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Integrated Design of Hydrological Networks (Proceedings of the Budapest Symposium, July 1986). IAHS Publ. no. 158,1986. Analyse des réseaux nivométriques de Québec en vue de leur rationalisation Analysis and rationalization of the snow networks of Quebec J. P. FORTIN Institut National de la Recherche Scientifique, INRS-Eau, CP 7500, Sainte-Foy, Quebec, Canada G1V 4C7 G. JACQUES Ministère de l'Environnement, Direction de la Météorologie, 2360 Chemin Sainte-Foy - 2e étage, Sainte-Foy, Québec, Canada G1V 4H2 G. MORIN Institut National de la Recherche Scientifique, INRS-Eau, CP 7500, Sainte-Foy, Quebec, Canada G1V 4C7 RESUME L'étude des réseaux de mesure des chutes de neige et du stock de neige au sol gérés par le ministère de l'Environnement du Québec a été réalisée selon une approche régionale, en faisant appel à l'analyse des données en composantes principales et à l'interpolation optimale. Les notions théoriques particulières à l'application de ces deux méthodes d'analyse sont d'abord présentées brièvement. On discute ensuite les résultats obtenus en appliquant ces méthodes pour la détermination de régions statistiquement homogènes, l'estimation des fonctions de structure et des écarts types d'interpolation régionaux, en fonction de la distance entre les stations et la cartographie des écarts types réels des réseaux en opération en janvier 1978. L'utilisation pratique de ces résultats dans le cadre des restrictions budgétaires imposées au cours des dernières années est enfin exposée. INTRODUCTION En 1977, le Ministère de l'Environnement du Québec commandait une étude de ses réseaux d'acquisition de données sur les précipitations liquides et solides et les températures de l'air. Cette étude avait comme objectifs généraux de cerner les besoins à satisfaire, puis d'étudier dans quelle mesure ces réseaux pouvaient déjà ou pourraient fournir les données désirées, compte tenu des contraintes finan- cières, humaines, techniques et logistiques inhérentes à l'implanta- tion et à l'exploitation des stations. C'est dans cette perspective que l'on a défini une stratégie d'intervention caractérisée par (a) une conception dynamique des réseaux, (b) une régionalisation des besoins et des caractéristiques des variables, (c) des critères réalistes, (d) une étude du réseau 57

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Integrated Design of Hydrological Networks (Proceedings of the Budapest Symposium, July 1986). IAHS Publ. no. 158,1986.

Analyse des réseaux nivométriques de Québec en vue de leur rationalisation

Analysis and rationalization of the snow networks of Quebec

J. P. FORTIN Institut National de la Recherche Scientifique, INRS-Eau, CP 7500, Sainte-Foy, Quebec, Canada G1V 4C7

G. JACQUES Ministère de l'Environnement, Direction de la Météorologie, 2360 Chemin Sainte-Foy - 2e étage, Sainte-Foy, Québec, Canada G1V 4H2

G. MORIN Institut National de la Recherche Scientifique, INRS-Eau, CP 7500, Sainte-Foy, Quebec, Canada G1V 4C7

RESUME L'étude des réseaux de mesure des chutes de neige et du stock de neige au sol gérés par le ministère de l'Environnement du Québec a été réalisée selon une approche régionale, en faisant appel à l'analyse des données en composantes principales et à l'interpolation optimale. Les notions théoriques particulières à l'application de ces deux méthodes d'analyse sont d'abord présentées brièvement. On discute ensuite les résultats obtenus en appliquant ces méthodes pour la détermination de régions statistiquement homogènes, l'estimation des fonctions de structure et des écarts types d'interpolation régionaux, en fonction de la distance entre les stations et la cartographie des écarts types réels des réseaux en opération en janvier 1978. L'utilisation pratique de ces résultats dans le cadre des restrictions budgétaires imposées au cours des dernières années est enfin exposée.

INTRODUCTION

En 1977, le Ministère de l'Environnement du Québec commandait une étude de ses réseaux d'acquisition de données sur les précipitations liquides et solides et les températures de l'air. Cette étude avait comme objectifs généraux de cerner les besoins à satisfaire, puis d'étudier dans quelle mesure ces réseaux pouvaient déjà ou pourraient fournir les données désirées, compte tenu des contraintes finan­cières, humaines, techniques et logistiques inhérentes à l'implanta­tion et à l'exploitation des stations.

C'est dans cette perspective que l'on a défini une stratégie d'intervention caractérisée par (a) une conception dynamique des réseaux, (b) une régionalisation des besoins et des caractéristiques des variables, (c) des critères réalistes, (d) une étude du réseau

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58 J.P.Fortin et al.

région par région, (e) une planification visant à intégrer les reseaux entre eux, (f) une considération des méthodes d'analyse ou de simulation selon une approche régionale, (g) une durée et une densité d'observations adaptées aux besoins et enfin, (h) une intégration rationnelle des diverses sources de données météorolo­giques (Fortin et al., 1980; Fortin et al., 1983).

Le présent article a pour objectifs spécifiques de présenter: - la démarche suivie pour l'analyse des réseaux d'acquisition des données sur les chutes de neige journalières et les relevés de neige au sol; - des exemples représentatifs des résultats obtenus; - l'utilisation pratique de l'étude par le ministère québécois de 1'Environnement.

METHODOLOGIE

L'analyse des réseaux proprement dite a été réalisée par interpola­tion optimale (Gandin, 1965). L'application de cette méthode d'analyse demande toutefois que les données utilisées soient indépendantes et que le champ de la variable analysée soit homogène et isotrope.

Par ailleurs, Dyer (1975) a utilise l'analyse en composantes principales pour définir des groupes de stations pluviométriques statistiquement homogènes.

Dans l'étude qui suit, la complémentarité des deux méthodes a été mise à profit pour déterminer des champs sur lesquels il est possible d'appliquer l'interpolation optimale en respectant l'hypo­thèse d'homogénéité spatiale des données. Cette approche s'est effectivement avérée très satisfaisante (Fortin et al., 1981, 1983).

ANALYSE DES DONNEES EN COMPOSANTES PRINCIPALES

Nous ne rappellerons pas ici la théorie de l'analyse en composantes principales. Ces renseignements peuvent facilement être obtenus dans la littérature (Hotelling, 1933; Kendall, 1957; Anderson, 1958). Nous nous limiterons essentiellement à expliquer la méthodologie adoptée pour définir des groupes homogènes de stations. Notons immédiatement qu'il est possible de définir des groupes de stations par composantes principales sans faire subir de rotation aux axes principaux (Morin et al., 1979). Toutefois, à l'instar de Dyer (1975), l'analyse qui suit repose sur la rotation des axes princi­paux obtenus initialement, de manière à redistribuer le pourcentage total de variance expliquée plus également entre les n composantes. La méthode VARIMAX a été retenue pour ce faire (Nie et al., 1975).

Suite à cette rotation, on identifie pour chaque station, le coefficient de corrélation le plus élevé entre cette station et l'un des axes (ou composantes). Les stations sont alors regroupées selon l'axe avec lequel leur corrélation est la plus élevée, formant, potentiellement, autant de groupes qu'il y a d'axes. On peut, de plus, pour chacun des groupes ainsi formés, détecter des sous-groupes par l'analyse des coefficients de corrélation entre les stations et les autres axes.

Analyse des réseaux nivométriques du Québec 59

Si chaque station est identifiée par la composante principale â laquelle elle est attribuée et pointée sur une carte, on constate que la distribution géographique des stations attribuées à une composante n'est pas aléatoire, mais qu'au contraire, presque toutes les stations attribuées à une composante donnée sont groupées ensemble géographiquement. Il devient donc possible de définir des regions statistiquement homogènes sur cette base.

INTERPOLATION OPTIMALE

Le but de toute interpolation est d'estimer la valeur f0 d'une variable en un point quelconque du champ considéré. Cependant, compte tenu de perturbations causées au champ des normales, il peut être préférable de rechercher l'anomalie f0 (ou écart par rapport à la normale) plutôt que la valeur f0 (Gandin, 1965). Cette anomalie f0 peut effectivement être estimée grâce à une combinaison linéaire

_. . o polation et l'estimation linéaire, peut s'écrire:

,n E = [ f o - J H ^ + (1)

Rappelons, de plus, que si la structure statistique du champ est introduite dans les calculs et si l'erreur quadratique moyenne E est minimisée par rapport aux poids p^, l'interpolation réalisée a l'aide de ces poids est dite interpolation optimale (Gandin, 1965, 1970).

La fonction de structure des anomalies f£_ et f • à deux stations i et j dans le champ considéré peut s'écrire en génelral:

b.. = i[f-' - f']2 (2)

La formulation de cette fonction est considérablement simplifiée si cette dernière ne dépend que de la distance d entre les points i et j. Cette condition est réalisée si le champ des anomalies est homogène et isotrope. De plus, si les sources d'erreur sont aléatoires, la fonction de structure expérimentale b(d) est reliée à la fonction de structure théorique b(d) par la relation suivante:

6(d) = b(d) + a2 (3)

Sachant que b(d =0) = 0 , on peut déduire de l'équation (3) que b(d =0) = a2.

Les fonctions de structure n'atteignant généralement pas de palier pour les distances considérées, il est souvent jugé préfé­rable d'obtenir E en supposant que la somme des poids attribués aux stations est égale à l'unité, ce qui requiert l'introduction du multiplicateur de Lagrange X. Le système de n + = équations permet-

60 J.P.Fortin et al.

tant de déterminer les poids est alors:

E nn p . b . . - p . a2 + X = b .

j=l rj IJ î 01

£n , P- = 1

pour tout i = l,...,n (4)

Quant à l'erreur quadratique moyenne E, elle est estimée par:

E = E., p. b . + 1=1 i oi

(5)

Précisons qu'une interpolation optimale effectuée en utilisant une normalisation des poids comme celle que nous avons choisie ne conduit pas théoriquement à une interpolation optimale aussi précise que dans le cas où les poids ne sont pas normalisés.

Enfin, il est important de noter que le système d'équations doit être résolu autant de fois qu'il y a de points où une interpolation est désirée.

ECART TYPE D'INTERPOLATION EN FONCTION DE LA DISTANCE ENTRE LES STATIONS

La géométrie d'un réseau réel est le plus souvent tributaire de la physiographie, des axes routiers et des centres de population. Il est toutefois important, comme point de comparaison, de déterminer quel serait l'écart type d'interpolation obtenu à partir d'un réseau de géométrie régulière. Gandin (1965, 1970) suggère donc de calculer l'écart type d'interpolation au centre d'un triangle equilateral, aux sommets duquel les stations sont situées. Toute­fois, les essais de calculs, que nous avons réalisés, indiquent qu'il est préférable de considérer plus de trois stations. Nous avons donc utilisé six stations situées aux sommets de deux triangles équilatéraux emboités, centres sur le point de grille (Fig.l).

Dans ce cas particulier, l'écart type d'interpolation E est obtenu en solutionnant le système d'équations (4) et (5), c'est-à-

FIG.l Position des stations (•) pour le calcul de d'écart type d'interpolation en un point (o).

Analyse des réseaux nivométriques du Quebec 61

dire en estimant les poids p attribués aux trois stations inté­rieures, les poids q attribués aux stations extérieures, de même que À et a à l'aide de la fonction de structure expérimentale b"j4, dont l'argument est exprimé sous forme de distance.

Un point important doit être souligné ici. La variation de l'écart type en fonction de la distance d entre les stations n'est pas une simple transposition de la valeur prise par la fonction de structure à la même distance et donc de la forme de la fonction de structure. La valeur de l'écart type, à une distance d donnée, résulte plutôt de relations mathématiques utilisant les valeurs de la fonction de structure à cinq (5) distances différentes (d, 2d, d//3, d/3 et 2d//3) et non seulement à la distance d.

CARTOGRAPHIE DES ECARTS TYPES D'INTERPOLATION D'UN RESEAU

Ce n'est pas suffisant de connaître quel serait l'écart type d'interpolation d'un réseau de géométrie régulière dont la distance entre les stations est d. Il peut arriver que, dans certaines parties d'une région, la densité d'un réseau réel soit amplement suffisante pour atteindre et même dépasser la précision souhaitée, alors qu'ailleurs, dans la même région, la densité et la géométrie du réseau soient telles que la précision souhaitée est loin d'être atteinte.

En pratique, l'écart type d'interpolation à partir du réseau existant est calculé en chaque point d'une grille carrée, à l'aide des équations (4) et (5), et les iso-écarts types sont tracés, en interpolant les valeurs obtenues aux points de grille.

Il importe de noter que les écarts types obtenus sont des valeurs moyennes et que pour un événement donné, l'écart réel d'une inter­polation basée sur les observations aux points de mesure peut s'avérer fort différent de cet écart type moyen. Il faut donc interpréter ces valeurs dans un sens statistique.

DONNEES

L'analyse a été réalisée à partir de données sur les chutes de neige acquises a. plus de 180 stations du réseau météorologique du Gouver­nement du Québec et des relevés d'équivalent en eau de la neige au sol de 92 lignes de prélèvement de neige (Fig.2(a) et 2(b) et Tableau 1). Sont présentés dans ce qui suit, les résultats de l'analyse sur la partie du Québec située au sud de la latitude 52° nord. La superficie couverte (environ 700 000 km2) par l'étude correspond à une fois et demie celle de la France.

Pour les périodes et les mois considérés on a, dans le cas des chutes de neige journalières, éliminé les données des stations qui présentaient des hétérogénéités temporelles sur la période 1971 à 1975. De plus les journées où moins de 20% des stations rapportaient une chute de neige ont aussi été éliminées, afin de s'en tenir à l'analyse du phénomène précipitation nivale. Pour les chutes de neige mensuelles, les séries mensuelles ont été homogénéisées lorsque nécessaire (Jacques, 1981). Cependant, les stations

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FIG.2 Identification des régions analysées et de leur zone d'influence et localisation des stations au 1er janvier 1978 pour les variables étudiées: (a) chute de neige journalière; (b) chute de neige mensuelle; (c) équivalent en eau de la neige au sol.

Analyse des réseaux nivométriques du Québec 63

TABLE 1 Statistiques sur les réseaux étudiés

Variable Nombre de Nombre de stations en stations exploitation*: dans l'étude

1985 1978

Période Mois analysée

Chutes de neige journalières

Chutes de neige mensuelles

Équivalents en eau de la neige au sol

471

471

210

200

182

92

1971-1975 janvier et février

1962-1975 janvier à mars

1958-1977 janvier à avril

*Ces totaux incluent des stations au nord de la latitude 52° nord. Cinq pour cent des stations de mesures des chutes de neige ainsi que dix pour cent des stations de relevés de l'équivalent de la neige au sol y sont situées.

présentant un pourcentage de données manquantes trop important n'ont pas été retenues; ces pourcentages ont été fixés à 33% pour les chutes nivales journalières et à 25% pour les totaux mensuels de chutes de neige. La période d'échantillonnage des équivalents en eau de la neige au sol peut s'étaler sur une semaine pour l'ensemble du réseau. Afin d'assurer l'homogénéité des relevés correspondants à une période donnée, les relevés influencés au cours de cette période d'échantillonnage, par des précipitations de pluie ou de neige ou par une période de fonte, n'ont pas été retenus pour l'analyse.

Toutes ces précautions, jugées nécessaires pour assurer la représentativité des données, ont réduit de façon significative l'information disponible à l'origine, comme en témoigne le Tableau 1.

REGIONALISATION

Les régions définies par l'analyse des données à l'aide des compo­santes principales sont présentées sur les Fig.2(a)-(c). On note un nombre plus faible de régions statistiquement homogènes sur la Fig.2(b) que sur la Fig.2(a), ce qui traduit une plus grande homogénéité spatiale pour les précipitations nivales mensuelles que pour les précipitations nivales journalières. Par suite des caractéristiques mêmes des situations synoptiques à leur origine, les précipitations nivales sont en effet plus étendues et présentent généralement un caractère plus homogène que les précipitations estivales d'origine plutôt convective.

64 J.P.Fortin et al.

FONCTIONS DE STRUCTURE REGIONALES

Suite à la régionalisation de l'information, l'analyse des fonctions de structure a été réalisée pour chacune des régions définies précédemment et pour chacune des variables nivométriques: chutes nivales journalières et mensuelles et équivalents en eau de la neige au sol. Les Figs 3(a), 4(a) et 5(a) présentent, pour chacune des régions homogènes et chacune des variables, les fonctions de structure en fonction de la distance interstation.

Pour certaines des régions présentées aux Figs 2(a), 2(b) et 2(c), le manque de stations a rendu impossible la détermination des fonctions de structure. Pour ces régions, les résultats obtenus dans les régions avoisinantes montrant des caractéristiques physio-graphiques semblables, peuvent être suggérés à défaut d'outils rationnels d'analyse. Dans ce qui suit, on s'en tiendra aux régions qui ont pu être analysées.

Rappelons brièvement que la fonction de structure est l'expres­sion de la variabilité spatiale du phénomène étudié. L'ordonnée à l'origine (effet de pépite) correspond à la variance de la mesure aux sites de mesures et tient compte des effets microclimatiques, donc de la représentativité régionale du site, autant que de l'erreur de mesure instrumentale. On note, sur les Figs 3(a), 4(a) et 5(a), que la variance des chutes nivales mensuelles aux sites de mesures est près de 30 fois plus importante que celle des chutes nivales journalières. Par ailleurs, elle est du même ordre que celle des équivalents en eau de la neige au sol, si l'on considère une densité moyenne de la neige de 0.25.

ECARTS TYPES DES ERREURS D'INTERPOLATION

Pour chacune des variables étudiées et chacune des régions définies précédemment, les Figs 3(b), 4(b) et 5(b) présentent, en fonction de la distance interstations pour un réseau triangulaire, l'écart type d'interpolation en un point situé au centre d'une maille du réseau (Fig.l).

On se rend compte immédiatement que la relation entre la fonction de structure et l'erreur d'interpolation est complexe. Ainsi, pour les chutes de neige journalières, la région C, présentant une fonction de structure (Fig.3(a)) de niveau généralement inférieur à la région B, montre des écarts types d'interpolation (Fig.3(b)) plus grands que cette dernière. Les pentes des courbes régionales (Fig.3(b)) étant relativement identiques et faibles (de l'ordre de 0.5 cm par 100 km) pour des distances supérieures à 20 km, les écarts types diminuent de façon similaire dans toutes les régions à mesure que la densité du réseau augmente. Toutefois à des distances inférieures à 20 km, la région C présente des écarts types qui décroissent à un taux de 2 à 5 fois supérieur à celui des autres régions.

Dans le cas des chutes de neige mensuelles (Fig.4(b)) les écarts types d'interpolation se différencient nettement d'une région à l'autre, tant au niveau de leur valeur à une distance donnée que de la pente des courbes. Ainsi, la région C présente à presque toutes

Analyse des reseaux nivométriques du Quebec 65

(a) cj 20

5 15

50 75 100 125 150

DISTANCE EN KILOMETRES

(b)

(C)

- 4 4 - BASSE COTE NORD B-GASPESIE- LAC ST-JEAN C -ESTRIE D - OUTAOUAIS - MAJRICIE E - ABIT IB I - TÉMISCAMINGUE

40 60 80 100 120 DISTANCE EN KILOMÈTRES

160

T 1 r~

> " ^ N ©

J « •

REGION: OUTAOUAIS- MAURICIE

FIG.3 Chutes de neige journalières: (a) fonctions de structure régionales; (b) écarts types d'interpolation régionaux; (c) iso-écarts types d'interpolation sur la région D (réseau en janvier 1978).

les distances des écarts types supérieurs d'environ 4 cm à ceux de la région E. Par ailleurs, si les courbes des régions D et E sont comparées, on constate qu'une diminution identique de la distance interstations conduit à un rapport (gain en précision)/(coût

66 J . P . F o r t i n e t a l .

(a) M 4ULH E u

£ 3 0 0 -3 1-U

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LU O Z 100-O P

P 0-

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1 -1

(c)

50 75 100 125 150 DISTANCE EN KILOMÈTRES

175 200 225

(b) 12-,

GASPESIE- LAC ST-JEAN C - ESTRIE 0 - OUTAOUAIS-MAURICIE E - ABITIBI - L A C P E ' R I B O N C A

4 0 60 80 100 120 DISTANCE EN KILOMÈTRES

REGION: OUTAOUAIS-MAURICIE

FIG.4 Chutes de neige mensuelles: (a) fonctions de structure régionales; (b) écarts types d'interpolation régionaux; (c) iso-écarts types d'interpolation sur la région D (réseau en janvier 1978).

d'implantation et d'exploitation) plus avantageux dans la région D que dans la région E. En d'autres termes, pour des besoins equivalents avec un budget limité, il vaudrait mieux investir dans la région D que dans la région E.

Analyse des réseaux nivométriques du Québec 67

(a) 30.0

120 160 200 y 2 4 0 DISTANCE EN KILOMETRES

6 0 8 0 100 120 DISTANCE EN KILOMÈTRES

(c)

"iT^^S»'

RÉGION: OUTAOUAIS - MONTREAL

FIG.5 Equivalents en eau de la neige au sol: (a) fonctions de structure régionales; (b) écarts types d'interpolation régionaux; (c) iso-écarts types d'inter­polation sur la région C (réseau en janvier 1978).

Pour ce qui est des erreurs d'interpolation des équivalents en eau de la neige au sol (Fig.5(b)), les régions B et C montrent un

68 J.P.Fortin et al.

comportement presque identique en fonction de la densité du réseau, les pentes des courbes valant environ 0.8 cm par 100 km. La région A est caractérisée par une pente légèrement plus faible.

En comparant entre elles les familles de courbes des Figs 3(b), 4(b) et 5(b) on peut faire les remarques qui suivent. Si on admet une densité moyenne de la neige au sol pour la période janvier à mars de l'ordre de 0.25, on trouve que l'erreur d'interpolation, pour une densité donnée de réseau, est généralement du même ordre que celle des chutes nivales mensuelles. D'autre part, pour une région et une densité données, l'écart type des erreurs d'interpola­tion des chutes nivales mensuelles est généralement supérieur à l'erreur d'interpolation des chutes nivales journalières par un facteur variant de 5 à 6.

DISTRIBUTION SPATIALE DE L'ERREUR D'INTERPOLATION DES RESEAUX EXISTANTS EN JANVIER 1978

Pour un réseau réel, les écarts types obtenus précédemment pour une distance donnée (Figs 3(b), 4(b) et 5(b)) doivent être interprétés en fonction du degré d'homogénéité et d'isotropie du champ de la variable étudiée et de la géométrie du réseau de mesure. Dans le but de déterminer la précision des réseaux en opération, la carto­graphie des écarts types d'interpolation de chacune des variables étudiées a été réalisée pour l'ensemble des régions analysées précédemment. Les réseaux de mesure des chutes de neige et du stock de neige au sol sont ceux qui étaient en exploitation au 1er

janvier 1978 (Fig.2). Pour illustrer les résultats obtenus, les Figs 3(c), 4(c) et 5(c) présentent, pour chacune des variables étudiées, l'analyse réalisée pour une région donnée et sa zone d'influence. Ces régions se situent dans l'extrême sud du Québec et couvrent environ le même territoire. Plus des deux tiers de la population du Québec y vit et les problèmes d'inondations y sont une préoccupation à chaque printemps. La connaissance du stock de neige disponible pour la fonte et de son évolution quotidienne revêt donc une grande importance. Les iso-écarts types d'interpolation des chutes de neige journalières (Fig.3(c)) et mensuelles (Fig.4(c)) montrent essentiellement la même configuration puisque c'est le même réseau qui est analysé. La différence se situe au niveau des valeurs des écarts types respectifs; les écarts types mensuels sont environ 5 fois plus élevés que les écarts types journaliers. Le nord du territoire présente les valeurs les plus élevées; ces valeurs sont supérieures à 1.25 cm et 6.00 cm aux niveaux journa­liers et mensuels respectivement. Cette partie du territoire est caractérisée par un réseau de faible densité (Figs 2(a) et 4(b)).

L'analyse du réseau des équivalents en eau du couvert nival est présentée à la Fig.5(c). Ce réseau possède une géométrie relative­ment plus uniforme que celui des chutes de neige (Figs 2(b) et 2(c)). En conséquence, les écarts types présentent une structure spatiale moins organisée que dans le cas précédent où un gradient peut être observé dans la direction perpendiculaire à l'axe Québec-Montréal (Fig.3(c)).

Analyse des réseaux nivométriques du Québec 69

UTILISATION PRATIQUE DES RESULTATS DE L'ANALYSE

La fin des années 70 et le debut des années 80 ont nécessité par leur contexte économique difficile, la revision et la rationalisation de plusieurs activités, en particulier des activités d'inventaires météorologiques. Des réductions importantes dans les budgets afférents à la gestion des reseaux indiquaient la voie a suivre, à savoir la réduction du nombre des stations des différents réseaux de mesure; les réseaux nivometriques ne furent pas épargnés.

Cependant, afin de gérer de façon rationnelle la décroissance des réseaux, les besoins en termes de re's eau furent réexamines et un plan de réorganisation fut mis sur pied. Ce plan, en plus de tenir compte des contraintes budgétaires, devait assurer une couverture et une précision adéquate pour rencontrer les besoins régionaux de même qu'une certaine continuité" des series chronologiques. Cette réor­ganisation ne s'est pas nécessairement traduite par une réduction de la densité" des réseaux à l'échelle régionale. Elle a comporté un bon nombre de réaménagements et a conduit, dans certaines régions, â une augmentation de la densité" pour certains réseaux. C'est le cas notamment du réseau de mesure des équivalents en eau de la neige au sol qui a été" augmenté", particulièrement dans la région A (Fig.2(c)). Sur l'ensemble des régions couvertes par ce ré"seau en 1985, la distance interstations varie généralement entre 35 et 60 km selon les besoins. Ces stations se situent en milieu forestier, de préférence à la tête des bassins versants. Le tableau 1 indique les modifica­tions apportées de janvier 1978 à janvier 1985 aux nombres totaux de stations de chacun des réseaux analysés précédemment.

À titre d'exemple, l'exercice de rationalisation sur le territoire analysé à la section précédente (Figs 3(c), 4(c) et 5(c)) a amené une réduction de la densité du réseau de mesure des chutes de neige la. où l'erreur d'interpolation était inférieure à 5.0 cm à l'échelle mensuelle (Fig.4(c)) et à 1.0 cm à l'échelle journalière (Fig.3(c)). Cette réduction de la densité du réseau de mesure des chutes de neige a eu pour effet d'établir la distance interstations à environ 40 km sur le territoire analysé. Compte tenu des besoins particuliers aux grandes agglomérations, le réseau des régions urbaines de Montréal et Québec n'a pas été modifié. D'autre part, à l'ouest du même territoire où les besoins en termes de surveillance du stock nival l'exigeait, un certain nombre de pluviographes totalisateurs munis d'une interface de télécommunication ont été installés. Dans le cas du réseau de mesure des équivalents en eau de la neige au sol, il n'y a pas eu de changement, si ce n'est une réduction de densité là où l'écart type d'interpolation était inférieur à 1.0 cm.

CONCLUSION

L'application, à des régions statistiquement homogènes, du sud du Québec, de la méthode d'interpolation optimale, a permis une gestion rationnelle de la réduction de la densité des réseaux nécessitée par les restrictions budgétaires. L'analyse des courbes d'écart type d'interpolation en fonction de la distance interstations et des cartes d'iso-écarts types d'interpolation, couplée à un examen des besoins, a été utilisée avec profit pour le réaménagement des réseaux

70 J.P.Fortin et al.

de mesure des chutes de neige et des equivalents en eau de la neige au sol, dans les différentes regions. La méthodologie choisie, qui permet de quantifier la variabilité spatiale des variables climato-logiques étudiées, constitue donc un outil pratique et rationnel de planification et de gestion des réseaux d'inventaires météorologi­ques, en particulier des réseaux de mesures nivométriques.

REMERCIEMENTS Les auteurs remercient le ministère de l'Environ­nement du Québec qui a financé l'étude. Ils tiennent aussi à noter la participation de Messieurs L.Dupont, J.Lacroix, D.Leblanc et B.Plante à ce projet.

REFERENCES

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