8
La peur n'évite pas le danger L es événements, déclarations et décisions des dernières semaines en disent long sur la volonté de Sarkozy et ses soutiens d’ériger des trompe-l’œil pour éluder leur responsabi- lité à l’égard de la crise, dans la perspective des élections présidentielles qui se profilent en 2012. Cela leur est d’autant plus nécessaire que les grandes luttes pour la retraite à 60 ans, contre l’allongement de la durée de travail et les mesures d’austérité qui frappent durement les classes populaires et les couches moyennes ont accru le mécontentement. Aucune sphère de la vie nationale n’est épargnée par la régression : les services publics, l’éducation, la santé, en passant par la culture… Dans ce contexte, tout est fait par le pouvoir pour canaliser la volonté de changement et détourner la désespérance sociale des causes réelles de la situation, en brandissant la fatalité, la crise mondiale, la dette… Dans cet esprit, il en va de même pour le débat sur l’identité nationale, les discours sécuritaires, la chasse aux Roms et la stigmatisation des émigrés, désignés comme boucs émissaires. Cela a pour conséquence de banaliser et légiti- mer les thèses de l’extrême droite portées par la chef de file du F.N., Marine Le Pen, qui bénéfi- cie d’une promotion médiatique éhontée. Bien qu’elle soit présentée en tant que relève de la droite extrême, comme politiquement correcte et attentive aux préoccupations sociales de l’électo- rat populaire, force est de constater que ses dis- cours lissés et son image relookée sont des leurres. En réalité, comme on vient de le voir dans sa récente sortie sur les musulmans de France, elle est la digne héritière de son père et de ses discours haineux. Elle en conserve les provocations les plus nauséabondes – chassez le naturel, il revient au galop - en comparant les prières de rue des musulmans à l’Occupation des armées nazies durant la Seconde guerre mon- diale. Au-delà du manque de lieux de culte, ces propos jettent l’opprobre sur nombre de nos concitoyens de confession musulmane et les livrent à la vindicte populaire, en faisant d’eux les responsables du mal-vivre dans les cités, alors qu’il est notoire que celui-ci résulte avant tout du chômage, de la précarité et du manque de moyens et d’avenir pour la jeunesse. Certains commentateurs ont tenté d’expliquer que ces propos n’étaient pas dans sa nature ; qu’ils étaient tactiques et destinés à lui rallier les supporters de son concurrent, dans la suc- cession de Jean-Marie Le Pen. Piètre argument. La surenchère dans les dis- cours fascisants, xénophobes, qui rappellent les heures les plus sombres de l’Histoire, montre qu’elle ne craint pas de s’enliser dans les bas- sesses les plus abjectes pour parvenir à ses fins. Il ne faut pas s’y tromper : les frontières de plus en plus poreuses entre la droite parlementaire et son extrême sont porteuses d'énormes dangers car plus rien ne limite le glissement vers des idées et des comportements qui conduisent au pire. Le gouvernement, par l’aval de son Préfet, ne vient-il pas d’autoriser à Paris la tenue d’un meeting ouvertement xénophobe "contre l’isla- misation de l’Europe" présenté, naturellement, sous le voile de la laïcité ? Pour combattre de tels propos et comporte- ments, il ne suffit pas de s’indigner en bran- dissant les valeurs de la République, si dans le même temps, l’on remet en cause ce qui les fonde : la liberté, l’égalité, la fraternité. N° 282 – Janvier 2011 – 29 e année Le N° 5,50 € Roland Wlos "Espace Mémoire du 14" vous sollicite 5 Proche-orient Qu'ont-ils en commun ? D.Vidal 3 La gangrène qui pourrit Israël M.Warschawski 3 Droits de l'Homme À propos de Indignez-vous de S.Hessel 3 Hongrie - Médias... P.Kamenka 3 Cycle "Être juif au XXIe siècle ?" Un petit juif, caché après la guerre G.G.Lemaire 4 Juif, oui ou non ? H.Malberg 4 - 5 Le billet d'humeur L'ami Frits J.Franck 5 Mémoire En alerte brune H.Levart 6 Histoire Exposition Hitler à Berlin F.M. 6 Culture Un p'tit tour au musée P.K. 7 La chronique Cinéma de L.Laufer 7 Sur les traces du Yiddishland J.Lewkowicz 7 Littérature Victor Hugo écrit, combat, évolue (IIe partie) F. Mathieu 8 15/01/1919 - Assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebnecht 27/01/1945 - Libération par l'Armée rouge du camp d'extermination d'Auschwitz Janvier Toute l'équipe de la PNM souhaite à chacun une heureuse année 2011 et à tous la paix dans le monde ! Stéphane Hessel - - Un optimiste actif ! Les Français au premier rang mondial du pessimisme ? pas tous ! Stéphane Hessel ne renonce jamais. Il nous invite à nous enga- ger et à agir pour faire progresser le monde. Aux enfants de Gaza, il dit : « Dans la tête, c'est l'intelligence, dans le cœur c'est le courage et demain c'est la liberté ». (voir en page 5) MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E. Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toute les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Embed Size (px)

DESCRIPTION

27/01/1945 Libération par l'Armée rouge du camp d'extermination d'Auschwitz Stéphane Hessel, un optimiste actif

Citation preview

Page 1: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

La peur n'évite pas le dangerLes événements, déclarations et décisionsdes dernières semaines en disent long sur

la volonté de Sarkozy et ses soutiens d’érigerdes trompe­l’œil pour éluder leur responsabi­lité à l’égard de la crise, dans la perspective desélections présidentielles qui se profilent en2012.Cela leur est d’autant plus nécessaire que lesgrandes luttes pour la retraite à 60 ans, contrel’allongement de la durée de travail et lesmesures d’austérité qui frappent durement lesclasses populaires et les couches moyennes ontaccru le mécontentement. Aucune sphère de lavie nationale n’est épargnée par la régression :les services publics, l’éducation, la santé, enpassant par la culture… Dans ce contexte, toutest fait par le pouvoir pour canaliser la volontéde changement et détourner la désespérancesociale des causes réelles de la situation, enbrandissant la fatalité, la crise mondiale, ladette… Dans cet esprit, il en va de même pourle débat sur l’identité nationale, les discourssécuritaires, la chasse aux Roms et lastigmatisation des émigrés, désignés commeboucs émissaires.

Cela a pour conséquence de banaliser et légiti­mer les thèses de l’extrême droite portées par lachef de file du F.N., Marine Le Pen, qui bénéfi­cie d’une promotion médiatique éhontée. Bienqu’elle soit présentée en tant que relève de ladroite extrême, comme politiquement correcte etattentive aux préoccupations sociales de l’électo­rat populaire, force est de constater que ses dis­cours lissés et son image relookée sont desleurres. En réalité, comme on vient de le voirdans sa récente sortie sur les musulmans deFrance, elle est la digne héritière de son père etde ses discours haineux. Elle en conserve lesprovocations les plus nauséabondes – chassez lenaturel, il revient au galop ­ en comparant lesprières de rue des musulmans à l’Occupation desarmées nazies durant la Seconde guerre mon­diale. Au­delà du manque de lieux de culte, cespropos jettent l’opprobre sur nombre de nosconcitoyens de confession musulmane et leslivrent à la vindicte populaire, en faisant d’euxles responsables du mal­vivre dans les cités,alors qu’il est notoire que celui­ci résulte avanttout du chômage, de la précarité et du manque demoyens et d’avenir pour la jeunesse.

Certains commentateurs ont tenté d’expliquerque ces propos n’étaient pas dans sa nature ;qu’ils étaient tactiques et destinés à lui rallierles supporters de son concurrent, dans la suc­cession de Jean­Marie Le Pen.Piètre argument. La surenchère dans les dis­cours fascisants, xénophobes, qui rappellent lesheures les plus sombres de l’Histoire, montrequ’elle ne craint pas de s’enliser dans les bas­sesses les plus abjectes pour parvenir à ses fins.Il ne faut pas s’y tromper : les frontières de plusen plus poreuses entre la droite parlementaire etson extrême sont porteuses d'énormes dangers carplus rien ne limite le glissement vers des idées etdes comportements qui conduisent au pire.Le gouvernement, par l’aval de son Préfet, nevient­il pas d’autoriser à Paris la tenue d’unmeeting ouvertement xénophobe "contre l’isla­misation de l’Europe" présenté, naturellement,sous le voile de la laïcité ?Pour combattre de tels propos et comporte­ments, il ne suffit pas de s’indigner en bran­dissant les valeurs de la République, si dans lemême temps, l’on remet en cause ce qui lesfonde : la liberté, l’égalité, la fraternité.

N° 282 – Janvier 2011 – 29e année Le N° 5,50 €

Roland Wlos

"Espace Mémoire du 14"vous sollicite 5Proche-orientQu'ont­ils en commun ? D.Vidal 3La gangrène quipourrit Israël M.Warschawski 3Droits de l'HommeÀ propos deIndignez­vous de S.Hessel 3Hongrie ­ Médias... P.Kamenka 3Cycle "Être juif au XXIe siècle ?"Un petit juif,caché après la guerre G.G.Lemaire 4Juif, oui ou non ? H.Malberg 4­5Le billet d'humeurL'ami Frits J.Franck 5MémoireEn alerte brune H.Levart 6HistoireExposition Hitler à Berlin F.M. 6CultureUn p'tit tour au musée P.K. 7La chronique Cinéma de L.Laufer 7Sur les traces du Yiddishland J.Lewkowicz 7LittératureVictor Hugo écrit, combat,évolue (IIe partie) F. Mathieu 8

15/01/1919 ­ Assassinat de Rosa Luxembourg et deKarl Liebnecht27/01/1945 ­ Libération par l'Armée rouge du campd'extermination d'Auschwitz

Janvier

Toute l'équipe de la PNMsouhaite à chacunune heureuse année 2011et à tousla paix dans le monde !

Stéphane Hessel -- Un optimiste actif !

Les Français au premier rang mondial dupessimisme ? pas tous ! Stéphane Hessel nerenonce jamais. Il nous invite à nous enga­ger et à agir pour faire progresser le monde.Aux enfants de Gaza, il dit : « Dans la tête,c'est l'intelligence, dans le cœur c'est lecourage et demain c'est la liberté ».

(voir en page 5)

MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toute les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

Page 2: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Mme Lucette Rozental, son épouseMichèle, Marianne, Yves et Joëlle,ses enfantsAzzedine, Sara, Miléna, Mehdi,Nassim, Nour, ses petits­enfantsJean et Renée Rozental,son frère et sa belle soeurFlorence Toussan RozentalHenri et Suzanne BocjanLes familles Lankiewicz, Georget et Zribiont la tristesse de vousfaire part du décès deMendel Rozental

survenu le 4 décembre 2010à l'âge de 81 ansSes obsèques ont été célébréesdans la plus stricte intimité.

(*) sauf mention explicite (adhésion, réabonnement ou don), vos règlements sont imputés enpriorité en renouvellement d’abonnement, puis en don. Pour rappel, 66% des montantsd’adhésion à l’UJRE et des dons sont déductibles de vos revenus. Nous prions nos abonnés debien vouloir renouveler spontanément leur abonnement, pour nous épargner des frais de relance.Votre PNM vous en remercie d’avance.

Depuis longtemps, vous soutenez par vos pétitions et vos dons, notre combat pourmaintenir, dans nos locaux historiques du "14", l'expression d'une voix juive, laïque et pro­gressiste. Long chemin parcouru, mais non en vain. Notre "14" est sauvé !Première étape franchie, notre "déménagement" du bâtiment C vers les anciens locaux duDispensaire du bâtiment B réhabilités par la Ville de Paris. Leur gestion est désormaisassurée par la Fédération "Espace Mémoire du 14" qui regroupe, depuis le mois de no­vembre, ses trois fondateurs : l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE),Mémoire des Résistants Juifs de la MOI (MRJ­MOI) et Les Amis de la CCE (AACCE). Dèsque tous auront fini... d'emménager, nous saurons fêter dignement l'événement !Prochaine étape : réaliser l'Espace Mémoire dédié à l'engagement des résistants immigrésjuifs de la M.O.I. dans les anciens locaux de l'imprimerie de la Naïe Presse. Nous soutenonsce prestigieux projet pris en charge par nos amis de MRJ­MOI (voir en page 5).Conscients des multiples appels que vous recevez, nous souhaitons préciser pourquoi nousmaintenons, dans ces colonnes, cette souscription permanente – et où va l'argent ? S'ajou­tant aux cotisations de nos adhérents, aux abonnements de la PNM, il contribue au finance­ment de la Fédération pour sa gestion des locaux et assure le développement des activitésde l'UJRE (rencontres, débats) et notammment de son activité éditoriale. Connaissant votreattachement à notre journal "pas comme les autres", nous vous remercions d'avance pourvotre soutien. TaubaAlman, secrétaire de l’Ujre

Sophie Szejer nous communique :"Je recherche mes cousines, Rachel etGeorgette Chimisz, dont le nom estcelui que portait ma maman. Rachels'est mariée le 20 juin 1953 avec HenriBelhassen. La réception a eu lieu au 14rue de Paradis à Paris. Rachel et sonmari sont partis en Israël en 1969. Jesuis seule et j' éprouve le besoin deconnaître mes racines. J'ai un besointerrible de savoir. Il m'est difficile de

parler demoi. Mal­heureusement, je n'ai jamais connumes grands­parents et de ma jeunesse,à part mes petites cousines, Rachel,Georgette, et leurs parents, les sou­venirs sont inexistants. Je suis à votredisposition pour tous renseignements."Merci si vous avez des éléments deréponse de les transmettre au journal.PNM

PARRAINAGE(10 € pour 3 mois)J'OFFRE UN ABONNEMENT À :Nom et Prénom .........................Adresse .....................................Téléphone .................................Courriel .....................................

BULLETIN D'ABONNEMENTJe souhaite m'abonner à votre journal

"pas comme les autres"magazine progressiste juif.

Je vous adresse ci–joint mes nom, adressepostale, date de naissance, mèl et téléphone

Carnet Communiqué de presse

Marine Le Pen a comparé de façon indécente et insensée la présence de musulmans enprière sur certains trottoirs de ville à l’Occupation allemande au cours de la Secondeguerre mondiale. S’exprimant ainsi, elle agit comme si elle tenait pour négligeable l’unedes conséquences particulièrement tragique de l’Occupation : les persécutions raciales quiont entraîné l’assassinat de millions d’êtres humains. L’UJRE, née dans la Résistance àl’Occupant nazi, ne saurait l’oublier.Nous constatons que cette déclaration, dont l’écho sans précédent et injustifié, est relayé parl’ensemble des médias, dénie le besoin de lieux de réunion auxquels les musulmans ontdroit au même titre que d’autres confessions et génère de lourds dangers.Stigmatiser une partie de la population qui se sentira exclue, contribue à créer un climat deviolence dont l’extrême droite recueillera tout naturellement les fruits en criant àl’insécurité.Tout se passe comme si l’on cherchait par ce vacarme une diversion de natureprofondément raciste et discriminatoire, l’opposition de catégories dont les antagonismessont artificiellement dressés et l’occultation d’un débat nécessaire sur les moyens de sortirla France et l’Europe des crises économique, sociale et politique qui les affectent.Nous, Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, dénonçons cette diatribe de MarineLe Pen et soutenons totalement la démarche du MRAP qui porte plainte pour incitation à lahaine raciale.Chacun est concerné, du simple citoyen aux organisations laïques et progressistes sansoublier les médias. UJREParis, le 15/12/2010

Ujre - La Presse Nouvelle - Souscription* n° 57(décembre 2010)

Avis de recherche

Communiqué de presseBilletduPrésidentL'année 2010 restera marquéepar les graves reculs que lepouvoir sarkozyste a, dans l'intérêtdu patronat, imposés dans le do­maine politique et social.Le plus marquant est certainementla remise en cause de notre sys­tème de retraites, sous prétexted’évolution démographique.En refusant d’envisager de nou­velles modalités de financementdes pensions et malgré le retardimposé à l’âge du bénéfice decelles­ci, Sarkozy et ses affidés,contrairement à leurs affirmations,mettent en cause l’avenir de laretraite par répartition.Comme pour les retraites, Sarkozypromet aujourd'hui de ne toucherni aux salaires, ni au statut desfonctionnaires. Il continue en faitde poursuivre, à marches forcées,le démantèlement du programmedu Conseil National de la Ré­sistance pour lequel, entre autres,nos aînés ont œuvré et lutté.C'est dans le cadre de ce pro­gramme réactionnaire qu'est venues'ajouter une offensive contre ladémocratie stigmatisant les popu­lations "issues de l’immigration",à commencer par les Roms. Celas'inscrit dans une tradition que lapopulation juive connaît bien, celledes chasses à l'homme initiées parles dirigeants de la période vi­chyste, dont les héritiers souhaite­raient qu'elle s'étende aux mu­sulmans.L’UJRE, pour sa part, a toujoursconsidéré comme un devoir decombattre tout propos, toute poli­tique xénophobe. Elle répondratoujours présente sur ce front.En même temps, rien n'est réglé enmatière de recherche de la paix auProche­Orient. La population israé­lienne aspire à vivre en sécurité. Cedésir légitime est inconciliableavec la poursuite de la colonisationen Cisjordanie. Menée par le gou­vernement Nethanyaou, elle cons­titue un obstacle insurmontable àla négociation d'un accord de paix.La solidarité manifestée à traversle monde en faveur de la paix auProche­Orient doit se maintenir.Conformément aux valeurs portéesdepuis toujours par l'UJRE, celle­cis'associera aux luttes sociales et po­litiques progressistes.Formons le vœu d'un plein succèsde ces dernières dans ces différentsdomaines.À chacun d’entre vous et à vos pro­ches, nous souhaitons réussite etbonheur.Bonne année à tous.

Jacques Lewkowiczprésident de l'UJRE

Marine Le Pen et l'entretien d'un vacarmedangereux pour l'avenir de la France

Nom Montant Nom Montant

Total 1935

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934Editions :1934­1993: quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1940 à 1944)1965­1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNMéditées par l'U.J.R.E

N° de commission paritaire 0614 G 89897Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZRédacteur en chefRoland WlosConseil de rédactionClaudie Bassi­Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili­Lafon, Patrick Kamenka,Nicole MokobodzkiAdministration ­ AbonnementsSecrétaire de rédactionTauba­Raymonde AlmanRédaction – Administration14, rue de Paradis75010 PARIS

Tel : 01 47 70 62 16Fax : 01 45 23 00 96Courriel : [email protected] : http://ujre.monsite.orange.fr(bulletin d'abonnement téléchargeable)

Tarif d'abonnement :France et Union Européenne :6 mois 28 euros1 an 55 eurosEtranger (hors U.E.) 70 eurosIMPRIMERIE DE CHABROLPARIS

Mendel Rozental. Sensible, mélomane, cou­rageux, impliqué dans son temps, son engage­ment*, son Belleville, sous des dehors bourrus,il cultivait l'amitié, le partage et la transmission.Adhérent de l'UJRE depuis toujours, fidèle lec­teur de la PNM, sa devise, "rien n'est jamaisacquis, que par les luttes", il l'appliqua jusqu'aubout. Marcel, déjà absent à notre dernière A.G.,tu nous manques... Nous adressons nos plus sin­cères condoléances dans cette épreuve à Lucetteson épouse et à sa famille. L'UJRE et la PNM.* Secrétaire de la Fédération Cgt des Métallos parisiens.

Tous bénévoles !À l'occasion du 10e anniversaire de l'Annéeinternationale du Bénévolat ­ Volontariat,rappelons que tous nos collaborateurs sontbénévoles. Le témoignage de nos lecteursqui expriment leur satisfaction nous encou­rage. Nous continuons. Avec vous ? N'hési­tez pas à nous contacter ! PNM

2 P.N.M. 282 ­ Janvier 2011

Page 3: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Miche

lWars

chawsk

i

Le 1er janvier, la Hongrie prend pour sixmois la présidence de l'Union européenne.Problème ! Les élections législatives d'avril2010 ont donné la majorité absolue au Fi­desz, parti conservateur allié à la formationd'extrême droite, nationaliste, populiste etantisémite*, le Jobbik.Le 21 décembre, le premier ministre con­servateur Viktor Orban a fait voter une loiliberticide, contraire notamment à l'article11** de la Charte européenne des droitsfondamentaux qui garantit « la liberté desmédias et leur pluralisme ». Elle institueun Conseil des medias composé de sixmembres, tous choisis dans les rangs du Fi­desz, qui peut infliger aux médias de trèsfortes amendes en cas d' « atteinte à l'ordrepublic » ou d'articles jugés « non équili­brés ». La même loi astreint les journalis­tes à dévoiler leurs sources au motif de laSécurité nationale.Vives critiques des organisations de défensedes droits de l'Homme et des journalistes.Embarras à Bruxelles où les Commissairesse renvoient le dossier. PK* A.11 : Liberté d'expression et d'information1. Toute personne a droit à la liberté d'expres­sion. Ce droit comprend la liberté d'opinion et laliberté de recevoir ou de communiquer des in­formations ou des idées sans qu'il puisse y avoiringérence d'autorités publiques et sans con­sidération de frontières. 2. La liberté des médiaset leur pluralisme sontrespectés.Indignonsnous !Le livre* deStéphane Hessel– ambassadeur deFrance – bat tous lesrecords de vente. Cet ancien résistant,rescapé de Buchenwald et de Dora,a aujourd'hui 93 ans. Il a contribué à l'é­laboration du programme du Conseil Na­tional de la Résistance, dont il considèreaujourd'hui encore les valeurs commeaussi fondamentales que celles de la Dé­claration Universelle des Droits del'Homme à l'élaboration de laquelle ilcontribuera un peu plus tard.C'est bien pourquoi il nous exhorte à"une insurrection pacifique" chaque foisque ces valeurs sont menacées.Chaud partisan de la création de l'Étatd'Israël, qu'il définit aujourd'hui encorecomme une démocratie, il n'en est queplus à l'aise pour rappeler, deux ansaprès l'opération Plomb durci, la situa­tion désespérée de Gaza :"Allez à Gaza, allez à Gaza !" répète­t­il,invitant ceux qui ne le peuvent, à lire lerapport du juge Goldstone, juif pratiquantrappelons­le, qui établit que l'armée is­raélienne a commis des "actes assi­milables à des crimes de guerre etpeut­être dans certaines circonstances,à des crimes contre l'humanité".Stéphane Hessel écrit : "Je partage lesconclusions du juge sud­africain. Quedes Juifs puissent perpétrer eux­mêmesdes crimes de guerre, c'est insuppor­table".* Stephane Hessel, Indignez­vous, Ed. Indi­gène, 2010, 32 p., 3€

La réalité dépasse l’affliction : unedélégation de près de 35 parlemen­taires et responsables européens d’extrêmedroite – dont le Néerlandais Geert Wil­ders[i], le Belge Filip De Winter et le suc­cesseur de Jorg Haider, l’AutrichienHeinz­Christian Strache – a séjourné endécembre en Israël, accueillie avec leshonneurs dus aux hôtes de marque : récep­tion à la Chambre des députés, rencontresavec des ministres et des dirigeants de dif­férents partis, séjour à Sderot à l’invitationdu maire travailliste, sans oublier unetournée de colonies juives en Cisjordanie.Qui se ressemble s’assemble : le vice­pre­mier ministre et ministre des affairesétrangères Avigdor Lieberman – cet an­cien videur de boîte de nuit moldave dé­cidé à débarrasser l’État qu’il veut juif deses Palestiniens – a conversé chaleureuse­ment avec le Néerlandais Gert Wilders,qui rêve, lui, d’interdire le Coran.Qu’ont donc en commun les descendants– directs ou indirects – de la mouvanced’où surgit la « bête immonde » et leshéritiers des victimes du génocide nazi –du moins de celles et ceux qui refirent leurvie là­bas ?La European Freedom Alliance (EFA),dont se réclamait cette délégation, cons­titue la branche européenne de l’associa­tion américaine éponyme. 42e fortune deLos Angeles[ii], évaluée à 750 millions dedollars, le mécène Aubrey Chernick, quifinance ce groupe comme d’autreségalement liés à la droite israélienne,prône, avec la Déclaration de Jérusalem,une alliance des démocraties contre cette« nouvelle menace globale de typetotalitaire : l’islamisme ».De retour en Europe, plusieurs de ces« touristes » d’un genre nouveau en Israëlont participé à Paris aux Assises del’Islamisation, organisées par les grou­puscules islamophobes Riposte Laïque etBloc Identitaire – inventeurs des soupespopulaires au porc ­ avec l’appui du siteultrasioniste et ultra­atlantiste drzz.fr.Boucle bouclée : parmi les administrateursdudit site figure Pierre­André Taguieff quia fait (re)parler de lui en écrivant sur son «mur Facebook[iii] » : « Quand un serpentvenimeux est doté de bonne conscience,comme le nommé [Stéphane] Hessel, il estcompréhensible qu'on ait envie de luiécraser la tête. » Dominique Vidal[i] Selon l’AFP, « Wilders a plaidé contre la res­titution de territoires en échange de la paix avecles Palestiniens, proposant l'installation “volon­taire” des Palestiniens en Jordanie, qu'il décritcomme le véritable État palestinien. “Le conflitici au Moyen­Orient ne porte pas sur le terri­toire et les frontières, mais sur l'opposition entrele jihadisme islamique et la liberté occidentale”.Les gens “se trompent en pensant qu'en aban­donnant la Judée­Samarie (Cisjordanie, NDLR)et Jérusalem­Est pour les donner aux Palesti­niens, cela mettra fin au conflit entre Israël et lesArabes”, a­t­il estimé, selon la même source. Il adéfendu les colonies juives en Cisjordaniecomme des “petits bastions de la liberté, défiantdes forces idéologiques qui nient non seulementà Israël, mais à tout l'Occident le droit de vivredans la paix, la dignité et la liberté” ».[ii] « The 50 Wealthiest Angelenos : AubreyChernick ­ #42 », Los Angeles Business Journal,24 mai 2010.[iii] Cf. www.drzz.fr/soutien­a­pierre­andre­taguieff­cible­dune­campagne­de­diffamation­et­dintimidation) (sic).

illégale l’interdiction faite à des citoyensarabes de louer ou d’acheter desappartements dans certaines localités.Parce qu’elle avait participé à la flottille dela Liberté, la députée Hanine Zoabi s’estvue retirer une partie de ses droits de parle­mentaire, plusieurs députés n’hésitant pas àexiger qu’on lui retire également sa nationa­lité (sic).Quant aux sans­papiers – pour la plupartvenus par le Sinaï d’Éthiopie ou d’Érythrée,ils sont les victimes de mesures de rétentionet d’expulsion qui elles aussi feraient pâlird’envie Brice Hortefeux.Une telle politique légitime aux yeux dureste de la population les pratiques les plusxénophobes et racistes. C’est ainsi qu'ungroupe important de rabbins – pour la plu­part fonctionnaires – ont publié une Fatwainterdisant la location d’appartements à desnon juifs. Une déclaration en ce sens, faitel’an passé par le Grand Rabbin de Safed,avait entraîné un véritable pogrome anti­arabe dans sa ville, le jour de Kippour.Un sondage commandé par l’Institut Israé­lien pour la Démocratie nous donne uneimage effrayante de l’état d’esprit de lasociété juive israélienne : 54% soutiennentle serment d’allégeance pour avoir le droitde vote, 45% demandent de limiter les pou­voirs de la Cour Suprême, 33% soutien­nent l’ouverture de camps de détention pourles citoyens arabes en temps de guerre, 46%ne veulent pas avoir de voisins arabes, 53%affirment que l'État devrait encourager l’é­migration des Arabes, 55% soutiennent lesdiscriminations budgétaires qui favorisentles Juifs et 70% s’opposent à ce que lenombre d’Arabes dans les institutions aug­mente, alors que ces derniers sont grave­ment sous­représentés.Confronté à ces données par un journaliste,le ministre des affaires étrangères, AvigdorLieberman a accusé les dirigeants de lacommunauté arabe :"Ceux qui manifestent en Israël avec desportraits de Hassan Nasrallah, exprimentleur soutien au Hezbollah qui soutient leHamas contre l'État d'Israël. Ils sont res­ponsables de ces résultats".Et à la question de savoir s’il ne se sentaitpas un peu responsable de l’aggravation dela haine des Juifs envers les Arabes, leministre d'extrême droite a répondu : "Nousessayons de défendre une politique sensée,une politique d’auto­défense. Ce que l’onpeut voir dans l'État d'Israël est inédit, quece soit en Grande­Bretagne, aux États­unisou dans tout autre État démocratique :l’ancien député Azmi Bishara qui a été ac­cusé, à tort, d’espionnage et s’est enfui dupays, continue de toucher sa retraite d'an­cien parlmentaire (6 000 shekels), bien qu'ilattaque chaque semaine Israël, sur lachaîne du Hezbollah ou à la télévisioniranienne ."Ainsi parle le ministre israélien des affairesétrangères. Pas étonnant alors que lessondages nous montrent une sociétéisraélienne gangrenée par le racisme.La gauche s’est acoquinée avec la droitedans la lutte contre la "menace islamiste".Elle en paie le prix par sa marginalisation.La société israélienne le paie par l’absenced’un antidote à la gangrène raciste, quipourrit son corps et son âme.Michel WarschawskiJournaliste, ancien pdt. du Centre d'infor­mation alternative

Europe

Peu après le massacre de Gaza,l'éditorialiste du quotidien Haaretz,Gideon Levy, publiait un article autitre éloquent, "La gauche [israélienne] estmorte et enterrée".Constat désespéré mais réaliste : l'ensemblede la classe politique, gauche sionisteincluse, avait soutenu l'agression et lediscours politique qui la justifiait. Alors quele monde entier exprimait son indignationface aux destructions massives et àl'assassinat de plus d'un millier de civils, laPaix Maintenant et le parti Meretz ontsoutenu le gouvernement, se contentant decritiquer l' "usage disproportionné" desmoyens mis en œuvre.Pendant un mois, 7 à 8 000 personnes, entout et pour tout, ont manifesté leur colèreet leur honte, dans une désolante margina­lité qui n'a fait que confirmer l'alignementde la société israélienne toute entière der­rière la politique criminelle de la coalitionau pouvoir, et la disparition du mouvementde la Paix du paysage politique israélien. Ils'agit d'un tournant majeur, si l'on prend encompte la centralité et l'efficacité de cemouvement pendant la guerre du Liban(1982­1985) et l'Intifada (1987­1990),efficacité qui avait permis le retrait del'armée israélienne du Liban, la recon­naissance de l'OLP et l'ouverture de négo­ciations avec la direction du mouvementnational palestinien.C'est ce mouvement de masse que GideonLevy enterre en 2009, ajoutant qu'il faudraune génération avant qu'un nouveau mou­vement pacifiste de masse réapparaisse surla scène politique de l'État d'Israël.Quelques mois plus tard, les élections à laKnesset confirment cet écroulement de lagauche. Si la "gauche" fait la politique dela droite, autant voter pour ses repré­sentants directs : le Parlement est donc di­visé aujourd'hui entre extrême droite etdroite extrême, le centre gauche n'étantplus qu'une force groupusculaire, àl'exception des neuf députés de partisarabes; le groupe Travailliste, longtempshégémonique, n'a plus aucun poids, et leMeretz, qui avait il y a une dizained'années 12 députés (sur 120) n'en a plusque trois. Ehoud Barak, ayant rejoint legouvernement d'extrême droite Netanya­hou­Lieberman, les chances d'une résur­rection travailliste sont quasiment inexis­tantes, ce qui ne semble pas gêner son lea­der, personnage cynique dénué deprincipes et d'idéologie et pour qui le Partin'a jamais été autre chose qu'un outil quilui permette d'être Premier Ministre ouMinistre de la Défense.Une fois formé, le gouvernement Neta­nyahou­Lieberman­Barak s’est empresséde faire voter une longue série de lois quiétaient au cœur du programme électoral deLieberman et feraient mourir de jalousieFini, Le Pen et tous les autres racistes de laplanète : la loi sur la nationalité qui exige,de quiconque (non Juif, évidemment) vou­drait devenir citoyen – un serment d’allé­geance à l'État d'Israël comme État duPeuple Juif ; un amendement à la loi d’en­trée en Israël qui ne reconnaît plus le droitau regroupement familial à un citoyen(non Juif évidemment) et l’oblige, s’il estmarié à un non­résident à quitter le pays,s’il veut vivre avec son conjoint. Uneautre loi vient contourner une législationde la Cour Suprême qui avait déclaré

Tapis rouge...pour l'extrême droiteLa présidence de laHongrie dérangeProche-OrientPoint de vue La gangrène quipourrit Israël

P.N.M. 282 ­ Janvier 2011 3

Page 4: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Douadic, près dela ville de LeBlanc.Sauvés, sauvéscomme le furentpar bonheur lestrois quarts desjuifs de France. Grâce à qui ? Qui nous aportés, dissimulés, protégés, parfoisnourris, donné du courage ?"Des Français" comme disait ma mère.Des concierges, des agriculteurs, des vi­gnerons, un passeur gratuit après unpasseur voleur. Un comte et une com­tesse – pétainistes par ailleurs – des gar­diens du camp...Et ceux qui faisaient semblant de ne pasvoir, simples passants ou flics, lorsquenous traversions Paris, avec des valises,pour aller prendre le train à la gared’Austerlitz … fuir. Et les contrôleurs detrains. Vive les contrôleurs. Et ceux quiont risqué leur vie pour cette famillejuive comme pour tant d’autres.Certes il y eut des salauds, des dizainesde milliers de salauds, mais aussi descentaines de milliers de braves gens,fraternels avec les familles juives, avecles enfants juifs.Et ce fut la Libération. Et d’abordl’insurrection nationale, ce miracle où lesadolescents que nous étions dans levillage s’étaient armés en volant desrevolvers dans un dépôt de parachutageet "attendaient les boches".Or l’armée allemande montait vers leNord, après avoir assassiné à Tulle et àOradour­sur­Glane. Ils étaient à 30 km.et ne vinrent pas. Je me suis aperçudepuis qu’il y a toujours du héros chezles jeunes quand l’Histoire parle.Puis le retour à Paris. Notre apparte­ment vidé et occupé par un jeune couplequi n’en pouvait mais … On nous dit quel’on pourrait peut­être récupérer nosmeubles, et on nous expédia au sous­soldu Palais de Chaillot. Dans l’immenseentrepôt, des meubles étaient entassésaussi loin que portait le regard. Bric­à­brac poignant, écho terrible desmontagnes de valises et de lunettes quel’on peut voir aujourd’hui à Auschwitz.Nous sommes repartis en laissantderrière nous, silencieux, les milliersd’objets, pauvres témoins de viesassassinées. Mais la vie reprenait, noustrouvâmes un logement dans la longuecourée du boulevard de la Villette,libérée par la déportation de tous les juifsqui y demeuraient. Mon père retrouvason atelier d’artisan et du travail.Tout de suite pour moi ce fut la rencontreavec les jeunes communistes. Ils repré­sentaient le courage, nombre d’entre euxavaient libéré Paris, les réunions bouil­lonnaient d’intelligence politique. Ilscroyaient en l’avenir. Je n’ai pas aban­donné le chemin rencontré lors de mes15 ans. Et j’ai, naturellement, le souvenirprécis d’erreurs de jugement et de com­portement qui ont hélas, dans ce siècleterrible marqué mes idées et ma vie.

HenriMalberg

J’ai remarqué que les personnes à quil'on pose ces questions parlentd’abord de leur enfance. Je fais demême. Je suis né à Paris, à Belleville.Ma mère ne savait pas un mot defrançais quand elle s’est présentée à lamairie du XXe pour déclarer la naissancede son fils. Elle devait en savoir assezpour négocier mon prénom avecl’employé. Ils décidèrent que Henric’était bien. Va pour Henri.Puis, je suis resté dans les jupes demaman jusqu’à sept ans, je ne parlaisdonc que le yiddish, mais j’ai servi assezvite d’interprète quand on allait encourses. Puis, immense événement pourmoi, je suis entré à l’école primaire ruedu Général Lassalle dans le XXe arron­dissement de Paris. Ce fut l’éblouis­sement. J’ai appris à lire et écrire. Etmême à parler correctement.J’ai eu le prix d’excellence dès la 2e an­née. Mon père, appelé à la tribune, n’enpouvait plus de bonheur. La Francel’épousait à travers son fils. Il ne voulaitque ça. Il m’a dit un jour, comme unmessage de vie : "Sois un bon petit fran­çais, apprends bien à l’école."Stimulé par l’école, je me mis à lire toutce qui me tombait sous la main. EtMichel Zevacco, et Alexandre Dumas, etHugo, et Zola... et les illustrés de l’épo­que, chaque jour, et le cinéma du jeudi...Pour mon père, acheter des bonbons nelui allait guère, mais il ne m’a jamaisrefusé un livre.Les enseignants étaient justes, stricts etformidablement stimulants. A l’école,juif ou pas juif, étranger ou Français, toutcela faisait un mélange parfois bagarreur.Mais les instit's veillaient au grain, etbannissaient tout dérapage raciste ouxénophobe. Chapeau, les enseignants dece pays !Et ce fut la guerre. En juin 40, j’ai vuentrer les Allemands dans Paris. Lespoliciers avec leur drôle de pèlerine leurfaisaient la circulation.Toujours soucieux d’obéir à la loi, mesparents allèrent faire la queue aucommissariat de police de la rue Pradierpour s’inscrire comme juifs. Et nousportâmes l’étoile qu’on voulaitinfamante. L’idée que c’était le premierpas vers la déportation et la mort ne leseffleurait même pas. Et puis la policefrançaise ce n’était pas à leurs yeux, lesAllemands.Puis vint, en juillet 1942, la rafle duVel’d’Hiv. Je me souviens : maman, quiaccompagnait mon père au travailchaque jour, pour le protéger des raflesqui se faisaient quotidiennes, rentra enhâte à la maison et me dit "Vite, Henri,on va se cacher".Les années de peur commencèrent.Ayant échappé au Vel’d’Hiv, nouscommençâmes à fuir. Se cacher à Paris etpuis fuir de Paris, se nicher en Touraine,être rattrapés par la gendarmerie,envoyés dans un camp dans l’Indre, à

Cette histoire, qui est l’histoirede ma vie, peut­être l’aurais­jeenterrée si je n’avais rencontré

un metteur en scène, Ivan Morane,dont la jeunesse présente quelquesimilitude avec la mienne.J’ai été élevé par ma mère seule.Celle­ci n'étant pas mariée, ce ne futpas pour moi une partie de plaisir àl’école : mes petits camarades n’ontpas tardé à me faire entrer dans lecrâne que j’étais l’enfant du péché,voire le fruit impur d’une femme demauvaise vie. Je crois que cette honteque j’éprouvais ne m’a jamais quitté.J’ignorais tout de mon père. Personnedans ma famille n’a voulu m’éclairer.Les uns et les autres sous­entendaientparfois des choses que je ne compre­nais pas. Mes cousines me susurraientque j’étais le mouton noir de lafamille. J’étais différent, sans savoiren quoi. Le temps passant, je renonçaià questionner et à savoir. J’avaisl’intuition qu’il y avait quelque chosed’anormal du côté paternel, quelquechose ayant trait au monde juif. Maisje n’en étais pas tout à fait sûr. A yrepenser, je me demandais pourquoima mère, qui ne faisait pas de poli­tique, avait l’oreille collée au transis­tor quand il y eut le conflit de Suez etla guerre des Six Jours…Déjà à l’école communale, ma mèrem’envoyait dans des colonies de va­cances catholiques. Elle me faisaitaller à la paroisse et me fit admettre,non chez les scouts, mais dans unepetite troupe de garçons en uniformebleu qu’on appelait les Saint­Martin.C’était en réalité une organisation ultra­religieuse et ouvertement fasciste. Aulycée, je dus suivre le catéchisme, oùje ne brillais pas alors que j’étais ex­cellent en histoire. Il y avait je ne saisquoi qui n’allait pas dans cette affaire.Chez moi (je parle de ma mère et demon oncle), on était athée. On neparlait d’ailleurs jamais de religion,alors que mon oncle était unautodidacte intelligent, qui lisaitbeaucoup et écoutait Radio­Sorbonnedans son atelier de reliure. Je fis mapremière communion, revêtu de cetteaube ridicule. Puis je ne tardai pas àperdre le peu de foi que j’avais tentéde cultiver.Avec les études supérieures, par bon­heur, j’oubliai ces épisodes troublantset perturbants, me passionnant pour laphilosophie, l’art et la littérature. Lavie me transportait dans un flux oùl’inconscience l’emportait sur laraison.Avec la mort de ma mère, je découvrisdans ses papiers le nom de mon père,

un livre qu’ilavait écrit surla Campagnede France.J’appris aussiqu’il était marié et qu’il avait installéma mère dans un petit appartement quia fait l’objet d’une contestation de lapart de l’épouse légitime de cethomme, décédé alors que j’étais petit.Hélas, je n’avais pas assez d’élémentspour le retrouver. J’avais cru, pour lepeu que j’avais ouï pendant mesjeunes années, qu’il était russe ou qu’ilétait originaire de ces vastes régionsde l’Est. Et puis voulais­je vraiment lesavoir ?L’affaire aurait pu en rester là si mescousines n’avaient eu l’étrange idée deme remettre, en même temps que mapart de l’héritage de mon grand­pèrematernel (mort en 1929 !), des photo­graphies anciennes, surtout une de mamère à l’âge de dix­neuf ans. Elleavait un air levantin qui avait disparuplus tard – mais j’ai hérité de cettephysionomie exotique s’ajoutant à"l’air de famille". L’aînée me dit quenous avions une arrière­grand­mèrejuive à Strasbourg et me le démontrasur l’arbre généalogique qu’elle avaitdressé. Elle confirma ce que j’avais puinduire de mon père, sans me donnerde détails, sauf un, essentiel : c’est mamère qui n’avait pas voulu que monpère me reconnaisse, contrairement àce qu’elle m’avait affirmé (c’était leseul point sur lequel elle s’étaitexprimée). Et elles sont reparties avecla meilleure conscience du monde enme rappelant que j’étais le seul Juif dela famille.En somme, j’ai été l’un des enfantsjuifs "cachés" après la guerre, appar­tenant à une famille qui s’est cachéedepuis longtemps. Cela peut semblerun peu baroque et risible, mais lesévénements de l’Occupation ont laissédes marques profondes et ont été àl’origine de ces mensonges sans fin.Toutes les familles, même les plusmodestes, les plus insignifiantes,comme la mienne, ont leurs secrets. Etces secrets ont la vie dure. D’autantplus quand on apprend que ma grand­mère maternelle se serait suicidée augaz à Saint­Mandé en 1943. Ce dramepourrait passer pour une très mauvaiseplaisanterie s’il n’y avait pas tout cedéni et ce travestissement inépuisablede la vérité dans le seul but de ne pasappartenir à cette communauté« étrangère » poursuivie par unemalédiction millénaire…

Gérard-Georges LemaireÉcrivain, éditeur, historien et critique d'art

C y c l e o p i n i o n s : ê t r e J u i f a u X X I e m e s i è c l e

Un petit juif, cachéaprès la guerreGérard­GeorgesLemaire© Mathieu Bourgois

Juif.Oui ou non ?

(suite

enpag

e5)

4 P.N.M. 282 ­ Janvier 2011

Page 5: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

OUI je veux participer à la création de l’Espace Mémoire dédiéaux résistants juifs de la M.O.I.Nom PrénomAdresseCP Ville PaysMailJe fais un don deà inscrire sur le mur de l'Espace Mémoire : OUI NONChèque à l’ordre de M.R.J.­M.O.I. à envoyer au 14 rue de Paradis 75010 Paris

Indignonsnous !Le livre* deStéphane Hessel– ambassadeur deFrance – bat tous lesrecords de vente. Cet ancien résistant,rescapé de Buchenwald et de Dora,a aujourd'hui 93 ans. Il a contribué à l'é­laboration du programme du Conseil Na­tional de la Résistance, dont il considèreaujourd'hui encore les valeurs commeaussi fondamentales que celles de la Dé­claration Universelle des Droits del'Homme à l'élaboration de laquelle ilcontribuera un peu plus tard.C'est bien pourquoi il nous exhorte à"une insurrection pacifique" chaque foisque ces valeurs sont menacées.Chaud partisan de la création de l'Étatd'Israël, qu'il définit aujourd'hui encorecomme une démocratie, il n'en est queplus à l'aise pour rappeler, deux ansaprès l'opération Plomb durci, la situa­tion désespérée de Gaza :"Allez à Gaza, allez à Gaza !" répète­t­il,invitant ceux qui ne le peuvent, à lire lerapport du juge Goldstone, juif pratiquantrappelons­le, qui établit que l'armée is­raélienne a commis des "actes assi­milables à des crimes de guerre etpeut­être dans certaines circonstances,à des crimes contre l'humanité".Stéphane Hessel écrit : "Je partage lesconclusions du juge sud­africain. Quedes Juifs puissent perpétrer eux­mêmesdes crimes de guerre, c'est insuppor­table".* Stephane Hessel, Indignez­vous, Ed. Indi­gène, 2010, 32 p., 3€

HenriMalberg

L'UJRE, MRJ­MOI et l'AACCE viennent d'emménagerdans une partie des locaux rénovés du "14", mais ...IL NOUS RESTE À ÉDIFIERL'ESPACE MÉMOIRE DU "14"Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I. – cofondéepar l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE),d'anciens résistants de l'Union de la Jeunesse Juive (UJJ) et lesAmis de la Commission Centrale de l'Enfance (AACCE) – a pour objet d'édifier unEspace Mémoire, au 14 rue de Paradis.Vous avez signé l’appel qui a permis, avec le soutien et l’engagement de la Ville deParis et de son Maire, que ce projet prenne corps. Vous aurez à cœur d'honorerl’engagement des résistants immigrés juifs de la M.O.I., partie intégrante de laRésistance française, de faire vivre les valeurs de leur combat et de les transmettre.Certes, le “14” est sauvé et sa rénovation progresse rapidement mais l’aménage­ment de l'espace muséal dans ce lieu historique est aujourd'hui suspendu, faute definancements suffisants. Quarante mille euros (40.000 €) restent encore à trouverpour poursuivre sa réalisation. Le temps presse, il nous reste cinq mois pour réunircette somme.MRJ­MOI sollicite les pouvoirs publics et lance, auprès des particuliers, une sous­cription faisant appel à leur générosité. Chaque don est important. Les noms des do­nateurs qui le souhaitent seront inscrits sur un mur de l'Espace Mémoire. La PNMsoutient cette souscription.

Merci de votre soutien. Un reçu fiscal vous sera adressé.

URGENT

Je veux m’étendre un peu sur ce qu’asignifié pour moi la rencontre avec leParti Communiste et comment s’estforgée ma vision du monde et de lasociété. Avec l’école laïque et les souf­frances de la France occupée, j’avaiscompris fusionnellement que ce paysétait le mien. Avec les communistes, jedécouvrais le sentiment de l’universel.J'ai rencontré les ouvriers parisiens dansles usines de la métallurgie où j'ai tra­vaillé dès mes 18 ans. Ils étaient magni­fiques, de conscience professionnelle, defierté ouvrière, de fraternité avec cejeune homme que j’étais.D’ailleurs, si on regarde le XXe siècle,c’est le mouvement ouvrier et les partisse réclamant du marxisme qui ont rejetéle plus fondamentalement l’antisémi­tisme et la xénophobie. Et du mêmemouvement, combattu et contenu tousles obscurantismes.Je veux ajouter que rencontrant lesouvriers parisiens, je rencontrais enmême temps l’œuvre des intellectuelsissus de la Résistance et la pensée pro­gressiste. Je découvrais ainsi Picasso,Aragon, Eluard, François Mauriac… etle théâtre de Jean Vilar.Et l’Union Soviétique ?L’URSS c’était Stalingrad, qui a marquéle début de l’écrasement de l’Hitlérisme.C’était le sacrifice exceptionnel d’unpeuple pour sa défense et pour la libertédu monde. A l’époque, 83 % desFrançais – il y avait déjà les premierssondages – pensaient que c’était l’URSSqui avait joué le rôle principal pourécraser Hitler.L’URSS, c’était aussi de Gaulle allant àMoscou, en décembre 1944, "signer labonne alliance" pour redonner à laFrance sa place parmi les vainqueurs dela guerre, place contestée par les Améri­cains et les Anglais.Je n’ai pas changé d’avis depuis sur lerôle immense de l’Union Soviétiquedans la défaite du nazisme. Les Améri­cains, les Canadiens et les Anglais n’au­raient probablement pas débarqué enNormandie en juin 1944 sans la marchedécisive des Soviétiques vers Berlin.Pour le reste, l’immense déception del’échec cinglant, et hélas sanglant, decette première expérience de sortie ducapitalisme est une autre question. J’ypense souvent avec une idée maintenantprécise des causes. Pas de socialismesans vie politique intense du peuple, sansdémocratie, sans pluralisme. Toute l’ex­périence montre que si l’Histoire n’a pasfait que ces conditions existent, il fautagir absolument pour les créer.J’ajoute que, très importants furent pourmoi, les combats de la solidarité avec lesVietnamiens, qui me valurent un brefpassage en prison et la solidarité avec lepeuple algérien. J’étais à Charonne dansle noyau dirigeant d’un des cortèges.Mais que répondez­vous à la questionsur votre judéité ?Je m’interroge. Le point de vue que j’ex­prime n’a pas de prétention théorique.C’est le fruit de mon expérience de vie.Retour aux origines …Ma famille, leurs amis étaient juifs,naturellement, mais sans grandes réfé­rences religieuses. Ils aimaient la France,voulaient leurs enfants Français.

Ils ne pratiquaient pas, mais lisaientchaque jour deux quotidiens en yiddish,le socialiste et le communiste. C’étaitune communauté de fait, mais pascommunautaire d’idéologie.Ils n’avaient pas de sympathieparticulière pour Israël, ni pour lesrabbins dont ils se moquaient avec ver­deur, comme beaucoup de Français semoquaient des curés.Israël est né de la volonté d’un mouve­ment juif aspirant à construire un Étataprès toutes les souffrances de laSeconde guerre mondiale. Notons qu'enAmérique, en Angleterre et un peu enFrance, on ne voulait pas trop voir s’ins­taller chez soi ces survivants suspectésde communisme. Et ce fut le début del’aventure vers Israël.Chose inouïe, les Palestiniens se trouvè­rent spoliés alors qu’ils ne portaientaucune responsabilité dans la Shoah.C’est l’Allemagne de Hitler – et deGoethe hélas – qui a brûlé les juifs et nonles Arabes.Le temps a passé. L’idée de deux Étatsest devenue prépondérante dans lemonde et de fait aussi dans le mondearabe. Mais au lieu d’aller dans cette di­rection, les dirigeants israéliens actuelssont insensés. Ils créent avec les coloniesce qu’ils pensent être irréversible. C’est àcoup sûr une catastrophe annoncée. Celaencourage l’intégrisme chez lesPalestiniens et dans tout le monde arabe.Fous de Dieu contre fous de Dieu, ultra­nationalistes contre ultra­nationalistes.Gouffre béant dans lequel se ruent,comme inconscients, les dirigeantsisraéliens.Je ne crois pas qu’il y ait un peuplemondial juif. Il y a des juifs aux États­Unis, en Argentine, en France, en Russie.Produits à la fois de fortes référencesculturelles venues de très loin et desnations où ils sont nés et vivent. Noussommes tous un mélange complexed’Histoire et de vécu. C’est vrai avec lesenfants d’immigrés d’aujourd’hui quivivent les mêmes contradictions avec leparticularisme né de la colonisation fran­çaise.Je crois à l’avenir des nations. Je croisqu'elles existent et existeront longtemps,égales à elles­mêmes et changeant sanscesse. Je crois que la majorité des juifs,en France, sont français et y tiennent. Ilsvivent d’une façon ou d’une autre leursrapports avec une culture juive plus oumoins importante qui fait partie de leurpersonnalité et de leur citoyenneté.Il n’y a pas de nation à l’état pur. Nullepart et jamais. Sans négliger la partd’universel qui porte, dans la difficulté,l’humanité vers son unité. Et je crois queles juifs d’Israël sauront un jour sepenser Israéliens. Et juifs, qu’ils soientreligieux ou athées.Pourvu qu’il n’y ait pas encore du terri­ble. Et je pense à Gaza, Gaza le désastre.Et les colonies qui n’en finissent plusd’empoisonner la situation.Je souhaite au peuple israélien et aupeuple palestinien de vivre en paix, etde vivre ensemble dans des Etats indé­pendants. Il n’y a pas d’autre chemin.Et mon chemin ?J’aime passionnément la France. C’estmon pays et j’essaie d'en porter lemeilleur, sa tradition progressiste et uni­versaliste. Henri Malberg

L'ami FritsMonsieur Frederik (dit Frits) Bolkestein est un ami du progrèset des peuples.Ultralibéral professionnel, ancien membre de la Commission européenne, ilavait attaché son nom à une directive connue sous le nom de "Libéralisationdes services" prévoyant, en gros, d'exonérer des charges sociales lesentreprises installées dans un autre pays de l'Union européenne. Sans succès.Son pedigree est évocateur et son dévouement aux conseils d'administrationjuteux est exemplaire : Pétrole (Shell), Industrie pharmaceutique, Banques, AirFrance–KLM entre autres.Jugeant que l'on n'avait pas parlé de lui depuis longtemps, Monsieur Frits vientde s'illustrer en exhortant les juifs néerlandais à quitter le pays dans les délaisles plus brefs. Rien que ça. La raison ? L'antisémitisme de certains membresde la communauté marocaine résidant aux Pays­Bas.Monsieur Frits n'est pas un précurseur. D'autres en Hollande et ailleurs,avaient tenté d'éradiquer l'antisémitisme en expulsant les juifs...Jacques Franck19 décembre 2010

Le billet d'humeur

La justice française condamne treizetortionnaires chiliens du régime PinochetEn décembre 2010, la cour d'assisesde Paris condamne par contumacetreize dirigeants de l'appareil de répres­sion chilien dont Manuel Contrera, chefde la police politique (DINA) et du planCondor qui coordonne la répressiondans les pays du cône Sud : l'Argentine(Videla), la Bolivie (Banzer), le Brésil,le Chili, le Paraguay (Stroessner de1954 à 1984) et l'Uruguay.Outre les témoins chiliens, la Cour aentendu le célèbre juge Garzon etMartin Almada qui a découvert à Asun­cion les archives du plan Condor, au­trement dit les pièces ayant permis auxvictimes de porter plainte et aux histo­

riens de travailler. C'est grâce à cesarchives que nous savons que leDr. Josef Mengele était un paisible ci­toyen paraguayen exerçant la médecineet que Martin Borman, contrairement àce qu'écrivit Simon Wiesenthal, vécutet mourut au Paraguay où il repose.Cela vous étonnera­t­il d'apprendre queMonseigneur Lefèvre avait personnel­lement écrit à Stroessner pour luidemander de poursuvre les adeptes dela théologie de la libération ?Ce procès est certainement le dernierd'une longue série, ce n'est pas unhasard s'il a été entièrement filmé pourles archives. NM

(suite

delap

age4)

P.N.M. 282 ­ Janvier 2011 5

Page 6: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Siemens, Thyssen ont continué àprospérer, aux Etats­Unis aussi.En matière d’oubli, l’équipe sarko­zyste n’est pas en reste. Le 291ebataillon de chasseurs de la Bundes­wehr s’installe près de Strasbourg. Ilsseront six­cent­cinquante. Fabien etson État­major, morts au combat, lessoldats de la IIe DB, avaient pourtantlibéré l’Alsace annexée.Un autre personnage nous est souventprésenté dans l’ambiguïté à la télévi­sion et dans la presse. Celui de Pétain,avec son grade de maréchal restitué.Certes, il est fait état de sa responsa­bilité personnelle dans lespersécutions contre les juifs mais songrand âge, son hostilité à Laval,l’admiration de Français pour le"vainqueur de Verdun" n’ex­pliqueraient­ils pas sa collaboration ?L’affrontement est rude. Restons vigi­lants. Les souvenirs douloureux dupassé sous la croix gammée, martelésavec insistance, peuvent contribuer àdiscréditer les luttes actuelles. Valeursrépublicaines usurpées, droit du solpiétiné, les roms, les arabes, les im­migrés sont les juifs d’aujourd’hui,vilipendés, brutalisés, rejetés de lacommunauté nationale.Barrons la route au racisme, auxantisémites, aux xénophobes ! Il nes’agit pas d’un simple impératifmoral. Il s’agit de notre France, denotre démocratie, de notre peuple.

Mémoire et Histoire marchent de pair.Nous nous devons d’alerter lesconsciences sur les dangers concomi­tants de la politique réactionnaire dupouvoir et des solutions fausses etfunestes éructées par le Front anti­national. Face à la haine fascisante,soyons de celles et de ceux quiœuvrent à un rassemblement lucide,solidaire, constructif. Notre parole,notre action y sont nécessaires.À tous ces attardés du chauvinisme,Anatole France, en son temps, répli­quait : “ Quoi ! L’amour de la patrieet l’amour de l’humanité ne peuvent­ils brûler dans un même cœur ? Ils lepeuvent ; ils le doivent. Je diraismieux : si on n’aime pas l’humanité,on ne saurait aimer sa patrie qui enest un membre qu’on ne peut détachersans le faire saigner, souffrir etmourir. ”N’est­ce pas en ce sens et pour celaque la grande voix de Jean Ferrat nousinterpelle encore ? Que les échos enrésonnent des profondeurs de lasociété ! Henri Levart

En alerte bruneSans faire preuve de pessimismeoutrancier, ne faut­il pas conve­nir que des vents mauvais souf­flent sur le monde et sur notre pays ?Les progrès électoraux des formationsxénophobes dans maint État européense confirment, s’amplifient. Cheznous, l’ignominieuse médiatisation deMarine Le Pen a déjà produit seseffets pervers.De nombreux téléspectateurs ontapprécié sa prestation télévisée. Vingtcinq p. cent des jeunes s’apprêteraientà voter pour elle à la présidentielle.Un million de nos jeunes vivent dansla précarité. Quarante trois p. centdans les cités de banlieue sont auchômage. Le piège leur est tendu.Les calculs électoraux des sarkozystessont mortifères. La création au sein dela formation présidentielle d’une"droite populaire", aux thèses relevantdu vichysme et prête à s’allier àl’extrême droite, en est la pointeavancée.Comme par hasard, voilà le retour desdissertations sur le voile, la burqa, lestapis de prière ; voilà la réouverturedu nauséabond débat sur l’identiténationale réclamé par le nouveau pa­tron de l’UMP. Les discourssécuritaires se succèdent. La criseéconomique, l’enrichissement desriches, la réforme des retraites,l’augmentation des prix, la pauvretésont passées à la trappe. Parlonsd’autre chose que de luttes ou desolutions réellement alternatives.Le magma idéologique présent faitpenser au sinistre slogan “ PlutôtHitler que le Front Populaire ! ”.Mais pourquoi évoquer Hitler ? Car levoilà surgi des grands et petits écrans.Pas moins de trois expositions àBerlin, une autre à Nuremberg. Desguides touristiques proposent àMunich un parcours historique sur lestraces du Führer. Bien sûr, lesatrocités à l’origine desquelles il setrouve sont démontrées, mais lesconditions de sa conquête du IIIeReich sont évacuées : pas de forcespolitiques la complotant, pas decapitalisme la finançant. Présenté enhalluciné, il se débrouillait tout seul, àl’aide tout de même de fidèlescompagnons SS.Comment ne pas s’interroger sur lafascination qu’à la longue l’ombrecriminelle peut exercer sur des espritsen errance d’avenir social ? D’autantqu’un climat de complaisance per­siste. La Cour constitutionnelleallemande a donné raison à unrévisionniste faisant porter sur lesjuifs une part de responsabilité dansles persécutions subies.Combien de bourreaux nazis ont menédes vies paisibles ? Dix mille d’entreeux ont bénéficié de visas de la partde l’Administration yankee aulendemain de la dernière guerre.D’autres ont été accueillis par lesdictatures sévissant dans divers paysd’Amérique Latine. IG Farben,

Mémoire - Point de vue

graphiques faisait défaut, le peuple mettaitlui­même la main à l’ouvrage. Une tapisse­rie murale de huit mètres carrés brodée en1935 par des membres de deux associa­tions féminines et destinée à l’église Saint­Jacques de Rotenburg an der Fulda(Allemagne centrale), fait partie des objetsillustratifs de cette pratique ; cette tenturereprésente l’entrée de la Jeunesse hitlé­rienne et de la Ligue des Jeunes Filles alle­mandes dans cette église et ne fut décro­chée de la proximité de l’autel qu’en 1945.Pendant des décennies, les historiens ouest­allemands se sont partagés entre ceux quivoyaient dans le régime national­socialiste« l’aboutissement nécessaire de l’histoireallemande depuis Luther » et ceux qui« voyaient en lui un simple accident, unesorte de parenthèse historique », ce devantquoi le germaniste historien Gilbert Badiaconcluait, dans son Histoire de l’Alle­magne contemporaine, que le TroisièmeReich ne constitue pas « un phénomèneimprévisible et inexplicable dans le coursde l’histoire allemande, pas plus qu’il n’enest l’aboutissement nécessaire ».Clairement, cette exposition qui montre unagitateur, un individu quelconque, margi­nal, que rien ne prédestinait à une carrièrepolitique, imposant sur un terreau fertileune dictature populaire profondément an­crée dans toutes les couches sociales, faitlitière de ces deux visions de l’histoire. Iln’empêche que cette explication présenteun risque qui n’avait pas échappé à GilbertBadia : en mettant en scène une mécaniquecollective englobant tout le peuple alle­mand, on risque de « confondre victimes etbourreaux »** – en dépit d’objets qui rap­pellent les pogromes et les lois de 1935excluant les Juifs de la vie sociale, dedocuments des camps de concentration oude rares bannières honorant la mémoire derésistants "officiels".De même qu’en passant sous silence lesgrands industriels et dirigeants del’économie allemande, tel Fritz Thyssen– lequel membre du NSDAP dès 1923 sevantait dans un livre paru en 1941, J’aipayé Hitler, d’avoir « assuré la liaisonentre Hitler et les industriels importantsde Rhénanie­Westphalie » –, sans lesmillions de Reichsmarks desquels Hitlerne serait jamais devenu chancelier, onrisque de voir en lui un produit duhasard, un phénomène naturel, et denourrir le mythe de l’ "autodidacte" et del’ "orateur doué" – en fait formé et en­traîné par un des mimes du Théâtre de lacour de Munich rencontré dans unBiergarten [brasserie en plein air] bava­rois, Friedrich Basil, l’acteur dontBertolt Brecht dit un jour qu’il « gesti­culait comme un chanteur de Wagner ».

FM1. Volksgemeinschaft Communauté de destindes Allemands, à la fois communauté d’armes etdu sang. Les "lois des classes et des états" luisont "étrangères". En tant que valeur supérieure,c’est­à­dire en tant que communauté du peupletotale, elle est au­dessus de l’individu et de sesdroits : "Tu n’es rien, ton peuple est tout !" in F.Mathieu, Dictionnaire NS­Deutsch [Allemandnational­socialiste], Straelener ManuskitpteVerlag 1988.2. Gilbert Badia et Jean­Marie Argelès, His­toire de l’Allemagne contemporaine. WeimarIIIe Reich, Messidor Éditions sociales, 1987, p.555 et suiv.NDLR NSDAP : Parti national­socialiste (nazi)des travailleurs allemands

Pour la première fois, soixante­cinqans après la mort du dictateur, unmusée allemand, le Musée histo­rique allemand, consacre une exposition àHitler : Hitler et les Allemands –“Communauté du peuple” et crimes.Dans un pays où la fascination du malincarné par le caporal autrichien, son partiet son règne n’a guère perdu de sa force, onimagine aisément toutes les questionsposées par l’organisation d’une telle mani­festation.Un premier projet avec pour thème lapersonnalité et le parcours du dictateuravait rencontré l’opposition unanime duComité scientifique de ce musée, créé en1987 à Berlin­Ouest, puis installé Unterden Linden dans l’ancien Arsenal qui,jusqu’en 1990, avait abrité le Muséed’Histoire allemande (RDA), et étéinauguré en 2006. Les experts craignaientencore d’entretenir, malgré eux, unefascination morbide pour le « Mal ». Lapeur du pouvoir de séduction du Führers’explique aisément au vu de récentssondages : plus de 10% des Allemands,toutes générations confondues, souhaitentle retour d’un starker Führer [leader fort].Il y a trois ans seulement, la direction dumusée a fini par charger Hans­UlrichThamer, professeur d’histoire contempo­raine de l’université de Münster, de travail­ler sur le thème général « Hitler et le natio­nal­socialisme ». L’historien, rassemblantalors « ce qui occupe actuellement la re­cherche historique », contribuerait à « dé­construire » l’image du dictateur. Il a ainsiprécisé ses intentions : « Nous voulons ex­pliquer l’ascension, le mode opératoire,l’exercice du pouvoir jusqu’à la chute etl’incroyable potentiel de destruction libérépar le national­socialisme. Pas en partantde la personnalité d’Hitler qui serait unesorte de démon malfaisant qui aurait cor­rompu des millions de personnes », maisen présentant « les mécanismes d’adhé­sion, de mobilisation des masses, maisaussi d’exclusion qui tissent la relationentre le Führer et la "communauté dupeuple" – le concept nazi de « Volksge­meinschaft »1.Six cents objets de l’époque sont exposéssous l’image omniprésente du Führer ;quatre cents photographies racontent leTroisième Reich. En revanche, aucun objetpersonnel, aucune relique qui eussent attirédes bandes néo­nazies. L’idée qui préside àcette exposition est que « si le national­socialisme a été possible, c’est parce qu’ily avait une nation allemande en soif d’unguide qui redonnerait à l’Allemagnehumiliée par le traité de Versailles etterrassée par la crise économique toute sagrandeur », le NSDAP* proposant auxAllemands un programme simpliste maisopportunément mobilisateur: anti­commu­niste, anti­capitaliste, anti­parlementaire etanti­juif. Présent dans tous les aspects de lavie, Hitler se fait la projection des rêves desAllemands. Il est l’homme fort qui aréponse à tout, celui qui montre le chemin,le guide capable de sauver la “communautédu peuple” du déshonneur, de la misèreéconomique. Il est l’homme culte, une« pop­icône » avant l’heure. D’où un grandnombre d’objets à usage quotidien utiliséscomme matériel publicitaire, propagan­diste, de décervelage – appelés aujourd’hui"produits dérivés". Dans ces conditions,Hitler et le NSDAP étaient partout. Et quandl’industrie qui fournissait les images hagio­

Une première : un musée allemand présente une exposition d’Hitler- Hitler et les Allemands -“Communauté du peuple” et crimesHistoire

6 P.N.M. 282 ­ Janvier 2011

Page 7: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

Précisons, d’abord, ce que ce livre*n'est pas. Le lecteur qui cherche uneétude historique sur ce que le Shtetl fut,sur le plan religieux, social, politique etculturel, lira avantageusement Rachel Er­tel. Veut­il un panorama culturel de lajudéïté ashkénaze ? Nous lui conseillonsde lire Mille ans de culture ashkenaze oul'Anthologie de la poésie yiddish deCharles Dobzynski. Est­il curieux duspectaculaire renouveau de la cultureyiddish de l'entre­deux guerres, nous lerenvoyons au travail de Delphine Bechtel.L'originalité du livre de Guillemoles tientà ce que son auteur, journaliste à LaCroix, nous propose une série de reporta­ges sur un sujet qu'il connaît bien, la viedes sociétés juives qui se développent àpartir du Xe siècle de l’Alsace à l’Oural,de la Baltique à la mer Noire. Il fourmilled’anecdotes rapportées avec une extrêmeprécision. On goûtera la saveur des récitsde traditions aujourd’hui perdues et lesamateurs de witzès** ne seront pas déçus.La résurgence du mysticisme hassidiquey est savoureusement décrite.

Une illustration abon­dante reflète ce qui restede la présence juive dans cette région dumonde. Sachons gré à l'auteur de n'avoirpas fait l'impasse sur les campagnesantisémites particulièrement préoccu­pantes en Hongrie.Relevons, à l'inverse, l'étonnante absencede traces de ces "révolutionnaires du Yid­dishland". Car dans l'entre­deux guerres,qui disait yiddish disait gauche, souventcommuniste, en Europe tout comme enAmérique Latine. Continent que nous re­grettons que l'auteur n'aie pas explorépour faire connaître ces autres "yiddish­lands", celui d'Amérique du Nord et sur­tout celui d'Amérique du Sud.Rendez­vous pour un autre voyage ?NDLR On ne peut évoquer le yiddish sans rap­peler que la Naïe Presse, éditée par l'Uniondes Juifs pour la Résistance et l'Entraide, futle quotidien yiddish le plus lu en Europe.Jacques Lewkowicz* Alain Guillemoles, SUR LES TRACES DU YIDDI­SHLAND, un pays sans frontières, Ed. Les Petitsmatins, 201** Witz : Mot d'esprit, plaisanterie

Irène NemirovskyIrène Némirovsky, née en Russie en 1903, émigrée à Parisavec sa mère en 1919, est une auteure relativementprécoce. Elle publie à l'âge de 18 ans une série de contes,puis passe en 1929 au roman avec David Golder. Une dizaine deromans suivront, dictés par l’héritage familial, le souvenir d’être russe,l’étrangeté d’être juive, le sentiment d’être française, l’angoisse d’êtreapatride, puis l’obligation de faire vivre son foyer malgré les lois de Vichy.En 2004, le prix Renaudot lui est décerné à titre posthume pour Suite française.L'exposition éclaire les contradictions de l'auteure qui font la richesse de sonoeuvre. Réfugiée en 1940 dans un village du Morvan, elle est arrêtée le13/07/1942 avant d'être déportée à Auschwitz.Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l'Asnier Paris 4°. Exposition jusqu'au 8 mars 2011

Deux ou trois choses que je retiens de lui...Romain Gary (1914­1980)Juive russe, sa mère avait décidé que Roman Kacew seraitfrançais, diplomate et écrivain : il le fut. Elle n’avait pasdécidé qu’il serait pilote de guerre : il le fut pendant laSeconde guerre mondiale. Elle instaura avec ce fils héroïqueune correspondance qu’elle eut l’art de prolonger au­delà deson trépas, voir « Racines du ciel ».

Diplomate, Romain Gary le fut aux Etats­Unis. Il y découvrit la lutte pour lesdroits des Africains Américains. Et ce fut « Chien blanc ». Ce fut aussi JeanSeberg, la petite Jeanne d’Arc de Preminger, si proche des Panthères noiresqu’on la traita de « fille à nègres ». La douce Jean qui à SOS Amitié était une deces voix qui dans la nuit écoutent l’angoisse des autres. Jean qu’il épousa et dontil se sépara. « Clair de femme »…Romain Gary, c’est aussi « Les têtes de Stéphanie » signé sous le pseudonymede Shatan Bogat qui sous couvert de roman policier dévoile les ruses sordidesdes marchands d’armes chaudes, à relire chaque fois qu’on pense à Gaza, parexemple.Romain Gary reçut une seconde fois le prix Goncourt pour « La vie devant soi »publié sous le pseudonyme, endossé par son neveu, d’Emile Ajar. Mme. Kamin­ker, alias Simone Signoret devait immortaliser Mme. Rosa. Il faut lire le livre.Romain Gary, c’est cet homme qui, rongé par une angoisse qui le conduira ausuicide, appelait fébrilement dès l’aube, le « grand rabbin puis le petit ».Fraternel, il partageait quelques bouteilles avec les policiers du commissariatvoisin.Alors, allez voir l’exposition qui retrace la vie et l'oeuvre de Romain Gary, parses manuscrits. Elle vous donnera envie de relire ses livres, et on ne les relitjamais en vain. NMMusée des lettres et des manuscrits - Exposition Gary ­ 222 Bd Saint­Germain, Paris 7°jusqu'au 20 février 2011

la chronique deLaura Laufer Le directeur desressources humaines

d’Eran RiklisCette fiction suit lesaven tures du DRH de laplus grande boulangerie deJérusalem, dont la vie privéepart à vau­l’eau. Pris par sesactivités, l’homme ne réussitni comme mari, ni commepère. Son salut viendra d’unedélicate mission menée pourle compte de son entreprise :ramener en Roumanie lecorps abandonné à la morgue de Yulia, employée de la boulangerie, morte dans un at­

tentat­suicide et identifiée par sa lettre de licenciement. La presse émeutl’opinion ; il faut éviter le scandale.Si la première partie du film pêche un peu par excès de psychologie et de didac­tisme, il réussit à nous toucher dans un deuxième temps qui nous entraîne dansun road­movie où se succèdent, avec plus ou moins de bonheur, des péripétiesdrôles ou tragiques. Quelques idées burlesques – le gag du cercueil conduit surun char – mais pas toujours bien exploitées, telle la séquence d’une nuit passéedans un bunker. Le plus émouvant montre la campagne roumaine, confronte lefils ou la mère de Yulia au DRH lequel, au terme du voyage, laisse l’intelligencedu cœur l'emporter sur celle du manager.Le film interroge sur la place de l’étranger en Israël. Mieux traité mort que vif.

Blake Edwards - derniers feuxBlake Edwards* laisse une cinquantaine de films dontdeux chefs­d'œuvre, "La party", "Diamants sur canapé" et

quelques autres beaux films dont "Victor Victoria" – un dramede l’alcoolisme, "Le jour du vin et des roses" avec JackLemmon, sans oublier la série des aventures de l'inspecteurgaffeur Clouseau dans "La panthère Rose" – musique d’HenriMancini, collaborateur du cinéaste sur une vingtaine de films.

"La party" demeure sans conteste le meilleur film burlesque apparu depuis1968. Pour avoir déclenché trop tôt l’explosion d’un décor unique, provoquantainsi l’arrêt du tournage d’une production hollywoodienne, Hurndi V Bakshi,obscur figurant de cinéma, est licencié. Au lieu de lui envoyer sa lettre delicenciement, la secrétaire du studio commet l’erreur de lui adresser uneinvitation du patron du studio à une soirée privée dans sa villa.Le personnage de Peter Sellers dans un extraordinaire jeu de composition,incarne cet hindou de caractère affable et placide, véritable calamité vivante quidérange, perturbe et détruit, avec une innocence bienveillante et une naïvetédéconcertante. Construit en crescendo, le film accumule les gags inventifs au furet à mesure que la multiplication des maladresses détraque l’organisation de lasoirée et provoque une catastrophe, fatale pour l’environnement.Le cinéaste tourne en plans longs et la superbe photographie de Lucien Ballard,en parfaite maîtrise du champ en perspective, permet à l’action de se dérouleraussi bien au premier plan qu’en profondeur et à Blake Edwards, qui fut aussipeintre, de tirer un parti magnifique de l’espace et du décor de la villa parl’organisation de ses couleurs et de sa lumière. Satire des milieux aisés d’Holly­wood et du show­business, "La party" fait la part belle aux caractères simples etvrais."Diamants sur canapé" est une magnifique comédie sentimentale où l’équi­libre et la délicatesse des sentiments font merveille. Georges Peppard et AudreyHepburn incarnent deux personnages paumés et touchants. La puissance émo­tionnelle du film est étonnante : on rit aux séquences burlesques avec le person­nage de Monsieur Yunioshi, l’ennemi du bruit qu’incarne formidablementMickey Rooney, et l'on pleure dans les moments pathétiques. Je pense bien sûr àla magnifique scène sous la pluie où Holly (Audrey Hepburn) jette son chat."Victor Victoria", excellent remake d’un film allemand de 1933, nous offrit unbeau bouquet de joie, à commencer par le bonheur de voir jouer Robert Preston –excellent acteur des années 30 – ici merveilleusement gay et en pleine forme, me­nant la danse avec l’excellente Julie Andrews, dans la vie, Madame Blake Edwards.* Blake Edwards, acteur, producteur, réalisateur et scénariste américain vient de mourir en

Californie à l'âge de 88 ans [15 décembre 2010].

CultureCôtéExpos

Sur les traces du YiddishlandUn pays sans frontières

P.N.M. 282 ­ Janvier 2011 7

Page 8: La Presse Nouvelle Magazine 282 janvier 2011

tianisme martyrise le judaïsme ; trentevilles (vingt­sept disent d’autres) sonten ce moment en proie au pillage et àl’extermination ; ce qui se passe enRussie fait horreur ; là un crime im­mense se commet, ou pour mieux direune action se fait, car ces populationsexterminantes n’ont même plus la con­science du crime ; elles ne sont plus àcette hauteur ; leurs cultes les ontabaissées dans la bestialité ; elles ontl’épouvantable innocence des tigres ;les vieux siècles, l’un avec les Albi­geois, l’autre avec l’Inquisition,l’autre avec le Saint­Office, l’autreavec la Saint­Barthélemy, l’autre avecles dragonnades, l’autre avec l’Autri­che de Marie­Thérèse, se ruent sur ledix­neuvième et tâchent de l’étouffer ;la castration de l’homme, le viol de lafemme, la mise en cendres de l’enfant,c’est l’avenir supprimé ; le passé neveut pas cesser d’être ; il tient l’huma­nité ; le fil de la vie est entre ces doigtsde spectre. D’un côté le peuple, del’autre la foule. D’un côté la lumière,de l’autre les ténèbres. Choisis".Désormais, Victor Hugo, qui voitsourdre dans son propre pays l’anti­judaïsme des milieux ultras et catho­liques qui conduira à l’affaire Dreyfus,agit sur un terrain politique nouveaupour lui : contre l’antisémitisme, motqu’un anarchiste allemand vient decréer pour désigner la haine qu’il voueaux Juifs.***Le XIXe siècle avait quatre­vingts ans.

François Mathieu* En 1287 meurt un chrétien du nom deWerner, prétendument assassiné par des Juifsdans le Palatinat rhénan et enterré àBacharach, à la suite de quoi, sur sa tombe,des miracles se seraient produits, entraînantle massacre de nombreux Juifs par lespopulations chrétiennes voisines désireusesde venger son "assassinat". Werner deviendrasous différents noms locaux le saint patrondes vignerons ! Heinrich Heine l’évoquedans Le Rabbin de Bacharach, trad. d’AndréCœuroy, Balland, Paris 1992, p. 9 et suiv.** Oui, celui du pont éponyme quisymbolise l’alliance franco­russe conclue parle tsar et Sadi Carnot, et qui fut inauguré parÉmile Loubet lors de l’ouverture de l’Expo­sition universelle de 1900.*** En 1879, Wilhelm Marr, journalistepolitique anarchiste, publie à Berlin un essaipolitique antisémite, Der Sieg desJudenthums über das Germanenthum [LaVictoire de la judéité sur la germanité],lequel contient pour la première fois dansl’Histoire les mots "Antisemit", "Antisemi­tismus". En un an, cet ouvrage est rééditédouze fois. En 1880­1881, le "Mouvementantisémite berlinois" adresse à Bismarck unepétition dite "antisémite" signée par desintellectuels demandant la suppression deslois d’émancipation des Juifs.

Victor Hugo écrit, combat, évolued'un antijudaïsme ordinaire

... à la virulente dénonciation de l'antisémitismechrétiens. Des deux parts on s’exècreet l’on se fuit. Notre civilisation, quitient toutes les idées en équilibre et quicherche à ôter de tout la colère, necomprend plus rien à ces regardsd’abomination qu’on se jetteréciproquement entre inconnus. Lesjuifs de Francfort vivent dans leurslugubres maisons, retirés dans desarrière­cours pour éviter l’haleine deschrétiens. Il y a douze ans, cette ruedes Juifs, rebâtie et un peu élargie en1662, avait encore à ses deuxextrémités des portes de fer,garnies de barres et d’ar­matures extérieurement etintérieurement. La nuitvenue, les juifs rentraientet les deux portes sefermaient. On les ver­rouillait en dehors commedes pestiférés, et ils se bar­ricadaient en dedans commedes assiégés."En 1843, Victor Hugo publie LesBurgraves, drame qui, se déroulantdans l’Allemagne du XIIIe siècle,contient un vers qui reprend la vieilleaccusation du meurtre rituel imputétraditionnellement aux Juifs depuis lemoyen âge. Le directeur des Archivesisraélites de Paris s’en émeut, auquelVictor Hugo répond : "Vous m’avezmal compris, monsieur, et je le regrettevivement, car ce serait un vrai chagrinpour moi d’avoir affligé un hommecomme vous, plein de mérite, de savoiret de caractère. Le poète dramatiqueest historien et n’est pas plus maîtrede refaire l’histoire que l’humanité. Orle treizième siècle est une époquecrépusculaire, il y a là d’épaissesténèbres, peu de lumière, desviolences, des crimes, des supersti­tions sans nombre, beaucoup debarbarie partout. Les juifs étaientbarbares, les chrétiens l’étaient aussi ;les chrétiens étaient les oppresseurs,les juifs étaient les opprimés ; les juifsréagissaient. Que voulez­vous, Mon­sieur ? C’est la loi de tout ressortcomprimé et de tout peuple opprimé.Les juifs se vengeaient donc dansl’ombre […] ; fable ou histoire, lalégende du petit enfant de Saint­Wer­ner* le prouve. Maintenant, on encroyait plus qu’il n’y en avait ; la ru­meur populaire grossissait les faits ; lahaine inventait et calomniait, cequ’elle fait toujours ; cela est possible,cela même est certain ; mais qu’yfaire ? Il faut bien peindre les époquesressemblantes ; elles ont été supersti­tieuses, crédules, ignorantes, barba­res ; il faut suivre leurs superstitions,leur crédulité, leur ignorance, leur

Littérature

barbarie ; le poète n’y peut mais, il secontente de dire : c’est le treizièmesiècle, et l’avis doit suffire. Cela veut­il dire, grand Dieu ! qu’au temps oùnous vivons, les juifs égorgent etmangent les petits enfants ? Eh !Monsieur, au temps où nous vivons, lesjuifs sont comme vous pleins descience et de lumière, et les chrétienscomme moi sont pleins d’estime et deconsidération pour les juifs commevous."

Qui lit les Odes,Les Orientales, Les Chosesde la Bible, La Légendedes siècles, William Sha­kespeare, Dieu, La Fin deSatan, entre autres, butesur nombre de clichés anti­juifs et s’insurge. Mais, on

l’a compris, Victor Hugon’est pas antijuif, encore moins

quand il est devenu républicain.En Russie, Alexandre III**, qui suc­cède à son père assassiné le 13 mars1881, mène d’emblée une politiqueréactionnaire et antisémite. Le pro­gramme de son gouvernement, opposéau gouvernement libéral d’AlexandreII, à l’égard des Juifs est : "Un tiersdes juifs sera converti, un tiers émi­grera, un tiers périra."La même année, plus d’une centainede pogromes avec leur cortège de des­tructions, de pillages, de viols et d’as­sassinats, éclatent de Kiev à Odessa enpassant par Varsovie, encouragés parla police et les autorités civiles etreligieuses christo­orthodoxes, et en­traînent une première vague d’émigra­tion de Juifs russes, ukrainiens, polo­nais vers l’Allemagne et les États­Unis.Informé par le directeur du Gaulois etanimateur du "Comité de protestationen faveur des israélites", Victor Hugopublie dans Le Rappel du 1er juin1882 un article dénonciateur, "LesJuifs. La Russie" : "Ce qui se dresseen ce moment, ce n’est plus du crime,c’est de la monstruosité. Un peupledevient monstre. Phénomène horrible.[…] D’un côté, l’homme avance, d’unpas lent et sûr, vers l’horizon de plusen plus lumineux. […] de l’autre côtél’homme recule ; l’horizon est de plusen plus noir ; les multitudes vont ettâtent dans l’ombre ; les vieilles reli­gions, accablées de leurs deux milleans, n’ont plus que leurs contes, jadistromperies de l’homme enfant, aujour­d’hui dédain de l’homme fait, jadisacceptés par l’ignorance, aujourd’huidémentis par la science. […] Leserreurs s’entredévorent, le chris­

(IIe partie)

Statue de Victor Hugoà Guernesey

Dans les années 1830­1840,Victor Hugo constate que sesconvictions royalistes et catho­

liques des années 1820 se sont écrou­lées "pièce à pièce depuis dix ansdevant l’âge et l’expérience. Il en restepourtant encore quelque chose dansmon esprit, mais ce n’est qu’une reli­gieuse et poétique ruine. Je me détournequelquefois pour la considérer avecrespect, mais je n’y viens plus prier."Fruit littéraire de trois voyageseffectués avec Juliette Drouet en 1838,1839, 1840, paru en 1842, Le Rhincontient une pittoresque description duquartier juif de Francfort parcouru unsamedi : "Deux longues rangéesparallèles de maisons noires, sombres,hautes, sinistres, presque pareilles,mais ayant cependant entre elles ceslégères différences dans les chosessemblables qui caractérisent lesbonnes époques d’architecture ; entreces maisons toutes contiguës etcompactes et comme serrées avecterreur les unes contre les autres, unechaussée étroite, obscure, tirée aucordeau ; rien que des portes bâtardessurmontées d’un treillis de ferbizarrement brouillé ; toutes les portesfermées ; au rez­de­chaussée rien quedes fenêtres garnies d’épais volets defer ; tous ces volets fermés ; auxétages supérieurs, des devantures debois presque partout armées debarreaux de fer ; un silence morne,aucun chant, aucune voix, aucunsouffle, par intervalles le bruit étoufféd’un pas dans l’intérieur des mai­sons ; à côté des portes un judas grilléà demi entr'ouvert sur une alléeténébreuse ; partout la poussière, lacendre, les toiles d’araignées, l’écrou­lement vermoulu, la misère plutôt af­fectée que réelle ; un air d’angoisse etde crainte répandu sur les façades desédifices ; un ou deux passants dans larue me regardant avec je ne saisquelle défiance effarée ; aux fenêtresdes premiers étages, de belles jeunesfilles parées, au teint brun, au profilbusqué, apparaissant furtivement, oudes faces de vieilles femmes au nez dehibou, coiffées d’une modeexorbitante, immobiles et blêmesderrière la vitre trouble ; dans lesallées des rez­de­chaussée, desentassements de ballots et demarchandises ; des forteresses plutôtque des maisons, des cavernes plutôtque des forteresses, des spectres plutôtque des passants." Suit cecommentaire : "À Francfort il y aencore des juifs et des chrétiens ; devrais chrétiens qui méprisent les juifs,de vrais juifs qui haïssent les

8 P.N.M. 282 ­ Janvier 2011