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Cellules souches et tumeurs solides : de nouvelles pistes

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A n n P a t h o l 2 0 0 5 ; 2 5 : 6 4 - 6

Fait à retenir

Accepté pour publication le 4 février 2005.

Tirés à part : J.Y. Scoazec, à l’adresse ci-dessus. e-mail : [email protected]

Cellules souches et tumeurs solides : de nouvelles pistes

Cancer stem cells: new insights

Jean-Yves Scoazec

Service Central d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital Edouard Herriot, 69437 Lyon cedex 03.

Scoazec JY. Cellules souches et tumeurs solides : de nouvelles pistes. Ann Pathol 2005 ; 25 : 64-66.

ÉTUDE des cellules souches estaujourd’hui une thématique

majeure en biologie et en physiopatho-logie. La mise au point de ce numéro desAnnales de Pathologie [1] illustre lesespoirs suscités par les connaissancesnouvelles sur les cellules souches dansle domaine de la régénération d’orga-nes : de nouvelles technologies, de nou-velles stratégies thérapeutiques sont entrain de naître.Le cancer est un autre domaine où lesprogrès rapides dans la connaissancedes cellules souches sont susceptiblesd’apporter un profond renouvellement,à la fois dans nos concepts physiopatho-logiques et dans nos stratégies théra-peutiques. Plusieurs travaux récents onten effet réactualisé de manière trèsspectaculaire des concepts déjà anciens,mais peu exploités, sur l’existence et lerôle des cellules souches dans le cancer,et notamment dans les tumeurs solides.

Le contexte et les hypothèses

Dans la plupart des tissus normaux, lerenouvellement cellulaire est assurépar un compartiment de cellules sou-ches dotées de propriétés spécifi-ques, incluant notamment la capacitéd’auto-renouvellement (la divisiondite asymétrique d’une cellule souchedonne naissance à une nouvelle cel-lule souche, remplaçant la première,et à une cellule fille, susceptible des’engager dans une voie de différen-ciation spécifique) et une capacité deréplication illimitée, associée à unedurée de vie particulièrement longue.Dans certains tissus, les cellules sou-

ches peuvent être reconnues par desmarqueurs de surface caractéristiquesqui permettent leur isolement et leurétude in vitro.Le fait que les tissus cancéreux,comme les tissus normaux, contien-nent des cellules souches impliquéesdans le renouvellement des cellulestumorales est évoqué depuis fortlongtemps. Des expériences désor-mais historiques ont en effet montréqu’un faible nombre de cellules tumo-rales suffit pour transférer une tumeurd’un hôte à l’autre et pour obtenir sareconstitution complète [2]. La diffi-culté est de déterminer le rôle jouépar un éventuel compartiment decellules souches tumorales dans l’his-toire naturelle du cancer. Deux modè-les s’opposent : le modèle dit« aléatoire » et le modèle dit « hiérar-chique » [3]. Depuis longtemps, lemodèle prévalent est le modèle dit« aléatoire ». Selon ce modèle, toutecellule tumorale est potentiellementcapable de reconstituer la tumeurcomplète : sa capacité effective à lefaire dépend d’évènements aléatoires,comme, par exemple, sa position dansle cycle cellulaire au moment de sonprélèvement. À l’inverse, le modèlehiérarchique prédit que seule uneminorité de cellules présentes au seinde la tumeur a les propriétés fonction-nelles nécessaires pour transférer etreconstituer l’ensemble de la tumeur :c’est pour cette population de cellu-les, définies par leurs propriétéstumorigènes, leur capacité d’auto-renouvellement, et leur caractèremultipotent, que le terme de cellulessouches tumorales a été proposé.

L’

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Cellules souches tumorales

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Les faits

Les premiers arguments convaincants enfaveur de l’existence d’un compartiment decellules souches tumorales ont été obtenuespar l’étude des hémopathies aiguës, etnotamment des leucémies aiguës myéloblas-tiques (LAM). Le sang des malades atteints deLAM contient en effet un petit nombre de cel-lules leucémiques indifférenciées, qu’il estpossible d’isoler et d’étudier. Le transfert deces cellules à l’animal suffit à reconstituer latumeur d’origine : les tumeurs expérimenta-les ainsi obtenues reproduisent toute l’éten-due de la différenciation de l’hémopathieinitiale et incluent la même gamme de lignéescellulaires que celle-ci. Par leurs marqueursde surface, leurs propriétés fonctionnelles etleur caractère multipotent, ces cellules res-semblent à des cellules souches hématopoïé-tiques normales et peuvent donc êtreconsidérées comme d’authentiques cellulessouches tumorales [4, 5].Restait à démontrer que le concept decellules souches tumorales pouvait aussis’appliquer aux tumeurs solides. Leur exis-tence y était soupçonnée depuis longtempssur des arguments indirects, notammentimmunohistochimiques [3]. La démonstra-tion directe de leur existence et de leurspropriétés a été récemment apportée pardes équipes indépendantes, dans deuxtypes de tumeurs solides : le cancer du seinet les gliomes.Dans le cancer du sein, l’équipe de Al-Hajj etClarke a démontré l’existence de cellulessouches tumorales en combinant des tech-niques sophistiquées de tri cellulaire et destests fonctionnels originaux [6]. Ces auteursont montré que : (a) il est possible d’isoler, àpartir de tissus tumoraux de cancer du sein,une population très minoritaire (< 2 %) decellules identifiables par une combinaisonde marqueurs de surface caractéristiques(mais morphologiquement indistinguablesdu reste des cellules tumorales), (b) l’injec-tion de ces cellules à l’animal permet detransférer la prolifération tumorale, alorsque l’injection des autres populations de cel-lules tumorales se traduit par l’absenced’implantation ou la disparition rapide destumeurs, (c) de plus, l’examen des tumeursainsi obtenues chez l’animal montre qu’ellesprésentent tous les caractères histologiques,et le même degré d’hétérogénéité, que lestumeurs spontanées dont elles dérivent,(d) enfin, la même population cellulaire, ànouveau isolée à partir des greffes tumora-les, suffit à assurer la propagation destumeurs d’un animal à l’autre dans des expé-

riences de transplantation en série et àmimer leur dissémination métastatique.Des observations très comparables ont étérapportées dans les gliomes cérébraux parl’équipe de Singh [7]. Ces auteurs ont isolé,à partir de tissus tumoraux humainsdissociés, une population de cellules carac-térisées par l’expression d’un marqueurspécifique (en l’occurrence CD133), possé-dant les mêmes propriétés que les cellulessouches nerveuses, comme l’auto-renouvel-lement et la capacité de donner naissance àdes lignées clonales, et capables de se diffé-rencier pour récapituler le phénotype destumeurs dont elles dérivent. Ces observa-tions ont été confirmées par d’autres équi-pes, à partir d’autres types de tumeurscérébrales, pédiatriques et adultes [8-10].

Les perspectives

Ces données expérimentales sont en faveurdu modèle dit hiérarchique du cancer, quiconçoit la population tumorale comme fon-damentalement hétérogène, associant uncompartiment limité de cellules souchestransformées, seules capables d’assurer lerenouvellement et la propagation de latumeur, et de nombreuses cellules dérivées,engagées dans des programmes de différen-ciation variables. Si la validité de ce modèleétait confirmée par des arguments supplé-mentaires, nos conceptions physiopatholo-giques à propos des tumeurs solides seraientrenouvelées, avec de nombreuses implica-tions potentielles, théoriques et pratiques[9, 11, 12] :– une meilleure compréhension des méca-nismes de chimiorésistance : certaines don-nées récentes suggèrent que les cellulessouches résistent aux agents cytotoxiquesconventionnels dont les cibles préférentiel-les sont les cellules « différenciées » de lapopulation tumorale ; compte tenu de leurspropriétés, les cellules souches tumoralesépargnées par les agents cytotoxiques suffi-raient à reconstituer rapidement la tumeur ;– la définition de nouvelles cibles thérapeu-tiques : le raisonnement précédent conduitlogiquement à considérer les cellules sou-ches tumorales comme la cible principaledu traitement ; leur éradication est néces-saire pour obtenir l’éradication complète dela tumeur, éviter les récidives et la dissémi-nation ; atteindre ce but nécessitera proba-blement la mise au point de nouvellesstratégies thérapeutiques, peut-être facili-tées par le fait que le profil d’expressiongénique et les propriétés fonctionnelles des

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cellules souches tumorales diffèrent deceux de leur descendance ; ces caractéristi-ques fournissent en effet autant de ciblespotentielles pour la mise au point de straté-gies thérapeutiques adaptées ;– l’identification des cellules souches tumo-rales circulantes ou résiduelles : la possibilitéd’identifier les cellules souches tumorales,grâce à l’expression de marqueurs spécifi-ques, permettra peut-être de les utilisercomme des marqueurs pour prédire les ris-ques de récidive ou de dissémination métas-tatique.

De nombreuses questions en suspens

Bien évidemment, de nombreuses ques-tions restent à résoudre. L’une des premiè-res et des plus importantes est de savoir sile modèle hiérarchique des cellules souchestumorales est valide dans tous les types detumeurs solides ou non. D’autres questionsdevront également être résolues, comme :(a) quelles sont les caractéristiques fonc-tionnelles exactes des cellules souchestumorales ? jusqu’à quel point sont-ellescomparables aux cellules souches normalesdu tissu dont elles dérivent ? dans quellemesure les mécanismes régulateurs de leurprolifération sont-ils différents ?, (b) sont-elles les seules dans un tissu tumoral à accu-muler les anomalies génétiques, ou celles-cipeuvent-elles également toucher directe-ment leur descendance ?, (c) dans quellemesure les cellules souches tumorales sont-elles influencées par leur environnement etpar des phénomènes épigénétiques ?, (d)quel est le rôle exact joué par le comparti-ment des cellules souches tumorales dansl’invasion tumorale et la disséminationmétastatique ?, (e) le compartiment des cel-lules souches tumorales est-il plus forte-ment sollicité et impliqué dans dessituations particulières, notamment le casdes cancers développés dans un contexted’inflammation chronique [13] ?Enfin, il faudra vérifier si, comme le lais-sent entendre des résultats expérimentauxrécents obtenus dans un modèle animal decancer gastrique induit par l’infection à Heli-cobacter pylori, le compartiment des cellu-les souches tumorales peut être lui-mêmealimenté et renouvelé à partir de cellulessouches totipotentes médullaires [14] : cesrésultats, très controversés, reculeraient unpeu plus, s’ils étaient exacts, les limites duchamp ouvert par la mise en évidence descellules souches tumorales.

Un nouveau domaine d’investigation estmanifestement en train de s’ouvrir enmatière de physiopathologie des tumeurssolides. L’écho donné aux travaux expéri-mentaux que nous avons résumés en souli-gne bien toute l’importance potentielle. ■

Références

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