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LA PRESSE NOUVELLE Magazine Progressiste Juif N° 252 - JANVIER 2008 - 26 e ANNÉE MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. PNM se prononce pour une paix juste au Moyen-Orient, sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité, et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien. Le N° 5,50 63 ANS DÉJÀ ! Le 27 janvier 1945, l’Armée Rouge libérait le camp d’Auschwitz, faisant découvrir au monde l’horreur des camps d’extermination nazis. SOUVENONS-NOUS ! A plusieurs reprises, N. SARKOZY vient de proclamer qu’il entend conduire “une politique de civilisation”. Au regard de celle qu’il met en oeuvre depuis qu’il est Président de la République, et du programme qu’il affiche, on ne peut qu’être sceptique, car l’affirmation de cette ambition, relève, quant au fond, d’une vérita- ble duperie. Pour Edgar MORIN*, ce concept signifie “remettre l’humain au centre de la politique, donner la priori- té à la qualité de vie et retrouver solidarité et responsabilité (...) la réduction des inégalités...” On est aux antipodes de cette finalité ; ainsi, par l’instauration d’une “franchise” sur les soins, à la manière de l’assurance automobile, (encore heu- reux que ne soit pas ajouté un coefficient de vétus- té), ces critères bafouent la dignité humaine. La valeur d’une personne ne s’apprécie pas comme celle d’un véhicule endommagé. Un malade n’a pas à être sanctionné pour son état de santé. Alors que la solidarité constitue l’un des fondements de la civilisation, est-ce être solidaire que faire payer un malade pour d’autres malades, en faisant peser injustement des charges souvent insurmontables pour les plus démunis? Après les cadeaux fiscaux faramineux qui n’ont concerné qu’une infime minorité de privilégiés... Politique de civilisation, dites-vous ? Mais peut-on parler de civilisation quand on évalue le travail d’un ministre au nombre d’expulsions, causant la traque des individus, la séparation brutale des enfants d’avec leurs parents, et des peurs qui condui- sent au pire ? Mais de quelle civilisation parle-t-on quand, à côté d’un chômage massif, des salariés vivent au-dessous du seuil de pauvreté, contraints pour certains à être sans domicile... ? Quand l’urgence de réformer le sys- tème solidaire de retraite se traduit par un allongement de la durée de cotisation ? Et qu’au lieu de faire profi- ter les salariés des progrès techniques et de la produc- tivité, on allonge la durée du travail, en envisageant même d’en finir avec sa durée légale et d’autoriser le travail du dimanche... ? Est-ce encore de la civilisation lorsqu’en matière de politique internationale, le Président confirme son ralliement au modèle américain, sans se donner les moyens d’éteindre, notamment, la poudrière du Proche-Orient ? Est-ce toujours de la civilisation, quand son ambi- tion est de donner au capital financier national les moyens de participer à la guerre économique, dans le cadre de la mondialisation libérale, en accentuant le système d’exploitation et de domination qui se traduit par la mise en concurrence des individus et des peuples ? Comme l’a dit clairement la Présidente du MEDEF : “Le Président de la République pose les actes et énonce des principes qui, à terme, structureront dif- féremment la société française comme nous, les entrepreneurs, le souhaitons”. Ainsi la voie empruntée jusque là n’augure pas, pour le plus grand nombre, d’un “avenir de civili- sation au service d’une nouvelle renaissance”. * Edgar Morin, sociologue, auteur en 1997, avec le politoloque Sami Naïr, de l’ouvrage réimprimé le 14/01/2008 “Pour une politique de civilisation” Ed. Arlea, Paris, 2002, 80 p., 5Roland Wlos Politique de civilisation ? L E MOT DU P RÉSIDENT L. Steinberg p. 2 P ROCHE -O RIENT Les négociations, otages du blocus de Gaza J. Dimet p. 3 L’Etat juif et le conflit israélo-palestinien J. Fath p. 3 H ISTOIRE John Rabe - Un nazi atypique L. Steinberg p. 2 S OCIÉTÉ L’Arche de Zoë - Une imposture exemplaire M. Muller p. 4 Sus aux Infidèles ! H. Levart p. 4 E UROPE Le brûlot des Balkans R. Joseph p. 5 C ULTURE (p.7) Aventures et mésaventures du judéo-espagnol H-V. Sephiha p. 6 I TINÉRAIRE Willy Ronis - La vie en courant ! Entretien avec H. Amblard p. 8 VON JUDEN BLUT © M. KRAKOWSKI - USA Mémoire - 27 janvier - Auschwitz libéré JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH ET POUR LA PRÉVENTION DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ Cela est arrivé, cela peut arriver encore ! Primo L EVI AUSCHWITZ Chaque traverse est une page Chaque page est un monument J’entens encore les hurlements Des plus faibles de ces otages Les cris et les coups se succèdent Puis les cris ne s’entendent plus, Vient un moment où le corps cède Ne subsiste qu’un mort tout nu. Ils ont eu l’horreur en partage, Bien rares sont les survivants, Aucun enfant ne fait son âge, Nul ne reverra ses parents. Chaque année revient une date Souvenir des crimes passés Que n’effacent pas les années. Les bourreaux ont volé nos âmes. D. Krakowski PNM 252 BON 25/01/08 15:40 Page 1

La Presse Nouvelle Magazine 252 janvier 2008

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27 janvier 1945 Auschwitz libéré JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH ET POUR LA PRÉVENTION DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ Aventures et mésaventures du judéo-espagnol MRJ-MOI ! Chères lectrices, Chers lecteurs, Il y a plus de deux ans, naissait une nouvelle association (JO 25/06/2005) : Mémoire des Resistants Juifs de la M.O.I. (MRJ -MOI). Les membres fondateurs de cette association, dont d’anciens des bataillons résistants juifs des FTP-MOI, de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) ou de la Commission centrale de l’enfance (CCE), des militants des Amis de la CCE (AaCCE), ont pour objectif la création, au 14 rue de Paradis, d’un lieu de mémoire dédié à la Résistance juive de la M.O.I. et à l’engagement progressiste et humaniste de celles et ceux qui ont prolongé leurs combats après la guerre, jusqu’aujourd’hui. Des démarches sont en cours auprès des pouvoirs publics ; l’OPAC a d’ores et déjà intégré ce projet dans son programme de réhabilitation du “14”. Mais il faut faire davantage pour qu’une décision politique soit prise, qui permette l’ouverture de ce lieu de mémoire. Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I. lance un vibrant appel à toutes celles, à tous ceux, individus et organisations, qui voudraient lui apporter leur soutien, en adhérant à l’association, en contribuant financièrement à son efficacité. Rejoignez-nous ! Internet : http://pagesperso-orange.fr/ujre/page/mrj-moi.htm Cela est arrivé , cela peut arriver encore ! Primo LEVI

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LA PRESSE NOUVELLE MagazineProgressiste

Juif

N° 252 - JANVIER 2008 - 26e ANNÉE MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide

PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. PNM se prononce pour une paix juste au Moyen-Orient, sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité, et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

Le N° 5,50 €

63 ANS DÉJÀ !

Le 27 janvier 1945, l’ArméeRouge libérait le campd’Auschwitz, faisant découvrirau monde l’horreur des campsd’extermination nazis.

SOUVENONS-NOUS !

A plusieurs reprises, N. SARKOZY vient deproclamer qu’il entend conduire “unepolitique de civilisation”. Au regard de

celle qu’il met en oeuvre depuis qu’il est Présidentde la République, et du programme qu’il affiche,on ne peut qu’être sceptique, car l’affirmation decette ambition, relève, quant au fond, d’une vérita-ble duperie.Pour Edgar MORIN*, ce concept signifie “remettrel’humain au centre de la politique, donner la priori-té à la qualité de vie et retrouver solidarité etresponsabilité (...) la réduction des inégalités...”On est aux antipodes de cette finalité ; ainsi, parl’instauration d’une “franchise” sur les soins, à lamanière de l’assurance automobile, (encore heu-reux que ne soit pas ajouté un coefficient de vétus-té), ces critères bafouent la dignité humaine. Lavaleur d’une personne ne s’apprécie pas commecelle d’un véhicule endommagé. Un malade n’a pas à être sanctionné pour son étatde santé. Alors que la solidarité constitue l’un desfondements de la civilisation, est-ce être solidaireque faire payer un malade pour d’autres malades,

en faisant peser injustement des charges souventinsurmontables pour les plus démunis? Après lescadeaux fiscaux faramineux qui n’ont concernéqu’une infime minorité de privilégiés...

Politique de civilisation, dites-vous ?

Mais peut-on parler de civilisation quand on évalue letravail d’un ministre au nombre d’expulsions, causantla traque des individus, la séparation brutale desenfants d’avec leurs parents, et des peurs qui condui-sent au pire ?Mais de quelle civilisation parle-t-on quand, à côtéd’un chômage massif, des salariés vivent au-dessousdu seuil de pauvreté, contraints pour certains à êtresans domicile... ? Quand l’urgence de réformer le sys-tème solidaire de retraite se traduit par un allongementde la durée de cotisation ? Et qu’au lieu de faire profi-ter les salariés des progrès techniques et de la produc-tivité, on allonge la durée du travail, en envisageantmême d’en finir avec sa durée légale et d’autoriser letravail du dimanche... ?Est-ce encore de la civilisation lorsqu’en matière depolitique internationale, le Président confirme son

ralliement au modèle américain, sans se donner lesmoyens d’éteindre, notamment, la poudrière duProche-Orient ? Est-ce toujours de la civilisation, quand son ambi-tion est de donner au capital financier national lesmoyens de participer à la guerre économique, dansle cadre de la mondialisation libérale, en accentuantle système d’exploitation et de domination qui setraduit par la mise en concurrence des individus etdes peuples ?Comme l’a dit clairement la Présidente du MEDEF :“Le Président de la République pose les actes eténonce des principes qui, à terme, structureront dif-féremment la société française comme nous, lesentrepreneurs, le souhaitons”.Ainsi la voie empruntée jusque là n’augure pas,pour le plus grand nombre, d’un “avenir de civili-sation au service d’une nouvelle renaissance”.�

* Edgar Morin, sociologue, auteur en 1997, avecle politoloque Sami Naïr, de l’ouvrage réimpriméle 14/01/2008 “Pour une politique de civilisation”Ed. Arlea, Paris, 2002, 80 p., 5€

Roland Wlos Po l i t i que de c i v i l i s a t ion ?

LE MOT DU PRÉSIDENT L. Steinberg p. 2

PROCHE-ORIENTLes négociations, otages du blocus de Gaza J. Dimet p. 3L’Etat juif et le conflit israélo-palestinien J. Fath p. 3

HISTOIREJohn Rabe - Un nazi atypique L. Steinberg p. 2

SOCIÉTÉL’Arche de Zoë - Une imposture exemplaire M. Muller p. 4 Sus aux Infidèles ! H. Levart p. 4

EUROPELe brûlot des Balkans R. Joseph p. 5

CULTURE (p.7)Aventures et mésaventures du judéo-espagnol H-V. Sephiha p. 6

ITINÉRAIREWilly Ronis - La vie en courant ! Entretien avec H. Amblard p. 8

VON JUDEN BLUT

© M. KRAKOWSKI - USA

M é m o i r e - 2 7 j a n v i e r - A u s c h w i t z l i b é r é JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH ET

POUR LA PRÉVENTION DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ

Cela est arrivé , cela peut arriver encore ! Primo LE V I

AUSCHWITZ

Chaque traverse est une pageChaque page est un monumentJ’entens encore les hurlementsDes plus faibles de ces otagesLes cris et les coups se succèdentPuis les cris ne s’entendent plus,Vient un moment où le corps cèdeNe subsiste qu’un mort tout nu.Ils ont eu l’horreur en partage,Bien rares sont les survivants,Aucun enfant ne fait son âge,Nul ne reverra ses parents.Chaque année revient une dateSouvenir des crimes passésQue n’effacent pas les années.Les bourreaux ont volé nos âmes.

D. Krakowski

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2 P.N.M. JANVIER 2008

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J’O F F R E U N A B O N N E M E N T À :N o m e t p r é n o m . . . . . . . . . . . . . .A d r e s s e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .T é l é p h o n e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .C o u r r i e l . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C o u r r i e r d e s l e c t e u r s

Le mot du

Président

En ce début de l’an 2008, je tienstout d’abord à vous présenter àtoutes et à tous, chers lecteurs etamis de la PNM et de l’UJRE, mesmeilleurs voeux pour vous etceux qui vous sont chers, desanté, de joie et beaucoup d’ins-tants de bonheur.

Après une année de grisaille etde remise en cause de ce qui atoujours été au coeur du combatde l’UJRE, la SOLIDARITÉ, jeforme aussi le voeu que l’actionunie de tous les démocrates etdes gens de coeur crée les condi-tions pour voir se lever un nouvelespoir pour la Paix, et pour lemieux-être.

Je forme enfin le voeu, à bientôt82 ans, de voir des amis et cama-rades “plus jeunes” nous rejoin-dre nombreux ...

En effet, mon état de santé m’a clouéloin de l’UJRE et de la PNM pendantles derniers douze mois, mais la PNM

et l’UJRE ont continué !

L’équipe qui a pris en mainl’existence du journal et de notreUnion a fait ses preuves, et je lesen félicite :

Ainsi, le projet de MRJ-MOI a priscorps, s’est affermi, a reçu de lar-ges soutiens, assurant prochaine-ment pérennité, au “14”, de lamémoire de ces “étrangers”, résis-tants juifs de la MOI...

Ainsi, le projet de DVD pour lefilm “Nous continuons”, tourné parl’UJRE en 1946 “à la mémoire deceux qui sont tombés pour que lesenfants puissent vivre et rire libre-ment”, portera-t-il témoignage auxjeunes générations des actions desauvetage entreprises par ces“immigrés”, fondateurs de laCommission Centrale de l’Enfanceauprès de l’UJRE, qui voulurentredonner toute leur dignité auxorphelins de fusillés, de déportés ...

Mon action, avec cette équipe, etparmi vous, m’a rempli de joieet d’espoir.

D’ores et déjà, je vous confie unarticle sur un personnage hors ducommun, John Rabe, le nazi quia sauvé la vie de dizaines demilliers de Chinois lors de laguerre sino-japonaise.

Bon courage, allons de l’avant !

Lucien SteinbergPrésident de l’UJRE

d’Auschwitz (AFMA), tel qu’approuvépar la direction nationale del’Association. En vous souhaitant tout lesuccès pour la mise en oeuvre du projet,je vous prie de croire, chers amis, à l’as-surance de mes meilleurs sentimentsainsi qu’à tous mes voeux pour l’année2008.Annette Azenac, Paris Chers amis, jevous présente mes meilleurs voeux pourcette nouvelle année en souhaitant quenotre journal “La Presse Nouvelle”continue à évoluer comme elle le fait cesdeux dernières années. J’apprécie pourl’essentiel la teneur du journal, il estagréable à lire, et surtout à le lire dans satotalité. (...) Avec mes sentiments les pluscordiaux. Andrée Daspre, Toulon Chers amis, j’ailu avec grand plaisir le dernier numéro,249, de la Presse Nouvelle, que monamie Marlène Steinberg a eu la bonneidée de me faire parvenir. L’orientation

générale de votre mensuel est combative,courageuse et me convient tout à fait !Permettez-moi de vous féliciter et demarquer ma sympathie par ce versementà votre souscription. Bien cordialement.Adolphe Ekman Avec mes meilleursvoeux de SANTÉ pour l’année nouvelle2008 à tous mes AMIS PROGRESSISTES del’UJREPatrick Le Mignan, Erdeven Au seuilde cette nouvelle année, ma famille etmoi-même voous adressons nos voeuxles meilleurs. Nous vous souhaiton unetrès bonne santé, bonheur et joie partagésau sein de vos foyers, paix et amour entreles peuples. Amitiés.Jacques Smusman, Montreuil

Longue vie à PNM et à UJRE !

Lorsque nous fatiguons ou doutons ...voila de petits mots qui nous vont droitau coeur, merci de vos encouragements !

L’équipe de la PNM

Suite à la publication par “Le Monde des Religions” (n° 27 de janvier-février 2008)du dossier “Etre juif en France en 2008”, nous avons reçu deux copies de let-

tres de lecteurs adressées à cette publication, s’étonnant de l’omission, voire del’ostracisme, de cette enquête à l’égard de “deux organisations juives laïques etprogressistes et de leurs publications”, à savoir l’UJRE (la Presse NouvelleMagazine) et les Amis de la CCE - COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCE (“La let-tre des Amis de la CCE”). En voici quelques extraits : “La liste des organisationsjuives pp. 40 et 41 me paraît incomplète (...) je ne crois pas l’omission innocente(...) “éviter que se renouvellent des pratiques d’exclusion” J-F. Marx - “Deuxassociations issues de la Résistance pendant la guerre 1939-1945 (...) Omissionvolontaire ou involotaire de votre part ? Permettez-moi de vous inviter à complétervotre dossier en prenant contact avc ces organisations qui ont joué un très grandrôle pendant et après la guerre” (...) (S.Boski) .Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le prochain numéro.

L’équipe de la PNM

Elie Korenfeld, Champigny Chersamis, j’ai pris connaissance de l’articleparu dans la PNM d’octobre concernantla mémoire des Résistants de la MOI.Evidemment, je me joins à votre appel,d’autant plus quej’ai connu personnelle-ment Fingersweig, un des fusillés de“l’affiche rouge”, pendant la périodenoire de l’Occupation. Nous habitions lemême quartier, celui de la Bastille.Résistants tous les deux, mais pas dans lemême Réseau. Merci pour ce que vousentreprenez.Très amicales salutations àvous tous.Jacques Céliset, Paris Chers amis, entant qu’abonné depuis des décennies à laPNH, je veux me joindre à l’appel pourle parrainage d’un Espace de mémoiredédié à la Résistance des immigrés juifsde la M.O.I. Je le fais en tant que juifarrêté le 16 juillet 1942 et ayant échappéau sort réservé à mes parents et à monfrère assassinés à Auschwitz moins de 10semaines après leur déportation.Egalement en tant que Secrétaire généralde l’Association Fonds Mémoire

La mémoire de John Rabe, naziatypique, est vive en Chine, pour

une bonne raison. Cet allemandvivant hors du Reich avait adhéré auparti nazi. Il vivait en Chine, repré-sentant du KonZern Siemens, jus-qu’en 1937.Bon nazi, bon européen, il n’avaitguère d’estime pour ses ouvriers chi-nois ; jusqu’en 1937, quand l’arméejaponaise prit d’assaut Nankin, capi-tale provisoire de la Chine nationa-liste.L’armée nippopne s’est livrée à desmassacres à Nankin. Rabe en futrévolté - et il a agi. Le Japon étantl’allié du Reich, Rabe a mis en place

d’immenses drapeaux à croix gam-mée autour de son usine. Drapeauxqui ont permis de sauver des dizai-nes de milliers de chinoix. Sonexemple a été suivi par d’autresindustriels étrangers, mais à moindreéchelle.Aujourd’huu, Rabe est un hérosnational en Chine. Il n’en fut pas demême dans le Reich : rentré enAllemagne il voulait dénoncer lescrimes de Nankin - mais le Japonétant son allié, la Gestapo a sudécourager Rabe.Aujourd’hui, un film est en prépara-tion - une coproduction sino-alle-mande. LS

John RA B E - Un naz i a t yp ique

SOUSCRIPTION* n°43(du 16 décembre 2007 au 15 janvier 2008)

* Sauf mention explicite d’un don ou d’une adhésion UJRE, tout règlement reçu par le journal renouvelle, à échéance, l’abon-nement à la PNM - NB: 66% des dons (Adhésions, Dons) sont déductibles des revenus déclarables.

Décès

Léa LESCOU et Sophie SPECULANTE

ont la grande tristesse de vous faire part de la disparition dans

sa 81ème année de leur soeur aînée

Fanny SERMAIZE

née ZYLBERSPON

CARNET

PNM 252 BON 25/01/08 15:40 Page 2

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P.N.M. JANVIER 2008 3

PNM: Ehud OLMERT a exigé desPalestiniens qu’ils reconnaissent Israëlcomme un Etat juif. Qu’en pensez-vous ?

Ehud Olmert, Premier ministre,en a effectivement fait unecondition d’un accord, lors du

Sommet d’Annapolis censé rouvrir unprocessus de règlement politique.

Cette exigence n’est évidemment pasnouvelle. Mais le fait qu’elle soit ainsiposée est nouveau. Ajoutée à la multi-plication d’annonces provocatricesd’extension de la colonisation àJérusalem, elle apparaît comme lavolonté manifeste de faire échec à toutenégociation. La situation est des pluspréoccupantes pour l’avenir immédiat.

Cependant, cette question de l’Etat juifest d’une autre portée. C’est aussi unproblème fondamental. D’une façongénérale, il n’est jamais rassurant devoir des dirigeants politiques définirune souveraineté étatique sur une baseethnique ou religieuse. Cela rapprochetrop de l’intégrisme. Les divisions etles dominations identitaires sont pro-ductrices de répressions et de violen-ces, et on ne connaît pas d’exempled’Etat fondé sur une religion, d’Etatthéocratique qui soit aujourd’huidémocratique. Ni l’Iran, ni l’Arabiesaoudite ne brillent par le pluralisme, lerespect des libertés et de l’Etat de droit.

Le cas d’Israël est bien sûr spécifique,du fait de l’histoire et d’un conflitisraélo-palestinien et israélo-arabe loind’être résolu. Première question : siIsraël est un Etat juif, alors quel est lestatut et quels sont les droits réels des20% de sa population palestinienne,musulmane et chrétienne ?

Poser cette question c’est y répondre.Comme le dit Monseigneur Sabbah,Patriarche latin de Jérusalem, c’est laporte ouverte à la discrimination. Etcette discrimination est déjà une réali-té. Tous les citoyens d’Israël ne viventpas de la même manière car ils n’ontpas les mêmes droits, ils ne bénéficientpas des mêmes services de l’Etat, cer-tains ont des privilèges, leur citoyenne-té est loin d’être égale, ils ne sont pasconsidérés de la même manière, l’his-toire et le passé des uns sont étoufféspour que le quotidien et l’avenir desautres soit mieux assuré…Beaucoupont le sentiment d’être étrangers dansleur propre pays.

Israël n’est pas un Etat juif démocra-tique, comme le dit Uri Avnery dumouvement Gush Shalom. C’est un“Etat juif démographique”. On y distri-

bue de la terre aux juifs, pas aux arabes,souligne encore Avnery.

Exiger d’être reconnu en tant qu’Etatjuif comme condition d’une négocia-tion israélo-palestinienne soulève unedeuxième question, celle du droit auretour des réfugiés palestiniens. Voicides années que l’Autorité palestinienneet les dirigeants de l’OLP ont admis quel’application concrète de ce droit feral’objet de négociations pourvu que leprincipe soit reconnu comme légitime,ce qui correspond au droit internatio-nal. Affirmer en préalable au règlementde cette question qu’Israël est un Etatjuif, c’est refuser par avance la recon-naissance de ce droit et toute applica-tion possible. Un tel positionnementest inacceptable sur le fond et choquantdans la forme. C’est un mépris ouvertet profond pour les droits nationaux dupeuple palestinien et pour les droits descitoyens arabes palestiniens d’Israël.

L’exigence de justice et de démocratieconduit à rappeler le droit légitime desPalestiniens à édifier leur propre Etatindépendant à côté d’Israël, avecJérusalem-Est pour capitale. Elleconduit aussi à rappeler qu’un Etatdémocratique doit être un Etat de tousses citoyens et enfin que tout réfugiédispose de la reconnaissance de sondroit inaliénable au retour. Ces posi-tionnements sont décisifs car si l’on nefonde pas un règlement politique négo-cié sur des valeurs et des principes, surdes droits rigoureusement définis etinterprétés - conformément à la Charteet aux résolutions des Nations Unies enparticulier - c’est la crédibilité et ladurée même d’une solution négociéequi est en cause et qui peut être fragili-sée en toutes sortes de circonstances. Cela est d’autant plus important que cedébat est marqué par certaines dérives,souvent graves, qui se nourrissent del’impasse politique actuelle. Pour cer-tains - notamment parce que l’emprisede la colonisation rendrait probléma-tique la création d’un Etat palestinienviable - il faudrait en finir avec l’Etatd’Israël et créer un seul Etat multinatio-nal et multiconfessionnel. D’autres neprécisent même pas ce que deviendraitla population juive dans le cadre d’unetelle “solution”… dont la nature - audelà de la simple crédibilité - n’a pourseule vertu que d’exacerber des polé-miques et des confrontations, voire d’a-limenter le racisme et l’antisémitisme.Ces dérives sont très minoritaires mêmesi elles s’appuient sur la réalité d’unecolonisation qui n’a jamais cessé de pro-gresser et qui rend, il est vrai, par l’accu-

L’Etat juif et le conflit israélo-palestinien

par Jacques FATH

Après la Conférence de Paix tenue à Annapolis le 27 novembre 2007, la PNM enta-me une consultation des responsables politiques français, en commençant par M.Jacques FATH, responsable des relations internationales du Parti Communiste Français.

Les négociations otagesdu blocus de Gaza

par Jacques DimetLe blocus s’accentue sur Gaza. La situation devient dramatique pour des centaines de

milliers de civils. Les négociations risquent d’en pâtir.

Moyen-orient

Quelles perspectives immédiates -et à moyen terme - se dessinentaujourd’hui pour le Proche-

Orient et, plus spécifiquement pour l’a-venir d’Israël et de la Palestine ?

Les derniers événements à Gaza n’inci-tent pas à l’optimisme. Le blocus de cequ’Israël appelle désormais une “entitéennemie” (la bande de Gaza contrôléedepuis juin dernier par le Hamas) a desrépercussions sur la population civile duterritoire. Ce blocus, qui a conduit à laréduction de la production électrique àGaza, rend encore plus difficile lesconditions de vie et ne peut que renforcerle sentiment d’hostilité à une politique decompromis. Ce sont évidemment les élé-ments les plus extrémistes qui tirerontbénéfice de ce type de situation. D’autantplus que par delà les déclarations d’inten-tion, rien de concret ne bouge, qui puissepermettre une amélioration des condi-tions de vie.La visite du Président américain GeorgeW. Bush (sa première au Proche Orient entant que tel) en Israël et à Jérusalem n’apas apporté de modification substantielleà la politique de Washington, même sipour la première fois, le locataire de laMaison Blanche a parlé d’occupation ets’est prononcé contre l’installation denouvelles colonies dans les territoirespalestiniens. D’un autre côté, GeorgeBush n’a pas hésité à dire qu’Israël étaitla patrie des juifs, ce qui n’est pas tout àfait la même chose que de dire qu’Israëlest un Etat juif.Toujours est-il que le “deux poids, deuxmesures” continue dans la politiqueinternationale. La politique de Nicolas Sarkozy s’appa-rente de plus en plus, malgré parfois despropos de circonstance, à un alignementsur les positions américaines. Le coupletdu Président français dans ses vœux aucorps diplomatique sur les valeurs del’Occident (après ses propos répétés surles fondements chrétiens de la France) leprouve désormais.L’arrimage de la France à une politiqueaméricaine (celle de Bush et des néo-conservateurs) est maintenant affirmé, cequi ne manquera pas, d’ailleurs, de poserquelques problèmes en cas de victoire(probable) des démocrates aux électionsprésidentielle et parlementaires américai-nes, et particulièrement si c’est BarackObama qui emporte la partie.Non seulement l’alignement de la Franceau plan diplomatique et politique n’estpas juste, mais en plus, il hypothèque l’a-venir de la politique internationale de laFrance, et sa place dans le monde.Alors que les négociations de paix entrel’Autorité palestinienne du PrésidentAbbas et le gouvernement israélien ontcommencé, des affrontements armés ontrepris entre l’armée israélienne et le

Hamas à Gaza. Tsahal a intensifié sesfrappes aériennes et incursions terrestres.L’ancien chef du département de planifi-cation de l’armée, Shlomo Bromexplique “qu’Israël poursuit un doubleobjectif : limiter au maximum les tirs deroquettes et affaiblir le Hamas (...) C’estréalisable, poursuit-il, à condition d’évi-ter une escalade de la violence incontrô-lée en frappant trop fort, ce qui auraitpour effet de torpiller toute relance duprocessus de paix.”Pour Shlomo Brom, la seule issue possi-ble serait un cessez-le-feu avec leHamas. Pour le moment, ce dernier lancedes roquettes sur le Sud d’Israël, enrevendiquant, et ce pour la première fois,ces actes. L’invasion de Gaza a été envi-sagée mais, selon les analystes militairesisraéliens, une telle opération d’envergu-re, causerait de lourdes pertes à l’arméeisraélienne et immobiliserait des effectifsimportants.Pour les dirigeants israéliens, EhudOlmert l’a encore récemment rappelé, ils’agit d’une guerre. “Il y a une guerre encours, a ainsi déclaré le premier ministreisraélien, et nous ferons tout notre possi-ble pour mettre fin à ces tirs inaccepta-bles (…) Nous allons continuer de luttersans merci contre le Hamas, le Jihad ettous nos ennemis.”Pour les responsables palestiniens, “lesraids et l’escalade militaire d’Israëlvisent à infliger un camouflet aux négo-ciations de paix israélo-palestiniennes” *.Cette situation survient, comme nous l’a-vons indiqué, alors que des négociationsdirectes ont été engagées entre Israélienset Palestiniens. Ces négociations portentsur un règlement permanent du conflitet englobent les frontières du futur Etatpalestinien, le démantèlement des colo-nies, le statut de Jérusalem et le sort desréfugiés palestiniens de 1948. Questionsdéjà posées lors des rencontres de CampDavid et qui n’avaient pu être réglées àl’époque.Les négociations se poursuivent donccahin-caha, marquées à la fois par lapoursuite de la colonisation, et par lesavertissements du président palestinienqui déclare ne pouvoir continuer à négo-cier dans ces conditions. Le Président américain doit en tout casfaire avancer le processus, car à la finde l’année il devra céder la place.George Bush a affirmé qu’un accordserait trouvé d’ici là.Notons également qu’Ehud Olmert, dansun entretien donné le 1er janvier auWashington Post, a évoqué le partage deJérusalem et le retour aux frontières de1967. Il faudra, a-t-il dit, notamment“procéder à un compromis sur des par-ties d’Eretz Israël”.� 22/01/2008

* Déclaration à l’AFP de Nabil AbouRoudeina, porte parole de la Présidence, le17 janvier 2008

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L’ a f f a i r e Arche de Zoë

Une impos ture exemp l a i r epar Michel Muller

Su s aux In f i d è l e s

La tentative d’acheminementdans notre pays decent trois enfants

africains par une petite ONG

prétendant secourir desenfants du Darfour, révèledans un raccourci historiquecaricatural, dérisoire et tra-gique, la terrible et délétèrelogique coloniale. On sait aujourd’hui que les enfantsque l’on voulait transférer en Francene sont ni des orphelins en danger demort, ni des Darfouri. Ils sont tcha-diens. Comment a-t-on pu faire fi de lamarque indélébile et de l’incommen-surable charge émotionnelle laisséedans la mémoire collective africainepar la tragédie multiséculaire qu’a étéla traite négrière ? Le projet del’Arche de Zoé en reprenait la trame,même si, bien sûr, il ne s’agissait pasd’aboutir à l’esclavage, mais au “sau-vetage”. On se fait livrer des enfantspar des intermédiaires locaux - deschefs de villages ou des maraboutssans doute aussi trompés - qui fontmiroiter aux parents la possibilitéinespérée d’accès à l’école, à la santéet au bien-être de leurs petits. La colère des Tchadiens est à la mesu-re de cette mémoire. Une colère que,tout naturellement, le patron contestédu Tchad, Idriss Déby, a exploitépour, tout à la fois, faire monter lesenchères parisiennes dans l’interven-tion militaire française pour son main-tien au pouvoir et pour redorer sonblason nationaliste. Pour grotesqueque nous paraisse l’accusation de “tra-fic d’organes” qu’il a cru pouvoir por-ter, ce mensonge n’est pas sans échodans une population frappée par lamisère et l’horreur d’une guerre civileendémique. De l’autre côté, on a offert ces êtreshumains à des gens en mal d’enfants,qui pour certains en sont à un pointd’aveuglement tel que toute capacitéde réflexion, d’humanité et tout sim-plement de respect de l’autre estoubliée, si ce n’est l’obtention de cequi peut bien ressembler à un “enfantde compagnie”.Les membres de l’Arche ont été jugés,collectivement condamnés à unemême peine et rapidement rapatriésen France. On ne peut que s’étonnerde l’arrogance affichée aujourd’huipar les avocats dénonçant une “justiceexpéditive” alors que l’on sait que toutavait été arrangé entre le despote tcha-dien et son ami français.

Que n’aurait-on entendu si les chosesavaient traîné ! On va jusqu’à insulter lesjuges tchadiens qui n’enpouvaient mais face auxdiktats des puissants.Comme l’un des magistratsl’a rappelé à ses détracteurs,“nous avons été formés à

l’école française…”. On en est arrivédans les médias dominants - à l’ex-ception courageuse de France 3 qui adiffusé une remarquable enquête - àconsidérer les voleurs d’enfantscomme des victimes.Gageons que tout était prêt pour un

formidable show médiatique dégouli-nant de bons sentiments et d’émotionfrelatée au cas où l’opération auraitréussi. Gageons que le premier à setrouver, avec son service de propagan-de audio-visuel, sur les lieux de l’at-terrissage en France de l’avion del’Arche, aurait été Nicolas Sarkozy,comme d’ailleurs on l’avait laisséentendre lors d’une assemblée des“futurs parents”. Quelle plus belledémonstration de son discours deDakar où il exhortait l’Afrique à sortirde “cet imaginaire où tout recommen-ce toujours” où “il n’y a de place nipour l’aventure humaine, ni pour l’i-dée de progrès” pour rejoindre lamondialisation capitaliste où “le libreéchange est bénéfique” et où “laconcurrence est un moyen” ? L’argumentaire n’est pas nouveau. Ilest vieux de plusieurs siècles. Lescroisades ont été perpétrées contre lespeuples du Proche-Orient au nom dela primauté - et donc de la supériorité- de la croyance chrétienne. C’est avec cette même imposture quefurent perpétrées les conquêtes desAmériques et la destruction des peu-ples indiens. A l’esclavage - dont lavictime était ravalée au rang de mar-chandise - les puissances du Nord ontensuite substitué la colonisation, aunom de la supériorité de la “civilisa-tion” occidentale, cette autre impostu-re qui a été parée des habits neufs desLumières. Aujourd’hui, on dévoie la volonté desolidarité envers les plus défavoriséset les victimes, au moyen de la doctri-ne de l’ “ingérence humanitaire”, ceterrible artifice idéologique inventé enson temps par Bernard Kouchner etses adeptes, destiné à légitimer lesinterventions militaires pour assurerl’hégémonie sur les peuples du Sud.Comme le fait Nicolas Sarkozy lors-qu’il agite pêle-mêle les spectres du

terrorisme, de la surpopulation, desinondations, d’ “une confrontationentre l’Islam et l’Occident”, de lamisère du monde à l’assaut des paysde la “civilisation”. Et, dans un même souffle, on voudraitimposer aux pays du Sud, au nom del’ “immigration choisie”, une nouvel-le forme d’apartheid, en en faisant desbantoustans où l’on pourrait puiserune main d’œuvre “utile”. Un proces-sus de néo-colonisation déjà pratiquéen Palestine occupée par les autoritésisraéliennes, sans que les capitalesoccidentales n’y trouvent à redire. Dernière imposture en date, et non desmoindres, celle de la prétendue égali-té que l’Europe prétend mettre en pra-tique avec les pays du Sud, et toutparticulièrement l’Afrique. Cette“nouvelle” relation d’ “égal à égal”que l’Union européenne a vouluimposer aux pays africains le 9décembre dernier à Lisbonne, est unevaste tromperie fondée sur une préten-due égalité entre le fort et le faible,auquel on ordonne de supprimer touteprotection contre les importations desproduits du Nord.

Une restauration du pacte colonial. �

Société

Une protestation générale, untollé, une levée de boucliers :Les propos de Sarkozy, pré-

cédés de son livre sur la vocation attri-buée aux religions, ont suscité inquié-tude et réprobation, sentiments parta-gés par de nombreux croyants. Estainsi poursuivie une œuvre de des-truction dont le sombre dessein est detransformer notre République en unrégime obscurantiste. De Gaulle, quiétait d’une grande piété, n’a jamaisdérogé au devoir de sa charge, respec-tant les normes éthiques de notre viecollective. L’hôte de l’Elysée, par sonextravagance prosélytique, s’inspirede son homologue états-unien.Souvenons-nous de Bush, une mainsur le cœur, l’autre sur la Bible,déclenchant la guerre en Irak. Il nes’agissait pas d’une manifestation dela colère divine, mais bel et bien d’uneopération géopolitique, hégémonique,à forte odeur de pétrole. Litanie d’unautre âge, notre Président, invoquanttreize fois Dieu dans ses harangues,prétend restituer aux religions dont ilexalte le rôle civilisateur, un magis-tère moral sur notre société ; aposto-lat réitéré lors de ses vœux aux auto-rités ecclésiastiques. C’est une profanation des fonde-ments de notre laïcité, une concep-

tion négative, révisionniste de laséparation de l’Etat et des Eglisesqui, elles-mêmes, en reconnaissentle bien-fondé. Oser dire que seuls lescroyants sont en mesure d’espérerest un outrage à la liberté de cons-cience, une injure aux croyants ani-més du désir de vivre ensemble.Déduire que la crise des banlieuess’avère être un manque de lieux deculte, proférer des incantations cha-rismatiques, en menant simultané-ment une offensive de régressionsociale, est révélateur d’un retour enarrière afin d’obscurcir la réalité desantagonismes sociaux, aboutir àl’acceptation, à la pérennisation del’ordre des choses : il y a toujourseu, il y aura toujours des riches etdes pauvres. Modernisme, où vas-tute nicher ? Appréciant la fascination de Sarkozypour le veau d’or, la Providence saiteffectuer les bons choix. Les mannesfinancières tombent drues du firma-ment en faveur des nantis. La rhéto-rique sarkozienne est d’autant pluscondamnable qu’elle s’est déclaméeau Vatican et à Ryad. Or, chacunconnaît la démarche dogmatique duPape, ses penchants à rétablir lesrites anciens ainsi que la sauvagerieavec laquelle les femmes peuventêtre traitées en Arabie Saoudite.Quant aux valeurs chrétiennes dontserait imprégné le passé de notrepays, il s’agit là d’une vision mani-chéenne, d’un postulat évangéliquefrauduleux. Nul ne saurait nier l’ap-port civilisationnel des religionsmonothéistes, ni faire abstraction deleur emprise sur les esprits. Combiend’Abélard mis à l’Index, de persécu-tés par l’Inquisition, de massacres dela Saint-Barthélemy, de Jacquou leCroquant humiliés par chapelains etchâtelains, de génuflexions épiscopa-les devant Pétain et la Collaboration,de prêtres ouvriers sommés de choi-sir entre leurs compagnons de travailet leur Eglise, qu’ils voulaient servird’un cœur généreux ? Le journal LaCroix note que : “Rome se réjouit dunouveau visage de la laïcité françai-se. Les responsables du Saint-Siègeayant été agréablement surpris parle discours de Sarkozy à propos ducatholicisme”.

La remise en cause des orientationsde Vatican II est affligeante. Bâtir unmonde meilleur ici-bas, avec ceuxqui l’espèrent au ciel, est notre

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droit de feu le Président Izetbegovic,devenu à son tour membre de la pré-sidence bosniaque. L’instaurationd’un pouvoir centralisé est aussiune exigence de l’Ouest.La haine “des Serbes” et de leur Etatbosniaque, “fruit de l’agression etdu génocide” dit-on à Sarajevo,imprègne nombre d’hommes poli-tiques de la Fédération musulmano-croate. Elle n’est pas le moindre desobstacles à une normalisation de lasituation. Surtout quand elle débordelargement ses frontières. Comme onparle des Juifs “peuple déicide”, desmoralistes chez nous parlent sansaucune gêne des Serbes, “nation cri-minelle non repentie” (J. Julliard,Le Nouvel Observateur, 13-19 sep-tembre 2007). Le même sentimentinspire bien du monde politiqueoccidental... Ces Serbes osent faireface dans l’adversité à ceux qui lesont sans cesse depuis 1991, sanc-tionnés, bombardés et soumis à unpermanent chantage.Les échecs subis en Bosnie-Herzégovine par l’UE et son “gou-verneur”, actuellement le SlovaqueMilorad Lajcak, ont conduit, encontribuant à attiser les haines, àprolonger le protectorat occidentalsur un peuple jugé incapable de segérer lui-même. Actuellement, unenouvelle organisation, de la policenotamment, est en cause. La partieserbe rejette le découpage des cir-conscriptions prévues parce qu’ilmodifie les “frontières” des entités.Il amorcerait ainsi la liquidation desa République. Cette opposition, dit-on, entrave le “processus de moder-nisation”. Cependant, dans laFédération, chacun des dix cantonsdispose de sa police, croate oumusulmane, et dans les cantonscroates, on ne prise guère une policedirigée par des Musulmans.Maintenant, Vojislav Kostunica, lepremier ministre de Serbie, sembleplus proche de la Russie que del’OTAN ; Milorad Dodik, l’hommefort de la Republika srpska, qui s’op-pose à l’UE, est un proche deKostunica. Les Etats-Unis multi-plient les pressions craignant de voirla Russie gagner de nouvelles sym-pathies, et le Président VladimirPoutine, tout en dénonçant les “paysde l’OTAN. qui gonflent leurs mus-cles” aux frontières de la Russie,affirme qu’à ses yeux, le Kosovo etle bouclier antimissile américain quiconcerne l’Europe centrale, consti-tuent des “lignes rouges”.

Les Balkans toujours terre de crise etde marchandage.�

11 janvier 2008

Le brû lo t de s Ba l kan spar Robert Joseph

Europe

Les dirigeants occidentauxs’enlisent dans les Balkans.Ils n’ont pu comme ils le sou-

haitaient concrétiser l’indépendancedu Kosovo. Les accords de stabilisa-tion et d’association de l’Unioneuropéenne (A.S.A.) avec la Serbieet la Bosnie-Herzégovine mar-quent le pas. Le général Mladic etRadovan Karadzic, les anciens chefsdes Serbes de Bosnie recherchéscomme criminels de guerre, courenttoujours. La Bosnie-Herzégovineconnaît une nouvelle crise et laMacédoine reste fragilisée. Danscette région d’Europe, fertile endivergences entre Washington etMoscou, le climat politique suscitepas mal d’inquiétude. L’indépendance du Kosovo, décidéepour fin 2006, reste jusque-là ensuspens. L’ancien chef terroriste de

l’U.C.K., Hasim Thaçi, nouveaupremier ministre, dit vouloir la pro-clamer unilatéralement. L’Unioneuropéenne lui recommande patien-ce et prudence. Elle craint l’épreuvede force pour les seize mille militai-res de l’O.T.A.N, et dit attendre lesélections présidentielles du 20 jan-vier en Serbie. Avec beaucoup decrainte, les sondages donnent biendes points d’avance aux ultranatio-nalistes de Vojislav Seselj, malgrél’emprisonnement de leur leader àLa Haye.La Russie s’oppose à toute solutionqui n’aurait pas l’approbation desdeux parties. La Serbie ouverte àune large autonomie, rejette touteidée d’indépendance pour une par-celle de son territoire. Au sein desvingt-sept de l’UE, il y a des désac-cords. Un schéma prévoyait la pro-clamation de l’indépendance, puisdébut 2008 la transmission à l’UE

des pouvoirs de l’ONU, qui gère leKosovo depuis 1999. Seulement unevingtaine de pays de l’UE se conten-terait d’une proclamation unilatéra-le. Madrid, Athènes et d’autres nesuivraient que s’il y avait une réso-lution du Conseil de sécurité.Washington qui a encouragé la pro-clamation unilatérale, semble plusréservée. D’autant que Belgrade neparaît plus tellement pressée de serapprocher de l’UE malgré les effortsde la Slovénie, et de l’OTAN, dans lesconditions actuelles.Les dirigeants occidentaux vou-draient bien en finir, mais ils se brû-lent les doigts sans trouver d’issuerassurante, avec le “cadeau” de leursprédécesseurs qui, en 1999, bombar-daient la Serbie pour “protéger” lesAlbanais du Kosovo, tout en affir-mant l’intégrité territoriale et la sou-veraineté de la Serbie.La Bosnie - Herzégovine voisine,qui traverse une nouvelle crise poli-tique suit l’évolution. Si malgré lesrésolutions de l’ONU, le Kosovo peutêtre séparé de la Serbie, pourquoi laRepublika Srpska ne pourrait-ellel’être de la Bosnie-Herzégovine ? Laquestion est posée. Comme biend’autres encore relatives à laMacédoine, au Caucase, voire … àl’Espagne.Dans cette Bosnie où la haine domi-ne toujours, les plus importantes for-ces politiques en sont toujours àleurs objectifs de 1992. EnRepublika Srpska, il faut défendrel’Etat créé en 1992 et défini par lesaccords de Dayton de 1995. Or ladisparition de cet Etat est revendi-quée, comme au temps de la guerrecivile, par Haris Silajdzic, l’ex-bras

mulation des faits accomplis, la perspec-tive concrète d’un Etat palestinien pluscompliquée aujourd’hui. L’édification decet Etat palestinien - revendication légiti-me de l’ensemble d’un peuple - restecependant la condition décisive d’unepaix durable. Notons au passage que le choix israéliend’un Etat juif interdit, pour une raisondémographique évidente, la colonisationjusqu’au bout et l’annexion des territoiresoccupés à laquelle certains extrémistes etultranationalistes israéliens rêvent enco-re. Cela ne fait que ressortir la légitimitéd’un Etat palestinien et l’importance del’action des progressistes et anticolonia-listes d’Israël.Quant à l’Etat d’Israël, justement, cen’est pas le fait d’être un Etat juif qui luipermettra de vivre durablement en sécu-rité. C’est le fait de devenir réellementdémocratique ; c’est le fait d’être défi-nitivement reconnu et accepté commepartenaire de paix au Proche-Orient,qui pourront lui apporter une tellegarantie. Et pour en arriver là, il fautqu’une solution politique au conflit israé-lo-palestinien, dans le droit et la justice,puisse s’imposer.Cette simple vérité est aussi un rappelpour la France, pour ses partenaires euro-péens, pour les Etats-Unis, pour l’ensem-ble des membres permanents du Conseilde Sécurité de l’ONU… Moins on agitdans cette voie, plus on laisse faire lacolonisation, plus on encourage la poli-tique actuelle des dirigeants israéliens etplus les choses seront difficiles et dange-reuses. Cela sonne comme un avertisse-ment. � Jacques FATH

25 décembre 2007

L’E t a t j u i f e t l e con f l i t

i s r a é lo -pa l e s t i n i en

e s !par Henri Levart

inébranlable volonté. Le Siècle desLumières, le combat pour la laïcité,les luttes du mouvement ouvrier,l’essor des sciences et des tech-niques, la montée du rationalisme,l’accueil des immigrés, l’accès auxsoins, à la culture, aux loisirs, sontdes limons qui ont matricé notrepatrie. Toutes les familles spirituel-les, athée comprise, y ont contribuédepuis les temps les plus reculés.Les moines transcrivaient sur leursparchemins les textes des philoso-phes grecs et romains. Rabelais dansson imaginaire Abbaye de Thélèmerêvait de bâtiments sans murailles,où religieux et religieuses auraient lapossibilité de se marier, de vivre enliberté. Les curés de campagneaidaient les paysans à rédiger lescahiers de doléances, la Révolutionde 1848 était d’inspiration chrétien-ne. L’emblématique poèmed’Aragon “La rose et le réséda”glorifie le sang mêlé des martyrs dela Résistance à laquelle nombre dejuifs ont participé. Ces derniers, parleur labeur et la part prise à la vieintellectuelle, à la création artistiquesont d’authentiques artisans de notreunité nationale. C’est pourquoi lesactions contre les manifestationsd’antisémitisme n’ont pas de conno-tation religieuse. L’affaire Dreyfusen est témoin. N’en déplaise au chanoine d’hon-neur de Saint-Jean de Latran, nousnous référons aux vraies valeursléguées au cours des siècles. Nouspoursuivons nos rêves. JacquesChambaz a pu décrire dans son livre“La patience de l’Utopie / La civili-sation en question” (prémonitoire)“L’utopie peut désigner l’idéal,l’aspiration, l’imagination enraci-née dans l’investigation du monde(...) Faudrait-il l’interdire, commecertains y invitent, dans le domainesocial et politique (...) L’utopie posi-tive ne rejette pas le passé (...) Ellene détourne pas davantage les ques-tions les plus immédiates et les plusurgentes au nom d’une Terre promi-se. Elle tend au contraire à s’inscri-re dans le mouvement même quimodifie l’état présent (...) Elle sup-pose donc d’éclairer l’expérience etde faire reculer les barrières quiempêchent des millions d’hommes etde femmes de s’approprier le mou-vement des savoirs et des pouvoirs”. Nous nous y employons, foi de char-bonnier.� 23 janvier 2008

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Le ladino évolue à peine - Le djudezmo évolue énormément

Ce ladino, par son caractère semi-sacré est resté pour ainsi dire intou-ché, alors que le djudezmo a consi-

dérablement évolué. En fait, le ladino(judéo-espagnol calque) est et fut la langueliturgique de tous les Séfarades hispano-phones, qu’ils fussent judéo-hispanopho-nes comme dans l’ex-Empire Ottoman, oucastillanophones, voire lusophones commedans le Sud-Ouest de la France ou auxPays-Bas, deux contrées où jamais ne futparlé le judéo-espagnol qui ne put y naîtrepour des raisons historiques bien sûr.Même les auteurs juifs les plus hispano-phones comme Isaac Cardoso dans LasExcelencias de los Hebreos recourent auxversions en ladino de la Bible de Ferrare etde ses multiples réimpressions, chaque foisqu’ils citent un verset biblique8. Et,contrairement à ce que dit l’ignorant quia rédigé l’article “Press” dansl’Encyclopaedia Judaica (t.13, cols. 23 et24), La Gazeta de Amsterdam (1675) n’estpas “written in ladino (Judeo-Spanish) [sic,quel confusion !], the first Jewish newspa-per [...]”. Premier journal juif, certes, maispas en ladino. Si c’est là du ladino, l’espa-gnol de Cervantès en est aussi. Le com-mentateur de cet article se paie de mots.C’est grave ! Avec un tel article par tropsuperficiel, on induit en erreur une ou plu-sieurs générations entières ! Commentpourrons-nous réparer les dégâts d’unetelle aberration, qui aujourd’hui fait sicruellement autorité !

Le ladino est plus archaïqueque le djudezmoMais revenons au ladino ou judéo-espa-gnol calque. Il contient plus d’archaïsmesque le djudezmo et en tout cas des archaïs-mes plus anciens que ceux du djudezmo.Il contient aussi des arabismes qu’on neretrouve pas en djudezmo, ainsi “alcrebi-te” 9 pour le soufre et “alcemema” avec“cayin” pour l’hébreu “MiTsNeFeth”,‘turban’ (Lévitique 16,4) etc.

Emprunts lexicaux multiplesaux langues en contactIl faut également remarquer qu’y figurentdes mots bien espagnols mais qui ontdisparu - pour des raisons à rechercher etsouvent édifiantes - de la langue vernacu-laire. C’est ainsi que le lapin, “Chafan” enhébreu, interdit à la consommation(Deutéronome,14,7) est traduit par “konejo”dans le Pentateuque de Constantinople(1547), mot qui correspond bien à l’espa-gnol “conejo”, mais qui a disparu du dju-dezmo, précisément, parce que interdit. Desorte que, lorsque, se laïcisant, les Judéo-espagnols ont commencé à manger dulapin, ils ont adopté le mot turc “tavsan”[tav`s’an].C’est là un fait de société qu’illustre égale-ment l’adoption du mot grec “piruni”,‘fourchette’, instrument qui n’existait paslors de l’expulsion. Il va de soi que l’objetfut adopté avec son nom (cf. “Les mots etles choses”), substantif hispanisé en

“pirón” alors qu’en turc on a “çatal”.Les emprunts au turc seront très nombreux(comme le seront, au Maroc, les emprunts à l’a-rabe) et subiront différents mécanismesd’intégration bien hispaniques. C’est ainsique tous les emprunts verbalisés le seronten -ear : “eglenmek” donnera “englenear-se”, ‘s’amuser’ - “bozmak” donnera“bozear” et “bozdear”, ‘abîmer’- etc. , toutcomme l’hébreu “herem” ‘excommunica-tion’donnera “heremear”, ‘excommunier’.Excepté lorsqu’un modèle espagnol préala-ble s’y oppose : ainsi“batak”, ‘boue,bourbier’donne “embatakarse”,‘se salir, se saloper’sur lemodèle préexistant de“ensuzyarse”, ‘se salir’.De ces derniers exem-ples et de tant d’autres onpeut apprendre bien deschoses sur la vie de noscommunautés dont lalangue est le miroir... Laboue (batak), fréquentealors, a dû frapper lesimaginations et favorisercet “embatakar” dont lepremier sens fut ‘se salo-per’, et le second, parbanalisation, ‘se salir’.De même, tout enexploitant les formantsespagnols, le djudezmo apu se créer toute unepanoplie pour désignertoutes sortes de manies,notamment en -dero :eskrividero, asentadero,lambedero, etc., manies d’écrire, de s’as-seoir, de lécher, etc.Ainsi, d’étape en étape on peut suivre lesimpacts des langues au contact desquelless’est trouvé ou se trouvera le judéo-espa-gnol, et ce, différemment selon qu’on setrouvât dans tel ou tel pays de l’Empire. On peut ainsi trouver outre les emprunts auturc, d’autres faits au bulgare, au roumain,au serbe, dans ces différents pays, voireaussi à l’allemand et à l’italien, languesenseignées respectivement par laHilfsverein et les écoles Dante Alghieri 10.

Une gallomanie galopante :le judéo-fragnolMais l’influence la plus marquante fut celledu français qui balaiera les acquis de plu-sieurs siècles et atteindra la syntaxe hispa-nique elle-même, puisque Dizele de venir,calque du français Dis-lui de venir, se sub-stituera au bien hispanique Dizele ke venga,et que tant, onkl, granmaman, etc. se sub-stitueront aux termes si intimes de tiya, tiyo,nonna, etc.Le djudezmo sera pris d’une gallomaniegalopante au point de donner un nouvel étatde langue que dès 1972 j’ai appelé judéo-fragnol. Du coup le formant -ear ne seraplus utilisé et, excepté en Bulgarie, l’équa-tion -er du français = -ar de l’espagnols’imposera, si fortement, qu’ à l’ancienenglenearse on substituera amüzarse où ücorrespond au u français comme ö cor-respond au euou au emuet français, la pho-nétique et particulièrement le vocalismeespagnol s’en trouvant bouleversés. Cette

influence du français ira jusqu’à substituerpardón à pedrón, lui même issu de perdón,par métathèse de -rd- en -dr-. Ce qu’illust-re bien ce proverbe judéo-espagnol, kon unpardón [ et non pedrón] se mata a un fran-ko, “avec un pardon on tue un français [ouun occidental]”.

Gallomanie et anglomanieinterfèrentUne nouvelle étape anglocentriste, cettefois, apparaîtra après 1945. Cette angloma-

nie interférera avec la gallo-manie et donnera par exemplelas santral elektrik à partir delas santralas elektrikas, quicorrespond à l’emprunt pho-nétique total du français et àl’invariabilité de l’anglais aulieu de las sentrales elektrikas.

Situation actuelleAujourd’hui, le judéo-espa-gnol de Turquie est de plus enplus turquisé et francisé à tra-vers le turc, lui aussi francisé. En 1968, M.S.Uysal 11 dénom-brait, en turc, plus de 5.000emprunts au français. C’estdire que le judéo-espagnolcontient paradoxalement desarchaïsmes “tonitruants”comme trokar, ‘changer’ oumerkar, ‘acheter’et des néolo-gismes aussi détonnants queamüzarse, angajar ou mal-orozo. Tout cela assaisonné

d’emprunts divers aux languesen contact, l’hébreu 12 bien sûr,

même au ladino (kada uno i uno [ hébr. kolehad ve-ehad ] un chichit, ‘chacun avec songrain de sel’ - Vidas largas [ hébr. hayyimarukhim ] ke tengach !, ‘Que vous viviezlongtemps ! Longue vie !’ lance-t-on auxnouveaux époux.On le voit, l’histoire du judéo-espagnolavec ses deux modalités, calque (ladino) etvernaculaire ( djudezmo), est d’un intérêtconsidérable, tant du point de vue de l’his-toire des mentalités que de ceux de la lin-guistique, de la sociologie et de la littératu-re dont on trouvera une classification dansLe judéo-espagnol 13 et où il faudra envisa-ger la littérature ladina et la littérature endjudezmo. Pour cette dernière il faudraégalement y envisager une littérature écrite(sans oublier la presse représentée par plusde 300 titres) et une autre orale, refranes,‘proverbes’14, konsejas et kuentos,‘contes’15 et romansas16.Tout un trésor que nous nous efforçons derecueillir dans l’association Vidas Largas17

(cf.B.46, Le judéo-espagnol, “Thésaurisons,thésaurisons,thésaurisons”, pp.196-232).Tout un trésor qu’il ne faut pas abandonner,car il fait partie du patrimoine humain, maisaussi car il nous renseigne par tous lesdocuments écrits dans cette langue, surl’histoire interne et externe de nos commu-nautés.Il ne faudrait pas que ce désir de conserva-tion et de perpétuation de la culture judéo-espagnole restât un simple voeu pieux.Le judéo-espagnol sera appelé à un nouvelavenir si nous le désirons tous, sujets par-lants et chercheurs.

Et sa reconnaissance par le “BureauEuropéen des Langues Moins Répandues “est un véritable encouragement.Le 1er juillet 1998, Nathan Weinstock et moiprésentions notre brochure, Yiddish etJudéo-espagnol, Un héritage européen, auParlement Européen dont existe aussi uneversion en anglais ( B.77 et B.78). La bibliographie succincte de mes travauxmontre combien riche est cette langueprotoplasmique “toujours recommencée”,toujours en contact avec d’autres languestantôt minoritaires, tantôt majoritaires etsouvent glossophages.Nous sommes en pleine linguistique decontact, en pleine “con-tactologie”, en plei-ne pluridisciplinarité, un terrain fécondissi-me pour les recherches historico-ethno-psycho-sociolinguistiques.Ces différents aspects avec contes, prover-bes et chants feront l’objet de nos prochai-nes chroniques.�* NDLR PNM 248 : Jacques Varin, Panorama deslangues juives PNM 249 : Charles Dobzynski, La langueYiddish, Le feu et l’éclat de la braisePNM 250 : Haïm-Vidal Sephiha, Les judéo-languesPNM 251 : Haïm-Vidal Sephiha, Aventureset mésaventures du judéo-espagnol (1/2)

8) H.-V.Sephiha, “El ladino (judeo-españolcalco) de Ishac Cardoso”,in Proceedings of the6th EAJS Congress Toledo 1998, Jewish Studiesat the Turn of the 20th Century, vol.II, Ed. JuditTargarona & Angel Sáenz-Badillos - Brill,Leiden - Boston, 1999, - pp. 637-540.

9) arabisme qui signifie soufre

10) SEPHIHA Haïm-Vidal, “Les emprunts lin-guistiques dans le Refranero judéo-espagnol -Etude préliminaire”, in Hommage à AbdonYaranga Valderrama, l’Indien Quechua deParis, Cahiers de Recherche “Langues et cultu-res opprimées et minorisées”, Saint-Denis,1993, pp.387-407.11) M.S.Uysal, Recherches sur les empruntslexicaux du turc au français, Thèse de IIIème

cycle, Paris, 1968.

12) Tant en ladino qu’en djudezmo .

13) SEPHIHA Haïm-Vidal, Le judéo-espagnol ,Ed. Entente, coll. “Langues en péril”, Paris,1986, 242 p.

14) “Portrait de la société judéo-espagnole ouDis-moi tes proverbes, je te dirai qui tu es”, inActes du Colloque de Parémiologie, Lille, du 6au 8 mars 1981, parus sous le titre RICHESSE DU

PROVERBE, vol.II, Typologie et fonctions, étudesréunies par F.Suard et Cl.Buridant, Université deLille III, coll. “ Travaux et recherches”, Lille1984, pp.199 à 209.

15) SEPHIHA Haïm-Vidal, Contes judéo-espa-gnols - Du miel au fiel, traduits et présentés parH.V.Séphiha , Ed. Bibliophane, Paris, 1992.

16) Trésor conservé et chanté par HenrietteAzen, Unos romances de mi madre, textes éta-blis et traduits par H.V.Séphiha , un disque éditépar Vidas Largas, Paris 1982

17) VIDAS LARGAS : Association pour le main-tien et la promotion de la langue et de la culturejudéo-espagnoles, édite livres, brochures etdisques - 37, rue Esquirol, 75013 Paris.

Cycle langues juives* : Professeur émérite des Universités, Chaire de judéo-espagnol en Sorbonne Nouvelle, notre ami H-V Sephiha développe ici 500 ans et plus d’histoi-re du judéo-espagnol, cas d’espèce des judéo-langues. La richesse de cette présentation nous a contraint à le publier en deux numéros de la PNM.

Culture Aventures et mésaventures du judéo-espagnolpar Haïm-Vidal SEPHIHA

.../... (Lire début de l’article dans la PNM n° 251 de décembre 2007)

Pentateuque de Constantinople(1547)

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UNE BOUTEILLEDANS LA MER

DE GAZA

Mardi 29 et Jeudi 31 janvierà 20h.

Tal, jeune israélienne de Jérusalem et Naïm, jeune palestinien de Gaza

tentent de se parler ... Adaptation* par la compagnie “LES PLANCHES ET LES NUAGES” duroman de Valérie Zenatti, suivie d’undébat avec M. le Maire et Mme. laDéputée du XX° arrdt. de Paris.

* Organisée par la Maison Itshak Rabin auCARRÉ DE BAUDOIN - 121 Rue deMénilmontant 75020 Paris M° Gambetta.Places 15 € TR 10 € Résa: 01 55 30 02 37

PALESTINEde Hubert HADDAD

Il s’agit d’un roman écritpar un auteur juif berbère,

roman très singulier par lasituation qu’il décrit : Celled’un soldat israélien préposéà la garde du fameux murqui serpente à l’intérieur duterritoire cisjordanien sous le prétextede protéger les colonies israéliennes.Ce militaire essuie une attaque desrésistants palestiniens au cours delaquelle un de ses compagnons d’ar-mes trouve la mort et lui-même estblessé. Fait prisonnier, il est soigné parune mère et sa fille palestinienne. Cettedernière lui donne l’identité de sonfrère.

Ce symbole est celui de l’ensemblede l’œuvre. L’auteur y montre qu’au-delà des frontières et des nationalis-mes agressifs, il existe une fraternitéhumaine qui ne demande qu’à s’ex-primer. Car, continuant à adopterlors de son séjour en Palestine l’i-dentité empruntée du frère, le per-sonnage découvre la réalité desmeurtrissures subies par la popula-tion palestinienne du fait du conflit,en même temps que tout ce qui rendsa situation ambiguë.Ce récit est écrit dans une langueextrêmement dépouillée et classique.Rigueur stylistique qui donne encoreplus de force à la violence des senti-ments qu’il fait naître chez le lecteur.Lecture à conseiller à tous ceux quiveulent comprendre le conflit israélo-palestinien, non seulement au traversde froides analyses géopolitiques,mais aussi par les chauds sentimentsaffectifs dont il est traversé.

JL* Hubert Haddad, Palestine, Ed. Zulma,Paris, 160 p., 16,50 €

HEROSd’Achille à Zidane

Une exposition* à visiter !Tel en est le titre, surpre-nant, certes. De nombreuxpersonnages de légende ysont magnifiés. Avec ceuxet celles de la Résistance,Joseph Epstein tient uneplace importante, et j’a-

voue, inattendue. Pas moins de deuxfilms en continuité avec témoignagesémouvants dont celui de RaymondAubrac. Je vous invite vivement à vous yrendre. HL

* Bibliothèque Nationale de France, jusqu’au13 avril 2008. Du mardi au samedi de 10h à19h, le dimanche de 13h à 19h sauf J.F. TP 5 € TR 3,50 €

LA VIE DEVANT SOI

ADAPTATION THÉÂTRALE

d’après Emile AJAR

(Romain GARY)

Romain Gary, dans les années1970, voulant rompre avec la

notoriété de grand écrivain et ne passe laisser enfermer dans une identitéunique, a adopté le pseudonymed’Emile Ajar. Sous cette nouvelleidentité, il publie “La vie devantsoi”. Ce roman, écrit à la premièrepersonne, retrace la relation qui s’é-tablit entre deux personnes quebeaucoup de choses éloignent : unenfant arabe abandonné et uneancienne prostituée juive. C’estpourtant le récit non seulement de lasolidarité qui les unit, de leur affec-tion mutuelle, de leur dignité respec-tive, mais aussi celui des valeurshumaines nées de cette confronta-tion.Le Théâtre Marigny a présenté unetrès belle adaptation théâtrale de ceroman. Celle-ci présente les thèmesmajeurs du roman, réalisant uneimage plausible de celui-ci. La miseen scène met l’accent sur la vitalitécontenue dans l’œuvre. Il faut insister sur la performance del’actrice Myriam Boyer qui saitretraduire à la fois toute la bien-veillance du personnage, mais aussitoute l’anxiété qui émerge de sespulsions contradictoires. Mais ce qui fait la qualité de ce spec-tacle, c’est le texte écrit dans la lan-gue simple de l’adolescent, maisjamais dans un style populaire aumauvais sens du terme. A vrai direRomain Gary invente une languespécifique à la situation qui traduit lerespect mutuel que se portent lesdeux personnages principaux.

Jacques Lewkowicz Léa MIMOUNchante BARBARASamedi 9 février

à 20h30à l’Espace ICARE - 31 Bld Gambetta -92130 Issy-les-Moulineaux - Réservation :01 40 93 44 50

Samedi 16 février à 20h30au Centre Medem - 52 Rue RenéBoulanger 75010 Paris (M° Strasbourg StDenis ou République) - Réservation :01 42 02 17 08

www.myspace.com/leamimoun

GEFILTE SWINGJeudi 28 Février 2008 à 21h

Musique klezmer et chansons yiddish swing de l’entre-deux guerres

au Bar’Oc Café - 36 rue de Sambre etMeuse - 75010 Paris (M° Colonel Fabien ouBelleville) - Réservation : 01 42 40 93 38

http://gefilte.swing.free.fr

CAFÉ HISTORIQUEEN RÉGION

Mardi 5 février, 18h30 à Chateauroux

Un circuit de sauvetage d’enfants juifs pendant la guerre

Le circuit Garel

Conférence* donnée au Café le SaintHubert, 25, rue de la Poste àChâteauroux, par Katy HAZAN, histo-rienne, responsable du DépartementArchives et Histoire de l’OSE (Oeuvrede Secours aux Enfants).

* Organisée par le Centre Européen dePromotion de l’Histoire - 3, quai AbbéGrégoire - 41000 BLOIS - Contact :Florence Baraniak 02 54 56 84 27www.cafeshistoriques.com et le Cercil(Centre d’Etude et de Recherche sur lescamps d’internement de Beaune-la-Rolande,Pithiviers et Jargeau et la déportation juive) -2 cloître Saint-Pierre le Puellier - 45000Orléans - Contact : 02 38 42 03 91 -www.cercil.fr

REPRISE!

REPRISE!

Lectures psychanalytiques

de la Bible Le MAHJ invite plusieurs psychanalystesqui ont une longue fréquentation de laBible hébraïque à nous livrer le fruit deleurs lectures et de leurs interprétations,tout au long de la saison 2007-2008 ...

Mercredi 13 février 2008 à 20 h 30

QOHÉLET (L’ECCLÉSIASTE) ETLA QUESTION DU DÉSIR

par Gérard Haddad, psychanalyste

“S’il y a un écrit biblique qui devrait inté-resser le psychanalyste et qui recoupe sapratique, c’est certainement celui-là,QOHÉLET. (...) Lacan (...) en avait fait sonlivre de chevet, citant sans relâche ce ver-set : Jouis de la femme que tu aimes…”

TP 4€ TR 3€ - Réservation indispensablepar mél ou téléphone au 01 53 01 86 48

(du lundi au vendredi de 14h à 18h)

WITZ RETROUVÉS

UN SOURIREIL CONNAÎT

LES HOMMES“Comment se fait-il - demande quel-qu’un au serveur d’un restaurant - queles pauvres vous donnent plus depourboire que les riches ?”“La raison en est la même - répond-il- les pauvres ne veulent pas que l’onsache qu’ils sont pauvres, et les richesne veulent pas que l’on sache qu’ilssont riches.”

En 2007, vous avez raté ce spectacle ?ou vous l’avez adoré ? Autant de bonnesraisons de courir (re)voir cette repriseexceptionnelle de l’adaptation en yid-dish, surtitrée en français, d’une pièced’Avrom Goldfaden réalisée parCharlotte Messer. Plaisir garanti ! TRS

Mardi 5 février 2008 au Théâtre des Deux Portes

17 rue René Boulanger Paris 10°Réservation : 01 47 00 14 00 (MCY)

Culture

LA PNM A REÇU ...

- L’encre du Caméléon (Contes,nouvelles et récits) de DavidIzraelewicz. Ed. La Bruyère,Paris 2007 - 14€

- Une bouteille dans la mer deGaza de Valèrie Zenatti. Ed.Ecole des loisirs, Paris, 2005 - 9.50€

AVEZ-VOUS VU ?

- “La visite de la fanfare”réconfortant film israélien, àrecommander (GD, Paris)

- “Faut que ça danse !” jubilatoire por-trait de la famille Belinsky Inattenduevisite du Mémorial de Caen ...Hymne à la vie ! (TRS, Paris)

ERRATUM : Une coquille s’estglissée dans l’éditorial de la PNM dumois dernier (n° 251). En haut dedeuxième colonne, il fallait lire : PRÉ-LEVÉ et non RÉNOVÉ dans la phrase :“remboursement prélevé sur l’héri-tage des allocations d’aide aux per-sonnes âgées ;”

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Wi l l y Ron i s - La v i e en couran t !Entretien par Hélène Amblard

Toute la vie de Willy Ronis est tournée vers la rue, le quotidien, le mouvement social et les instants qui les immortalisent.

Hélène Amblard : La photographieest un art qui a pu s’imposer en par-tie grâce à vous.

Willy Ronis : Grâce à des photogra-phes humanistes, des photographesreporters, oui. Pas mal d’entre euxétaient venus de Hongrie commeCapa, de Pologne comme Chim*. Il yavait des Français comme Doisneau,Cartier Bresson et moi-même. Et parla suite, tous les autres.

HA: Vos parentsvenaient d’Europede l’Est ?

WR: Mon pèrevenait d’Odessa.Ma mère a quitté laLithuanie avec satante à quatre ans.Elles sont restées àBerlin jusqu’à sonadolescence, quandsa tante l’a emme-née à Paris où elle afait ses études. Mamère a eu très peude notions sur lespogromes, sauf surce qu’a pu lui endire sa tante. Elleétait doublementorpheline. Je l’aiconnue sans aucunaccent, alors quemon père a gardé lesien toute sa vie. Ilétait arrivé à Paris àtrente ans environ,conditionné par sapratique du russe etdu yiddish. Ne par-lant pas un mot defrançais, il s’était inscrit dans uneamicale juive russe, où mes parents sesont probablement connus. Mon pèrene jouait d’aucun instrument, mais ilétait très mélomane. Ma mère, bonnepianiste, donnait des leçons. Je suis néen 1910 et mon enfance est scandéepar les gammes qu’elle faisait avec sespetits élèves. Quand mon frère est né,j’avais huit ans. Elle a cessé sesleçons, mais il m’est resté un amourprofond pour la musique. Ma mère ne parlait pas yiddish ; avecmon père, ils ne parlaient que français.Bien sûr, pour les fêtes traditionnelles,on allait à la synagogue mais c’était àpeu près mon seul contact avec la tradi-tion juive. Je savais qu’il existait unmouvement juif laïque progressiste,mais j’étais avant tout préoccupé pardes problèmes de vie quotidienne. Mamère était croyante, mon père ne l’étaitpas. Il ne voyait pas la nécessité dem’apprendre le yiddish ; il avait fort àfaire pour gagner la pitance de la mai-son. Il était d’abord ouvrier photogra-

phe, puis il a dirigé un studio de por-traits, qu’il a acheté dans les années 20.

HA: Vous ne vous destiniez pas à laphotographie ?

WR: J’ai fait un an de droit parce queje voulais être compositeur demusique. Je me disais que si je deve-nais petit fonctionnaire, j’aurais letemps de faire de la musique et qu’ilétait bon d’avoir ces notions. Les cho-

ses se sont arrangées autrement parcequ’en 1932, au retour du service, monpère m’a dit “je suis très malade, j’aibesoin de toi au studio”. C’était la crise ;les affaires marchaient mal. De 1932à 1936, j’ai donc dirigé ce studio oùj’étais entré en reculant. En 1936, à lamort de mon père, après l’abandon dustudio à ses créanciers, je me suislancé dans l’aventure de la photogra-phie indépendante. Je suis descendudans la rue avec un appareil d’ama-teur, et j’ai fait le premier reportageque je m’étais commandé à moi-même, le 14 juillet 1936. C’est là que tout a démarré. Je meretrouvais chef de famille avec unemaman qui n’avait pas de métier etun frère au lycée. Je m’étais impli-qué dans le mouvement antifascisteet je faisais des photos en partie pourgagner ma vie, en partie pour témoi-gner sur le mouvement socialambiant. Le reportage humaniste allemanddes années 20 et 30 avait impulsé un

mouvement formidable avec des jour-naux, des illustrés, où travaillaient desphotographes venus de l’Est, qui ontinfluencé toute l’Europe occidentale. A l’Association des Artistes etEcrivains Révolutionnaires, j’aiconnu Marie Claude VaillantCouturier, photographe à “Regards”.C’était la fille de Lucien Vogel, un trèsgrand journaliste fondateur d’hebdo-madaires et d’illustrés dont “Vu”, qui

a influencé “Life”, népeu après. J’étais auParti Communistesans jamais avoir étéaux Jeunesses. De1936 à 1939, j’ai tra-vaillé pour“Regards”, d’autreshebdos et mensuelsnon communistes. Enfait, j’ai gagné ma viecorrectement jusqu’àla guerre. J’ai étéaffecté dans une pou-drière à Bergerac jus-qu’à ma démobilisa-tion. J’ai évité d’êtrefait prisonnier de jus-tesse et je suis descen-du dans la zone Sudoù je suis resté en fai-sant de petits boulots.Ma mère n’a pas étéinquiétée et pourtant,elle portait l’étoile. A la Libération, jesuis rentré à Paris etj’ai tout de suiterepris pied dans lemétier. Je me suismarié en 1946.Pendant dix ans, ça amarché merveilleuse-

ment. Les difficultés ne se sont mani-festées que dans les années soixante.Il y a eu une crise d’expression avecune prime à la photo américaine, laphoto dure, la photo de choc. Moi, cen’était pas mon style.Je m’en suis sorti en faisant un peude photo industrielle et de publicitéet en 1972, j’en ai eu marre : nousavons quitté Paris pour le Midi. J’ai vécu en faisant des coursd’Histoire de la photo à la facultéd’Aix en Provence et aux Beaux-Arts d’Avignon. J’ai fait égalementdes reportages couleur pour des édi-teurs parisiens sur la Provence. Noussommes restés une douzaine d’an-nées dans le Midi. Aujourd’hui, je marche très mal. J’ai la chance d’avoir des archivestrès importantes chez Rapho. C’estle résultat d’une longue vie de tra-vail dans des registres très diffé-rents. Je m’intéressais aux gens, à lavie quotidienne ; j’étais vraimentdans le siècle.

REJOIGNEZ

MRJ-MOI !Chères lectrices,Chers lecteurs,

Il y a plus de deux ans, naissait unenouvelle association (JO 25/06/2005) :Mémoire des Resistants Juifs de laM.O.I. (MRJ-MOI). Les membresfondateurs de cette association, dontd’anciens des bataillons résistantsjuifs des FTP-MOI, de l’Union desJuifs pour la Résistance et l’Entraide(UJRE) ou de la Commission centra-le de l’enfance (CCE), des militantsdes Amis de la CCE (AaCCE), ontpour objectif la création, au 14 ruede Paradis, d’un lieu de mémoiredédié à la Résistance juive de laM.O.I. et à l’engagement progressis-te et humaniste de celles et ceux quiont prolongé leurs combats après laguerre, jusqu’aujourd’hui. Desdémarches sont en cours auprès despouvoirs publics ; l’OPAC a d’ores etdéjà intégré ce projet dans son pro-gramme de réhabilitation du “14”.Mais il faut faire davantage pourqu’une décision politique soit prise,qui permette l’ouverture de ce lieude mémoire.

Mémoire des Résistants Juifs de laM.O.I. lance un vibrant appel à tou-tes celles, à tous ceux, individus etorganisations, qui voudraient luiapporter leur soutien, en adhérant àl’association, en contribuant finan-cièrement à son efficacité.Rejoignez-nous !

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - BULLETIN :

J’adhère à l’association MRJ-MOI

Adhésion simple : 30 € par anAdhésion de soutien : 50 € et plus…Adressez votre bulletin et votrechèque à : MRJ-MOI, 14 rue deParadis 75010 Paris - Internet :

pagesperso-orange.fr/ujre/pages/mrj-moi.htm

Depuis plus dedix ans, je nefais plus dephoto. Mesphotos, je les faisais en courant !�

* [NDLR] Dawid Szymin, qui se fait appe-ler Chim à son arrivée en France en 1931,s’installe à New York pendant la guerre oùil prend rapidement la nationalité améri-caine. Il y devient David Seymour.

** Photo extraite de l’album de WillyRonis, Didier Daeninckx, A nous la vie !1936-1958 Ed. hoëbeke, Paris, 1996,ISBN 2-84230-009-2, avec l’aimable auto-risation de l’agence Rapho.

Le délégué, 1950 - Délégué des charpentiers de Paris en grève**© Willy Ronis / Rapho.

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