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TéLéRAMA 1 60ans Tome1

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T é l é r a m a 1

60ansTome1

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2 T é l é r a m a

6 0 a n s T é l é r a m a 3

300 pages + 72 pages d’insert — couverture souple avec grands rabat — Papier gardapat 150 g —34,5 €

Télérama en chiffres

72%des Français connaissent Télérama !

640 352 exemplaires,c’est la diffusion payante chaque semaine

Les lecteurs jugent Télérama leur journal

« digne de confiance »et « à recommander » à 90% contre une moyenne de 60% pour la presse.

56% sont des femmes,

44% des hommes.

50%ont plus de 50 ans

50%moins de 50 ans

70% sont citadins (contre 46% pour la population)

55%des lecteurs ont fait des études supérieures à Bac +3

Télérama fête son anniversaire en librairie !

Un florilège des meilleurs articles

Plus de 1000 articles publiés in extenso ou sous forme d’extraits ont été sélectionnés parmi les archives de 3118 numéros, épluchés un à un. Les articles ont été choisis pour leur qualité d’écriture, leur pertinence, mais aussi parfois pour le sourire ou l’émotion nostalgique qui saisit le lecteur en les redécouvrant.

800 photographies d’exception

Ces deux albums s’appuient sur une iconographie rare : portraits de stars, plateaux d’émissions de télévision, images de films mythiques. La recherche a mobilisé une équipe à plein temps pendant six mois. L’illustration est au cœur du projet. La maquette, élégante et graphique, fait de chaque page une émotion pour l’œil.

Des inserts du journal

en fac-similésa la fin de chaque

décennie, les lecteurs découvriront un

Télérama de 24 pages, au format del’époque,

imprimés sur rotatives, avec des

pages originelles du journal (programmes

compris). Ces six petits Télérama sont

autant de documents d’archives émouvants.

les arènes

60ansTome2

les arènes

60ansTome1

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T é l é r a m a 5

Chaque décennie est dotée d’une couleur. Elle s’ouvre par une synthèse sur l’histoire culturelle et les évolutions de Télérama. Cette introduction se termine par un patchwork de couvertures.

Chaque texte se termine par le nom de l’auteur, le numéro de Télérama et la date de parution.

En bas de page, un repère visuel indique la décennie.

4 T é l é r a m a

6 0 a n s

Les articles sont regroupés par thèmes (entre 15 et 25 par décennie). Chaque thème est introduit par une page de présentation. Ces textes sont complices mais pas complaisants, enlevés, avec beaucoup d’humour.

La décennie se termine par un insert de 24 pages, florilège de la maquette d’époque, imprimé sur rotatives.

La première anthologie de Télérama : notre histoire culturelle en deux volumes

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6 T é l é r a m a

6 0 a n s l e s s Ta r s a u f i r m a m e n T 7

Comment naissent et meurent les étoiles alors jeune et déjà brillant anthropologue, Edgar Morin s’intéresse à la fabrication du mythe de la star. Et démontre que la « monstruosité sacrée » est devenue une « marchandise totale ».

C’est par le biais de la sociologie et de l’anthropologie qu’Edgar Morin invite à aborder le cinéma. Deux de ses livres,

Le cinéma ou l’homme imaginaire et Les stars, abordent le cinéma comme un fait humain. Le premier fournit au spectateur les clefs de sa fascination : le secret du cinéma est en nous, dans la « participation subjective » dont nous enrichissons la « vérité objective de l’image ». Avec Les stars, c’est un point capital de cette dialectique qui est examiné. Comment a pu naître et se développer la star, « cette mons-truosité sacrée » ?« Les stars actuelles sont le produit d’une évolution », strictement semblable à celle des dieux et déesses antiques. L’histoire des stars elle aussi se divise en deux périodes, qui correspondent à un double processus de déi-fication et d’humanisation. Dans la première, les dieux ne quittèrent pas l’Olympe : de 1919 à 1930, les stars sont des entités lointaines, auréolées de lumière et de mystère, dont Garbo reste le plus célèbre exemple. La star est alors un être surhumain qui plane haut au-

dessus de la terre, qui ignore la mesquinerie de la vie quotidienne. La star joue à l’écran sa vie privée et vit réellement ses rôles d’écran. Fiction et réalité se cautionnent l’une l’autre. Sa demeure est l’excentricité.

StarS, SavonnetteS et frigidaireS

À partir de 1930, début de l’ère réaliste du ci-néma, la star s’humanise, jusqu’à nos jours où elle est « devenue familière et familiale ». « Les stars participent désormais à la vie quo-tidienne des mortels. » Mais le culte idolâtre dont elles étaient les sujets n’en est pas pour autant diminué. Elles offrent à l’identification du spectateur « des points d’appui de plus en plus réalistes ». Personne n’ignore plus la marque de dentifrice de Marilyn Monroe ou les goûts culinaires de Jean Marais. Chacun est en mesure d’imiter l’idole qu’il s’est choisi puisque celle-ci ne fonde plus sa puissance sur le mystère. Il s’agit moins pour le fanatique d’adorer passivement une étoile inaccessi-ble que tenter d’égaler tel ou tel demi-dieu (Marlon Brando ou Jean-Claude Pascal) qu’il

n’est plus impossible de côtoyer (La kermesse aux étoiles est là pour ça). Depuis 1930, la star « peut sans déchoir épouser des acteurs se-condaires, des industriels, des médecins ».« La star se fabrique. » La vedette apporte sa beauté, sa jeunesse ou son physique. Les pho-tographes, les maquilleurs, les scénaristes lui prêteront désormais des traits originaux et une publicité lancera le produit sur le marché. « Magazines, photos, courrier des vedettes, clubs, pèlerinages, cérémonies, festivals, sont les institutions fondamentales du culte des stars. » Le lancement d’une star ne diffère pas de celui d’un produit, savonnette ou frigidaire. Son prix est soumis à la loi de l’offre et de la de-mande, puisque « la star est une marchandise totale : pas un centimètre de son corps, pas une fibre de son âme, pas un souvenir de sa vie qui ne puisse être jeté sur le marché ».Grandeur et servitude de la star, tel pourrait être le sous-titre de l’étude remarquable d’Edgar Morin, qui envisage le cinéma « dans sa totalité humaine ».André-S. Labarthe, n° 394-4 août 1957

Les stars au firmament« L’American way of life » fascine. Les troupes étoilées sont installées à Châteauroux, La Rochelle, Laon, Orléans, Tours, Toul, Verdun, Chaumont. Les films américains font salle comble.

Dans « Gilda », Rita Hayworth déshabille langoureusement son bras ganté. « Télérama » succombe à la fascination de la machine à rêver d’Hollywood. Surprise : le journal collectionne en couverture les portraits de stars. Audrey Hepburn, James Dean, Marilyn

Monroe… Jusqu’à Grace Kelly qui orne la Une d’une dédicace pour les lecteurs. Le « Télérama » des débuts cache mal un cœur de midinette.

Marylin Monroe. Nul

n’ignore plus la marque

de dentifrice de la star, un

moyen supplémentaire pour

le « fan » d’imiter son idole,

affirme Edgar Morin.

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8 l e s a n n é e s

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Simone Signoret

le courage de ses opinions.Un certain nombre de gens

n’aiment pas Simone Signoret. Le compromis, la lâcheté, le

mensonge sont des mots qui n’ont aucun sens pour elle. Nature entière, généreuse,

Simone Signoret frappe par son intelligence, son courage. « Je ne

crois pas à la chance, je crois aux possibilités de chaque individu, bien

ou mal utilisées. Longtemps je n’ai pas osé dire que je voulais devenir

comédienne – par orgueil. C’est idiot, n’est-ce pas ? » Chacun de ses rôles lui a apporté un plaisir défini, dit-elle. Elle aime son personnage de Dédée d’Anvers « parce qu’elle

était respectueuse et victime, respectueuse et amoureuse ».

Manèges lui a demandé le plus de travail, Casque d’or le plus de joie.

N° 160-8 février 1953

Gérard PhilippeL’ange discret. C’est à bord d’une Ford aussi âgée que lui (lui est jeune, mais vingt-cinq ans pour une voiture, c’est le grand âge) qu’il pilote cheveux au vent, que j’ai lié connaissance avec Gérard Philippe. Si je vous affirme qu’il est timide, modeste et silencieux, vous ne me croirez pas. Tel il est devant ses rôles, tel il est dans la vie. « Il y a dans la création d’un personnage quelque chose d’irraisonnable qui est essentiel mais que l’on peut difficilement définir. Une conception du héros s’impose à l’acteur. Je n’aimerais pas être un acteur qui réfléchisse. » Ce propos, est-ce bien l’interprète de Camus, Dostoïevski, Kleist, Corneille, qui l’a tenu ? Nous fera-t-il croire, lui qui fut Caligula, le prince Michkine de L’idiot, le Cid, qu’il laisse ses personnages le posséder ? Gérard Philippe n’a jamais incarné de personnages indifférents ou vulgaires. On peut avoir créé dix pièces et dix films, cumulé les Oscars, être sacré vedette et rester un apprenti, le savoir, l’avouer, quelle leçon ! N° 82-15 août 1951

FernandelCent films, dont bien des navets. Peu d’acteurs se sont autant prostitués que Fernandel. En vingt-quatre ans de cinéma, il a tourné plus de cent films, dont plus de la moitié sont d’authentiques navets, depuis Le coq du régiment (1933), Ferdinand le noceur (1934), jusqu’à Coiffeur pour dames (1952). Une vingtaine seulement se sont imposés comme des œuvres de qualité : Angèle, Regain, Le schpountz, La fille du puisatier et Naïs, de Marcel Pagnol, François Ier de Christian-Jaque, Carnet de bal de Julien Duvivier, Petrus de Marc Allégret, L’auberge rouge de Claude Autant-Lara, les deux Don Camillo de Julien Duvivier, La table aux crevés d’Henri Verneuil, et Ali-Baba de Jacques Becker. En dehors de Pagnol, dont le génie était tout indiqué pour s’amalgamer avec le sien, ce sont les tricherons du cinéma, les exploiteurs des éléments les plus grossiers du comique qui ont fait de Fernandel leur vedette. N° 262-23 janvier 1955

Brigitte Bardot

Le mythe d’Ève sans la conscience. Toute animalité, sensualité et féminité déployées, Brigitte Bardot décourage

toute critique et toute exégèse. Le seul mythe de la femme authentique qui ait

jamais existé dans le cinéma français connaît son apothéose en 1957. Brigitte Bardot, telle que Vadim l’a révélée dans Et Dieu créa la femme, est tout instinct.

Avec elle, les conventions du réalisme français ont éclaté. Vadim a dit que sa

Juliette était « un personnage réel de très jeune femme dont le goût du plaisir n’est

plus limité ni par la morale, ni par les tabous sociaux ». Brigitte Bardot n’efface pas

les plus beaux visages de femme que le cinéma français nous ait montrés. Là où ne

s’étaient jamais dessinés que des mythes occasionnels (Michèle Morgan, Madeleine

Sologne) ou factices (Martine Carol), elle introduit un mythe basé sur l’érotisme et le réalisme. Elle n’est pas une idéalisation,

une abstraction, ni une incarnation de l’amour ou de l’adolescence. Elle est chair

et non esprit. Ève sans la conscience. Avec elle, le cinéma français découvre l’éternel féminin. N° 409-3 novembre 1957

Ils ont dit de :

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De la vamp à la comédienne. La carrière foudroyante de Marilyn Monroe authentifie l’un des thèmes du cinéma américain, celui de la réussite artistique des jeunes filles. Une enfance malheureuse à la Dickens, une triste adolescence, un mariage précoce et raté précèdent l’apprentissage des couvertures de magazine. Sa consécration à Hollywood commença en 1951 avec la signature d’un contrat à long terme avec la 20th Century Fox. Hawks fixait les canons du nouveau sex-appeal lorsqu’en 1952 il confiait à Marilyn dans Chérie, je me sens rajeunir, le rôle de la secrétaire idiote, révolutionnant toute une piscine lorsqu’elle apparaît en costume de bain. En somme, le port de jupes très ajustées plus que ses talents d’actrice décida du destin cinématographique de Marilyn Monroe. Niagara est, à cet égard, une anthologie. Marilyn n’est qu’un objet au rôle limité. C’est la fille sur le passage duquel on siffle avec admiration. Mais qui, dans les grandes circonstances, devient encombrante pour l’homme (La rivière sans retour). Marilyn, en gagnant la gloire et la puissance matérielle, n’eut de cesse de se délivrer du symbole.N° 357-18 novembre 1956

Bernard BlierDu deuxième au premier plan. Figurant, silhouette, petit rôle, Bernard Blier a gravi opiniâtrement tous les échelons de la profession en dix ans. Le café du cadran et Quai des orfèvres révèlent le grand artiste que des rôles de moindre importance laissaient prévoir. Premiers films : Entrée des artistes, Hôtel du Nord, Le jour se lève. Grands films : Dédée d’Anvers, L’école buissonnière, dans lequel il est confiant, bonhomme, heureux de vivre. D’ordinaire, il joue les effacés, les timides, les malheureux. Il incarne le brave homme contre lequel un sort malin s’acharne et n’est pas loin de symboliser un instinct collectif. Comme tout véritable comédien, il s’en défend mais peut-être est-ce le danger qui guette cet excellent artiste : être une star au sens où l’a défini Malraux. N° 114-23 mars 1952

Yves Montand

De la scène à l’écran. Son dernier récital au théâtre de

l’Étoile a duré plus de six mois, il s’est révélé au théâtre un grand comédien dans Les sorcières de Salem, la pièce d’Arthur Miller, il

vient de tourner deux films qui risquent de faire date, Les héros

sont fatigués d’Yves Ciampi et Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara : il ne faut pas être

grand prophète pour prédire que ces œuvres consacreront

Montand comme une des vedettes du cinéma français. Ce qui

n’étonnera pas ceux qui ont aimé son interprétation du Salaire de la

peur, de Henri-Georges Clouzot (1952). L’importance de Montand

correspond à un travail acharné, depuis Étoile sans lumière en 1945. Montand n’incarne pas un mythe,

mais une réalité. Le secret de sa réussite tient surtout au fait qu’il

respecte cette réalité et conserve son authenticité. Ce n’est pas une

vedette, mais un homme dont le métier est, au sens noble du mot,

le spectacle.N° 290-7 août 1955

Naissance d’un grand comique. Il est à Paris un cabaret, l’Amiral, d’où sortirent après-guerre Jean Richard, Roger Pierre ou Jean-Marc Thibault. Et Dary

Cowl. Un homme jeune, presque un jeune homme, plutôt petit, cheveux blonds bouclés comme une

perruque, visage glabre et lunettes. En dépit de son nom, Dary Cowl est un Basque authentique. Il paraît,

bafouille, se tait, et pas un de ses silences, pas un de ses gestes esquissés qui ne porte sur le public. « Je souhaite peu à peu abandonner le cabaret

pour le cinéma, dit-il. Je suis très ambitieux : je veux être aimé dans quinze ans. » Qui sera-t-il ? Peut-être

le Chaplin de sa génération…N° 329-29 avril 1956

Marilyn Monroe

Dary Cowl

Ils ont dit de :

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nationale. Les cotisations (6 000 francs par an) furent si nombreuses que cette fondation put créer des bourses complètes annuelles pour 92 étudiants acteurs désireux de suivre les traces de leur modèle. Une « Société d’en-traide pour les jeunes dont le physique rap-pelle de près ou de loin celui de James Dean » recueillit 1 million de dollars.Un astucieux commerçant expose dans un stand la voiture où James Dean s’est tué : 780 000 billets vendus en six mois. Un plus as-tucieux décorateur met en vente des coussins à l’effigie de James Dean : il en vend 80 000 par semaine et les fidèles les appellent « oreillers d’amour ». Sur sa tombe, à Fairmount, ou a compté 154 000 pèlerins au cours des derniè-res vacances. Le livre anniversaire édité à sa mémoire a été tiré à 1 500 000 exemplaires. Nous sommes habitués aux imprévisibles mouvements de masse de l’opinion améri-caine. Celui-ci est plus extraordinaire que les autres. Car James Dean n’était pas une gran-de vedette. Il a tourné trois films : un rôle se-

condaire dans À l’est d’Éden, le rôle principal de La fureur de vivre, et un rôle (qui n’est pas le premier) dans Géant. Il est mort aussitôt après le tournage de ce dernier film.

l’incarnation de l’adoleScent révolté

Sans doute, formé (comme Marlon Brando) par Elia Kazan dans son école de comédiens Actors Studio, son style de jeu tranche-t-il avec l’interprétation traditionnelle de ses confrères américains. Après tant de jeunes premiers souriant de toutes leurs dents, bons garçons aux allures de boy-scouts, toujours prêts à servir de modèle au portrait de parfait Américain, James Dean a bouleversé le public des jeunes en incarnant un personnage exac-tement opposé : celui de l’adolescent fermé sur lui-même, refusant de jouer le jeu des adultes, parlant entre ses dents, tantôt im-mobile et comme absent, tantôt bondissant dans un éclat de joie. Ses trois uniques rôles lui ont permis de créer, à partir de ce style de jeu (très étudié, très conscient, bien qu’il cor-

responde à sa véritable personnalité) un per-sonnage libérateur. Son prodigieux succès témoigne d’un besoin profond éprouvé par la jeunesse américaine : celui de se libérer d’un optimisme en passe de devenir la religion officielle de l’Amérique. Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Rien ne va jamais pour le mieux chez les adolescents. Le jeune premier tradi-tionnel, sympathique, content de soi et des autres, était une création de la fausse religion de l’optimisme. En niant par ses personnages la crise actuelle de la jeunesse américaine et la crise permanente de l’adolescence, le cinéma américain préparait le succès de James Dean. Son personnage incarne maintenant des sen-timents bien plus profonds que le conformis-me ambiant : la révolte devant le monde des adultes et des gens arrivés, la volonté de se garder pur de toutes les compromissions de la vie, la recherche ou la nostalgie d’un amour libérateur.

Le soir de la première à New York du film Géant, des centaines de jeunes gens, mains jointes et têtes baissées,

psalmodiaient dans la rue la chanson préfé-rée de James Dean. Plus de 10 000 adoles-cents portent encore le deuil aux États-Unis, dix-sept mois après sa mort. Une spectatrice, dès qu’apparut l’image de l’acteur sur l’écran, s’écria dans la salle immense du Radio City : « Oh Jimmy chéri, nous sommes avec toi dans la mort. Rien n’assombrira jamais ta

divine et glorieuse image... » La police a dû interdire des messes noires. Des « Témoins de Jimmy » célèbrent son culte et récitent à genoux : « Grande force occulte et réelle de notre sordide et méprisable petite vie, Jim-my, Amour suprême, daigne descendre un instant dans l’antre de notre solitude et de la vanité contemporaine. » Des bougies brûlent en permanence dans leur chambre devant le masque en plâtre de James Dean, qu’on peut se procurer pour dix dollars. Tels sont les faits

invraisemblables que nous révèle le petit livre d’Yves Saignes, James Dean ou le mal de vivre (Pierre Horay, éd.).S’agit-il d’exagération journalistique ? Les chif-fres parlent. Il n’existait du vivant de James Dean aucun club groupant ses admirateurs. À la fin de l’année dernière, il en existait 84. Ils groupaient aux États-Unis 3 800 000 ad-hérents. Le mouvement prit tant d’ampleur qu’il fallut créer une « fondation nationale » sous le patronage du ministère de l’Éducation

Mort de James Dean, naissance d’un culteDans l’amérique de l’après-guerre, l’acteur incarnait à lui seul le profond malaise d’une jeunesse américaine au bord de la révolte. Il n’était pourtant pas une si grande vedette, n’ayant tourné que trois films: «À l’est d’Éden», «La fureur de vivre» et «Géant». Mais le mythe a été le plus fort.

James Dean, formé à l’Actors Studio, a créé

dans ses trois films un personnage tantôt

bondissant, tantôt absent.

Jean-Louis Tallenay, n° 376-31 mars 1957

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1 4 T é l é r a m a

6 0 a n s T é l é r a m a 1 5e T l a T é l é f u T 1 5

Le 2 juin est une date historique, et pas seulement pour les Anglais. Ce jour-là,

la télévision est entrée dans la vie française. Nous savons maintenant que nous pouvons compter sur elle pour nous faire vivre les grands événements de notre époque. Tout ce qu’on nous rapporte de l’influence de la TV sur les mœurs américaines, sur ces émissions qui paralysent la vie d’une nation, ne nous étonne plus : il suffit d’avoir vu les Parisiens s’écraser devant les récepteurs en oubliant de déjeuner pour comprendre que la « révo-lution TV » n’est pas un mot.On mesure mieux après ce reportage des cé-rémonies de Londres l’enrichissement que nous apporte la transmission instantanée. Nous connaissions la reine Élisabeth. Elle a

notre âge. Par le film et la photo, nous savons tout de ses peines et ses joies. Elle demeurait pourtant encore une étrangère, abritée der-rière un mince rideau de papier pour maga-zines ou de pellicule cinéma. C’est fini : nous avons vécu avec elle, à son rythme, des évé-nements trop importants pour que l’intimité qui s’est établie entre elle et chacun de nous puisse disparaître…Au fur et à mesure que la cérémonie de West-minster déroulait ses fastes, chaque télés-pectateur ressentait physiquement la fatigue et le poids de la couronne. Lorsque Élisabeth, d’un mouvement tout féminin, remettait en place ses boucles brunes, l’atmosphère se détendait, chacun se sentait moins oppressé. Le cinéma ne permettra jamais cette com-

plicité, ce contact humain... Il est impuissant aussi à nous faire pénétrer de l’intérieur la si-gnification d’une cérémonie comme celle du sacre dont il faut épuiser toutes les lenteurs, toutes les redites, et le mystère de cette mé-tamorphose qui creusait peu à peu le visage finalement si grave de la souveraine...La télévision rend puérils les autres moyens d’information. Remercions-la de nous ap-porter à domicile ces images qui ont sur les gravures de nos manuels d’histoire, l’im-mense supériorité de vivre. Et puisque nous sommes les enfants gâtés et insatiables du XXe siècle, demandons-lui d’ajouter bientôt à ses présents le don de la couleur.Jean-Guy Moreau, n° 176-31 mai 1953

Le couronnement de la reine Élizabeth II, une première communion télévisuelle un grand moment d’intimité collective partagée que cette cérémonie du couronnement de la reine britannique en juin 1955. le premier grand direct aussi, où s’impose l’inimitable léon Zitrone.

Et la télé futElle toise la bibliothèque du salon. Elle ne ressemble à rien de connu. Les enfants l’épient à Noël, exposée dans les vitrines des grands magasins. Dans les cafés équipés, les adultes se réunissent pour la regarder. Les riches Parisiens s’en offrent une pour eux seuls. Certains provinciaux, faute d’émetteur, attendront parfois dix ans. La télé fascine. Né quelques mois après le premier journal télévisé, « Télérama » scrute cet animal lumineux. Fiat lux ! Grâce à cette bonne fée, sans bouger

de chez soi, on va pouvoir aller au cinéma, au théâtre, on va s’informer ! Le journal se demande même si la télévision française ne serait pas la plus intelligente du monde… Le conditionnel est de mise.

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T é l é r a m a 1 71 6 l e s a n n é e s

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Pas possible ? À Lisieux, on reçoit la tour Eiffel !En Normandie, à dix kilomètres de Lisieux :

« Voyez de l’autre côté de la route, dans cet herbage, me dit le curé, mon prédéces-seur a fait construire une petite salle de réu-nion. J’ai acheté un appareil de projection de 16 millimètres. Je vais le revendre car je n’y arrive plus. Mon cinéma me donne tous les soucis possibles : choix des films, expédition, comptabilité, impôts, recettes déficitaires… Ce n’est vraiment pas mon ministère !… » « – Achetez à la place un poste de télévision !...– A 180 kilomètres de Paris !…– Mais oui, à Lisieux, on reçoit la tour Eiffel.– Pas possible ! »Et nous téléphonons à Lisieux au technicien qui a construit lui-même un poste:« – Je reçois surtout, nous dit-il, les program-mes de la BBC. Mais si j’habitais sur la colline, mon antenne serait plus élevée et je prendrais certainement les émissions de Paris avec plus de régularité. Vous qui demeurez sur le

plateau, vous devez facilement avoir les pro-grammes français ! »M. le curé n’en revient pas. Je continue :« – Vous aurez chaque soir des spectacles nouveaux. Toutes les semaines, votre télévi-sion vous apportera ce que ne vous donnera jamais votre cinéma : une heure et demie d’émissions religieuses comprenant des ac-tualités catholiques, l’enseignement de la liturgie, de l’histoire de l’Église, de l’Écriture sainte, de l’Art sacré… »Les yeux de M. le curé s’agrandissent, de-viennent rêveurs. Je devine qu’il découvre une nouvelle dimension de l’Église. Mais il est jeune, réaliste et pratique ; son imagination revient vite sur terre pour planter une anten-ne de télévision au milieu de ses pommiers.

Et les questions pleuvent sur moi en tir de mitrailleuse : « L’écran n’est-il pas trop petit ? Combien coûte le poste ? La moralité des spectacles ? Faut-il payer un impôt ? Ne vaut-il pas mieux attendre de nouveaux perfection-nements techniques ? Comment organiser un télé-club ? Peut-on recevoir les émissions du Vatican ?… »C’est trop pour aujourd’hui. Chaque semaine, à cette place, nous répondrons à vos ques-tions. Père Pichard, n° 1-22 janvier 1950

La télévision française est-elle la plus intelligente du monde ?

La télé, c’est pour les richesPourquoi ne pas organiser achats collectifs et télé-clubs pour développer l’équipement en postes dans les campagnes ?

Certains soirs, la TV est un théâtre ; certains soirs, elle est un écran de cinéma ; certains soirs, une boîte à jeux de société (qu’on appelle des variétés) ; certains soirs, enfin, elle met à la portée du public les questions les plus intéressantes que l’actualité propose à la curiosité de l’honnête homme. C’était le cas mzzercredi. Rubrique « Voyages » : l’interview d’un voyageur qui présentait, films à l’appui, les derniers Indiens de Patagonie. Rubrique « Sciences » : une présentation fort intelligente du Bathyscaphe par le commandant et l’ingénieur de cette prodigieuse machine à explorer le fond des océans.Enfin, rubrique « Actualités cinématographiques » : une enquête très brillamment menée par François Chalais et Frédéric Rossif sur la crise de la production cinématographique. Des extraits de films et des bande-annonces illustraient les grands problèmes soulevés : on entendit le directeur du CNC regretter le « ratatinement » de la production et le peu d’audace et de jeunesse des producteurs. Henri Jeanson reprit la complainte des scénaristes toujours « sacrifiés » par la faute des réalisateurs aussi bien que des producteurs (hélas ! un « incident technique » le faisait parler à côté de sa bouche comme dans un très mauvais film doublé… ce qui est un comble).Des soirées comme celles-là risquent de réserver à la TV française la palme rare de « télévision la plus intelligente  du monde ».n ° 261-16 janvier 1955

Les récepteurs coûtent trop cher. La télé-vision ne se développera pas en Europe

avant de nombreuses années, prophétisent les pessimistes. Sa croissance rapide aux États-Unis s’explique par le pouvoir d’achat des citoyens américains. Les postes y sont à un prix assez bas parce que fabriqués en gran-de série, au rythme de 300 000 par mois. Et les usines ne tournent pas assez vite, paraît-il, pour satisfaire toutes les demandes.Les Français et leurs voisins n’ont pas cette puissance d’argent. C’est exact, mais cette si-tuation offre à l’Action catholique un champ d’action original. Nous pouvons favoriser le développement de la TV par l’achat collectif de récepteurs et créer des télé-clubs.À la campagne, quelques gros fermiers, le no-taire, les commerçants, pourraient avancer l’argent nécessaire au groupe d’Action catho-lique qui animera les réunions. L’attrait de la nouveauté amènera les curieux qui participe-ront aux frais. La salle des télé-clubs sera un lieu de rencontre entre gens qui s’ignorent :

croyants et non-croyants. Des cafetiers de la région parisienne se sont déjà aperçus qu’ils triplaient leur recette en achetant un poste de télévision. J’espère qu’il n’y en aura pas trop parmi ces commerçants qui me liront ! Si les cafetiers de la campagne faisaient la même découverte que leurs confrères de la ville, ce serait un désastre social : les enfants resteraient une partie de la journée entre les tables des buveurs pour voir les images, et les jeunes gens prendraient l’habitude de passer là leurs soirées. Je profite du second numéro de Radio-Cinéma qui conserve encore un caractère confidentiel pour vous dire dans le creux de l’oreille : « Devancez les cafetiers ! »J’avais fait cette suggestion d’achat collectif il y a quelques mois à Paris lors d’une assemblée des unions paroissiales. Quelques jours plus tard, je recevais de l’union paroissiale de Saint-Louis-en-l’Île cette lettre : « C’est fait, nous avons notre poste. Donnez-nous des conseils pour notre télé-club. » N° 2-29

janvier 1950

Aux États-Unis, les téléviseurs sont fabriqués au

rythme de 300 000 postes par mois sans satisfaire la

demande. La France est alors à la traîne.

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« elle peut tout transformer »André Gillois, pionnier de la radio« La TV transforme d’abord la vie de celui qui peut en suivre régulièrement les programmes. Au spectateur de culture moyenne, elle peut ouvrir une véritable fenêtre d’initiation sur les sciences, les lettres, le cinéma, les arts,  ou simplement même sur la vie qui entoure l’homme. En ce sens, la TV est capable de transformer du tout  au tout la vie du téléspectateur. »

« il faut être au courant »Robert A., marchand de télévisions« Vu mon métier, la TV n’a pu que modifier tout le cours de ma vie et de mes soirées : pour démontrer et pour vendre, il faut que je sois au courant des programmes et que je les suive régulièrement afin de pouvoir rendre service au client éventuel. Voici le résultat : jadis, ma femme et moi sortions presque tous les deux soirs, aujourd’hui, nous ne sortons plus qu’une fois par semaine. Et, somme toute, si la TV nous oblige à rester chez nous, ce n’est pas si désagréable. »

« une clôture qui se brise »Père Pichard, révérend« Nos règles de vie religieuse font de nous des êtres séparés par une clôture, vivant isolément pour être plus près du Seigneur.  La TV nous met en contact avec les autres familles spirituelles que nous ne pouvons connaître, à cause de cette clôture  et de notre manque de temps.La TV tend à me donner une vision complète de la création totale, qui sort de la main de Dieu. Les chrétiens que j’y vois m’offrent souvent une image “ amidonnée ” de cette création, tandis que les autres familles spirituelles, à la naissance de son jaillissement, m’offrent, souvent, une vision plus fraîche  et plus spontanée. ».

« elle me permet de rester un peu plus souvent chez moi ! »Georges Ulmer, chanteur« La TV m’a simplement permis de rester un peu plus souvent chez moi pour regarder les programmes de music-hall : dans ce domaine, elle ne craint personne. Sans cela, elle n’a strictement rien changé dans ma vie. »

« la TV en récompense »Madame S., mère de famille« La TV au cœur de la famille, c’est un nouveau problème d’éducation. J’ai trois garçons : 9, 11 et 13 ans. Chacun vent se “ coller ” le nez sur l’écran, sans souci des leçons et des devoirs. Il m’a fallu découvrir une astuce : expliquer que la TV n’est pas un objet de la vie quotidienne, comme la radio, mais une récompense. Une bonne note, un geste charitable et je donne un bon point. Passés dix bons points, le garçon a le droit de regarder la TV une soirée. Mais pour que cette bonne note, ce geste ne soient pas trop intéressés, les gains sont secrets et les distributions de bons points ne sont connues… qu’à l’arrivée des gagnants ! »

Enquête réalisée par Alain-Y.-Serge,

n° 251-7 novembre 1954

« une intransigeance terrible ! »Jacqueline Joubert, speakerine« La TV a fait naître dans ma vie une terrible intransigeance pour le choix des spectacles : puisque, aujourd’hui, je n’ai plus qu’un bouton à tourner pour être téléspectatrice de bons programmes, j’hésite à quitter mon salon douillet pour courir les salles de spectacles ! Ou alors, il faut que la pièce de théâtre (ou que le film) en vaille réellement la peine ! Cette rigueur s’applique aussi bien aux programmes de radio. »

La télévision change-t-elle la vie ?le poste de télévision fait son entrée au salon. mais concrètement, en quoi le quotidien des français est-il modifié ? « Télérama » a posé la question à douze personnes, des personnalités de l’audiovisuel et des téléspectateurs.

« il faut savoir se priver »Gérard L., éducateur« Nous ne possédons la TV que depuis quelques semaines ! Dans un foyer avec enfants, la TV pose néanmoins un cas grave : mes deux filles voient leurs parents devant la TV, elles veulent “voir” aussi les images, mais nous n’y tenons guère, car nous pensons que pour l’enfant, la TV peut être un encouragement à la paresse. Que faire alors ? Nous en sommes arrivés à la solution suivante : la TV ne marche plus que le jeudi et le dimanche, et tout le monde y a droit. Les parents sont peut-être privés, mais c’est un sacrifice qu’il faut accepter. »

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« Cinq colonnes à la Une », du grand journalismeLe 9 janvier 1959, Pierre Lazareff lance ce qui va devenir un des mythes de la télévision française : le grand reportage. aussitôt, « Télérama » s’engage. Hors des directs et du journal télévisé, l’information ainsi mise à distance peut devenir un formidable programme.

Roland Dailly, n° 472-1er février 1959

O n n’avait rien vu de pareil. Pierre Lazareff, l’animateur numéro un du grand journalisme français, est

un secoueur de puces exceptionnel. L’effet produit par Cinq colonnes à la Une, l’émission qu’il a conçue et anime et que réalise Igor Bar-rère, est bien celui de grand journalisme sur petit écran. Le journalisme indiscutable à la télévision, c’est le journalisme que la télévision peut seule entreprendre. C’est, en clair, la trans-mission visuelle directe d’événements qui in-téressent l’opinion entière. Ces événements sont de trois ordres. Ou il s’agit de sport. Là, comme il a été dit cent fois, c’est parfait. L’événement a ses deux caractères majeurs : le caractère de célébration joint à celui de l’inattendu. Ainsi France-Écosse de rugby est à la fois une célébration chère aux spor-tifs comme le 14 Juillet est une célébration chère aux citoyens, mais cette célébration consiste en un jeu dont nous ne connaîtrons le résultat qu’à la fin. Deuxième cas : une célébration civique ou re-ligieuse que nous ne reverrons peut-être pas de notre vie, par exemple le couronnement d’une reine ou d’un pape. La célébration est manifeste, mais elle n’a rien, bien sûr, d’inat-tendu. Troisième cas : une célébration cou-tumière, par exemple un ministre inaugurant un monument. L’intérêt de ces cérémonies s’évapore vite. Ces hommes politiques, à force de les voir, finissent par se changer sous nos yeux en leur caricature.

créer l’événement

Dans ces trois cas, il s’agit de reportage, c’est-à-dire que la télévision se rend là où l’événe-ment se passe. C’est l’événement qui com-mande. Mais entreprendre une émission de grand journalisme télévisé à date fixe, c’est se passer de l’événement même. Il n’est plus question que de le commenter, ou de broder dans ses marges, ou de susciter une sorte d’actualité artificielle. Quoi qu’on fasse, l’ins-tantanéité est perdue. Dans Cinq colonnes à

la Une, nous avons vu des commentaires de l’actualité, des broderies en marge (comme l’interview de la fillette de quatorze ans qui va faire ses débuts au cinéma dans un per-sonnage des Liaisons dangereuses !) et un exemple superbe d’actualité artificielle. Je veux parler des images de Jean XXIII, filmées quelques jours plus tôt par Philippe Agostini, pendant la préparation du film sur le pape qu’il réalise et que produit Jean-Pierre Char-tier. Ce n’était en rien un événement de la pa-pauté comme l’est une encyclique, mais c’est devenu un moment de l’actualité. Tout cela était fort bon et beau.

le ton y eSt, l’urgence paS toujourS

En revanche, l’émission échouait quand elle s’efforçait de retrouver l’instantanéité avec des moyens inévitablement un peu naïfs. À plusieurs reprises, on nous a montré ce que les journalistes appellent des flashes. Dans la presse imprimée, un flash est une nouvelle en quelques mots, transmise en « nègre », c’est-à-dire sans que la phrase soit complète. Par exemple, lors de l’arrivée de Mikoyan à Washington, l’Agence France Presse a reçu une dépêche de l’un de ses correspondants disant à peu près : « Mikoïan descendu avion Washington 16h02. » Or l’émission de Pierre Lazareff s’efforçait à plusieurs reprises de retrouver ce ton. Malheureusement, Pierre Lazareff et ses collaborateurs n’avaient rien d’urgent à nous communiquer. L’un des flashes concernait une dame qui s’est éva-nouie à Alger le 13 mai 1958. Il y avait donc une dissonance un peu dérisoire entre le ton et la matière.Quelques jours plus tard, Roberto Rossellini montrait des images filmées en Inde en 1957, qu’il n’a même pas vraiment montées encore et qui sont restées muettes. Ce qu’il nous en disait, au long d’une conversation avec Étienne Lalou, ne dépassait guère ce qu’on peut trouver dans le Larousse. Seulement, cette émission avait pour elle son ton déten-du, plaisant et simple.

Il me semble aussi qu’il faut se méfier, en matière de grand journalisme télévisé, des liaisons artificielles et des exploits techni-ques. Il y a quinze jours, il fallait faire l’éloge du reportage sur la guerre d’Algérie de Cinq colonnes à la Une parce qu’il introduisait la sensibilité physique du terrain où se dérou-lent les opérations, et cela comme jamais encore. Seulement, ce résultat pouvait être obtenu sans donner l’impression de figu-rants qui répondaient à l’appel du présen-tateur comme des soldats à celui de l’adju-dant. L’exploit technique de l’émission, c’était le triplex entre trois familles ouvrières, de Ham-bourg, de Turin et de la banlieue parisienne, au sujet du Marché commun. La comparaison entre les trois familles dans leurs apparte-ments était attachante. Seulement, on exagé-rerait si l’on disait qu’on y a mieux compris le Marché commun.

l’information SouS l’actualité

La justification du grand journalisme à la té-lévision, hormis les reportages en direct des événements, c’est de montrer ce qu’il y a sous l’actualité. Notre quotidien nous ayant dit qu’il y a une famine en tel pays situé à l’autre bout de la terre, il n’y a pas à y revenir quelques jours ou semaines après, ou du moins pas du point de vue de l’actualité. Mais on peut mon-trer ce qu’il y a sous l’actualité. Un Anglais, Paul Rotha, a eu, au cinéma, la juste intuition de ce que doit être le grand journalisme télé-visé. Il n’a pas salué la création d’une agence de l’ONU chargée des problèmes d’agricultu-re en cinématographiant des gens discourant sur cette création. Il a fait des films sur la faim dans le monde, avec des images d’une signifi-cation émouvante. J’attends la seconde émission de Pierre Laza-reff, ce vendredi, avec beaucoup de curiosité, avec sympathie, bien entendu, avec fourberie aussi. Comme il a été dit par Jean de La Fontai-ne : « Les critiqueurs sont une race sévère. »

Pierre Lazareff, celui par qui le grand

reportage est entré à la télévision,

dans son bureau de « France Soir ».

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T é l é r a m a 2 3

Deux cinéastes phareContrairement à sa réputation de prof de cinéma pisse-froid, « Télérama » n’a cessé tout au long de son histoire d’encenser les cinéastes amuseurs. Dans les années 1950, Tati retient l’attention de la rédaction. Ce mime capable de provoquer le rire

avec une pipe et deux mouvements de sourcils réhabilite le cinéma quasi muet. Le journal s’amourache aussi du « plus gros réalisateur du monde », maître du suspense et de l’angoisse et peut-être plus encore : Alfred Hitchcock. Mais « Télérama » s’interroge : est-il digne d’être

comparé aux plus grands ? Son cinéma vaut-il celui des Renoir, Ford, Eisenstein ? Le cinéaste était-il presque parfait ?

D e u x C i n é a s T e s p h a r e 2 3

Jacques Tati a surmonté de telles difficul-tés pour réaliser ses films qu’il ne saurait croire aux films improposables : « Certains

commanditaires qui visionnaient les rushes de Hulot me disaient : “Vous ne croyez tout de même pas que l’on va montrer ça au public ? Il n’y a rien là-dedans.” » Les films improposables selon Tati ne le sont que dans la mesure où le public comprend ou ne comprend pas ce que l’auteur voulait faire. Les vacances de M. Hulot lui ont valu des témoignages d’amitié de specta-teurs de toute l’Europe. Un matin, le téléphone le réveilla, au bout du fil, un vieux monsieur aux intonations bougonnes : « Allô! vous êtes bien Jacques Tati? J’ai vu votre film. » Tati commen-te : « Je me suis dit : encore un qui va me passer un savon ! » « J’ai vu votre film et j’ai compris que j’étais un idiot de gâcher mes vacances chaque année sur la même plage, à me com-porter comme les touristes de votre film ; l’an prochain, j’en profiterai comme Hulot ! » Les spectateurs qui aiment Hulot l’aiment avec une très vive sympathie, ceux qui n’ont pas ri gardent contre l’auteur une rancune non moins grande ; ces gens qui haïssent Les vacances de M. Hulot n’ont pas eu assez d’hu-milité pour se reconnaître dans l’impitoyable portrait que Tati a tracé d’eux-mêmes.Jacques Tati, qui personnifie l’obstination, la recherche, l’effort et… le triomphe, n’a donc point de films improposables : « Le cinéma co-mique peut tout se permettre. Les véritables audaces cinématographiques résident plus dans le style des films et dans la construction des scénarios que dans le contenu de ces films. Aussi la comédie, le burlesque n’ont-ils point trop à craindre de la censure. Il faut franchir seulement le mur de la bêtise. »François De Montferrand, n° 239-15 août 1954

Tati : « Le cinéma comique peut tout se permettre »Le public l’adore ou le hait. C’est que Jacques Tati sait comment « franchir le mur de la bêtise ».

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Le public coproducteur

Jacques Tati a mis quinze ans avant de sortir « Jour de fête », son premier long métrage. Encore fallut-il qu’après l’avoir tourné, il pût convaincre les distributeurs. Une projection gratuite dans un cinéma de Neuilly leur fit entendre un concert de rires qui les rassura… Le public avait voté. On aurait pu croire que ce succès suffirait pour que producteurs et distributeurs fissent désormais confiance à Jacques Tati. Lorsqu’il proposa le scénario de « Monsieur Hulot », Tati dut recommencer à se battre. Car M. Hulot avait le grand défaut de n’être pas facteur. Le film terminé, il dut interroger de nouveau le public. Pour la seconde fois, celui-ci permit à Tati de sortir son film. « Producteurs et distributeurs ne sont pas les seuls en cause, dit Jacques Tati. La légèreté de certains réalisateurs, la crise du court métrage, et même certaines caractéristiques du goût du spectateur français n’y sont pas étrangères. Sans vouloir que chacun travaille aussi lentement que moi, je constate que trop de réalisateurs, sous prétexte qu’il s’agit d’un film comique, le bâclent. Il leur est ainsi impossible de donner à leurs films un peu de cette âme, de ce charme, de cette fantaisie qui doit lui donner vie. C’est l’importance de la notion temps qui formeront le sujet de mon prochain film, “Mon oncle”. Une famille bourgeoise dans les affaires, riche. Aussi tout est-il neuf dans la maison, jusqu’aux jouets du garçon. Mais il s’ennuie. Seul son oncle, le raté de la famille, s’occupe de lui et lui fait découvrir un monde merveilleux. »

Claude-Marie Trémois, n° 239-15 août 1954

Il y a ceux qui sont pour Les vacances de M. Hulot et ceux qui sont contre. Mais pourquoi les uns et les autres affirment-ils avec tant de virulence leur opinion ? Parmi ceux qui l’aiment, certains disent qu’ils n’y ont pas ri. Parmi ceux qui n’aiment pas, certains avouent qu’ils y ont quand même bien ri... Ceux qui aiment le disent à coup de superlatifs absolus. Ceux qui n’aiment pas emploient les superlatifs absolument contraires. Au reste, les uns et les autres appellent souvent Chaplin à leur secours…Est-ce qu’il n’existe pas cependant une poignée de spectateurs pour penser qu’on rend un mauvais service à Jacques Tati (et au

cinéma français) si on le loue sans réserve, et un très mauvais service également si on le condamne sans appel ?Car tout le monde est d’accord pour convenir que Tati a de bonnes idées, très souvent neuves, et qu’il a un sens réel du comique, un comique bien à lui, d’ailleurs. Pour les uns, il ne sait pas très bien exprimer ses idées. Soit. Mais il y parviendra sans doute mieux demain. Pour les autres, il atteint quasiment la perfection. Mais ne confondent-ils pas l’intention avec le résultat ? Un conseil, M. Tati, si j’ose : « Gardez-vous de vos amis comme de vos ennemis. »J.G. Pierret, n° 168-5 avril 1953

Mi-chèvre mi-chou : Gardez-vous de vos amis et de vos ennemis

jacques tati rebondit d’un film à l’autre

grâce au public qui rit de son personnage

m. Hulot et finit par convaincre

les distributeurs.

Jacques Tati vous a-t-il fait rire dans « Les vacances de M. Hulot » ?Témoignages enthousiastes contre attaques violentes, les prises de position tranchées à la sortie des « Vacances de m. hulot » prouvent à tout le moins que le film ne laisse pas indifférent. Tour d’horizons critiques.

J’ai vu et revu Les vacances de. M. Hulot et je n’y ai pas ri. J’y ai grincé comme la porte battante, devenue moi-même cette porte battante balancée au gré de toute main qui la pousse. J’y ai perdu tout poids sur terre, n’ayant plus que des yeux pour regarder le monde. C’est bien à cela que nous convie M. Hulot, à nous rappeler que tout n’est qu’apparence, erreur, faute de frappe, qu’un être se promène comme une ombre derrière d’autres ombres, que les mots sont bruits indistincts, que les objets qu’on croyait morts ont une vie subtile. Se sentir comme Hulot des jambes si légères et longues qu’on les croirait capables de traverser les murs. Savoir tout cela, et que le monde va sans nous, et venir voir par un trou de lucarne, comme il va sans nous, ce monde.Voilà pourquoi Jacques Tati, au son de sa pétrolette importune et charmante, avec son filet à poissons ou bien à papillons, avec ses mains catastrophiques, son regard inconscient, sa pipe chaleureuse, est venu plein de bruits et gestes insolites distraitement regarder comme un enfant curieux ce qui se passerait si l’on changeait un peu l’ordre des choses... Que sa pétrolette fasse sursauter et que son feu d’artifice prenne forme de fusée guerrière, que lui-même se retrouve seul comme au pied d’un volcan, rien d’étonnant. Il est la folie, la tendresse et la bienheureuse distraction.Geneviève Agel, n° 168-5 avril 1953

Il y a plusieurs manières de prendre des vacances, il y a plusieurs manières de voir M. Hulot. Pour prendre des vacances, la méthode la plus employée est celle pratiquée par les voisins de M. Hulot. Sur une plage, vous attendez quinze jours que vos vacances soient passées ; sur l’écran, vous attendez quatre-vingt-dix minutes l’histoire de M. Hulot. Résultat : c’est vite passé les vacances ; ce film est bien décevant. La deuxième méthode consiste à profiter du grand air, du farniente, c’est-à-dire d’admirer les paysages ensoleillés du film de Tati, le détail cocasse au coin de l’image, les silhouettes bien croquées des différents types de Français moyen. La troisième méthode consiste à organiser ses vacances pour en profiter au maximum ; voir Les vacances de M. Hulot en cherchant la nouveauté et la diversité des gags ; voir M. Hulot en s’intéressant aux recherches sonores faites par Tati…Il y a une quatrième méthode qui consiste à trop faire de choses et revenir plus fatigué après les vacances qu’avant. Ne croyez pas tout comprendre en une seule vision de M. Hulot. Ce film est trop riche, trop plein, trop neuf. Il est d’avant-garde au meilleur sens du terme, il faut le voir et le revoir pour le bien savourer et prendre ainsi de vraies vacances.Paule Sengisse, n° 168-5 avril 1953

S’il suffit pour faire un chef-d’œuvre de se battre le flanc jusqu’à réunir longuement à trente ou cinquante reprises les divers réactifs chimiques susceptibles de déclencher le rire, alors Tati est un homme génial. Les gags sont souvent nouveauxs. Le malheur est qu’on voudrait y rire et que cela ne vient pas. Pour que la réaction se fasse, il faudrait des éléments mieux dosés et ce petit rien de fantaisie ou de saine farce populaire qui parcourt les bandes comiques, de L’arroseur arrosé à Chaplin et Capra.Ses pétards sont si laborieusement préparés qu’on attend leur explosion cinq minutes à l’avance. Sur quoi il insiste de peur qu’on n’ait pas compris, et fait chaque fois long feu là où le rire devrait fuser. Le sens du rythme semble lui manquer

entièrement. Il faudrait raccourcir l’œuvre de moitié. Le film est, de plus, décousu. Les personnages ont l’air de se demander ce qu’ils font dans le récit. Aucun fil conducteur ne relie ces séquences enfilées au hasard et ces personnages en quête d’auteur. D’ailleurs, l’équipe est mal dirigée, son jeu disparate, et les gesticulations de Tati plus agaçantes qu’efficaces.Si l’auteur a cherché la satire d’une petite plage de vacances, il y fallait un autre ton, plus direct et réaliste, au lieu d’une évocation froide et intellectuelle. Tati n’a assimilé ni l’esthétique humaine et mordante de Chaplin, ni la gaieté débridée de Mack Sennett. Il patauge. Son film est un canular artificiel. Jean d’Yvoire, n° 168-5 avril 1953

Lyrique :J’ai grincé comme la porte battante

Déçu : un canular artificiel

Sarcastique :Comme on part en vacances, on aime m. hulot

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goisse peut passer pour l’un des beaux-arts… Il est permis de se demander si une telle maîtrise technique appliquée au traitement de certains thèmes dramatiques ne dépasse pas les inten-tions apparentes de l’auteur et si en somme Alfred Hitchcock n’est pas plus grand metteur en scène que les alibis policiers de son œuvre le laisseraient supposer.

il Semble S’ennuyer en plein tournage

C’est ce que j’ai essayé de savoir tandis que se déroulaient sur le marché aux fleurs du vieux Nice des prises de vues de son dernier film, La main au collet. D’emblée Alfred Hitchcock parut revenir à l’idée habituelle qu’on peut se faire de lui, en me déclarant s’intéresser da-vantage à la façon de raconter l’histoire qu’au contenu du scénario. Je lui objecte l’unité du thème dans son œuvre. Il admet choisir les su-jets qui vont dans sa direction (« my way »). Je lui demande de la définir. Réponse : « Un cer-tain accord du drame et de la comédie. » Seuls peuvent être considérés comme du « pur Hitchcock » (sic) ses films qui réunis-sent cet accord. Je risque le mot « humour » et le rappel de ses meilleurs films anglais. Il ré-pond qu’en effet c’est son œuvre anglaise qui correspond le mieux à son idéal. Il se heurte

à Hollywood au positivisme logique du tem-pérament américain. « Jamais je n’aurais pu y présenter le scénario d’Une femme dispa-raît. Le producteur m’aurait immédiatement fait remarquer qu’il était idiot d’envoyer une vieille femme porter un message en chemin de fer, les télégrammes n’étant pas faits pour les chiens. Ma bonne, que j’avais emmenée voir Voleur de bicyclette m’a demandé pourquoi l’ouvrier ne s’était pas fait prêter un vélo. »Hitchcock paraît cependant tenir à certains de ses films américains. S’il abandonne comme entreprises commerciales des films tels que La maison du docteur Edwardes, Les enchaînés ou Les amants du Capricorne, s’il ne voit dans La corde qu’une intéressante expérience tech-nique, s’il regrette de n’avoir pu manifester son humour dans La loi du silence, bien que la gran-de sobriété de la mise en scène l’ait intéressé, il aime sans réserve L’ombre d’un doute pour le réalisme d’un scénario et d’une mise en scène sans concession commerciale.Il m’a aussi longuement raconté avec une évi-dente satisfaction son dernier film, Fenêtre sur cour, l’histoire d’un journaliste retenu dans sa chambre par une jambe cassée. En dépit de la limitation de son champ visuel, par le cadre de la fenêtre d’en face, il parvient à deviner qu’un

crime a été commis et par mener une enquête purement mentale. Hitchcock tient beaucoup à ce film parce qu’il estime n’y avoir employé que des moyens purement cinéma. Pendant tout ce questionnaire qui dura près d’une heure, Hitchcock était censé diriger un plan de bagarre entre Cary Grant et quelques rustauds. Je l’avais observé plus d’une heure avant de lui être présenté. On avait recom-mencé le plan trois fois. Cary Grant donnait des indications aux judokas niçois sur la façon de le saisir et de rouler à terre. Hitchcock ne s’était levé que deux fois pour une brève in-tervention, il paraissait s’ennuyer prodigieuse-ment. Je lui demandai s’il était bien vrai qu’il ne mettait jamais l’œil à la caméra. « C’est exact, me dit-il. Je dessine tous les cadrages pour le caméraman et les assistants qui sont ainsi exactement fixés sur mes intentions. Le film que vous voyez tourner en ce moment-ci, je l’ai entièrement en tête depuis deux ans. Et s’il n’en était pas ainsi, croyez-vous que j’aurais l’esprit assez tranquille pour écouter et répondre à toutes vos questions en plein tournage ? ».André Bazin, n° 235-18 juillet 1954

André Bazin, n° 262-23 janvier 1955

monsieur Hitchcock

d’un suspense policier. Hitchcock n’a même pas essayé de dépasser le genre en lui donnant une métaphysique. Faut-il s’en tenir là ? François Truffaut démontre qu’on peut lire en filigrane dans tous ses scénarios un thème moral essentiel, celui du transfert d’identité, de la captation mentale d’un être faible par un être fort. Dans « L’inconnu du Nord-Express », l’assassin réalise le crime que l’autre désirait commettre.Alfred Hitchcock fait-il, à l’instar de M. Jourdain, de la profondeur sans le savoir ? À moins que, rigoureux humoriste, il ne cache son jeu ? Ses

films donnent à Alexandre Astruc « cette impression que l’on éprouve à la lecture d’auteurs comme Faulkner ou Dostoïevski, de se trouver dans un univers à la fois esthétique et moral où le blanc et le noir, l’ombre et la lumière et jusqu’à cet art commun au roman et au cinéma, la mise en scène, expriment le déchirant secret que les personnages portent au fond de leur cœur ». Habile faiseur ou très grand metteur en scène digne des meilleurs, Renoir, Rossellini, Ford, Eisenstein ? Jusque dans l’âme de ses exégètes, Alfred Hitchcock créera le doute !.

« mais qui a tué Harry » (1956),

l’un des films

de la période américaine

d’alfred Hitchcock.

2 6 l e s a n n é e s

1 9 5 0

S i je voulais exagérer sous l’effet du cli-mat méridional, je commencerais par présenter Alfred Hitchcock, tel que je

l’ai découvert sur le marché aux fleurs de Nice, comme un monsieur petit et plutôt maigre.

Depuis trente ans en effet, son obésité est légendaire, lui-même n’a rien négligé afin

de passer pour le plus gros metteur en scène du monde. L’apparition qu’il se

réserve dans chacun de ses films est d’ailleurs là pour en témoigner et la

publicité répète à toute occasion que « M. Hitchcock n’a jamais vu

ses lacets ». Je puis assurément prétendre le contraire : l’hom-

me que j’ai vu diriger La main au collet ne se ferait pas re-

marquer dans la rue par sa corpulence.Assurément, le passant un

peu perspicace discernerait dans ces grandes joues effon-

drées sur l’architecture puissante du visage les signes d’un tempérament

d’obèse anormalement amaigri. Cet amaigris-sement volontaire est au moins le second qu’il s’inflige. Le premier date de 1944, pendant le tournage de Lifeboat, un film de guerre et d’espionnage dont la particularité était de se dérouler tout entier dans une barque de sauvetage. Hitchcock allait bien être forcé de renoncer à apparaître dans son film. On y vit pourtant un journal flottant sur l’eau avec sa réclame pour un médicament amaigrissant présentant la traditionnelle photo d’un client « avant » et « après ». C’était Hitchcock qui s’était fait maigrir de 100 livres. Cette plaisan-terie jette une lumière sur sa personnalité et sa conception du cinéma.Anglais de Londres, Hitchcock réalisa pres-que à lui seul, des années 1925 jusqu’en 1939, le seul cinéma anglais de classe internationale. Depuis 1939, Hitchcock a réalisé à Hollywood une vingtaine de films dont la mise en scène témoignait de la même adresse diabolique à ménager l’inquiétude du spectateur. Cette ha-bileté a valu à Hitchcock le titre de « maître du suspense ». Si toutefois la mécanique de l’an-

Les mises en scène d’ Hitchcock comportent presque toujours des prouesses de style, soit qu’il s’ingénie à obtenir des effets psychologiques intenses avec de très faibles moyens, soit qu’au contraire il pousse jusqu’à l’acrobatie technique des procédés inhabituels ainsi qu’il le fit dans « La corde », tourné en continuité réelle de temps. Un film ordinaire ne comporte pas moins de quatre ou cinq cents prises de vue différentes. Dans « La corde », grâce à une construction particulière du décor et à de minutieuses répétitions, les acteurs jouaient dix minutes d’affilée,

la durée d’une bobine de pellicule, et d’ingénieux raccords donnaient l’impression que tout le film n’était qu’un seul et même plan. En passant, Hitchcock s’est naturellement essayé à la 3D avec « Le crime était presque parfait », que nous ne verrons qu’en version plate, les distributeurs ayant jugé inutile de se compliquer la vie.Hitchcock déclare s’intéresser moins à l’histoire qu’à la manière de la raconter. La plupart des critiques sont d’accord pour admirer une science inégalée dans l’efficacité de la mise en scène, mais pour regretter qu’il borne ses ambitions à la création

L’impossibleDiabolique alfred Hitchcock ! Il a fait de son physique ingrat un trait disctinctif et entretient le mystère sur sa vision du cinéma. andré Bazin le croit plus grand que ses intrigues policières.

Maître du suspense et de l’angoisse ou maître tout court?

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T é l é r a m a 2 9

Le secret du cinéma italien : l’amour des hommesQu’il soit tragique ou fantaisiste, le néo-réalisme des Fellini, De sica, Rossellini et Zavattini apporte la bouffée d’air frais, l’authenticité qui fait défaut à la production française de l’après-guerre.

nos producteurs français ont dé-couvert trois filons qu’ils exploitent jusqu’à la nausée : les cadavres et les

coups de poing, l’inventaire des diverses mé-thodes de prostitution, un niais libertinage paré de costumes luxueux (Le fils de Caroline chérie, en attendant son petit-fils et son pe-tit cousin). Dans l’atmosphère puante ainsi créée, un film comme Pain, amour et jalousie donne une bouffée d’air pur. Il s’agit pourtant ici aussi de l’exploitation d’un succès. En re-montant au-delà, on pourrait même suivre la ligne qui conduit du néo-réalisme tragique de l’après-guerre aux sourires de Deux sous d’espoir et à la fantaisie de ces deux films de Comencini. Sans doute, ceux-ci ne sont que d’aimables divertissements si on les com-

pare au Voleur de bicyclette ou à Miracle à Milan. Ils ont pourtant un point commun : ils débordent du sentiment le plus rare et le plus enrichissant, la sympathie humaine. Les scénaristes italiens semblent seuls à avoir dé-couvert qu’on peut, sans bêtifier ni moraliser, aimer ses personnages. Tel est le secret de l’authenticité de leurs films, le secret aussi de leur succès : la sympathie comme le dégoût est contagieuse.Sans doute le meilleur cinéma italien n’est-il pas à prendre en bloc. On peut préférer Rossellini à De Sica réalisateur. Si le néo-réalis-me souriant rejoint la tradition fantaisiste de la commedia dell’arte (De Sica acteur joue les Arlequins), il subsiste un néo-réalisme tragi-que qui pose de plus graves questions. Fede-

rico Fellini a collaboré comme co-scénariste et assistant de Rossellini à Païsa, Onze Fioretti et Europe 51. Fin 1953, il réalisait lui-même Les inutiles, satire apitoyée du désœuvrement des fils de famille dans une ville de province. Au-delà des querelles d’écoles entre l’équipe Zavattini-De Sica et l’équipe Fellini-Rossellini, au-delà des différences profondes entre le message que nous proposent leurs films, on retrouve dans toutes ces œuvres, qu’elles soient fantaisistes ou tragiques, un même sentiment dont nos auteurs français sem-blent cruellement dépourvus et auquel des chrétiens ne sauraient rester insensibles : l’amour des hommes.Jean-Louis Tallenay, n° 270-20 mars 1955

« Umberto D », réalisé par Vittorio de Sica en

1952, sur un scénario de Cesare Zavattini, l’un

des «piliers» du néo-réalisme.

Le néo-réalisme italien« Télérama » accueille joyeusement les Fellini, Rossellini, Vittorio de Sica et Cesare Zavattini. Leur cinéma humaniste raconte la vie des « vrais gens » et permet au journal de conjuguer sa passion du grand écran et son inspiration

chrétienne. Alors que le cinéma français des années cinquante est conçu pour « écœurer l’être humain de ses semblables » (sic), son équivalent italien serait la preuve de l’existence de l’âme… « Télérama » multiplie alors

les articles cinéphilico-théologiques du type : « L’œuvre de Rossellini a-t-elle une signification chrétienne ? »

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3 0 T é l é r a m a

6 0 a n s T é l é r a m a 3 1

Dans quel sens prendre « La strada » ?

L a strada est un film à quatre personna-ges : Zampano la brute, Gelsomina l’in-nocente, le Fou et la route, la strada.

Ce n’est pas le chemin qu’on emprunte pour se rendre quelque part ou qui ramène à la maison, c’est le chemin sur lequel on se sau-ve, poussé par la peur, par la misère, la faim. Il existe une règle franciscaine qui ordonne aux religieux de cet ordre d’être semblables à des voyageurs et de ne demeurer en aucun lieu. Par cet aspect déjà, ce film est francis-cain : pauvres parmi les pauvres, ses héros ne connaissent pas le sentiment d’être « chez soi », « à la maison ». Que peut signifier cette expression pour Gelsomina que sa mère a vendue dix mille lires ? C’est à leur insu, sans doute, que les saltimbanques de La strada …

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T é l é r a m a 3 33 2 l e s a n n é e s

1 9 5 0

Comme tous les chefs-d’œuvre, La strada souffre bien des

interprétations. Aucune ne l’épuise et toutes ont échappé aux intentions conscientes de Fellini. Cela n’enlève rien à leur vérité. S’il me fallait résumer cette aventure, je dirais que c’est l’histoire d’un homme qui apprend à pleurer. Et indiquer ce qu’elle signifie, je dirais que Fellini nous administre la preuve ciné-matographique de l’existence de l’âme.Ses deux héros sont des cas extrêmes de pauvreté psychologique. Une brute, tout en muscles et en désirs frustres, une idiote funambulesque soumise comme une esclave à ce dérisoire seigneur et maître. On pense à Des souris et des hommes, à cette différence près, et qui change tout, que Lennie est aussi bien ici Zampano que Gelsomina. Peu à peu, grâce à la rencontre du fou, et pour Zampano à la douleur puis à l’absence de Gelsomina, un invincible dépouillement fait apparaître en ces deux êtres l’évidence de l’esprit. Leur drame, dont ils ne parviendraient même pas à se formuler les linéaments, nous

impose sa dignité et sa grandeur, indépendamment de la

conscience qu’ils en peuvent prendre. Au terme de cet itinéraire,

Zampano face à la mer et au ciel s’effondre, vaincu

par son âme. Et quoi donc, sinon, aurait eu raison

de lui ? L’immense leçon de Fellini, c’est de mettre l’esprit

en évidence par la soustraction de tout ce qui en est seulement

l’apparence ou l’alibi : l’intelligence, le sentiment, la morale. Si le salut

de Zampano vaut le sacrifice de Gelsomina, c’est que tous les saluts se valent

sous le regard de Dieu.André Bazin, n° 294-

4 septembre 1955

C’est l’histoire d’un homme qui apprend à pleurer

pratiquent la vertu du détachement, mais c’est le caractère du film que de montrer des personnages éprouvant des émotions qu’ils ne sauraient reconnaître, encore moins nom-mer. Ce sont des simples chez lesquels les sentiments sont à l’état pur ; aucune réflexion ne vient les troubler. Sauf chez le fou qui l’est au sens shakespearien – c’est-à-dire un sage : le bouffon qui assume le rôle de narguer les puissances, mais officieusement, à ses risques et périls. Pourquoi le funambule se moque-t-il du briseur de chaînes ? Parce que l’intelligen-ce s’éprouve et se rassure elle-même en dé-chaînant le désordre dans cette musculature puissante. C’est le même jeu que poursuit le fou, oscillant sur sa corde raide, exaspérant Zampano de ses railleries : l’esprit funambule sait défier la pesanteur. Un mot trop blessant, un mouvement trop brusque et c’est la mort. Ce n’est pas Zampano qu’il provoque, c’est la mort, comme si ce passage mystérieux exer-çait sur lui répulsion et attraction. Le fou de la tragédie shakespearienne, c’est celui qui pose des questions folles au regard

de la plupart des hommes, c’est-à-dire pro-fondément sages. Questionner, c’est douter : ce que le fou met à l’épreuve en exaspérant Zampano, c’est cette force physique dont il s’agit de savoir si elle n’est pas faiblesse. Mais Zampano, la mort, c’est le même problème : l’homme est un dan-ger pour l’homme et de ce détail troublant, il s’agit de se rapprocher, jusqu’à le toucher.

juSqu’à la Spiritualité

Quelle réponse entendra ce corps disloqué que Zampano fait basculer ? À quoi sert la mort ? N’est-elle pas ce qui rend dérisoire tout le reste ? N’est-elle pas le point d’arrivée de cette route qui passe devant les visages fer-més des maisons – les fermes, les immeubles qu’on aperçoit ont tous la même physiono-mie hostile – une invite à passer son chemin ? La mort n’est pas la fin du voyage, elle en est l’interruption absurde.On aimerait un chemin plus facile, mais il n’en est pas : c’est guerre d’abord et vengeance. Zampano est emporté par la colère, il est allé jusqu’au bout de la vengeance, pour en dé-

couvrir la vanité. Mais ce n’est pas en lui qu’il va découvrir le remords ; Zampano est tout tourné vers le monde extérieur ; mais dans le monde intérieur, il y a le visage de Gelsomina.Et c’est ici que le cinéma nous donne ce que seul, il peut nous donner : l’impression chan-geante des visages. Ici, nous voyons le monde par l’intermédiaire de ces visages : visage fer-mé, presque minéral, de Zampano, visage mo-bile, ouvert et frémissant de Gelsomina. C’est son visage qui va faire naître en lui la lueur de la conscience. L’innocence de Gelsomina est un savoir de l’essentiel. Gelsomina ne sait rien, pas même le mal, car le mal, c’est le mensonge, et les sentiments qu’elle éprouve se peignent trop vite sur son visage pour avoir le temps de les dissimuler. Ce qui est important, dans un film, c’est la vi-sion. La chose vue n’est que le moyen grâce auquel le regard du réalisateur nous est ren-voyé. Fellini parvient à nous élever jusqu’au niveau de la spiritualité, avec pudeur, sans ja-mais nommer ce que l’image suggère.

C’est avec «La strada» que Fellini accède en 1954 au succès

international et impose sa femme Giuletta Massina, l’innocente

amoureuse, dans un rôle proche du mime.

A.-M. Bloch, n° 294-4 septembre 1955

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1 9 5 0

innocence extraordinaire, une pureté, une non-participation à la saleté des autres » qui, selon lui, est « la chose miraculeuse » : « Vous vous rappelez, dit-il dans Païsa, quand le nègre s’endort, l’enfant lui dit : “Prends garde que si tu t’endors, je te vole tes souliers.” Le nègre s’endort et le gosse vole ses souliers. C’est correct, c’est normal, c’est ce jeu extraordi-naire où sont les limites de la morale. »

nouS SommeS touS

deS «allemagne année zéro»

Il est absurde de voir dans Allemagne année zéro « un reportage ». « Ce film, écrit l’abbé Ayfre, serait un échec s’il n’était qu’un docu-mentaire. Ce film est autre chose. Il se déroule le long d’une autre dimension, la profon-deur… ». L’abbé Ayfre a raison d’interpréter Allemagne année zéro comme « le témoigna-ge d’un monde où l’immense amour de Dieu n’arrive pas à trouver un passage à travers le jeu sanglant et triste des passions humaines, sinon sous la forme d’une figure agenouillée au-dessus d’un enfant mort… » Trouvaille

géniale d’avoir su faire de cet enfant, non pas un symbole, mais le signe efficace, presque le sacrement d’une humanité qui, au-delà de tous les progrès, semble constamment obli-gée de se reprendre à zéro.Quant à Stromboli, qu’on me permette de citer ici un texte de Maurice Schérer, qui s’y applique aussi bien qu’aux Onze fioretti et à Europe 51 : « De même que la beauté de l’art gothique ne nous est sensible que par le tru-chement du sentiment religieux et prouve le génie de l’idée qui l’inspira, de même les derniers films de Rossellini nous permettent enfin d’entrevoir les limites de cet aimable athéiste auquel le cinéma contemporain doit en général ses œuvres les plus admirées… Le génie de Rossellini est, comme celui de la reli-gion à laquelle il se réfère, de savoir découvrir une si étroite union et une si infinie distance entre le royaume des corps, son matériau, et celui de l’esprit, son objet, que les effets les plus éprouvés d’un art déjà vieux – et dont il use avec quelle autorité, quel raffinement ! – se trouvent naturellement accéder à la digni-té d’une signification plus nouvelle, plus riche, plus profonde. » (Cahiers du cinéma, 1952.)Et cependant, les films de Rossellini sont en-core beaucoup moins fréquents en France que les films de Vittorio de Sica, même dans les ciné-clubs catholiques.

Les films de Rossellini tournent autour de son

obsession pour «les limites de la morale».

«Stromboli» (1950), L’île prison imaginée par

Roberto Rossellini pour Ingrid Bergman. Jean-Marie Straub, n° 265

Au-delà du « néo-réalisme », l’œuvre de Roberto Rossellini ne revêt-elle pas

une signification franchement chrétienne, plus profondément même que les œuvres d’Alfred Hitchcock et de Robert Bresson ?Le point de vue de tous ceux qui veulent limi-ter le génie de Rossellini à Rome, ville ouverte et à Païsa repose sur un malentendu. Car dès Rome, ville ouverte, Rossellini exprimait une vision catholique de la condition humaine. Rossellini affirme, par la bouche de l’officier allemand joueur de cartes que, quel que soit l’acharnement de la haine, de la méchan-ceté et de la cruauté des hommes, « c’est toujours le même qui gagne », c’est-à-dire le Crucifié auquel s’identifie le partisan en mou-rant sous les tortures sans avoir trahi, « juste dans la voie juste et qui, combattant pour la justice, cheminait dans les voies du Seigneur, qui sont infinies », dit Rossellini. En ce sens, Rome, ville ouverte, n’est pas plus un film sur la résistance que La passion de Jeanne d’Arc n’est un film sur les procès de sorcellerie.Les dernières images de Païsa crient l’horreur d’un monde où se déchaîne le mal, et elles ont « une grandeur d’apocalypse ». Mais Rossel-lini déclare avoir voulu exprimer aussi « une

La part de DieuLes films de Roberto Rossellini ont un sens profondément chrétien, soutient Jean-Marie straub dans les colonnes du journal, quelques années avant de devenir cinéaste. Manière d’accorder au réalisateur de « Rome, ville ouverte » et « stromboli » sa place au panthéon du cinéma.

chez Rossellini

« Jeanne d’Arc au bûcher » (1954) de Roberto

Rossellini, variation autour du thème qui

inspira le cinéaste chrétien Robert Bresson.

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3 6 l e s a n n é e s

1 9 5 0 l e n é o - r é a l i s m e i Ta l i e n 3 7

Zavattini, c’est le néo-réalisme italienau mitan des années cinquante, le scénariste du « Voleur de bicyclette » est de tous les projets majeurs du cinéma italien. Cesare Zavattini défend alors un art quotidien, quasi sans histoire.

L a quarantaine, petit avec une forte tête rectangulaire, le sourcil brous-sailleux et le poil poivre et sel, Cesare

Zavattini a l’allure d’un héros de ces romans italiens qu’on dirait en France populistes. Son béret basque solidement campé sur le crâne un peu chauve achève de lui donner je ne sais quoi de modeste et de provincial, une note un peu rustique. On dirait un fonctionnaire des Eaux et Forêts. Ainsi Cesare Zavattini, le plus grand scénariste italien, l’auteur de Quatre pas dans les nuages, de Sciuscia, de Sa majesté mon-sieur Dupont, du Voleur de bicyclette et de Miracle à Milan, ferait de l’excellente « figura-tion intelligente » dans un film de De Sica.

Zavattini, c’est le néo-réalisme italien. Il serait ridicule de ramener la multitude des talents de premier ordre qui font la gloire actuelle de la production italienne à l’influence d’un scénariste, comme il serait excessif de pré-tendre que le réalisme poétique du cinéma français d’avant-guerre se réduit en dernière analyse à l’influence de Jacques Prévert. Le rôle d’un Prévert a effectivement été déci-sif. Relativement au cinéma italien, celui d’un Zavattini l’est plus encore. Sans doute de fortes personnalités comme Rossellini ou Visconti ne doivent-elles directement rien à Zavattini, mais il suffit de songer que Quatre pas dans les nuages est du même réalisateur que La couronne de fer et Fabiola, pour me-

surer l’apport du scénariste. Zavattini est au cœur du néo-réalisme italien, il en est le fer-ment, à la fois par l’autorité de films exemplai-res comme Le voleur de bicyclette, par sa col-laboration à des dizaines d’œuvres mineures, par l’influence enfin qu’il exerce sur beaucoup de jeunes scénaristes.

la morale du réel

Sa première originalité théorique, c’est de croire au néo-réalisme et de le défendre de tout son cœur et son intelligence. Le terme de « néo-réalisme » a en effet le don d’irriter la plupart des cinéastes italiens qui affectent d’ordinaire de se considérer comme étran-gers à lui. C’est là une réaction compréhen- …

Cezare Zavattini est l’un des rares

néo-réalistes italiens qui revendique

et assume cette étiquette.

« Le cinéma est d’abord une morale.

Il est l’art qui me permet le mieux de connaître

et d’aimer mon prochain. Mais qu’est-ce que mon

prochain, sinon ce qui m’est le plus

proche ? Je suis comme un homme devant

un champ qu’il doit décrire et qui se demande

par quel brin d’herbe commencer. Honnêtement,

je ne puis sacrifier le brin d’herbe qui existe

au champ qui n’existe que dans mon esprit. »

Cesare Zavattini

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Q u e l Q u e s n o T e s D e m u s i Q u e 3 9

N° 247-10 octobre 1954

C’est entendu, la poésie se réfugie par-fois dans la chanson. Mais quoi, se ca-cherait-elle dans ce chanteur massif,

cet ours noir à la nuque frisée qui grommelle sous sa moustache fourragère ? Étrange vedette : entre deux chansons livrées en vrac, sans annonces, sans sourires ni courbettes, il tourne le dos aux bravos et s’en va faire un petit tour, irritable et pesant, guitare à bout de bras, élégant comme l’homme des cavernes promenant sa massue…Il a l’audace de jeter à la face du bourgeois tou-tes les obscénités qui traînent dans les refrains du Quartier latin. Et naturellement, le bour-geois ricane et en redemande, et la bourgeoi-sie glousse, heureuse d’être battue et cho-quée… Audace bien facile, assez écœurante…Pourtant, à y regarder de plus près, ce rustre, ce bohème provocant roule des regards éga-

rés d’anxiété… La sueur qui sans arrêt ruisselle sur son visage et les yeux tendres sous la pau-pière trahissent l’homme sensible, le timide qui se délivre à coups de grossièretés, et pro-pose un talent d’authentique poète.Elle est bien cachée, la fleur bleue. Cachée sous les rires vulgaires qui saluent l’ignoble Gorille et la paillarde Hécatombe. Cachée sous les dégelées assénées aux gendarmes avec une puissante verve gauloise… Mais l’anarchisme de ce solitaire s’exprime de fa-çon charmante : «Je suis de la mauvaise her-be… pas de celle qu’on rumine et qu’on met en gerbe…» Il ne fait pas partie du troupeau moutonnant et ne cache pas son mépris pour les « messieurs-tout-le-monde », y compris ceux qui l’applaudissent dans La mauvaise ré-putation ou dans Je suis un voyou. Les dons du compositeur éclatent dans le délicieux

Parapluie, le savoureux Fossoyeur, Les sabots d’Hélène, etc. Dans la voix sourde, bourrue et sympathique, qui psalmodie plutôt qu’elle ne chante, passe un souffle d’intense émotion quand le sauvage devient grave et s’attendrit, remerciant à sa façon pour l’aumône qu’on lui fit jadis d’un sourire ou d’un morceau de pain (Chanson pour l’Auvergnat).Facilité, légèreté, finesse de touche pour peindre en trois mots un tableau champêtre, une campagne joyeusement stylisée avec des papillons et des fleurettes, des Suzon et des Fanchon en blanc jupon, et pourtant sans banalité, voilà le vrai talent de Brassens. Tout le contraire de cette vulgarité qui attire les badauds. Il apporte une fraîcheur d’inspira-tion, une saveur rustique qui manquaient à la chanson.

Georges Brassens, l’ours poèteElle est bien cachée, la jolie fleur bleue du plus timide des troubadours.

Quelques notes de musiqueLes années cinquante sont celles du rock’n roll. Pas à « Télérama », où Chuck Berry, Bill Haley et Muddy Waters n’ont pas droit de cité. La musique est encore le parent pauvre du journal, un divertissement dont on parle de temps à autre, selon l’inspiration des rédacteurs. Dans ce désert musical surnagent quelques oasis: Trenet « le poète

de la chanson », Bécaud « le fou chantant », Brassens « le rustre tendre ». Quant à ce jeune compositeur et parolier, longtemps pourvoyeur des succès de Bécaud,

qui se lance sur scène, « Télérama » se demande s’il réussira un jour à écrire pour son compte. Comment s’appelle-t-il déjà ? Charles. Charles Aznavour.

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Madame Casque d’or,

le courage de ses opinions

Un certain nombre de gens

n’aiment pas Simone Signoret.

Le compromis, la lâcheté, le

mensonge sont des mots qui

n’ont aucun sens pour elle. Nature

entière, franche, généreuse,

Simone Signoret frappe par son

intelligence, son courage. « Je ne

crois pas à la chance, je crois aux

possibilités de chaque individu,

bien ou mal utilisées. Longtemps

je n’ai pas osé dire que je voulais

devenir comédienne – par orgueil.

C’est idiot, n’est-ce pas ? Etre

comédienne, c’est restituer les

impressions familières de chaque

jour. Je tiens à rester en contact

avec le public, avec ses joies et ses

difficultés. Je ne me désintéresse

pas de l’augmentation du prix du

bifteck. » Chacun de ses rôles lui

a apporté un plaisir défini, dit-elle.

Gérard PhilippeL’ange discret C’est à bord de la Ford robuste, aussi âgée que lui (lui est

jeune, tout, tout jeune, mais vingt-cinq ans pour une voiture, c’est le grand

âge) qu’il pilote, cheveux au vent, le regard vif et distrait à la fois, que j’ai lié

plus étroitement connaissance avec Gérard Philippe. Si je vous affirme qu’il

est timide, comme un candidat au bachot, modeste comme qui ne l’est pas

parmi les comédiens, silencieux coomme un sage hindou, vous ne me croirez

pas. Tel il est devant ses rôles, tel il est dans la vie. « Il y a dans la création d’un

personnage quelque chose d’irraisonnable qui est essentiel mais que l’on peut

difficilement définir. Une conception du héros s’impose à l’acteur. Elle vaut en

premier lieu, hors de toute question d’intelligence et de métier. Je n’aimerais pas

être un acteur qui réfléchisse. » Ce propos, est-ce bien l’interprète de Camus,

de Dostoïevsky, de Pichette, de Kleist, de Corneille, qui l’a tenu ? Nous fera-t-il

croire, lui qui fut tour à tour Caligula, le prince Muikhine de L’Idiot, le prince de

FernandelCent films, dont bien des navet Peu d’acteurs se sont autant prostitués

que Fernandel. En vingt-quatre ans de cinéma, il a tourné plus de cent films,

dont plus de la moitié sont d’authentiques navets, depuis Le Coq du régiment

(1933), Ferdinand le noceur (1934), jusqu’à Coiffeur pour dames (1952). Une

vingtaine seulement se sont imposés comme des œuvres de qualité : Angèle,

Regain, Le Schpountz, La Fille du puisatier et Nais, de Marcel Pagnol, François

Ier de Christian-Jaque, Carnet de bal de Julien Duvivier, Petrus de Marc Allégret,

L’Auberge ronge de Claude Autant-Lara, les deux Don Camillo de Julien Duvivier,

La Table aux crevés d’Henri Verneuil, et Ali-Baba de Jacques Becker. En dehors

de Pagnol, dont le génie était tout indiqué pour s’amalgamer avec celui de

Fernandel, il n’y a que trois metteurs en scène importants, Christian-Jaque,

Marc Allégret, Julien Duvivier, et deux grands metteurs en scène, Autant-

Brigitte Bardot

Le mythe d’Eve sans la

conscienceToute animalité, sensualité

et féminité déployées, Brigitte Bardot

décourage toute critique et toute exégèse.

Le seul mythe de la femme authentique

qui ait jamais existé dans le cinéma français

connaît son apothéose en 1957. Brigitte

Bardot, telle que Vadim l’a proposée et

révélée dans Dieu créa la femme, est

tout instinct. Avec elle, les conventions

du réalisme français ont éclaté. Vadim a

dit qu’il avait voulu expliquer « l’espèce

d’hypnose dans laquelle se trouve notre

jeunesse d’après guerre » et que sa

Juliette était « un personnage réel de

très jeune femme dont le goût du plaisir

n’est plus limité ni par la morale, ni par les

tabous sociaux »Brigitte Bardot n’efface

pas les plus beaux visages de femme que le

cinéma français nous ait montrés depuis

dix ans. Là où ne s’étaient jamais dessinés

que des mythes occasionnels (Michèle

Morgan, Madeleine Sologne) ou factices

(Martine Carol), elle introduit un mythe

basé sur l’érotisme et le réalisme. Elle

n’est pas une idéalisation, une abstraction,

ni une incarnation de l’amour ou de

Ils ont dit de :

les arènes

60ansTome1

les arènes

60ansTome1