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ChloeWilkox

EXTREMELOVERS(SAISON1)

Volume4

1.CaliforniaLove

Kim

–Kim!Cerougeàlèvresesttropbeau.Jepeuxtel’emprunter?medemandeMeganenbrandissantmonnudemat.

– À condition que tu obliges Shelby à arrêter de me tirer les cheveux,grimacé-je pendant que ma colocataire s’obstine à coiffer mes quatre-vingtquinzecentimètresdetignasserousse.

–Ilfautsouffrirpourêtrebelle,répliqueMeganenbrandissantunepairedetalonsaiguilles.

Jeregarde,offusquée,sesenginsdetorture.

–Alorslàpasquestion,mavieille.Situcroisquelesampoules,c’estsexy…–CesontdesLouboutin,merépondMegan,horrifiée.Onnerefusepasdes

Louboutin. Les Louboutin sont susceptibles. Et puis elles ne provoquent pasd’ampoules.

–Mesbootsnonplus,réponds-jeenenfilantmespetitesmerveillesdeconfortàtalonscarrés.J’aidéjàcédésurlarobe…

– Tu as cédé ? Tu as refusé toutes mes propositions et celles de Shelby,s’offusque-t-elleendésignantsondressingdontelleaapportélecontenuentierjusqu’ànotrechambre.

–Tuvoulaism’habillercommeunpersonnagedeDynasty!protesté-je.TunepensespasqueHellauraittrouvébizarrequejemepréparecommepourallerenboîte alors qu’il m’a juste dit qu’il « passait » me voir à la sortie de sonentraînement?

–Ehbienjustement,rétorqueShelbyenmetirantlescheveuxd’uncoupdebrosse.Tutesouviensdecequetunousasdit?

Jeneveuxpasêtreunplanculcommelesautres.

Voilàcequejeleuraidit.Jesaisquejem’étaispromisdenerienexiger,dejusteprendrecequ’ilaàdonner,mais je réalisequeplus le tempspasse,plus

j’espère être spéciale à ses yeux, qu’il me choisisse, qu’on soit vraimentensemble.Lesouci?C’estqu’àchaquefoisquej’espère,j’aipeurdetomberdehautparlasuite.

C’est pour ça que j’ai tellement stressé sur lamanière dem’habiller avantd’opter pour cette robe un peu rétro, trouvée la semaine dernière dans unefriperie–unerobeannéesquarante,boutonnéesurledevant,avecundécolletéenformedecœur.C’étaitétrangedemeprendreautantlatêtesurmatenueétantdonnéquecestroisdernièressemaines,nousnenoussommesvusquedansdescirconstancesoù…commentdire…

Oùj’aipasséplusdetempsàenlevermesvêtementsqu’àleschoisir.

En incluant la soirée où j’ai débarqué chez lui suite à sa lettre, nous avonspasséensemblesixnuitsmagiques.Dèsqu’onsevoit,c’estgénial:onrit,onfaitl’amour,onparlede toutetde rien,onmangeau lit,on regardedes films,onrefaitl’amour…Maisquandjenesuispasaveclui,j’ignorecequ’ilfait,quiilvoit,etj’aibeaunepasvouloirêtrecommeça,jen’ypeuxrien:jem’inquiète.Jevoudraisluiposerdesquestionsmaisjen’osepas.Clarifiercequ’ilyaentrenous.Évidemment, j’enaiparlé àmesdeuxmeilleures amies…C’estpour çaque jeudi, quand il m’a appelée pour savoir s’il pouvait « passer me voir »,ShelbyetMeganontdécrétéquejenepouvaispasresterdanscettesituationquiallaitmerendremalheureuse,etqu’ilétaittempsquejechangelesrèglesdujeuentre nous en me débrouillant pour le voir – enfin, ailleurs que dans unechambre.

–Tusaiscequ’iltefaudraitcommecoiffure,aveccettetenue?medemandesoudain Shelby, m’arrachant à mes pensées. Quelque chose d’un peu hippie-chic…Tuasdéjàpenséàtefaireunefrange?

–Shelby,situapprochesunepairedeciseauxdemoi,jetepréviens,jehurle.–OK,OK…répondmonamieen laissant enfinmesondulationsnaturelles

tranquilles.Commetuvoudras.

En boudant un peu, elle commence à s’occuper de ses propres cheveuxpendantqueMegansechangepourlavingtièmefois.Ellesaussisortentcesoir,DonnyetShawnlesemmènentàunefêtechezLoren.Évidemment,Helln’apasfaitmentiondelasoirée…MaisdepuissonembrouilleavecLukas,cesdeux-làs’évitent. Jem’enveux, j’ai l’impressionquec’estdema faute. Jen’ai jamais

voulu être un problème au sein de cette bande qui se connaît depuis toujours.CettehistoireavecLukasadéjàfaillimettreàmalmonamitiéaveclesfilles…J’ai vraiment ramé pour faire entendre à Shelb’ que tout ceci n’était qu’unmalentendusanstrahir lesecretdeLukas!Maiselleafiniparaccepterdemefaireconfiance,malgrémesexplicationsnébuleuses.Alorslesmomentscommecesoirsontprécieux–ceuxoùl’onsechamaille,oùl’onsedonnedesconseilsgirly, où l’on écoute Shelby nous expliquer les secrets de la brouettethaïlandaise. Ceux oùMegan se confie sur sa vie sexuelle avec Shawn – ouplutôt,sursonabsence.

–Aveccequis’estpassél’annéedernièreetlaviequej’aivécueàStanford,lesfêtes,lesgarçons,lescoupsd’unsoirivremortejustepourprouverauxsœursdeThêtaTauquej’étais«fun»et«libre»,lefaitd’êtreabstinentependantuntempsestvraimentimportantàmesyeux…MaisShawnsouffredetoutça.Ilaenvie…demoi,jecrois,glousse-t-elleenrougissant.

–Ilestdinguedetoi,Megan,çasevoit.Ilesttoujoursauxpetitssoinspourtoi.Tues…saprincesse,larassuré-je.Biensûrqu’ilaenviedetoi!Maisilaaussi envie que tu sois prête avant que vous couchiez ensemble, j’en suiscertaine.

–C’estvraiquequandjeluiaitoutraconté,ilaététellementgénial!–C’estparcequetuesgéniale,embraieShelby.Iladelachancedet’avoir.

Mais quand même : parfois, j’ai l’impression que ce qui s’est passé t’avraiment… traumatisée. Et je me demande si tu ne devrais pas en parler àquelqu’un.Quelqu’unquit’aideraitàtelibérerdecepoids.

JesensMegansecrisper.Cen’estpaslapremièrefoisqueShelbyessaiedelapousser à entamer une thérapie et elle ne le prend pas très bien. Selon macolocataire,Meganestpiégéedansunevisionarchaïquedelapsychologie,dueàson éducation familiale. Je crois surtout que Shelby ne se rend pas compte :vivreunévénementdramatiquepeutvouschangerdutoutautout…

…onn’apasenviedeprendrelerisquede«guérir»sic’estpourredevenircellequ’onétaitavant.

Meganchéritsescicatricescommejechérislesmiennes,aussiétrangequeçapuisse paraître. Mais en même temps, elle les cache, elle ne veut pas quequelqu’und’autreytouche.Cettecontradictionfondamentale,jelapartageavecelle.Aussi,parsolidarité,jedévielaconversationsurplus«urgent»:mapeur

demettreunetropgrandepressionàHellsijeluidemandedesortiravecmoi.

–Aprèstout,iladéjàparlédenousdeuxàsesamis:est-cequejenedevraispasmecontenterdeçapourlemoment?

Àcetinstant,onfrappeàlaporte.Moncœurbondit:c’estlui.

C’estluietjenesaistoujourspascommentilvaréagirànotre«plan».

Jeregardelaporte,affolée,sansêtrecapabled’allerouvrir.Jenesaistoujourspascommentjedevraism’yprendre!

–Netedégonflepas,m’intimeShelbyàvoixbassetoutenallantouvrir.C’estjusteunrendez-vous,pasunedemandeenmariage!…

En affichant son plus grand sourire, Shelb’ ouvre la porte et jouel’étonnement.

–Tiens,Hell,commentçava?– Hello, Shelb’, répond le mauvais garçon avec un sourire absolument

ravageur.

Commeà chaque fois que je le vois,mon cœur rate unbattement. J’oublietoujours,d’unefoissurl’autre,àquelpointilestbeau.Sexy,charismatique.Àquelpointilremplitunepiècedesonaura.

–Tun’espaschezLoren?demande-t-ilàmacolocataire.–Tuesdéçu?Tupensaissansdoutepouvoirt’envoyerenl’airdansmonlit

pendantmonabsence?letaquineShelby.– Ne l’écoute pas, fais-je en rougissant jusqu’aux oreilles avant d’avancer

versluietluidonnerunrapidebaisersurlajoue.Ellen’apasprissescalmantsaujourd’hui.

Je devine que mes amies doivent se demander pourquoi je ne l’ai pasembrassé devant elles. Mais même si tout le monde est au courant qu’on sefréquente, c’est quand même différent de se comporter en couple devant nospotes ! Surtout que je ne suis vraiment pas certaine que ce soit ce que noussommes,uncouple…

–Tuesbelle,glisse-t-ilàmonoreille.

Undélicieuxfrissonparcourtmanuque.

Savoix.

Simasculine,siprofonde.Savoixquimeditquejesuisbelle.

–Merci,réponds-jetroublée.

Mais Shelby me fait revenir sur terre en se raclant la gorge : elle n’estmanifestementpasdécidéeàmelaissermedéfiler.

–Etdonc,vousavezprévuquoi,cesoir,vousdeux?

Jelafusilleduregard.

–Jenesaispas,répondHellavecnonchalance,sansvisiblementremarqueràquelpointonestbizarres.Tuasdesenviesparticulières,Fire?

Jedevraisrebondir,là,maintenant,toutdesuite.Maislefaitestqu’àlevoirdans son Perfecto, avec son corps baraqué et élancé, sa gueule d’ange, sonregardcouleurbronzeenvoûtant,sesmainstatouéesquifontdesmerveillessurmoncorpset sesbraspuissantsquime tiennentcommepersonne : je saisquemonenvieparticulière,c’estlui.

–Vousdevriez tester ce restodont tumeparlais,Kim, embraieMegan.Tusais…leresto…

Bonsang,c’estmoioumescopinesontlasubtilitéd’unbulldozer?

–Quelresto?medemandeHellenm’enlaçant,l’airintéressé.

Ce geste d’intimité me surprend. Je tressaille. Mon cerveau va à mille àl’heure. Qu’est-ce que ça veut dire, qu’ilme prenne comme ça dans ses brasdevantlesfilles?Est-cequ’ilal’airdes’intéresserparpolitesse?Ouparcequ’ilafaim?

Arrêtedecogiter!

–Enréalité,expliqué-jed’unevoixmalassurée,jenepensaispasàunrestoenparticulier…Maisjemedisaisqu’onpourraitpeut-êtresortirdînercesoir?

Mon cœur bat la chamade. Pourquoi est-ce qu’il me regarde en souriant,commeça?Etpourquoiest-cequesonsourireestaussicraquant?

–Fire,est-cequetuseraisentraindem’inviteràunrendez-vousgalant?– Non, pas du tout, qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? me défends-je en

rougissant.C’étaitjusteuneidéecommeça.Biensûr,situescrevéàcausedeton entraînement, je comprends. On n’a qu’à rester ici, les filles ne vont pastarderàyallerdetoutefaçon…

– Et priver cette jolie robe de sortie ? Pas question. Attrape ta veste, ondécolle.

Jerêveouilvientd’accepter?

C’étaitvraimentaussisimplequeça?

Surprise, aux anges, je me tourne vers les filles avec un air ravi avantd’enfilermavesteenjeanetattrapermabesacepuislamainqueHellmetend.Jeme laisseentraînerhorsde lachambrealorsqueShelbyetMeganse tapentdiscrètementdanslesmains.

–Àplustard,HelletFire!gloussentmesamiesenchœur.–Àplustard,lesfilles,leurrépondlebadboy.

Après un mystérieux crochet par l’épicerie, on quitte Berkeley pour SanFrancisco.

–Oùest-cequ’onva?interrogé-jeHellalorsqu’ilroulefenêtresouvertes,durockmisàfond.

–Disdonc,tun’aimesvraimentpastelaisserporter,toi,s’amuse-t-il.–Cen’estpasça,c’estjuste…

Bon sang, c’est du «Kim» typique !C’estmoi qui ai voulu ce rencard etmaintenant,jemesensnerveuse.Jemesouvienscomments’estfinieladernière«surprise»d’Aaron:unerupture,unefugueauMexique,etpourcouronnerletoutunebastonavecLukas.J’arrivenéanmoinsàmasquermonagitationetàluiraconter ma semaine, notamment l’organisation du grand colloque annuel du

départementd’Artqui,encemoment,m’accaparetouslesvendredisdequatorzeheuresà…minuit?Uneheure?Choisiretencadrerceuxqui,parmilesthésards,interviendrontsurlethèmechoisi,«lavaleurdel’art»,c’estledifficiletravaildePrice…Parcontre,dresserlalistedesinvités,préparerlemailing,trouveruntraiteur exceptionnel avec unbudget ridicule, c’estmamission. Je n’ai jamaisfaitd’événementielavantalorsj’avanceàpasdefourmi…

–Lapartieagréable,c’estquejegoûtedestasdepetitsfoursencherchantlaperlerare,expliqué-je.

Bien sûr, qui dit charge de travail trop importante, sédentarité et nuitsblanchesà faire l’amour,ditdeuxbonskilosdeplusqu’avantma«diète»dumoisdefévrier…

–Tesheuressupplémentairess’expliquentenfin,plaisanteHellensegarantauxabordsd’uneplage.Tumenégligespourdespâtisseriesminiatures.

–Tusaisquejenerésistepasàunbonéclairaucafé…ris-je.

Il descend de la voiture et, de sa démarche alerte de grand fauve, vientm’ouvrirlaportière.

–BienvenueàNorthBeach,Fire,fait-ilenmetendantlamain.L’undemesfiefs.

–L’undetesfiefs?Rienqueça,Monseigneur?memoqué-jegentiment.–Quand j’étais gamin, je venais souvent surfer ici au lieud’aller en cours,

m’explique-t-ilavecsonhabituelleinsolencequilerendtellementsexy.

Çame surprend : il parle rarement de son enfance. Sûrement parce qu’unegrande partie est liée à lamaladie…Mais ce soir, durant les deux heures quisuivent, toutenregardant la finducoucherdesoleiletavantd’allumerunfeusur la plage pour faire griller les Chamallows qu’il a achetés en douce àl’épicerie, ilmeracontecequec’était,degrandiràSanFranciscoenayantunpiedaucollègeetunautredans le skatepro. Je réalisequ’avant ses18ans, ilavaitdéjàeuplusieursvies,alorsquej’aiparfoisl’impressionden’avoirmêmepasdébutélamienne…

– Au moins, tu as vraiment eu une enfance, répond-il rêveusement. Engrandissant,jemerendscomptequej’airatécertainstrucs.

–Parexemple?– Par exemple ? Ça, fait-il en désignant le feu de camp où fondent nos

sucreries. Tu sais que depuis que tum’as confié que, jusqu’à votre entrée aulycée,tuallaissouventcamperavectestroismeilleurescopinesetquevousvousnourrissiez exclusivement de chips et de Chamallows fondus, ça m’obsède ?C’estlapremièrefoisquej’essaie.

–Sérieusement?C’esttapremièrefois?Tutefousdemoi,AaronHeller.–Jen’étaispasspécialementdugenreboy-scout,jeterappelle…

Jeris.

–Alors,tutrouvesçacomment?fais-jeencroquantdanslenuagedesucrefonduquimerappelletantdebonssouvenirs.

–Assezdégueulasse,admet-ilenriant.Hey!non,nemetapepas…Jesuiscertainquec’estbienmeilleurquandona11ans…

Nous rions,puisdevenonsplusgravesquand je lui raconte la façondont lelycéem’aéloignéedeCamilia,BeckyetAshleyetcommentjemesuissoudainretrouvéeseule.

– Jen’étais pas impopulaire, tu vois ?Dumoins, pas avant laTerminale…Mais je n’appartenais à aucun groupe. Je déjeunais souvent seule. Je traînaisbeaucoup à la bibliothèque pendant les récréations. Bref, j’étais cette fille.L’outsider.

–Jet’imaginecommeMick,l’héroïnedeCarsonMcCullersdansLecœurestunchasseursolitaire…Tuaslucebouquin?

–Sijel’ailu?m’extasié-je.C’étaitl’undemespréférésàl’époque!

J’hallucinesurlefaitqu’ill’aitluaussi!Etpuisjesuisflattée:Mickestsansdoutel’undespersonnagesfémininslesplusfortsdelalittératureadolescente.

–Sérieusement?medemande-t-ilenécarquillantlesyeux.Tusaisquejel’aioffertàMaliciaàNoël?

–C’estvrai?Elleenapenséquoi?Oh!sielleaaimé,elledoitàtoutprixlireLesRèglesd’usagedeJoyceMaynard.L’héroïneesttellementtouchante!Jemesuisvraimentidentifiéeàelle,çam’arappeléemes14ans…

–Encecas,c’estmoiquivaislelire,souritHelld’unairénigmatique.PourrésoudrelemystèreKimAbbott.

Jerougislégèrement.Entroissemaines,Hellnem’aposéaucunequestionsurmonpassémaisjesensqueparfois,ils’interroge.Quandilm’arrivedepenseràtoutcequ’ilnesaitpassurmoi,çamedonnelevertige.Jemedemandeparfoiscombiendetempsçapourradurer,nousdeux,commeça,etj’envisageuninstantde tout lui dire… Puis je pense à ce que j’abîmerais si je le faisais – àcommencerparnotrerelation.Alorsàchaquefois,jerenonce.

–Jepréfèrecontinuerd’enapprendreplussurlemystèreAaronHeller,botté-je en touche. D’après ce que j’ai compris, tu étais toi-même plutôt du genreHoldenCaulfield?

Hellsouritdemacomparaisonavec lehérosfugueurdeL’Attrape-cœursdeSalinger et continue à me parler de son adolescence anticonformiste et libre,passéeàrideretàsurferplusqu’àétudier. Ilmeracontesesannéesdewater-polo, de 9 à 12 ans, avant sa découverte du skate. Il me confie que déjà, àl’époque,ilavaitdumalavecladisciplinequ’imposelefaitd’avoiruncoach,defairepartied’uneéquipe.Enfin,ilm’expliqueàquelpointc’estétrange,quandonn’estencorequ’unado,d’avoirderrièresoidescompagniescotéesenBoursequi attendent de vous un retour sur investissement – surtout quand on a untempéramentdefranc-tireur.

–Nevapascroirequejemeplains,s’excuse-t-ilenouvrantuneautrebière.Jevismonrêveetjelevisàfond.Maisparfois,c’estcommesilerêven’étaitpas…exactementcequej’avaisespéré.Tuvoiscequejeveuxdire?

–Jenesaispas,réponds-jeenobservantsonbeauvisageréflexif.

Saboucheourlée.Sescheveuxchâtainfoncésoyeuxquitombentenmèchesrebelles devant ses yeux. Son regard intense, farouche, et en même tempsmélancolique–leregardd’unenfantquiagranditropvite.

–Jecroisquejen’aijamaisvraimenteuderêve,expliqué-je.Nonpasqueçame pose problème. Çame permet d’entreprendremille choses différentes : ledroit, la photo, la danse, le kick-boxing, mon job, mon action au sein del’AFB…Jen’aipasderêve,certes,maisj’aipleindepassions.Peut-êtremêmetrop!

– Je t’en suis d’autant plus reconnaissant d’arriver à libérer du temps pourmoi,fait-ilentrinquant.

–Hell,demandé-jeaprèsunsilenceenmettantunautreChamallowàgriller.

C’estcomment?–«Comment»quoi?–Desavoirexactementcequ’onveut.Cepourquoionest fait.D’avoirun

domainedanslequelonestlemeilleur.D’avoir…unrêve.–Lemeilleur,jenesaispas,sedéfend-il.C’estceàquoij’aspire,c’esttout…

Ilobserveunsilenceméditatifavantdereprendre.

–C’estcomme…unbesoin.Lebesoinabsolu,total,aveugle,d’allerauboutdequelquechose,mêmequandcettechosetefaitdumal.Parcequesitun’yvaspasàfond…laviedevientpâle.

Je ressens un pincement au cœur parce que je l’envie, au fond. Ce dont ilparle,jeneleconnaispas.Pourlui,leskate,c’esttout.

–Qu’est-cequitefaitdumal,dansleskate?demandé-je,plusdésireusequejamaisdecomprendrecequil’anime.

– Tu veux dire, à part le nombre incalculable d’entorses, de coupures, etmêmequelquesfracturesouvertespasjoliesàvoir?rit-il.Jenesaispas…

Ilregardeversl’océan,songeur,avantdem’expliquer,avecdanssavoixunehésitationquilerendincroyablementtouchantetvulnérable:

– J’ai eu un passage à vide vers 18, 19 ans. Je vivais dans une grandecolocationdeskateursàChinaBeach,unendroitoùilyavaitsouventdesfêtes.Çafaisaitunanqueçamarchaitbienpourmoi,quejefaisaispartiedel’équipeREALeyes, ce qui était vraiment la gloire absolue aux yeux de tout un tas degens… Tout le milieu du skate commençait à avoir un œil sur moi. Ce quivoulait aussi dire que tout le monde commentait le moindre de mes faits etgestes : comment je skatais, comment je me comportais, même comment jem’habillais… J’avais l’impression que les autres pros – desmecs que j’avaistoujoursadmirés,mesidolesdepuisquej’étaisgosse–attendaientensefrottantlesmainsquejemeplante.D’unautrecôté,j’avaiscetargentquejegagnaisenfaisant la seule chose que j’aime vraiment, j’avais cette baraque au bord del’océan,ettoutescesfillesquimetournaientautour,etpourtant…

Ils’interrompt,soupire.

–…pourtant,jenesaispascommentl’expliquermaisj’aisombré.Vraimentsombré.Pendantunpeuplusd’unan,j’aiprisàpeuprèstoutcequimepassaitsouslenez:cocaïne,amphétamines,codéine…Toutcequifiniten«ine»etquiapporteunpeud’intensitéà…jesaispas.Àtoutça,précise-t-ilfinalementavecungestevague.

Jerestebouchebéesuiteàcetteconfession.Hellestcertainementlapersonnelaplusancréedansleréelquejeconnaisse!À22ansseulement,ilpossèdesapropremarqueetilgèresonimageenvéritablechefd’entreprise!Parailleurs,jene connais personne qui ait une vie aussi intense. Comment peut-il avoir eubesoindedroguespourcomblerunsentimentdevideetd’ennui?

–Qu’est-cequetuentendspar«toutça»?luidemandé-je,stupéfaite.

J’aibesoindecomprendre.Ladrogue,pourmoi,ç’atoujoursétédesjunkiesvivant dans des cartons, des overdoses dans des impasses glauques, des gensravagés.Hellesttellementloindetoutça!

–La…vie,j’imagine.Cetrucqu’onchérittousmaisquis’avèrelaplupartdutempsdécevantetdouloureux. J’ai toujourscherchéàvivreà fond,Fire.Ànefairequedestrucshorsnormes,grandioses,quitefonttesentirexistervraiment.J’imaginequecetteannée-là,j’aicomprisquecen’étaitpaspossibled’êtretoutletempsdansunesortede…d’étatd’exception.

–Commenttut’enessorti?luidemandé-jed’unevoixdouce.–Figure-toiquec’estgrâceà lapressiond’undemessponsors–ehoui, je

sais:çanemanquepasd’ironie.IlsontmandatéThomas–tusais,chezquionétait allés avant les vacances de Noël – pour qu’il me remette dans le droitchemin,etThomasaamenéShawnavec lui…Etquand ilsontmenacédemefaireentrerdansuneclinique…Ehbien,j’imaginequej’aipasséassezdetempsàl’hôpitalàmongoût:jen’avaispasvraimentenvied’yretourner,rit-il.

Maismalgréça,sonregardestdouloureux.Torturé.JemerendscomptequeHellesttoujoursauborddecetabîmequ’ilporteenlui.Iljoueavecenvéritabletrompe-la-mort,etçamefaitpeur…Maisjeseraismalhonnêtesijen’admettaispas que ça m’attire aussi. Moi, mon abîme… C’est un trou noir, auquel j’aichoisi de tourner le dos. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas là, prêt àm’engloutir:çaveutsimplementdirequejen’aipaslecouragedeleregarderenface.Peut-êtreaurais-jedeschosesàapprendredeluidanscedomaine?

– Tu as assezmangé ?me demande-t-il soudain, sans doute pour passer àautrechose.

–Sij’avaleunebouchéedeplus,jevaisêtreobligéedejeûnerjusqu’àl’été,répliqué-jeenessayantmoiaussidefairepreuvedelégèreté.

D’acceptersonvirageàcentquatre-vingtsdegrés.Après tout,cequ’ilvientdeme dire est tellement… intense. Et j’ai l’impression d’avoir appris tant dechosessurlui,cesoir!

–Alorsviens,déclare-t-ilenselevantetenmetendantlamainpourquej’enfasseautant.Onestattendus.

–Attendus?Mais,oùça?– Tu es toujours aussi control freak, Fire ? Ou c’est juste que tu n’as

absolumentaucuneconfianceenmoi?me taquine lebadboy,m’arrachantunsourire.

Dixminutesplustard,aprèsavoirmarchésurlaplageetgrimpéunescalierinterminable,onarrivedevantunemaisonquidonnesur l’océan–unemaisonassez modeste. Aux bruits qui s’échappent par les fenêtres ouvertes, jecomprends qu’une fête a lieu. Je neme risque pas à demander chez qui noussommes: jemecontentedeprendrelamainqueHellmetendquandilappuiesurlasonnette.Laported’entrées’ouvresurunefemmed’environl’âgedemamèrequi se jette aucoud’Aaron. Je suisdéstabilisée, jene saispas commentréagir.

–Tueslà,chenapan!s’exclamel’inconnue.–SalutJessica,luirépondle«chenapan»enquestion.–Hey,regardezquivoilà…faitDonnyensurgissantsoudaindanslehall.

J’hallucine!Donny?Ici?

Qu’est-cequ’ilfaitlà?

Jecomprendssoudain.

LafêtechezLoren.Hellm’aemmenéeàlafêtechezLoren!

Çamefaittellementplaisir!Jamaisjen’auraisimaginéqu’onirait!

–Venez,entrez,j’aijustementrefaitunsaladierdemojito…

L’idéed’unmojito,lepremierdelasaison,mefaitcomplètementfantasmer!Lentementmaissûrement,l’hiverestentraind’êtrereléguéaurangdesouvenir.Le printemps nous tend enfin les bras… et il s’annonce radieux, surtout aumomentoù je fais irruptiondans lesalonetoùmesdeuxmeilleuresamiesmesautentdessus.

–Tueslà?Paspossible!C’estgénial!s’extasient-elles.–Vousnepouvezdécidémentpasvousquitterplusd’unesoirée…semoque

gentimentHell.Çanevousembêtepassijevouslareprendsquandmêmeuneminute?Ilyaquelqu’unquej’aimeraisluiprésenter.

Jecomprendsdequiils’agitaumomentoùnousentronsmaindanslamaindans la cuisine. D’une, parce que j’ai une photo d’elle et de sa fille archivéequelquepartdansmontéléphonedepuisNoëlet lepremierSMSqueHellm’aenvoyé.Dedeux,parcequeMary-Aliciaestvraimentsonportraitcraché.

–Kim,voicimamère,Gillian.Maman,jeteprésenteKim.

Prisedecourt,jeremercielecieldenepasavoirlaisséShelbymetransformerenplaymateetMeganenégérieBCBG…D’autantqueGillian,elle,esthabilléesimplement : jean près du corps, veste noire, bijoux bohèmes. Elleme sourit.Elleaunbeausourirechaleureux,franc,quimemettoutdesuiteàl’aise.

–Tuesdonclaraisonpourlaquellecepetitvoyoual’airtellementheureuxdepuisquelquessemaines?Ehbienjesuisenchantéedefaire taconnaissance,Kim.

–Enchantéemoiaussidevousrencontrer,dis-jeenessayantdenepassourirebéatementàl’idéequelamèred’Aaronpensequejelerendsheureux.

– Je teprésenteKerry,ajoute-t-elleenmedésignant la femme,métisseà lapeauclaire,avecquielleétaitentraindeparler.EtJessica.

–Ons’estvuesdansl’entrée,l’avisecettedernière.–KerryestlamèredeShawn,m’expliqueHell.JessicaestcelledeLoren.–Tuconnaistoutelabande,àcequejevois,remarqueGillian.Jessica,sers

doncquelquechoseàboireàcesdeux-là.OnétaitentraindeparlerdeMargaretAtwood,m’expliquelamèredeHell.Tusais,l’auteuredeLaServanteécarlate?

– J’essayais de convaincre ces deux-là de lâcher la série pour le roman,

m’expliqueKerrypendantqueJessicametendunverredepinotgris.– La dernière fois que tu m’as conseillé un livre, c’était l’Homme sans

qualités, et j’y ai passé un an, proteste notre hôtesse. Alors merci, mais tesplans…

–Oh, bien sûr : toi, tant qu’il n’y a pas une scène de sexe toutes les deuxpages…TesAfterettesCinquantenuancesdemachin-chose,là…

–C’estquej’aiunmariageàentretenir.Tucroisqueçasefaittoutseulpeut-être ? Non, il faut mettre du fioul dans la machine… Doper un peu sonimaginaire…

Les trois amies rient et continuent de discuter avec une liberté de tonrafraîchissante.

Desadultescool.Çaexistevraiment?

ÇamechangedesréceptionsfroidesetmortifèresaumanoirJensen…J’avaisbeau bien m’entendre avec mon ex-belle-mère, Belinda était moins faciled’accèsqueGillian.D’ailleurs,dèsquecettedernièreetmoi-mêmecommençonsà discuter des mérites comparés des livres papier et des e-books, puis desproductions Netflix et HBO, Hell semble rassuré sur notre habileté à nousdébrouiller seules et va aiderLoren à préparer des pizzas pour tout lemonde.Alors que j’observe de loin cemec si sexymettre (littéralement) lamain à lapâte pendant que je discute avec sa mère, dans cette fête chaleureuse ettransgénérationnelle,jemedissoudainquej’aidelachance.Vraimentbeaucoupdechance.Parcequepeut-êtrequeHelladesacrésdémons,maisillescombatchaquejour.Parcequ’iln’yarienquejen’aimeoun’admirechezlui.Parcequec’est quelqu’un de fondamentalement bon. Il plaisante avecLoren comme s’ils’agissait d’unegrande sœur et je les observe, attendrie. Jessica surprendmonregardsureux.

– Qui aurait cru que ces deux-là s’entendraient un jour comme larrons enfoire?Avant,ilssedétestaient!

–Vraiment?–Tuveuxrire?Lorenavait15ansetAaron13ansquandilacommencéà

traînercheznous.À l’époque,Donnyvivait iciparcequesamère,masœur…Bref,tuneveuxpassavoircequecettepoivroteirresponsableluifaisaitsubir,cen’estpas très intéressant.Toujoursest-ilqueDonet sescopains s’amusaientàrendre chèvre ma Loren ! Ils lui piquaient son journal intime, caftaient sur

absolument tout, l’embarrassaientdevant sescopines…Hellétaitbienentendulepiredetous.Leseulquiétaitdouxavecelle,c’étaitLukas.Tiens,d’ailleurs,fait-elleensetournantverssesdeuxmeilleuresamies,oùilest,celui-là?

En entendant le prénomdemon ami,mon cœur fait un bondpuis se serre.Encorecetteculpabilité…Est-cequec’estdenotrefaute,àHelletmoi,s’iln’estpasaveclessienscesoir?

–Aaronetluisontenfroid,jetel’aidéjàexpliqué…chuchoteKerry.–C’estShawnquitel’adit?Ah!tuenasdelachance,soupirerêveusement

Jessica.J’adoreraisqueDonetLorenseconfientàmoicommeça…–Ça a ses inconvénients : il se confie, certes,mais ilme confie surtout sa

lessivetouslesweek-ends…Qu’est-cequiclochechezcegarçon?Tuimaginessa tête si je lui demandais de nettoyermes dessous ? Rien que les frais dethérapiequeçaengendrerait?

Nouspouffonstouteslesquatreenchœurquand,soudain,unegrandebrune,canonmaisvulgaire,faitsonentréedanslacuisine.

–Hell!Beaugosse,oùtuétaispassé?Jemelanguissaisdetevoir…

Lafilleenquestion,quiamoulésataille34dansunehorriblerobefluo,sejetteaucoud’Aaronpourluifairelabise.Pardon:luifairelabiseetsefrottersur toute la surface de son corps. J’ai envie de lui tirer ses extensions noircorbeaumaisGillianestlà,cequimeforceàmetenir.

– Sam, rit Aaron gêné en repoussant cette pétasse avec plus de subtilitéqu’ellen’enaura jamais.Qu’est-cequetudeviens?Est-cequetu terappelles,euh,mamère, fait-il en désignant cette dernière. EtKim.Kim, je te présenteSam,unevieilleamie.

OK,Samestune«vieilleamie».Etmoi,jesuisquoi?

C’estquoi,montitrehonorifique?J’envoudraisbienun,moiaussi–même«planculamélioré».Çaempêcheraitpeut-être la«vieilleamie»d’AarondemedévisagerdespiedsàlatêteavecunemouedédaigneuseavantdesetournerversHellpourlâcher:

– Tu traînes avec les copines de Malicia maintenant ? Quel grand frère

attentionnétufais!

Àmon grand désarroi, Hell ne prend même pas la peine de corriger cettesalope:ilsecontented’articuleràmonintentionun«désolé»ensilence,avantderetourneràsespizzasalorsqueSamlesoûledebanalités.Sanspouvoirm’enempêcher, je serre lesdentset la fusilledu regard.Dansungestedesolidaritéfémininequimeréchauffelecœur,Gillianmeressertunegrosserasadedesonpinotgrisavantdejeterunregardréprobateuràsonfils.Moi,jeluttepournepasmetransformerenharpie.Pourcachermajalousiebrûlante.Jesuisterriblementblesséedevoirqu’unefoisdeplus,jemeretrouveàunesoiréeavecundesesplanscul.Unplanculquiconnaîtluiaussisamère.

Iln’yariendespécialentrenous.Riendechangé.

Jel’aicruàunmoment,parcequej’aipenséqu’êtreici,avecGillian,c’étaitavoirdroitàuntraitementspécial…Jemesuisplantée.

–Hey,Fire,meproposeHellalorsquesefontentendrelespremièresnotesdeCalifornia Love de 2Pac dans le salon. Ça te dirait d’aller montrer à tout lemondecequ’estlevrai«Californialove»?

C’estunemaigreconsolation,maisc’enestune :aumoinsHell semble-t-ildécidéà écourter son tempsavecSam. Il adû remarquermonairdécomposé.J’attrapelamainqu’ilmetendenmedisantquec’estdéjàça.Enmeforçantàsourire, jeme laisse entraîner vers le salon. Le trio demèresme fait un petitgestedelamainenmedisant«àplustard».J’essaiedefairebonnefigureenleurrendantleursalutmaisjenedoispasêtretrèsconvaincante.

Ilfautquejemeressaisisse.

Aprèstout,certes,jesuisdéçue,maisjenesaispascequ’ilyaentreHelletcette fille. Après tout, je me fais peut-être des idées ? Je sais que ce flouartistiqueentreHelletmoiatendanceàmerendreparano.

Sur lapiste, je retrouveShelbyetMegan,quisemblentavoirpuisédans lesmojitosdeDonnyl’énergiededansertoutelanuit.Jedécidedefairepreuvedela même bonne humeur, quitte à me forcer au début. Heureusement, commetoujours,ladansem’yaide.Lesmouvementsm’emportent,moncerveaus’éteint

pour laisser parler mon corps, et rapidement Hell et moi nous retrouvonsenchevêtrés,collés-serrés,commenousyincitecemorceau.Àchaquefoisqueje danse avec lui, je suis stupéfaite par sa façon de bouger. Sesmouvements,puissants et félins. Son sens du rythme. Sonmagnétisme.C’est aussi quelquechosequiseretrouvedanssafaçondeskater.

Oudefairel’amour.

ÇasuffitàmefaireoublierSam.Danslesbrasdubadboy,jemesenschoisie.Etqu’importecequeditcettefille:c’estavecmoiqu’ils’affiche.Etbiensûr,une part demoi voudrait plus…Mais je sais queHellme donne déjà tout cequ’ilpeut.Sa lettre,ces troisdernièressemaines, le faitqu’onsoit làavecnosamis…

Cen’estpasrien.

Ilnefautpasquejelaissemesinsécuritésmefaireperdreçadevue.

Lemorceausetermineet jemedétachedeluiàregret : lesuivant, toujourship-hop,estmalheureusementbeaucoupmoinslascif.Maisauxpremièresnotes,Hell me regarde d’un air de défi avant d’esquisser quelques mouvementstoprock,commeunauthentiquebreakdancer!Jepousseuncridejoie.

–Oùest-cequetuasapprisàfaireça?– J’ai regardé des vidéos, qu’est-ce que tu crois, Fire ? Je n’allais quand

mêmepasmelancerdanscetterelationtumultueusesansavoirlesarmespourtedéfier.

–Oh,tucroisquetuascequ’ilfautdansleventrepourça?plaisanté-jeavantdeleprovoqueravecunboogalooendiablé.

– Je n’ai peut-être pas ta technique,Rouquine,mais j’ai dumuscle, répondAaronavantdefaireunsixsteps,unefigureacrobatiquecomplexe.

Instantanément,unerumeurs’élèvedanslesalon,lesregardssebraquentsurnouset,lentementmaissûrement,uncercleseforme.Alorsjefaiscequejesaisfaire de mieux : je combats sur ce ring improvisé mon infernal bad boy etl’observesedéfendreavecbienplusdetalentetdecréativitéquejen’auraispurêver. À la fin de ces troisminutes d’affrontement sansmerci, tout lemondeapplaudit – excepté une grande blonde boudeuse qui se tient à l’écart et nous

jaugeavecunairmauvais.Unefilleimmensequivientvisiblementd’arrivercarelleaencoresontrench-coatàlamain:PoppyTownsend.

Qu’est-cequ’ellefoutlà?

Là,c’esttrop.La«vieilleamie»Sam,jeveuxbien…Maislafilleavecquiilm’ahumiliée?Avecquiilestdéjàrentrésousmonnez?

Ilpensaitsincèrementquej’accepteraisça?

Après tout, pour ce que j’en sais, il a très bien pu se la taper, ces troisdernières semaines ! Et nous réunir ce soir sans même voir le problème !Furieuse, j’interroge Aaron du regard. Il suit la direction de mes yeux… Etcomprend.Enm’entraînantàpart,ilcommenceàsejustifier.

–Jen’étaispascertainqu’elleserait là ;pour tout tedire j’espéraisquemaprésence l’en dissuaderait… Loren et elle sont devenues copines depuis quePoppyluiatrouvédescontratsdanslamode.Lorenestcoiffeuseet,enattendantd’avoirdequoiouvrirsonsalon,ellecoiffepourlesdéfilés…

–EtSam?demandé-jeavecbrusquerie.– Sam ? répète-t-il embarrassé. Sam est une amie d’enfance de Donny et

Loren.–Etpourtoi?Elleestquoi,pourtoi?–Écoute,Fire,soupire-t-ilensepassantlamainsurlevisage,jesuisdésolé.

Cettesoirée,cen’étaitpeut-êtrepasunebonneidée…

Maisc’étaitmonidée.

C’estbienlàqu’ilveutenvenir,non?

–Bon,frangin,nouscoupehélasMaliciaavantquej’aieletempsdesignifieràHellmamanièredepenser.

Sapetitesœurasurgidenullepart–ouplusexactement,d’unendroitoù,vul’odeurqu’elledégageetsesyeuxinjectésdesang,elleadûfumerpasmaldeplantesmédicinales.

–Tufaislesprésentations?Jeveuxdire:officiellement,cettefois?

Jeravalemacolèreetmesenviesd’arrachersesyeuxàHell.Malician’yestpourrien,etjen’aiaucuneenviedepasserpourl’hystérodeservice.

– Putain, Malicia, je rêve ou t’es complètement stone ? grogne-t-il devantl’étatdesapetitesœur.Tusaisquemamanestàmoinsdevingtmètresdelà?

–Relax,frérot:tuveuxquejefasseunbadtripouquoi?

Ilentraînesasœurlégèrementàl’écart.Jesensqu’ilbouillonne.

–Jepeuxsavoircequiteprend?D’abord,jereçoisunappeldelaCPEpourmedirequetuasséchéprèsdetroisjoursdecours.Maintenant,tutedéfoncesdevantMaman…Tuveuxquoi?Finirenpension?

– Enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec d’autres délinquantesjuvéniles?Écoute,pourquoipas.Jesuisdéjàfand’OrangeIsTheNewBlack,alors… rétorque la jeune fille en se foutant visiblement des menaces de sonfrère.

–Trèsdrôle,Malicia,trèsspirituel,bravo.Etsurtout,trèsmature.Seizeans,c’estunpeutardpourcommencertacrised’ado,non?

–Pourtant,à22ans,tun’asmêmepasfinilatienne,répondlasœurdutacautac.

Aumoins,jesuisfixée:cesensdelarepartie,c’estdefamille.

–Tupeuxlasurveiller?medemande-t-il,ignorantlaprovocationdesasœur.Jevaisluichercherunepartdepizza.Etducollyre,histoired’éviterundramefamilial.

C’estça:évitelesdrames,Hell.

Je suis injuste, il s’inquiète pour la sœur, c’est sa priorité, c’est normal.J’opinetoutenluilançantunregardquisignifiequenotreconversationn’estpasfinie.

–Jen’aipasbesoind’unebaby-sitter,rétorqueMalicia.–Non,tuasbesoind’unexorciste.Tuesentraindedeveniraussiconneque

moiàtonâge.

Ils’éloigne,visiblementfurieux.

–Ilestlourdquandilestcommeça…râlelajeunefille.–Ils’inquiète,tenté-jedenuancermalgrémacolèrecontrelui.C’estlerôle

desgrandsfrères.Dumoinsj’imagine…Jesuisfilleunique,pourtouttedire.–Lachance!– Tu parles ! Ça veut dire que je suis la seule depuis 18 ans à assumer la

névroseparentale.–Moi, jesuis laseuleàassumer lanévroseparentaleETfraternelle répond

Maliciaavecunregardverslacuisine.Quidenousdeuxestlaplusàplaindre,àtonavis?

Aucundoute:cettegaminepossèdelamêmeimpertinencequesonfrère.

Mais jen’arrivepasà savoircequi secachederrière : l’inquiétudedeHellest-ellelégitime?OubienMalicia,commetouslesados,teste-t-elleseulementseslimites?

Je jette unœil vers la cuisine pour voir siHell revient avec cette pizza. JeconstatealorsqueCaspervientdefairesonentréedanslesalon,sonhoodiesurledos. Il balaie l’assembléedu regard,nousvoitMalicia etmoi, commenceàavancerversnous…Maisl’adolescentem’attrapebrusquementparlebras.

– Tu me suis ? J’ai laissé Heaven dehors avec les deux horribles bichonsmaltaisdeJessica.Jedoism’assurerqu’ilnelesapasmangés…

–OK,répliqué-je,déphasée,toutenmelaissantentraîner.

Je jette un regard désolé à Casper qui reste planté comme un con. Je neconnais que trop bien cette sensation d’être invisible quand on arrive quelquepart.Ç’aétécommeçapendantpresquetoutesmesannéeslycée.

Jemerattraperaiplus tardenallant luiparler.Après tout,c’estceluide labandequejeconnaislemoinsbienetj’aimeraisbienchangerça.

Une foisdehors,Maliciaetmoicommençonsà joueravec leschiens.C’estmapremièrevraierencontreavecHeaven,quej’avaisaperçudeloin,cethiver,lors de la soirée chez Hell. C’est vraiment un adorable chien. Affectueux etjoueurmaispastropexcité.

– Ilestbiendressé, remarqué-jeen lecaressantalorsqu’ilme rapporteune

balle.–Normal,c’estlemien,rétorqueMaliciaaumomentoùMegan,munied’une

vodka-cranberry,nousrejoint.–Lesfilles,jen’enpeuxplus.Jesuisdé-chi-rée.Maisheureuse,précise-elle

enpassantsonbrasautourdemoncouetenpouffant.Tusaisquetonfrèreadelachance?demande-t-elleàMalicia.Cettemeuf,là,c’estlameilleuredetouteslesputaindemeufsque…

–OK,OK,n’enjetezplus,lacoupé-jeenluiconfisquantsonverre.

Cen’estvraimentpaslemomentdeparlerdemarelationavecHell.Vraimentpas.

– Miss Day-Belmont, je pense qu’il est temps de freiner un peu sur laboisson…

–Rhoo,s’ilteplaît,nefaispastatrouble-fête,glousseMegan.

Àcemomentprécis,quelqu’unmebousculeet,cata,lecontenuduverredeMeganvolejusquesurlarobedeMalicia.Unesublimerobecouleurcrème,avecdes épaulettes en sequins dorés…maintenant ornée d’une grosse tache rouge.Pendantque jecontemple lesdégâts,mortifiéeet stupéfaite, j’entends lapetitesœurd’Aaronrugir:

–Putain,maisPoppy,onpeutsavoircequiteprend?Çavapasouquoi?

Poppy.

Biensûr.J’auraisdûm’endouter.

– Je n’y suis pour rien,moi ! C’est Poil deCarotte qui n’a pas le sens del’équilibre. À partir de cinq centimètres de talons et quatre verres de vin,certainesfillestanguent,queveux-tu?

Jemeretourne,furibarde,verslablondeaussisublimequefroide,aussibellequepeste.

Alorsc’estça,qu’elleveut?Uneconfrontation?

– Pardon Poppy mais tout le monde ne peut pas avoir un bac+5 enmannequinatavecoption«mettreunpieddevantl’autre»,ironisé-jeavecunair

supérieur.

Instantanément,laReinedesNeigessetransformeenCruellad’Enfer.

–Aufait…«Kim»,c’estbiença?Jevoulaissavoirsic’estvraicequ’onracontesurlesroussesetleurodeur,demandecettesalopeenmereniflantd’unairméprisant. Je n’ai pas pum’empêcher de remarquer queHeaven n’arrêtaitpasdecoller sa truffe…là-où-je-pense…Çaexpliqueraitbeaucoupdechoses.Tusaiscequ’ondit:telchien,telmaître…

– Effectivement, répliqué-je en jubilant d’avance à l’idée de la moucher,Aaron ne déteste pasme coller sa truffe là-où-tu-penses. Pourquoi, il n’aimaitpastelefaire,àtoi?

DésoléeMalicia.

Maisaprèsquelquespinotsgris,ilnefautpasmechercher…

–Oh,iladoreça.Çafaitdenousdesrivales,j’imagine,souritcettegarce.

Jevoudraisvraimentnepasprendresaprovocationausérieuxetnepascéderaudoutequ’elleinstalleenmoi.Jelevoudraistant…Maisj’aiencoreautraversdelagorgelasoiréechezThomasetAubra.Leterriblesentimentd’humiliationqui m’a frappée quand je les ai vus remettre leurs manteaux pour partirensemble.Cettedéchirure,cesentimentderejet.Denepasêtreassezbien.Denerienvaloir,pasmêmeunminimumderespectetdeconsidération.

– Tu sais ce que je fais àmes rivales ? rétorqué-je entremes dents. Je lesbroie.

–Oh,vraiment?Etcommenttut’yprends?demande-t-elleenhaussantunsourcil.Tut’assiedssurelleetlaissestongrosculfairelesaleboulot?

Sentantquejesuisàdeuxdoigtsdetestermesrécentsprogrèsenmatièredecoupdepiedretourné,Megans’interpose.Maliciaaussidécided’intervenir.

– Laisse, me rassure la petite sœur d’Aaron en posant une main sur monépaule,elleestprobablementcomplètementcokée.Etcomplètementpathétique!ajoute-t-elleàl’intentiondumannequin.

Saufquelemalestfait.Jemesenssoudainridicule,danscettesoiréeremplie

deplansculd’Aaronoscillantentreun34etun36.Jemesensridicule,danslarobequej’aichoisieentreautresparcequecellesquemeproposaientShelbyetMegandévoilaienttropmoncorps,mesgrossesfesses,mescuissesénormes.Jemesensaffreuse–moiquidoistoujoursréfléchir,avantd’acheterunvêtement,àlafaçondontjevaisdevoiréquilibrermasilhouette,cachermonventreetmeshanches,attirer les regardssurmoncououmesseinspourqu’onne remarquepasmesbrasquipendent.Qu’onsoitclair:jedétestelesfillescommePoppy,lesgrandes aspergesprétentieuses etméchantes, tellement fièresd’elles et de leurpoids plume…Mon cours de danse classique était plein de filles de ce genre.Monlycéeétaitpleindefillesdecegenre.Maismêmesij’aitoujoursmépriséleurmesquinerieetleursuperficialité…

…j’aitoujoursenviéleurphysique.

Cen’estpasfaciled’avoiruncorpstoomuch:troppulpeux,tropgrand,troplourdpourlesportés,troplargepourleclassique,tropvoyantpourlesdécolletésprofonds, tropcharnupour les jupesmoulantes…Au lycée ily avait les fillesbellesetlesfilles«bonnes».Bonnesàbaiser.Bonnesàrien.Etavecmon95D,maplaceétaitclaire.

–Çava?demandeAaronens’approchantalorsquePoppy,fièredem’avoirséchée,s’éloigne.Elleafaitdessiennes?

–Cen’estrien,réponds-jesèchement–Rien?embraieMalicia.Cettepouffiasseafoutuen l’airmarobe,etsi tu

avaisvucommeelleahumiliéKim…!

Malicia,jesaisqueçapartd’unebonneintention.Quetun’asque16ans.Etque tu as fumé trop de cigarettes qui font rire ce soir.Mais franchement : tagueule.

–JevaisaiderMaliciaàsechangerdanslachambredeLoren,lacoupé-jeenespérantqueHellneremarquepas le tremblementdansmavoix.Etvoirsionpeutréparercettecata,ajouté-jeendésignantlarobefichue.Maisensuite,est-cequ’onpourraityaller?

–BiensûrFire,merépondmonbrunténébreuxenm’attirantàluipourposermonfrontcontrelesien.Maistuescertainequeçava?

–Ouioui,esquivé-je,enmedégageantdepeurdefondreenlarmes.Çava.

Danslegenre«aufonddutrou»,çava.

***

Iln’estmêmepasminuitlorsquenousfranchissonslaportedechezHell.Letrajet, heureusement court, a été tendu. Je n’ai pas desserré les dents, tropoccupée à ruminer tout ce que j’ai à lui dire et qui ne sort pas, qui refuse desortir,parcequecommeune idioteque je suis, jepréfèrem’écraserplutôtquerisquerdeleperdre.Acceptercequ’ilmeproposeplutôtquedirelavérité,mavérité,quiestfinalementlamêmedepuislepremierjour:jenepeuxpasavoircegenrederelation.Jenepeuxpasaccepterl’incertitude,lefaitdelepartager,leshumiliationssuccessives.

Malgrétoutcequej’aipucroire.

C’estplusfortquemoi:jesuisjalouse.Decesfillesparfaites,plusâgéesetplus expérimentées, avec qui il a couché. Du fait qu’aucune de celles que jerencontrenesembleavoirtournélapage.DufaitquePoppym’alaisséentendreque lui non plus n’avait pas tourné la page. Que leur liaison était encored’actualité.OK, jevois toutà faitquel intérêtelleauraitàmementir,mais lefait est que jamais Hell ne m’a parlé d’être exclusif l’un avec l’autre. Etmaintenant,jesuisplusperdueencorequ’avantcettesoirée.Etjenecroispaspouvoircontinuerdansceflou.

– Aaron, est-ce que… Est-ce qu’on est ensemble, toi et moi ? finis-je pardemander d’une voix timide alors qu’il se laisse tomber dans un fauteuil etenlèvesesélégantesbootsencuir.

– Ensemble ? me demande-t-il avec un regard étonné. Tu veux dire : encouple?

–Non : jeveuxsavoirsi jesuis tapartenairedevalseviennoise,nepuis-jem’empêcherd’ironiser,exaspérée.

Mon bad boy sauvage et insolent laisse échapper son rire viril et tellementsexy avant de se relever pour venir se poster face à moi, bras croisés, ens’appuyantnégligemmentsurledosdesoncanapéChesterfield.

–Écoute,Fire, tusaisquejenesuispasdugenreàposerdesétiquettessurtout. Ce qui est sûr, c’est qu’on est bien, toi et moi, depuis trois semaines.

Tellementbienqueçamesurprendmoi-même,parcequ’entremoncaractèredemerdeetletien…

Monsieur plaisante. Je lui demande de me rassurer, et il plaisante. Mesépaulesseraidissent.C’esttoutAaron,ça:ildonnedesréponsesnébuleusesouhumoristiques que j’accepte comme argent comptant, quitte à tomber de hautaprès–commecesoir-làchezAubraetThomas.

–Qu’est-cequetuessaiesdedire,Hell?contre-attaqué-je.Quetuasenviedetetaperd’autresnanas?QuesituesrentréavecmoicesoiretpasavecSamouPoppy,c’estsimplementparcequ’onétait«arrivésensemble»?

–Hey,hey,mecalme-t-il,enprenantmonvisageentresesdeuxmainslargesetpuissantes,qu’est-cequit’arrive?

–Ilm’arrivequetuessortiavectoutescesnanastaillemannequinetquemoi,ça fait trois semaines que tume planques dans tamaison ! explosé-jemalgrémoi.Quevisiblement,lesamedi,tuvasàdessoiréesoùtamèreettesexsontlàetdevisentgaiement.Etmoi,jesuisquoi?Lanouvelleadmisedanslegroupe?

–Fire, jepeuxsavoird’oùçasort,cettecrise?s’agace-t-ilsanspourautantmelâcher.

Sanspourautantcesserdemeregarderdesesyeuxenamande,dontlebronzes’enfonce dans mon cœur comme la pointe acérée d’une flèche. Je voudraisresterdanssesbras…Maisjenelepeuxpas,jenelepeuxplus.C’estplusfortquemoi:ilfautquejesache.

–D’oùçasort?m’emporté-jeenmedégageantdesonétreinte.Jenesaispas,moi !Du faitqueça fait troismoisetdemiqu’onseconnaît etque jene saistoujours pas ce qu’il y a entre nous !Que visiblement, personne ne le sait, etencoremoinsPoppy…

–OK,doncçaaunrapportavecPoppy?demande-t-ilunpeuagacéenallantsechercherunecigaretteetunebière.J’essaiedesuivre.

– Ça a à voir avec toi ! Avec ta manière de ne jamais être clair ! Demeplanquerlaplupartdutemps…

–Je teplanque?Vraiment?mecoupe-t-ilenallumantcalmementsaclopeavantdesetournerversmoi.Etpourquoijeferaisça?Éclaire-moi.

–Oh,arrête,nejouepasleshypocrites…Tucroisquejenesaispascommentvousraisonnez,vous, lesmecs?Commentvousvouscomportez,vis-à-visdesfillesavecquivouscouchez?Jesuisquoi,pourtoi?Lagrossequetutetapes

encachetteavantd’allerexhibertescopinesmannequinsàlafacedumonde?–Lagr…?commence-t-il à répéter lesyeux rondsavantde s’interrompre,

l’aireffaré.Nonmaist’esmalade?Tuterendscomptedecequetudis?Tut’esdéjàregardéedansuneglace?D’une,sit’esgrosse,alors90%desnanassontobèses !Dedeux, sionn’estpas« sortis» ces troisdernières semaines, c’estparce que j’avais pas envie de m’éloigner à plus de dix mètres d’un lit !Naïvement,jepensaisquec’étaitréciproque…

Jen’aipasletempsd’enchaînerqu’ilreprend,ens’avançantversmoi:

–Etpuistucroisquoi?Quej’aibesoindestandardspourmedirecequejedois aimer, cequidoitme fairebander ?Ouais, t’asdes seins,des fesses,descuisses,duventre.Etouais,toncorpsm’exciteàmort.Etpuisjetetrouvebelle,aussi ! continue-t-il de m’engueuler. Genre, vraiment belle. D’ailleurs, t’esprobablementlaplusbellefillequej’aieeuedansmonlit!Etpuistusaisquoi,pendant qu’on y est ? poursuit-il exaspéré en se rapprochant encore d’un paspourplanterson regarddéfiantdans lemien.T’esmonmeilleurcoup.Ça t’enbouche un coin, hein ? demande-t-il devantmon silence interloqué. Je ne saispasàquoiçatientmaisquandt’eslà,toutmoncorpstesentetquandt’espaslà,jecrèvedetonabsence!Cequifaitquejepasseàpeuprès100%demontempsobnubilépartoi!

Saréactionmelaissesansvoix.Parcequ’ilabeauêtreentraindemegueulerdessus,jen’aijamaisrienentendudesibeau.Parcequejenesaispascommentrépondre à ça. Parce que sesmots sont tellementmagnifiques que je n’arrivemêmepasàycroire.Ils’empared’uncendriersurlapetiteconsoledel’entrée,écrasesacigarette,puiss’approchedemoi,poseunemainsurmajoue.Jelovemonvisagedanssapaume.J’ailecœurquibat,lesgenouxquiflageolent,etuneseulecertitude:jeneveuxplusmebattrecontrelui.

–Dès que je te touche, putain, Fire…poursuit-il, lui aussi radouci.Çamesoulage. À un tel point. Je n’ai jamais connu ça. J’ai jamais joui comme ça,merde!Jenepensaismêmepasquec’étaitpossible…Maistusaisleplusfort,danstoutça?continue-t-ilsiprèsdemeslèvresquejedonneraistoutpourlessentircontrelesmiennes.C’estquecen’estmêmepaspourçaquejesuisavectoi, Fire. Je suis avec toi parce que tume fais rire, parce que tum’intrigues.Parcequesoustesdehorsdebulldozer,t’esputaindefragileetquepersonneàpartmoin’a l’airdes’enrendrecompte,etça,çamebouleverse.Parcequeje

suiscommeça,moiaussi,etquej’aibeauteconnaîtreàpeine,j’ail’impressionqu’onsecomprend.Commesi…commesionavaitétéfaitspourserencontrer,dès le début. Comme si tout ce temps, je n’avais jamais eu demeuf sérieuseparcequejet’attendais,toi.T’esjalouse,Fire?Imagineàquelpointjelesuis,moi, en pensant qu’avant moi, t’as été avec quelqu’un pas loin de trois ans,quelqu’unquiconnaîttoustessecrets,quisaitcequec’estça,dit-ilendésignantd’ungestemonventreoùsetrouventcescicatricesdontjesuisincapabledeluiparler.Quisaitcequitefaithurlerlanuitdanstonsommeil.Quisavaitcommenttesoutenirettefairetesentiraimée,contrairementàmoi.

Ilaunricanementamer,déçu.Jevoisqu’ilestsincère,qu’ilsouffrevraiment.Detoutcequejeluicache.Deladistancequejemaintiens.Pourtant,unepetitevoixblessée continueàme souffler sesdoutes, àdistiller sonvenindansmonesprit.

–Lesfillesquiétaientlàcesoir…nepuis-jem’empêcherdedemander.Tes«ex».Tasœurlesconnaissait,tamèrelesconnaissait…

–Masœur traîneavecmongroupedepuisqu’ellea13ans!Alorsoui,ellerencontre certaines nanas que je fréquente. Quant à ma mère, elle connaîtcertainesdecesmeufspourlesavoirvuessortirdemachambred’adoaupetitmatin, ou parce qu’on était au lycée ensemble, ou parce quemaintenant ellessontavecdespotesàmoi…Maisiln’yaaucunefillepourquij’aiejamaisfaitça!s’exaspère-t-ilensortantsontéléphoneetenfouillantdanssestextospourmemettreuneconversationsouslenez.

Lamainlégèrementtremblante,jem’emparedel’appareiletcommenceàlireunéchangedatantdejeudisoir.

[Hellom’man.TuvasàlafêtedeLoren,samedi?]

[Oui,biensûr,Jessicanousaévidemmentinvitées,j’yvaisavecKerry.]

[Super.J’yseraiavecquelqu’unquejevoudraisteprésenter.]

[Quelqu’un?Tuveuxdire…unefille?]

[Àtonavis?]

[Oh!Chéri,c’estformidable.Tuasunepetiteamie,alors?]

[Net’emballepas,Maman:jeteconnaismaisilestencoretroptôtpourenvoyerlesfaire-part.Simplement,soissympaavecelleetnemefichepaslahonte,c’esttoutcequejedemande.Ellecomptebeaucouppourmoi.]

[Jenetefichejamaislahonte,monchéri.Dumoins,jamaisquandc’estimportant;)

Àsamedi,monfils.]

[Àsamedi,Mère.]

J’ai un choc en comprenant que ce n’est pas parce que je lui ai dit que jevoulais sortir ce soir qu’il m’a emmenée chez Loren : c’était prévu depuisplusieursjours–depuisqu’ilm’aproposéqu’onsevoiecesoir.Jecontinuederester sans voix. J’ai envie deme pincer pour vérifier que je ne rêve pas. Etsoudain,jemesensaffreusementidiote.

– Tu veux savoir si on est ensemble, Fire ? demande-t-il en récupérantl’appareilpourleposersurladesserte.Jen’ensaisrien.Cequejesais,c’estquejen’aicouchéavecpersonned’autredepuislapremièrefoisquej’aipassélanuitavec toi sur le campus. Que je ne pense qu’à toi. Que je ne veux personned’autrequetoi.Passeulementparcequetuascecorpsquimerenddingue,cesyeux quime transpercent ou cette bouche quime donne la trique rien qu’à laregarder. Pas seulement parce que tu me fais rire ou parce que je te trouveincroyablementintelligente,maisaussiparcequ’ilyaquelquechoseentoiquimebouleverse.Quifaitquetoutcequejepensaissavoirsurmoi,surlesfilles,partenfumée.Quimeremetcomplètementenquestionetchamboulemonpetitordrebienétabli.J’aijamaisconnuça,Fire,jamais.Tumedonnesenvie…

Ils’interrompt,savoixsebriseunpeu.

–Tumedonnesenvied’avoirletemps,avoue-t-illavoixétranglée.

Jelèvelesyeuxverslui,émueettremblante.Cen’estpaslapremièrefoisquejevoisAaronvulnérable.Etcen’estpasnonpluslapremièrefoisqu’ilmeparle

du temps– le tempsqu’il veutbiennous accorder, le tempsqu’il a enviequenousayons.

Etmoi,jesuisentraindeperdrecetemps.Delegâcher.

Qu’est-cequiclochechezmoi?

Enguisederéponseàtoutesceschosesmerveilleusesqu’ilvientdemedire,jel’attireàmoiparleT-shirtetcollemeslèvrescontrelessiennes.JeneveuxpasperdreuneminutedeplusentraitantHellcommemonennemialorsqu’envérité, personne ne m’a jamais fait autant de bien avec de simples mots.Personne n’a jamais été capable, quand jeme sens comme ça,moche, inutile,dégueulasse,d’effacercemal-êtreenuninstant.

– Je suisdésolée,murmuré-jeen l’embrassant. Je suisdésolée,Hell, je suisconne.Tuasraison:àpartquandjepèteunplomb,onestbientoietmoi…

Sesmains,d’abordhésitantes,seposentsurmeshanchesalorsquesabouchecommenceàjoueraveclamienne.Lorsquenoslanguess’effleurent,jelâcheengémissement:c’estsibon,çam’électrise.J’aiaffreusementenviedelui.

– Putain Fire, pourquoi est-ce qu’il faut qu’on s’engueule tout le temps ?lâche-t-ilenmordantmalèvreinférieure.

Parcequelapassionrendidiotetquetoi,AaronHeller,tumepassionnes.

Parcequej’aipeurquetut’enailles.

Parcequeladernièrefoisquetum’aslaissée,j’aieul’impressiondemourir.

Parcequ’ilestévidentquejesuisentraindetomberamoureusedetoi.

–Parcequ’onadoreseréconcilier,déclaré-jeàlaplaceavantdel’embrasserenmepressantcontrelui.

Contresoncorpspuissant–sontorselarge,musclé;sonbassincontrelequel,sansmêmem’enrendrecompte,jememetsàondoyerimperceptiblement.Unedansedélicate,sansautremusiquequecelledenossouffles.Jem’enivredesonodeursimasculinedecuir,detabacblond,d’herbefraîchementcoupée.Lebout

desesdoigtss’enfoncedansmachair.

– Tu as raison, ouais, admet-il d’une voix rauque. Je ressens le besoind’évacuerunecertainetension.

–Vraiment?demandé-jeenmordantdoucementsalèvreinférieureavantdeposermamainsursonentrejambe.

Je sens le sexe de Hell, dur contre ma paume. Je me demande si ce mecsublime,indomptable,sedouteseulementdel’effetquem’ontfaitsesparoles.Jemesensétourdieparlesmotstropgrandsettropbeauxqu’ilvientdeprononcer.Électrisée. J’ai envie de lui de façon viscérale, animale. Mon désir est unebrûlure,unesortedevidelancinantaucreuxdemoi.Jeleveux,plusencorequed’habitude.Ou–disonspas«plus»,maisdifféremment.Avecuneprofondeur,uneimpétuositéquijusqu’alorsm’étaitinconnue.

– Tu es dur… gémis-je en tirant sa lèvre inférieure. Tu penses que je suisaussimouilléequetuesdur?

–Depuisquandtuparlescommeça,Fire?grogne-t-ilcontremabouche,qu’ildévoretoutencherchantàattraperl’ourletdemajupepourlaremonter.

– Depuis que je suis en colère contre cette salope de Poppy Townsend etcontremoi-même. Depuis que je ressens un certain besoin de…me défouler,haleté-je.

– Et comment tu veux te défouler, alors ? m’interroge-t-il en glissant salanguedansmonoreille.

Ma tête bascule et arrière et je glapis. La sensationm’enflamme. Hell faitglisser sa paume le long de mon cou. Des frissons de plaisir parcourent manuque.J’aimesentirqu’ilmetient.L’idéedeluiappartenirmerendfolle.

– Je veux que tu me prennes, lâché-je d’une voix éperdue, sans plus tropsavoircequejedis.

Son corps baraqué frémit puis se tend contre le mien. Je sens le pouvoiraphrodisiaquedemesmots.Jedevineleureffetsurlui.Lapuissancequecelamedonne.Jerepenseàcequ’ilm’adit,aufaitquejesuissonmeilleurcoup.Malgrétouteslesfemmesqu’ilaconnues:jesuissonmeilleurcoup.

Ce n’est pas juste moi qui me fais des idées. Ce qu’il y a entre nous est

spécial.

Etc’estpourçaqu’aveclui,jen’aipeurderien.Quejepeuxmelaisserporterpar mon instinct. Que je peux enfin éteindre les voix dans ma tête qui medéprécient sans cesse. Je m’oublie, avec lui. Je m’oublie – et pourtant meretrouve.

– Baise-moi, Hell, susurré-je avec une assurance nouvelle alors qu’ilembrassemoncou.Baise-moifort.

– Tu veux dire comme ça ? grogne-t-il enme retournant pourme plaquercontrelui.Oualorscommeça?

Ilremontemajupeetglisseunemaindansmaculotte,exactementcommejele désire : sans fioriture. Du sexe direct, sauvage. Il commence à faire roulermon clitoris sous son majeur. Le sentiment de soulagement est instantané.J’exhale et le laissememanipuler, unemain surmon sexe et l’autre surmonsein. Ilmalaxemapoitrinepar-dessus lefin tissucouleurrouille,par-dessus ladentelleblanchedemonsoutien-gorge.Jesenssonérectioncontremesfesses.Jepense à son sexe – en moi, dans mamain, dans ma bouche. Çame chavire.Jamais avant je n’ai ressenti ça. Cette… violence douce, cette… aviditéélectrique. Le crépitement qui parcourtma colonne vertébrale se répercute aucreux demes reins. Je lâche le rebord du canapé et cherche demesmains labosse dure sous son jean, la peau veloutée de son ventre, ses abdos dessinés.N’importequoiquisoitunpeului.Quipuissesoulagercebesoinviscéralquejeressens.

– Tu as exactement une minute pour déboutonner ta robe, Fire, ou je tel’arrache,m’avertitlebadboyenmordantmoncou.

Convulsée de plaisir, enme cabrant contre lui, j’obtempère et commence àdéfairelessagesboutonsblancsdemarobe.Çamedemandeuneconcentrationincroyable. J’essayedegarderma raisonmais c’est tellementdurquand ilmedonnetantdeplaisir!Quandj’arriveauniveaudunombril,unnouvelassautdesapart faitquejesuis incapablededéfaireunboutondeplus :Hellpasseunemain autoritaire sous mon soutien-gorge et commence à jouer avec la pointeduredemon sein. Jeglapis à ce contact. Jepressemon sexe contre sapaumepourtrouverunpeudesoulagementàcedésirbrûlantquejeressens.

- Je t’ai voulue toute la soirée, glisseHell àmonoreille. Je te veux tout letemps,çamerenddingue.

- Je te… veux aussi… haleté-je alors qu’il embrassemon cou, le lèche, lemordilletoutenmanipulantmapoitrineetmonsexe.

Je veux sentir son sexe enmoi. Je veux sentir sa peau surmapeaunue. Ilcontinue à caresser ma fente. De son autre main, je l’entends qui défait saceinture, déboutonne son jean, baisse sa braguette. Puis il m’abandonne et jepousseunpetitcridefrustration.C’estpresquedouloureux.

–Ilfautquejemetteunecapote,s’excuse-t-ilessoufflé.

Je devine qu’il fouille dans la poche arrière de son jean pour sortir sonportefeuilleetensortirunpréservatif.

–Penche-toi,m’ordonne-t-ilensuiteenmepoussantvers l’avant.Écarte lesjambes.

Desongenou, ilm’ouvrelescuissesd’unefaçonautoritaire.Lajupedemaroberestecoincéeautourdemataille.Jeprendsappuisurlehautducanapé.Lecuir du Chesterfield grince sous mes doigts. Je suis dans un état de tensionépouvantable. Mes fesses se lèvent malgré moi dans la direction de Hell.Nerveusement, je me mords la lèvre inférieure et, sans m’en rendre compte,gémisdoucement,enmanquedelui.

–Tufaisdesbruitsvraimentbandants,Fire,m’assureHellenm’attrapantparleshanchesd’unefaçonautoritairequimerenddingueetenmetirantvers luipourmepositionnerdanssonaxe.

Quand il entre enfin en moi, chaque centimètre de sa virilité m’ouvre,m’écartèledeplaisir,mefaitsienne.Jegémis,mecabred’instinctpouralleràsarencontre.

– Putain, Fire, tu es tellement belle, lâche-t-il malgré lui, la voix vibranted’excitation.Tondos,tescheveux,tapeau…

Il faitpassermacrinièrepar-dessusmonépaulepourplantersesdentsdansmonomoplatepuiscommenceàalleretvenirenmoi,lentement,sensuellement,pourquejemefasseauxproportionsdesonsexe.Savirilitéenmoiestceque

j’aiconnudeplusincroyableetenmêmetemps,deplusévident.C’esttellementbonqueçamepétrifie.Rapidement,jen’arriveplusàbouger:jenepeuxquelerecevoir, encore et encore. Il accélère progressivement la cadence alors que jefeuleàchaquecoupdereins.Jesenslechocdeseshanchescontremesfesses.C’estincroyablementérotique.

–Plusfort,gémis-jed’un tonsuppliantsansmêmemerendrecomptedecequejedis.

Ilobtempèreetmecomble,parfaitement,absolument.Jelelaissemepilonneralorsquemesongless’enfoncentdanslecuirducanapé.Chaquecoupdereinsmerapprochedel’extase.Jenesuisqu’unlonggémissement,unesuccessiondespasmes.

– Caresse-toi, m’ordonne mon ténébreux amant d’une voix altérée par leplaisir.

Sansyréfléchir,j’obtempère.Jeneveuxqu’unechose:soulagercettetensionqui parcourt tout mon corps. Mes doigts se posent sur ma fente gonflée ettrempée que je commence à effleurer.Ce n’est pas aussi bon que quand c’estHell qui le fait, mais la sensation simultanée de sa virilité en moi suffit trèslargementàcompenser.

–Tunesaispascommej’aimeraispouvoirtemater,là,gémit-ilàmonoreille.–J’aimeraissentirtesyeuxsurmoi,haleté-jeenretour.–Putain,Fire,tumerendsdingue,confesse-t-ild’unevoixégarée.–Jevaisjouir,l’avertis-jealorsquelavaguemonteenmoibientropviteet

trophautpourêtrecontrôlée.Jevais…–Jetesens,grogneHellenmepénétrantencoreplusviteetplusfort.Putain,

jetesenstellement…

J’explosedansunorgasmed’unepuissance inouïe.Les convulsionsquimesecouent sontpresqueviolentes–délicieusementviolentes. Jamais jen’ai jouicommeça, à lavitessede l’éclair, avec l’intensitéd’unvolcan,alorsquenousn’avonseupresqueaucunpréliminaire.

–Putain.Putain,putain…gémitHellenvenantàsontour.

Je tends furieusementmacroupevers lui, l’invitantà s’enfonceruneultimefoisenmoipours’yabandonneràtontour.UnderniercoupdereinsetHell,prisd’unsoubresaut,déchargeenmordantdansmonépaulepourétoufferuncri–etjegeins,etilgeint,etjetremble,etil tremble.L’orgasmequenouspartageonsnousemportedanscetailleursduplaisir,cetendroitquinousisoledumondeetnousrapprochechaquefoisunpeuplus.Deuxcorpstumultueux,affamésl’undel’autre.Deuxsilhouetteshaletantes,enchevêtrées,quiformentensemblelecœurpalpitant de samaison.Puis, lorsque la tempête se calme, sans se retirer,Hellattrapemonmenton,tournemonvisageversluietprendmabouche.Sonbaiserest lent, profond ; c’est une danse virtuose de sa langue avec lamienne, unefaçondeprolongerlasensationdenefairequ’un.

–Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de la jeune fille que j’ai rencontrée àl’automne?medemande-t-ilessoufflé,d’untonironiqueetfollementsexy.Jenesavaispasquetuavaisçaentoi…

–Jevousretournelaquestion,rétorqué-je.Quiêtes-vousetqu’avez-vousfaitdelajeunefilleinnocentequevousavezrencontréeàl’automne?

–Jelaregardedevenirunefemme,jecrois,merépondHell,presquesérieux.–Et?

Il coinceunemèche roussederrièremonoreille.Une lueurmystérieuse,unfeufollet,dansedanssesbeauxyeuxenamande.Puisilmurmure,commepourlui-même:

–Etjecroisqueçameplaît.

2.L’Attrape-cœurs

Aaron

Ilestplusdemidiquandjemeréveille,Kimdansmesbras.

Tantpispoursonentraînementdekick-boxing…

Jereniflesonodeur,sachaleursucrée,puismeredressedélicatementpourlaregarderdormir…Putain,cequ’elleestbelle!Ondiraituntableau.Depuistroissemaines, j’ai découvert que les nuits calmes et sereines comme celle qu’onvient de passer étaient rares. Très souvent, ses cauchemars nous réveillent aumoins une fois. Dans ces moments-là, je la tiens contre moi. Son corps estconvulsé et elle halète comme un animal, une créature sauvage et fragile. Lasentir si vulnérable, sentir qu’elle a tellement besoin demoi, demes bras, decalersarespirationsurlamienne,medonneunsentimentquejen’avaisjamaisconnuavant,unsentimentdetendressedéchirant.

– Hello, la dormeuse, je fais, au moment où ses paupières s’entrouvrent.Commenttuvas?

–Bien,sourit-elle.Trèsbienmême.Ettoi?– Moi ? Je crève de faim. Que dirais-tu d’aller déjeuner ? Mon frigo est

malheureusementvide…

Elleacceptemapropositionet,aprèsuncaféetunedoucherapide,ondécolle.

–Tuasuneidée,pourdéjeuner?medemande-t-ellealorsqu’onmontedanslaMustang.

–J’aiuneidée,oui,confirmé-je.Maisilyaunpeuderoute.–Onatoutnotretemps:c’estdimanche,sourit-elle.–OK,alorsonyva.

On prend la route, elle et moi et une cassette du Velvet Underground. Encheminonparledetout,derien,enregardantlepaysagedéfiler–lescrêtes,les

conifères,lesvalléesimmensesfenduesparlaroutedéserte.Onjoueàdesjeuxidiots – les plaques d’immatriculation, ni oui ni non.On allume la radio pourfaireunblindtest.Jefume.Ellefredonne.Bienentendu,auboutd’uneheureetdemie, elle ne résiste pas à la tentation d’aborder son sujet favori : monembrouille avec Lukas. Je la laisse faire parce qu’il n’est pas question qu’ons’engueuleleventrevide.ÀlasortiedeSacramento,jefaisunpetitdétourparlagargotedeScottpourluiacheterunhomard,unedouzained’huîtres,dusaumonfumé,unpetitvinblancfraisproduitdanslarégion.

–Tuvasencoremefairemangerdanslavoiture,c’estça?faitminedemegronderFireenmevoyantreveniràlaMustang.

–Ah ah, trèsmarrant, répliqué-je en posant notre pique-nique sur le siègearrière.Quandtuvasvoircequ’ilya là-dedans, tuvasregretterd’avoirétésicritique.

–Jenetecritiquejamais,réplique-t-elleenenfilantdeslunettesdesoleilquitraînentdanslevide-pochesetquiluidonnentl’aird’unestar.

–Tumecritiquestoutletemps,souris-jeencoinendémarrant.–Non,c’estfaux,répond-elleleplussérieusementdumonde.Laplupartdu

temps,jetetrouveparfait.

Quelquechoseenmois’élargit.Jesaisquejedevraisflipper,quandelleditcegenredetrucs,maiscen’estpaslecas–cen’estpluslecas.J’aienviequ’ellemetrouveparfait.J’aienviequ’elleaitenviederester.C’estpourçaquej’essaiedefaireleschosesbien.

C’estpourçaquejel’emmèneici.

ÀlacabanedeRon.Cellequ’ilm’aléguéeàsamort.Cellequej’aitatouéesurmonbrasensonhonneur.Ensamémoire.

C’estd’ailleurscequeremarqueimmédiatementKimalorsqu’onsegare:

–Hell,mais…C’esttontatouage!

J’acquiesce.Cechaletrustiqueenpleinenature,aubordd’unerivière,estmaplanque.Biensûr,mesamisenconnaissentl’existence,etjeleprêteàquiveut,mais j’y séjourne toujours seul. Même Malicia, ma mère ou Shawn n’y ontjamais été en même temps que moi. Ça peut paraître con mais c’était notre

endroit,avecRon.Jecroisquetoutescesannées,j’aivoulurespecterça.L’idéeque je ne partageais la cabane – et ce paysage sauvage – qu’avec lui. Maisaujourd’hui,c’estimportantqu’ellevoiecetendroit.S’ilavaitétéencoreenvie,j’auraisvoululesprésenterl’unàl’autre.Cetteexcursion,c’estmamanièrederendrelarencontrepossible.

–Tiens,prendlevin,ordonné-jeàFire.Àmoinsquetupréfèresmangerdanslavoiture?

Elle me jette un regard dévastateur par-dessus les lunettes qu’elle m’apiquées.Ensifflotant, j’ouvrelaporte.Elleentre,poselevinsurlatabledelacuisine,embrassed’unregardcescinquantemètrescarrésdeplain-pied,conçuscommeunpetitloft,avecenleurcœurunecheminée.Ellecontournelelitdeuxplacescollécontreunmurdebois.Elleavancejusqu’àlabaievitréequidonnedirectement sur le cœur de la forêt et l’ouvre, hume l’air, se tourne versmoi.C’est bizarre, de la voir ici.C’est comme si, pour la première fois depuis desannées,lavieentraitdanscettemaison.

Êtreici,avecelle,heureux,estmonoffrandeàlamémoiredeRon.Mafaçonderendrehommageàsonhéritage.

–Bon,alors,tum’expliques?C’estquoi,cetendroit?–C’étaitlacabanedemononcle.Jet’aidéjàparlédelui,jenesaispassitute

rappelles…Lefrèredemamère…

Elleacquiesceensilence.Ellesesouvientvisiblementde«l’onclemort».

– Il me l’a léguée. C’était un endroit où on venait souvent quand j’étaismôme.Onpêchaitdanslarivière,onfaisaitgrillerlepoissonsurunfeudecampl’été.C’étaitplusrustiqueàl’époque,souris-je.Autoutdébut,iln’yavaitmêmepasl’électricité…

– C’est toi qui as fait faire tous ces travaux, alors ? demande-t-elle enregardantautourd’ellecetespace,certespetit,maiséquipédésormaisdetoutleconfortmoderne.

–On avait commencé ensemble avecRon, expliqué-je en replongeant dansces souvenirs joyeuxdemon enfance.D’abord l’eau, puis l’électricité, puis lesystèmedechauffage…Ilavaitdessiné lesplans lui-même.Ilavaitunevisiontrèsnettedecequ’ilvoulaitfairedecetendroit.Ilparlaitdes’yretirerunjour

pourvivreenermite,souris-je.Ilavaitdescôtésunpeusauvages.–Comme toi, affirme-t-elle avec tendresse avant de semettre à déambuler

dansl’uniquepiècediviséeenplusieursespaces.

Elleeffleureduboutdesdoigts lesmurs,s’arrête,examinelaphotodeRonbrandissantfièrementunsaumondequatre-vingt-quinzecentimètresqu’ilvenaitdepêcher,faitunehaltedevantlaguitarefolkquiestrangéedansunangle,puisfinalement avance jusqu’au canapé placé devant la cheminée. Je la rejoins etm’installeàcôtéd’elle.

–Ronetmoi,onseressemblaitbeaucoup,confirmé-je.C’estàluiquejedoismon prénom. Enfin… Il s’appelait Ronald – une drôle d’idée demes grands-parents – mais tout le monde l’appelait Ron. Et quand ma mère a découvertqu’elleattendaitunpetitgarçon,elleavoulurajouterunesyllabedevant:Aaron.C’était son petit frère. Ils avaient huit ans d’écart. Et pourtant, c’est lui qui aassuréquandmonpères’estbarré…

–Tuavaisquelâge,quandtonpèreestparti?– Neuf ans, soupiré-je en me passant la main sur le visage. Personne n’a

vraimentcompriscequiluiapris.Ils’estcassétroismoisaprèsl’annoncedemaguérison,Malician’avaitquetroisans.Iladitqu’ilnepourraitpassupporterdeme voir retombermalade. Qu’il ne voulait plus traverser ça. Il n’a pas laisséd’adresse.Mamère…putain,elleamorflé.Aumomentoùelleauraitenfinpusoufflerunpeu,sefaireplaquercommeça…

Firem’écoute,attentive,enacquiesçant.Elleacettefaçondemeregarderquim’encourageàparler.J’adoresacapacitéd’écoute,sonairdoux,exemptdetoutjugement,decuriositémalsaineoudecompassionbidon.Ellefaitpartiedecesrarespersonnesquientendentvraimentcequ’onleurdit.

–Ronavaitbeaun’avoirque26ans,ilestvenus’installeràlamaisonpourl’aider.Ilamissavieentreparenthèses:sonjobd’instituteurdansleMaine,sesamis,sacopinedel’époque…Ils’estinstallédanslachambred’amispournousservirdenounou.Auboutdesixmois, ila trouvéun jobd’enseignantdans leprivé,alorsqu’ilcroyaitdurcommeferàl’écolepublique.Avecsonsalaire,ilapuacheterceterrain,selancerdansceprojet.

–Ilestmortquand?medemandeFired’unevoixdouce.–Troisansplustard.J’avais12ans,ilenavaitseulement29.–Jesuisdésolée,fait-elleentendantlebrasversmoipourprendremamain.

Nosdoigtssemêlent.Jeserresapaumedanslamienne.

–Ouais,jeréponds.Moiaussi.

J’observeunsilenceavantd’ajouter:

–Àpartdeuxoutroisélémentsdemobilierquej’airajoutés,genrelelit, ladécoestdelui.Cettephotoringardedepêche…Cetteaffreuseaquarellepeinteparmagrand-mère–samèreàlui.Cette…absurdepeaud’oursblancdevantlacheminéequ’ilatrouvéedansunebrocante.

Fireritenchœuravecmoi.

–Jemedisais,aussi,quecen’étaitpastonstyle…–Etencore,tun’aspasvulacollectiondecartespostalesringardespunaisées

auxtoilettes…–Etlaguitare?medemande-t-elleensetournantversl’instrument.–C’étaitaussilasienne.–Tuenjoues?–Unpeu, jerépondsenhaussant lesépaules.J’enaibeaucoupjouél’année

où,tusais…jepassaismontempsàmedéfoncer…–Tuenjoueraispourmoi?

J’aiunmomentd’hésitation.Jen’aipastouchéàunegrattedepuisdesmois.

– OK, si tu nous sers un verre pendant que je l’accorde. Et un morceauseulement,précisé-je.Ensuite,onmange.

–Ensuite,onmange,jure-t-elleenselevantpourallerremplirsamission.

Alors qu’elle revient avec les deux verres de blanc, je gratte les premiersaccords d’un des morceaux que j’avais appris au début – un morceau assezsimple,histoiredenepasmeplanter.

IhurtmyselftodayToseeifIstillbleedIfocusonthepainTheonlythingthat’srealTheneedletearsaholeTheoldfamiliarsting

TrytokillitallawayButIremembereverything.WhathaveIbecomemysweetestfriend?EveryoneIknowgoesaway,intheendAndyoucouldhaveitall–myempireofdirtIwillletyoudownIwillmakeyouhurt.1

Audébut,mavoixesthésitante,maispeuàpeu,jegagneenconfiance.Mesyeux sont à demi fermés et pourtant, je peux deviner Fire à côté demoi, sesjambesramenéessouselle.Unefoislachansonfinie,jeposelaguitareenappuisurlecanapé.

–C’étaitvraimenttrèsbeau.C’étaitquoi?–Hurt,unechansonécriteparNineInchNails.–C’estpleinde…douleur.–Oui,souris-jetristement.Dedouleur.

Desouffrancedévorante.Depeurdefairedumalàceuxquicomptentleplus.Pendantlongtemps,cettechansonareprésentélegarçonquej’étais.

Maisl’hommequejedeviens,lui,peutêtredifférent.

Peut-être que je peux me laisser approcher par Fire sans risquer de nousdétruire.Peut-être.

–Aaron…déclare-t-elle,m’arrachantàmespensées.Mescicatrices…

Jetressaille.Çafaitlongtempsquej’attendsqu’elleosem’enparler.

–Oui?– Je me les suis faites moi-même, m’avoue-t-elle d’une voix douce et

tremblante.

Elle ressemble à un oiseau en cet instant. J’ai peur que lemoindremot, lemoindregeste,lafasses’envoler.Alorsjeretiensmonsouffleetresteimmobile,prêtàenfinentendrequiestcettefilledontjenesaispresquerien,sinonquejel’aidanslapeau.Etj’essaiedel’écoutercommeellem’écoute:sansmontrerde

jugement. Sans dévoiler à quel point çame fait mal qu’elle ait pu se blesservolontairement.Jevoudraislaprotégerdetout,mêmed’elle-même.

–Jemesuisfaitçaavecunrasoir,m’explique-t-elleavecdifficulté.Personnen’estaucourantdansmonentourageàpartWill.

–Pourquoi?j’osedemander,quandjecomprendsqu’ellen’ajouterarien.Tun’espasobligéedemelediremais…

– C’est compliqué, me coupe-t-elle d’une petite voix embarrassée. Ça acommencéquandj’étaisenPremière.Disonsqueparfois,j’avais…j’avaistoutecette violence enmoi…Comme une sorte de parasite. Un… un trou noir deviolence,aucœur.Etc’étaitunefaçondelafairesortir.Delafairecoulerhorsdemoi.Merde, ajoute-t-elle à la hâte en essuyant les larmes silencieuses qui semettentàcouler,désolée,jenevoulaispaspleurerdevanttoi…

Jeposemamainsursajoueetessuieunenouvellelarme,pourqu’ellesachequesatristessenemefaitpaspeur.Ellemeblesse,maisellenemefaitpaspeur.

–Tusaiscequitefaisaittesentircommeça?

Elleopine,levisagecongestionnéparlessanglotsretenus,maisneditpasunmot.

–Ettupeuxm’enparler?

Cette fois, elle secouenégativement la tête. J’essayedenepasmontrerquec’estdur,pourmoi,desentirqu’ellen’apastotalementconfiance.Jesaisquecen’estnimoininotrerelationquilaretenons:elleestjustecommeça.Secrète,un peu méfiante. J’imagine qu’elle a morflé. En tout cas elle ne se livre pasfacilement.

Commemoi.

Jesaisqu’ilfautjustequejesoispatient.

–Dis-moisimplement:tutecoupesencore,parfois,Fire?

Unenouvellefois,ellesecouenégativementlatêteenretenantseslarmes.

–Etilt’arriveencoredetesentircommeça?

–Jemesentirai toujourscommeça,Hell, lâche-t-elledansunhoquet.Maisdepuisque je suis ici, enCalifornie, depuis que j’ai cette nouvelle vie, depuisquejet’ai…toi…Disonsquec’estcommesijepouvaisvivreavecceparasitesans… sans qu’il menace de m’engloutir. Bon sang, rit-elle nerveusement, tudoismeprendrepourunefolle…!

Non.

Jenelaprendspaspourunefolle,aucontraire:jelacomprendsparfaitement.Etçameperturbe,çameblesse,çamevrillelecœuretlatête,çameremplitetmeterrifie.Çamerendheureuxettriste.Çamerendconfus,perdu.Maisjen’aiqu’uneseulecertitude…

–Situesfolle,alorsonesttouslesdeuxfous,jedéclareenposantmonfrontcontre le sien. Moi aussi, parfois, j’ai besoin de souffrance pour sentir quej’existe.Parfois,moi aussi, j’ai besoindeme cognerpour savoir où lemondecommenceetoùmoijetermine.

J’ai à peine finima phrase qu’ellem’embrasse. Comme si j’étais tout : sabouéedesauvetage,sonmec,sonamant,sonmeilleurami.Sabouchebrûlantecaresselamienne,salanguehabilesefraieuncheminetmefaitperdrelatête.Elle se hisse sur les genoux et commence à me chevaucher. Notre baisers’intensifie.Jesensl’énergiequiirradied’elle.Elleveutbaiser,jelesais.Pourchassersesdémons.Poursentirsoncorpsautrementqu’ensecoupant.Pourjouirà en perdre la tête tout en sachant que je suis là, que je la tiens, que je ne lalaisseraipasdérivertroploin.Quejepeuxêtresonamarre.

Jepeuxl’être.Jesaisquejelepeux.

–Jeneveuxplusavoiràmefairemalpoursentirquejesuisvivante,Hell,meconfie-t-elleencaressantmesabdominauxsousmonT-shirt.

–Jeneleveuxplusnonplus,haleté-je.–Jeveuxmesentirbien…gémit-elleendéfaisantlaboucledemaceinture.–Jeveuxque tu tesentesbien…répliqué-jeensentant lesangaffluervers

monentrejambeetenremontantmesmainslelongdesescuissessoyeuses.–Fais-moim’oublier,Aaron,me supplie-t-ellepresque.Avec toi, j’ai envie

d’oublier…

Quoi?Jel’ignore.

Maisjeveuxbienpourfendren’importequeldragonàl’aveugle,sic’estpourelle.

***

–…etdoncpendantdesannées,j’yaicru,déclare-t-elleenriantpendantqueje lui arrose unenouvelle huître de citron.Pourmoi, c’était limpide : puisquegamine, jebattais toujoursmonpèreaubrasdefer,c’estquej’avaisuneforcesurhumaine.Cen’estqu’à12ans,quandj’aidéfiécefrimeurdeSethLancasteret qu’ilm’a pulvérisée en deux secondes, que j’ai compris que tout ce temps,monpèrem’avaitlaisséegagner…

–MapetiteWonderWoman… je ris en lui embrassant leboutdunez.Tonpèreal’aird’êtreunmecsuper.Tum’asditqu’ilfaisaitquoi,danslavie?

–Ilpossèdeunrestaurant,m’explique-t-elleenbattant l’airdesessublimesjambes nues de danseuse. Un petit truc modeste, dans lequel il est à la foisgérant,cuistot,serveur,sommelier…C’estuncuisinierhorspair.Ettuverraissacave!D’ailleurs,parlantdecave…Tuveuxunautreverre?propose-t-elleentendantlesdoigtsverslabouteilleposéeàunmètredelà.

– Non, il est temps que j’arrête, je décline à regret. On va sans doutereprendrelarouted’icideuxoutroisheures.

–Jeneveuxpasquitterceparadis,soupire-t-elleenposantlementonsursesbrascroisés.

–Oui,jerépondssolennellement.Moinonplus.

C’estvraiquec’est leParadis.Levin, leshuîtresaprès lesexe,Fireetmoiallongésnussurcettefameusepeaud’oursringarde,devantunfeudecheminéequej’aialluméjustepourl’impressionneretlagarderauchaud–etdépourvuedevêtements.Mangerdesfruitsdemeràpoil,c’estprobablementletruclepluscoolquej’aiefaitdemavieavecunefille.

Etlepluscliché.

Çafaitvraimentpornosoftàlaconmaisjem’enfous.Jesuisbien.

Jen’aijamaisétéaussibien.

– Tu mates encore mon cul, Hell, me gronde-t-elle en m’arrachant à mespensées.

–Tuasraison, je fais,enmehissantsurellepourétendremoncorpssur lasurfaceparfaitedesondos.Jesuisincorrigible.

– Et infatigable, à ce que je vois,me provoque-t-elle en frottant sa croupeparfaitecontremonérection.Taqueueestdéjàtellementdure…

–Fire, je ris enme sentant rougir légèrement, où est-ce que tu as appris àparlercommeça?

–Enbaisantavectoi,qu’est-cequetucrois?fait-elleentournantsonvisageversmoi.

Jemehissesurlesbras,lalaisseseretournerets’étendresurledos.

–«Baiser»…jeréfléchisàvoixhaute.Cen’estplusvraimentcequ’onfait,toietmoi,pasvrai?

– Tu veux dire que tu n’appelles pas ça de la baise ? fait-elle mine des’offenser.Çayest, tu t’esdéjà lassé?Tutrouves lesexeavecmoi tropplan-plan?

–Tu sais très bien ceque je voulais dire, je ris avant deplantermesdentsdanssonépaulelaiteuse.Jeveuxdirequ’onestvraimentensemble, toietmoi,non ?Et jeme dis… je ne sais pas…que vu qu’on est exclusifs, on pourraitpeut-êtresepasserdelatex?Situn’asriencontrelapilulebiensûr.

Elle passe ses bras blancs autour demon cou. Ses yeux couleur de l’océanbrillent.Elleestsibelle,putain,jepourraismourirdebonheur.

–Jesuisdéjàsouspilule,m’explique-elle.Jel’étaisavecWillet jen’aipasarrêtédepuis…Doncjesuisd’accord.Pourfaireletestetmepasserdetoutça.Quandtuveux,précise-t-elle.

J’ouvrelaboucheetmanquedetoutgâcher,unefoisdeplus.Deluirappelerque lapilule,c’est inutileavecmoi.Qu’aprèsdeux roundsdechimioetunderadio, ilyapeudechancequejereprésente lemoindrerisque,côtégrossesse.Ronétaitstérileluiaussi:c’estaussipourçaqu’ils’estoccupédemoicommelepèrequejen’aijamaiseu.Etpuisilestmort,etjemesuisretrouvéabandonnéunenouvellefois.Alorsfranchement,êtrestérile,jem’enfous:lesenfants,vumaconditionphysiqueetcequejerisquedetransmettre,c’estnoway.

Maisjenepeuxpastoujourstoutrameneràça,entreelleetmoi.

Àmamaladie, à notre situationprécaire.Avec elle, j’ai pris le pari d’autrechose.Delalégèreté.Devivreaujourlejour.

C’estlaseulefaçondontjepeuxêtreavecquelqu’un:aujourlejour.

Et,ouais, j’aienvied’êtreavecelle.Ellemerend–c’estconàdire…maisellemerendheureux.Alorsjechassemespenséessombreset,ensouriant,fondssursoncoupourladévorerdebaisers.

–J’aienviequ’onfasseletestleplusvitepossible,jedéclareenmordillantsapeaupendantqu’ellepousseuncridejoieetdesurprise.

– OK, OK, très bien, rit-elle en se débattant sous mes assauts. Mais pourl’instant…

Elleajoutequelquesmotsàmonoreille,desavoixlégèrementcasséeetgravede chanteuse de jazz. Quelques mots tellement sexy, tellement crus, que jemanqueexplosersurplaceet jenemefaispasprierpourexaucersonsouhait.Puisjechercheàtâtonsunnouveaupréservatif.

1«Jemeblessecejour/Afindevoirsijeressensencorequelquechose/Jemeconcentresurladouleur/Laseulechosequisoittangible/L’aiguillefaituntrou/Piqûrefamilière/Pourliquidermamémoire/Hélasjemesouviensdetout/Que suis-je devenu,mon si cher ami ? / Tous ceux que je connais finissentfatalementparmefuir/Ettupourraistoutavoir/Monempiredepoussière/Jetelaisseraisquandmêmetomber/Jeteferaisouffrir».

3.Boyswillbeboys

Aaron

Ilestvingt-deuxheuresquandonarrivesurlecampus.Ons’estarrêtésentre-tempspourmangerdansunpetitrestosurlabaie.Bienentendu,durantledîner,FirearemisLukassurletapis…Etsansdouteparcequemonpotememanque,sansdouteaussiparcequejesaisqueFirenelâcherapasl’affaire,j’aiacceptédeprofiterd’êtreàBerkeleypourallerluiparler.C’estcommeçaqu’àvingt-deuxheurestrente,unefoisFirereconduitedanssachambre,jemeretrouveàfrapperà la piaule de mon ami d’enfance. Un grand blond que je n’ai jamais vum’ouvre.Soncoturne,sûrement.

–Euh…salut,jedis,gêné.Lukasestlà?–Lukas,c’estpourtoi!–C’estqui?demandel’intéresséenselevantpourprendrelerelaisàlaporte.

Dès qu’il me voit, son visage change d’expression. Il a l’air surpris,déstabilisé,gêné,encoreblessé,maisenmêmepleind’espoir.J’imaginequejedoisavoiràpeuprèslamêmegueule.Lefaitestquemêmesijeluienveuxdem’avoirmenéenbateauetque jenecomprends toujourspaspourquoi ila faitça,l’enfoirém’amanqué.

–Kimm’ademandédepasser, j’explique immédiatement,enmepassant lamaindanslescheveux.Jecroisqu’ellenemelâcherapastantquejenet’auraipas… tu sais… présenté mes excuses pour t’avoir mis mon poing dans lagueule…

–Ouais,ricane-t-ilnerveusement.Ellenemelâchepasavecçanonplus.Elleestobstinée,hein?

– Elle l’est, je réponds en souriant malgré moi – parce que c’est ce quim’arrivedèsquejeparled’elleouquejepenseàelle:jesouris.

On reste là, comme deux cons, en silence. Au bout de trente secondes, jedéclarefinalement:

–Bonbah,jevaisyaller…– Hell, attends ! me retient Lukas. Tu ne veux pas… entrer une minute ?

Qu’onparleunpeu?Justin,seretourne-t-ilverssoncolocataire.Çanet’embêtepasd’aller…euh…nouschercherdelaHäagen-Dazsàlasupérette?Ilfautquejeparleàmonpote.

–OK,soupirelegrandblond.J’imaginequetumerevaudrasça…

IlnouslaisseetLukasmefaitentrer.Jemeposesurlelitdesoncolocetmepasse lamain sur la figure.Lukas s’assied en face demoi et observe un longsilence.

–Putain,Hell,finit-ilpardéclarer,jenesaispascommentgérerça…C’estlapremièrefoisqu’ons’embrouilletoietmoi,enprèsdedixans.

–TuoubliescettefoisoùDonnyetmoiavionsvidéleKirschdetamèreendouce,jedéclared’untonunpeubrusque.Tunousavaishurlédessussansqu’oncomprennecequitefaisaitvrilleràcepoint.Puistonpèreestrentré,adécouvertlabouteillevide,ett’asmisunepairedegiflesmémorable…

–Ça t’avait rendu dingue, se souvient Lukas. Tu t’étais interposé et tu luiavaisditques’illevaitencorelamainsurmoituledémolirais.

– … Et c’est lui qui m’avait démoli, putain, je me souviens en riant. Jem’étaisvraimentfaitbotterlesfessesparcevieilenfoiré.

–Ouais,ritLukas,iln’yétaitpasallédemainmorte.Tamèreestpasséeàlamaison dès qu’elle a vu ton coquard. Je croyais qu’elle allait m’interdire decontinueràtraîneravectoi,maisnon.Ellem’aordonnédeprendremesaffaires,m’aavertiquetuattendaisdanslacaisse,etj’aivécucheztoitoutl’été.

– Le dernier été avant le lycée…On s’est quandmême bienmarrés, tu tesouviens?Onpassaitdesnuitsentièresàparler;onfaisaitlemurlanuit,pourallerskateretgraffer;ondormaitsurlaplagedèsqueGillianétaitdegardeetqueKerrygardaitMalicia.Onarendumamèrefolle.

–Alorsquec’estunesainte,tamère.–Ouais, elle déchire.Ma sœur et elle ontmis la barre assez haut pour les

autresnanas,fautcroire,jerisavantderedevenirsérieux.Écoute,Lukas,jesuisdésolé.Désolé de t’avoir cogné dessus, surtout vu ce que ton vieux temettaitgamin.Désoléd’avoirpétéunplomb.Jenel’auraisjamaisfaitentempsnormalmaisKim,c’est…jeveuxdire,ellecompteàunpointque…Etpuis,jen’étaispaspréparéà…Merde,jenetrouvepaslesmots!m’énervé-je.

–Jecomprends,net’enfaispas,merassureLukas.Etjesuisdésoléaussi.Tu

sais, hein, qu’il n’y a rien entre elle et moi ? J’ai juste dit ça pour être unvéritableenfoiré.C’estpasfacilepourmoidevousvoirensemble.C’estpasdelajalousie,vraimentpas.Maistues…toi.Etelle,c’est…

Ilne trouvepasplusquemoi lesmotsmaispourtant, jecomprendscequ’ilessaiedemedire–etbiensûr,çameblesse.

Ilnemepensepasàlahauteur.Ilpensequejevaismerder.Aprèstout,ill’abiendit:jesuismoi.

– Toutema vie ou presque, tum’as servi de boussole, reprend-il après unsilence.Demodèle.Etpuisjesuisvenuétudierici,etons’estunpeuéloignés…EtpuisKimestarrivée…Etaujourd’hui,c’estmameilleureamie,tuvois?Jesaisquec’estbidon,queçafaitgenrecollégiendediredestrucscommeça,quejenelaconnaisquedepuisquatremoismais…

– Crois-moi, Lukas, je suis mieux placé que quiconque pour comprendre.C’est…Fire. Elle a une façon à elle de se faire une place, juste là, fais-je entraçantuncercleavecmonindexauniveauduplexussolaire.

Onobservetouslesdeuxunsilence,durantlequeljeréalisequemalgrénotreréconciliation, ma relation avec Lukas ne sera plus jamais la même. Qu’unedistance s’était creusée depuis déjà un bout de temps et que nous n’avonsfinalementfaitquel’acterennousfoutantsurlagueule.C’estFiredontilestleplus prochemaintenant.Mameuf. J’imagine que c’est normal, que les choseschangent. Ça laisse quand même un goût amer. Je ne sais pas si un jour jepourrai comprendre ce qui a déconné à un moment donné entre nous et leréparer.

–Bon,jevaistelaisser,toncolocapeut-êtreenviederécupérersachambre,jefaisenmelevant.OnvaskaterdemaintoutelajournéeàSanDiegoaveclesgars,histoiredesemarreretdesedétendreunpeu.Encemoment, iln’yenaquepourlavidéoqu’ontourne…

–Ouais,Casperm’enaparlé.Ilm’aditquet’essayaisdeplacerun1080°encemoment ?Personnen’y est jamais arrivé, àpart cegosse…C’est quoi sonnom,déjà?TimSchaar?

– Tom, le corrigé-je.M’en parle pas…Cette figure, quand tu fais plus desoixantekilos,c’estquasimentmissionimpossible.Maisbon,jem’approchedel’objectif. C’est l’avant-dernière figure : normalement on finit le tournage le

20mars,histoired’avoirletempsdemonteravantdelâcherlavidéodébutavril.– Et qui se charge de la postproduction ? demande Lukas, dont c’est

normalementlejob.–Donny.

Monamiacquiesce,sortsonportable,selève,lanceunappel.

–AllôDon’ ?Ouais, c’estLukas…Dis, je suis avecHell, là…J’apprendsquoi,enfoiré?blaguemonpote.Onaunemini-embrouilleettoi,tuenprofitespouressayerdemepiquermaplace?Ouais,jevoislegenre…Bon,envoie-moilesrushs,quejecommenceàmontertoutça,parcequepourcequiestdetenirunecaméra,çava,tut’ensorspeut-être,maisvutesgoûtsdemerdeenmusiqueettonincapacitéàfaireunebonneincrustation…Ouais,c’estça…c’estça,rit-il.Bonnenuit,enfoiré.

EtensouriantencoredesvannesqueDonnyadûluilancer,Lukasraccroche.Jeluifaisunsouriregêné.Jenesuisvraimentpasdouépourexprimercequejeressensmaisaufond,çamefaitvraimentplaisirqu’ilfasseça.Qu’ilessayedereprendresaplaceparminous.

–C’estbon,jecroisqueDon’acomprisquiétaitlepatron.–Tuveuxvraimentfaireça?Tuessûr?–C’estleminimum,non?Commenttuveuxquejefasseencorepartiedece

crewsimonnomn’estmêmepascréditéaugénérique?–Tufaispartieducrew,avecousanstonnomaugénérique,Lukas.–Jesais.Maisj’aienvied’aider.Tum’asmanqué,mec,avoue-t-il.–Toiaussi,tum’asmanqué,jerépondsenattrapantlamainqu’ilmetend.

Onsedonneunebrèveaccoladeetpendantuninstant,c’estcommesionétaittoujourslesmêmespetitsmerdeuxtoujoursfourrésensemble.Ilyauntruc,aveclesamisdelonguedate:auboutd’unmoment,ilsdeviennentunepartdevous-même.Unesortedemémoiredeceluiquevousavezété.

–Bon,jedoisyaller,fais-jeenmedétachantdelui,contentqu’aufinalonsesoitréconciliés.Voissitupeuxpasserdemain,OK?

–J’aiunexposémégaimportant,demain.MaisjecommenceàbosserdèsqueDonnym’aenvoyécequ’ila.

–D’ailleurs,réalisé-jealorsquejesuissurlepalier,àcepropos…Dansles

rushs, tuvasvoir une séquencedemoi en trainde fairedu saut enparachute,caméraembarquée,avecuninstructeur…Laisse-ladecôté,ellenefaitpaspartieduprojet.

–Alorsc’estquoi,cetteséquence?medemandeLukesurpris.–C’estrien…C’estjustequejevoulaisrepérerleterrain,j’avouegêné.–Repérerleterrain?répète-t-ilsanscomprendre.–Ouais,pourlefinaldelavidéo.C’estShawnquiaeul’idée…Jevaisfaire

unbackflipdepuisunerampeaubordduGrandCanyonet le terminerenbasejump…C’estunpeudelafrime,ris-jenerveusementenmepassantlamaindanslescheveux,maisc’estpourfrapperungrandcoupavantSydney.

–Quoi?T’essérieux?Mec,c’est…wow, réagitLukassansque j’arriveàsavoir ce qu’il en pense vraiment. C’est sûr que c’est… spectaculaire. MaispourquoiCaspernem’enapasparlé?

–Parce que c’est confidentiel pour lemoment. Presque personne ne le saitpournepasqueçafuite.Etpourtouttedire,jen’enaipasencoreparléàFire…

Lukasmejetteunregardréprobateur.

–Putain,mec…proteste-t-il.–Jesais,avoué-je.Jedéconne.C’est justequej’étaisauMexiquequandça

s’est décidé, et ensuite tout s’est enchaîné très vite, et je n’ai pas forcémenttrouvélebonmomentpourenparler…

–Ellerisquedecriser,m’avertitLukas.–Jesais,jerépète,cettefoisavecunevagueirritation.Jeluienparlerai,ne

t’enfaispas.D’icilà,tienstalangue,c’esttoutcequejetedemande.

En avançant versmaMustang, je n’arrête pas de gamberger. Le problème,c’estquejesaispertinemmentqueLukasaraison:Firerisquedecriser.Jevoisbien à quel point l’idée de ce saut peut paraître effrayante. Moi, au fond, jemaîtrisetouslesparamètres;jesaisexactementquelleestmamarged’erreur.Jefaisd’ailleurstoutpourminimiserlesrisques.J’aireprislamuscupourêtreautop dema forme.On ne tournera que si les conditionsmétéo sont optimales.Quantàlarampe,c’estdumatosextrêmementsolide,montéparlesmeilleurs.Jesuis sponsorisé par Red Bull, Vans et MTV2, et l’événement est diffusé endirect…Ilsn’ontpas intérêt à ceque jeme rétame.Mais ça resteun sautquidemande de la préparation et, surtout, de la concentration. Je ne peux pasmepermettre d’avoir autour demoi des gens qui doutent. Il y a trop en jeu. Lesintérêtsdessponsors,l’argent,maréputation…

…Millehuitcentsmètresdechutelibre.

Jesaisqu’ilfautquej’enparleàFireavantlasemaineprochaine.Jesaisaussiqu’ilfautquejetrouveunmoyenpourqu’elleaccepteetmesoutienne.

Parcequejenepeuxpasrisquerunedecesengueuladesnucléairesquimelaissentlatêteenvrac.Pascettefois.

4.LesfléchettesdeCupidon

Kim

– Bon, alors c’est d’accord, Stacy ? La première chose à faire, c’est decontactertonassureurpourremplirunedemanded’aidejuridictionnelle.D’icilà,tugardeslestextosdetonexet,dèsquelesfondssontdébloqués,tureviensmevoir : je temettrai en contact avec un huissier de justice pour qu’il dresse leconstat,quiserviradejustificatifàtamaincourante.

–D’icilà,iln’yavraimentrienquejepuissefaire?–Sijamaissestextosdeviennentmenaçants,tuappellestoutdesuitele911.

Maisnon,tantqu’ilneparlepasdes’enprendreàtoi,laseulemanièred’obtenirune ordonnance restrictive, c’est de prouver le harcèlement, et ça ne se faitmalheureusementquesurladurée…

Commeàchaquefoisdanscegenred’affaire,leplusdurestdefaireaccepteràlavictimel’imperfectiondusystèmejuridique.DanslecasdeStacy,lesimplefaitdeluiparlerdesquinzejoursquej’aivécusaveclaVraieÉgalitéetsestrolls,demapeur,demonsentimentd’impuissance,asuffiàluifaireentendrequejelacomprenais réellement. En temps normal, je lui aurais proposé d’aller trouverl’administration de l’université avant la police afin de faire exclure, aumoinsprovisoirement, son ex, mais ce dernier n’étudie malheureusement pas àBerkeley.

–Jesaisquecen’estpasgrand-chose,m’excusé-je.Pasassez.Jen’osemêmepas imaginer à quel point ça te mine. Tu es bien entourée pour traverser cesmomentsdifficiles?

–Oui,macoturneestgénialeetmaConseillèredeRésidenceaussi.–Courage,bientôttoutçaneseraqu’unmauvaissouvenir,larassuré-jeenlui

prenantlamainavantd’apercevoirLukasmefairesigneparlavitreenplexi.–Merci,merépondStacysoulagée.Onsevoitmercrediprochainalors?–CeneserapasmoimaisNathaliequisera là,mercrediprochain.Maisne

t’en fais pas : je la briefe. Si jamais il y a un souci entre-temps, tu as mon

numéro.–OK.

Stacyselèvedesachaiseetattrapesonsacàmain.

–Toncopain?medemande-t-elleenapercevantLukasquifaitlepitre.–Meilleurcopainseulement.Heureusementpourmoi,ajouté-jealorsquece

deniercollesonvisageàlavitrepourfaireunegrimace.

UnefoisStacypartie,Lukaspasselatêteparlaportedemonbureau.

–C’estsoiréenachosauTopDog.Jemesuisditquetunevoudraispasraterça.

–Tumeconnaistropbien,admets-jeenremettantmonsweatavantd’enfilermonpetitbomberrouge.

Jemeursd’enviedenachos,d’unebièreetd’uneconversationlégère.Jemesens incroyablement frustréedansmapratiquedudroit depuis que j’aimis enplacecettepermanence.J’aitoujourseuconsciencedesaspectskafkaïensdelajusticeetsijeveuxfairedudroitpénal,c’estjustementpouraiderlesvictimesàles contourner…Mais il y a des trucs qui me rendent dingue. Par exemple,lorsqueStacyestalléetrouverlapolicepourleurmontrerlesdeuxcentstextosqueTroyluienvoieparjourdepuisleurrupture,ilsluiontrépondu:

–Jenevoispasoùestleproblème.Vousêtesséparésdepuisseulementunesemaine,c’estnormalqu’ilaitencoredel’espoir…

Çam’afaitbondir,àunpoint!Ilyaquandmêmeunedifférencenetteentreessayerderécupérersonexetflirteravecl’illégalité,non?

–…D’autantqueTroynemenacepeut-êtrepasdirectementStacy,maisilneseprivepasdefairedessous-entendusinquiétants,notammentenluirappelantdèsquepossiblequ’ilpossèdeunevidéode leursébatsetquecelle-cipourrait«malencontreusement » atterrir en demauvaisesmains, expliqué-je à Lukas,alorsquenousquittonsDavisHallpournousdirigerverslesud.

–Lerevengeporn2:laplaiedel’èredesmartphone,commentemonami.– Il va encore falloir que je me plonge dans le Code pénal de Californie,

soupiré-je. Je crois qu’il y a quelque chose à ce propos dans la section 647,

alinéa4…–Commenttufaispourtesouvenirdetoutça?Jen’arrivemêmepasàme

rappelercequej’aimangéhieraupetit-déjeuner!–Pourtant,c’esttouslesmatinslamêmeorgiedepanca…

Mais je ne finis pasmaphrase : jeme fige, incapable d’avancer unpas deplus.Pendantunquartdeseconde,j’ail’impressionquemonsangsetransformeenazoteliquide.

Cen’estpaspossible,paslui,faitesquejesoisentraindecauchemarder…

Pourtant,c’estbienluiquivientd’entrerdansSproulHall,j’ensuiscertaine.Mêmes cheveux blonds, mêmes épaules carrées, même statureimpressionnante…Etsurtout,mêmeregardquimehantedepuiscettenuit-là.

Non,non,non,c’est impossible:ChaseGardnerestàcinqmillekilomètresd’ici.Jesuisentraindedevenirfolle,c’estlaseuleexplication.

Unepartdemoim’ordonnedem’enfuirencourant.Uneautrem’empêchedebouger – du moins, pendant les quelques secondes où mes jambes nem’obéissent plus. Où j’ai l’impression d’être de nouveau là-bas, au lac. Puis,sansréfléchir,jemerueverslebâtiment.Jedoissavoir,jedoisenavoirlecœurnet.

Sijamaisc’estlui…

Je ne pourrai pas rester ici, je le sais. Il faudra que je m’enfuie, une foisencore.

Maisçanepeutpasêtrelui.C’estphysiquementimpossible.

J’ai l’impression de sentir chacun des battements de mon cœur, ralentis etamplifiés.IlscouvrentlavoixdeLukasquim’appelle.Jetirelaportebattante,me précipite dans le hall…Aucune trace de Chase dans le hall. Soulagée, jesoupire,m’adosseàunmur.

C’estofficiel,jesuiscinglée,j’aidesvisions.

Lepire ?C’est que c’estunebonnenouvelle. J’éclated’un rirenerveuxau

moment où Lukas me rejoint et me regarde comme si j’avais définitivementperdulaboule.MaisjepréfèremillefoisêtrefollequedetombersurChase.

–Qu’est-cequisepasse?medemandemonami,unpeu inquiet.Qu’est-cequit’apris,làdehors?

–C’estrien…rassuré-jemonamienessayantdecombattremonhilarité.J’aicruvoirquelqu’undechezmoi,unanciencamaradedelycée,mais j’aidûmetromper.

JerisdeplusbelleetLukas, intriguémaisrassuré,meregarde,avantd’êtreluiaussigagnéparmonfourire.

–Ça y est, ton taux de sucre dans le sang est trop bas, tu pètes un plomb,plaisante-t-il en passant un bras autour demon cou pour m’entraîner hors deSproulHall.

– Ou c’est le delirium tremens, répliqué-je en me calmant peu à peu. Jedonneraisn’importequoipourunebière…

Surtoutaprèsunefrayeurpareille.

Vingtminutesplustard,jesuisexaucée.J’aiunpichetdebièreetunsaladierdenachosdevantmoi,encoreplusgrasquedansmesrêveslesplusfous.Etjesuisentraind’exploserLukasauxfléchettes!

–Maisc’estpasvrai!Tuasonzesurdixauxdeuxyeuxouquoi?– J’excelle dans tout ce que j’entreprends, Lukas Sullivan, excepté dans

l’astreinteàunrégimeamincissant:jepensaisquetul’auraiscompris,depuisletemps.

–Jerêveouturecommences,avectesdeuxkilosentropimaginaires?–Mestroiskilosentropnesontpasimaginaires.–Arrête,t’asleplusbeauculdecebar…megronde-t-il.Probablementdela

régionentière.–LukasSullivan!rougis-jeenratantpourlapremièrefoismacible.–Bahquoi?Parcequejesuisàmoitiépédé,jen’aipasledroitdematerton

cul?– Absolument pas ! répliqué-je offusquée. Ce n’est pas comme ça que ça

marche ! Je ne suis pas un truc décoratif qu’on peutmater à l’envi, ajouté-jeavantd’avalerunegorgéedebièretoutenregardantmonamiraterdenouveaula

cible.De toute façon,sachequecen’estpas trèspolitiquementcorrectdedirequ’entantquebi,tues«àmoitié»hétéroet«àmoitié»homo.

–Ahouais?–Ouais.Etpourinfo,onéviteaussileterme«pédé»,auXXIesiècle.–Pasquandonestpédé,s’obstine-t-il.–Hey!protesté-je.–Detoutefaçon,d’oùtevientcettefabuleuseculturequeer,onpeutsavoir?–Hummm…Jenesaispas…Dufaitd’êtreuneétudianteféministede18ans

quivitàSanFranciscoetquiaunmeilleuramibisexuel?Toujoursest-il,moncher,quebi,cen’estpas«unemoitié»desexualité.

– C’est vrai : dans mon cas, c’est surtout une absence de sexualité…plaisante-t-ilenrécupérantlesfléchettesenfoncéesdanslacible.

–Ehbienilfaudraitchangerça.–Etcomment?Jepeuxlesavoir?Jen’arrivemêmepasàsavoirsilesmecs,

c’estjusteunfantasmecommeçaparcequejemerdeaveclesfilles,ousic’estvraimentquelquechosequejeveux!

–Ehbien,histoired’enavoirlecœurnet,tuaspenséàInternet?

Il se retourneversmoietmegratified’un regardquiveutdire :«Tuveuxrire?»

–Bahquoi?–TuesdéjàalléesurGrindr,Abbott?–Non,pourquoi?– Parce que c’est assez spécifique, rétorque-t-il en lançant une nouvelle

fléchette.–«Spécifique»?–Écoute…soupire-t-ilens’emparantdesabière.Grindr,c’estpourlesplans

vitefaits,etjenedispasqu’iln’yapasdesmecsattirantsouquiontl’airsympaquand tu tchattes avec eux…Mais il s’agit quand même de cul ! Et moi…j’aimeraisbienquemapremièrefoiscompteunpeu,tuvois?Jeneteparlepasd’unplanbougiesetchampagnehyperclichémaisjuste…d’unpeudefeeling.Et puis de toute façon, ajoute-t-il en retournant au jeu, à l’heure actuelle, jebalisebientroppourmelancer.

– Je sais bien que tu n’es pas prêt à en parler aux autres ou à ta famille,Lukas…Maisjedétestevoirqueçat’empêched’êtretoi-même!Aprèstout,tun’aspasbesoinderevendiquerhautetforttasexualitépourlavivre!

–Cen’estpasça,crois-moi:depuisquetuesaucourant,pourmoi,etqu’onenparleensemble,çaachangémesperspectiveset jecroisquemaintenant, jeseraisprêtàmelanceravecquelqu’un…Mêmejustepourenavoirlecœurnet,tuvois?

–Alorsc’estquoileproblème?–Kim…Jevaisavoir22anscetétéetjesuistoujoursunputaindepuceau.

Limiteuncassocial.Quivoudraitdemoi?

J’avanceversluietl’enlace,justeuninstant.Enbonstreetartistrebellequ’ilest,iln’apasl’habitudedeseffusions.

–Toutlemondevoudraitdetoi,Lukas.–Tuesgentille,rit-il,unpeugêné.–Non,j’aidesyeuxpourvoir:tuesbeaugosse,tuessexy,tuesintelligent,

sensible,doué.Étant lacolocdeShelby, je suisbienplacéepour savoir l’effetquetufaisauxgens,mêmesi toi tunet’enrendspascompte.Jepenseplutôt,ajouté-je en plantant mes yeux dans ses yeux brun foncé, que tu devraiscommencerpar teposer laquestiondequi teplaît,avantdedécréterquec’estimpossible. Si tu devais te taper quelqu’un, là, ce soir, ajouté-je. Un ou uneclientedubar,n’importequi.Pasderègle,pasdejugement.Tuchoisiraisqui?

Lukasmeregardeamusé,avantdefaireuntoursurlui-mêmepourexaminerlesclientsduTopDog,cettefouled’étudiantsvenuspourprofiterd’unebonnesoiréeàbasprix.Puisilseretourneverslejeudefléchettesetfaitsonlancer,enrougissantlégèrement.

–Àuneheure,glisse-t-ilentresesdents.Aubar.Aveclepull rouge.Etparpitié,soisdiscrète.

Je suis ses instructions et tombe sur un mec super craquant, une sorte deLeonardoDiCapriojeune,avecdescheveuxchâtainfoncéetdesyeuxbruns.Letypeenquestion lève lesyeuxde sabièrepuis, voyantque je lemate, fait unsignedansnotredirection–rectification:dansladirectiondeLukas.

–Salut,Sullivan!crie-t-ilmême,enlevantsonverredansnotredirection.–PutainKim,grogneLukas,jet’avaisditd’êtrediscrète…

J’ignoresaquestionetbaissemavoix.

–Tuleconnais?–C’estDaneReynolds.Ilhabitesurmonpalieretc’estuncinquièmeannée,

unphotographedegénie.–DaneReynolds,DaneReynolds…Pourquoicenommeditquelquechose?–Tuavaiskiffé sur sesphotos, lapremière foisque tuétaisvenuemevoir

dansl’atelierdudépartementpouravoirl’adressemaildeDonny.

Bonsangmaisc’estbiensûr!«D.R.»!DaneReynolds!Jesuisalléevoirson site plusieurs fois depuis : c’est l’un des artistes les plus prometteurs ducampus ! Je lui jette de nouveau un coup d’œil à la dérobée et prends moncourage à deux mains – pour Lukas, parce qu’il a besoin de savoir que lesrencontressontpossibles.Qu’ilaledroitdeparleràungarçonquiluiplaît–lereste,onverra.Sousleregardmédusédemonami,jefonceverslephotographe.

–Kim, bordel, qu’est-ce que tu fous ? pesteLukas avant dem’emboîter lepas.

Jel’ignoreetmepostedevantlepullrouge,enluitendantlamain.

–KimAbbott.Jesuisl’assistantedePrice.–Jetereconnais,merépondcesosiechâtaindeJackDawnsondansTitanic

enmeserrantlamain.Ettoi,tuesLukasSullivan;levoisinavecquionnesesalue jamais. C’est dommage parce que j’adore ton travail, précise Dane ens’emparantlamaindemonami.

JemeretourneLukas,quivientdevirerpivoine.

–Tu…Tuconnaismontravail?–Carrément.J’adoretondiptyqueaveclesusines.Ilm’ainspiréunesériesur

lespaysagesindustriels,ilfaudraitquejetelamontreàl’occasion.

Intérieurement, jejubile:monjobd’entremetteusen’auraitpaspumieuxsepasser!OK,peut-êtrequeDaneesthétéro,oucasé,ouqueçanemèneraàrien,mais au moins, ça prouvera à Lukas qu’il n’a aucune raison d’avoir peurd’approcherquelqu’unquiluiplaît!Non,levraisouci,c’estlatêtequefaitmonami:ondiraitqu’ilestentraindefaireunAVC!

–Dane,décidé-jed’intervenir,est-cequeçatediraitdetejoindreànous?On

estàcoursdenachosmaisilrestedelabièredansnotrepichet…–Carrément,souritlebeaugosse.Çanevousdérangepas?

2Pratiquequiconsisteàdiffuserenligneuncontenusexuellementexplicitemettantenscèneunepersonnequel’onchercheàhumilier.

5.LesnuitsdeSantaMonica

Kim

– Mademoiselle Abbott ? me demande Price en se plantant devant monbureau.Nemeforcezpasàvousvirer,s’ilvousplaît.

–Qu’est-cequej’aifait?m’affolé-jeenessayantdecomprendrecequiapucontrarieràcepointmonboss.J’aifaituneerreursurleprogramme,c’estça?

Paniquée,jemeprécipitesurlecartondeleafletsquiannoncentlecolloqueàvenir, arrivé aujourd’hui de chez l’imprimeur, et commence à parcourir unexemplairelesyeuxexorbités.

– Non, non ! s’excuse Price. Je parlais de vous virer du bureau ! Leprogrammeestparfait,votretravailaussi…C’estsimplementqu’ilestdix-huitheures et que vousm’aviez demandé si vous pouviez partir à dix-sept heurestrentecevendredi,m’explique-t-il.Parailleurs,jen’aipum’empêcherdenoterque vous étiez bien élégante… Pas besoin d’être Sherlock Holmes pourcomprendrequevousavezquelquechosedeprévu!

–Dix-huitheures?Déjà?demandé-jeenregardantl’heureàlapetitemontredoréeAmericanApparelqueShelbym’aprêtée.

Le fin bijou en métal s’accorde aux autres breloques dont Shelby m’aaffublée.Braceletsetsautoirsenpagailleégaientmatenueàlafoischicetrock:lepantalonensimilicuirtrouvéchezH&M,lablouseblancheensoiequem’aprêtéeMegan, le blazer gris foncé au col de satin noir quemamèrem’avaitacheté pourmon entretien à Berkeley. Chaussée des Louboutin deMeg, c’estvraiquejesuisdifférentedel’étudianteenjean-basketsquePriceal’habitudedevoirdeuxfoisparsemaine.D’autantquej’ysuisalléefrancosurlemaquillage:smokeyeyegris,bouchecerise,vernisrougevif…Durantnotrepausedéjeuner,lesfillessesontamuséescommedesfollesàmepréparerpourl’événementtapisrouge organisé par Calvin Klein pour lequel je suis officiellement le date deHell. Évidemment, ça emmerde ce dernier de devoir apparaître à cette fête

organisée dans un prestigieux hôtel de Santa Monica… Mais moi, çam’enchante.

–Déjà, oui, confirme Price. Etmon petit doigtme dit que la personne quiattenddansuneberlinenoiredepuis trenteminutesdoitcommenceràenavoirmarre…

Merde.

Price a raison : Hell devait passer me prendre à dix-sept heures trente.Enfin…Hell et le chauffeur que lamarque amandaté pour nous conduire cesoir…

–Pourquoitunem’aspasappelée?demandé-jeàmonsublimepetitamiaumomentoùjesorsdubâtimentpourlerejoindre.

–Etempiétersurtavieprofessionnelle?C’estça,ouais,rit-il.Jetiensàmapeau.

En souriant de son air ironique et irrésistible, il m’attire à lui, me pressecontreseslèvres.Jesenssonodeurdecuir,detabacfrais,sonhaleinefraîcheetlégèrement citronnée, et toutmon corps chavire. Est-ce vraiment possible quej’aieautantdechance?Quecethomme-là,quirendtouteslesfillesfolles,soitlemien?Quecesoitmoiqu’ilattendecommeça,dansunevoitureavecchauffeur,pourm’emmenerpasserlasoiréeetlanuitdansungrandhôteldeL.A.?Jamaisje n’aurais imaginé, l’été dernier, que ma vie prendrait cette tournure. Etpourtant, je suis là, dans ses bras quime protègent etme fontme sentir plusvivantequejamais.

–Salut,toi,murmureHellaprèscebaiserdecinéma.–Salut,toi,réponds-jeenempoignantlecoldesaveste.Jerêveoutuportes

uncostard?–Jerêveoutonjoliculestmoulédansducuir?– C’est juste une imitation, Hell, ne t’emballe pas. Je suis garantie sans

cruautéenverslesanimaux.–C’est enversmoi et l’ensemble de la gentmasculine que ce pantalon est

cruel.Unesortedetentationpermanente.–D’autantquevulesdifficultésquej’aieuesàl’enfiler,tuvasavoirdumalà

mel’enlever.

–C’estcequ’onverra.Jeproposequ’onreste…uneheureàlasoiréeentout,décrète-t-il en consultant lamontre attachée àmon poignet. Puis, on file à lachambrequ’ilsnousontréservéeetonvoitcequ’onpeutfairepourtesortirdecepantalontropmoulant.

–Une heure, c’est tout ? Combien on peutmanger de petits fours, en uneheure?

–Unefoisdeplus,tupréfèreslesmini-pâtisseriesàmoi…J’imaginequejevaisdevoirm’yfaire,fait-ilsemblantdesoupirertoutenm’ouvrantlaportière.Allez,montedanstoncarrosse,Cendrillon.Onadelaroutedevantnous.

***

–Parici!Aaron,parici!

Plusdocilequ’à l’accoutumée,monsauvage seprêteau jeudu tapis rouge,sonbraspasséautourdemataille.

Moi, jesoignelaposequeMeganm’afaitrépéter :unemainposéedansledosd’Aaron,monautrebraslelongducorps,déhanchée,unejambeenavant,jefais ostensiblement la gueule, comme si tout ce cirque me fatiguaitépouvantablement–alorsqu’aufond,jesuisravie.

–Tut’esentraînée,avoue?metaquineAaron.

J’éclate d’un rire joyeux, ravie d’avoir été démasquée, et les photographesnousmitraillentdeplusbelle.Tantpispourmaposeblasée.

–Aaron,encoreunes’ilvousplaît!–Aaron,Aaron…Est-cequevouspouvezprendrelapauseavecPoppy?

Biensûr…

Le spectaculairemannequin vient de s’extraire de sa voiture pour faire sonentrée sur le tapis rouge dans une robe fendue si haut qu’en une fraction deseconde,onfrisel’émeute.Enm’apercevantdeloin,ellemedétailleetesquisseunemoueméprisante.Jemeraidis.J’aibeausavoirquejen’aipasàêtrejalouse,face à elle, je complexe. La façon dont elle m’a humiliée la dernière foisn’arrangerien…Jesaisbiencequ’ellepense:queHelln’arienàfaireavecunepetiteétudianteordinairecommemoi.

Maisc’estmoiqu’ilachoisie.C’estmoi.

D’ailleurs,illuijetteunregardfurieuxavantdemeprendrelamain.

–Viens,entrons.

JerendsàPoppysonregardhautainetmelaisseentraînerparlebadboyversla fête. Mais durant la demi-heure qui suit, toutes les conversations tournentautourdelablondesculpturale.Cequiobsèdelestroiscentsinvitéstriéssurlevolet?SavoirsiPoppyTownsendporteounonuneculottecesoir.Etmoi,jenepeuxrienfaired’autrequesubirleurinterrogationstoïquement.Heureusement,lamarqueaprévuunequantitéconséquentedemacaronspourm’aideràtenirlecoup…Etpuis ilyaHell.Hellquimeregardecommesi j’étais lacréature laplusmerveilleusesurterre.Hellquimefaitrire.Hellqui,auboutd’unmoment,vole une bouteille de champagne, m’entraîne vers la piscine, retire seschaussuresetmeproposedeboirelespiedsdansl’eau.Hellqui,commeàsonhabitude,sefoutdesconventions.Hellquimeprésenteàtousceuxquiviennentlesaluercommesa«compagne».

Etje jouelejeu.Lejeudelafillepiedsnus,mouléedansdusimilicuir,aubrasdubadboytatoué,dansunefêtechic.Lafillequiboitsonchampagneaugoulot.Lafillequielleaussisefoutdesconventions,quiestsimplementlàpourfairelafête.Lacréaturemystérieuseetbohèmequisortaveclastar.Etauboutd’unmoment,çadevientvrai:jedeviensréellementcettefille-là.Jememetsàparler avec les gens que Hell me présente – designers, mannequins, artistes,photographes,maquilleurs,égéries,vedettes–etjem’amuse.Maispasaupointde ne pas remarquer l’air soucieux d’Aaron quand, sur le coup de vingt-troisheures trente, il reçoit un appel et décroche en s’éloignant. Pendant saconversationquidureunedizainedeminutes,ilgardelessourcilsfroncés.

–Çava?luidemandé-jeàvoixbassequandilrevient.–Riende trèsgrave,me rassure-t-il enm’entraînantdiscrètement àpartdu

groupeavecquij’étaisentraindeparler.C’étaitmamère.L’écoledeMaliciaaappelé…Visiblementmapetitesœuradoréecontinuedefairedessiennes.Elles’estfaitprendreentraindefumerunjointdanslestoiletteset,nesupportantpasquemamèrelaconfronte,elleadécidédefoutrelecampdelamaisonpour,jecite,«allervivrechezGia».

–Mince…Aaron…Jesuisdésolée.Tuveuxqu’onaillelachercher?

–EtdébarquerchezlesparentsdeGiaenpleinmilieudelanuit?Non,c’estbon,mamèrelesaeusautéléphone.Moi,jepasseraidemain,histoiredetenterderaisonnercettepetitepeste.Faitchier!ajoute-t-il, furieuxet inquiet.Jefaistout pour qu’elle reçoive lameilleure éducation possible, qu’elle puisse entrerdans la facde son choix,maisdepuisquelques semaines elle fait tout pour sesaborder!Jenesaispascequ’illuiarrive.

– C’est difficile, tu sais, d’être une fille de 16 ans. Surtout une filleintelligente.C’estunâgeoùonserendcomptedebeaucoupdechoses…

–Quoi,parexemple?medemandeAaron.– Eh bien pour commencer, il y a les garçons… Ils ne sont pas toujours

comme les héros protecteurs qu’onnous a vendusdans les contes de fées.Enfait, c’est même tout l’inverse : la plupart d’entre eux ne pensent qu’à nousbaiser, quitte pour ça à nousmentir ou à nousmanipuler.C’est difficile de serendre compte que pour 80%desmecs, on n’est rien d’autre que de la chairfraîche…

–C’estvraimentcequetupenses?medemandeAaron.Quelaplupartdesmecsvoientlesfemmescomme…?

–…commedestrous,complété-jeàsaplace.C’estlavérité,non?

Hellouvrelabouchepourprotester,maisriennesort.

– Tu as peut-être raison, admet-il finalement en tâtonnant pour trouver sescigarettesdanssapoche.

Ilallumeunecigarette,tiredessus,recrachelafuméel’airsongeur.

–Ont’adéjàtraitéecommeça,toi?–Moi?Toutletemps!ris-jepourdédramatiserlessouvenirsdouloureux.

Les regardsquivous salissent.Lesmotscrusnonsollicités.Les injuresquitombentsansraisonetsansqu’onaiteud’autretortquedemarcherdanslarue.Les mains baladeuses. Les suggestions déplacées. Toutes ces choses quicommencentàlapubertéetquivousfontentendre,àlalongue,qu’ilyaquelquechosequidéconneprofondémentdanslefaitd’êtreunenana.Quelquechosedemal.Quelquechosequifaitqu’onseratoujourstropceci,oupasassezcela.Pourmoi,çapourraitêtrelesremarquesdemaprofdedansequandj’avais11ans.

–MademoiselleAbbott,vousgrossissezdefaçondramatique.C’estpeut-être

appétissantpourleshommesmaisc’estdésespérantpourlagrâce.

Oualorscellesdemonprofesseurd’histoiredeCinquième,quim’aun jourdemandédeneplusvenirenclassetantquejeneporteraispasdebrassièreparcequeçale«déconcentrait».

OuencorelesouvriersquirefaisaientlasalledebainsdeCamilial’étédenos13ansetquinousregardaient,mescopinesetmoi,autourde lapiscine,ensefaisantdesgestesobscènesdontilspensaientqu’onnelescomprenaitpasparcequ’onétaittropjeunespourça.

–Jet’aidéjàtraitéecommeça?medemandeHelll’airinquiet.– Toi ? Non, le rassuré-je en demandant à tirer juste une bouffée sur sa

cigarette–audiable labonneconduite.Tum’asdéjà traitéeenennemie, tuasdéjà été odieux, mais tu m’as toujours considérée comme une égale. Mêmequandtumefaisaislaguerre,ajouté-jeavecunsourirecomplice.

–Ilfautdirequetuétaisuneadversaireàlahauteur…

Ilme regarde avec tendresse en disant ça, recoiffe une demesmèches, etcommenceàsepencherversmoipourm’embrasser,quandunevoixdestentorsefaitentendre.

–Tiens,tueslàtoi!

Onseretournetouslesdeuxversl’hommeàlavoixpuissantequil’interpelleainsietavancedroitsurnous.Jereconnaisimmédiatementcettecrinièreblancheetcelookdedandydécadent.

–Lewis !s’exclameAaron.Enfinquelqu’unque j’apprécie réellementdanscettesoirée.Fire,viensquejeteprésente…

–MonsieurGoldinetmoinousconnaissons,répliqué-jeentendantlamainaucélèbrephotographeetréalisateur.Nousnousétionsvuscheztoi.

–Biensûr!faitcedernier,bienquejedoutequ’ilmeremette.Laissez-moivousprésentermonépouse.Frances,voiciAaronHelleretsonamie,euh…

–KimAbbott.–Enchantée,Kim,me répondFrances en s’emparantdemamain.Etvous,

Aaron…Lewisn’arrêtepasdeparlerdevous!–Jen’arrêtepasdemeplaindredelui,oui!lacorrigeletruculentartiste.Tu

sais que tu es vraiment en train de foutre en l’air ce qui aurait pu être unimmense film ? ajoute-t-il en se tournant vers Hell. Kim, vous qui lui avezparlé:ilrefusetoujoursdeparticiperàceprojet?

–Toujours,lecoupeHell.Jetel’aidit,Lewis:cen’estpascontretonfilm,nicontretoi…Maisjusqu’auxXGames,jemeconcentresurleskate.

–Etvous-même,machère,embraieFrancespoursortirAarondecemauvaispas.Quefaites-vousdanslavie?

–J’étudieledroitàBerkeley.– C’est aussi une remarquable photographe. Tu devrais t’intéresser à son

travail,Lewis,aulieudemeharceleràproposdumien,plaisanteleskateur.–Excusez-moidevousinterrompre…nouscoupeunejournalisteenrobede

soirée suivie d’un cameraman. Aaron Heller ? Est-ce que vous auriez cinqminutesànousaccorder?C’estpourFashionTV.

–Ilvousendonnedix,répondGoldinàsaplacejustepourletitiller.Iladorelescaméras.

–OK…Çatourne,annonceletechnicien,promptàréagir.–AaronHeller,bonsoir.Vousêtesconnudugrandpublicpouravoirétél’un

des visages phares de la campagne Calvin Klein lors de la saison dernière.Pourriez-vousnousdirecequec’est,pourvous,l’espritCalvin?

– C’est une marque qui se fout du luxe, des conventions, répond Hell enjouantlejeu.Unemarqueculte,quisaitqu’iln’yapasd’élégancesansconfort.CalvinKlein,c’estunecertaineliberté,etjecroisquec’estpourçaqu’ilsm’ontchoisi.

– IlsontaussichoisiPoppyTownsend,célèbrepour ses frasques.Certainesrumeursaffirmentquevousseriezuncoupleàlascènecommeàlaville?Peut-êtreLEcouplerock’n’rolldumoment?

Mon cœur se serre à cette question. J’imagine que la relation deHell avecPoppy faisait bien plus rêver les journalistes people que son histoire avec unesombreinconnue…

Ilfautquej’arriveàm’enfoutre.

Çanecomptepas,cequepensentlesautres.Hellm’achoisie.D’ailleurs,saréponsenelaisseaucundoutesurlaquestion.

–Poppyestuneamie,riendeplus.Mavéritablecompagneesticiavecmoicesoir.Maisjesuisquelqu’undediscret,quidétesteparlerdesavieprivée…

Nosregardssecroisentuninstantetj’esquisseunsourirediscret,commeunsecret entre nous. Je sais ce que représente ce qu’il vient de dire. Il n’a pasbesoin deme nommer ni dem’exhiber à la face dumonde : il est avecmoi.Jamaisiln’avaitétéavecpersonneavant.

–Alorsparlonsdevotrepassion,leskateboard.Defollesrumeurscirculentàcepropos.Onditquevousseriezenpleintournaged’unenouvellevidéo…

–Oui,mais pas pour une équipe, ce coup-ci. C’est une vidéo personnelle.Toutceque jepeuxvousdire,c’estqu’ellesedérouledans lesenvironsparcequejeveuxqu’elleretranscrivel’influencequ’aeuelaCaliforniesurmafaçondeskater.

–Pasdesponsors,vraiment?LeresponsableCommunicationdeVansnousapourtant laissé entendre, lorsque nous l’avons rencontré en début de semainedanssesbureaux,qu’ilsétaientpartenairesduprojet…

–Partenaires,pascommanditaires.Ilsparticipentaufinancementdutournagemaisjerestecomplètementlibresurladirectionartistique.

–C’est doncvous-mêmequi avezdécidéde tenter cette folle cascadedansquelques jours dans le désert du Nevada ? Pour nos téléspectateurs c’est unscoopFashionTV:lecélèbreAaronHeller,connudanslemondeduskatesouslepseudonymede«Hell»,vatenterendirectunbackflipenbasejumpdansleGrandCanyon,quiseraretransmisendirect.Ceserale20marssurMTV2…

À ces mots, moi qui suivais l’interview depuis le début avec une sorted’amusement, je me décompose. Incrédule, je cherche son regard et le croisefugitivement.

–C’étaitcenséêtreunsecret,ritAaron,gêné,ensepassantnerveusementlamain dans les cheveux. Maintenant, je suppose que je ne peux plus medégonfler…

Qu’est-cequ’ilraconte?

C’estquoi,cettehistoiredesautdansleGrandCanyon?

– C’est une cascade spectaculaire, insiste la journaliste. Pour que nosspectateurs puissent se l’imaginer, cela revient à tenter un salto arrière depuisune rampede lancementpuisdevous laisser tomberdans levide…Millehuitcentsmètres…Quellessontlesmesuresdesécuritéquevousavezprévues?

Mon cœur s’accélère,ma bouche devient sèche. Je n’arrive pas à en croiremes oreilles.Mille huit centsmètres… Immédiatement, je l’imagine, en effet.J’imagineAaronratersonsaut,heurterlaparoiduCanyonettomberassomméjusqu’enbas…Monestomacsesoulève.

–Ehbiendéjà,luirépondHellenévitantmonregardtétanisé,cen’estpasdela chute libre : j’aurai bien entendu un parachute. Évidemment, c’est un peutechniquemaisj’airepéréleslieux,j’aisautéavecuninstructeur:jesuisprêt…

C’estdoncvrai.

Ilvavraiment lefaire. Ilvavraiment lefaireet ilnem’enariendit !Sansréfléchir, je tourne les talons et commence àm’éloigner à grandes enjambées,aussivitequemelepermettentlesLouboutindeMegan.Jeveuxpartirloind’ici,loinde l’idéequ’il va faire ça, loindu fait qu’ilme l’a caché, loinde la peuraffreusequeçamefait.Merde!Est-cequ’ilserendcomptequ’iln’apasledroitdesemettreendangercommeça?Etdemelecacher,enplus?Est-cequ’ilaconsciencedecequejeressentirais,s’illuiarrivaitquelquechose?

À cette pensée, une larme coule de mes yeux. Je l’essuie à la va-vite etaccélère.Mais avantmême que j’aie quitté le lobby de l’hôtel,Hellm’a déjàrattrapée.

–Fire,attends…

Troissemaines.C‘esttoutcequ’onauratenu.

Troismisérables semaines sans nuages à l’horizon.Sans qu’il fasse un truccomplètement idiot et irresponsable comme casser la gueule à l’un de sesmeilleurspotesousemettreendangerdemort!

–Attendrequoi,Hell?meretourné-jefuribardeetterrifiée.Quetuaiesfinitoninterview?Ilyad’autresrévélationsquim’attendent,peut-être,outuveuxsimplement que je reste t’écouter expliquer la façon sophistiquée dont tu vasessayerdetetuermardi?

C’estlapaniquequiparle,jelesais.J’aipeurdeleperdre,tellementpeurquejeneparvienspasàêtrerationnelle.Moninstinctmecriequejenepourraispassupporterqu’illuiarrivequelquechose.Moninstinctmecriedefuiravantdele

perdre–mêmesiçasembleparadoxal.

– Je ne vais pasme tuer, Fire, tente-t-il deme rassurer, enm’attirant avecdouceur vers lui. Cette journaliste a essayé de dramatiser les risques que jeprends pour faire de l’audience et gonfler son prétendu « scoop ». C’est unsimplebackflip:tusaiscombienj’enaipassé,dansmavie?

Je tremblede tousmesmembrescontre soncorpspuissant– soncorps,quidemeurelaseulechosecapabledemecalmerquandjesuisdanscetétat.

Unétatoùpourtantnotrerelationnecessedemeplonger.

C’estuncerclevicieux.Jenepeuxpasvivrecommeça!Avecluiquimefaitdumaletquiensuitelerépare.C’estinjuste,etviolentet…tordu!

Etçavamefairedeplusenplusmal.

Plusjem’attacheraiàlui,plusilauralepouvoirdemeblesser.

– Ce qui m’intéresse, rétorqué-je en mobilisant toute ma volonté pourm’arracheràsonétreinte,c’estcombientuenasraté!

Il me jette un regard agacé et lève les yeux au ciel. Comme si j’étaiscomplètementàcôtédelaplaque!

–Écoute,j’aicalculétouslesrisques…J’aidessinémoi-mêmelarampeavecl’aide de Casper et d’un de ses potes ingénieurs : il suffit quemon salto mepropulseàquinzemètresetiln’yaurapasdeproblème!

Ill’adessinéeavecCasper?Etc’estcensémerassurer?

– Dans le cas contraire, tu t’écraseras contre les parois du canyon ! merévolté-je,follederagequ’ildénieàcepointlesrisquesqu’ilcourt.

–Alorsquoi?rétorque-t-il,exaspéré.Parcequetut’inquiètes,parcequetuaspeur qu’il m’arrive quelque chose, je devrais renoncer à la seule chose quej’aimeetpourlaquellejesuisdoué?C’estcequeçaimplique,d’êtreavectoi?

«Laseulechosequej’aime»…

Çafaitmal,maisj’essaiedepasm’yattarder.Lesenjeuxsonttropgrands!

–Nedéformepastout!Jeveuxjustet’empêcherdetetuer!– Mais tu ne le pourras pas, Kim ! hurle-t-il devant tout le personnel de

l’hôtel,lesclients.Tunepourraspasm’empêcherdemourir,OK?Ettantquetut’acharnerasàprétendrelecontraire,jeseraiobligédemedirequetoietmoi,çaabeaumerendreputaind’heureux,c’estuneerreurmonumentale!

Saremarquemefaitl’effetd’unegifle.Pasparcequejelatrouveinjustemaisparce que pour la première fois depuis qu’il m’a parlé de son passé, de soncancer, du fait qu’il n’était pas capable de s’engager à cause de ça, je réalisel’étenduedesesimpossibilités.Etçamedévaste.Çamerévolteetmedévasteenmêmetemps.

J’aitellementvouluycroire…!Commentai-jepum’aveugleràcepoint-là?

Je comprends soudain pourquoi il ne m’a pas parlé avant de son projetridiculement dangereux ! Ce n’est même pas de la malhonnêteté ou de ladissimulation:c’estsimplementqu’ilest incapabled’êtreavecquelqu’un!Decomposeraveclamoindrerelation!Etlepire,c’estqu’ilm’avaitprévenue!Denouveauenlarmes,jepousselaportedecefoutulobbyoùtoutlemondenousdévisage et je sors.Hellme suit, furieux. Sur le trottoir, l’air tiède de la nuit,chargé de l’odeur de l’océan, m’enveloppe. Le contraste entre la douceur decettesoiréeetlaviolenteréalitéquivientdemefrapperestcruel.

–Tusaisquoi,Aaron? lancé-je,bouleversée,sansqu’il fasseungesteversmoi pourm’apaiser. Puisque tu remets ton état de santé sur le tapis : le plusgranddangerquetuencours,cen’estpasdefaireunerechute.C’estdefinirenfauteuil,oupireencore!Toutçapourunestupidecascade!

–Stupide?répèteHell,ulcéré.Stupide?Onparledemacarrière,là!Demapassion,demavie!

–…Une vie qui ne va pas durer bien longtemps si tu continues à vouloirrepoussertoutletempsteslimites!

–Eh bien aumoins, j’aurais vécu ! Tu peux en dire autant, hein ? Tu l’asadmistoi-même:tunesaispascequec’estqued’avoirunrêve!Tunemontrestesphotosàpersonne,tudansesplanquéedanstonstudio…!

Je recule, choquée, blessée et furieuse. C’est comme ça qu’il me voit ?

Commeunefillevideetternequerienn’anime?

Maisalorsencecas,qu’est-cequ’ilfoutavecmoi?

Pourquoiilnem’apaslaisséetranquilledèslapremièreminute?

–Peut-êtrequejen’aipasbesoinqu’onmeregarde,rétorqué-jelesmâchoiresserrées et le regard défiant. Peut-être que moi, j’arrive à me sentir existerautrementquedansleregarddesautres!

C’est un coup bas, je le sais, mais après tout pas plus bas que le sien.N’empêche, j’ai réussi : Hell a unmouvement de recul… avant deme toiseravecmépris.Ilsortdelapochedesavesteélégantesonsmartphone.

–Qu’est-cequetufais?– Je t’appelle un Uber pour qu’il te ramène à Berkeley, m’informe-t-il

froidementsansleverlesyeuxdesonécran.–Tutefousdemoi,hein?merévolté-jeenavançantverslui.Tuenasassez

deparleralorstuallongescinqcentsdollarsdeUberettumecongédies?C’estaussisimplequeça?

–Non,Fire, rétorque-t-ilen levantunregarddurqu’ilplongedans lemien.C’estbiença,leproblème:çan’ajamaisétésimpleentrenous.C’estmêmecequej’aivécudeplusdifficiledetoutemaputaindevie!Maismaintenantc’estfini,ajoute-t-ilavecdéterminationavantderangersonportable,fairevolte-faceetsedirigerverslaportedel’hôtel.

Jesuisabasourdie,tellementquejeneparvienspasàdirequoiquecesoit,àarticuler quoi que ce soit, pas même à prononcer son nom pour le retenir.Pourtant, tout me crie que je n’y arriverai pas. Sans lui, je n’y arriverai pas.Lorsque,lamainposéesurlaportebattante,ilseretourneversmoi,jesuissaisieparl’espoirqu’ilarrêtesacourse,revienne,effaced’ungestetoutcequ’iladit,toutcequejeluiaiditmoi,etqu’ilnouslaisseunechanced’arrangerça.Maisles mots qui sortent de sa bouche, alors qu’il me fixe avec une expressionparfaitement neutre… Il n’aurait pas pu en choisir de plus violents, de plusblessants.

–Oh,aufait:tonchauffeurs’appelleRay,ilseralàdanscinqminutes.

Son détachement glacial me gèle entièrement. Je ne peux pas bouger, pasréagir, pas même crier ou pleurer. Puis Hell s’engouffre dans l’hôtel. Etm’abandonne,suffocantededouleur,surletrottoirdecettevilleinconnue.

6.SparingPartner

Kim

–C’estça,cogneencore,m’encourageLukas.Donnetoutcequetuas.

En ce dimanchematin d’entraînement, j’essaie tant bien quemal d’obéir àmonami,venumetirerdulitpourmecoacher.Aprèsêtrerentréedanslanuitdevendredi,enlarmes,danscettevoiturequiaroulédesheuressurlacôte,jemesuisenferméedansmachambreenpleurantencoretoutcequirestaitdelarmesdansmoncorps.J’aipleuréHell,j’aipleurél’arrachementhorribledeleperdre,j’aipleurélafindemesillusions.J’aipleurél’impossibilitédenotrerelation,j’aipleurématristesseetmahonted’avoirétéchasséecommeça,parlui,aprèstoutcequ’onavécuensemble.Shelbyestrestéeavecmoi.Elleaessuyéleslarmes,caressématête.Puis,quandj’aiétéprêteàparler,ellem’aécoutée.

–Tuescertainequecen’estpasuneénièmecrise?Hellettoi,vousavezlechicpour…tusais.Leshauts,lesbas,etpasgrand-choseaumilieu…

–NonShelb’, luiai-jeexpliqué.C’est fini.Cette fois,c’estbeletbien fini.Passeulementparcequ’ilm’acachécesaut,niparcequ’ilm’ajetéecommeunemalpropre… Mais parce que tout ça m’a fait prendre conscience qu’il avaitraison. Ilme l’a toujours dit : il est incapable d’être en couple.Après tout, ilavaitététrèsclair…Etmoi,jemesuisaveugléemoi-même,aupointdecroirequejem’enfichais.Quejepouvaisgérer.Maisjenesuispasassezforte,Shelby.Vraimentpas.

–Si,monchou,si,tul’es.Lapreuve,turéussisàlelaisserpartir…

C’estcequeShelbycroit.Enréalité,jen’yarrivepas.

–Vas-y,continueLukasalorsquedetoutesmesforces,jedonneuncoupdepieddanslesacdesablequ’iltient.Vide-toi.Sorstoutecetterage.

Je m’acharne encore sur le sac une dizaine de minutes avant d’arrêter,épuisée.Jemedirigeversmesaffairesposéessurunbanc,etm’empared’une

bouteille d’eau.Mon ami arrive par-derrière, prend la serviette qui dépasse demonsacetlaposesurmanuque.

–Çanedurerapastoujours,meglisse-t-ilenposantlamainsurmonépaule.Lafaçondonttutesens.Jesuisbienplacépourlesavoir.

Jesaisqu’ilaraison.QueluiaussiaaiméHell,etqueluiaussienasouffert,atrocement. Mais en cet instant, je ne veux pas entendre que ma douleur estbanale,commune.QueLukasl’avécue,etPoppy,etd’autres.Cen’estpasjustedemedireça!

Parcequemalgrétout,j’étaisspécialeàsesyeux.

Jel’aicompris,jel’aientendu.Etçarendd’autantpluscruellelasituation:Hellesttropégoïsteetautodestructeurpourquejecontinuecommeça.

À cet instant, Shelby fait son entrée dans le gymnase. Lukas et elle ontconvenudem’emmenerbruncherpuisdepasserlajournéeavecmoidevantdesfilms.Jesaisàquelpointc’estdélicat,poureux,defairefrontensembleétantdonné leur passif… Shelby se sent toujours blessée par le comportement deLukasàsonégard.Quantàcedernier, ilest terrifiéà l’idéequ’ellesoupçonnesonsecret.Maisj’aibesoind’euxetilslesentent:c’estpourçaqu’ilssontlà.C’estça,l’amour:fairedessacrificespourceuxqu’onaime.

–Tuesprête,BeatrixKiddo?tentedeplaisanterShelbyenfaisantlabiseàLukas.

Uneréférenceàl’héroïnedeKillBill.Unefemmeaucœuretaucorpsbrisés:jenepeuxpasdirequelacomparaisonsoitmauvaise…

–Changedeuxlettresà«Bill»,tuobtiens«Hell»,grogné-jeenessayantmasueuravecmaserviette-éponge.Coïncidence?

– Et en changeant deux lettres au mot « mec », tu obtiens « con ».Coïncidence?répondShelby.

Lukasfaitensortedenepassevexer.Aprèstout,danscegenredecas,onaledroitdediredumaldetousleshommesdelaterre,mêmesic’estvainetbête.Çasoulage.

J’enfileunjoggingetunsweatpar-dessusmonshortetmabrassièredeboxetattrapemonsacdesport.

–LeNora’sDiner,çavaàtoutlemonde?demandemacoloc.–Dumomentqu’ilsontdelasauceauchocolatpourcelle-là…blagueLukas

enpassantsonbrasautourdemoncou.Jecroisqu’onabesoindecalories,parici.

Ilm’attireà lui,embrassemonpetitcrâneendoloripar lesheurespasséesàpleureretlespenséesobsessionnellesàproposdeHell.Leurprésencemefaitdubien,leurtendresseaussi.Shelby,elle,glissesonbrasautourdematailleet,telslestroismousquetaires,nousquittonslebâtiment.

Dans les rues du campus, il fait beau, doux, tout le monde avance l’airheureuxetsouriant,commepourmenarguer.Lesoleilbrillesi fortqueLukasdégaineseslunettesdesoleiletlesenfile,pileaumomentoùnoustombonsparhasardnezànezavecDane.

–Hey!m’exclamé-je,surprisedelevoir.–Hey,répliquelebeauhipsterenmesouriantavantdesetournerversLukas.

C’estcooldevouscroiser.Jen’aipaseudel’occasiondevousremercierpourl’autresoir.

C’estvraiqu’avectoutça,j’avaispresqueoubliécettesoirée…

Nosdiscussionspassionnantessurl’art.Nosfousriresenparlantdecertainsprofsdudépartement…farfelus.Etpuissurtout,lacomplicitéévidenteetquasiimmédiate entre Dane et Lukas. Et la façon dont j’ai l’impression que lephotographeregardelegraffeur…

Siseulementçapouvaitmarcher!

Je sais que Lukas, en tout cas, y pense, et espère. Et l’espoir le rendadorablementmaladroit…

–Nousremercier?bafouillecedernier.Mais,euh,dequoi?–Déjà,pourm’avoirlaisségagnerauxfléchettes.C’estbiencequetuasfait,

non?Jet’aipercéàjour:personneneviseaussimalnaturellement,lecharrieDane.

–Etpourtant,si,c’estnaturelchezmoi,répliqueLukasenrougissant.Jesuissupermaladroit.

–J’aivuça,souritDane.Dites,vousfaitesquelquechosecetaprem’?Parceque je vais à l’inauguration d’un nouveau lieu dédié aux cultures urbaines, àFrisco,etjemedisqueceseraitsympad’yallertousensemble…

–Jenesuispas…superenforme,avoué-je.–Encecas,ceserasansmoi,renchéritShelby.Dieusaitqu’entempsnormal

iln’ya rienqu’ellepréfèreplusaumondeque les sortiesmais jecroisque jevaisdevoirveillersurcelle-lààlaplace.

–Qu’est-cequisepasse?Tuesmalade?medemandeDaneinquiet.– Pas vraiment, avoué-je, gênée mais incapable de mentir. C’est plus un

problèmeperso…

Maisavantquej’aieeuletempsdefinirmaphrase,untypefaitirruptionetnousinterrompt.

–Excusez-moi…

Sa voix qui me met le cœur au bord des lèvres. Une voix légèrementnasillarde, qui avale certaines syllabes, avec cette façon de parler tellementspécifiqueàlarégiondesGrandsLacs.Unevoixquejereconnaistoutdesuite.

«Ellement, jevousdis !Riendecequisortdesabouchen’estvrai !Elleveutsimplementsedonnerlebeaurôleparrapportàcequis’estpassédurantleMemorialDay!»

Jemeretourne,vivecommel’éclair.

–Kimje…Jepensaisbienquec’étaittoi,meditl’immensearmoireàglaceblondequimedominedetoutesahauteur.J’aiapprisquetuétaissurlecampus,j’aiététransféréendébutdesemestre…J’étaisàUCLAavantmaisl’équipedefootballdeBerkeleyachangédecoachetilsm’ontfaituneoffrepourvenirfinirmonbachelorici…Bref…

Je l’écoute à peine. Je tremble de tous mes membres. Je suis incapabled’analyser ce qui se passe. C’est comme si deuxmondes s’étaient télescopés.Comme si un fragment de mes pires cauchemars avait fait irruption dans lemonde réel.Tout tourneautourdemoi. J’ai chaud, j’ai froid, jene saismême

plus ce que je fiche ici, dans cette rue, ni qui sont les gens avecmoi. Je n’aid’yeux que pour lui. Je ne peux pas détourner mon regard de lui. Je resteimmobile, fascinée,commeparunescèned’accident : toutceque jevoudrais,c’estprendremesjambesàmoncou,maismesjambesrestentimmobiles.C’estmon esprit qui galope à la place, quime ramène à cet après-midi puis à cettesoiréeauborddulac.

Pendant ce temps, ses amis l’attendent, plus loin, et s’impatientent. L’und’entreeuxl’appelle.

–Gardner!Qu’est-cequetufous?Tudraguesencore?

Ilmeregarde,gêné,avantdesetournerverseuxetleurcrier:

–J’arrive!Ehbien,ajoute-t-ilàmonattention,jepenseque…quejevoulaisjustetesaluer,poursuit-ilendansantd’unpiedsurl’autre,constatantquejeneréagispas.Je,euh,jevaistelaisser.Àplustard.

Alors qu’il s’éloigne en me faisant un petit salut complètement absurde,comme si lui etmoi étionsamis, j’ai vaguement conscience des yeux demesamisetdeDanebraquéssurmoi,deleurairanxieux,delavoixdeShelbyquimeparvientdetrèsloin,commesij’avaislatêtesousl’eau.

–Kim?Kim,çava?

Sansmêmelevoirvenir,jetombeàquatrepattes,haletante,pendantqu’unebile acide jaillit dema bouche, quemes yeux semouillent de larmes, que lesmusclesdemondosetdemesabdominauxsecontractentdetoutesleursforces.

–Kim,qu’est-cequisepasse?entends-jeShelbys’inquiéteravantdesentirsamainmefrotterledos,écarterlescheveuxdedevantmonvisage.

Je vomis de plus belle, sans pouvoir me contrôler, sans pouvoir m’arrêter,sanspouvoirfairecequej’aivraimentenviedefaire:crier.Jevomislesoufflecourt,sansuninstantderépit,lesmainsposéesparterre,vaguementconscientedel’attroupementquiestentraindeseformerautourdemoi.

7.CommeJohnCusack

Aaron

Lorsquej’arriveà l’adressequeShawnm’afilée, jesensrapidementqueçavamesoûler,cetteinauguration.Monmeilleurpotetientunstanddeflashtattoodanscelieuéphémèreinstallésurunanciensiteindustriel,ausuddelaville:lePaint. Dans le hall réservé aux tatoueurs, la musique afrobeat mise à fondcohabitemalavecmagueuledebois.

–Wow.Qu’est-cequit’arrive?T’espasrentrécheztoidepuistroisjoursouquoi?T’asdormisouslesponts?medemandeShawnlorsqu’ilmevoitarriver.

Ilestentraindetatouerledosd’unejolieblondeétenduesursonfauteuiletquiaffichecetairmi-grimaçantmi-extatiquequeprocureletatouage.

–C’estàpeuprèsça,ouais,jegrogne.–Laisse-moideviner,demandelablonde.Problèmedecœur?–Disonsquejusqu’àvendredisoir,j’enavais.Maintenant,jen’aimêmeplus

decœur.Tuveuxt’yfrotter?ajouté-jeavecunsourirefaussementengageant.–Onnedraguepas lesclientes, rétorqueShawn.Lily, ignorececon,s’il te

plaît,ilneteméritepas.–Ilaraison,confirmé-je.T’asdelabière,Shawn?–Sers-toidanslefrigoàl’entrée.Siontedemande,t’esavecmoi.–OK.Tutatouesjusqu’àquelleheure?–Dix-huitheures.–Jevaisfaireuntourenattendant,jesoupire.–Neratepasl’expo,meconseillemonmeilleurpote.Ellevautlecoupd’œil.

Jequittelestanddeflashtattooetcommenceàdéambulerdanscedrôledelieu,rempliaussibiendehipstersquedepunks,deridersetdequeers.

Normalement,jedevraiskiffercegenred’ambiance.Ilfaitbeau,c’estlafête,lesgenssontbourrésalorsqu’iln’estmêmepasseizeheures…Maisjemesens

malcommejamais.Parcequej’aibeauessayerdedonnerlechange,jesaisquecettefois,c’estbienfini.Çaauradurétroisouquatremois,troisouquatremoisde galères, de prises de tête, de souffrances inutiles, mais Fire s’est montréeenfinparfaitementclaire:elleneveutpasdemoi,elleveutuneidéedemoi.Unmecqu’ellepeutchangeràsaguise,rebellemaispastrop,dangereuxmaispastrop…Unputaindemec issud’uneputaindefictiondébile.Maismoi, jesuisréel.J’aimesdéfauts.J’aimesdémons.J’aichangéautantquejelepouvaispourelle.J’aichamboulémonunivers,jel’aiprésentéeàmafamille,jel’aiemmenéeà la cabane, j’ai été clair sur le fait que je ne voulais plus être avec personned’autrequ’elle…

Maisjenepeuxpasrenonceràcesaut.

Nipourelle,nipourpersonne.Leskate,c’est toutemavie.Detoutefaçon,mêmesijevoulaisrevenirenarrière,lemotadéjàcommencéàcirculerquejefaisais ce saut dans deux jours. Les sponsors se sont réunis, ils ont fourni dumatériel,trouvéuncréneaudediffusion…J’aimêmeconfirméeninterviewquej’allaislefaire.Lesgensvontcroirequejemedégonflesijefaismarchearrièremaintenant.Etpuiscen’estmêmepasleproblème!Leproblème,c’estqu’ellene me comprend pas. OK, je n’aurais pas dû lui cacher mon projet, maispourquoiest-cequ’ellenevoitpasqueleskate,putain…c’estlaseulechosequimedélivredelapesanteurdecettefoutueexistence!

Ma canette de bière déjà à demi-vide etmoitié cabossée dansmamain, jecommenceàdéambuler.Sousunpréaua étémontéeune scène sur laquelle larappeuse Nova Rockafeller défend son nouveau projet. Je reste pour deuxmorceauxavantdereprendremonexploration.Unpeuplusloinaétéinstalléunmurdelibreexpression,déjàcouvertdegraffs.Avecunsourireencoin,jesorsunmarqueurdelapocheintérieuredemoncuiretdessineuncœur,dotédebraset de jambes, qui tient un flingue contre sa tempe. Un graffiti idiot, pourmedéfouler,quiexprimeexactementcequejeressens.

–Sacréeœuvre,commenteunenanaensepostantàcôtédemoi, lesmainsdansledos.

Je me tourne vers elle. Vingt-sept ou vingt-huit ans, petite, auburn, latina.D’immensesyeuxverts.

–J’aiundonpourledessinhumoristique.–Jevoisça.Jesuiscertainequ’ondoitbiensemarreravectoi,ironise-t-elle

avantdemetendrelamainetd’ajouter:moic’estEve.–Aaron,répliqué-je.–…Heller,jesais,complète-t-elle.Monexétaitdinguedesportsdeglisse.Il

m’amontrétesvidéosdescentainesdefois.–Désolé.J’imaginequec’estcausedeçaquetul’asplaqué?–Tuveuxrire?Surlafin,lefaitdepenseràtoientrainderiderétaitlaseule

chosequiarrivaitàmemotiveràcoucheraveclui!

J’éclatederire.Cettefillen’apasfroidauxyeuxetaumoins,elleestclaire.C’estuntrucquejerespecteetadmirechezlesgens.

–Jepeuxtepayerunverre?mepropose-t-elle.–J’enaidéjàun,merci,jerépondsenmontrantmacanette.–Alorsjepeuxteproposerdetefairevisiterl’expo?–Tuesguidetouristique?jesourisencoin.–Raté:jesuisl’unedesartistesexposées.C’estpourçaquej’aitoutdesuite

reconnutontalent,mecharrie-t-elle.Entregénies,onsecomprend.

J’hésite avant d’accepter sa proposition. Mais quitte à être là, autant voirl’expo. Et quitte à voir l’expo, autant que ce soit accompagné de l’une desartistes,surtoutsielleestsexyetqu’elleadelarepartie.

SurtoutsiavecFire,c’estfini.

Ilesttempsdepasseràautrechose.

Etjecroisquejesuisenfinprêt.

Eveme fait déambulerparmi lesœuvres en les analysant avantde s’arrêterdevant une de ses peintures. Elle commence à m’expliquer son travail :l’influencedugraffiti,delapenséepostcoloniale,desartsfolkloriques…

–Maistoutça,c’estjustedublablad’intello.Cequimebranche,enréalité,c’est sentir lemouvement.Peindre,parfois, c’est commebaiser.Ta toile, c’estl’autre.Tesmains,tonpinceau,c’esttafaçondeluidonnerduplaisir.

– Et les couleurs, ça représente quoi alors ? demande une voix sarcastique

derrièrenous.Lesdifférentsparfumsdecapotes?

JemeretourneetmeretrouveàfairefaceàLukas,accompagnéd’unmecquejen’aijamaisvuavant.

–Eve,jeteprésenteLukas,undemesplusvieuxpotes,jedéclareenessayantd’oublieràquelpointLukasmegonfleàcetinstant.

MonamimefusilleduregardsansmêmerendreàEvelepetitsalutqu’elleluifait.

– Et moi c’est Dane, ajoute l’autre mec en nous serrant la main. Je suisétudiantenarts,commeLukas.

– Hell, je peux te parler deuxminutes ? demandemon pote en se foutantvisiblementdecequepeuventpenserEveet sonpoteDanedesonattitudedemerde.

–Qu’est-cequetuveux?jegrogneenl’entraînantàpart.Jecroyaisquetoutétaitcoolentrenous.

–Ouaisbenjustement:toutestcooldoncjepeuxtedirequandtudéconnesàpleinstubes,pasvrai?Parcequelà,àmonavis,t’esentraindefaireuneénormeconnerie.

–Putain,jefaisrien!Jeparleàunemeuf,merde!J’aiencoreledroitdefaireçaoujesuiscensésortiravecunelaisseetuncollieràmonnom?

– Tu ne parles pas, crache Lukas à voix basse, tu dragues cette espace depouffearty…

–D’une,ellen’ariend’unepouffeetdedeux,c’estellequimedrague.Et,ouais,jerentredanssonjeu,parcequ’elleestdrôle,etsympa,etséduisante.Jesuiscenséfairequoi?MecouperlescouillesetlesenvoyeràFire?J’imaginequesi tumesoûles,c’estqu’elle t’a racontécequi s’étaitpassévendredi soir,non?C’estfini,avecelle,mec.J’enaifiniavecelle.

Montonestdur.Monregard,furieux.Maisputain,c’estaffreuxdedireçaàvoixhaute.C’estcommem’enfoncerdeslamessouslesongles,souslapeau.Çamedéchirelecœur.

– Regarde-toi, ironise Lukas. T’es une épave, tu sens la bière, t’asprobablementpasdessoûlédepuistroisjours…Tucroistromperqui,Hell?TuasKimdanslapeau.Jelesais,tulesais,ellelesait.Maissitubaisesavecune

autre,tuvasdéfinitivementtoutfoutreenl’air!–Maisfoutrequoienl’air?C’estdéjàniqué,entrenous!jem’emporte.Etsi

ellenel’apascompris,alorsc’estqu’elleplane!–C’esttoiquiplanessitucroisquejevaistelaissertesabordersurcecoup,

Hell!s’énerveLukasàsontour.Parcequevousêtesmesdeuxmeilleurspotes!Etjevoisbiendansquelétatt’es!Dansquelétatelleest!

Pourlapremièrefoisdepuisvendredi, j’imagineKim.Jel’imagineressentirne serait-ce qu’un quart de la douleur que je ressens. Et ça, çame déchire lebide. Je peux gérer la souffrance, j’ai l’habitude. Mais je ne supporte pasd’imaginerqu’elleamal–surtoutaprèscequ’elleavécu,cequ’elles’est faitsubir à elle-même. Je l’imagine se couper. Je l’imagine sombrer. Et je n’aiqu’uneseuleenvie,d’uncoup:l’appelerpourm’assurerqu’ellevabien.Mêmesijesaisqueçaneferaquenousremettredansunfoutucycledestructeur,unebouclequinemèneàrien.

Putain,jelahais.Jelahaisd’avoircetteemprisesurmoi.

Jesuisfurieuxcontreelle,contremoi-même,contrelaterreentière!Jen’aijamaisdemandéça,moi!

– Tu sais quoi, Lukas ? déclaré-je en ayant conscience d’être injuste. Sijamaislebien-êtredeKimt’importetantqueça,tun’asqu’àlaconsoler!Aprèstout,c’estbiencequetuveux,non,aufond?Depuislepremierjour?

Sansluilaisserletempsderépondre,jefaisdemi-touretretournevoirEveetl’étudiantenart,quidiscutentensemble.

–J’aibesoindechangerd’air,là,jedéclare.Jemecasse.–Pouralleroù?demandeEve.–N’importeoù.–Attends,jet’accompagne.–Tuessûre?Tun’espasobligéederesterparrapportàtonexpo?–Non,pasdesouci.Jen’auraiqu’àrepasserenfindejournéefaireactede

présencemaislà,ilestencoretôt.–OKça roule, je fais en luiprenant lamainpour l’entraînervers la sortie.

Ciao,Danny.– Dane, me corrige le pote de Lukas alors que ce dernier, resté en retrait,

m’interpelle.–NefaispasçaHell!C’estuneconnerieettulesais.

Maisjenel’écoutepas:jem’arrachedelà,Eveàmasuite.

***

–Cen’estpasaussigénialquecequ’onimagine,préciseEveensortantdeuxnouvellesbièresdesonfrigo.OK,c’estvraiquel’avantagedevivredansmonatelier,c’estquejepeuxbosserdèsquel’inspirationmevient.J’ail’impressiond’être…enprisedirecteavecmonart.Totalementlibredecréer.

–Jenevoispastropoùestleproblème,alors,jerépliqueendécapsulantlesbouteilles avecmon briquet. En plus, ton espace est génial. T’as une lumièreincroyable,jefaisenlevantlesyeuxverslaverrière.

–Ouaismaiscethiver,jepeuxt’assurerquej’aigelémalgrémonpyjamaenpilou,rit-elle.Etpuisquec’esttoujourslebordel:lieudevie,lieudefête,lieudecréation,çasignifietroisfoisplusdeménage.Sanscompter,ajoute-t-elleenserapprochantd’unedémarchefélinedemoi,quejemetsdelapeinturepartout.Surlesdraps,mesvêtements.Surmoi…

Ellesehissesurlapointedespiedspourm’embrasser,j’entrouvrelaboucheprêt à me laisser faire, mais au moment où je sens ses lèvres, je redescendscomplètement.C’estundétailcon:ellessontpluspleinesetmoinsdoucesquecelles de Fire.Même les yeux fermés, et même si je n’ai fait qu’effleurer sabouche,ladifférenceestflagrante.Jetournelatêtesurlecôtépourcoupercourtà cebaiser et laisseéchapperun rirenerveux : jenepeuxpas faire ça.MêmequandFiremebalancepourunrien,meditqu’ellemetrouvestupide,essaiedechangercequejeveuxlemoinschangerchezmoi,jenepeuxpasêtreavecuneautre,mêmesicetteautremeplaît.Neveut riendemoiàpartducul.Sembleaussilibrequemoi.

–Excuse-moi,Eve,commencé-jeàmejustifier,cen’estpastoi…– Je sais, me rassure-t-elle en frottant mon bras. J’ai bien compris, vu les

bribesdeconversationquej’aientenduestoutàl’heure,qu’ilyavaituneautrenana.Tuveuxenparler?

–Sijeveuxenparler?jesourisdouloureusement.Non.Jevaistedirecequeje voudrais : te soulever, te poser sur ce comptoir, et te baiser jusqu’à toutoublier.Lesouci,c’estquejen’yarrivepas.

–Parcequetuestriste,devine-t-ellejustement.–Ouais,jefaisenravalantunegorgéedebière.Jesuisputaindetriste.

Je vais me poster à une des fenêtres qui donne sur la cour intérieure del’immeuble. Jeposemon front contre lavitre et regarde enbas lesgossesquijouent.

–Qu’est-cequ’ellet’afait,cettefille?medemandeEve.–Elle?

Jemeretourne.

–Ellen’arienfaitdutout.Àpartmedemanderl’impossible,ricané-je,maisbon,j’aiunepréférencepourlesfillesexigeantes.

–Alorsqu’est-cequiterendtriste?–Devoirqu’entreelleetmoi,touts’estpassécommejel’avaispréditdèsle

départ, je soupire. Je savais que je n’étais pas fait pour être avec quelqu’un.C’esttoutmoi:jepeuxsortiravecunefilledifférentechaquejourmaispasêtreaveccellequej’aim…

Jem’arrêtejusteàtemps.Justeavantdeledire.Ensentantmoncœurpartiràtouteallure.Enmedemandantcequec’estquecesconneries.Sic’estvrai,sijelepense.

Ehnon,jenelepensepas.

C’estpirequeça:jeleressens.Etçamefaitunchoc,uneputaindedouchefroide.Jemepétrifie.Puismoncœurs’emballeetmesyeuxs’écarquillent.

–Quoi? ritEvedevantmagueuled’ahuri.Tuesundecesmecs incapabled’employerleverbe«aimer»,c’estça?

–Tunecomprendspas,jefaisenlaregardant,interloquéensecouantlatête.Jene…Jenevoulaispas…Enfin,jeveuxdire:jenel’aijamaisditavant…

–Quoi?s’offusqueEve.Tun’asjamaisdit«jet’aime»àcettefille?–Jenel’aijamaisditàpersonne,j’avouesouslechoc.– Et tu allaisme le dire àmoi, une inconnue qui veut visiblement t’attirer

dans son lit, avant de l’avertir elle ? Nonmais lesmecs… semoque Eve enlevantlesyeuxauciel.

–Putain,qu’est-cequejefais?jemedemandeenmepassantnerveusementlamaindanslescheveux.Qu’est-cequejefais?

–Cequetufais?Tucoursjusqu’àchezellecommesit’étaiscefoutuJohnCusackdansUnmondepournous,voilàcequetufais!Tufoncesjusqu’àchezellepourluichanterunesérénades’illefaut!Etsilemondedoits’effondrer,sivousdevezêtremauditsetnepasréussiràêtreensemble,aumoins,toi,tuaurasfaitcequetuavaisàfaire!Cequetufais,Aaron?répèteEve,l’œilbrillant,enavançant versmoi pour prendremon visage entre sesmains. Tu te comportescommeunhomme.Tuprendslerisquequetoncœursoitbrisé.Parcequecrois-moi:uncœur,mêmebrisé,c’estlaseulechosequinousrendvivant.

Elleprononcecesmots,etçamefaitl’effetd’uneillumination:Evearaison.SurlefaitqueFiremerendvivant.OK,ellemerendaussicinglé,etmalheureuxparfois,maisjel’aime,commeunmalade.Alorsçanechangepeut-êtrerien,çane nous aidera peut-être pas à être ensemble,mais çame semble tout à coupabsurdequ’ellenelesachepas.

Précipitamment, j’embrasse Eve sur la joue, fonce vers le fauteuil où j’ailaissémonPerfecto,quej’enfileencourantverslaporte.J’ouvre,commenceàsortir,m’interromps,meretourne.

–Eve,putain,jenepeuxpasconduire:jesuistropbourré.–Prendsmonvélo,m’intime-t-elle enme lançant les clefs de son cadenas.

C’estledoréattachédanslehalld’entrée.Etsijamaistul’abîmes…–Jet’enpaieunautre,juré,jeprometsenfonçantverssaporte.

Puisjemefige,faisdemi-tour,laprendsdansmesbrasetlaserre.Jeréaliselachancequej’aieuedetombersurelleetpassurunepétassesanscervelle.EllearéussiàmefaireenfincomprendrecequeShawn,Lukas,toutlemondevoulaitque je voie. Et maintenant que j’ai compris, vraiment compris, je peux enfinarrêterdefairedelamerde.JepeuxenfindireàFirequeçavautlecoupqu’onse batte, même l’un contre l’autre, si jamais elle est d’accord. Si jamais ellem’aimeaussi.

–Jecroisquetuviensdechangermavie,Eve.–Heureused’avoirpurendreservice,sourit-elleenmerendantmonétreinte.

Etmaintenant,file.

J’obéis sans me faire prier, quitte son appartement et me rue dans lesescaliers.Jecroisl’entendremecrierquelquechose,auloin,maisjenedistinguepassesparoles.Jen’entendsplusrienàpartlesbattementsdemoncœur.

***

Lorsque j’arrive sur le campus, il est vingt heures. Le vélo d’Eve, avec saselletropbasse,m’abienfaitgalérer.Pasexactementlechevalblancsurlequeldevraitdébarquer lePrinceCharmant,mais jem’en fous.Eveavait raison : lemondepeutbiens’écouler,jepeuxbienavoirlecœurbrisé,toutcequicomptec’estqueFiresachecequej’éprouvepourelle.Àquelpointc’estfort.

Jecourssansréfléchirjusqu’àsachambreetarriveessoufflé.Jetambourineàla porte en appelant son nom. Sauf que ce n’est pas Kim qui m’ouvre maisShelby.Jeremarquetoutdesuitesestraitstirés.Ellelèvelatêteversmoienmefaisantsignedemetaireetsortdanslecouloirplutôtquedemelaisserentrer.

–Faismoinsdebruit,Hell,merde.Ellevientàpeinedes’endormir…–Qui?Kim?Àcetteheure-ci?jem’étonne.Qu’est-cequ’ellea?Elleest

malade?

Shelby semble hésitante. Elle croise les bras. Son expression et sa posturesontcrispées.

– C’est quoi, ton projet, avec elle, Hell ?me demande-t-elle à voix basse,méfiante.Parcequedepuisquevousêtesensemble,c’estlesmontagnesrusses–etjenecroispasqu’elleaitlecœurassezaccrochépourça.

– Putain, Shelby, je sais, réponds-je en chuchotant. Je sais que j’ai merdégravement,etpleindefois,etqueFireetmoiensembleçan’ariendefacilenid’évident,maisj’aibesoinde…

–Etelle,elleabesoindequoi,àtonavis?mecoupeShelbyénervée.Tuyasdéjàpensé?

–J’arrêtepasd’ypenser,Shelb’,avoué-jeenmepassantlamainsurlafigureetenm’adossantaumurducouloir.Jepenseàelle,jepenseàmoi,jemedisquec’est mieux d’arrêter, et la seconde d’après je me dis que c’est un putaind’énormegâchis…Écoute,jeneveuxpasluifairedemal.Maisj’aiunechoseàluidire,c’estimportant.

–Etaprès,tut’eniras?

–Sielleleveut,jem’enirai,promets-je.–Etsielleneleveutpas?Sielleabesoindetoi?Tuseraslàpourelle,outu

vasencoreluibriserlecœur?Parceque–savoixsebrise–jem’inquiètepourelle,Aaron.Etjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourlaprotéger.

Une nouvelle fois, je pense à ce que Fire m’a dit à la cabane. Sur sescoupures.Etsoudain,lapeurqu’ellesesoitfaitdumalàcausedemoimecollelanausée.

–Qu’est-cequisepasse, il luiestarrivéquelquechose? jepanique.Parle-moi,Shelb’.

Sacolochésiteuninstantavantdemerépondre:

–Jenesaispasvraimentcequ’illuiestarrivé…Onétaittouteunebande,onacroisécegarset…etensuite,Kimavomi.Surlecoup,j’aicruquec’étaitlesurmenage,lestressdecequis’estpasséentrevous,alorsjel’aireconduiteicipourlamettreaulitavecunebouillottemais…Maisdèsquej’aifermélaporteetqu’onaétéseules,elles’estmiseàtrembler,àpleurer,àgémir…Etjetejure,Aaron:onauraitditunanimal.

–Ungars?jedemandeaveccettefoislesangquibatdansmestempes.Quelgars?

–Jenesaispas…Ungrandblond,avecunblousondesGoldenBears. Ilaparlédefootball…Etj’aientendusespotesl’appelerGardner.Iladit…Ilavaitl’airde la connaître.De là-bas,deSylvanLake.Hell, ajoute-t-elle, je… jevisavecKimdepuisseptmoismaintenantet…jenesaispassijedevraistedireçamais jecroisqu’il s’estpasséquelquechosedans leMichigan.Quelquechosequi fait que…qui fait qu’elle a encore des cauchemars la nuit. Je ne sais pasquoi, mais je pense que ça a un rapport avec ce gars. Et maintenant, je medemandesiçan’apasaussiunrapportaveccesmenacesqueKimareçues…

–Lesmenaces?Quellesmenaces?

Jemesensdeplusenplusbizarre.Pasjusteinquietmais…malàl’aise.Avecunevagueenviedegerber.Commesimoninstinctmecriaitquelquechosemaisquejen’arrivaispasàl’entendre.Commesij’avaisuneidéedecequisepassemaisque,dèsquej’essayaisdemeconcentrerdessus,elles’évaporait.

– Tu sais : ce poème et cette photo qu’on a mis sur le dos des groupes

masculinistes…–Shelby,bordel,dequoituparles?

Shelbyhésiteuninstantavantdecraqueretdetoutmeraconter.Etbiensûr,quand jedécouvrequeFireagardépleindesecrets,notamment lesproblèmesqu’elleaeusavecuneorganisationquisefaitappelerlaVraieÉgalité,unepartdemoiluienveutpourça;unepartdemoiestblesséeettrouvehypocritesonsensrelatifdel’honnêteté.Maisencetinstant,jem’enfous.

–Tupensesquece«Gardner»estl’undesgarsquil’aharcelée?– Je pense surtout que ce harcèlement n’avait peut-être rien à voir avec la

VraieÉgalité.–Tuluiasposédesquestions?–J’aiessayé,maisellepleuraittellementmalgréleValiumquejeluiaidonné

quandonestrentréesàlachambre…Certes,çal’acalmée,maisellecontinuaitquandmêmeàsangloterensilence.Jecroisbienque…Merde,Hell,jen’avaisjamais vu autant de larmes de ma vie. Je ne savais même pas que c’étaitpossible!Elleavaitl’aird’avoirmalpartout,sonvisageétait…jenesaispas…toutconvulsé…Çafaisaitmalaucœur.Jeluiaifiléundessomnifèresqu’elleprend parfois pour ses cauchemars. Je me suis dit qu’il valait mieux qu’elledormeprofondément…

–Trèsbien,jedéclareenmedirigeantverslaportedelachambre.Est-cequevousavezunecouvertureenpluspourcettenuit?

8.Nevada

Kim

Lorsquej’ouvrelesyeuxspontanément,ilestseptheuresquarante-cinq.C’estdumoinscequ’indiqueleréveildeShelbyquiclignotesursatabledechevet.

Bonsang,j’aivraimentdormiprèsdedouzeheures?

Difficileàcroire,vucombienjemesensvaseuse.J’aiuneaffreusemigraine,lesyeuxtoutcollésparleseletgonfléscommedeballesdeping-pong.Toutesmes articulations me font mal, comme si une voiture m’avait renversée. Mavision s’habituant peu à peu à l’obscurité, je remarque que le lit de macolocataire est vide. Shelby a dû aller petit-déjeuner. Je me redresse… etsursauteendécouvrantunesilhouettemassiveallongéeparterre.Unesilhouetted’homme.J’ouvrelaboucheetpousseunhurlementdeterreur,nesachantpassijesuisprisonnièred’undemescauchemarsous’ilyaunintrusdanslachambre.

–Fire!Fire!crieAaronàsontourensursautant.Firec’estmoi…–Hell…Bordel… fais-je en portant la main à mon cœur qui a bien failli

lâcher.Qu’est-cequetufaisici?– Je suis passé hier en début de soirée pour te parler, tu dormais déjà.

Shelby…Ellem’aditquetuavaisprisunsomnifère,quelajournéeavaitététrèsdurepourtoi.Alorsj’aidécidéd’attendrequetuteréveilles…

Shelby,qu’est-cequetuluiasraconté?

Avoir piqué une crise de nerfs devant elle est déjà assez humiliant. Pirequ’humiliant,même:mortifiant.Jen’aipasnonplusbesoinqu’elleleraconteàHell!Qu’ilsache…

…àquelpointjesuiscinglée.

Qu’aumoins,onmelaissecettedignité-là.Aprèstout,maintenantqu’ilm’a

plaquée,iln’apasbesoindesavoirquejesuisdérangée.

–Tuvoulaismeparlerdequoi?demandé-jeaveclassitude.Parcequeje tepréviens,jen’aipluslaforcenil’enviedemebattreavectoi.

–Jen’enaiplusenvienonplus,Fire,jetel’assure…–Sic’estvrai,alorsj’imaginequetuasrenoncéàcettecascade?nepuis-je

m’empêcherdeleprovoquer.

Foutuedouleur.Quifaitquemêmesijedonneraistoutpourtoutarranger,jenepeuxpasm’empêcherdetoutempirer.

–Non, admet-il en baissant les yeux, c’est toujours prévu.On part pour leCanyondemain, les ouvriers sont déjà là-bas en traindemonter la rampe.Ontournerauneheureavantlecoucherdusoleil.

–Alorsdanscecas,onenestaumêmepointquevendredietjen’aijen’airienàtedire,répliqué-je,mêmeplusagressive,seulementfatiguée.

–Tun’as rienàdire, trèsbien,maisécoute-moi, s’il teplaît !me lance-t-ilavecfougueens’approchantdemoi.C’esttoutcequejetedemande!

Jereculed’unpaspournepasqu’ilmetouche.Pournepassentirsesmainsviriles, sa peau veloutée, son odeur qui m’aimante et qui ferait fondre marésolution.Jedoismeprotégerdecequejeressenspourlui.Jecroisesonregardcommeoncroiselefer.Sesyeuxpleinsdesupplicationsaveclesmienspleinsdelarmes.Biensûrquej’aienviedel’écouter!Deprolongersaprésenceiciàmescôtés par n’importe quelmoyen…Mais je ne peux plus. Je ne peux plusmeretrouverdévastéeàchaquefoisqu’ils’enva.

– Je ne peux pas t’écouter parce qu’il y aura toujours quelque chose !merévolté-je. Il y aura toujours le risque que le cancer revienne, ou un record àbattre…Quelquechosequitemaintientloindemoi!

–Situvoulaisseulement…

Jelecoupe.Jen’aipasfini.Etildoitentendrecequej’aiàluidire!

–Tafaçondeflirteraveclamorttedonneuneexcusepournepast’engager,Hell !Pournepascompter surquelqu’unet courir le risqued’être abandonnécommetonpèret’aabandonné!

Ilsedécompose.Uneétincelledecolèrepassedanssesyeux.

–Tunesaismêmepasdequoituparles,rétorque-t-ild’untonsec.– Tu crois ? Ton père a attendu que tu sois guéri pour partir et depuis, tu

t’imaginesquelesgenschoisissentdetelaissertomberquandtoutvabien.C’estpourçaquetufaisensortederendretoutaussi…précaire!Aussicompliqué!

Cette fois, il fulmine. Ses muscles sont tendus par la rage. Son regard estpassédubronzeaunoir.

– Et toi, tu n’es pas compliquée, peut-être ? Avec tes cauchemars, tonautomutilation, tousces trucsdont tupeuxàpeinemeparler…!Tucroisquemoi,jefaisensortequ’ons’inquiètepourmoi?Jetesignalequec’estàtonsujetqueShelbyestmaladed’angoisse!Bonsang:jesuismaladed’angoisse!Ceslettresdemenacesquetuasreçues…Commentçasefaitquemoi,tonpetitami,jen’enaiemêmepasentenduparler?Tuesalléevoirlapolice,aumoins?Oulasécuritéducampus?

– Qui… Qui t’a parlé de ces menaces ? demandé-je abasourdie, sur ladéfensive,effrayéesoudainàl’idéedecequ’ilsait.

–Àtonavis?C’estShelby,parcequ’ellesupposaitquej’étaisaucourant!–Jenet’enaipasparléparcequequandçaacommencé,tun’étaispaslà,et

que depuis la soiréeMortelle Saint-Valentin, je n’en ai plus reçu aucune, mejustifié-je.

–Làn’estpaslaquestion!Leproblème,c’estquetoiaussi,tumerepousses,tumecachesdeschoses, tu tefermesà lamoindreoccasion!Si jen’étaispasvenu hier, si je n’avais pas croisé Shelby, jamais je n’aurais appris pour cesmenacesetpourcefameux«Gardner»…

J’aisoudaintrèspeurdecequis’estpassédurantcesdouzedernièresheures.Visiblement,Shelbyenabientropdit.Sepourrait-ilqu’àcaused’elle,HellsoitpartiàlarecherchedeLiamGardnerpouravoiruneexplication?Est-cequ’ilssesontparlé?

–Hell,qu’est-cequetusaissurLiam?luidemandé-jesansréussiràcachermonangoisse.

–Rien,jenesaisriendecemec!Justequequandtulecroises,tuvomisetmanquesdet’évanouiravantdepéteruneduriteaupointoùShelbydoittegaverdemédicamentsetsedemandesiondevraitprévenirtafamilleoulesurgences

psychiatriques!Ettusaisquoi?Jenesaisriendetoinonplus,àpartquelanuit,quelquechosetehante!Jecroisquet’asunsecret,Fire,unsecrethorrible!Etlavérité,c’estqueçat’arrangedemerepousserconstammentparcequecommeça,tun’aspasàt’ouvrir!

Il ne se rend pas compte à quel point ce qu’il dit est faux ! Parce que j’aiessayé, j’ai essayé tellement fort, dem’ouvrir ! Et je n’y suis sans doute pasarrivée.Maisjel’aivraimentvoulu!

–Jem’ouvreàtoi,sangloté-jeavecunsentimentd’injusticeetdedésespoir.Je m’ouvre à toi à chaque fois que je te caresse, à chaque fois qu’on faitl’amour!Jen’aijamaisétéautantmoi-mêmequ’avectoi!Jesuisentièreavectoi!

–Tucroisquec’estdeçaqu’ils’agit?hurle-t-il.Desexe?Putainmaistunevoispasquej’aibesoindeplusqueça,debienplusqueça,merde?Tunevoispasqueje…

–Quetuquoi?demandé-jelecœurbattant.–Non,secoue-t-illatête,pasquestion.Tunepeuxpasneriendonnerdeton

côté,etespérerquemoi,enface,je…

J’attendsmaisillaissesaphraseensuspens.

–Jenetedonnepas«rien»,Aaron,pleuré-jedeplusbelle.Situsavais…Situ savais tout ce que… je donne…Tout ce que… j’arrive… à te donner… àtoi…

Jehoquettedefaçonincontrôlable.Pourquoiest-cequetoutcequ’onan’estpasassezpourlui?Pourquoiveut-ilforcémentplus,commesemettreendangerouconnaîtreun secretquidétruiraitpourdebon l’imagequ’il ademoi?S’ilsavait…Ilnepourraitplusmetoucher.Plusm’embrasser.Plusmeregarder.

Maisilnepeutpassavoir.

Personnenedétient lavérité sur cequi s’estpassécettenuit-là.NiWill,niJason,niChase,niKyle,niLiam,niCamilia,niTess,niRobin.

Pasmêmemoi.

–Parle-moi,Fire.Situmeparles…j’annuleraicesaut,cède-t-ilfinalement.

Maisj’aibesoind’unepreuve.Dequelquechosequimedisequetoietmoi,çavautlecoup.

–Tunecomprendspas!explosé-je,déchiréeparledésespoir,horsdemoi.Jene le peux pas, Aaron ! Je ne le peux littéralementpas ! Alors laisse tomber,OK?Arrêtedemeharceleravecça!

Jeregretteimmédiatement,maistroptard:ilreculed’unpas,choquéavantdeme regarder en secouant la tête, comme si j’étais un cas désespéré. Un caspsychiatrique.

–Tuvois?J’avaisraison,déclare-t-ilfinalement.C’esttoiquirefusesnotrerelation,Kim,pasmoi.Moi,j’étaisprêt.

Moncœurvoleenéclatsenentendantcesmots.

–«Étais»?répété-jed’unevoixtremblante.–Jenepeuxpasm’ouvrircommeçapourquelqu’unquiexigequejechange

maisquimerepoussesanscesse,déclare-t-ilenbaissant lesyeuxpourneplusvoirlesmiens.Çanemarchepas,Kim.

–Aaron,s’ilteplaît…gémis-jeenagrippantlecoldesonPerfecto.

Maisilsedégage,m’embrassefurtivementsurlefront.

–Prendssoindetoi,déclare-t-ilavantd’avancerverslaporte.

Je reste paralysée par la panique, par la douleur, en cherchant ce que jepourrais dire, ce que je pourrais faire pour le retenir, pour le détromper, pourqu’il sache que j’ai besoin de lui. En désespoir de cause, je me retourne, laboucheouverte,prêteàluidirequej’aibesoindelui,quejenevaispasyarriver,qu’ilnepeutpasmelaissermaintenant…Mais troptard : ilestparti.Neresterienqu’uneporteouvertesursonabsence.

***

Après mon cours sur les racines de la civilisation occidentale, je rentrem’écroulerdansmachambre.Jesuiseffondrée.Effondréepar lavisitedeHellcematin.Parlaconscienceécrasantequecettefois,toutcequis’estpasséestdemafaute.Àprésent,nosaffrontementsmesemblentabsurdes.Qu’importequ’ilaitvoulufairecesaut?Etqu’importequ’ilaitétéprêtàyrenoncerpourmoi?Il

voulaitdemoilaseulechosequejenesuispascapabledeluidonner:lavérité.

Laclefdecellequejesuisaujourd’hui.

Lasimple idéedeLiamGardnersur lecampusmerendmaladed’angoisse.Sa simple présence. Ça veut dire que Shelby, Lukas, Megan, peuvent à toutmomentdécouvrircequ’ilsait.EntendresaversionduMemorialDay.

Lecauchemarquej’aivécuàSylvanLakepourraitbienrecommencer.

Cettefois,jen’auraispaslaforced’affronterlesrumeurs,lesregardsenbiais,l’hostilitédesgens. Jen’auraispas la forcedeperdrecesamis–mesamis. Jen’auraispaslaforcedechangerànouveaudeville,detoutrecommencer.

J’encrèverais.

Je le sais. Jeme souviens de comment c’était.Comme le besoin demourirétait un trou noir au fond demon âme,m’aspirant vers le fond. Et je luttais,luttais pour ne pas céder à l’envie deme foutre en l’air. Je regardais chaquelame, chaque corde, chaque tubedemédicament dont se gavaitmamèrepoursupportercequis’étaitpassé,enmedisant:

–Vas-yKim,finis-en…

Ilauraitétéfaciled’écoutercettevoix.Leplusdur,c’étaitdel’ignorer, jouraprèsjour.Çam’ademandéuneforcededingue.Çam’ademandédemecouperpour détourner mon attention, pour me focaliser sur une autre douleur. Ça aépuisé toutes mes ressources. Je n’en ai plus aucune pour résister. Si cecauchemarrecommençait…

Valium.IlmefautundesValiumdeShelby.

J’aivuhieroùelle lesrangeait.Jesaisquec’estmalmais jevaismeservirdans le tube qu’elle garde dans sa boîte à bijoux. C’est la seule façon dem’assurerquejenevaispascraquer.

Aumomentoùj’avale lecomprimé, jemesensdéjàmieux.C’estpurementpsychologique mais le Valium est un garde-fou. Je sais que pour ce soir aumoins, il m’empêchera de me faire du mal. Puis je me rends sur Internet et

googlisemon nom, le nom deLiam et deChaseGardner, pour voir ce qu’ontrouveenlignesur l’accident.Lebureauduprocureurdel’ÉtatduMichiganabien fait son boulot : Chase et moi étions mineurs, nos noms n’ont pas étédévoilés.Çam’enlèveunpeudupoidsécrasantquireposesurmesépaules.Sansme soucier de mon compte en banque comme toujours dans le rouge, jecommandeunepizza etmemets à réfléchir àquelle série jepourrais regardermaisaucunrésuménemefaitenvie.Jesurfeenvainsurmonordinateur,sansme décider, au point que j’y suis encore après le passage du livreur. En fondsonore,j’aimislalistedeschansonsquimefontpenseràHell–TheMessageentête,maisaussiBuryMeAlive,sur laquelleonavaitdanséauRollerDisco,ouencoreHurtdeNineInchNails,qu’ilm’achantéel’autrejour.

–Tufaisquoi?medemandeShelby,inquiètedemevoirgeekerdanslenoirquandellerentreàvingtetuneheures.

Je me contente de hausser les épaules. Précautionneusement, ma colocs’assiedsursonlit,dontj’airemislacouetteenplace.Ellesedéchausse.

–J’aiquelquechosequimarchetoujoursdanscescas-là,medit-elleensuiteensemassantlespieds.C’estmonpetittrucàmoi.Monpetittruchonteux.Tuveuxsavoircequec’est?

Leregardpleind’espoir,j’acquiesce.

–Avantdete leconfier, jedoisd’abordsavoir : tuasuntruccontreRobertPattinson?

Et c’est comme ça que jeme retrouve, anesthésiée par leValium, dans lesbras de ma coloc, allongée sur son lit, à regarder la saga Twilight pour lapremièrefoisdepuisl'âgede10ans.Et,quelquepartaudébutdutroisièmefilm,jem’endorsépuiséedanslesbrasdeShelby.

***

Lorsque jeme réveille le lendemain,macolocn’estplus là. Il estdéjàhuitheurestrenteet j’airatémoncoursdelangagephoto,cequinevapasplaireàPrice.Monlitestdéfait:j’endéduisqueShelb’adormidedanscettenuitpourme laisser lesien.Moncœurseserre.Qu’est-ceque jevaisbienpouvoir faire

aujourd’hui?Rien.Jen’ailecœuràrien.

Parréflexe,j’attrapemonportable,laissésurlatabledenuitdeShelb’.C’estalorsquejelavois.Lanotificationquifaitquemoncœurrateunbattement.

Ilaappelé.

Hellaappelé.Auxaurores,verscinqheurestrente.Etilalaisséunmessage.Lamaintremblante,jelancemamessagerie.

–Fire,c’estmoi.Écoute,je…jenesaispassijefaisbiendet’appelermaisvoilà, je ne peuxpas àm’en empêcher. J’ai tellement de regrets par rapport àhiermatin…

Ilobserveunsilence,soupire.

–Quandjet’aiditquejeneteconnaissaispas:jenelepensaispas.Jecroisqu’aucontraire,jeteconnaisintimement.Peut-êtreplusquetunelesais,etplusquejenelevoudrais,etje…jetevois,Fire.Mêmequandt’essaiesdetoutfoutreenl’airpourquejetefoutelapaix,pourquejenetedevinepas:jetevois.Etje…jesuisamoureuxdetoi.Genre,vraimentamoureux.Etça,cen’estpasprèsdepasser,quoiquetufasses.C’estçaquej’auraisdûtedire,quej’étaisvenutedire…Alors quoi qu’ilm’arrive aujourd’hui, souviens-toi de ça,OK ?Qu’onpeutteconnaîtreETt’aimer.Quec’estmêmelachoselaplusnaturelle,laplusévidentequisoit.

Immédiatement,jelâcheletéléphoneetfonceversmapenderiepourensortirunjean.JecommenceàmetortillerpourentrerdedanstoutenlançantunappelàMegan,montéléphonesurhaut-parleur.

–Décroche,putain,décroche…–Allô?Kim?chuchotemonamie.Jesuisenamphi,jenepeuxpasteparler

longtemps…– Megan, lui demandé-je le souffle court, est-ce que je peux te taxer ta

voiture?Parpitié.C’estpouruneurgence.

Monamieobserveunsilence,avantdemurmurerdanslecombiné.

–OK.Retrouve-moi devant l’amphi 6B, dansMorganHall. Je dirai que je

doisàtoutprixallerauxtoilettes.Tupeuxyêtredanscombiendetemps?–Laisse-moivingtminutes.

Le tempsdemebrosser lesdents,demepasserde l’eausur levisage,et jesuisdevantleditamphi,dansunT-shirt«Seaworld»quej’aiattrapéparhasard,lescheveuxemmêlés.

–Tiens,elleestgaréedevantmondortoir,place47.Lespapierssontdanslaboîteàgants.Qu’est-cequisepasse?Riendegrave?

–Non,maisjedoisabsolumentvoirHellavantqu’ilnefassecesaut…ÇamelaissemoinsdeonzeheurespourarriverauGrandCanyon.Est-cequetupeuxjoindreShawnenattendant?Demande-luid’oùalieulesautprécisément.Etneluidispasquec’estpourmoi!luiordonné-jeexpressémentenm’éloignant.

–Tuvasessayerdel’enempêcher?mecriemonamie,anxieuse.

Mais je ne prends même pas le temps de lui répondre : je fonce. Aaronm’aime.Aaronm’aimeetilvafairecesautsanssavoirquejel’aimeaussi.Quejel’aimedepuislapremièreseconde.Ilvaprendretouscesrisquessanssavoiràquelpointilachangémavie.

Sijamaisilluiarrivequelquechose…

Sijamaisladisputedelaveille,lafatigue,toutçafaitqu’iln’apaslatêteàsonexploitetqu’ilseplante…Commentest-cequejepourraisvivreavecça?

Jeroulesivite,dépassantdèsquejepeuxleslimitations,quejesuislà-basenseulementdixheuresetquinzeminutes.Lorsquej’arrive,jesorsdelavoitureetme précipite vers le bord du canyon, où une cinquantaine de personnes sontamassées.Lesoleilcommenceàdescendre.Jecoursensoulevantunetraînéedepoussièreorangederrièremoi,enmetordantleschevillessurlescailloux,sansmesoucierdescamérasdetélénidelarampemonstrueuse,d’aumoinsquinzemètresdehauteur,quiporteleslogosVansetRedBull.Jecoursenl’appelant.

–Hell!Hell!

Etquandlafoules’écarte,quejelevoisharnaché,sonparachutesurledos,jemejettedanssesbras.Ilm’accueille,incrédule,etmedemande:

–Fire…Qu’est-cequetufaislà?

Jeneluirépondspas:jel’embrasse.Fougueusement,passionnément,commesi c’était la première fois, ou peut-être la dernière. Puis je prends son visageentremesmainsetexige:

–Réussis.Passeulementpourtacarrière,pourtessponsors,pourlapostéritéoupourje-ne-sais-quoi.Maispourmoi.Faiscesautetréussis-lepourmoi.Parcequetudoisvivrepourmoi.Parcequejet’aime.

En guise de réponse, il m’embrasse à son tour – un baiser haletant, fou,renversant.Sanssesoucierdesgensquinousregardentetnousapplaudissent,nimêmedescamérasdeMTV2braquéessurnous.

–Jet’aimeaussi,Rouquine,murmure-t-il.–Jesais.

Il s’arrache àmes bras puis, en s’éloignant à reculons, tout en enfilant soncasque,illanceàlacantonade:

–Onseretrouveicidansunedemi-heurepourfêterça,OK?

J’opine, en essayant de retenir les larmes de peur qui ne demandent qu’àjaillir.Parcequ’ilnedoitpasvoiràquelpointjesuisterrifiée.Parcequeriennedoitleperturber.

Unassistantdeproduction lui tendsonskate,sous lequel le logoGNARLYs’étale en lettres rouge sang. Il l’attrape et grimpe sur la nacelle qui le hissejusqu’àlarampe.Pendantcetemps,uncameramandeMTV2luiaccrocheunepetitecaméraportativesurletorse,grâceàsonharnais.Quandilarriveenhaut,lesilencesefaitsoudain.Unsilencedense,absolu,électrique.Toutlemondesetourne, non pas vers le canyon dont les abords ont été sécurisés par desbarricades, mais vers l’écran géant sur lequel ce que filment les caméras estretransmisendirect.Lesregardsvontdel’écranàHell,deHellàl’écran.Luin’aderegardspourpersonneetfixel’horizon.Etc’esttantmieux,jepréfèreça.Jepréfère qu’il ne pense qu’à son succès. Je sens soudain une main sur monépaule:c’estcelledeDonny.Jeposelamiennedessusetluisouris.IlestavecShawn,etCasper.Tousempilentleurmainsurmonépaulepourmesoutenir.

PoursoutenirHell.

Latensiondecemomentestinsupportable.Jenesaispascequ’Aaronattend,ni quand il va se lancer, et çame tord le ventre. J’ai peur, si peur que je necomprendsmêmepascomment je tiensdebout.Maisenmêmetemps, j’aiuneconscience aiguë de l’environnement. Je n’ai jamais été aussi éveillée, aussiconcentrée.Jeconstate,soulagée,qu’iln’yapasdevent.Lesconditionsmétéosontbonnes.Etpourtant,jenepeuxm’empêcherdepenseràtoutcequipourraitmal se passer. Rater une figure, en skateboard, c’est si facile. Et, en tempsnormal,sianodin.

–Ilvayarriver,memurmureDonny.Ceconnardsaitquetoietmoi,onletues’iln’yarrivepas.

La blague deDonny a l’inverse de l’effet escompté : je laisse échapper unsanglot étranglé.Mon visage semouille de larmes. Et soudain, Hell s’élance.Tout se passe en une fraction de seconde – une fraction de seconde qui, aumomentoùHellréalisesonbackflip,semblesesuspendre…Puisc’estuncrideliessequi s’emparede la foulealorsquenousnous tournonsvers l’écranpourvoir,grâceàlacaméraembarquée,sachutelibrevertigineuse,etsonélévationbrutalelorsquesonparachutes’ouvre.

–Ilaréussi!Ilaréussi!crions-nous,lesmecsetmoi,ennousprenantdanslesbras.

Quandj’atterrisdansceuxdeShawn,jesanglotedepeur,oudejoie,jenesaisplustrop.

–PutainShawn…Putain…Ill’afait…–Il l’a fait, confirmesonmeilleurami, en transecommemoi.L’enfoiré l’a

fait.

9.PrettyLittleLiar

Kim

Donny, Shawn, Casper, Hell et moi-même, ainsi que quelques autrespersonnesvenuesassisteràl’exploitaubordduGrandCanyon,avonspassélanuit sur place, dans le désert, à faire la fête autour d’un feu de joie avant dedormir à la belle étoile dans des duvets. Bien sûr, au début, je n’ai pas pum’empêcherdepenserauMemorialDay.Àlafaçondont,passablementbourrés,toutelabandeetmoi-mêmeavionsroulécettenuit-làjusqu’aulacpourcamper.Çam’acrispée,surtoutensachantqueLiamestàBerkeley…Maisalorsquejeregardaislesgarçonsfairelesfous,avecparmieuxl’hommequej’aime,j’aiuninstantréussiàenvisagerdediretoutelavéritéàHellunjour.Pasmaintenant–ilesttroptôt.Jenesuispasprêteetjepensequeluinonplus.Jevoudraisqu’onaitunpeude tempspour la légèretéavantqueje luiracontecequis’estpassécettenuit-là.Maispourlapremièrefois,j’envisagequecequ’ilm’aditestpeut-êtrevrai:qu’onpeutmeconnaîtreETm’aimer.Malgrémonpassé.Malgrémaculpabilitéetmahonte.

–Donnynousamême fait unedansede lapluie, rapporté-je, hilare, àmesdeuxmeilleuresamiespendantquenousavançonsverslacafétériaafind’avalernotrerationdeburger-fritesavantd’allerpasserlasoiréeàlabibliothèque.Torsenu,endéclamantdesparolesdesDoorsentrecoupéesd’uneimitationdecoyoteassezlamentable.

–Bonsang,glousseShelby,ildevaitêtreencorebiendéchirécelui-là…–Oh!c’estadorable,relèveMeg.Lafaçondonttut’illuminesquandonparle

delui,mêmesic’estpourrapportersesâneries!–Jem’illumine?faitminedeprotesterShelby,aucombledelamauvaisefoi.

Maispasdutout,pasdutout!–Tut’illumines,confirmé-jeensouriant.–Vousditesn’importequoi,boudeShelby.–Rho là là, tu n’es pas très convaincante, tu sais. Tu feraismieux d’enfin

admettrequetu…

–Jetedéfendsdeledire,MeganDay-Belmont,lamenaceShelby.–…l’aimes.–Trèsbien,çava!Oui,ouijel’aime,ceRitaldemesdeux!Jel’aimeetje

veuxbiendesonmariagecatholique,delarecettedescannellonisdesatante,desespetitsbébésmacaronisdansmonventre…Voilà,vousêtescontentes?

–Çadépend:lemariagecatholiquepourrait-ilavoirlieuenItalie?demandé-je.Lasemaineprochaine,tantqu’àfaire.

–LaToscanepourlesvacancesdeprintemps,soupireMegan.Lerêve…–Necomptezpassurmoipourpasserlescongésjetlaguée,grimaceShelby.– Non, tu les passeras à North Beach, coincée à l’heure locale, avec nous

deux,confirmé-jeenlaprenantparlebras.–Normalement,c’estlestadedelarelationoùj’aipeurdecequejeressenset

oùjefoustoutenl’air…–Alorscomptesurmoi:jenetelaisseraipasfaire.–Onvafaireunpacte,renchéritMegan.Aucunedenoustroisnelaisserales

deuxautresfoutreenl’airleurschancesdebonheur.Vousêtesd’accord?–Boncouragepourm’empêcherdemerder…grimacemacoloc.

Jenel’aijamaisvuecommeça!Effrayée,vulnérablepourungarçon.C’esttouchantetjevoudraislarassurer:Donnyl’achangée.Etilestdingued’elle:l’alcoolaidant,iln’apasarrêtédelerépéteràsespoteshier.

–Voussavezcequ’ondevraitfaire?suggèreMegan.Célébrerlefaitqu’onestheureusesaumêmemoment.AlleràCancúnfairelafêtepourlesvacances.

–Tusaisquoi?Tonidéemeplaît,abondemacolocdanssonsens.–Vousêtescinglées,protesté-jeenriant.Detoutefaçon,touslesvolspourle

springbreaksontdéjàcompletsdepuisdesmois…–C’est ce qu’on va voir ! s’exclame Shelby en dégainant son smartphone

avecunairtriomphantquisetransformeviteenintensedésarroi.

Rien pour Cancún, évidemment… Mais quand son visage s’illumine denouveau,jecrainslepire.

–Voilà, j’ai trouvé!s’exclame-t-elle.CinqjoursetquatrenuitsàCaboSanLucas,pourseulementhuitcentvingt-septdollarsparpersonne,volinclus!

« Seulement » huit cent vingt-sept dollars ? Soit « seulement » vingt-septdollarsdeplusquemonsalairemensuel?

–Faisvoir?s’extasieMegan.LeSolmarResort?OMG3,ilyamêmeunbar

danslapiscine!crie-t-elle,hystérique,enfaisantdéfilerlesphotosdel’hôtelsurl’écrandutéléphonedeShelb’.

–C’estdumardiausamedi:parfait,jeprends!–Les filles…annoncé-je,désoléededevoir jouer les rabat-joie. Jen’aipas

huitcentsdollars.

Shelby me regarde comme si je venais de lui annoncer que le Père Noëln’existait pas ou comme si tous les mecs dumonde avaient mystérieusementdisparudurantlanuit:effondrée.

–Utilisemacarte, luiordonneMeganaprèsunesecondederéflexion.Metstoutdessus:jevousinvite.

–QUOI?protestons-nousenchœur,macolocetmoi.–Tuesfolle,Megan.–Onnepeutpasaccepterça.–Oui,leshistoiresdefricentreamis,c’esttoujoursunegalère.–Parfaitement:jeneconnaispasuncasoùçasesoitbienfini…–Écoutez, lesfilles,nouscoupenotreblondeauxyeuxdefaonpréférée.Je

peux largementme le permettre et vous le savez aussi bien quemoi.Vous nem’avez jamais traitée comme une fille à papa sudiste et je vous en remercie,maisc’estlemomentd’admettrequej’aidel’argent,beaucoupd’argent,etd’enprofiter avecmoi.Alors je ne veuxpas entendre de protestations : deuxmillequatre cents dollars, pour vous, c’est le bout dumonde,mais pourmoi, c’estjuste deuxmois d’argent de poche.Et j’ai le droit de dépensermon argent depochecommejel’entends!

–Tuessérieuse?demandeShelbydontlesyeuxbrillentd’espoiretdepeurd’êtredéçue.

Pour toute réponse, Megan sort son téléphone portable, fait une rapiderecherche,pianotesurlestouches…

–Voilà,c’estfait,nousannonce-t-elle.Onpartmardi.Vousallezmelâcher,avecvosscrupules,maintenant?Onpeutallerdéjeuner?

–Hiiiiii ! s’écrieShelby en se jetant à son cou pendant que je les regarde,sonnée,avantdemoiaussirejoindrecettejoyeusemêlée.

Notrehug se transforme rapidement en ronde où nous secouons nos fessesfaçonShakiraenchantant:

–Cabo–SanLucas–Cabo–SanLucas…

Nous ne nous soucions pas un seul instant des autres étudiants qui nouscontournentpourentrerdansleréfectoireennousjetantdesregardsamusésounavrés.Lesjouesrosesd’excitation,nousentronsfinalementànotretour.

– Ah ! cette bonne vieille puanteur de frite molles et d’Inox stérilisé,s’exclameShelbyenconsultant sonportable,quivibredanssamainenmêmetempsqueceluideMegan.Çavamemanquer, la semaineprochaine,pendantquenousseronsentraindenousprélasseraubordde lapiscineenbuvantdessex-on-the-be…

Mais elle ne finit pas sa phrase : elle se décompose avant de me jeter unregardtétanisé.

–Quoi?Qu’est-cequisepasse?

Défaite,blême,Shelbyne répondrien.Elle faitdesallers-retoursde l’écrandesonportableàmoi.

–Shelb’,ricané-jenerveusement,qu’est-cequ’ilya?

JecherchelesyeuxdeMegan,quimerendunregardperplexeetétonné.Puis,alors que nous nous tournons enmême temps vers le réfectoire blindé, jemerendscomptequequelquechosedéconnevraiment.Parcequ’àchaquetableoupresquese trouventdesétudiants,portableà lamain,en traindemedévisagercomme si j’étais une bête de foire. Et aumoment oùMegan fait demême –regardesonécran,puismoi,alorsqu’unmurmurechoquéetréprobateurs’élèvedans le self –, je comprends qu’il y a quelque chose sur leurs téléphones.Quelquechosedegrave.Alorsjeluiarrachesonappareildesmainspourvoircequilametdanscetétat–etc’estlàquejecomprends,envoyantlapiècejointedu mail qu’elle vient de recevoir dans sa boîte mail étudiante – comme,visiblement,lecampusentier.Laphotod’unefilleàmoitiénue,jambesécartées,seulementvêtued’uneblouseouvertesursonsoutien-gorge.Unmecestsurellependantqu’unautre,brascroisés,lesregarde.L’objetdumailestclair:«PrettyLittleLiar»–«joliepetitementeuse».Lecorpsdumail,écritenlettresrougesquiclignotentcommeunGIF,estluiaussionnepeutplusexplicite.

KimAbbottestunesalope

Surlecliché,leflashabeauavoirneutralisémescheveuxrouxetlisséunpeumestraits,onreconnaîtparfaitementmonvisage,etc’estpourçaquedeplusenplusd’étudiantsmefixent,l’airchoqué,réprobateur,curieuxouamusé.

Etmoi, je reconnais parfaitement la photo : c’est celle qui a été prise cettenuit-là.Auborddulac.AprèslescélébrationsduMemorialDay.

3AcronymedeOhmyGodquisignifie«Oh,monDieu».

Àsuivre,danslaprochainesaison.

Disponible:

Initie-moi-Mesjourscontretesnuits

ChloeetSaraontouvertuncabinetdethérapiepersonnaliséetrèsenvogueàChicago.Unmatin,unmystérieuxrendez-vousleuroffreunpatientinattendu:AlexanderSkylar,P.-D.G.delamultinationaleLugh,forcédesuivreunethérapieparsonconseild’administrationaprèsunviolentdérapage.Chloeestchoisiepourlesuivreetdoitaccepterplusieursconditions:elledoits’isolerquinzejoursavecluisursonîleetdevrarédigerunrapportquidétermineralesortduP.-D.G.SiChloen’estpasenchantéeparcestermes,sarencontreavecAlexander,quirefused’êtreunpatient,vabouleversersavie.Trèscharismatique,ilvalatroubler,ladésirer,etluiouvrirlaporteàdenouveauxplaisirsenluiproposantundealsimple:ilacceptelathérapielejoursielleluioffresesnuits.

Retrouveztouteslesséries

desÉditionsAddictives

surlecatalogueenligne:

http://editions-addictives.com

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©EDISOURCE,100ruePetit,75019Paris

Juillet2018

ISBN9791025743959

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