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Le critère d’une société juste est-il l’égalité ?

Le critère d'une société juste est-il l'égalité? (G.Gay-Para)

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Le critère d’une

société juste est-il

l’égalité ?

INTRODUCTION (1)

L’exigence de justice est, à première

vue, une exigence d’égalité.

Or, il peut exister différentes inégalités

entre les hommes :

1) des inégalités naturelles ;

2) des inégalités juridiques ;

3)des inégalités économiques et sociales.

→ Au nom de la justice, quel type

d’égalité faut-il promouvoir ?

GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

INTRODUCTION (2)

De prime abord, il faut privilégier l’égalité

juridique.

Une société est juste si les hommes ont

les mêmes droits, et sont égaux devant

la loi.

Faut-il aller plus loin et égaliser aussi les

ressources matérielles des individus ? La

lutte contre les inégalités économiques

est davantage problématique.

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INTRODUCTION (3)

Paradoxe : une société juste pourrait

s’accommoder de certaines inégalités.

1) Certaines inégalités sont justes : il est juste

de donner davantage à celui qui

travaille et a des compétences, car il le

« mérite ».

2) Les inégalités sont aussi utiles, car elles

incitent les individus à travailler

davantage.

3) Pour lutter contre les inégalités, il faudrait

instaurer des lois, ce qui nuit à la liberté.

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INTRODUCTION (4)

D’un autre côté, admettre des inégalités

matérielles trop grandes soulève des

difficultés dont il faut prendre la mesure.

1) Comment déterminer le mérite individuel

?

2) Des inégalités économiques et sociales

excessives ne sont-elles pas une menace

pour la liberté ?

3) Le lien social serait aussi, à long terme,

fragilisé. On pourrait assister à un retour

de la violence.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(1)

a) Le problème de l’égalité parfaite

Cf. David Hume, Enquête sur les

principes de la morale.

Non seulement on ne peut pas instaurer une

égalité parfaite entre les hommes, mais, si on

tentait de le faire, cela aurait des

conséquences négatives, à la fois d’un point

de vue économique et d’un point de vue

politique. Hume avance quatre arguments.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(2)

L’égalité parfaite est impossible.

Les hommes sont naturellement inégaux, du

fait de leurs qualités personnelles différentes :

ils n’ont pas les mêmes compétences, ni le

même goût pour le travail.

À supposer qu’ils aient les mêmes

possessions initialement, des inégalités

apparaîtront nécessairement au cours du

temps.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(3)

L’égalité parfaite est contreproductive.

L’égalitarisme conduit, malgré lui, non pas à

éradiquer la pauvreté, mais à la propager,

ce qui est paradoxal. L’égalité parfaite, si

elle existait, créerait un nivellement vers le

bas. On aurait une société homogène qui

ne travaille pas, qui ne crée aucune

richesse, et donc n’évolue pas. Les

ressources globales ayant diminué, la

pauvreté se généralise.

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Liberté sans égalité Egalité sans liberté

1.Les dangers de

l’égalitarisme(4)

L’égalité parfaite est une menace pour

la liberté.

Si l’égalité parfaite existait, elle supposerait

un contrôle permanent des individus, pour

éliminer la moindre inégalité entre eux. Il

faudrait donc instituer un pouvoir fort,

autoritaire, capable de contrôler les

individus dans leurs moindres faits et gestes,

pour les soumettre à une norme identique

pour tous.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(5)

La recherche de l’égalité parfaite

aboutit à une contradiction.

Hume remarque enfin qu’un tel pouvoir

serait, non seulement ruineux pour les libertés

individuelles, mais contradictoire, car il

créerait, au nom de l’égalité, une inégalité

majeure entre les citoyens. Il faut, en effet,

que certains aient le pouvoir de contrôler les

autres.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(6)

b) Objections

Egalité et identité

Hume tend à confondre égalité et

identité. Il critique, à juste titre, une

éventuelle homogénéisation de la

société, où toutes les différences

individuelles seraient supprimées. Mais

c’est une position extrême que personne

ne défend.

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1.Les dangers de

l’égalitarisme(7)

Le danger des inégalités excessives

Hume ne prend pas en compte le fait

que des inégalités excessives entre les

citoyens sont aussi néfastes pour la

liberté. On pourrait dire que, si trop

d’égalité nuit à la liberté, inversement,

trop d’inégalité est aussi néfaste, et

aboutit au même résultat, à savoir à la

domination de certains individus sur les

autres.

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2. Les limites du

libéralisme(1)

a) Il n’y a pas de liberté sans égalité

Cf. Rousseau, Du contrat social, II, XI.

• Rousseau répond à Hume : il ne s’agit

pas d’instaurer une « égalité parfaite »

qui uniformiserait la société, mais de

limiter par les lois, autant que possible, les

inégalités, car sans une certaine égalité,

« la liberté ne peut subsister ». De quelle

égalité s’agit-il ?

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2. Les limites du

libéralisme(2)

→ L’égalité à promouvoir est d’abord

juridique et politique. Pour Rousseau,

comme pour les démocrates athéniens,

égalité et liberté sont inséparables.

• Mais il ne faut pas non plus négliger les

conditions matérielles. Si un individu n’a

rien, comment pourrait-il être libre ? Il a

beau avoir les mêmes droits que les

autres : il devra « se vendre » pour

survivre.

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2. Les limites du

libéralisme(3)

• Sans indépendance matérielle, l’égalité

juridique est illusoire. Pour Rousseau, il ne

suffit pas de donner les mêmes droits à

tout le monde : il faut répartir les

ressources matérielles de telle sorte que

tout le monde ait au moins « quelque

chose ». Il s’agit, non pas d’uniformiser,

mais de rapprocher les « degrés

extrêmes » pour éviter une domination

des plus riches sur les plus pauvres.

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2. Les limites du

libéralisme(4)

• Si les inégalités se creusent, c’est la

souveraineté même du peuple qui

pourrait être menacée selon Rousseau :

« alors le gouvernement n’a plus de

force, et le riche est toujours le vrai

souverain » (Lettre à D’Alembert). Au-

delà de l’égalité juridique, c’est donc

l’égalité politique qui est mise à mal. Des

inégalités excessives conduisent à la

tyrannie.

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Indépendance

matérielle

Egalité

juridique

Egalité

politique

Liberté

Inégalités matérielles

excessives

Egalité juridique

Mais dépendance matérielle

= égalité illusoire

Domination politique =

tyrannie

2. Les limites du

libéralisme(5)

b) Le débat autour de l’État-Providence.

Problème : comment empêcher que les

inégalités économiques se creusent ?

Est-ce à l’État d’intervenir pour opérer

une redistribution des richesses ? Est-il

légitime de taxer les riches pour donner

aux pauvres ?

Deux camps principaux s’affrontent : les

sociaux-démocrates et les libéraux.

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2. Les limites du

libéralisme(6)

La position sociale-démocrate

• Il faut lutter contre les inégalités parce que

la plupart sont injustes. Le sort des individus

n’est pas déterminé seulement par leur

travail ou par leur mérite, mais avant tout

par leur naissance : il y a un déterminisme

social.

Dans cette perspective, on peut vouloir soit

égaliser les fortunes, soit, au moins, égaliser

les chances de réussite des individus.

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2. Les limites du

libéralisme(7)

• Les inégalités seraient justes si elles étaient

le résultat d’une concurrence loyale. Or, le

hasard social fait que certains partent avec

des avantages indus. Il faut donc neutraliser

l’impact de l’origine sociale : à talents

équivalents, les individus doivent pouvoir

atteindre des positions équivalentes.

• L’égalité des chances rend la société non

seulement plus juste, mais aussi plus efficace.

Elle permet de placer aux postes les plus

importants les hommes les plus compétents.

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2. Les limites du

libéralisme(8)

Les objections libérales

• La redistribution est illégitime, car certaines

inégalités sont justes : elles s’expliquent par les

compétences des individus, leur travail ouencore leur mérite. L’État-Providence risque de

taxer et donc de pénaliser ceux qui travaillent, et

d’encourager les autres à vivre dans l’assistanat.

• La redistribution est inefficace : à trop taxer, on

décourage les travailleurs ; à long terme, on

réduit la taille du gâteau à partager, et les pluspauvres perdent.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (1)

a) Le projet de John Rawls

• Rawls a pour ambition d’établir « les

principes de justice » à partir desquels

on pourrait fonder une société juste.

• Il s’oppose à la fois au libéralisme (de

droite) et à l’égalitarisme (de gauche). Les

uns, privilégiant la liberté à l’égalité,

acceptent de sacrifier les pauvres. Les

autres, au nom de l’égalité, veulent

sacrifier les riches.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (2)

→ Pour Rawls, une société juste ne

sacrifie personne. Fidèle à Kant, Rawls

refuse l’utilitarisme :

• Tous les êtres humains sont des personnes

dignes de respect.

• Il faut traiter chaque personne comme

une fin, et non comme moyen.

Dans sa recherche des principes de justice,

Rawls a donc un présupposé : l’égalité

morale de tous.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (3)

b) La méthode : « la position originelle »

• Problème : les hommes divergent sur la

nature du juste et de l’injuste, car ils sont

toujours partiaux. Pour découvrir les

« principes de justice », il faudrait faire

abstraction des intérêts personnels des

uns et des autres. Mais comment ? Rawls

a une solution ! Reprenant la tradition du

contrat social, il a recours à une fiction

théorique : la « position originelle ».

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (4)

• La position originelle se définit par

différents éléments :

1. Les individus sont placés derrière un

« voile d’ignorance ».

2. Puisque les individus sont égaux dans

l’ignorance, et face à l’incertitude, la

situation est « équitable » (fair).

3. Les principes choisis par les individus,

dans une telle situation, seront donc

justes.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (5)

• Puisque la situation initiale est équitable,

chaque individu étant rationnel, et à égalité

avec les autres, les principes qui en

découlent seront nécessairement

impartiaux, et donc justes. La justice est

donc le résultat d’une procédure.

• Rawls fait une hypothèse : les individus,

définis seulement par la rationalité et la

recherche de leur intérêt personnel,

peuvent, après délibération, tomber

d’accord sur des « principes de justice ».

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (6)

• Selon Rawls, des individus rationnels, face à

l’incertitude, adopteraient finalement la

même stratégie : celle du « MAXIMIN ».

Comme son nom le suggère, elle consiste à

maximiser ce qu’on obtient dans la position

minimale, c’est-à-dire la plus défavorable.

• Les « principes de justice » établis dans la

« position originelle » veilleront donc à ce

que les individus frappés par la malchance

puissent néanmoins trouver leur situation

acceptable.

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Hasard social

Loterie génétique

VOILE D’IGNORANCE

Caractéristiques individuelles

INDIVIDUS EGOÏSTES ET RATIONNELS

Délibération collective

Accord unanime sur les deux

« principes de justice » qui devront

fonder et organiser « la structure de

base » de la société. Deux objectifs :

LA « POSITION

ORIGINELLE »

SELON RAWLS

Attribuer les droits et les

devoirs

Principe d’égale liberté

Distribuer les ressources

matérielles Principe d’égalité des

chances

+ Principe de différence

3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (7)

c) Le résultat de la délibération : « lesdeux principes de justice »

Le principe d’égale liberté

Une société juste est une société libre, où

chaque individu bénéficie des mêmes

droits fondamentaux, et peut mener sa

vie, comme il le souhaite, dans les limites

imposées par les lois. L’État n’a pas à

imposer une conception du bien. Il faut

respecter le pluralisme des valeurs.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (8)

Le second principe

Si tous les individus doivent être égaux

du point de vue du droit, et jouir des

mêmes libertés de base, ils ne doivent

pas pour autant bénéficier des mêmes

ressources matérielles. Selon Rawls, on

peut accepter certaines inégalités

économiques et sociales. Mais il faut

remplir deux conditions.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (9)

1. Le principe de l’égalité des chances

• Rawls est d’accord avec les sociaux-

démocrates. L’État doit autant que possible

neutraliser l’impact de l’origine sociale, en

donnant à chaque individu les chances de

réussir.

• Mais cela ne suffit pourtant pas : les

avantages naturels sont aussi injustes que lesavantages sociaux , car ils relèvent du pur

hasard.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (10)

• L’égalité des chances tendrait à remplacer

les hiérarchies sociales par les hiérarchies

naturelles. Si la société est plus efficace, elle

n’est pas pour autant plus juste, selon Rawls.

• Rawls critique l’idée de mérite, et refusetoute méritocratie. Non seulement l’individu,

pour développer ses talents, a besoin de

circonstances favorables, mais il ne travaille

jamais seul : les autres interviennent. Or on

ne peut pas mesurer avec précision la

contribution de chacun.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (11)

2. Le principe de différence

• Les inégalités ne sont justes que si elles

profitent à tous. En particulier, elles doivent

améliorer la situation des plus défavorisés.

• Rawls se soucie moins des causes que des

effets des inégalités. On peut donnerdavantage à ceux qui ont des talents

particuliers, non pas parce qu’ils le méritent,

mais parce que leur activité bénéficie à

tous, et permet à chacun de mener une vie

décente.

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3. Concilier égalité et liberté.

La justice comme équité (12)

• Selon Rawls, l’égalisation des chances, et

des ressources matérielles n’est pourtant pas

la priorité. Les « principes de justice » sont

organisés selon un ordre hiérarchique. Le

principe d’égale liberté est prioritaire par

rapport au second principe.

• Au nom de la justice sociale, on ne peut pas

violer les libertés de base. En ce sens, Rawls

prend ses distances par rapport à toute

dérive égalitariste .

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Conclusion (1)

• Si la notion d’égalité est problématique,

c’est parce qu’elle est ambiguë. Elle

peut se décliner à différents niveaux :

1) au niveau moral (égalité des personnes)

2) au niveau juridique (égalité devant la loi)

3) au niveau politique (égalité dans l’exercice du

pouvoir)

4) au niveau économique et social (égalité des

chances, égalité des ressources matérielles).

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Conclusion (2)

• On peut débattre pour savoir ce qu’il

faut égaliser, et jusqu’où il faut aller dans

l’égalisation. Une « égalité parfaite »

n’est, en tout cas, ni possible ni

souhaitable. Il n’en reste pas moins

qu’une société qui comporte de fortes

inégalités est précaire, d’autant plus si

celles-ci sont perçues comme injustes. Le

sentiment de justice est le véritable

ciment de la société.

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Bibliographie (pour aller plus

loin)

Will Kymlicka, Théories de la justice : Une

introduction (1990), La découverte, 2003.

Jean-Fabien Spitz, Pourquoi lutter contre

les inégalités ?, Bayard, 2010.

Patrick Savidan, Repenser l’égalité des

chances, Hachette Littératures, 2010.

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