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" CAHIER SPÉCIAL NELSON MANDELA 20 ANS DE PRESSE ÉTRANGÈRE Derrière l’icône Afrique CFA 2 800 FCFA Algérie 450 DA Allemagne 4,20 € Autriche 4,20 € Canada 6,50 $CAN DOM 4,40 € Espagne 4,20 € E-U 6,95 $US G-B 3,50 £ Grèce 4,20 € Irlande 4,20 € Italie 4,20 € Japon 750 ¥ Maroc 32 DH Norvège 52 NOK Pays-Bas 4,20 € Portugal cont. 4,20 € Suisse 6,20 CHF TOM 740 CFP Tunisie 5 DTU N° 1206 du 12 au 18 décembre 2013 courrierinternational.com France : 3,70 €

Courrier International N 1206 - 12 au 18 Décembre 2013

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    CAHIER SPCIAL NELSON MANDELA 20 ANS DE PRESSE TRANGRE

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    N1206 du 12 au 18 dcembre2013courrierinternational.comFrance: 3,70

  • Courrier international no 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 3

    Retrouvez Eric Chol chaque matin 6 h 55,

    dans la chronique O va le monde

    sur 101.1 FM

    DITORIALRIC CHOL

    Un exemple peu suivi

    Le 14fvrier 1991, Nelson Mandela arrive Libreville pour une de ses premires visites hors de son pays, un an aprs sa libration. Le peuple gabonais lui rserve un accueil triomphal. Mais lorsque le hros de la lutte antiapartheid dbarque luniversit Omar Bongo, la tension est son comble. Dans les traves de lamphithtre, une jeunesse frustre, en qute despace politique, boit les paroles du vieux sage, tandis quen face les gardes chargs dassurer la scurit dOmar Bongo, prsident du Gabon, scrutent nerveusement la salle. Deux Afriques se ctoient: celle des potentats et celle des espoirs. Nelson Mandela va incarner ce rve de libert: premier prsident sud-africain lu dmocratiquement en 1994, il quittera le pouvoir, aprs un unique mandat, non sans avoir prn le pardon et la rconciliation. Deux dcennies plus tard, la gouvernance dmocratique fonctionne cahin-caha sur le continent noir. Coups dEtat et corruption continuent de miner des pays o pourtant la croissance conomique a ni par arriver. Icne plantaire, Madiba demeure bien des gards une exception. Certes, les lections sont plus frquentes (une vingtaine cette anne en Afrique). Mais les Teodoro Obiang (Guine-Equatoriale), Jos Eduardo dos Santos (Angola), Robert Mugabe (Zimbabwe), Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou-Nguesso (Congo) ou Yoweri Museveni (Ouganda) restent cramponns leur sige, et la longvit de tous ces autocrates dpasse dsormais les vingt-sept longues annes passes en prison par Nelson Mandela.

    En couverture:Nelson Mandela par Garth Walker, Durban (Afrique du Sud), pour Courrier international.

    pp.5 18

    cahier spcial

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    SUR NOTRE SITE www.courrierinternational.com

    CADEAUX Retrouvez notre dossier sur les cadeaux insolites ne pas rater cette anne pour Nol.CiNMA Raconter la clandestinit. Linterview de Kaveh Bakhtiari. Pendant plus dun an, le cinaste a suivi des migrants iraniens bloqus en Grce. Une plonge unique raconte dans LEscale (en salle).

    Sommaire

    p.44 SCIENCES

    Lhomme qui voulait faxer des Martiens

    Tasmanie, un den

    sans issue

    NELSON MANDELA (1918-2013)

    La disparition du hros de la lutte antiapartheid le 5dcembre a provoqu des ractions unanimes dans le monde. Mais, sil est certain que sa grandeur lui survivra, son hritage politique, lui, reste contest. Courrier international est all puiser dans vingt ans darticles parus dans la presse trangre ceux qui semblaient les plus emblmatiques.

    p.24

    Ukraine Lempire russe attendraKiev a besoin de lUE : en ne signant pas laccord dassociation, Viktor Ianoukovitch na fait que retarder un rapprochement invitable.

    p.29

    Afrique Y a-t-il une doctrine Hollande?Aprs lintervention franaise en Centrafrique, The Guardian sinterroge sur le sens de cette nouvelle politique. A Ouagadougou, Le Pays estime, lui, que les Africains feraient mieux dagir eux-mmes.

    p.36

    Chili La nouvelle Michelle BacheletLe 15 dcembre, la candidate socialiste devrait redevenir prsidente. Ce qui a chang chez elle ? Elle porte dsormais la tristesse de sa charge, crit lcrivain Patricio Fernndez dans la revue Anfbia.

    p.48 PORTFOLIO

    360

    Tlchargez la nouvelle application de Courrier international sur lApp Store

    Retrouvez-nous sur Facebook, Twitter, Google+et Pinterest

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  • 4. Courrier international no 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Sommaire

    Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accdez un contenu multimdia sur notre site courrierinternational.com (ici, la rubrique Nos sources).

    Les journalistes de Courrier international slectionnent et traduisent plus de 1500 sources du monde entier: journaux, sites, blogs. Ils alimentent lhebdomadaire et son site courrierinterna-tional.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rdaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilises cette semaine: American History Leesburg (Virginie), bimestriel. Anfbia(revistaan bia.com) Buenos Aires, en ligne. HaAretz Tel-Aviv, quotidien. Business News (businessnews.com.tn) Tunis, en ligne. Daily Maverick (dailymaverick.co.za) Johannesburg, en ligne. EUobserver.com (euobserver.com) Bruxelles, en ligne. Financial Times Londres, quotidien. The Guardian Londres, quotidien. Leadership Le Cap, mensuel. London Evening Standard Londres, quotidien. Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Mail &Guardian Johannesburg, quotidien. Milliyet Istanbul, quotidien. The Nation Bangkok, quotidien. New Statesman Londres, hebdomadaire. The Observer Londres, hebdomadaire. Ogoniok Moscou, hebdomadaire. Oukransky Tyjden Kiev, hebdomadaire. Outlook New Delhi, hebdomadaire. El Pas Madrid, quotidien. Le Pays Ouagadougou, quotidien. La Presse Tunis, quotidien. Raseef22 (raseef22.com) Beyrouth, en ligne. Sabah Istanbul, quotidien. Sisa Journal Soul, hebdomadaire. Der Spiegel Hambourg, hebdomadaire.

    Edit par Courrier international SA, socit anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 . Actionnaire La Socit ditrice du Monde. Prsident du directoire, directeur de la publication: Antoine Laporte. Directeur de la rdaction, membre du directoire: Eric Chol. Conseil de surveillance: Louis Dreyfus, prsident. Dpt lgal Novembre 2013. Commission paritaire n 0712c82101. ISSN n1154-516X Imprim en France/Printed in France

    Rdaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax gnral 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rdaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rdaction Eric Chol Rdacteurs en chef Jean-Hbert Armengaud (16 57), Claire Carrard (dition, 16 58), Odile Conseil (dlgue 16 27), Rdacteurs en chef adjoints Catherine Andr (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-sries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rdactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du dveloppement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicacin

    Europe Catherine Andr (coordination gnrale, 16 78), Danile Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse almanique, 1622), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Ge roy (Italie, 1686), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 1634)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Gurite (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvge), Alexia Kefalas (Grce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rnnqvist (Sude), Agns Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macdoine), Kika Curovic (Serbie, Montngro, Croatie, Bosnie-Herzgovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de lEurope Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amriques Brangre Cagnat (chef de service, Amrique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amrique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brsil) Asie Agns Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Tawan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonsie), Jeong Eun-jin (Cores) Moyen-Orient Marc Saghi (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Isral), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Sophie Bouillon (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algrie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Ho Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Mdias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360 Marie Bloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

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    Ont particip ce numro : Alice Andersen, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Devayani Delfendahl, Mohamed Djelaili, Lo Galtier, Marion Gronier, Mlanie Guret, Mira Kamdar, Carole Lembezat, Jean-Baptiste Luciani, Franois Mazet, Camilo Moreno, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Polina Petrouchina, Hlne Rousselot, Leslie Talaga, Isabelle Taudire, Sbastien Walkowiak

    Publicit MPublicit, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tl. : 01 57 28 2020 Directrice gnrale Corinne Mrejen Directeur dlgu David Eskenazy ([email protected], 38 63) Directeurs de clientle Hedwige Thaler ([email protected], 38 09), Latitia de Clerk ([email protected], 38 11) Chef de publicit Marjorie Couderc (marjorie.couderc @mpublicite.fr, 37 97) Assistante commerciale Carole Fraschini (carole.fraschini @mpublicite.fr, 3868) Rgions Eric Langevin (eric.langevin @mpublicite.fr, 38 04) Annonces classes Cyril Gardre (cyril. [email protected], 38 88) Site Internet Alexandre de Montmarin ([email protected], 37 45)

    Secrtaire gnral Paul Chaine (17 46) Assistantes Claude Tamma (16 52), Sophie Nzet (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion BndicteMenault-Lenne(responsable,1613) Comptabilit 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numro Herv Bonnaud Chef de produit Jrme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Di usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Vronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romassa Cherbal (16 89)

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    Ce numro comporte un encart Parrainage sur les abonns de France mtro-politaine et un encart Mmo cadeaux broch sur lensemble de la di usion.

    Transversales44. Sciences. La nouvelle lubie de Craig Venter : faxer des Martiens46. Mdias. Tweete-moi une meute... ou deux

    360 48. Rencontre. La Tasmanie, un den sans issue52. Tendances. Une manne tombe du ciel54. Histoire. Pauvre garon, tu vas mourir

    7 jours dans le monde18. Royaume-Uni. Ne condamnez pas Th e Guardian22. Controverse. Les drones dAmazon, cest un coup de pub ?

    Dun continent lautre EUROPE 24. Ukraine. Lempire russe attendra26. Irlande. Le modle irlandais en question FRANCE29. Dfence. Hollande prcurseur en Afrique ASIE 32. Core du Nord. Les dfections de la famille royale

    34. Th alande. Suthep Th augsuban, populiste antidmocrate AMRIQUES36. Chili. Michelle Bachelet, un retour et un recours MOYEN-ORIENT38. Turquie. Le asco de la diplomatie dErdogan AFRIQUE41. Isral. Hollywood marchand darmes pour lEtat hbreu41. Monde arabe. Le palmars des prisons de lhorreur 42. Tunisie. Les circuits ordinaires de lislamisation

    A la une5. Spcial Mandela :Derrire licne20 ans de presse trangre

  • CAHIER SPCIAL NELSON MANDELA 1918-2013

  • 6. DOCUMENT Courrier international no 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Daily Maverick Johannesburg

    A prs toutes ces annes, voil quenn nous nousposons la question. Qui sommes-nous? On nedevient vraiment adulte qu la mort du pre, ditla sagesse populaire. Pour certains dentre nous,cela est arriv tt, bien trop tt, alors que nousnavions pas mme encore russi mesurer quelrle est cens jouer un pre. Dautres nont jamaisconnu le leur et dautres encore voient leur gniteursombrer dans le gtisme, la maladie, la snilitet autres dgradations. Il nest pas de momentparfait pour dire au revoir, mais, quand labsence,quand leacement devient permanent, nous noustrouvons contraints de prendre acte dune solitudeexistentielle. Alors peut commencer la dnition

    de soi.LAfrique du Sud moderne a eu la

    chance davoir un pre dune rectitudeet dune prsence telles que son absence

    nous apparat aujourdhui comme un trouaussi bant quun cratre form par quelqueviolente catastrophe antdiluvienne. Je vis dix minutes pied de la rsidence de Madiba Houghton et, hier soir, dans le vacarme deshlicoptres survolant le quartier, je me suisendormi avec le sentiment paradoxal dtre la fois un nourrisson totalement dsempar etun homme plus accompli que je ne ltais avantdapprendre sa mort. Le sentiment de retour lenfance se comprend aisment: tout coup,je me retrouve priv de guide, de mentor, jai

    perdu mon toile. Cest lautre volet de monimpression qui est plus dicile apprhender.Une chose est sre: la perception que cepays a de lui-mme ne repose plus sur unseul homme et va devoir tre dnie parnous tous, moi, ma famille, mes semblables,mes ennemis, tous plus humains les unsque les autres.

    A mes yeux, le rle dun adulte est deservir, de laisser quelque chose la pos-trit, dtre pleinement soi. Et deconnatre la voie. Nous, Sud-Africains,

    nous nous sommes jusquici pay leluxe de dlguer notre moralit

    lun de ces grands hommesde lHistoire, un homme

    tout simplement inca-

    Qucrivait-on lors de larrivedu grand librateur noir la tte de lAfrique du Sud?Comment rend-on hommage cet homme de paix traversle monde? Quelles sont les voix discordantes face au mythe Mandela?A travers une srie de documents historiquessigns de quelques grandsnoms de la littrature sud-africaine ou des mdias,Courrier international retracevingt ans de la vie de NelsonMandela, de son arrive aupouvoir jusqu aujourdhui. A lheure de son testament.

    pable de dcevoir. Son habilet intellectuelle taittelle quil distinguait le chemin bien avant quilne soit aplani, et il savait le dgager sans violenceni colre. Nous avons pu compter sur lui, nousappuyer sur lui, sans que jamais il ne anche. Maismme les gants seondrent. Et le ntre vientde seondrer.

    Sa mort marque-t-elle le vritable dbut du rcitsud-africain? Cest la n de notre re tolkienienne:nos monstres lgendaires et nos grands hros ontdisparu. Nous entrons dans une nouvelle re,moins grandiose, mais pas moins importante.

    A supposer que les Sud-Africains reconnaissentce jour comme celui o il nous faut entrer plei-nement dans lge adulte, sommes-nous prts en accepter les termes? Nous qui sommes lset lles depuis si longtemps, comprenons-nousles responsabilits qui nous incombent dsormais?Comprenons-nous quil y a autour de chacun denous des millions dautres consciences? Que larconciliation est un processus sans n et quenotre talent de citoyens doit consister nousdfaire des strates de violence et de honte quinous dnissent, en tant que nation, depuis dessicles?

    Madiba ne nous laisse pas que des hritagessalutaires: sa grandeur a fait de lombre descentaines, des milliers de Sud-Africains qui ontaussi contribu remettre le pays dans le droitchemin aprs la chute du rgime de lapartheid.Les Sisulu, les Tambo, les Hani, les Naiker, lesNaidoo des dizaines de guides qui ont su tenirla barre au moment o il le fallait et nous viterdaller nous chouer sur les cueils de notre proprefolie. LAfrique du Sud dans laquelle nous vivonsnest pas le projet dun seul homme: cest uneambition familiale, la beaut violente, disgracieuse,illogique et magistrale. Cest la ntre, pour lemeilleur et pour le pire.

    Longtemps, il y a eu nos cts une prsencemotrice, un pre parfaitement avis rle queNelson Mandela a jou avec une nesse proprementsurhumaine. Mme dans linconfort des dernierstemps, alors que sa dignit tait instrumentaliseet ses forces dclinantes exploites en vue de butsquil naurait, jen suis convaincu, jamais approuvs,il tait encore l. Et rien ne nous contraignaitencore nous poser la seule question qui compte:qui sommes-nous vraiment?

    Nous y sommes: cette douleur qui vous dchiremaintenant, cest labjecte solitude de lge adulte,et les premiers frmissements dune rponse.

    Richard PoplakPubli le 6dcembre

    LAfrique du Sud peut grandirLa nation arc-en-ciel a perdu son pre. Nest-ce pasla condition pour quelle puisse un jour marcher seule ?

    SUR NOTRE SITEcourrierinternational.com

    Retrouvez notre dossier spcial La lgende Mandela.Ractions, analyses, reportages,archives, vidos, infographies

    Dessin dArendt, Pays-Bas.

  • Je ne trouvaispas les motsQuelles ont t les ractions de la presse en Afrique et pluslargement travers le monde?Aucun vnement africain nadclench une telle passion. Et, bien quil sagisse dun dcs, la couverturemdiatique est nalement assezjoyeuse. On clbre la vie dun hommeextraordinaire, et a fait plaisir de voirque limage de lAfrique dans les mdiasest, pour une fois, positive.Nelson Mandela ntait pas seulementsud-africain, ctait une gureinternationale. Il na jamais exclupersonne. Donc, en tant que Sud-Africains, nous ne devons pas tregostes et nous devons accepter que des journalistes du monde entier lui rendent hommage eux aussi, leur manire, avec leurs mots.

    On a beaucoup entendu parler de laprs-Mandela et des craintesque le pays ne sombre aprs sa mortOn sattendait lire que le paysdeviendrait le prochain Zimbabwe.Mais, nalement, non. On a vu trs peu de textes qui annonaient la n delAfrique du Sud, la mort de la nationarc-en-ciel Et tant mieux! Le mondesemble avoir compris quil tait unfacteur de rconciliation, mais que noussommes prts dsormais vivre sans lui.

    Et, en tant que Sud-Africain, quavez-vous ressenti en crivant cet articleposthume?On a beau tre prt, on a beau se direquon sy attendait, le jour o a arrive, on ne trouve pas les mots, on ne sait pasquel ton adopter. Javais peur dcrire sur Mandela! Quelque part, je savais que je garderais ce texte en mmoire pourle reste de ma carrire, quil compteraitdans ma vie. Mais je pensais aussi meslecteurs. Je leur annonais cette nouvelle,donc quelque part, je jouais un rleimportant dans la leur aussi. Javais une dure responsabilit de messagerMais cest dans ces moments que lon est heureux dtre journaliste et depouvoir partager ses sentiments les plusprofonds avec le monde entier.

    DANS LA PRESSE SUD-AFRICAINE

    Madiba: Jepeux me reposerpour lternitLa mort estinvitable. Cestsur ces mots quele quotidien sud-africain ouvrait sespages le6dcembre. Desmots prononcspar Nelson

    Mandela lui-mme en 1994. Lorsquunhomme a fait ce quil considre tre sonrle pour son peuple et son pays, il peutreposer en paix. Je crois pouvoir dire quecest ce que jai fait, et je peux mereposer dsormais pour lternit.Dans cet hommage, The New Agejournal proche du Congrs nationalafricain (ANC) noubliait pas de le faireposer devant le drapeau de son parti, et ajoutait: Madiba a rejoint lANC en1942. Pendant vingt ans, il a dirig unecampagne de paix et de non-violencecontre le gouvernement dapartheid et ses politiques racistes. Ne voyantaucun autre moyen de lutter contre ce rgime liberticide et raciste, le jeuneMandela a dcid dengager son partidans la lutte armeen 1960.

    Au revoir TataLe quotidien TheSowetan reprend lesurnom aectueuxdonn par les Sud-Africains NelsonMandela, avec ses dates de naissance et

    de dcs. Lancien prsident avait 95 ans.

    Va en paixMadiba, titre enxhosa le journal deJohannesburgThe Times.

    NelsonMandela18juillet 1918 -5dcembre2013,titre sobrementle grand quotidiensud-africain Mail&Guardian.

    VU DAILLEURSLhomme qui aprfr pardonnerLe quotidien polonaisGazeta Wyborczasouligne que Mandelaa mis sur le pardon, la comprhension

    de lautre et le compromis. Daucunsvont y reconnatre des qualits de lautre hros des annes 1980, Prix Nobel de la paix lui aussi, le Polonais Lech Walesa.Mandela a ngoci avec le rgime blancnon pour xer les conditions de sa capitulation, mais pour trouverune formule permettant lAfrique du Sud dviter la guerre civile, les pogroms et leondrementconomique, explique le journal.

    La couverture duprochain numro de la revueamricaine est un dessin de lartiste et crivain afro-amricain KadirNelson. Pour la couverture du New Yorker,

    jai choisi une image de lui trs jeune, du temps o il tait en procs avec cent autres de ses camarades,explique lartiste.

    Un symbolemondialLa mort dune lgende de la nation arc-en-ciel a mu tout le continent africain et la communaut

    internationale, crit le journal grec To Ethnos. Une personnalitemblmatique, le symbole mondial de la paix, de lgalit et de la luttecontre le racisme et la discriminationnous a quitts.Il a vcu un tiers de sa vieen prison mais il est rest un homme de conviction. Les hommages du mondeentier sont mrits car nous avons tous besoin dun Nelson aujourdhui.

    AdieuCest le titre choisi par le quotidien de Turin La Stampa. Via leur compte Twitter,plusieurs personnalitspolitiques ont rendu

    hommage lancien prsident: AdieuMadiba a par exemple crit CcileKyenge, ministre de lIntgration. Hrosmoderne et icne de toutes les rvoltes,

    il y a un Nelson Mandela qui ne mourrajamais, a de son ct ragi NichiVendola, prsident du parti Gauche,cologie et libert.

    Hros de la libert,pourfendeur duracismeLe quotidien libanaisAs-Sar revient surle parcours de NelsonMandela, depuis sa jeunesse dans

    les quartiers pauvres de Soweto jusquson emprisonnement, avant quil nedevienne le symbole de la libration etde la lutte contre le racisme et la discrimination. Un homme qui a su rsister face aux grandes puissances, qui a perdu ses compagnons de route et qui, aprs trente annes passes en prison, est sorti sans rancune et er davoir triomph grce sa volont et sa libert desprit.

    AdieuMadibaLAlgrie perdplus quun ami.El-Watanconsacre la une de sonsupplment du week-end

    Nelson Mandela. Le quotidien rappelleque cest en Algrie que Madiba reoitsa premire formation militaire, en 1961,aux cts de lArme de librationnationale (ALN). Par la suite, le premierprsident de lAlgrie, Ahmed Ben Bella,va orir son aide logistique et nancire la lutte sud-africaine. Cest lAlgriequi a fait de moi un homme, a dclarMandela en mai1990 Alger, o il aeectu sa premire visite ocielleaprs sa libration.

    Pour le KashmirWalla, magazinemensuel consacrau Cachemire etdont le nom signiele Cachemiri,Mandela est plusqu'une cone: unvritable exemple de lutte et de

    rsistance loppression dun Etatinjuste. Son combat contre lapartheidtrouve une rsonance particulire danscette rgion que se disputent lInde et lePakistan et qui vit sous un rgime martialtrs peu dmocratique. Le numro dedcembre est donc consacr Madibacomme gure universelle.

    Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 NELSON MANDELA. 7

    A la uneLa presse internationale rend hommage de manire unanime Nelson Mandela, un grand homme, qui incarnait la libert et a men une vie hors du commun. Pour tous, cest une gure historique qui vient de tirer sa rvrence.

    3 QUESTIONS

    SIMON ALLISON, journaliste pour le site dinformation sud-africain DailyMaverick. Dans son dernier article,South Africas loss is the worlds losstoo, il analysait les ractions de la presse travers le monde.

  • 8. DOCUMENT Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Mail &Guardian (extraits)Johannesburg

    En 1962, lors du procs pour trahison quilui valut dtre condamn vingt-septannes de prison, Mandela na pas joules hros. Bien des annes plus tard, il observaitsimplement: Jtais le symbole de la justice dans letribunal de loppresseur, le reprsentant de grandsidaux de libert, de justice et de dmocratie dans unesocit qui bafouait ces vertus. Ce quil dnissaitpar ces mots, relevs dans son autobiographie,Long Walk to Freedom [Un long chemin vers la libert,Fayard], ctait bel et bien ltendue de ses res-ponsabilits, et non son importance en tant quin-dividu. Lorsquil a pris la parole devant le tribunal,assurant lui-mme sa dfense, il a prsent sonprocs comme celui des aspirations du peuple afri-cain. Derrire des accents quasi gaulliens, on pou-vait dceler la calme assurance dun homme quiavait souert pour dfendre ses convictions etqui tait prt sourir encore.

    Il devait conclure sa plaidoirie par cette dcla-ration retentissante, visant insuer du courage des gnrations dopprims: Jai consacr mavie cette lutte du peuple africain. Jai combattu ladomination blanche, jai combattu la dominationnoire. Jai uvr pour une socit dmocratique, prisede libert, o chacun puisse vivre en harmonie, dansle respect de lgalit des chances. Je veux vivre pourcet idal et le raliser. Je suis prt, sil le faut, mourirpour cet idal.

    Nombreux sont ceux, tant en Afrique du Sudqu ltranger, qui ont considr dun il scep-tique les changements survenus dans notre paysentre les premires lections dmocratiquesdavril1994 et la deuxime lection prsidentiellede juin1999 [remporte par Thabo Mbeki, le suc-cesseur dsign de Nelson Mandela]. On racontequau lendemain de la libration de Mandela unjournaliste a interrog une marchande ambulantedu Cap-Est. Lorsquil lui a demand ce quelle pen-sait de cette bonne nouvelle, elle a rpondu: Jaitoujours du mal vendre mes fruits. A lheure dubilan de son mandat, achev en juin [1999], Mandelaest davantage en butte la critique. Pour ses dtrac-teurs, le pays senfonce dans un bourbier de cor-ruption, de gaspillage, de criminalit; la conancedes milieux daaires est en baisse; on assiste une rsurgence du racisme (aussi bien noir queblanc) et des abus de pouvoir. Ils soulignent lesnombreuses promesses non tenues depuis les pr-cdentes lections: pas assez de logements construits

    pour les pauvres, pas assez demplois crs, uneconomie anmique, la baisse du niveau dins-truction et de la qualit des soins mdicaux, lemanque de transparence dans la vie publique et laquasi-absence de mcanismes dmocratiques pourla dsignation des dirigeants dans les provinces.Pourtant, en avril1994, des millions de Sud-Africainsvotaient ensemble pour la premire fois de leurhistoire. Ce faisant, ils dcouvraient quils appar-tenaient tous au mme pays. Que reste-t-il aujour-dhui de leuphorie suscite par cette dcouvertesi simple et pourtant dune ampleur sans prc-dent. Etait-ce un rve? Nelson Mandela, qui pen-dant toutes ces annes a t vnr comme undieu, serait-il redevenu un simple mortel lpreuvedu pouvoir? A-t-il chou au test de Cron? Enmars dernier [1999], par une matine trs enso-leille, jai t invit prendre le th Genadendal,dans la rsidence prsidentielle du Cap. Mandelatait dexcellente humeur, presque jovial, aprs lavisite dadieu triomphale qui venait de le conduireaux Pays-Bas et en Scandinavie.

    Miracle. Sur un ton exubrant, il a voqu cettetoute rcente confirmation du miracle sud-africain. En une dcennie, de parias du mondeque nous tions, nous nous tions hisss uneposition inuente du point de vue moral et poli-tique. Limage du pays tait radicalement trans-forme. Cest entirement grce vous, lui ai-jerappel. Une bonne part du charme de Mandelatient au fait quil peut faire preuve dhumilit sansla moindre fausse modestie. Il na pas rfut mon

    observation, mais a tenu la replacer dans soncontexte: sil avait pu faire voluer la situation,cest parce que le pays lui-mme et son peupleavaient chang.

    Lorsquon essaie de dresser un tat des lieuxde lAfrique du Sud daujourdhui et de dtermi-ner dans quelle mesure Nelson Mandela a contri-bu sa transformation, il ne faut pas perdre devue la situation que lui ont lgue les dirigeantsde lapartheid. Il est devenu de bon ton parmi lesjeunes Blancs sud-africains de se moquer de latactique du Congrs national africain [lANC, partide Nelson Mandela], qui rpond presque syst-matiquement aux critiques en mettant tout ce quiva mal sur le compte de lapartheid. Il faut nan-moins se rappeler ltat dans lequel se trouvait lepays pendant les annes1980. On a tendance loublier un peu vite. Aujourdhui, je trouve quebeaucoup ne se rappellent plus ou ne veulentplus se rappeler lhorreur quotidienne que repr-sentait lapartheid pour la plupart des Sud-Africains.

    Je ne parle pas seulement des atrocits misesau jour par la Commission vrit et rconcilia-tion, mais des petites humiliations que se voyaientiniger les Noirs au quotidien: les restes de viandepourrie jets, non emballs, aux clients noirs duneboucherie; le traitement prfrentiel accord auxBlancs dans la queue au bureau de poste; lesretards de versement des retraites pour les Noirs;lhomme humili devant son jeune ls; la ven-deuse qui sadresse une femme noire deux fois

    Nelson Mandelaavec Ruth First,militanteantiapartheid tue en 1982. Photo JurgenSchadeberg/Life-Getty

    Mandela, le plus pragmatiquedes utopistesEn 1999, lcrivain sud-africain Andr Brink saluait le pre de limpossible rconciliation. Au-del de limage de saint, la grandeur de Mandela, disait-il, rside dans sa simplicit dhomme de la rue.

    Elle lui dit : Toi, tu serais le chaueur et moi, je serais la madame, puis ils attraprent le pare-choc et prirent la pose.Hillbrow, Joha nnesburg, 1975.Photo David Goldblatt, en couverture de son livre TJ (Co ntrasto)

  • Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 NELSON MANDELA. 9

    plus ge quelle en lui disant Ma lle et qui nela laisse pas essayer les vtements avant de lesacheter; le manque dattention accorde auxpatients noirs lhpital; linsolence, ou mmela brutalit, dadolescents blancs en uniforme depolice lors de ces interpellations qui taient unevritable plaie pour les Noirs; la charitable dis-tribution de vtements usags ou de restes denourriture la bonne dans la cuisine. Telle taitla scne sur laquelle Mandela a fait ses dbuts enpolitique. Lors de notre dernire conversation,jai t surpris de dcouvrir laection quil conti-nue dprouver pour Peter Botha [qui a diriglAfrique du Sud de1978 1989]. Malgr les maniresbravaches de lex-prsident, Mandela a dcel enlui une relle volont de sortir de limpasse.

    Simplicit. Cela va au-del de la conviction, rit-re dans son autobiographie, que tous les hommes,mme ceux apparemment le plus inaccessibles lapiti, ont toujours un fond de bont: si on arrive toucher leur cur, il est possible de les faire changer.Il en avait fait lexprience, mme avec les gar-diens les plus durs, Robben Island; et, derrirele bruit et la fureur de Botha, Mandela a dtectle souci de rechercher des solutions davenir. Cequi ne fait que conrmer un sentiment que jaidepuis longtemps, savoir quune bonne part desespoirs de lAfrique du Sud pour lavenir peut sap-puyer sur ce que les deux grandes communautsdu pays, les Noirs et les Afrikaners, ont en commun:

    dans Un long chemin vers la libert, un dirigeantdoit sortir du rang, sengager dans une nouvelle voie,sr de conduire alors son peuple dans la bonne direc-tion. Ce qui chez certains individus pourrait passerpour de la mgalomanie peut se rvler une dci-sion visionnaire chez dautres.

    Dans lesprit dune majorit noire longtempsbafoue, Mandela fait dsormais gure de messie.Dans bien des cas, lorsque ltre humain percesous le messie, cela peut avoir des eets dsas-treux. Mandela la lui-mme rappel vigoureuse-ment ds sa libration, loccasion de son toutpremier discours. Je ne suis pas un messie, mais unhomme comme les autres, devenu dirigeant par unextraordinaire concours de circonstances. Il najamais dvi de cette dclaration de principe. Sagrandeur tient peut-tre cette simplicit mme,celle de lhomme de la rue. A ce propos, les anec-dotes ne manquent pas. Lune de celles que je pr-fre remonte quelque temps aprs son entreen fonctions, lors dune rception sa rsidencedu Cap. Un journaliste qui avait mal lu linvitationsest prsent 6heures du soir au lieu de 8heures.Le portail et lentre ntant pas gards (on taitloin de la scurit militaire propre aux annesdapartheid), il est entr dun pas tranquille et atrouv le prsident dans la cuisine. Je suis en trainde me faire un petit sandwich, lui a dit Mandela.Voulez-vous vous joindre moi? Les deux hommes,parfaitement dcontracts, ont ainsi pris le thensemble avant larrive des invits. Lorsque

    Jai combattu la dominationblanche, jai combattu la domination noire

    En 1950, un ouvriernoir porte linsigne :Nous ne voulons pas de pass, en rfrenceaux interdictionsmises en place contre les personnes non blanches.Photo Margaret Bourke-White

    leur attachement froce au continent, leurs sou-venirs dun pass nomade, tribal, paysan, leurexprience de la lutte pour la survie. Ce nest peut-tre pas vident chez un De Klerk urbanis etdtribalis. Chez Botha, en revanche, Mandelapouvait le ressentir, malgr tout ce qui les divi-sait. Et il prouvait la mme chose, ma-t-il assur,avec des leaders afrikaners appartenant lex-trme droite non seulement lancien gnralConstand Viljoen, mais mme avec EugneTerreBlanche et dautres fanatiques de son espce.

    De ces premires ngociations avec Botha,Mandela garde aussi prsents lesprit les normesrisques quil prenait en organisant de telles runions.Il savait pertinemment, ma-t-il assur, quil taittenu dobtenir le feu vert de lANC avant de selancer dans une initiative aussi audacieuse. Maisil savait aussi que lANC ne lui donnerait jamaisson aval. Aussi a-t-il d mettre son propre aveniren jeu, sachant que, si sa tentative chouait (ouencore si elle tait rendue publique trop tt), seschances de jouer un rle dans lavenir du paysseraient rduites nant. Parfois, souligne-t-il

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  • 10. DOCUMENT Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    1962 Voyage de six mois au Royaume-Uni et en Afrique, notamment en Ethiopie, o il suit unentranement militaire. Retourne enAfrique du Sud, o il est arrt pouravoir quitt le pays illgalement et avoir incit les ouvriers noirs faire grve. Il est condamn cinq ans de travaux forcs.1963 Mandela et plusieursdirigeants de lANC et delUmkhonto we Sizwe sont arrts et accuss de complot visant renverser le gouvernement par la violence.12juin 1964 Mandela et sept autresaccuss sont condamns la prison perptuit : il est emprisonn Robben Island.Juin1976 Massacre de Soweto (plus de 300morts).1982 Transfert la prison de hautescurit de Pollsmoor, au Capconnement solitaire pendant six ans.1988 Hospitalis pour cause de tuberculose, Mandela retourneen prison Paarl. Son aura et son souvenir, entretenus par lANC et par sa femme Winnie, ne cessent de grandir. Il devient le plus ancienet le plus clbre prisonnierpolitique du monde. Paralllement,la situation devient intenable pour le rgime. La chute du mur de Berlin et la n de la guerre froide aidant, la rsistance sintensie, tant lintrieur qu lextrieur.11fvrier 1990 Nelson Mandela est libr aprs vingt-sept annesde dtention.Aot1990 LANC renonce la luttearme.1991 Mandela assume la prsidencede lANC, redevenu lgal, et ngocie avec Frederik De Klerk, alors prsident.30juin 1991 Abolition de lapartheid.Novembre1991 Sparation de Nelson et de Winnie Mandela, et divorce en1992.Septembre1992 Signature des accords pour une assembleconstitutionnelle, une nouvelleConstitution et un gouvernement de transition.1993 Mandela et De Klerk reoiventcon join tement le prix Nobel de la paix. Adoption de la nouvelleConstitution.27avril 1994 Premires lectionslibres: lANC lemporte avec 62%des voix. Mandela devient le premier prsident

    Chronologie

    18juillet 1918 Naissance danslancien bantoustan du Transkei.1939 Etudes de droit luniversitde Fort Hare.1942 Licence en droit.1943 Prise de contact avec leCongrs national africain (ANC).Inscription luniversitdu Witwatersrand pour prparer son diplme davocat.1943-1944 Cration de la Ligue de la jeunesse de lANC, qui prnela mobilisation et les actions de masse.1948 Promulgation de lapartheid.1949-1950 LANC adopte le programme de la Ligue des jeunes:boycott, grve, dsobissance civileet non-coopration avec le rgime.1951-1952 Mandela devient le prsident de la Ligue des jeunes de lANC et fait campagne pourlabolition des lois discriminatoires. Il est alors arrt, condamn et interdit de rassemblement publicpendant six mois.1956 Nouvelle arrestation avec 155autres personnes lors dun procs pour trahison.Juin1958 Mariage avec Winnie.1960 Massacre de Sharpeville(69morts).1961 Mandela est acquitt, ainsi que ses coaccuss. Il est de nouveau arrt pendant ltat durgence instaur aprsSharpeville. Le Congrs panafricainet lANC sont interdits la suite des vnements. Des actionsclandestines sont autorises par le parti. Cration de lUmkhonto we Sizwe, branche arme de lANC.Grve gnrale en mai. Ractionmilitaire trs importante du rgimeblanc. Mandela entre dans la clandestinit.

    de la Rpublique sud-africainepostapartheid.1995 Parution de lautobiographiede Mandela Un long chemin vers la libert : 6millions dexemplairesvendus dans le monde.18juillet 1998 Mandela se mariepour la troisime fois, le jour de ses 80ans, avec Graa Machel,veuve de Samora Machel.1999 Mandela passe le ambeau Thabo Mbeki, son vice-prsident.2000 Mandela est nommmdiateur dans le conit entre Hutus et Tutsis qui ravagele Burundi.Janvier2002 Ouverture du musede lApartheid Johannesburg.Avril2002 Mandela sengage dansla lutte contre le sida en Afrique du Sud.6janvier 2005 Makgatho Mandela,ls de Nelson, meurt du sida.Juillet2005 Une BD consacre la vie de Mandela est vendue plus de 1million dexemplaires.21septembre 2008 Le successeurde Nelson Mandela la prsidencede lAfrique du Sud, Thabo Mbeki,dmissionne.15fvrier 2009 Mandela apporteson soutien au leader de lANC,Jacob Zuma, qui sera lu le 22avril2009.Octobre2009 Les archives de Mandela, lgues la fondationqui porte son nom, sont prsentes la Foire du livre de Francfort. Des extraits publis sous le titreConversation avec moi-mmesortiront au Royaume-Uni en octobre2010.

    Une vie de lutte

    Mandela dclare un jeune enfant quil vientde rencontrer: Je suis trs honor davoir fait votreconnaissance, ce nest pas une simple formule depolitesse, mais le sentiment profond dun hommedont la plus grande privation pendant ses trente ansde prison aura t labsence denfants. Devoir renon-cer une vie de famille est peut-tre le plus doulou-reux sacrice auquel il ait d consentir pour prix deson combat de libration. En rendant ainsi hommageaux enfants quil rencontre aujourdhui, Mandelararme sa foi en lavenir.

    Stratgie. Sa dignit senracine dans un sentimentprofond de sa propre valeur, sentiment qui lui vientnon pas du mpris de lennemi, mais de la recon-naissance dune humanit commune, et o la ertle dispute lhumilit. Ainsi, ds son plus jeune ge,Mandela a trait les autres (y compris les Blancs, enun temps o il tait un simple Noir) sur un pieddgalit, avec ce que lui-mme a appel son sensttu de lquit. A travers les actions qui ont jalonnet faonn la vie de Mandela, les principes ont tou-jours jou un trs grand rle, jamais lidologie. DansUn long chemin, il arme plusieurs reprises que,au cours des premires annes de la lutte, avant quela violence dEtat nimpose le recours la violence,son souci de la non-violence ntait jamais dict pardes considrations idologiques. Il relevait au contrairedune stratgie. Pour lui, la politique passait par unevaluation raliste des options et par des dbatsapprofondis avec ses collgues an de parvenir unconsensus, des dcisions pragmatiques, informes.

    De fait, premire vue, la vie na gure changpour bon nombre de Sud-Africains, en particulierpour ceux qui taient dj les premires victimes delapartheid. La violence et la corruption rgnent, lespolitiques sont dune arrogance inadmissible, de nom-breux dirigeants ont une mentalit dautocrates etdoppresseurs qui rappelle odieusement lancienrgime. Mais ces phnomnes, aussi rvoltants quilssoient, ne sont-ils pas invitables dans une sociten transition, qui est passe dun rgime autoritaire la dmocratie?

    Pour mesurer le chemin parcouru, il sut deregarder en arrire et de comparer lAfrique du Sudactuelle avec ce quelle tait il y a moins de dix ans.Les programmes en faveur du logement, de la sant,de lemploi ou de lducation, vaste chantier sil enest, tardent tre mis en uvre. On en parle depuiscinq ans. Mais les fondations et les infrastructuressont en place: reste construire ldice.

    Ce qui et paru impensable encore tout rcem-ment que les socits blanche et noire, divises pardes sicles de dvastation coloniale et par les traite-ments inhumains de lapartheid, puissent montrerla volont daller lune vers lautre devient dsor-mais une ralit. Mandela lui-mme donne lexemple.Ce Xhosa [lune des principales ethnies sud-afri-caines] a volu vers une conception de plus en pluslargie de son identit de Sud-Africain et dtre humain.Sortant de prison, il dnissait en ces termes la tchequil stait assigne: Rconcilier, panser les plaies dece pays, crer un climat de conance. Ses annes laprsidence, il les a consacres librer la fois lesopprims et les oppresseurs. Pour lui, cela revenait guider son peuple sur une route seme dembches,entre les craintes des Blancs et les espoirs des Noirs.

    Andr BrinkPubli le 4 juin 1999

    9

  • The Observer Londres

    E lle na quun seul mot pour dcrire lam-biance qui rgnait le jour de la librationde Nelson Mandela: Wow! Immortali-se aux cts du grand homme ce jour-l, HildaNdude est dsormais associe lune des imagesdespoir les plus fortes du XXe sicle. Sur le clichen question, on laperoit derrire Nelson Man-dela et son pouse, Winnie, qui lvent le poing ensigne de victoire dans le soleil de laprs-midi.Ctait extraordinaire, se souvient-elle. Je ne pensepas revivre une exprience comme celle-l dans mavie. Il rgnait une atmosphre pleine doptimisme.Nous savions quune nouvelle Afrique du Sud venaitde natre. Hilda Ndude avait la responsabilit desassurer que la premire apparition en public deMandela depuis vingt-sept ans se droulerait sansheurts. Elle est toujours reste loyale lhommequelle appelle Dada, comme la majeure partiedes Sud-Africains. Mais elle estime que cet ins-tant magique a t eac et lhritage de Mandela,gch. Elle a t tellement due par son parti, leCongrs national africain (ANC), quelle sest tour-ne vers une formation dissidente, le Congrs dupeuple (Cope).

    Pendant lapartheid, Hilda Ndude, qui taitune militante clandestine, a fait de la prison. Ellefaisait partie des membres les plus en vue du Front

    dmocratique uni dans la province du Cap-Occi-dental. Elle a uvr pour la libration de hrosde la lutte antiapartheid comme Govan Mbeki[pre de Thabo Mbeki] et Walter Sisulu. Endcembre1989, elle a t invite rencontrerNelson Mandela dans la maison de gardien quiloccupait la prison Victor Verster, Paarl, prsdu Cap. Jai eu de la chance, raconte-t-elle. Ctaitune merveilleuse rencontre. Certains disaient que Man-dela tait vendu parce quil avait un tlphone danssa maison, mais il nous a fait visiter et nous a assurquil navait pas le tlphone. Il ma mme envoy unecarte de Nol pour me remercier de ma visite.

    Lorsque le prsident Frederik De Klerk a levlinterdiction de lANC, en fvrier1990, le mondeentier attendait la libration de Nelson Mandela.Quand nous avons t informs par les Afrikaners,le samedi, que Mandela serait relch le lendemainmatin, jai t dsigne comme responsable. Je guraisparmi ceux qui sont alls le voir le matin de sa lib-ration. Je lai mis au courant de ce qui allait se passer

    et je lai accompagn vers la sortie, se souvient-elle.Une incroyable vague dmotions a submerg lafoule, tandis que les partisans du grand hommecherchait lapercevoir. Je naurais jamais pu ima-giner un moment comme celui-l. Les gens taient venus pied de Stellenbosch, de Khayelitsha et de tous lestownships du Cap. Certains dentre eux taient partis 5heures du matin pour arriver temps. La foule taiten liesse, les gens pleuraient et riaient. Ils pleuraient dejoie et de rire! Rien ne pouvait les arrter

    Aection. Hilda Ndude marchait derrireMandela, tandis quil savourait ses premiers ins-tants de libert. Il se laissait aller sa joie dtreenn libre aprs vingt-sept ans de dtention, mais ilavait aussi la stature dun homme dEtat. Nous navionspas le temps de lui parler parce quil y avait tellementde monde. Je me concentrais sur les gens et sur la scu-rit: je voulais massurer que tout se passe bien. Je merappelle quun journaliste a dit quelque chose comme:Quel type! Mais nous navons jamais eu peur poursa scurit. Personne naurait song lassassiner.Le couple Mandela et ses proches sont monts bord de voitures pour se rendre lhtel de villedu Cap, o lancien dtenu devait prononcer undiscours. Jtais dans la voiture principale avecMandela: ctait un cortge, et les gens cherchaient savoir dans quel vhicule il se trouvait. Heureusement,les vitres taient teintes, et ils ne pouvaient pas nousvoir. Toutes les voitures ont t cabosses ce jour-l

    Au dbut des annes 1990, Hilda Ndude aaccompagn Mandela dans ses voyages ltran-ger. Elle est devenue une personnalit inuentede la Ligue des femmes de lANC et aussi de lANCdans la province du Cap-Occidental. Au l dutemps, elle a cependant cess de croire aux idauxdu parti au pouvoir et pris la dure dcision, en2008, de rejoindre les dissidents de lANC runissous la bannire du Congrs du peuple. Elle estmaintenant dpute et trsorire nationale de ceparti. Avec un regret vident, elle estime que lop-timisme dil y a vingt ans sest estomp. AveclANC qui sgare, lhritage de Mandela a t gch.Il a t perdu, et je ne crois pas que nous serons capablesde le rcuprer. Mandela voulait btir un pays o lesNoirs et les Blancs se considrent comme des Sud-Africains. Je pense que nous avons chou. Jaimeraissouligner le travail de la Commission vrit et rcon-ciliation, auquel on a coup court. Des blessures ontt rouvertes, mais on ne leur a jamais donn le tempsde gurir, explique-t-elle.

    Bien quelle ne lait pas vu depuis des annes,Hilda Ndude na jamais cess dprouver unegrande aection pour Mandela. Un matin, il maappele lui-mme pour xer un rendez-vous. Il madit de venir le voir son bureau. Ctait lpoqueo il tait prsident. Quand je suis arrive, sa secr-taire ma dit: Vous savez, vous ne pouvez pasvenir voir Dada comme a sans dabord prendrerendez-vous. Je lui ai rpondu: Non, non, cest luiqui ma appele. Elle est alle dire Dada que jtaisl et il est venu la rception pour maccueillir etmaccompagner jusqu son bureau. Nous avonsdjeun ensemble. Voil le genre dhomme questNelson Mandela. Un membre de la famille, un pre,un homme dEtat. Il a une sorte daura autour delui. Il est unique.

    David SmithPubli le 31 janvier 2010

    Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 NELSON MANDELA. 11

    Hilda Ndude entreWinnie et NelsonMandela sa sortie de prison le 11 fvrier1990. Photo AlexanderJoe/AFP/Getty Images

    Les gens pleuraient de joie, de rire, ils ne pouvaient

    plus sarrter

    Jtais avec lui le jour de sa librationHilda Ndude accompagnait le prisonnier le plus clbre du pays lorsquil a t libr, le 11 fvrier 1990. Lancienne militante de lANC na rien oubli.

  • The Guardian (extraits) Londres

    Cest un happy end adapt ltrange his-toire de Nelson Mandela, berger devenuprisonnier, puis prsident. Lheure pourlaquelle il semble tre n voil soixante-quinzeans est enn arrive lorsque, derrire une vitrepare-balles, les reets du soleil poss sur la bibledevant lui, il prend la parole: En prsence de cetteassemble, et en pleine conscience de la haute missionque jassume en tant que prsident au service de larpublique dAfrique du Sud

    Il est 12h16 lorsquil commence, ce qui estun peu gnant, puisquil tait cens devenir pr-sident le matin. Mais, midi, quand la tour delhorloge a jou les notes du carillon de West-minster rminiscence dun pass colonial, lesdignitaires venus des quatre coins de la planteont compris quil fallait shabituer la dcon-traction sud-africaine.

    Winnie Mandela est la premire reprsen-tante du gotha faire son apparition, resplen-dissante, dans une longue robe de soie vertecration dont son attache de presse a re-ment assur quelle bahirait lAfrique du Sud.Linstant est poignant quand cette femme,cense vivre alors son apothose, est guide versles places des dignitaires de seconde catgorie.Mais voil quelle apparat soudain sur lestradeauprs de sa famille, rpondant quelque mys-trieuse invite.

    Le commentateur de la tlvision clame dunton dsapprobateur que celle qui fut jadis la mrede la nation na rien y faire et devrait tre recon-duite sous peu la place qui est la sienne. Mais,contre toute attente, Mme Mandela est accompa-gne vers une place situe seulement neuf sigesdu trne tapiss de cuir qui attend lhomme dontelle est dsormais spare.

    Yasser Arafat, qui fait aussi partie des premiersarrivs, se dirige dun pas dcid vers le treizimerang exig par le protocole pour un personnagequi nest pas tout fait chef dEtat. Cramponn son panama, le duc dEdimbourg gravit les esca-liers grandes enjambes, entranant dans sonsillage un cortge de reprsentants du ministredes Aaires trangres. Il semble perplexe lors-quil se voit indiquer le quatrime rang.

    Puis, lorsque Al Gore, Hillary Clinton, RonBrown, Jesse Jackson et le reste du contingenttasunien se retrouvent entasss dans la mmerange, leurs gardes du corps se rendent compteavec indignation que les reprsentants de la pre-mire puissance mondiale nont pas assez dechaises pour sasseoir. Castro! Castro! Les cris

    12. DOCUMENT Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Les Sud-Africainsclbrent linvestituredu prsident NelsonMandela devantlUnion Buildings de Pretoria, le 10 mai 1994. Photo Gisele Wulfsohn/Africa Media Online

    En tant que prsident au service de la RpubliqueA 75 ans, Nelson Mandela devient chef de lEtat sud-africain. Ce jour de mai 1994, lapartheid a dnitivement rendu lme.

    Que jamais plus ce pays ne soure de lindignit

    dtre le paria du monde

    enthousiastes des dputs du Parti communistedAfrique du Sud accueillent linvit le plus mar-quant de la journe. Le lder cubain est encore plusimpressionnant sans son cigare et sa casquette delarme, son uniforme et sa chevelure argentetincelant superbement au soleil.

    Liesse. Le dl de personnalits se poursuit, lejeu de chaises musicales aussi Relgu dans latrave de gauche, Goodwill Zwelithini, roi desZoulous, se dpche daller sinstaller devant, droite. Fidel, qui a atterri prs des Amricains,dans la trave de droite, le se mettre plus labridevant, gauche. Pendant ce temps, sur lestrade,le prsident sortant et nouveau second vice-prsident, Frederik de Klerk, est arriv, salu parla premire salve dapplaudissements internatio-naux qui le flicite du simple commentaire quila eu en arrivant: Nous avons accompli ce que noussouhaitions accomplir. Il est suivi du premier vice-prsident, Thabo Mbeki, puis les clameurs desquelque 50000personnes assembles sur lespelouses en contrebas annoncent larrive de lan-cien berger. Nelson Mandela ache une minerjouie tandis que les gnraux le guident le longdes escaliers pour rejoindre le prsident de la Coursuprme. Il rayonne de ert paternelle en pas-sant devant sa lle, la princesse Zenani Dlaminiqui est unie un membre de la famille royale duSwaziland et joue ici le rle de premire dame.

    Des griots chantent les louanges de lhommedu jour au micro. Puis, avec une heure et huitminutes de retard sur lhoraire, laiguille arrive aumoment historique.

    [] Moi, Nelson Rolihlahla Mandela, jure icidtre dle la rpublique dAfrique du Sud et pro-mets solennellement et sincrement de toujours

    Nos actes quotidiens dAfricains du Sud doiventconstruire une vritable ralit sud-africaine qui ren-forcera la foi de lhumanit en la justice, aermira saconance en la noblesse de lme humaine et nour-rira tous nos espoirs pour que nous ayons tous unevie panouie.

    A la n de son discours, les 4000personnagesde marque composant lassemble, anims parune motion sincre, se dressent spontanmentlorsque le prsident Mandela dclare: Que jamais,jamais plus ce pays magnique ne revive lexpriencede loppression des uns par les autres, ni ne soure nouveau lindignit dtre le paria du monde. Tandisque les vivats svanouissent, lassistante person-nelle de Mandela, Barbara Masekela, ici matressede crmonie, semble un peu dboussole.

    Mais les gnraux prennent le relais et se diri-gent vers larrire de la scne et du dispositif pare-balles, do leur regard xe ostensiblement lescollines de Muckleneuk, dans le lointain. Lesilence laisse bientt place un grondementquand surgissent au-dessus des montagnes deshlicoptres de combat, des avions-coles, deschasseurs supersoniques et des patrouilles acro-batiques zbrant le ciel aux couleurs du nouveaudrapeau sud-africain, en lhonneur de leur pre-mier chef noir, assurment le plus grand.

    David BeresfordPubli en mai 1994

    Paru dans Courrier international Hors-srie n 32, juin 2010

  • 14. DOCUMENT Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Leadership (extraits) Le Cap

    A lors que Nelson Rolihlahla Mandelaentame les six derniers mois de sonextraordinaire rle historique de premierprsident de lAfrique du Sud dmocratique [sonmandat prendra n en mai1999], il y a une chosedont ses compatriotes peuvent tre srs: il pour-suit sa tche comme un homme fermementdcid respecter les dlais et atteindre lesobjectifs extrmement ambitieux quil sest xspour les cinq annes de son mandat. Nous lavonsrencontr Pretoria, et plus prcisment Mah-lamba Ndlopfu, la rsidence historique desanciens prsidents et Premiers ministres natio-nalistes blancs, autrefois appele Libertas.

    Chaque jour, le prsident se lve vers 4heures son domicile de Johannesburg, puis il parcourtla plupart des journaux, avant de donner ses pre-miers coups de l de la matine. Son secrtairede presse, Parks Mankahlana, 34ans, est lun despremiers tre tir du lit, gnralement vers5heures du matin. Si lappel ne vient pas dunjournaliste tranger compltement inconscientde lheure locale, il vient de Mandela lui-mme.Le problme avec ces appels aux aurores, se lamenteMankahlana, cest que le prsident a dj lu la presseet quil se met men parler, alors que ce devrait trele contraire. Cest trs dicile de suivre son rythme.Et dire quil a 80ans!

    Ce jour-l, immdiatement aprs le petitdjeuner, Mandela sest rendu en voiture la Pre-sidential Guest House, Bryntirion, le quartiero rsident les principaux membres du gouver-nement, pour recevoir les lettres de crance dediplomates trangers. Notre entretien tait prvu 10heures, mais on nous avait prvenus quuneaudience accorde la dernire minute degrands propritaires terriens trs en colrecontre la srie apparemment interminable demeurtres dans les campagnes pourrait entranerquelque retard.

    La grande btisse dresse sur la colline deMagaliesberg, qui jouit dun panorama specta-culaire, est reste peu prs en ltat lex-ception du portrait de Mandela suspendu danslentre. La belle collection duvres de Pier-neef, de Gwelo Goodman et de Maggie Laubser,entre autres artistes connus, couvre toujours lesmurs entre les prcieuses armoires et tables afri-caines. On est loin de ce qui se passe dansdautres pays, comme le Zimbabwe ou la Zambie,qui ont, aprs lindpendance, dpouill la plu-part des bureaux et rsidences ociels de toutce qui rappelait le pass, en y entassant un bric--brac sans valeur et de mauvais got. Mandelaa bonne mine. Seuls son pas hsitant et son

    appareil auditif trahissent ses troubles physiques.Mais de cela on ne saperoit mme pas, tant lahaute et lgante silhouette a conserv son auramythique. Cependant, la gravit des problmesauxquels est confronte lAfrique du Sud na, elle,rien de mythique. Leadership est all la ren-contre du prsident pour lui poser quelquesquestions qui, on lespre, permettront dallerau-del des excs agorneurs dont ont faitpreuve certains mdias ces derniers temps.

    Il vous reste encore six mois diciles ceposte. Le temps vous est compt, et vous sereznormment sollicit. Quelles seront vospriorits?Nelson Mandela. Il ny a aucun dossier plusimportant que dautres. Cependant, la prioritest damliorer la vie de notre peuple. Cest celaque nous sommes attachs et, compte tenu denos ressources limites et de notre manque totaldexprience gouvernementale, je pense que nousnous en sommes trs bien sortis, en particuliersi lon se souvient de la mise en garde que javaislance avant les lections, savoir que lamlio-ration des conditions de vie de notre peuple nepeut se raliser du jour au lendemain, et quil fau-drait sans doute cinq autres annes avant denvoir les rsultats. Cela tant, aucun gouverne-ment, en trois cent quarante-six ans de prsenceblanche dans ce pays, na rendu service au peuplecomme celui-ci la fait en quatre ans. Cest vrai,nous aurions pu aller plus vite. Nanmoins, nousavons fait des progrs.

    Au l des ans, le vice-prsident [Thabo Mbeki,successeur dsign de Mandela] a mis quelquescritiques lgard des milieux daaires. Etvous? Comment jugez-vous leur action, concer-nant les aspects plus vastes des relationsraciales, du dveloppement ou de lgalit deschances?Les propos du vice-prsident ne sont pas dnusde fondement, mais je mempresse de les nuan-cer: les milieux daaires de ce pays ont nor-mment contribu lamlioration de la qualitde vie de notre peuple. Depuis ma sortie deprison, je ne cesse de leur rpter: je veux que

    vous aidiez orir des services la population, construire des cliniques, btir des coles. Ilsont si merveilleusement ragi que je dois recon-natre que, bien que je sois n et que jaie grandidans ce pays, je ne le connais en ralit pas trsbien, parce que pas un seul homme daaires narejet ma demande.

    On accuse les Noirs qui font des aaires desenrichir au dtriment des pauvres. Quenpensez-vous?Comment croyez-vous que ces gens puissentmettre en pratique lgalit des chances autre-ment quen se constituant un capital an de pou-voir en temps voulu crer des emplois pour lamasse ? On ne peut pas leur demander deconstruire tout de suite des usines et de donnerdu travail aux Noirs, alors quils viennent de crerleur entreprise et ont d sendetter parce quilsont contract des emprunts auprs des banqueset que les milliards quils grent ne leur appar-tiennent pas rellement.

    On a limpression que le foss entre richeset pauvres se creuse, quune lite noire nantiese constitue sans grande considration pourla masse, et que cela gagne mme larne poli-tique. L aussi, il y a dun ct ceux qui gou-vernent et de lautre ceux qui suivent. LeCongrs national africain (ANC) nest-il pasen train de perdre le contact avec sa basepopulaire?Jai mis de srieuses rserves ce sujet. Si CyrilRamaphosa [ex-dirigeant de lANC qui faisaitgure de possible dauphin de Mandela] fait desaaires, il se retrouvera dans une situationmeilleure que quelquun qui vit dans un campde squatteurs. Mais ce nest pas notre but. Le butest dintroduire lgalit, davoir une chance derussir ce que lon a entrepris, de sassurer quelon dgage des bnces an de crer desemplois pour la population. Il ne faut donc pasdire: si la situation de Cyril est bien meilleureque celle dun squatteur, cest que certains Noirssenrichissent alors que dautres sappauvrissent.Naturellement, un homme qui va participer lacration demplois doit disposer des fonds nces-saires pour cela. Et cest ce qui se passe.

    Votre raisonnement est dune logique irr-futable. Mais notre question est: lANC est-il conscient quil existe [au sein de lapopulation] le sentiment dun cart gran-dissant et gnant les sentiments revtant,comme vous le savez, une vraie signicationen politique?Il est vrai que ces sentiments existent. Mais, lors-quon les analyse, on saperoit quils sont trscreux. LANC ne serait plus en phase avec lamasse? Je pense que cest une ide fausse. Mais,comme partout ailleurs dans le monde, quand ily a une lection et un programme, les gens sion leur dit quon va amliorer leurs conditionsde vie sattendent vivre le lendemain dansdes palais, toucher des salaires qui leur per-mettront de rsoudre toutes les dicults socio-conomiques auxquelles ils sont confronts.Cest ce qui explique leurs sentiments. Mais,lorsquon se rend dans les camps de squatteurs

    Il ny a pas de dossier plusimportant que dautres.

    La priorit est damliorer la viede notre peuple

    Le testament politiqueEn 1998, peu avant la n de son mandat, Nelson Mandela, prsidentinfatigable, dressait un premier bilan de son action lors dun entretienaccord un mensuel sud-africain.

    Le 18 septembre2012, des mineurs de Marikana se rjouissentde laugmentation de salaire quils ont obtenue. La grve dans la minede platine a fait plus de quarante morts. Photo Alexander Joe/AFP

  • Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 NELSON MANDELA. 15

    pour expliquer (comme nous lavons fait) ettenir le langage suivant: voici notre problme,voici les rsultats que nous avons obtenus, nousaurions voulu faire plus de progrs, mais nousavons rencontr des dicults, et, malgr tout,voil ce que nous avons fait, alors, la n dudiscours, la foule applaudit. Toutes lessemaines, rellement, jemmne des hommesdaaires dans les campagnes pour quils yconstruisent des cliniques et des coles, et ilfaut voir quel point ces hommes ont russi remonter le moral de notre peuple ! Cettesemaine, je vais conduire un groupe de repr-sentants dune banque bien connue au Trans-kei, dans un endroit o cinquante personnesont trouv la mort dans un accident dautocar.Jai demand aux gens du coin: que voulez-vousque je fasse? Ils mont rpondu: nous voulonsune clinique. Alors, je vais emmener des ban-quiers pour quils y construisent non seulementune clinique, mais aussi une cole. Cest cegenre de choses qui a lieu dans tout le pays. Ungouvernement se fait avant tout apprcier parles services quil rend la population. Et, je lerpte, depuis1990, depuis ma sortie de prison,aucun homme daaires, ou presque, ne majamais dit non.

    Il ne fait aucun doute que cela est d au rleextraordinaire que vous jouez dans ce pays.Mais quen sera-t-il aprs votre dpart?Prenez le ministre de lEau, le Pr Kader Asmal: aucun moment de notre histoire ce portefeuillena eu autant dimportance quaujourdhui. Nousavons fourni de leau potable 2,6millions depersonnes. Ce nest pas Mandela qui la fait, cestKader Asmal. Prenez encore Trevor Manuel [leministre des Finances] : il a su gagner laconance des conomistes et des institutionsnancires de ce pays et du monde entier. Ce

    nest pas Mandela qui a russi cela, cest TrevorManuel. Voyez Alec Irwin au Commerce et lIn-dustrie: o quil aille, il reoit un accueil cha-leureux en raison de son action. Voyez levice-prsident Thabo Mbeki: nous avons l unhomme extrmement talentueux, cest un relatout pour nous, il est aujourdhui respect aussibien ici qu ltranger, et il joue un rle trsimportant sur ce continent et dans dautresrgions du monde. La question de laprs-Mandela ne se pose absolument plus. Je penseque les louanges sont davantage une marque derespect pour un vieil homme quautre chose.

    Jamais, avant vous, on na vu dans lhistoirecontemporaine un homme faire lobjet dunetelle vnration travers le monde. Comment,sur le plan motionnel, faites-vous face unetelle adulation? Comment peut-on encoregarder une certaine humilit?Cest un hommage rendu non pas une personneen particulier, mais lensemble du peuple sud-africain. Je viens tout juste de dire aux agricul-teurs, ici mme, que nous avons transformlAfrique du Sud, faisant dun pays pestifr unpays considr comme un miracle, en dpit denos problmes, et cela nest pas luvre dunindividu mais de tous les Sud-Africains. Cest lemouvement de libration qui a men la luttepour ces changements, mais la transformationnaurait jamais eu lieu sans la coopration de

    tous les Sud-Africains, noirs et blancs. Les com-pliments, par consquent, ne sadressent pas un individu mais au pays tout entier.

    Pendant votre sjour en prison, et mme durantla priode qui a suivi votre libration, le mou-vement tenait un discours socialiste. Aujourdhui,il semble quil se soit converti trs sincrementet trs srieusement aux principes fondamen-taux du capitalisme. Personne naurait prvuun tel virage. Votre exprience gouvernemen-tale a-t-elle chang vos convictions?Non, nous refusons simplement les tiquettes.Il ne sagit pas de mettre en uvre le capitalismeou le socialisme. Ce qui nous intresse, cest detrouver des solutions ralistes nos problmes.Libre aux autres de nous coller des tiquettes. Siles gens rclament des maisons, nous ne nousdemandons pas: voyons, que dit la thorie socia-liste sur cette question? Nous disons: voil, nousavons tant de ressources, alors nous pouvonsconstruire tant de maisons. Il nest absolumentpas question didologie. En ce qui concernelconomie, si nous disons: privatisons, ce nestpas par idologie. Nous examinons la situationdes entreprises publiques et nous disons: celle-ci perd de largent et nest pas dirige avec e-cacit, donnons-la aux gens qui possdent laformation et lexprience ncessaires. Nous ana-lysons les problmes avec objectivit. La ques-tion nest pas dabandonner une dmarchesocialiste au prot du capitalisme, mais de fairepreuve de pragmatisme, de dire que tel problmepeut tre rsolu de telle faon.

    Les Blancs, assaillis de craintes, migrent enmasse. Que pouvez-vous leur dire pour quilsvoient leur avenir ici dun autre il?Dans tous les pays coloniss, lorsque des change-ments dmocratiques surviennent, lancienneclasse dirigeante prfre partir. Les minorits onttrs peur et quittent le pays. Cest ce qui est arriven Afrique et en Asie. Mais, une fois que ces genssaperoivent que tout se passe normalement, queleurs craintes sont infondes, ils reviennent. Cheznous, nombreux sont ceux qui sont partis parcequils ntaient pas prts accepter le nouvel ordre.Autre cause de dpart: la criminalit. Mais je nedoute pas que beaucoup reviendront, une foisconscients que leurs peurs ne sont pas fondes etquon soccupe de ce problme. Et nous sommeseectivement en train de nous en occuper. Il fautcouter les dclarations qui ont t faites par lundes porte-paroles des milieux agricoles. Il a dit:cest mon pays, et, quelles que soient mes inqui-tudes concernant la criminalit et, en particu-lier, les meurtres dagriculteurs, cest mon pays;jy reste, je ne vais nulle part ailleurs. Quand onvoit ceux qui sont fermement dcids rester dansleur pays, on se rend compte que ceux qui lontquitt ne reprsentent quune inme minorit.Nanmoins, nous voulons quils reviennent, avecleurs comptences.

    Croyez-vous la renaissance africaine?Oh! oui. Absolument. Je suis un disciple du vice-prsident en matire de renaissance africaine.

    Hugh Murray et Paul BellPubli en 1998

    La question de laprs- Mandela ne se pose absolument plus

  • London Evening Standard (extraits)Londres

    A vec mon mari [Vidia Naipaul], nousvenons de traverser lAfrique. La derniretape de notre voyage nous mne ennen Afrique du Sud, pays dsormais indissociabledu nom de Mandela. A lorigine, mon poux hsi-tait un peu venir ici, mais il a ni par couter soninstinct. Nous sommes arrivs Soweto, devantla porte de lnigmatique Winnie Mandela, unefemme aussi souvent acclame que vilipende.

    A la n des annes 1980, Winnie stait entou-re de gardes du corps peu recommandables, leMandela United Football Club, qui semait la ter-reur dans Soweto. Le capitaine du club taitJerry Richardson, mort dans sa cellule en 2009alors quil purgeait une peine perptuit pour lemeurtre de Stompie Moeketsi, un gamin de 14ansenlev avec trois autres enfants et pass tabacdans la maison o nous serons bientt assis autourdune tasse de caf. Winnie a t condamne six ans de prison pour enlvement, peine quisera rduite en appel une simple amende. Lesmembres du gang ont par la suite arm devantla Commission vrit et rconciliation quelle avaitt linstigatrice de ce meurtre et quelle y avaitmme particip directement.

    Avant de devenir clbre, Winnie Mandelahabitait dans lune de ces troites ruelles surpeu-ples, bordes de petites maisons de brique et detle ondule. Soweto est toujours un townshipmajoritairement noir: les touristes le visitent enbus et sextasient devant ces rues associes lalibert, lapartheid et Mandela.

    Winnie possde dsormais une forteresseimpressionnante sur la colline. Le jardin, com-pos darbres et de bosquets, est impeccablemententretenu. Nous entrons directement dans unpetit vestibule encombr, monopolis par unhomme: Mandela. Il est partout. Cadeaux, por-traits, diplmes honoriques et lettres garnissentla moindre surface aux murs et sur le mobilier.

    Nous sommes un peu fbriles au momentdentrer. Notre contact a organis cette rencontreavec Winnie (ou Mama Mandela, comme on lap-pelle dans le township) par lintermdiaire de soncondent: clbre prsentateur de tlvision, laquarantaine peine sonne, et visiblement fer-vent disciple de la matresse de maison.

    Il nous invite nous asseoir et nous parle delleavec tendresse. Cette femme a forg la consciencepolitique dune gnration, arme-t-il. Son cou-

    rage, sa fougue et son enttement ont fait deuxdes hommes. Ils ont vu son intrpidit, les risquesquelle tait dispose prendre, les humiliations essuyer. Des humiliations qui nont pas pris navec lapartheid. Winnie Mandela a t mise lin-dex, diabolise et trahie, assne-t-il.

    Je suis crispe: mon poux naime pas quonle fasse attendre. Cest quelquun de pointilleux.Cest alors quelle apparat, grande, lgammentvtue de gris pastel, coie de sa fameuse per-ruque. Elle serre la main tendue de Vidia et lin-vite sasseoir ses cts. Elle madresse unsourire. Sa prsence lectrise latmosphre.

    Femme courage. Je fais ce que lon attend demoi. Je lui demande si elle est satisfaite de la tour-nure que prennent les choses en Afrique du Sud.Winnie se tourne vers Vidia. Est-ce la vrit quilveut entendre? Elle a entendu parler de lui. Il veutla vrit ou tout au moins sen approcher le plusprs possible. Non, elle nest pas satisfaite. Et ellea ses raisons. Jai entretenu la amme du mouve-ment, commence-t-elle. Vous tes passs dans letownship? Comme vous lavez constat, il est toujoursaussi sordide. Pourtant, cest ici que nous avons lancla premire pierre, ici que nous avons vers tant desang. Rien naurait pu arriver sans le sacrice dupeuple du peuple noir.

    Elle regarde Vidia dans lattente dune nou-velle question. Il ne dit rien, mais ses yeux noirsbrillent sous ses paupires tombantes. Elle pour-suit, les yeux rivs sur son visage.

    Le Congrs national africain (ANC) tait en exil.Tous ses leaders taient soit en fuite, soit en prison. Etil ny avait personne pour rappeler ces gens, au peuplenoir, lhorreur de sa ralit quotidienne; quand quelquechose daussi anormal que lapartheid devient une ra-lit quotidienne. Ctait notre ralit. Et quatre gn-rations ont vcu ainsi comme un peuple ni.

    Je sais que les responsables de lapartheid ontfait tout ce quils ont pu pour briser cette femme.Elle a subi tous les outrages. Ils sont venus la cher-cher une nuit et lont place en rsidence sur-veille Brandfort, ville frontalire de lEtat libredOrange, prs de 500kilomtres de Soweto.Ctait un exil, raconte-t-elle, quand toutes leursautres tentatives ont chou.

    Dans cette solitude, o elle a pass neufannes, elle recruta des hommes jeunes pour leparti. Juste sous leur nez, se souvient-elle en riant.La seule chose qui me peinait et minquitait, ctaitmes lles. De ne jamais savoir comment elles allaient.Jai le sentiment que ce sont elles qui ont vraiment souf-

    fert de tout cela. Pas moi, ni Mandela, cone-t-elle.0Winnie parle de Mandela avec dsinvolture,comme si ce nom ne comptait pas vritablementpour elle ou ne comptait plus. Pour ma famille,le nom de Mandela est un poids qui pse sur nos paules.Il faut que tout le monde comprenne que Mandela napas t le seul homme sourir. Il y en a eu beaucoupdautres, des centaines, qui ont moisi en prison et quisont morts. Notre lutte a compt beaucoup de hros,rests anonymes et mconnus, et il y en avait dautresaussi parmi le leadership, comme le malheureux SteveBiko, mort tabass, dans une atroce solitude. QuandMandela est entr en prison, ctait un jeune rvolu-tionnaire fougueux. Et regardez lhomme qui est sorti,dit-elle en prenant mon poux tmoin. Ce der-nier ne dit rien, se contente dcouter.

    Dicile de dboulonner une lgende vivante.Seule une pouse, une amante ou une matressejouit de ce privilge. Elles seules connaissentlhomme de lintrieur, ai-je pens.

    Mandela nous a laisss tomber. Il a accept unaccord qui tait mauvais pour les Noirs. Economi-quement, nous sommes toujours exclus. Lconomiereste trs blanche. Il y a quelques Noirs pour le sym-bole, mais beaucoup de ceux qui ont donn leur viepour ce combat sont morts sans en avoir peru les divi-dendes. Elle est peine. Son visage brun et lisse aperdu de sa douceur. Je ne peux pas lui pardonnerdavoir reu le Nobel [de la paix, en 1993] avec songelier, Frederik DeKlerk. Ils y sont alls la main dansla main. Vous pensez que De Klerk la libr par purebont dme? Non. Il navait pas le choix. Ctaitlpoque qui le dictait, le monde avait chang et notrelutte ntait pas un feu de paille. Ctait une lutte san-glante cest un euphmisme et nous avons versbeaucoup de sang. Je lai maintenue vivante avec tousles moyens dont je disposais.

    Nous ne doutons pas de ce quelle arme. Desimages qui ont fait le tour du monde nous revien-nent lesprit, et au sien aussi, jen suis sre.

    16. DOCUMENT Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013

    Lamertume de Winnie MandelaEn 2010, lcrivain V.S. Naipaul, Prix Nobel de littrature,et sa femme ont rencontr Winnie Mandela chez elle, Soweto. Rcit dune journe particulire.

    Bill Clinton etGordon Brown ftent le 90e anniversaire de Nelson Mandelalors dun dner en son honneur Londres.Photo Dan-ve M. Benett/Getty Images

    LE GRAPHISTEGARTH WALKERInstall Durban, le graphiste GarthWalker a ralis, en sinspirant de limagerie populairedAfrique du Sud, les grands portraits de Nelson Mandela qui accompagnentnotre dossier. Garth Walker a fond deux des principalesagences du graphismesud-africain, OrangeJuice Design, en 1994,et, plus rcemment,Mister Walker.

  • Regardez cette farce quest la Commission vritet rconciliation. Il naurait jamais d accepter. Unefois encore, Nelson Mandela est lobjet de sacolre. Quest-il sorti de bon de la vrit? En quoiaide-t-elle les gens savoir o et comment leursproches ont t tus ou enterrs? Quand larchevqueTutu, qui a fait de tout cela un grand cirque religieux,est venu ici, poursuit-elle en dsignant une chaisevide, il a eu le culot de me demander de comparatre.Je lui ai servi quelques vrits bien senties. Je lui aidit que si lui et sa bande de crtins taient assis l,ctait grce notre combat et grce MOI. Grce tout ce que moi et des gens comme moi avions faitpour gagner notre libert.

    Winnie a tout de mme comparu en 1997devant la Commission vrit et rconciliation,qui, dans son rapport, disait delle: La Commis-sion estime que Mme Mandela sest elle-mme renduecoupable de violations graves des droits de lhomme.

    Lorsque Desmond Tutu la prie instammentdadmettre que les choses avaient compltementdrap et de sexcuser, Winnie a ni par deman-der pardon la mre de Stompie.

    Quelquun apporte le caf. Nous buvons ensilence.

    Sur la touche. Je ne suis pas seule, reprend-elle.Les gens de Soweto sont encore avec moi. Regardezce quils lui font faire. Le grand Mandela. Il na plusni pouvoir ni mme voix au chapitre. Ils ont dresscette gigantesque statue de lui en plein milieu du quar-tier blanc le plus riche de Joburg, pas ici, o nousavons vers notre sang et o tout a commenc. Mandelaest devenu une fondation institutionnalise. On letrimballe dans le monde entier pour lever des fondset lui est tout content de jouer le jeu. LANC la missur la touche, mais le garde comme gure de prouepour sauver les apparences. Ses yeux lancent desclairs derrire ses verres griss. Pour elle, cestune trahison : rien na chang pour les Noirs, si

    ce nest que lapartheid a ociellement disparu.Tout en parlant, son regard se promne inci-demment sur un portrait de Mandela.

    La rumeur sest rpandue en Afrique du Sudquelle na pas pu le supporter ni mme le tou-cher durant les deux annes o ils ont tent desauver leur mariage, aprs sa libration, en 1990.Ctait dune grande tristesse.

    Si lui tait prt tirer un trait sur le pass, pardonner son pouse ses liaisons pendant quiltait en prison, ils navaient pourtant pas russi renouer le lien. Ils divorcrent en 1996, nayantvcu ensemble que cinq ans sur trente-huitannes de mariage. La rage de Winnie tait unhandicap terrible et son insoumission trop viru-lente pour tre exprime par des mots. Je neregrette rien. Je ne regretterai jamais rien. Si ctait refaire, je referais exactement la mme chose. DeAZ. Elle marque une pause.

    Vous savez, je me dis parfois que nous ntionspas susamment prpars. De notre ct, nousnavions rien plani. Comment aurions-nous pule faire? Nous avions peu dinstruction, et cela, leleadership ne ladmet pas. Peut-tre devrions-nousrevenir la case dpart pour voir ce qui na pasfonctionn.

    Au moment de nous lever pour prendrecong, nous apercevons une photographie deWinnie jeune, jetant un regard mlancolique auphotographe. Elle tait ravissante, et Mandelatait all la chercher. Mais la lutte est termine.Elle a rempli son contrat. Cest ni. Elle a tmise sur la touche, abandonne. Mais, comme lalibert na pas apport le rve promis au peuplenoir, elle continuera de tenter sa chance en poli-tique. De cela, je suis convaincue. Cette femmepeut encore assumer la part de risque associeau rve dun homme, quel quil soit.

    Quand je suis ne, ma mre a t trs due. Ellevoulait un ls. Je lai su trs tt. Jai donc t un garonmanqu. Je voulais devenir mdecin et je ramenaistoujours des enfants abandonns de lcole. Desenfants qui taient trop pauvres pour quon leur paiela cantine. Mes parents ne mont jamais rpriman-de pour cela et ne mont jamais fait valoir queux-mmes taient aux abois.

    Son regard sanime ds quelle parle du passet de ces souvenirs qui nont rien voir avec lalutte. Soudain, elle se tourne vers Vidia et luicone: Quand je suis seule, je ne peux pas mem-pcher de penser au pass. Le pass est toujoursvivant, l, dans ma tte. Elle pointe le doigt surson crne.

    Tout cela nest-il pas un grand gchis? Jaienvie de savoir. Quelque part, je soure pour elle.En tant que femme, je ressens limmense forcede transgression quil lui a fallu pour dpasser sasourance. Jai envie de lui dire que si javais tMandela, je lui aurais pardonn, mais je ne trouvepas le courage. Que me dirait Vidia si je lavais?

    Il est en train de lui dire au revoir. Mes yeuxsembuent. Instinctivement, elle se tourne versmoi, plante ses yeux dans les miens, et son regardsadoucit. Elle sapproche et me serre dans sesbras. Je sais ce que vous voulez me dire, me mur-mure-t-elle loreille, et de cela, je vous suis recon-naissante.

    Nadira NaipaulPubli le 8 mars 2010

    Courrier international n 1206 du 12 au 18 dcembre 2013 NELSON MANDELA. 17

    New Statesman Londres

    Lorsque jtais correspon-dant en Afrique du Sud,dans les annes1960, JohnVorster grand admirateur du rgimenazi, occupait la rsidence duPremier ministre au Cap. Trenteans plus tard, alors que jattendaisdevant les grilles, jai eu ltrangeimpression quelles taient gar-des par les mmes hommes. DesAfrikaners blancs vriaient mespapiers avec la conance de ceuxqui jouissent dun emploi stable.Lun deux avait en main un exem-plaire dUnlong chemin vers la libert,lautobiographie de Nelson Man -dela. Cest une vraie source dinspi-ration, ma-t-il expliqu. Mandelasortait de sa sieste. Heureux devous revoir, me lana-t-il avec ungrand sourire. Devant tant de grce,on se sent immanquablement bien.Il gloussait lide davoir t rigen saint. Ce nest pas le boulot pourlequel je me suis port candidat, ma-t-il assur.

    Avec une attitude empreinte derespect, il ne manquait pas de meremettre ma place. En voyantcomment il ne tolrait aucune cri-tique de lANC, jai compris pour-quoi des millions de Sud-Africainsallaient pleurer sa mort mais passon hritage. Je lui ai demandpourquoi les engagements pris tantpar lui-mme que par lANC aumoment sa sortie de prison, en1990,navaient pas t respects. Le gou-vernement de libration, avaitpromis Mandela, nationaliseraitlconomie hrite de lapartheid,y compris les banques. Mais, unefois au pouvoir, le parti a aban-donn son programme de recons-truction et de dveloppement visant radiquer la pauvret dans laquellecroupissaient la plupart des Sud-Africains. Lun des ministres sestmme vant de la politique that-chrienne mene par lANC.

    Cest exactement le contraire dece que vous avez promis en1994!Vous devez comprendre que nim-porte quel processus de transition estcondamn se transformer.

    Rares taient les Sud-Africains savoir que ce processus avaitcommenc dans le plus grandsecret plus de deux ans avant la

    libration de Mandela. A cette poque,le prisonnier tait personnellementengag dans de discrtes ngocia-tions.

    Au lendemain des lections dmo-cratiques de1994, lapartheid raciala pris n et lapartheid conomiquea pris un nouveau visage. [Ceux quitaient autrefois aux commandes]accordaient aux hommes daairesnoirs des prts des conditions gn-reuses, leur permettant de crer desentreprises lextrieur du primtredes bantoustans [provinces dans les-quelles taient parques les popula-tions noires]. Une nouvelle bourgeoisienoire a fait son apparition. Les res-ponsables de lANC sinstallaient dansde belles demeures. Et le foss secreusait entre les Noirs mesure quilse rduisait entre Noirs et Blancs.

    Les habitants des townships neconstataient gure de changementset subissaient toujours les expulsions,comme au temps de lapartheid.Certains exprimaient mme leur nos-talgie pour lordre qui rgnait souslancien rgime. Les ralisations des-tines amliorer la vie quotidienneen dliquescence, notamment dansle domaine scolaire, taient anan-ties par les extrmes et par la cor-ruption du nolibralisme que lANCsattachait mettre en place.

    Une fois la retraite, Mandela achang, mettant le monde en gardecontre les dangers de laprs-11sep-tembre que reprsentaient GeorgeW.Bush et Tony Blair. Je me demandecomment il a ragi au plerinageeectu par Barack Obama dans sacellule sur lle de Robben, un Obamaqui na toujours pas ferm le campde Guantanamo Bay.

    A la n de lentretien, Mandela matap lgrement sur le bras commepour me pardonner de lavoir contre-dit. Nous nous sommes dirigs verssa Mercedes couleur argent, qui seconfondait avec sa petite tte cou-ronne de cheveux gris, noye aumilieu dune cohorte dhommes blancsaux bras normes, des cbles dansles oreilles. Lun deux a lanc un ordreen afrikaans, et Mandela est reparti.

    John Pilger*Publi le 11juillet 2013

    * Journaliste australien, auteur notammentdu livre Freedom, Next Time, ainsi que du documentaire Apartheid did not die.

    Nul ne pleurera son hritageMandela na pas tenu ses promesses : il a engag son pays dansun systme nolibral qui engendre pauvret et corruption.

  • 18. Courrier international no 1206 du 12 au 18 dcembre 201318.

    Taux de suicide par tranche dge(nombre de morts pour 100 000 personnes, 2011)

    SOURCE : THE ECONOMIST, OCDE

    COREDU SUD

    CHINE

    JAPON

    OCDE

    NOUVELLE-ZLANDE

    806040200

    15-34 ans 35-64 65 et plus

    7 jours dansle monde.ROYAUME-UNI

    Ne condamnez pas The GuardianLe rdacteur en chef du quotidien britannique qui a publi les rvlations dEdward Snowden a rcemment comparu devant une commission parlementaire et pourrait tre poursuivi en justice. Ce serait une erreur.

    Remaniement ministriel ou coup dEtat?SOUDAN En annonant le 8dcembre la formation dun nouveau gouvernement, le pr-sident Omar El-Bchir a cr la surprise. Un remaniement tait certes attendu depuis novembre, rappelle le quotidien panarabe Asharq Al-Awsat. Mais en se dbarrassant de ses plus proches collaborateurs et f idles, et notamment du premier vice-prsident, Ali Ousmane Taha, lun des auteurs du coup dEtat de1989 qui avait port El-Bchir au pouvoir, celui-ci est all bien plus loin que ce qui tait attendu. Selon le prsident, Taha aurait volontairement prsent sa dmission pour ouvrir la voie un nouveau cabinet. Lopposition soutient quil sagit bel et bien dun limogeage et qualifie ce changement ministriel de coup dEtat retant les tensions au sein du parti au pouvoir, le Parti du congrs national (NCP), et le souci dEl-Bchir dcarter tout concurrent potentiel.

    Un mauvais accord pour Ankara

    U N I O N E U ROP E N N E Le 16dcembre, la Turquie signera avec lUE un accord qui lance

    le processus visant mettre un terme lobligation de visas impose ses ressortissants. En change, Ankara sengage accueillir les migrants entrs illgalement dans lUE en pas-sant sur son territoire, dont la demande dasile a t dboute. Laccord, dans les t i roirs depuis2012, est vivement cri-tiqu par Der Spiegel: o vont aller ces personnes alors que la Turquie est dj dborde par larrive massive de rfugis syriens? sinterroge lhebdoma-daire. Le drame de Lampedusa na fondamentalement rien chang: lUE maintient le cap de sa politique, savoir repousser le problme des demandeurs dasile nos frontires.

    Etre vieux, cest vraiment mortelCORE DU SUD Cette anne, plus de 4000 Sud-Corens de plus de 65ans se sont suicids, soit cinq fois plus quen 1990 et presque quatre fois plus que la moyenne des pays dvelopps, note The Economist, et pourtant ces sui-cides silencieux suscitent moins lattention que ceux commis par les adolescents. Le gouvernement commence timidement dgager des fonds pour prvenir les suicides de vieux. Les 2,5mil-lions de dollars en question ont notamment permis de former 8000soignants dtecter les signes prcurseurs; dans cette population, en eet, les suicides sont soigneusement prpars.

    SOURCE

    FINANCIAL TIMESLondres, Royaume-UniQuotidien, 293000 ex.Le quotidien de la City, reconnaissable ses pages saumon, a ft son 125e anniversaire cette anne. Laustrit et le srieux caractrisent depuis sa cration ce titre qui dfend avec talent lconomie librale.

    Financial Times Londres

    Depuis six mois, les gou-vernements occidentaux sont rgulirement bran-ls p