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13 L’univers de l’ancienne France nous paraît souvent à des années-lumière de nos propres façons de fonctionner et ces différences nous rendent parfois le document d’archives difficile à interpréter. La façon de mesurer ( le temps, l’argent, la distance ...) en est un exemple particulièrement criant, tant les systèmes utilisés par nos ancêtres nous paraissent, au mieux compliqués, au pire abscons. C’est la raison pour laquelle nous allons tenter, dans le dossier consacré cette fois-ci aux systèmes de poids et mesures, de pénétrer ce maquis et d’essayer d’en dégager quelques clés. Cette apparente complexité a toutefois ses règles qui, lorsqu’elles sont connues, même si toutes les difficultés n’en sont pas pour autant résolues, permettent d’aborder avec plus de confiance l’examen des documents de la vie quotidienne.et d’en retirer des données relativement précises sur la vie autrefois. C’est cet effort que nous vous proposons de faire à la lecture de ce dossier. Armez-vous de persévérance et pourquoi pas d’une calculette et partez à la découverte de ce monde touffu et bigarré qui, nous le verrons, ne nous parle pas que de chiffres. Décompte du temps et système monétaire ne seront pas abordés ici car ils feront l’objet d’un traitement ultérieur. Ce numéro se fait aussi l’écho de ce que prépare notre service pour la commémoration du début de la Première Guerre mondiale. Les anniversaires ont ceci de bon qu’ils font se concentrer l’attention de tous les acteurs du Patrimoine sur un événement qui au final, nous l’espérons, sera mieux connu. Les Archives ont leur partition — fondamentale — à jouer car elles nous font entendre les voix de ceux qui ne sont plus là pour nous donner leur témoignage. Saisissons ensemble cette occasion de revenir sur l’histoire de ce conflit. Je vous souhaite une bonne lecture. Hélène Viallet, directrice NUMÉRO LETTRE D’INFORMATION DES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’ISÈRE SEPTEMBRE 2012 Chroniques d’Archives Dossier / Faites poids et mesures… Les unités de mesure en Dauphiné, du Moyen Âge à la fin du XVIII e siècle / Une révolution culturelle : l’introduction du système métrique / Du XIX e siècle à nos jours : une lente acculturation Le Point sur... Il y a bientôt 100 ans, l’Europe entrait dans la Grande Guerre / Anniversaires Derniers instruments de recherche... Fonds Sorrel et Combet de Larène Le Billet de Luce ARTT

Chroniques d'Archives numéro 13

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Lettre d'information des Archives départementales de l'Isère. Au programme de ce numéro : les unités de mesure, les 100 ans du début de la Grande Guerre, anniversaires, le fonds Sorrel et Combet de Larène, le billet de Luce intitulé "ARTT".

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13 L’univers de l’ancienne France nous paraît souvent à des années-lumière de nos propres façons de

fonctionner et ces différences nous rendent parfois le document d’archives difficile à interpréter. La

façon de mesurer ( le temps, l’argent, la distance ...) en est un exemple particulièrement criant, tant

les systèmes utilisés par nos ancêtres nous paraissent, au mieux compliqués, au pire abscons. C’est

la raison pour laquelle nous allons tenter, dans le dossier consacré cette fois-ci aux systèmes de

poids et mesures, de pénétrer ce maquis et d’essayer d’en dégager quelques clés. Cette apparente

complexité a toutefois ses règles qui, lorsqu’elles sont connues, même si toutes les difficultés n’en

sont pas pour autant résolues, permettent d’aborder avec plus de confiance l’examen des documents

de la vie quotidienne.et d’en retirer des données relativement précises sur la vie autrefois. C’est cet

effort que nous vous proposons de faire à la lecture de ce dossier. Armez-vous de persévérance et

pourquoi pas d’une calculette et partez à la découverte de ce monde touffu et bigarré qui, nous le

verrons, ne nous parle pas que de chiffres. Décompte du temps et système monétaire ne seront pas

abordés ici car ils feront l’objet d’un traitement ultérieur.

Ce numéro se fait aussi l’écho de ce que prépare notre service pour la commémoration du début de

la Première Guerre mondiale. Les anniversaires ont ceci de bon qu’ils font se concentrer l’attention

de tous les acteurs du Patrimoine sur un événement qui au final, nous l’espérons, sera mieux

connu. Les Archives ont leur partition — fondamentale — à jouer car elles nous font entendre les voix

de ceux qui ne sont plus là pour nous donner leur témoignage. Saisissons ensemble cette occasion

de revenir sur l’histoire de ce conflit.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Hélène Viallet, directrice

NUMÉRO

LETTRE D’INFORMATION DES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’ISÈRE SEPTEMBRE 2012Chroniquesd’Archives

Dossier /

Faites poids et mesures…Les unités de mesure en Dauphiné, du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle /Une révolution culturelle :l’introduction du système métrique /Du XIXe siècle à nos jours : une lenteacculturation

Le Point sur...

Il y a bientôt 100 ans, l’Europe entraitdans la Grande Guerre /Anniversaires

Derniers instruments de recherche...Fonds Sorrel et Combet de Larène

Le Billet de Luce

ARTT

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Dossier

Dès la nuit des temps, dès lors qu’il a procédé à des échanges, à du commerce, l’homme a utilisé des mesures pour donner une valeur aux productions alimentaires et artisanales et pour évaluer ses terres. Il se servit d’abord de son corps pour les unités de longueur ( pied, pouce, coudée) et de distance (pas), et évalua les surfaces de terres agricoles selon des unités temps/homme : ainsi le journal représentait la superficie qu’un seul homme pouvait labourer en une journée, la séterée l’étendue de pré qu’une personne pouvait faucher en une journée. Les calculs étaient subtils : le journal n’avait pas la même valeur selon la nature du sol, la pente, les difficultés du terrain, l’équipement de labour. Dans les Alpes, l’étendue des pâturages d’altitude était exprimée par le nombre de vaches laitières, ou d’ovins, qu’ils pouvaient nourrir durant une saison : on parlait d’une montagne de 70 vaches…

Sous l’Empire romain, un système de mesure unifiéétait en vigueur. Mais l’effondrement d’un pouvoircentral et l’émiettement des territoires en de multi-ples cellules de taille différente mirent fin à cettehomogénéité. Ressorts des châtellenies et des bail-liages, aires changeantes des foires et des marchésformèrent autant de mini-systèmes métrologiques,surtout pour les mesures de capacité. À la fin de l’An-cien régime la situation était parvenue à son comble :on comptait des milliers d’unités en France, si bienque Diderot renonça à consacrer aux poids et me-sures un article dans son Encyclopédie. Dans une

Faites poids et mesures…9 Fi 2567

rupture totale, le système métrique imposé par la Ré-volution française, mais qui mit plusieurs générationsà être pleinement accepté par les populations, allaitconsacrer le triomphe de la logique mathématiqueabstraite.L’histoire des systèmes de mesures, la métrologiehistorique, n’est pas seulement une science auxi-liaire de l’histoire, un outil de travail pour le chercheur:elle nous révèle beaucoup d’informations d’ordreanthropologique. Elle est aussi une des expressionsde la géographie historique : la cartographie des ter-mes employés superposée à celle d’autres marqueursest particulièrement riche de sens.Tous les systèmes utilisés avant la Révolution ont descaractéristiques communes que l’apprenti chercheurdécouvre avec effarement en dépouillant les archives:les mesures ne forment pas de système, elles nesont pas décimales : le plus souvent, on utilisait unenumération duodécimale, vestige du temps où l’Eu-rope ne connaissait pas encore le zéro, apparu au XIe

siècle par le canal des Arabes qui le découvrirent enInde. 12 est très commode car il compte de nombreuxdiviseurs (6,4,3,2). Du reste, nous utilisons toujoursdans notre vie quotidienne ce système pour certainsproduits vendus par 6 ou 12 (œufs, packs de bois-sons, vaisselle, etc.). Le plus déconcertant est de dé-couvrir qu’à l’intérieur d’une catégorie donnée lesmesures étaient multiples et différaient selon la na-ture de l’objet à quantifier, ou le type de transaction.Ainsi il existait plusieurs unités de longueur pour lesterrains et les bâtiments, les planches et les bois, lestissus ; les différentes céréales n’ayant pas la même

B 3710

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densité, il y avait des tables de correspondance ; se-lon qu’il s’agissait d’une transaction commerciale oud’une redevance seigneuriale, on parlait de «mesurerase » ( le contenu est lissé avec une raclette pourêtre bien horizontal ) ou de « mesure comble » ( lecontenu déborde en pyramide ), de « bonne mesure »ou de « petite mesure ».Mais on se gardera bien d’y voir anarchie et arrié-ration mentale… à l’heure du boson de Higgs, il fautfaire un sérieux effort pour comprendre que l’on pou-vait travailler et avoir des échanges commerciauxen se passant de données précises. L’historien a cependant besoin d’outils et de réfé-rences pour pouvoir décrire et analyser les relationséconomiques, aussi a-t-on voulu donner ici quelquesclés pour surmonter les obstacles rencontrés dans ledépouillement des documents d’archives, actes no-tariés, parcellaires, livres de raisons, etc. Avec unpeu de ténacité et une calculette, en analysant avecrigueur les données glanées, on parvient à tirer dece maquis d’unités des chiffres cohérents et à res-tituer sans trop de déformations, sinon des donnéesfines, du moins des ordres de grandeur permettantd’évaluer par exemple le degré d’aisance d’une fa-mille paysanne.

4 E 604/CC7

4 E 609/8

B 4388

PER 689/1

Les noms et la hiérarchiedes anciennes mesures setrouvent en principe dansles registres parcellaires,ancêtres du cadastre, qui furent réalisés par lescommunautés pour asseoirla répartition de l’impôt. Ils remontent généralementau XVIIe siècle mais nous en conservons du XVIe

siècle pour l’Oisans. Cesdocuments se trouvent ensérie 4E lorsqu’ils ont étédéposés ou sont encoreconservés dans les mairies.Sous l’Ancien régime,l’unité fondamentale pourles territoires formantl’actuel département del’Isère porte trois noms : le plus fréquent est lasétérée, qui est formée de900 toises delphinales,mais il existe aussi unesétérée de 1200 toises ! ; le journal de 600 toisesdelphinales ; la bicheréequi vaut le plus souvent 400 toises delphinales etconcerne surtout le nord dudépartement. En principe la sétérée correspond àl’étendue de pré qu’unhomme était capable defaucher en un jour, tandisque le journal est la surfaced’un champ qu’un hommepouvait labourer en un jour.Ces unités de base avaientdes subdivisions, hélas nonuniformes, nommées

éminées, quartelées,civerées, modurières, ouencore couperée, fosseréeset hommées (ces deuxdernières correspondant àune journée de bêchaged’une vigne ). En tête duvolume, le marché deréalisation du parcellaireprécise les unités demesure et le barème declassement des terresselon leur valeur agricole.Pour les conversions au système métrique, voir le tableau mentionné en fin de dossier, etconfronter les donnéesavec les informationsportées dans le registre ducadastre napoléoniendénommé Tableau indicatifdes propriétés foncières, de leurs contenances… sur le premier feuillet dechaque section. Ce document porte aussi le nom d’État de sections.On peut en connaître lacote pour chaque communeen consultant les fiches deressources cadastrales(disponibles sur notre siteInternet). On y apprend les valeurs respectives desanciennes unités. Assezfréquemment, l’hectarevaut 3 journaux et 589toises (ou 2389 toises, 1 journal valant 600 toisesdelphinales ). On trouveaussi l’équivalence

1 hectare = 2 sétérées (de 900 toises delphinales)et 589 toises, ce qui revientau même. La toise carrédelphinale mesure 4,186 m².Tout dépend donc dunombre de toises dans 1 sétérée, 1 journal ou 1 bicherée.Les équivalences de valeursdu cadastre napoléonienétant les plus fiables, ilconvient de s’y rapporterpour chaque commune.Pour la Drôme, les Archivesdépartementales ont publiéen 1994 un ouvragepermettant d’obtenir pourchaque commune lesvaleurs des anciennesmesures, et les conversionsdans les deux sens pour lesystème métrique : « Lesmesures agraires d’Ancienrégime dans la Drômed’après les documents ducadastre dit napoléonien »,par Catherine Miquet etMartine Mollaret.

Les mesures de superficie

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Les unités de mesure en Dauphiné, du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècleLes sources d’archives sont en réalité très riches,mais la matière est austère et n’a jusqu’à présentpas inspiré d’ouvrage d’envergure. Ce serait pour-tant un travail fort utile.Ce sont dans les comptes de châtellenie (série 8B)que l’on trouve les données les plus anciennes (finXIIIesiècle et surtout XIVesiècle) : en tête du comptele châtelain rappelle la nomenclature des unités demesure et leurs rapports les unes aux autres. Il étaiten effet indispensable, pour une bonne gestion desressources delphinales, de veiller à ce que les rede-vances en nature s’appuient sur des mesures de ré-férence. Grâce aux enquêtes sur les mesures et les prix desprincipales denrées faites par les commissaires de laChambre des Comptes de Grenoble, on dispose dansla série B d’informations allant du début du XVesiè-cle à la fin de l’Ancien régime pour tout le territoiredauphinois [ en particulier B 4388 et B 4398]. L’en-quête de 1542, la première rédigée en français, énu-mère les différentes mesures de capacité en vigueurdans une trentaine de localités du Dauphiné. Noussavons aussi que les étalons en pierre étaient régu-lièrement contrôlés, parfois à la demande des habi-tants, comme à Beaumont en 1485 : comparaison estfaite avec la mesure utilisée à la Mure. En 1536, lamesure de Montbonnot est une pierre creusée dansle mur d’une galerie basse du château ; au fond decet objet était sculpté un dauphin.

Faites poids

B 4388

B 4398

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Par ailleurs, l’exercice du commerce (tenir foires etmarchés) et l’existence d’étalons de mesure faisaientpartie des droits seigneuriaux, prérogatives jalou-sement conservées ou parfois concédées aux com-munautés d’habitants par des chartes de franchises.Très fréquemment des contestations étaient portéesdevant la Chambre des Comptes au sujet de modifi-cations d’unités de mesure. On en trouve parfois latrace dans les archives communales : à Besse-en-Oi-sans un procès entre le seigneur d’Ambel et la com-munauté dure plus de cinquante ans à la fin du XVIe

siècle ! En 1583 ce sont les consuls de Chabeuil qui seplaignent des seigneurs qui n’utilisent pas la mesurebasse de la ville, mais celle de Valence, beaucoup plusgrande… à Pont-de-Beauvoisin le seigneur du lieuest en conflit dans les années 1759-1766 avec la mu-nicipalité qui a obtenu des autorités le droit de fa-briquer de nouvelles matrices pour les mesures decapacité pour les installer sur la place du marché. Oubien ce sont des plaintes contre les aubergistes oucommerçants qui utilisent des mesures qui leur sontplus avantageuses : périodiquement, comme à Saint-Lattier en 1704, les consuls font des contrôles quipeuvent aboutir à la destruction des objets fraudu-leux. On procède, de façon un peu empirique et ap-proximative, à l’étalonnage des objets de mesure,nommé « échandillage ». Dans le cadre de la rénova-tion des registres terriers à la fin du XVIIIesiècle, larecherche et l’utilisation de très anciennes recon-naissances de tenanciers pour le calcul de rede-vances tombées en désuétude donnent lieu à descontestations acharnées sur les « petites mesures »

Dossier

et mesures…ou les « bonnes mesures ». Les sentiments d’abus etd’injustice à l’égard des agents seigneuriaux ou desmarchands malhonnêtes ont du reste donné naissanceà l’expression « deux poids, deux mesures »… Les re-vendications remontent aux États généraux et sontclassiques dans les cahiers de doléances.Indépendamment de pratiques malhonnêtes avérées,le problème résidait de façon très concrète dansl’absence d’étalons fiables : les réponses aux enquê-teurs montrent que les mesures en pierre souventinstallées sur la place du marché étaient trop dé-gradées pour servir  ; les artisans exécutaient descopies approximatives : par exemple le chaudronnierde Romans réalise une mesure en cuivre pour Cha-beuil à partir d’un modèle en bois. Peu à peu, les di-vergences s’accentuaient. Pour certaines produc-tions bien particulières, il avait fallu créer des unitésspécifiques : pour le fer et la fonte, pour les coconsde ver à soie, pour le charbon de bois…Les mesures de superficie semblent avoir posé moinsde problèmes dans la vie quotidienne, le consensusautour des unités étant plus facile à réaliser. Chaquepropriétaire connaissait parfaitement non seulementla délimitation de ses propres parcelles et leur ca-pacité de production, mais aussi celles de ses voisins.Au fur et à mesure de la centralisation des pouvoirs,les autorités prirent conscience que cette multipli-cation d’unités de mesure était un sujet constant decontentieux, un frein au développement d’un com-merce loyal et un obstacle à une bonne gestion pré-visionnelle des ressources et à la surveillance du prixdes céréales, sujet extrêmement sensible en cas de

disette. À l’âge des Lumières, des premières en-quêtes comparatives sur les systèmes de poids etmesure, mettant l’accent sur les volumes plutôt quesur les masses, sont confiées aux intendants. Ellessont aussi liées à la surveillance du cours des grainsqui font l’objet de tableaux de prix, les mercuriales.Appuyées sur de véritables calculs mathématiques,les données ont aussi pour but d’aboutir à des tablesde correspondance avec les unités utilisées à Paris :déjà un exemple de centralisme ! Les tableaux de l’en-quête de 1755 établis pour chacune des 17 subdélé-gations de la province de Dauphiné sont conservésdans les archives de l’Intendance. En 1767, le roi faitenvoyer aux greffes des bailliages des étalons ma-trices des unités parisiennes : la livre poids de marc,la toise de six pieds de roi, et l’aune, dont il projettede faire des références uniques.

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Dossier

Faites poids et mesures…Une révolution culturelle : l’introduction du système métriqueÀ la veille de la Révolution, le terrain était donc pro-pice à l’uniformisation des unités de mesures sou-haitée par tous, sujets et gouvernants. C’était aussiun sujet hautement symbolique, longuement exposédans le discours officiel : grâce à la science, objec-tive et fondée sur la raison, un système de mesureuniforme sur l’ensemble du territoire français seraitla manifestation la plus visible de l’égalité, de l’unitéde la nation, de la vertu dans les relations commer-ciales des citoyens. Il serait enfin mis un terme à la« monstrueuse bigarrure » des anciennes mesures,« introduite sous les temps du Despotisme et de laFéodalité ». Dès le 8 mai 1790, l’Assemblée consti-tuante adopta la proposition de Talleyrand et fit re-cours à l’Académie des Sciences. Le premier principeretenu fut celui de la décimalisation. Une vaste en-quête préliminaire fut lancée dans les départementsafin d’établir des tableaux des mesures en usage.Ceux de l’arrondissement de Saint-Marcellin de1791-1792 ont été conservés [L878]. En mai 1793, lesscientifiques rendirent leur rapport : l’unité de baseserait la dix-millionième partie du quart de l’arc du mé- ridien terrestre, mesuré quelques décennies plus tôt.Le système métrique, fondé sur une logique mathé-matique abstraite et sans relation avec le contextehumain, représentait une rupture totale. Le décretdu 1er août 1793 prévoyait son entrée en vigueur àcompter du 1er juillet 1794. Mais il fallait d’abord doter

les municipalités de mesures-étalons. La loi du 18germinal an III (7avril 1795) ordonna la fabricationde mètres-étalons en platine et fixa la nomenclaturedes nouvelles mesures républicaines, forgées avecdes préfixes d’origine grecque pour les multiples etd’origine latine pour les diviseurs. Les étalons de poidset de longueur furent réalisés en 1799 : le mètre deLenoir est aujourd’hui conservé dans l’armoire de ferdes Archives nationales. De nouvelles enquêtes fu-rent lancées en l’an VI et l’année suivante les ré-ponses des différentes localités iséroises parvinrentau gouvernement [L 293].

Des tableaux imprimés donnant la correspondanceentre anciennes et nouvelles mesures furent réalisésdans chaque département et largement diffusés. Il enexiste pour l’Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes,conservés dans la bibliothèque des Archives.

Dans la réalité, cette véritable révolution culturellene pouvait être assimilée et appliquée dans de telsdélais. En dépit des ordres réitérés, la force d’iner-tie des habitudes continuait à l’emporter. La popula-tion, habituée à diviser mentalement par moitié, tiersou quart, était déconcertée par la décimalisation etles nouveaux termes. On tenta donc une acculturationprogressive.

Un nouveau texte, l’arrêté du 13 brumaire an IX (4novembre 1800), portait la date d’application du sys-tème métrique au 1er vendémiaire an X (23 septem-bre 1801). La division décimale était maintenue, mais

L 292

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on instituait des équivalences avec des noms de l’An-cien régime. La lieue, l’arpent, le setier, la pinte, leboisseau etc. étaient couplés à de nouvelles unitésdécimales dans l’espoir que cette familiarité fasse ac-cepter le nouveau système. Par exemple, l’arpentnouveau, ou métrique, était égal à un hectare ou10.000 m²  ; la livre métrique équivalait à un kilo,alors qu’elle en valait environ la moitié dans l’anciensystème… le quintal, valant autrefois 100 livres (soitenviron 48 kilos) était assimilé à 100 kilos… Cela nefit qu’augmenter la confusion.

Le 2 frimaire an XI (23 novembre 1802), le ministrede l’Intérieur reconnaissait que dans la plupart desdépartements il n’y avait pas eu de progrès en de-hors du chef-lieu. Les préfets étaient chargés detransmettre aux maires l’ordre de détruire les an-ciens étalons. Les instituteurs devaient enseignerles nouvelles mesures. Pourtant, rien ne changeadans les actes notariés, les parcellaires, les livres deraison. Un décret impérial en date du 12 février 1812institua pour le commerce de détail des unités depoids dites « usuelles » : la livre était ramenée à 500grammes… on reconnaissait donc l’existence d’unsecond système de mesure, réservé aux transac-tions quotidiennes. Périodiquement le bruit couraitque les anciennes mesures seraient rétablies mais,en montant sur le trône lors de la Première restau-ration en 1814, Louis XVIII annonça la poursuite dusystème métrique.

Les mesures de poids ou de masseL’unité de base est la livre.Si l’on se réfère au systèmeroyal du poids de marc, la livre vaut 489,506grammes. Mais il existaitd’autres référencements :le poids de table, le poidsde crochet, le poids deValence, le poids de pays…Selon les tableauxcomparatifs de la périoderévolutionnaire, cesdifférentes livres varient de404 à 456 grammes. La livre de pays ou cellepoids de marc était diviséeen 16 ou 14 onces, unité de25 à 30 grammes utiliséepar les épiciers et lesapothicaires. Au-dessousde l’once, on trouve le gros,puis le denier. Le multiplede la livre est le quintal(de 100 à 112 livres).

Selon les marchandises àpeser, on utilisait différentsmoyens, avec des unitésdifférentes. À Pont-de-Beauvoisin en1785, il existe 6 balancesromaines, allant de 720 à47 livres pour la pluspetite. Pour les productionsmétallurgiques, à Allevardet à Rives, on parlait decharges, de quintal poidsde fourneau, tandis que leminerai était pesé enbennes.

Les mesures de capacité pourles liquidesLa plus grande unité est la charge, qui varie de 84 à121 litres selon les localités.Au-dessous existe lebarral, fluctuant de 47 à 56litres. Enfin le pot / la pintefont de 1,01 à 1,85 litres.Une table de concordance,imprimée en l’an 12, donneles correspondances parlocalités de l’Isère [L 292].

159 M 19

Poids d’orfèvres — Collection privée

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Faites poids Dossier

L’avancement des travaux du cadastre napoléonien,mis en chantier en 1807, et réalisé dans l’Isère en-tre 1808 et 1838, allait accélérer l’utilisation du mè-tre, même si les agriculteurs continuaient à pratiquerau quotidien l’usage des anciennes mesures. ÀBesse-en-Oisans, les mises à jour du parcellaire en1821 comportent toujours les unités traditionnelles.Peu à peu, le temps passant, les nouvelles mesuresvont s’installer définitivement dans la vie quotidiennedes Français. Le mètre, l’are, supplantent la toisedelphinale et la sétérée dans les actes notariés. Ledéveloppement des relations commerciales dans unmarché national, la révolution des transports ren-daient indispensables le basculement vers l’unicitédes mesures. La loi du 4 juillet 1837 consacra l’adop-tion définitive du système métrique, en vigueur àpartir du 1er janvier 1840. Un service de vérificationsdes poids et mesures était créé, avec un corps defonctionnaires exerçant dans chaque département.Des mesures-étalons furent effectivement diffuséeset reproduites, sous le contrôle vigilant de l’adminis-tration.

Les mesures de longueur et de distancePour les textiles, c’estl’aune : sa définition estanthropométrique (du latinulna, avant-bras ) puisquec’est la distance qui séparele nez de l’extrémité des doigts quand on tend lebras. L’aune de Parismesurait environ 1,18 m.En Dauphiné, les aunesmarchandes ou detisserand variaient de 1,19 à 1,59 m. Pour les parties d’unbâtiment, les meubles, les gros objets, on utilisaitle pied, subdivisé en 12 pouces, chacun d’euxsubdivisé en 12 lignes. Le pied de roi mesuraitenviron 32,48 cm. Le pied utilisé en Dauphinéfaisait 34,1 cm.

L’unité pour mesurer leslongueurs est la toise de 6 pieds : il faut distinguerla toise delphinale(valeur : 2,046 m) et la toise royale (ou toise duChâtelet de Paris ), réviséeen 1766 par l’Académie des Sciences et qui servit à la définition du mètre. Elle faisait environ 1,95 m.Enfin les distances sontdécomptées en pas(2,5 pieds) et en lieues(distance parcourue en uneheure, environ 4 km). Le kilomètre aura bien dumal à s’imposer, tant queles moyens de locomotionseront limités à la marche àpied ou au cheval.

Pied de roi – Collection privée

Carte Nicolas de Fer, 1693 Collection privée

159 M 19

8° 2068

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et mesures…Du XIXe siècle à nos jours : une lente acculturationL’usage des nouvelles unités s’imposa dans les jeunesgénérations grâce à la scolarisation obligatoire( lois Ferry 1881-1882). Les épreuves du certificatd’études comportaient d’ailleurs une rubrique « arith-métique et système métrique ». Si les citadins avaientété les premiers à adopter pleinement grammes, mè-tres et litres, dans les campagnes on continua jusqu’àla Seconde guerre mondiale à employer des termesde l’Ancien régime et jusqu’à la mécanisation de l’agri-culture à compter les productions en bottes, charre-tées, balles, barrillons de foin. Tant qu’on utilisa leschevaux pour labourer, le journal conserva sa perti-nence. Le terme de quintal, qui n’avait pas été retenudans la nomenclature de1837, resta usité dans le lan-gage courant pour les rendements céréaliers. Dansdeux domaines au moins les anciennes unités et leurdiversité perdurèrent : la production viticole ( fûts etbouteilles de différentes contenances selon les ré-gions ) et la production forestière (cordes, stères etmètres cubes). On pourrait citer aussi la métrologiemarine (mile marin, tonneaux issus du commerce desvins aquitains vers l’Angleterre).Dans de nombreuses localités dotées d’un marché, oninstalla des poids publics ; leur réalisation est docu-mentée par les dossiers de la série 2 O.

Le contrôle des mesures et la répression des fraudesétaient exercés dans chaque arrondissement del’Isère par un vérificateur. Le bureau de vérificationétait doté de tout un assortiment d’étalons, directement

8° 2068

8° 2068

2 O 381

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Dossier

Faites poids et mesures…

En pratiqueLe lecteur sera peut-être déçu de ne pas trouverdans ce dossier des tableaux de conversion détaillantla valeur dans le système métrique de toutes les an-ciennes unités rencontrées dans le dépouillementd’archives pour la zone géographique qui l’intéresse.Comme nous l’avons vu, cela ne peut être que le fruitd’une patiente corrélation entre les informations re-cueillies dans les textes et d’une bonne connaissancedes terroirs étudiés et des pratiques agricoles an-ciennes. Il ne reste qu’à souhaiter que la métrologiedu Dauphiné trouve enfin son historien.Pour toutes les catégories d’unités, la méthode laplus facile consiste à partir des tableaux comparatifsétablis à la période révolutionnaire et impériale,même s’ils peuvent comporter quelques erreurs.Attention, tous les documents établis avant la loi du19 frimaire an VIII (10 décembre 1799) sont baséssur la définition provisoire du mètre et du kilogramme.Il faut préférer l’édition postérieure, établie pourl’Isère par l’ingénieur Dausse et publié le 24 vendé-miaire an X (16 octobre 1801), dont une photocopieest disponible en salle des inventaires.

issus des prototypes parisiens. Les poids et me-sures nouvellement fabriqués étaient vérifiés et frap-pés d’un poinçon, différent chaque année, avant depouvoir être utilisés dans le commerce. Rattaché à unvérificateur en chef basé en Avignon, puis à Mar-seille, et enfin à Lyon, puis à la préfecture, le servicedes Poids et mesures, qui couvrait l’Isère et les deuxdépartements savoyards dans les années 1950-1970, perdura jusqu’au début des années 1980. Lacompétence sur la métrologie fut ensuite exercée auniveau régional par la DRIRE, puis par la DIRECCTE

depuis 2010.

Les poids et mesures dessinés en 1839 et diffusésdans toute la France, restèrent en usage pour lestransactions courantes jusque dans les années1980 ; la diffusion des instruments électroniques al-lait vouer à la brocante les balances Roberval et lespoids hexagonaux munis de leur anneau…

Auriez-vous été reçu(e) au certificat d’études en 1886 ?

1 – Donnez, dans le système métrique, les équivalents admis en pratique d’une livre (a),d’une demi-livre (b), d’une once (c).

2 – Comment se divisait autrefois la toise ?

3 – Un cavalier faisant 6 lieues à l’heure est envoyé à la poursuite d’un piéton qui ne fait que 2 lieues à l’heure et qui est parti 3 heures avant lui. Combien le cavalier mettra-t-il de temps pour atteindre le piéton ?

Réponses 1: a = 500 gr, b = 250 gr, c = 31.5 gr ; 2: 6 pieds ; 3: 1h30

PER 853/1

PER 853/1

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Autrement dit lenivellement général de laFrance, dont l’objet n’estpas l’abolition des reliefshexagonaux, mais la mesurealtimétrique de notre pays,en des points précis – les repères – répartis surl’ensemble du territoire, le long des principalesvoies de communication(chemins de fer, canaux,routes) et des cours d’eau. C’est en 1857 que débutel’établissement du premierréseau, codé NGF-Bourdaloue, du nom del’ingénieur des Ponts-et-Chaussées qui a initié cettetâche. Un deuxième réseau,dit NGF-Lallemand, est fixéde 1884 à 1922. Enfin,depuis sa création en juin1940, l’IGN (devenu, depuisle 1er janvier dernier,l’institut national del’information géographiqueet forestière) est en chargedu troisième réseau, établide 1962 à 1969 et désignépar le code NGF-IGN69.Les repères de nivellement,dont la hiérarchie secompose de 4 ordres (du polygone aux mailles,puis à la traverse, au fur et à mesure de ladensification), identifiés

par un matriculealphanumérique gravé, sont matérialisés et fixéssur des supports statiques(ponts, bâtiments) et fontl’objet, après publicationd’un arrêté préfectorald’autorisation de pénétrerdans les propriétéspubliques et privées (enséries 4 K et W), de visitesrégulières, dites deconservation, donnant lieuà des procès-verbaux. Les fonds versés parl’administration del’Équipement [7531 W ;7555 W ; 7593 W ; 7630 W]permettent de sefamiliariser avec laréglementation et lanomenclature, parcourir leslignes de repères,déchiffrer les carnets desagents sur le terrain.Enfin, dans unecommunication de 1892,parue dans le Bulletin de la société statistiquedes sciences naturelles etdes arts industriels du département de l’Isère[PER 957/27], leprofesseur Collet apportequelques clartéssupplémentaires sur l’étatdes opérations en cours àcette date.

On trouvera les noms et lahiérarchie des différentesunités utilisées au MoyenÂge et sous l’Ancien régimedans les comptes dechâtellenies et dans lesenquêtes de la Chambredes Comptes évoquées ci-dessus. Les tableaux del’enquête de 1755 sont très pratiques pour lesrecherches au XVIIIe siècle.De nombreuses donnéesextraites de ces documentsont été publiées par RobertLatouche en 1931 : « Les mesures de capacitéen Dauphiné du XIVe siècleà la Révolution française,étude critique suivie d’unrecueil de textes » [BIB 8°563]. L’auteur fournit pourles principales localités deséquivalences avec lesystème métrique (litres).La plus grande unité est lasommée, c’est-à-dire lacharge d’une bête desomme ; la sommée vaut leplus souvent 2 setiers. Lesmesures de capacité lesplus usitées sont le setieret, surtout au XVIIIe siècle,

le bichet et le quartal. 4 quartaux ou boisseauxforment 1 setier, les sous-multiples étant lecivier, le quart et la coupe,et la plus petite unité est la pugnère ou pugnerée.L’émine est parfois utilisédans certaines localités. Il est souvent précisé que l’avoine se mesure enbennes. Selon que lesmesures sont rases oucombles, le rapport entreles unités est modifié. De même, selon lesdifférentes céréales, enfonction de leur densité etde leur qualité, les barèmesvarient. Il existait dans tous lesbourgs et villes dotées demarchés et de foires desmesures en pierre dont la quasi-totalité a disparu,victime du temps et deshommes. Il en subsiste àCrémieu, sous lamagnifique halle, et auPont-de-Beauvoisin. Nousavons pour cette dernièreune description trèsprécise dans un texte de

1766 : la matrice compte 3 trous de forme conique,pour le bichet, le demi-bichet et le quart de bichet,fermés par de solidescouvercles munis decadenas. Des orificesservent à vider les grainsdans les sacs. En pierre ouen métal (cuivre, bronze),les mesures utilisées pourles redevances féodalesétaient frappées desarmoiries du seigneur.L’usage des mesures étaitsoumis à redevance.L’entretien des mesurespouvait être affermé par la communauté lorsquecelle-ci était détentrice desdroits afférents. En 1791, la réponse deLentiol à l’enquêtenationale nous apprend quela mesure usuelle pour lecommerce est le quartal de Beaurepaire, pesant de42 à 45 livres ; mais qu’ilen existe une autre,féodale, pour les rentes duci-devant seigneur.

Les mesures de capacité pour les grains (mesures sèches )

NGF

13 Fi 144

d 8°1217

Mesure à grains de Saint-Jean-de-Bournay

Coll. Musées de Vienne

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10 Fi 392

Le Point sur...

Il y a bientôt 100 ans, l’Europe entrait dans la Grande Guerre.

L’année 2014 sera pour la France entière et dansbien des pays du monde le début du centenaire de lapremière guerre mondiale. Chaque famille française,chaque commune de notre pays restent en effet àjamais marquées par l’ampleur et la dureté de ceconflit justement appelé la grande Guerre.

C’est le rôle des services d’archives que de fairecomprendre, au-delà des aspects purement commé-moratifs, l’importance historique fondamentale de ceconflit. Les archives de l’Isère entendent bien ap-porter leur contribution à cette vaste entreprise parles actions suivantes, qui vont débuter bien avantl’année 2014.

La première est la mise en ligne de sources numéri-sées sur le site Internet des Archives, en particulierles registres matricules de la série 1R, qui contien-nent pour chaque homme le détail de son parcoursmilitaire. C’est une opération d’envergure qui serafaite progressivement. Nous vous tiendrons informésdans ces Chroniques et sur notre site de l’avance-ment de ce vaste chantier.

Les archives de l’Isère se sont également engagéesdans l’élaboration d’un Guide des sources de l’his-toire de la Première Guerre mondiale. Notre ambi-tion est de proposer aux chercheurs, qu’ils soient

universitaires, généalogistes ou membres d’associa-tions patrimoniales, d’explorer des fonds jusqu’ici in-connus ou ignorés, pour ouvrir de nouvelles voies àla recherche ou apporter un autre éclairage à desproblématiques déjà étudiées.

Au travail de classement et de reprise d’instrumentsde recherche s’ajoute celui de recensement et decollecte de documents encore en mains privées. Afind’enrichir le patrimoine écrit que nous possédonsdéjà sur cette période et de les valoriser par une ex-position ou une publication, nous lançons un appel àtous ceux, particuliers ou associations, qui détien-nent des documents relatifs à la guerre de 1914-1918 : correspondances, journaux de guerre, photo -graphies, archives familiales portant témoignagesdu conflit… Si vous ne souhaitez pas vous séparerdes documents originaux en les donnant, il est tout àfait possible d’en faire des reproductions. N’hésitezpas à nous contacter !

L’enjeu de ce centenaire, alors que ceux qui ont vécules événements dont nous ferons mémoire ne sontplus là pour nous apporter leur témoignage direct,est de continuer, grâce à la recherche dans les do-cuments, à tenter de comprendre et de faire revivrecet événement à la fois grandiose et douloureux denotre histoire.

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Le Point sur...5 M 1

5 M 1

Anniversaires.Faire mémoire d’un événement passé est pour nousl’occasion de trouver dans les documents de notrecollectivité comment notre histoire dauphinoise serattache à la «grande» histoire nationale. C’est aussil’occasion de vous proposer, chers lecteurs, deschemins de traverse dans vos recherches : pourquoine pas aller à la rencontre de ces personnalités ras-semblées au hasard du calendrier ? Aujourd’hui, lechiffre 2 de 2012 nous permet d’évoquer le tout débutdu second Empire.

C’est en effet le 2 décembre 1852, date anniversairesymbolique du coup d’État de 1851, du sacre de Na-poléon Ier en 1804 et de la victoire d’Austerlitz en1805, que le prince-président Louis-Napoléon Bona-parte, premier président élu par le peuple françaisau suffrage universel masculin en 1848, devient of-ficiellement « Napoléon III, Empereur des Français »et met ainsi fin à la Deuxième République. Ce réta-blissement de la dignité impériale est le fruit d’uneévolution amorcée dès l’élection présidentielle, leterme d’un long bras de fer avec l’Assemblée natio-nale. La constitution établissant la non-rééligibilitédu président, Louis-Napoléon doit légalement quit-ter le pouvoir en décembre 1852. Par le coup d’Étatdu 2 décembre 1851, en violation de la légitimitéconstitutionnelle, il conserve le pouvoir à quelquesmois de la fin de son mandat. Conformément à sonappel au peuple, Louis-Napoléon rétablit le suffrageuniversel masculin qui avait été limité par l’Assem-

blée et convoque les Français par un plébiscite(20-21 décembre de la même année ) afin de faireapprouver son action et les réformes annoncées.Moins d’un an plus tard, à la suite d’un autre plébis-cite (21-22 novembre 1852), par lequel les Françaisse sont prononcés sur le sénatus-consulte du 7 no-vembre 1852, le Second Empire est établi.

Vous trouverez dans les archives, principalement ensérie M, comment tous ces événements se sont dé-roulés en Isère : les élections, certes [sous-série 5M],mais aussi les troubles qui suivirent le coup d’État etleur répression ainsi que la surveillance des oppo-sants politiques [correspondance du préfet 52 M].Les procès sont quant à eux à rechercher en série U.

1912 est l’année de la naissance de Jean Kuntzmann,mort le 19 décembre 1992 à Grenoble. Ce mathéma-ticien, professeur à la faculté des sciences de Gre-noble où il dirigea le service de mathématiquesappliquées, a créé en 1951 le premier laboratoire decalcul à Grenoble, laboratoire qui, après une longuehistoire, a donné naissance à l’IMAG et par là à l'in-formatique universitaire grenobloise. Le fonds del’IMAG [8355 W 1–273] et le fonds Jean Kuntzmann,chercheur [7764 W 1–58] sont conservés aux Ar-chives de l’Isère ( pour de plus amples informationsnous vous invitons à vous reporter à Chroniquesd’Archives n°5, Les fonds scientifiques aux Archivesde l’Isère ).

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Fonds Sorrel et Combet de Larène ( 83 J )Comment voyager de l’Albenc à Rouen et du Havre à laLouisiane? Comment faire des incursions à Genève, àParis et à Saint-Domingue, comment accompagnerdans ses tribulations une famille restée protestantecontre vents et marées, comment suivre pas à pasune autre famille empêtrée dans les dettes, tout en neparcourant que 11 mètres ?La réponse se trouve dans un fonds privé tout ré-cemment classé : celui des familles Sorrel et Combetde Larène coté 83 J. Et les mystérieux 11 mètres re-présentent en fait la « distance» séparant le premierdossier [83 J 1] du dernier [83 J 337]. Les Sorrel et les Combet de Larène sont deux famillesde Poliènas et de l’Albenc, qui s’allient en 1738 par lemariage de Claude-François Sorrel et d’AntoinetteCombet de Larène.Ceux qui ouvrent le classement, ce sont les Sorrel, dereligion catholique, qui exercèrent du XVIIe siècle audébut XIXe siècle le métier de notaire à l’Albenc, le cu-mulant avec les fonctions administratives de châtelainet de rentier de seigneur. Tout au long des XVIIe etXVIIIe siècles s’égrènent de litigieuses successions(accompagnées d’inventaires après décès), des livresde comptes détaillés et d’innombrables procès. Lescontrats de mariage, testaments, actes d’achat etvente de biens font également florès. Le personnage qui retient notre attention, c’est le déjàcité Claude-François Sorrel (1718-1792). Notaire etpropriétaire à l’Albenc, il fit de mauvaises affaires et setrouva rapidement dans de graves difficultés finan-cières. Trois de ses fils (sur six) durent quitter la mai-son familiale et tenter leur chance sous d’autres cieuxplus ou moins cléments, tout en maintenant des liens fi-liaux et fraternels grâce à une correspondance suivie.

C’est Jacques-Joseph (1742-1816), dit Jacob, qui poussal’aventure plus loin et rejoignit en 1763, pour ne plus ja-mais revenir, le «Nouveau Monde», plus précisémentla Nouvelle-Orléans en Louisiane. Devenu planteur, ilaccueillit auprès de lui des membres de sa famille. Le classement du 83J se poursuit par les familles pro-testantes Peccat et Combet de Larène. Pour cesbranches, les débuts sont nobles grâce à l’union desenfants de Jean de Peccat, anobli au cours du XVIe

siècle, et de Laurent Allemand, seigneur d’Allières etde son épouse Bonne Prunier (sœur d’Artus Prunierde Saint-André). Les générations suivantes, qui s’al-lièrent aux Jessé et Combet de Larène, restèrent dansla religion réformée: certains partirent pour Genève,d’autres continuèrent à pratiquer en France, plus oumoins en secret, tout au long du XVIIIe siècle. Dans leurs archives, coexistent classiquement les pa-piers personnels (contrat de mariage, testament,succession, correspondance ), ceux relevant de lagestion de biens et les pièces de contentieux.Cette ( trop courte) présentation du 83 J ne peuts’achever sans évoquer les archives de communau-tés qui y sont conservées. Pour l’Albenc, Chantesse,Cras et Poliènas entre autres, on citera les rôles detaille, les parcellaires, les actes d’assemblée qui, dumilieu du XVIe siècle au XVIIIe siècle complèteront desfonds communaux existants par ailleurs. Le 83 J, déjà fort intéressant en soi, conduira, et cen’est pas le moindre de ses mérites, le chercheur surd’autres pistes ; et ce sera pour lui encore d’autresmètres voire kilomètres à parcourir ! Ce « voyage » n’aurait pu s’accomplir sans le don gé-néreux en 1979 d’Augustin Jourdan, alors proprié-taire du château d’Alivet, près de Renage. Que safamille en soit remerciée.

Instruments de recherchenouvellement en service

83 J 204

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Nouvelles du microfilmageActuellement, sont en cours de microfilmage une quarantaine deregistres en provenance du TGIde Grenoble, en majorité de la période 1893-1902, qui ne nousavaient pas été remis lors du versement de 2002. La dernièrecommune disponible est Voiron [ 2 Mi 2767, décès 1904-1908].

La sous-série 2 OLes archives du bureau des affaires communales de la préfecture (1800-1940) sont encours de classement en 2 O. La dernière commune classée estViriville [2 O 562 / 1 à 10].

Compteurs d’archives

Du côté des archives communales

EN MAIRIE : Châtelus, la Flachère,Notre-Dame-de-Vaulx, Saint-Mury-Monteymond etSaint-Pierre-de-Bressieux : ces cinq communes ont, à leurdemande, bénéficié de l’aide auclassement pour leurs archivescontemporaines. Ces classementsont débouché sur la rédactiond’un répertoire ou sur sa mise àjour, également consultable auxArchives de l’Isère.

AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES :

Les fonds de 3 communes ont étéclassés et répertoriés et sontdésormais accessibles :* 4 E 543 Voreppe ( archives anciennes et révolutionnaires)* 4 E 653 Chatte (dépôt en 1979puis en 2004, 3,9 mètres linéaires ) : contrastant avec lesarchives d’avant 1800, réduiteshélas à la portion congrue, celles du XIXe siècle sont fournieset riches d’information sur plusieurs aspects de la vie deChatte autrefois. Ces archivesqui, fait remarquable, remontentà l’aube du XIXe siècle, ont certainement été préservées par leur classement réalisé finXIXe siècle. On peut ainsi citer derares listes de recensement de lapopulation pour 1820 et 1826 [ 4 E 653/37 et 38], des listesélectorales dès 1848 et des listesnominatives pour l’assistancemédicale gratuite à partir de1857.

* 4 E 695 Murinais : le dépôt enavril 2012 du parcellaire du XVIIe siècle. de la commune deMurinais et son intégration dans les documents anciens déjà déposés a été l’occasion de reprendre l’ensemble du classement et de remanier le répertoire de manière à mieuxmettre en valeur ce mètre d’archives. La consultation duparcellaire est toujours en elle-même riche d’informationsur les noms de hameaux, les noms de famille, les cultures.

Archives notarialesNous vous signalons le classementdes minutes de maître François Griffet, notaire à Jarcieu, [3E 34148 à 34158, 1901-1911],de maître Eugène Rosset-Bressand, notaire àRevel-Tourdan [3E 34159 à 34170, 1900-1911],de deux notaires de Beaurepaire,maîtres Jean-Auguste Payet [3E 34171 à 34179, 1900-1904] etAlfred Ferlay [3E 34180 à 34201,1901-1911] et de deux notaires àBellegarde-Poussieu, maîtresJean-Benoît Giroud [3E 34202, an XI-an XIV ] et Frédéric Giroud[3E 34203 à 34213, 1901-1911].

Carte de lecteurLa carte de lecteur a adopté la charte graphique du service :elle est désormais décorée par leplan du cours de l’Isère que vousretrouvez sur des documents deplus en plus nombreux et engrande dimension sur la banquede l’accueil. Vous la découvrirezlors de la validation annuelle devotre numéro de lecteur.

AbonnementVous avez été intéressé par cenuméro de Chroniquesd’Archives ? Vous désirez continuer à le recevoir ? Il fautvous abonner. Cet abonnementest totalement gratuit, faites-lepar courrier ou par mail ( si vous vous êtes déjà abonné, il n’est pas utile de vous réabonner, signalez-nous simplement si vous ne souhaitezplus recevoir cette lettre ).Vous pourrez également télécharger les numéros à venir,ainsi que les précédents, sur le site des Archives de l’Isère :archives-isere.fr

Pratique

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Le Billet de Luce

A R T T *

Depuis ce jour de brumaire, voilà tantôt 216 ans, oùfurent inventées les Archives départementales, moultaréopages d’archivistes se sont courageusementpenchés sur la résolution de l’énoncé suivant : com-ment réduire le temps de latence entre la demandeou la recherche d’un document et sa consultation ; laréception d’un versement et sa mise en place dans ledépôt.

Bien entendu, les méthodes proposées diffèrent enfonction des lieux et des époques. Mais qu’importe lewagon, pourvu qu’on ait l’express !

Je rappellerai, parmi une nuée, trois expérimenta-tions sympathiques, sinon triomphales.

Voici d’abord la méthode un temps appliquée en Nor-mandie-Niemen, dite méthode 3CV. On n’y a pas faitusage d’équidés fiscaux, mais d’une boisson énergi-sante composée de calvados, camembert, caviar etvodka. Toutefois, en raison d’effets secondaires inop-portuns, que la délicatesse interdit de détailler, cetteexpérience a été suspendue.

En Rhin-et-Danube, la diffusion, via une oreillette adhoc, de La chevauchée des walkyries, en alternanceavec l’ouverture de La chauve-souris, a d’abord eudes résultats prometteurs. Il apparaît cependant que,sur le long terme, cette méthode se révèle allergène(bis repetita délicatesse ) et nécessite en consé-quence un turn over d’une mise en place complexe.

Troisième exemple : les Savoisiens ont imaginé de far-ter les semelles de chaussures. Le côté ludique du pro-cédé est limité par des facteurs ponctuels et néanmoinsrédhibitoires : port d’escarpins, rigidités lombaires,masse pondérale inadaptée, menues pointures, …Cette méthode est, à ce jour, en voie d’extinction.De multiples autres procédures sont encore dansleurs balbutiements en divers points de France, deNavarre et de Saint-Pierre-et-Miquelon (et récem-ment de Mayotte), parmi lesquelles :– la CFDT : Célérité Fonctionnelle pour DocumentsTransitoriaux ;– la DST : Diligence Sécurisée de Translation ;– la RGPP : Rapidité Gravitationnelle de PortagePapiforme ;– la TVA : Transportitude Véloce d’Archives.Il est raisonnable d’avancer que ces nouveautés de-vront prouver leur fiabilité et leur respect de lanorme SPA (Salubrité Probatoire des Archives) avantque l’application puisse en être envisagée.

En attendant ces lendemains mélodieux, les Archivesdépartementales de l’Isère ont mis au point la pro-cédure dite des 3B. C’est, à ce jour, j’ai l’honneur etla fierté de le proclamer, la méthode la plus compé-titive, la plus sémillante, la plus esthétique, la pluséconomique, la plus gratifiante, la plus…, bref, lanec plus ultra, la iapamyeu.

Ignoreriez-vous de quoi il retourne ?

Je ne puis y croire. Mais oui, bien sûr, la voici, la mer-veille qui nous vaut d’être nominé(e)s pour la céré-monie de remise des Archjivaros, prix récompensantchaque siècle les meilleurs réducteurs de latence :c’est notre Blouse Bleu Bugatti, induisant une moto-risation d’élite et faisant de chacun(e) de nous lesformules 1 de la profession. Grâce à cette carrosse-rie pour happy few, nous nous propulsons parmi lestravées tel(le)s autant de Fangio à Imola  ; noussommes pressenti(e)s pour honorer de notre pré-sence la célèbre émission Star-Arch ( Records TVOne) ; notre créativité illumine le monde ébaubi bienau-delà des territoires archivistiques.

Mais foin de stuc et de strass : la modestie, qui sied sinaturellement aux génies, nous commande de revenirà nos pétulants chariots et nos édéniques voyagesparmi les sinuosités anguleuses ** du dépôt, loin dutohu-bohu de la gloire et de l’ivresse des lauriers.

Un dernier mot et non le moindre : grazie mille, Si-gnor Bugatti *** !

* Archivistique Réduction du Temps de Transport.

** Oui, je sais : oxymore.

*** Oui, je sais : il parlait aussi l’alsacien ; moi non.

DE

SIG

N G

RA

PH

IQU

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PER 1627