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A QUOI SERT LE PLAN?

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A QUOI SERT LE PLAN?

Un regard sur le système éducatif

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Thérèse Fayez EL HACHEM

A QUOI SERT LE PLAN?

Un regard sur le système éducatif

Préface de Louis LEVY-GARBOU

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

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© Ed. ECONOMICA, 1992

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays.

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A mes parents, A Issam.

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Remerc iements

J'aimerais exprimer ma profonde gratitude à MM Henri Bartoli, Pierre Bauchet, Jean-Paul Fantino, Habib Hajjar, Jacques Hallak, Louis Lévy-Garboua, François Orivel et Bikas Sanyal ; c'est grâce à leurs conseils, leurs commentaires et leurs suggestions que cet ouvrage a pu être réalisé. Qu'ils en soient ici très sincèrement remerciés.

Mes remerciements les plus vifs s'adressent également aux personnels des centres d'informatique, de documentation et de publication du CEPREMAP, du CREDOC, de l'IIPE (UNESCO), de la DEP (ministère de l'Education nationale) et du Centre de calcul de l'Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne).

Thérèse Fayez EL HACHEM Janvier 1992

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Préface

En 1992, la question de la légitimité du Plan, comme celle de son utilité, est triplement posée. Elle l'est, d'abord, parce que la crise du pétrole, les fluctuations démographiques, l 'ouverture des frontières et la mondialisation des échanges ont affecté la gou- vernabilité des sociétés et augmenté l 'imprévisibilité des économies. Elle l'est, ensuite, parce que l'effondrement subit de maints régimes communistes dans les pays à économie planifiée et leur conversion accélérée aux lois du marché ont ébranlé les convictions les mieux enracinées. Elle l'est, enfin, parce que les intellectuels, puis l'homme de la rue, ont accepté par contrecoup l'idée qu'un Marché - tempéré par l'Etat - représente peut-être le moins mauvais des mondes possibles.

Cette question émerge du livre de Thérèse El Hachem, issu, après une réécriture complète, d'une thèse de doctorat délivrée par (l'université de) Paris I. Mais au lieu d'être posée abstraitement, elle surgit concrètement au sujet de la planification française de l'éducation, et au terme d'une comparaison minutieusse des prévi- sions d'élèves et d'étudiants effectuées par les Plans successifs à leurs réalisations. Avec la patience d'un historien, avec l'érudition d'un expert en planification, avec la précision d'un économiste, avec la mesure d'un politologue, Thérèse El Hachem examine à la loupe les prévisions d'effectifs dans les enseignements préscolaires et supérieurs sur les trente années qui vont du 3e Plan au 9e Plan (1959-1989). Elle les confronte ensuite aux effectifs réellement observés. Méthode simple, objective mais ô combien originale et instructive !

L'observation conduit à distinguer la période du 3e au 5e Plan (1958-1970) de celle qui débute avec le 6e Plan (1971-1990). La première est marquée par une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, situation qui se renverse à la seconde. Jusqu'au 5e Plan, la plani- fication est ressentie comme légitime, consensuelle et mobilisa-

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trice - "l'ardente obligation" - dont parlait Pierre Massé. Or les prévisions d'élèves et d'étudiants qui ont été faites durant cette période s'avèrent entachées de graves erreurs alors même qu'elles étaient censées réduire l'incertitude. En revanche, les Plans suivants n'ont rencontré que réserves et scepticisme et les par- tenaires sociaux ne s'y sont engagés que faiblement. Ils ont pourtant dégagé des prévisions plus exactes sans changer apparemment de méthode de prévision. Voici l'un des beaux paradoxes qu'on lira dans cet ouvrage.

L'explication de ce paradoxe et bien d'autres découvertes, il est juste d'en réserver la primeur à ceux et celles qui auront la bonne idée de lire ce livre. Il apprendront que les méthodes de prévision ne sont pas les seules sources d'erreurs, ni la seule cause de dérapage des Plans. Ils verront avec précision que le Plan est aussi la scène sur laquelle se confrontent ces groupes d'intérêts orga- nisés que l'on appelle les partenaires sociaux. Ils comprendront qu'il tire sa légitimité de la convergence fortuite de leurs intérêts plus que de la fiabilité des techniques de planification mises en œuvre.

On pourrait croire qu'un livre aussi décapant offre une ultime condamnation du Plan indicatif à la française, et en particulier des Plans de l'éducation, en apportant des arguments précis et parfois nouveaux. Mais cela ne correspondrait ni aux intentions ni à l'opinion de Thérèse El Hachem. J'invite le lecteur à faire preuve de la même sagesse qu'elle en ne condamnant pas sans appel une planification vouée à l'erreur comme bien d'autres entreprises humaines, et en se rappelant qu'on ne juge pas une institution aux seules intentions de ses fondateurs.

Louis LEVY-GARBOUA Paris, le 10 janvier 1992

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... "Et l'on parla de Plan impératif, de Plan indicatif... et même de Plan décoratif.

L'ambiguïté, toutefois, ne peut durer toujours ".

Pierre Massé "La crise du développement"

(chap. 1er, p. 30)

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PREMIÈRE PARTIE

Planifier le système éducatif : choix ou obligation ?

Chapitre I : La planification de l'éducation : pragmatisme ou théories ?

Chapitre II : La planification de l'éducation en France : historique et fondements

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CHAPITRE I

La planification de l 'éducation : p ragmat i sme ou théor ies ?

Section I - Pourquoi planifier l'éducation ?

La notion de planification repose sur l'hypothèse fondamentale qu'en présence d'un système donné, il est possible d'en rationaliser l'évolution et d'en infléchir le cours, ceci en fonction d'un certain nombre de choix et d'optimums décidés à l'avance et par des méthodes de prévision adéquates.

L'Union soviétique dès 1923, mit en place des techniques et des modalités d'un Plan impératif. Mais la mise en pratique de la planification indicative dans les pays à économie de marché s'est fondée historiquement sur des nécessités immédiates : certains élaborèrent des Plans économiques à caractère plus ou moins indi- catif en vue de mettre à profit les ressources du Plan Marshall et de reconstruire rapidement leurs économies dévastées par la guerre, en évitant tout gaspillage. Ce n'est donc qu'ultérieurement que la planification émergea en tant que concept et alimenta les polémiques les plus vives.

Mais par delà cette contingence historique, l'opération de planification doit obéir aux exigences et aux principes d'une méthode et se traduire en un processus d'actions finalisées. Si en théorie la planification est une technique "neutre" en soi, et peut être au service de n'importe quels intérêts ou idéologies (entre les planifications impératives et indicatives les variantes ne se comptent pas), il reste que l'articulation du concept à partir de l'action, l'historicité et le contexte uniques dans lesquels ils s'inscrivent, déterminent la dimension, les caractéristiques et les objectifs de chaque Plan. Cependant, si l'aspect pragmatique a

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nettement dominé dans la période d'après-guerre, la planification a par la suite débordé du cadre exclusivement "économique" d'origine. Ses opérations se sont étendues à des secteurs consi- dérés à l'origine moins "productifs" et plus "sociaux", comme le secteur éducatif par exemple : une compréhension différente de la notion de croissance s'était associée à un large courant qui plébis- citait le capital humain comme élément fondamental de cette croissance (Becker 1964, Blaug 1970, Schultz 1960). Il devenait évident qu'une planification du système éducatif - principal producteur de ce capital - pouvait favoriser et orienter la crois- sance économique et sociale. Cette idée fut largement adoptée dans les années 50 et 60 par différents pays à économie de marché et particulièrement par la France.

Pour les adeptes de la planification de l'éducation, le potentiel considérable de capital humain que "traite" le système éducatif, le volume important des investissements, l'indivisibilité des biens d'équipement (Gruson 1968, Poignant 1960, 1972), la durée plus ou moins longue des cycles complets de formation (Tinbergen 1972, Poignant 1970, Jallade 1971) nécessitent une gestion rationnelle de ce système au niveau de la collectivité. Cette gestion s'opèrerait dans le cadre d'une planification adéquate, elle-même intégrée au sein d'un Plan économique et social d'ensemble.

La planification de l'éducation en système libéral se fonde sur des hypothèses, élabore des méthodes et emploie des instruments de prévision en vue d'imprimer au système éducatif une orien- tation vers certains choix supposés optimaux. Une remise en cause de l'efficacité de la planification est une question de technique mais la remise en cause de sa légitimité relève d'un problème éthique qui prend racine dans les fondements même de la philosophie sociale et économique. Nous ne pouvons pas, sans nous écarter de l'objet de cette étude, traiter d'une question aussi complexe. Cependant nous exposerons les hypothèses et méthodes sur lesquelles se fonde la planification de l'éducation en système libéral et les soumet- terons à une analyse critique pour tester leur validité. Ensuite nous nous interrogerons sur l'efficacité des instruments et des tech- niques de prévision et sur leur aptitude à détecter et à répertorier l'ensemble des mécanismes élémentaires des choix individuels. Peuvent-ils réduire l'incertitude liée aux anticipations indivi- duelles ou collectives et permettre à la planification d'orienter le système éducatif dans le sens voulu en depit de ses déterminismes et de sa rigidité ? Plus précisément, nous tenterons d'évaluer l'effi- cacité des techniques et des méthodes de prévision :

- au niveau de l'anticipation des comportements individuels et collectifs ;

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- au niveau de la capacité de ces instruments à évaluer les résistances du système éducatif et la puissance de ses mécanismes et déterminismes socio-culturels.

Cette analyse nous permettera de juger si théoriquement, les méthodes et techniques de prévision répondent aux hypothèses en fonction desquelles les Plans de l'éducation formulent leurs objec- tifs : à savoir maximiser "l'utilité collective" et réduire l'incertitude liée aux anticipations dans la recherche de choix optimaux.

L'hypothèse fondamentale - et implicite - sur laquelle repose la planification de l'éducation énonce l'existence d'un niveau opti- mal de développement du système éducatif. Il résulterait de la convergence spontanée (planification indicative) ou provoquée (planification volontariste) des micro-décisions des agents concer- nés. Cet optimum collectif peut être révélé par une planification effectuée au niveau de certaines instances élevées de l'Etat (Poignant 1967, Tinbergen 1972, Comb 1970). Des hypothèses corollaires énoncent que :

a) les Plans peuvent estimer le volume de la demande sociale d'éducation et l'adapter aux besoins et potentiels de l'économie.

b) la révélation de cet équilibre optimal, en réduisant l'incerti- tude :

- limiterait les erreurs d'orientation, - réduirait les coûts de l'incertitude et de l'erreur.

A travers ces hypothèses, la planification de l'éducation prétend faire du système éducatif la charnière d'un développement social et économique simultané.

Mais le Plan, indépendamment de ses méthodes et objectifs, reste l'œuvre d'une minorité qui se veut représentative de la collectivité (Perroux 1962) ; il prétend garantir les intérêts de cette dernière et croit en formuler la volonté et les anticipations. Afin de justifier l'orientation imprimée à l'avenir de la collectivité, la minorité ne peut se désengager, du moins en apparence, d'un cadre éthique qui la légitimerait et fournirait au Plan la dimension d'un acte collectif mû par le principe de "l'intérêt général". Or la notion d'utilité est nécessairement une notion subjective (ce qui n'exclut en rien sa rationalité intrinsèque) ; par ailleurs, nous ignorons comment cette minorité se représente "l'intérêt" et "l'uti- lité" collectifs ; sur quels fondements s'érige-t-elle pour affirmer qu'ils existent, qu'ils concordent nécessairement avec les aspi- rations individuelles, et qu'ils réduisent l'incertitude ?

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Section II - Le Plan, reflet de "l'utilité collective" ?

:

Les économistes classiques qui s'étaient penchés sur la question de l'éducation, y avaient vu un élément majeur de l'amélioration des conditions de vie et un facteur essentiel d'accroissement de la productivité de la main-d'œuvre, aussi avaient-ils préconisé une certaine forme d'intervention de l'Etat ; Adam Smith (1976), Stuart Mill (1965) ainsi qu'Alfred Marshall (1961), considèrent que l'édu- cation est même un investissement national. Pour Marshall, le plus valable des capitaux est celui investi dans les êtres humains, et Smith puis Marshall proposent toute une série de méthodes destinées à réglementer l'éducation au niveau de l'Etat.

Pourtant ces points de vue paraissent difficilement conciliables avec le concept d'Ordre Naturel sur lequel se fonde leurs théories car il n'est pas donné à l'individu de connaître l'entité de cet Ordre Naturel, et encore moins d'y intervenir. Mais s'il est vrai que le concept d'Ordre Naturel sert d'assise à la théorie économique classique il reste que ces économistes, à l'exception de Marshall, n'avaient pas analysé l'éducation dans une optique fondamen- talement économique car ils avaient délibérément rejeté de leurs constructions théoriques tout ce qui dans le comportement humain n'était pas quantifiable. La complexité du rôle de l'éducation se prêtant mal à la quantification, le facteur humain fut pendant longtemps exclu de l'analyse économique et confiné dans un cadre plutôt sociologique.

Par ailleurs, les libéraux n'avaient pas rejeté la conception de l'Etat de leur système, mais avaient limité son rôle à des domaines bien définis ; selon Smith, l'Etat peut fonder et entretenir certains ouvrages et institutions publiques quand leur fondation et leur entretien ne pourraient jamais se trouver dans l'intérêt d'un individu par ce que le profit ne rembourserait pas la dépense. Ainsi dans la pensée classique, une intervention des autorités dans le domaine de l'éducation peut se justifier. Mais dans les économies modernes, le système éducatif se trouve placé au centre des enjeux économiques et sociaux. Le souci d'optimiser son fonctionnement s'est traduit, on l'a vu, par une planification indicative qui, sans s'opposer au concept d'Ordre Naturel, s'appuie plutôt sur le prin- cipe de l'utilité collective pour se légitimiser. Mais l'utilité collec- tive correspond-elle à l'optimum collectif ?

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Il n'existe pas selon Arrow (1974) de méthodes absolues permettant de mesurer l'utilité, car il est impossible de reconstruire rationnellement le système entier de règles ayant concouru à sa formation : notre ignorance des faits particuliers en est la cause majeure ; aussi est-il dépourvu de sens d'ajouter l'utilité d'un individu à celle d'un autre : il n'existe aucune règle d'agrégation des préférences individuelles en une seule fonction de choix collectif rationnel à moins d'un jugement catégorique (la dictature) ou en supposant une uniformité de goût, ce qui est bien impro- bable.

Ces deux éventualités exclues, le problème se pose de comprendre la complexité des comportements collectifs sachant que chaque individu n'y participe que pour une infime partie ; la fragmentation de la connaissance est telle que chaque membre de la société ne peut avoir qu'une fraction de celle possédée par l'ensemble et ignore la plupart des faits sur lesquels repose le fondement de la société ; c'est une ignorance nécessaire et irrémédiable (Hayek 1980, Durkheim 1977). Pourtant, l'homme renonce difficilement au pouvoir qu'il s'est attribué sur l'ordre des choses. Les tenants de la planification sont, selon Hayek, victimes de "l'Illusion Synoptique" (Vol. I p. 17), sorte de fiction selon laquelle tous les faits à prendre en considération sont présents à l'esprit d'un même individu. Hayek accuse les planificateurs de faire preuve d'une "naïveté désarmante" car leurs Plans ne doivent leur apparente clarté qu'au "mépris délibéré" pour tous les faits qu'ils ne connaissent pas. Ces faits que la raison ne sera jamais en mesure de connaître ou de contrôler car ils relèvent d'un ordre spontané (Kosmos) distinct de l'ordre organisé (Taxis).

Or précisément, si l'utilité collective ne résulte pas de la confrontation des utilités privées, elle ne peut trouver sa raison d'être que dans l'incertitude qui pèse sur la société dans sa survie et la poursuite de ses objectifs (Crozier 1970). Le Plan, en se propo- sant de réduire l'incertitude et son coût, fait appel à la double dimension individuelle et sociale de l'homme. Le Plan serait donc un "réducteur d'incertitude" (Massé 1965) qui n'exclut pas les automatismes régulateurs du marché. Le problème ne se pose donc plus en terme d'utilité, mais en terme d'incertitude. Le Plan, en réduisant l'incertitude liée aux anticipations collectives (donc son coût), ne peut que réduire celle liée aux anticipations individuelles et tendre vers un optimum collectif, sans être tenu de l'atteindre nécessairement.

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Section III - Les méthodes de prévision des effectifs

Les méthodes en usage dans la planification de l'éducation s'appuient largement et pour la plupart sur les modèles écono- métriques dérivant de l'économie appliquée. Le choix des objectifs, en privilégiant une finalité à caractère économique ou à caractère plus social détermine le choix des méthodes ainsi que la politique d'action, indicative ou volontariste du Plan. En conséquence, les effectifs à attendre dans les différents cycles et sections du système éducatif sont prévus suivant l'une ou l'autre des trois méthodes suivantes :

1) Méthode de la demande sociale Comb (1970) définit la demande sociale d'éducation comme

étant le montant total des demandes exprimées spontanément. La prévision des effectifs repose sur l'évolution prévue des taux de scolarisation en fonction de l'évolution démographique, sociale et économique. Le système éducatif devrait théoriquement, et sans contenir cette demande, y répondre par une offre correspondante (investissement, équipement, recrutement...) en étant plutôt axé sur des considérations de développement social et de démocratie. Cette méthode, de par son caractère non interventionniste, s'apparente à la planification indicative.

2) Méthode de la main-d'œuvre L'enseignement est selon Le Thanh Khoi (1967) la plus grande

industrie de notre époque, tant par les ressources humaines et financières qu'il absorbe que par l'importance de sa production. Comme toute entreprise intégrée dans son contexte, le système éducatif est supposé "traiter" le capital humain à l'état brut (Input) pour le remettre sur le marché du travail sous forme de produits immédiatement fonctionnels (Output). La méthode de la main- d'œuvre s'applique en conséquence, à ce que cet output réponde, en volume et en qualifications, aux besoins du marché du travail ; de là son caractère volontariste.

3) Méthode du taux de rendement Cette méthode n'a été appliquée dans aucun pays jusqu'à ce

jour. Au chapitre 5 nous exposerons et testerons sa valeur prédictive au niveau de quelques formations de l'enseignement supérieur en France.

Section IV - Le Plan, réducteur d'incertitude ?

La réalité que les modèles économétriques doivent cerner et anticiper est multidimensionnelle, difficilement réductible à un

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système de variables et d'objectifs quantifiés. Cette difficulté se situe à trois niveaux :

- Au niveau de la formation du choix concernant la demande et l'offre d'éducation.

- Au niveau des techniques et instruments de prévisions. - Au niveau du système éducatif en tant que système social

obéissant à ses propres déterminismes et à un rythme propre d'évolution (rôle du facteur temps).

La théorie économique du choix rationnel laisse peu de place à l'incertitude. Elle repose sur la rationalité du comportement de l'agent. Rationalité qui lui permet de maximiser son utilité et de minimiser les coûts de la décision. Pourtant, le rôle de l'infor- mation (Nelson 1970, 1974) est primordial dans la décision de l'agent, confronté à plusieurs alternatives, car ce n'est qu'en cas d'information parfaite que toute erreur d'évaluation et de décision serait exclue. Or l'information est souvent imparfaite et le risque d'erreur en est d'autant plus élevé. Par ailleurs, le coût de l'erreur augmente avec le degré d'irréversibilité du choix et le coût de reconversion. En soulignant le rôle de l'information, Nelson en propose deux techniques : l'expérimentation et l'inspection. Mais, dans le cas de l'éducation, il serait trop coûteux ou même impossible d'expérimenter tous les choix alternatifs qui s'offrent. Au coût élevé en temps et en énergie, s'ajoute celui de la recon- version et de la perte d'opportunité relative au retard d'entrée dans la vie active. Tout au plus, on peut procéder par inspection et se référer à l'expérience d'autrui, mais dans ce cas, les données de base pour l'évaluation des différentes alternatives ne sont plus les mêmes.

Par ailleurs, les personnes concernées peuvent établir leurs anticipations en se fondant sur leurs propres circuits d'informa- tion ; elles cumulent les expériences d'autrui, leur évaluation per- sonnelle des faits, l'information provenant de source personnelle (parents, amis, relations) ou impersonnelle (médias, services spécialisés, organismes publics, etc.). Ainsi se forme un échevau d'informations hétérogènes, parfois contradictoires et auquel l'individu se réfère pour formuler ses propres anticipations ; ce qui lui permet d'effectuer son choix en ayant théoriquement réduit le coût de l'erreur et d'une reconversion éventuelle. Mais peut-on affirmer que la demande totale d'éducation résulte de la somma- tion de ces anticipations individuelles et dans quelle mesure les exprime-t-elle ?

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Ce que la demande sociale exprime ou n'exprime pas

En reprenant la définition de Comb, la demande sociale d'édu- cation serait le montant total des demandes exprimées spontané- ment, ce qui suppose que l'ensemble de cette demande a pu être satisfait. Mais dans le cas contraire, comment évaluer la demande totale insatisfaite puisqu'elle n'a pu être exprimée ? D'autre part, la demande totale ne révèle ni les disparités régionales, ni les inégalités sociales devant l'accès à l'éducation. La référence à la seule variable démographique (surtout dans le cas de la scolarité non obligatoire) ne permet pas d'évaluer et de prévoir le volume de la demande sociale et son évolution. Les motivations qui induisent les décisions individuelles peuvent varier mais leur formulation est identique pour tous les individus concernés par la même discipline. Ainsi l'ignorance du mobile des micro-décisions ne nous empêche pas de connaître le volume de la demande expri- mée. Mais elle devient un handicap majeur quand il s'agit d'anti- ciper son évolution et de l'adapter au potentiel d'offre du système éducatif ; cette offre qui doit dans la mesure du possible répondre aux besoins du marché de l'emploi.

L'offre du système éducatif: un monopole

Quand l'enseignement est un service quasi-public, l'Etat en devient le principal "producteur". Toutefois, ce monopole sur l'offre d'éducation est d'un type bien particulier : la détermination du volume de l'output ainsi que du prix de production obéissent à des considérations non seulement économiques mais aussi sociales. S'il ne s'était agi que de considérations économiques, l'Etat fixerait sinon le prix, du moins le volume de sa production, en fonction de la demande du marché de l'emploi (en qualifications et en quan- tités). La méthode de la main-d'œuvre peut alors théoriquement aider à formuler des prévisions d'effectifs en vue de cet objectif.

Mais les considérations de développement social, de justice et d'équité ont conduit certains pays comme la France à démocratiser l'enseignement ; l'instauration d'une quasi gratuité des études, l'accès ouvert au système éducatif introduisent un biais consi- dérable dans l'offre et la demande à tous les niveaux d'enseignement. Le système éducatif perd quelque peu le contrôle du volume de la demande qui tend à devenir supérieure à la demande du marché du travail. Alors apparaissent au sein du système éducatif des mécanismes de sélection qui conditionnent et orientent au départ la demande d'éducation des particuliers en fonction de l'offre déjà structurée du système éducatif. La prévision des effectifs par la méthode de la demande sociale

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apparaît dans ce cas insuffisante. Faut-il alors s'en remettre à la méthode de la main-d'œuvre ?

Dans le chapitre 5, nous exposerons les hypothèses sur les- quelles se fonde cette méthode, dans le cadre d'un examen du processus d'anticipation de l'offre d'éducation dans l'enseigne- ment supérieur.

Les prévisions d'effectifs tiennent-elles compte de l'ensemble des contingences qui interfèrent sur les anticipations individuelles et les orientent ? Les techniques de prévision le permettent-elles ?

Muth (1961) propose les modèles macro-économiques comme la meilleure information permettant des anticipations rationnelles. Les implications de cette hypothèse, reprises et développées par les économistes de la "Nouvelle Economie Classique" tels que Lucas et Barro, ont reconsidéré le rôle de l'incertitude et de l'information dans la prise de décision. Lucas (1980) énonce le Principe d'Incerti- tude de l'Econométrie suivant lequel toute vision du futur est nécessairement subjective. Les modèles macro-économiques se fondent sur des paramètres évalués à partir du comportement passé, et le réalisme d'un modèle peut masquer le nombre infini de contingences institutionnelles, structurelles ainsi que les motiva- tions profondes de chaque décision individuelle. Il n'est logique- ment pas possible de répertorier et de décrire au sein d'un même modèle l'ensemble des variables explicatives ; ce qui n'empêche pas ces variables de continuer à jouer dans la réalité un rôle plus ou moins grand et de limiter ainsi la capacité prédictive des Plans. D'ailleurs les anticipations peuvent être un facteur de déstabilisa- tion supplémentaire dans la mesure où elles provoquent des réac- tions de panique et de surajustement excessif.

Lucas déclare en conséquence, que la théorie n'est pas un ensemble d'affirmations sur les comportements réels, mais des indications qui permettent la construction d'un système parallèle ou analogique.

La planification de l'éducation s'est développée à partir du moment où les écoles et les universités n'étaient plus uniquement tenues d'assurer la continuité d'un système social déterminé, mais devaient aussi contribuer à la réforme de la société. A ce propos, la