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L’idée est généreuse : mettre à la portée de tous l’enseignement des meilleures universités du monde. Depuis quelques mois, Columbia, Princeton, Harvard, l’université de Londres ou encore l’Université hébraïque de Jérusalem propo- sent gratuitement certains de leurs cours en ligne sous forme de clips vidéo. La seule condition pour s’inscrire : avoir une adresse électronique. Les étu- diants sont incités à participer à des forums en ligne et à constituer des groupes de travail, afin de discuter entre eux comme dans une “vraie” classe. Ensuite, il faut travailler dur, comme en témoigne le journaliste américain Kevin Charles Redmon, qui a suivi, pour le magazine britannique Prospect, un module de programmation assuré par un chercheur de l’université de Virginie. Car les cours et les examens sont identiques à ceux proposés sur les campus. Les principaux sites créés cette année – Udacity, Coursera et edX – comptent déjà près de 3 millions d’étudiants à eux trois. Mais le succès de ces start-up est encore loin d’être assuré. D’abord, parce qu’elles ne déli- vrent pas de diplômes, mais de simples certificats dont on ignore s’ils seront appréciés par les employeurs. Ensuite, leur modèle économique reste flou. Si elles ne trouvent pas les moyens de gagner de l’argent, elles risquent de devoir renoncer à ce qui fait leur spéci- ficité : la gratuité. Service Transversales àlaune 36. Courrier international n o 1148 du 31 octobre au 7 novembre 2012 HARVARD POUR TOUS Dessin de Tomasz paru dans Walenta, Pologne.

Harvard Pour Tous - Courrier International 1148 31 Octobre-7 Novembre 2012

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Page 1: Harvard Pour Tous - Courrier International 1148 31 Octobre-7 Novembre 2012

L’idée est généreuse : mettre à la portée de tous l’enseignement des meilleuresuniversités du monde. Depuis quelques mois, Columbia, Princeton, Harvard,l’université de Londres ou encore l’Université hébraïque de Jérusalem propo-sent gratuitement certains de leurs cours en ligne sous forme de clips vidéo.La seule condition pour s’inscrire : avoir une adresse électronique. Les étu-diants sont incités à participer à des forums en ligne et à constituer des groupesde travail, afin de discuter entre eux comme dans une “vraie” classe. Ensuite,il faut travailler dur, comme en témoigne le journaliste américain Kevin CharlesRedmon, qui a suivi, pour le magazine britannique Prospect, un module deprogrammation assuré par un chercheur de l’université de Virginie. Car lescours et les examens sont identiques à ceux proposés sur les campus.Les principaux sites créés cette année – Udacity, Coursera et edX – comptentdéjà près de 3 millions d’étudiants à eux trois. Mais le succès de ces start-up

est encore loin d’être assuré.D’abord, parce qu’elles ne déli-vrent pas de diplômes, mais desimples certificats dont on ignores’ils seront appréciés par lesemployeurs. Ensuite, leur modèleéconomique reste flou. Si elles netrouvent pas les moyens de gagnerde l’argent, elles risquent de devoirrenoncer à ce qui fait leur spéci- ficité : la gratuité.

—Service Transversales

à la une36. Courrier international — no 1148 du 31 octobre au 7 novembre 2012

HARVARDPOUR TOUS

↓ Dessin de Tomasz parudans Walenta, Pologne.

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L’UNIVERSITÉÀ PORTÉE DE CLICLes “cours de masse” en ligne et gratuits visent à démocratiserl’accès à l’enseignement supérieur.Certains des établissements les plus prestigieux au monde ont décidé de jouer le jeu.

—Prospect (extraits) Londres

ituée au cœur du désert Mojave, dans leNevada, à quarante minutes au sud deLas Vegas, Primm compte trois casinos,une montagne russe et un centre com-mercial géant spécialisé dans la mode dis-count. Au printemps 2005, Sebastian Thrun,

professeur de robotique à l’université Stanford,et David Stavens, l’un de ses étudiants les plusprometteurs, ont débarqué ici pour tester Stanley,un Volkswagen Touareg capable de se conduiretout seul. L’objectif : préparer le Grand Challengede l’Agence américaine pour les projets derecherche avancée de défense (Darpa), qui offrait2 millions de dollars à l’équipe dont la voiture-robot gagnerait une course de 212 kilomètresdans le désert.

“On passait beaucoup de temps dans la voiture àne rien faire d’autre qu’attendre, se souvient Thrun.Quand quelque chose allait de travers, l’un de nousdeux codait comme un fou. Le reste du temps, on dis-cutait.” Les privilèges étaient l’un de leurs sujetsfavoris. “Ça revenait le soir, dans les chambres d’hô-tel des petites villes où nous dormions : ‘L’enseignementsupérieur a été un système super pour nous, maisil est en panne. Qu’est-ce qu’on peut faire ?’” Enoctobre, Stanley remporte la victoire en un peumoins de sept heures. Mais Thrun et Stavensn’ont toujours pas résolu le problème des privi-lèges universitaires.

Quelques années plus tard, Thrun – une célé-brité dans le monde de l’informatique – accepteun poste de chercheur associé chez Google, oùil participe au développement du service StreetView et fonde Google X, le laboratoire secretd’où sortent des technologies futuristes. De soncôté, Stavens poursuit ses travaux au sein dulaboratoire d’intelligence artificielle de Stanfordet, en 2011, il obtient un doctorat. La même année,Thrun assiste au discours de Salman Khan lorsde la conférence TED [Technology, Entertainmentand Design], le festival international des idées[organisé tous les ans à Monterey, en Californie].Après avoir commencé sa carrière comme ana-lyste pour un fonds spéculatif, Khan a découvertsa vocation : réinventer l’enseignement pour lagénération numérique. La Khan Academy pro-pose en ligne 3 000 tutoriels vidéo gratuits

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←Dessin de Pierluigi Longo, Italie.

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Plus exactement, je traînais au lit, et Evans, unprofesseur d’informatique de l’université deVirginie, traînait sur mon écran d’ordinateur, oùje pouvais d’un clic l’interrompre au beau milieud’une phrase pour aller me servir une autre tassede café.

“Introduction à l’informatique : concevoir unmoteur de recherche” est l’un des premiers coursproposés par Udacity. Pendant sept semaines auprintemps dernier, Evans m’a appris, ainsi qu’à30 000 autres personnes, à maîtriser suffisam-ment Python – un langage informatique de base –pour pouvoir créer un mini-Google. Nous avonscommencé par les fondamentaux, comme la

Le secteur des massive open online courses(“cours de masse en ligne et ouverts” ou “coursen ligne ouverts multi-apprenants”) a brus-quement pris une ampleur inattendue cetteannée, avec l’arrivée de trois nouveaux acteursprestigieux.

UdacityLa société a été créée en janvier 2012 parSebastian Thrun, ex-chercheur en informa-tique de l’université Stanford, qui a investi200 000 dollars dans l’affaire. La société decapital-risque Charles River Ventures a de soncôté apporté 5 millions de dollars. Udacity pro-pose 14 cours, dont “Comment monter unestart-up” ou “Cryptographie appliquée”.

CourseraCette start-up a été fondée en mars 2012 avecle soutien de deux fonds de capital-risque,Kleiner Perkins Caufield &  Byers et NewEnterprise Associates, qui ont investi 16 mil-

lions de dollars. Elle compte 33 établissementspartenaires, dont de prestigieuses universi-tés américaines (Columbia, Princeton, Stan -ford…), mais aussi l’Université hébraïque deJérusalem, l’université de Melbourne, l’Ecolepolytechnique fédérale de Lausanne ou l’uni-versité de Londres.Actuellement, 200 cours sont accessibles, dont“Mythologie grecque et romaine”, “Neuro -sciences computationnelles” ou “Introductionà la guitare”.

edXCette entreprise à but non lucratif a été fondéeen mai 2012 par Harvard et le MassachusettsInstitute of Technology (MIT), qui ont chacunapporté 30 millions de dollars. L’université deCalifornie à Berkeley et l’université du Texassont partenaires, d’autres devraient les rejoindre.Il est pour l’instant possible de s’inscrire à7 cours, dont “Introduction à la chimie dusolide” ou “Intelligence artificielle”.

Zoom

Rien qu’aux Etats-Unis, rappelle-t-il, la dette étu-diante se monte à 1 000 milliards de dollars – unesomme plus importante que la dette des titu-laires de cartes de crédit. Pour Thrun, le systèmed’éducation actuel, avec ses barrières, ses privi-lèges et ses grandes inégalités, n’est plus défen-dable. “J’ai longtemps pensé : je suis à Stanford, lameilleure université au monde, je suis un bon prof.Mais, aujourd’hui, je ne peux plus enseigner à Stanford.C’est impossible.”

Il y a quelques mois, un samedi matin pluvieux,Dave Evans et moi traînions au lit. Il essayait dem’expliquer les fonctions récursives (pour laquatrième fois) et moi, je faisais mes devoirs.

1,75million de personnes sont inscrites sur Coursera, annonce le compteur affichésur la page d’accueil du site. La start up,fondée en mars dernier, a mis en ligne 200 cours proposés par 33 écoles et universités de plusieurs pays. Parmi elles,l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, dont certains cursus sont en français.

↓ Dessin de StuartBryers, Royaume-Uni.

sur tout et n’importe quoi, de Cézanne àla stœchiométrie, dont beaucoup présentés parKhan lui-même. “Je me suis senti gêné, se souvientThrun. Je faisais cours à 200 étudiants à Stanfordalors qu’un ex-banquier enseignait à 200 000 per-sonnes…”

En août 2011, Thrun et deux de ses collèguesde Stanford, Daphne Koller et Andrew Ng, met-tent en ligne trois cours d’informatique de l’uni-versité. Leur idée est simple : ceux qui suivraientle cours depuis un cybercafé de Budapest, deBangalore ou de Bakersfield recevraient le mêmeenseignement et passeraient les mêmes examensque les étudiants de premier cycle assis dans lesamphithéâtres de Stanford. Et ils seraient notéstout aussi sévèrement.

Dans l’espoir de susciter un peu d’intérêt pourson cours, Thrun envoie un bref courriel à unepoignée de collègues. A son réveil, le lendemainmatin, 5 000 personnes se sont déjà inscrites.“Tout s’est alors précipité”, racontera plus tardThrun, lors de la conférence Digital Life Designà Munich, en janvier 2012. “Nous avons constituéune petite équipe technique. Nous avons conçu unsite Internet vraiment laid. Et nous avons commencéà nous filmer jour et nuit.” Parler devant une caméran’a rien à voir avec un cours en amphithéâtre.Combiner les croquis, les commentaires horschamp et les gros plans est un vrai cauchemarde perfectionniste. Un seul cours peut nécessi-ter dix à quinze heures d’enregistrement. Thrundemande à Stavens de l’aider à concevoir le logi-ciel du cours, et l’équipe se lance.

La classe se vide. Lorsque le cours commence,le nombre d’inscriptions a atteint 158 000. Ellesviennent de tous les pays du monde, hormis laCorée du Nord. Puis une chose étrange se pro-duit sur le campus. “Le premier jour, il y avait200 étudiants en classe. Et, deux ou trois semainesplus tard, ils n’étaient plus que 30.” Thrun se ren-seigne à gauche et à droite. “Ils ont tous expliquéqu’ils me préféraient en vidéo. Sur la vidéo, ils peu-vent me faire revenir en arrière.” Le cursus surInternet permet également aux étudiants d’êtreinterrogés et notés automatiquement, à uneéchelle jusqu’alors inenvisageable. Quelque23 000 étudiants finissent par réussir l’examensanctionnant le cours d’informatique de Thrun.Un peu plus de 1 % d’entre eux obtiennent d’ex-cellentes notes. Aucun n’est de Stanford.

A la fin de son discours à Munich, Thrunconfirme qu’il a démissionné de son poste àStanford. Il préfère consacrer son énergie à unenouvelle société baptisée Udacity. Le site pro-posera gratuitement des massive open online courses[MOOC, “cours de masse en ligne et gratuits”]aux 99 % du monde entier [référence au slogandu mouvement Occupy “Nous sommes les 99 %”],qu’ils soient experts ou ignares en technologie.

L’enseignement en ligne ne remplaceabsolument pasl’enseignement de grande qualitédispensé par les universités d’élite.Si les gens paient50 000 dollars pours’inscrire par exemple à Caltech [Institut de technologie de Californie], c’estparce que la valeurréelle des cours neréside pas dans leurcontenu, mais dansles interactions avecles professeurs et lesautres étudiants.” ANDREW NG,cofondateur de Coursera (Slate)

“Les employeurs se fient aux diplômesparce que c’est unmoyen rapide d’évaluer les 300 candidats qui postulent pour unemploi, mais dès qu’ilexistera un mécanismejouant le même rôle,l’empire des diplômessera mort.”DAVID WILEY,professeur de psychologie et de technologie à l’université BrighamYoung, spécialiste de l’éducation gratuiteen ligne.(The New York Times)

Trio de tête

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être pas énorme, mais ça veut dire qu’on a plus d’étu-diants qui suivent ce cours en Lettonie que sur lecampus de Stanford.” Stavens et ses associés nesont pas des évangélistes désireux de convertirles masses. Ils ne prêchent que ceux qui vien-nent à eux pour être sauvés. “Apprendre, c’est unpeu comme l’exercice physique. Cela donne de bonsrésultats mais exige beaucoup d’efforts. Et il est trèsdifficile de maintenir cet effort.”

L’examen final de “Concevoir un moteur derecherche” consistait en huit questions normaleset trois questions étoilées. Je n’ai fait qu’une bou-chée des neuf premières, mais pour la dixièmeil fallait concevoir un programme capable detransformer un mot mal écrit – “Prspoect” parexemple – en sa forme correcte, “Prospect”. Levendredi précédant l’échéance, j’ai passésept heures dans un café à essayer de trouverune solution. A l’heure du dîner, j’avais envie debalancer mon ordinateur par la fenêtre. J’avais60 lignes de code bancales et un programme quine fonctionnait que de manière sporadique. Ledimanche soir, j’ai fini par capituler et j’ai cliquésur “Envoyer”. En attendant que les robotsd’Udacity corrigent mes réponses, j’ai envoyé laquestion étoilée à mon petit frère, Joe, qui estdiplômé en informatique. Il a mis six minutes àrésoudre le problème et m’a envoyé 13 lignes decode, avec ce commentaire : “C’est vraiment unetrès belle solution.” Mais le diplôme de Joe a coûté200 000 dollars [155 000 euros], plus les fraisde bibliothèque. Moi, pour 2,73 dollars hors taxes,je peux squatter le café à côté de chez moi etchoisir tous les cours d’Udacity que je veux.

Les MOOC sont à la mode dans la Silicon Valley.Si Thrun a quitté Stanford pour lancer Udacity,ses collègues Daphne Koller et Andrew Ng ontpréféré nouer un partenariat avec l’universitéafin de développer leur propre site, Coursera.Comme Udacity, Coursera a commencé par descours d’informatique – sur les “compileurs” etles “automates” –, en partie parce que c’était ceque Koller et Ng savaient enseigner. Mais, contrai-rement à Udacity, Coursera propose des coursissus d’un ensemble d’écoles de l’Ivy League [huitdes plus prestigieux établissements du pays],dont Princeton et l’université de Pennsylvanie.Le catalogue comprend des introductions à la

sociologie, à la pharmacologie et à la neurologiecomportementale. La poésie a démarré en sep-tembre, tout comme la mythologie grecque etromaine. Et, de crainte de passer pour des conver-tis tardifs, Harvard et le MIT ont récemment pré-senté leur propre université en ligne, edX, àlaquelle ils ont octroyé 60 millions de dollarsde financement initial.

Jusqu’à présent, les universités étaient réti-centes à mettre leurs cours en ligne. Au mieux,les vidéos prenaient de la place sur le serveur etgrignotaient les heures de bureau d’un profes-seur ; au pire, elles diluaient la marque Ivy League.Aujourd’hui, les universitaires entreprenantstiennent à présenter longuement leurs recherchesou à monter sur scène devant 10 000 étudiants.Quant aux administrateurs, ils comprennentqu’adopter Internet n’entache pas la réputationd’une université. Bien au contraire, cela témoigned’un esprit visionnaire – ce qui permet de leverplus facilement des fonds. Et puis, honnêtement,quand Harvard décide de jouer pique, vous nepouvez que suivre.

Réticences. Au Royaume-Uni, l’accueil desMOOC a été moins chaleureux. (Un chercheuren informatique de l’université de York m’a mêmedit qu’il n’avait pas la moindre idée de ce dontje parlais.) “Nous en avons beaucoup discuté”,explique Michael Arthur, vice-chancelier de l’uni-versité de Leeds. “Devions-nous nous lancer aunom de l’intérêt public ?” Après tout, la technolo-gie est relativement peu coûteuse et les coursexistent déjà. “Alors, pourquoi suis-je plutôt réti-cent ? Parce que, même si l’on peut faire beaucoupde choses en ligne, je ne pense pas que cela permettede vivre une expérience [universitaire] complète. Jesuis fan des Rolling Stones. Vous pouvez téléchargerbeaucoup de chansons des Rolling Stones sur Internet.Mais rien ne remplacera jamais un concert.”

Les enseignants d’un certain âge se souvien-nent peut-être de Fathom, le portail d’appren-tissage en ligne à but lucratif de l’universitéColumbia, qui comptait parmi ses partenaires laLondon School of Economics, la CambridgeUniversity Press et le British Museum. Après avoirflambé 25 millions de dollars et recruté à peine65 000 étudiants en trois ans, le portail a été ferméen 2003. Quant à l’Open University [universitébritannique d’enseignement à distance fondéeen 1969], elle a certes rencontré un grand succèsavec ses cours payants en ligne. Reste à savoircomment elle s’en sortira face à un concurrentcomme Udacity, dont les cours sont gratuits. LesMOOC, qui acceptent tout le monde, ciblent engrande partie les mêmes étudiants que l’OpenUniversity. “C’est l’équité ultime, non ?” commenteSteven Schwartz, vice-chancelier de l’universitéde Macquarie, en Australie, dont le blog traitesouvent du mariage de l’enseignement et dela technologie. “Chacun a sa chance. Votre

↓ Dessin de StuartBryers, Royaume-Uni.

↓ Dessin de StuartBryers, Royaume-Uni.

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,, différence entre un ordinateur et un grille-pain,entre les bits et les octets. Puis nous avons remontéle temps avec un petit cours d’histoire des nerds[fanas d’informatique], d’Augusta Ada King, lafille de Lord Byron et première “programmeuse”au monde, à PageRank, l’algorithme de recherchede Google.

Evans est le genre de savant qui, avec ses dentsdu bonheur et son humour à la Monty Python,est une idole sur le campus (il est également uncryptographe de renommée internationale).Thrun et Stavens l’ont découvert en novembre 2011,l’ont fait venir en Californie en décembre et, enjanvier, il était enfermé dans un studio d’enre-gistrement improvisé pour mettre son cours uni-versitaire au format Udacity.

Clips vidéo. En lieu et place de ses trois coursmagistraux de cinquante minutes par semaine,Evans devait concevoir une série de clips de cinqà dix minutes, chacun d’eux traitant un concepten particulier. Les tests devaient être convertisen modules en ligne, dont les questions à choixmultiples seraient automatiquement corrigées,tout comme les devoirs hebdomadaires, dontbeaucoup consistaient en l’écriture de lignescomplexes de code informatique. Les “questionsnormales” couvriraient les bases, tandis que lesproblèmes signalés par une “étoile d’or” per-mettraient aux meilleurs étudiants de se distin-guer. Pour chaque heure de cours mise en boîtesous forme de petits clips, Evans et son assis-tant enregistraient cinq ou six heures de vidéo.

“Concevoir un moteur de recherche” a com-mencé fin février. Au début, je suivais sans pro-blème. J’ai étudié dans une université américainecorrecte et j’aime à penser que mon cerveau agardé un peu de sa vivacité. Je me disais que monopiniâtreté compenserait mes éventuelles défi-ciences. Il fallait rendre les devoirs tous les mardissoir. Dès la troisième semaine, l’onglet “Progrès”m’informait que j’avais un bon B +. C’est alorsque je suis devenu paresseux. Je traînais surFacebook tout le week-end. Le mardi matin,c’était la panique. Pendant que je me saoulais delectures et que je me dépêchais de terminer mesdevoirs au Starbucks, tous ces débiles assis dansmon dos n’arrêtaient pas de parler. Ils ne voyaientpas que j’essayais de m’instruire ?

J’en ai parlé à Evans lorsque nous avons dis-cuté, en avril dernier. “L’un des moyens de garderplus d’étudiants serait d’exiger moins d’efforts etd’alléger le contenu des cours, m’a-t-il expliqué. Cen’est pas ce que nous avons voulu faire.” De fait, surles quelque 100 000 personnes inscrites au pre-mier cours, seules 30 000 ont validé la premièreleçon et à peine 10 000 ont réussi l’examen final.Un taux d’abandon de 90 %, ce n’est pas génialà première vue, mais bon, tout ce qu’Udacityexige pour s’inscrire, c’est une adresse mail.

Alors, à qui s’adresse Udacity au juste ? A cesadolescents négligés qui passent leur vie devantl’ordinateur, dans le garage de leurs parents, età des diplômés au chômage ? Je me suis inscritsur le forum de discussion pour le découvrir. Là,j’ai rencontré Azzam, d’Arabie Saoudite, Paveoliu,de Roumanie, Kerbaï, du Cameroun, Hafiz, duPakistan, et Svyatoslav, de Moscou, qui invitaittous les russophones à rejoindre son groupe detravail. “Les deux tiers de nos étudiants sont à l’étran-ger, relève Stavens, aujourd’hui PDG d’Udacity.En gros, un tiers sont américains, un tiers viventdans dix autres pays auxquels on pourrait s’attendre– Europe occidentale, Brésil, Extrême-Orient, Canada –et environ un tiers viennent de 185 autres pays. Nousavons 500 étudiants en Lettonie. Ça ne semble peut-

J’ai découvert que la plupart de mes étudiants n’avaientpas le choix entre un cours en ligne et une universitétraditionnelle, mais[…] entre un cours en ligne et rien du tout.”MITCHELL DUNEIER,professeur de sociologie à l’université de Princeton. Au printemps,40 000 étudiants de 113 pays ont suivi via Coursera sonpremier coursd’introduction à la sociologie. (The Chronicle ofHigher Education)

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demandent pas del’être – pour le moment.

Mais les coûts techniquesaugmenteront vite. Si Thrun

veut re penser l’éducation, il devrad’abord gagner assez d’argent pour

payer ses employés. Et si cela s’avèreimpossible ? Il devra soit se résoudre à

signer un contrat faustien et faire payer lesétudiants, soit financer Udacity de sa poche,

soit tuer sa propre créature. Thrun admet qu’ilexiste des obstacles, financiers et autres. “Parexemple, je ne pourrai pas vous apprendre à jouer autennis avant longtemps. L’exercice physique, la maî-trise d’un instrument de musique, ce sera difficile. Lapoésie pose sûrement plus de problèmes que l’histoire.L’histoire se fonde sur des faits, alors que la poésie estplus subjective.” Mais n’oublions pas que cet hommea appris à sa voiture à conduire toute seule. Est-ilsi difficile de créer un réseau international d’ex-cellents professeurs assistants disposés à noterdes rédactions sur Richard III ou sur la Révolutionfrançaise ? On le saura bientôt.

Chez Coursera, les premiers cours de scienceshumaines sont disponibles depuis cet automne.Ng envisage un système de “notation par les pairs”dans lequel des étudiants qualifiés se noteraiententre eux. Et avec le temps, qui sait ? Le traite-ment automatique du langage naturel (la capa-cité d’un ordinateur à analyser la grammaire d’untexte écrit) pourrait un jour permettre de repé-rer les participes flottants, la prose bancale etmême les idées éculées.

Le 6 avril dernier, Udacity m’a annoncé quej’étais reçu à l’examen “avec mention bien” et m’aenvoyé un certificat en format PDF avec monnom et un chouette petit robot dessus.

Personne ne prétend que les MOOC vont démo-lir la tour d’ivoire – Stanford n’accepte que 7 %des candidats, et il ne manque pas de famillesprêtes à payer les 53 298 dollars [41 200 euros]de frais annuels –, mais cela ne ferait pas de malde l’ébranler. Comme Thrun l’a rappelé dans sondiscours à Munich, la première université aumonde est née à Bologne en 1088. “A l’époque,trois cent cinquante ans avant Gutenberg, le coursmagistral était le moyen le plus efficace de trans-mettre les informations.” Puis il y a eu l’imprime-rie, l’industrialisation, Internet. Et pourtant, “lesprofesseurs d’aujourd’hui enseignent exactement dela même façon qu’il y a mille ans ! L’université a été,de façon surprenante, le lieu le moins innovant detoute la société.”

Thrun veut bouleverser un système sclérosé.Il veut une université faite de 1 et de 0 danslaquelle le roboticien d’envergure internationalede Palo Alto peut faire cours au retraité de Leeds,à l’infirmière de Caracas, à l’avocat de Beyrouthet aux gamins qui traînent dans un fast-food dePrimm, à quarante minutes au sud de Las Vegaset à 1 million de kilomètres de n’importe où.

—Kevin Charles Redmon

à quelle vitesse s’assécheront les sources d’op-timisme et de financement. Les star-up du Netont souvent besoin de plusieurs années pouratteindre l’équilibre – quand elles y parviennent.

Atteindre le “double objectif” – dégager desbénéfices et servir l’intérêt général – ne sera passimple. Udacity envisage de mettre en œuvre un“modèle fondé sur la commission de recrutement” :la société toucherait de l’argent chaque fois qu’elledécouvrirait un Mark Zuckerberg letton, puis lemettrait en relation avec, disons, Twitter ouAmazon. L’appétit de la Silicon Valley pour lestalents est insatiable, et Udacity dispose d’unimmense réservoir. Alors qu’un recruteur clas-sique touche généralement 20 % du premiersalaire annuel d’un programmeur, Udacity pour-rait demander moitié moins et gagner encoreassez d’argent pour satisfaire ses investisseurs.

Certificats payants. De son côté, Anant Agarwal,le président d’edX, a annoncé que le site ferapayer la délivrance des “certificats” : les courssont ouverts à tous, mais si vous voulez avoirune preuve écrite de votre réussite aux épreuves,vous devrez la payer. Enfin, Coursera envisageune autre possibilité : vendre sous licence descontenus estampillés “Ivy League” à de petitesécoles de second plan ou à des universités d’Etat.

“Les cours de masse en ligne sont des concurrentsqui perturbent le statu quo”, remarque RussWhitehurst, directeur du Brown Centre onEducation Policy de la Brookings Institution [ungroupe de réflexion américain]. “Que préférez-vous : suivre, en ligne, un cours sur Shakespeareproposé par quelqu’un qui est à la fois l’un des meilleursspécialistes au monde de Shakespeare et l’un desmeilleurs enseignants au monde, ou écouter leprofesseur de seconde zone qui enseigne dans votreuniversité locale ?”

Aujourd’hui, Udacity et Coursera peuvent gagnerdu temps grâce au capital-risque, et edX, grâce auxfonds de ses universités mères. Aucun de ces ser-vices n’est rentable, et les investisseurs ne leur

réussite n’est pas assurée, mais vous êtes assuréd’avoir une chance.” Pour les universités clas-siques, estime-t-il, les MOOC pourraient être unmoyen intelligent de recruter des étudiants aty-piques. Pourquoi les universités sélectives n’au-toriseraient-elles pas les candidats – notammentceux qui ont récolté de mauvaises notes dans lesecondaire – à montrer leur intelligence via lesMOOC ? “Imaginons que vous suivez un coursen ligne et que vous obtenez de bons résultats,conjecture Schwartz. On pourrait vous dire :‘C’est bon, vous avez fait vos preuves, onvous prend !’”

Pour l’instant, les Oxford et les Cam -bridge du monde entier hésitent encore.Et pas seulement pour des raisonsmorales. Il est évident que les coursà l’américaine se prêtent auxvidéos en ligne, contrairementaux cours d’Oxbridge [mot valisedésignant à la fois Oxford etCambridge]. “L’université a passémille ans à créer une sorte d’éco-système parfait dans lequel lesétudiants interagissent – lesdîners universitaires, le quadrila-tère [pelouse centrale], les clubs etsociétés, les pubs et tout le reste”,sou-ligne David White, codirecteurde Technology-Assisted LifelongLearning [centre de formation conti-nue axé sur la technologie] à Oxford. De fait,quelles que soient ses qualités, il n’y a pas depubs à Udacity. Un apprentissage solitaire peutconvenir pour Python, mais dans les matièreslittéraires la discussion est le cours. L’intimitéde la relation tuteur-étudiant à Oxford est laraison d’être de l’université. “C’est ce qui nouscaractérise, explique White. Il y a donc une tensionentre cette approche et le M des MOOC” – l’aspect“massif”.

Quand on suggère d’enseigner Sophocle etShakespeare à 100 000 étudiants, cela provoqueforcément quelques froncements de sourcils etquelques bruissements de toges sur les campus.Mais, sur Sand Hill Road [une route de MenloPark, en Californie, célèbre pour sa concentra-tion en fonds de capital-risque], cela fait dégai-ner les carnets de chèques. La dernière levée defonds d’Udacity lui a permis de récupérer 5 mil-lions de dollars. Coursera a empoché plus dutriple. Ce qui soulève une question : les MOOCne sont-ils que la dernière marotte des techno-idéalistes ? Il est difficile de ne pas se demander

PROSPECTLondres, Royaume-Uni Mensuel www.prospectmagazine.co.ukFondé en octobre 1995, ce magazineindépendant de centre gauche offre à un lectorat cultivé et curieux des articlesde grande qualité, avec un goût marqué pour les points de vue à contre-courant et les analyses contradictoires.

SOURCE

↓ Dessin d’Arnold Roth,paru dans le New Yorker,Etats-Unis.

Le problème, c’est que mon université [au Kazakhstan] étaitpetite, elle ne comptaitque 2 000 étudiants et ne proposait pas de cours en intelligenceartificielle.” ASKHAT MURZABAYEV,22 ans, a suivi le cours“Apprentissageautomatique” proposépar Stanford viaCoursera et a réussi à l’examen. Aujourd’hui,le jeune Kazakh travaillepour Twitter à Almaty.(Forbes)

“Andrew Ng [qui enseignel’apprentissageautomatique surCoursera] est l’un desmeilleurs professeursque j’aie jamais eus,même si je ne l’aijamais rencontré. ”CHRISTOS PORIOS,16 ans, vit àAlexandropoulos, en Grèce. Il caressel’idée d’étudier un jour à Stanford, aux Etats-Unis. (Stanford Magazine)

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Page 6: Harvard Pour Tous - Courrier International 1148 31 Octobre-7 Novembre 2012

Courrier international — no 1148 du 31 octobre au 7 novembre 2012 BLA BLA BLA.

BIENTÔT DES DIPLÔMES ?Quelques universités accordent des crédits validant les nouveaux cursus en ligne. Un premier pas vers la reconnaissance de ces formations.

—The New York Times (extraits) New York

lors que, depuis quelques mois, des mil-lions d’étudiants se précipitent sur les“massive open online courses” [MOOC– cours de masse en ligne et ouverts], lesspécialistes de l’enseignement supérieurse posent deux questions : les universi-

tés vont-elles accorder des crédits validant cescursus et comment pourront-elles empêcher lesétudiants de tricher ?

Début septembre, de premiers élémentsde réponse ont été apportés. Le GlobalCampus de l’Université d’Etat du Colorado[une université en ligne] a annoncé qu’ilaccorderait trois crédits transférables auxétudiants qui termineraient “Introductionà l’informatique  : créer un moteur derecherche”, un cours gratuit proposé parUdacity, et qui passeraient avec succès unexamen surveillé. Environ 200 000 étu-diants suivent ce cours. Global Campus estapparemment la première institution amé-ricaine à valider un cours Udacity, maisplusieurs universités européennes l’ontdéjà fait.

Parallèlement, edX, le partenariat enligne de l’université Harvard et duMassachusetts Institute of Technology(MIT), a annoncé que les étudiants ins-crits à ses MOOC allaient pouvoir passerleurs examens dans l’un des 450 centresde tests Pearson VUE qui existent dans110 pays, où leur identité pourra êtrevérifiée. Comme tous les organismes quiproposent des MOOC, edX délivre déjàdes certificats [mais pas de diplômes] auxétudiants qui ont réussi un examen en ligneet qui s’engagent sur l’honneur à ne pasavoir triché. Le nouveau certificat seraaccordé à ceux qui choisissent l’examensurveillé, pour lequel ils devront payer unesomme “modeste”, dont le montant n’a pasencore été précisé. Ces certificats payantsseront utiles aux étudiants qui veulent fairevaloir leurs compétences auprès d’unemployeur potentiel, estime Anant Agarwal,le président d’edX. Pour commencer, pré-cise-t-il, les examens surveillés ne serontaccessibles que pour un seul des sept coursproposés en ligne cet automne sur edXpar le MIT, Harvard et Berkeley.

Udacity a noué un parte-nariat similaire avecPearson VUE en débutd’année. Seuls les étu-diants qui passent leursépreuves dans un centrePearson VUE – en payant89 dollars pour les frais –pourront obtenir des cré-dits du Global Campusdu Colorado. Mais, selonBob Whelan, le président de

A

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Pearson VUE, il faudra un peu de temps avant quele dispositif ne soit opérationnel, tant pour Udacityque pour edX.

Coursera, un autre acteur du secteur, étudie deson côté d’autres moyens de vérifier l’identité desétudiants et de s’assurer que ce sont bien eux quirédigent leurs travaux. “Pearson est une solution,mais il y en a peut-être d’autres”, estime AndrewNg, cofondateur de la start-up. “Et nous sommeségalement en train de réfléchir à des programmesinformatiques de détection du plagiat.”

—Tamar Lewin

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