7
dossier Comment bluffer un lecteur de fiction... Un coup de poker littéraire Le «coup de poker» littéraire est-il possible ? Quelles sont les modalités spécifiques du «bluff» en littéra- ture ? Aborder ces questions dans le contexte spéci- fique des discours fictionnels 2 pose des problèmes très particuliers par rapport à l’univers général des actes de langage, car il s’agit de tenir compte de leur statut illocutif spécifique. Cette perspective apparaît d’autant plus problématique si l’on considère le bluff comme une forme de tromperie à mettre en relation avec le mensonge. En effet, si de nombreux auteurs, en extrapolant peut-être exagérément à partir de la condamnation platonicienne de la mimésis, ont pu mettre en avant la nature «mensongère» des œuvres de fiction de par leur décrochage avec l’univers de référence 3 , en revanche, il semble pratiquement impossible de définir les conditions de possibilité d’un «mensonge fictionnel», précisément à cause de ce décrochage. Disons-le d’emblée, les fictions ne peuvent pas «mentir» au sens propre du terme, c’est- à-dire qu’elle ne peuvent pas produire de fausses assertions car elles ne doivent pas être mises en rap- port avec notre univers normal de référence ; une telle propriété tient au statut illocutif particulier des actes de langage fictionnels tel que l’a étudié Searle (1975) ou à ce que Eco dénomme leur «privilège alé- thique» (1996 : 98), c’est-à-dire l’impossibilité de remettre en question une affirmation fictionnelle puisqu’elle doit être mise en relation avec un référent qu’elle produit en même temps qu’elle s’y réfère. Dans cet article, nous explorerons cette caractéris- tique illocutive du discours fictionnel ainsi que cer- tains leviers qui permettent néanmoins d’induire le lecteur en erreur sans pour autant recourir à un men- songe proprement dit. L’analyse des stratégies litté- raires «déceptives» nous permettra d’avancer quelques remarques générales et elle sera illustrée par une nouvelle de Borges, cette fiction apparaissant comme un cas limite de «fausse assertion feinte» et, précisément pour cette raison, elle mettra en éviden- ce le statut particulier de la tromperie ou du «bluff» littéraire. Mais avant d’entreprendre cette explora- tion, nous préciserons d’emblée ce que nous enten- dons par «bluff» dans ce texte, et les raisons pour les- quelles ce terme nous paraît malgré tout pouvoir s’ap- pliquer occasionnellement aux discours fictionnels. Le bluff est généralement assimilé à une action visant à tromper autrui, notamment dans le contexte des jeux dans lesquels il s’agit de dominer un adver- saire potentiellement supérieur. Il faut cependant ajouter que cette tromperie n’est pas nécessaire- ment liée au mensonge proprement dit, que l’on pourrait définir comme l’évocation explicite, à travers un acte de langage imaginatif, d’un référent inexis- tant couplé à une dissimulation des intentions ou du référent réels (Petitat, 1998) : si nous imaginons une situation «typique» de bluff, comme une partie de poker, il nous semble que le joueur qui cherche déli- bérément à induire son adversaire en erreur, ne le fait pas en prétendant ouvertement posséder un carré d’as alors qu’il ne dispose que d’une paire, mais en se contentant de faire «comme si...» il pos- sédait effectivement un jeu meilleur qu’il ne l’est effectivement. Dans ce cas, le «bluffeur» produit des signes indiciels (mise importante, apparence d’assu- rance ou dissimulation de la nervosité, contentement au moment de recevoir de nouvelles cartes, etc.) poussant son adversaire à construire de fausses hypothèses, mais cette «erreur interprétative» n’est pas obtenue par le biais de fausses assertions. Nous verrons par la suite que les narrations fiction- nelles, quand elles visent à pousser leurs lecteurs à produire de fausses inférences, n’agissent pas autrement, à ceci près que le bluff en littérature sera toujours démasqué en fin de compte (sinon, c’est le lecteur qui avait raison ou qui était autorisé par le 30 1 Mes recherches actuelles se situent dans le cadre d’une thèse de doctorat à l’Université de Lausanne dirigée par André Petitat et Jean-Michel Adam et sont financées par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (bourse pour chercheur débutant). Mes remerciements vont à mon ancien collègue Lorenzo Bonoli pour ses conseils et son inspiration. 2 Dans ce texte, nous utiliserons le terme «fictif» quand il s’agira de désigner le statut ontologique d’un référent imaginaire (monde, personnage, événement) et le terme «fictionnel» quand il sera question de qualifier le statut illocutif (en l’occurrence pseudo-assertif) d’un acte de lan- gage quelconque (discours, narration, texte, œuvre, etc.). 3 Voir par exemple les positions de Frege (1971) et Russel (1970) en logique classique et le résumé qu’en donne Lorenzo Bonoli : «La fiction pose essentiellement trois sortes de problèmes à la logique classique : un problème d’ordre ontologique (les entités de fiction existent-elles ?), un pro- blème d’ordre sémantique (peut-on faire référence à ces entités ?), et, enfin, un problème d’ordre épistémologique (y a-t-il un enjeu cognitif lié à la fiction ?)» (2000 : 487). raphaël baroni 1 carnets de bord n°5 . 2003 . 30-36

BORGES 5_45

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Les écrits de J.L. Borgès.

Citation preview

  • dossier

    Comment bluffer un lecteur de fiction...

    Un coup de poker littraire

    Le coup de poker littraire est-il possible ? Quellessont les modalits spcifiques du bluff en littra-ture ? Aborder ces questions dans le contexte spci-fique des discours fictionnels2 pose des problmestrs particuliers par rapport lunivers gnral desactes de langage, car il sagit de tenir compte de leurstatut illocutif spcifique. Cette perspective apparatdautant plus problmatique si lon considre le bluffcomme une forme de tromperie mettre en relationavec le mensonge. En effet, si de nombreux auteurs,en extrapolant peut-tre exagrment partir de lacondamnation platonicienne de la mimsis, ont pumettre en avant la nature mensongre des uvresde fiction de par leur dcrochage avec lunivers derfrence3, en revanche, il semble pratiquementimpossible de dfinir les conditions de possibilitdun mensonge fictionnel, prcisment cause dece dcrochage. Disons-le demble, les fictions nepeuvent pas mentir au sens propre du terme, cest--dire quelle ne peuvent pas produire de faussesassertions car elles ne doivent pas tre mises en rap-port avec notre univers normal de rfrence ; unetelle proprit tient au statut illocutif particulier desactes de langage fictionnels tel que la tudi Searle(1975) ou ce que Eco dnomme leur privilge al-thique (1996 : 98), cest--dire limpossibilit deremettre en question une affirmation fictionnellepuisquelle doit tre mise en relation avec un rfrentquelle produit en mme temps quelle sy rfre.

    Dans cet article, nous explorerons cette caractris-tique illocutive du discours fictionnel ainsi que cer-tains leviers qui permettent nanmoins dinduire lelecteur en erreur sans pour autant recourir un men-songe proprement dit. Lanalyse des stratgies litt-raires dceptives nous permettra davancerquelques remarques gnrales et elle sera illustrepar une nouvelle de Borges, cette fiction apparaissantcomme un cas limite de fausse assertion feinte et,prcisment pour cette raison, elle mettra en viden-ce le statut particulier de la tromperie ou du blufflittraire. Mais avant dentreprendre cette explora-tion, nous prciserons demble ce que nous enten-dons par bluff dans ce texte, et les raisons pour les-quelles ce terme nous parat malgr tout pouvoir sap-pliquer occasionnellement aux discours fictionnels.

    Le bluff est gnralement assimil une actionvisant tromper autrui, notamment dans le contextedes jeux dans lesquels il sagit de dominer un adver-saire potentiellement suprieur. Il faut cependantajouter que cette tromperie nest pas ncessaire-ment lie au mensonge proprement dit, que lonpourrait dfinir comme lvocation explicite, traversun acte de langage imaginatif, dun rfrent inexis-tant coupl une dissimulation des intentions ou durfrent rels (Petitat, 1998) : si nous imaginons unesituation typique de bluff, comme une partie depoker, il nous semble que le joueur qui cherche dli-brment induire son adversaire en erreur, ne lefait pas en prtendant ouvertement possder uncarr das alors quil ne dispose que dune paire,mais en se contentant de faire comme si... il pos-sdait effectivement un jeu meilleur quil ne lesteffectivement. Dans ce cas, le bluffeur produit dessignes indiciels (mise importante, apparence dassu-rance ou dissimulation de la nervosit, contentementau moment de recevoir de nouvelles cartes, etc.)poussant son adversaire construire de fausseshypothses, mais cette erreur interprtative nestpas obtenue par le biais de fausses assertions.

    Nous verrons par la suite que les narrations fiction-nelles, quand elles visent pousser leurs lecteurs produire de fausses infrences, nagissent pasautrement, ceci prs que le bluff en littrature seratoujours dmasqu en fin de compte (sinon, cest lelecteur qui avait raison ou qui tait autoris par le

    30

    1 Mes recherches actuelles se situent dans le cadre dunethse de doctorat lUniversit de Lausanne dirige parAndr Petitat et Jean-Michel Adam et sont finances parle Fonds national suisse de la recherche scientifique(bourse pour chercheur dbutant). Mes remerciementsvont mon ancien collgue Lorenzo Bonoli pour sesconseils et son inspiration.

    2 Dans ce texte, nous utiliserons le terme fictif quand ilsagira de dsigner le statut ontologique dun rfrentimaginaire (monde, personnage, vnement) et le termefictionnel quand il sera question de qualifier le statutillocutif (en loccurrence pseudo-assertif) dun acte de lan-gage quelconque (discours, narration, texte, uvre, etc.).

    3 Voir par exemple les positions de Frege (1971) et Russel(1970) en logique classique et le rsum quen donneLorenzo Bonoli : La fiction pose essentiellement trois sortesde problmes la logique classique : un problme dordreontologique (les entits de fiction existent-elles ?), un pro-blme dordre smantique (peut-on faire rfrence cesentits ?), et, enfin, un problme dordre pistmologique(y a-t-il un enjeu cognitif li la fiction ?) (2000 : 487).

    r a p h a l b a r o n i 1

    carnets de bord n5 . 2003 . 30-36

  • dossier

    texte produire ces infrences4), alors que le joueurde poker bluff, sil se couche, risque de connatrela frustration de ne jamais savoir ce que tenait vri-tablement en main son adversaire (qui nest pas tenude montrer ses cartes dans ce cas et peut donc pr-server son crdit).

    Vrit et fausset des uvres de fiction

    Dans son examen du statut logique du discours,Searle (1975) distingue les actes de langage fiction-nels des assertions en examinant leur caractre illo-cutif divergeant. En effet, les assertions sont desillocutions qui se conforment des rgles sman-tiques et pragmatiques spcifiques, telles que len-gagement par le locuteur envers la vrit de la pro-position exprime ou le fait quil doit tre en mesu-re de fournir des preuves ou des raisons valablespermettant de justifier la vrit de la proposition.Dune manire gnrale, si nous affirmons que lesAmricains ont envoy des hommes sur la lune, nouspouvons supposer quune telle assertion est vraie, etelle le restera aussi longtemps que lon naura pasdmontr le contraire. On pourra galement affirmer un interlocuteur dubitatif que si cette propositiontait fausse, les Sovitiques, qui disposaient lpoque de moyens de contrle efficaces et quiavaient intrt ce que la proposition soit inexacte,ne se seraient probablement pas privs de le fairesavoir (Eco, 1996 : 99). La possibilit mme de pou-voir mettre en doute une assertion, de se demandersil ne sagit pas dun mensonge volontaire, de pou-voir supposer au moins que son contenu peut tresujet discussion et quil peut tre valu en le met-tant en rapport avec un univers de rfrence extra-textuel, est lexpression de son caractre illocutifspcifique.A loppos, un acte de langage fictionnel tel que

    Il y avait dans le temps un roi et une reine qui serptaient chaque jour : Ah ! si seulement nousavions un enfant ! Mais il nen avaient toujourspas. Un jour que la reine tait au bain, il advintquune grenouille sauta de leau pour savancervers elle et lui parler [...]. (Grimm, 1986 : 284)

    doit tre considr, du point de vue de lintention dulocuteur, comme un ensemble de pseudo-asser-tions, ou dassertions feintes, du fait que lobjet deces propositions ne doit pas tre mis en rapport avecun univers de rfrence extrieur lacte de discourslui-mme, mais avec lunivers fictif que ce discoursconstruit en mme temps quil sy rfre, univers

    dans lequel le locuteur na pas par exemple justi-fier ou prouver que les grenouilles sont capablesde parler. Ainsi, prtendre quil nexiste pas de MmeSherlock Holmes parce que Holmes ne sest jamaismari, mais quen revanche il existe une MmeWatson parce que Watson sest mari, mme siMme Watson est morte peu aprs leur mariage(Searle, 1975 : 329) serait une assertion fausse si onla mettait en rapport avec des personnages dumonde rel, mais elle est toujours correcte si la pro-position se rfre au monde fictif (ou possible)invent par Conan Doyle : parce que lauteur a crces personnages fictifs, nous pouvons, de notrect, faire des affirmations vraies au sujet de cespersonnages fictifs (Searle, 1975 : 329). LorenzoBonoli rsume ainsi le statut de cette feinte non-ciative : lauteur dun texte de fiction suspend doncle fonctionnement rfrentiel du langage, ce quiexplique pourquoi la fiction peut parler de chosesinexistantes sans prsenter un langage formelle-ment diffrent du langage qui nous permet de parlerdes objets du monde rel (2000 : 491).Il ne faut cependant pas conclure de ce dcrochagede la ralit, que les textes de fiction sont ncessai-rement sans pertinence vis--vis du monde dexp-rience. Dune part, au niveau des structures idolo-giques vhicules par le rcit, une uvre de fictionpeut contribuer renouveler notre perception de lasocit ou de lhistoire en vhiculant des rfrencesindirectes et productives (Bonoli, 2000 : 495-497).Que lon songe par exemple aux uvresdOrwell (Animal Farm) ou de Koestler (Darkness atNoon) pour lesquelles une lecture sans un certaindegr de rfrentialit avec le monde rel seraitaberrante5. Dautre part, si lon adopte une optiqueconstructiviste, et cest la position dfendue parLorenzo Bonoli, il est possible de rvaluer le rlecognitif de la fiction en fonction de sa participationau processus de construction des objets de savoir.

    4 Lauteur empirique nest pas habilit invalider aprscoup (aprs la publication de luvre) une interprtationcohrente de son texte. Sa position par rapport luvreproduite ne diffrant pas de celle de nimporte quel autrelecteur (cf. Gervais et Bergeron, 2001).

    5 Dans ce cas, si lon tient compte de cette rfrence indi-recte aux drives bureaucratiques et totalitaires du rgimesovitique, un stalinien convaincu pourrait considrer cesuvres de fiction comme idologiquement menson-gres. Koestler assume dailleurs cette rfrence histo-rique indirecte dans sa prface : Les personnages de celivre sont imaginaires. Les circonstances historiques ayantdtermin leurs actes sont authentiques.

    31

  • dossier

    32

    [...] Dans un tel cadre, la fiction peut tre considrecomme un milieu o se dfinissent de nouvellesfaons de voir et de comprendre la ralit, ce qui nesignifie pas que la fiction dcrit le monde rel, maissimplement que la fiction offre des formes, desmodles, par lesquels il est possible de voir et deconcevoir le rel (2000 : 498).Pour en revenir au privilge althique de la fictionsoulign par Eco, il faut donc nanmoins soulignerque lauto-rfrentialit des discours fictionnels apour consquence de rendre dfinitivement vraietoute forme dassertion fictive : [l]e coup de poi-gnard dAthos Mordaunt restera une vrit indis-cutable tant quil existera un seul exemplaire deVingt Ans aprs, et mme si, lavenir, on inventaitune mthode dinterprtation post-dconstruction-niste (1996 : 97). Eco suggre ds lors que ce pri-vilge althique de la fiction pourrait bien expliquerle got que nous trouvons lire des romans parcequils nous donnent le sentiment confortable devivre dans un monde o la notion de vrit ne peuttre remise en question, alors que le monde relsemble beaucoup plus insidieux (1996 : 97-98).Si produire un discours fictionnel consiste feindreque lon ralise des assertions, il faut donc encoreprciser que cette feinte doit tre comprise commeun faire comme si..., et cela sans avoir lintentionde tromper son interlocuteur6 (Searle, 1975 : 324).Eco, dans Lector in fabula, rsume la position deSearle de la manire suivante :

    Searle (1975) a montr comment les propositionsnarratives (artificielles ou fictional) se prsententavec toutes les caractristiques des assertions, cette diffrence prs que le locuteur ne sengageni sur leur vrit, ni sur sa capacit de les prou-ver : donc ce sont des assertions, mais dun typeparticulier o le locuteur ne sengage pas direla vrit, mais o il nentend pas non plus mentir :simplement il fait semblant de faire des asser-tions [...]. (Eco, 1985 : 95).

    A la diffrence de Searle, Eco ne pense cependantpas que ce faire semblant nest dtermin que parlintention (explicite ou implicite) du locuteur, ilrecherche au contraire les artifices textuels quimanifestent en termes de stratgie discursive cettedcision (1985 : 95). Dans lexemple cit plus haut,la formule introductive il y avait dans le temps...fonctionnerait alors comme un code assimilable auplus classique il tait une fois... et encourageraitchez le lecteur la suspension de son incrdulit parrapport aux vnements qui vont tre dcrits. Il

    sagit ici dassigner une valeur de vrit lnoncen le mettant en rapport avec un monde dfinicomme rel ou possible, ce genre de dcisionntant pas demble garanti mais provisoirementparenthtis (Eco, 1985 : 94). Si le dbut du texte(hors contexte dnonciation7) peut laisser planer undoute quant la nature fictive de lnonc (aprstout, il ne sagit pas prcisment de la formule intro-ductive canonique du conte, mais dune variante8), laqualification des personnages en tant que roi etreine renforce progressivement la probabilit dunerfrence fictive assimilable aux mondes possiblesdes contes merveilleux (il pourrait cependant sagirencore dun texte historiographique dun type un peuparticulier) et cette rfrence devient quasi certainequand est introduit un animal pourvu de la parole (moins de postuler un locuteur psychotique ou per-vers). Nous verrons que si cette hypothse (concer-nant la suspension de lincrdulit) construite encours de lecture est, en loccurrence, confirme -puisquil sagit effectivement du dbut de La Belleau bois dormant - toutes les hypothses des lecteursencourages par les textes ne seront pas toujoursaussi heureuses.

    Cohrence du texte et attentes du lecteur

    Nous avons donc soulign le fait que les vne-ments dcrits dans les uvres de fiction ne doiventpas tre valus en fonction de leur vrit ou de leurfausset par rapport au monde rel, et quen outreils ne peuvent pas tre considrs comme menson-gers aussi longtemps que lon se rfre aux mondespossibles construits par le discours fictionnel. Searlesouligne cependant quune uvre de fiction nestpas ncessairement constitue uniquement de pro-positions fictionnelles ou dassertions feintes. Ainsi,si Holmes et Watson sont des personnages inven-ts, ils voluent dans un Londres historique que lelecteur est en mesure de comparer avec le Londresde son univers de rfrence (historique et gogra-phique) ; compte tenu du style raliste de lauteur, lelecteur est donc en droit de relever des ventuelles

    6 A moins que lon fasse intentionnellement passer untexte fictionnel pour une assertion vritable, ce qui met-trait en cause le pacte de lecture institu par le texte.7 On connat limportance du paratexte dans lorienta-tion des horizons dattente du lecteur (cf. Genette, 1987).8 On pourrait trs bien imaginer, dans un contexte conver-sationnel, que le texte se poursuive sur le mode assertif : ily avait dans le temps beaucoup plus de neige en hiver....

  • dossier

    incohrences dans la description de cette ville rel-le dans laquelle se droulent des vnements fictifs.Comme le souligne Lorenzo Bonoli, il ne faudraitcependant pas confondre ce rapport de cohrenceavec un rapport direct de rfrence :

    Le texte raliste, dans sa nature de fiction relle,se trouve dans une position particulire : dunepart, sa nature fictionnelle implique une coupureavec la ralit, mais, de lautre, son aspirationraliste vise rsorber cette coupure afin de sedonner lire comme une description du rel.Cependant cette rsorption ne sera pas effectue[...] au niveau rfrentiel, o le texte ralistereste toujours marqu par cette coupure (Bonoli, paratre).

    Du point de vue ontologique, donc, la possibilit deproduire nimporte quel monde possible9 avec unacte de langage fictionnel ne peut tre remis encause, mais son acceptabilit ou sa vraisemblancedoit tre mis en relation avec un principe ad hoc decohrence qui est rechercher du ct des conven-tions propres aux genres littraires : il ny a pas decritre universel pour la cohrence : ce qui seracohrent dans une uvre de science-fiction ne lesera pas dans une uvre naturaliste (Searle, 1975 :331). En mettent en avant le caractre contractuel delacceptabilit des ruptures entre monde possible etmonde de rfrence du lecteur, Searle dessine unevoie daccs pour la comprhension des stratgiesde bluff en littrature : luvre est juge cohrentesi elle est conforme aux attentes gnres par lesconventions propres aux genres littraires ; on peuten dduire que lexistence mme dune cohrenceque le lecteur est en droit dattendre dune uvreengendre la virtualit dune rupture volontaire decelle-ci par lauteur. En dautres termes, lexistencedattentes (gnriques ou autres) chez les lecteursfournit un levier apprciable pour les induire strat-giquement en erreur. Ainsi, Searle mentionne unesituation narrative fictive qui pourrait apparatrepour le moins surprenante si on la rencontrait vrita-blement dans une uvre narrative : par exemple, sinous trouvons un texte dans lequel Sherlock Holmesaccomplit un voyage sur une plante invisible en unemicro-seconde, nous saurons pour le moins quecela est incohrent avec le corpus des neuf volumesoriginaux des aventures de Sherlock Holmes(Searle, 1975 : 331). Si cette surprise na jamais tactualise par une uvre littraire jusqu ce jour,les mtafictions de Borges, mais galement lamajeure partie des romans policiers (Baroni, 2003;Saint-Gelais, 1997) et lensemble des fictions paro-diques ou comiques en ont produit beaucoupdautres du mme type.

    En dgageant, dans une perspective smiotique, lesniveaux intensionnels et extensionnels de la lecture(qui correspondent grossirement aux structuresinternes de luvre et aux hypothses et anticipa-tions du lecteur un moment donn de sa lecture),Eco peut quant lui dfinir la fois la manire dontles textes peuvent encourager leurs lecteurs pro-duire certaines prvisions, et comment le dvelop-pement ultrieur du rcit peut djouer ces attentes :

    Ainsi, le fait que le lecteur, au niveau des prvi-sions, avance un projet dun possible tat dv-nements doit tre valu au niveau extensionneldans sa cohrence ou sa non-cohrence avec ledveloppement successif de la fabula ; au niveauintensionnel, par contre, cela peut nous amener nous interroger sur la faon dont le texte a agipour stimuler cette croyance [...] (Eco, 1985 : 240).

    En loccurrence, nous pourrons parler de stratgiesvisant bluffer le lecteur dans les cas o les pr-visions qui paraissent les plus probables (cest--dire celles qui semblent encourages par le texte,celles qui semblent les plus cohrentes dans unepremire lecture) se rvlent ultrieurement faussesdans le texte ralis : [dans le cas dune fabula fer-me] chaque disjonction de probabilit, le lecteurpeut hasarder diffrentes hypothses et il nest pasdu tout exclure que les structures discursiveslorientent malicieusement vers celles qui sont carter : mais il est clair quil ny aura quune seulebonne hypothse (Eco, 1985 : 154). Nous voyons icise dessiner une homologie frappante avec le bluffdans le jeu de poker voqu plus haut : ce nest paspar le biais dun mensonge (fausse assertion), maispar celui dun mlange complexe de non-dits, devrais et de faux indices, que le texte pousse le lec-teur construire de fausses hypothses ; ce qui esten jeu, cest surtout pour le lecteur le travail coop-ratif acharn pour remplir les espaces de non-dit oude dj-dit rests en blanc10 (Eco, 1985 : 27).La stratgie du bluff est particulirement active dansle cadre du genre policier, ces romans jouant unepartie de duelliste avec leurs lecteurs qui consiste leur fournir tous les indices ncessaires pourrsoudre une nigme tout en faisant en sorte que cesoit le lecteur lui-mme, par ses efforts en vue detrouver la solution et par lutilisation de ses comp-tences gnriques (ou intertextuelles), qui en vienne

    9 Par exemple une ville de Londres dans laquelle on trou-verait la tour Eiffel.10 Sur les incertitudes stratgiques du discours littraireet ses liens avec la curiosit, le suspense et la surprise,cf. Baroni (2002a).

    33

  • dossier

    34

    effacer de lui-mme les indices fournis de mani-re tre surpris par la solution finale. Cest du moinsainsi que Saint-Gelais dfinit le dispositif retorsdu roman policier :

    Le dispositif policier consiste moins dissimuler lasolution qu mettre en place les conditions duneffacement que la lecture, et non le seul texte,accomplira. Dispositif retors, qui ne sappuie pas,comme on lavance parfois, sur linintelligence oula distraction du lecteur, mais bien plutt sur lesefforts mmes que celui-ci dploie dans sarecherche de la solution. Laveuglement du lecteurest un aveuglement construit - par le lecteur(Saint-Gelais, 1997 : 794).

    Dans La Mort et la boussole11 par exemple, Borgesse sert des strotypes du roman policier (dont lesrcits prototypiques, voqus dans le texte, sont lesaventures de Dupin12) pour pousser son lecteur postuler limmunit du dtective Lnnrot, la justessede ses hypothses alambiques sur celles, probabi-listes, du commissaire Treviranus, et pour finalementdcevoir toutes ces prvisions en faisant tomberLnnrot (et le lecteur avec) dans le propre pige deses dductions.

    Les labyrinthes de Borges

    Il nest pas tonnant de retrouver de nombreuxeffets de bluff chez Borges, tant cet auteur tait fas-cin par les labyrinthes et aimait garer son lec-teur dans les mandres de ses histoires. Nous men-tionnerons rapidement, pour conclure, un cas trsintressant de tromperie littraire que lon rencontredans une de ses nouvelles, car il semble au premierabord contredire le privilge althique de la fictionque nous avons voqu dans cet article.Dans La Forme de lpe, un narrateur (du nom deBorges) relate sa rencontre avec un personnage hauten couleur dont une balafre rancunire lui sillonn[e]le visage et dont le vrai nom nimporte pas (1983 :119). Ce dernier accepte avec rticence de raconterlhistoire secrte de sa balafre une condition : denen attnuer ni lopprobre ni les circonstancesinfamantes (1983 : 120). Commence alors le rcit deson existence durant la guerre civile irlandaise olon apprend sa rencontre avec un certain JohnVincent Moon, un personnage la lchet [...] irr-mdiable quil sauve un soir alors quil est interpel-l par un soldat :

    Il nous cria de nous arrter. Je pressai le pas ;mon camarade ne me suivit pas. Je me retournai :John Vincent Moon tait immobile, fascin etcomme ternis par la terreur. Alors je revins surmes pas, jabattis le soldat dun seul coup, jesecouai Vincent Moon, je linsultai et lui ordonnaide me suivre (Borges, 1983 : 122).

    Par la suite, Moon trahit le narrateur anonyme, quila pourtant soign et protg, et ce dernier, justeavant dtre arrt, a le temps de frapper le tratreavec un cimeterre, imprimant pour toujours sur sonvisage un croissant de sang (1983 : 125). Cest alorsseulement que lon comprend que le narrateur a tri-ch dans lattribution des personnes, et que le JohnVincent Moon du rcit tait en fait lui-mme. Cetchange mensonger des rles narratifs est justifipar ces mots conclusifs :

    Je vous ai racont lhistoire de cette faon pourque vous lcoutiez jusqu la fin. Jai dnonclhomme qui mavait protg : je suis VincentMoon. Maintenant, mprisez-moi (Borges, 1983 :125).

    Au premier abord, il semblerait donc que noussoyons en prsence de fausses assertions feintes,ou alors de propositions fictionnelles proprementmensongres. En ralit, il ne faut pas confondre lestatut illocutif des propositions assumes par unauteur de fiction - lauteur ne cherche pas nousfaire croire que son histoire est vraie13, il se conten-te de construire un monde fictif dans lequel tout estpossible - avec celui des narrations assumes pardes personnages fictifs de lhistoire - les narrateurs,comme nimporte quel personnage fictif, peuventprtendre faire de vritables assertions, et ils peu-vent galement nous mentir en mentant leur nar-rataire fictif. En effet, si le discours fictionnel nepeut pas mentir en lui-mme, il peut cependantraconter des histoires mensongres14, le mensongestratgique tant dailleurs un des ressorts fonda-mentaux dans les procs narratifs (cf. Petitat etBaroni, 2000 : 365-366).En loccurrence, dans la nouvelle de Borges, lhom-me balafr prtend produire un rcit vridique, etnon fictionnel, de sa vie. Cest donc cette vie (qui nepeut tre considre comme relle que dans lemonde possible de la fiction) qui sert de rfrencedirecte au narrateur, et cest grce elle quil est

    11 Je propose une lecture modle de La Mort et la bous-sole plus complte dans un article paru dans la revuePotique (cf. Baroni, 2003).12 Lnnrot se croyait un pur raisonneur, un AugusteDupin, mais il y avait en lui un peu de laventurier et mmedu joueur (Borges, 1983 : 133).13 Son recueil ne sappellerait pas Ficciones sil cherchait nous abuser sur ce point. Il ne sagit pas de faussesautobiographies, mais dautobiographies fictives.14 Il faut distinguer les narrations naturelles (mmequand elles sont simules dans une fiction) dans lesquellesle locuteur suppose que la narration est vraie (cf. VanDijk, 1976 : 309) des narrations artificielles pour lesquelles,le critre de vrit est hors de propos (1976 : 324)..

  • dossier

    possible de vrifier le bien-fond de ses assertions.De fait, la cicatrice devient une preuve physique deson mensonge (ou de sa lgre dformation desfaits) et, toujours dans le monde possible de la fic-tion que nous lisons, elle peut tre considrecomme un hors-texte qui permet dvaluer la naturemensongre ou authentique du rcit dans le rcit. Cenest que par cet artifice en forme dembotementque lassertion jabattis le soldat dun seul coup nerestera pas une vrit indiscutable tant quil existeraun exemplaire de Fictions de Borges, mais bien unmensonge indiscutable.Il est frappant en revanche de constater que diversespropositions, assumes cette fois par le narrateur15Borges, pourraient tre interprtes dans un premiertemps comme incohrentes16 ou trompeuses mais, y regarder de plus prs, ces faux indices savrentacqurir une cohrence nouvelle dans une deuximelecture. Cest le cas par exemple de la description dubalafr comme un homme dune maigreur ner-gique (Borges, 1983 : 119) qui contraste avec le por-trait que fait Moon de lui mme, quand il dit quildonnait limpression dsagrable dtre invertbr(1983 : 121). Lidentification entre les deux person-nages semble en effet fortement dcourage par cesindices textuels, mais ne faut-il pas rinterprteraprs coup ce contraste comme tant le signe dunetransformation physique et morale que la culpabilitirrmdiable de Moon aurait opre ? Dans le mmeordre dide, le rcit commence avec la suggestionque le vrai nom du protagoniste balafr nimportepas17, alors quil semble au contraire quil importenormment, puisquil recle la cl de la tromperieidentitaire sur laquelle se construit toute lintrigue.On peut sans doute dceler dans cet indice uneforme de bluff, mais faut-il sarrter cette inter-prtation ? En ralit, dans son rcit, Moon insisteprcisment sur le fait que cette histoire de trahisonse veut exemplaire, comme celle de Judas et duChrist.

    Cet homme apeur me faisait honte comme sictait moi le lche et non Vincent Moon. Ce quefait un homme cest comme si tous les hommes lefaisaient. Il nest donc pas injuste quune dso-bissance dans un jardin ait pu contaminer lhu-manit ; il nest donc pas injuste que le crucifie-ment dun seul juif ait suffit la sauver.Schopenhauer a peut-tre raison : je suis leshommes, nimporte quel homme est tous leshommes (Borges, 1983 : 123).

    En fait, le brouillage identitaire et la gnralisationdu cas particulier (les noms propres et les rles res-pectifs nayant plus dimportance dans ce contexte)semblent prcisment constituer lhorizon idolo-

    gique de cette nouvelle et, par consquent, la natu-re de sa rfrence indirecte et productive par rapport notre univers dexprience. Ce que vise cettemtafiction, cest prcisment dmonter, pour lemettre jour, le fonctionnement rfrentiel de la fic-tion. Le dtour opr par la fiction pour parler dumonde a-t-il seulement une autre fonction que cellede gnraliser le cas particulier, de faire de touteaventure fictive une aventure exemplaire, de nousfournir au passage, par le biais de lidentification -ou du playing tel que lentend Picard (1984) - uneexprience imaginaire durant laquelle, pendant uncourt moment, nous pouvons changer notre exis-tence contre celle dun autre, nous pouvons prouverpartiellement un point de vue tranger, renouvelantainsi notre propre vision du monde18 ?On voit travers ce dernier passage et la lecturecritique de la nouvelle de Borges que nous propo-sons, comment ce qui pourrait apparatre, dans unpremier temps, comme un simple bluff littrairevisant un effet de surprise phmre, peut se trans-former, lors dune seconde lecture interprtative,en une rflexion sur le statut illocutif et la porterfrentielle de la fiction.

    Conclusion

    Pour conclure ce rapide survol du bluff en littrature,que nous avons dfini comme une manuvre de trom-perie excluant le mensonge directe pour la raison quele discours fictif est compos dassertions feintes,nous amenant suspendre notre incrdulit, nous

    15 Ceci est la preuve que le narrateur doit toujours tredistingu de lauteur dans les actes de langage fiction-nels, mme sil porte le mme patronyme et quil sadres-se un narrataire indfini, car ses assertions sont dem-ble intgres au monde possible de la fiction et peuventdonc, occasionnellement, tre effectivement menson-gres lintrieur de ce monde. Cest ainsi que lon peutcomprendre cette mise en abyme que lon rencontre dansLe Livre de sable : Cest devenu une convention aujour-dhui daffirmer de tout conte fantastique quil est vri-dique; le mien, pourtant, est vridique (Borges, 1978 :137). Il faut comprendre ici que si lassertion doit trecomprise au premier degr, il sagit dune assertion fein-te dcrivant une assertion (paradoxale) du narrateur, maisau deuxime degr, il sagit dune vrit indirecte non-ce par lauteur qui entend dcrire par le biais dune fic-tion un phnomne quil considre comme rel : le faitquaucune lecture dune mme uvre nest jamais deuxfois identique.16 Dans le sens o le narrateur Borges ne pourrait pasjustifier sa participation au mensonge de Moon comme cedernier peut le faire.17 Dans la version originale : Su nombre verdadero noimporta.18 Ainsi, le game de la mtafiction, cest de dmontrer leplaying de la littrature (Picard, 1984).

    35

  • dossier

    devons signaler deux limites cette approche, qui neprtend pas puiser un sujet aussi vaste et complexe.Dune part, si lanalyse smiotique de Eco met en vi-dence le rle des scnarios intertextuels19, qui circu-lent dans lencyclopdie et que lauteur peut sciem-ment dcider de ne pas observer, justement pour sur-prendre, tromper ou amuser le lecteur, il prcisenanmoins quil sagit de schmas rhtoriques et nar-ratifs faisant partie dun bagage slectionn et res-treint de connaissances que les membres dune cultu-re donne ne possdent pas tous (1985 : 104).Voil pourquoi certaines personnes sont capables dereconnatre la violation des rgles de genre, dautres deprvoir la fin dune histoire, tandis que dautres enfin,qui ne possdent pas de scnarios suffisants, sexpo-sent jouir ou souffrir des surprises, des coups dethtre ou des solutions que le lecteur sophistiqujugera, lui, assez banales (Eco, 1985 : 104-105).Il sagit donc de prciser les limites dune analyse lit-traire du bluff qui sappuie sur une lecture mod-le des uvres et quil sagit de ne pas confondre avecles lectures empiriques qui peuvent varier consid-rablement dun individu lautre et, pour un mmeindividu, entre une premire lecture et les lecturesultrieures dun mme texte. De mme que le joueurde poker ne parvient pas toujours bluffer son adver-saire, une surprise littraire ne marche pas pour tout lemonde et, si le lecteur prsuppos correspond bien aulecteur empirique, elle ne marche gnralementquune seule fois. Une lecture modle prsupposedonc un lecteur idal, inscrit en creux dans le texte : lelecteur modle, cest celui qui rpond le mieux auxpotentialits du texte, celui que lauteur modleavait prvu pour que fonctionne le pige narratif quila tendu. Une telle analyse nexclut donc pas les cas ole bluff est dmasqu comme stratgie littraire oucomme stratgie fonctionnant imparfaitement, maiselle situe ce genre de questions en dehors de seslimites dinvestigation.Par ailleurs, les formes de bluff en littrature sontaussi nombreuses que peuvent ltre les strotypeslittraires eux-mmes et nous nen navons donnquun faible aperu. Comme laffirme Petitat, il y aautant de virtualits de transgressions quil y a denormes, la rversibilit virtuelle tant au cur du fonc-tionnement de lchange symbolique : le dsir rci-proque de tenir et dtre tenu en haleine, la peur et leplaisir du rcepteur, tout comme limagination de lau-teur, puisent la mme source, celle du drame duneaction symbolique rflexive, rversible et donc fragile

    (Petitat, 2002 : 51). En revanche, ce qui demeureinchang et que nous avons cherch souligner, cestle statut illocutif particulier du discours littraire quidonne au bluff fictionnel cette forme spcifique quiexclut le mensonge direct. La nouvelle de Borges LaForme de lpe, en prsentant un cas limite danslequel un rcit fictif (mais autobiographique dans lemonde possible de la fiction) est bien mensonger car ilest lui-mme subordonn une narration fictionnelle(qui implique un auteur et un lecteur rels), nous apermis de vrifier ce trait invariant de la fiction en tantquacte de langage spcifique.

    Raphal Baroni [email protected]

    Rfrences

    Baroni R. (2002a), Incompltudes stratgiques du dis-cours littraire et tension dramatique, Littrature, 127,105-127.

    Baroni R. (2002b), Le rle des scripts dans le rcit,Potique, 129, 105-126.

    Baroni R. (2003), Genres littraires et orientation de lalecture, Potique, 134, 141-157.

    Bonoli L. (2000), Fiction et connaissance, Potique, 124,485-501.

    Bonoli L. ( paratre), Les critures de la ralit.

    Borges J.-L. (1978), Le Livre de sable, Paris, Gallimard.

    Borges J.-L. (1983), Fictions, Paris, Gallimard.

    Eco U. (1985), Lector in Fabula, Paris, Grasset.

    Eco U. (1996), Six Promenades dans les bois du roman etdailleurs, Paris, Grasset.

    Frege G. (1971), Sens et dnotation, in Ecrits logiques etphilosophiques, Paris, Seuil, 102-126.

    Genette G. (1987), Seuils, Paris, Seuil.

    Gervais B. et Bergeron A. (2001), Port disparu...,Potique, 128, 487-505.

    Grimm J. W. (1986), Contes, Paris, Flammarion.

    Petitat A. (1998), Secret et formes sociales, Paris, P.U.F.

    Petitat A. (2002), Contes et normativit, in Contes, luni-versel et le singulier, A. Petitat (d.), Lausanne, Payot, 29-54.

    Petitat A. et Baroni R. (2000), Dynamique du rcit etthorie de laction, Potique, 123, 353-379.

    Picard M. (1984), La lecture comme jeu, Potique, 58,253-263.

    Russell B. (1970), De la dnotation, LAge de la science,3(3), 171-185.

    Saint-Gelais R. (1997), Rudiments de lecture policire,Revue Belge de philologie et dhistoire, 75(3), 789-804.

    Searle J. (1975), The Logical Status of FictionalDiscourse, New Literary History, 6(2), 319-332.

    Van Dijk T. (1976), Philosophy of Action and Theory ofNarrative, Poetics, 5, 287-338.

    19 Ces scnarios sont des strotypes narratifs ou desrgularits gnriques (cf. Baroni, 2003) qui sont respon-sables des attentes des lecteurs concernant la cohrencedu texte et le dveloppement successif de la fabula.

    36