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La conscience d’être libre est-elle illusoire ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015

La conscience d’être libre est-elle illusoire? (G.Gay-Para)

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Cours de terminale de philosophie sur la liberté, et, en particulier, la question du libre arbitre. http://ggpphilo.wordpress.com

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La conscience d’être libre est-elle illusoire ?

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INTRODUCTION (1)

• Liberté d’agir et liberté de choisir

1. Je suis libre si et seulement si je peux faire ce que je veux.

→ Tout ce qui m’empêche d’agir réduit ma liberté : je ne dois pas rencontrer d’obstacles ou d’entraves.

→ Je ne dois pas être soumis à la volonté d’une autre personne. La liberté est donc une notion négative : elle désigne l’absence de contraintes extérieures.

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INTRODUCTION (2)

2. Je suis libre si et seulement si j’ai une volonté libre. La liberté extérieure ne suffit pas. Je peux faire ce que je veux, et pourtant ne pas être libre. Je suis libre si je suis capable de choisir par moi-même d’accomplir telle action plutôt que telle autre. Cette liberté intérieure se nomme « libre arbitre ».

Une telle liberté suppose :

a) Que le sujet soit à l’origine de sa décision : il doit s’autodéterminer ;

b) Que son choix soit contingent : le sujet aurait pu, s’il avait voulu, choisir autre chose.

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INTRODUCTION (3)•Problématisation

La liberté extérieure est souvent contestée : nous sommes sensibles aux contraintes extérieures (comme la loi juridique) qui nous empêchent de faire ce que nous voulons.

La liberté intérieure, en revanche, est moins contestée. Elle semble être acquise. Elle relève d’un sentiment immédiat que nous partageons tous. Nous sentons que nous sommes libres, parce que nous sommes, à première vue, maîtres de notre volonté.

Or, suffit-il de se sentir libre pour l’être effectivement ? Pouvons-nous nous fier aux données de notre conscience ?

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INTRODUCTION (4)• Les enjeux

Le libre arbitre soulève un problème métaphysique, dont les enjeux sont considérables. Ils concernent :

1. La différence entre l’homme et l’animal

Cf. Rousseau : « La nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté. » (Second discours, Première partie).

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INTRODUCTION (5)2. La morale et le droit

L’existence des lois morales et juridiques présuppose que l’homme a un libre arbitre. Si ce n’était pas le cas, on ne pourrait pas le tenir pour responsable de ses actes, ni le juger.

Cf. Nietzsche : « Nous n’accusons pas la nature d’immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe : pourquoi disons-nous donc immoral l’homme qui a fait quelque chose de mal ? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. » (Humain, trop humain, I, §102).

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (1)

a) Le témoignage de la conscience

Cf. Henri Bergson, Leçons clermontoises.

L’action humaine se décompose en trois étapes :

1. La délibération : moment de réflexion (moyens/fins, motifs) ;

2. La décision : fin de la réflexion, choix du projet, et déclenchement de l’action ;

3. L’exécution ou l’accomplissement du projet.

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (2)

Constat de Bergson : nous sentons que nous sommes libres, avant d’agir, mais aussi après avoir agi.

1. Avant l’action : nous délibérons et décidons librement. Nous pourrions ne pas agir, nous pourrions agir autrement.

2. Après l’action : nous éprouvons des sentiments comme des regrets ou des remords. Nous savons que, si nous avions voulu, nous aurions pu agir autrement.

→ « Donc, un fait est indiscutable, c’est que notre conscience témoigne de notre liberté ».

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (3)

Bergson retrouve une idée de Descartes : « La liberté de la volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons ». • Pour Descartes, l’existence du libre arbitre est une évidence. Il est donc impossible d’en douter.• Descartes suppose que les données de la conscience sont fiables : je suis ce que j’ai conscience d’être ; si j’ai conscience d’être libre, c’est que je suis libre.Or, est-ce si simple ?

→ La conscience « témoigne », mais ne prouve rien.

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (4)

b) Les preuves de la liberté

Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique.

• La preuve a posteriori

« L’homme est libre ; sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions, récompenses et châtiments seraient vains ».

Cette preuve fait intervenir un raisonnement par l’absurde.

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (5)

Raisonnement par l’absurde

Soit une proposition quelconque : p. 1. Je veux prouver p, mais je n’y arrive pas

directement. Je fais  donc l’hypothèse de la proposition contraire : non p.

2. Si non p est vraie, alors il s’ensuit une contradiction ou une absurdité. Donc, non p est fausse.

3. Or, si non p est fausse, alors p est vraie.

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (6)

→ Supposons que l’homme ne soit pas libre. Quelles seraient les conséquences d’un point de vue pratique ? Certaines actions de la vie quotidienne deviennent impossibles ou perdent leur sens : conseiller, encourager, ordonner, interdire, etc.

→ Nous agissons toujours comme si nous étions libres. On peut faire remarquer « au philosophe qui prétend douter de l’acte libre que son doute n’est pas entièrement convaincant puisqu’en réalité il ne renonce nullement à faire comme si les gens autour de lui pouvaient agir d’eux-mêmes. Par exemple, il leur parle pour leur demander des services » (Vincent Descombes, Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, 2004, p.18).

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (7)• La preuve a priori

Exemples Types d’être

Types d’action

« La pierre » Être matérielAction « sans jugement ».Mouvement nécessaire, conformément aux lois de la nature.

« La brebis » Être vivantAction d’après un jugement « non libre », car déterminé par « l’instinct naturel ». → Action nécessaire.

« L’homme » Être doué de raison

Action d’après un jugement « libre », car déterminé par la raison, laquelle « peut faire des choix opposés ». → Action contingente.

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1. Les arguments en faveur du libre arbitre (8)

«Par conséquent, il est nécessaire que l’homme soit doué du libre arbitre, du fait même qu’il est doué de raison ».

• Thomas d’Aquin procède ici à une déduction : si on admet que l’homme a une raison, alors on doit aussi admettre qu’il a un libre arbitre. • Contrairement à l’animal, l’homme peut, dans une situation donnée, accomplir des actions différentes : tout dépend de son jugement, de sa manière de considérer ou d’examiner la situation (« acte de synthèse »). Le jugement étant libre, l’action qui en découle l’est aussi.

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (1)

a) L’illusion du libre arbitre

Cf. Spinoza, Lettre à Schuler.

Rejet des deux arguments précédents :

1) L’argument de la conscience (Descartes)

2) L’argument relatif au statut particulier de l’homme (Thomas d’Aquin)

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (2)

1) La conscience d’être libre est illusoire :

« Les hommes se trompent en ce qu’ils se pensent libres, opinion qui consiste seulement en ceci, qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes qui les déterminent » (Ethique, II, proposition 35, scolie).

• J’ai conscience de ma volonté, et non des causes qui agissent sur celle-ci et qui la déterminent.

• Ma volonté, loin d’être une cause première, n’est que l’effet de certaines causes antécédentes dont je n’ai pas conscience.

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Volonté Action

CONSCIENCE

Raisons d’agir (motifs

)

Contraintes extérieures (obstacles,

lois)

Le corps (Spinoza)

La société (Marx)

L’inconscient (Freud)

Causes inconscientes

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (3)

2) L’homme n’a pas de statut privilégié : comme la pierre, comme l’animal, il est soumis aux lois de la nature. Il n’y a pas d’exception humaine.

Les partisans du libre arbitre ont le tort de concevoir l’homme « comme un empire dans un empire », et de croire qu’il « perturbe l’ordre de la nature plutôt qu’il ne le suit » (Ethique, III, préface).

→ Spinoza est déterministe : le monde est intégralement régi par le principe de causalité.

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L’homme ou le règne de la libertéLa nature ou le règne de la nécessité

L’homme n’est pas « comme un empire dans un empire »

Selon Spinoza, l’homme n’est pas un « empire » à part, à l’intérieur du plus grand « empire » que serait la nature. Comme toute chose, il fait partie de celle-ci, et obéit donc à ses lois. Il n’y a donc qu’un seul règne : le règne de la nature, c’est-à-dire, celui de la nécessité.

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (4)

b) La liberté comme libre nécessité

• Spinoza dénonce l’illusion du libre arbitre. Mais, il conserve l’idée d’une liberté de l’homme :

1. Paradoxalement, on peut concilier déterminisme et liberté ;

2. Pour cela, il faut redéfinir le mot « liberté ». → Spinoza propose une nouvelle définition de la liberté :

« Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité ».

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (5)

• Il faut distinguer déterminisme et fatalisme.

Cf. Alain : « L’idée fataliste c’est que ce qui est écrit ou prédit se réalisera quelles que soient les causes (…). Au lieu que, selon le déterminisme, le plus petit changement écarte de grands malheurs, ce qui fait qu’un malheur bien clairement prédit n’arriverait point » (Éléments de philosophie).

→ Selon le fatalisme, on ne peut pas agir, car, quoi qu’on fasse, ce qui doit arriver arrivera. → Selon le déterminisme, tout ce qui a lieu n’est qu’un enchaînement nécessaire de causes et d’effets, mais il n’y a pas de fin inéluctable.

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (6)

• Il faut redéfinir l’idée de liberté :

« Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée ».

Paradoxe : une action peut être nécessaire et pourtant libre !

Liberté = Nécessité

Liberté ≠ Contrainte

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (7)

• On peut devenir libre.

Cf. Ricoeur : « C’est la leçon de Spinoza : on se découvre d’abord esclave, on comprend son esclavage, on se retrouve libre dans la nécessité comprise » (De l’interprétation).

→ L’homme n’est pas d’emblée libre, mais il peut le devenir. Pour être libre, il faut, au préalable, se libérer.

→ Cette libération suppose un usage de la raison : l’homme doit prendre conscience des causes qui le déterminent, et donc apprendre à se connaître.

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2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme (8)

c) Objections

1) Non seulement Spinoza n’apporte aucune preuve en faveur du déterminisme, mais il commet une faute d’extension, en appliquant le principe de causalité, valide pour les phénomènes naturels, aux actions humaines.

→ C’est la critique de Bergson : les partisans du déterminisme comme Spinoza « ne font qu’étendre arbitrairement aux actions volontaires une loi vérifiée dans les cas où la volonté n’intervient pas » (« L’âme et le corps » in L’énergie spirituelle).

2) Nier le libre arbitre a des conséquences désastreuses pour la morale et le droit.

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Fritz LANG, M Le Maudit, 1931.Scène finale

1) L’argument de M : « Ce n’est pas ma faute ». M prétend agir par nécessité, soumis à une force intérieure.

2) La réponse du chef de la pègre : si M ne peut pas ne pas tuer, il est donc une menace pour l’ordre public. Il faut le tuer comme une bête fauve.

3) L’intervention de la défense : « Là où il y a contrainte, il n’y a plus libre arbitre. Là où il n’y a pas de responsabilité, aucune peine ne peut être prononcée ».

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Intermède : M le maudit de F. Lang. M est-il responsable ?

• Cette scène interroge le rapport entre conscience, liberté et responsabilité. Seul un être conscient et libre peut être tenu pour responsable de son action.

• Or, M prétend agir sous l’emprise d’une force intérieure qui le pousse à assassiner les jeunes filles. Il semble souffrir d’un dédoublement de la personnalité, et agir de manière inconsciente. Il n’est donc pas, à première vue, responsable.

• Mais, s’il n’est pas responsable, faut-il pour autant le considérer comme innocent ? Il faut distinguer la responsabilité et la culpabilité, car les deux notions ne se recoupent pas nécessairement. On peut être responsable et non coupable, et inversement, coupable mais non responsable.

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3. Liberté et morale (1)a) La liberté comme postulat de la raison

pratique

• Pour Kant, on ne peut pas trancher le débat entre libre arbitre et déterminisme. La raison théorique peut argumenter en faveur de l’un comme de l’autre : elle est face à une antinomie.

→ La liberté ne peut pas faire l’objet d’une connaissance ; on n’a aucune preuve suffisante (contre Descartes).

→ Mais il ne faut pas non plus admettre la thèse déterministe (contre Spinoza) : à défaut d’être prouvée, la liberté doit être postulée. Pourquoi ?

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3. Liberté et morale (2)• La liberté est la ratio essendi de la loi

morale.

L’action morale suppose, en effet, que le sujet puisse agir par pur respect pour la loi morale, sans être déterminé par ses inclinations sensibles. Si l’homme n’était pas libre, il ne pourrait pas agir moralement. → La liberté n’est rien d’autre que la condition de possibilité de la morale.→ Au nom de la morale, il faut donc admettre que l’homme est libre. La liberté est une exigence de la raison pratique.

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3. Liberté et morale (3)• La loi morale est la ratio cognoscendi de la

liberté.

Cf. Kant, Critique de la raison pratique, §6, scolie.

Nous n’avons aucune preuve de la liberté. Et pourtant, nous savons que nous sommes libres. Comment ?Il y a une expérience première, qu’on ne peut pas remettre en question : nous avons conscience de la loi morale.

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3. Liberté et morale (4)1. Nous avons conscience de notre devoir.2. Or, si nous devons accomplir notre devoir, c’est que

nous pouvons aussi le faire.3. Par conséquent, nous sommes libres.

« Tu dois, donc tu peux ».

→ L’expérience morale révèle à l’homme sa propre liberté : il reconnaît ainsi que, s’il veut, il peut toujours accomplir son devoir, indépendamment de ses inclinations sensibles.

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3. Liberté et morale (5)

b) Liberté et culpabilité : le libre arbitre comme fiction.

Cf. Nietzsche, Le crépuscule des idoles (« Les quatre grandes erreurs », §7).

Comme Kant, Nietzsche affirme la primauté du fait moral. Mais il en tire une autre conclusion :

• Le libre arbitre n’est pas un postulat de la raison pratique, mais une pure fiction.

• Il est l’œuvre de certains hommes – moralistes et théologiens – qui désirent punir et juger les autres.

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3. Liberté et morale (6)→ Le libre arbitre, comme les valeurs morales, a

été inventé par les « faibles », pour culpabiliser les « forts », et finalement, les affaiblir. Parce que tu es « libre », tu es responsable, et donc tu dois être puni pour tes « mauvaises » actions.

• Or, pour Nietzsche, il s’agit d’une interprétation contestable de la réalité : on prête à l’homme un pouvoir imaginaire – le libre arbitre – pour mieux le dresser.

• Nietzsche plaide en faveur de « l’innocence du devenir ».

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3. Liberté et morale (7)

c) L’homme est liberté. Déterminisme et mauvaise foi.

Cf. Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1945).

• Si on accepte l’idée selon laquelle Dieu n’existe pas, cela a deux conséquences :

1) Sur la question de la nature de l’homme : « l’homme est liberté »;

2) Sur la question de la morale : l’homme est « délaissé ».

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3. Liberté et morale (8)L’essentialisme L’existentialisme

L’essence précède l’existence

Sartre prend l’exemple du coupe-papier qui, avant d’être produit, a été conçu. On peut appliquer, par analogie, ce principe à l’homme : «Ainsi, le concept d’homme, dans l’esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l’esprit de l’industriel. » Si Dieu existe, l’homme aurait donc une essence ou une nature prédéfinie.

L’existence précède l’essence

Dieu n’existe pas. L’homme est un être indéterminé. « Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. »

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3. Liberté et morale (8)• La liberté ne relève pas de l’avoir, mais de

l’être. La liberté n’est pas une propriété que nous pouvons acquérir ou perdre. La liberté définit notre humanité. La liberté n’est pas « une qualité surajoutée » : elle est, dit Sartre, « très précisément l’étoffe de mon être » (L’être et le néant).

• Cette liberté est à la fois absolue et inaliénable. Quelle que soit la situation (même sous l’occupation allemande!), quels que soient les obstacles, je suis libre – libre de me choisir, et d’être telle personne ou telle autre (résistant, par exemple, ou collaborateur).

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3. Liberté et morale (9)• D’où le paradoxe : « l’homme est condamné à être

libre ». Il n’est pas libre d’être libre. La liberté apparaît comme un fardeau. Comment échapper à la liberté ?

• Pour Sartre, l’homme qui nie sa liberté est de mauvaise foi.

D’une part, il se trompe sur lui-même : il croit qu’il est déterminé à être ce qu’il est, parce qu’il a une nature ; il s’attribue le mode d’être des choses.

D’autre part, il cherche à échapper au sentiment d’angoisse qui accompagne l’expérience de la liberté. Il est donc lâche, et au lieu d’assumer ses actes, cherche des excuses.

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Dieu n’existe pas

Problème moral : le

« délaissement »

« L’existence précède l’essence »

« L’homme est condamné à être libre »

Angoisse et sentiment

de responsabili

La liberté est un

fardeau

Mauvaise foi

Le déterminisme comme excuse

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Conclusion (1)• Comment trancher ? On ne dispose d’aucune preuve

décisive en faveur d’un camp ou d’un autre. Le débat entre libre arbitre et déterminisme semble résulter de l’opposition indépassable entre deux fortes croyances : 1. La croyance au libre arbitre : croyance non seulement

immédiate et naturelle, mais aussi essentielle pour la vie en société, la morale et le droit.

2. La croyance au principe de causalité : croyance non moins essentielle, car la science en dépend. Expliquer un phénomène, c’est remonter de l’effet à sa cause.

• Chacun croit ce qu’il désire, en fonction de ses préoccupations. Soit l’homme est libre : on peut le juger, mais il faut renoncer à le connaître. Soit l’homme n’est pas libre : on peut le connaître, mais on ne peut plus le juger.

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Conclusion (2)• Mais la liberté, avant d’être un problème métaphysique, est un

problème politique. La liberté consiste d’abord à ne pas être soumis à la volonté d’autrui. On oppose ainsi l’homme libre et l’esclave. Historiquement, ce sens de la liberté est premier. Cf. Hannah Arendt, « Qu’est-ce que la liberté? » in La crise de la culture (1961) : « Avant de devenir un attribut de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde… »

• Problème : comment pouvons-nous vivre ensemble sans être soumis les uns aux autres ? Est-il possible de concilier les exigences de la vie collective (l’obéissance aux lois) et le respect des libertés individuelles ?

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Suggestions de lecture (pour aller plus loin)

• Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre (1841), Rivages poche, Petite Bibliothèque, 1992.

• Bertrand Russell, Science et religion (1935), Gallimard, Folio, 1971. En particulier, le chapitre IV : « Le déterminisme », p.107-125.

• Cyril Michon, Qu’est-ce que le libre arbitre ?, Vrin, Collection « Chemins philosophiques », 2011.

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