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GRAND PARIS DÉVELOPPEMENT #004 Automne 2012 Mise en Seine Les projets de développement le long du fleuve doivent en faire l’axe économique majeur qui offrira à la capitale sa façade maritime. 3:HIKSOJ=[UZ^U\:?a@a@a@o@k; M 08496 - 4 - F: 5,90 E - RD ENTRETIEN JACQUES ATTALI « Il faut repenser Paris à partir de la mer » ARCHITECTES PHILIPPE PANERAI Un autre regard VILLES AULNAY-SOUS-BOIS L’après-PSA CHANTIER LA DÉFENSE Renouveau ou redressement ? ENJEUX DÉCHETS Le 77 se rebiffe

Grand Paris Développement #4

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GRANDPARISDÉVELOPPEMENT #004

Automne 2012

Mise enSeineLes projets de développement le long du fleuve doivent en faire l’axe économique majeur qui offrira à la capitale sa façade maritime.

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ENJEUXDÉCHETS Le 77 se rebiffe

4 SOMMAIRE

ÉDITORIAL .............................................................................................................. 3

GRAND ENTRETIEN ......................................................................... 6JACQUES ATTALI« Le Grand Paris va jusqu’à la mer »

DÉCHETS ................................................................................................................ 10La Seine-et-Marne ne veut pas être « la poubelle » du Grand Paris

OPINION | FRANÇOIS BUTTET ............................ 12« Préparer le Grand Paris électrique »

REIMS ............................................................................................................................. 14Le réveil de la belle endormie

LE SERPENT DE MER .................................................................. 16L’Île Seguin

PORTFOLIO ..................................................................................................... 20Le périph est-il beau ?

DOSSIER | AXE SEINE ....................................................... 26La ligne de vie du Grand Paris

LA DÉFENSE .................................................................................................. 40Monte dans les tours

ART CONTEMPORAIN ........................................................... 46Le grand pari de la banlieue

AVANT / APRÈS .................................................................................... 48La Samaritaine

GOUVERNANCE .................................................................................... 50Paris Métropole avance démasqué

LOGEMENT ......................................................................................................... 51Bâtissez-vous Bimby ?

PHILIPPE PANERAI .................................................................... 54« Il est important de redonner de la qualité au territoire »

BILBAO ...................................................................................................................... 58De plain-pied dans le XXIe siècle

AULNAY-SOUS-BOIS ............................................................. 60Perspectives aériennes

MON GRAND PARIS ................................................................... 66Philippe Baudelocque

DOSSIER | AXE SEINE

À l’occasion du dernier acte de rencontres initiées en 2010 au Havre, nous revenons, au fil de l’eau, sur les enjeux, les acteurs et l’actualité de ce vaste projet qui entend faire de Paris une capitale maritime.

GRAND ENTRETIEN JACQUES ATTALI

Depuis plusieurs années déjà, il défend le principe d’un Grand Paris tourné vers son fleuve. Pour l’économiste, c’est même la dernière chance d’éviter le déclin.

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ART CONTEMPORAIN

Sur un marché conquis à l’avant-garde, la France perd du terrain. Et si c’était en banlieue parisienne que soufflait un vent nouveau ?En quête de notoriété et de visibilité, les acteurs de l’art se mobilisent auprès du grand public.

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LA DÉFENSE

Lancé en 2006, le plan de renouveau prévoyait la construction de 850 000 m2 de bureaux à l’horizon 2015. En plein chantier, le quartier d’affaires est aussi miné par les difficultés de son aménageur, l’Epadesa.

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Automne 2012

Mise en SeineLe fleuve nourrissier est dorénavant un axe économique majeur, donnant à la capitale une façade maritime : Le Havre.

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Paris à partir de la mer »

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VILLESAULNAY-SOUS-BOISL’après PSA

CHANTIERLA DÉFENSERenouveau ou redressement ?

ENJEUXDÉCHÊTS Le 77 se rebiffe

DOSSIER26

Axe SeineLA LIGNE DE VIEDU GRAND PARIS

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Axe SeineLe 22 novembre se tiendra le troisième acte d’« Axe Seine », série de colloques initiés en 2010 pour promouvoir l’idée d’un Grand Paris maritime. Après Le Havre et Rouen, c’est Paris qui accueillera décideurs politiques et économiques. Mais au-delà de ce rassemblement annuel, c’est toute une batterie de projets, de bonnes intentions et d’organisations qui se mettent en place.

L’architecte urbaniste Antoine Grumbach avait déjà fait de l’axe Seine le fil rouge de sa réponse à la consultation internationale de 2008. Nicolas Sarkozy l’avait promu lors d’un discours au Havre en 2009. Accompagné d’experts, Jacques Attali avait égrené 50 propositions sur le sujet en 2010 (lire aussi le « Grand entretien », pp. 6-9). Plus près de nous, l’ancien maire du Havre Antoine Rufenacht a remis au début de l’année un rapport au gouvernement sur le développement de la vallée de la Seine. Juste après que les trois ports du Havre, de Rouen et de Paris se sont constitués en un GIE baptisé Haropa. Enfin, cet automne, les CCI des trois régions concernées ont lancé leur marque, Paris Seine Normandie.

Mais si une certaine unanimité se fait jour, des ombres planent sur le devenir de ce méga-projet : un canal Seine Nord promis à l’abandon, le rapport Rufenacht laissé sans réponse et une nouvelle ligne ferroviaire Paris-Normandie en panne.

Partant du Havre pour rejoindre Paris en six étapes, nous revenons ici sur ses enjeux, ses acteurs et son actualité.

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« QUE SE PASSE-T-IL EN NOR-MANDIE ? » Pourtant, tout n’est pas si noir. Olaf Merk précise bien qu’un « accès direct à une grande capitale comme Paris est une vraie chance. Et c’est ce qui intéresse d’ailleurs les Asiatiques. » Le Havre, c’est aussi un port en eau profonde, en façade atlantique, et une situa-tion géostratégique idéale dans le

merciale », selon l’économiste de l’OCDE Olaf Merk. À l’inverse des grands ports du Nord, il n’a pas su non plus améliorer sa connexion avec l’hinterland (arrière-pays). Les ports du Nord se sont, eux, ai-dés des connexions ferroviaires, à l’image de Rotterdam et de sa ligne de chemin de fer dédiée au fret. Ils ont su aussi utiliser les !euves et les canaux pour transporter leurs marchandises jusqu’en A lle-magne ou en Suisse. Aujourd’hui, les ports hanséatiques disposent d’un hinterland parfois plus vaste que leur propre pays. Rotterdam est le plus grand port d’Allemagne, Anvers le plus grand port français et Hambourg le plus grand port d’Europe de l’Est. Le Havre, lui, dessert la Normandie et l’Île-de-France et peine à s’imposer ail-leurs. La faute peut-être au « tout camion ». Le Havre est champion en la matière, avec 80 % de mar-chandises transportées par la route. Évidemment, d’un point de vue économique et environ-nemental, les impacts ne sont pas les mêmes qu’avec l’utilisation du ferré ou du !uvial.

QUATREVINGTS POUR CENT des marchandises dans le monde sont transportées par la mer. De-puis vingt ans, les échanges inter-nationaux maritimes croissent de 10 % par an. Ce sont les ports qui organisent ce commerce. Aujourd’hui, les plus grands sont asiatiques, chinois pour la plupart : Shanghai, numéro un mondial, Tianjin, le port de Pékin, Singa-pour, Hong Kong… Certes, les clas-sements sont très variables, mais ce dont on est sûr, c’est que Rot-terdam est le plus grand port euro-péen et qu’il rivalise avec les ports asiatiques. On sait aussi qu’Anvers et Hambourg s’en sortent bien et Le Havre plutôt mal. Le plus grand port français sur le tra$c de conte-neur est 53e dans le monde, 10e en Europe. Un comble pour, comme le dit Jacques Attali (lire pp. 6-9), « un pays qui possède la deuxième surface maritime au monde. »

Autre chiffre éclairant : le rapport entre l’importance du port (en termes de conteneurs) et la taille de la ville. Shanghai : 1er port, 23 millions d’habitants ; Hong Kong : 3e, 7 millions ; Du-baï : 9e, 1,6 million ; Rotterdam : 10e, 600 000 ; Anvers : 14e, 500 000 ; Le Havre : 53e, 180 000. La réalité est cruelle pour le port normand : sa ville est petite, trop petite. Pour se développer, il doit s’adosser à une grande agglomération. Paris, pour ne pas la nommer.

Or, Le Havre a pris du retard. « Un manque de politique com-

LE HAVRE AU COMMENCEMENT DE LA VALLÉE DE LA SEINE

Point d’entrée du Grand Paris maritime, le port du Havre pourrait, en se développant, entraîner toute une chaîne vertueuse le long du fleuve.

Olivier Delahaye

« On en vient toujours à la Seine. Si elle n’existait pas, on se poserait la question de créer un canal entre Paris et la mer. »RÉMI DE BADTS | Responsable équipement chez Astrium

Du port du Havre, les marchandises prennent à 80 % la route. Cela pourrait être 90 % dans les années à venir. Or :

2 péniches = 5 trains = 250 camions

Et, avec 5 litres de carburant pour 1 tonne de marchandises, on couvre :

En camion : 100 km

En train : 300 km

En péniche : 500 km

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système ouest- européen formé par Londres, Paris et la Randstad.

Surtout, Le Havre est doréna-vant associé aux deux autres grands ports de l’axe Seine, Rouen et Paris, à travers le groupement d’intérêt économique Haropa. La consti-tution du GIE, actée au début de l’année, s’est réalisée à partir de plusieurs constats. « Avec un tra!c international 30 fois supérieur à ce qu’il était en 1950, les armateurs ont agrandi leurs navires et sont devenus très sélectifs quant aux ports qu’ils desservent. Ils exigent une logistique sans faille, des ser-vices de pointe et une desserte plus reculée à l’intérieur des terres », explique Philippe Deiss, président d’Haropa. Par ailleurs, les trois

ports sont particulièrement com-plémentaires : gros tonnages de pé-trole brut au Havre, céréales, vrac et pétrole ra"né à Rouen, matériaux et ravitaillement à Paris. Ensemble, ils revendiquent dorénavant la 4e place au classement des ports européens, pesant sur la scène in-ternationale grâce à la synergie de leurs forces commerciales. « Nous avons bâti des o#res par !lières sur l’ensemble de l’axe Seine, mettant en commun les dessertes multi-modales et les réseaux (fer, $euve et route). Là où nos clients avaient affaire à une multitude d’interlo-cuteurs, ils n’en ont plus qu’un qui produit et conçoit en prêt-à-porter l’ensemble de la chaîne logistique », poursuit Philippe Deiss. Une straté-

gie commune s’instaure. Exemple avec ce projet de grande distribu-tion pour les vêtements sur lesquels ré$échissaient les trois ports depuis plusieurs années et qui a abouti cette année à une o#re commune avec un débarquement au Havre, un traitement de la marchandise à Honfleur et une distribution urbaine à partir du port de Genne-villiers. Ce « 3 en 1 » fait des vagues jusque dans le nord de l’Europe, où Anvers et Hambourg voient Le Havre et son axe Seine d’un autre œil, se demandant même pour-quoi ils ne parviennent pas à faire ce que font les Français. Lors d’un colloque, Walter Schoch, directeur général d’Euroports France le disait en ces termes : « Haropa a bougé les lignes. J’ai reçu des coups de !ls de mes confrères européens qui me demandaient : “Mais que se passe-t-il en Normandie ?” »

UN CANAL ENTRE PARIS ET LA MER. Ce qui se passe en Norman-die, c’est aussi un vaste mouvement d’acteurs économiques en train de fabriquer « leur » vallée de la Seine. Une partie non négligeable des chambres de commerce et d’indus-trie (CCI) des trois régions (Île-de-France, Haute- et Basse-Norman-die) se regroupent depuis deux ans pour faire front commun. Elles se sont trouvé un nom, Paris Seine Normandie, tiennent colloque (le dernier en date a eu lieu le 25 sep-tembre à Versailles) et s’entourent de personnalités comme le com-missaire général pour le dévelop-pement de la vallée de la Seine et ancien maire du Havre Antoine Rufenacht ou l’architecte Antoine Grumbach. Ce dernier, qui a forgé son idée du Grand Paris sur l’axe Seine, concluait même le colloque du 25 septembre en imaginant les CCI « comme une structure de délégation d’aménagement du ter-ritoire. »

Paris Seine Normandie s’est dé!ni quatre !lières d’excellence : « énergie », « mobilité », « valorisa-

Vue sur le bassin de la Barre, le bassin de l’Eure et la centrale EDF du port du Havre.

4e port européen sur le trafic de conteneurs

1er ensemble portuaire français

Un trafic global de 126,9 millions de tonnes en 2010

40 000 emplois directs

25 millions de consommateurs, dans un rayon de 200 km

Le Havre : 63 % du trafic français de conteneurs

Rouen : 1er port céréalier européen

Paris : 1er port fluvial français

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un bassin économique et attractif rassemblant trois régions et treize départements, voire pour radicale-ment changer d’échelle. Car, pour Antoine Grumbach, l’espace-temps a remplacé l’espace-distance : « On n’en est plus simplement à considé-rer Paris, Le Havre et Caen, mais à articuler un ensemble européen. Le système fluvial va de Rotter-dam à Odessa, et quand je vois déjà toute la di!culté qu’il y a à sortir du Havre par le ferroviaire… » X

Normandie, « la véritable marque c’est Paris, souligne le directeur général d’Atout France, Christian Mantei. La destination Paris Seine Normandie n’existe pas. Il faudrait transformer le territoire en région-marque, ce qui est di!cile au sein d’une compétition touristique qui se mondialise : 750 territoires font aujourd’hui de la publicité dans le monde, contre 150 il y a une dizaine d’années ». Le chemin est donc encore long pour constituer

tion des déchets », « logistique et portuaire ». Emblématique, cette dernière représente 490 000 em-plois et 180 000 entreprises tout au long d’une vallée particulièrement industrieuse. Automobile, pétrole, aéronautique, cosmétique… 20 % de l’emploi industriel français se concentre autour de la Seine. À l’heure du redressement productif, le potentiel est fort, surtout si l’on y ajoute les 14 000 ha de réserves foncières pour des implantations industrielles et logistiques. « On en vient toujours à la Seine, no-tait Rémy de Badts, responsable équipement chez Astrium, lors du même colloque. En matière de logistique, notamment, on ne se rend pas compte à quel point elle est un atout. Si elle n’existait pas, on se poserait la question de créer un canal entre Paris et la mer. »

RÉGION-MARQUE. Résumer la Seine à un corridor logistique en viendrait néanmoins à prendre le risque d’un « pompage » de ses régions en aval par l’Île-de-France. Déjà, Olaf Merk notait dans son rapport « Compétitivité des villes portuaires » que « les emplois por-tuaires quali"és pro"taient à Paris aux dépens du Havre ou de Rouen ». Antoine Grumbach annonce qu’à la faveur du prolongement d’Éole jusqu’à Mantes-la-Jolie, « la Défense est en train de se retourner » et pourrait donc attirer de plus en plus de Normands dans son quartier d’a#aires. Pour le million d’entre-prises que revendique Paris Seine Normandie, l’attractivité des talents est déjà un enjeu qui doit passer par la création d’un véritable poumon économique. Pas seulement un axe, donc, mais un territoire cohérent et identi"able. Son aéronautique, par exemple, compte pas moins de 2 700 entreprises pour 120 000 emplois, et on le sait peu.

À l’international aussi, le manque de visibilité est criant. Dans cette industrie du tourisme que veut aussi exploiter Paris Seine

Quels furent les principaux enseignements de votre étude ?

D’abord, il faut préciser que nous avions mené notre enquête en 2011, avant que la réforme portuaire de la même année n’ait donné ses effets. À l’époque, il y avait plusieurs messages clés. Le premier concernait la perfor-mance des ports qui nous apparaissait para-doxale, avec d’un côté de grands atouts et de l’autre des parts de marché en déclin. Deuxième observation : les impacts des ports du Havre et de Rouen, notamment, étaient constatés en Île-de-France ou dans le reste de la France, mais pas en Normandie. Troisièmement, la politique portuaire concernait essentiellement les infrastructures, avec par exemple Port 2000 au Havre, mais pas ou peu l’approche com-merciale. Enfin, la question de la coordination régionale en était encore au stade embryon-naire. Notre rapport montrait bien que des synergies étaient possibles entre les trois ports, qu’il y avait des raisons de travailler ensemble.

Les choses ont-elles changé depuis ?Oui, sur plusieurs points. D’abord sur

cette question des synergies. On voit que les trois ports coopèrent plus aujourd’hui, ils ont d’ailleurs créé une organisation pour cela. Ensuite, la réforme portuaire a eu ses effets. On remarque, par exemple, que dans le secteur du conteneur, les chiffres sont en hausse, avec une croissance de 11 % entre juillet 2011

et juillet 2012. Ce n’est pas le cas à Anvers et Rotterdam, qui ont connu un léger déclin. Les choses bougent.

Quels sont les exemples dans le monde dont pourraient s’inspirer les ports de l’axe Seine ?

Quelques cas sont similaires concernant la distance entre le port et la métropole. On pourrait citer São Paulo et Santos ou Pékin et Tianjin. Cependant, le cas de l’axe Seine est as-sez unique dans la mesure où Le Havre est une petite ville comparée à Paris, alors que Santos et Tianjin sont des grandes villes. Le résultat c’est, par exemple, que les services maritimes avancés, comme la finance, la recherche portuaire ou le consulting, ne sont pas situés au Havre mais à Paris.

À qui profite finalement l’abandon pro-bable du canal Seine-Nord ?

Il y a cinq ans, on aurait pu répondre que ce canal était un avantage pour Anvers, mieux préparé que Le Havre et qui ne connaissait pas ses problèmes. Mais Le Havre s’améliore, avec de meilleures infrastructures, un fort potentiel et des conflits sociaux qui semblent résolus. Dès lors, le canal est aussi une opportunité pour Le Havre. Mais son devoir, aujourd’hui, est de reconquérir les parts de marché qu’il a perdues. Si ensuite il peut étendre son hinterland jusqu’à la Belgique, pourquoi pas. !

INTERVIEWOLAF MERK

Économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques. Auteur de l’étude « Compétitivité des villes portuaires. Le cas de l’Axe Seine »

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l’homme depuis des siècles est inopportun. Cela ne veut pas dire que nous défendons un dévelop-pement économique non respec-tueux de l’environnement. Simple-ment que l’outil Unesco n’est pas forcément le plus pertinent. »

Les acteurs économiques ob-jectent effectivement que le site des Boucles de la Seine fait déjà l’objet de multiples protections : Code de l’environnement, Natu-ra 2000, statut de réserve régio-nale… Ils ne veulent donc pas de contraintes supplémentaires. Ils ajoutent que l’autoroute fluviale Le Havre-Paris est une ossature majeure du Grand Paris et du Grenelle de l’environnement, qui prévoit un développement intensif du transport multimodal, singu-lièrement !uvial.

VERS UNE VOIE COLL ABO-RATIVE ? Du côté du PNR, la con"ance en la possibilité d’une entente demeure. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des Assises des !euves qui, sous l’égide du conseil général de Seine-Maritime, se sont tenues les 9 et 10 octobre à Rouen. « On peut faire de l’économie en respecta nt l’env iron nement. Pour preuve, la zone industrielle du Trait, en plein cœur du PNR. Le site, qui a mené ces dernières années des ré!exions et travaux pour être écocompatible (norme ISO 14001 notamment), est un des seuls de la région à avoir créé des emplois. Je suis donc toujours convaincu que cette inscription au patrimoine mondial pourrait être une chance, sous réserve que tout le monde s’entende sur un plan de gestion approprié », souligne Jean-Pierre Girod avant de conclure en citant Churchill : « Un pessimiste voit la di#culté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque di#culté. » Pour sa part, le comité de l’Unesco devrait rendre son verdict dans le courant de l’année 2014. !

« Tout d’abord, i l ne s’agit pas d’un classement, mais d’une inscription, précise d’emblée Jean-Pierre Girod, président du parc naturel des Boucles de la Seine normande. Cela implique des règles moins lourdes et nous oblige à une approche contrac-tuelle avec tous les usagers de la Seine : ports maritimes et !uviaux, pêcheurs, chasseurs, agriculteurs, industriels… »

Pour tant, ces derniers se montrent encore réticents, sinon hostiles.

« Nous sommes favorables à tout ce qui contribue à l’attrac-tivité et au développement tou-ristique, donc économique, du territoire, explique Jean-Pierre Desormeaux, président de la CCI de la région Normandie. Nous travaillons d’ailleurs à la création d’une marque “by Normandie” pour promouvoir la région. Cepen-dant, nous estimons que sanctua-riser un paysage qui évolue avec

LE DÉVELOPPEMENT écono-mique est-il compatible avec la préservation naturelle et culturelle d’un site considéré comme univer-sel ? La question, ces temps-ci, fait débat en Normandie.

La Seine-Maritime vient e$ec-tivement de demander l’inscription au patrimoine de l’Unesco de deux de ses sites emblématiques : la côte d’Albâtre (avec l’aiguille d’Étretat) et la vallée de la Seine, qui relie Le Havre à Rouen puis Paris.

Si le premier projet inspire des questions, notamment liées au parc d’éoliennes prévu sur le littoral, le deuxième s’annonce plus sensible encore. Il soulève de fortes craintes du côté des acteurs économiques régionaux, le port du Havre en tête.

LES ENJEUX D’UNE INSCRIP-TION AU PATRIMOINE MONDIAL. Principal argument : le poids des contraintes, notamment urbanis-tiques, que supposerait cette ins-cription sur un territoire où – les œuvres des impressionnistes en té-moignent – l’homme et le paysage ont toujours été en mouvement.

Car si le label Unesco est une locomotive indiscutable pour l’image et le tourisme local, il pour-rait, par les obligations adminis-tratives qu’il engendre, freiner la vitalité économique de la Haute-Normandie. Une région qui, plus que jamais, mise sur l’axe !uvial de la Seine pour se développer.

PNR UNESCO EN VALLÉE DE SEINE, LA QUADRATURE DES BOUCLES

La Seine-Maritime et son parc national régional souhaitent faire inscrire la vallée de la Seine au Patrimoine mondial de l’humanité. Les acteurs économiques craignent la sclérose d’un couloir fluvial stratégique pour l’activité du bassin, l’emploi local et le Grand Paris.

Carole Galland

« Cette inscription au patrimoine mondial implique une approche contractuelle avec tous les usagers de la Seine. »

JEAN-PIERRE GIROD Président du PNR des Boucles de Seine

Les boucles de la Seine à Barneville-sur-Seine.TH

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et Rouen) et plus largement avec ceux de la façade atlantique (Caen et Cherbourg). Agrégés, ceux-ci représenteraient le plus grand port français. Une aubaine pour le commerce extérieur. »

Sur la base de ces constats, Réseau Ferré de France (RFF), maître d’ouvrage de la ligne, a validé, en avril dernier, le lance-ment d’études préalables selon deux priorités : désengorger le nœud ferroviaire rouennais et doubler les voies dans le Mantois. « Aussi complète soit-elle, l’étoile ferroviaire de Rouen est saturée, développe Laurent Moreno. Pour accueillir plus de tra!c dans les années à venir, une nouvelle gare alliée à un nouveau franchisse-ment de la Seine est indispen-sable. Bâtie rive gauche (quartier

territoire doit être irrigué sans que les tarifs deviennent inabor-dables. » Côté parisien, cette ligne doit améliorer les relations entre Paris et la région du Mantois (78), un point saturé par la mixité des trafics franciliens, voyageurs et marchandises.

À l’heure où le prix des éner-gies fossiles s’enf lamme – et continuera de s’enf lammer –, proposer plus de trains, c’est aus-si permettre un recours moindre aux voitures et aux camions. L’environnement rejoint dès lors l’économique, puisque chacun s’accorde sur le fait qu’une nou-velle ligne facilitera et stimulera les relations des entreprises ou des établissements de recherche d’Île-de-France, de Haute- et de Basse-Normandie.

AU-DELÀ DU LOCAL, LE LEVIER D’UN ENJEU NATIONAL. « La LNPN n’est pas seulement une question de temps et de régula-rité. C’est une question de recon-quête industrielle, qui passe par l’intégration des ports normands dans la façade atlantique fran-çaise, explique Frédéric Sanchez, président de la communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (Crea). Dans cette optique, la liaison du fret ferro-viaire doit être considérablement améliorée entre Paris et les ports de la vallée de la Seine (Le Havre

Le projet de Ligne nouvelle Paris-Normandie commence douce-ment à se concrétiser. Dans les esprits d’abord, puisque les Nor-mands ont été associés aux débats publics organisés sur la question, notamment sur le tracé, d’octobre à février dernier.

L’occasion de s’accorder sur la première urgence : améliorer les conditions de déplacement – fréquence, confort, rapidité, régularité – des usagers des liai-sons Normandie-Paris et intra-Normandie. « La LNPN prévoit de créer des relations (Rouen-Évreux, Le Havre-Caen…) qui n’existent pas, et devrait diviser par deux certains temps de tra-jets actuels, comme Caen-Rouen. Au regard de notre relative proxi-mité avec Paris, nous n’attendons pas un copié-collé d’un modèle de TGV. Nous devons imaginer un système de mobilité à l’échelle du territoire », résume Laurent Moreno, directeur général de l’Agence d’urbanisme de Rouen et des boucles de Seine et Eure ( Aurbse). Le président de la Région Haute-Normandie, Alain Le Vern, confirme : « Au-delà du gain de temps, c’est la robustesse et la !a-bilité de la ligne qui est attendue sur les grandes agglomérations (Rouen, Le Havre, Caen, Évreux, Cherbourg), le littoral (Dieppe) et des villes plus modestes comme Vernon (27). L’ensemble de notre

ROUEN LNPN :GRANDES AMBITIONS, AVANCÉES MESURÉESLa Ligne nouvelle Paris-Normandie va obliger Rouen à se doter d’une seconde gare… si elle voit le bout. Car en période de rigueur budgétaire, la prudence commande une progression pas à pas. Y compris pour un projet annoncé comme structurant pour le Grand Paris.

Carole Galland

1 h 15 : temps de trajet « cible » visé par RFF entre Paris et Le Havre et entre Paris et Caen

45 minutes : temps de trajet entre Paris et Rouen

200 à 250 km/h : Vitesse de la future LNPN

210 à 220 km de voies ferrées selon les scénarios envisagés

11 Mds d’euros : coût estimatif (entre 6 et 6,5 pour la partie normande ; entre 4,4 et 5,4 pour la partie francilienne)

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Saint-Sever), elle pourra accueillir une o!re de transports plus vaste et plus performante, dans toutes ses dimensions spatiales : trans-ports urbains, périurbains, TER, liaisons nationales, voire interna-tionales, avec un accès aux aéro-ports et au réseau à grande vitesse européen. »

Tra"c de personnes bien sûr, mais aussi de marchandises, avec ici encore un enjeu écono-mique et environnemental en lien avec l’esprit du Grenelle et le Grand Paris. « Une liaison "able et cadencée reliant Rouen à la capitale en moins d’une heure est une occasion unique d’attirer de nouveaux centres de décision qui ne trouvent plus aujourd’hui la place nécessaire en Île-de-France, insiste Alain Le Vern.

C’est un atout pour le dévelop-pement économique normand et pour l’emploi. »

ET MAINTENANT ? Chacun s’ac-corde donc sur les multiples atouts du projet. Pourtant, de nombreux points restent à trancher et "nan-cer : enquêtes publiques, déclara-tions d’utilité publique, achat de foncier, matériel, vitesse, réalisa-tion… Le #ou demeure encore sur le "nancement global du projet.

Les élus se doutent d’ailleurs que la LNPN ne se réalisera pas en un jour. La priorité est d’abord de hiérarchiser les chantiers prio-ritaires et finançables à moyen terme. « Le gouvernement a hérité d’une situation financière alar-mante alors que des promesses ont été faites sur tout le terri-toire pour près de 250 milliards d’euros, regrette Alain Le Vern. Néanmoins, la nouvelle gare de Rouen (pour désengorger le nœud ferroviaire haut-normand) et le doublement des voies dans le Mantois (pour #uidi"er le tra-"c vers les deux Normandie et en Île-de-France) ont déjà fait l’objet d’études approfondies ces dix dernières années. Ces deux volets peuvent donc être lancés plus vite sans remettre en cause la réalisa-tion globale du projet. »

Depuis la rentrée, les collec-tivités ont ainsi décidé de faire entendre leur voix. « Nous travail-lons avec tous les élus normands et les forces vives pour défendre ce projet. Nous sommes en relation permanente avec les membres du gouvernement, notamment Valé-rie Fourneyron, Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve et les ser-vices de l’État pour faire avancer les choses. La Région joue un rôle majeur en portant le projet politi-

quement, en contribuant techni-quement aux réunions de travail, en étant force de proposition. J’ai personnellement rencontré dé-but septembre Frédéric Cuvillier, le ministre délégué chargé des Transports, pour évoquer ce dos-sier. En tout cas, la Région Haute-Normandie est prête ; elle a déjà f léché des financements sur la LNPN », conclut Alain Le Vern. !

Lors des débats publics de l’hiver dernier, RFF avait proposé trois scénarios de tracés pour la partie normande : A, B et C. Le scénario A permet une liaison Caen-Rouen en 45 minutes, demande 215 km de ligne nouvelle et la construction de deux gares à Louviers-Val-de-Reuil et Rouen. Coût : 6,5 milliards d’euros. Dans le scénario B, la liaison Caen-Rouen passe à 1 h 07, avec 210 km de ligne nouvelle, et trois gares au lieu de deux avec Évreux en plus. Coût : 6,3 milliards. Enfin, le scénario C offre une bonne liaison Caen-Le Havre, 200 km de ligne nouvelle et la construction de deux gares à Louviers et Rouen. Coût : 9,5 milliards. Très vite, ce dernier scénario a été abandonné, car trop onéreux et présentant de fortes contraintes d’un point de vue environnemental et technique. Les hypothèses A et B suscitant autant d’avis favorables, RFF s’est alors fendu d’un tracé de consensus, nommé AB. Avantages : une liaison Caen-Rouen en 50 minutes, la desserte d’Évreux similaire à celle du tracé B, un impact environnemental moindre et un coût réduit : 6 milliards d’euros. !

RFF CHERCHE SON TRACÉ

La gare de Rouen-Rive droite est à l’heure actuelle la seule gare desservant la ville de Rouen.

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ENCLAVEMENT ET FRANCI-LIENNE. Mais la pertinence du projet est remise en cause. En e!et, l’un des principaux atouts de ce port réside dans sa proximité immédiate avec le canal Seine Nord Europe, qui aurait dû relier en 2016 la Seine à Dunkerque, Zeebrugge, Anvers et Rotterdam. Or le 29 août, Yves Ga-briel, PDG de Bouygues Construc-tion, l’un des deux groupes en lice pour l’attribution du contrat, a"rme que l’opération est suspen-due. Le ministère des Transports con#rme que la réalisation de cet ouvrage de 4,3 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros de contri-butions publiques, va nécessiter plus de temps que prévu et de-mande un rapport sur la faisabilité du projet. De plus, une étude de la Chambre de commerce et d’indus-trie souligne que si l’ouverture du Canal peut constituer une opportu-nité, elle représente aussi un risque en mettant les ports du Havre et de Rouen en concurrence directe avec les ports belges et néerlandais, ré-putés plus concurrentiels et d’où proviennent déjà 50 à 60 % des mar-chandises entrant dans le Grand Paris. Sans la création de ce canal, le port d’Achères à la con$uence de la Seine et de l’Oise perdrait beau-coup de sa pertinence. En outre, son enclavement constitue un réel obstacle. L’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France le souligne crûment : « Vu l’état du réseau local, la seule solution consiste évidemment à prolonger l’A 104, que l’immense majorité des futurs riverains refusent. » Estimé à 2,5 milliards d’euros, ce prolonge-ment de 22 km de la Francilienne rencontre une farouche opposition depuis des dizaines d’années. Au-delà de ces problématiques, la ques-tion de sa complémentarité avec Gennevilliers reste posée. Alors, si Ports de Paris saisira certainement la Commission nationale du débat public en 2013, le port ouvrira-t-il comme prévu vers 2020 ? Di"cile de l’a"rmer. !

pas a été franchi en janvier 2012 avec la création d’Haropa, réu-nion des ports du Havre, de Rouen et de Paris, qui se situe au 4e rang pour l’Europe, avec 130 millions de tonnes de tra#cs maritimes et $uviaux, contre 400 pour Rotter-dam et 186 pour Anvers. Ces ton-nages devraient encore augmenter puisqu’au cours de la dernière dé-cennie le seul tra#c de conteneurs en Île-de-France a été multiplié par trois, passant de 129 000 en 1999 à plus de 440 000 en 2009. De plus, le potentiel de développement de-meure énorme puisque seulement 6 % des marchandises quittant le port du Havre empruntent la voie d’eau, contre 40 % à Anvers. A#n de répondre à cet accroissement, le terminal de Gennevilliers dou-blera sa capacité d’ici à 2015, pour atteindre 600 000 conteneurs par an. D’autre part, le site d’Achères pourrait en traiter 300 000 dès son ouverture.

A L A I N OU T R E M A N, ma i re d’Achères, rappelait en juin : « Cela fait plus de quinze ans que Ports de Paris prévoit d’implanter une plateforme portuaire dans notre plaine. » Destiné à devenir l’entrée fluviale de la métropole, ce port a été relancé par le Grenelle de l’environnement, qui veut porter la part du $uvial et du ferroviaire à 25 % d’ici à 2022 pour l’ensemble du territoire national. Depuis six mois, Antoine Grumbach est donc chargé de ré$échir à ce dossier qui en est aux études préparatoires. Fervent partisan de l’axe Seine, l’architecte cite souvent Napo-léon Bonaparte : « Paris, Rouen, Le Havre, une seule ville dont la Seine serait la grand’rue. » C’est pourquoi Ports de Paris veut réa-liser sur les communes d’Achères, Conflans-Sainte-Honorine, An-drésy et Saint-Germain-en-Laye un port multimodal ($euve, rail et route) de nouvelle génération.

BOOSTER LE CONTENEUR. Sur un périmètre d’étude de 420 ha, dont 25 à 30 % consacrés aux espaces verts, Ports de Paris voudrait y dé-velopper le tra#c de conteneurs, de granulats, de déchets, d’automo-biles et de logistique urbaine. Pour Antoine Grumbach, « l’eau, le fer et la route tressent, dans la vallée de la Seine, les bases d’un schéma cohérent de distribution en proie à une relative ine"cacité qui peut et doit être surmontée ». Un premier

ACHÈRESPORT SEINE MÉTROPOLE

En mars 2012, Ports de Paris a chargé l’architecte Antoine Grumbach d’envisager l’aménagement de Seine Métropole. À l’heure où explose le trafic de containers, il est vital de développer le transport fluvial. Mais ce projet est-il encore pertinent alors que le canal Seine Nord Europe vient d’être remis en cause ?

Jean-Pierre Reymond

En haut : vue aérienne sur la confluence de la Seine et de l’Oise. Ci-dessus : l’emplacement du futur port d’Achères au sein de cette confluence.

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UN NOUVEAU PORTIQUE. « Sur le port, un hub regroupe les plate-formes de tous les grands acteurs du BTP, explique Étienne Dereu, directeur du port de Gennevil-liers. Toutes sortes de matériaux nécessaires à la construction des immeubles transitent sur nos quais. »

L a log ique e s t l a même avec l’énergie : arrivent ici des tonnes de charbon destiné au chauffage urbain de Paris et le port fait office de terminal des oléoducs qui courent depuis Le Havre a!n de satisfaire 30 % des besoins en pétrole de l’Île-de-France. Quant à la farine des baguettes parisiennes, 30 % pro-viennent de Gennevilliers grâce aux Grands Moulins de Paris. Les « meuniers » y ont même installé leur laboratoire, un centre de recherche très pointu où sont élaborés et expérimentés les nou-veaux types de farine.

Le terminal à conteneurs, lu i, reçoit tous les biens de grande consommation en pro-venance d’Asie, après leur tran-sit par Le Havre et Rouen. En 2011, 290 000 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) ont été manutentionnés, dont plus de 120 000 conteneurs f luviaux. La toute récente mise en service d’un nouveau portique sur un quai de 440 m permet de doubler la capa-cité de la manutention #uviale et pour atteindre, bientôt, plus de 450 000 conteneurs. Le nouveau portique, de très grande dimen-sion, facilite le transbordement de barge à barge, soit 8 rangées de conteneurs. « Cela permet des opérations de chargement et de déchargement plus rapides », se réjouit Étienne Dereu.

Une partie de ces conteneurs est ensuite chargée directement sur des barges plus petites, ca-pables de passer sous les ponts de la capitale pour rejoindre les terminaux de Bonneuil-sur-Marne, Évry et Nogent-sur-Seine.

palement dans les domaines du bâtiment, des travaux publics, de la logistique et de la distri-bution. Le chi$re d’a$aires glo-bal de ces entreprises dépasse-rait aujourd’hui les 4 milliards d’euros. Et pour cause : le port est aujourd’hui la plateforme nourricière de l’Île-de-France et joue un rôle économique essen-tiel dans le fonctionnement de la métropole parisienne.

Et cela marche dans les deux sens : approvisionnement et éva-cuation. En combinant tous les modes de transport : #uvial, #u-vio-maritime, ferroviaire, oléoduc et routier.

L’E N DROI T E ST U N E BOULANGERIE. Une épicerie. Une station-service. Une cimenterie. Un loueur de voitures. Une dé-chetterie. Une agence d’intérim. Une chocolaterie. Un poste de douanes… On pourrait énumé-rer longuement toutes les acti-vités du port de Gennevilliers, premier port f luvial français. L’année dernière, ce port urbain a traité un peu plus de 20 mil-lions de tonnes de marchandises de toutes sortes, de la farine aux voitures en passant par les gra-vats ou les chaînes hi-!. Plus de 270 entreprises y sont installées, soit 8 000 emplois directs, princi-

GENNEVILLIERS TERMINAL FRANCILIEN

Bouche nourricière du Bassin parisien, le port de Gennevilliers fait partie intégrante de l’axe Seine. Relié, grâce à un guichet unique, à la douane et aux ports du Havre et de Rouen, il est devenu un hub du BTP, un « mini-cluster » industriel, une plateforme logistique indispensable à l’approvisionnement des 25 millions de consommateurs du Grand Paris.

François Rousselle

Vue aérienne du port de Gennevilliers avec le terminal à conteneurs au premier plan.

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Community System), un guichet électronique unique aux ports du Havre, de Rouen et de Genne-villiers, disposant d’une interface avec la douane. Le système auto-matise et sécurise les processus des acteurs privés et publics du port, en assurant la continuité de l’information sur l’ensemble de la vallée de la Seine : déma-térial isat ion des documents, automatisation des procédures (administratives, commerciales et douanières), inter opérabilité entre les di!érents systèmes d’in-formation des utilisateurs, sécu-risation de la chaîne logistique grâce au « tracking tracing » de la marchandise…

C’est ce guichet unique, en intégrant l’ensemble des procé-dures franciliennes avec celles de communautés por t uaires du Havre et de Rouen, qui permet à la Seine d’être devenue un véri-table « système de transport », de l’océan à la capitale.

UN MODE TRÈS COMPÉTITIF. « Les industriels commencent à comprendre que le transport f luvial des conteneurs est bien moins cher que la route, raisonne Étienne Dereu. C’est un mode de transport très compétitif, qui garantit une vraie "abilité logis-tique. »

Les entreprises qui veulent faire des e!orts en matière de dé-veloppement durable utilisent au-jourd’hui la voie d’eau : « 20 mil-lions de tonnes de trafic f luvial représentent 1 million de ca-mions sur les routes, calcule-t-il. Un seul convoi naviguant sur la Seine équivaut à 250 camions… » Et, surtout, la voie d’eau rend pos-sible le projet du Grand Paris : « La construction de logements, par exemple, demande une énorme logistique, explique le directeur. Quant au marché du bassin pari-sien, ce n’est aujourd’hui “que” 25 millions de consommateurs ! Demain… » !

UN VRAI SYSTÈME DE TRANS-PORT. Le port de Gennevilliers ne déroge pas à la règle maîtresse de toutes les installations por-tuaires : tout doit aller vite. C’est pourquoi le dédouanement, qui s’e!ectue directement sur le port, s’est mis à l’heure numérique. Dé-sormais, toutes les autorisations douanières sont entièrement dématérialisées grâce à l’utilisa-tion du système CCS AP+ (Cargo

Le nouveau portique, fabriqué en Europe, a demandé un investis-sement de 4,7 millions d’euros et va logiquement accélérer le développement du tra"c #uvial de conteneurs.

UN « MINI-CLUSTER ». Le port est aussi une immense poubelle : 70 % des déchets recyclables de Paris et ses environs transitent par le port de Gennevilliers. Fer-raille, papier, plastiques… Mais une poubelle gérée très rigoureu-sement : certains déchets sont re-travaillés sur place comme ceux issus du bâtiment, d’autres sont envoyés au Havre, d’autres sont reconteneurisés avant d’être ex-pédiés vers des centres de trans-formation. Tous les grands noms de la logistique sont bien sûr ins-tallés sur le port et on y trouve même une école de l’AFT-Iftim, qui forme, entre autres métiers du transport et de la logistique, caristes ou grutiers, et qui permet d’obtenir le permis poids lourds ou transports en commun.

Ces dernières années, les sociétés de services se sont mul-tipliées : sociétés de gardiennage, stations-service pour les camions ou les engins de travaux publics, jusqu’à plusieurs agences d’inté-rim spécialisées. Au "nal, le port de Gennevilliers est devenu un « mini-cluster » où les industriels t ravai l lent ensemble : Saint-Gobain s’approvisionne en verre ou ferrailles, d’autres en matériaux divers comme le bois ou le ciment. L’endroit est même devenu le pôle régional des pièces automobiles, où règne une vraie synergie entre fournisseurs, vendeurs comme Oscaro ou transporteurs comme Geodis. « Ce modèle de mini-clus-ter fonctionne très bien, car le port est bien adapté, sourit Étienne De-reu : l’o!re immobilière est variée (bureaux, entrepôts, locaux d’acti-vité) et les règles de location très souples, avec un choix de contrats de durée variable. »

401 ha : 272 ha pour l’implantation des entreprises, 51 ha de plans d’eau, 78 ha d’espaces publics aménagés

510 000 m2 de bâtiments : entrepôts, industrie, bureaux…

5 modes de transport : fluvial, fluvio-maritime, ferroviaire, oléoduc et routier

20 millions de tonnes de trafic, tous modes combinés

275 entreprises : 8 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects

290 000 conteneurs EVP manutentionnés en 2011 (bientôt 450 000)

30 % du pétrole destiné à l’Île-de-France

25 millions de consommateurs, en approvisionnement direct

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titivité de nos ports. Hormis du point de vue du tourisme ou de la pêche, notre pays s’intéresse peu à sa façade maritime. On ne réalise pas assez à quel point Le Havre, par sa position géographique, son tirant d’eau, la proximité du bas-sin d’emploi parisien, représente un atout majeur, tant en termes de balance de paiements que de créa-tion de valeur ou d’emplois. Il faut le valoriser.

Mais la conjoncture économique n’est pas très favorable.

Il ne s’agit pas de demander à l’État de mettre sur la table des milliards d’euros, mais que le gou-vernement prenne conscience de l’intérêt national du projet, qu’il y ait une prise de position politique et le lancement d’études. Celles-ci vont prendre du temps. Mais au moment où se produira un retour-nement de la conjoncture, qu’on doit espérer, on devra être à même de réaliser des investissements. De plus, c’est un beau projet, capable de générer des énergies et de pro-mouvoir des ambitions.

Une candidature aux Jeux olym-piques irait dans ce sens ?

Lorsque j’ai appris que le chef de l’État envisageait une candida-ture de Paris pour les J.O. de 2024, j’ai naturellement pensé que les deux dossiers étaient complémen-taires. Cette candidature, ce sont des investissements en matière d’équipements que l’on ne possède pas forcément dans Paris intra-muros. La Normandie pourrait en bénéficier. Elle organisera les Jeux équestres mondiaux en 2014, on pourrait utiliser ces investis-sements pour 2024. Qu’il s’agisse des Jeux ou du développement de la vallée de la Seine, nous avons les mêmes besoins : une grande ambition, des investissements publics importants et une volonté politique forte. !

Propos recueillis parOlivier Delahaye

gouvernance telle que je l’avais imaginée. Autrement dit, un com-missariat général porté par une petite équipe, un peu à l’image de la Datar [Délégation interminis-térielle à l’aménagement du terri-toire], mais spécifique à la vallée de la Seine, et une conférence qui réunirait trois collèges représentant l’État, les collectivités territoriales et le pouvoir économique. Sur la base de propositions faites par le com-missariat général, il appartiendrait à la conférence de mettre en œuvre des mesures, de rechercher des !-nancements, et éventuellement de proposer un texte de loi pour favo-riser les procédures.

Existe-t-il un risque que le projet soit enterré ?

Ce n’est pas à moi de répondre. Ce que je crois, c’est qu’il s’agit d’un dossier d’intérêt général. Beaucoup d’experts le pensent, Antoine Grumbach [architecte du projet Seine Métropole] l’a écrit : seule une ouverture vers la mer fera de Paris une métropole mon-diale. Ce qu’elle n’est pas tout à fait aujourd’hui. C’est une ville de tourisme, de services, mais sur le plan économique, elle ne joue pas le même rôle que Shanghai ou Londres. C’est le premier enjeu. Le deuxième, c’est de s’appuyer sur la richesse industrielle de la vallée de la Seine dans un certain nombre de domaines clés : l’automobile, l’éner-gie, la logistique, l’agro alimentaire, les déchets, l’aéronautique. Do-maines qui pour beaucoup sont justement à la croisée des chemins. En!n, troisième enjeu : la compé-

Comment est née l’idée du col-loque « Axe Seine » ?

Cela a fait suite au discours de Nicolas Sarkozy prononcé au Havre en 2009, dans lequel il donnait de nouvelles grandes lignes à la poli-tique maritime de la France, en sou-haitant valoriser notamment le po-tentiel de la Seine et s’appuyer sur le port du Havre face aux grands ports hanséatiques. J’ai alors contacté Laurent Fabius dans l’idée de prendre au mot le président et d’or-ganiser une série de trois colloques au Havre, à Rouen et à Paris, en y invitant l’ensemble des forces éco-nomiques, politiques, syndicales et associatives. Les deux premiers se sont tenus en 2010 et 2011, le der-nier se déroulera le 22 novembre, à l’Hôtel de Ville. Cette initiative s’est menée parallèlement à un autre travail que j’ai e"ectué dans le cadre du Commissariat général pour le développement de la vallée de la Seine et qui s’est soldé par un rapport remis au Premier ministre en février dernier.

Quelles ont été les suites données à votre rapport ?

Depuis le changement de gou-vernement, l’affaire est au point mort. J’ai écrit au nouveau Premier ministre, il y a trois mois, pour lui rappeler ma mission, l’intérêt qu’elle représente pour les trois ré-gions concernées, mais aussi pour la France. Je n’ai pas eu de réponse.

Un décret avait été pris pourtant.Oui, par François Fillon. Il

prévoyait la prolongation de cette mission par la mise en place d’une

PARIS « UN PROJET D’INTÉRÊT NATIONAL »À quelques semaines de la tenue de l’acte III du colloque « Axe Seine », ANTOINE RUFENACHT revient sur les enjeux du développement de la vallée de la Seine : positionner Paris comme une métropole mondiale, s’appuyer sur la richesse industrielle des rives du fleuve et valoriser le potentiel économique des ports.

L’ancien maire du Havre et organisateur du premier colloque « Axe Seine » a été nommé commissaire général pour le développement de la vallée de la Seine en 2011.

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