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Peut - il y avoir une justice en dehors du droit ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

Peut-il y avoir une justice en dehors du droit ? (G.Gay-Para)

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Peut-il y avoir une justice

en dehors du droit ?

GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

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INTRODUCTION (1)

Les trois sens du mot « justice »

1) La justice comme institution → État

2) La justice comme valeur → Société

La justice politique (les lois)

La justice civile (les échanges)

La justice pénale (les peines)

La justice sociale (la distribution des

richesses)

3) La justice comme vertu morale → Individu

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INTRODUCTION (2)

Les deux problèmes fondamentaux :

celui de la loi et celui de l’égalité.

Hypothèse de départ : une société juste serait une

société régie par des lois et respectant une

certaine égalité entre les personnes.

Mais :

1. Toute loi est-elle juste ? Suffit-il d’établir des

lois, et de les faire appliquer, pour garantir la

justice ?

2. Quel type d’égalité faut-il promouvoir ?

Certaines inégalités ne sont-elles pas justes ?

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Justice

Loi

Légitimité

Légalité

Egalité

Egalité juridique

Egalité matérielle

Egalité numérique

Egalité proportionnelle

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (1)

a) L’origine des lois : sommes-nousjustes seulement par contrainte ?

Cf. Platon, République, II.

Selon Glaucon, les lois résultent d’un accord

entre les hommes et visent à prémunir chacun

contre le risque de subir une injustice.

Elles découlent d’un calcul rationnel.

Pour éviter le plus grand mal (subir une

injustice), j’accepte de renoncer au plus grand

bien (commettre une injustice).

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Sans lois Avec lois

Commettre

une

injustice

1 2

Subir une

injustice 4 3

« Voilà l’origine et l’essence de la justice : elle tient le

milieu entre le plus grand bien – commettre

impunément l’injustice – et le plus grand mal – la

subir quand on est incapable de se venger. »

1 : le plus grand bien

2 : le bien inférieur (second best)

3 : le moindre mal

4 : le plus grand mal

La justice n’est qu’un

pis-aller, une solution

faute de mieux. Les

hommes se donnent

des lois, non pas par

amour de la justice,

mais par intérêt, pour

éviter de subir des

injustices.

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (2)

Les lois profitent, à première vue, aux faibles

car elles les protègent contre l’injustice des

forts.

Mais elles profitent aussi aux forts.

Le fort n’est pas sûr d’être toujours le plus fort.

Il reste soumis au risque d’une éventuelle

vengeance des faibles. Il a donc intérêt à

utiliser les lois pour se protéger et garantir ses

avantages.

→ Cf. Rousseau : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour

être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et

l’obéissance en devoir » (Du contrat social, I, 3).

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Le mythe de Gygès montre que l’homme n’est

pas naturellement juste : il cherche à satisfaire

tous ses désirs, quitte à nuire aux autres.

N’importe qui possédant l’anneau de Gygès

agirait de manière injuste, car il pourrait le faire

impunément.

Les lois sont donc nécessaires pour

contraindre les individus à se respecter et à

être justes les uns envers les autres. C’est

parce que la vertu de justice fait défaut aux

hommes que la justice comme institution

apparaît nécessaire.

1. Il n’y a pas de justice sans lois (3)

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (4)

b) La loi comme gage d’impartialité : est-il juste de se faire justice soi-même ?

Cf. Paul Ricoeur, Le juste 2 (2001).

Non seulement l’homme n’est pas naturellement

juste, mais il est incapable de définir par lui-même

ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

Il réclame la justice, après avoir subi ce qu’il estime

être une injustice. Mais son jugement, altéré par

le sentiment d’indignation, est toujours subjectif et

partial.

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VICTIMECOUPABLE

VENGEANCE

JUGE

JUSTICE

Indignation

PUNITION

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (5)

On ne peut pas se faire justice soi-même, car

on ne peut pas être à la fois juge et partie. La

justice consiste à accepter l’arbitrage d’une

tierce personne, qui, étant extérieure au litige,

n’ayant aucun intérêt dans l’affaire, a assez de

distance et de recul pour être objective.

→ Exemple : la justice du roi Salomon dans la

Bible.

L’homme qui se venge est nécessairement

injuste. Il agit au nom de la justice, et commet

pourtant une injustice. Justice et vengeance

s’opposent.

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (6)

Celui qui se venge se fait justice soi-même, en

causant du tort à celui qui l’a offensé. Mais :

1) Son jugement est troublé par ses sentiments

(souffrance, colère, indignation) : il n’est donc pas

objectif.

2) Il agit de manière arbitraire : la vengeance peut

être disproportionnée par rapport au mal subi.

3) La vengeance apparaît comme une nouvelle

offense, que rien ne distingue de la première, et

qui appelle, à son tour, une vengeance.

→ La vengeance n’est pas seulement injuste : elle

est aussi une menace pour la paix.

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Vengeance Punition

Qui ? Acte de la partie

lésée

Acte d’un tiers

(juge)

Pourquoi ? Mobiles

subjectifs

(sentiments)

Arguments

objectifs et

impartiaux

Comment ? Action arbitraire

et donc injuste

Action selon le

droit en vigueur

Quelle

conséquence

?

Violence Paix

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1. Il n’y a pas de justice sans lois (7)

Conclusion : la justice existe lorsque les lois, qui

définissent ce qui est juste et ce qui ne l’est pas,

sont appliquées de manière impartiale par un juge,

qui sanctionne les infractions commises et donne

des peines proportionnelles à leur gravité. On

retrouve les différents éléments de l’allégorie de

la justice :

1) Le bandeau symbolise l’impartialité.

2) Le glaive sanctionne les infractions et dissuade

les individus d’en commettre.

3) La balance instaure une égalité entre le délit ou

le crime constaté et la peine infligée.

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2. Les limites des lois (1)

a) En amont : le problème de la légitimité

Pour définir la justice, on a besoin des lois. Mais :

1) Les lois varient d’un pays à l’autre, et au cours de

l’histoire.

Si on identifie la justice et la légalité, on tombe

dans le relativisme : il y aurait autant de

conceptions différentes de la justice qu’il y a de

sociétés ; la justice ne serait plus une valeur

universelle, mais une simple convention.

→ Cf. Pascal : « Plaisante justice qu’une rivière

borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-

delà. »

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2. Les limites des lois (2)

2) Les lois ne sont pas toujours justes. On ne peut

donc pas faire de la loi le critère exclusif du juste

et de l’injuste. On ne peut pas identifier la

justice et la légalité.

→ Problème : comment savons-nous qu’une loi

est injuste ? Pouvons-nous définir ce qui est juste

indépendamment des lois ?

Exemple : Antigone, en refusant d’obéir au décret

de Créon, fait référence à des « lois non écrites ».

Si on admet qu’il y a des lois « injustes », il faut

donc faire l’hypothèse d’une norme supérieure,

à l’aune de laquelle on peut juger les lois.

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2. Les limites des lois (3)

Cf. Leo Strauss, Droit naturel et histoire

(1953).

Le droit positif, c’est-à-dire le droit institué,

désigne l’ensemble des lois en vigueur dans une

société donnée.

Le droit naturel désigne un droit non écrit, mais

supérieur au droit positif, qui vaut pour n’importe

quel homme. Il correspond à un idéal de justice.

→ Problème : nous avons besoin du droit naturel

pour juger le droit positif. Mais, comment définir un

tel droit ?

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La justice ?

L’idéal de

notre société

→ Normes

sociales et

culturelles

Le droit

naturel

Le droit positif

→ Lois juridiques

Relativisme

Jugement

critique → Individu

?

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2. Les limites des lois (4)

Pour déterminer ce qui est juste, on ne peut

s’appuyer ni sur les lois en vigueur, ni sur les

mœurs d’une société.

1) Les lois instituées peuvent être injustes et

donc contraires au droit naturel.

2) La société peut encourager des

comportements néfastes. Exemple : le

cannibalisme.

→ Chaque individu doit faire usage de sa

raison et penser par lui-même, pour critiquer,

si nécessaire, les lois établies et les valeurs de

sa société.

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2. Les limites des lois (5)

b) En aval : le problème de l’équité

Cf. Thomas d’Aquin, Somme théologique.

Supposons que la loi soit juste dans son

contenu. Un autre problème se pose : celui de

son application.

Une application stricte des lois pourrait être

injuste. La justice exige donc qu’on fasse

preuve d’équité en appliquant les lois.

Cf. Cicéron : « Summum jus, summa injuria »

(L’extrême droit est une extrême injustice).

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2. Les limites des lois (6)

La loi est, par nature, une règle générale, qui

vaut pour les cas les plus fréquents. On ne

peut pas légiférer pour chaque cas.

Les cas particuliers sont trop nombreux. Il

faudrait une loi pour chaque cas, ce qui est

impossible.

De nouveaux cas, qui n’avaient pas été prévus

par le législateur, peuvent apparaître.

→ On ne peut pas appliquer la loi de manière

automatique. Il faut tantôt la corriger, tantôt la

compléter.

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2. Les limites des lois (7)

Afin d’éviter une injustice, il faut être

équitable. Deux conditions sont requises :

1) Il faut, au préalable, interpréter le texte de la

loi. Quelle est sa finalité ? Pourquoi a-t-elle

été instaurée ? Quelle a été, à l’origine,

l’intention du législateur ? On doit donc

s’interroger sur l’esprit de la loi.

2) Il faut, en outre, examiner le cas particulier

qui se présente. Quelle est la situation ? N’y

a-t-il pas des circonstances particulières qu’il

faut prendre en considération ?

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La loi(La règle

générale)

La lettre de la loi

L’esprit de la loi

L’action humaine(Le cas particulier)

L’équité

Injustice

Justice

Le bien

commun

Les circonstances particulières

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3. Justice et désobéissance (1)

D’un côté, il n’y a pas de justice en dehors du

droit. De l’autre, le droit ne suffit pas à garantir

la justice. Sommes-nous donc autorisés, au

nom de la justice, à « sortir » du droit, et à

commettre des actes illégaux ? Dans quelle

mesure la désobéissance aux lois peut-elle

être légitime ?

Celui qui viole la loi, parce qu’il la juge injuste,

pourrait prêter le flanc à une double critique, ce qui

discrédite sa démarche. On pourrait l’accuser :

1) De manquer d’objectivité dans son jugement ;

2) De menacer l’ordre établi.

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3. Justice et désobéissance (2)

a) La définition de la désobéissance civile

Cf. John Rawls, Théorie de la justice,§ 55.

La désobéissance « civile » échappe à ces

critiques, car ce n’est pas une désobéissance

comme les autres.

Il faut la distinguer :

1) De la simple délinquance ;

2) De l’objection de conscience ;

3) De la rébellion.

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« La désobéissance civile peut

(…) être définie comme un acte

public, non violent, décidé en

conscience, mais politique,

contraire à la loi et accompli le

plus souvent pour amener à un

changement dans la loi ou bien

dans la politique du

gouvernement. »

≠ Délinquance : contrairement aux

criminels qui agissent de manière

« cachée ou secrète », pour ne pas

être pris, on viole la loi ouvertement,

au vu et au su de tous.

≠ Objection de conscience : l’acte n’est pas le fait

d’un individu isolé, qui fait appel à sa conscience

morale ou à sa religion, pour se justifier ; il

rassemble de nombreux citoyens autour d’une

« conception commune de la justice ».

≠ Rébellion : on viole

la loi, tout en la

respectant, non pas

pour l’abolir, mais

pour la changer. On

renonce à la violence

et on accepte « les

conséquences légales

de sa conduite ». On

évite ainsi toute

dérive anarchique.

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3. Justice et désobéissance (3)

b) Le rôle de la désobéissance civile

La désobéissance civile est légitime dans la

mesure où elle contribue à améliorer de le

droit existant. Elle ne lutte pas « contre » le

droit, mais « pour » un autre droit à venir, au

sein duquel légalité et légitimité coïncident.

Cf. Herbert Marcuse : « Sans ce droit de

résistance, sans l’intervention d’un droit plus

élevé contre le droit existant, nous en serions

aujourd’hui encore au niveau de la barbarie

primitive ».

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3. Justice et désobéissance (4)

La désobéissance civile est cruciale pour notre

démocratie représentative. Le peuple, en

effet, est souverain, mais n’exerce pas

directement le pouvoir : il le délègue à ses

représentants, mais prend ainsi le risque d’être

trahi.

La désobéissance civile est, pour les citoyens,

un contre-pouvoir efficace, qui leur permet :

1) D’exprimer leur opinion, sans avoir à

attendre les prochaines élections ;

2) De contrôler et d’influencer, en partie, les

décisions des gouvernants.

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Conclusion

• La justice se définit par le droit, mais aussi contre lui.

Elle suppose qu’on instaure des lois pour organiser la

vie collective. Mais le contenu de ces lois et leur

application ne vont pas de soi : ils font l’objet d’une

discussion publique, sans cesse renouvelée, dans les

tribunaux, mais aussi sur la scène publique.

• Comme l’affirme Alain, la justice est « ce doute sur le

droit qui sauve le droit ». Il rajoute dans un autre

texte : « Je me garderai de considérer jamais la justice

comme quelque chose d’existant qu’il faut accepter ;

car la justice est une chose qu’il faut faire et

refaire » (Éléments de philosophie).

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Suggestions de lecture

(pour aller plus loin)

Hans Kelsen, Qu’est-ce que la justice ? (1953)

Suivi de Droit et morale, éditions Markus Heller,

2012.

Albert Ogien et Sandra Laugier, Pourquoi

désobéir en démocratie ? La découverte / Poche,

2011.

Paul Ricoeur, Le juste, la justice et son échec,

Carnets de l’Herne, 2006.