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Peut-on juger objectivement la valeur d’une culture ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

Peut on juger objectivement la valeur d'une culture ? (G.Gay-Para)

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Peut-on juger objectivement la valeur

d’une culture ?

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INTRODUCTION (1)

• De prime abord, on ne peut pas juger objectivement la

valeur d’une culture : tout jugement est subjectif, car

influencé par la culture de celui qui l’énonce.

Idéalement, pour être objectif, il faudrait ne pas avoir de

culture : comme nous sommes des êtres culturels, nous

sommes condamnés, semble-t-il, à la subjectivité.

• En fait, nous pouvons aborder objectivement les autres

cultures, mais à une condition : il faut renoncer à juger.

C’est ce que fait l’ethnologue.

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INTRODUCTION (2)

→ Au lieu de juger, il décrit les comportements qu’ilobserve, et cherche à les comprendre, c’est-à-dire àdégager leur sens. Ainsi il bannit tout jugement devaleur. Il ne considère que les faits.

• Le dilemme que nous rencontrons est alors le suivant.Soit on juge et on est subjectif. Soit on cherche à êtreobjectif, mais, du coup, on ne peut plus juger.

Comment échapper à ce dilemme ?

Un jugement objectif est-il seulement possible ?

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1. Le problème de l’ethnocentrisme (1)

a) Barbares et sauvages

Cf. Lévi-Strauss, Race et histoire (1952), chapitre III.

Ethnocentrisme : attitude qui consiste à considérersa propre culture comme la culture de référence.On tend alors à dénigrer et rejeter les culturesdifférentes.

« Barbare » > mot d’origine grecque : onomatopée quisert à désigner l’homme qui ne parle pas grec.

« Sauvage » > du latin silva : la forêt.

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1. Le problème de l’ethnocentrisme (2)

• L’ethnocentrisme est d’autant plus fréquent qu’il a « desfondements psychologiques solides » : la différenceculturelle génère une peur, laquelle conduit au rejet.

• Le jugement ethnocentrique est non seulementirrationnel, mais aussi subjectif : on considère la culturedes autres à travers le prisme de sa propre culture.L’objet du jugement, c’est toujours l’autre ; le critère dujugement, c’est toujours nous.

→ Cf. Montaigne : « chacun appelle barbarie ce qui n’estpas de son usage ».

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1. Le problème de l’ethnocentrisme (3)

• L’attitude ethnocentrique est aussi contradictoire. Enrejetant la culture des autres, nous croyons affirmernotre différence. En fait, comme ils nous rejettentautant que nous les rejetons, nous nous montronssemblables à eux.

• L’ethnocentrisme est à la fois une erreur et une faute : 1)on croit que les autres n’ont pas de culture, mais c’estfaux : tout peuple a une culture ; 2) l’ethnocentrismeconduit les peuples à se faire la guerre.

→ Cf. Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est celui qui croit à labarbarie ».

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1. Le problème de l’ethnocentrisme (4)

b) Une autre forme d’ethnocentrisme :l’évolutionnisme

Exemple : Edward B. Tylor (anthropologue britannique,1832-1917).

• Tylor refuse de considérer les cultures primitives comme« barbares » ou « sauvages » : il reconnaît que touthomme a une culture. En ce sens, il affirme l’unité dugenre humain.

• Mais il explique la diversité culturelle par l’évolution.

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1. Le problème de l’ethnocentrisme (5)

→ Entre les cultures dites « primitives » et les autres, ily a une différence, non pas de nature, mais de degré :elles correspondent à différents stades dans l’évolution.

• L’évolutionnisme est donc une forme insidieused’ethnocentrisme : la culture « moderne » reste laculture de référence – celle qui constitue le pointd’aboutissement dans le processus de l’évolution, et queles cultures « primitives » doivent rejoindre. Comme leremarque Lévi-Strauss, « il s’agit d’une tentative poursupprimer la diversité des cultures tout en feignant de lareconnaître pleinement ».

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2. Le relativisme culturel et ses limites (1)

a) La neutralité axiologique

Cf. Lévi-Strauss, Race et histoire, chapitre VI.

• Pour juger la valeur d’une culture, il faudrait un critère.Or, le choix du critère est toujours relatif à la cultured’origine.

• Exemple : le développement technique. Selon ce critère,la culture occidentale est supérieure aux autres cultures.Mais : 1) ce critère est relatif ; 2) si on change de critère,on obtient des classements différents.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (2)

• Pour être objectif, à défaut de juger, l’ethnologue doitchercher à comprendre.

→ Cf. Spinoza : « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ».

• Il doit, autant que possible, aborder la culture desautres, en faisant abstraction de sa propre culture.

• Il doit redonner son sens à des pratiques culturellesqui sont si différentes des nôtres qu’elles semblent,à première vue, absurdes.

→ Exemple : l’analyse du cannibalisme par Montaignedans les Essais.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (3)

• Selon le relativisme culturel, on ne peut donc pas direqu’une culture est supérieure à une autre. Il fautreconnaître la diversité culturelle, et l’étudier, sans allerplus loin.

Cette attitude se justifie doublement :

1) D’un point d’une vue scientifique : l’ethnologie nepeut prétendre accéder au statut de science que sielle rompt avec les préjugés ethnocentriques.

2) D’un point de vue moral et politique : on affirmeque toute culture est digne de respect.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (4)

b) Les limites

Le dilemme de l’ethnologue

Cf. Lévi-Strauss, Tristes tropiques (1955).

• Au nom de l’objectivité scientifique, l’ethnologue doit sortirde l’ethnocentrisme et admettre que les cultures se valent. S’iljuge et défend certaines valeurs, son travail n’est plusscientifique.

• Mais, d’un autre côté, au nom de la morale, il doit juger. Laneutralité, qui est bonne du point de vue de la science, estmauvaise, dans la pratique, car elle revient à tout accepter.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (5)

Du relativisme au nihilisme

Certes, toute culture est différente et a des valeurs qui lui sontpropres. Mais, au nom de la diversité culturelle, peut-on touttolérer ?

Dans certaines cultures, certains comportements, contraires ànos convictions morales, sont admis. Ex : la lapidation,l’excision, l’infanticide, etc.

Que faut-il faire ? Soit on juge, mais on prend le risque detomber dans l’ethnocentrisme. Soit on ne juge pas, au nomdu relativisme culturel, mais on risque de basculer dans lenihilisme : si tout se vaut, rien ne vaut, et alors tout estpermis.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (6)

Les limites de la tolérance

• Trop de tolérance « tue » la tolérance : à tout tolérer, ontolère même ceux qui ne tolèrent rien. Cf. Jacques Bouveresse: « Il y a des gens qui croient que le relativisme est le bonmoyen de défendre le respect des autres cultures, c'esttotalement faux » (« La philosophie et son histoire »).Paradoxalement, le relativisme alimente le racisme au lieu dele combattre.

• Pour éviter le nihilisme, il faut distinguer les normesculturelles et les valeurs morales : « à chacun sa culture » nepeut pas signifier « à chacun ses valeurs ». Il faut postulerl’existence de valeurs universelles.

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2. Le relativisme culturel et ses limites (7)

• Une nouvelle difficulté apparaît : d’où viennent ces valeursuniverselles ? L’universalisme qui cherche à échapper aunihilisme n’est-il pas une forme déguisée d’ethnocentrisme ?

→ Objection contre l’universalisme : on juge la culture des autresà partir de valeurs supposées universelles, mais qui sont d’abordles valeurs de celui qui juge. Loin d’être absolue, toute valeurserait relative à une société, à une époque. Exemple : les droits del’homme.

→ Contre-objection : d’un point de vue moral, il n’en reste pasmoins que toutes les cultures ne se valent pas. On peut accepter lerelativisme culturel, mais non le relativisme moral.

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ETHNOCENTRISME

RELATIVISME

NIHILISME

UNIVERSALISME

?

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3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie médiane (1)

a) La présomption d’égale valeur

Cf. Charles Taylor, Multiculturalisme, (1997).

• Il faut aborder les cultures différentes de la nôtre avecune présomption d’égale valeur : à première vue, touteculture est digne de respect.

1) C’est un « acte de foi », une sorte de pari : il est trèsvraisemblable que ces cultures, parce qu’elles sonthumaines, aient quelque chose à nous apprendre.

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3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie médiane (2)

2) C’est une « hypothèse de départ » d’autant plusnécessaire que la valeur de ces cultures n’est pastoujours évidente : les préjugés ethnocentriquespeuvent nous aveugler.

• La présomption d’égale valeur est un principe qu’il fautappliquer, en attendant une étude complète etapprofondie de la culture qu’on rencontre. Elle permetainsi d’éviter l’ethnocentrisme spontané. Mais elle nesignifie pas que toutes les cultures se valent : au termede l’étude, la présomption sera soit confirmée, soitinfirmée.

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3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie médiane (3)

• Selon Taylor, un jugement objectif est donc possible.Tout jugement n’est pas ethnocentrique.

• Le jugement ethnocentrique est spontané et hâtif :on condamne une pratique qu’on ne connaît pas etqu’on ne comprend pas, pour la simple raison qu’ellen’est pas la nôtre.

• Le jugement, pour être objectif, doit remplircertaines conditions. Il faut : 1) aborder la cultureavec une « présomption d’égale valeur » ; 2)chercher à comprendre autrui. Dès lors, on peutjuger.

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3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie médiane (4)

b) Les vertus de l’acculturation

• L’acculturation désigne « l’ensemble des phénomènes quirésultent d’un contact continu et direct entre des groupesd’individus de cultures différentes et qui entraînent deschangements dans les modèles culturels initiaux de l’unou des deux groupes » (M. Herskovits, R. Linton, R.Redfield, 1936).

L’acculturation étant un phénomène universel, il n’y apas de culture « pure ». Toute culture se construit, sedéveloppe en interaction avec les autres.

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3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie médiane (5)

→ L’homme ethnocentrique qui croit que sa culture estla culture oublie que toute culture est le résultat d’unesynthèse entre des éléments empruntés à différentescultures.

• La diversité culturelle est un fait qu’il faut reconnaître.Elle soulève des problèmes. Mais c’est aussi une chance :en s’ouvrant aux autres cultures, une culture peut ainsiévoluer et s’enrichir.

Une culture fermée sur elle-même est une culture quistagne et qui finit par dégénérer. Une culture, aucontraire, qui échange avec les autres, reste vivante.

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R. Goscinny et A. Uderzo, Astérix et Cléopâtre, 1965.

« ILS SONT FOUS CES ÉGYPTIENS ! »

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Suggestions de lecture (pour aller plus loin)

Lévi-Strauss, Race et histoire, Gallimard, « Folioessais », 1952.

Todorov, Nous et les autres. La réflexion françaisesur la diversité humaine, Seuil, « Points », 1992.

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