25
ACP N°341 - L’hebdomadaire indisciplinaire Paris, le 16 septembre 2013 Arpenter le Champ pénal 11 ème année Directeur de la publication : Pierre V. Tournier * Paris. Mardi 17 septembre, 17h45, Rentrée du séminaire « Enferme- ments, Justice et Libertés dans les sociétés contemporaines » du CHS XXe siècle, avec Laetitia Tamadon-Lemerle, juriste au numéro vert de l’ARAPEJ-Ile de France (sans incription). 9, rue Malher, Paris 4 ème (métro Saint-Paul) * Paris. Samedi 21 septembre de 10h à 13h, Conférence-débat sur le projet de loi « Taubira » relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, à l’initiative de DES Maintenant en Europe. (sans incription). Création de la contrainte pénale (appliquée dans la communauté), mise en place d’un système discrétionnaire de libérations sous contrainte, restriction des aménagements sous écrou des courtes peines, poursuite du programme de construction de prisons, suppression des peines plancher : Quelles perspectives ? 9, rue Malher, Paris 4 ème (métro Saint-Paul) Attendez-vous à trouver … 25 pages Actualité 1. Au fil de la lecture de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (version du 4 septembre) 2. Le kiosque

Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

ACP N°341 - L’hebdomadaire indisciplinaire Paris, le 16 septembre 2013

Arpenter le Champ pénal

11ème année Directeur de la publication : Pierre V. Tournier

* Paris. Mardi 17 septembre, 17h45, Rentrée du séminaire « Enferme-ments, Justice et Libertés dans les sociétés contemporaines » du CHS XXe siècle, avec Laetitia Tamadon-Lemerle, juriste au numéro vert de l’ARAPEJ-Ile de France (sans incription).

9, rue Malher, Paris 4ème (métro Saint-Paul)

* Paris. Samedi 21 septembre de 10h à 13h, Conférence-débat sur le projet de loi « Taubira » relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, à l’initiative de DES Maintenant en Europe. (sans incription). Création de la contrainte pénale (appliquée dans la communauté), mise en place d’un système discrétionnaire de libérations sous contrainte, restriction des aménagements sous écrou des courtes peines, poursuite du programme de construction de prisons, suppression des peines plancher : Quelles perspectives ?

9, rue Malher, Paris 4ème (métro Saint-Paul)

Attendez-vous à trouver … 25 pages Actualité 1. Au fil de la lecture de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (version du 4 septembre) 2. Le kiosque

Page 2: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

2

Formation & Recherche 3. Université Paris 1, CHS XXe siècle, Atelier « Enfermements : le point de vue des captifs » 4. Le Havre, « Prévenir la récidive : Le partenariat et l’accompagnement de proximité comme principales clés d’une politique publique pénale efficace ? » Information & Réflexion 5. L’éducation en prison réduit la récidive, améliore l’emploi à la sortie et est économiquement rentable, par Martine Herzog-Evans Correctional Education Programmes Do Reduce Reoffending, Improve Employment Upon Release and Are Cost-Effective 6. Tribune : Quelle place pour les associations dans la future réforme pénale ? par Fréderic Lauferon, directeur de l’APCARS Déviances & Citoyenneté 7. Appel du 23 avril pour une réforme pénale progressiste Feuilleton : « Enfermements » (actes du 1er colloque jeunes chercheurs sur la privation de liberté, 2012) 8. Effets pratiques de la rationalisation du travail de réinsertion. Ethnographie d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, Juliette Soissons

Suivez l’actualité du réseau ACP au jour le jour, sur

https://twitter.com/PierreVTournier et http://p ierre-victortournier.blogspot.fr/

*** ACTUALITÉ ***

- 1. - Au fil de la lecture de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (version 4 septembre). Libération, 9 septembre 2013, « Loi Taubira : une réforme à la peine » [… ] « Le véritable gagnant des arbitrages de l’été n’est pas Valls. Encore moins Taubira. C’est un mot « contrainte ». Dans l’avant-projet de loi, on ne dit plus probation, mais contrainte pénale ; au concept supposé laxiste de « libération conditionnelle » on préfère désormais celui de libération sous contrainte » […] « C’est effectivement sur les questions de principe que le texte réalise les plus grandes avancées. « Ce texte est un compromis entre les cultures judiciaires de la gauche, estime le spécialiste de la démographie pénale, Pierre Victor Tournier, militant de longue date pour la contrainte pénale et proche de Valls. Il nous fait entrer dans une logique nouvelle, une position sociale-démocrate qui nous rapproche de la Suède ».

*** Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal […]

Page 3: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

3

« Art. 131-8-2. – Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et que la personnalité de son auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale. « La contrainte pénale consiste dans l'obligation pour la personne condamnée d’être soumise, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi adaptées à sa personnalité et destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, tout en respectant certaines obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité ou les circonstances de l’infraction. « Ces mesures, obligations et interdictions sont déterminées, après évaluation de la personnalité de la personne condamnée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, par le juge de l’application des peines, dans des conditions et selon des modalités précisées par le code de procédure pénale. Elles peuvent être modifiées au cours de l’exécution de la contrainte au regard de l’évolution du condamné. « Ces obligations peuvent en particulier consister dans l’exécution d’un stage ou d’un travail d’intérêt général ou la réparation du préjudice causé à la victime. « La juridiction qui prononce la contrainte pénale peut, sans attendre la décision du juge de l’application des peines prévue par le troisième alinéa, imposer à la personne condamnée les interdictions et obligations prévues par les 4° à 14° de l’article 132-45 du présent code. Elle peut également ordonner une injonction de soins, si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu’une expertise médicale a conclu qu’elle était susceptible de faire l’objet d’un traitement. La juridiction peut également prononcer les obligations et interdictions auxquelles était astreinte la personne dans le cadre de son contrôle judiciaire. « Après le prononcé de la décision, le président de la juridiction avertit la personne condamnée, lorsqu’elle est présente, des interdictions et obligations qui lui incombent et des dispositions des articles 713-47 et 713-48 du code de procédure pénale. « La condamnation à la contrainte pénale est exécutoire par provision. » Article 9. - Précision dans le code de procédure pénale des modalités d’exécution de la contrainte pénale […] Art. 713-47. – En cas d’inobservation par la personne condamnée des mesures, obligations et interdiction qui lui sont imposées ou de nouvelle condamnation pour crime ou délit, le juge de l'application des peines peut, d’office ou sur réquisition du procureur de la République, selon les modalités prévues par l’article 712-8, renforcer l’intensité du suivi ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint. « Dans le seul cas où la solution prévue à l’alinéa précédent est insuffisante pour assurer l’effectivité de la peine, le juge peut, selon les modalités prévues par l’article 712-6, ordonner l’emprisonnement du condamné pour une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder la moitié de la durée de la peine de contrainte pénale prononcée par le tribunal, ni le maximum de la peine encourue. Il peut décider que cet emprisonnement s’exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. […]

Page 4: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

4

Article 11. - Principe du respect des droits de la victime, finalité du régime d’exécution des peines, principe de la mise en œuvre évolutive et du retour progressif à la liberté […] « III. Le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion du condamné afin de lui permettre de mener une vie responsable, respectueuse des règles de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions. « Ce régime est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine en fonction de l’évolution de la personnalité du condamné, dont la situation fait l’objet d’évaluations régulières. « IV. Toute personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. […] Article 16. - Examen systématique de la situation des condamnés à moins de 5 ans au 2/3 de peine) Il est rétabli un article 720 du code de procédure pénale ainsi rédigé : « Art. 720. - Lorsque la durée de la peine accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine restant à subir, la situation des personnes incarcérées en exécution d’une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée totale prononcée inférieure ou égale à cinq ans est obligatoirement examinée par le juge de l’application des peines. « A l’issue de cet examen en commission de l’application des peines, après avis du service pénitentiaire d’insertion et de probation et du chef d’établissement et réquisitions du procureur de la République, le juge de l’application des peines décide, par ordonnance motivée, de prononcer une mesure de libération sous contrainte qui s’exercera sous le régime de la semi-liberté, du placement sous surveillance électronique, du placement à l’extérieur, ou de la libération conditionnelle, ou, s’il estime qu’une telle mesure n’est pas possible, de ne pas prononcer la libération sous contrainte. […] Article 19.

[…] Dans les trois ans suivant la publication de la loi, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur l’évaluation de la présente loi et spécialement sur la mise en œuvre de la contrainte pénale, afin de préciser dans quelle mesure cette peine pourrait se substituer à d’autres peines et notamment au sursis avec mise à l’épreuve.

Page 5: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

5

*** LE KIOSQUE *** - 2. - Ouvrages Gaëtan Cliquennois Le management des prisons. Vers une gestion des risques et une responsabilisation des détenus, préface de Robert Castel, Larcier, 2013, 352 p.

Présentation par l'éditeur. Cet ouvrage met à l’épreuve l’hypothèse du succès croissant de la gestion actuarielle des risques et la thématique de la responsabilisation. Il revient sur les différents énoncés de ces deux notions, sur leurs sources et origines intellectuelles ainsi que sur les différents champs du domaine social et pénal auxquels s’appliquerait cette hypothèse. Les prisons constituent l’un des principaux champs d’application de la gestion des risques et de la responsabilisation. L’ouvrage propose ensuite de discuter de la pertinence et de la validité de cette hypothèse à partir d’un matériau juridique pénitentiaire français constitué de trois domaines décisionnels majeurs : l’affectation des détenus ; l’allocation du travail aux détenus ; les décisions disciplinaires. L’étude de ces trois domaines décisionnels permet de jauger la pertinence de l’hypothèse en précisant sa portée et ses conditions d’existence. L’ouvrage intéressera les travailleurs de l’administration pénitentiaire, magistrats et avocats pénalistes, membres du conseil de l’Europe, criminologues, universitaires et étudiants. Gaëtan Cliquennois est chargé de recherche au CNRS, au SAGE (UMR 7363 Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe). Le SAGE créé au 1er janvier 2013, résulte de la fusion de 4 unités de recherche : le GSPE, Groupe de Sociologie Politique Européenne, équipe de l’UMR PRISME, le CRESS, Centre de Recherche et d’Etude en Sciences Sociales, le LESVS, équipe du Laboratoire d’Epistémologie des Sciences de la Vie et de la Santé et le CDES, Centre du Droit de l’Environnement de Strasbourg, auxquelles s’ajoutent des chercheurs de la Faculté de géographie. Lire aussi du même auteur "A new risk management for prisoners in France: The emergence of a death avoidance approach, Theoretical Criminology, Sage, 2013, vol. 17, n°3, pp. 397-415 (avec Brice Champetier). _________________________________________________________________________ Catherine Rossi, Homicide : les proches des victimes, Préface de Robert Cario, L’Harmattan, Coll. « Criminologie », 2013, 367 p., 37,50 €.

Présentation de l’éditeur. Qui sont les proches des victimes d’homicide ? Père et mère, frères et sœurs, grands-parents, famille éloignée, conjoints, amis : peut-on les délimiter dans l’entourage de la victime ? Victimes secondaires, par ricochet, médiates, indirectes, existe-t-il seulement un concept qui permettrait de les désigner ? À quels droits et à quelle reconnaissance ces personnes peuvent-elles prétendre ? D’où vient cette impression de n’être jamais reconnus, jamais compris? Les proches des victimes d’homicide ne sont pas des victimes comme les autres. Confrontés à la fois à un deuil particulièrement difficile et, en même temps, à une infraction pénale, leurs souffrances doivent impérativement être reconnues. Pourtant, n’ayant pas été visés directement par l’intention criminelle, il n’est pas toujours simple de leur concéder l’ensemble des droits accessibles aux autres victimes. En se basant sur les résultats d’une recherche conduite en France et au Québec entre 2003 et 2008 auprès de 63 proches des victimes d’homicide, à laquelle s’ajoute une analyse complète des dispositifs judiciaires, civils et pénaux, déployés d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, cet ouvrage propose un regard global, pluridisciplinaire et comparé sur la victimisation particulière de ces personnes. Les systèmes de justice français et québécois, en suivant une tendance à « l’humanisation » des procédures, confèrent à certains proches des victimes d’homicide une place substantielle en leur sein. Ces deux systèmes échouent néanmoins l’un comme l’autre à leur assurer une prise en charge idéale. Différents mécanismes d’action et de réparation, ne pouvant se limiter à des réponses civiles et pénales, devraient être déployés dans

Page 6: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

6

leur intérêt. En plus de solutions cliniques évidentes, la situation des proches des victimes d’homicide exige que soient désormais mis en valeur les dispositifs sociaux et réparateurs susceptibles de leur assurer une ultime reconnaissance. Catherine Rossi, docteure en droit et en criminologie, est Professeure de criminologie à l’École de service social de l’Université Laval, à Québec. Elle est chercheure régulière au Centre International de Criminologie Comparée (CICC) et chercheure associée au Centre de Recherche Inter disciplinaire sur la Violence Intrafamiliale et Faite aux Femmes (CRI-VIFF). _______________________________________________________________________________ Jean-Michel Bessette, Anthropologie du crime, L’Harmattan, coll. « Logiques Sociales », 2013, 66 p., 26 €. Présentation de l’éditeur. Rien n'est plus prodigieux - à la fois merveilleux et monstrueux - que l'homme. Il marche tantôt vers le bien - quand il se lie aux mythologies collectives et aux lois de sa cité -, tantôt vers le mal - s'il est hanté par la démesure -. Aussi l'autolimitation de l'individu à travers l'imposition collective de la loi est une question essentielle. L'anthropologie criminelle, science de synthèse, vise à mieux comprendre l'économie générale qui régit les comportements humains, dans une perspective transdisciplinaire.

*** FORMATION ET RECHERCHE *** - 3. - Université Paris 1 - Centre d’histoire sociale du XXe siècle. Séminaire « Enfermements, Justices et Liberté dans les sociétés contemporaines »

CHS XXe siècle, 9, rue Malher, bibliothèque du 6ème étage, Paris 4ème (Métro Saint-Paul) * Mardi 17 septembre 2013, 17h45. Atelier « Enfermements : le point de vue des captifs » (11ème rencontre), avec Mme Laetitia Tamadon-Lemerle, juriste au numéro vert de l’Association réflexion, action, prison et justice (ARAPEJ-Ile de France) : A l’écoute du point de vue des personnes détenues et de leurs proches : comprendre et informer. Entre 2009 et 2013, l'équipe du Numéro vert de l'Arapej a répondu à près de 30 000 appels venant de personnes confrontées à la prison. Notre mission est de leur apporter l’écoute et l’information dont elles ont besoin pour y faire face dans des conditions plus dignes et responsables. Ces appels sont une source d'informations particulièrement riche sur ce que les personnes détenues vivent au quotidien, leurs difficultés, leurs préoccupations, leurs relations avec les codétenus et le personnel pénitentiaire, mais aussi leurs langages, leurs rapports à la prison, à la famille, à l'avenir, etc. Je rendrai compte de cette expérience singulière et de comment ces milliers d'entretiens m'ont aidé à mieux comprendre leurs regards sur eux-mêmes et sur la société. Laetitia Tamadon-Lemerle _______________________________________________________________________________ Prochaine séance du séminaire * Mardi 15 octobre 2013, 17h45. 54ème séance, Mme Flora Delalande, Ecole nationale des Chartes, La Culture en prison, (titre provisoire). Discutant : M. Nicolas Frize, compositeur. _______________________________________________________________________________ - 4. - Le Havre. 20 septembre 2013, « Prévenir la récidive : Le partenariat et l’accompagnement de proximité comme principales clés d’une politique publique pénale efficace ? »

Page 7: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

7

Conférence organisée par l’Association française de criminologie (AFC), délégation régionale Haute Normandie de AFC, en collaboration avec l'Institut de formation d’Educateurs de Normandie (IFEN).

• Contact : [email protected]

*** INFORMATIONS ET RÉFLEXIONS *** - 5. - L’éducation en prison réduit la récidive, améliore l’emploi à la sortie et est économiquement rentable, par Martine Herzog-Evans Une méta-analyse Ces dernières décennies, les Etats-Unis, lesquels sont surtout connus en Europe pour leur incarcération de masse délirante (les lecteurs français devraient lire le travail de leur expatrié célébrissime Loïc Wacquant, 2009) sont actuellement engagés au contraire dans un mouvement de décarcération qui est nourri à la fois par la crise économique (ils ne peuvent plus la financer) et par les démonstrations criminologiques persistantes de son inefficacité ainsi que de ses effets sociaux pervers. Un moment clef dans ce changement a été la loi dite Seconde Chance de 2007 (Public Law 110-199) qui a financé des programmes dits de « reentry » soient de préparation et d’accompagnement de la sortie ainsi que des recherches. C’est dans ce contexte qu’une équipe de chercheurs américains (Lois M. Davis, Robert Bozick, Jennifer L. Steele, Jessica Saunders et Jeremy N. V. Miles) se sont vus confier la tâche de mener une méta-analyse relative à l’effectivité des programmes scolaires et de formation basés en détention. Cette méta-analyse vient d’être publiée (Evaluating the Effectiveness of Correctional Education. A Meta-Analysis of Programs That Provide Education to Incarcerated Adults, 2013, 113 pages). La recherche était financée par le Bureau of Justice Assistance du ministère de la Justice des Etats-Unis et réalisée sous l’égide d’une société sans but lucratif, la RAND corporation. Elle a fait la liste de toutes les recherches qui portaient notamment sur de tels programmes et sur leur efficacité en termes de récidive, d’emploi à la sortie de prison et enfin, en termes d’efficacité économique. Ce n’est pas la première méta-analyse menée sur un tel sujet (on verra en particulier la recherche de Wilson et al. de 2000). Toutefois, celle dont s’agit ici présente la double particularité d’avoir inclus, d’une part, des recherches de meilleur niveau (il est vrai que la qualité méthodologique des recherches croît de manière constante depuis un certain nombre d’années avec l’explosion de la discipline criminologique) et, d’autre part, plus d’études. Comme pour toute méta-analyse, les auteurs ont d’abord dû décider quelles études seraient inclues dans leur pool d’origine, puis comment ils les filtreraient, afin de laisser de côté celles qui n’étaient pas d’un niveau suffisant. Leur pool d’origine comportait 1112 études publiées ou non et parues de 1980 à 2011, ce, en anglais et aux Etats-Unis uniquement, portant sur des programmes de formation scolaires ou professionnelles et se déroulant en détention. Ils laissaient naturellement de côté les études non empiriques, i.e. non scientifiques, ainsi que, par ailleurs, celles qui étaient des réplications. Ceci devait ramener le pool à 229 études. Pour passer le tamis méthodologique, ces études devaient ensuite être au moins de niveau 2 ( : études avant/après sans groupe de contrôle) sur l’échelle dite de Maryland, laquelle en contient 5. Le niveau 5 ( : allocation en aveugle au groupe programme et au groupe de contrôle) est rarement réalisé en raison des problèmes juridiques et éthiques qu’il soulève ; une étude de bonne qualité sera donc généralement de niveau 3 ou 4 ( : études avec un groupe de contrôle). Après avoir réalisé ce tri, il ne restait plus que 58 études. Les résultats

Page 8: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

8

Les résultats en sont très intéressants. Je n’ai sélectionné pour rédiger ce résumé que les trois principaux. 1. L’éducation en prison réduit bien la récidive

En ne tenant compte que des recherches de plus haute qualité méthodologique, les auteurs ont trouvé qu’en moyenne, les détenus qui avaient participé à des programmes de formation avaient un taux de 43% de récidive de moins par rapport à ceux qui n’y avaient pas participé, ce, sur une période de trois ans suivant la sortie. Lorsqu’ils incluaient les études de moindre qualité, ils trouvaient toutefois encore une réduction de 13%. Il est particulièrement intéressant de voir que l’amélioration de la qualité des recherches conduit à un résultat plus positif et non l’inverse. Compte tenu du niveau faible d’éducation de la plupart des détenus, la plupart des programmes avaient un contenu centré sur le lycée et le diplôme de fin d’étude scolaire. Il n’y avait donc pas suffisamment de recherches portant sur des programmes de type formation professionnelle et, trop souvent, ces recherches portaient sur des programmes mixtes. Pour cette raison il n’a pas été possible de voir s’il y avait des résultats différents selon le type de formation suivie. 2. - L’éducation en prison semble bien améliorer l’emploi après la sortie Cette méta-analyse a également trouvé que le taux d’emploi à la sortie de prison était amélioré de 13% pour les groupes ayant suivi les formations comparé aux groupes ne les ayant pas suivies. Les auteurs n’ont toutefois pas pu présenter ces résultats avec la même assurance que pour ce qui concerne la récidive, car il n’y avait dans le pool portant spécifiquement sur l’emploi qu’une seule recherche de haut niveau méthodologique. En d’autres termes, nous aurions besoin de plus de recherches de niveau suffisant pour avoir des résultats plus sûrs. En gardant à l’esprit cette importante limite, les recherches analysées pour la méta-analyse paraissent toutefois montrer que les programmes de formation professionnelle ont un impact plus fort sur l’emploi. Ceux qui en avaient bénéficié avaient en effet une augmentation de 28% de leur taux d’emploi à la libération contre seulement 8% pour ceux qui avaient suivi des formations de type scolaire. Toutefois, les auteurs avertissent que nous devrions prendre ces résultats avec précaution dès lors, une fois de plus, qu’il n’y avait pas suffisamment d’études portant sur l’emploi dans leur pool de recherches pour que cette différence soit statistiquement significative. 3. L’éducation en prison fait réaliser des économies Les auteurs se sont focalisés uniquement sur les coûts directs. Ils ont étudié l’impact économique de la réduction des taux d’incarcération, elle-même liée à l’influence des programmes éducatifs sur la récidive. Ils se sont basés sur deux données : d’une part, sur le fait que, pour 100 détenus théoriques, l’Etat doit payer entre 0,87 et 0,97 million de dollars de dollars sur une période de trois ans et, d’autre part, sur le fait que la participation à un programme de formation coûte par détenu entre 1400 et 1744 dollars. Sur une telle base, ils ont calculé que pour parvenir à un impact neutre dépenses/économies d’argent public, il faudrait réduire le taux de récidive de ces détenus à hauteur de 1,9% à 2,6%. Comme nous l’avons vu, même sur la base la plus basse, l’impact sur la récidive est de 13% et il est bien plus élevé encore si on ne se base que sur les recherches de plus haute qualité. En d’autres termes, l’Etat peut économiser beaucoup d’argent en promouvant des programmes éducatifs en prison. Et la France ? Quelles leçons à tirer pour la France ? Il faut être prudent. D’abord parce que les études inclues dans la méta-analyse ont typiquement comparé des gens qui suivaient des formations avec des gens n’en suivant aucune, ce, dans un contexte américain où les politiques de ces dernières décennies avaient totalement abandonné toute forme de programme de réinsertion et où aujourd’hui est opéré

Page 9: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

9

un virage à 360 degré. Les choses sont différences en France, quoi que très loin d’être idéales. Il n’empêche que notre pays n’a jamais totalement abandonné l’éducation en prison. Les différences avec les Etats-Unis ne s’arrêtent toutefois pas là. La France fait à la fois pire et mieux que notre ami d’Outre-Atlantique. Elle fait pire en ce sens qu’elle a un chômage chronique – ma blague en mode humour noir consiste à dire que nous avons à peine senti la crise de 2008 car nous avions un taux élevé de chômage depuis… 1974 ! Ceci lié à sa politique consistant à ramener toute la population au niveau universitaire explique qu’il soit désormais nécessaire d’accumuler les diplômes et les compétences pour trouver le moindre emploi. Il en découle pour les anciens détenus, qui sont le plus souvent sous-qualifiés, une difficulté accrue, voire une incapacité à trouver du travail stable et raisonnablement satisfaisant qui est la condition sine qua non de la désistance. L’on ne désiste pas aisément en exerçant un emploi sous payé, temporaire et insatisfaisant qui a peu de chance de conduire au fameux changement narratif (à cet égard il est toujours recommandé d’aller lire les classiques Farrall, 2002 et Maruna, 2001 ; que l’on me permette en outre une petite auto-publicité : Herzog-Evans, à paraître en septembre 2013). A l’inverse, la France fait mieux en ce qu’elle n’impose pas aux anciens condamnés de révéler leur passé délinquant à leurs potentiels employeurs. De fait, comparé à beaucoup de pays, la France a un droit positif qui est particulièrement favorable à l’emploi dès lors qu’elle autorise même les anciens condamnés à mentir sur leur passé. En laissant de côté cette particularité pour le moins pittoresque – j’imagine le titre d’une revue internationale académique qui dirait quelque chose comme « France : le mensonge comme facteur de désistance » – le droit positif français est également très favorable à la réinsertion en ce qu’il permet d’effacer les mentions du casier judiciaire de manière relativement rapide et même, dans de nombreux cas, de manière automatique (on verra le numéro spécial de la revue European Journal of Probation, 2011, n° 3(1) accessible sur http://Ejprob.ro). Ce que cette méta-analyse nous dit bien, cela étant, est qu’il est intelligent de se focaliser sur l’éducation et d’essayer, sans doute, d’élargir le nombre de détenus qui en bénéficient. Elle suggère de plus que nous devrions être bien plus pugnaces dans nos interventions et programmes en détention et en particulier lorsqu’il s’agit de ramener les détenus au niveau éducatif de la population générale. En conclusion, j’ai moi aussi « a dream » : j’aimerais que la France se mette à réaliser le même type de recherche que celle que j’ai présentée ici. Le lecteur aura noté que celle-ci se fondait sur des études uniquement en anglais et uniquement américaines. La France devrait travailler de concert avec ses voisins européens pour produire les recherches de haut niveau (de préférence 3 et 4) et les méta-analyses qui incluraient dès lors des recherches en d’autres langues et portant sur d’autres pays. Je rêve aussi que les économistes se mettent à produire des recherches sur l’efficacité économique des programmes et méthodes de suivi – notamment en milieu ouvert compte tenu de l’actualité législative – qui sont régulièrement faites ailleurs et y compris en Europe, et qui pourraient nous dire quel est l’impact économique de ce que nous faisons. Aux Etats-Unis, de telles recherches ont constitué un puissant outil pour convaincre les politiques, y compris certains des plus durs parmi les républicains, que l’incarcération de masse était absurde. Pour cela, les chercheurs doivent se voir donner accès au terrain et des financements doivent exister. Voilà où se situe le véritable défi pour les années à venir.

Martine Herzog-Evans http://herzog-evans.com; [email protected]; @ProfMEvans

References Herzog-Evans M. (à paraître en septembre), Réformer la probation française. Un défi à relever ?, L’Harmattan Farrall S. (2002), Rethinking What Works with Offenders: Probation, Social Context and Desistance from Crime, Willan Publishing, Cullompton, Willan Publishing.

Page 10: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

10

Maruna S. (2001), Making Good. How Ex-Convicts Reform and Rebuild their Lives, American Psychological Association Wilson, D. B., C. A. Gallagher, and D. L. Mackenzie (2000), “A Meta-Analysis of Corrections-Based Education, Vocation, and Work Programs for Adult Offenders”, Journal of Research in Crime & Delinquency, n° 37(4): 347–368. Wacquant L., Punishing the Poor. The neoliberal Government of Social Insecurity, Duke University Press, 2009. _______________________________________________________________________________ Correctional Education Programmes Do Reduce Reoffending, Improve Employment Upon Release and Are Cost-Effective A meta-analysis Over the last few years, the United-States, best known in Europe for their restless mass incarceration (French readers should read their national celeb expat Loïc Wacquant, 2009), are currently engaged in a de-carceration movement fuelled both by the economic crisis (they cannot afford it any longer) and by the persistent criminological demonstration of the blatant inefficiency of such policies and of their negative social impact. A particularly important moment was the Second Chance Act, 2007 (Public Law 110-199) which launched and funded reentry programmes and research. It is in this context that a team of American researchers (Lois M. Davis, Robert Bozick, Jennifer L. Steele, Jessica Saunders, and Jeremy N. V. Miles) were commissioned to conduct a meta-analysis pertaining to the effectiveness of prison-based education programmes, which has just been published (Evaluating the Effectiveness of Correctional Education. A Meta-Analysis of Programs That Provide Education to Incarcerated Adults, 2013, 113 pages). This research was funded by the Bureau of Justice Assistance, U.S. Department of Justice and conducted under the auspices of the RAND Corporation, a non-profit research organisation. The authors looked for studies which, inter alia, determined whether these programmes had a positive impact on reoffending and on post-release employment and lastly, whether they were cost-effective. This is not the first meta-analysis conducted on this subject (see in particular Wilson and al., 2000). However, it included higher quality research – as the quality of studies increases throughout time with the development of criminology – and more studies in general. As with any meta-analysis, the authors needed to decide what to include in their original pool and then how they would filter studies, leaving out the ones which were not up to their set standards. Their original pool contained 1,112 citations of published or unpublished studies issued from 1980 to 2011. They only selected Anglophone studies pertaining to U.S. educational (academic and/or vocational) prison-based programmes. Naturally, they only selected truly empirical research and left aside duplicate studies. By then, they were left with 229 papers. They then set as a minimum level for inclusion level 2 studies (: before/after studies without a control group) based on the Maryland Scientific Method Scale. This widely used scale contains 5 levels: typically, high quality studies are level 3 or 4 (: studies with a control group). Level 5 studies (: random assignment in programme + control group) are exceptional in particular because they raise serious legal and ethical problems. After this last selection, 58 studies were eventually included. This new meta-analysis’ findings are particularly interesting. I have selected the three main ones for this summary.

Page 11: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

11

Findings 1. - Prison-Based Education Programmes Do Reduce Reoffending

When they only included high quality research the authors found that on average inmates who participated in such programmes had a 43% lower risk of reoffending over a period of three years after their-release than those who did not. When they included the lower quality studies (i.e. level 2), they still found a 13% reduction. It is particularly exciting to see that an increase in the quality of the research actually reveals more efficiency and not less. Given that the majority of inmates have a rather poor level of school education, most programmes were academic and had high school/GED content. There were not enough studies pertaining to vocational programmes and many had a mixed content, which made it impossible to discern what their relative impact on reoffending was. 2. Prison-Based Education Programmes Seem to Improve Employment Upon Release This new meta-analysis found that post-release employment is improved by 13% for the programme groups, compared to the no-education programme groups of inmates. However, the authors could not present these results with the same level of confidence as with the aforementioned reoffending-findings, since there was only one high quality study in their pool which pertained to the impact of prison-education programmes on employment. In other words we would need more high quality studies to be on the safe side. Bearing in mind what is definitely an important caveat the pooled studies seemed to show that vocational training programmes had a greater impact on post-release employment. Those who had benefitted from vocational-training programmes had 28% increased chances of finding employment versus only 8% for those who had attended purely academic programmes. However, the authors warn that we should take this particular finding with a pinch of salt since there were not enough vocational-training programmes studies in their pool for these results to be statistically significant. 3. - Education is Cost-Effective The authors focused on direct costs only. They studied the economic impact of the reduction of incarceration rates which were linked to the impact that these programmes had on reoffending rates: less offending means less people who will be jailed. They based their analysis on two facts: Firstly, that for a hypothetical 100 inmates the state will have to pay from 0.87 to 0.97 million dollars over a period of three years; secondly, that participation in an education programme costs in total between 1,400 to 1,744 dollars per inmate. On this basis they calculated that in order to have a neutral impact on public funding (i.e. education does not increase nor reduces costs), one would need to reduce reoffending by only 1.9 to 2.6 %. As we saw above, the most pessimistic figures are of 13%, and in fact when one only selects the higher level studies, the reduction is even more impressive. In other words, states would save a lot of money by if they developed educational programmes in prison. What about France? So how does this transfer to France? One must be prudent. For indeed the studies included in the pool typically compared people who had been exposed to programmes as opposed to people having received no education at all, this against a backdrop of U.S. policies having abandoned all forms of rehabilitation programmes for decades and suddenly making a drastic U-turn. Things are very different in France, even though they are very far from being ideal. Still, this country never totally discarded prison-based education. Differences between the U.S. and France do not stop there however. France both fares worse and better than this overseas counterpart. It fares worse in the sense that in France the combined

Page 12: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

12

effect of chronic unemployment – my usual black humour joke being that we hardly felt the 2008 crisis as we never ceased to have high unemployment rates and this since…. 1974! – and higher academic education for all has led to a situation where in order to get a job people need to accumulate diplomas and other skills. This means that ex-offenders who are under-qualified have a particularly hard time finding a job or will not be in a position to get stable and reasonably satisfying employment, which is a well-known desistance prerequisite. One does not desist easily with temp and extremely low paid unsatisfying jobs which are unlikely to fundamentally change the person’s narrative and identity (as of references it is always best to go back to the basics: see Farrall, 2002 and Maruna, 2001 – and for French readers, please allow me to self-promote a forthcoming book: Herzog-Evans, September 2013). Conversely, France fares better as it does not require offenders to disclose their criminal past to their employers. As a matter of fact, compared to a lot of jurisdictions France has an exceptionally pro-employment policy towards offenders who are even allowed to lie about their past. Putting aside this rather picturesque peculiarity – I can imagine the title of an international academic Journal which would go like this: ‘France: Lies as a desistance factor’! – France’s legal system is also extremely favourable to reinsertion as it swiftly and in many cases automatically expunges criminal records (see e.g. the special education of the European Journal of Probation, 2011, n° 3(1) available at http://Ejprob.ro). To sum up, what this meta-analysis does tell us is that it would make sense to focus on education and to try and involve more inmates in such programmes. It does suggest that we should be much more pugnacious in programming reinsertion intervention in our prisons and in particular when it comes to putting inmates on a par with the rest of the population in terms of education. In conclusion, ‘I have a dream’ of my own: I would like France to develop the same type of research which was presented here. The reader must have noted that it only focused on English language and U.S. based studies. France should network with its European neighbours to produce high quality studies (preferably level 3 and 4) and meta-analysis which would include other languages and jurisdictions. I would also like French economists to start doing cost-efficiency studies on programmes and other supervision methods, and in particular pertaining to community sentences and measures given the imminent law-reform envisaged by the current government. Such studies are now routinely done elsewhere and in particular in Europe; they could tell us what the economic impact of what we do is. In the U.S. this has been a powerfully convincing tool which has convinced law-reformers, including some of the toughest republicans, that mass incarceration was insane. In order to emulate them, French researchers need access and funding. This should be our main endeavour for the years to come.

Martine Herzog-Evans http://herzog-evans.com; [email protected]; @ProfMEvans

See references at the end of the French version.

*** TRIBUNE *** - 6. - Quelle place pour les associations dans la future réforme pénale ? par Fréderic Lauferon, directeur de l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (APCARS) La Garde des Sceaux vient de présenter, devant la presse, les grandes lignes de sa future réforme pénale, un projet sur lequel nous allons revenir sous l’angle des nombreuses associations, souvent méconnues, qui œuvrent aux côtés ou au sein de la justice.

Page 13: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

13

Notre association, l’APCARS1, est née d’une initiative de la Chancellerie il y a plus de 30 ans. Elle participe aujourd’hui à l’individualisation de la justice pénale (à travers chaque année près de 16 000 enquêtes sociales rapides, 500 enquêtes de personnalité…), à l’insertion de publics sous main de justice (450 sortants de prison hébergés et suivis socialement) et enfin à l’aide aux victimes d’infractions pénales (plus de 3 000 victimes reçues). Notre intervention en pré et post-sentenciel, tant auprès des mis en cause que des victimes, notre présence dans les TGI mais aussi dans les quartiers nous offrent une position privilégiée d’observateur de la délinquance et des réponses pénales. Chaque année, des milliers de mesures socio-judiciaires et de personnes sous main de justice sont confiées par la justice aux associations habilitées. Notre association est conventionnée avec la cour d’appel de Paris pour ses activités au sein des TGI et avec l’administration pénitentiaire pour l’activité de placement à l’extérieur. Le savoir-faire associatif est clairement identifié par nos prescripteurs. Ainsi, contrairement aux contrôles judiciaires (CJ) « pointage » confiés aux commissariats, les mesures qui nous sont adressées ont une finalité socio-éducative où l’accent est mis non seulement sur le contrôle mais aussi sur les obligations de soins, l’obligation d’accéder à une formation etc. Il l’est tout autant dans le domaine de l’hébergement et de la réinsertion pour lequel nous recevons de nombreuses sollicitations des CPIP du milieu fermé (préparation à la sortie), du milieu ouvert (personnes sous CJ) mais également du service des injonctions thérapeutiques du TGI (publics toxicomanes). Pourtant, Serge Portelli2 s’interroge à propos de la Contrainte pénale (appliquée dans la communauté)3 : « J'ai l'impression que le gouvernement a écarté l'hypothèse du recours aux associations. Or le tissu associatif français dans le champ de la peine et de la sanction est très important et certaines associations sont très compétentes. On l'oublie trop souvent. »4 La Garde des Sceaux a-t-elle une juste perception de notre rôle au cœur de la mécanique pénale ? Et que peut-elle attendre des associations dans le cadre de sa réforme ? A l’heure des grandes annonces médiatiques, nous allons tenter d’esquisser les pistes d’un nouveau pacte entre la justice d’une part et le secteur associatif d’autre part, destiné à favoriser la réinsertion et lutter plus efficacement contre la récidive. Mettre fin aux sorties sèches, oui mais avec quels acteurs et quelle cohérence ? Christiane Taubira a très explicitement pointé du doigt l’impérieuse nécessité de développer massivement les sorties de prison. En effet, près de 80% des libérations sont des sorties « sèches » sans suivi et sans contrainte. En matière de préparation à la sortie, il est utile de rappeler que les CPIP se reposent sur un réseau local de structures de droit commun, plus ou moins étendu selon les territoires (centres de soin, pôle emploi, etc… ) et dont des associations d’hébergement telle que la nôtre font partie. A propos des relations associations/justice, le rapport du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a porté une proposition fort intéressante : « Le jury estime nécessaire de clarifier les articulations service pénitentiaire d’insertion et de probation et les associations actives dans le domaine socio-judiciaire (…) Elle implique de donner plus de lisibilité aux associations sur leur rôle et leur financement à moyen terme.»5 C’est, en effet, vital et nous allons démontrer pourquoi il y a urgence à intervenir. Prenons l’exemple du financement de nos centres

1 Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale 2 Président de chambre à la cour d'appel de Versailles 3 Nouvelle peine de probation 4 Nouvel Observateur – 30 août 2013 5 Conclusions du jury de consensus

Page 14: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

14

d’hébergement et de réinsertion sociale. Ainsi, alors que nous sommes un partenaire de longue date de la justice, notre budget dépend principalement du ministère du Logement. Or, nous ne pouvons que déplorer l’absence totale de concertation entre ces deux administrations, une carence contreproductive et hélas destructrice pour le tissu associatif. Cette situation schizophrénique a atteint son paroxysme en 2011. Alors que nous étions pleinement engagés dans les aménagements de peines portés par la loi pénitentiaire de 2009, nous avons été brutalement privés de 250k€ par le ministère de Benoist Apparu, qui portait alors ses propres priorités. De fait, nous avons dû nous réorganiser, supprimer des emplois et finalement réduire notre capacité d’accueil d’une centaine de personnes par an ! Pour les mêmes raisons, d’autres associations ont connu des difficultés telles que leur avenir est aujourd’hui compromis. Alors que la presse ne relate que les échanges entre la Justice, l’Intérieur et Matignon, il nous semble indispensable d’associer les autres ministères concernés par la lutte contre la délinquance, à savoir l’emploi, les affaires sociales et la santé ainsi que le logement. En matière d’hébergement de sortants de prisons SDF, une concertation justice/logement pourrait aboutir à un fléchage « justice » et donc une sanctuarisation de ces budgets6 du ministère du Logement. Cela contribuera, en outre, à une meilleure traçabilité des fonds publics et à une évaluation des politiques publiques. Et demain, quel rôle pour les associations dans la future contrainte pénale (appliquée dans la communauté) ? La Garde des Sceaux a annoncé le 5 juillet dernier la création de 300 nouvelles places de CPIP en déclarant au SPIP de Seine-et-Marne « l'efficacité de la réforme pénale reposera sur vous ». Le développement des aménagements de peine est indiscutablement lié à la charge de travail des CPIP7. Partant d’une situation de 130 dossiers par conseillers d’insertion, nombre de professionnels estiment que 300 nouveaux postes sont très insuffisants et témoignent de la saturation autour d’un cas d’espèce « Le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Nantes, débordé, met son dossier en attente, dans une armoire avec 800 autres… » 8. « La loi pénitentiaire de 2009 prévoyait un renfort de 1000 personnes rappelle le syndicat CFTC-SLJ. Le Conseil de l'Europe, lui, estime à 60 dossiers le seuil d'efficacité des mesures de probation. Au Québec, c'est 30 dossiers par conseiller »9. "À l'heure actuelle, nous avons besoin de 1 500 postes de CPIP, pour que chacun puisse suivre entre 50 et 60 personnes" soutient Delphine Colin, de la CGT pénitentiaire10. S’il est, hélas, raisonnable de penser que les syndicats pénitentiaires ne seront pas suivis dans leurs demandes de recrutements massifs de CPIP, l’alternative associative trouve tout ton intérêt, à certaines conditions. Par le passé, les associations ont démontré leur capacité à prendre en charge des alternatives aux poursuites (stages, médiations pénales, réparations pénales…), des mesures présententielles (contrôle judiciaire…), des aménagements de peine (placement à l’extérieur…) et plus récemment le suivi de peines (sursis avec mise à l’épreuve). Partant de cette expérience, Nous défendons aujourd’hui l’idée, avec notre fédération Citoyens & Justice, que les associations sont en capacité de prendre en charge des CPC. En effet, le conventionnement avec les associations présente bien des avantages. Il est rapide à mettre en place et peu engageant dans la durée pour l’Etat (modifiable voire révocable), ce qui, en période de crise des finances publiques, est un point non négligeable.

6 BOP 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » 7 Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation 8 Libération – 15 mai 2013 9 Le Figaro – 24 août 2013 10 Le Point – 28 août 2013

Page 15: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

15

La charge de travail de nos professionnels est identique voire parfois inférieure à celle de nos homologues travailleurs sociaux québécois. Elle garantit des conditions et donc une qualité de travail adaptés au sens de cette mesure (individualisation importante du suivi, réactivité en cas de violation des obligations, travail en partenariat…). Par ailleurs, plusieurs associations interviennent auprès des auteurs et des victimes et pourraient facilement intégrer à leur pratique de la CPC la dimension « victime », notamment à travers la justice restaurative11 à laquelle Christiane Taubira est sensible. Enfin, suivons les propositions de Pierre Victor Tournier qui suggère une phase de test et d’évaluation de la Contrainte pénale (appliquées dans la communauté) avant de l’étendre plus largement. Si tel devait être le cas, il apparaitrait alors judicieux que les associations y soient associées

*** DÉVIANCES ET CITOYENNETÉ ***

Avertissement. La rédaction d’ACP ne partage pas nécessairement le positionnement politique des personnes physiques ou morales citées dans ces rubriques « militantes ». Par la diffusion de ces informations, elle souhaite simplement favoriser le débat d’idées dans le champ pénal, au-delà des travaux scientifiques que cet hebdomadaire a vocation à faire connaître. _______________________________________________________________________________ - 7. - Appel du 23 avril 2013 « Pour une réforme pénale progressiste, il est grand temps d’agir… »

Samedi 21 septembre 2013, de 10h à 13h, 9, rue Malher Paris 4ème (métro Saint-Paul).

Conférence débat sur le projet de loi « Taubira » relatif à la prévention de la

récidive et à l’individualisation des peines, à l’initiative de DES Maintenant en Europe

Création de la contrainte pénale (appliquée dans la communauté), mise en place d’un système discrétionnaire de libérations sous contrainte, restriction des aménagements sous écrou des courtes peines, poursuite du programme de construction de prisons, suppression des peines plancher :

Quelles perspectives ?

*** ENFERMEMENTS ***

Le feuilleton

- 8. - Afin d’en élargir la diffusion, nous avons décidé de publier, en feuilleton dans ACP, les contributions de l’ouvrage collectif « Enfermements. Populations, Espaces, 11 L’APCARS a récemment signé un partenariat avec l’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR)

Page 16: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

16

Temps, Processus, Politiques», édité, sous ma direction, chez l’Harmattan en juin 2012. Il s’agit des actes du 1er colloque jeunes chercheurs sur la privation de liberté. PVT III - Questions en débat : de la rétention administrative… à la rétention de sûreté Introduction, Caroline Touraut 8 - Rétention des étrangers et dignité de la personne humaine. Les conditions de rétention des étrangers sous la haute surveillance de la Cour européenne des droits de l’Homme, Nawal Boutouila 9 - L’effectivité des droits des personnes détenues à l’aune des évolutions récentes du droit français, Marc Touillier 10 - Changer la prison : L’institution pénitentiaire saisie par le Parlement, Jeanne Chabbal 11 - La France face aux Règles pénitentiaires européennes. La nouvelle loi pénitentiaire, mise en conformité avec les Règles pénitentiaires européennes ?, Coralie Chirol 12 - Ouvrir les prisons : l’enjeu de la mobilité au sein du dispositif carcéral français, Catherine Dubrana 13 - Effets pratiques de la rationalisation du travail de réinsertion. Ethnographie d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, Juliette Soissons 14 - Le discours politico-médiatique lors du vote de la mesure de rétention de sûreté dans deux journaux français (août 2007 – août 2008), Annie Lochon.

13

Effets pratiques de la rationalisation du travail de réinsertion Ethnographie d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation

Par Juliette Soissons

Née en 1983, J. Soissons est doctorante en science politique au centre universitaire de recherche sur l’action publique et le politique (U.M.R. 6054). Longtemps considérée comme une fonction régalienne de l’Etat spécifique en raison de sa composition, de ses normes et de son fonctionnement [VIGOUR, 2007], la justice serait devenue « un service public comme les autres », soumis à des injonctions d’efficacité et d’efficience. Désormais objet de politiques publiques qui doivent être performantes, une « nouvelle gestion publique » pénètre toutes les strates de l’institution judiciaire. Le secteur de l’insertion et de la probation n'échappe pas à cette vague réformatrice. Dès 2006, les réflexions engagées par le Ministère de la Justice et la Direction de l’administration pénitentiaire (D.A.P.) sur le problème du difficile positionnement professionnel (création récente de la profession et dualité de leurs missions) des conseillers d’insertion et de probation (C.I.P.)12 vont conclure à une réorganisation complète des services. La mobilisation des agents pour obtenir une revalorisation salariale débouchera sur la réforme de leur corps. En parallèle, la politique sécuritaire menée par Nicolas Sarkozy depuis 2001, au ministère de l’Intérieur et renforcée à son arrivée à la présidence de la République en 2007 (tolérance zéro, peines planchers), produit une inflation pénale et carcérale qui entraine une révision d’ensemble du fonctionnement du système pénal. Qu'elles soient instrument de réaffirmation du politique sur le judiciaire ou réorientation de la politique pénale, les réformes présentées seraient modernisatrices et viseraient à améliorer le fonctionnement administratif.

12 Les C.I.P. sont aujourd’hui des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (C.P.I.P.).

Page 17: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

17

Deux textes impulsent le changement par le haut et entérinent l’intégration de logiques gestionnaires au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (S.P.I.P.). La circulaire du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des S.P.I.P. qui « vise à définir la mission des S.P.I.P., à permettre une harmonisation de leurs méthodes d’intervention et à insister sur la nécessité de s’appuyer sur un réseau pluridisciplinaire et partenarial pour améliorer la prise en charge des personnes placées sous main de justice (P.P.S.M.J.) » et la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont le second volet, consacré à l’application des peines, est lourd de conséquences sur l’activité des S.P.I.P. Il entraine l’augmentation significative du nombre d’aménagements de peine, de nouvelles procédures d’application des peines, et une attention accrue à la lutte contre la récidive qui contraint les S.P.I.P. à modifier leurs activités et leur organisation. En 2010, de nouvelles réformes découlent de la loi pénitentiaire. Elles mettent en œuvre la polarisation de l’activité, la segmentation des suivis, l’adoption d’un référentiel d’action unique pour unifier les pratiques des C.P.I.P. L’action des agents est quantifiée (nombre de suivis, temps passé par types de suivis)13. Dans cette contribution, nous nous attacherons à comprendre comment les C.P.I.P. s’ajustent localement à ces réformes. Nous nous focaliserons sur l’étude d’un S.P.I.P. en particulier pour répondre à la question suivante : comment les C.P.I.P. et leur hiérarchie répondent-ils à ces nouvelles logiques gestionnaires ? Sur la base de données empiriques collectées au sein d’une antenne S.P.I.P.14, nous analyserons les aspects concrets de la mise en œuvre cette nouvelle gestion ainsi que les instruments utilisés à cette fin. Ils serviront également à rendre compte des diverses « stratégies » adoptées par les C.P.I.P. pour s’adapter à ces nouvelles logiques. Plus largement, nous montrerons que, sous couvert de technicité administrative, la modification des tâches s’inscrit dans la réorientation de la profession sur un versant sécuritaire. 1 - La nouvelle gestion des S.P.I.P., un N.P.M. à la mode pénitentiaire ? Le monde de la justice est en profonde mutation. Il est soumis, comme les autres secteurs de l’Etat à des réformes gestionnaires inspirées du New public management (N.P.M.) [BEZES, 2009]. L’ensemble de ce que l’on appelle communément la chaîne pénale, dont les S.P.I.P. sont les derniers maillons, est concerné. Dans cette partie, nous dessinerons les contours de ce qu’est le N.P.M. dans l’administration pénitentiaire. Pour y parvenir, nous questionnerons l’instauration des réformes dans les services. Nous montrerons que toutes les facettes des services sont objet de réforme : leur structure, leur fonctionnement, leurs missions, leurs pratiques, leurs personnels sont soumis aux nouveaux impératifs d’efficacité et d’efficience. Cette instillation de la nouvelle gestion publique s’accompagne de techniques managériales visant sinon à « routiniser », du moins à contraindre à ce qui est désormais considéré comme les « bonnes pratiques ». Pour y parvenir, la D.A.P. utilise différents instruments qui assujettissent les S.P.I.P. : ils sont mis en concurrence avec les associations privées, les agents sont évalués, des récompenses sont distribuées... Les applications de la nouvelle gestion dans les services. Quand le N.P.M. doit métamorphoser les S.P.I.P.

13 On notera, ici, une mise en tension des finalités. 14 L’antenne présentée dans cette communication est un service de milieu fermé dans une maison d’arrêt. Au moment de l’enquête, il était composé de 6 C.P.I.P. titulaires et de 2 C.P.I.P. stagiaires. Chaque agent traitait entre 80 et 100 dossiers qui concernaient généralement des hommes jeunes ainsi que quelques femmes écrouées dans le quartier qui leur est réservé. L’essentiel de l’activité du service se concentrait sur la gestion des urgences en détention (permission de sortir exceptionnelle en cas de décès par exemple, problèmes familiaux ou administratifs), les entretiens et les aménagements de peine.

Page 18: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

18

La mise en œuvre de la nouvelle gestion publique au sein des S.P.I.P. est complexe, tant elle relève d’un enchevêtrement de réformes idéologiques, politiques et gestionnaires au long cours. Pour analyser simplement ce processus, nous proposons ici un découpage chronologique qui rendra compte des réformes entreprises à tous les niveaux des services et montrera comment l’ensemble de celles-ci fait « système ». Nouvelles missions En 2006, le rapport de la Cour des comptes, « Garde et réinsertion, la gestion des prisons », explique que la loi organique relative aux lois de finances (L.O.L.F.) décline sept objectifs assignés à l’administration pénitentiaire. Cinq d’entre eux concernent directement ou indirectement la mission de réinsertion des personnes détenues : « augmenter l’effectif des personnes placées sous main de justice qui exécutent leur peine dans le cadre d’un aménagement (n°3), permettre le maintien des liens familiaux (n°4), améliorer l’accès aux soins (n°5), favoriser les conditions d’orientation professionnelle des détenus (n°6), améliorer le délai de mise en œuvre du suivi du condamné en milieu ouvert (n°7) » [TOURNIER, 2006]. Dans le même temps, il est demandé à l’Inspection générale des services judiciaires (I.G.S.J.) d’inspecter les S.P.I.P. La mission conclut à une « grande dispersion des organisations matérielles et structurelles, ainsi que des difficultés pour ces services à affirmer leur dimension départementale [...]. Le rapport préconise une meilleure définition des missions des professionnels et une clarification des compétences des services». Ces préconisations, accompagnées d’une réorientation des politiques pénales sur un versant sécuritaire, incitent l’administration pénitentiaire à réformer les S.P.I.P. en recentrant l’activité des C.I.P. Ainsi, la circulaire du 19 mars 2008 réaffirme-t-elle leurs nouvelles orientations professionnelles en plaçant la « prévention de la récidive » comme « finalité de l'action des services pénitentiaires d'insertion et de probation». Leur mission première n'est plus, dès lors, l'insertion mais « l'aide à la décision judiciaire et l'individualisation des peines ». Il ne s'agit plus de s'appuyer sur un axe prévention/réinsertion, mais de détecter autant que possible la dangerosité afin de prévenir la récidive des personnes placées sous main de justice (P.P.S.M.J.). Pour y parvenir, deux outils sont préconisés, les programmes de prévention de la récidive (P.P.R.) et le diagnostic à visée criminologique (D.A.V.C.). La loi pénitentiaire va renforcer ce glissement d’un travail à caractère social vers celui où la probation devient affaire de criminologie. Nouvelles pratiques Les effets conjugués des injonctions européennes en matière de politique pénale, de la L.O.L.F. et de la surpopulation carcérale amènent le gouvernement à rédiger, à faire voter et à promulguer le 24 novembre 2009 la loi pénitentiaire dont un volet est dédié à l’application des peines [TOURNIER, 2007]. La réforme entraine une modification des pratiques dans les S.P.I.P. En effet, l’élévation des seuils permettant de bénéficier des aménagements de peine sous écrou, l’accélération des procédures permettant l’obtention de ces derniers et le processus de marginalisation du J.A.P. produisent une explosion du nombre d’aménagements de peine15, dont la mise en œuvre et le suivi reviennent au S.P.I.P. Coincés dans la mise en concurrence des J.A.P. et des procureurs et pris dans le jeu de la « déjuridictionnalisation » [HERZOG-EVANS, 2011] , les C.P.I.P. doivent faire face à l’explosion des aménagements de peine à moyens constants. Ils sont astreints au contrôle du respect des obligations et à la rédaction de rapports, au détriment du suivi et de la réinsertion des probationnaires. Cette transformation va de pair avec la volonté affichée de la D.A.P. de construire un référentiel commun d’action uniformisant les pratiques des agents tout en les positionnant dans le champ de la probation. Pour y parvenir, la structure des S.P.I.P. et le mode de suivi des P.P.S.M.J. vont être repensés. 15 Entre 2005 et 2010, le nombre d’aménagements de peine octroyés dans la juridiction étudiée a augmenté de 248 %.

Page 19: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

19

Quand le néo-taylorisme s’immisce dans les S.P.I.P. Les pratiques professionnelles des C.P.I.P. sont multiformes pour plusieurs raisons. D’abord parce que la jeunesse de leur profession (une dizaine d’années) couplée à la dualité de leurs missions rend difficile un positionnement professionnel univoque. Ensuite parce que les équipes sont composées d’agents qui proviennent d’univers professionnels variés. Des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales et des C.P.I.P. remplissent la même fonction, sont assignés aux mêmes tâches mais mobilisent des outils professionnels différents [LHUILIER, 2009]. Les techniques d’entretiens et de rédaction de rapports par exemple varient en fonction des profils. Enfin, les agents et les services sont soumis aux orientations juridiques et politiques de leur propre hiérarchie, des J.A.P., du parquet et des directeurs d’établissements pénitentiaires. La multiplicité d’acteurs aux intérêts divergents place les C.P.I.P. dans des positions complexes, souvent contradictoires [CHAUVENET, GORGEON, MOUHANNA, ORLIC, 2001]. Par exemple, certains C.P.I.P. attendent, pour présenter des dossiers en débat contradictoire, que le magistrat qui juge soit plus enclin que d’autres à accorder le type d’aménagement de peine qu’ils essaient d’obtenir pour leurs probationnaires. De même, le parquet de la juridiction étudiée octroie peu de surveillances électroniques de fin de peine (S.E.F.I.P.) alors qu’elles sont quasiment systématiquement accordées dans une juridiction proche. La multiplicité des pratiques, l’augmentation croissante du traitement des aménagements de peine, la réforme des missions des C.P.I.P. et la modernisation des administrations publiques expliquent la volonté qu’a eue le ministère de la Justice d’uniformiser les procédures. Afin de « rendre l’action des S.P.I.P. harmonisée et lisible pour tous » [D.A.P., 2009], le travail dans les services est divisé en « pôles ». Certains agents se spécialisent dans le traitement des T.I.G., d’autres dans les enquêtes, etc. Le reste de l’équipe garde une attribution des dossiers « par sectorisation géographique ». La prise en charge des probationnaires est elle aussi segmentée. « Cinq typologies de prise en charge ont été déterminées » sur la base d’un « potentiel d’évolution » de la P.P.S.M.J. en lien avec sa dangerosité. La segmentation, par ricochet, entraine la création de pôles de prise en charge spécifique à chaque segment. L’échelle va d’un suivi administratif à une prise en charge pluridisciplinaire et constante. Suite à « l’affaire Laetitia »16, deux groupes de travail ont été constitués. L’un a pour mission d’« améliorer le fonctionnement des S.P.I.P. », l’autre d’établir un référentiel commun de suivi des probationnaires. Ils seront « évalués » afin de prévenir leur dangerosité et leur risque éventuel de récidive au moyen d’un nouvel outil : le diagnostic à visée criminologique (D.A.V.C.). Désormais, la définition des paramètres de la mesure (segment, aménagement de peine etc.) dépendra de ce diagnostic. Le D.A.V.C. est devenu dès mars 2012 le socle commun de tout suivi, qui s’effectue dorénavant à la chaîne et de façon morcelée. De toute évidence, l’administration pénitentiaire est bien sur la voie des réformes en vue d’entrer dans l’ère de « la nouvelle gestion publique ». Une fois les changements décidés par l’administration, nous allons nous demander quel type de management est déployé localement pour instaurer « les bonnes pratiques » dans les services ?

16 En janvier 2011, la jeune Laëtitia Perrais est tuée, son corps sera retrouvé mutilé ; Tony Meilhon est rapidement mis en cause. Son casier judiciaire est chargé et, au moment des faits, il aurait dû être suivi dans le cadre d’une mise à l’épreuve par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Nantes. Mais il ne l’était pas, le service, débordé, n’avait pas considéré son dossier comme prioritaire. Le président de la République, avant toute enquête, réclamera des sanctions contre magistrats, fonctionnaires pénitentiaires et fonctionnaires de police. Différentes missions seront mises en place et le débat public sera relancé sur la question de la mise à exécution des peines privatives de liberté, des conditions d’application des peines en milieu ouvert, des aménagements et de la récidive.

Page 20: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

20

Les instruments d’assujettissement à la nouvelle gestion publique La D.A.P. assigne les directions des S.P.I.P. à la mise en œuvre des réformes et les dote à cette fin d’une grande marge d’autonomie. Nous nous focaliserons sur les options choisies par la direction du service de « milieu fermé » que nous avons étudié. L’intégration rapide des transformations Parties du présupposé que les S.P.I.P. résistaient aux injonctions administratives, nous avons été surprises par la rapidité avec laquelle la hiérarchie locale se conformait aux exigences de la D.A.P. En effet, nombre d’agents nous ont expliqué : « tu sais on est réputés pour être un SPIP très actif à la D.A.P. ». Effectivement, la direction du S.P.I.P. va au-devant des réformes, les intègre et les applique très rapidement, quitte à passer en force. L’exemple de la mise en place de la procédure simplifiée d’aménagement de peine (P.S.A.P.) est éclairant sur ce point. La loi pénitentiaire érige l’aménagement des peines en principe et ce volet de la loi a donné lieu à un décret relatif à la P.S.A.P. qui permet aux personnes condamnées détenues dont le cumul des peines est inférieur ou égal à deux ans (un an en cas de récidive), ou pour lesquelles le cumul des peines est inférieur ou égal à cinq ans et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans (un an en cas de récidive) de demander un aménagement de peine. Cette procédure est censée accélérer le processus d’octroi de l’aménagement car celui-ci suit un cheminement particulier. La demande est formulée et motivée par la direction du S.P.I.P. puis adressée directement au parquet qui statue sur l’octroi de l’aménagement. La direction du S.P.I.P. décide de mettre rapidement la P.S.A.P. à exécution17. Lors d’une première réunion de service, le directeur pénitentiaire d’insertion et de probation (D.P.I.P.) et le D.P.I.P. stagiaire présentent la procédure et soumettent un guide méthodologique. L’équipe émet de vives réticences sur le fond « en gros la réinsertion, c’est être dehors, même si il n’y a pas de projet » et sur la forme «cela fait énormément de papiers à récupérer ! C’est plus simple de demander un aménagement de peine ». Dans ce contexte tendu, les cadres proposent qu’un agent prépare un dossier pour la réunion qui se déroulera la semaine suivante, afin de voir si « c’est faisable et combien de temps cela prend ». L’équipe se scinde en deux, ceux qui refusent de le faire clairement et ceux qui ne répondent rien. Alors que la mise en place de la P.S.A.P. ne semblait ni acquise ni actée lors de la première réunion, la hiérarchie du service met cette procédure en route en incluant directement le formulaire dans les dossiers « des arrivants » (nouveaux détenus) une semaine plus tard. Les C.P.I.P. sont ainsi contraints de la leur proposer. La direction du S.P.I.P. impose le cadre d’action des agents, sans réelle concertation et de manière parfois brutale. Les récompenses offertes aux agents « obéissants » tendent cependant à occulter cette brutalité. Négocier par la récompense Si la direction du S.P.I.P. ne distribue pas de primes, elle récompense les C.P.I.P. par d’autres moyens de rétribution plus symboliques. Dans le cadre de la mise en place des programmes de prévention de la récidive (P.P.R.)18, nouveaux emblèmes de l’arsenal sécuritaire déployé par la D.A.P., la direction a été confrontée aux réticences des agents. En effet, aucun C.P.I.P. n’était volontaire pour les organiser sur l’antenne de la maison d’arrêt. La D.S.P.I.P. a donc désigné

d’office Elwing19 qui revenait de congé maternité en monnayant l’animation des P.P.R. contre une lettre de félicitations de la direction interrégionale (D.I.).

17 La question des raisons de cette célérité reste posée. A titre d'hypothèse, on pourrait citer les incitations matérielles ou encore le «complexe du bon soldat ». 18 Les P.P.R. sont des groupes de parole, à visée criminologique, animés par les C.P.I.P. 19 Tous les prénoms ont été modifiés.

Page 21: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

21

« Je suis rentrée de congé maternité, […], dans la semaine on a eu une réunion de service, donc on était censés se positionner pour éventuellement animer un P.P.R. et donc j’ai dû trop ouvrir ma grande gamelle pendant la réunion où j’ai dû dire un truc du genre « moi les P.P.R. dans le principe je suis pour. » Résultat des courses le lundi matin qui suivait, Mme X. qui m’envoie un mail pour que j’aille la voir. Donc j’y vais et là elle me dit que je suis nommée donc grande gagnante pour co-animer les P.P.R. [...] Et là je lui dis donc « mais j’ai le choix ? ». Elle m’a dit que je n’avais pas le choix mais que j’allais avoir une lettre de félicitations, elle allait la demander au D.I. machin tout ça. Donc je lui ai dit que ça me faisait une belle jambe. Je lui ai dit que ça allait pas m’aider dans ma charge de travail, que ça allait pas améliorer mon salaire, que c’était des trucs en plus et que je n’étais pas formée... fin’ elle était gentille mais...je l’ai un peu mal vécu au début... » Extrait d’entretien Elwing, le 28 juillet 2011. Tous les agents qui ont animé les P.P.R. sur les différentes antennes du service ont reçu une lettre de félicitations de la D.I. en guise de récompense. D’après les explications qui nous ont été fournies sur la valeur de ces dernières, elles pourraient s’avérer précieuses pour l’avancement des échelons ou l’obtention d’une mutation par exemple. Plus encore, cela entraine à terme un éclatement des collectifs professionnels. La remise des récompenses dans la discrétion, voire le secret, a suscité l’étonnement des collègues. Certains animateurs des P.P.R. ont révélé qu’ils avaient reçu ces lettres quand d’autres se sont tus, ce qui a déclenché une vive polémique. Les discussions de couloir ont été très animées. Les C.P.I.P. s’interrogeaient sur la raison de ce silence ainsi que sur la légitimité de l’attribution. Pour Aurélie, « c’est tout simplement dégueulasse ! Moi j’ai plus de 100 dossiers, je fais des heures, je m’implique et ça ben tout le monde s’en fout ! ». D’autres m’ont expliqué que « normalement, on reçoit une lettre de félicitations quand on fait bien son travail, pas quand on applique les nouvelles directives, c’est n’importe quoi ». En effet, certains C.P.I.P. rencontrant des difficultés professionnelles (lettres des juges de l’application des peines dénonçant leur incompétence, baisse du nombre de dossiers en raison de la mauvaise qualité des suivis, non-respect du temps de travail) ont été félicités par la D.I. parce qu’ayant participé aux P.P.R. Les animateurs des P.P.R. ont également été choyés par l’encadrement. Les séances de groupe étaient ponctuées par des journées de planification, sorte de débriefing chapeauté par un psychologue clinicien. Lors de ces réunions, tout a été mis en œuvre pour assurer le bien-être des participants : petit-déjeuner copieux, apéritif et déjeuner de qualité dans un cadre convivial. Les C.P.I.P. l’ont interprété comme « de la reconnaissance pour leur travail », et ont largement fait part à leurs collègues des bienfaits des « fameuses » journées de planification. Le management par la récompense a produit plusieurs effets. Tout d’abord, ce système a fonctionné puisque le S.P.I.P. s’est distingué au niveau national par son nombre record de P.P.R. organisés. Cependant, il semble que cette réussite institutionnelle ne soit pas sans conséquences sur la vie du service. Le management par la récompense a généré un sentiment d’incompréhension et d’injustice chez certains C.P.I.P. qui se sentent « lâchés » par leur hiérarchie. Pour eux, cette dernière privilégie « les ambitions carriéristes » au détriment de la reconnaissance de leur investissement quotidien dans le travail. Les cadres locaux mobilisent divers instruments pour mettre en œuvre rapidement la nouvelle politique pénitentiaire. Ils ordonnent, incitent et récompensent. Certains C.P.I.P. qui se conforment aux attentes et intègrent les nouvelles pratiques (pôle, P.P.R., D.A.V.C.) sont mis sur le devant de la scène. L’effet produit est celui d’une mise en concurrence des agents qui entraine une dissolution du collectif, donc une individualisation des pratiques. En approchant les réformes par le bas, nous nous proposons de revenir sur le présupposé qui consisterait en une application mécanique et immédiate, au double sens de sans médiation et sans

Page 22: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

22

délai, des préceptes du N.P.M. dans les services. Comment les C.P.I.P. s'adaptent-ils à la nouvelle gestion de leur service? L'analyse des modalités de saisie des réformes par les C.P.I.P., (application totale ou partielle, contournement ou refus) nous permettra d'élargir le questionnement aux enjeux professionnels qui découlent de cette nouvelle gestion publique. 2 - Appliquer, abdiquer, résister : la réforme saisie par les C.P.I.P. La maison d'arrêt est un lieu où se bousculent les urgences sociales. Aussi, travailler en « milieu fermé » consistait jusqu'alors pour les C.P.I.P. à concentrer leur activité sur l'exécution de tâches relevant du travail social. Le quotidien tournait autour du maintien des liens familiaux et des entretiens avec les détenus pour préparer leur réinsertion. Les C.P.I.P. consacraient une grande partie de leur temps à remplir des formulaires administratifs, des demandes de prestations sociales, à rechercher un logement, un emploi ou encore une formation pour « leurs gars ». Désormais, il leur est demandé de prévenir la récidive ce qui entrainerait de facto la réinsertion des personnes placées sous main de justice. Face au changement, les 8 agents qui composent l'équipe de l'antenne étudiée adoptent des stratégies d'adaptation variées. Certains anticipent les demandes de la direction, d'autres feignent de les appliquer ou les rejettent frontalement. Le registre de l’adhésion Stéphanie, Eloïse et Alice sont les trois C.P.I.P. du service qui acceptent le plus facilement le changement. Eloïse et Stéphanie ont pris en charge le pôle « surveillance électronique de fin de peine » (S.E.F.I.P.). Alice, quant à elle, a été la première à « tester » le dispositif de la « procédure simplifiée d'aménagement de peine » (P.S.A.P.) alors même que le reste de l'équipe la rejetait en bloc. Pourquoi appliquent-elles les réformes, celles-là mêmes décriées par leurs collègues et qui leurs valent d'être montrées du doigt ? Il semblerait que leurs parcours respectifs et la manière dont elles endossent leur rôle expliquent en partie qu'elles s'astreignent à répondre aux demandes de la hiérarchie. Stéphanie et Alice sont issues des écoles de travail social. La première est éducatrice spécialisée, la seconde assistante sociale. Pour elles, la primauté dans le travail est celle « de l'usager » et elles se doivent de garantir les droits qui lui sont octroyés (S.E.F.I.P., P.S.A.P.). Pour Stéphanie, « c'est un dû. Il ne faut pas oublier qu'on est un service public, on a des missions de service public, et on se doit de répondre à une demande, de rendre un service, on est à la disposition des usagers ». Eloïse a suivi des études de mathématiques et souhaitait intégrer «une sorte de P.J.J. pour adultes». Elle fait des recherches et découvre l'existence des S.P.I.P. « C'est le seul concours » qu'elle prépare et «l'obtient du premier coup ». Son enfance passée dans un habitat partagé couplé à son désir de travail social l'amènent à placer «l'ouverture d'esprit, l'écoute, la volonté de comprendre les «probationnaires» au cœur de ses préoccupations professionnelles. Les trois C.P.I.P. regrettent que leurs collègues soient réfractaires au changement. Pour Alice, «c'est le plaisir de râler », pour Stéphanie, « on n’a pas vraiment les moyens de refuser». Eloïse considère le refus frontal comme une mauvaise tactique. « Tu n'as pas de poids face à la hiérarchie. Je pars du principe que l'on ne peut pas refuser tant qu’on n’a pas essayé. Alors que si tu as fait et que tu vois que ce n'est pas possible, tu as plus d'arguments». Pour ces trois C.P.I.P., la forte imprégnation de la notion de service public conjuguée à la soumission à l'autorité explique pour une part leurs conversions aux nouvelles pratiques. Ces dernières sont également motivées par les rétributions matérielles et symboliques. En « se positionnant » sur le pôle S.E.F.I.P., Eloïse et Stéphanie ont obtenu à la fois une baisse de leur nombre de dossiers et une reconnaissance de la hiérarchie qui ne manque pas de les citer en exemple lors des réunions de service. Le chef de service expose aux collègues leur « sens de l'organisation et leur capacité de travail ».

Page 23: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

23

Enfin, il ressort des entretiens et des observations que l'investissement de ces femmes dans le travail vient panser les plaies de vies privées et affectives compliquées. Toutes trois sont seules, Stéphanie est divorcée et élève sa fille, Eloïse est célibataire et réside à des centaines de kilomètres de sa famille et ses proches. Alice essuie les échecs amoureux et s'occupe de sa mère très âgée. Le difficile épanouissement personnel conduit à une grande implication dans le travail, pour lequel les exigences de performance et la quête de reconnaissance sont plus prégnants que chez leurs collègues. L'investissement est tel qu’Eloïse oublie de prendre ses jours de congés et de récupération et il n'est pas rare qu'elle et ses deux collègues restent plus de dix heures d'affilée au bureau. Ce surinvestissement transforme en paresse ou refus de mauvaise fois les tentatives de résistances au changement du reste de l'équipe qui est incitée à se conformer aux nouvelles règles avec d'autant plus de vigueur qu'une partie des agents les a acceptées. Si certains rechignent et finissent par abdiquer, d'autres s'opposent ouvertement à la direction. La résignation Lila et Charlotte sont C.P.I.P. stagiaires. «Préaffectées» au S.P.I.P. lors de l'enquête, elles occupent une position singulière au sein de l'équipe puisqu'elles cumulent le statut de futures collègues avec celui d'apprenties. Fraichement sorties de formation, leur cursus les a préparées à exercer le métier de C.P.I.P. sous l'angle de la probation et de la prévention de la récidive. Leur première revendication concerne le manque de cohérence entre le nouveau référentiel et la réalité du travail quotidien. Charlotte explique qu'«à l'école, on t’apprend pas à gérer les situations familiales compliquées, les problèmes de logement, le travail d'assistante sociale en gros, puisqu'on estime que tu n'as pas à le faire. Et résultat, quand t'es en maison d'arrêt, ben t'es dans la merde!» Les deux C.P.I.P. stagiaires sont globalement en désaccord avec la nouvelle politique pénitentiaire ainsi qu'avec le nouveau mode de gestion. Avant de passer le concours de C.P.I.P., Lila a « bossé un an en Allemagne avec des prostituées et des droguées dans un foyer» dans le cadre du service volontaire européen et Charlotte «se sent proche des assistantes sociales». Leur position délicate au sein du service les contraint à abdiquer. «Les cadres ont de la chance d'avoir une équipe motivée et efficace, qui accepte tout. Moi à leur place, je ferai la révolution» confie Charlotte lors d'une discussion. Etouffées sous le poids des enjeux de leur évaluation et de leur titularisation, toutes deux s'astreignent aux P.P.R., à la P.S.A.P. et aux aménagements de peine en dépit de leur envie de faire du travail social. L’opposition Valérie est assistante sociale depuis vingt ans au S.P.I.P. Pierig et Elwing sont deux «jeunes professionnels». Ils constituent à eux trois le bloc de résistance le plus vif de l'équipe. Valérie est dans une posture de refus de la nouveauté. Elle s'accroche à son statut et ses pratiques de travailleur social. Elle utilise peu l'outil informatique, ne s'est pas appropriée les règles juridiques et ne s'en soucie pas. Pour elle, «aller aux arrivants sert à savoir si les gens vont bien, pas à leur faire remplir des formulaires ». Elle se rend en détention « pour écouter les détenus, pas leur proposer ci ou ça ». Valérie fait de la résistance silencieuse : elle ne dit rien, ne s'énerve pas mais désobéit ouvertement aux consignes des cadres en conservant son rôle et ses pratiques d'assistante sociale. Il semble que Valérie jouisse de son statut « d'ancienne » auprès de la hiérarchie. La D.S.P.I.P. ne la bouscule pas, ne lui ordonne pas brutalement d'accomplir certaines tâches alors qu'elle le fait avec d'autres agents. Les cadres jettent sur elle un regard bienveillant, celui de l'assistante sociale des années 1980 qui peine à se conformer à la modernité. Elle n'est pas perçue comme résistante mais plutôt comme une professionnelle d'un autre temps, inadaptable aux exigences nouvelles de l'administration. Elwing est C.P.I.P. depuis environ trois ans, elle vit en concubinage et élève deux enfants en bas âge. Son conjoint travaille dans la grande distribution. «Il travaille beaucoup». Elle «a choisi de prendre un poste à 80 % pour avoir du temps pour faire autre chose ». Le temps gagné à la maison la contraint à travailler à un rythme très soutenu. De ce fait, Elwing «priorise» les urgences qui

Page 24: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

24

s'articulent autour de la détention (décès, incident, entretiens). Elle explique « qu'on lui demande trop de choses et qu'elle ne peut pas tout faire et que A.P.P.I.,20 elle fait pas. La P.S.A.P. non plus d'ailleurs. Et il arrive qu'elle parte sans avoir tapé ses rapports». Elwing est un membre de l'équipe plutôt axé sur la probation. Elle aime à dire «qu'elle ne fait pas de social», «qu'elle s'attache à penser aux victimes, à leur donner une place dans son quotidien». Sa résistance à la nouvelle gestion est en lien direct avec sa charge de travail. Résister au changement lui assure de ne pas se voir octroyer une charge supplémentaire de travail. C'est d'ailleurs ce problème de temps qu'elle prend pour argument lorsqu'elle refuse de mettre en œuvre la P.S.A.P. : « Moi je vous le dis clairement M. Y., déjà je priorise car j'ai pas le temps de tout faire donc la P.S.A.P., je la fais pas!» Pierig a été titularisé il y a un an. Elevé dans une famille catholique pratiquante et scolarisé dans un univers bourgeois, il explique qu’il a « découvert une France qu [il ne] connaissait pas ! [...]T’es dans ta tour d’ivoire universitaire entre gens qui ont réussi ou qui ont un bagage universitaire ou un bagage culturel. Et tu te rends pas compte. Mais tu te rends pas compte du tout. Nan je pense que ça, ça a été le choc fondamental. Et la conséquence, c’est que progressivement je me suis radicalisé». Effectivement, ce jeune C.P.I.P. fait montre de la résistance la plus politisée. Proches de ses collègues syndiqués à la C.G.T., sympathisant du C.N.T., Pierig est en rupture avec la tradition politique ancrée à droite de sa famille. Sa conception du travail social comme servant à aider les autres s'inscrit dans les préceptes catholiques reçus en famille et au cours de sa scolarisation : « Si j’aime ce boulot là c’est parce que j’ai le sentiment de pouvoir faire des choses plus intéressantes pour les gens quand je suis à la maison d’arrêt que quand je suis à l’extérieur. [...]Moi, y a que ça qui me fait tenir si tu veux c’est le fait qu’à la fin de chaque journée tu peux te dire : « Aujourd’hui j’ai fait quelque chose d’important pour quelqu’un ».Son rejet de la nouvelle gestion des services et des réformes est donc politique, voire idéologique. « L’administration mène un vain combat, dans la rationalisation des pratiques, un combat qui déstabilise tout, qui fait faire de la paperasse à gogo pour rien […] C’est managemental plus que politique. La rationalisation, la traçabilité, c’est ça le vrai problème pour moi, c’est vraiment le truc qui va nous détruire [...]. Ce qu’ils appellent la rationalisation, c’est aussi exercer des moyens de contrôle sur le quotidien, c’est aussi nous évaluer ». L’univers pénitentiaire, on le voit bien, est d’autant plus plastique aux entreprises réformatrices dans l’administration que ses missions, entre sécurité et prévention, ont sans arrêt oscillé [JOVELIN, BOUQUET, 2005]. Son administration a vu dans l’injonction à se conformer à la nouvelle gestion publique une fenêtre d’opportunité pour trouver des remèdes à des maux récurrents. Les impératifs gestionnaires, ici, présentent l’avantage stratégique de dépolitiser les débats en son sein et de redonner temporairement du sens à des missions flottantes. Une fois encore, le travail social qu’était supposé abriter cette institution est mis à mal par un vent de « criminalisation » qui souffle en de nombreux endroits des services de l’État. Dès lors, charge aux détenus de se réinsérer. Acteurs de leur peine, ils endossent désormais la responsabilité de leur réinsertion. Cependant, l’idée d’une mise en œuvre docile des préceptes du New Public Management est loin de la réalité. Les agents d’exécution développent en effet des stratégies sinon de résistance, du moins d’ajustement. Il reste qu’à chaque fois, ces réformes produisent des effets, ne fût-ce que parce qu’elles ont pour dommages collatéraux une remise en cause des identités de corps et des vocations. En obligeant les agents à repenser leur rôle au regard des nouvelles règles du jeu prescrites, à trouver de nouvelles raisons de croire ou de ne pas croire à ce qu’ils font, elles fissurent au moins temporairement les solidarités au travail. Références bibliographiques 20 Le logiciel A.P.P.I. est un outil informatique commun au service de l’application des peines et au service pénitentiaire d'insertion et de probation, qui permet la gestion des mesures dont ils ont la charge.

Page 25: Arpenter le Champ pénal - herzog-evans.comherzog-evans.com/wp-content/uploads/2013/09/papier-de-Soisson-in... · Article 8. - Création de la contrainte pénale dans le code pénal

25

Bezès P., 2009, Réinventer l’Etat. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Coll. « Le Lien Social », P.U.F., Paris. Chauvenet A., Gorgeon C., Mouhanna C. et Orlic F., 2001, « Entre social et judiciaire : quelle place pour le travail social en milieu ouvert ? », Archives de politique criminelle, n° 23, 71-91. Circulaire de la D.A.P. n°113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Cour des comptes, 2006, Rapport : Garde et réinsertion, la gestion des prisons, Paris. D.A.P., 2009, « S.P.I.P., Enjeux de la nouvelle organisation », septembre. Herzog-Evans M., 2011, « Contre plongée rapide sur les décrets d’application de la partie pénitentiaire de la loi du même nom », AJ. Pénal, avril, p. 162. Jovelin E., Bouquet B., 2005, « Histoire des conseillers à l’insertion et à la probation » in Histoire des métiers du social en France, A.S.H. LOI n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. Lhuilier D. (dir.), 2009, « Changements et construction des identités professionnelles : les travailleurs sociaux pénitentiaires ». Tournier P.V., 2006, « Les indicateurs de performance de l’Administration pénitentiaire (Loi organique relative aux lois de finance) », Actualité Juridique. Pénal, n°12, Editions Dalloz, décembre 2006, 496-499. Tournier P.V., 2007, Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, décembre 2007, 114 p. Vigour C., 2006, « Justice : l'introduction d'une rationalité managériale comme euphémisation des enjeux politiques », Droit et Société, 2006/2 n°63-64, 425-455.

A suivre

Arpenter le Champ Pénal. Directeur de la publication : Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, Université Paris 1

Panthéon Sorbonne, UMR CNRS 8058.

[email protected]

http://pierre-victortournier.blogspot.com/

Ma parole est libre, ma plume l’est aussi

Julien Morel d’Arleux, Christophe Soullez, Lila Kazemian, Dominique Raimbourg, Pierre V. Tournier, Eric Senna

Paris, 9 avril 2013, Ecole militaire, INHESJ, « La prison : une nécessité pour la République ».

Abonnement / Désabonnement Si vous ne souhaitez plus recevoir cet hebdomadaire, il vous suffit de nous l’indiquer par retour de ce courriel avec la mention "désabonnement" en objet. Si vous connaissez un-e- collègue ou un-e ami-e- qui pourrait être intéressé-e- par ACP, nous vous remercions de lui transférer ce message afin qu’il - elle - puisse s’abonner.