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A quelles conditions un acte est-il moral? (G.Gay-Para)

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Cours de philosophie de terminale sur la morale et le devoir http://ggpphilo.wordpress.com

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Définition de la morale

Morale > mores (latin) = éthique > ethos (grec) : les mœurs,les coutumes, les manières de vivre.

La morale désigne l’ensemble des règles de conduite,reconnues par les membres d’une société, qui permettent dedistinguer le bien et le mal, et donc de juger les actionshumaines.

Contrairement à la science qui est descriptive (elle cherche àdécrire le réel tel qu’il est), la morale est normative (elleénonce, non pas ce qui est, mais ce qui doit être).

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La distinction entre le droit et la morale

• Le droit a d’abord une utilité sociale. Il vise à organiser lavie en société. La morale, en revanche, s’adressedavantage à l’individu.

• Les lois juridiques et morales, qui varient d’une société àl’autre, et au cours de l’histoire, ne se recoupent pasnécessairement.

• Le droit reçoit le soutien de l’État, et donc de la forcepublique. L’individu est contraint d’obéir à la loi juridique.Il est seulement obligé vis-à-vis de la loi morale.

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La morale

Le droit

• Une action peut être à la foisillégale et immorale.

Ex : le meurtre.

• Une action peut être légaleet licite, mais immorale.

Ex : l’adultère.

• Une action peut être illégale,interdite par la loi, mais avoirune valeur morale, et doncêtre légitime.

Ex : l’euthanasie.

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Contrainte ≠ obligation

• La contrainte suppose un rapport de force. J’agis contrema volonté, car je suis soumis à une force extérieure. Jene peux pas faire autrement. Mais, dès que la contraintecesse, je retrouve ma liberté.

• L’obligation repose sur un sentiment intérieur quiengage l’individu vis-à-vis de lui-même. J’accomplismon devoir moral, non pas sous la menace, ou par peurd’une sanction, mais librement par moi-même, parce queje reconnais que c’est ainsi que je dois agir.

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Problématisation

1) Le problème des valeurs

De prime abord, un acte est moral s’il est conforme au bien.Mais, qu’est-ce que le bien ? Comment le déterminer ?Comment savoir ce que je dois faire ?

• Je peux écouter ma conscience.

• Je peux suivre les mœurs et les coutumes de lasociété dans laquelle je vis.

• Je peux m’appuyer sur ma religion.

→Comment échapper au relativisme ?

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2) Le problème du critère du jugement

Supposons que mon action soit conforme à la règle morale, etdonc à ce qui est bien. Mon action est-elle morale pourautant ?

• Dans l’évaluation morale, il faut tenir compte del’intention du sujet. N’est-ce pas la qualité de l’intentionqui donne sa valeur morale à l’action ?

• Mais suffit-il d’avoir de bonnes intentions pour agirmoralement ? Ne faut-il pas tenir aussi compte desconséquences de l’action ?

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L’ACTION

1) La conformité à la loi morale

3) Les conséquences2) L’intention du sujet

Quel fondement ?

Religion

Société

Conscience

Le désintéressement / le souci d’autrui

Quels critères faut-il adopter pour évaluer l’action ?

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a) La valeur morale de l’intention

Cf. Kant : « Quand il s’agit de valeur morale, l’essentiel n’est pointdans les actions, que l’on voit, mais dans ces principes intérieurs desactions, que l’on ne voit pas » (Fondements de la métaphysique desmœurs, 1785).

Pour déterminer si un acte est moral, il ne suffit pas deconstater sa conformité avec la loi morale. Il faut s’interrogersur les motifs et les mobiles de l’action. Pourquoi lapersonne agit-elle ainsi ? Qu’est-ce qui détermine savolonté ?

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Agir par devoir ≠ agir conformément au devoir

1. Une action peut être seulement conforme au devoir.Extérieurement, la personne accomplit la bonne action.Mais sa volonté est déterminée par son intérêt propre oupar une inclination sensible.

2. Une action est accomplie par devoir, si la personne agit parrespect pour la loi morale. Sa volonté est alors déterminéeseulement par la raison. Elle fait le devoir pour le devoir lui-même, et rien d’autre. Selon Kant, « le devoir est lanécessité d’accomplir une action par respect pour la loi ».

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Actions

Non conformes au devoir

Conformes au devoir

Seulement conformes au

devoir

Motivées par l’intérêt

personnel

Motivées par la sympathie

Accomplies par devoir

Blâme

Véritable respect

Simplelouange

Les différents types d’action selon Kant

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Paradoxe : selon Kant, celui qui aide autrui, parce qu’iléprouve de la sympathie à son égard, n’agit pas encoremoralement ! Pourquoi ?

1. L’acte de bienfaisance est, en fait, égoïste. Malgré lesapparences, en aidant autrui, je recherche mon proprebonheur.

2. L’acte, aussi naturel et spontané soit-il, n’est pas libre. Jelaisse mes sentiments dicter ma conduite. Si je fais le bien, jen’ai aucun mérite.

3. La moralité fondée sur la sympathie est précaire, puisqu’ilsuffit que mon sentiment s’émousse, pour que je cesseaussitôt de faire mon devoir.

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Les conditions de la moralité selon Kant

Une action est bonne moralement si et seulement si le sujetagit par devoir, ce qui signifie que :

1. Le sujet agit de manière complètement désintéressée, sanstenir compte de ses intérêts personnels, de ses désirs ou deson bonheur.

2. Il agit en tant qu’être raisonnable, indépendamment despenchants naturels ou des sentiments qui peuvent l’affecter.

3. Il est autonome, au sens où il obéit seulement à la loi que saraison lui donne.

.

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NB : Selon Kant, ce qui donne sa valeur morale à l’action,c’est seulement « la bonne volonté » du sujet, et non laréussite de l’action ou ses conséquences, lesquelles nedépendent pas complètement de lui..

« Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou sessuccès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’estseulement le vouloir. »

Du point de vue moral, l’intention est donc plusimportante que la réalisation. Tant que je fais preuve debonne volonté, et agis par devoir, même si mon actionéchoue, elle garde sa valeur morale.

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b) L’universalité comme critère de la moralité

Problème : je sais que je dois agir par devoir, mais je ne saistoujours pas ce que je dois faire. Comment savoir si monaction est conforme à la loi morale ?

La solution de Kant : le test d’universalisation.

Pour échapper au relativisme, il faut fonder le devoir, non pas

sur la conscience individuelle ou sur les mœurs, mais sur la

raison – faculté universelle, présente en chaque homme.

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L’exemple du mensonge

1. Le mensonge repose sur la confiance de l’interlocuteur (il croitque le menteur dit la vérité).

2. Si tout le monde ment, alors la confiance disparaît.3. Or, si plus personne ne fait confiance à personne, il n’est plus

possible de mentir.→ L’universalisation du mensonge conduit à une contradiction,

donc le mensonge est immoral.

Nous avons ainsi un critère fiable, car rationnel, pourdistinguer l’action morale et l’action immorale. Est moralel’action dont la maxime (la règle d’action) peut êtreuniversalisée sans contradiction.

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Les impératifs

Les impératifs hypothétiques

Si tu veux X,

Alors tu dois faire Y.

L’habileté

→ règles techniques à appliquer pour réussir

son action

La prudence

→ conseils pratiques (pour accéder au

bonheur)

L’impératif catégorique

Je dois parce que je dois.

La moralité

→ commandement de la raison

Les différents impératifsselon Kant

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Les deux formulations principales de l’impératif catégorique

1. « Agis uniquement d’après la maxime qui fait quetu peux vouloir en même temps qu’elle devienneune loi universelle. »

2. « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité,aussi bien dans ta personne que dans la personnede tout autre, toujours en même temps commeune fin, et jamais simplement comme unmoyen. »

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Les devoirs envers les autres et les devoirsenvers soi-même

• Autrui n’est pas une chose, mais une personne. Il ne fautpas le traiter comme un simple moyen, c’est-à-direl’instrumentaliser. Mais, si je dois respecter autrui, je doisaussi respecter ma propre personne. Selon Kant, il y a desdevoirs envers soi-même. Ex : le devoir de rester en vie, ledevoir de développer ses talents.

• Problème : peut-on qualifier d’immorale une action qui neconcerne que la personne qui l’effectue, et donc qui n’aaucune conséquence négative sur autrui ? Cf. Ruwen Ogien.

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c) Les limites de la morale kantienne

Le problème de l’intention

Comment savoir si la volonté est déterminée seulement parla loi morale, et non par des inclinations sensibles ? Lamoralité n’est-elle pas une chimère ?

Kant est conscient de cette difficulté :

« Il est absolument impossible d’établir par expérience avec uneentière certitude un seul cas où la maxime d’une action d’ailleursconforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes morauxet sur la représentation du devoir. »

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Le problème des conséquences

Cf. Max Weber, Le savant et le politique (1919). Il y a une« opposition abyssale » entre deux types d’éthique :

• L’éthique de la conviction : je dois être fidèle à mes principeset à mes valeurs, quelles que soient les conséquences demon action. Mais c’est une attitude qui peut être : 1)irresponsable ; 2) égoïste.

• L’éthique de la responsabilité : je dois me préoccuper, avanttout, de l’efficacité de mon action et de ses conséquences.Mais l’action est-elle encore morale ?

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Le problème des conflits de devoirs

Cf. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme

(1945). La morale kantienne, formelle et abstraite, n’est

d’aucun secours, lorsqu’il faut agir concrètement : l’impératif

catégorique est inapplicable.

• Je ne sais pas a priori ce que je dois faire : plusieurs actionssont possibles. Je suis tiraillé par des exigences moralescontradictoires.

• Je dois décider par moi-même et je suis seul : aucune« morale générale » ne peut m’aider.

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Le problème du bonheur

• En accomplissant son devoir, on se rend digne du bonheur,mais on n’est pas nécessairement heureux. Faut-il se résignerà faire son devoir sans être heureux ? On peut reprocher à lamorale kantienne d’être austère.

• Scandale moral : les méchants sont heureux ! L’hommebon et vertueux, s’il est accablé par le malheur, pourrait finirpar renoncer à la moralité.

• Pour résoudre ce problème, la morale a besoin de lareligion. Cf. Kant et les postulats de la raison pratique.

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a) L’eudémonisme antique : l’identification de lavie vertueuse et de la vie heureuse.

Double thèse :

1. Le bonheur est le souverain bien, la fin suprême qu’il fautatteindre.

2. Il n’y a pas d’opposition entre le bonheur et la moralité.

→ La morale n’est pas une théorie du devoir, comme c’estle cas chez les modernes comme Kant. Elle se définit plutôtcomme un art de vivre.

L’homme heureux = l’homme vertueux ?

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Le bonheur comme exercice de la vertu

Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 6.

1. Le bonheur consiste pour chaque être à réaliser la fonction(ergon) qui lui est propre.

2. Or, l’homme est un animal raisonnable : c’est le fait deposséder la raison (logos), qui le distingue des autresanimaux.

3. Son bonheur consiste donc à vivre de manière raisonnable,c’est-à-dire conformément à la vertu.

→ Paradoxe : être heureux, ce n’est plus satisfaire ses désirs,mais c’est réaliser ou accomplir sa nature.

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La VERTU (arétè) désigne chez Aristote l’excellence d’unêtre, l’accomplissement parfait de sa fonction. Exemple :un œil vertueux, c’est un œil qui voit bien.

• La vertu est une disposition acquise et non innée : ellesuppose un apprentissage, et donc du temps. Pour êtrevertueux, il faut s’exercer.

• La vertu est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès,l’autre par défaut. Exemple : le courage se définit paropposition à la témérité et à la lâcheté.

• La vertu est une condition nécessaire, mais non suffisantedu bonheur. Aristote est donc plus réaliste que lesStoïciens.

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Le malheur des méchants

Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, IX, 4.

Le méchant est doublement malheureux :

1. Dans le rapport à soi : il se déteste, il souffre d’une divisionou tiraillement interne, il éprouve des regrets.

→ En faisant du mal aux autres, le méchant se fait du mal àlui-même : il est victime de sa propre méchanceté.

2. Dans le rapport aux autres : il cherche des relationssociales, mais il échoue à se faire des amis. L’amitié, qui estune condition nécessaire au bonheur, suppose la vertu.

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Les limites

• Du point de vue de la morale moderne, l’eudémonisme grecest, en fait, immoral. La vertu, loin d’être une fin en soi,n’est qu’un moyen pour accéder au bonheur. L’homme ditvertueux agit de manière intéressée : il cherche, avant tout, àêtre heureux. Cf. Kant : tous les eudémonistes sont « deségoïstes pratiques ».

• L’individu n’est pas libre de mener sa vie comme il lesouhaite. Pour être heureux, il doit réaliser sa nature, doncvivre de manière raisonnable. On peut donc reprocher àl’eudémonisme grec d’imposer une manière de vivre.

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b) L’utilitarisme : un acte est moral s’il maximisele bonheur du plus grand nombre.

Deux auteurs principaux : Jeremy Bentham (1748-1832) /John Stuart Mill (1806-1873).

Le principe d’utilité

Cf. Mill, L’utilitarisme, II.

Est morale l’action utile, celle qui apporte le plus grandbonheur possible au plus grand nombre.

→ Le bonheur est, pour les utilitaristes, le critère de lamoralité : il permet de distinguer le bien et le mal.

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L’utilitarisme est :

1) Un conséquentialisme

• Pour évaluer la valeur morale d’une action, il fautconsidérer ses conséquences. Peu importe l’intention ou cequi détermine la volonté.

• Il n’y a pas d’action bonne ou mauvaise en soi. Il n’y a pas derègles morales qu’il faudrait respecter absolument. Estbonne l’action, quelle qu’elle soit, qui a des conséquencespositives.

Conséquentialisme ≠ déontologisme

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2) Un eudémonisme

• Le bonheur est toujours le but (telos) à atteindre. En ce sens,l’utilitarisme est proche de l’eudémonisme antique.

• Seulement, il s’agit, non pas du bonheur individuel, mais dubonheur collectif. On pourrait parler d’eudémonisme social.Agir moralement, c’est se soucier des autres, avant de sesoucier de soi. L’utilitarisme, sur ce point, rejoint la moralechrétienne et la morale kantienne.

• Le bonheur est réduit ici au plaisir et l’absence de douleur.C’est une conception modeste ou minimaliste du bonheur.

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Les limites de l’utilitarisme

1. Comment mesurer le bonheur global ?

Les utilitaristes n’ont pas retenu la leçon de Kant : lebonheur qui est « un idéal, non de la raison, mais del’imagination » semble, à première vue, impossible àquantifier.Comment pourrait-il servir de critère de la moralité ?On peut, certes, réduire la notion de bonheur à celle deplaisir. Mais, tous les plaisirs se valent-ils ?→ Débat entre Bentham et Mill.

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Bentham

Pour déterminer la bonne action, il suffit de faire un calculdes plaisirs et les peines, en adoptant un point de vueimpersonnel et impartial.

→Tous les plaisirs se valent. « Le jeu de quilles a autant devaleur que la poésie » (Push-pin is as good as poetry).

→Dans ce calcul, chaque individu compte, au même titreque les autres : « Chacun doit compter pour un, personnepour plus d’un » (Each person is to count for one and no one formore than one). Les individus sont donc considérés commeégaux.

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Mill

→Dans le calcul des plaisirs, il faut tenir compte de la quantitéet de la qualité, car tous les plaisirs ne se valent pas. Refusde l’hédonisme vulgaire.

→L’homme ne peut pas être heureux en vivant comme unanimal. Mill renoue ici avec la pensée grecque : « Il vautmieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait ; il vautmieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait ».

→Pour savoir quels sont les plaisirs supérieurs aux autres, ilfaut consulter l’avis de ceux qui ont fait l’expérience desuns et des autres, et peuvent donc comparer.

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2. Au nom du bonheur global, peut-on légitimer le sacrificede certains individus ?

La maximisation du bonheur global peut avoir des effetsimmoraux : au nom du bien-être de la majorité, on peutbafouer les droits de la minorité.

→ C’est un recul par rapport à Kant : l’individu n’est plusrespecté en tant que personne ; il est instrumentalisé.

Cf. par exemple, le dilemme du « tramway qui tue ».

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Le dilemme du témoin qui pourrait actionner l’aiguillage

Le dilemme du témoin qui pourrait pousser le gros homme

Le dilemme du « tramway qui tue » (1)

Cf. Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine,(2011).

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• La logique utilitariste s’applique sans problème, lorsqu’ils’agit seulement de « détourner le tramway » : il est toujourspréférable d’avoir un mort plutôt que cinq.

• Mais nous avons des scrupules à « pousser le gros homme ».Pourquoi ? Notre intuition morale la plus forte est icidéontologiste.1) En le poussant du haut du pont, on commet directement

un meurtre. Dans le cas précédent, en détournant letramway, on laisse mourir le traminot sur la voiesecondaire, mais on ne le tue pas.

2) On ne respecte pas l’homme en tant que personne. On letraite comme un simple moyen, ce qui est contraire audevoir.

• Selon les conséquentialistes, refuser de pousser le groshomme est irrationnel. Nos émotions (liées au contactphysique) brouilleraient notre jugement. Il faut, dans les deuxcas, chercher à sauver le maximum de vies.

Le dilemme du « tramway qui tue » (2)

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a) La démarche généalogique

Une double interrogation propre à Nietzsche :

1. D’où viennent les valeurs morales ? → Recherche, non pasdu fondement, mais de l’origine.

2. Quelle est leur valeur ? → Perspective critique.

« Nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, c’est lavaleur de ces valeurs qu’il faut commencer par mettre enquestion » (Généalogie de la morale, Avant-propos, §6).

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Cf. Le gai savoir, §21.

Nietzsche soulève un problème : la morale reconnue

(chrétienne, kantienne ou utilitariste) se contredit elle-

même. Elle nous dit ce qu’il faut faire, mais elle fait le

contraire de ce qu’elle dit.

Deux contradictions majeures :

1. La morale nous invite à agir de manière désintéressée. Or, elle

sert les intérêts de la société, au détriment de l’individu.

2. La morale nous invite à respecter l’être humain en tant que

personne. Or, elle utilise les hommes.

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Si Nietzsche critique la morale, il refuse pourtant lenihilisme.

« Par-delà le bien et le mal, cela du moins ne veut pas dire :par-delà le bon et le mauvais » (Généalogie de la morale, I,§17).

Nietzsche critique seulement un type de morale : la moralede la société, qui établit des fausses valeurs. Il appelle de sesvœux une autre morale : une morale qui soit au service del’individu, et qui permette à la puissance de chacun decroître.

→ Problème : en quoi peut consister cette nouvelle morale« par-delà le bien et le mal » ?

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b) La morale des maîtres et la morale desesclaves

Cf. Par-delà bien et mal, § 260.

• Les maîtres (ou les hommes forts) vivent en affirmant leurpuissance. Ils sont animés par un sentiment positif : l’amourde soi.

→ En s’affirmant, ils peuvent nuire aux autres, mais ils ne sont pasnécessairement méchants. Ils peuvent aussi aider les autres,et faire preuve de bienveillance, spontanément.

→ Refus de la pitié, qui est une tristesse, et qui donc affaiblitl’individu.

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• Les hommes faibles (ou esclaves) sont incapables d’affirmer

leur puissance. Ils n’aiment pas la vie. Ils sont animés par des

sentiments négatifs : la haine de soi et la haine des autres.

→ Jaloux des hommes forts, ils veulent se venger. Pour cela, ils créent

des valeurs : « Tu es méchant », « Ce que tu as fait est mal ». La

morale vise ainsi à protéger les faibles et à culpabiliser les forts.

→ L’homme « fort », qui culpabilise, devient « faible » : au lieu de

s’affirmer, il doute de lui-même, et finit par se détester. C’est le

phénomène de la « mauvaise conscience ».

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BONUS

Une mauvaise compréhension de la philosophie de Nietzsche peut avoir des conséquences désastreuses. Sous prétexte que le bien et le mal ont été inventés par et pour les êtres faibles, Brandon et Philip décident d’agir sans en tenir compte : avec une corde, ils étranglent ainsi David, leur ancien camarade de classe.

HITCHCOCK, La corde (Rope), 1948. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

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→ Le meurtre de Brandon et Philip n’est pas un meurtreordinaire. C’est un « acte gratuit ». Non seulement la victimen’a rien fait pour mériter son sort, mais les meurtriers negagnent rien en tuant. Ils ne font que mettre en œuvrecertains principes pseudo-philosophiques, à la foisridicules et effrayants :

• L’humanité serait divisée en deux catégories : les êtressupérieurs et les êtres inférieurs.

• La morale est une invention des êtres inférieurs.

• Les êtres supérieurs peuvent passer outre la morale, ettuer les êtres inférieurs, dont la vie n’a aucune valeur.

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→ Brandon et Philip prétendent appartenir à l’élite autoriséeà agir « par-delà bien et mal ». Mais :

1. Ils commettent un grave contresens sur la philosophie deNietzsche. Ce dernier critique la morale, non pas pourlégitimer les meurtres et propager la mort, mais, aucontraire, pour protéger la vie, et favoriser sondéveloppement.

2. Brandon et Philip sont, en fait, des « faibles » au sensnietzschéen. L’homme « fort » n’a pas besoin de tuer pourse sentir vivant. On pourrait s’interroger sur les motifscachés et non avoués du meurtre : jalousie ou ressentimentà l’égard de David ? Désir homosexuel refoulé ?

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• Monique Canto-Sperber et Ruwen Ogien, La philosophiemorale, PUF, collection « Que sais-je ? », 2010.

• Ruwen Ogien

- L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes,Gallimard, Folio, 2007.

- L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bontéhumaine. Et autres questions de philosophie moraleexpérimentale., Grasset, Le livre de poche , 2011.

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