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+ Pourquoi travaillons- nous ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

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+

Pourquoi

travaillons-

nous ?GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

Page 2: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (1)

Le problème de la définition du travail

Au sens large du terme, par « travail », on entend

toute activité pénible, qui exige des efforts, qu’ils

soient physiques ou intellectuels.

Cf. l’étymologie latine du mot « travail » : le tripalium

désigne un instrument de torture formé de trois pieux,

qui sert aussi à ferrer les chevaux.

La notion de travail renvoie donc, en premier lieu, à

l’idée de douleur ou de souffrance.

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Page 3: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (2)

Au sens strict, par « travail », on entend aujourd’hui

une activité utile socialement, et qui fait l’objet d’une

rémunération. Le terme est alors synonyme

d’« emploi ».

Dans notre société, pris en ce sens, le travail est

doublement important.

1) D’un point de vue économique : on travaille « pour

gagner sa vie », pour assurer sa subsistance.

2) D’un point de vue social : le travail est un vecteur

d’intégration.

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Page 4: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (3)

Le paradoxe de la société actuelle

Cf. Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie

de disparition (1995).

Grâce au progrès technique, nous avons gagné en

productivité : nous pouvons produire davantage, en

moins de temps, et en travaillant moins.

Paradoxalement, ce qui pourrait être une bonne

nouvelle est vécu comme un cauchemar. Au lieu de

nous réjouir, nous redoutons la « fin du travail ».

Pourquoi ?

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Page 5: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (4)

Réponse de Dominique Méda : nous sommes

victimes de nos préjugés. Spontanément, nous

considérons que le chômage est le pire des maux.

Pour nous, c’est évident : il faut travailler. Mais est-

ce si évident ?

Si le chômage de masse qui frappe les pays occidentaux

n’est pas conjoncturel, mais structurel, les politiques qui

visent à « sauver l’emploi » sont condamnées à l’échec.

→ Il faudrait plutôt repenser la place que nous

accordons au travail dans notre société.

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Page 6: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (5)

Problématisation

Pourquoi continuons-nous donc à travailler ?

1. Il faut interroger le rapport entre le travail et la

technique. La fin du travail est-elle seulement

possible ? Faut-il espérer que le progrès technique

nous libère du travail ?

2. Le rapport entre le travail et le bonheur est aussi

problématique. La fin du travail, même si elle était

possible, ne serait peut-être pas souhaitable. Peut-on

être heureux sans travailler ?

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Page 7: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+INTRODUCTION (6)

3. Il faut interroger enfin le rapport entre le travail et la

liberté.

Le travail est-il une activité servile ? La nécessité de

satisfaire ses besoins et de se conserver est-elle sa

seule raison d’être ?

Ne permet-il pas aussi à l’homme de prendre

conscience de lui-même et de développer son

humanité ? En ce sens, n’est-il pas libérateur ?

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Page 8: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (1)

a) Le travail comme malédiction

Pour l’homme, le travail est une nécessité, car il a

des besoins qu’il ne peut pas satisfaire

immédiatement. La malédiction de l’homme est

double : 1) il est naturellement fragile ; 2) il est

confronté à une nature hostile.

Le mythe de Prométhée : la fragilité naturelle de

l’homme.

Cf. Platon, Protagoras.

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Page 9: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (2)

Le récit de la Genèse : le travail comme

conséquence du péché originel.

« Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as

mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne

pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la

peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera

germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des

champs. À la sueur de ton front tu mangeras du pain jusqu’à

ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris.

Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. »

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Page 10: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (3)

b) La conception grecque du travail

NB : le grec ancien n’a pas d’équivalent pour le mot

« travail » tel que nous l’utilisons aujourd’hui. Mais

les différentes activités qui lui correspondent étaient

dépréciées.

Le travail comme activité servile

Cf. Arendt, Condition de l’homme moderne (1958).

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Page 11: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (4)

• Les Grecs opposent deux types d’activités :

1) Les activités qui sont des fins en soi : on les

accomplit pour elles-mêmes.

2) Les activités qui ne sont que des moyens : on les

accomplit pour autre chose.

Si le travail est méprisé, c’est parce qu’il appartient

à la seconde catégorie. On travaille toujours, non

pas pour travailler, mais pour satisfaire ses

besoins et assurer sa conservation.

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Page 12: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (5)

• Non seulement le travail n’est pas accompli pour lui-

même, mais il témoigne de « l’asservissement » de

l’homme à l’égard de son être biologique. Comme

les animaux, l’homme a des besoins à satisfaire, et

pour cela, il doit travailler.

→ Chez les Grecs, le travail n’est pas conçu comme

une activité propre à l’homme et qui permettrait son

épanouissement. Le travail n’apporte pas le

bonheur. Il permet seulement de survivre. Pour

accéder au bonheur, il faut être libéré du travail.

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Page 13: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

Vie contemplative

Vie active

Le classement des activités chez les Grecs

L’action (praxis)

La production

(poiésis)

La pensée (theoria)

Politique

Ethique

Vie

humaine

L’artisanat

(technè)

Le travail

pénible

(ponos)

Vie

dégradée

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Page 14: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (6)

Loisir et jeu

Cf. Aristote, Les politiques, VIII, 3.

• Selon les Grecs, le bonheur réside dans le loisir

(scholè). Contrairement au travail, c’est une activité

libre, qui est sa propre fin. En outre, elle permet le

développement des facultés propres à l’homme.

Vie heureuse = vie authentiquement humaine =

vie de loisir

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Page 15: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (7)

→ L’homme qui travaille n’est pas encore un homme

: il cherche d’abord à satisfaire ses besoins, et en ce

sens, il reste « animal ». L’homme qui a du loisir, au

contraire, développe son humanité.

• Or, encore faut-il distinguer le loisir et le jeu. Le

loisir grec ne ressemble en rien aux loisirs que nous

pratiquons aujourd’hui et qui relèvent du

divertissement. Avoir du loisir, selon les Grecs, ce

n’est ni jouer ni se divertir.

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Page 16: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+1. La nécessité de travailler (8)

• Paradoxalement, le jeu est plus proche du travail

que du loisir. Si l’homme « travaille » pour satisfaire

ses besoins, il « joue » pour se délasser de la

fatigue et de la tension, générées par le travail.

• En ce sens, jeu et travail, loin de s’opposer, vont

ensemble : fatigué, le travailleur doit « jouer » pour

pouvoir, plus tard, se remettre à travailler. Le jeu n’a

donc de sens que par rapport au travail. En elle-

même, l’activité de jeu ne vaut rien.

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Page 17: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

LOISIRTRAVAIL JEU

Satisfaire

ses besoins

= vivre

Se réaliser

= bien vivre

FIN EN SOIMOYENMOYEN

Délassement

rendu nécessaire

par le travail

Fatigue et

tension

Détente et

plaisir

Plaisir et

bonheur

Page 18: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (1)

→ Problème : peut-on réduire, comme le font les Grecs,

le travail à la nécessité de se conserver ? Est-il

seulement une activité servile ? Ne peut-on pas le

concevoir comme une activité libératrice ?

Nous assistons, à l’époque moderne, à une revalorisation

du travail.

Cf. par exemple, dans le domaine littéraire, La Fontaine,

« Le laboureur et ses enfants », ou encore Voltaire : « Le

travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice

et le besoin » (Candide).

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Page 19: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (2)

a) La prise de conscience de soi dans le travail

Cf. Hegel, La phénoménologie de l’esprit (1807):

« la dialectique du maître et l’esclave ».

La lutte pour la reconnaissance

• Selon Hegel, l’homme a un désir spécifique : il

désire être reconnu par autrui. Il est convaincu

d’avoir telle ou telle qualité. Mais il pourrait se

tromper. Il a donc besoin qu’autrui reconnaisse qu’il

est bien ce qu’il croit être.

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Page 20: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (3)

→ Nous sommes sensibles au regard qu’autrui porte sur

nous. Nous désirons qu’autrui nous voie tel que nous

nous voyons.

Hegel : « La conscience de soi atteint sa satisfaction

seulement dans une autre conscience de soi ».

Charles Taylor : « La reconnaissance n’est pas

simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un

besoin humain fondamental ».

Or, ce désir de reconnaissance aboutit à un conflit : les

individus ont tendance à refuser aux autres la

reconnaissance qu’ils exigent pour eux-mêmes.

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Page 21: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (4)

• Selon Hegel, le conflit qui découle du désir de

reconnaissance se caractérise par le fait que chacun

individu accepte de mettre sa vie en danger.

Pourquoi ?

L’homme est un sujet, c’est-à-dire un être conscient de lui-

même et libre, distinct à la fois des animaux et des choses. En

ce sens, ce qui fait d’un homme un homme, c’est moins son

corps que son esprit ou sa conscience.

Si l’individu veut prouver à l’autre qu’il est bien « un homme »

(une « conscience de soi », un « être pour soi » dit Hegel), il

devra lui montrer qu’il n’est pas dépendant de son corps, et

donc qu’il n’est pas attaché à la vie.

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Page 22: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

Je ne suis pas un animal.

Je suis un homme. Je

suis une conscience. Un

être pour soi.

Pour moi, tu n’es

qu’un objet. Je suis

« le » sujet. Je vais

te le montrer …

Page 23: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (5)

Le résultat de la lutte : le maître et l’esclave

• Le premier qui cède devient l’esclave. Parce qu’il a eu

peur de mourir, il a arrêté la lutte et accepté de

reconnaître l’autre sans être reconnu lui-même. Pour

rester en vie, il renonce à sa liberté et se met au service

de celui qui a gagné, à savoir le maître.

• Le maître, ayant risqué sa vie jusqu’au bout, a satisfait

son désir de reconnaissance. Il est bien ce qu’il croyait

être : un « homme », un « sujet ». Il a montré qu’il n’est

pas attaché à la vie. Il est donc libre.

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Page 24: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (6)

• Mais l’esclave a-t-il vraiment perdu ?

Contre toute attente, un renversement intervient : larelation de domination qui semble, à première vue, àl’avantage du maître, va se révéler à l’avantage del’esclave.

Cf. Alexandre Kojève, Introduction à la lecture deHegel.

Grâce à son travail, l’esclave devient maître de lanature, et par là même, maître du maître. Le maître,de son côté, ne travaillant pas, finit par deveniresclave de l’esclave.

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Page 25: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

Le maître L’esclave

Héroïsme Peur

Indépendance à l’égard de la vie Attachement à la vie

Reconnaissance comme être pour

soi

Absence de reconnaissance

Jouissance des biens produits par

l’esclave

Travail au service du maître

Dépendance vis-à-vis de l’esclave Libération par le travail

Incapacité à transformer la matière Maîtrise de la nature

Prise de conscience de soi

Stagnation (« identité avec soi-

même »)

Evolution (« Histoire »)

Animalité Humanité

Page 26: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (7)

b) Le travail est le propre de l’homme

Dans la continuité de Hegel, Marx considère le

travail comme une activité propre à l’homme : c’est

en travaillant que l’homme développe son humanité,

et ainsi se distingue des animaux.

« On peut distinguer les hommes des animaux par la

conscience, par la religion et par tout ce que l’on

voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer

des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs

moyens d’existence » (L’idéologie allemande).

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Page 27: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (6)

→ Marx met l’accent sur trois propriétés essentiellesdu travail humain.

Travail et conscience

Cf. Le capital, I, 3, 7.

Le travail humain est une activité consciente qui

suppose la représentation préalable d’un projet à

réaliser. Contrairement à l’animal, l’homme conçoit

d’abord ce qu’il veut produire. En travaillant, il fait

aussi preuve de volonté : il lutte pour imposer à la

matière inerte la forme qu’il désire.

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Page 28: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (7)

Travail et technique

L’autre spécificité du travail humain réside dans la

fabrication et l’utilisation d’outils : l’homme travaille

toujours contre la nature qui lui résiste, mais à partir

d’instruments déjà fabriqués. `

L’outil a un double statut : il est à la fois un produit du

travail et un moyen utilisé par l’homme au cours de son

activité laborieuse. Il n’est pas un bien éphémère voué à

la consommation ; il a vocation à durer. Cf. La notion de

détour de production (Böhm Bawerk).

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Page 29: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (8)

Travail et liberté

En travaillant, l’homme montre qu’il est capable de

différer la satisfaction de ses besoins et désirs ; en

cela il se distingue radicalement des animaux.

Cf. Marx : L’animal « ne produit que sous l'empire du besoin

physique immédiat, tandis que L’homme produit même libéré

du besoin physique » (Les manuscrits de 1844).

Loin d’être une activité servile, le travail est à la fois libéré (en

ce qu’il n’est pas soumis à la nécessité biologique) et libérateur

(en ce qu’il permet à l’homme de s’affirmer comme tel et de

développer ses facultés).

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Page 30: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (9)

c) Le problème de l’aliénation

Cf. Marx, Manuscrits de 1844.

Là où il y a homme, il y a travail : le travail est

l’essence de l’homme ; être un homme, c’est donc

travailler. Pourtant, la réciproque n’est pas vraie : on

peut concevoir un travail qui déshumanise, qui fait

perdre au travailleur ses propres qualités. Marx en

est conscient, et développe, pour penser ce type de

travail, propre au mode de production capitaliste, le

concept d’aliénation.

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Page 31: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (10)

Le concept d’aliénation a une double composante.

• La dépossession psychologique. Le travailleur se

découvre étranger à sa propre activité.

• Son travail le rend malheureux : il « mortifie son corps et

ruine son esprit ».

• Son travail est contraint : « dès qu’il n’existe pas de

contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la

peste ».

→ Le travailleur est réduit au statut d’animal, mû par ses

instincts et l’aiguillon de ses besoins vitaux. Il travaille

seulement pour survivre.

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Page 32: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (11)

• La dépossession économique. Non seulement le

travailler se perd dans son travail, en devenant

étranger à lui-même, mais il est aussi dépossédé du

fruit de son travail. Le travailleur s’appauvrit ainsi,

tant humainement qu’économiquement.

• Le salaire qu’il gagne, en contrepartie du travail qu’il

fournit, ne lui permet que de reproduire sa force de

travail.

• C’est l’entrepreneur capitaliste qui s’approprie la

richesse créée par le travail sous la forme d’une plus-

value. C’est le principe de l’exploitation.

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Page 33: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

Charb, Marx mode d’emploi, avec Daniel Bensaïd, 2009.

Page 34: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

Prolétaire Capitaliste

Journée de travail (10h)

Salaire (6h)= valeur d’échange de

la force de travail

= quantité de travail

nécessaire à la

production et à la

reproduction de la

force de travail

Plus-value (4h)

L’exploitation selon Marx

Surtravail

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Page 35: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (12)

Le travail comme réalité historique

Le travail aliéné, tel qu’il est décrit par Marx, est une

forme historique du travail, propre aux sociétés

modernes, mais il n’est pas « la » vérité du travail.

Il faut donc distinguer le travail comme catégorie

anthropologique, élément invariant qui définit la

condition humaine, et les formes historiques qu’il

peut prendre.

Le travail évolue selon le type de société à laquelle

on appartient et selon l’état du développement

technique.

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Page 36: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (13)

La critique de Hannah Arendt

Marx est victime d’une confusion conceptuelle. Il

faut distinguer le travail (labor) et l’œuvre (work).

• Si l’homme travaille, c’est parce qu’il est en vie.Subordonné à la satisfaction des besoins, le travaildésigne donc une activité répétitive, dont le produitéphémère est aussitôt consommé : « la marque de touttravail, c’est de ne rien laisser derrière soi ». En cesens, le travail n’est pas le propre de l’homme. Arendtrejoint, sur ce point, les Grecs.

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Page 37: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+2. Le travail libérateur (14)

• Au travail dont la finalité est exclusivement naturelle

s’oppose l’œuvre qui a une dimension culturelle : « elle

fournit un monde “artificiel” d’objets, nettement différent de

tout milieu naturel ».

L’homme ne se contente pas de produire des biens

éphémères à consommer : il produit aussi des biens dont la

vocation est de durer. Si les animaux « travaillent », seul

l’homme « œuvre » ; il produit alors un monde à son image,

un monde humain.

Le reproche que Arendt adresse à Marx (comme à Hegel),

c’est d’attribuer au travail des vertus qui sont le propre de

l’œuvre.

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Page 38: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (1)

→ Transition. Le travail n’est pas seulement une

nécessité vitale ou une contrainte imposée par la

société : c’est une obligation de l’homme. Celui-ci

doit travailler pour développer ses facultés, se

réaliser.

Il n’en reste pas moins vrai que la réalité du travail,

dans la majorité des cas, ne contribue pas à

l’épanouissement des individus. Le travail peut être

aliénant. Si c’est le cas, pourquoi continuons-nous à

valoriser, voire à glorifier le travail ?

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Page 39: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (2)

a) Le travail comme police

Cf. Nietzsche, Aurore, III, §173.

La glorification du travail, loin d’être innocente, a une

finalité politique. Le travail est valorisé, non pas pour

l’épanouissement qu’il procure à l’individu, mais pour la

sécurité qu’il apporte à la société.

Le travail, en particulier lorsqu’il est aliénant, est « la

meilleure des polices », précisément parce qu’il rend la

police inutile.

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Page 40: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (3)

Tant que les individus travaillent, ils n’ont ni le temps ni

l’énergie de réfléchir. Spontanément, ils obéissent. Ils

n’ont même pas l’idée de se révolter. Le travail apparaît

comme une forme de contrôle social d’autant plus

efficace qu’il agit de manière insidieuse.

Les individus croient, en travaillant, veiller à leur propre

intérêt. En fait, sans le savoir, ils se nuisent à eux-

mêmes. En travaillant, ils assurent, certes, leur survie,

mais, leur individualité s’appauvrit. Leur seul objectif

étant le salaire, semblables les uns aux autres, ils restent

dans le rang.

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Page 41: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (4)

b) Pour une société du loisir

Cf. Russell, Eloge de l’oisiveté (1932)

Double thèse :

1) On peut réduire le temps de travail, grâce au progrès

technique.

2) On a tort de valoriser le travail. Il faut reconsidérer le

loisir. Celui-ci est bénéfique non seulement pour

l’individu (il est nécessaire pour mener une vie

heureuse) mais aussi pour la société (il contribue au

développement de la civilisation).

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Page 42: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (5)

• L’origine du dogme du travail

Au cours de l’histoire, il y a toujours eu une minorité qui

ne travaillait pas et qui faisait travailler les autres. Elle a

eu d’abord recours à la force pour se faire obéir.

Mais l’usage de la force a des limites. 1) Tout rapport

de force est précaire : celui qui domine peut, à chaque

instant, se faire renverser. 2) Il faut sans cesse

surveiller l’autre. La force est non seulement inefficace,

mais aussi coûteuse. Elle contraint, mais elle n’oblige

pas.

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Page 43: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (6)

Il faut trouver une autre

solution. Il faut faire en sorte

que les individus fassent par

eux-mêmes ce qu’on veut

qu’ils fassent. Pour cela, il

suffit de les convaincre que

le travail est un devoir.

L’éthique du travail est donc

une ruse : au lieu de

contraindre les corps, on

manipule les esprits.

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Page 44: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+3. La fin du travail ? (7)

• Les conséquences absurdes du dogme

Il faut prendre acte du gain de productivité permis par le

progrès technique, et en profiter pour réduire le temps de

travail. On pourrait ainsi « démocratiser » le loisir !

Si nous n’avons réduit le temps de travail, alors qu’il aurait

été rationnel de le faire, c’est parce que, selon Russell, nous

sommes prisonniers du dogme du travail.

Les conséquences sont absurdes : certains continuent à

s’épuiser au travail, tandis que d’autres sont au chômage et

sont menacés par la pauvreté.

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Page 45: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+ATTENTION DANGER

TRAVAIL (2003)

Un film de Pierre Carles

Christophe Coello et

Stéphane Goxe.

Page 46: Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

+Suggestions de lecture (pour aller

plus loin)

Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de

disparition, Flammarion, « Champs », 1995.

André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison

économique, Gallimard, « Folio essais », 2004 (1988).

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