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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, e6—e8 LETTRE À LA RÉDACTION Ascite secondaire à une ischémie grêlique révélant un lupus érythémateux disséminé Ascitis associated with ischemic bowel revea- led systemic lupus L’association entre lupus érythémateux et pathologie digestive organique est rare. Nous rapportons le cas d’une patiente prise en charge pour ascite secondaire à une isché- mie grêlique inauguratrice d’une maladie lupique. Une femme de 24 ans consultait en décembre 2008 pour l’apparition de douleurs abdominales associées à une diar- rhée évoluant depuis 15 jours. Dans ses antécédents, on notait un syndrome de Raynaud diagnostiqué plus de dix ans auparavant. La patiente était sous contraception orale Diane ® (éthinylestradiol micronisé—cyprotérone acé- tate micronisé). À l’examen physique initial, la tension artérielle était à 11/6, le pouls à 55 par minute, la patiente avait un abdomen distendu, une matité des flancs évo- quant une ascite. Il n’y avait pas d’hépatomégalie, pas de signe d’insuffisance hépatocellulaire ou d’hypertension portale. Il existait une acrocyanose importante des mains et une éruption maculeuse sur le tronc et les membres inférieurs. Les examens biologiques étaient les suivants : plaquettes 540 000 par millimètre cube, aspartate amino- transférase (ASAT) 46 UI/L (N < 31), alanine aminotransfé- rase (ALAT) 56UI/L (N < 34), gamma glutamyltransférase 42 UI/L (N < 38). Les dosages des phosphatases alcalines, de la bilirubine libre et conjuguée étaient normaux. Le taux de créatinine était à 46 mol/L avec une protéinu- rie de 24 heures non significative à 0,16 g/L. La ponction d’ascite montrait un taux de protides à 52 g/L et une formule panachée sans éosinophiles (2 %) et avec des polynu- cléaires neutrophiles (45 %), des polynucléaires basophiles (2 %), des lymphocytes (17 %), des cellules mésothéliales (34 %) et l’absence de cellule néoplasique. La recherche de lipase et de triglycérides dans le liquide d’ascite était néga- tive. L’électrophorèse des protéines sériques montrait une hyper-gammaglobulinémie à 16,7 g/L (N < 13), sans modi- fication des autres globulines, de l’albuminémie et des protéines totales. Les sérologies des hépatites A et C étaient négatives, celle de l’hépatite B montrait une sérologie post- vaccinale avec des anticorps anti-HBs à plus de 1000 unités ; les sérologies varicelle, zona, herpes simplex étaient en faveur d’infections anciennes guéries, la sérologie cyto- mégalovirus et VIH 1 et 2 étaient négatives. Le taux des anticorps antinucléaires étaient positifs à 1600 de type gra- nuleux avec un taux d’anticorps anti-ADN natifs au test de Farr positif à 17 (N < 4,9), s’accordant avec le diagnostic de lupus. Les anticorps SSA, SSB, SM, anti-Scl 70 et Jo1 étaient négatifs. Les anticorps antiphospholipides étaient positifs avec des anticardiolipines IgG à 25 UI (N < 22,9) et IgM à 36 UI (N < 12,9). Le scanner abdominal confirmait la perméabilité de tous les vaisseaux intrahépatiques et mésentériques. Il existait une ascite diffuse associée à une importante distension liqui- dienne de la quasi-totalité des anses grêles évaluées pour la plupart à plus de 3 cm de grand diamètre. Leur paroi était épaissie circonférentiellement, avec un rehaussement « en cible », en raison d’un important épaississement de la sous-muqueuse et une prise de contraste intense de la muqueuse témoignant de lésions ischémiques aigues. Les mésos étaient infiltrés, avec un aspect hyperhémié de leurs vaisseaux (Fig. 1). La biopsie réalisée sur l’éruption cutanée montrait un épiderme mince et festonné, recouvert d’une couche cornée orthokératosique. L’assise basale était for- tement vacuolisée. Le derme superficiel était légèrement œdématié avec des infiltrats périvasculaires de densité modéré. Les infiltrats étaient en majorité lymphocytaires avec quelques histiocytes et de rares polynucléaires éosino- philes. Il n’y avait pas de thrombose ni nécrose capillaire. Ces données étaient compatibles avec un lupus érythéma- teux aigu (Fig. 2). L’échographie cardiaque ne montrait pas d’anomalie avec des pressions pulmonaires normales. Un traitement associant corticoïdes à la dose de 1 mg/kg par jour et chloroquine 200 mg (Plaquénil ® ) était débuté. Le traitement contraceptif était modifié par une pilule à base de microprogestatif. La patiente était revue en consultation en mai 2009 avec l’amendement complet de la symptoma- tologie. Discussion Le diagnostic retenu a été celui d’une ascite secon- daire à une ischémie mésentérique révélant une maladie lupique. L’ascite ne pouvait être attribuée à une insuffisance 0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2010.01.004

Ascite secondaire à une ischémie grêlique révélant un lupus érythémateux disséminé

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Discussion

scite secondaire à une ischémie grêliqueévélant un lupus érythémateux disséminé

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L’association entre lupus érythémateux et pathologieigestive organique est rare. Nous rapportons le cas d’uneatiente prise en charge pour ascite secondaire à une isché-ie grêlique inauguratrice d’une maladie lupique.Une femme de 24 ans consultait en décembre 2008 pour

’apparition de douleurs abdominales associées à une diar-hée évoluant depuis 15 jours. Dans ses antécédents, onotait un syndrome de Raynaud diagnostiqué plus deix ans auparavant. La patiente était sous contraceptionrale Diane® (éthinylestradiol micronisé—cyprotérone acé-ate micronisé). À l’examen physique initial, la tensionrtérielle était à 11/6, le pouls à 55 par minute, la patientevait un abdomen distendu, une matité des flancs évo-uant une ascite. Il n’y avait pas d’hépatomégalie, pase signe d’insuffisance hépatocellulaire ou d’hypertensionortale. Il existait une acrocyanose importante des mainst une éruption maculeuse sur le tronc et les membresnférieurs. Les examens biologiques étaient les suivants :laquettes 540 000 par millimètre cube, aspartate amino-ransférase (ASAT) 46 UI/L (N < 31), alanine aminotransfé-ase (ALAT) 56 UI/L (N < 34), gamma glutamyltransférase2 UI/L (N < 38). Les dosages des phosphatases alcalines,e la bilirubine libre et conjuguée étaient normaux. Leaux de créatinine était à 46 �mol/L avec une protéinu-ie de 24 heures non significative à 0,16 g/L. La ponction’ascite montrait un taux de protides à 52 g/L et uneormule panachée sans éosinophiles (2 %) et avec des polynu-léaires neutrophiles (45 %), des polynucléaires basophiles2 %), des lymphocytes (17 %), des cellules mésothéliales34 %) et l’absence de cellule néoplasique. La recherche deipase et de triglycérides dans le liquide d’ascite était néga-ive. L’électrophorèse des protéines sériques montrait uneyper-gammaglobulinémie à 16,7 g/L (N < 13), sans modi-

cation des autres globulines, de l’albuminémie et desrotéines totales. Les sérologies des hépatites A et C étaientégatives, celle de l’hépatite B montrait une sérologie post-accinale avec des anticorps anti-HBs à plus de 1000 unités ;

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399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits roi:10.1016/j.gcb.2010.01.004

es sérologies varicelle, zona, herpes simplex étaient enaveur d’infections anciennes guéries, la sérologie cyto-égalovirus et VIH 1 et 2 étaient négatives. Le taux des

nticorps antinucléaires étaient positifs à 1600 de type gra-uleux avec un taux d’anticorps anti-ADN natifs au test dearr positif à 17 (N < 4,9), s’accordant avec le diagnostic deupus. Les anticorps SSA, SSB, SM, anti-Scl 70 et Jo1 étaientégatifs. Les anticorps antiphospholipides étaient positifsvec des anticardiolipines IgG à 25 UI (N < 22,9) et IgM à 36 UIN < 12,9).

Le scanner abdominal confirmait la perméabilité de touses vaisseaux intrahépatiques et mésentériques. Il existaitne ascite diffuse associée à une importante distension liqui-ienne de la quasi-totalité des anses grêles évaluées poura plupart à plus de 3 cm de grand diamètre. Leur paroitait épaissie circonférentiellement, avec un rehaussementen cible », en raison d’un important épaississement de

a sous-muqueuse et une prise de contraste intense de lauqueuse témoignant de lésions ischémiques aigues. Lesésos étaient infiltrés, avec un aspect hyperhémié de leurs

aisseaux (Fig. 1). La biopsie réalisée sur l’éruption cutanéeontrait un épiderme mince et festonné, recouvert d’une

ouche cornée orthokératosique. L’assise basale était for-ement vacuolisée. Le derme superficiel était légèrementdématié avec des infiltrats périvasculaires de densitéodéré. Les infiltrats étaient en majorité lymphocytaires

vec quelques histiocytes et de rares polynucléaires éosino-hiles. Il n’y avait pas de thrombose ni nécrose capillaire.es données étaient compatibles avec un lupus érythéma-eux aigu (Fig. 2). L’échographie cardiaque ne montrait pas’anomalie avec des pressions pulmonaires normales. Unraitement associant corticoïdes à la dose de 1 mg/kg parour et chloroquine 200 mg (Plaquénil®) était débuté. Leraitement contraceptif était modifié par une pilule à basee microprogestatif. La patiente était revue en consultationn mai 2009 avec l’amendement complet de la symptoma-ologie.

e diagnostic retenu a été celui d’une ascite secon-aire à une ischémie mésentérique révélant une maladieupique. L’ascite ne pouvait être attribuée à une insuffisance

éservés.

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Lettre à la rédaction e7

Tableau 1 Critères du lupus érythémateux systémique del’American Rheumatism Association.

1. Éruption malaire2. Lupus discoïde3. Photosensibilité4. Ulcérations orales5. Arthrite non érosive6. Épanchement

PleurésiePéricardite

7. Atteinte rénaleProtéinurie > 0,5 g/jCylindres

8. Atteinte neurologiqueComitialitéPsychose

9. Anomalie hématologiqueAnémie hémolytiqueLeucopénie < 4000/mm3

Lymphopénie < 1500/mm3

Thrombocytopénie < 10 000/mm3

10. Désordre immunologiqueCellules LE +Anti-ADN natifAnti-SmFausse sérologie syphilitique

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Figure 1 Coupe scanographique abdominale après injectionmontrant des anses grêles distendues, à parois épaissies, avecun rehaussement « en cible » et ascite.

rénale et/ou cardiaque étant toute deux absente dansl’observation présentée. Sa survenue était attribuée àune microangiopathie responsable d’une souffrance diges-tive, comme cela est habituellement observé au coursdes pleurésies et/ou péricardites lupiques, ischémie quidans l’observation présentée a totalement régressée, sansséquelle.

Le lupus érythémateux disséminé est une maladieauto-immune systémique non spécifique d’organe, multi-factorielle dont les caractéristiques majeurs sont sa rareté,sa survenue élective chez la femme en période d’activitéovarienne, ses manifestations cliniques très polymorphes,

la présence d’anticorps antinucléaires, particulièrementanti-ADN natif, son pronostic, fonction de la nature deslésions viscérales dominé par les atteintes rénales etvasculaires. Le diagnostic de lupus érythémateux repose sur

Figure 2 Coloration à l’hématine-éosine. Grossisse-ment × 100. Vacuolisation de l’assise basale, présence d’uninfiltrat périvasculaire de densité modérée et d’une couchecornée orthokératosique.

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11. Anticorps antinucléaires(en l’absence de médicaments inducteurs)

n faisceau d’arguments clinicobiologiques résumés dansa liste de 11 critères établis par la Société américaine dehumatologie (Tableau 1). Quatre de ces critères étaientositifs dans l’observation présentée : l’éruption cutanée,es arthralgies, la présence d’autoanticorps caractéristiquest d’anticorps antinucléaires. Les manifestations digestiveseuvent être fréquemment fonctionnelles comme unenorexie, des nausées, des vomissements, des douleursbdominales aspécifiques. Parmi les associations décritesntre pathologies digestives et lupus érythémateux dissé-iné, certaines ne sont pas spécifiques comme les ulcères

astroduodénaux, les cas de maladies inflammatoireshroniques de l’intestin, ou la maladie cœliaque [1,2].’autres associations pourraient être intriquées par unême mécanisme physiopathologique associant des phé-

omènes de vascularite, des phénomènes thrombotiquesans le cadre d’un syndrome des antiphospholipides oues complications iatrogènes : c’est le cas d’épisodes deancréatites aiguës dont la fréquence est estimée entre,2 à 8,2 % ou d’ischémie mésentérique secondaire à deshromboses vasculaires [3]. Dans notre observation, lesonnées scanographiques infirmaient cette hypothèse enaison de la perméabilité des vaisseaux intrahépatiques etésentériques. L’ascite est une complication exception-

elle. Elle peut être secondaire à une hypoalbuminémie liéeatteinte rénale par néphropathie lupique relevant d’un

yndrome néphrotique ou d’une entéropathie exsudative.lle peut également relever d’une insuffisance cardiaqueroite compliquant une péricardite lupique. Enfin l’asciteourrait être liée à une hypertension portale secondaire

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une thrombose vasculaire digestive dans le cadre duyndrome des antiphospholipides (thrombose de la veineorte, syndrome de Budd-Chiari). Aucune de ces anomalies’a été retrouvée dans l’observation présentée.

Dans le cas décrit, le mécanisme physiopathologique de’ascite pourrait être une atteinte inflammatoire localiséeais l’imagerie va dans le sens d’un processus ischémique

iée à une souffrance de l’intestin grêle par une microangio-athie artérielle. Cette hypothèse était corroborée par lesonstatations scanographiques montrant des signes typiques’ischémie grêlique. À notre connaissance, une ascite secon-aire à une ischémie grêlique, révélatrice d’un lupus, n’até rapportée que dans six cas de la littérature [4,5]. Leiquide péritonéal est, dans tous les cas, riche en protides.l contient des anticorps anti-ADN et un taux bas de complé-ent. L’évolution de l’ascite révélant l’ischémie grêlique

emble toujours favorable, soit spontanément, soit aprèsraitement par corticoïdes, isolé ou associé à des immuno-uppresseurs. Contrairement à notre observation, dans troisas, l’ascite a récidivé mais a cédé à la reprise du traite-ent.En conclusion, cette observation illustre qu’une ascite

eut être inaugurale d’un lupus érythémateux systémique.e mécanisme de formation de l’ascite pourrait être laonséquence d’une vascularite de l’intestin grêle comme lesutres atteintes séreuses (pleurale et péricarde) observéesans cette pathologie. Le traitement repose sur la cortico-hérapie avec une régression de l’ascite liée à l’ischémierêlique dans tous les cas décrits.

onflit d’intérêt

ucun conflit d’intérêt n’est à déclarer par chacun desuteurs.

éférences

1] Chowdhary VR, Crowson CS, Poterucha JJ, Moder KG. Liver invol-vement in systemic lupus erythematosus: case review of 40patients. J Rheumatol 2008;35:2159—64.

Lettre à la rédaction

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5] Weinstein PJ, Noyer CM. Rapid onset of massive ascites as theinitial presentation of systemic lupus erythematosus. Am J Gas-troenterol 2000;95:302—3.

A.-M. Marion-Audiberta,∗

N. Benslamaa

B. Chouvetb

A. Rodec

M. Durieuxc

J.-Y. Mabrutd

S. Duperrete

J.-C. souqueta

J. Ninet f

a Service d’hépatogastroentérologie, hôpital de laCroix-Rousse, 103, grande-rue-de-la-Croix-Rousse,

69317 Lyon cedex 04, Franceb Service d’anatomie et cytologie pathologiques,

hôpital Edouard-Herriot, 69003 Lyon, Francec Service de radiologie, hôpital de la Croix-Rousse,

69317 Lyon cedex 04, Franced Service de chirurgie digestive, hôpital de la

Croix-Rousse, 69317 Lyoncedex 04, France

e Service de réanimation chirurgicale, hôpital de laCroix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France

f Service de médecine interne, hôpital Edouard-Herriot,69003 Lyon, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(A.-M. Marion-Audibert).

Disponible sur Internet le 26 fevrier 2010