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 Les Cahiers de l’Institut Sport & Management Ulysse - Voyage II SWI FTER HIG HER STRONGER Édition janvier 2010

Cahier ISM 2010

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Les Cahiers de lInstitut Sport & Management

Ulysse - Voyage IISWIFTER HIGHER STRONGER

d ition ja nvie r 2 0 1 0

Directeur de publication Franois Leccia Rdacteur en chef Alain Arvin-Brod Avec la participation de : Alain Arvin-Brod, Didier Beuque, Isabelle Blanc, Jeff Bonnard, Marie-Anne Bucci, Yvon Chouinard, Jacques Delmas, Gilles Dumolard, Pierre Durand, Patrice Edwards, Benot Favre-Nicolin, Catherine Ferrier-Ranchoup, Pierre Fournier, Jean-Louis Gouju, Thierry Grange, Daniel Jennepin, Olivier Lambert, Christian Laval, Franois Leccia, Franois Lemarchand, Vincent Mangematin, Pierre Martinet, Denis Masseglia, Rmi Naville, Philippe Oddou, Pascal Papillon, Perrine Pelen, Paul Petzl, Roger Pirot, Lock Roche, Michel Rouger, Claude Stricker, Jean-Franois Toussaint, Jean-Pierre Vidal et Gilles Ziglioli. Photos Claudine Bertrand, Marie-Anne Bucci, Alexis Chzire, Jean-Marc Favre, Anne Floriet, Franois Leccia, Jean-Claude Liprandi, Collection olymperial.com, Agence Prisme / Pierre Jayet, Service Communication BDL & Franck Crispin, ZIR Couverture Dtail dafche : SKELETON / PARIA SANDSTONE SALT LAKE 2002 PHOTOGRAPHY ATHLETE / JOHN HUET ENVIRONMENT / DAVID MUENCH Collection olymperial.com Direction artistique et mise en page Harding Marketing Impression Imprimerie Coquand-La TypoINSTITUT SPORT & MANAGEMENT GRENOBLE COLE DE MANAGEMENT 12, rue Pierre Smard 38000 Grenoble Tl. : 04 76 70 60 60 Fax : 04 76 70 60 99 e-mail : [email protected] www.grenoble-em.com

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SommaireLes Cahiers de lIS&M [ Ulysse - Voyage II ] Janvier 2010

Autour de la devise olympique Citius, Altius, Fortius Page 6 6 8 10 12 16

OuvertureLINSEP et le nouvel essor du sport Pierre Durand Rugby et entreprise : la rgle fait le jeu Jacques Delmas Do you know OCUN? Gilles Dumolard et Thierry Grange Lhrosme moderne ! Lock Roche Ulysse et la devise olympique Franois Leccia

le dveloppement Page 19 20 Sportez-vous bien ! Denis Masseglia 22 Un dirigeant tout terrain Daniel Jennepin 24 Regards croiss dalter-entrepreneurs Yvon Chouinard, Franois Lemarchand, Paul Petzl

Chapitre I :

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Chapitre II : la rechercheLa devise entre ducation et management Franois Leccia Quel nouveau modle pour le sport franais ? Denis Masseglia Jai mal mes limites Alain Arvin-Brod De Citius, Altius, Fortius Excellence, amiti, respect Jean-Louis Gouju Dpassement et confrontation aux limites Jean-Franois Toussaint

Page 79 80 84 90 92 94 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 106 108

Chapitre III : la formationFacebook-Sportbook, to be or not to be Catherine Ferrier-Ranchoup La tte et les jambes Catherine Ferrier-Ranchoup La marraine des neiges Isabelle Blanc Au casting de La castagne ! Jeff Bonnard Interviews des sportifs professionnels en formation lIS&M Alain Arvin-Brod Avec Audrey toujours Schuss ! Caroline, rameuse et studieuse la fois ! La voie de Maud Laure euret mouchet ! Le petit Nicolas ne fait pas de cinma ! Emeric : un arrire qui va de lavant ! En bonne et Dut forme ! Gwendolen Fer, cheval sur Ter Marion : des titres la pelle daviron ! Vincent, un gardien qui met la main la pte ! Au service de 1 056 athltes Olivier Lambert Comptition, valeurs et performances Michel Rouger La dfense comme attaque Pascal Papillon

Page 111 le vecteur conomique 112 Prendre linitiative Pierre Fournier 114 Interstations. Les Jeux de lconomie de montagne Didier Beuque et Christian Laval 116 Chapeau bas Monsieur Pierre ! Alain Arvin- Brod

Chapitre IV :

LINSEP et le nouvel essor du sportCr en 1937, lINSEP a pris une orientation moins militaire aprs la Seconde Guerre mondiale avant dengager une mutation dcisive en 1975 pour se spcialiser dans la prise en charge du sportif franais de haut niveau. DR

Pierre Durand Champion olympique, Prsident de lINSEP, membre du Comit scientique de lIS&M

Son histoire comme son image sont troitement associes au dveloppement de la pratique du sport dans notre socit, non seulement au travers des performances de nos champions de lgende mais dans tout le spectre de laccompagnement sportif, avec la formation de lindividu mise au centre de son architecture. Je tiens souligner la prsence dans lINSEP du double-projet, sportif et personnel de lathlte. Il faut savoir que dans les quelques instituts au monde qui sont comparables lINSEP, nous sommes les seuls avoir pour marque de fabrique cette dualit. Le projet personnel de lathlte nous soucie autant pour son futur que sa recherche de performances sportives. Les autres instituts spcialiss sont surtout des camps dentranement de haut niveau. Ce qui prouve bien quen France, nous nous interrogeons sur la mutation en cours. Celle-ci vient dtre prise en compte dans le management et dans les missions de lINSEP, lequel, en se rformant actuellement en profondeur, sengage plus que jamais sur la voie de la performance, de linnovation, de la recherche et de limplication du secteur priv. Dans le mme temps le sport socital a considrablement volu. Aujourdhui, sagissant de la place de la devise olympique Citius, Altius, Fortius , il me semble que le spectre voqu plus haut sest largi et approfondi, voire profondment transform pour dboucher sur un schma totalement neuf, loign du contexte de naissance de la devise. Lenqute rcente sur la perception des offres des clubs associatifs par rapport aux attentes du public en donne une image saisissante1. Ainsi, la question sur la pertinence de ces offres, si 42,1 % les trouvent adaptes et 1,3 % trs importantes, 52,6 % en revanche les considrent pas du tout adaptes Quant limplication du priv mentionn dans la refondation de lINSEP, lenqute indique que 72 % ne la trouvent pas assez importante, 22,7 % insufsante et seulement 5,3 % trop importante. Jai le sentiment quil y a une sorte de ssure sportive luvre entre une pratique comptitive qui se reconnat toujours dans la devise de lAbb Didon et de Coubertin, et une pratique qui se dveloppe plus au regard dune qute personnelle et dun voyage hdoniste effectu au travers de la pratique du sport. Il est vrai quun certain sport issu en partie de cette devise, vhicule plutt les contrevaleurs du sport comme le disait Bernard Jeu, savoir le dpassement par le dopage, la tricherie, la corruption

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Jai le sentiment que notre mode dorganisation dans la gestion du sport en France nest alors plus en mesure de rpondre cet enjeu. Les fdrations ne peuvent pas tout faire et elles ne savent pas bien grer ces deux approches importantes de la pratique du sport. Comment concilier ces deux faons de vivre le sport, sans que leur progression ne se fasse au dtriment lune de lautre ? Pour aider le sport mieux exister, comment ltat doit-il penser sa place et son rle et qui va faire voluer les dirigeants du sport, si ce nest cette prise de conscience sur le caractre indit des contenus sportifs qui sont aussi des contenus de connaissances et de savoirs ? Il y a un risque de fracture au niveau du sport aujourdhui comme on a pu parler un moment donn, dune fracture sociale .

Le nouveau positionnement de lINSEP dans cet environnement indit reprsente une rponse pertinente pour le sport de haute comptition et une chance de fdrer lavenir les bonnes volonts associatives ainsi que les comptences professionnelles publiques et prives pour doter notre pays dune stratgie nationale et internationale. Accroch sa devise ducative, favorable lpanouissement personnel de lathlte dans une perspective thique que les pres olympiques avaient cur de traduire sur le stade comme dans la vie, lINSEP doit nanmoins devenir une image, une marque et un label.

EnglishINSEP, the French National Institute for Sports and Physical Education, was founded in 1937. However the Institute changed direction after World War II, moving away from its mainly military role. In 1975, the Institute underwent another decisive transformation, becoming Frances national authority for elite sports. Of the handful of comparable organizations in the world, the Institute is truly unique in its involvement in both athletic and personal development. The INSEP supports athletes personal goals just as much as their quest for athletic performance. Most other similar institutes limit their role to that of a sports "boot camp". Sports federations cannot be everywhere; nor is it their role to manage these two very important aspects of sports. In France, current sports management practices are no longer able to meet these challenges. So how can we reconcile the two approaches? How can we enable each one to grow and ourish without putting the other at risk? The Institute has set out to do just that, by remaining true to its educational values, fostering personal development, and staying faithful to the ethics that the Olympic fathers lived by day-to-day and played by on the sports eld.

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Enqute TNS Sport/Ineum/Audencia in Les Echos (30/10/09).

Jean-Claude Liprandi Claix, septembre 2009, tournoi Claix tennis

[OU VE [OUVE RT U R E ] L IN S E P E T L E N O U V E L ESSOR DU SPORT IN EL E SS OR

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Rugby et entreprise : la rgle fait le jeuQue la devise est belleSi la devise olympique a su rsister lusure des ans depuis sa naissance, sa perception a nanmoins vari sensiblement selon le point de vue do nous la regardons : aujourdhui entre le sport amateur et le sport professionnel ses consquences sont diffrentes et notre sport, le rugby, a connu ce passage au cours duquel il a su (parfois de justesse !) viter la noyade. En effet, dans le sport amateur si cette devise incite plus deffort sur le terrain, elle concentre dans lunivers professionnel (entreprise comprise) la trilogie Citius, Altius, Fortius sur le premier terme plus vite pour la course aux rsultats. Les deux autres objectifs (plus haut et plus fort) sont contracts dans le premier pour pousser les performances et le spectacle. Cette volution sest dabord vue sur le terrain avec le rapprochement des morphologies entre avants et arrires pour conjuguer limpact avec la vitesse dans toutes les phases de jeu. Ce changement de repres et de critres concerne aussi lconomie du rugby avec les effets positifs de la Coupe du monde en France (2007) qui ont boost notre sport tous points de vue : effectifs, joueurs trangers, budgets, rsultats et ambitions. Un nouveau puzzle de conditions et de rgles sest mis en place qui ncessite de trouver les bonnes articulations entre la formation et le haut niveau et notamment dans nos territoires. Ainsi, la rgion Ile-de-France qui possde un gros potentiel de joueurs na pas pour autant des quipes jeunes en consquence car le territoire est bien explor et exploit par les clubs de tout lHexagone. Quand un club forme un jeune il souhaite trs normalement le voir voluer dans son territoire, mais aujourdhui le joueur a un ventail de choix plus ouvert, en France et linternational. Dans cette concurrence, quil sagisse du rugby ou de lentreprise, la comptence est systmatiquement recherche et dtecte trs tt. Quand par exemple j'ai fait dbuter le jeune Vincent Clerc au FCG et quil sest rvl trs vite, il a t de suite sollicit par le Stade Toulousain et dans la mme anne il a t slectionn en quipe de France ! Je pourrais voquer aussi le cas de Julien Dupuy que javais au BO et qui, pour avoir un temps de jeu plus long, est all Leicester o il a brill : certes je lai retrouv au Stade Franais mais parce que notre quipe est une grosse cylindre. Dans le mme temps, lvolution des attentes de spectacle formules par la professionnalisation exige du rugby des adaptations dans ses rgles, an de faire vivre le ballon pour faire vibrer le public et promouvoir les clubs comme lquipe nationale. Ces rgles inities par le Board (International Rugby Board, IRB) constituent un trait original de notre sport qui volue avec la socit et linvocation de la belle devise ne suft donc plus notre labeur quotidien, joueurs, dirigeants et entraneurs.

Jacques Delmas Entraneur du Stade Franais

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stade.fr

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La construction de la performanceLarrive massive de joueurs trangers dans le Top 14 nous conduit poser la question de la construction de la performance sportive, dans lefcacit et dans la dure. Les nouvelles rgles mises en place par le professionnalisme ont comme consquence de faire ressortir encore plus fortement le rle des hommes pour lvolution de notre sport et pas exclusivement sur le terrain ou dans le coaching. La qualit des hommes concerne tous les acteurs du club, du dirigeant aux joueurs en passant par les partenaires nanciers dans un nouveau management pour le succs sportif, humain et conomique du rugby. Ainsi les rgles font le jeu et le poussent voluer. Encore faut-il quelles soient appliques lors des matchs et leur volution constante contribue parfois donner une place exagre linterprtation, notamment entre cultures rugbystiques du Nord et du Sud de la plante Dans la vie sociale et politique lexpression nul nest cens ignorer la loi est un impratif qui simpose tout le monde. Entre la rgle et le jeu lentraneur est plac en permanence face au d de linnovation qui doit assurer la prennit dune tradition sans en altrer les valeurs dorigine, paradoxe qui me semble caractriser la position du chef dentreprise. Aussi est-ce pour cela que le sport de comptition est aujourdhui investi de plus en plus par des capitaines dindustrie, ceux-l mme que le rugby ds ses origines avait mission de former De ce point de vue la belle devise du Pre Didon a de lavenir devant elle !

EnglishDont be fooled by Jacques Delmas George Clooneyesque nonchalance. The former rugby hooker knows how to strike he is now coaching Top 14 leaguer and Brennus Shield winner, Paris-based le Stade Franais and doesnt back down from a challenge. He is one of the generation of players that lived through rugbys transformation from an amateur to a professional sport. Despite the ups and downs, he is still smiling. He is still just as tolerant, as well. He talks much like a rugby ball behaves you never know what he is about to say, but he often manages to score a few points! His main concern is making sure the rules of the game are followed not an easy task when navigating between the slightly different interpretations north and south of the Equator. DR Jacques Delmas - Entanement du Stade Franais

[OU VE [OUVE RT U R E ] R U G B Y E T E N T R E P RISE : LA RGLE FAIT LE JEU R ISE L A R GL E L E JE U

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Do you know OCUN?Olympic City Universities NetworkLe management dans sa comprhension internationale est un ensemble de pratiques industrielles pour aligner les stratgies et les moyens. DR

Gilles Dumolard ( droite) Prsident de la CCI de lIsre Thierry Grange ( gauche) Directeur de Grenoble cole de Management

Elles ont t rationalises pour pouvoir tre la fois utilisables par dautres industriels et transmissibles de futurs managers en formation. Le management est une approche clinique, exprimentale et pragmatique, et nest pas un art et encore moins une science. La position centrale de lhomme dans ce processus le rend raisonnable mais pas toujours prdictible. Les deux autres activits humaines qui partagent des caractristiques comparables, sont la mdecine et le sport des temps modernes . Lanalogie mdecine et commerce, lanctre du management, a t faite il y a longtemps. Les Grecs et les Romains avaient le mme Dieu pour les deux domaines : Herms et Mercure. Le sport est une analogie plus rcente mais bien plus utilise que la prcdente. Il nest plus de bons sminaires de management sans lintervention dun coach ou dun sportif de haut niveau, pour illustrer des paralllismes intressants mais qui ne se croisent pas toujours. Une bonne formation suprieure de futurs cadres ne se conoit pas sans sport collectif pour lexprience sociale et sans sport individuel pour vivre la performance physique. La formation au commerce mondial du XXIe sicle a besoin pour son universalit dune nouvelle dimension de la connaissance : lthique. La rgle du jeu de la globalisation est simple : cest accepter la comptition mondiale dans toute sa rigueur et avec toute la prparation quelle exige, mais dans le respect de rgles convenues et admises pour que la conance subsiste entre les comptiteurs. Cest aussi admettre les vertus de la comptition pour faire progresser les entreprises qui sy adonnent. Ces effets positifs sur les personnes, sur les territoires et sur les pratiques sociales, sont une autre analogie de la concurrence conomique et du sport qui peut tre utilise pour la formation au management. Lolympisme qui a transcend le sport pour en faire un outil du progrs individuel et du dveloppement social et local, est aussi tributaire de la reprsentation que les sportifs se font de son thique. Cette thique olympique, qui gnre la conance des comptiteurs et la gloire de leurs performances, est une allgorie parfaitement recyclable dans les exemples de concurrence vertueuse dans le monde conomique.Collection olymperial.com

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GEM in the worldLes universits partenaires Les Jeux Olympiques dveloppent des territoires et le libre commerce aussi, cest ce que nous avons vu depuis 1990, lorsque les deux actions sont conjointes. Bien sr, sil y a des affaires douteuses conomiques, il y a aussi des scandales olympiques. Le recyclage de la morale olympique dans celle du management ne peut se faire sans prcautions. En revanche, lesprit olympique peut tre mis en avant pour donner un sens plus acceptable la globalisation. Cest plus dans lesprit des lois que dans la lettre que se trouve le signiant, cest plus dans la pratique collective que dans les attitudes que se trouve le signi. La conviction que lexprience olympique peut tre une mtaphore pour la formation des entrepreneurs du XXIe sicle, est partage par un grand nombre dcoles de management des villes olympiques. Elles mesurent limpact des jeux sur les personnes, sur le territoire, sur son conomie et sur le lien social nouveau qui est cr. Avec lInstitut Sport et Management, Grenoble cole de Management lance un rseau mondial des universits des villes olympiques, OCUN (Olympic City Universities Network) pour travailler sur une nouvelle pdagogie du management, qui transformera la comptition conomique et scientique mondiale en moteur de dveloppement territorial et en ert humaine dappartenance une communaut de valeurs olympiques pour tous. Olympisme et Management sont lassociation de deux formes dorganisation de lhumanit pour lui permettre de raliser ses dsirs , cest tout le projet de lInstitut Sport et Management qui veut reprendre mens sana in corpore sano , pour transposer dans les nouvelles valeurs olympiques : Respect - Amiti - Excellence ?

EnglishManagement is clinical, experimental, and pragmatic. It is not an art and even less a science. Because man plays a key role in the processes of management, it is rational but not always predictable. Two other human activities share these qualities: medicine and modern-day sports. The analogy between medicine and business the father of management is nothing new. The Romans and the Greeks even had the same God Mercury and Hermes for both. However, the analogy between sports and business is more recent. Today it is hard to nd a good management conference without a high-level athlete or coach on the program to illustrate the parallels some of which never meet between the two worlds. And any business school worth its salt offers team sports for the social interaction and individual sports for the experience of physical performance. In this spirit, Grenoble Ecole de Management and IS&M have created the Olympic City Universities Network (OCUN). The goal is to develop new teaching methods that will ultimately transform global economic and scientic competition into a driver of local development. Our hope is to create a universal community based on Olympic values for all a community we can all be proud of.

[OU VE [OUVE RT U R E ] D O Y O U K N O W O C U N? N?

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Lhrosme moderne !Citius, Altius, Fortius ! Exprime en latin ou dans une autre langue, limpact de la devise olympique que celle-ci soit grave au fronton dun stade ou martele dans un conseil dadministration , parce quelle sinscrit dsormais dans un monde o tout fait objet de comptition, mme les repas, mme la jouissance dune femme (Georges Perec), fait mouche.

Lock Roche Directeur adjoint de Grenoble cole de Management

Alexis Chzire

Proche dAlcibiade dans sa relation Socrate, du patient dans son rapport Lacan, du supporter ou de la groupie avec son idole, depuis que les Jeux (Je !) sont faits rien ne va plus ! Insectes dans un monde de gants, les hommes et les femmes du commun sont pris dans les phares de lexploit, la tourmente du dpassement, lirrationnel de la performance. Captifs de ces dieux-vivants qui tout semble russir quils sexpriment dans les enceintes sportives, dans le domaine de lart, du cinma, de la tlvision, au cur des entreprises ou dans les sphres du politique beaucoup se rfugient dans lillusion que ces russites exceptionnelles sont le fruit de physiques, dintellects, de personnalits hors du commun, motionnellement instables, qui sait peut-tre, sexuellement dviants. Quimporte que Joyce Mc Dougall ait montr que tout rsultat relevait dun construit sur la partie libre du symptme ; quimporte que toute thorie de la russite ne soit quune thorie du fantasme labore par ceux qui en sont les tmoins ; quimporte qu force de rpliquer la limite par lenjambe , comme dit avec enthousiasme Victor Hugo, on [en soit arriv] la situation o tout va trop vite, trop haut, trop fort (Alain Finkielkraut) ; quimporte enn quil ny ait l que mcanisme de dfense, dni de tout le travail dont ont fait montre ces (sur)hommes pour tutoyer ainsi les sommets de lexcellence car le reconnatre, ce serait reconnatre quils pourraient en faire autant la condition quils sen donnent la peine : le mal est fait ! La socit moderne [dsormais] est domine par les impratifs du perfectionnisme, commencer par les efforts incessants pour atteindre des technologies de plus en plus sophistiques et performantes pour arriver la devise des Jeux Olympiques. Dans cette optique, le message vanglique Soyez parfaits comme votre Pre cleste est parfait semble avoir t compris non seulement dans le sens moral mais dans toutes [ses acceptions] possibles (Christo Todorov, Andre Bazinet). La passion goste et mortifre, la recherche absurde du dpassement des limites, le culte de lexcs, le ftichisme [] des performances et lidoltrie de la russite tout prix : Citius, Altius, Fortius [devient limpratif] qui mne tout droit vers la passion de disparatre. (Fabien Ollier) Parce que rien ne pourra monter aussi haut queux (Jean Richepin), sil advient que les athltes, les stars, les grands leaders, les politiques, viennent faillir, la fascination, hier encore palpable dans ses risibles excs, fait place au dchanement. Et comme les supporters ont pu adorer leurs idoles, les militants aduler leurs leaders, les employs admirer leur patron, mais aussi des patrons tre terroriss

Citius, Altius, Fortius [devient limpratif] qui mne tout droit vers la passion de disparatre.FABIEN OLLIER

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Sports series JO Salt Lake City 2002 - Collection olymperial.com

par le talent et la puissance de travail des employs, ils nhsitent pas les brler. Semblables lemploye des postes Marguerite Pantaine (plus connue sous le cas Aime ) dont on sait quelle avait voulu attenter la vie dune actrice alors en vogue, Huguette Duos, et dont Lacan sest servi dans sa thse de doctorat en mdecine en 1932 en frappant ainsi leurs modles tombs de lOlympe, ils frappent leur idal du moi, lidal du matre quils portent en eux, ce quoi ils sidentient le plus (Christian Jambet). Exactement, et comme trop souvent, celui que vous avez aid nhsitera pas vous tuer (du moins essayer). Parce quils se sont identis un Autre, idalis car puissant, beaucoup nhsitent pas faire montre dune grande violence (verbale, physique, voire en tendant des piges et mme en crant des faux projection alors de leurs propres malversations) ds lors que cet Autre faillit cette mme image. Thtre de la cruaut surgi dun temps immmorial, nous assistons l une forme contemporaine dune tragdie antique revue et corrige par la dialectique hglienne du matre et de lesclave (lisabeth Roudinesco). Comme la montr Alexandre Kojve dans son analyse de Hegel, cest quil faut penser le sujet divis. Cest ce qui fait que lhomme, lorsquil essaie de prendre certitude de luimme, cest--dire de son existence, est oblig de demander la reconnaissance de cette existence un Autre. Et par consquent, cet Autre devient le matre de son propre tre (Christian Jambet.) Parce quil faut bien comprendre que derrire la volont de dtruire, il y a avant tout lexpression dun instinct plus profond encore, la volont de se dtruire : la volont du nant (Nietzsche), nous avons devoir et tant pis si notre tour nous encourons lvidence : le risque dtre pris comme idal du moi par ceux que nous voulons aider, et de nous positionner ds lors comme cible quils ne manqueront pas un jour de viser de rendre pdagogique ce qui, derrire ladmiration premire, est en ralit insupportable et insupport. Comme les hommes peuvent sarrter dcrire aprs tre tombs sur un chef-duvre, de peindre aprs avoir vu un Rembrandt, de composer aprs stre heurts Mozart, si les exemples qui sont donns voir sont trop brillants, ils vont castrs des hommes, qui dj nen menaient pas large , et les rendre impuissants. Aussi devons-nous, non dmysthier, mais montrer quil nest pas dambition trop haute pour chacune des personnes qui nous nous adressons (et tout particulirement dans notre vie professionnelle) ds lors quelles en acceptent le prix payer : le travail !

Thtre de la cruaut contemporaine surgi dun temps immmorial, nous assistons une forme contemporaine de tragdie antique...ELISABETH ROUDINESCO

[OU VE [OUVE RT U R E ] L H R O S ME MO D E R N E ! SME MO

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Lhrosme moderne !Devenir ainsi le sculpteur de soi-mme cest cela lhrosme moderne !Ce que nous devons faire, ce nest pas repenser la devise olympique, mais dnoncer ce qui est devenu perversion dans un toujours plus paranoaque, pour revenir sa signication premire telle que pense par Henri Didon, le 7 mars 1891, lorsqu la n des comptitions sportives du collge Albert-le-Grand dArcueil dont il tait directeur, il avait lanc aux participants, en prsence de son ami Pierre de Coubertin, ce qui allait devenir un mot dordre sur les stades et dans la vie (les-jeux-olympiques.fr). Et comme on traduit toujours cette devise par plus vite, plus haut, plus fort, sans se rendre compte que Fortius signie plus srement plus courageusement (lancelot-d-oslo.over-blog.com), ce que nous disons, cest quil convient de retrouver son ordre initial, Citius, Fortius, Altius [et non pas Citius, Altius, Fortius] qui en soulignait la signication morale (Jean Durry).

Il en va souvent ainsi des tres et des choses : on ne montre jamais autant que ce quon veut cacher. Ce que cache la devise olympique, cest en ralit la prfrence pour un monde aristotlicien (prdominance de lacquis) un monde cartsien (prdominance de linn). Ce que cache la devise olympique, cest un formidable appel la raison : un appel au progrs, un appel laccomplissement bien plus quau dpassement. Un appel toujours essayer de faire mieux avec ce quon est. Quimporte les moyens du bord : ce quon ne peut atteindre en volant, on peut latteindre en boitant ; boiter, dit lcriture, nest pas un pch (Friedrich Rckert). Un appel travailler dans ce que Lev Vygotski a appel : la zone proximale de dveloppement (si je fais 1,60 en hauteur, cest russir passer 1,61) une zone proximale de dveloppement, entendre, physique, mais aussi psychique, intellectuelle, et spirituelle. Ds lors, les hommes et les femmes guris de leurs fantasmes de toute-puissance parce quils acceptent de travailler dans leurs zones de vraie puissance, peuvent progresser. Ce premier progrs origine un deuxime progrs, celui des organisations, et donc, en toutes ns, un troisime progrs : la capacit travailler au bien-tre de la socit. Voil pourquoi Pierre de Coubertin a pu dire sans rien retirer du sens de la devise (reprenant l une citation que lon doit Guillaume Ier de Nassau) : Point nest besoin desprer pour entreprendre ni de russir pour persvrer. Au-dessus de : Tu dois [les faux modles ou faux prophtes], il y a : Je veux [les hros, les dieux du stade, des arts, de lentreprise, du politique] ; au-dessus de : Je veux , il y a : Je suis [les dieux grecs mais aussi chacun dentre nous] (Nietzsche). Devenir ainsi le sculpteur de soi-mme cest cela lhrosme moderne ! Sapientia, Virtus, Pulchritudo ; cest cela que nous donne entendre la devise olympique : vouloir, crit Nietzsche, se construire soi-mme, retrouver linnocence du devenir en excluant les ns .

EnglishWhen educator and monk Henri Didon pronounced what would become the Olympic motto Citius, Altius, Fortius on an athletic eld in Arcueil, France on March 7, 1891, he hailed the quest for excellence rather than the ideal of perfection. He also gave the illusion of eternity, which the birth of the psyche had relegated to the gods, a place in modern society. No longer the Homeric heroes of yore, todays athletes are hostages to performance, imprisoned within our digital screens all under the aegis of the Olympic motto. The tyranny of excellence has snuffed out the virtue that spawned it, leaving a totalitarian regime of success and excess in its place. Today we must uncover what lies within the myth of Citius, Altius, Fortius, and within us. If true modern heroes are to be born, we must return to reason, eschewing the bright lights of celebrity and nding our personal freedom in respect for others. It is by shaping ourselves as individuals that we build the promise of a future, whether Olympic or not.

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L e s C a h i e r s d e l I n s t i t u t S p o r t M a n a gement Les Cahiers de lInstitut Sport & Mana g e m e n t - [Ulys s e - Vo y a g e II] - Janvier 2010 ge

Afche lm JO Londres 1948 - Collection olymperial.com

[OU VE [OUVE RT U R E ] L H R O S ME MO D E R N E ! SME MO

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Ulysse et la devise olympiqueNous avions dcid de tenir notre premier Comit scientique Marseille lan dernier pour marquer louverture de nos travaux de manire symbolique dans la pleine lumire du Midi et aussi parce que notre hros , Ulysse, se devait de quitter le quai pour participer activement la construction de la chose sportive en pleine volution.

Franois Leccia Directeur de lInstitut Sport & Management

Aprs coup, nous sommes ravis de ce choix pour au moins trois raisons : Deux sujets avaient fait lobjet dintenses changes au sein du Comit scientique, savoir la reconversion des sportifs et la professionnalisation des clubs sportifs ; quelques jours aprs notre passage, le Cercle des Nageurs de Marseille faisait la Une des journaux en recrutant Laure Manaudou. Depuis, celle-ci a dcid darrter sa carrire sportive pour (enn) se consacrer elle ; le Cercle lui, sest dot dun club entreprise de partenaires intitul Club Europe rpondant ainsi aux nouvelles ncessits du haut niveau sportif que dtre aussi dans le haut niveau de la comptition conomique. Denis Masseglia, Marseillais pure souche, lanc en campagne de la prsidence du CNOSF avait dcid de nous rejoindre pour voquer son projet et sa lecture des mutations en cours au sein du mouvement sportif ; quelques semaines plus tard, au terme dune campagne difcile, cest son nom qui apparaissait lissue du vote des membres du CNOSF qui le dsignaient comme leur nouveau Prsident. Pierre Durand, que javais eu le plaisir de rencontrer dans une commission prside par Jean Bertsch sur la cration dune cole du management du sport , avait rpondu favorablement mon invitation. Jai pens un temps que son dplacement de Gironde sexpliquait dabord par son souhait de lorgner du ct du stade Vlodrome, la veille dun championnat qui allait nalement sourire aux hommes de Laurent Blanc. Quoi quil en soit, ses interventions au sein du Comit scientique nous ont clairs par son esprit rformateur et sa ne connaissance de la chose sportive. Sa nomination la Prsidence de lINSEP n novembre dernier na donc t quune demie surprise. Cette anne nous avons pris la dcision de rester dans les Alpes pour nous installer le temps de deux demi-journes sur les bords du Lac dAnnecy et de ses paysages magniques. Cette dcision sest impose nous le 18 mars dernier lorsque le CNOSF a retenu la candidature savoyarde pour les Jeux Olympiques dhiver de 2018. En inscrivant la mission de lIS&M dans la vise olympique dnie par le CIO, savoir mettre le sport au service du dveloppement harmonieux de lhomme en vue de promouvoir une socit pacique, soucieuse de prserver la dignit humaine . Nous ne pouvions pas ne pas proter de laubaine et inscrire nos travaux dans le champ dinvestigation ouvert par la devise olympique originelle de lAbb Didon, Citius, Altius, Fortius . Que peut encore signier une telle devise aujourdhui face aux incertitudes engendres par des excs que ce soit dans le sport, dans la sphre nancire ou encore dans lexploitation des ressources naturelles par exemple ?Grenoble, octobre 2009, FCG juniors Crabos (- de 19 ans) contre Bziers

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Jean-Claude Liprandi

En cho ces trois termes formuls par un abb aux ides librales dil y a deux sicles, le CIO propose aujourdhui Excellence, Respect, Amiti comme pour gommer les asprits de conqutes qui ne font plus rver les jeunes gnrations. A lissue de ce second voyage, trois tonnements sont apparus des dbats annciens : 1. Un nouveau paradigme du sport, de la sant et de lentreprise : lentreprise serait-elle en train de devenir le nouveau rfrent sant pour assurer aux Nations leur pleine performance ? 2. Lexigence ducative illustre par le sport dans la performance conomique : cest grce lchec que se construisent les grands sportifs comme les grands managers ; paradoxe intressant que de mesurer la russite individuelle et collective au travers dun terme peru sans issue dans nos cultures latines l o ailleurs devinez o ? il renvoie un acte fort dapprentissage. 3. Ltonnement face aux innovations de la mutation sportive et socitale : le sport, ralit plastique, nous renseigne sur la comprhension des volutions de la socit ; laggiornamento du sport en France devient urgent face aux enjeux de comptitivit quil impose la Nation, entendez ltat et le tissu conomique. Esprons que les prochaines semaines, soient aussi riches en nomination quelles lont t suite notre Comit 2008, et que gure dans la liste de nos experts prsents Annecy, un prochain secrtaire dtat aux Sports, qui saura ouvrir ces enjeux socitaux, les questions dbattues avec le monde conomique prt pour sa part, senrichir des enseignements sportifs. 12 sportifs de haut niveau ont rejoint lIS&M de Grenoble cole de Management en vue de dcrocher un diplme de haut niveau ; 11 sont encore en activit, installs un peu de partout sur le territoire (Toulouse, Frjus, St-Raphal, Annecy, Lille), une seule en reconversion postcarrire. Les exigences de la comptition empchant une prsence physique, ils bncient des outils que nous avons dvelopps pour un suivi distance. Difcile pour nos tudiants classiques darguer dsormais de plannings surbooks ; cest ce quon appelle lexemplarit dans le sport. Le sport est encore peru en France comme une simple activit ludique ; lAngleterre victorienne avait en son temps, rinvent les sports modernes , vritables outils pdagogiques au service de la formation des futurs capitaines dindustrie. Les liaisons permises par lEurostar nont visiblement pas encore acclr la transmission dexpriences, mais on ne dsespre pas. Le secrtariat aux Sports a t mis sous la tutelle du Ministre de la Sant ; on aurait pu imaginer que lentreprise soit le rceptacle dessais cliniques en la matire face des sujets tels que les pratiques addictives, lobsit, le stress... les sujets ne manquant pas. Sauf que pour linstant, lentreprise nest pas identie comme telle ; tonnant car les ressources publiques proviennent dabord du commerce (via notamment la TVA) et que les mouvements scaux sont intimement lis la performance du monde conomique. La richesse des Nations nest-elle pas corrle la sant de ces citoyens1 ? Et la prvention par la pratique sportive nest-elle pas une piste intressante ? Incontestablement, cela relve dune question didentit, esprons que M. Eric Besson songe aux sports pour lenrichir.

EnglishThe Institute for Sports and Managements mission reects the Olympic Charters vision: "The goal of Olympism is to place sport at the service of the harmonious development of man, with a view to promoting a peaceful society concerned with the preservation of human dignity". The opportunity to fully involve the Institute in the debate on Didons "Citius, Altius, Fortius" motto was not one we wanted to miss. What meaning can we give to the motto in an era of doubt spurred by excesses in sports, nance, and the way we use our natural resources? Echoing the phrase coined by the free-thinking monk Didon two centuries ago, today the IOC proposes the three Olympic values of "Excellence, Respect, Friendship" to a new generation of young athletes with less conquest-oriented ideals. The Annecy conference pointed to three emerging issues. First, business was held up as a new barometer of health and a driver of national performance in a new paradigm uniting sports, health, and business. Next, sports was examined as an educational tool to fuel economic performance. In business as in sports, failure is often what shapes great leaders. What if we considered failurea term perceived as a dead-end in many of our culturesas an extraordinary "teachable moment" and integrated it into our assessments of individual and group performance? Finally, sports and society are changing, and the conference noted that we must innovate to keep pace with these transformations. Sports give us special insight into our changing society. Given the capacity of sports to drive the competitiveness of economies and nations, France today faces a pressing need to modernize its approach to sports.

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Vers un nouveau modle de croissance : la socit du vieillissement sain - article paru in Les Echos (06/11/2009).

[OU VE [OUVE RT U R E ] U LY S S E E T L A D E V IS E O LY MPIQUE LA IS MPIQU E

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Chapitre I Le dveloppement

AERIALS / DELICATE ARCH - SALT LAKE 2002 - PHOTOGRAPHY ATHLETE / JOHN HUET ENVIRONMENT / DAVID MUENCH - Collection olymperial.com

SPORTEZ-VOUS BIEN

DENIS MASSEGLIA _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.20 DANIEL JENNEPIN _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.22 YVON CHOUINARD, FRANOIS LEMARCHAND, PAUL PETZL _ _ _ _ _ p.24

UN DIRIGEANT TOUT TERRAIN

REGARDS CROISS DALTER-ENTREPRENEURS

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Sportez-vous bien ! La devise olympique Citius, Altius, Fortius est-elle encore adapte au sport moderne et la socit de laquelle il est partie prenante ? Le simple fait de poser la question semble sufre y rpondre car videmment le Pre Didon ne pouvait pas se douter de la manire avec laquelle le sport, et par l mme les Jeux Olympiques, allaient voluer. Tout dabord, la devise effraie un peu si on ne la considre pas dans sa dimension humaine. Cest Citius, Altius, Fortius , oui, mais pas nimporte quel prix, et surtout pas celui de la sant, le bien le plus prcieux de lhomme et celui qui doit conduire sa rexion sur les limites ne pas dpasser.

Denis Masseglia Prsident du CNOSFLe problme va bien au-del des aspects ngatifs, voire pervers, des pratiques comptitives, en particulier de haut niveau, car il en va de lexemplarit et de la part de rve que suscite la performance sportive, surtout lorsquelle saccompagne de cet incontournable ingrdient du spectacle sportif quest lmotion quil procure. Jai toujours t et demeurerai un inconditionnel de lunit des pratiques, il y a et doit y avoir un lien solide entre la pratique de haut niveau et celle du sport pour tous, qui tend devenir de plus en plus le sport pour chacun. Ce lien se fait travers le club sportif, vritable deuxime famille pour celles et ceux qui en sont membres, gnrateur de lien social, paramtre dautant plus essentiel de nos jours o beaucoup ont tendance se replier sur eux-mmes. Le sport de haut niveau nest pas accessible tout le monde, il faut du talent, du travail, beaucoup de travail et un mental toute preuve. On oublie souvent de dire que le sportif de haut niveau prend aussi du plaisir, dans la comptition bien sr, mais aussi lentranement, sans quoi il ne pourrait tre performant. Cest cette notion de plaisir quil me parat essentiel de souligner car elle rapproche tous les pratiquants de la chose sportive. Cest elle qui va motiver tous ceux qui sadonnent ce que lon appelle communment le sport sant, rsum en fait dun sport pour le bien-tre, car il existe bien un sport sant directement adress ceux qui sy adonnent par souci prventif ou curatif. En matire de sport, je suis personnellement croyant et pratiquant. Ce nest pas tant pour faire passer le message que pour le fait de se sentir la fois bien dans sa tte et dans son corps. La plupart des adeptes sont comme cela, ils ne cherchent pas aller plus vite, plus haut, plus fort, mais plutt se faire plaisir. Plus grand sera leur nombre, plus nous aurons de chances que le message passe auprs des jeunes gnrations de lintrt de grandir avec le sport et de lpanouissement quil procure dans une logique de sportez-vous bien ! .

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EnglishCitius, Altius, Fortius. The Olympic motto comes across as a bit too categorical if you dont stop to consider that it is really about people. "Swifter, Higher, Stronger," yes, but not at any cost. And certainly not when it comes to health, the most precious gift a person can possess. Athletes are constantly pushing back the limits of what the human body is capable of. However, good health and pleasure are frequently left out of the debate. We often forget that athletes typically enjoy training crucial for top performance as much as they enjoy competition. Athletes dont necessarily aim for "Swifter, Higher, Stronger" they simply strive to experience pleasure. We need to teach young people the benets of playing sports and the personal fulllment sports can provide. Sports are a great way to take care of yourself.

Afche de la candidature de Londres pour les J.O 2012 - Collection olymperial.com

[C HA P. 1 ] L E D V E L O PPE ME N T : SPO RT E Z -VOU S BIEN ! HA PPEME RTEZ-VOUS B IE N

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Daniel Jennepin : un dirigeant tout terrainPROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN ARVIN-BROD Daniel Jennepin, vous tes la fois Directeur oprationnel dans un grand groupe (SPIE), partenaire du FCG et Prsident de lAssociation FCG - support de la section de Pro D2 de Grenoble : comment tes-vous arriv cette vie double ? Tout a commenc au collge de Brignon entre efuves sucres manant de la Rglisserie voisine et les entranements de rugby donns par le surveillant gnral, M. Raynal, le mercredi matin. Elev en pleine campagne entre Als et Nmes, jaime la terre et son contact physique. Le tennis, le vlo et la moto ont rythm mon adolescence avant que je ne retrouve le rugby dans les annes postbac et ne dcouvre le football amricain Montpellier. Mes ligaments croiss mont alors lch et je me suis rabattu sur le VTT et la vie associative que les activits bnvoles de mon pre mavaient rvle. Je me suis investi dans la vie tudiante jusquaux Arts et Mtiers, en tant que trsorier du Cercle des lves . En dernire anne, jai t Commissaire gnral du Forum des Arts et Mtiers Paris. Jai donc toujours eu une double activit, professionnelle et associative dans mon parcours de vie. Quelle est votre perception de la devise olympique dans cette double perspective ? Jai t format par la devise olympique comme ingnieur, cest tout dire, et je lai prsente lesprit dans mon quotidien ! Mais en mme temps, dans ma carrire professionnelle, jai appris la complter. En effet, ayant beaucoup boug pour mon mtier, aprs Chambry, Lyon, Besanon, Cluses, Valence, je suis arriv Grenoble et me suis pos et fond une famille avec ma compagne. Depuis, jai conjugu la devise ma manire moi. Javais beaucoup travers de territoires et ctoy de nombreuses personnes mais jamais sans vraiment les connatre. Avec le FCG en Top 16 (2002), jai eu cette possibilit et jai dvelopp un partenariat qui ma quelque peu du dans un premier temps Je mexplique : les rapports entre lentreprise partenaire et le club taient limits, la convivialit absente, une prsence aux matchs sans aucun contact avec les joueurs, etc. La rtrogradation en Fdral 1 a cr des conditions de survie : il fallait sauver le club, ne pas abandonner et la crise a rvl des gens, des attitudes, sinon je ne serais pas rest. Jai particip, mon niveau, au redressement. Mon ducation, comme la vie, mont appris que lon se construit en construisant ! De trsorier, je suis devenu en 2008 Prsident de lAssociation FCG. Comment sorganisent les rapports avec la section professionnelle aujourdhui ? Nous travaillons dsormais sur les attentes des partenaires et la cration, ds 2004, de lAssociation des partenaires du FCG , prside par Jean-Pierre Srigny (Cotherm), laquelle jai immdiatement adhr en tant que partenaire, nous a permis de dvelopper des produits pour nos adhrents-clients et au-del. Les veilles de matchs le vendredi matin, avec prsentation dactivits des partenaires, la mle business une fois lan avec les changes de cartes de visites, les soires ptanque, poker ou encore la commission emploi-formation (stages pour les jeunes), nourrissent Grenoble Terre de Rugby selon notre devise prolonge par Force et Fiert des pros.

Daniel Jennepin Prsident de lAssociation FCG et Directeur oprationnel du groupe SPIE

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Plus prcisment, sur quel projet davenir travaillez-vous ensemble, Association et SASP du FCG ? Je prends une image : il y a deux pyramides qui sont cte cte et se font face : la SASP et lAssociation. Lune est expose voire surexpose (mdias) au public, lautre est dans lombre mais les fruits visibles ne sont possibles que grce lirrigation des racines et de la terre. Tout va vite dans cet univers sportif : tous les ans, une centaine de joueurs nous rejoignent (de lcole de rugby jusquaux juniors) dont un ou deux auront un contrat professionnel et seulement trois ou quatre rentreront au Centre de formation. On voit bien que lphmre et lincertain qui caractrisent le sport ne peuvent pas assurer une continuit de tout le jeu sportif, conomique et humain car il ne reprsente pas TOUT le rugby. A lheure actuelle, nous travaillons donc avec le Prsident de la SASP (Marc Chrque) pour imaginer des transverses et sortir du schma ancien, pour aller vers une matrice qui parte du sportif, du mdical, du commercial, de la trsorerie (entre autres) en transverse et permette dvaluer le professionnel, le centre de formation, les quipes jeunes etc. partir dune grille commune. Il faut donc rquilibrer nos rfrents de base o le commercial a encore trop tendance prendre le pas sur le reste, pour mieux lintgrer dans une Culture du Club et pour toutes les gnrations. La prparation du centenaire du FCG en 2011 sinscrit prcisment dans cette perspective, celle de runir tous les membres de la famille de Grenoble Terre de Rugby , des jeunes aux Six Roses en passant par nos supporters et partenaires. Nous sommes en chemin ensemble, cest ce qui compte.Couverture du magazine de lassociation du FC Grenoble Rugby - Octobre 2009

EnglishFCG Rugby Club Association President Daniel Jennepin has one foot on the rugby eld and the other in the business world. The quintessential modern sports manager, he is both an entrepreneur and an important contributor to team performance and individual development. Daniel has been guided by the Olympic motto "Citius, Altius, Fortius" (Swifter, Higher, Stronger) since he was a child. Today the Olympic spirit continues to motivate him in his role as COO of SPIE, rugby club FCGs partner company. It also spurred him to stick with FCG when the team was downgraded. Today the restructured club is organized around the FCG Association and the FCG Management Company. Daniel foresees a robust future for FCG one that shuns excessive commercialism in favor of excellence and strong fundamental values. He plans to make this happen by building a "club culture" that reects the teams slogan, "Grenoble [CHAP. 1] LE DVELOPPEMENT : DAN IEL JENNEPIN, UN DIRIGEANT TOUT TERRAIN Terre de Rugby," and builds on the strength and pride of professional elite athletes. In 2011 FCG will celebrate its 100-year anniversary with Six Roses, an organization bringing together up-and-coming players and FCG alumni.

[C HA P. 1 ] L E D V E L O PPE ME N T : D AN IE L JENNEPIN : UN DIRIGEANT TOUT TERRAIN HA PPEME IEL JE NNE PIN U N DIR IGE ANT T OU T T E R R AIN

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TABLE RONDE Dans le cadre des Rencontres du Cinma de MontagneRetranscription Cathy Drevet et Alain Arvin-Brod (IS&M)

Soire-dbat avec messieurs :le 4 novembre 2009

Yvon Chouinard Fondateur de Patagonia

Franois Lemarchand Prsident Fondateur de Nature & Dcouvertes

Paul Petzl Prsident Fondateur teur teur de PETZL

Trois personnes qui sont la fois entrepreneurs, innovateurs dans le sport & management et pratiquants du dveloppement durable.

Animateurs : Jean-Philippe Masson, Coline Lemate et Jordan Chebat, tudiants GEM

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Franois Lemarchand

Yvon Chouinard

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Sans une plante vivante, il ny a ni actionnaires, ni clients, ni employs DR

Paul Petzl

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Antoine Haincourt, consultant en stratgie de marque, est, avec Yves Exbrayat, directeur de la Maison de la Montagne de Grenoble, lorigine des Rencontres du Cinma de Montagne . Fin connaisseur des Alpes, il a lide de faire parler la montagne en lui donnant une autre voix que la voie des loisirs et du sport mais en lien avec elle bien sr ! Il imagine ainsi une confrence trois voix sur lconomie de lenvironnement et de la montagne. Il opte pour un partenariat avec lIS&M, dans le droit l de la confrence du 20 mai 2008 organise avec Capgemini et laquelle il avait particip (voir Ulysse Cahiers I). Lors de la soire du 4 novembre 2009, il prsente les trois alter-entrepreneurs. Il a ralis le guide dentretiens des tudiants qui conduisirent avec talent les dbats de la confrence.

[CHAP. 1] TABLE RONDE : REGARDS CROISS DALTER-ENTREPRENEURS

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Trois mousquetaires hommes daffaires malgr euxPrsentation par Antoine HaincourtYvon Chouinard est alpiniste, grimpeur, surfeur et fondateur de PATAGONIA. Il se dnit lui-mme comme homme daffaires malgr lui. Son histoire raconte par lui dans son dernier ouvrage est celle dun homme qui a su allier travail et loisir mais aussi responsabilit citoyenne et russite. Il ne considre pas lentreprise comme une n en soi mais plutt comme un moyen de payer les factures et surtout daller grimper. En passant le plus clair de son temps dans la nature, il a conu le MBA, Management par lAbsence . Il est inutile dessayer de le joindre au bureau : il na ni tlphone, ni mail, il y a plus de chance de le joindre et de le trouver la pche en Alaska ! Attach aux valeurs environnementales et cofondateur pour le 1 % pour la plante, il soutient le mouvement cologiste auprs du chanteur J. Johnson dans la dernire campagne prsidentielle amricaine. Il infuse son entreprise de sa philosophie, de sa conception des produits la production, la distribution et jusquau management. Etant donn son aversion pour le systme, on pourrait sattendre une marginalisation mais il a un autre objectif : changer le systme de lintrieur. Franois Lemarchand est Prsident Fondateur de Nature & Dcouvertes. Aprs Harvard puis le rachat de la liale europenne Pier Import en 1976, il cre avec son pouse Franoise, Nature & Dcouvertes en 1990. Son credo : inciter les familles urbaines dcouvrir et aimer la nature. Son entreprise a t pionnire en France des pratiques environnementales. Ses premiers engagements concrets datent de 1993 via sa Fondation pour la nature qui reoit 10 % des bnces de son entreprise. Avec son pouse, il crit nombre douvrages de voyages, sur la nature et ensemble ils ditent la revue KANOPE qui explore les courants prospectifs dans les domaines socitaux, cologiques et humains. Militant cologique de longue date, il est entre autres responsabilits, administrateur de WWF. Yvon Chouinard la choisi pour prfacer son livre Homme daffaire malgr moi . Paul Petzl est Prsident de lentreprise PETZL. Il est en quelque sorte le rgional de ltape puisque son entreprise est base Crolles dans le Grsivaudan. A lorigine, son pre Fernand passionn par la splologie conoit et fabrique des quipements pour lui et ses compagnons. Ds 1933, il participera lexploration du rseau de la Dent de Crolles et tablira plus tard un record dexploration au gouffre Berger. Le pre de Paul transmet son ls sa passion pour lexploration et ce dernier le rejoint en 1973. Les ventes se font alors par correspondance. Paul Petzl organise des congrs partout dans le monde. Son rseau de distribution deviendra lun des plus solides qui soit dans cette industrie et qui permettra la marque de diffuser plus de 80 % de sa production. Il est aussi fondamentalement attach aux valeurs environnementales que ses deux compagnons. En 1990, quand des splologues et alpinistes sengagent dans des travaux de grandes hauteurs, il voit un nouveau d relever alors que dj de nombreux secouristes plbiscitent son matriel. Rcemment, il a dvelopp conjointement avec les pompiers de New York des systmes dvacuation de la dernire chance. Ses systmes ont dj sauv des vies parmi des pompiers amricains. Pour diriger son entreprise il est attach des valeurs essentielles, la perfection, seule valeur ses yeux qui lui permette de signer les produits de son nom, ensuite lindpendance an de garder une dimension humaine de lentreprise et de respecter ses clients comme ses employs. Comme Yvon Chouinard et Franois Lemarchand, Paul Petzl initie un projet de fondation, la premire fondation dentreprise de lIsre ayant pour objet de soutenir des projets dans les domaines de lducation, de la prvention et de lenvironnement. Comme par hasard, il a choisi Franois Lemarchand parmi les membres de son conseil dadministration. Ce sont donc trois russites, trois entrepreneurs mais surtout trois hommes qui ont accept de partager aujourdhui leur vision et leurs valeurs dans ce dbat. 26 Rolland Quadrini / KR Images Presse Rolland Quadrini / KR Images Presse Rolland Quadrini / KR Images Presse

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Au commencementJean-Philippe Masson : M. Yvon Chouinard, dans cette salle de nombreux tudiants ont envie dapprendre, ils ont mme lme dentrepreneur. Quelles ont t vos motivations pour vous pousser devenir entrepreneur ? Dans votre jeunesse vous souhaitiez tre trappeur, ensuite vous vous initiez ce que lon a appel le MBA (Management par lAbsence), comment passe-t-on de trappeur chef dentreprise ? Yvon Chouinard : Dans les annes 1960, je navais aucun respect pour les businessmen. Je voulais juste faire du surf et de lescalade Yosemite (CA). Javais des ides pour amliorer mon matriel descalade. Jai commenc fabriquer mes propres pitons en incorporant des amliorations techniques. Cela a plu mes amis et peu peu je me suis mis vendre des pitons devant le coffre de ma voiture ! Je voulais juste avoir assez dargent pour payer mes factures, partir voyager, grimper et surfer le plus possible. Je navais aucun dsir de crer une entreprise. Pour moi, ce nest pas une n en soi. Cest juste arriv comme a !

J.-P. M. : M. Franois Lemarchand, vous vivez aux tats-Unis dabord et vous dcrochez votre ssame en rachetant la liale Pier Import. Le Franois Lemarchand de lpoque tait-il diffrent de celui que lon connat aujourdhui ? Douze ans plus tard, vous revendez votre entreprise et vous crez Nature & Dcouvertes avec votre femme, comment sest faite cette transition ? Franois Lemarchand : 1976 est une poque extraordinaire en abondance et personne ne parlait de dveloppement durable, ni de limitation des ressources de la plante : tout tait possible, tout tait abondant, tout le monde pensait que la technologie pouvait tout raliser. La grande aventure tait alors la dcouverte du monde. Dans les annes 70, il ny avait pas de transport de masse, peu de personnes voyageaient. Explorer le monde tait donc une vritable aventure. Mon premier boulot cest Pier Import. Avec mon pouse nous choisissions une rgion du monde inexplore pour la dcouvrir si possible. Nous partions la dcouverte de produits dartisanat populaire mais aussi la dcouverte des gens et dun monde dune varit extraordinaire. Pier Import a eu du succs car nous ramenions des objets de la vie de tous les jours qui racontaient lhistoire des autres peuples de la terre. Il y avait une biodiversit humaine. Ensuite, la mondialisation a fait son effet, le monde a commenc se rtrcir. Aujourdhui, tout le monde vit de la mme faon et on a perdu la biodiversit

J.-P. M. : Paul Petzl, c'est votre pre qui a cr la socit PETZL : comment vous a-t-il con les rnes ? Etait-ce tout de suite dans vos cordes ou vous a-t-il assur pour que vous puissiez monter seul en tte ? Paul Petzl : Mon pre tait un artisan, il voulait accomplir du travail bien fait puis rsoudre des problmes. Il a donc aid ses ls rentrer dans la vie artisanale. Il a commenc faire du matriel pour la splologie car il tait passionn. Des amis lui demandaient de fabriquer certaines choses, cest comme a que Pierre et moi-mme sommes rentrs et avons dmarr cette entreprise. Jai recrut le premier employ puis maintenant il y a 400 employs et cela continue !

[CHAP. 1] TABLE RONDE : REGARDS CROISS DALTER-ENTREPRENEURS

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Soyez prsent quand vous ntes pas l !J.-P. M. : Yvon Chouinard, vous avez cr le MBA (Management par lAbsence) : de quoi s'agit-il concrtement except le fait quau lieu daller au bureau vous partez surfer sur la vague ? Y. C. : Comme je lai dit, tout ce que je voulais, ctait faire du surf quand il y avait de la houle et du ski quand il y avait de la poudreuse ou de lescalade quand il faisait beau. Mais ce nest pas si simple que cela, car il ny a pas dhoraire pour les vagues ou la poudreuse ! Je voulais donc pouvoir travailler avec mes amis et avec des horaires sufsamment exibles pour aller surfer. Je voulais aussi que mon travail soit un terrain de jeu et vice-versa. Je voulais pouvoir partir 6 mois de lanne pour grimper, pcher et surfer sans que lentreprise soit en pril. Les cls pour faire fonctionner sont : - embaucher des gens indpendants, autonomes, avec le sens de linitiative et sufsamment motivs, cest--dire vritablement engags dans le projet dentreprise. Sil y a le feu dans lentreprise, cela ne sert rien de mappeler, je ne suis pas pompier ! Par contre il faut des gens capables davoir assez desprit dinitiative pour appeler les secours. Pour moi, le rsultat est plus important que le temps pass travailler. Sil faut dix ou seulement une seule heure un salari pour obtenir le rsultat escompt, ce nest pas mon problme ! Ce qui compte, cest le rsultat. Pour cela, il faut des salaris qui adhrent pleinement aux valeurs de lentreprise ; - ne pas avoir de bureau xe, ni de tche xe. Il faut que tout le monde soit capable de faire le travail de son voisin. Ainsi, au cas o le collgue est absent (malade ou au surf), lentreprise continue de fonctionner.

Alexis Chzire

J.-P. M. : Paul Petzl, vous navez pas du tout le mme style de management, est-ce que vous pensez que ce type de management serait transposable dans votre socit ? Par exemple un designer qui entre deux priodes dactivit partirait grimper une paroi et reviendrait ensuite dans la mme journe pour nir son travail ? P. P. : Il y a des diffrences fondamentales entre les tats-Unis et nous en France, par exemple les 35 h. Cest important car il faut bien que le travail se fasse. A la n, vous avez un client qui doit tre satisfait. Le style de management est donc diffrent. A chacun aussi dtre libre de choisir son temps de travail et mme l o il travaille. Certains de nos collaborateurs en protent bien.

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Vers lentreprise du bien-tre et de ltonnement ?J.-P. M. : Franois Lemarchand, vous avez crit que lentreprise doit faire du bien, cest a le ciment de notre bote, sinon les gens sem dans leur mtier . Quel serait votre secret de management pour que le travail des gens leur plaise ? F. L. : On a tous un besoin social norme de faire du bien. On a besoin de donner du sens, besoin de faire quelque chose ensemble, besoin dtre er davoir une contribution dans notre socit. Un drapage sest produit quand on a rduit lconomie sa plus simple expression : largent. Lentreprise est bien autre chose que largent. Donner du sens son travail est absolument essentiel et va devenir de plus en plus important. A la Fondation Nature & Dcouvertes, nous sommes trs engags et jaime les gens engags. Notre fondation est plbiscite comme une ert commune de lentreprise. Ensemble nous faisons quelque chose de bien pour la communaut qui fait avancer le jeu. On a tous envie que cela change, que a bouge. Nous sommes dans un mal-tre vident : en tant quindividu nous nous sentons bien seul. Lentreprise est un groupe de personnes disposant de moyens pour faire bouger les choses parce que nous travaillons en mode projet. Nous avons une organisation puissante et la possibilit de changer les choses. Cest ce puissant outil quil faut mettre au prot dune cause qui nous est chre tous. J.-P. M. : Est-ce plus une entreprise cratrice de lien social que de bien-tre purement matriel ? F. L. : De bien-tre pour lindividu, de bien-tre matriel bien sr aussi car pour tre altruiste il faut un minimum de matriel ! Le minimum vital dabord, et en plus faire du bien pour les autres. J.-P. M. : Paul Petzl, la croissance t a deux chiffres dans votre entreprise pendant longtemps, pourtant vous dites que la course la croissance nest pas ce qui vous motive. Vous dites mme que vous en avez un peu peur. Vous dites quau-del de 20 % de croissance, je ne sais plus comment faire . Avez-vous peur de perdre le contrle cause de la croissance ? Comment faites-vous au quotidien pour grer cette croissance ? P. P. : La croissance nest pas un but en soi. Largent nest pas le but dune entreprise, surtout familiale. Ce qui est important cest de crer des choses, crer des biens, ceci est fondamental chez un entrepreneur. Ce qui mintresse ce sont les valeurs fondamentales de notre entreprise, et inventer, crer. Quand vous faites des produits uniques, vous tes forcment en avance par rapport au monde, par rapport aux autres, et c'est cela qui vous porte pendant dix ans mais ce nest pas avec cela que vous allez faire du chiffre daffaires tout de suite. La croissance effectivement je lai supporte plus que voulue. La croissance est dstabilisante pour le personnel qui doit sadapter vite, voire trs vite. Ce nest pas forcment bon pour le client sil ne reoit pas le produit en quantit et en qualit. Mon dsir le plus profond est de dvelopper lentreprise dans lharmonie et la srnit. Tous les effets dstabilisants, entre autres la croissance sont plutt ngatifs. Il mappartient de rguler cette croissance en fonction des objectifs et de la direction prendre. Il faut savoir mesurer les consquences : allons-nous par exemple vritablement crer des produits qui apportent de la valeur ajoute au client ? Je suis un homme de produit, passionn par le produit, cest toute ma motivation. Le produit est au service du client, qui va le faire avancer. Si cest pour monter une entreprise et faire comme tout le monde, je ne suis pas intress, cela mennuie. Mon plus grand plaisir et dsir est de percevoir ltonnement des autres. Jai toujours essay de crer des produits davant-garde, cest ce qui me va bien.

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Rendre la Nature ce que nous lui prenons !Coline Lemate : M. Yvon Chouinard, vous avez dcid trs tt de vous engager dans le projet de reverser 10 % de vos bnces dans des associations qui soccupaient denvironnement. Vous avez initi le projet 1 % pour la plante dont nous avons de dignes reprsentants parmi nous. Y. C. : Au commencement Patagonia reversait 10 % de son bnce avant imposition. Depuis la cration de lassociation 1 % Pour La Plante , nous reversons 1 % de nos ventes des organisations non gouvernementales qui travaillent la prservation de lenvironnement. Ce nest pas de la charit, cest le cot du business ! C. L. : Messieurs Lemarchand et Petzl, vous tes mme alls un petit peu plus loin puisque vos fondations sont carrment des fondations dentreprise, Fondation Nature & Dcouvertes, Fondation Petzl. Do vous est venue cette ide ? Vous est-elle venue tout de suite ou est-ce que cest un projet qui a mri et fait son chemin ? F. L. : Quand nous avons eu cette ide avec ma femme dans les annes 1990, nous avions des utopies et des projets. Nous avons crit nos ambitions et nous lavons fait ! Ma rfrence tait Yvon Chouinard car il reversait 10 % pour la plante. Nous avons dcid de laisser 10 % pour la plante. Aujourdhui nos clients nous donnent en plus de cela la moiti de ce que lon a, ce qui fait quen ce moment nous avons 15 % pour la plante. Cest incroyable, 350 000 personnes nous donnent de largent. Cest hallucinant, ce sont des petits montants mais ils font ce geste essentiel parce quils veulent participer, ils aiment ce que nous entreprenons. Nous avons alors dcid de faire plus. Donner des associations, activistes, etc. est ncessaire mais cela ne suft pas parce quil y a une autre partie considrer : la partie ducative trop souvent laisse de ct. Nous avons donc pris le mme montant (1,5 million deuros) pour faire des confrences, animer des dbats sur ces sujets parce lducation est absolument fondamentale. P. P. : Cette ide a dmarr partir dune opration extraordinaire que nos amis amricains (PETZL AMERICA) ont engage aux tats-Unis. Ils ont lanc une souscription pour racheter tout un territoire qui risquait dtre construit et ils lont donn une association locale ! Cette ide ma beaucoup mu car ils ont ouvert leur entreprise sur autre chose que le seul commerce. Jai la chance davoir rencontr Franois Lemarchand et nous en avons parl. Il ma encourag ouvrir mon entreprise sur le monde extrieur. Javais galement envie de prendre un Directeur Gnral pour lentreprise et de mouvrir sur autre chose pour donner du sens. Mais il tait surtout rconfortant de rendre la montagne ceux qui nous font vivre tous les jours. Jai lanc cette Fondation il y a quatre ans. Nous donnons 10 % des bnces cette fondation et nous agissons sur trois activits principales : la formation la scurit, la protection de lenvironnement et la recherche. Ces trois domaines sont toujours lis aux domaines dactivits de lentreprise. Depuis trois ans nous avons soutenu environ 45 projets et mis peu prs 1,5 million deuros dans lopration. Nous avons fait galement des formations au Npal. Nous avons quasiment sauv le refuge de laigle construit en 1910. Nous nanons des tudes avec le laboratoire de glaciologie de Grenoble sur la glace dcoulement et nous participons galement avec des associations pour la protection doiseaux (aigle de Bonellie).

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Agence Prisme / Pierre Jayet

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C. L. : M. Lemarchand, vous communiquez beaucoup sur vos engagements, vos responsabilits mais dans la mesure o vous ne communiquez pas par les canaux traditionnels de publicit, est-ce que ce nest pas votre faon de faire de la communication dentreprise via le mcnat ? F. L. : Nous nous adressons un public qui est celui de la post-socit de consommation si je peux employer cette expression un peu alambique. Nos contemporains cherchent dautres choses que le simple plaisir de pousser leur chariot et ont dautres aspirations. Ils ne croient pas la publicit. Par contre, ils ont besoin du sens de la communaut, ils ont besoin de se connecter des gens qui ont des valeurs identiques aux leurs. Comment communiquons-nous ? Nous ne pouvons pas faire de publicit, cela se fait alors par diffusion, du bouche oreille grce au rseau. Nous laissons faire les gens. Il faut quils le dcouvrent par eux-mmes. Si cest pour raconter la terre entire que ce que lon fait cest bien, alors cest assez dramatique ! Il faut bien faire les choses et laisser dire. Cette devise est notre moyen de communication sur ces sujets. C. L. : M. Yvon Chouinard, tes-vous daccord avec cela ? Y. C. : Je veux sauver la plante. Mais au lieu de me concentrer sur lide, je me concentre sur le processus. Cest pourquoi je donne aux ONG. C. L. : Messieurs Petzl et Lemarchand, la mode est de communiquer sur lcologie, mme sur les fondations (ex : BMW). Navez-vous pas peur que tout cela ne soit quun effet de mode ? Si oui, comment allez-vous vous positionner ? Comment allez-vous faire pour vous diffrencier encore plus ? P. P. : Il faut prendre en compte la ralit. Nous sommes tous diffrents. Les entreprises de Franois et dYvon sont diffrentes. Nous avons une obligation vis--vis du ressenti de nos clients. Les Fondations servent cette image mais dans ma responsabilit dentrepreneur je dois la faire russir. Toutes les actions que je vais mener vont dans le sens de ce que jai envie de vivre, de ce que je veux donner nos employs, nos clients, nos fournisseurs et lenvironnement : cet ensemble nous fait vivre. Il est important pour moi daller jusquau bout. Chaque entreprise fait comme elle le sent, comme elle en a envie. Vous savez cest une grande chance dtre des propritaires, des crateurs, et justement daller chercher l o il y a peu de monde, l o on va pouvoir sexprimer personnellement et faire russir notre entreprise. F. L. : Jai pass beaucoup de temps vivre sur le mode de la schizophrnie savoir sur le mode de la double interpellation, entre deux mondes opposs : les activistes/cologistes et le monde patronal. Du coup je navanais pas. Cela na pas de sens de dire : lui il est bon, lui mchant, etc. . Quand on est chef dentreprise on est hyper raliste : qui a le pouvoir de faire changer les choses ? qui a largent ? Aujourdhui ce sont bien entendu les individus par leur puissance mais il y a un outil phnomnal, cest lentreprise. Il importe que chaque entreprise bouge, lurgence est l. Si nous voulons modier et faire changer toutes les entreprises en leur disant quils doivent tre des saints, quils doivent y croire personnellement, on va alors attendre longtemps pour sauver la plante ! Aujourdhui, il faut quil y ait des gens qui croient vraiment et les entreprises comme les personnes se disent il ny a pas dautre choix, il faut sy coller . Cest cela quil faut faire si nous voulons garder nos clients. La grande majorit dit aux entreprises si tu nes pas vert et si tu fais nimporte quoi, on va te boycotter ! . Cette volution est trs rapide et nous pouvons atteindre la masse critique ncessaire car lhorloge tourne trs vite et ne revient pas en arrire. Nous navons pas des dizaines dannes attendre pour attaquer le problme du rchauffement climatique.

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La bourse ou la vie de la plante ?C. L. : Vous tes des entrepreneurs, pensez-vous que maintenant encore on peut continuer faire du prot et dfendre ces ides ? Par exemple, vous militez tous pour lcologie mais vous ne pouvez pas vous empcher de dlocaliser vos productions : est-ce compatible ? Y. C. : Dans lhistoire de Patagonia, chaque crise conomique, nous avons fait des prots records. Pourquoi ? Parce que les gens ont cess dacheter de la mode et des produits accessoires. Ils se sont mis acheter des produits de bonne qualit, donc durables, et multi-usages. Par exemple, au lieu dacheter une combinaison de ski quils ne mettent que 15 jours par an et qui encombre leurs placards les 11 autres mois de lanne, ils se sont mis acheter une veste pour faire du ski, pour faire du vlo et pour aller en ville aussi. Je ne veux pas des clients qui achtent pour acheter, mais des clients qui ont besoin des produits Patagonia. Pour moi, le vritable pouvoir nest pas entre les mains des politiques ou des nanciers, mais entre les mains des citoyens et des designers. P. P. : La pire des choses est de ne pas voir la ralit en face : nous savons quune fabrication en Chine est dun euro de lheure et ici de dix-huit euros. Nous savons aussi que lorsque vous gagnez 1 euro en production, vous pouvez baisser le prix de vente de 4 5 euros. Vous vous retrouvez en face de comptiteurs qui ont pris loption de dmissionner dans nos pays industriels et denvoyer toutes les productions ailleurs. Ce sont des choix. De notre ct nous essayons de prserver un savoir, ce nest pas pareil. Comme linnovation est fondamentale pour nous, il est essentiel de garder le savoir-faire partir de la production. Vous ne pouvez pas imaginer de nouveaux concepts, de nouvelles ides si vous ne matrisez pas la fabrication. Chez nous, sur 400 employs il y en a peu prs 200 qui sont en production. En sous-traitance et dans dautres pays cot moindre, cest peu prs lquivalent. Face une situation de producteur, nous faisons comme nous pouvons parce que si vous voulez exister demain, continuer vivre et avoir des bnces, il faut tre malin face cette situation. Le choix que nous avons fait est de rpartir nos fabrications. Il y a donc un autre choix, le choix des ides. Celui dtre capable de se remettre en question en interne dans nos modes dorganisation car nous avons un norme progrs faire dans ce domaine. Nous essayons dimplanter des nouveaux modes de management, ce que lon appelle le lind management, qui nous viennent de Toyota. Cela peut permettre dnormes progrs pour sauver des emplois. Nous pourrons continuer produire en France si nous sommes capables culturellement de changer nos modes de pense. Quand vous voyez lvolution du commerce en gnral et lvolution de la demande du client (parce que tout part de la demande du client !), nous constatons que celui-ci veut plus de produits, plus de couleur, des volutions rapides, etc. : il veut tout, tout de suite et sans passer de commande Cela veut dire quil faut mettre en place un systme permettant de livrer vite le client et rpondant tous ces critres. Ds que vous commencez faire des productions loignes vous ajoutez du dlai, vous augmentez des stocks, des dplacements et tout cela a des cots. A la n, quel est donc le cot et lintrt rel denvoyer des productions lextrieur ? Je crois que la dlocalisation va perdre de son attrait et que nous serons obligs den revenir parce que cest le client qui va nous obliger tre plus ractif. Si vous avez les meilleurs produits mais que vous ntes pas capable de les livrer au client, la concurrence va sen charger !

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Alexis Chzire

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F. L. : Je ne suis pas industriel mais commerant. Jai quand mme quelques ides l-dessus. Nous sommes aujourdhui une gnration ou des gnrations que jappellerai gnration schizophrnes . Pourquoi ? Parce que lon a une partie en nous qui est dans lancien monde et une autre partie qui est dans le nouveau monde ! Ce nest pas dun ct les mchants et de lautre les bons, mais nous sommes plein de contradictions. Nous aspirons un nouveau monde en mutation, moins matrialiste, plus en quilibre avec la plante. Nous aspirons plus de liens, et dun autre ct nous avons le poids des gnrations, du matrialisme qui saccroche nous. Nous sommes compltement schizophrnes. Au fur et mesure du temps, nous allons en sortir pour crer une espce de nouvel tre qui sera plus harmonieux. Dans notre entreprise pour rpondre votre question, nous parvenons garder la moiti de nos produits achets des fabricants franais mais cest un combat terrible. Nous gagnons ce combat en leur disant faites-nous des produits extrmement cratifs et innovants que lon trouve nulle part ailleurs . Exemple : les gens ne veulent pas des produits chinois mais les prix des produits franais ne leur conviennent pas, du coup ils choisissent quand mme le produit chinois : cest a un schizophrne. On veut tout en mme temps, sauver la plante et des prix bas. Il faut que lon rquilibre nos chelles de valeur. Nous, citoyens, il faut savoir ce que lon veut et ne pas vouloir le beurre et largent du beurre, la formule nous vient de gens de la terre, ne loublions pas C. L. : Donc, lentrepreneur responsable est celui qui duque les consommateurs ? F. L. : Nous sommes au service de nos clients et nous pouvons participer cette ducation mais la socit doit le faire galement. Nous prenons conscience de cette valeur commune qui doit voluer. Je suis beaucoup plus optimiste en tant quentrepreneur car nous navons pas les moyens dtre pessimistes. Les gens qui aiment la nature aiment la vie simple : nous navons pas besoin de grand-chose. De plus en tant que chef dentreprise, il est difcile de dire ses employs que lon va tre dcroissant, que lon va rduire les salaires de 10 %, cest mme impossible.

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Franois Lemarchand et Nicolas Hulot

Rolland Quadrini / KR Images Presse

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Le pouvoir est dans les mains des citoyens et des designers !Jordan Chebat Yvon Chouinard : Vous tes porteur de valeurs universelles et la fois vous soutenez un parti aux tats-Unis qui est assez condentiel. Pourquoi ne pas plus cibler votre force de lobbying sur justement ladministration Obama et sur ceux qui pourraient changer les choses en thorie ? Y. C. : Les politiques sont plus effrays par les entreprises et les citoyens que par la nature. Laissez-moi vous raconter une petite histoire pour illustrer cela. Vous tes dans les Pyrnes, il fait beau temps : un guide vous emmne faire une belle course, mais avec quelques passages escarps. Si le guide est patient et comprhensif, vous passez, mais vous continuez avoir peur de la nature Par contre, si vous tes Zermatt en train de faire lascension du Matterhorn avec des pierres qui vous tombent sur la tte, une grosse tempte qui sabat sur vous et que le guide vous tire violemment pour vous faire avancer plus vite, force, vous nissez par avancer parce que vous avez plus peur du guide que des dangers de la nature. Avec les politiques, cest pareil. Il faut leur faire peur pour quils avancent !

J. C. : La RSE est un concept dans lequel les entreprises intgrent les proccupations sociales, environnementales et conomiques dans leurs activits et dans leurs interactions avec les parties prenantes sur une base volontaire. Comment concrtement dans vos entreprises respectives la RSE se traduit-elle ? F. L. : Nous devons tre trs concrets. Exemple : je crois beaucoup aux initiatives des petits groupes, cest ce qui fait changer les choses. Les politiciens ragissent la demande des citoyens. Cest donc toujours au citoyen de commencer ! On a vu le lm dAl Gore il y a quelques annes, nous tions trs frapps. Nous nous sommes demand quoi faire concrtement, mesurer dj pour tre concret. Nous avons demand nos comptables de mesurer le CO2. Une semaine aprs ils ont mis en place une comptabilit de CO2. Depuis, tous les gens de lentreprise font une note de frais CO2. On sait donc calculer, cest tout simple. Maintenant, nous tablissons des budgets annuels de CO2 par service et tous les ans nous rduisons les chiffres. Cest dune efcacit extraordinaire et ce nest pas compliqu : cest a la vie, cest de petites initiatives, cest a la RSE. Ce ne sont pas des grands manuels de procdures. Il faut que tout le monde dans lentreprise se rende compte quil peut faire mieux, il faut rendre intelligentes nos actions avec de grandes lignes directrices mais surtout il faut savoir tre malin, avec un tat desprit je le rpte.

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Alexis Chzire

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J. C. : Vous avez prsent laspect contrainte de ce que peut reprsenter la RSE ? Est-ce que vous avez des exemples dans vos entreprises respectives de points qui permettent lamlioration des performances de lentreprise, pas forcment conomique mais de la performance nergtique, la gestion du personnel, etc. ? P. P. : Jai un exemple aussi trs concret. Pour moi le dveloppement durable se rsumait au dbut on ne gaspille pas . Fondamentalement, le dveloppement durable exigeait la vigilance sur toutes nos dpenses. Personnellement, je le voyais plutt de faon conomique et puis jai compris quune socit produisant des dchets allant remplir les poubelles ne pouvait pas perdurer. Concrtement, chez Petzl nous avons donc recrut une personne soccupant du dveloppement durable et travaillant sur diffrents sujets. Par exemple sur le transport : nous essayons de mesurer et de se xer des objectifs, sur les btiments galement : ainsi nous allons construire une nouvelle zone de btiments pour installer la recherche et le dveloppement. Nous avons une vison autre de nos choix, y compris dans les produits. Le btiment va faire une conomie de 75 % dnergie. Nous chaufferons tout notre btiment avec la salle o se trouveront les ordinateurs.

Un produit est fait pour durer, pas pour tre jet !J. C. : En France, le dveloppement durable est souvent associ un tarif cher, est-ce que vous auriez des exemples de produit cologique au mme prix quun autre marchant trs bien ? P. P. : Je nai pas dexemple immdiat vous donner ! Simplement, le fait de construire un btiment conomie dnergie demandera des cots supplmentaires mais il faut en apprcier lusage sur plusieurs annes. Cest une question de sens que lon veut donner son action. Je me sens beaucoup plus laise en essayant dimaginer des solutions qui vont prserver la plante, ou en tous cas rduire notre impact. Et ceci au lieu de faire tout et nimporte quoi avec une vision court terme ! Je veux du travail bien fait, cest capital, cest mme le cur. Un produit est fait pour durer, il nest pas fait pour tre jet. Ce qui est fondamental cest que lorsquon conoit quelque chose, on le conoive pour quil dure. F. L. : Il ny a pas de technique ni de recette, ce que lon appelle aujourdhui dveloppement durable est une philosophie globale. Une philosophie de personnes qui ne veulent plus tre stupides mais informes pour prendre des dcisions. Savoir se poser la question, pourquoi ceci, pourquoi cela ? Nous devons avoir cette dmarche en tant que chef dentreprise ou consommateur an de poser des questions. Dans tous les pays du monde, nous sommes tous de bonne volont et nous voulons tous sauver la plante. Nous avons tous envie de bien faire les choses, davoir de bons produits mais si personne ne se pose de questions, si on continue acheter nimporte quoi, si en tant quacheteur franais ou en tant qu'entreprise la seule chose qui compte soit donnez-moi le produit le moins cher possible on ne pourra pas faire du dveloppement durable !

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Allumer la amme et ltre familial !J. C. : Vous tes des PDG, propritaires de vos entreprises. Vous tes limage de votre entreprise et elle est votre image, mais Petzl, Patagonia, Nature & Dcouvertes dans dix ans sans vous, quest-ce que ce sera ? Qui dirigera, comment cela se passera-t-il ? P. P. : Si vous avez la rponse, jaimerais bien lentendre Cest la notion de transmission, et la notion des valeurs qui importe. Cest aussi une question de culture. Quand vous avez une entreprise, que vous lavez dirige longtemps comme Franois, Yvon ou moi-mme, il se passe des choses en profondeur et cest travers un systme de valeurs que vous construisez une identit. Une entreprise a une forme dADN. Cet ADN est port par chacun de nous partir du moment o ces valeurs sont clairement identies et deviennent le mode de fonctionnement de lentreprise. Le challenge est donc la notion de transmission de ces valeurs, de bien les identier. Moi-mme au dbut, mes propres valeurs je ne les connaissais gure, jai t oblig de les clarier. Cest une tape trs importante de lentreprise. Enn je pense la famille, je dfends mon clan et jai envie que cette entreprise continue. Cela me donne envie de continuer dix ans de plus ! Lentreprise connat des cycles et il faut croire ceux qui arrivent derrire, ils auront aussi leurs ides. Mon problme personnel est la transmission du pouvoir de la nance. Je ne peux pas imaginer vendre cette entreprise car cest pour moi abandonner ceux qui mont suivi et qui nont pas le mme choix que moi. Quand ce pouvoir est transmis (et cest en parti fait chez nous), ensuite il sagira de faire rentrer la famille et dassurer une continuit dans un esprit familial tel que moi je le souhaite pour la prennit et lintrt de lentreprise, sans omettre toutes les familles qui vivent de notre activit. Y. C. : Je reois des propositions de rachat de mon entreprise toutes les semaines. Cela ne mintresse pas. Ce qui mintresse, cest la transmission des valeurs. Je dis souvent nachetez pas ce produit, moins que vous en ayez vraiment besoin ! Jincite les gens appliquer la mthode des 5 questions , initie par Toyota. Pour rgler un problme il est ncessaire de se concentrer sur les causes du problme et non sur les symptmes. Pour cela il est essentiel de se poser les bonnes questions en amont. F. L. : Une entreprise se cre pour rpondre des aspirations personnelles ou dquipe. Je lai fait avec mon pouse car nous avions envie de pousser notre cri. Nous avions envie de faire passer des messages travers nos actions. Si une entreprise ne survit pas ce nest pas important, lessentiel est davoir allum la amme. Que dautres entrepreneurs aient envie de faire de mme ! Nos entreprises sont des entreprises qui ont un avantage considrable par rapport aux entreprises cotes car nous avons le temps devant nous. Une des raisons pour laquelle jai vendu Pier Import est lerreur faite de la mettre en bourse et au bout de six mois je nen pouvais plus : tous les jours javais un appel pour savoir pourquoi les ventes naugmentaient pas plus

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Alexis Chzire

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Ctait insupportable. Ces gens-l ont une vision hyper court terme. Aujourdhui, je connais bien le monde nancier, il a une vision deux ou trois ans. Lavantage dune entreprise familiale nous met dans une perspective de dix ans vingt ans. Nous sommes au rythme de la nature. Tout ce que lon a fait est pour nos enfants. Nous avons voulu faire un mtier quils comprennent et nous constituons une vraie quipe : un ls commerant gre tout, un ls cinaste fait nos lms dentreprise, une belle-lle veut sauver le monde, un musicien, etc. On vit une vie de famille avec une aventure commune. Sils veulent continuer, cest gnial. Si notre entreprise est un outil qui leur convient et qui leur permet de sexprimer, tant mieux !

Question dune tudiante : On aimerait tous travailler dans des entreprises comme les vtres mais quand on fait des stages ou bien que lon se prsente dans des entreprises en France, il est difcile de se retrouver dans des contextes de travail comme vous les dcrivez. Le dveloppement durable va certainement apporter une ouverture dans les mthodes de travail, dans la faon de percevoir le travail, le client et le produit nal, mais est-ce que cest la seule cl pour apporter une ouverture dans les faons de travailler en France ? P. P. : Le dveloppement dura