceux qui, dans le passé, ont osé critiquer les autorités politiques de leur temps. Il pensait sans doute qu’il serait exonéré un jour comme eux. 8a. Voir l’annexe de ce chapitre pour le texte de cet épisode. 9. Borovsk, une petite ville à environ 150 km au sud de Moscou, où il y avait un monastère forteresse près de la ville. Le gouvernement du tsar y avait brûlé des vieux-croyants parce qu’ils refusaient d’accepter les réformes liturgiques de l’Église officielle. Avvakoum y avait été emprisonné. 10. Voir Dn 4, 25-34. 11. Deire est la transcription d’un mot arabe russifié et désigne la ville de Doura-Europos sur l’Euphrate. 12. Voici ce qu’Avvakoum a à dire sur Malaxa dans Sur la façon de joindre les doigts, dans La Vie ibid., pp. 208-209 : « Il n’y a pas si longtemps, il s’est trouvé chez les Grecs [...] un archiprêtre Malaxa [qui] a enseigné aux évêques à bénir le peuple avec les cinq doigts, bizarrement, sans accord entre eux : [...] Malaxa ne confesse pas la sainte Trinité, en bénissant, mais figure Jésus-Christ seul, avec les doigts. C’est à rire et à pleurer, de voir leur égarement. » Pascal commente ce passage dans la note #1 : « Dans les Tables de la Loi, on lisait, immédiatement après le commentaire se terminant p. 817, un texte ”du bienheureux Nicolas Malaxe (la forme Malaxa, reproduite ensuite telle quelle, était dans les Tables un génitif), archiprêtre de Nauplie, sur le sens des doigts joints par le prêtre quand il bénit le peuple” (4 pages, non numérotées, avec une figure en marge) : l’index levé figure 11, le majeur, joint à lui et courbé, figure un C, donc IC (Jésus) ; l’annulaire, couché et croisant le pouce, figure un X et l’auriculaire courbé un C, donc XC (Christ)

ANNEXE

Georges d’Alexandrie, auteur d’une biographie de saint Jean Chrysostome, VIIe

siècle. L’épisode suivant est pris de ce livre et se trouve en grec dans François Halkin, Douze récits byzantins sur saint Jean-Chrysostome, #41, Société des Bollandistes, 1977, pp. 191-196. La traduction française est de l’éditeur.

216

Page 217: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

LA VIGNE DE THÉOGNOSTE ET L’IMPÉRATRICE EUDOXIE

Jean ne se souciait guère de ce qu’Épiphane et Théophile lui-même disaient contre lui. Il s’appliquait plutôt à l’enseignement dans les églises, lequel était au comble de sa force. Jean ne faisait pas attention non plus à la méchanceté que l’on proférait contre lui.

Il y avait dans la ville un certain sénateur, Théognoste, qui aimait le Christ et qui avait la crainte de Dieu sans cesse devant les yeux. L’empereur l’aimait donc beaucoup, mais Gaïos, un sénateur arien, par jalousie, a dénoncé Théognoste auprès de l’empereur disant que celui-ci l’avait insulté et l’impératrice aussi. Selon Gaïos, Théognoste aurait dit qu’elle était la peste et insatiable pour accumuler des biens. L’empereur, à l’instant même, a donc exilé Théognoste à Thessalonique et a confisqué tous ses biens sauf une propriété hors de la ville qui subviendrait aux besoins de sa femme et de ses enfants.

Alors, Théognoste, partant en exil, s’est fait maltraiter en route, est tombé malade et est mort. Alors, la veuve de Théognoste, voyant les choses terribles qui étaient arrivées à son mari et la perte de leurs nombreux biens, s’est liée à un inconnu comme servante puisqu’elle était accablée et vraiment dans le besoin. Elle a donc pris ses enfants et s’est réfugiée à l’église auprès du bienheureux Jean lui annonçant tout ce qui s’était passé. Ayant entendu l’histoire, l’évêque, ému par ces nouvelles, s’est grandement affligé. II a aussi commencé à la consoler en disant :

Ne t’afflige pas, mais reçois les événements qui sont arrivés à toi et à ton mari plutôt avec reconnaissance, car tu as Dieu comme juge de toi et de ton veuvage. Il est le Père de tes orphelins et il sait tout. II s’occupe de tout ce qui nous est utile comme si nous étions membres de sa propre famille. Cependant, si Théognoste est mort injustement en exil, la mort lui est arrivée pour la jouissance de la vie éternelle et pour la perdition et le châtiment inévitable de ses accusateurs.

Par toutes ces paroles, et d’autres semblables, Jean l’a consolée, l’a renvoyée chez elle et lui a remis des ressources de l’hôtellerie de l’église pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants afin de les délivrer du malheur. II a même demandé à l’empereur de restaurer à la veuve ses biens et ceux de son mari. Mais pendant que l’empereur y pensait encore, le Malin soulevait un malheur contre la femme infortunée, contre ses enfants et contre le bienheureux Jean.

Le temps des vendanges est survenu, pendant lequel tout le monde sortait dans la compagne pour vendanger les vignes. L’impératrice Eudoxie est sortie aussi dans les propriétés impériales hors de la ville pour se promener. Se trouvant près de la propriété de Théognoste, elle est entrée et a coupé de ses propres mains une grappe de raisins de la vigne et l’a mangée, mais ses serviteurs lui ont dit  :

217

Page 218: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

« Maîtresse, la vigne appartient à quelqu’un d’autre. »

Une loi impériale ordonne que si l’empereur ou l’impératrice entrent dans une propriété hors de la ville et y marchent, ou même goûtent de son fruit, le seigneur de ce lieu perd son autorité sur le lieu et cette propriété se joint aux domaines impériaux. Le seigneur de la propriété confisquée peut prendre à la place de celle-ci soit une autre dans un domaine impérial où l’empereur n’est pas encore entré, soit le prix en argent de sa propriété jusqu’à sa juste valeur.

Alors, l’impératrice a commandé d’inscrire la propriété de Théognoste parmi les domaines impériaux pour deux motifs : d’une part, désirant accabler la veuve et ses enfants parce qu’elle s’est fâchée contre la veuve quand celle-ci s’était réfugiée chez Jean ; d’autre part, cherchant un prétexte par lequel elle pourrait se quereller avec lui et, au moment convenable, l’expulser de l’Église. L’impératrice connaissait le caractère sympathique de Jean concernant de telles choses et que, s’il entendait cette histoire de malheur, il ne mépriserait pas la veuve et ses orphelins qui ont subi un traitement injuste. Et presque immédiatement quelque chose se préparait qui aiderait l’impératrice, selon ce qu’elle désirait.

Voilà précisément ce qui est arrivé. Connaissant l’histoire, le bienheureux Jean a fait dire à l’impératrice les paroles suivantes par son archidiacre Eutychès, homme sensé et orné d’une vie agréable :

La foi qui aime le Christ et la vie de vos parents sont évidentes à tous. C’est pourquoi par leurs prières et par leur bonne conduite, Dieu a cédé à l’importunité et t’a attribué le sceptre de ce royaume terrestre, acceptant par tes œuvres de te proclamer héritière du royaume céleste. Car l’argent, la gloire et l’apparence du monde ne nous profiteront pas dans le redoutable jour du jugement, mais plutôt seulement, le genre de vie à travers nos œuvres. N’oublie pas cette crainte de Dieu. Tout le monde sait que le souffle de nous tous est entre ses mains. Dieu ajoute à celui-ci et il enlève de celui-là selon sa volonté. Poussière et cendres sommes-nous et après un peu de temps nous partons vers la terre dans un pays sombre et ténébreux comme aussi tous les empereurs, gouverneurs et commandants avant nous. Regarde les empereurs avant toi : ce qu’ils étaient alors et ce qu’ils sont devenus. Comprends comment chaque jour ceux qui vivent heureusement se vantent et s’estiment heureux, chaque jour se souvenant de bonnes choses. Mais ceux qui vivent malheureusement, toujours en maux et en tempêtes, on les oublie. Le plus souvent personne ne prononce leur nom ni se souvient certainement des injustices qu’ils ont subies. Que votre piété, qui aime le Christ, imite donc ceux qui ont gardé la foi sans tache et qui ont achevé la belle course dans cette vie à travers de bonnes œuvres. Alors commande de restaurer à la femme humiliée de Théognoste et à ses enfants leur vigne qu’ils avaient comme consolation, car

218

Page 219: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

l’oppression et la peine qui sont tombées sur eux sont suffisantes : Théognoste est mort en exil et ils ont perdu tous leurs moyens de subsistance. Oui, je t’implore de délier ta rancune contre elle, te souvenant que dans les évangiles, le Sauveur nous a ordonné de ne pas laisser le soleil se coucher sur notre colère. Encore, il a continué en termes précis au sujet de l’homme riche, disant : « Insensé, cette nuit ton âme sera demandée et ce que tu as préparé, qui l’aura ? » La saveur douce du fruit de la vigne, celle des figues, la graisse de l’huile, les biens, le superflu des choses désirables ou la gloire du pouvoir descendront-ils avec nous en Hadès ? Abandonnant tout, ne nous éloignons-nous pas des choses d’alors, nus et sans défense ? Et bien donc, te souvenant de tout cela, ordonne de restaurer la vigne afin qu’il soit bien pour toi au jour du jugement.

Ayant expliqué ces choses et d’autres semblables à Eutychès, Jean l’a envoyé auprès de l’impératrice.

Lui, Eutychès, arrivant auprès de l’impératrice, lui a annoncé le message de Jean, et elle, l’ayant entendu, a écrit cette réponse :

Tu t’endurcis le cœur pour me questionner ; tu me juges comme obtenant injustement et iniquement quelque chose pour moi-même, toi qui ne connais pas les lois et les décrets impériaux, toi qui ne m’accordes pas l’honneur dû aux personnes impériales, mais tu me méprises. Mais je ne supporterai absolument pas que tu m’insultes. Au sujet de la vigne de Théognoste, tu n’ignores pas les lois des Romains, ce qu’elles ordonnent concernant de telles choses. Si tu les ignores, alors apprends comment elles sont établies depuis longtemps. Que l’une des deux satisfactions soit offerte : soit une autre propriété, là où elle voudrait, semblable à l’autre vigne, soit le prix en argent de celle qui a été confisquée, car moi je ne veux pas enfreindre les lois impériales anciennes ; je ne peux supporter de faire une chose pareille.

Lorsque le bienheureux Jean a lu cette note, se mettant debout, il est allé auprès de l’impératrice dans le palais et s’étant assis, il a recommencé à l’admonester encore plus que la première fois. Et ensuite, il a dit : « Toi qui agis injustement contre la veuve, cette femme que tu ne veux pas écouter, restaure-lui sa propre vigne. »

Et l’impératrice a répondu : « Je t’ai déjà écrit ce que les empereurs avant nous ont défini concernant de telles propriétés. Et moi, j’ai offert le choix d’une propriété à la place de l’autre ou le prix en argent de celle-là. »

Jean lui a répondu : « Je t’ai dit et je dis encore : restaure à la veuve ce qui est à

219

Page 220: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

elle, car elfe ne cherche rien d’étranger auprès de toi. »

Mais l’impératrice lui a dit : « Ne parle pas ainsi aux personnes impériales, car ceci ne te sert à rien. »

Jean, lui répondant, dit encore :

Restaure la vigne et ne te réfugie pas dans les vieilles lois et certainement pas dans les ordonnances des non baptisés, car tous les empereurs peuvent dicter des lois et rien ne t’interdit de renverser les lois et les décrets injustes. Toi, tu es impératrice et femme d’empereur. Pour le reste, refuse d’écouter, comme une nouvelle Jézabel, et tu amèneras sur toi une malédiction égale à la souffrance de la vraie Jézabel.

Lorsque Jean eut terminé, l’impératrice s’est grandement fâchée et a commandé de l’expulser du palais par la force. Ainsi montrant le venin caché dans son cœur contre le juste, elle a dit ouvertement :

Moi, je me vengerai moi-même de celui-là et je ne restaurerai ni la vigne, ni une autre propriété à sa place, ni le prix en argent de la première. Qu’il n’essaie pas de me convaincre et de me forcer à faire ce que je ne veux pas. Je t’enseignerai à ne pas me mépriser.

220

Page 221: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

QUESTIONS ET RÉPONSES DU MOINE EUTHYME CONCERNANT L’HISTOIRE DE L’ART RUSSE

AU XVIIe SIÈCLE*

Question concernant l’image de Dieu le Père.

1. Est-il convenable de peindre Dieu le Père avec des cheveux blancs, vu que la divinité n’a pas été décrite, comme cela est dit dans un chant de l’Église : « Ne mentez pas, vous les aveugles, n’essayez pas de décrire la divinité. »1

2. Concernant l’image du Christ Sauveur, lequel est peint tantôt jeune et qu’on nomme alors Emmanuel, et tantôt dans le sein de Dieu le Père et qu’on nomme alors [Fils unique et] Verbe de Dieu, sortant du sein du Père avant l’aurore. On le peint également assis sur un trône et tenant dans la main une pomme2, appelée puissance ; ou encore dans un habit d’évêque, portant un sakkos, une omophore, ayant une mitre sur la tête, tenant une crosse et chaussé de bottes rouges. La très sainte Vierge sa Mère se tient debout devant lui, habillée en reine et ayant des ailes. Il y a aussi saint Jean-Baptiste, portant une couronne royale et ailé lui aussi. Est-ce quelque légende de l’Église qui suggère de telles images ?

Réponse : Selon l’essence et la nature, Dieu est non seulement indescriptible et sans image mais aussi sans nom, tout comme les anges et nos âmes qui sont sans image et indescriptibles selon l’essence, et descriptibles seulement selon le lieu et le temps. Il est convenable de peindre l’image de Dieu le Père selon sa venue ici-bas et non selon sa Divinité, tel que l’ont vu Adam, Abraham, Isaac, Jacob et les prophètes Isaïe, Ézéchiel et Daniel comme le raconte saint Jean Damascène3 :

Quatrièmement : qu’est-ce qui est représenté et qu’est-ce qui ne l’est pas, et comment chaque chose est-elle représentée ? Les corps, parce qu’ils possèdent des figures, un contour corporel et une couleur, peuvent être représentés avec beaucoup de vraisemblance.

Et encore :

Nous savons donc qu’il est impossible de contempler la nature de Dieu, d’un ange, d’une âme ou d’un démon, mais nous pouvons les contempler par une sorte de transformation, car la Providence divine applique des types et des figures aux choses incorporelles qui sont dépourvues de types et de configuration corporelle, pour nous conduire par la main vers la connaissance de leur épaisseur et de leur individualité, afin que nous ne

221

Page 222: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

demeurions pas dans l’ignorance absolue de Dieu et de ses créatures incorporelles.

Et un peu plus loin :

...et nous les figurons et les représentons, puisque les chérubins ont été figurés et représentés. Mais l’Écriture contient aussi des figures et des images de Dieu.

Ici finit la citation de saint Jean Damascène.

Saint Denys l’Aréopagite4, quant à lui, dit que Dieu est non seulement sans forme mais aussi sans nom : « Il n’existe aucun nom ni aucun mot pour la Divinité préexistante. »

Et saint Jean Damascène5 dit : « La Divinité est inconnaissable, et qu’elle reste absolument innommable, car ignorant son essence, n’essayons pas de connaître son nom. » Et plus loin : « Parce qu’il est préexistant, il est donc sans nom. »

Et saint Jean Chrysostome6 dit : « Saint Paul n’a pu trouver nulle part le nom de l’essence même. » Et un peu plus loin : « Car puisque [le mot] Dieu n’est pas le nom de l’essence, il est donc impossible d’obtenir le nom de cette essence. »

L’interprétation de saint Denys l’Aréopagite dans le premier chapitre de son Les noms divins dit ceci7 :

Les anges mêmes ne peuvent apprendre le nom de Dieu. On ne peut que parler de certains de ses actes (comme ceci : Dieu plein de grâce, Sauveur, c’est ce qu’on appelle une théologie par les noms), et des choses qui existent mais nous sont refusées et on parle alors de la théologie négative [apophatique] (ainsi Dieu est inconnaissable, invisible, immortel). Lui donner des noms à partir de tout cela n’est pas contraire à sa sainteté sacrée. Nous ne multiplions pas ainsi son essence en l’objectivant dans différents noms, car cela ne peut pas être ; et comme nous simplifions la complexité de l’Écriture divine en la rassemblant dans une compréhension, de même ces appellations familières nous permettent d’approcher l’Innommé.

Saint Cyrille d’Alexandrie8 dit ceci dans son livre sur la sainte Trinité :

Il faut comprendre ce qui est dit de Dieu non pas comme quelque chose qui désigne son essence mais comme la manifestation de ce qui n’est pas [présent].

Et un peu plus loin :

222

Page 223: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Il semble en effet que de tous les noms qui sont dans Dieu le plus approprié (le plus dominant) est Toi-l’Étant9, et le deuxième est Dieu.

Et un peu plus loin :

Ils rendent apparent ce qui est sans commencement, incréé, incorporel et qui n’est pas [présent] ; ils rendent apparent ce qui est la grâce, ce qui est juste, ce qui est saint, et tout ce qui ressort de l’essence divine, mais ils ne rendent pas apparente l’essence elle-même.

Ici finit la citation de saint Cyrille.

Et tout comme nous attribuons à Dieu des noms à partir de ses actions afin de ne pas demeurer absolument ignorants de lui, de même nous dessinons et peignons l’image de ce qui n’a pas de forme, selon ce que les prophètes ont vu non selon l’essence mais selon sa venue ici-bas. Quant à ce pourquoi Dieu est peint avec des cheveux blancs selon la vision de Daniel et jeune selon la vision d’Abraham, saint Denys en parle dans le chapitre 10 de son Les noms divins10.

Passages du VIle Concile œcuménique lus lors de la semaine de l’orthodoxie11 :

Les visions des prophètes, telles que la Divinité a bien voulu les présenter, ont été transmises aux individus qui avaient la connaissance, qui étaient réceptifs et qui avaient la foi. Les prophètes et les apôtres les racontèrent telles qu’ils les avaient vues, et la tradition s’est perpétuée de père en fils, écrite et orale, et c’est ce qui nous permet de représenter les formes saintes en bénissant trois fois leur mémoire.Quant à ceux qui acceptent les visions des prophètes contre leur volonté tout en refusant l’iconographie qui leur fut révélée même avant l’incarnation du Verbe...et tout le reste qui est écrit au sujet de ces gens-là, ...que l’anathème soit sur eux par trois fois.

Cinquième discours de Siméon Polotsky12 :

Nous représentons sur nos saintes icônes la très pure ressemblance de la divinité — indescriptible, indicible et inconcevable selon sa nature — laquelle grâce à sa miséricorde et son incalculable bienveillance a souvent voulu se montrer aux prophètes, aux patriarches et aux rois en rêve et sous différentes formes ; et telle qu’elle leur apparut alors, telle nous la représentons aujourd’hui sur nos très vénérables icônes.

Deuxième discours :

223

Page 224: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Emmanuel n’est pas seulement le nom qu’on donne au jeune Seigneur Christ, il s’applique aussi au Christ homme et même au Christ dans la passion et quand il ressuscita des morts. Car Emmanuel veut dire « Dieu est avec nous ». Ce nom n’a donc pas de rapport à l’âge du Christ et si la tradition veut qu’on appelle ainsi les représentations du Christ jeune, le nom lui-même n’indique pas une tradition. La tradition nous parle de la Vierge tenant dans ses bras l’enfant Jésus, et du Christ âgé de douze ans discutant avec les docteurs dans le temple à Jérusalem. Je ne sais pas du tout, d’autre part, pourquoi on représente le Christ habillé en évêque et assis sur un trône ; à moins qu’il s’agisse d’une référence à ce que l’apôtre Paul a dit, au sujet du prêtre consacré selon l’ordre de Melchisédech ; Melchisédech était un roi de Salem et prêtre du grand Dieu, mais il ne portait pas de sakkos ni d’omophore ni de mitre, comme les évêques d’aujourd’hui. Or on appelle parfois le Christ « prêtre éternel » selon ce qui est écrit : « Tu seras à jamais prêtre selon l’ordre de Melchisédech. » (Hb 5, 6) Le Christ est aussi appelé abbé, agneau, pasteur, le roi des rois et d’autres noms dans ce genre ; mais il ne serait pas très beau si les iconographes voulaient le représenter en simple prêtre, avec un phélone, l’épitrachile, etc. ou en abbé, en moine et pire encore.13

Les anciens peignaient le Christ sous forme d’agneau que Jean le Précurseur pointe du doigt, selon ce qui est dit dans l’Évangile de Jean. Lorsque, le matin du baptême, Jean-Baptiste a vu le Christ approchant, il dit de lui en le pointant du doigt : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Jn 1, 29)

Mais cette iconographie a été abandonnée par les saints pères lors du Vle Concile œcuménique3. On ordonna de peindre le Christ selon son image humaine, manifestée en tant qu’homme adulte habillé comme un apôtre — tel qu’on peint les apôtres. C’est ainsi aussi qu’on a décidé de peindre le Christ allant dans le monde et faisant des miracles, le Christ dans la passion, le Christ ressuscité, son ascension, et le Christ revenu pour juger les vivants et les morts. C’est de même aussi qu’on peint les saints, tels qu’ils étaient ici-bas : ceux qui étaient rois, habillés en roi ; les évêques habillés en évêque ; les prêtres habillés en prêtre ; les guerriers habillés en guerrier ; les moines habillés en moine. Il est vrai que les Écritures disent, concernant les fidèles, que le Christ, le premier-né des mortels, nous a tous faits rois et prêtres de Dieu son Père. Toutefois, tous les saints ne sont pas peints habillés en roi et en prêtre, mais habillés selon le rang qu’ils avaient ici-bas. Les apôtres, quant à eux, sont en principe tous des évêques ; les prêtres et les évêques d’aujourd’hui sont leurs successeurs et leurs représentants, de sorte qu’il serait approprié de peindre les apôtres habillés en prêtre et évêque mais puisque ce n’est pas le genre de vêtements qu’ils portaient de leur vivant, on ne les peint pas ainsi mais tels qu’ils étaient habillés ici-bas. Or les sakkos et les mitres des évêques ont été introduits par imitation des saints pères et des rois pieux, bien après la mort et la résurrection du Christ. Au temps

224

Page 225: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

du Christ et des apôtres, les sakkos et les mitres n’existaient pas et ne pouvaient donc être portés et c’est pourquoi on ne peint pas les apôtres habillés ainsi. Mais les saints qui étaient prêtres et qui vécurent après l’introduction de ces habits de sacerdoce sont peints habillés de ces vêtements.

Si les iconographes peignent le [Fils unique et] Verbe de Dieu, sortant du sein du Père avant l’aurore, on peut penser que c’est là bien audacieux de la part des iconographes et de ceux qui leur ordonnent une telle iconographie, car cela est inconcevable non seulement pour les hommes mais même pour les puissances célestes. Cette iconographie est connue des peintres, des autorités de la sainte Église, de tous les échelons supérieurs du clergé. C’est à eux d’y réfléchir, car ils auront à en répondre devant Dieu du fait de leur fonction d’archipasteurs de la vérité. Personnellement, je pense qu’il faudrait examiner avec prudence ces iconographies, car elles nous ont été transmises par les saints pères, et il faut entre temps peindre le Christ enfant dans les bras de sa très pure Mère la Vierge ; et le Christ âgé de douze ans dans le temple ; et le Christ adulte allant dans le monde en faisant des miracles, comme on a dit plus haut, habillé à la manière des apôtres ; et le Christ, tel que Jean le Théologien dans l’Apocalypse l’a vu — habillé de robe blanche ; et le Christ tel que les prophètes l’ont vu venu ici-bas, comme la vision d’Abraham, de Lot, d’Isaïe, de Daniel et d’autres.15

Et pourquoi on peint la très sainte Mère de Dieu et Jean le Précurseur habillés de robes royales, couronnés et ailés ; pourquoi on peint la très sainte Mère de Dieu tantôt habillée en robe de pourpre, tantôt comme une simple femme avec les cheveux découverts, ou encore se tenant debout sur la lune, ou encore bien qu’habillée en robe rouge portant sur les cheveux un couvert blanc, je n’en sais rien parce qu’au temps où ils vécurent, ils ne pouvaient pas avoir porté de tels habits. En fait, si la très sainte Mère de Dieu était habillée en robe rouge, ce ne pouvait être qu’une robe pauvre et humble. Et saint Jean-Baptiste avait un habit tissé de poils de chameaux, une ceinture de cuir et rien de plus. Et c’est ainsi qu’il faudrait les peindre, tels qu’ils étaient ici-bas et tels que les autres les voyaient.

Il n’y a pas très longtemps, les iconographes ont commencé à peindre le très clément Sauveur selon les modèles latins et luthériens : tenant dans la main une pomme ou une sphère, ce qui est réfuté par les saints pères. Le sage et pieux moine Maxime le Grec16, dans deux de ses discours, parle en termes accusateurs de cette pomme dans la main du Christ. Il dit :

Le diable a persuadé les Latins et les Allemands à peindre la très pure et vénérable image de notre Seigneur Jésus Christ comme si sa sainte main dirigeait la Fortune17 — ce mensonge de compte de fée — qui est représentée comme une roue ronde ou une sphère ; et les hommes pieux qui voient que la très pure main du Sauveur dirige la Fortune se trouvent

225

Page 226: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

ainsi induits en erreur, car on ne trouve aucun de ces raisonnements infernaux dans les écrits inspirés par Dieu. On voit clairement ici à quel point les Latins et les Allemands blasphèment contre le Créateur et Seigneur de toutes choses, en ajoutant à l’image du Sauveur la vile image de la Roue [de Fortune], comme s’il y avait quelque participation dans la construction des choses humaines. Or cela est non seulement rejeté par tous les pères et docteurs inspirés par Dieu mais cette idée, et tout ce qui s’y rapporte, est objet d’anathème.

Ici finit la citation de Maxime le Grec.

On montre également les anciennes icônes, telles que l’icône grecque du très clément Sauveur, appelée Robe d’Or. Cette dernière a été peinte sous le roi grec18 et se trouve dans l’église principale du patriarcat de toutes les Russies, la cathédrale de la Dormition [de la Vierge] ; ou l’icône miraculeuse de la Vierge, dit de Vladimir, qui s’y trouve aussi et qui a été peinte (selon les traditions) par saint Luc l’Évangéliste. On cite également les icônes de la très sainte Vierge de Kazan, de Tifine, de Théodore, de Tolg, d’lver, et celle peinte par le métropolite Pierre, thaumaturge de toutes les Russies19, et d’autres icônes miraculeuses. Là on voit peint l’Enfant intemporel dans les bras de la très sainte Vierge. Il tient dans la main non pas une pomme imaginée par les Latins et les Luthériens mais un rouleau ou un livre ouvert qui est son saint Évangile, car il s’incarna pour l’enseigner par les mots, et c’est cela qu’il tient dans la main comme pour signifier l’Évangile qu’il enseigne toujours.

Quant au mot de David : « Dans sa main, il tient les extrémités de la terre » (Ps 95, 4), David ne parle pas ici de la main charnelle mais de son pouvoir divin comme l’interprète le divin Théodoret20 :

Il tient dans sa main sainte les extrémités de toutes les choses, c’est-à-dire toute la création est dans son pouvoir. Et il est encore plus approprié de dire : la puissance de Dieu n’est pas une sphère mais son Verbe divin prononcé par ses saintes lèvres, le saint Évangile, qui donne la vie à ceux qui l’écoutent et sauve de la mort éternelle.

Selon une ancienne tradition de l’Église, les saints étaient représentés tenant dans la main un rouleau ou un livre ouvert qui montrait leur enseignement et leur sermon salutaire au sujet du Christ incarné ; mais aujourd’hui certains commencent à peindre les saints apôtres à partir des modèles allemands, avec des instruments de torture qui ont servi à les supplicier. Mais une telle iconographie pour les icônes des saints est inconnue à la sainte tradition de l’Église. Car encore aujourd’hui, les saints martyrs sont peints selon l’ancienne tradition et ils tiennent dans la main non pas les instruments de torture même si leur supplice fut long et varié, mais la croix du Christ, en voulant montrer par là

226

Page 227: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

qu’ils ont souffert pour lui qui fut crucifié et que c’est cela qui les a soutenus dans leur tourment, et c’est de cette croix qu’ils se glorifient maintenant et non pas des instruments de torture.

Et les évêques, même si certains d’entre eux sont morts dans le supplice, sont peints non pas avec des instruments de torture qui les ont tourmentés mais tenant dans la main les livres saints qui montrent leur enseignement pour notre profit et salut.

Et les saints prophètes sont peints se tenant debout devant la très sainte Vierge, avec dans la main soit des rouleaux où sont inscrits leurs prophéties au sujet de l’incarnation du Christ notre Seigneur, soit des images de leurs prophéties telles que Daniel tenant une montagne, Ézéchiel un temple, Isaïe des pinces qui symbolisent la très sainte Vierge. Ils ne tiennent jamais dans la main les instruments de leur supplice qui furent les suivants : Isaïe a été coupé par une scie, Jérémie a été assassiné à coups de pierres, Amos assommé par une massue.21

Quand on peint la Vierge à partir des modèles latins, sa tête n’est pas couverte, ses cheveux sont déliés, elle tient dans ses bras l’Enfant son Fils qui est le Christ notre Seigneur. Mais la très sainte Vierge mariée à Joseph et ayant donné naissance sans mari à Jésus Christ ne pouvait pas se promener avec les cheveux déliés et la tête découverte, même si elle était toujours une Vierge. Mais les iconographes et les représentants de l’Église connaissent leur métier. Et si la « Reine s’est présentée à ta droite », comme le dit David, « parée et revêtue d’un vêtement resplendissant d’or » (Ps 94, 10), certains interprètes proposent que la Reine est en fait l’Église, honorée et adorée plus que tout par les nations, habillée d’or pour signifier les nombreuses offrandes qu’on lui porte. On peut dire la même chose de la très sainte Vierge, mais ce n’est pas à cause de son habit royal qu’on l’appelle Reine. C’est parce qu’elle a donné naissance à son Fils, intemporel Roi des rois, et c’est pour cela qu’elle, la Reine Mère du Christ, siège dans le Royaume des cieux avec son Fils qui en est le Seigneur éternel. Et aucun des hommes ne sait de quelles robes elle se pare là-bas. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle y est revêtue d’une chair éternellement incorruptible et parée de la gloire du Seigneur.

La très sainte Vierge apparaît souvent (quand on a vraiment besoin de sa présence), et plusieurs hommes pieux l’ont vue habillée de rouge, car telle est la robe qu’elle portait ici-bas.

On peint Jean-Baptiste avec des ailes probablement selon ce qu’on en dit : « Voici, j’envoie mon ange devant toi. » (MI 3, 1) Mais on appelle ange plusieurs saints dont on dit : « ange terrestre, homme céleste. »22 Et pourtant on ne peint jamais les saints avec des ailes. Le mot ange est d’origine grecque et veut dire

227

Page 228: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

messager ; et on appelle Jean le Précurseur ange, c’est-à-dire messager, parce qu’étant né peu avant le Christ, il annonça sa venue, mais là encore il n’était pas ailé.

Quant à l’icône de la sainte Sophie, elle a le visage rouge, est habillée comme une reine, est assise et tient un sceptre, alors qu’à sa droite se tient debout la Vierge avec l’enfant, au-dessus de sa tête elle a une double image du Christ et à sa gauche se tient debout Jean-Baptiste ; et seuls les iconographes savent si ceux-là sont debout devant la créature ou le Créateur. Mais on sait au moins que sophie est un mot grec qui signifie sagesse ; or la sagesse [de Dieu] est le Verbe et la Puissance, c’est-à-dire Fils de Dieu.

Mais maintenant qu’ils osent inventer une telle image de la sagesse, ils vont peut-être en inventer une pour représenter le Verbe et une pour la Puissance, comme si ce n’était pas déjà assez indécent comme cela. Il me semble qu’il est plus approprié de peindre la sainte Sophie de la manière suivante : la sagesse est celle du Christ Dieu incarné, et c’est donc un homme fait — tel que fut le Christ — qu’il faut peindre. Ou encore peindre la sainte Sophie telle qu’on la peint déjà, selon la prophétie du sage Salomon (Pr 9, 111) : un temple avec le Christ à l’intérieur et ayant sept colonnes, et le Saint-Esprit sous forme de colombe au-dessus des colonnes. On ne peut rien dire de plus au sujet de ces icônes, sinon qu’il ne faut pas dépasser les bornes éternelles imposées par les saints pères en accord avec le divin Testament.

De tout cela, il faudrait interroger des hommes plus sages pour qu’ils expliquent tout de façon définitive, car il faut que l’explication provienne des Écritures divines et non pas des syllogismes humains qui sont des raisonnements mensongers et compliqués ; c’est que les saints selon l’indication des saints apôtres nous ordonnent de fuir le secours des syllogismes, lesquels ne mènent qu’à l’erreur, car (disent les saints) par les syllogismes nous perdons la foi, notre foi dépérit, car ce n’est plus Dieu que nous croyons mais les hommes.

Saint Cyrille de Jérusalem23 dit :

Certains ont imaginé de façon erronée de représenter Dieu avec des ailes, car il est bien de peindre un homme ainsi, mais dans ce cas, en voulant le bien, ils se sont trompés en s’appuyant sur la citation suivante : « Tu me couvriras de tes ailes. »(Ps 16, 9)

Il faudrait montrer toutes ces iconographies aux évêques pour qu’ils témoignent de leur bien-fondé et conservent ce qui est approprié et éliminer ce qui ne l’est pas. Quant aux cas douteux que le jugement de l’Église tranche la question. Mais toi24 instruis-toi auprès de l’Écriture sainte et fais ce qu’elle ordonne, et ne fais rien et n’imagine rien qui n’y soit conforme. Et que Dieu soit avec toi. Amen.

228

Page 229: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

La tradition de la sainte Église depuis le temps des saints apôtres veut que tous les orthodoxes vénèrent l’icône du Seigneur Dieu, de la très sainte Vierge et des saints. De même, on doit honorer au même titre que les icônes la parole de Dieu inscrite dans les Écritures saintes, comme l’enseigne le saint Jean Damascène25

qui dans le premier discours sur la vénération des saintes icônes dit ceci :

Il est clair que ce n’est pas ces objets que l’on adore, mais à travers eux, c’est pour le mémorial des miracles qu’on fait cela, et c’est au Dieu qui a fait des merveilles qu’on adresse la prosternation. Car les images étaient placées pour le mémorial et elles étaient honorées non pas comme des dieux, mais parce qu’elles rappelaient le souvenir de l’action divine. Et partout, nous proposons à la perception sensible sa forme — je veux dire celle du Verbe de Dieu fait chair — et nous sanctifions le premier des sens (car la vue est le premier des sens), de même que l’ouïe pour les paroles ; car l’image est un mémorial. Ce qu’est la Bible pour ceux qui ont appris les lettres, l’image l’est pour les illettrés ; et ce que la parole est à l’ouïe, l’image l’est à la vue, et nous nous unissons à elle intellectuellement.

Dans le passé, il y a eu des ennemis du Christ qui osèrent insulter les saintes icônes. Ils les jetaient à terre, marchaient dessus, les brûlaient, les brisaient à coups de hache, les salissaient avec du goudron et du pus, et faisaient tout pour profaner une icône. Les saints pères, ne pouvant souffrir ces profanations contre les saintes icônes, se rassemblèrent encore une fois à Nicée en 787, au temps du pieux empereur Constantin et de sa mère Irène, et organisèrent le Vile Concile œcuménique où ils maudirent les profanateurs, comme cela est remémoré chaque année encore aujourd’hui dans tous les pays orthodoxes par la sainte Église lors de la semaine de l’orthodoxie. De tels profanateurs existent encore aujourd’hui. Instruits par le diable, ennemis de l’Église, ils blasphèment en cachette contre les Écritures, mais surtout contre les saintes églises lesquelles sont bénites par des prières et l’onction de la myrrhe répandue par la main des évêques ; ils sont comme ces chiens enragés qui, dès qu’ils en ont la chance, souillent les saintes églises de leur urine et de leur puanteur de chien. Dernièrement ces profanateurs ont osé non plus seulement couper une icône avec des couteaux mais la souiller avec de la poix puante mélangée au goudron. C’est ce qui est arrivé à l’image dessinée sur papier de la main droite [du Christ ?] faisant le signe de la sainte croix au-dessus de laquelle il y avait l’image de la sainte et vivifiante Trinité ; et autour de la main, il y avait la sainte narration racontant l’histoire du signe de la croix, le tout mis sur le mur sacré et induit de myrrhe d’une sainte église de Moscou, dans la chapelle du saint archange Michel au monastère de Chudov. Ceux qui ont fait cela sont devenus, eux aussi, l’objet de l’opprobre et de la malédiction des saints pères prononcés lors du vile Concile œcuménique.

229

Page 230: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Et aujourd’hui encore, lors de la semaine de l’orthodoxie, le très saint Joachim, patriarche et archiprêtre de toutes les Russies, s’inspirant du vile Concile œcuménique de 787 et au nom de notre Seigneur Jésus Christ, a déclaré devant l’assemblée du saint clergé que celui qui osera profaner l’image de la main droite du Christ ou la narration écrite de l’histoire du signe de la croix sera maudit  : « Que soit maudit celui qui perce, égratigne ou souille l’image de la main droite du Christ ou la narration écrite de l’histoire du signe de la croix. »26

Celui qui a fait une telle chose ou qui est d’accord avec de tels actes ou qui communique avec une personne qui a commis un tel acte, que celui-là se repente et qu’il aille voir un prêtre sans hésiter et qu’il demande de toutes ses forces pardon de son action, et il recevra le pardon et l’absolution et il sera libéré de son péché et de la malédiction. Mais ceux qui ne voudront pas se repentir, qu’ils sachent alors qu’ils sont maudits tout comme des hérétiques déclarés, qu’ils sont coupés de la communauté du corps de l’Église, comme un membre pourri et inutile, et qu’ils sont dès lors à jamais maudits et accablés du péché.27

NOTES

*Le moine Euthyme, Questions et réponses du moine Euthyme concernant l’histoire de l’art russe au XVIIe siècle, G. Filimonov, éd., Vestnik Otcht. drevnérousskogo iskousstva, Moscou, 1874-1876, pp. 17-22. Filimonov attache la note suivante au texte d’Euthyme : ’Cet article, de première importance pour l’iconographie russe en général, a servi, en particulier, comme documentation pour l’iconographie de Sophie la Sagesse divine. Nous l’avons trouvé dans le recueil #473 de la bibliothèque du patriarche qui contient la confession de foi orthodoxe et qui a été écrit par la main du savant moine Euthyme. »

1. Nous n’avons pas trouvé la source de cette citation. 2. C’est-à-dire l’orbe, ou le globe, de la royauté porté par les rois terrestres. 3. Les Discours sur les images, troisième discours 24, 25 ; voir Le visage de l’invisible, Anne-Lise Darras-Worms, trad., Paris, Migne, 1994, pp. 81-82. Il est un peu étonnant d’entendre Euthyme dire que Dieu le Père est venu se manifester aux prophètes de l’Ancien Testament. On aurait pensé lire « Dieu le Verbe selon sa venue ici-bas ». Nous savons que les images directes de la Trinité et leur justification théologique se fondent sur l’interprétation selon laquelle Dieu le Père s’est manifesté dans les théophanies vétérotestamentaires, surtout à Daniel comme l’Ancien des jours. Pour le catholicisme, le pape Benoît XIV a canonisé cette interprétation en 1745, mais elle était courante en Occident depuis déjà des siècles. Le métropolite Macaire de Moscou la défendait au concile de Moscou en 1553-1554. L’interprétation patristique, malgré certains exemples du contraire, et certainement la tradition liturgique de l’orthodoxie, voient le Verbe de Dieu comme sujet de ces théophanies. Alors, Euthyme cite certains passages de saint Jean Damascène qui semblent appuyer son

230

Page 231: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

interprétation mais saint Jean lui-même dissipe tout doute lorsqu’il dit, dans la cinquième raison, qu’aucun prophète dans ses visions n’a vu la nature divine mais l’image et la figure des choses à venir : l’incarnation du Verbe. 4. « En vérité ni un, ni trois ni aucun nombre, ni unité ni fécondité ni aucune dénomination tirée des êtres ni des notions accessibles aux êtres, ne sauraient révéler (car il dépasse toute raison et toute intelligence) le mystère de la Déité suressentielle, suressentiellement et totalement transcendante. Il n’est ni nom qui la nomme, ni raison qui la concerne, car elle demeure inaccessible et insaisissable. » Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite, Les noms divins 13, Maurice de Gandillac, trad., Paris, Aubier Éditions Montaigne, 1943, p. 175. 5. La référence, livre 1, chapitre 16, est trop imprécise ; nous n’avons pas pu déterminer la source. 6. Conversations, feuillet 2763. Voir Homélies de Jean Chrysostome sur l’in- compréhensibilité de Dieu, Robert Flacelière, trad., Paris, Albin Michel/Cerf, 1993. Malgré l’absence de citation exacte, nous avons trouvé des passages très semblables : « Quant au sujet de l’essence divine, on ignore, non pas qu’elle existe, mais ce qu’elle est, ce serait le comble de la folie de lui imposer un nom. D’ailleurs, même si elle nous était connue, il ne serait pas encore sûr de notre part d’assigner de nous-mêmes et de notre propre chef une appellation à l’essence du Seigneur. «   Paul en effet n’a pas osé donner des noms aux vertus d’en haut. », p. 164. Un passage proche mais pas tout à fait la citation d’Euthyme : « Mais en fait, comme l’appellation de Dieu est commune au Père et au Fils, et qu’en disant ”le seul Dieu”, Paul ne spécifiait pas de qui il parlait, il lui a fallu pour cette raison, ajouter le mot Père, afin de préciser qu’il parlait de l’hypostase première et inengendrée, puisque le mot Dieu. appartenant en commun à elle et au Fils. ne suffisait pas à la désigner », pp. 153-154. 7. Les noms divins 1, ibid., pp. 62-77. Nous n’avons pas pu trouver de passage dans le premier chapitre de Gandillac qui corresponde ni exactement ni partiellement à cette citation. Il y en a des échos mais rien que nous puissions citer. Il se peut qu’Euthyme ait cité de mémoire, ait traduit à partir d’une autre tradition manuscrite ou ait créé une citation confondue. 8. Nous n’avons pas trouvé de passages semblables à ceux cités ici. Les mêmes thèmes sont traités à plusieurs endroits, mais nous ne pouvons pas identifier les sources de ces citations : Dialogues sur la Trinité, G. M. de Durand, trad., Sources Chrétiennes t. I (231), t. Il (237), t. III (246), Paris, Éditions du Cerf, 1976, 1977, 1978. 9. Lorsque Moïse, sur le mont Sinaï, a demandé son nom, Dieu a répondu par « yaveh » en hébreu ou « hô ôn » en grec. Ces derniers peuvent se traduire de diverses façons : Je suis qui je suis ; Celui qui existe ; l’Existant, etc. 10. Les noms divins, 10, ibid., pp. 161-163.11. Le Triode de carême, 1, Denis Guillaume, trad., Rome, Collège grec de Rome, 1978, p. 322 et p. 323. « A ceux qui connaissent et acceptent les visions prophétiques comme la divinité elle-même les a figurées et symbolisées ; et

231

Page 232: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

croient ce que les Prophètes ont raconté, après l’avoir vu ; et confirment la tradition écrite ou orale qui par les Apôtres fut transmise aux Pères [...]  : éternelle mémoire ! » « À ceux qui admettent, bien que de mauvais gré, les visions prophétiques, et n’acceptent pas les images qu’ils ont vues, ô merveille, avant même l’incarnation du Verbe... : anathème ! » 12. Nous n’avons pas la référence exacte de ces citations. 13. Polotsky s’insurge ici contre une symbolisation déréglée, une allégorisation effrénée, où l’artiste peint le Christ avec les caractéristiques d’un mot qui lui est attribué. Comme il note, ce principe n’a pas de fin et ouvre la porte à la fantaisie sans bornes des peintres. L’image du Christ comme homme de son temps, le Verbe incarné, est toujours préférable à n’importe quel symbole illustré, sorti de l’imagination de l’iconographe. Néanmoins, presque tous les artistes orthodoxes ont accepté ce principe aux XVIIIe et XIXe siècles, avec des résultats parfois malheureux. 14. Canon 82 du concile Quinisexte, 692, dans Nicée Il, Gervais Dumeige, Paris, Éditions de l’Orante, 1978, p. 228 : « Sur certaines peintures des saintes images, on représente l’agneau désigné par le précurseur, comme l’image de la grâce, qui nous montre par avance dans la Loi le véritable agneau, le Christ notre Dieu. Tout en vénérant les antiques figures et les ombres comme des signes et des ébauches de la vérité transmis à l’Église, nous préférons la grâce et la vérité que nous avons reçues comme la plénitude de la Loi.

Dès lors, pour que ce qui est plus parfait soit proposé aux yeux de tous dans l’expression qu’en donnent les couleurs, nous ordonnons que le Christ notre Dieu, celui qui enlève les péchés de monde, soit désormais peint selon sa forme humaine dans les images à la place de l’ancien agneau ; ainsi reconnaissant en lui-même la splendeur de l’humilité du Verbe, nous serons amenés à nous souvenir de sa vie dans la chair, de sa passion, de sa mort salutaire et de la rédemption qu’il a accomplie pour le monde. » 15. Il est intéressant de noter ici qu’Euthyme ne suit pas le Grand Concile de Moscou (voir le chapitre précédent qui en présente le texte) qui identifie celui qui est apparu dans l’Apocalypse comme Dieu le Père. Pour Euthyme, c’est le Christ. Il indique clairement aussi que c’était le Christ, en préfiguration, qui est apparu dans les visions prophétiques de l’Ancien Testament, y compris celle de Daniel qui a vu l’Ancien des jours. Nous avons ici, semble-t-il, une contradiction d’interprétation entre ce passage et celui que nous avons commenté dans la note 1 b. Ici, le Verbe de Dieu est apparu aux prophètes ; là, Dieu le Père. 16. Nous ne pouvons identifier la référence exacte de cette citation, mais il se peut qu’elle se trouve dans un livre publié à Ostrog en 1588, De la Foi orthodoxe une et vraie, dans lequel Maxime polémiquait contre les Latins et les protestants. 17. Référence à la mythologie. 18. Voir la notice sur Manuel le Roi dans S. Bigham, L’icône dans la tradition orthodoxe, pp. 255-256. 19. Voir la notice de saint Pierre dans « Les Héros de l’icône », ibid., pp. 77-78.

232

Page 233: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

20. Nous ne pouvons identifier ce saint Théodoret. 21. Il est toujours dangereux de dire toujours ou jamais. Il existe des textes des pères qui décrivent des images de la torture de certains martyrs. Ainsi saint Grégoire de Nysse loue une image du martyr de saint Théodore (2e moitié du IVe

siècle) Éloge de saint Théodore, dans Les Images, Danièle Menozzi, Paris, Les Éditions du Cerf, 1991, p. 74 : « Le peintre aussi a rajouté toute la floraison de son art sur l’image qu’il avait dessinée des prouesses du martyr, de ses résistances, de ses tourments, des traits bestiaux des tyrans, de leurs menaces, de ce four nourri de flammes, parfaite fin d’un athlète, de l’effigie du président de ces combats en sa forme humaine, le Christ. Tout cela, il l’a agencé pour nous comme un livre doué de langue au moyen de ses couleurs et dans lequel il a raconté clairement les combats du martyr... » Par contre, Euthyme a raison de dire que notre intérêt essentiel devant une icône d’un martyr, ou d’autre saint, n’est pas de voir le côté macabre de son supplice — et je dirais même le côté « hollywoodien » : plus il y de sang et de corps déchirés, mieux c’est. En tant que chrétiens, nous voulons être en communion avec la personne glorifiée dans le royaume de Dieu. Le saint, brillant dans la lumière divine, est nettement préférable à des scènes d’horreur. Il est normal par contre de vouloir connaître les événements de la vie de quelqu’un qu’on vénère comme saint. Nous pensons alors aux icônes où le saint occupe le grand centre de l’image avec des petites scènes de sa vie tout autour. Mais même là, des scènes naturalistes de supplice seraient déplacées. Euthyme n’a pas strictement raison au plan historique, mais il a raison au plan théologique et iconographique. 22. Une expression liturgique et hagiographique pour décrire certains saints. 23. Catéchèses baptismales et mystagogiques VI, 8., Jean Bouvet, trad., Paris, Migne, 1993, p. 99 : « Bien des gens ont imaginé quantité de choses, et tous sont tombés loin de la vérité. Les uns ont pensé que Dieu était feu ; d’autres qu’il était comme un homme ailé parce qu’il est écrit, selon la vérité, mais ils l’ont mal compris : ”Sous le couvert de tes ailes tu me couvriras”. » 24. À qui parle Euthyme ici ? Est-ce un débat, un dialogue ? Il parle à ce « toi » comme un ami ; donc, il n’est pas un adversaire. Un disciple ? Il semble que ce texte fasse partie d’un document plus long. Qui a donné le titre reproduit par Filimonov ? Certainement pas Euthyme lui-même. 25. Les Discours sur les images, premier discours 17 ; voir Le visage, pp. 49-50. 26. Nous n’avons pas la référence exacte de cette citation. 27. C’est une fin trop abrupte pour être vraiment la dernière ligne du texte. Cette dernière section est distincte de la première qui se termine par un appel à « toi », une prière et « Amen. » C’est une conclusion évidente de quelque chose. Ici le texte s’arrête, mais nous n’avons pas le reste.

233

Page 234: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

LE TESTAMENT1 DU PATRIARCHE DE MOSCOU JOACHIM (1674-1690)

Au nom du Seigneur, je commande que l’on ne peigne pas les icônes du Dieu-Homme, de la très sainte Mère de Dieu et de tous les saints — que la tradition nous commande de peindre d’après les anciennes copies des icônes grecques puisqu’on en voit de celles qui sont miraculeuses — d’après les représentations latines et allemandes, corrompues et inadmissibles, nouvellement inventées selon des fantaisies individuelles et qui corrompent notre Tradition ecclésiastique. S’il s’en trouve dans les églises qui sont peintes incorrectement, il faut les enlever.

C’est que les hérétiques peignent la très sainte Mère de Dieu — alors qu’elle est déjà fiancée au juste Joseph — avec la tête découverte et les cheveux décorés et ils peignent beaucoup d’autres saintes femmes avec la tête découverte et les hommes selon la coutume de leur pays d’origine2. De telles choses ne se trouvent pas dans les copies grecques et dans les icônes russes anciennes. On n’accepte pas cette façon de peindre, car nous croyons bien que la très sainte Vierge est restée vierge même après la naissance de Jésus. Mais l’Église ne tolère pas de ces innovations inhabituelles ; et on interdit aussi de tailler des images saintes dans le bois pour ne pas donner à toucher aux hommes l’être saint, vu que cela est interdit dans l’Église d’Orient.

De nombreux commerçants achètent des feuilles de papier allemandes imprimées, vendues par des Allemands hérétiques, luthériens et calvinistes. On y voit les personnages représentés, suivant leur opinion maudite, comme des personnages de leur pays, habillés de vêtements allemands étrangers, et non selon les modèles anciens qui se trouvent chez les orthodoxes. Ces hérétiques ne vénèrent pas les icônes et, à cause de ces feuilles de papier, la vénération des icônes est négligée.

NOTES

1. Bolchakov, Serge, Manuel iconographique, en russe, réédité par Théodore Ouspensky, Moscou, 1903, pp. 2-3. Bolchakov cite un livre qui s’appelle Bouclier où se trouvent les fragments du Testament qui, apparemment, n’a jamais été complètement édité. Voir aussi N. Pokrovsky, Les monuments de l’iconographie et de l’art chrétiens, (en russe), Saint-Pétersbourg, 1900, p. 370. Paragraphes #1 et #3 sont d’Ouspensky, La Théologie, pp. 327-328 ; paragraphe #2, omis par lui, est une traduction faite à partir du Manuel iconographique. 2. C’est-à-dire selon le pays d’origine de l’artiste et non des saints. Ainsi, par exemple, un artiste allemand du XVIe siècle aurait peint saint Georges comme un

234

Page 235: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

soldat allemand de ce temps.

235

Page 236: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE L’ART ICONOGRAPHIQUE

EN RUSSIE* communiqués par P. P. Pékarsky

RAPPORT DÉPOSÉ AU SECRÉTARIAT DU SÉNAT GOUVERNANT À SAINT-PÉTERSBOURG1

Grâce aux soins passés du très mémorable tsar et grand prince, souverain de toutes les Russies, Alexis Mikhaïlovitch, et grâce au pieux concile des trois très saints patriarches — Païssy d’Alexandrie, Macaire d’Antioche, patriarches universels [œcuméniques], ainsi que Joasaph, patriarche de Moscou et de toute la Russie — l’art iconographique et la peinture ont été établis par attestation dans la ville-capitale de Moscou — pour l’utilité de tout le peuple et de sa piété — selon les normes spécifiées dans le Message des patriarches, écrit dans l’an 1668 depuis l’incarnation de Dieu le Verbe. Et dans le message original du feu tsar on lit :

...nous ordonnons, en vertu de notre pouvoir royal, d’observer scrupuleusement et d’exécuter tout ce qui est écrit plus haut dans ce message royal au sujet des saintes et honorables icônes et des iconographes, de même que tout ce qui est dit de façon plus élaborée dans le Message des trois très saints patriarches.

Et nous ordonnons de communiquer ce message aux iconographes, et nous y apposons notre sceau pour sceller ces ordres par notre pouvoir royal.

Mais pour le présent rapport seul ce passage final du message royal a été transcrit.

Et en l’an 1707, le 13 février et le 27 avril, le très grand tsar et prince Pierre Alekseïevitch, souverain de toutes les Russies, a ordonné dans un décret personnel que, pour une plus grande beauté et honneur des icônes, on supervise l’art iconographique et qu’on le dirige spirituellement selon les préceptes des apôtres et des saints pères de l’Église. Cette tâche a été déléguée au très saint Étienne, métropolite de Ryazan et de Mourom. Il a été également décrété que la supervision de la fabrication même des icônes par les peintres de Moscou, et des autres pays, serait confiée à Ivan Zaroudny, qui s’occuperait de superviser l’art iconographique dans tout le royaume en transmettant les nouvelles directives, en certifiant les icônes par des signes convenus et en les entreposant dans son département sous sa responsabilité personnelle.

236

Page 237: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

[Le premier décret de Pierre I, 1707]

1. On lui ordonna [à Zaroudny] spécifiquement de veiller à ce que les iconographes peignent les saintes icônes à partir des originels attestés et reconnus authentiques, en s’appliquant pieusement à faire leur travail avec grâce et maîtrise, en menant une vie digne de leur métier, en s’abstenant de boire et de jurer. 2. On lui ordonna aussi de dresser des listes dans un livre de registres pour qu’on puisse vérifier qui sont les iconographes attestés et reconnus pour leur maîtrise. 3. On ordonna aussi que ceux qui manquent de maîtrise, de statut et de grade approprié n’aient pas le droit de peindre les saintes icônes. 4. On ordonna encore que ceux qui, après ce décret, seraient pris à peindre les icônes sans autorisation ni statut approprié soient punis sévèrement selon les lois de leur ville et qu’on leur impose une amende. 5. On ordonna aussi qu’on trouve pour cette tâche de supervision et d’attestation des locaux appropriés d’où l’on administrera ce domaine. 6. On ordonna aussi qu’Ivan Zaroudny accomplisse le travail de superviseur sous la direction du très saint Étienne, métropolite de Ryazan et de Mourom. 7. On ordonna aussi que, pour mettre plus à l’honneur les saintes icônes et pour faciliter la supervision du pieux art iconographique, on donne à Ivan Zaroudny le titre officiel de surintendant. 8. On ordonna aussi, afin que les maîtres-iconographes parmi les moines viennent déclarer leur rang et faire attester leur maîtrise, que des décrets soient produits par Ivan Zaroudny au nom du tsar.

Tel est le décret personnel du tsar, inclus dans le décret spirituel des patriarches, signé par Étienne, le très saint métropolite de Ryazan et de Mourom, et recopié dans le livre des décrets. Ce décret a été communiqué oralement à Ivan Zaroudny comme en témoigne sa signature du 27 avril de l’an 1707.

La copie de l’ordre du tsar incluant le Message des patriarches a été envoyée à Ivan Zaroudny le 26 mai de ce même an 1707 (tel qu’attesté par la note du diacre Vasili Pavlov) avec la note du prince Matthieu Pétrovitch Gargarine qui ordonne d’y obéir en tout point et, pour mieux appliquer ce décret, lui octroie un local particulier ainsi que quelques clercs, vieux et jeunes de la Salle de l’Arsenal, de même que des gardes de la Salle de Sibérie, et des soldats de la garnison de Moscou. La note précise que Zaroudny n’aura qu’à s’adresser à la Salle de l’Arsenal ou de Sibérie pour obtenir toute autre chose nécessaire à l’accomplissement de sa tâche.

Aussi l’ordre du tsar a-t-il été observé scrupuleusement : on a octroyé à Ivan un local (celui des affaires du commissariat), on lui a donné des clercs et des soldats et on lui a communiqué vingt autres articles du décret à suivre [la

237

Page 238: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

deuxième décret de Pierre I, 1710], document signé de la main même du prince Matthieu Pétrovitch [Gargarine].

Nombreux étaient les maîtres-iconographes qui se présentèrent dans le local désigné où ils ont reçu l’attestation scellée de leur savoir-faire, et des décrets du tsar concernant les moines ont été reçus de différents départements.

Et le salaire monétaire et en denrées, qui était d’abord celui d’Alexis Kurbatov de la Salle de l’Arsenal, a été transféré à Ivan Zaroudny.

Mais en 1711, le secrétariat du Sénat gouvernant a émis l’ordre de transférer le local du département de l’iconographie au département des affaires de l’Église, les soldats ont été repris par le département de l’Armée et les clercs et les gardes ont été renvoyés.

Ainsi, depuis 1711, Ivan Zaroudny n’a reçu de la Salle de l’Arsenal aucun soldat, clerc ou garde pour l’accomplissement de sa tâche et les ordres signés personnellement par le tsar ont été détruits de même que le département lui-même. Ainsi, depuis 1711 et jusque l’an courant de 1715, de nombreux rapports ont été produits. Cette année encore, le 14 septembre, un rapport a été envoyé à la Salle de l’Arsenal. Mais encore maintenant, ce rapport n’a donné lieu à aucune action. Or, sans les locaux, sans les clercs, sans les soldats et tout le reste, il est impossible d’administrer ce département selon les ordres reçus.

On trouvera ci-après la copie du Message des très saints patriarches, du Message du tsar, Alexis Mikhaïlovitch, et les vingt articles du décret du tsar [Pierre l].

Quant aux dépenses encourues par la couronne, les articles 2, 7, 12, 13, 14, 15, 16 et 19 en donnent le chiffre.

Quels seront donc les ordres du souverain tsar et prince de toutes les Russies, Pierre Alekseïevitch, concernant le présent rapport déposé au secrétariat du Sénat gouvernant ?

ANNEXES

[Pour maintenir la chronologie des documents dans la collection, nous avons déplacé Le Message des patriarches et Le Message du tsar, qui se trouvaient ici dans le rapport de Zaroudny : l’éditeur.]

I. Le Message des patriarchesII. Le Message du tsar III. Le Décret de Pierre I, 1710

238

Page 239: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Des 20 articles du décret

Ce 11 mai de l’an 1710, selon le décret personnel du grand tsar et prince, souverain de toutes les Russies, Pierre Alekseïevitch, et selon le mémoire reçu du très saint Étienne, métropolite de Ryazan et Mourom, pour une meilleure qualité et honneur des saintes icônes et de l’art iconographique, on ordonne, par-delà tous les autres ordres, de surveiller et de superviser tous les iconographes de la ville de Moscou et des autres pays qui viennent exercer cet art dans le royaume russe, à Ivan Zaroudny surintendant installé dans la salle du département de l’iconographie.

La suite de cet écrit spécifie les étapes de l’application du décret du tsar.

1. Pour superviser le gouvernement moscovite du royaume de Sa Majesté ainsi que les gouvernements de toutes les autres villes, de toutes les paroisses, monastères ainsi que villages, régions et bourgs appartenant au tsar, on fera venir de tous les départements au département de l’iconographie des listes de noms des citoyens et on émettra des ordres à cet effet. 2. On enverra aux prêtres, aux responsables des monastères ainsi qu’aux archiprêtres et aux prêtres des cathédrales et des paroisses le décret avec des sceaux afin que, à partir de maintenant, on n’accepte dans les églises de Dieu que des icônes pieuses et bien peintes selon les trois niveaux de maîtrise spécifiés dans le décret où sont indiqués également les noms des iconographes classés selon les trois niveaux. On prélèvera pour le trésor royal dix (10) altyns pour l’apposition du sceau de la première catégorie, deux (2) grivna pour celui de la deuxième catégorie et une (1) grivna pour la troisième catégorie. Il est interdit d’accepter les saintes icônes sans le sceau et la signature du nom de l’iconographe. 3. Pour l’attestation et l’évaluation de l’habileté artistique des iconographes et de tous les autres artisans qui représentent les êtres par la ciselure, la sculpture sur bois, le travail du métal, ou bien par la fonte, l’impression d’estampes, ou le coloriage, on obtiendra de tous ces artisans et de leurs élèves une description signée et munie de preuves qui spécifieront chez qui ils ont étudié ou chez qui ils sont élèves, chez qui ils résident, quel est leur statut et s’ils possèdent un certificat signé pour l’authentifier. Ils devront apporter toutes les icônes ou autres images fabriquées par eux selon leur art à chacun dans le département de l’iconographie pour attestation, sans rien cacher. 4. On donnera aux artisans des arts et des métiers ci-haut mentionnés dont l’habileté et le savoir-faire ont été attestés, un certificat sur papier marqué du sceau d’un des trois niveaux de maîtrise, avec la note du surintendant attachée au Message signé le 12 mai 1668, du vivant du très mémorable tsar Alexis Mikhaïlovitch, souverain de toutes les Russies, par les trois très saints patriarches universels dont Joasaph patriarche de Moscou et de toute la Russie, et qui fut communiqué au maître-iconographe de la cour royale, Simon

239

Page 240: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

Ouchakov. On marquera sur les attestations le nom, l’année, le jour et le niveau de maîtrise attesté pour tel artisan, et on lui laissera cette feuille d’attestation sous signature, ayant recopié les données sur un registre. 5. Les iconographes munis de leur attestation devront signer leurs icônes en spécifiant l’année, le mois et le jour, de même que leur niveau de maîtrise, leur nom, nom de leur père et leur vrai surnom. 6. On se fiera au témoignage de ces artisans attestés pour dresser des listes de leurs disciples, séparés suivant les trois catégories de maîtrise appliquées à chacun selon son art et son habileté. 7. On récoltera, pour le trésor de la couronne, auprès des artisans attestés selon les trois niveaux d’habileté un paiement proportionné à leur catégorie : un (1) rouble pour la première, vingt-cinq (25) altyns pour la deuxième et un demi-rouble (0,5) pour la troisième. 8. Le trésor de la couronne paiera aux susdits artisans attestés un salaire proportionné à la catégorie de chacun afin de les inciter à se perfectionner dans leur art et leur métier pour une plus grande gloire des travaux de leur souverain. 9. Quant à ces gens sans statut ni maîtrise qui, de leur propre chef, travaillent chez eux en secret à produire différentes images, surtout celles de femmes, on leur interdit de peindre ainsi, pour tenter et sans attestation. 10. Lors d’appels d’offres pour la fabrication d’iconostases, les iconographes attestés de premier niveau ont le droit d’offrir leurs services pour des travaux de sculpture sur bois, de menuiserie et de dorure, ainsi que pour ceux d’iconographie propre, parce que les doreurs apprennent chez des iconographes et que les autres métiers s’apprennent également à partir de l’iconographie. Mais les sculpteurs sur bois, les doreurs et les menuisiers n’ont pas le droit de se proposer pour des travaux d’iconographie et de dorure des icônes lesquels ne sont pas de leur compétence. 11. Si quelques-uns des susdits artisans refusent de perfectionner leur savoir-faire, qu’ils gagnent alors leur pain par d’autres métiers et travaux que ceux mentionnés ci-avant. Il faudra alors que le département de l’iconographie soit averti de ces faits par une note signée et authentifiée de manière fiable. 12. Les gens qui envoient leurs enfants ou leurs serviteurs apprendre la peinture et l’iconographie ou tout autre métier mentionné plus haut, doivent choisir les maîtres attestés lesquels devront recueillir la signature personnelle de leurs élèves (pour faciliter les réclamations et les requêtes éventuelles) qu’ils présenteront ensuite au département de l’iconographie où le nom de leurs élèves sera inscrit sur les registres. Pour chaque nom enregistré, on prélèvera un (1) altyn par rouble pour le trésor de la couronne. 13. Une fois que les élèves des maîtres attestés auront terminé leurs études, leur maître devra les amener pour attestation au département de l’iconographie où, sur la foi de leur témoignage véridique, on donnera à ces élèves une attestation sur papier qu’ils devront payer selon les normes énoncées ci-avant. 14. On annoncera aux habitants de Moscou de tous les rangs, impliqués dans les arts et métiers susmentionnés, l’ordre du tsar selon lequel personne de ces

240

Page 241: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

artisans n’aura le droit de quitter la ville sans la permission ou l’ordre formels du département auquel ils sont rattachés, pour qu’ils soient toujours prêts à se présenter sur appel pour un travail gouvernemental. Si, par ailleurs, de ces artisans habitant la ville de Moscou et attestés selon les trois niveaux de maîtrise, quelques-uns s’absentent sans permission et sans ordre et se trouvent manquants au travail gouvernemental, ils seront punis et payeront une amende proportionnée à leur faute. 15. Si quelqu’un prend l’un des artisans des métiers mentionnés plus haut pour un travail quelconque, il devra faire un contrat de service écrit et le faire signer par ledit artisan. De la même manière, un artisan n’a pas le droit d’effectuer une commande sans signer d’abord un contrat de service. Dans ce contrat, ils doivent écrire qu’ils feront le travail pour lequel ils sont attestés avec toute l’application voulue, et que si l’un d’eux est pris à mal faire son travail, qu’il soit puni selon les règlements. Ces contrats de services doivent être apportés au département de l’iconographie où on les enregistrera et où on prélèvera pour le trésor de la couronne un impôt sur contrat de service à raison de une (1) grivna par rouble. On s’assurera également, en se référant aux registres des attestations, qu’il n’y ait pas d’artisans sans attestation ou à la retraite qui travaillent pour la couronne. Et s’il s’en trouvait qui, bien que manquant d’habileté dans les métiers susmentionnés, les pratiquent et travaillent sous contrat, alors que cela leur a été interdit et qu’on leur avait ordonné de trouver un autre métier pour gagner leur vie, de tels hommes doivent être punis par une pénitence d’obéissance et de soumission — s’ils sont moines — ou par une amende proportionnée à leur faute et qui sera décidée par un tribunal municipal — s’ils sont du peuple. 16. On amènera au département de l’iconographie les vendeurs et les marchands d’icônes et de peintures qu’on trouve dans les marchés et les boutiques de Moscou et on les interrogera, en exigeant des preuves, pour savoir qui ils sont et depuis quand ils vendent les icônes, chez quels peintres ou iconographes ils les ont achetées, si ces derniers habitaient Moscou ou si c’étaient des revendeurs venus de l’extérieur, s’ils sont toujours en contact avec ces revendeurs, s’ils savent s’il y en a parmi ces revendeurs qui pratiquent eux-mêmes l’iconographie. On inspectera les icônes qui se trouvent dans les boutiques et les rangs de ces marchands et on ira aussi voir celles qu’ils gardent ailleurs, on les enregistrera et on les amènera au département de l’iconographie où ces icônes seront évaluées selon leur valeur artistique. On remettra aux marchands pour la vente celles qui mériteront un sceau d’attestation et pour chaque attestation on prélèvera pour le trésor de la couronne l’impôt des trois catégories tel que spécifié dans le décret. Quant aux icônes que l’on jugera insuffisantes au niveau artistique, on les enverra aux maîtres-iconographes attestés pour qu’ils les mettent au point, et on retournera les icônes ainsi corrigées aux marchands pour la vente, après les avoir attestées selon les trois catégories et prélevé l’impôt pour attestation. 17. On interdit qu’à Moscou, dans les villes et régions, dans les rangs des

241

Page 242: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

marchés, sur les places publiques et dans les rues on vende en cachette des icônes mal peintes et non attestées par un sceau. On interdit également la vente des estampes dans le style russe et des plaques de gravure mal faites et laides. À partir d’aujourd’hui, il est interdit d’acheter et de vendre de telles estampes dans aucun endroit. 18. On pourra vendre les estampes étrangères représentant les saints au marché dans le rang des icônes. Mais il est interdit de vendre les images des saints dans les rangs pour légumes ou vêtements, ou dans les auberges, ou les colporter aux carrefours et aux endroits peu appropriés à ce genre de vente, ou dans les rues et les ruelles. Il est également interdit de vendre de la production étrangère qui n’a pas été déclarée. 19. Ceux qui impriment, pour la vente, des images sur des feuilles de papier à partir des plaques de cuivre ou de bois, doivent apporter toutes leurs plaques (en cuivre ou en bois) au département de l’iconographie où le surintendant les attestera par un sceau et prélèvera sur chaque plaque attestée un impôt pour le trésor de la couronne, selon les trois susdites catégories. 20. Ce décret s’applique à des artisans de tout rang et de tout statut qui pratiquent les arts et les métiers susmentionnés, qu’ils viennent de Moscou, des autres villes ou de l’étranger. Ce décret s’adresse aussi aux clercs, gardes et soldats qui seront requis pour le jugement et l’exécution des ordres du département de l’iconographie.

Le tout signé : Matthieu Gargarine2

NOTES

*Ivan Zaroudny, Rapport déposé au secrétariat du Sénat gouvernant à Saint-Pétersbourg, dans P.P. Pékarsky, éd., lzvestiya Impérat. Arhéografitch. Obchtestva, t. V, publication 5, Matérialy dlia istorii ikonopissaniya v. Rossii, Saint-Pétersbourg, 1865, pp. 1-6 et 21-30.

1. Ce texte nécessite une petite explication. Il s’y trouve plusieurs noms, documents et dates confondus qui rendent l’interprétation difficile. Suivant le texte d’Ouspensky, La Théologie, pp. 390-391, l’analyse du russe faite par la traductrice et l’analyse logique interne du document, l’interprétation la plus vraisemblable semble être celle-ci : Le Rapport du titre est un document préparé par Ivan Zaroudny en 1715 et adressé par lui au Sénat. Il se plaint d’avoir perdu tout le personnel et le soutien nécessaires pour exécuter les ordres du tsar Pierre I. Il écrit de lui-même à la troisième personne et semble être prêt à démissionner faute d’appui dans l’administration impériale. Donc, il écrit ce rapport pour montrer aux autorités que depuis des décennies les tsars — et les patriarches — ont voulu surveiller les iconographes et leurs travaux. Il cite ou attache plusieurs documents historiques en essayant d’impressionner ses supérieurs, mais apparemment sans résultats. L’ordre chronologique qui entoure le document est la suivante :

242

Page 243: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

1668 : les patriarches publient leur Message 1669 : le tsar Alexis répond en publiant son propre Message 1707 : premier décret personnel de Pierre I dont le texte est incorporé dans le corps du rapport 1710 : deuxième décret personnel de Pierre I (les vingt points) 1711 : ordre du Sénat transférant le bureau de Zaroudny et lui retirant les soldats, les moines, etc. 1715 : Zaroudny, presque désespéré, écrit ce rapport 1865 : P. P. Pékarsky publie ce rapport et les documents annexés sans commentaires 2. Le « tout » désigné ici n’est pas tout le rapport, mais seulement les vingt points.

243

Page 244: srbigham.comsrbigham.com/.../l-art-l-icone-et-la-russie.docx · Web viewII l’avait voulu ainsi lui-même — lui qui est la lumière de la gloire de son Père et l’image de son

TABLE DES MATIÈRES

Avant-Propos........................................................................................................4 Introduction ..........................................................................................................6

Message à un iconographe et les échos de l’hésychasme dans la peinture russe du XVe-XVIe siècle ...................................................................................13

Message à un iconographe ................................................................................34Premier traité ...........................................................................................36Deuxième traité .......................................................................................50Troisième traité ........................................................................................86

Joseph Vladimirov et son traité sur l’art ...........................................................116

Lettre d’un certain iconographe, Joseph, à l’iconographe du tsar, le très sage peintre, Simon Fédorovitch ...................................................................137

Partie I...................................................................................................142Partie II : Réponse à ceux qui blâment la peinture des saintes icônes ou

objection à un certain Jean, détracteur malpensant ..................158

Discours à celui qui aime l’iconographie..........................................................184

Siméon Polotsky (1629-1680) et « La requête au tsar au cours du Grand Concile de Moscou »..........................................................................................191

Le Grand Concile de Moscou 1666-1667 ........................................................201

Le Message des trois très saints patriarches...................................................203

Message du tsar ..............................................................................................211

Quatrième causerie d’Avvakoum au sujet de la peinture d’icônes ..................215

La Vigne de Théognoste et l’impératrice Eudoxie............................................219

Questions et réponses du moine Euthyme concernant l’histoire de l’art russe au XVIIe siècle ............................................................................................223

Le Testament du patriarche de Moscou Joachim (1674-1690) ........................236

Documents pour l’histoire de l’art iconographique en Russie : Rapport déposé au secrétariat du sénat gouvernant à Saint-Pétersbourg............................238

Table des matières............................................................................................246

244