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Une société peut-elle se passer d’État ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

Une société peut-elle se passer d’état? (G.Gay-Para)

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Une société peut-elle se passer d’État ?

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INTRODUCTION (1) La distinction entre la société et l’État

• Il n’y a pas de société sans échanges. Il n’y a pas non plus de société sans droit. Pour former une société, les hommes doivent obéir à des lois communes.Cf. l’adage romain : « Ubi societas, ibi jus » (Là où il y a société, il y a droit).Or, pour établir les lois, et pour les faire appliquer, il faut un pouvoir politique. L’État est la forme que prend le pouvoir politique dans les sociétés modernes.

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INTRODUCTION (2)• On peut distinguer deux sens principaux du mot « État » :

1) Au sens large, « État » et « société » sont presque synonymes. Par État, on entend une société organisée par des lois et soumise à un pouvoir politique. Cf. par exemple, Kant : « Un État est la réunion d’une multiplicité d’hommes sous des lois juridiques » (Doctrine du droit).

2) Au sens strict, l’État désigne l’instance politique qui exerce le pouvoir, et qui est chargée d’organiser la vie collective sur un territoire donné. Il est composé d’un ensemble d’institutions et d’administrations, dont la fonction est de répondre aux différents besoins de la société.

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INTRODUCTION (3)• Deux remarques d’ordre historique :

1) L’État en tant qu’institution politique, distincte de la société, n’a pas toujours existé. Si on considère les faits, il y a eu et il y a encore des sociétés sans État, aussi rares soient-elles aujourd’hui. Les historiens et les ethnologues confirment l’existence de sociétés sans État.

2) La distinction entre société et État est récente dans l’histoire. Non seulement les Grecs ne distinguaient pas la société et l’État, mais ils identifiaient la société à la cité (polis). Si société il y avait, elle n’était pas économique, mais politique.

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INTRODUCTION (4) Problématisation

• De prime abord, la société ne peut pas se passer de l’État, car elle a besoin de lui. Il faut donc s’interroger sur le rôle de l’État dans la société : à quoi sert-il ? Dans quelle mesure l’État est-il nécessaire ? Une société pourrait-elle seulement exister sans État ? Ne finirait-elle pas par perdre son unité et se dissoudre ?

• D’un autre côté, une société sans État, à défaut d’être possible, n’est-elle pas souhaitable ? L’État contribue, certes, à maintenir l’ordre au sein de la société, mais il peut aussi devenir un instrument de domination.

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INTRODUCTION (5)• Au nom de la liberté, on peut vouloir :

– soit la suppression totale de l’État (position anarchiste) ;– soit la limitation de son pouvoir et la réduction de ses fonctions (position libérale).

Si une société sans État n’est pas vraiment possible, on peut, au moins, tendre vers cet idéal, et instaurer un État minimal, qui se contente d’établir et d’appliquer les règles de droit nécessaires à la coexistence pacifique des individus.• Mais, une société sans État, ou avec un État minimal, est-elle vraiment souhaitable ? L’absence d’ État est aussi dangereuse, et peut-être plus à craindre que l’État lui-même.

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INTRODUCTION (6)→ Que devons-nous donc attendre de l’ État ? Doit-il se réduire au simple statut d’arbitre impartial et garant de la paix civile ? Ou doit-il intervenir davantage ? Et jusqu’où peut-il aller ? N’est-ce pas dans le rôle de l’ État de permettre aux individus, non seulement de vivre, mais aussi de bien vivre, en garantissant l’accès de tous à certains biens sociaux (comme la santé, l’éducation ou le travail) ? Cf. La notion d’ État-Providence.

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1. La nécessité de l’État (1)

a) L’état de nature comme état de guerre

Cf. Hobbes, Léviathan, XIII.

• Double thèse (contre Aristote) : 1) L’homme n’est pas un « animal politique »,

naturellement sociable. Hobbes reprend la formule de Plaute : « Homo homini lupus » (L’homme est un loup pour l’homme).

2) La société n’est pas naturelle. Elle n’existe que, de manière artificielle, grâce à l’ État.

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1. La nécessité de l’État (2)

→ Hobbes distingue ainsi « l’état de nature » et « l’état civil ».

• Selon Hobbes, l’état de nature est un état de guerre de tous contre tous. Pourquoi ?

o Le problème du désir

« Si deux hommes désirent la même chose, alors qu’il n’est pas possible qu’ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis ; et dans leur poursuite de cette fin (…), chacun s’efforce de détruire ou de dominer l’autre. »

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1. La nécessité de l’État (3)o Le problème de l’égalité

Selon Hobbes, les hommes sont naturellement égaux. Certes, ils n’ont pas les mêmes facultés ou talents naturels. Exemples : la force physique, l’intelligence.Mais ils sont égaux devant la mort : ils sont tous mortels, et ils sont tous capables de tuer. Ils sont donc tous des ennemis potentiels les uns pour les autres. → L’égalité crée la défiance, laquelle aboutit finalement à la violence.

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1. La nécessité de l’État (4)• Dans un tel état de nature, l’homme vit avec une

peur constante de mourir. Le comportement des autres étant imprévisible, il doit rester vigilant pour assurer sa conservation. Il vit alors comme un animal.

1) Il ne peut pas travailler.

2) Il ne peut pas faire du commerce.

3) Il ne peut pas fabriquer des objets techniques.

4) Il ne peut pas se cultiver (sciences, arts, lettres).

Sans État, il n’y a donc pas de société. Mais il n’y a pas non plus de culture ni d’humanité.

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1. La nécessité de l’État (5)b) La sortie de l’état de nature et l’avènement

de l’État

Cf. Hobbes, Léviathan, XVII.

• L’État provient d’un pacte que les individus font entre eux, et par lequel chacun accepte de renoncer à sa liberté naturelle, pour obtenir, en contrepartie, la sécurité.

Le pacte comporte deux moments :

1. L’abandon par chacun de sa liberté naturelle ;

2. L’autorisation du souverain à exercer le pouvoir.

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1. La nécessité de l’État (6)• Absolutisme, paix et liberté

Selon Hobbes, la finalité première de l’État est de conserver la paix civile et de garantir la sécurité des personnes. Le pire des maux est la violence de l’état de nature. Il faut donc tout faire pour l’éviter.

→ Hobbes a une solution : l’instauration d’un pouvoir absolu. Cette thèse politique est la conséquence logique de ses présupposés anthropologiques : parce que l’homme est un être de désir, qui ne connaît pas de limites, seul un pouvoir absolu, auquel on ne peut pas résister, peut le tenir en bride, et l’empêcher de recourir à la violence.

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1. La nécessité de l’État (7)→ Paradoxe : l’absolutisme de Hobbes s’explique par son pacifisme. La soumission totale de tous les individus au souverain est, à ses yeux, la condition indispensable au maintien de la paix. → Autre paradoxe : même s’il prône l’absolutisme, Hobbes se soucie de la liberté des individus. Certes, en se soumettant aux lois établies par le souverain, les individus perdent leur liberté naturelle. Mais, ils gagnent une nouvelle liberté : la liberté civile. Dans le « silence des lois », ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent (travailler, échanger, etc.). Selon Hobbes, absolutisme et liberté ne s’opposent pas !

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1. La nécessité de l’État (8)• La théorie de la souveraineté

1. Le souverain incarne l’unité de l’État.

• Dans l’état de nature, il n’y a pas d’unité du corps social. Chaque individu fait ce qu’il veut, et a une volonté propre. Les individus forment donc une « multitude ». En se soumettant à la volonté du souverain, ils acquièrent une unité qu’ils n’avaient pas auparavant : ils deviennent alors un « peuple ».

• Or, le peuple n’existe qu’à travers la personne du souverain. D’où la formule provocante de Hobbes : « Rex est populus » (Le roi est le peuple). Pour passer de la multitude au peuple, il faut donc l’institution du pouvoir souverain.

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L’état de nature → Multitude

Regroupement anarchique d’individus, chacun ayant une volonté propre

L’état civil→ Peuple

Corps social doté d’une volonté unique (celle du

souverain)

SOUVERAINConflit

Soumission

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1. La nécessité de l’État (9)2. Le souverain exerce un pouvoir coercitif.

• Le pacte serait inutile si le souverain n’avait pas le pouvoir de contraindre les individus à respecter leur engagement :

« Les conventions, sans l’épée (sword), ne sont que des mots (words), et sont sans force aucune pour mettre qui que ce soit en sécurité ». • Pour obtenir l’obéissance des individus, le souverain peut donc recourir à la force. En tant que représentant de l’ État, il a « le monopole de la violence physique légitime », pour reprendre la formule de Max Weber.

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1. La nécessité de l’État (10)3. Le souverain a la toute-puissance.

• Le souverain concentre tous les pouvoirs : pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judicaire.

• Il n’y a ni division ni limitation du pouvoir. Limiter le pouvoir du souverain reviendrait à l’affaiblir, et donc à augmenter les risques d’un éventuel retour à l’état de nature.

• Le pacte social institue le souverain, mais ne limite pas son pouvoir. Celui-ci n’a pris aucun engagement, n’a aucune clause à respecter : il a les mains libres. Il exerce son pouvoir sans condition.

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Le frontispice du Léviathan (1651)• Hobbes compare l’ État au Léviathan qui est un monstre marin, cité dans le Livre de Job : « Il n’y a pas de puissance sur terre qui puisse lui être comparée ». • Le frontispice montre un roi géant, tenant dans une main un glaive, et dans l’autre une crosse, dont le corps est composé d’une multitude d’individus.

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1. La nécessité de l’État (11)c) Les limites

Hobbes est si soucieux de garantir au souverain un pouvoir absolu, au nom de la paix civile, qu’il tend à négliger l’exigence de justice. N’étant soumis à rien ni à quiconque, le souverain pourrait faire un mauvais usage de son pouvoir. L’ État, qui est, au départ, un instrument de protection des individus, pourrait se retourner contre eux et les opprimer. La liberté est donc menacée.

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1. La nécessité de l’État (12)• Selon Hobbes, la justice est définie par la loi, et donc par la

volonté du souverain. Elle est une convention arbitraire. Est juste ce qui est déclaré comme tel par le souverain. Les individus n’ont pas leur mot à dire : ils doivent laisser le souverain définir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

• Hobbes accepte de sacrifier l’exigence de justice au nom du maintien de l’ordre. Selon lui, une tyrannie est préférable à l’anarchie. Mieux vaut obéir à des lois injustes que retourner à l’état de nature : « cette malheureuse liberté pire que toutes les servitudes ».

Cynique, Hobbes va jusqu’à remettre en question la distinction entre monarchie et tyrannie.

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2. État et liberté (1)

a) À la recherche d’un ordre politique légitime

Cherchant une alternative à « l’horrible système de Hobbes », Rousseau veut fonder un État qui assure la sécurité des individus, sans menacer leur liberté.

• La critique du pacte de soumissionCf. Rousseau, Du contrat social, I, 4.

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2. État et liberté (2)→ Le pacte social, tel que Hobbes le conçoit, n’est pas légitime : on ne peut pas échanger sa liberté contre la sécurité. Rousseau avance plusieurs arguments :1. Se soumettre sans condition à un seul homme est trop

dangereux. Hobbes semble oublier que le roi est un être humain comme les autres, soumis à ses désirs. Au lieu d’instaurer la paix, il pourrait prolonger l’état de guerre.

2. Supposons que la paix soit assurée. La sécurité sans la liberté ne sert à rien : « On vit tranquille aussi dans les cachots ». En constituant un État, les hommes ne veulent pas seulement survivre. Ils veulent aussi mener une vie heureuse, ce qui n’est possible que s’ils sont libres.

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2. État et liberté (3)3. On ne peut pas échanger sa liberté.• Pour échanger sa liberté, il faudrait trouver un bien d’une valeur

équivalente. Or, ce n’est pas possible. • On ne peut échanger que ce qu’on possède. Or, la liberté n’est pas

une simple possession : elle constitue notre être. Elle est donc inaliénable.

• Supposons qu’un tel échange soit possible. D’une part, il est « vain », car, la liberté étant inaliénable, on ne peut pas la perdre. D’autre part, il est « contradictoire », car on renonce alors librement à la liberté.

4. Pour Rousseau, non seulement on ne peut pas, mais on ne doit pas renoncer à sa liberté : celui qui le fait est un être dégradé qui perd sa qualité d’être humain et d’agent moral. L’homme a le devoir d’être libre.

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2. État et liberté (4)• L’état de nature n’est pas un état de guerre

Selon Rousseau, Hobbes a commis une double erreur dans sa description de l’état de nature. 1. Hobbes considère comme naturel ce qui est, en

fait, artificiel ou culturel. L’homme naturel qu’il décrit est déjà socialisé : les désirs qu’il cherche à satisfaire et qui le poussent à la violence « sont l’ouvrage de la société » (Second discours).

2. Il sous-estime la force de la pitié : l’homme a « une répugnance innée à voir souffrir son semblable ».

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2. État et liberté (5)Contrairement à Hobbes, Rousseau distingue deux états de nature :

1. Le premier état de nature qui est pacifique : l’homme vit de manière indépendante, sans rapport avec les autres. Il n’y a pas de conflit, car l’amour de soi est régulé par la pitié.

2. Le second état de nature, marqué par le début de la socialisation. L’amour de soi se transforme en amour-propre. La pitié devient inactive : « Péris si tu veux, je suis en sûreté ». Le conflit est alors inévitable, et le pacte social nécessaire.

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état de nature état civil

établissement d’un État pour garantir la sécurité mais aussi la liberté

Premier état de nature

Second état de nature

Pacte social

• Indépendance• Amour de soi• Pitié → Aucun conflit :état pacifique.

• Socialisation• Développementde l’amour-propre• Disparition de la pitié → conflit : le pacte social devient nécessaire.

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2. État et liberté (6)• Le pacte social selon Rousseau

Cf. Du contrat social, I, 6.

Les hommes peuvent-ils s’associer sans perdre leur liberté ? Rousseau a une solution.Le pacte qu’il propose comporte une clause unique : tous les hommes doivent céder tous leurs droits pour les remettre à tous. Paradoxalement, « l’aliénation totale » ne s’oppose pas à la liberté, mais apparaît comme une condition de celle-ci.

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2. État et liberté (7)• Cette clause a trois caractéristiques que Rousseau

précise tour à tour. 1. L’aliénation concerne tous les individus. Il n’y a pas

d’individu extérieur au pacte : « la condition est égale pour tous ».

2. Elle porte sur tous les droits. Non seulement tout le monde perd, mais tout le monde perd tout. Chaque individu renonce à sa liberté naturelle et à ses biens matériels : l’aliénation se fait « sans réserve ».

3. Elle se fait au profit de la communauté. Le bénéficiaire du pacte n’est pas un souverain, extérieur au pacte, comme chez Hobbes, mais le peuple lui-même.

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Le pacte social selon Hobbes

Le pacte social selon Rousseau

Pacte de soumission

Pacte d’association entre les individus

Obéissance inconditionnelle

Roi

Souveraineté absolue

Aliénation totale

LE PEUPLE

INDIVIDUS

La volonté générale

Souveraineté absolue

Si l’individu ne veut pas obéir à la volonté générale « on le forcera à être libre » (CS, I, 7).

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2. État et liberté (8)• Liberté, loi et justice

Cf. Rousseau, Lettres écrites de la montagne.

o La distinction entre indépendance et liberté (§1)

L’ « indépendance » qui correspond à la liberté naturelle est, pour Rousseau, une fausse liberté : si je fais ce que je veux, on pourrait croire que je suis libre, mais, en fait, je ne le suis pas. Pourquoi ?

Parce que, faisant ce que je veux, je ne suis soumis à rien ni à personne, mais, de ce fait, rien ne me protège contre autrui. Si je fais ce que je veux, l'autre jouit de la même liberté : nos libertés respectives s'annulent.

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2. État et liberté (9)→ Rousseau propose donc une nouvelle définition de la liberté : être libre, ce n'est pas faire ce que l’on veut ; c'est d'abord ne pas être soumis à la volonté d'autrui.

En d'autres termes, la liberté désigne, non pas l'absence d'interférence, mais l'absence de domination : je suis libre quand l'autre ne peut pas me dominer, et donc m'imposer ce qu'il veut, de manière arbitraire.  

→ Sans lois, personne n’est libre. Le plus faible n’est pas libre, car il est dominé par le plus fort. Mais, paradoxalement, le plus fort, qui peut faire ce qu’il veut, n’est pas libre non plus. Il « règne », certes, mais, en fait, il « obéit », car il dépend des autres.

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2. État et liberté (10)o Justice et souveraineté du peuple (§2)

Obéir à la loi, paradoxalement, c'est être libre. C’est parce que la loi règne que personne ne règne.

Encore faut-il que la loi soit juste. Il y a deux conditions à respecter.

1) Il faut une égalité des citoyens devant la loi : personne ne doit être au-dessus des lois.

2) La loi doit être l'expression de la « volonté générale », c'est-à-dire la volonté du peuple. La loi doit viser, non pas des intérêts particuliers, mais l'intérêt général : à travers elle, c'est le peuple qui s'exprime, et non tel ou tel individu particulier.

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2. État et liberté (11)→ Le peuple est souverain : il a le pouvoir légitime de faire les lois. Mais il a besoin d’un gouvernement pour les faire appliquer. Rousseau rappelle que les membres du gouvernement (les « magistrats ») n’ont aucun pouvoir de décision. Ils sont des « simples officiers du Souverain » (CS, III, 1), commis pour le servir, et révocables à tout moment. → Le peuple obéissant à des lois, qui viennent de tous, pour s'appliquer à tous, ne fait qu'obéir à ses propres lois. Il est donc libre. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (CS, I, 8).

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2. État et liberté (12)b) Les limites

• En théorie, le peuple est souverain. Mais, est-ce le cas dans les faits ? S’appuyant sur l’expérience de la Révolution française, Benjamin Constant souligne l’écart possible et dangereux entre la théorie et la pratique :

« L’action qui se fait au nom de tous étant nécessairement de gré ou de force à la disposition d’un seul ou de quelques-uns, il arrive qu’en se donnant à tous, il n’est pas vrai qu’on ne se donne à personne ; on se donne au contraire à ceux qui agissent au nom de tous. » (Principes de politique, 1815).

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2. État et liberté (13)• Loin de rompre complètement avec Hobbes,

Rousseau conserve l’idée d’un pouvoir souverain, et donc absolu. Seul son détenteur a changé : ce n’est plus le roi mais le peuple.Or, la liberté des individus est toujours menacée. Le pouvoir du peuple pourrait être aussi dangereux que le pouvoir du roi. Cf. encore Benjamin Constant : Le Contrat social de Rousseau, « si souvent invoqué en faveur de la liberté » est « le plus terrible auxiliaire de tous les genres de despotisme ».

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2. État et liberté (14)• Que le peuple soit souverain ne signifie pas qu’il

soit autorisé à faire tout ce qu’il veut. Comme le rappelle Constant : « La souveraineté du peuple n’est pas illimitée ; elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste ».

• On peut donc être libre sous un État, à condition que celui-ci exerce un pouvoir limité, respectant les droits fondamentaux de l’individu. Pour éviter les dérives, il faut des garde-fous institutionnels : on doit établir une constitution, séparer les pouvoirs.

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• Selon Benjamin Constant, l’erreur de Rousseau aurait été de confondre deux formes de liberté. Au nom de la liberté des Anciens, il aurait sacrifié la liberté des Modernes. Au nom de la liberté du peuple, il aurait négligé la liberté des individus.

La liberté des Anciens La liberté des Modernes

La liberté réside dans la participation aux affaires de la cité.

Les individus sont libres s’ils se gouvernent eux-mêmes. Ils n’obéissent qu’aux lois qui viennent d’eux.

On s’interroge, avant tout, sur l’origine du pouvoir.Qui décide ? Qui fait la loi ?

La liberté consiste à jouir d’un certain nombre de droits dans la vie privée.

Les individus sont libres s’ils peuvent mener la vie qu’ils souhaitent, dans les limites imposées par la loi.

On se préoccupe davantage de l’étendue du pouvoir.Jusqu’où l’État peut-il aller ?

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3. État et bonheur (1)Il faut non seulement limiter le pouvoir de l’État, mais aussi réduire son champ d’action. Pour éviter toute dérive, les libéraux font l’éloge d’un État minimal.

a) Le danger du paternalisme

• Le bonheur comme affaire privée

Cf. Kant, Théorie et pratique, 1793.

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3. État et bonheur (2)• Le paternalisme consiste à vouloir faire le bien

des autres sans tenir compte de leur consentement ou encore de leur opinion. On cherche à protéger les individus d’eux-mêmes, en leur imposant une manière de vivre.

• Selon Kant, un État paternaliste qui chercherait à contraindre les individus à vivre d’une certaine manière, au nom de leur bonheur, est le « plus grand despotisme que l’on puisse concevoir ». L’État doit laisser les individus libres de mener la vie qu’ils souhaitent, conformément à l’idée qu’ils se font du bonheur.

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3. État et bonheur (3)• L’État paternaliste soulève des difficultés :

1) La liberté des individus est menacée : chacun devrait pouvoir mener sa vie comme il le souhaite.

2) L’égalité des individus est remise en question. De même que le père est supérieur à ses enfants, le chef d’État serait supérieur aux citoyens.

3) Le bonheur est compromis. L’État paternaliste obtient l’effet inverse à celui recherché : il n’y a pas de bonheur sans liberté.

Pour Kant, la fonction première de l’État est donc de garantir la liberté, et non le bonheur. L’État doit se contenter d’établir le cadre juridique au sein duquel les individus peuvent être libres.

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3. État et bonheur (4)

• La neutralité morale de l’État

Cf. Mill, De la liberté (1860).

Non seulement l’État n’a pas à imposer une manière de vivre aux individus, mais il n’a pas à prendre position sur les questions morales.

• Pour délimiter son champ d’action, Mill distingue ce que l’individu fait aux autres, et ce que l’individu se fait à lui-même.

→ Dès lors qu’autrui est concerné, l’État est autorisé à intervenir : il peut recourir à la force pour empêcher que du mal ne soit fait à autrui.

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3. État et bonheur (5)

→ Si l’action n’a aucune conséquence néfaste sur autrui, alors l’individu est complètement libre de l’accomplir : « L’individu est souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit ». • La souveraineté de l’État s’arrête donc là où

commence celle de l’individu. L’État doit encadrer les relations interindividuelles, mais il ne peut aller au-delà, en faisant de l’ingérence dans la vie privée des individus. Si l’individu se nuit à lui-même, l’ État ne peut rien faire, à part « lui faire des remontrances » ou essayer de le « raisonner » ou le « persuader » : il ne peut ni contraindre, ni punir.

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3. État et bonheur (6)b) De l’État-gendarme à l’État-Providence

• Certes, le bonheur est une affaire privée : c’est à l’individu de choisir le genre de vie qui lui convient. Personne ne peut le faire à sa place : ni ses parents, ni ses amis, encore moins l’État !Mais le bonheur est aussi une affaire politique, car, indépendamment des aspirations différentes de chacun, il suppose, au préalable, la satisfaction de certains besoins.

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3. État et bonheur (7)→ Si l’État n’a pas à définir le bonheur, il doit, en revanche, garantir à chacun l’accès à certains biens sociaux, sans lesquelles le bonheur n’est pas possible. Exemples : la santé, l’éducation, le travail.

• L’État-gendarme, défendu par les libéraux, garantit, certes, la liberté, mais au détriment du bonheur du plus grand nombre. Il se contente d’administrer la société : il refuse de la transformer, et, en particulier, d’atténuer les inégalités économiques et sociales.

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3. État et bonheur (8)• L’État-Providence veille, en revanche, à l’égalité,

et au bonheur du plus grand nombre.1. Il ne se contente pas de l’égalité juridique : il

cherche à atténuer les inégalités économiques et sociales, en redistribuant les richesses pour aider les plus pauvres.

2. Il cherche aussi à instaurer une égalité des chances : à talents équivalents, les individus doivent pouvoir atteindre des positions sociales équivalentes. Il s’agit donc de neutraliser l’impact de l’ origine sociale sur le parcours individuel.

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Conclusion (1)• Au sein de la pensée occidentale, un préjugé a

demeuré pendant plusieurs siècles : la société ne peut pas se passer d’État. Ce point étant considéré comme acquis, le débat a porté (et porte encore aujourd’hui) sur le rôle à accorder à l’ État.

• Or, ce préjugé est culturel, car il a existé (et existe encore) des sociétés sans État. Exemple : les tribus d’Indiens d’Amérique du Sud. Selon Pierre Clastres, l’homme moderne porte, à tort, sur ces tribus un regard ethnocentrique : on les considère comme des sociétés primitives, car elles n’ont pas d’ État.

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Conclusion (2)• Or, elles sont pourtant organisées. Pour

Clastres, ces sociétés sans État sont, en fait, des sociétés contre l’État. Les Indiens refusent la domination d’une personne sur l’ensemble de la tribu. Ils ont un chef, mais paradoxalement, celui-ci n’a aucun pouvoir.

→ La société indienne ne repose pas sur la domination (verticale) du chef sur ses membres, mais sur des échanges (horizontaux) complexes.

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Suggestions de lecture (pour aller plus loin)

• Pierre Clastres, La société contre l’État, éditions de Minuit, 1974 (réédition en poche, 2011).

• Ruwen Ogien, L’ État nous rend-ils meilleurs ?, Gallimard, « Folio essais », 2013.

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