Upload
na-bo
View
71
Download
9
Embed Size (px)
Citation preview
RÉGIME GENERAL DES OBLIGATIONS
– 2009/2010 –
Informations pratiques
Bibliographie :
Une liste de manuels traitant du régime général des obligations a été
mise en ligne sur Moodle.
A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 2007
J. Carbonnier, Les obligations, PUF, 2000
M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 1 – Contrat et engagement
unilatéral, PUF, 2008
J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, 3 – Le rapport
d’obligation, Sirey, 2009
J. François, Régime général, Economica, 2000
J. Ghestin, M. Billiau, G. Loiseau, Le régime des créances et des dettes,
LGDJ, 2005
Ph. Malaurie, L. Aynes, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois,
2009
B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Régime général, Litec, 1999
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 2009
Introduction
Objet du cours = « régime général des obligations ». De quoi
s’agit-il ?
Notion d’« obligation » = connue. Une obligation (au sens du
droit des obligations, et non au sens générique du terme) c’est un lien
1
de droit en vertu duquel une personne, le créancier, peut
demander à une autre personne, le débiteur, de donner, de faire
ou de ne pas faire quelque chose.
En revanche, PB = sens de l’expression « régime général ».
L’expression « régime » des obligations, tout d’abord, s’oppose
aux « sources » des obligations. Le terme « régime » souligne ainsi que
l’objet du cours n’est pas de traiter de la naissance et de la validité des
obligations, mais du devenir des obligations d’ores et déjà créées. Le
cours de régime général des obligations complète donc celui du 1er
semestre, sur la théorie des contrats, ainsi que le cours de
responsabilité que vous suivrez parallèlement ce semestre.
Si l’on parle de régime « général », c’est que les règles que nous
allons étudier sont censées être applicables à toutes les obligations,
quelle qu’en soit la source.
Il existe en effet diverses sources d’obligations.
1. Une obligation peut tout d’abord résulter d’un acte juridique
(manifestation de volonté destinée à produire des effets de
droit). On parle alors en général d’obligation « contractuelle »,
car le contrat est le plus répandu et le plus connu des actes
juridiques, mais la catégorie est plus large : toutes les
conventions (ex : remise de dettes) + actes unilatéraux (un
testament par ex.)
2. Une obligation peut ensuite résulter d’un fait juridique
(événement quelconque, volontaire ou involontaire, auquel
une règle de droit attache des effets juridiques mais qui
n’ont pas été spécialement et directement recherchés par les
intéressés).
Au sein de cette catégorie on distingue les faits illicites et les faits
licites.
- Les faits illicites sont les délits et quasi-délits. Ils
recouvrent les situations dans lesquelles une personne
2
cause à autrui un dommage par sa faute, volontaire ou
involontaires (et l’on parle alors de responsabilité du fait
personnel), ou bien par l’intermédiaire d’une chose que la
personne avait sous sa garde (on parle de responsabilité du
fait des choses) ou encore d’une personne dont elle devait
répondre (et l’on parle de responsabilité du fait d’autrui).
Programme du cours de responsabilité. De manière
générale, ce type d’obligations est désigné sous le terme
d’obligations « délictuelles ».
- Les faits licites sources d’obligations sont enfin les quasi-
contrats. Le quasi-contrat est une situation de fait d’où
naît une obligation (en quoi il se rapproche du délit ou
quasi-délit), mais le régime de cette obligation est
calqué sur celui d’un acte juridique de référence (en
quoi il se rapproche de l’acte juridique). On raisonne
« comme si » il y avait un contrat, d’où l’expression de
quasi-contrat. Source souvent négligée dans
l’enseignement (ex : 40 pages dans le
Terré/Lequette/Simler, qui en fait près de 1500 !), mais qui
est d’une réelle importance pratique. D’où la nécessité d’un
bref rappel.
Rappel sur les quasi-contrats
Jusqu’à une période récente, il existait 3 types de quasi-contrats :
- La gestion d’affaires, prévue par le Code civil (art. 1372
s.), qui désigne la situation dans laquelle une personne –
le gérant – gère les affaires d’une autre – le maître de
l’affaire ou géré – dans un souci altruiste, c’est-à-dire
spontanément, et non pas à la demande du maître de
l’affaire (sans quoi la situation serait contractuelle). Ex :
3
personne qui fait réparer le toit de son voisin après une
tempête alors que son voisin est absent.
Conséquence : le maître est obligé de rembourser les
dépenses engagées par le gérant, pour autant que la
gestion ait été utile.
- La répétition de l’indu, également prévue par le Code
civil (art. 1377 s.), désigne la situation d’une personne
qui paie une dette qu’elle n’a pas ou qui était déjà
réglée. C’est extrêmement fréquent en pratique. Ex :
virement effectué à tort par une banque, un époux qui paye
le loyer alors que son conjoint l’avait déjà réglé…
Conséquence : La personne qui a reçu le paiement indû est
alors tenue de le restituer à celui qui a payé l’indu.
- A la fin du 19e siècle, la Cour de cassation a découvert un
3e type de quasi-contrat : l’enrichissement sans cause.
Applicable sous trois conditions :
1. qu’il y ait une personne enrichie et une autre
appauvrie,
2. qu’il y ait une corrélation entre les 2 mouvements et
3. qu’il y ait une absence de cause (l’appauvrissement ne
doit pas s’expliquer par l’intention libérale ou par
l’existence d’une dette de l’appauvri envers l’enrichi).
Conséquence : Si ces conditions sont satisfaites, l’enrichi
doit indemniser l’appauvri. Ex : organisme social prenant
en charge une personne dans le besoin alors qu’elle a un
proche parent tenu envers elle d’une obligation
alimentaire. L’organisme s’appauvrit du fait des dépenses
encourues pour l’entretien de la personne dans le besoin,
tandis que le débiteur de l’obligation alimentaire s’enrichit
en évitant ces dépenses. L’organisme peut alors demander
au débiteur de l’obligation alimentaire de l’indemniser de
ces dépenses.
4
Traditionnellement, tous les quasi-contrats étaient donc animés par la
même idée : alors qu’en matière délictuelle, la personne à l’origine de
l’obligation a causé un dommage, autrement dit a nuit à une autre
personne, en matière quasi-contractuelle la personne dont le
comportement est à l’origine de l’obligation a enrichi une autre personne,
elle a agi d’une manière favorable aux intérêts de l’autre personne.
C’est pourquoi les quasi-contrats sont des faits licites, parce qu’ils n’ont
rien de répréhensibles.
PB : la C. cass. a complété la liste d’une 4e figure qui trouble la
cohérence d’ensemble.
- En effet, dans un arrêt du 6 septembre 2002, la Ch. mixte de
la Cour de cassation a créé un nouveau quasi-contrat, dans
une affaire relative à une loterie publicitaire (Bull. civ, n° 4).
PB : Ces loteries envoient des lettres annonçant à leurs
destinataires qu’ils ont gagné une somme d’argent ou un lot
(automobile, voyage), alors qu’en réalité, le destinataire
bénéficie seulement du droit de participer à un tirage au
sort.
But : inciter la personne à contracter.
Mais certaines personnes crédules peuvent prendre
l’annonce au sérieux, et être très déçues lorsqu’elles
découvrent qu’elles ne reçoivent rien. Parfois même
certaines personnes font des dépenses sur la foi du gain
annoncé et s’appauvrissent ainsi.
Question : si le caractère aléatoire du gain n’est pas mis
en évidence dans le courrier, et donne au destinataire des
raisons de croire qu’il a effectivement gagné un lot, peut-il
obtenir la délivrance de ce gain ? La Cour de cassation
estime que oui et, dans ces circonstances, oblige
l’entreprise à payer. L’objectif de la Cour de cassation est
de décourager ces pratiques en condamnant les
entreprises qui se livrent à ce genre de publicité. PB : sur
quel fondement s’appuyer ? Le contrat ? Mais y a-t-il
5
vraiment un échange des consentements ? Le délit ?
Certes, les conditions peuvent être remplies, mais le
préjudice ne correspond pas nécessairement au gain
annoncé. L’engagement unilatéral ? Mais l’entreprise n’a
pas véritablement la volonté de s’obliger.
D’où le recours au quasi-contrat : pour la Cour de
cassation, la création d’une espérance trompeuse est source
d’obligation (l’obligation de verser la somme d’argent
annoncée). La solution est sans doute opportune car il faut
sanctionner ces pratiques trompeuses, mais elle n’en est
pas moins critiquable techniquement : en quoi s’agit-il
d’un quasi-contrat ? Quel est l’avantage fourni par
l’appauvri qui justifie son indemnisation ? Il n’existe
pas. En somme, la Cour de cassation a déformé la notion
de quasi-contrat.
***
Si le régime des obligations est dit « général », c’est donc que les
règles qu’il rassemble s’appliquent à toutes les obligations quelle
que soit la source dont elles découlent. Ex : Que l’obligation naisse
d’un acte juridique, d’un fait juridique ou d’un quasi-contrat, les modes
d’extinction de l’obligation seront les mêmes.
NB : Cela étant, il faut reconnaître que certains des aspects du
cours sont plus spécifiques à un type d’obligations qu’à un autre. Ex : La
question du terme et de la condition qui peuvent affecter une obligation
concernent essentiellement les obligations contractuelles. Mais dans
l’ensemble, les questions abordées seront communes à tous les types
d’obligations.
Si le régime général des obligations est le devenir des obligations, il
convient donc de s’interroger : que devient une obligation une fois
qu’elle est née ?
A priori, l’obligation est créée pour remplir une fonction (échange
de richesses, libéralités) et elle s’éteint en la remplissant. Donc, l’un des
6
grands pans du régime général des obligations consiste à étudier
l’extinction des obligations (art. 1234 et s. du Code civil) : comment
l’obligation s’éteint-elle ? A quel moment ? A quelles conditions ? etc.
Pour vous donner un premier aperçu, l’obligation peut s’éteindre :
- par la voie normale : le paiement (ie l’exécution), qu’il soit
volontaire ou forcé
- par des voies indirectes : le créancier ne reçoit pas ce qui
est dû, mais l’obligation s’éteint tout de même, par exemple
en raison d’une prescription, ou encore d’une remise de
dettes.
Si elle est exacte, cette vision chronologique des choses
(naissance/extinction) n’épuise pas l’étude de l’obligation. Car
l’obligation, en tant que telle, possède une valeur économique. Elle est
à l’actif du patrimoine du créancier et au passif du patrimoine du
débiteur.
Ex : le loyer à percevoir est une créance (un bien).
L’obligation est un élément de richesse. Pour souligner cette
dimension patrimoniale, on dit souvent que l’obligation n’est pas
seulement un lien, mais qu’elle est également un bien.
Et comme tous les biens, elle est susceptible de circuler de main
en main. Dans ce cas, l’obligation existe toujours (elle n’est pas éteinte),
mais elle ne lie plus les mêmes personnes.
La circulation de l’obligation peut découler aussi bien d’un
changement de créancier que d’un changement de débiteur :
- de créancier : par exemple en cas de cession de créances.
- de débiteur : lorsqu’un autre débiteur que le débiteur initial
s’engage à payer le créancier (avec le consentement de ce
dernier) = délégation.
Etude de la circulation des obligations.
7
L’obligation s’éteint ; l’obligation circule donc aussi. Mais
l’exécution de l’obligation peut aussi être affectée par un dernier
élément, lié cette fois à la structure interne de l’obligation. On
distingue en effet 2 types d’obligations :
- les obligations simples, liant 1 seul débiteur à 1 seul
créancier, portant sur un seul objet et sans aucune modalité.
- les obligations complexes, affectées d’une modalité, tel un
terme ou une condition (ex : l’obligation ne s’exécute pas
tout de suite à telle date ultérieure), ayant plusieurs objets
ou liant plusieurs débiteurs à 1 créancier ou plusieurs
créanciers à 1 débiteur (ex : compte joint). L’étude de ces
modalités relève du régime général des obligations car
elles rejailliront sur celui-ci. Ex : s’agissant de l’exécution
de l’obligation, faut-il diviser les poursuites en présence de
plusieurs débiteurs ? s’agissant de sa circulation, peut-on
transmettre une obligation conditionnelle ? Etc.
De l’ensemble de ces observations découle le plan à suivre :
I. Il faut d’abord connaître les modalités susceptibles
d’affecter les obligations (1re partie)
II. Avant d’étudier la circulation des obligations (les
opérations à 3 personnes) (2e partie)
III. Puis enfin l’extinction des obligations (3e partie)
8
Première partie – LES MODALITÉS DE L’OBLIGATION
Fréquent en pratique que les obligations soient affectées d’une ou
plusieurs modalités en compliquant la structure.
- Une obligation peut tout d’abord être affectée d’un terme.
Tel est notamment le cas lorsque l’exécution de
l’obligation est repoussée à une date future (ex : vente
avec délivrance de la chose vendue une semaine après
la conclusion du contrat).
- Une obligation peut aussi être affectée d’une condition.
L’existence de l’obligation est alors subordonnée à la
survenance d’un événement incertain. Ex : Vos parents
peuvent vous faire une donation subordonnée à la
condition que vous réussissiez vos examens. Evénement
futur comme le terme, mais incertain (bien que très
probable !)
- Une obligation peut enfin avoir plusieurs sujets ou porter
sur plusieurs objets. On parle alors d’obligation plurale.
Ex1 : Lorsque l’on achète un séjour de vacances à une
agence de voyages, celle-ci fournit en général à la fois le
transport jusqu’au lieu de vacances et l’hébergement sur
place, parfois aussi les repas ou des visites touristiques.
Pluralité d’objets de l’obligation de l’agence. Ex2 : Un
couple signe un bail. Le bailleur n’a pas un seul débiteur,
mais deux, chacun des membres du couple. Pluralité de
sujets de l’obligation envers le bailleur.
Plan : Terme et condition seront étudiés dans un même chapitre
car ces modalités ont en commun de permettre d’appréhender des
événements futurs. On s’intéressera ensuite aux divers types
d’obligations plurales :
- Chap. I : Terme et condition
9
- Chap. II : Les obligations plurales
Remarque terminologique sur les notions de modalités et
d’obligations complexes. Dans certains manuels, les modalités des
obligations sont considérées comme recouvrant seulement le
terme et la condition. Idem pour la notion d’obligations
complexes. Parfois elle est considérée comme recouvrant à la
fois les obligations affectées d’un terme ou d’une condition et
les obligations plurales, parfois elle est prise comme synonyme
de la notion d’obligation plurale. Il y a donc un certain
flottement terminologique en la matière. Cela impose simplement
de préciser ce que l’on entend par modalités de l’obligation ou par
obligation complexe lorsque l’on emploie l’un de ces termes.
Chapitre I – TERME ET CONDITION
Remarques introductives, pour expliquer la problématique soulevée
par les termes et les conditions :
Le droit au paiement dépend des caractères de l’obligation,
notamment de sa certitude (ie son existence) et de son exigibilité (ie
fait que le créancier puisse en poursuivre l’exécution).
Lorsque l’obligation est simple, les caractères ne soulèvent pas de
difficultés particulières. L’obligation simple naît et elle est exigible dès
sa naissance.
Ex : Dans la vente au comptant (par opposition à la vente à crédit),
dès la conclusion du contrat de vente, l’obligation de payer le prix naît et
elle est immédiatement exigible.
Parfois cependant la naissance de l’obligation ou le moment de
son exigibilité sont différés. Il existe une dissociation temporelle, qui,
10
pour être bien comprise, suppose de ne pas confondre les notions de
certitude et d’exigibilité.
Une obligation est certaine lorsqu’elle est née et que son
existence même n’est pas contestable.
Quand une obligation est-elle certaine ? En général au jour de la
conclusion du contrat s’il s’agit d’une obligation contractuelle ; au
jour du dommage s’il s’agit d’une obligation délictuelle ; au jour de
l’accomplissement du fait pertinent s’il s’agit d’un quasi-contrat.
L’exigibilité est l’aptitude donnée au créancier d’exiger le
paiement. Il peut poursuivre le paiement, c’est-à-dire réclamer
l’exécution, le cas échéant forcée, de l’obligation. Notion distincte de la
certitude : une obligation peut être certaine sans être exigible.
Exemples : en droit de la responsabilité civile, l’obligation de
réparation est certaine au jour du dommage, mais elle n’est pas exigible
avant le jugement ou la transaction. Dans un bail, l’obligation de payer
le loyer est certaine dès la conclusion du contrat, mais elle est exigible à
telle ou telle date ultérieure (début de mois pour chaque loyer en
général).
* * *
Ces notions de certitude et d’exigibilité permettent de mieux
comprendre les ressorts pratique et théorique des modalités de
l’obligation que sont le terme et la condition. Ces modalités permettent
d’appréhender le futur, un futur qui peut être certain ou incertain.
La modalité permettant d’appréhender le futur certain est le
terme. Ex : Prêt d’une somme d’argent entre amis, où l’emprunteur
s’engage à rembourser le prêteur le 5 du mois suivant, lorsqu’il aura
touché son salaire. L’obligation de restitution est affectée d’un terme,
c’est-à-dire repoussée à la survenance d’un événement ultérieur
11
mais certain. Dans cette situation, seule l’exigibilité de l’obligation
est suspendue. Mais son existence même, et donc sa certitude, n’est
pas contestable.
La condition permet au contraire d’appréhender le futur
incertain. Ex : Une vente d’immeuble est conclue avant que
l’acquéreur ne sache s’il va obtenir le prêt bancaire lui permettant de
financer son achat. Fréquent en pratique. Les parties concluent alors la
vente sous condition d’obtention du prêt par l’acquéreur. Si ce
dernier obtient son prêt, il devra effectivement payer le prix. S’il ne
parvient pas à obtenir de prêt en revanche, il est libéré de son
obligation. L’obtention du prêt étant un événement futur et
incertain, c’est alors l’existence même de l’obligation, sa certitude, et
non pas seulement son exigibilité qui est affectée.
On verra donc successivement les 2 modalités de l’obligation que
sont le terme (Section I) et la condition (section II).
I. LE TERME
Deux points seront abordés : qu’est-ce qu’un terme (§ 1) ?
Et quels en sont les effets juridiques (§ 2) ?
§ 1. La notion de terme
Le Code civil en donne une définition assez approximative. L’art.
1185 C. civ. dispose : « Le terme diffère de la condition, en ce qu’il ne
suspend point l’engagement, dont il retarde seulement l’exécution ».
Le Code définit le terme uniquement par ses effets : le terme
est ce qui retarde l’exécution, dit le législateur. Mauvaise façon de
procéder : il faut saisir l’essence d’un mécanisme pour en
comprendre les effets.
12
En réalité, le terme est le mécanisme par lequel les parties
subordonnent l’exécution ou l’extinction de l’obligation à la
survenance d’un événement futur et certain. C’est en effet parce que
le terme est un événement certain qu’il n’affecte pas l’existence
même de l’obligation, mais seulement son exigibilité, contrairement à
la condition.
Précision : lorsque l’on dit que le terme est un événement
« certain », cela veut dire dont la réalisation est certaine, même si la
date exacte de survenance de cet événement n’est pas connue. C’est
la certitude de la réalisation de l’événement auquel l’obligation est
subordonnée, et non de sa date, qui distingue le terme de la
condition.
Exemple : Le décès est un événement futur et certain même si
sa date exacte de survenance est inconnue. Ainsi, si un contrat de vente
prévoit que le prix sera payable au décès de l’une des parties, c’est une
vente à terme.
Attention cependant car le décès peut faire l’objet d’une condition.
Ex : « je vous vends tel objet si je décède avant vous » : l’événement est
futur mais incertain. Plus précisément, l’ordre des décès, dont dépend la
vente, est incertain. Donc, c’est une condition.
Bien distinguer la certitude de l’événement et la certitude de
la date, laquelle est secondaire. D’où une première distinction en
droit positif :
- le terme certain : celui qui est un événement dont la
survenance est certaine et dont on connaît la date. Ex :
dans 6 mois ; au 1er janvier 2009 ; au bout de 15 jours…
- le terme incertain : celui qui est un événement dont la
survenance est certaine mais dont on ignore la date.
Exemple : Je vous loue un appartement à Luxembourg
tant que vous y ferez vos études. C’est un terme car il est
certain que vous ne resterez pas étudiant éternellement,
13
mais un terme incertain car on ne sait pas si vous allez
redoubler ou réussir toutes vos années du premier coup,
faire un master ici ou ailleurs, et donc on ignore la date
exacte de la fin de vos études.
NB : Seule la certitude raisonnable de la réalisation de
l’événement compte. En théorie on peut rester étudiant toute sa vie,
mais en pratique, ça n’arrive jamais. Donc fin des études = événement
certain.
Deuxième distinction nécessaire, toujours pour éclairer la notion
de terme :
- Le terme suspensif (celui évoqué par l’art. 1185 C. civ.) :
événement dont la survenance suspend l’exigibilité de
l’obligation. Celle-ci n’est pas exigible avant la
survenance de l’événement ; elle ne le devient qu’avec
l’arrivée du terme. Ex : dans un contrat de prêt, il est stipulé
que le remboursement aura lieu dans 1 an.
- Le terme extinctif : événement dont la survenance met un
terme à l’exigibilité de l’obligation. Celle-ci n’est exigible
que jusqu’à la survenance de l’événement ; après,
l’obligation s’éteint. Ex : un bail conclu pour 3 ans.
L’échéance du terme fait disparaître l’obligation pour
l’avenir.
Il faut enfin se demander dans l’intérêt de qui le terme est
stipulé. Enjeu pratique = possibilité d’y renoncer et donc de rendre
l’obligation immédiatement exigible. Ex : recevoir immédiatement un
paiement qui était a priori affecté d’un terme.
Solution prévue par l’art. 1187 du Code civil : le terme est
présumé stipulé dans l’intérêt du débiteur, sauf clause contraire
ou circonstances laissant présager l’inverse. La présomption légale est
donc simple.
14
C’est assez difficile à apprécier en pratique.
Ex : une personne emprunte une somme d’argent qu’elle
rembourse périodiquement sur 10 ans. Puis les circonstances changent
et les taux d’intérêt baissent. La personne voudrait donc profiter de ce
taux d’intérêt inférieur en contractant un autre prêt au nouveau taux
plus avantageux, d’un montant égal à ce qu’il reste à rembourser sur son
1er prêt, et rembourser immédiatement celui-ci. PB : le banquier est-il
obligé de recevoir le paiement ? Juridiquement, dans l’intérêt de qui
le terme a-t-il été stipulé ?
Présomption de l’article 1187 : intérêt du débiteur –
emprunteur – donc possible pour lui de rembourser de manière
anticipée. Mais dans cette situation, il est assez logique de renverser la
présomption. Le terme dans le prêt à intérêt profite aux 2 parties, y
compris au prêteur qui y trouve sa rémunération. Donc pas possible pour
l’emprunteur d’obliger la banque à accepter un remboursement anticipé.
§ 2. Les effets du terme
Principe : Les effets du terme dépendent de la distinction terme
suspensif / terme extinctif :
- Si le terme est suspensif, il suspend l’exigibilité de l’obligation.
L’obligation existe d’ores et déjà, elle est certaine, mais son exécution
ne peut être poursuivie avant l’échéance du terme. L’obligation étant
certaine, le créancier peut en revanche prendre des mesures
conservatoires dès avant l’échéance du terme suspensif si sa créance
est menacée. La circulation de l’obligation est aussi possible (par ex,
cession de créance à un établissement de crédit). En outre, si le
débiteur a payé d’avance, avant le terme, il ne peut obtenir la
répétition (= le remboursement) de ce qu’il a payé, même s’il a payé par
erreur, car l’obligation existe et le débiteur n’a fait que payer ce qu’il
doit. V. art. 1186 C. civ., très clair sur ce point.
15
- Si le terme est extinctif, il met fin à l’obligation. L’échéance du
terme éteint l’obligation à laquelle le contrat avait donné naissance pour
l’avenir (cf. condition résolutoire).
Exception : Les effets du terme varient en cas de déchéance du
terme.
La déchéance du terme est une sanction. Le débiteur perd le
bénéfice du terme.
NB : Se conçoit seulement pour le terme suspensif.
Conséquence : L’obligation redevient pure et simple.
Les causes de la déchéance peuvent être conventionnelles ou
légales.
Exemple de cause de déchéance conventionnelle : il est stipulé dans
un contrat de prêt la déchéance du terme en cas d’inexécution du
paiement de l’une des mensualités. Toutes les échéances deviennent alors
immédiatement exigibles.
NB : Peut être qualifié de clause abusive dans un contrat de prêt
entre professionnel et consommateur. Cf. clauses de défaut croisé (prêt
à la conso / prêt immobilier).
Exemple de cause de déchéance légale : lorsque la liquidation
judiciaire (= faillite) d’un débiteur insolvable est prononcée, toutes ses
obligations deviennent exigibles (art. 1188 C. civ. lux., dans le code de
commerce aujourd’hui en France). Autre exemple, toujours en vertu de
l’art. 1188 du Code civil, « le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice
du terme lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu’il avait
données par le contrat à son créancier ». Puisque ces sûretés avaient
certainement déterminé le créancier à consentir au terme, et
puisque les garanties s’affaiblissent à cause du débiteur, il est juste que
ce dernier perde le bénéfice du terme. Ex : Hypothèque diminuée par le
fait que le débiteur n’entretient pas son bien et le laisse tomber en
ruine.
16
II. LA CONDITION
La condition est régie par les articles 1168 à 1184 du Code civil.
C’est une technique d’anticipation du futur, comme le terme, mais
d’un futur incertain.
Ex : achat d’un immeuble sous condition de l’obtention d’un
prêt. Ici, la vente est conclue. Le contrat est donc formé et irrévocable,
mais les obligations qu’il engendre sont suspendues à la survenance
incertaine d’un événement futur. Si le prêt n’est pas obtenu, les
parties seront libérées de tout engagement : l’obligation de payer le prix
et celle de délivrer l’immeuble ne viendront jamais à existence. C’est
une condition suspensive.
La condition peut aussi être résolutoire. Dans ce cas, les parties
sont liées, sauf si l’événement érigé en condition se réalise, auquel
cas l’acte est anéanti.
Ex : une entreprise s’engage à mettre un distributeur de
boissons à disposition d’un lycée, à condition qu’un nombre minimal
de boissons soient vendues chaque mois pour garantir la rentabilité
de l’exploitation. La condition est ce seuil de boissons à atteindre. S’il ne
l’est pas, l’obligation juridique est totalement anéantie : il n’y a plus ni
obligation de payer les loyers, ni obligation corrélative de mettre le
distributeur à disposition.
La condition est une technique juridique d’une grande importance
pratique.
Avantage : souplesse qu’elle procure, puisque la condition permet
de donner naissance à une obligation juridique tout en ménageant
l’avenir.
Inconvénient : risque d’abus. La technique risque d’être un moyen
détourné de dénaturer l’obligation en la vidant de toute substance.
Ex : je m’engage à vendre tel bien à condition de donner mon
accord sur le prix. Est-ce une obligation juridique ? Non. L’obligation
17
est nulle car en réalité il n’existe pas d’accord sur un élément
essentiel, le prix. Par conséquent, il n’y a pas de contrat de vente du
tout.
Pour comprendre le mécanisme, il faut en préciser le sens avant
d’en étudier les effets.
Plan : la notion de condition (§ 1) ; les effets de la condition (§ 2).
§ 1. La notion de condition
Définition de la condition (A) / Les divers types de conditions (B).
A – La définition de la condition
L’art. 1168 du Code civil définit la notion de condition de la façon
suivante (inutile de noter) : « L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la
fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en la suspendant
jusqu’à ce que l’événement arrive, soit en la résiliant, selon que
l’événement arrivera ou n’arrivera pas ».
La condition est donc un événement futur et incertain auquel est
subordonnée la formation ou la disparition de l’obligation.
NB : Il ne faut pas confondre la condition-modalité de l’obligation
et la condition de validité du contrat. La condition qui nous intéresse
aujourd’hui est une simple modalité de l’obligation, et non un élément
essentiel de celle-ci. C’est un élément qui s’ajoute à l’obligation, mais
qui n’est pas indispensable à son existence. Tout comme le terme, la
condition « modalité » de l’obligation n’est qu’une « manière d’être » de
l’obligation.
Ex : Une personne s’engage à vendre à condition de donner son
accord sur le prix. Ici, l’incertitude affecte un élément essentiel de la
vente, à savoir le prix. Il n’y a donc pas d’accord du tout, car l’une des
conditions de formation du contrat de vente fait défaut.
Autrement dit, un élément essentiel ne peut pas faire l’objet
d’une modalité, sans quoi l’obligation est nulle.
18
Quoi qu’il en soit, la condition est donc un élément accessoire qui
s’ajoute à l’obligation. Comment s’ajoute-t-elle ?
- Par la convention : généralement, la condition est stipulée par
les parties, à la demande de l’une d’elles et avec l’accord de l’autre. Ex :
vente d’une société sous la condition que les comptes, tels que
présentés par le cédant, soient exacts (l’acquéreur souhaite ainsi éviter
un redressement fiscal ou être certain qu’aucun actif ne manque, etc.).
C’est une vente sous condition résolutoire : si les comptes s’avèrent
inexacts le contrat est anéanti et l’acquéreur se trouve ainsi libéré de son
engagement.
- Par la loi. En France, par exemple, l’art. L312-16 du Code de la
consommation prévoit que tout achat d’un immeuble à usage
d’habitation financé par le biais d’un prêt bancaire est conclu sous
condition suspensive de l’octroi du prêt à l’acquéreur. C’est une
mesure protectrice de l’acquéreur. Il est donc inutile pour celui-ci de
réclamer qu’une telle condition soit stipulée, elle l’est
automatiquement.
L’événement érigé en condition doit en outre être futur et
incertain (comme le souligne à juste titre l’art. 1168 du C. civ.).
Futur : postérieur à la naissance de l’obligation.
Rem : les parties peuvent croire que l’événement est futur alors
qu’il est déjà intervenu, mais sans que les parties n’en aient eu
connaissance. L’obligation produit son effet au jour où elle a été
contractée. On fait donc comme si l’obligation était pure et simple (V.
en ce sens, les dispositions de l’art. 1181 C. civ.).
Incertain : la survenance même de l’événement doit être
incertaine, et non pas seulement sa date de survenance, sans quoi il
s’agit d’un terme.
19
Simple à première vue, mais distinction en réalité difficile à
mettre à œuvre. Car après tout, on peut soutenir que tout est
incertain.
Ex1 : le paiement d’une dette est-il un événement certain ou
incertain ?
Enjeu pratique : les ventes avec clause de réserve de propriété. Une
telle clause permet au créancier-propriétaire de conserver la
propriété du bien vendu jusqu’au paiement complet du prix et donc
de revendiquer son bien en cas de non paiement du prix par l’acquéreur.
PB : la stipulation subordonnant le transfert de propriété à l’acquéreur au
paiement complet du prix est-elle une condition ou un terme ?
Autrement dit, le paiement du prix est-il un événement certain (terme) ou
incertain (condition) ?
En théorie, l’événement paraît certain puisque le paiement est
obligatoire (art. 1134 C. civ.).
En pratique, le paiement est toujours incertain, ne serait ce qu’en
raison du risque d’insolvabilité.
Opposition entre une certitude en droit et une incertitude en fait.
Que dit la jurisprudence ? Elle est hésitante sur ce point.
NB : Enjeu ? Sanction du défaut de paiement par exemple : si
condition, le contrat est anéanti rétroactivement car censé n’avoir
jamais vu le jour ; si terme, le contrat est formé mais inexécuté ; il peut
être résolu, mais aussi donner lieu à exécution forcée ou DI.
Ex2 : en matière de vente d’immeuble (ou de société), il est
fréquent qu’une clause stipule que la vente ne sera définitivement
conclue qu’à la réitération formelle de la vente par écrit (en général
notarié). De quoi s’agit-il juridiquement ?
- Soit la réitération est conçue par les parties comme un
événement futur et certain, et c’est un terme. La vente est conclue,
mais elle ne produira ses effets (not. transfert de propriété) qu’à
compter de la rédaction de l’acte notarié.
- Soit la réitération est conçue par les parties comme une
condition : elles considèrent que la signature est un événement futur
20
incertain. Dans ce cas, il n’y a pas de condition valable car un élément
essentiel fait défaut (l’échange des consentements). La vente est
donc nulle.
NB : La jurisprudence traditionnelle avait tendance à considérer qu’il
fallait tenir compte de la volonté des parties pour qualifier une modalité
de terme ou de condition. Si les parties tenaient l’événement pour
certain, il devait être considéré comme un terme, s’il était tenu comme
incertain, comme une condition.
Ex : clauses de retour à meilleure fortune (le débiteur remboursera
« lorsqu’il en aura les moyens », « lorsqu’il sera sorti de ses difficultés
financières »). Objectivement l’événement est incertain. PB : le
qualifier de condition emporte la nullité du contrat (trop discrétionnaire
pour le débiteur, qui ne s’est pas vraiment engagé à rembourser).
Analyse subjective de la modalité, qualifiée terme si les parties
ont considéré certaine l’amélioration future de la situation du
débiteur, afin de valider le contrat.
MAIS la jurisprudence récente est de moins en moins sensible à la
volonté des parties et a tendance à retenir qu’un événement
objectivement incertain est une condition, même si les parties ont
tenu l’événement pour subjectivement certain. Ce n’est pas absolu
cependant : v. not. pour les clauses de retour à meilleure fortune
justement, qui peuvent servir des fins louables : Com. 12 octobre 2004,
RTD civ. 2005.131. Idem pour les clauses de réitération de la vente
par acte authentique (analyse au cas par cas de la volonté des parties).
B – Typologie des diverses conditions
Le Code civil distingue 3 types de condition :
- La condition casuelle est celle qui dépend uniquement du
hasard (art. 1169 C. civ.) et indépendante de la volonté
des parties. Ex : je vous achète un parapluie s’il pleut
demain.
21
- La condition potestative, définie par l’art. 1170 C. civ.
comme : « la condition qui fait dépendre l’exécution de la
convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou
de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou
d’empêcher ». Ex : si je pars en voyage cet été, je te prête
mon appartement.
- La condition mixte qui dépend tout à la fois de
l’intervention d’un tiers et de la volonté d’une des
parties (art. 1171 C. civ.). Ex : l’obtention d’un prêt (cela
dépend des démarches du débiteur et de l’acceptation
d’un tiers, la banque) ; si vous vous marriez, vos parents
vous font une donation.
L’art. 1174 C. civ. prohibe ensuite, parmi les 2ndes, les conditions
potestatives pour le débiteur : « Toute obligation est nulle lorsqu’elle a
été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui
s’oblige [ie du débiteur] ». Potestas signifie pouvoir. La condition
potestative est celle qui désigne un événement qui est au pouvoir de l’une
des parties. Lorsque cette partie est le débiteur, le Code civil la prohibe.
Pourquoi ? Parce qu’il y a une incohérence à s’engager sous
condition, et à maîtriser cette condition. Cela revient à s’engager sans
s’engager. L’engagement n’est qu’un simulacre.
La sanction de cette incohérence est radicale : c’est la nullité de
l’obligation, et non pas seulement la nullité de la condition qui
rendrait alors l’obligation pure et simple. On considère qu’il n’y a pas du
tout d’engagement. V. art. 1174 et 944 C. civ. (pour les donations).
PB1 : Sanction de la nullité globale trop abrupte et propice aux
abus : elle incite souvent le débiteur à invoquer lui-même la
potestativité de son engagement pour s’en libérer.
Une paralysie de la seule condition serait bien souvent plus
utile.
22
PB2 : Beaucoup de conditions sont « plus ou moins »
potestatives.
Ex : je vends mon appartement à condition que j’en trouve un autre.
Encore faut-il que je fasse les démarches nécessaires pour trouver un
nouvel appartement qui me convienne.
Ex : je loue cette machine à condition que cela soit rentable. Qui
décide que c’est rentable ?
La doctrine s’est donc efforcée de préciser la notion. Longtemps,
les auteurs ont distingué, d’un côté, la condition « purement
potestative » qui dépend de la volonté arbitraire du débiteur (ex :
j’achète ceci « si j’en ai envie ») et est donc nulle, et la condition
« simplement potestative », qui dépend d’un acte du débiteur, de sorte
que le juge peut contrôler si le débiteur a essayé de faire cet acte ou pas
(ex : j’achète ceci « si je vends cela » : le juge peut contrôler la mise en
vente).
Aujourd’hui, la doctrine n’utilise plus cette distinction mais
apprécie directement si la condition est laissée ou non à l’entière
discrétion du débiteur. La condition est donc potestative lorsque sa
survenance dépend, non pas seulement du pouvoir du débiteur,
mais du pouvoir arbitraire ou discrétionnaire du débiteur.
La jurisprudence évolue dans le même sens : une condition n’est
potestative que s’il est impossible de contrôler à partir d’éléments
objectifs si le débiteur est responsable de son éventuelle
défaillance. V. not. Civ. 1re, 16 octobre 2001, Bull. civ. I, n° 257.
Ex1 : une vente est conclue sous condition que l’acheteur vende
tel autre bien. Selon la Cour de cassation, une telle condition n’est pas
potestative en dépit du pouvoir dont dispose le débiteur sur la seconde
vente. Le motif est qu’il est possible de contrôler le comportement du
débiteur : v. par exemple, Civ. 3e, 22 novembre 1995, Bull. civ. III, n°
243. Et s’il apparaît que le débiteur a empêché la survenance de la
condition : en s’abstenant de toute mise en vente, en proposant un prix
exorbitant, en trouvant des prétextes fallacieux pour annuler les visites,
en refusant arbitrairement une proposition d’achat… il sera sanctionné
23
au moyen de l’art. 1178 C. civ. la condition est réputée accomplie.
D’où glissement de 1174 vers 1178.
Ex2 : Une vente est conclue stipulant que l’acheteur s’engage « s’il
décide » de vendre tel autre bien. Là en revanche, la condition est
potestative car son pouvoir est discrétionnaire. Il n’est pas susceptible de
contrôle judiciaire. Idem, même si moins net, lorsque l’on s’engage à
vendre un immeuble si l’on en achète un autre. Achat plus lié à des
éléments subjectifs que vente.
Ex3 : location des distributeurs de boissons. La location sous
condition que leur exploitation se révèle rentable est valable (peut
même être précisé au moyen de critères objectifs). En revanche, la
location sous condition que le débiteur estime l’exploitation rentable
n’est pas valable. C’est arbitraire.
Ultime précision : la condition, pour être valable, doit porter sur un
événement possible et licite (art. 1172 C. civ.)
Ex. d’une condition illicite : donation sous condition que le
donataire devienne bigame ou épouse une personne de même sexe.
Sanction : Nullité.
PB : Portée de cette nullité ? Limitée à la condition elle-même ou
emporte-t-elle la nullité de la convention qui en dépend ?
Les textes distinguent selon que l’acte est à titre onéreux ou
gratuit.
Actes onéreux : art. 1172 C. civ. opte pour la nullité globale de la
convention.
Actes gratuits : art. 900 C. civ. opte pour la nullité de la seule
condition.
Mais la jurisprudence a rejeté cette distinction et a réunifié les
solutions en décidant logiquement que la nullité de la condition
impossible ou illicite emporte nullité totale de la convention qui en
dépend si elle a été déterminante du consentement des parties.
24
§ 2. Les effets de la condition
Il faut distinguer selon que la condition est pendante ou non.
* Lorsque la condition est pendante (= avant que l’on ne sache si
elle va se réaliser)
- Condition suspensive : l’obligation n’est ni certaine, ni
exigible. Des actes conservatoires peuvent être pris, mais
rien de plus : le créancier ne peut ni exiger le paiement, ni
agir en résolution pour inexécution. D’un autre côté, la
transmission aux héritiers, la cession de l’obligation, le
nantissement de la créance sont possibles, ce qui donne à
penser que l’obligation existe au moins en germe et que le
créancier n’est pas simplement titulaire d’une « espérance ».
- Condition résolutoire : l’obligation existe et elle est
exigible tant que l’événement ne se produit pas.
L’obligation est susceptible d’exécution forcée en cas
d’inexécution. Le droit est cessible et transmissible. Le
transfert de propriété s’opère immédiatement si l’acte
conclu est un acte translatif.
* A la fin de la période d’incertitude, il faut faire une sous-
distinction
- Soit l’événement survient (la condition se réalise) :
o Condition suspensive : l’obligation devient pure et
simple RÉTROACTIVEMENT (art. 1181) sauf clause
contraire. La condition est censée n’avoir jamais existé.
Ex : dans une vente, l’acheteur est censé avoir été le seul
propriétaire du bien dès la conclusion du contrat. S’il
avait consenti une hypothèque entre temps, cette
hypothèque sera valable. Il est censé avoir toujours eu le
pouvoir de passer cet acte de disposition.
25
o Condition résolutoire : l’obligation est résolue
rétroactivement (V. les dispositions de l’art. 1183 C.
civ.). Des restitutions auront lieu le cas échéant.
- Soit l’événement ne survient pas (la condition défaille) :
o Condition suspensive : l’obligation est rétroactivement
anéantie. Le contrat est caduc. Le droit est censé n’avoir
jamais existé. Ce qui justifie des restitutions si un
commencement d’exécution avait eu lieu.
o Condition résolutoire : l’obligation demeure. Elle est
réputée pure et simple depuis son origine. Toute
incertitude est désormais levée.
Deux précisions à propos de la réalisation de l’événement :
- 1re précision : lorsque le débiteur empêche la réalisation
de l’événement, la condition est réputée accomplie. Tel
est le sens de l’art. 1178 du C. civ. qui édicte à sa manière
un devoir de loyauté. Ex : l’acheteur ne fait pas de demande
de prêt, il fait une demande excessive ou irréaliste (ex : taux
d’intérêt de 1 %).
NB : Souvent pas d’intérêt d’exiger l’exécution forcée en
nature du contrat. En revanche intéressant pour demander
des DI sur le fondement de la responsabilité contractuelle du
débiteur.
- 2e précision : celui dans l’intérêt duquel la condition est
stipulée peut toujours y renoncer. Ex : l’acheteur d’un bien
immobilier peut décider de payer, même s’il n’a pas obtenu
le prêt (même si l’événement ne s’est pas réalisé).
L’obligation est alors réputée pure et simple.
26
Chapitre II – LES OBLIGATIONS PLURALES
Une obligation pure et simple lie un seul débiteur à un seul
créancier et porte sur un objet unique. Ex : Le propriétaire d’une
voiture vend celle-ci à une autre personne.
Il arrive cependant parfois qu’une obligation lie plus de deux
personnes ou qu’elle porte sur plusieurs objets.
Le caractère plural d’une obligation peut ainsi s’établir
objectivement, lorsque l’obligation porte sur une pluralité d’objets, ou
subjectivement, lorsqu’elle lie le créancier à plusieurs débiteurs ou,
inversement, le débiteur à plusieurs créanciers.
D’où le plan suivi :
I. La pluralité d’objets
II. La pluralité de sujets
I. LA PLURALITÉ D’OBJETS
On distingue trois types d’obligations objectivement plurales : les
obligations conjonctives (§ 1), les obligations alternatives (§ 2) et les
obligations facultatives (§ 3).
§ 1. Les obligations conjonctives
Lorsqu’une obligation a plusieurs objets, elle est en principe
conjonctive : le débiteur doit cumulativement au créancier, en vertu du
même contrat, plusieurs prestations.
Ex1 : Vente d’un fonds de commerce et de l’immeuble dans
lequel le fonds est exploité
Ex2 : donation avec charge (expliquer : le donateur donne un bien
au donataire mais le donataire s’engage aussi à fournir une prestation au
donateur, souvent de le loger) si la charge du donataire est non
seulement de loger le donateur mais aussi de le nourrir.
27
NB : Un contrat créateur d’une obligation principale et
d’obligations accessoires ne doit pas être considéré comme créateur
d’une obligation conjonctive. Ex : le bail met à la charge du bailleur une
obligation principale, qui est de donner au preneur la jouissance du
bien loué, mais aussi des obligations accessoires, telle l’obligation
d’entretien du local. L’obligation du bailleur n’est pas conjonctive
néanmoins car les autres obligations du bailleur sont accessoires à celle
de conférer au preneur le droit de jouir du local (= elles n’ont PAS LIEU
D’ÊTRE indépendamment de l’obligation principale, alors que
l’obligation principale a un sens indépendamment de l’existence des
obligations accessoires).
Cette hypothèse ne soulève aucune difficulté particulière. Le
débiteur doit simplement fournir l’ensemble des éléments composant
l’obligation conjonctive pour se libérer.
§ 2. Les obligations alternatives
Ce sont les art. 1189 à 1196 C. civ. qui régissent ces obligations.
Une obligation alternative a également plusieurs objets mais le
débiteur ne doit pour se libérer fournir qu’un seul de ces objets. Ex :
Toujours dans la donation avec charge, le donataire peut être tenu soit
de nourrir et loger le donateur, soit de lui verser une rente lui
permettant de se loger et de se nourrir lui-même. Une vente peut prévoir
que l’acquéreur paiera le prix en euros ou en dollars. En d’autres
termes, l’obligation alternative est celle qui ouvre au débiteur la
possibilité de choisir entre diverses prestations déterminées celle qu’il
va fournir pour se libérer.
Rq1 : Ne pas confondre obligation alternative et obligation sous
condition potestative.
C. cass. a précisé par ex. que lorsque le débiteur est tenu d’une obligation
alternative de restituer en nature ou en valeur, le choix entre l’une ou
l’autre modalité d’exécution n’est pas contraire à l’article 1170 du Code
28
civil, autrement dit, ne peut pas donner prise au grief de potestativité. En
l’espèce, un dépositaire de bijoux en dépôt-vente était libre au terme
du contrat soit de restituer les bijoux en nature, soit de les acquérir
moyennant le paiement d’une somme d’argent (Cass. civ. 1re, 16 mai
2006, Bull. civ. I, n° 239, Def. 2006, p. 1220 obs. R. Libchaber).
Solution justifiée : le débiteur ne peut se dérober à ses
engagements, il exerce seulement l’option que lui confère l’obligation
alternative.
Rq2 : Les prestations sont considérées comme équivalentes,
sinon objectivement, du moins juridiquement, dans la mesure où le
créancier accepte que n’importe laquelle des prestations alternatives
libèrera le débiteur de son obligation (art. 1189 C. civ.)
Art. 1190 C. civ. le choix de la prestation à effectuer appartient
en principe au débiteur, sauf stipulation contraire. Mais le débiteur
ne peut pour autant se libérer en délivrant au créancier une partie de
l’une des choses promises et une partie de l’autre (art. 1191 C. civ.).
Si l’une des prestations est illicite ou impossible, l’autre est due
et l’obligation est considérée comme pure et simple (art. 1192 C. civ.). Il
en va de même si l’une des prestations devient impossible (perte de la
chose, événement de force majeure empêchant le débiteur de s’exécuter
etc.) (art. 1193 al. 1 C. civ.), sauf si l’impossibilité est due à la faute
du débiteur et si le contrat donnait au créancier le droit de choisir
entre les diverses prestations. Le créancier a alors le choix entre
réclamer la prestation qui reste possible ou le prix de l’autre (art. 1194
al. 1 C. civ.).
Si les deux prestations deviennent impossibles, il faut
distinguer selon que l’impossibilité résulte de la faute du débiteur ou
d’une cause étrangère.
- En cas de faute du débiteur, celui-ci doit payer le prix de la
dernière prestation qui est devenue impossible (art. 1193 al. 2 C. civ.),
sauf si le contrat donnait au créancier le droit de choisir entre les
29
prestations, auquel cas le créancier peut demander le prix de l’une ou
de l’autre des prestations à son choix (art. 1194 al. 2 C. civ.).
- En l’absence de faute du débiteur, ce dernier est libéré de son
obligation (art. 1195 C. civ.)
§ 3. Les obligations facultatives
Hypothèse proche de la précédente mais pas identique.
L’obligation facultative a un objet unique, que le débiteur doit en
principe fournir, mais il peut, s’il le préfère, se libérer en fournissant une
autre prestation.
Ex : Décès d’un père de famille laissant deux enfants, nés d’un
premier mariage, et une veuve, issue d’un second mariage. Le père
de famille avait fait un testament dans lequel il léguait un immeuble à
sa veuve, à moins que les enfants ne préfèrent garder l’immeuble,
auquel cas ils peuvent exécuter le legs en versant à la veuve une somme
d’argent déterminée.
Différences avec les obligations alternatives ?
Il y a une prestation de principe et une prestation subsidiaire.
L’option entre les deux prestations ne peut donc appartenir
qu’au débiteur de l’obligation car le créancier ne peut exiger
l’exécution que de la prestation de principe.
En outre, la nullité ou l’impossibilité de la prestation de principe
libère le débiteur, qui n’est pas tenu de verser la prestation
subsidiaire, sauf si la perte de la prestation principale est survenue par
sa faute.
Mais globalement, ces situations d’obligations alternatives ou
facultatives sont très rares et même les obligations conjonctives ne
sont pas si répandues que cela (souvent le contrat porte sur un objet
principal et créée seulement des obligations accessoires à l’obligation
principale).
30
Les obligations subjectivement plurales, en revanche, sont bien plus
fréquentes en pratique.
II. LA PLURALITÉ DE SUJETS
La pluralité de sujets se rencontre tant du côté actif que du côté
passif :
- Activement : le rapport lie plusieurs créanciers à un
débiteur
- Passivement : le rapport lie plusieurs débiteurs à un
créancier
La pluralité passive est de loin la plus répandue.
Exemple de cocréanciers : plusieurs prêteurs (banques). Cf.
Eurotunnel.
Exemple de codébiteurs : plusieurs emprunteurs (ex : les
associés fondateurs d’une société ; des époux).
PB : La question essentielle que soulève la pluralité de sujets est
de savoir s’il y a autant d’obligations que de sujets. De deux choses
l’une :
- Soit on divise la créance en autant de sujets : chaque obligation
est alors indépendante. Par exemple, si 2 époux empruntent, chaque
époux est tenu de la ½ du montant de l’emprunt.
- Soit, au contraire, l’obligation demeure unique en dépit de la
pluralité de sujets. Par conséquent, chaque débiteur est tenu de la
totalité de la dette et chaque créancier peut réclamer la totalité de
la créance (sous réserve d’éventuels recours ultérieurs entre
codébiteurs ou cocréanciers pour obtenir le remboursement de leur part
de l’obligation).
Question : Quelle solution paraît la plus logique ?
31
Ex : pour la colocation d’un appartement, est-il plus logique que
chaque colocataire soit tenu à l’ensemble du loyer ou que chacun ne soit
tenu que pour la moitié du loyer ?
Réponse : Pas de solution logique au problème, mais tentation de
répondre très différemment selon que l’on est débiteur ou créancier.
La solution du problème dépend de l’objectif politique que
l’on veut atteindre.
Schématiquement, concernant la pluralité passive :
La division de la dette est favorable aux débiteurs (ou défavorable
au créancier) puisque :
- Chaque débiteur ne peut être poursuivi en justice que pour
une partie de la dette. Autrement dit, cela oblige le
créancier à diviser les poursuites. Chaque lien est
indépendant l’un de l’autre.
Le risque d’insolvabilité de l’un des codébiteurs est supporté
par le créancier.
Réciproquement, le principe de l’unicité de la dette est favorable au
créancier puisque :
- Chaque débiteur doit la totalité de la dette
en cas d’insolvabilité d’un des codébiteurs, le créancier pourra
agir contre un codébiteur in bonis pour le tout.
Les données sont inversées s’agissant d’une pluralité active.
La division de la créance protège les créanciers puisque chaque
créancier ne peut réclamer qu’une partie de la créance. Le débiteur doit
diviser les paiements, si bien que tous les créanciers doivent obtenir
leur dû.
Alors qu’en cas d’unicité, chaque créancier peut réclamer la totalité
de la créance et le débiteur peut se libérer en payant 1 seul créancier.
C’est évidemment une solution dangereuse pour les autres créanciers,
le risque étant que le créancier payé disparaisse dans la nature. Plus rien
ne pourra être réclamé au débiteur qui s’est valablement libéré.
32
Le choix entre division et unicité dépend donc de l’intérêt que
l’on entend privilégier : celui du créancier ou celui du débiteur ?
A côté de ces considérations politiques, la réponse à la question
soulevée par les obligations subjectivement plurales dépend aussi de
considérations techniques, liées à la nature de la dette et à la
volonté des parties.
S’agissant de la nature, il faut que l’obligation soit divisible pour
que l’on puisse considérer que chaque débiteur n’est tenu qu’à une partie
de celle-ci. Cela exclut toute division lorsque les dettes sont par essence
indivisibles.
Ex : un vendeur a l’obligation de délivrer un animal vivant ; il
décède. C’est une obligation indivisible. Les héritiers ne peuvent pas
délivrer chacun de leur côté une partie de l’animal. Il faut le livrer dans
son entier.
En pratique cependant, la majorité des obligations sont
divisibles, notamment les fréquentes obligations de sommes d’argent.
Dans ces hypothèses, la volonté des parties peut alors influer sur
le régime de l’obligation, en rendant unique une obligation
naturellement divisible (réciproque pas vraie). Soit volonté expresse :
par ex. les parties stipulent que chaque codébiteur est tenu « pour le
tout ». La liberté contractuelle invite à donner à de telles stipulations.
Soit volonté implicite : par ex. dans un contrat d’édition
concernant un ouvrage écrit par plusieurs auteurs, il peut ressortir des
circonstances de l’espèce que les parties ont envisagé leurs obligations
comme formant un tout (pas deux parties autonomes rédigées mais
chapitres rédigés à quatre mains, même date pour rendre le manuscrit,
rémunération commune, etc.)
33
Mais sous ces réserves, le choix de la règle supplétive (entre
division et unicité de l’obligation à plusieurs sujets) reste très ouvert.
D’où des réponses variables dans l’Histoire.
En droit romain, l’obligation était indivisible tant passivement
qu’activement :
- En présence de plusieurs débiteurs, chacun d’eux était tenu de la
totalité de la dette.
- En présence d’une pluralité de créanciers, le débiteur pouvait se
libérer en payant l’un d’eux en totalité.
C’est Justinien qui a admis, comme une faveur, qu’un bénéfice de
division soit octroyé aux débiteurs. Lorsque le débiteur invoquait ce
bénéfice, le créancier était contraint de diviser ses poursuites contre les
débiteurs.
En droit romain, principe = indivisibilité de l’obligation ; limite =
bénéfice de division.
Ancien droit : Les juristes du Moyen-Age n’ont pas été fidèles au
droit romain. Ils ont renversé l’ordre des choses, en considérant la
division comme le principe et l’indivisibilité (ou la solidarité) comme
l’exception.
Et c’est finalement cette solution qui sera adoptée par le code
napoléon en 1804.
En droit positif, le principe est donc celui de la division.
D’où Plan – On commencera par étudier le principe selon lequel,
lorsque la situation juridique comporte une pluralité de sujets,
l’obligation est a priori supposée divisible. L’obligation qui en découle
est dénommée « conjointe » (§1). Cette règle connaît cependant de
nombreuses exceptions, regroupées en 3 catégories. Le principe de
division cède en effet lorsque l’obligation est indivisible (§ 2), solidaire
(§ 3) ou encore in solidum (§ 4).
34
§ 1. LES OBLIGATIONS CONJOINTES
En cas de pluralité de sujets, la règle en droit français est la
division. En principe :
- Chaque débiteur n’est tenu qu’à sa part de la dette
- Chaque créancier ne peut réclamer que sa part de la
créance
Le principe est posé par l’art. 1220 C. civ. à propos des héritiers
du créancier ou du débiteur (donc à propos d’obligations qui deviennent
plurales au cours de leur existence). Mais son domaine en droit
positif est plus large parce que la solidarité ne se présume pas.
La règle de l’art. 1220 du Code civil vaut pour toutes les obligations
plurales, qu’elles soient nées plurales ou devenues plurales après leur
naissance.
On dit alors que l’obligation est « conjointe » par opposition à
l’obligation « solidaire » : c’est le principe de la conjonction. En
principe donc, les obligations des co-débiteurs ou des co-créanciers se
juxtaposent sans se « mélanger » les unes avec les autres.
Le terme d’obligation « conjointe » ne paraît pas satisfaisant
puisque la notion de conjonction évoque par définition l’idée d’un
ensemble, alors que dans l’obligation conjointe l’obligation de chaque
débiteur/créancier est distincte de celle des autres. Mieux vaudrait parler
d’obligations « disjointes ».
Quoi qu’il en soit, le sens du principe est clair : il y a autant
d’obligations que de sujets, actifs ou passifs.
Conséquences pratiques :
- Si la dette est conjointe, le créancier devra poursuivre chacun
des débiteurs pour leur part dans la dette et c’est le créancier qui
supporte le risque d’insolvabilité. Pour la même raison, la mise en
35
demeure adressée par le créancier à l’un des débiteurs conjoints est
sans effet à l’égard des autres. Pareillement, l’interruption de la
prescription produit effet à l’encontre du débiteur conjoint qui en a été
l’objet, mais non à l’égard des autres débiteurs.
- Si la créance est conjointe, chaque créancier ne peut réclamer
au débiteur que sa part de la créance. Il ne peut pas réclamer le tout.
Par ailleurs, l’interruption de la prescription au profit du créancier
conjoint qui en a été l’auteur ne profite pas aux autres créanciers.
Ce principe ne s’impose pas forcément d’un point de vue logique et
surtout il ne correspond pas à la pratique car, en réalité, les
exceptions sont bien plus fréquentes que le principe. La majorité des
obligations plurales sont indivisibles, solidaires ou in solidum. Le fait que
l’obligation conjointe soit le principe reflète donc un choix politique,
une volonté de protéger les parties, les débiteurs en particulier
(puisque la pluralité passive est la plus fréquente). Mais ce choix est
critiqué par certains auteurs.
Le principe de division peut néanmoins être écarté, notamment
lorsque l’obligation est indivisible.
§ 2. Les obligations indivisibles
En général, l’indivisibilité est la qualité de ce qui ne peut être
divisé.
En droit des obligations, l’indivisibilité est une caractéristique
de l’objet de l’obligation, qui n’est pas susceptible de
fractionnement entre débiteurs ou entre créanciers. Conséquence :
obstacle à l’application du régime des obligations conjointes.
En pratique donc :
- En cas d’indivisibilité active (= pluralité de créanciers), chacun
des créanciers peut réclamer le paiement pour le tout au débiteur
36
(sachant qu’il devra évidemment ensuite rendre leur part de la créance
à ses cocréanciers). Réciproquement, le débiteur peut payer la totalité
de sa dette entre les mains de n’importe lequel des créanciers.
- En cas d’indivisibilité passive (= pluralité de débiteurs), chaque
débiteur est tenu de la dette pour le tout envers le créancier (art. 1222
C. civ.) et réciproquement, le paiement de la dette par l’un des
débiteurs libère les autres, sous réserve là encore du recours du
débiteur qui a payé contre les autres.
Il existe 2 causes d’indivisibilité :
- une indivisibilité « naturelle » découlant de ce que l’objet
dû n’est pas susceptible de division. Ex : une obligation
de confidentialité ; la délivrance d’une automobile.
- une indivisibilité conventionnelle découlant de la volonté
des parties de rendre indivisible, par une clause, ce qui
est divisible par nature. Ex : dette de somme d’argent
stipulée indivisible entre héritiers en cas de décès.
PB : L’indivisibilité conventionnelle doit-elle être expressément
stipulée ?
Non, pas forcément, elle peut ressortir de la volonté implicite
des parties, s’il apparaît qu’elles ont envisagée leur obligation,
naturellement divisible, comme un tout indivisible. Cf. art. 1218 C. civ. :
« L’obligation est indivisible, quoique la chose ou le fait qui en est l’objet
soit divisible par sa nature, si le rapport sous lequel elle est considérée
dans l’obligation ne la rend pas susceptible d’exécution partielle ».
Ex : Construction d’un ouvrage par une pluralité
d’intervenants. Chacun est responsable d’une partie des travaux (l’un
est responsable de la charpente, l’autre de l’électricité, etc.). Obligations
naturellement divisibles, mais en pratique l’opération peut être conçue
par les parties comme un ensemble indivisible.
Tout dépendra donc de la façon dont le juge interprète la
volonté des parties au contrat (casuistique).
37
NB : Une obligation liant un seul créancier à un seul débiteur
peut également être indivisible mais la reconnaissance de l’indivisibilité
n’a alors pas d’intérêt réel, puisque l’exécution partielle est
normalement interdite par l’art. 1244 C. civ., sauf au décès du
débiteur.
Effets de l’indivisibilité : Similaires à ceux de la solidarité,
notamment s’agissant du recours du codébiteur ayant payé seul
l’intégralité de la dette indivisible contre les autres.
V. infra.
Le principe de division est encore écarté lorsque les sujets au
rapport d’obligation sont solidaires.
§ 3. LA SOLIDARITÉ
Le régime de l’obligation solidaire figure aux articles 1197 à 1216
C. civ.
On s’intéressera à la notion de solidarité (A) avant d’en voir les
effets (B).
A. Notion
La solidarité se définit comme la situation dans laquelle, entre
plusieurs créanciers ou entre plusieurs débiteurs, il existe un lien
qui rend chacun d’entre eux créanciers de la totalité de la créance
ou débiteurs de la totalité de la dette.
En d’autres termes, la solidarité empêche le fractionnement de
l’obligation.
A nouveau, la solidarité peut être active ou passive.
38
En cas de solidarité active, il existe un lien entre les créanciers
qui fait que chacun peut réclamer la totalité de la créance au
débiteur.
Ex : compte-joint (entre époux ou concubins en général) avec un
solde créditeur. Le banquier doit la totalité de la créance à chacun
des titulaires du compte. Chaque époux/concubin peut retirer la totalité
des fonds déposés sur le compte.
PB : Dangereux donc en pratique, cette forme de solidarité est
rarement stipulée, sauf rapports de confiance particulièrement étroits
entre cocréanciers.
En bref, la solidarité active a un effet principal : chaque
créancier peut réclamer la totalité au débiteur et réciproquement, le
paiement fait à l’un des créanciers libère le débiteur à l’égard de
tous ; elle a aussi des effets secondaires :
- l’interruption de la prescription à l’égard de l’un des
créanciers solidaires profite aux autres.
- la mise en demeure faite au débiteur par l’un des
créanciers profite aux autres.
Horizontalement, dans les rapports entre créanciers, la créance
se divise. Si l’un des créanciers obtient le paiement de la totalité de la
créance, les autres ont un recours contre lui pour obtenir le versement
de leur part. La répartition se fait par parts égales, sauf clause
contraire. PB : L’efficacité du recours dépend de la solvabilité du
créancier accipiens et de sa bonne foi. Danger pour les autres
créanciers, qui explique que cette modalité soit rare.
On s’intéressera seulement à la solidarité passive dans la
suite des développements.
La solidarité passive, donc, joue en cas de pluralité de
débiteurs. Pour en saisir le fonctionnement, il faut distinguer obligation
à la dette et contribution à la dette :
39
- s’agissant de l’obligation à la dette (autrement dit des
rapports verticaux, entre le créancier et chacun des
codébiteurs), chacun des codébiteurs peut être
poursuivi en totalité en paiement de la dette et le
paiement par l’un des débiteurs libère les autres vis-à-vis
du créancier.
Avantage pour le créancier : il échappe ainsi au risque
d’insolvabilité de l’un des débiteurs. La solidarité passive
remplit donc une fonction de garantie, aujourd’hui
supérieure au cautionnement, tant la législation sur le
cautionnement est devenue protectrice.
- S’agissant de la contribution à la dette (en d’autres termes
des rapports horizontaux, unissant les codébiteurs entre
eux), le codébiteur solvens, celui qui a payé au-delà de sa
part, a un recours contre les autres débiteurs.
La division étant le principe, la solidarité est exceptionnelle
d’un point de vue théorique. Il faut donc qu’elle soit prévue. Comment ?
Quelles sont les sources de la solidarité ?
Trois types de sources :
- La convention : les parties stipulent une solidarité passive.
PB : Comment ?
V. art. 1202 C. civ. : « La solidarité ne se présume point ; il
faut qu’elle soit expressément stipulée ». Texte qui fonde
le principe de division en droit positif. Il faut donc une
stipulation expresse. Il n’y a pas de convention tacite sur
ce point (cf. indivisibilité).
Ex : on ne saurait déduire une solidarité passive du seul fait
que 2 époux ont signé un acte. Ils ne sont solidaires que si la
solidarité est exprimée dans l’acte.
NB1 : Idem pour la solidarité active.
40
NB2 : En revanche pas de formule sacramentelle = pas
nécessaire que les parties emploient formellement le mot
« solidaire » ou « solidarité ». La solidarité peut ressortir
d’une clause suffisamment claire et explicite du contrat,
même si elle n’emploie pas le mot lui-même. Ex : « chacun
des codébiteurs est tenu pour le tout ».
- La loi : Fréquent en pratique que la loi prévoit une
solidarité passive.
Ex : pour les dettes ménagères des époux (art. 220 C.
civ.) ; pour les coemprunteurs d’une même chose
(corporelle, pas somme d’argent) ; à la charge des parents
pour la dette de réparation du dommage causé par leur
enfant (art. 1384 al. 4 C. civ.)
- Source coutumière . La solidarité est présumée pour les
dettes commerciales.
NB : Rare exemple de coutume contra legem auquel il est
donné effet.
La solidarité étant définie, ces sources étant précisées, il reste à
présent à en préciser les effets.
B. Effets
Pour étudier le fonctionnement de la solidarité, 2 plans doivent
être distingués : le plan vertical (1) et le plan horizontal (2).
1. Le plan vertical : le droit de poursuite du créancier contre
les codébiteurs (l’obligation à la dette)
La solidarité produit des effets principaux et des effets
secondaires.
41
Effets principaux
L’effet premier de la solidarité est l’unicité de la dette solidaire.
- Chaque débiteur est tenu de la totalité de la dette envers le
créancier. Le créancier peut choisir d’agir contre tous ou contre l’un
d’entre eux ou certains d’entre eux seulement.
- Réciproquement, le paiement par l’un des codébiteurs libère les
autres envers le créancier. Si paiement partiel par l’un des
codébiteurs, il ne libère pas ce codébiteur en particulier mais tous les
codébiteurs à proportion du montant du paiement partiel.
PB : Conséquences de l’unicité de la dette sur la détermination des
exceptions opposables au créancier ?
Exception = argument que le débiteur peut opposer au créancier pour
refuser de payer.
Bien entendu, un codébiteur peut opposer au créancier
- les exceptions qui lui sont personnelles (ex : incapacité,
vice du consentement) ;
- les exceptions inhérentes à l’obligation ou communes à
l’ensemble des codébiteurs (prescription de l’obligation,
illicéité, vice du consentement commun, etc.)
PB : les arguments que l’un des codébiteurs peut opposer au créancier
pour ne pas payer sont-ils invocables par les autres ? Ex : remise de dette
accordée à un seul des codébiteurs.
D’un côté, il y a une pluralité de liens, autant de liens que de débiteurs.
Donc ce n’est pas parce que le lien entre le créancier et un codébiteur est
anéanti que les autres débiteurs sont libérés.
Mais de l’autre côté, il y a une unicité d’objet : l’objet de l’obligation est
unique, les différents liens d’obligation ont tous le même objet. Donc, ce
qui touche à cet objet profite à tous.
L’exception personnelle à un codébiteur ne peut pas être
opposée au créancier par les autres, mais la part de la dette
supportée par ce débiteur vient en diminution de la dette totale.
42
Ex : supposez 3 emprunteurs pour un montant total de 900 euros,
chacun à égalité. Le créancier consent une remise de dette à l’un des
codébiteurs en réservant ses droits contre les autres (à défaut remise
présumée commune). Ces derniers restent tenus car les liens sont
différents. La dette demeure, mais elle est amputée de la part
incombant au débiteur bénéficiaire de la remise. Donc les 2
débiteurs restants demeurent solidairement tenus, mais à hauteur de
600 seulement (cf. art. 1285 C. civ.).
Effets secondaires
- La mise en demeure adressée à l’un des débiteurs produit ses
effets à l’égard des autres. Enjeu : les intérêts moratoires (en cas de
retard de paiement) courent contre tous les débiteurs.
- L’interruption de la prescription à l’égard de l’un joue à l’égard
des autres.
- L’autorité de la chose jugée. Si un procès a lieu entre le
créancier et l’un des débiteurs et que ce débiteur est condamné, le
jugement a autorité de la chose jugée à l’égard des autres débiteurs.
2. Le plan horizontal : les rapports entre codébiteurs (la
contribution à la dette)
V. art. 1213 et 1214 C. civ.
Les rapports entre codébiteurs sont gouvernés par les 2 grandes
règles suivantes :
1. Le codébiteur qui a payé (le solvens) dispose d’un recours
contre les autres
2. Ce recours se divise entre les codébiteurs : le solvens ne peut
réclamer à chacun sa part.
1. Le solvens dispose d’un recours contre les codébiteurs
43
Ce recours suppose que 2 conditions soient remplies :
- Le débiteur doit avoir payé le créancier, directement ou
indirectement (par exemple, par une compensation)
- Le débiteur doit avoir payé plus que sa part (sans quoi le
recours n’aurait aucun sens) ; mais il n’est pas nécessaire
qu’il ait payé la totalité de la dette.
Le recours est prévu par l’art. 1214 C. civ., qui autorise le
codébiteur d’une dette solidaire « [à] répéter contre les autres les part et
portion de chacun d’eux ».
Ce recours est d’une double nature :
- C’est d’abord un recours personnel. Source : mandat ou
gestion d’affaires en l’absence de contrat. Idée : Le
codébiteur qui a payé tout ou partie de la part des autres
leur a rendu service, et il s’est appauvri pour cela. Il est
donc juste que ce codébiteur puisse se retourner contre
celui ou ceux qui en ont bénéficié.
Effet du recours : Le solvens peut réclamer le
remboursement de ce qu’il a payé, plus les intérêts de
retard à compter du paiement.
Avantage : Les intérêts courent de plein droit dès le jour
du paiement.
Inconvénient : Recours n’offrant aucune garantie. En cas
d’insolvabilité de l’un des codébiteurs, le débiteur solvens ne
récupère rien du codébiteur insolvable. Son recours est
théorique.
- Mais le recours du solvens peut également avoir une nature
subrogatoire. Ce recours provient du fait que le solvens est
subrogé dans les droits du créancier. Subrogation (cf.
infra, 2ème partie - La circulation des obligations) = technique
44
de transmission d’une créance à celui qui a payé le
créancier initial.
But : L’idée qui la fonde est la volonté d’inciter les tiers à
régler le créancier.
Ex : l’assureur qui en indemnisant son assuré paie la dette
de RC de l’auteur du dommage et recueille donc la créance
de DI de son assuré.
Sources : soit conventionnelle, soit légale et justement
prévue dans le cas du paiement d’une dette solidaire par
l’art. 1251 3° C. civ. subrogation automatique au profit
de celui qui est « tenu avec d’autres au paiement de la
dette ». Correspond bien au paiement d’une dette solidaire.
Avantage : le solvens exerce les droits du créancier et profite
ainsi des garanties et des sûretés dont il pouvait disposer
pour le paiement de sa créance.
Ex : un banquier prête une somme d’argent et prend une
hypothèque. La caution paie le créancier (la banque) et
recueille la créance. Le recours subrogatoire lui donne le
bénéfice de l’hypothèque. Idem si prêt octroyé à deux
emprunteurs solidaires et que l’un d’eux rembourse plus
que sa part.
Inconvénient : La subrogation ne joue qu’à hauteur du
paiement effectif, pas au-delà, car elle se fonde sur le
paiement.
Pas d’intérêts de retard.
Par faveur pour le solvens, il n’est pas obligé de choisir entre
les deux recours : il peut cumuler leurs avantages respectifs, c’est-à-
dire l’obtention d’intérêts de retard à compter du paiement et le
bénéfice de sûretés pour garantir le paiement. Etrange mais opportun.
2. Le recours se divise entre les codébiteurs
45
Le solvens ne recueille pas le bénéfice de la solidarité.
Ex : si l’un des 3 codébiteurs a payé 900 (le montant total), il ne
peut pas réclamer 900 au 2e, il ne peut même pas lui réclamer 600. Le
recours doit être divisé : celui qui a payé ne peut demander aux autres
débiteurs que leur part. V. art. 1213 C. civ. : « L’obligation contractée
solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les
débiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et
portion ».
Pourquoi cette solution ? Raison d’abord pratique : cela évite les
recours à l’infini, ensuite théorique : on considère habituellement que
la solidarité est un avantage pour le créancier uniquement.
PB1 : Comment faire lorsque l’un des codébiteurs est insolvable ?
Ex : 3 codébiteurs pour 900 ; l’un a payé la totalité de la dette. Si
chacun est tenu dans la même proportion, le solvens devrait pouvoir
réclamer 600 aux 2 autres (300 au 2e et 300 au 3e). Mais imaginons que
l’un des codébiteurs soit insolvable. La question est alors de savoir
qui supporte ce risque en définitive :
- est-ce celui qui a payé ? Concrètement, cela signifie qu’il
obtient 300 du codébiteur solvable et rien du codébiteur
insolvable. En définitive, il aura donc payé 600.
- est-ce que le risque est réparti entre les codébiteurs
solvables ? Concrètement, le solvens aurait un recours de
450 contre le débiteur solvable.
C’est cette seconde solution que retient l’art. 1214 al. 2 C. civ. : « Si
l’un des codébiteurs se trouve insolvable, la perte qu’occasionne son
insolvabilité se répartit, par contribution, entre tous les autres
codébiteurs solvables et celui qui a fait le paiement ».
PB2 : La part de chacun dans la dette est-elle toujours égale ?
Non, pas forcément. Parfois, chacun est tenu dans la même
proportion dans la dette. Ex : 2 époux achètent un appartement à
46
part égale, auquel cas la part de chacun dans la dette est d’½. Mais
parfois, la proportion n’est pas la même. Ex : possible que sur 3
codébiteurs, le 1er est tenu à hauteur de 50 %, les deux autres à hauteur
de 25 % chacun.
Comment déterminer la part de chaque codébiteur dans la
dette ?
En principe, la dette se divise par part virile (ie par le nombre de
têtes). S’il y a 4 codébiteurs, chacun supporte ¼ de la dette.
Mais ce principe peut être écarté :
- soit par une convention contraire expresse ;
- soit, lorsque la dette est contractée solidairement dans
l’intérêt d’un seul codébiteur. Les codébiteurs non
intéressés sont alors traités comme des cautions : ils ont
un recours intégral. Cela résulte de l’art. 1216 C. civ.
Donc, si le débiteur intéressé a payé, il n’a pas de
recours. Et si un débiteur non intéressé a payé, le solvens a
un recours intégral contre le débiteur intéressé, ou un
recours partiel contre les autres codébiteurs non
intéressés.
L’hypothèse est de plus en plus fréquente en pratique.
La législation contemporaine étant devenue trop
protectrice de la caution, les banques préfèrent
maintenant obtenir un engagement solidaire plutôt qu’un
cautionnement à l’efficacité incertaine. La solidarité est une
garantie plus sûre.
En résumé, la détermination de la part dépend tantôt de la
volonté des parties, tantôt de l’intérêt des parties, selon les
circonstances.
Transition - L’obligation solidaire étant une exception, elle doit
trouver son fondement dans un acte juridique ou dans la loi. Toutefois,
aussi larges soient ces possibilités, elles n’ont pas paru suffisantes à la
47
jurisprudence. Pour conférer une solidarité aux obligations découlant
d’un jugement, les juges se sont donc reconnu le pouvoir de prononcer
des condamnations in solidum.
§ 4. L’OBLIGATION IN SOLIDUM
Définition : L’obligation in solidum est une obligation au tout
pesant sur des débiteurs tenus d’exécuter une prestation identique
envers un créancier.
Ex : En droit de la RC, l’obligation pesant sur chacun des
coauteurs d’un même dommage de le réparer en entier.
Cette obligation est reconnue à condition que le préjudice causé à
la victime soit unique.
Peu importe le fondement de la RC (ex : que l’un soit
responsable pour faute, l’autre pour le fait de la chose dont il a la garde).
Peu importe également la nature de la responsabilité. Par
exemple, en cas de complicité de violation d’une obligation contractuelle,
l’un des auteurs est responsable contractuellement, l’autre
délictuellement. Cela n’empêche pas une condamnation in solidum.
Quelle est la source (A) de cette obligation et quels en sont les
effets (B) ?
A - La source
L’obligation in solidum est une invention jurisprudentielle,
fondée sur des considérations théoriques et pratiques.
En théorie, l’obligation in solidum trouve son origine dans
l’exclusion de la causalité partielle. Ex : une maison s’effondre à la
fois parce que l’architecte l’a mal conçue, parce que l’entrepreneur l’a
mal construite et parce qu’un voisin a effectué des travaux qui ont
déstabilisé le sol. On pourrait concevoir que chaque fait soit la cause
48
d’une partie du dommage, par exemple, l’un à hauteur de 40 %, les deux
autres à hauteur de 30 % (ou chacun à hauteur d’1/3). Mais plutôt que
de procéder à une telle division, la jurisprudence française retient une
conception plus abrupte de la causalité : la causalité est ou n’est pas.
Elle n’est pas partielle. Chaque coresponsable est censé avoir causé
la totalité du dommage. De cette manière, la jurisprudence autorise la
victime à s’adresser à l’un des coresponsables pour la totalité de la
réparation. Toutefois, le débiteur solvens a un recours contre les autres
responsables.
En pratique l’obligation in solidum remédie au fait que, dans la
mesure où la solidarité ne se présume pas, le juge ne peut pas, en
dehors des cas prévus par la loi ou la coutume, assortir de la solidarité
ses décisions condamnant plusieurs personnes. C’est pourquoi elle a créé
l’obligation in solidum en matière de RC, afin d’améliorer le sort de la
victime qui ne supporte pas le risque d’insolvabilité de l’un des
coauteurs de son dommage.
Cependant l’obligation in solidum n’est pas utilisée à tort et à
travers par la jurisprudence pour renverser le principe de division
des dettes des codébiteurs qui prévaut en droit français.
L’obligation in solidum n’est globalement utilisée que dans des
hypothèses où le créancier est en situation de faiblesse et mérite la
protection qui lui est ainsi accordée.
Ex : obligation in solidum en faveur du créancier d’aliments
lorsqu’il y a plusieurs débiteurs d’aliments (ex : le père et la mère de
l’enfant). En revanche, la Cour de cassation refuse de condamner des
coemprunteurs in solidum lorsque le contrat de prêt ne stipule pas que
leur obligation est solidaire. Le prêteur a négligé de stipuler la solidarité
dans le contrat, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
B - Les effets de l’obligation in solidum
Il faut distinguer à nouveau obligation et contribution à la dette.
49
Obligation à la dette :
- L’obligation in solidum a les mêmes effets principaux que la
solidarité passive : le créancier peut s’adresser à l’un des codébiteurs
pour le tout. Il n’a pas à diviser les poursuites. Comme chaque
coresponsable est censé avoir causé tout le dommage, il s’ensuit que
chacun doit le réparer en entier.
Réciproquement, le paiement fait par l’un des codébiteurs in
solidum libère les autres.
- En revanche, les effets secondaires de la solidarité sont écartés.
Ainsi l’interruption de la prescription à l’égard de l’un ne joue pas à
l’égard des autres. Il en va de même pour la mise en demeure ou pour
l’opposabilité de la chose jugée.
Il n’est pas facile de comprendre pourquoi les effets secondaires
sont exclus. La doctrine est partagée. Peut-être est-ce tout simplement
parce que l’obligation solidaire et l’obligation in solidum n’ont pas les
mêmes sources (les juges n’ont pas voulu aller trop loin dans la
création).
Contribution à la dette :
Dans les rapports entre codébiteurs, celui qui a payé plus que sa
part dispose d’un recours mais la dette se divise alors.
Deux différences à noter par rapport à la solidarité :
Nature du recours : subrogatoire. Même fondement que pour la
solidarité passive : l’art. 1251 3° C. civ. (subrogation légale de celui qui
était obligé de payer le créancier).
Mais il n’est pas certain que le solvens dispose d’un recours
personnel car il n’a pas rendu service à autrui : il est intégralement
responsable. La Cour de cassation a admis ce recours dans un arrêt
rendu le 7 juin 1977 (Bull. civ. I, n° 266), mais décision est isolée.
Détermination des parts contributives : elle dépend de la nature
de la responsabilité de chaque protagoniste : faute ou pas, et si
50
plusieurs fautes, gravité de la faute prise en compte : plus la faute est
grave, plus la charge définitive de la dette sera lourde ; si aucune faute,
parts viriles (en gros). Le détail de ces règles relève du droit de la RC.
Transition - Ainsi s’achève l’étude des obligations plurales et avec
elle l’étude des modalités des obligations. C’est en gardant leur régime
juridique à l’esprit qu’il faut maintenant aborder la circulation des
obligations.
51
Deuxième partie – LA CIRCULATION DES OBLIGATIONS
Qu’entend-t-on lorsque l’on parle de « circulation des
obligations » ?
Le terme « circulation » ne figure pas dans le Code civil. C’est
une expression d’origine doctrinale, aujourd’hui usuelle.
Définition – La circulation d’une obligation est l’opération par
laquelle l’obligation change de titulaire, soit de créancier, soit de
débiteur, entre le moment de sa naissance et le moment du
paiement.
Ex1 : un prêteur possède une créance à terme mais il a un
besoin immédiat de liquidités. Il peut alors « vendre » sa créance, à
une banque par exemple, pour obtenir des liquidités. Plus exactement,
opération dénommée la « cession de créance ».
Intérêt pour la banque ? En général, la cession se fera pour un prix
inférieur à la valeur nominale de la créance (par exemple le
créancier vend 80 une créance de 100). La différence = contrepartie du
fait que le nouveau créancier, le « cessionnaire », doit attendre
l’échéance du terme pour obtenir le paiement de la créance et qu’il
supporte désormais le risque d’insolvabilité du débiteur.
Ex2 : un tiers paie le créancier à la place du débiteur, en
obtenant une subrogation de la part du créancier, qui permet au tiers de
recueillir la créance et de devenir le nouveau créancier du débiteur.
Ex : une personne est victime d’un dégât des eaux parce que son voisin
a laissé un robinet ouvert en partant. L’assureur indemnise
immédiatement la victime à la place du responsable et est subrogé
dans les droits de la victime : il recueille la créance contre le
responsable. But : inciter les tiers à payer la dette d’autrui, en
52
l’occurrence un tiers mieux à même que le créancier initial de
supporter un délai ou un défaut de paiement.
Pour bien comprendre les difficultés soulevées par ce type
d’opération, il faut se rappeler que l’obligation a une double nature.
C’est un lien et un bien. L’obligation est un bien (incorporel) car elle a
une valeur patrimoniale. Donc a priori, comme tout autre bien elle doit
pouvoir circuler d’un patrimoine à un autre. Mais l’obligation est aussi
un droit personnel, c’est-à-dire un lien de droit entre deux
personnes.
Les opérations de transfert d’obligations ont donc pour
caractéristique qu’elles impliquent une autre personne que les parties
à l’opération réalisant le transfert (ex : la cession de créance est
conclue entre cédant et cessionnaire, mais elle implique aussi le
débiteur de la créance cédée). Cf. expression utilisée en doctrine
d’« opérations à 3 personnes ». Parce qu’un tiers est impliqué, les
transferts d’obligations ne peuvent être traités comme les transferts
d’autres biens et que des règles particulières doivent être édictées.
En droit romain primitif, la circulation des obligations était
radicalement impossible. Céder sa créance ou sa dette détruisait le
rapport d’obligation originel, car on ne pouvait précisément
concevoir qu’un lien entre deux personnes soit transmis à une
autre personne. PB : Les opérations de circulation des obligations sont
utiles socialement (v. ex. supra) : elles sont nécessaires au crédit, elles
accélèrent le paiement et elles peuvent aussi réduire les coûts
(paiements simplifiés) et offrir des garanties. D’où la NECESSITE de
créer des mécanismes organisant la circulation des obligations
dans l’optique de les doter d’un régime juridique sinon favorable, du
moins censé ne pas les entraver.
53
Plan – Une distinction fondamentale s’impose. Comme on l’a
signalé dans la définition de la circulation de l’obligation, le changement
de titulaire peut concerner soit le créancier, soit le débiteur.
- Le changement de créancier s’opère grâce à une cession
de créance ou une subrogation. Ce changement ne pose
pas véritablement de problème car, en général, la
personne du créancier est indifférente. Donc pas besoin
de l’accord du débiteur + la créance reste la même, avec
ses accessoires, ses exceptions.
- Mais la circulation peut aussi s’opérer par un changement
de débiteur.
Ex1 : un immeuble loué est vendu ; le contrat de bail se
poursuit légalement (art. 1743 C. civ.) ; donc le débiteur
de l’obligation de jouissance (propriétaire de l’immeuble)
change. Ex2 : Le dirigeant d’une société, qui s’était porté
caution pour la société, vend ses actions. L’acheteur
s’engage comme caution à la place de l’ancien dirigeant.
Il y a un changement de la personne de la caution, qui est
possible si la banque l’accepte.
PB : La personne du débiteur n’est pas indifférente au
créancier, tout simplement parce que sa solvabilité lui
importe. D’où impossibilité de libérer l’ancien débiteur
sans l’accord du créancier. Techniquement, ces
opérations ne sont en outre pas translatives. Le processus
mis en œuvre consiste à ce qu’un nouveau débiteur
s’engage à côté ou à la place de l’ancien selon le souhait
du créancier. D’où création d’une obligation nouvelle.
La circulation de l’obligation peut donc suivre deux procédés
distincts : soit il y a transfert de l’obligation préexistante (Titre I), soit il
y a création d’une obligation nouvelle (Titre II).
Titre I : Le transfert de l’obligation
54
Titre II : La création d’une obligation nouvelle
Titre I – LE TRANSFERT DE L’OBLIGATION
Définition – Le terme « transfert » signale que le même droit, qui
conserve son identité, ses caractères, ses accessoires, est affecté par un
changement de titulaire. Le même droit, avec ses avantages (sûretés)
et ses inconvénients (courte prescription par exemple) est donc
transmis de l’ancien créancier au nouveau.
Ex1 : Bail conclu par un locataire a fourni une sûreté (ex : dépôt de
garantie ou cautionnement). Le bailleur cède sa créance de loyer à
son banquier. Le banquier, qui est le nouveau créancier (cessionnaire),
peut réclamer le paiement et il bénéficie aussi automatiquement des
sûretés accessoires (dépôt de garantie et/ou cautionnement).
Ex2 : vente internationale de marchandises contenant une
clause d’arbitrage. Le vendeur a besoin d’argent. Il cède sa créance
de paiement du prix (payable à terme). Le cessionnaire recueille
cette créance mais aussi la clause d’arbitrage figurant au contrat. En
cas de litige, cette clause sera applicable.
PLAN – Le transfert de l’obligation doit être envisagé sous ses 2
angles, actif (transfert de la créance) et passif (transfert de la dette).
- Le transfert de la créance peut être réalisé de 2
manières :
o Soit en aliénant la créance. C’est le mode prévu par les
art. 1689 et s. C. civ. qui traite cette aliénation comme
une vente : le créancier « vend » sa créance. C’est la
cession de créance (Chap. I).
o Soit en remplaçant le créancier par un autre
créancier. La créance est transmise sur la base d’un
paiement. Contrairement à l’hypothèse précédente, il n’y
55
a pas d’esprit spéculatif. Le procédé est conçu pour inciter
autrui à payer le créancier. C’est la subrogation
personnelle (Chap. II).
- Quant au transfert de dette, c’est-à-dire le transfert de son
obligation par le débiteur, la question se pose de savoir s’il
est admissible (parce que la personne du débiteur est
rarement indifférente au créancier). C’est ce que nous
verrons dans un Chap. III consacré à la cession de dette.
Chapitre I – LA CESSION DE CRÉANCE
V. art. 1689 et suivants du Code civil.
Définition – La cession de créance est la convention par laquelle
une personne, appelée le cédant, transfère à une autre personne,
appelée cessionnaire, sa créance contre son débiteur, appelé
débiteur cédé.
En droit positif, la validité de l’opération est admise sans
difficulté, que le créancier cède sa créance à titre onéreux (vente), ou
à titre gratuit (la créance est l’objet d’une donation).
Ce pouvoir d’aliénation semble logique, voire évident, dans un
système consensualiste comme le nôtre. Mais il n’a pas toujours été
admis.
En droit romain, l’obligation naissait de l’accomplissement de
formes (il fallait prononcer des paroles sacramentelles, rédiger un
écrit ou remettre une chose). Cela faisait obstacle au changement de
créancier car les formes devaient être accomplies entre le débiteur
et le créancier de l’obligation.
Seul moyen de modifier le titulaire d’une obligation : procéder à
un nouvel échange de paroles sacramentelles avec le tiers, donc de
56
créer une nouvelle obligation à l’égard du nouveau créancier. PB :
Procédé lourd + les sûretés attachées à la première créance
disparaissent en même temps qu’elle (puisque précisément l’opération
n’était pas un transfert de la créance originelle).
Mais peu à peu, le formalisme a décliné en droit romain pour
laisser place au consensualisme + nécessaire pour les besoins du
commerce d’admettre la cession de créance.
Utilisation du mandat (procuratio) comme moyen détourné de céder
une créance. Le créancier originel donnait mandat à une autre
personne de recevoir le paiement à sa place. PB : Le mandat est
toujours révocable (ad nutum). Si bien que le débiteur n’est jamais
certain que le mandat n’a pas été révoqué, et s’expose au risque de
devoir payer une deuxième fois !
Pour garantir la sécurité du procédé, on prit l’habitude de faire
signifier le mandat au débiteur. Le débiteur pouvait alors payer le
mandataire en toute sécurité, du moins tant que la dénonciation du
mandat ne lui avait pas été signifiée. Et cette technique est l’ancêtre de
la formalité aujourd’hui prévue à l’art. 1690 C. civ. pour rendre la
cession opposable au débiteur cédé.
PB : Le procédé de l’art. 1690 demeure complexe à mettre en
œuvre et coûteux.
On a cherché des moyens de l’assouplir. D’où l’existence, en droit
positif, de deux types de cessions de créance soumises à des régimes
différents : le régime de droit commun, assez complexe, et des
régimes spéciaux conçus pour simplifier la cession de créance.
Plan : On étudiera d’abord la cession de créance de droit commun
(section I) ; pour comprendre le régime des cessions simplifiées
(section II).
I. LA CESSION DE CRÉANCE DE DROIT COMMUN
57
V. art. 1689 à 1701 C. civ., regroupés dans un Chapitre
(bizarrement) intitulé « Du transport des créances et autres droits
incorporels ».
Même si la cession de créance de droit commun est aujourd’hui
concurrencée par les modes simplifiés de cession, elle n’en reste pas
moins d’une grande utilité pratique.
Pour quoi faire ? Quelles sont les fonctions de la cession de
créance ?
- Vendre la créance pour obtenir des liquidités et éventuellement
ne pas supporter le risque d’insolvabilité. C’est alors une opération
spéculative. On vend une créance, échue ou plus souvent à échoir,
comme n’importe quel bien ou marchandise, au plus offrant. Ex : un
commerçant cède à un banquier sa créance de 100 au prix de 80. C’est
la conception du Code civil. Elle est exacte, mais insuffisante car une
cession de créance peut avoir d’autres fonctions.
- Faire une libéralité (donation s’agissant d’une transmission
entre vifs ; mais un legs est possible). Le créancier cède la créance dans
une intention libérale et sans exiger de contrepartie (pas de prix). Ex :
les parents qui cèdent leur créance de loyers à leur enfant (cf.
colocation). [Soit la donation est ostensible et elle doit obéir au
formalisme légal. Soit la donation est déguisée sous l’apparence d’un acte
à titre onéreux et elle n’a pas à suivre ce formalisme].
- Effectuer un paiement. Cela suppose que le cédant soit tenu
d’une obligation préexistante envers le cessionnaire. Pour payer sa
dette, le cédant transmet au cessionnaire sa créance contre le cédé.
Ex : Pierre doit 10 à Paul et Jacques doit 10 à Pierre, Pierre peut céder à
Paul la créance qu’il a contre Jacques.
58
- Constituer une sûreté. La créance est cédée pour garantir un
crédit. C’est la fonction la plus moderne de la cession de créance, mais
aussi la plus éloignée de la conception du Code civil. Le code conçoit
la cession de créance comme une vente, alors qu’ici :
* il n’y a pas de prix
* le cessionnaire contracte l’obligation de restituer la créance
si la dette principale est payée. C’est donc une propriété
temporaire, qui ne devient définitive qu’en cas de non-paiement.
Avantage clé pour le créancier cessionnaire : il est
propriétaire ! La créance cédée entre dans son patrimoine et
échappe ainsi aux poursuites des autres créanciers du cédant.
Cette forme de cession s’appelle « cession fiduciaire », parce
qu’elle n’est qu’une illustration du mécanisme de la fiducie (=
transférer la propriété d’un bien à titre de garantie).
PB : Ce type de cession est-il autorisé ?
Oui entre professionnels grâce à la Loi Dailly du 2 janvier
1981, permettant la cession à un établissement de crédit, en garantie
d’un crédit professionnel, lorsque la créance résulte d’une activité
professionnelle (v. infra).
PB : Quid en droit commun ? Pourquoi pas ? Principe =
consensualisme et liberté des conventions. Que dit la
jurisprudence ?
La Cour de cassation a semblé favorable à ce type de cession de créance
(v. implicitement, à propos d’une cession fiduciaire de loyers futurs,
Civ. 1re, 20 mars 2001, Bull. civ. I, n° 76). Mais elle a récemment adopté
une attitude nettement moins favorable à la cession de créance à titre
de garantie, dans un arrêt Cass. com., 19 décembre 2006, Bull. civ. IV,
n° 250, qui dit qu’en dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un
débiteur cède à son créancier, à titre de garantie, ses droits sur des
créances, constitue un simple nantissement de créance.
L’acte doit respecter les conditions du nantissement et que le
créancier nanti ne devient pas propriétaire de la créance. Il a un
simple droit de préférence sur elle.
59
Portée incertaine : revirement de jurisprudence ou divergence entre
chambres ? Le doute demeure.
En pratique, moins important depuis qu’une loi a été votée en
France (L. 19 février 2007) autorisant la fiducie y compris à titre de
sûreté (v. art. 2018-2 C. civ.). Initialement, ne pouvait constituer une
fiducie qu’une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés.
Tous les débiteurs personnes physiques, PM non commerciales et PM
commerciales non soumises à l’impôt sur les sociétés, étaient donc exclus
du bénéfice de cette loi. La question de la validité de la cession fiduciaire
restait intéressante. Une retouche récente de la loi a cependant
complètement ouvert la fiducie.
Dans ce cadre, les cessions fiduciaires sont donc aujourd’hui
autorisées.
PB : Formalités différentes de celles de la cession de créance de
droit commun et notamment enregistrement de la fiducie auprès de
l’administration fiscale (lourd !).
Au Luxembourg, la question de la validité de la cession fiduciaire
ne se pose plus depuis longtemps car la fiducie, admise au Luxembourg
dès 1983 (RGD 19 juillet 1983), est soumise à des conditions moins
restrictives, et notamment peut être constituée depuis longtemps par
n’importe quelle personne capable.
Plan – On examinera les conditions (§ 1) puis les effets (§ 2) de la
cession de créance.
§ 1. Les conditions de la cession de créance
Traditionnellement, on distingue 2 types de conditions.
D’abord, la cession de créance est une convention entre cédant et
cessionnaire. Comme toute convention, elle obéit à des conditions de
validité (A).
60
Ensuite, puisque cette convention porte sur une créance, elle
intéresse les tiers : le débiteur cédé naturellement qui se retrouve lié
au cessionnaire, mais aussi les créanciers et ayants cause du cédant
qui ont tous intérêt à faire admettre que la créance n’est, à leurs yeux,
jamais sortie du patrimoine du cédant (leur débiteur). Pour cette raison,
la cession de créance doit remplir des conditions d’opposabilité (B).
A. Les conditions de validité
Conditions de validité de droit commun en principe (art. 1108 s.
C. civ.) : capacité des parties, consentement sérieux et exempt de vice,
objet certain et cause licite.
Seules questions appelant des précisions : le consentement et
l’objet de la cession.
Sur le consentement, il faut souligner qu’il s’agit uniquement du
consentement de cédant et du cessionnaire. Le consentement du
débiteur cédé n’est PAS une condition de la cession.
C’est opportun et logique (peu lui importe l’identité de son
créancier).
S’agissant de l’objet de la cession de créance, c’est la créance
cédée.
La question est donc de savoir si la créance est cessible.
La réponse est positive en principe. Par conséquent, il n’est pas
nécessaire de le stipuler dans le contrat initial. Peu importe que la
créance soit échue ou à échoir, conditionnelle, de somme d’argent ou
d’une autre nature (ex : parts sociales).
Ce principe s’applique-t-il aux créances futures ? Peut-on céder
une créance qui n’est pas encore née ? En droit commun, la Cour de
cassation l’a admis à propos de loyers à naître issus de baux non
encore conclus au moment de la cession. C’est l’arrêt de la 1ère ch.
civile du 20 mars 2001 (précité) qui affirme que « les créances futures
61
ou éventuelles peuvent faire l’objet d’un contrat, sous la réserve de leur
identification ». Cf. art. 1130 C. civ. selon lequel les choses futures
peuvent être l’objet d’une obligation.
Le principe souffre deux séries d’exceptions :
- Exceptions légales : créances alimentaires. Elles sont
incessibles afin de protéger leur créancier. C’est
également vrai, dans une certaine mesure, des créances de
salaires. C’est un peu la même idée : le salaire remplit en
partie une fonction alimentaire. La règle est la même pour
les pensions de retraite.
- Exception conventionnelle : clause d’incessibilité ou
clause d’agrément (l’agrément du débiteur est requis
pour que la cession opère, par exemple en cas de cession de
parts sociales).
PB1 : ces clauses sont-elles valables ? La réponse est
positive, sauf si la clause vise les créances des producteurs,
commerçants, industriels ou artisans (art. L. 442-6 II c C.
com.).
PB2 : que se passe-t-il si la créance est cédée malgré la
clause d’incessibilité ou sans demande d’agrément ou
malgré le refus d’agrément ? La cession est-elle nulle ? Est-
elle valable tout en donnant lieu à des dommages-
intérêts ? La jurisprudence a évolué : Cass. com. 21
novembre 2000 (Bull. civ. IV, n° 180) avait décidé que le
cessionnaire n’était pas lié par la clause d’agrément
stipulée dans le contrat dont la créance était issue, au motif
qu’il était tiers à ce contrat. Le cédé pouvait donc
seulement engager la responsabilité contractuelle du
cédant n’ayant pas respecté la clause. La solution était
critiquable car le contrat contenant la clause d’agrément
est opposable au cessionnaire. D’où un revirement :
Cass. com., 22 octobre 2002, RTD civ. 2003, p. 129 obs.
62
CROCQ, décidant que la clause d’incessibilité est opposable
au cessionnaire et la cession annulable.
Il faut à présent examiner à quelles conditions la cession de créance
est opposable aux tiers.
B. Les conditions d’opposabilité
Pour que la cession de créance soit opposable aux tiers, les
parties (le cédant et le cessionnaire) doivent accomplir certaines
formalités (cf. principe de l’opposabilité de plein droit).
Ces formalités sont prévues à l’art. 1690 C. civ. C’est un texte
fondamental. Il dispose :
« Le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la
signification du transport faite au débiteur.
Néanmoins le cessionnaire peut être également saisi par
l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte
authentique ».
L’emploi du mot « saisi » trahit l’influence de l’Ancien droit. A
l’époque, pour que la cession de créance soit efficace, il fallait que le
cessionnaire soit « ensaisiné ». Il était ensaisiné lorsque la cession était
signifiée au débiteur cédé. La signification emportait transfert de
propriété de la créance. Tant que la cession n’était pas signifiée au cédé,
la créance restait dans le patrimoine du cédant. Pourquoi ? Parce que le
transfert de propriété ne s’opérait pas solo consensu dans l’Ancien
droit (ensaisinement = traditio du droit romain).
Faut-il interpréter le terme « saisi » figurant à l’art. 1690 C. civ.
dans son sens historique, comme signalant que les formalités prévues
par ce texte sont nécessaires au transfert de propriété de la créance ? La
réponse est négative :
- d’abord, parce que dans le Code civil, le transfert de
propriété a lieu par le seul échange des consentements,
63
sans formalité particulière. Idem pour la créance transmise
au cessionnaire dès la conclusion du contrat de cession.
- ensuite, parce que l’art. 1690 précise bien que c’est « à
l’égard des tiers » que le cessionnaire est « saisi » par la
signification. Il règle les rapports entre les parties et les
tiers uniquement. Les formalités prévues par l’art. 1690
ne concernent pas les rapports entre les parties, qui
elles sont soumises au droit commun, donc au
consensualisme.
Les formalités de l’art. 1690 C. civ. sont seulement des formalités
de publicité, d’opposabilité aux tiers, et en particulier au débiteur
cédé. Si ces formalités ne sont pas respectées, les tiers peuvent « faire
comme si » que la créance n’était jamais sortie du patrimoine du
cédant, autrement dit ignorer l’existence de la cession.
Plan – L’art. 1690 C. civ. prévoit 2 formalités alternatives. Nous
verrons successivement leur contenu (1) puis leur rôle (2).
1. Le contenu des formalités prévues par l’art.
1690 C. civ.
D’après l’art. 1690 C. civ., les parties peuvent choisir entre 2
formalités pour rendre la cession de créance opposable aux tiers : soit la
signification de la cession au débiteur cédé, soit l’acceptation par le
débiteur cédé dans un acte authentique. De quoi s’agit-il ?
La signification – La signification est un exploit (acte) d’huissier
de justice. C’est un procédé formaliste d’information de celui auquel
elle est adressée, que le législateur rend ici obligatoire pour s’assurer
que le débiteur cédé est effectivement informé de la cession.
Garantit l’efficacité et la sécurité de la cession grâce à sa date
certaine.
64
PB : Est-ce au cédant ou au cessionnaire de procéder à la
signification de la cession ? Du silence de l’art. 1690 on peut déduire que
cette formalité peut être accomplie par n’importe laquelle des
parties. Mais en pratique c’est généralement le cessionnaire qui
prend l’initiative de la signification, car il est dans son intérêt de rendre
le plus vite possible la cession opposable aux tiers.
L’acceptation dans un acte authentique – Cette formalité est
plus rarement employée car elle est plus coûteuse. Elle ne le sera que
si la cession de créance a lieu par acte authentique. Dans ce cas, par
souci de simplicité, les parties demanderont au débiteur cédé de
donner son « acceptation ». Attention cependant !!!! Le terme
employé par le Code civil est trompeur. Il ne s’agit PAS de demander
au débiteur son consentement à la cession : il ne devient pas partie
au contrat de cession de créance ; il ne prend pas un nouvel engagement.
La cession nécessite seulement l’échange des consentements du cédant
et du cessionnaire. Tout ce que l’on demande au débiteur, c’est son
acquiescement. De cette façon, il reconnaît avoir été informé, averti,
de la cession. Là encore, l’acte aura date certaine, ce qui évite les
fraudes aux droits acquis par les tiers sur la créance cédée.
Assouplissements jurisprudentiels – Les formalités légales sont
lourdes et coûteuses (elles font toutes intervenir des officiers publics,
huissiers ou notaires).
La jurisprudence a interprété l’art. 1690 avec souplesse.
La Cour de cassation reconnaît l’efficacité de formalités
équivalentes à celles prévues par la loi :
- Par exemple, la signification peut être faite par une
assignation en paiement ou un commandement de
payer, à condition qu’ils informent correctement le cédé
de la cession.
- La jurisprudence admet également qu’une « acceptation »
dans un acte ssp, voire une acceptation verbale, équivaut
65
à une « acceptation » par acte authentique dans les
rapports cessionnaire/débiteur cédé. Mais
l’assouplissement ne vaut pas dans les rapports entre
cessionnaire et les autres tiers, pour lesquels l’acceptation
par acte authentique est requise. Concrètement, le débiteur
cédé ne pourra plus se libérer valablement en payant sa
dette entre les mains du cédant.
NB : Au Luxembourg, l’art. 1690 du Code civil a été modifié pour
assouplir ces formalités. L’article 1690 énonce désormais : « Le
cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la notification du
transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut également
être saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur. La
notification et l’acceptation du transport s’effectuent soit par un acte
authentique, soit par un acte sous seing sous privé. Dans ce dernier cas,
si un tiers conteste la date de la notification ou de l’acceptation du
transport, la preuve de cette date peut être rapportée par tous les
moyens ». On arrive ainsi finalement à des solutions relativement
proches du droit français (parfois plus souple : la notification peut se
faire par simple ASSP au Luxembourg alors qu’en France seule
l’acceptation peut se faire par ASSP + suffit pour l’opposabilité à tous
les 1/3, pas seulement au débiteur cédé ; mais possibilité d’une
acceptation verbale en France, pas envisagée dans le C. civ.
luxembourgeois). L’assouplissement apporté par la jurisprudence en
France est ainsi apporté dans la loi au Luxembourg.
PB : quid si aucune formalité prévue l’art. 1690 n’est respectée
mais qu’il apparaît que le débiteur cédé a malgré tout connaissance de
la cession de créance, par exemple, grâce à une lettre simple ? La
connaissance suffit-elle à assurer l’opposabilité de la cession au
débiteur ?
La jurisprudence ne l’admet pas en principe. La connaissance
n’est pas en elle-même l’équivalent d’une formalité. Elle ne suffit pas à
66
rendre la cession opposable au cédé, sous réserve d’un concert
frauduleux entre le cédé et le cédant. La solution est inutilement
rigide car, au fond, c’est bien la connaissance qui importe. C’est le
but ultime de l’accomplissement des formalités que d’informer les tiers.
Sans revenir sur le principe, la C. cass° a admis que la fraude
soit constituée par la seule connaissance de la cession, de sorte que le
paiement fait par le cédé au cédant, au détriment du cessionnaire, n’est
pas libératoire (Com., 26 novembre 2003, Bull. civ. IV, n° 176). Même
solution au Luxembourg à l’art. 1691 C. civ. (depuis nouvelle rédaction
en 1994).
2. Le rôle des formalités prévues par l’art. 1690 C.
civ.
Le rôle des formalités varie selon le tiers concerné. Il faut en effet
mettre à part le débiteur cédé, qui est certes un tiers au contrat de
cession, mais qui est partie à la créance transférée.
a) Rôle à l’égard du débiteur cédé
Les formalités servent à rendre la cession opposable. Donc, tant
qu’elles ne sont pas accomplies, le cessionnaire ne devrait pas
pouvoir se prévaloir de la créance à l’égard du cédé. Pour le
débiteur cédé non averti, le seul créancier est le cédant.
Si le débiteur n’est pas prévenu et qu’il paie le cédant, il est
libéré alors qu’il a mal payé. V. art. 1691 C. civ. (« Si, avant que le
cédant ou le cessionnaire eût signifié le transport au débiteur, celui-ci
avait payé le cédant, il sera valablement libéré ») et aussi art. 1240 C.
civ. (« Le payement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la
créance est valable, encore que le possesseur en soit ensuite évincé »).
67
Cela paraît simple. Pourtant, la jurisprudence est relativement
confuse.
PB : Que se passe-t-il si les formalités de l’art. 1690 ne sont pas
respectées ?
Distinguer rapports cessionnaire/cédé et cédant/cédé.
Dans les rapports cessionnaire/débiteur cédé – Certains arrêts
appliquent logiquement l’art. 1690 : si les formalités ne sont pas
remplies, le cessionnaire ne peut pas réclamer le paiement (faire
valoir sa créance) au débiteur cédé, auquel la cession est inopposable.
Mais d’autres arrêts décident curieusement du contraire : le
cessionnaire peut tout de même se prévaloir de sa créance à l’égard du
débiteur cédé malgré le non respect des formalités. V. not. Civ. 3e, 26
février 1985, inédit : « le défaut d’accomplissement de ces formalités ne
rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé
l’exécution de son obligation quand cette exécution n’est susceptible
de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la
créance soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne
étrangère à la cession ».
La Cour de cassation renverse le principe puisqu’elle énonce
que, même si les formalités ne sont pas accomplies, le cessionnaire
peut exiger du débiteur cédé le paiement de la créance, sauf dans 2 cas :
- si le paiement doit faire grief au débiteur cédé, soit parce
qu’il a déjà payé le cédant, soit parce qu’il a une créance
contre le cédant et qu’il pourrait invoquer la
compensation. Dans ce cas, le cessionnaire ne peut pas
exiger le paiement.
- si le paiement doit faire grief à un tiers autre que le
débiteur cédé, par exemple, un tiers qui aurait déjà
pratiqué une saisie sur la créance. Le cessionnaire ne peut
pas exiger le paiement car cela nuirait au tiers saisissant à
qui la cession est inopposable puisque les formalités n’ont
pas été satisfaites.
68
Au fond, selon cette jurisprudence, peu importe que les formalités
ne soient pas respectées si l’intérêt des tiers, en vue duquel elles ont
été édictées, n’est pas effectivement menacé. L’inopposabilité n’est
pas encourue du seul fait que les formalités n’ont pas été accomplies ;
elle n’est encourue que dans la mesure où elle permet de protéger
un intérêt en péril.
Dans les rapports cédant/débiteur cédé : si les formalités de
l’art. 1690 ne sont pas respectées, le cédant est le seul créancier du
débiteur cédé. On fait comme si la cession de créance n’existait pas. D’où
deux conséquences :
- la cession est inopposable AU débiteur cédé : il peut payer
le cédant sans se voir reproché d’avoir payé celui qui n’était
plus créancier, car à ses yeux, le cédant est toujours le
créancier. Son paiement au cédant est valable.
- la cession ne peut pas être opposée PAR le cédé : il ne
peut pas refuser de payer le cédant au motif qu’il y aurait
une cession de créance. Il ne peut pas s’en prévaloir. En
somme, non seulement, il « peut » payer le cédant (1re
conséquence), mais il « doit » payer le cédant si celui-ci le
réclame (2° csqce).
PB : La 2nde conséquence autorise le cédant à exiger le paiement
d’une créance qu’il a pourtant cédée. Or le cédant ne devrait pas
pouvoir poursuivre le paiement au seul prétexte que les formalités n’ont
pas été respectées. Il faudrait au contraire que le cédé puisse opposer
la cession au cédant qui agit contre lui, même si les formalités n’ont pas
été respectées. Mais tel n’est pas l’état de la jurisprudence actuelle.
b) Rôle à l’égard des autres tiers
2 questions : qui sont les tiers concernés ? Comment les
formalités jouent-elles à leur égard ?
69
Les autres tiers sont ceux qui sont étrangers à la créance
cédée, mais intéressés par la cession, en ce sens que le droit du
cessionnaire pourrait venir en conflit avec le leur sur la créance
cédée. De qui s’agit-il ?
- L’ayant cause à titre particulier du cédant qui aurait
acquis un droit sur la créance après la cession. Ex : un
second cessionnaire si le cédant a cédé 2 fois de suite la
même créance ; ou un créancier nanti si le cédant a
consenti un nantissement (= une sûreté sur la créance) à
l’un de ses créanciers. Pour garantir l’effectivité de leurs
droits, ces personnes auront intérêt à dire que la
cession leur est inopposable.
- Cela vise aussi les créanciers du cédant qui voudraient
pratiquer une saisie sur la créance cédée. Pour préserver
leur droit, ils auront intérêt à soutenir que la cession
leur est inopposable, autrement dit que la créance est,
pour eux, toujours dans le patrimoine du cédant. Ex :
un contribuable ne paie pas ses impôts. Il est par ailleurs
propriétaire d’un immeuble qu’il a donné à bail. Le
Trésor Public saisit la créance de loyers, mais le
locataire (débiteur cédé) soutient que la créance a été
cédée au banquier du propriétaire. Si la cession est
opposable, la saisie du TP ne vaut rien ; si la cession n’est
pas opposable, la saisie fonctionne. Le tiers (fisc) a
intérêt à ce que la cession lui soit déclarée inopposable car
cela lui permet de « faire comme si » le cédant était
demeuré créancier.
Mise en œuvre – Les formalités de l’art. 1690 prévoient que le
débiteur cédé soit informé, ce qui suffit à rendre la cession
opposable tant au cédé lui-même qu’aux autres tiers. Idée = le cédé,
informé par les parties, informera à son tour les autres tiers. Mais en
réalité, il n’est pas certain que ce soit très fiable.
70
Quoi qu’il en soit, la règle est la suivante : si les formalités de l’art.
1690 ne sont pas respectées, la cession est inopposable aux tiers.
Si le cédant cède 2 fois de suite la même créance, le
cessionnaire qui l’emporte est celui qui accomplit les formalités de
l’art. 1690 le premier, même s’il est le 2nd cessionnaire.
Si le cédant cède sa créance puis consent un nantissement à un
tiers, celui qui l’emporte est celui qui accomplit le premier les
formalités d’opposabilité (de la cession pour le cessionnaire / du
nantissement pour le créancier nanti).
En cas de conflit entre un cessionnaire et un créancier
saisissant du cédant, le cessionnaire l’emporte s’il a accompli les
formalités avant que la saisie ne soit diligentée, de sorte que la
saisie sera inefficace ; à l’inverse, si le créancier saisissant est plus
rapide, le cessionnaire ne pourra pas se prévaloir de la créance.
La règle est la même si l’ayant cause du cédant ou le créancier
saisissant ont connaissance de la cession malgré le non respect des
formalités. Leur connaissance ne suffit pas, en principe, à leur rendre la
cession opposable.
§ 2. Les effets de la cession de créance
Les effets de la cession de créance sont similaires à ceux d’une
vente. La cession provoque un effet translatif (A) et fait naître une
obligation de garantie à la charge du cédant (B). En outre, la cession
emporte des effets particuliers lorsqu’elle porte sur une créance
litigieuse (C).
A. L’effet translatif
71
Le cessionnaire acquiert tous les droits qu’avait le cédant : nous
verrons ce que cela recouvre (1). Le cessionnaire acquiert la même
créance que celle qui appartenait au cédant, par conséquent, le cédé
pourra opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer
au cédant (2).
1. L’étendue du transfert
2 aspects doivent être soulignés.
Le transfert porte d’abord sur la créance elle-même. Le
cessionnaire reçoit la créance originaire et non une créance nouvelle.
Ce n’est pas une novation. Seul le créancier change ; la créance reste
la même : elle conserve sa nature (civile ou commerciale), le cas
échéant ses modalités (ex : terme) et les clauses qui la régissent (ex :
une clause précisant le lieu de paiement).
Le cessionnaire acquiert les droits que confère la créance, par
exemple, le droit d’être payé, le droit de consentir une remise de
dette, etc. Son droit correspond normalement au montant nominal de la
créance, quel que soit le prix (en général inférieur) qu’il a payé ou
même s’il n’en a payé aucun (cessionnaire-donataire). A moins, ce qui est
possible, que la cession soit partielle, auquel cas, le cessionnaire ne
peut réclamer que ce qui lui a été cédé par le cédant.
Le transfert porte ensuite sur les accessoires de la créance. L’art.
1692 C. civ. le prévoit expressément, ce qui dispense les parties de le
stipuler. Il s’agit des sûretés personnelles et réelles, et plus largement
de toutes les garanties attachées à la créance (ex : la solidarité
passive si créance contre plusieurs débiteurs).
Ex. déjà évoqué : Lorsqu’un contrat de bail est conclu et que le
paiement des loyers est garanti par un cautionnement, la cession de la
créance de loyers emporte transmission au cessionnaire du
72
cautionnement. Le cessionnaire peut donc réclamer le paiement des
loyers à la caution si le locataire ne paie pas lui-même.
Les accessoires sont aussi les droits qui renforcent la position
du créancier, par exemple, une clause pénale, une clause résolutoire,
des intérêts conventionnels, une action en responsabilité,
contractuelle ou même délictuelle (ex : contre le notaire responsable
de l’inefficacité de l’hypothèque qui garantissait la créance cédée), etc.
Il s’agit également des clauses relatives au litige : clause de
compétence ou d’arbitrage.
Enfin, conformément au principe du consensualisme, cet effet
translatif se produit entre les parties au moment même de l’échange
des consentements.
2. L’opposabilité des exceptions
Puisque la créance est la même, le débiteur cédé peut a priori
opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu
opposer au cédant afin d’échapper au paiement. En fait, le régime de
l’opposabilité ne se résume pas à ce principe. Il faut distinguer 2 types
d’exceptions.
a) Les exceptions inhérentes à la créance
Se transmettent nécessairement avec la créance et sont donc
opposables au cessionnaire.
PB : Quelles sont ces exceptions ?
Ce sont les exceptions qui touchent à la validité et à la force
obligatoire du contrat qui a donné naissance à la créance cédée :
l’exception de nullité, l’exception d’inexécution (v. en ce sens, Cass.
com. 12 janvier 2010, D. 2010.266), l’exception de résolution.
73
Cela vise enfin l’exception de prescription. Le délai de
prescription n’est pas modifié par le transfert. Si le cessionnaire laisse
courir la prescription, le cédé pourra la lui opposer.
b) Les exceptions extérieures à la créance
De quelles exceptions s’agit-il ?
Ce sont les exceptions qui tiennent à la libération du cédé
envers le cédant : le paiement, la compensation, la remise de dette
et la novation. Toutes ces exceptions sont des causes d’extinction de
l’obligation. Mais pour qu’il y ait extinction de l’obligation, encore
faut-il que le paiement (la remise…) intervienne bien entre le
débiteur et le créancier. Or, après la cession, le cédant n’est plus
créancier.
Ces exceptions ne seront opposables au cessionnaire que si
elles interviennent AVANT que la cession ne prenne effet.
De même, si la créance est modifiée (ex : délai de paiement =
terme repoussé), cela n’est opposable au cessionnaire que si la
modification intervient AVANT la date d’effet de la cession, pour la
raison simple qu’une modification de contrat n’est efficace que si elle
résulte d’un accord entre le créancier et le débiteur. Or, le cédant n’est
créancier que jusqu’au jour où la cession prend effet.
PB : A quel moment la cession produit-elle son effet translatif à
l’égard du cédé ? Est-ce à la date de la conclusion du contrat de
cession ou à la date d’accomplissement des formalités de l’art.
1690 ?
Dans les relations entre les parties à la cession, c’est-à-dire le
cédant et le cessionnaire, ce dernier est investi de la créance dès la
conclusion du contrat puisque le transfert de propriété s’opère solo
consensu. Cependant, c’est le débiteur cédé qui a intérêt à opposer
une exception au cessionnaire pour échapper au paiement de son
74
obligation. Or s’agissant du débiteur cédé, il est nécessaire que les
formalités de l’art. 1690 aient été accomplies pour que la cession lui
soit opposable. Avant l’accomplissement de ces formalités, le débiteur
cédé est en droit de considérer que la créance est toujours dans le
patrimoine du cédant.
A l’égard du cédé, la cession produit donc son effet translatif à
la date à laquelle la cession lui devient opposable.
Il en résulte que :
- Les exceptions extérieures à la créance nées avant la
date d’accomplissement des formalités de l’art. 1690
sont opposables au cessionnaire.
- Les exceptions extérieures nées après la date
d’accomplissement des formalités de l’art. 1690 sont
inopposables au cessionnaire.
L’art. 1691 en fournit une illustration à propos du paiement.
L’art. 1691 C. civ. dispose : « Si, avant que le cédant ou le cessionnaire
eût signifié le transport au débiteur, celui-ci avait payé le cédant, il sera
valablement libéré ». Ce qui signifie que :
- Tant que la cession de créance n’est pas signifiée au
débiteur cédé ou tant qu’il ne l’a pas « acceptée », le
débiteur cédé peut valablement se libérer entre les
mains du cédant car la cession lui est inopposable (elle a
produit son effet translatif entre les parties seulement). Le
cédé peut alors opposer l’exception de paiement au
cessionnaire.
- Inversement, après l’accomplissement des formalités, le
débiteur ne peut plus invoquer l’exception de paiement
contre le cessionnaire. S’il a payé le cédant après cette
date, il devra payer à nouveau le cessionnaire.
Autre exemple : la compensation. L’art. 1295 al. 2 C. civ. dispose :
« A l’égard de la cession qui n’a point été acceptée par le débiteur, mais
75
qui lui a été signifiée, elle n’empêche que la compensation des créances
postérieures à cette notification ».
- Le cédé peut opposer au cessionnaire l’exception de
compensation si la compensation intervient avant que la
cession de créance ne lui ait été signifiée.
- Mais le cédé ne peut pas opposer au cessionnaire une
compensation qui interviendrait après que la cession de
créance lui ait été signifiée. C’est logique : L’effet translatif
ayant eu lieu à l’égard du cédé, celui-ci ne peut plus se
prévaloir d’une compensation entre sa créance envers le
cédant et la créance que le cédant a sur lui puisque,
précisément, le cédant n’est plus son créancier. La
compensation ne peut en réalité même plus intervenir du
tout.
NB1 : En droit luxembourgeois, c’est l’art. 1295 C. civ. qui prévoit
aujourd’hui cette solution (sans distinguer selon que la cession a été
simplement notifiée ou acceptée par le débiteur cédé).
NB2 : Il y a une exception au principe selon lequel la compensation
postérieure à l’accomplissement des formalités de l’art. 1690 est
inopposable au cessionnaire. Si les dettes compensées sont connexes,
alors le débiteur cédé peut opposer la compensation au cessionnaire
quelle que soit la date à laquelle il a acquis la créance connexe sur le
cédant.
Pour en revenir au principe, il s’applique de la même manière
aux autres exceptions.
Si une remise de dette, si une novation ou si une modification
de la créance sont convenues avant l’accomplissement des formalités de
l’art. 1690, le débiteur cédé peut les opposer au cessionnaire. Mais si
elles sont convenues avec le cédant après la date d’accomplissement des
formalités, ces exceptions sont inopposables au cessionnaire.
Ce principe supporte néanmoins 2 tempéraments.
76
1 er tempérament : la fraude du cédé. Si le débiteur cédé paie le
cédant alors qu’en dépit de l’absence de formalités, il avait
connaissance de la cession de créance, il peut apparaître qu’il a commis
une fraude aux droits du cessionnaire. Par conséquent, quand bien même
ce paiement serait intervenu avant la date d’accomplissement des
formalités, il serait inopposable au cessionnaire. Idée = le paiement fait
de mauvaise foi par un débiteur à une personne qu’il sait ne pas être ou
ne plus être créancier, n’est pas libératoire (cf. art. 1240 a contrario).
PB : En pratique, pas toujours facile de démontrer l’intention
frauduleuse du débiteur cédé et il n’est pas sûr que la seule
connaissance de l’existence de la cession suffise à l’établir. La
jurisprudence tend cependant à admettre la fraude de plus en plus
largement en se contentant d’une simple conscience du préjudice
causé à la victime de la fraude. Au Luxembourg, l’art. 1691 C. civ.
prévoit aujourd’hui explicitement que le paiement fait au cédant ne
libère pas le débiteur cédé lorsqu’il est prouvé que ce dernier avait
connaissance de la cession de créance.
2 nd tempérament : d’origine légale et concerne la compensation.
L’art. 1295 al. 1 C. civ. dispose : « Le débiteur qui a accepté purement
et simplement la cession qu’un créancier a faite de ses droits à un tiers,
ne peut plus opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu, avant
l’acceptation, opposer au cédant ». L’hypothèse est celle dans laquelle le
cédé a « accepté » la cession c’est-à-dire reconnu qu’il avait été informé
de l’existence de la cession (même par ASSP). Pourquoi traiter ainsi
différemment la signification et l’acceptation, alors que l’art. 1690
place ces deux formalités sur un pied d’égalité, s’agissant de la
compensation ? Parce que si le débiteur cédé, qui assiste à la cession
de créance et sait qu’il a une exception de compensation, ne
l’invoque pas pour en réserver lors de son « acceptation » de la cession,
on peut supposer qu’il y renonce. Il ne pourra donc plus l’opposer au
cessionnaire, dont on doit respecter les prévisions.
77
En droit luxembourgeois, l’art. 1295 ne fait pas une telle
distinction. Il dit seulement « En cas de cession de créance, le débiteur
peut invoquer à l’égard du cessionnaire la compensation de la créance
cédée avec une créance dont il dispose contre le cédant, si cette dernière
créance est née avant le moment où la cession lui devient opposable… ».
B. L’obligation de garantie
Le Code civil impose au cédant une obligation de garantie,
comparable à la garantie d’éviction qu’il met à la charge de tout
vendeur. Il existe un régime légal, susceptible d’aménagements
conventionnels.
Régime légal – Art. 1693 C. civ. : « Celui qui vend une créance ou
autre droit incorporel, doit en garantir l’existence au temps du transport,
quoiqu’il soit fait sans garantie ».
Que recouvre la garantie ? Le cédant garantit, de plein droit, au
cessionnaire qu’il est bien le titulaire de la créance cédée, et que
cette créance n’a aucun vice qui pourrait être opposé par le débiteur
cédé. Ex : si la créance est nulle, le cédant est responsable.
Le cédant garantit également l’existence des sûretés attachées à la
créance, puisqu’elles sont souvent un élément déterminant dans
l’acquisition de la créance par le cessionnaire.
En revanche, d’après l’art. 1694 C. civ., le cédant ne garantit pas
la solvabilité du débiteur, sauf stipulation contraire.
L’étendue de la garantie est appréciée au jour de la cession. La
garantie ne joue pas si la créance est affectée d’un vice postérieurement
à la cession. Ex : si le cessionnaire laisse la créance s’éteindre par
prescription.
78
Sanction : le cédant devra restituer le prix de la cession et le cas
échéant verser des dommages-intérêts au cessionnaire.
Régime conventionnel – La liberté contractuelle autorise les
parties à étendre ou au contraire à restreindre la garantie légale.
Extension de la garantie : le cédant peut garantir la solvabilité du
débiteur cédé. Ex : clause de garantie de passif lors d’une cession de
parts sociales.
L’art. 1694 C. civ. l’autorise sous 2 limites :
- la garantie ne joue qu’à concurrence du prix que le cédant
a retiré de la créance. Ex : si le cessionnaire achète au prix
de 80 une créance de 100, il obtiendra au plus 80 de la
part du cédant. Cette règle est impérative.
- l’art. 1695 précise que la solvabilité s’entend de la
solvabilité actuelle (au jour de la cession), pas de la
solvabilité future (au jour de l’échéance). Cependant,
cette limite n’est pas impérative et peut être écartée par
les parties.
Restriction de la garantie : la garantie peut être réduite en partie
(ex : le cédant ne garantit pas l’existence des sûretés) ou en totalité.
Mais le garant ne peut pas exclure la garantie de son fait personnel.
Ex : si la créance est éteinte parce qu’il avait reçu un paiement ou s’il a
cédé 2 fois de suite la même créance et que le 2nd cessionnaire est le 1er
à accomplir les formalités aux dépens de l’autre cessionnaire, le cédant
en répond en dépit de l’exclusion conventionnelle de garantie.
C. La cession de créance litigieuse
On a vu, lors de l’examen des conditions de validité de la cession,
que la créance était en principe cessible. Ce principe est si large qu’il
englobe la créance litigieuse.
79
La créance litigieuse est celle qui fait l’objet d’un procès. Son
existence est contestée en justice, et donc incertaine. Pourtant le
cédant peut la céder valablement à un tiers, mais les effets d’une telle
cession seront particuliers (art. 1699 et s. C. civ.).
Normalement, on l’a vu, le débiteur cédé doit au cessionnaire
l’intégralité du montant nominal de la dette et non pas seulement le
prix de cession convenu entre le cédant et le cessionnaire.
Cependant, lorsque la créance est litigieuse, le débiteur cédé
peut racheter la créance au cessionnaire, et donc se libérer envers lui
en lui remboursant seulement le prix de la cession, augmenté des
frais éventuels liés à la conclusion du contrat.
Ce système est appelé « retrait litigieux ». Il a l’avantage de
mettre fin au procès, puisque le débiteur rachète la créance que
le cessionnaire a contre lui. La créance s’éteint donc par
confusion et l’objet du litige disparaît. Et les intérêts du
cessionnaire sont préservés puisqu’il est indemnisé, non
seulement du prix qu’il a payé mais aussi des frais qu’il a encourus.
Pourquoi ce pouvoir unilatéral du débiteur ? L’objectif est d’éviter
la spéculation sur l’issue du procès.
Ex : une personne exploite les besoins du cédant et achète une
créance litigieuse très peu chère. Le système prévu permet de
« piéger » le cessionnaire. Il est en quelque sorte « expulsé » pour le
(faible) prix qu’il avait lui-même obtenu. Il n’obtiendra pas le bénéfice
qu’il escomptait (différence prix de cession – montant nominal).
NB : La jurisprudence est très favorable au retrait litigieux. Le
retrait est possible même s’il y a eu cession en bloc de multiples
créances pour un prix global et que le prix exact de la créance retrayée
n’est pas d’emblée individualisé (Cass. com. 27 mai 2008, RTD civ.
2008.481).
80
Transition – Ainsi s’achève l’étude de la cession de créance telle
qu’elle est régie par le Code civil. Le système du Code civil est cependant
inadapté aux professionnels qui pratiquent couramment la cession de
créance, pour 2 raisons :
- C’est un système trop lourd, trop complexe et donc trop
coûteux (à cause notamment des formalités de l’art.
1690).
- C’est un système peu sûr en raison de l’opposabilité des
exceptions au cessionnaire par le cédé.
C’est pourquoi d’autres modes de cession ont été élaborés pour
pallier ces insuffisances.
II. LES CESSIONS SIMPLIFIÉES
Les cessions simplifiées sont destinées à être plus simples et plus
sûres que les cessions de droit commun. PB : ces deux objectifs sont
difficilement compatibles entre eux.
Pour rendre la cession plus sûre, en rendant les exceptions
inopposables au cessionnaire, il faut faire intervenir le cédé pour
qu’il s’engage en ce sens ou exiger de lui qu’il s’engage en ce sens dès la
naissance de la créance. Dans les 2 cas, le processus est alourdi.
Pour rendre la cession plus simple, il faut alléger les formalités
destinées à informer le débiteur cédé et les autres tiers intéressés. Mais
alors, comment rendre la cession opposable aux tiers sans respecter l’art.
1690 ? Comment alléger la cession sans insécurité pour le cessionnaire ?
Ce tiraillement explique qu’il n’y ait pas de cession simplifiée qui
atteigne pleinement les 2 objectifs de simplicité et de sécurité.
81
Certaines rendent la cession de créance plus sûre, grâce à la
règle de l’inopposabilité des exceptions : ce sont les titres
négociables (§ 1).
D’autres rendent la cession plus simple : c’est la cession Dailly
(§ 2).
§ 1. Les titres négociables
Les titres négociables remontent au Moyen-Age.
Ils sont surtout utilisés dans le secteur commercial, mais peuvent
l’être en matière civile.
Ce sont des titres en ce sens que la créance est incorporée au
titre qui la représente. Faire circuler le titre, c’est donc faire
circuler la créance. Ex : un billet de banque est à l’origine une
créance contre la banque. Lorsque le billet circule, la créance
circule. On donne une forme à une créance pour faciliter sa
circulation. Les formalités de l’art. 1690 C. civ. n’ont ainsi plus à
être respectées.
Il existe 3 sortes de titres négociables : le titre au porteur, le
titre nominatif et le titre à ordre.
Le titre au porteur – Le débiteur s’engage à payer sa dette au
porteur du titre. Celui qui détient le papier est le créancier. Ex : billet de
banque à l’époque où il était remboursable par la Banque de France ;
bons du trésor... Autres exemples : un billet de loto ; ticket de bus.
La créance se transmet ainsi de main en main, en application de
la règle selon laquelle en fait de meubles, la possession vaut titre
(art. 2279 al. 1 C. civ.).
Aujourd’hui, cependant, les valeurs mobilières sont
« dématérialisées » : le droit du titulaire résulte d’une inscription sur
82
un compte. La cession s’accomplit donc grâce à un virement de
compte à compte.
Les exceptions sont inopposables au cessionnaire.
C’est donc un procédé plus sûr que la cession de créance de droit
commun. Mais il est aussi dangereux car on peut perdre le titre, se le
faire voler (du moins s’il est sous forme papier). C’est pourquoi le titre au
porteur n’est plus très utilisé aujourd’hui. Il est même parfois interdit.
Ex : les polices d’assurance sur la vie ne peuvent pas être des titres au
porteur.
Le titre nominatif – Le débiteur s’engage à payer la personne dont
le nom figurera sur un registre tenu par l’émetteur.
La créance est transmise en changeant le nom sur le registre.
L’inconvénient du procédé est qu’il génère de la « paperasse »,
raison pour laquelle, il est peu utilisé de nos jours.
Le titre à ordre – Par ce titre, le débiteur s’engage à payer son
créancier initial ou la personne que son créancier désignera. Le débiteur
reçoit l’ordre de payer à l’un ou à l’autre.
Ex : la lettre de change ; le chèque (« veuillez payer tant d’euros
à l’ordre de M. X »)
Ex : une vente est conclue ; le vendeur a une créance contre
l’acheteur ; un titre à ordre est émis avec l’accord de l’acheteur
(débiteur), lequel accepte de payer la créance au vendeur ou à la
personne que le vendeur désignera. Le créancier est l’endossataire.
L’avantage du procédé est double :
- il est relativement simple : la transmission se fait par
l’endossement. L’endossateur (créancier cédant) appose
sa signature au dos du titre, en indiquant le nom de
l’endossataire (cessionnaire), lequel pourra endosser le
titre au profit d’un nouvel endossataire et ainsi de suite…
83
- les exceptions sont inopposables : le débiteur renonce à
invoquer les exceptions nées du rapport fondamental (dans
notre exemple, le contrat de vente). Le porteur du titre à
ordre est donc protégé.
L’inconvénient est qu’il faut le concours du débiteur lors de la
rédaction du titre. C’est une formalité supplémentaire, supportable
pour une opération isolée, mais insupportable lorsqu’il s’agit de céder
des milliers de créances par jour. Il a donc fallu se tourner vers un
système plus simple : la cession par bordereau de créances
professionnelles, communément appelé « bordereau Dailly ».
§ 2. La cession par « bordereau Dailly »
Pour faciliter l’octroi de crédit aux entreprises, le législateur
français a créé une nouvelle forme de cession simplifiée de créance.
L’initiative est revenue à un sénateur, M. Dailly, si bien que ce type de
cession porte son nom. La création date d’une Loi du 2 janvier 1981,
aujourd’hui codifiée aux articles L. 313-23 et s. C. mon et fin. En vertu
de ces dispositions, les créances peuvent être cédées à un
établissement de crédit, par simple remise d’un bordereau les
répertoriant. Le formalisme est simplifié dans le but de faciliter la
cession.
L’originalité du dispositif est que les formalités de l’art. 1690 C.
civ. sont écartées, sans pour autant qu’un titre représentant la créance
soit créé. Le Bordereau Dailly n’est pas un titre.
Il n’obéit pas (en tout cas, pas en principe) à la règle de
l’inopposabilité des exceptions.
En somme, le procédé est plus simple que la cession de créance de
droit commun, mais il n’est pas plus sûr. Cela ne l’empêche pas de
connaître un grand succès dans la pratique bancaire française.
NB : Aucun équivalent en droit luxembourgeois.
84
Nous verrons d’abord le domaine de la cession Dailly (A), puis ses
conditions (B) et ses effets (C).
A. Le domaine de la cession Dailly
La cession Dailly n’est applicable que si trois conditions sont
remplies.
D’abord, en ce qui concerne les parties, le cédant doit être soit une
personne morale, soit une personne physique, agissant dans le cadre
de l’exercice de son activité professionnelle. Le cessionnaire doit de
plus être un établissement de crédit. C’est donc un mode de cession
réservé au monde des affaires.
Ensuite, en ce qui concerne le débiteur de la créance, il doit là
encore s’agir d’une personne morale ou d’une personne physique
ayant agi dans le cadre de son activité professionnelle. En d’autres
termes, il doit s’agir de créances professionnelles.
Enfin, la cession Dailly n’est possible qu’à l’occasion d’un crédit
accordé à des fins professionnelles au cédant par le cessionnaire.
Concrètement, la cession peut être la contrepartie du crédit accordé au
cédant (le cédant rembourse l’emprunt en cédant une ou plusieurs de ses
créances). Ou bien, la cession peut servir de garantie à l’emprunt. C’est
le procédé, déjà évoqué, de la cession fiduciaire. La banque octroie un
crédit et elle obtient, pour garantir le remboursement, la cession à titre
fiduciaire des créances de l’emprunteur. La validité de ce procédé est
effectivement admise s’agissant des cessions par bordereau Dailly (art.
L. 313-24 C. mon. & fin.)
85
Si ces conditions sont réunies, il est possible de procéder à une
cession par bordereau Dailly. Qu’en est-il alors des conditions à respecter
pour que la cession se produise ?
B. Les conditions de la cession Dailly
La cession Dailly est soumise à des formalités simples, mais
impératives.
Selon l’art. L. 313-23 C. mon & fin., le bordereau doit comporter
certaines mentions :
- la dénomination « acte de cession de créances
professionnelles »
- l’indication qu’il est soumis aux dispositions du Code mon
& fin.
- le nom ou la dénomination sociale du cessionnaire
- enfin, il doit désigner ou individualiser les créances
cédées ou à tout le moins, indiquer les éléments permettant
de désigner ou d’individualiser la créance (ex : le nom du
débiteur, le lieu de paiement, le montant ou l’évaluation
des créances, leur échéance, etc.).
Par ailleurs, le bordereau doit être signé par le cédant et daté
par le cessionnaire.
Sanction du formalisme ? Cela dépend de la formalité qui n’a pas
été respectée.
Si la date manque, la cession n’a aucun effet, car la date est un
élément essentiel. C’est une condition de fond.
Si la signature manque, la cession est nulle en tant
qu’instrumentum ; elle ne peut donc pas servir de preuve.
Si d’autres conditions manquent, le bordereau ne vaut pas
cession de créances professionnelles au sens de la Loi Dailly. Cela ne
veut pas dire que le bordereau n’ait aucun effet juridique. Il pourra
86
valoir cession de créance de droit commun si les conditions de celle-
ci sont satisfaites (art. 1690 pour l’opposabilité).
La cession Dailly régulièrement souscrite échappant aux formalités
de l’art. 1690 C. civ., elle est opposable aux tiers sans formalité de
publicité, au jour de la date apposée sur le bordereau (art. L. 313-
27 al. 1 C. mon & fin). Mais en cas de contestation sur la date de la
cession, c’est à l’établissement de crédit qu’il appartient de rapporter
la preuve de son exactitude par tous moyens (art. L. 313-27 al. 4 C.
mon & fin). En cas de contestation, c’est donc le cessionnaire qui
supporte la charge de la preuve.
C. Les effets de la cession Dailly
Les effets de la cession Dailly dépendent des rapports envisagés :
rapport cédant/cessionnaire (1) ; rapport cessionnaire/cédé (2) ; et
rapport cessionnaire/autres tiers (3).
1. Rapports cédant/cessionnaire
Art. L. 313-27 C. mon & fin : la propriété des créances du
cédant répertoriées sur le bordereau est transférée au cessionnaire,
avec les sûretés, garanties et autres accessoires des créances cédées. Le
transfert s’opère très simplement : il suffit que le cédant remette le
bordereau Dailly au cessionnaire. Le transfert s’opère à compter de la
date apposée sur le bordereau. Le cédant ne peut dès lors plus
modifier les droits attachés aux créances sans l’accord du cessionnaire.
Ex : le cédant ne pourra pas accorder une remise de dettes ou un délai de
paiement.
Le cédant est en outre tenu d’une obligation de garantie envers le
cessionnaire, qui est plus forte qu’en droit commun. Art. L. 313-24
87
al. 2 C. mon & fin : « Sauf convention contraire, le signataire de l’acte
de cession est garant solidaire du paiement des créances cédées ». Si le
cédé n’acquitte pas sa dette à l’échéance, le cessionnaire peut se
retourner en garantie contre le cédant (après avoir tout de même
demandé auparavant au débiteur cédé de payer). Cela dit, la règle est
supplétive et en pratique, elle est souvent écartée (garantie réduite).
NB : Cass. com. 9 février 2010, D. 2010.578, en cas de cession
fiduciaire, la cession prend fin automatiquement, sans formalité
particulière, pour les sommes excédant la créance qui reste due à la
banque cessionnaire par le cédant.
2. Rapports cessionnaire/cédé
La cession est opposable de plein droit au débiteur cédé sans
formalité de publicité, à compter de la date inscrite sur le bordereau.
En pratique, cependant, c’est généralement le cédant qui
recouvre la dette. Les établissements bancaires confient au cédant un
mandat d’encaissement : le cédant, en qualité de mandataire, recouvre
la créance pour le compte de l’établissement bancaire (créancier-
mandant). Pourquoi ? Parce que ce serait trop coûteux pour la
banque de réclamer le paiement au cédé.
PB : Le risque pour le cessionnaire = que le cédant n’exécute pas
ou mal le mandat.
Pour éliminer ce risque, le Code donne la possibilité au
cessionnaire de notifier la cession au cédé. L’art. L. 313-28 C. mon &
fin énonce en effet : « L’établissement de crédit peut, à tout moment,
interdire au débiteur de la créance cédée de payer entre les mains du
signataire du bordereau. A compter de cette notification (…), le débiteur
ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit ».
La notification peut se faire par tout moyen (ex : LRAR).
88
Sens de cette formalité ? La notification n’est pas la transposition
de la « signification » visée par l’art. 1690 C. civ. car elle n’est pas
une condition d’opposabilité. La notification prévue par l’art. L. 313-28
C. mon & fin est une interdiction faite au cédé de se libérer entre les
mains du cédant, qui a pour fonction de révoquer le mandat
d’encaissement.
En pratique, le banquier adresse cette notification lorsqu’il y a un
problème, notamment lorsque le banquier cessionnaire a des raisons de
craindre l’insolvabilité prochaine du cédant-mandataire.
Avant la notification, ou en l’absence de notification, si le
cédant a reçu un paiement du cédé et qu’il ne restitue pas les fonds
au cessionnaire, le débiteur cédé ne pourra pas être inquiété : il a
payé celui qui avait le pouvoir d’encaisser les sommes au profit du
cessionnaire. Le cessionnaire pourra seulement se retourner contre le
cédant.
En revanche, après la notification, le cédé s’expose au risque de
devoir payer 2 fois s’il ignore l’interdiction qui lui a été faite de payer
le cédant.
2 ème point : Quelles exceptions le cédé peut-il opposer au
cessionnaire ?
Le régime de l’opposabilité des exceptions varie selon que le
débiteur a accepté la cession ou non (art. L. 313-29 du C. mon. fin.)
NB : Ici on parle d’une véritable acceptation de la cession par le
débiteur cédé (par un simple acquiescement comme dans l’art. 1690).
- Si le débiteur cédé n’a pas accepté la cession, le régime des
exceptions est identique à celui qui s’applique dans la cession de
créance de droit commun.
Les exceptions inhérentes à la créance sont opposables (nullité,
prescription…)
89
Les exceptions extérieures à la créance sont opposables au
cessionnaire si elles sont nées avant la date à laquelle la cession a
produit son effet translatif aux yeux du cédé. Les exceptions nées
après cette date sont en revanche inopposables. Puisque la cession
Dailly opère son effet translatif à compter de la date apposée sur
le bordereau, c’est à partir de cette date que les exceptions
extérieures à la créance sont inopposables au cessionnaire.
Ex : si le cédant consent une remise de dettes au cédé après cette
date, l’exception est inopposable au cessionnaire.
Attention cependant : cette règle ne vaut pas pour le paiement
du cédé au cédant. Car tant que la cession n’a pas été notifiée, le
cédant est mandataire du cessionnaire. Donc, le cédé se libère
valablement en payant le cédant, tant que le cessionnaire n’a pas révoqué
le mandat d’encaissement en notifiant de la cession, même si le paiement
intervient après la date apposée sur le bordereau.
La jurisprudence étend cette solution dérogatoire à l’exception de
compensation légale : en l’absence de notification, le cédé peut opposer
l’exception de compensation même si les conditions de la compensation
n’ont été réunies qu’après la date apposée sur le bordereau.
- Si le débiteur a accepté la cession (dans les conditions de
forme imposées par l’art. L. 313-29 du C. mon. fin. = essentiellement
par écrit) :
L’art. L. 313-29 du C. mon. fin. indique que « le débiteur ne peut
opposer à l’établissement de crédit les exceptions fondées sur ses
rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que
l’établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n’ait
agi sciemment au détriment du débiteur ».
Le cessionnaire a obtenu l’engagement direct du cédé et donc un
droit purgé des exceptions pouvant affecter la créance, sauf s’il
connaissait l’exception qui pouvait lui être opposée (autrement dit,
sauf s’il est de mauvaise foi). C’est une grande sécurité pour le
90
cessionnaire, qui est sûr d’être payé quels que soient les vices de la
créance cédée, mais c’est rare en pratique.
3. Rapports cessionnaire/autres tiers
Les autres tiers sont là encore d’une part les ayant-cause à titre
particulier du cédant et d’autre part, les créanciers du cédant.
Rapport cessionnaire/ayant cause à titre particulier du cédant –
L’hypothèse est celle d’un cédant qui cède 2 fois la même créance pour
obtenir plus de crédit.
Dans ce cas, c’est en principe le premier cessionnaire en date
qui l’emporte sur le second.
PB : au moment où le 1er cessionnaire agit contre le débiteur
cédé, il se peut que ce dernier ait déjà payé l’autre cessionnaire. C’est
un paiement valable s’il est fait de bonne foi, donc le cédé n’aura pas à
payer 2 fois. Il appartiendra au 1er cessionnaire d’agir contre le 2nd
cessionnaire pour obtenir restitution des sommes payées.
Rapports cessionnaire/créanciers du cédant –
Si le conflit oppose le cessionnaire et un créancier saisissant l’une
des créances répertoriées sur le bordereau, c’est la date qui permettra de
trancher. On compare la date de la saisie (saisie-attribution ou saisie-
conservatoire) et la date de la cession indiquée sur le bordereau : la
plus ancienne l’emporte.
Transition – Le transfert de la créance peut se faire par une
aliénation. Mais ce n’est pas son seul mode de circulation. Un créancier
peut en remplacer un autre sur la base d’un paiement. La technique
utilisée est alors celle de la subrogation personnelle.
91
Chapitre II – LA SUBROGATION PERSONNELLE
Définition – Le terme « subrogation » vient du latin subrogare :
élire en remplacement, choisir quelqu’un à la place d’un autre.
Dans un sens général, la subrogation est un remplacement, une
substitution. Ainsi, la subrogation réelle est une technique par
laquelle un bien en remplace un autre en lui empruntant ses
qualités. La subrogation réelle est un mécanisme lié au caractère
universel du patrimoine : le patrimoine reste identique malgré les
fluctuations de ses éléments. Par exemple le prix succède à la chose
aliénée, et la chose acquise avec ce prix succède à la chose aliénée.
Intérêt ? La subrogation réelle protège les droits que les tiers
avaient sur le bien. Les droits qui portaient sur le bien ancien sont
reportés sur le nouveau. Ex : l’indemnité d’assurance versée au
propriétaire d’un immeuble détruit devient l’objet de l’hypothèque qui
avait été constituée sur ce bien. Les créanciers hypothécaires pourront
donc saisir l’indemnité d’assurance si le débiteur fait défaut et cette
indemnité est de nature immobilière et soumise au régime des
immeubles, bien qu’il s’agisse d’une somme d’argent.
La subrogation personnelle est une substitution d’une personne
à une autre dans un rapport de droit afin de permettre à la
première d’exercer tout ou partie des droits qui appartiennent à la
seconde. Plus précisément, la subrogation est un transfert de créance
sur la base d’un paiement.
Concrètement, pour que la subrogation personnelle puisse jouer, il
faut qu’une dette ait été payée par un tiers ne devant pas en
supporter la charge définitive. Le tiers solvens sera alors subrogé
dans les droits du créancier qui a obtenu satisfaction. C’est le tiers
subrogé qui est maintenant titulaire de la créance. Quant au débiteur,
il est libéré vis-à-vis de son créancier originaire, mais il est tenu
92
envers le tiers subrogé. La créance circule donc par changement de
créancier qui s’opère sur la base d’un paiement.
Il s’agit d’une limite au principe selon lequel le paiement est une
cause d’extinction de la créance. En d’autres termes, le paiement avec
subrogation a un effet translatif sur l’obligation acquittée, alors que le
paiement pur et simple a un effet extinctif de l’obligation acquittée.
Pourquoi admettre cette limite ?
Parce que la subrogation personnelle est une institution qui
présente de nombreux avantages :
- un avantage pour le créancier initial, qui a plus de chances
d’être payé. En effet, la subrogation personnelle incite les
tiers à payer le créancier en leur permettant de recueillir les
droits du créancier.
- un avantage pour le tiers qui paie la dette d’autrui (le
solvens) : il dispose d’un recours subrogatoire, fondé sur
la créance acquittée elle-même. Cela permet au solvens de
profiter des sûretés et autres garanties qu’avait le
créancier initial. C’est l’avantage du recours subrogatoire
par rapport au recours personnel qui appartient à celui qui
paie la dette d’autrui (fondé sur le mandat si le solvens a agi
à la demande du débiteur ou sur la gestion d’affaires si le
solvens a agi pour rendre service au débiteur, voire sur
l’enrichissement sans cause) et qui n’est qu’un recours
chirographaire. La subrogation augmente ainsi les chances
du tiers solvens d’être remboursé.
Aujourd’hui, la subrogation personnelle est donc très souvent
utilisée, notamment dans le domaine de l’assurance et de la Sécurité
sociale (la victime est indemnisée par l’assureur ou la Caisse de Sécurité
sociale, qui exerce ensuite un recours subrogatoire contre le responsable-
débiteur de l’obligation d’indemnisation). La subrogation personnelle est
93
également utilisée dans les relations commerciales : elle permet
notamment l’affacturage (v. infra).
Plan classique : On s’intéressera d’abord aux conditions de la
subrogation (section I), avant d’en examiner les effets (section II).
I. LES CONDITIONS DE LA SUBROGATION
PERSONNELLE
Art. 1249 C. civ. : « La subrogation dans les droits du créancier au
profit d’une tierce personne qui le paie, est ou conventionnelle ou
légale ». Pour qu’il y ait une subrogation personnelle, il faut donc un
paiement et, en plus, soit une convention, soit une disposition légale
prévoyant la subrogation.
On examinera donc d’abord la subrogation conventionnelle (§ 1)
puis la subrogation légale (§ 2).
§ 1. La subrogation conventionnelle
Il existe 2 formes de subrogation conventionnelle, selon qu’elle
résulte d’une convention passée entre le créancier et le solvens ou d’une
convention passée entre le débiteur et le solvens. Dans le 1er cas, la
subrogation est consentie par le créancier – elle est dite ex parte
creditoris (A) ; dans le 2nd, la subrogation est consentie par le débiteur –
elle est dite ex parte debitoris (B).
A. La subrogation consentie par le créancier
En principe, le paiement emporte extinction de la dette. Une
convention contraire est cependant possible lorsque le paiement est
fait par un tiers. Par cette convention le créancier (subrogeant) consent
94
la transmission au tiers solvens (subrogé) de la créance et de ses
accessoires.
Différences par rapport à la cession de créance ? Il faut un
paiement (cf. cession fiduciaire ou à titre gratuit), qui plus est intégral
(alors que la cession de créance se fait souvent à un prix inférieur à celui
de la créance cédée).
Aux termes de l’art. 1250-1° C. civ., la subrogation
conventionnelle a lieu :
« 1º Lorsque le créancier recevant son paiement d’une tierce
personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques
contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même
temps que le paiement ».
La subrogation ex parte creditoris est donc valable, mais elle est
subordonnée à 3 types de conditions : des conditions de validité (1),
des conditions d’opposabilité (2) et des conditions de preuve (3).
1. Les conditions de validité
S’agissant d’abord des parties au paiement, l’art. 1250-1° C. civ.
exige d’abord que le créancier reçoive un paiement d’une tierce
personne. La subrogation ne peut profiter à celui qui acquitte sa
propre dette. Mais la jurisprudence reconnaît le bénéfice de la
subrogation à celui qui, « tout en payant une dette personnelle, a par son
paiement libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit peser la
charge définitive de la dette ». En d’autres termes, seul celui qui paie
au créancier une dette dont la charge définitive lui incombe ne
peut se prévaloir d’une subrogation conventionnelle.
L’art. 1250-1° C. civ. indique ensuite que le paiement est effectué
entre les mains du créancier. Mais, comme pour l’appréciation de la
tierce personne, la jurisprudence est souple. Selon la Cour de
95
cassation, la subrogation est valable si le subrogé s’acquitte entre les
mains d’un tiers désigné par le créancier et recevant les fonds pour
son compte.
S’agissant de la convention de subrogation elle-même, l’art. 1250-
1° C. civ. pose encore 2 conditions de validité.
1° - La convention de subrogation doit être expresse. Il faut donc
que les parties expriment clairement leur volonté subrogatoire. Une
volonté tacite ne suffit pas. Le comportement des parties ne suffit
pas non plus à déduire l’existence d’une subrogation. Le Code civil
n’impose pas de formule sacramentelle, mais au moins une intention
claire.
Pourquoi ? But = protéger le débiteur et ses créanciers, privés de
l’effet extinctif normalement attaché au paiement.
En pratique rédaction d’une quittance subrogatoire, constatant
le paiement et indiquant qu’il opère subrogation en faveur du solvens et
non extinction de la créance.
2° - La subrogation doit être faite en même temps que le
paiement : ni avant, ni après.
La subrogation ne peut pas avoir lieu avant le paiement. C’est la
définition même de la subrogation qui l’impose. C’est un transfert sur le
fondement d’un paiement. Il faut donc bien que ce paiement ait lieu.
Mais la jurisprudence, là encore libérale, admet que la volonté de
subroger le solvens soit exprimée dans un document antérieur au
paiement, dès lors qu’il est clair dans l’intention des parties que le
transfert lui-même n’aura lieu qu’au moment du paiement (v. not.
Com., 29 janvier 1991, Bull. civ. IV, n° 48 ; Civ. 1re, 28 mai 2002, Bull. civ.
I, n° 154). Il y a alors promesse de subrogation. Ex : fréquent dans
l’affacturage (infra).
La subrogation ne peut pas non plus avoir lieu après le paiement. Si
elle n’a pas été convenue lors du paiement, le paiement est pur et
simple. Donc, il est extinctif. Dès lors, le créancier et le solvens ne
96
peuvent plus, par la suite, ressusciter la créance pour la faire circuler.
C’est trop tard. Mais là encore la jurisprudence est libérale : en cas de
paiements échelonnés d’une même créance, la subrogation n’a pas à
être prévue à chaque paiement ; elle peut avoir lieu au moment du
règlement du solde. De plus, peu importe que la quittance
subrogative soit postérieure au paiement si les parties prouvent que
la subrogation était une condition du paiement. Ce qui importe, c’est la
réalité de leur intention au moment du paiement.
2. Les conditions d’opposabilité
Les conditions sont plus simples que celles prévues en matière de
cession de créance. C’est d’ailleurs l’un des avantages de la
subrogation par rapport à la cession. Les formalités de l’art. 1690 C. civ.
n’ont pas à être suivies en matière de subrogation.
Retour au principe de droit commun selon lequel tout contrat
est opposable aux tiers de plein droit, sans formalité particulière,
dès sa conclusion.
PB : Le débiteur peut ignorer l’existence de la subrogation et donc
le changement de créancier. En effet c’est un tiers à la subrogation ex
parte creditoris et son consentement n’est pas requis.
Risque = qu’il paie, légitimement (de BF), le créancier initial
(le subrogeant). Dans cette hypothèse, il est protégé par la théorie de
l’apparence. Cf. art. 1240 C. civ. le débiteur se libère valablement
entre les mains du subrogeant s’il a légitimement pu croire qu’il était
toujours créancier (cas s’il n’était pas au courant de la subrogation).
Pour éviter cette méprise, le subrogé a intérêt à informer le
débiteur au plus vite de l’existence de la subrogation. De cette façon, le
débiteur ne pourra plus payer de bonne foi le subrogeant.
Ex : En matière d’affacturage.
Sens ? Une société d’affacturage (le factor) paie à ses adhérents le
montant des créances (« factures ») qu’ils détiennent sur leurs débiteurs,
en contrepartie d’une subrogation.
97
Avantages pour l’adhérent : il est (en général) payé avant
l’échéance de ses créances + le factor assume le risque d’insolvabilité
des débiteurs des factures en lieu et place de l’adhérent.
Avantage pour le factor : Il est rémunéré pour ce service au moyen
d’une commission payée par l’adhérent, souvent assez élevée.
Le factor paie les factures et est subrogé dans les droits de son
client. Il n’est pas question de rédiger une convention à chaque fois.
C’est la raison pour laquelle une convention globale (une promesse de
subrogation) est conclue avant les paiements pour organiser les
subrogations à venir. En elle-même elle n’a aucun effet (car la
subrogation, on l’a vu, suppose un paiement concomitant), mais les
subrogations se réaliseront sur son fondement au fur et à mesure des
paiements.
Pourquoi réaliser une telle opération par le biais d’une
subrogation plutôt que d’une cession de créance ? Précisément parce
que le transfert de créance au profit du factor est opposable aux tiers
sans formalités à compter de la date du paiement subrogatoire.
Mais pour empêcher le débiteur d’invoquer utilement
l’apparence s’il paie le subrogeant après la subrogation, le factor
prendra soin d’informer le débiteur, en général par la mention du
nom du factor sur la facture.
3. Les conditions de preuve
La forme de la convention de subrogation obéit au droit commun
des conventions. Aucune forme n’est requise pour sa validité, mais
pour des raisons de preuve, la convention sera le plus souvent faite par
écrit. C’est nécessaire en principe en matière civile au-delà de 1500 €
(2500 au Luxembourg). C’est de toute façon très opportun dans les
autres cas, même en matière commerciale où la preuve est libre, dans la
mesure où la subrogation doit être expresse.
98
En pratique, les subrogations conventionnelles se font par écrit,
dans une quittance subrogatoire le plus souvent.
Transition – Le plus souvent, le subrogeant est donc le créancier
désintéressé par le solvens, ce qui est logique car c’est lui qui a le
pouvoir de disposer de sa créance. Il arrive cependant que le subrogeant
soit, non pas le créancier, mais le débiteur.
B. La subrogation consentie par le débiteur
Cette variante de la subrogation conventionnelle est prévue par
l’art. 1250 2° C. civ. : une telle subrogation intervient « lorsque le
débiteur emprunte une somme à l’effet de payer sa dette, et de subroger
le prêteur dans les droits du créancier. Il faut, pour que cette subrogation
soit valable, que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant
notaires ; que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été
empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré
que le paiement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau
créancier. Cette subrogation s’opère sans le concours de la volonté du
créancier ».
En pratique, cela correspond à la situation dans laquelle le
prêteur propose des conditions de remboursement plus
intéressantes que le créancier initial, par exemple, une échéance plus
lointaine ou des taux d’intérêts plus bas. PB : la technique s’apparente à
une « subrogation forcée », dans la mesure où la loi donne ici au débiteur
le pouvoir de disposer des droits de son créancier.
Conditions très restrictives.
Domaine : la subrogation ex parte debitoris est limitée aux seuls cas
dans lesquels le débiteur emprunte à l’effet de régler l’une de ses dettes.
Forme : l’acte d’emprunt et la quittance doivent être notariés
(pour avoir date certaine) + l’acte d’emprunt doit déclarer que la
somme a été empruntée pour faire le paiement, et la quittance doit
99
déclarer que le paiement a été fait avec l’argent fourni à cet effet par le
nouveau créancier.
Forme de subrogation très rare en pratique.
§ 2. La subrogation légale
La subrogation légale est prévue lorsque le solvens a l’obligation de
payer la dette ou a un intérêt particulier au paiement de la dette. Elle a
lieu de plein droit, sans convention, indépendamment de la volonté des
parties, à la suite du paiement fait par un solvens auquel la charge
définitive de la dette n’incombe pas.
Quels sont les cas de subrogation légale existants ? On les trouve,
d’une part, dans le Code civil (A), d’autre part, en dehors du Code
civil (B).
A. La subrogation légale dans le Code civil
La subrogation légale est prévue par l’art. 1251 C. civ. Ce texte
indique :
« La subrogation a lieu de plein droit :
1º Au profit de celui qui étant lui-même créancier, paie un autre
créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou
hypothèques ;
2º Au profit de l’acquéreur d’un immeuble, qui emploie le prix de son
acquisition au paiement des créanciers auxquels cet héritage était
hypothéqué ;
3º Au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au
paiement de la dette, avait intérêt de l’acquitter ;
4º Au profit de l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net qui a
payé de ses deniers les dettes de la succession ;
5° Au profit de celui qui a payé de ses deniers les frais funéraires pour
le compte de la succession. »
100
NB : Ce dernier alinéa a été ajouté récemment au Code français
et il ne figure pas dans le C. civ. Lux.
Le texte prévoit des cas d’importance inégale : des cas particuliers (1) ;
un cas général (2).
1. Les cas particuliers
Ce sont les cas visés par le 1°, 2°, 4° et par le 5° dans le code
français.
1er cas : la subrogation du créancier postérieur (art. 1251 1°)
La subrogation a lieu de plein droit « Au profit de celui qui étant lui-
même créancier, paie un autre créancier qui lui est préférable à raison de
ses privilèges ou hypothèques ».
Situation ? Un débiteur a plusieurs créanciers. Le créancier qui
arrive au 1er rang, en raison d’un privilège ou d’une hypothèque, entend
mettre en œuvre sa sûreté car c’est pour lui le moyen d’être
complètement désintéressé. Les autres créanciers, inférieurs en rang ou
chirographaires, peuvent avoir intérêt à payer le créancier de 1er rang,
afin de repousser la saisie qu’il comptait effectuer, par exemple s’il
apparaît qu’une saisie pratiquée à une date ultérieure pourrait rapporter
un prix plus élevé et désintéresser plus de créanciers. Mais personne ne
désintéressera le créancier de 1er rang s’il n’est pas sûr d’être remboursé
de sa dépense. C’est pourquoi l’art. 1251 1° prévoit un cas automatique
de subrogation : le créancier inférieur en rang qui paie celui qui le
précède recueille ainsi de plein droit la créance de ce dernier et
l’hypothèque ou le privilège qui va avec.
2e cas : la subrogation de l’héritier bénéficiaire (art. 1251 4°)
101
La subrogation est prévue « Au profit de l’héritier acceptant à
concurrence de l’actif net qui a payé de ses deniers les dettes de la
succession ».
En droit des successions, le poids du passif successoral n’est pas
supporté de la même manière selon que l’acceptation de la succession est
pure et simple ou faite sous bénéfice d’inventaire.
Si elle est pure et simple, l’héritier est tenu des dettes
successorales au-delà des forces de la succession, c’est-à-dire sur ses
biens personnels.
Si l’acceptation est faite sous bénéfice d’inventaire, l’héritier n’est
tenu des dettes de la succession qu’à concurrence des biens qu’il
recueille. Toutefois, même dans ce cas, l’héritier bénéficiaire peut avoir
intérêt à désintéresser les créanciers successoraux avec ses biens
personnels, par ex : pour éviter la vente d’un bien auquel la famille est
attachée. Naturellement, l’héritier bénéficiaire n’acceptera ce paiement
d’une dette qui n’est pas la sienne que s’il est certain d’être remboursé.
C’est pourquoi le Code civil a prévu le cas de subrogation visé à l’art.
1251 4° : puisque l’héritier a ici un intérêt légitime au paiement de la
dette successorale, le législateur facilite ce paiement, en donnant à
l’héritier solvens le bénéfice d’une subrogation légale.
En matière successorale, toujours, l’art. 1251 5° du Code civil français
prévoit désormais également un cas de subrogation légale pour celui qui
règle les frais funéraires pour le compte des autres héritiers. Le risque
était qu’il oublie de réclamer une subrogation et que son paiement
éteigne donc définitivement la créance de paiement des frais funéraires,
sans qu’il ne puisse ensuite se faire rembourser sur l’actif successoral (si
les autres héritiers se montraient de MF).
3e cas : la subrogation de l’acquéreur d’un immeuble hypothéqué
(art. 1251 2°)
102
La subrogation a lieu de plein droit « Au profit de l’acquéreur d’un
immeuble, qui emploie le prix de son acquisition au paiement des
créanciers auxquels cet héritage était hypothéqué ».
Lorsqu’un immeuble hypothéqué est vendu, l’acheteur a intérêt à
payer le prix entre les mains du créancier hypothécaire de son vendeur.
En effet, s’il versait le prix au vendeur, l’acheteur serait exposé au risque
de l’exercice du droit de suite que confère la sûreté réelle au créancier
hypothécaire du vendeur de l’immeuble.
Il se peut que le prix dû par l’acquéreur ne suffise pas à
désintéresser tous les créanciers hypothécaires de l’immeuble. Dans cette
situation, l’acquéreur peut craindre d’être exproprié par un créancier
impayé, sans être certain de pouvoir utilement se retourner contre le
vendeur (insolvable probablement sans quoi le créancier n’aurait pas mis
en œuvre sa sûreté).
La subrogation de l’art. 1251 2° est prévue pour faire face à ce
risque. L’acquéreur est subrogé dans les droits hypothécaires du
créancier auquel il aura payé le prix, donc un créancier en rang
préférable par hypothèse, de sorte que le subrogé l’emportera sur les
autres créanciers hypothécaires en rang inférieur. Autrement dit, si
l’immeuble venait à être vendu, le subrogé serait sûr d’être remboursé
puisqu’il occupe un rang préférable. En définitive, le mécanisme
dissuadera les créanciers postérieurs impayés de déclencher les
poursuites, sauf s’ils sont sûrs de pouvoir tirer de la vente de l’immeuble
un prix supérieur à celui versé par l’acquéreur.
Aucun de ces cas particuliers n’a une grande portée pratique. Il en
va autrement du cas visé à l’art. 1251 3°, qui est de portée beaucoup plus
générale.
2. Le cas général
103
Art. 1251 3° C. civ. la subrogation a lieu de plein droit « au
profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement
de la dette, avait intérêt de l’acquitter ».
La subrogation est ici donnée aux personnes qui sont obligées de
payer, soit en même temps que le débiteur, soit à sa place. Il faut que le
solvens puisse être poursuivi en paiement. Si le solvens est étranger à
la dette, seule une subrogation conventionnelle est possible.
La subrogation de celui qui est tenu avec d’autres de la dette
acquittée vise notamment les situations de solidarité passive. La
subrogation légale permet au codébiteur solvens, qui a payé pour les
autres, d’obtenir de ses codébiteurs qu’ils remboursent la fraction
excédant sa part. Et puisque c’est un recours subrogatoire, le solvens
bénéficiera des sûretés dont disposait le créancier.
Sont également tenus avec d’autres au sens de l’art. 1251 3° C.
civ. :
- les codébiteurs d’une dette indivisible
- les cofidéjusseurs = cautions garantissant une même
dette envers le créancier, dans leurs rapports
réciproques.
- les codébiteurs d’une obligation in solidum.
La subrogation de celui qui est tenu pour d’autres vise au premier
chef la caution. Là encore, la caution bénéficiera donc de la
subrogation et pourra ainsi réclamer au débiteur principal le montant
total de la dette acquittée, tout en bénéficiant des éventuelles sûretés
attachées à l’obligation cautionnée.
La jurisprudence française a retenu une interprétation
extensive de ce 3e cas de subrogation légale, en dépit du caractère
exceptionnel de ce mécanisme.
104
Elle a étendu le texte à toutes les situations où une personne,
en payant une dette qu’elle est tenue d’acquitter, éteint du même
coup, en tout ou partie, la dette d’une autre personne, sur laquelle
doit peser la charge définitive du paiement.
Elle applique l’art. 1251 3° même lorsque le solvens est tenu
d’une dette distincte de celle d’autrui, dès lors qu’il a libéré autrui par
son paiement.
Jurisprudence constante : « attendu que le débiteur qui s’acquitte
d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier
de la subrogation s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier
commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette » (attendu
de principe que l’on retrouve notamment dans Civ. 1re, 7 novembre 1995,
Bull. civ. I, n° 397 ; Civ. 1re, 27 mars 2001, Bull. civ. I, n° 90).
Ex : un notaire commet une faute professionnelle en ne
s’assurant pas que l’hypothèque constituée sera suffisante pour garantir
le remboursement des sommes prêtées. Le notaire indemnise le
prêteur car l’emprunteur est défaillant. Il y a donc 2 dettes : une dette
de prêt et une dette de responsabilité civile. Elles n’ont pas du tout la
même nature. Il n’y a donc pas une pluralité de débiteurs tenus d’une
dette unique au sens de l’art. 1251 3°. Pourtant, les dommages-intérêts
versés par le notaire vont permettre de rembourser le prêteur. En
s’acquittant de sa dette de RC, le notaire libère l’emprunteur de sa dette
de restitution née du prêt. Pour cette raison, la jurisprudence accorde au
solvens (le notaire dans l’exemple) le bénéfice de la subrogation légale.
Avantage : il profitera de l’hypothèque (même si elle est insuffisante,
c’est tout de même mieux que de n’avoir aucune sûreté).
La jurisprudence accorde la subrogation non seulement s’il y a déjà eu
un procès au terme duquel le notaire a été condamné in solidum avec
l’emprunteur défaillant, mais même en l’absence de procès, si le
notaire anticipe la condamnation qu’il risque de se voir imposer en
indemnisant immédiatement le prêteur.
105
Autre exemple : un comptable part en vacances. Il n’encaisse
pas les chèques qui lui sont remis. Un voleur s’en empare et les
encaisse à son profit. La société agit contre le comptable et lui reproche
sa faute. Le comptable paie les chèques (il indemnise). A-t-il un recours
subrogatoire contre le voleur ? Réponse positive : la subrogation légale
est applicable :
- est-il « tenu » ? Oui, il était obligé d’indemniser son
employeur.
- est-il tenu « avec » ? Ou a-t-il payé sa propre dette ? La dette
pèse définitivement sur le voleur. Le comptable a payé une
dette personnelle, mais qui pèse sur autrui. Donc, il
bénéficie de la subrogation.
La Cour de cassation a donc dégagé un principe général de
subrogation, qui joue à chaque fois que le solvens, en payant une dette à
laquelle il est tenu, libère le débiteur auquel incombe, en tout ou en
partie, la charge définitive du règlement fait au créancier – même si la
dette du solvens n’est pas la même que celle du débiteur contre lequel il
exerce son recours.
Ce principe n’a cependant pas toujours été admis. Autrefois, la
jurisprudence refusait la subrogation légale à celui qui payait sa propre
dette, même si cela avait pour effet de libérer un autre débiteur tenu
d’une dette différente. C’est pourquoi d’autres cas de subrogation légale
ont été prévus en dehors du Code civil.
B. La subrogation légale en dehors du Code civil
Les cas légaux de subrogation en dehors du Code civil sont
relativement nombreux (ex : recours subrogatoire du Fonds de
garantie des assurances obligatoires de dommages ; recours
subrogatoire du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et
d’autres infractions ; etc.)
106
Les deux plus importants sont ceux visant l’assureur de
dommage et les Caisses de Sécurité sociale.
La subrogation de l’assureur de dommage – Cette subrogation est
prévue par l’art. L. 121-12 C. ass : « L’assureur qui a payé l’indemnité
d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans
les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont
causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ».
Cf. au Luxembourg L. 27 juillet 1997 sur le contrat d’assurance,
art. 52 (très proche).
L’assurance de dommage recouvre l’assurance de choses (qui
protège les biens de l’assuré) et l’assurance de responsabilité. Cette
assurance a un caractère indemnitaire : elle indemnise l’assuré à
hauteur du préjudice qu’il a subi (par opposition aux assurances de
personnes (assurance-vie…) dans lesquelles l’assureur verse un forfait
prévu dans le contrat).
NB : Aujourd’hui, le texte n’est plus très utile car ce cas apparaît
comme une application du principe général dégagé par la
jurisprudence à partir du Code civil. Car si l’assureur paie
effectivement sa propre dette, il répare ainsi le préjudice subi par
l’assuré et par voie de conséquence, libère le responsable sur qui doit
peser la charge définitive de la dette.
Mais avant que cette jurisprudence libérale ne soit consacrée, la
subrogation n’était pas admise parce que l’assureur, en versant
l’indemnité d’assurance, acquittait sa propre dette (née du contrat
d’assurance), distincte de la dette de responsabilité pesant sur le
responsable du dommage. C’est pourquoi le législateur avait instauré ce
cas spécial de subrogation dans la Loi du 13 juillet 1930.
La subrogation des Caisses de Sécurité sociale – La Loi du 5 juillet
1985 sur les accidents de la circulation a instauré un nouveau cas de
subrogation au profit de certains tiers qui ont versé des prestations à la
107
victime d’un dommage corporel, notamment les Caisses de Sécurité
sociale.
Là encore, les conditions de ce recours correspondent en définitive
à celles du principe général dégagé par la Cour de cassation.
Aujourd’hui, on pourrait donc parvenir au même résultat en faisant
l’économie d’un texte spécial.
NB : Au Luxembourg, v. art. 82 du Code de la sécurité sociale qui
instaure une cession légale des droits de la victime à la caisse de
sécurité sociale qui l’indemnise, dont la jurisprudence a précisé qu’elle
jouait dès le jour de la survenance du dommage.
Transition – La nature conventionnelle ou légale de la subrogation
a une incidence sur leurs conditions de mise en œuvre. Mais leurs effets
sont identiques.
II. LES EFFETS DE LA SUBROGATION PERSONNELLE
Les effets de la subrogation personnelle sont de deux ordres :
- un effet principal qui est la transmission de la créance
(§ 1)
- des effets accessoires (§ 2).
§ 1. L’effet translatif de la subrogation
La subrogation ressemble à la cession de créance du point de
vue de ses effets. Comme cette dernière, la subrogation entraîne une
transmission de la créance appartenant à l’accipiens. Mais, la spécificité
de la subrogation tient au fait que la transmission de la créance est à la
mesure du paiement effectué. Reprenons ces 2 points en examinant
d’abord l’objet de la transmission (A), puis la mesure de la
transmission (B).
108
A. L’objet de la transmission
La subrogation entraîne un transfert de la créance originaire au
tiers subrogé à compter de la date du paiement. Le subrogeant cesse
dès lors d’être créancier : il ne peut plus agir contre le débiteur et ses
propres créanciers ne peuvent plus saisir la créance, qui est sortie de son
patrimoine.
La créance est transmise au subrogé avec ses attributs (ex : les
sûretés) et ses vices (= les exceptions que le débiteur pouvait faire
valoir contre le créancier primitif).
L’étendue de la transmission (les attributs) –
Le subrogé recueille la créance proprement dite, mais également
ses accessoires.
Cela comprend :
- les sûretés personnelles accessoires (ex : cautionnement)
comme réelles (ex : hypothèque ou gage) ;
- les droits qui conféraient une garantie de paiement au
créancier originaire, par exemple une clause pénale, de
réserve de propriété, etc.
- les actions qui appartenaient au créancier et qui se
rattachaient à cette créance immédiatement avant le
paiement. Exemples : l’action en dommages-intérêts, l’action
paulienne.
La créance est transmise avec ses caractères propres et les
modalités qui en déterminent le régime. Exemples :
- caractère civil ou commercial de la créance
- délai de prescription [sachant que le subrogé bénéficie de
l’interruption de prescription acquise par le créancier
originaire].
109
- clause de compétence. Ex : Civ. 1re, 12 juillet 2001, Bull.
civ. I, n° 224.
- clause d’indexation
- cas particulier : la clause d’intérêt en cas de retard. Sa
transmission doit être combinée avec la règle selon laquelle
la subrogation est à la mesure du paiement. Donc, le
subrogé ne peut obtenir par le biais de cette clause,
plus que ce qu’il a payé au subrogeant. La somme qu’il a
payée produira seulement intérêt au taux légal (de façon à
indemniser le créancier du retard pris dans le paiement de
la somme d’argent). V. Civ. 1re, 29 octobre 2002, Bull. civ. I,
n° 257 : la subrogation étant à la mesure du paiement, le
subrogé (ici une caution) ne bénéficie pas de la stipulation
d’intérêts profitant au subrogeant ; il peut en revanche
prétendre aux intérêts au taux légal qui courent de plein
droit à compter du paiement qu’il a effectué. V. aussi, Civ.
1re, 18 mars 2003, Bull. civ. I, n° 86 ; Civ. 1re, 25 février
2005, Bull. civ. I, n° 87. Cela confirme que, contrairement à
la cession de créance, la subrogation personnelle n’est pas
un mécanisme spéculatif.
La transmission est donc très étendue. Mais elle est doublement
limitée :
- Les prérogatives attachées à la personne du créancier
subrogeant ne sont pas transmises au subrogé. Ex : la
suspension d’une prescription qui tient au fait que le
subrogeant est mineur ; la suspension cesse à compter du
jour de la subrogation = la prescription reprend son cours.
- On se souvient en outre que, pour éviter une multiplication
déraisonnable des recours successifs, la solidarité passive
n’est pas transmise lorsque le solvens est l’un des
codébiteurs solidaires de l’obligation. Celui qui a payé le
créancier, subrogé dans ses droits, ne peut donc pas
110
réclamer le remboursement de ce qui excède sa part
dans la dette à n’importe quel autre codébiteur. Le
codébiteur solvens devra diviser son recours contre les
autres. Il ne pourra demander à chaque codébiteur que la
part que celui-ci doit supporter dans la dette à titre définitif.
V. art. 1214 C. civ. pour les codébiteurs solidaires ; v. art.
2033 C. civ. en cas de pluralité de cautions pour la même
dette.
L’opposabilité des exceptions (les vices) –
On retrouve la distinction faite à propos de l’opposabilité des
exceptions en matière de cession de créance, entre exceptions
inhérentes et exceptions extérieures à la créance.
Les exceptions inhérentes à la créance sont opposables par le
débiteur au subrogé. Les exceptions inhérentes à la créance transmise
sont celles qui affectent la créance quel que soit le patrimoine dans lequel
elle se trouve. Concrètement, le débiteur peut opposer au subrogé :
- la chose jugée à l’encontre du subrogeant (ex : à
l’encontre de la victime en cas de transmission par
subrogation d’une créance délictuelle),
- les clauses qui déterminent le régime de la créance
transmise (ex : son terme),
- les moyens de défense tirés des caractères propres de cette
créance, par exemple l’expiration du délai de
prescription.
- si la créance transmise est née d’un contrat , l’exception de
nullité, l’exception d’inexécution, l’exception de
résolution et l’exception de compensation pour dettes
connexes
111
S’agissant ensuite des exceptions extérieures à la créance, c’est-à-
dire des moyens de défense que le débiteur tire de sa libération envers
le subrogeant ou d’une modification de la créance convenue avec le
créancier initial, elles ne peuvent être invoquées si elles sont nées
avant la date à laquelle le subrogé est devenu le nouveau créancier
à l’encontre du débiteur = à compter de la date du paiement
subrogatoire.
Ex : Si le débiteur devient créancier du subrogeant, il est a priori en
mesure d’invoquer la compensation légale. Mais l’exception de
compensation n’est opposable au subrogé que si les conditions de la
compensation légale étaient réunies avant le paiement
subrogatoire. Après cette date, la condition de réciprocité fait
défaut (le subrogeant n’est plus créancier) et l’exception de
compensation légale devient par conséquent inopposable, V. par exemple,
Com., 3 avril 1990, Bull. civ. IV, n° 116.
Autre application : supposons que le débiteur ait conclu avec le
subrogeant une convention extinctive (une remise de dette, une
novation ou une compensation conventionnelle) ou modificative (ex :
délai de paiement) de la créance. Est-ce opposable au subrogé ? Cela
dépend :
- si l’exception tirée de l’extinction ou de la modification est
née avant la date de la subrogation, elle est opposable
au subrogé.
- si l’exception en cause est née après la date du paiement
subrogatoire, le subrogé est alors seul titulaire de la créance
et il peut ignorer l’exception.
Limite : lorsque le débiteur oppose le paiement qu’il a fait au
subrogeant, théoriquement, le paiement postérieur à la subrogation
devrait être inopposable au subrogé. Mais, en vertu de l’art. 1240 C.
civ., si le débiteur est de bonne foi, autrement dit s’il ignore la
subrogation au moment du paiement, le paiement est valable et
libératoire, donc opposable au subrogé.
112
Nous avons vu à cet égard l’intérêt qu’il y avait pour le subrogé à
informer le plus rapidement possible le débiteur de la subrogation.
B. La mesure de la transmission
Le transfert de créance par subrogation a ceci de particulier qu’il
est lié à un paiement. Le paiement est tout à la fois la condition et la
mesure de la subrogation personnelle.
Comp. cession de créance. Le cessionnaire acquiert la créance
pour son montant nominal, quel que soit le prix qu’il a versé (en
général inférieur) voire même s’il n’en a versé aucun en contrepartie
(parce que le cédant avait une intention libérale).
La subrogation au contraire ne produit d’effet translatif qu’à
hauteur du paiement fait par le subrogé au créancier primitif. Donc,
si le paiement est partiel, la subrogation est partielle. La cession de
créance est une opération spéculative, pas la subrogation.
PB : Quid si le créancier remet au subrogé une quittance totale
en contrepartie d’un paiement partiel ? La subrogation est-elle
totale ? La réponse de la Cour de cassation est négative : le subrogé n’a
qu’un recours partiel contre le débiteur, à hauteur de ce qu’il a
effectivement payé.
Attention cependant : rien n’interdit au subrogé de se faire payer
pour ses services (soit qu’il permette au créancier initial d’être payé
avant terme, soit qu’il lui épargne l’aléa et le coût d’un recouvrement de
la créance auprès du débiteur). Mais cette rémunération ne saurait
résulter d’un abandon par le créancier initial de la totalité de ses
droits en contrepartie d’un paiement partiel. La rémunération prend
une autre forme, notamment la forme d’une commission. Ex :
rémunération du factor en cas d’affacturage. V. pour une illustration
jurisprudentielle, Com., 15 juin 1993, Bull. civ. IV, n° 256.
§ 2. Les effets accessoires de la subrogation
113
A côté de l’effet principal, la transmission de créance, la
subrogation produit des effets accessoires, que l’on peut résumer
autour des 2 idées suivantes.
1re idée : en cas de concours avec le subrogé, la priorité est donnée
au créancier initial.
Quand y a-t-il un concours ? Le concours survient en cas de
paiement partiel. A paiement partiel, subrogation partielle. Donc, dans
ce cas, le subrogé et le créancier initial se retrouvent en concours pour
obtenir leur dû auprès du débiteur. Ex : lorsque l’assureur ou la
Sécurité sociale verse une somme dont le montant est inférieur à la
valeur du préjudice réparable. Ils sont alors en concours avec la
victime de l’accident qu’ils ont indemnisée.
Exemple concret : le subrogeant était créancier de 1000. Après
paiement subrogatoire, il est créancier à hauteur de 700 et le subrogé à
hauteur de 300. Supposons que le débiteur ne dispose que de 500. PB :
Comment régler le conflit ?
- Au marc le franc (proportionnellement) ? 70 % de 500
pour l’un, 30 % de 500 pour l’autre.
- Priorité au subrogé parce qu’il a rendu service ? Donc le
subrogé est payé (300) et le subrogeant l’est pour le reste
(200).
- Priorité au subrogeant, auquel cas il est payé à hauteur de
500 et le subrogé n’obtient rien.
C’est cette dernière solution qui est retenue en droit positif.
V. art. 1252 C. civ. : la subrogation « ne peut nuire au créancier
lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits,
pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un
payement partiel ». Le Code civil consacre ainsi l’adage selon lequel
« Nul n’est censé subroger contre soi ».
La règle de l’art. 1252 est cependant limitée :
114
- elle ne joue que si la créance est assortie d’un droit de
préférence ; elle ne joue pas lorsque le créancier initial est
chirographaire.
- elle ne joue qu’en présence d’un paiement partiel d’une
créance unique ; elle ne joue pas lorsque le créancier a
plusieurs créances, dont l’une a été payée intégralement par
le subrogé.
- elle ne joue qu’en cas de concours créancier
initial/subrogé ; elle ne joue pas en cas de concours entre
deux subrogés ayant acquitté chacun une partie de la
créance. Le 2nd subrogé (dans le temps) ne profite pas du
droit de priorité qu’avait fait naître au profit du créancier
initial le paiement partiel fait par le 1er subrogé. Le droit de
priorité est personnel au créancier initial ; il ne se transmet
pas.
- enfin, la règle énoncée par l’art. 1252 C. civ. n’est pas
impérative : le créancier initial peut renoncer à son
droit de priorité et donner la préférence au subrogé. On
peut aussi prévoir par convention une répartition
proportionnelle. Ces clauses sont répandues en pratique.
2e idée : la subrogation peut faire naître des obligations à la charge
du subrogeant.
Nous savons que le cédant, à l’image du vendeur, est tenu d’une
obligation de garantie envers le cessionnaire. C’est une obligation qui
naît de plein droit.
Il en va autrement en matière de subrogation : le subrogeant
n’est pas tenu de garantir au subrogé l’existence de la créance
transmise. Toutefois, cette absence d’obligation de garantie doit être
doublement nuancée :
- d’abord, le subrogé peut prévoir dans la convention un
recours contre le subrogeant. Autrement dit, il est possible
115
de stipuler une garantie conventionnelle, V. par ex.,
Com., 6 novembre 1990, Bull. civ. IV, n° 267.
- ensuite, si le subrogé devait payer une créance qui, en fait,
est inexistante, il pourrait agir contre le subrogeant en
répétition de l’indu (quasi-contrat).
Par ailleurs, en plus de ces tempéraments, il arrive que la loi
impose des obligations au subrogeant, notamment l’obligation de ne pas
compromettre le recours subrogatoire du subrogé. La sanction de
l’inexécution de cette obligation est la déchéance : le subrogeant est
déchu de ses droits contre le subrogé.
Ex : art. 2314 C. civ. : la caution est libérée si le créancier
laisse dépérir les droits préférentiels dont il dispose contre le
débiteur principal, car ce dépérissement prive d’efficacité le recours
subrogatoire de la caution.
Ex : art. L. 121-12 al. 2 C. Ass. : « l’assureur peut être déchargé, en
tout ou en partie, de sa responsabilité envers l’assuré, quand la
subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de
l’assureur ». Cf. au Luxembourg L. 27 juillet 1997 sur le contrat
d’assurance, art. 52.
C’est logique : le moins que l’on puisse attendre du subrogeant est
qu’il ne nuise pas aux intérêts de celui qui le paie.
Conclusion (des 2 Chapitres) – Comparaison subrogation
personnelle/cession de créance.
Points communs :
- circulation de l’obligation par changement de créancier.
- mécanismes qui, pour des raisons différentes, favorisent le
crédit, le bon fonctionnement de l’économie (création de
116
richesse pour la cession ; garantie pour la cession
fiduciaire ; garantie pour la subrogation personnelle).
Différences :
- Finalité de l’opération
o La cession de créance à titre onéreux est une opération
spéculative (un profit est recherché lors de la cession),
alors que la subrogation ne l’est pas : le transfert n’a lieu
que dans la mesure du paiement effectué. Cela dit, la
subrogation peut être effectuée à titre onéreux, ce qui
atténue la différence.
- Conditions :
o La cession suppose le consentement du créancier, ce qui
n’est pas toujours le cas dans la subrogation. La
subrogation peut être « forcée ».
o Les conditions d’opposabilité sont plus lourdes dans la
cession de créance que dans la subrogation.
- Effets :
o La cession permet au cessionnaire de réclamer le montant
nominal de la créance, alors que le subrogé ne peut
exercer son recours que dans la mesure du paiement
effectué.
o En cas de cession partielle, le cédant et le cessionnaire
sont à égalité, alors qu’en cas de subrogation partielle, le
subrogeant a une préférence.
o En cas de conflit entre un subrogé et un cessionnaire de
droit commun, le subrogé l’emporte si la subrogation a eu
lieu avant la signification de la cession au débiteur, car la
subrogation est opposable aux tiers de plein droit.
o Il ne peut pas y avoir de compensation pour dettes non
connexes entre le créancier subrogé et le débiteur après la
117
subrogation. En matière de cession de créance, tout
dépend non pas de la cession, mais de sa signification.
Maintenant que les modalités du transfert de la créance sont
connues, voyons s’il est possible, symétriquement, de transférer la dette.
118
Chapitre III – LA CESSION DE DETTE
Toute obligation fait naître à la fois une créance, au bénéfice du
créancier, et une dette, à la charge du débiteur.
Puisque la créance est cessible, la dette devrait a priori être
également cessible.
En réalité, cependant, la symétrie créance / dette est une fausse
symétrie. Car, en général, la personne du créancier est indifférente
au débiteur : il lui importe peu que telle ou telle personne soit créancier.
Au contraire, la personne du débiteur, et le patrimoine qui est
rattaché à cette personne, sont fondamentaux aux yeux du créancier.
Le seul fait d’admettre la cession de créance n’implique pas
l’admission de la cession de dette.
En principe donc, le créancier ne peut pas être contraint de
changer de débiteur. Pour autant, cela ne signifie pas que tout transfert
de dette soit exclu. Mais il faudra avoir recours à d’autres mécanismes,
ce que nous verrons dans une 1re section.
Le principe de l’incessibilité de la dette appelle une réflexion
supplémentaire : si la dette est incessible, comment expliquer que le
contrat dans son ensemble (créances + dettes) puisse être cédé ?
C’est ce que nous verrons dans une 2nde section.
I. L’incessibilité de la dette
II. La cession de contrat
I. L’INCESSIBILITÉ DE LA DETTE
La transmission de la dette ne soulève pas de difficulté lorsque
cette transmission est universelle ou à titre universel. La dette est
119
transmise avec le patrimoine ou la fraction du patrimoine, dont elle
constitue l’un des éléments. Comme le patrimoine est incessible du
vivant de la personne, ce type de transmissions se rencontre
uniquement à l’occasion du décès du débiteur. Ses héritiers
recueillent alors à la fois les droits et les obligations de leur auteur. Par
exemple, celui qui hérite de la ½ de la succession est tenu de payer la
½ des dettes du défunt.
De même, il y a transmission universelle des dettes en cas de
fusion de plusieurs sociétés ou d’absorption d’une société par une
autre, des deux sociétés fusionnées à la nouvelle entité qu’elles forment
ou de l’absorbée à l’absorbante. Cela ne pose pas non plus de problème.
PB : La cession de dette à titre particulier (donc portant une dette
précise) est-elle possible ?
Historiquement, la cession de dette n’était admise ni en droit
romain, ni dans l’Ancien droit. Quant au Code civil, il est totalement
muet sur la question. PB : est-ce le résultat d’un simple oubli ou le
signe d’une impossibilité théorique dans l’esprit des rédacteurs.
Faut-il déduire de ce silence que la cession de dette est
interdite ?
Aujourd’hui, la doctrine majoritaire considère que la cession de
dette est interdite (§ 1). Mais cette règle de principe peut être contournée
(§ 2).
§ 1. Le principe de l’interdiction
Dans le silence de la loi, s’est élevée une opposition doctrinale.
Certains auteurs se sont prononcés en faveur de la validité de la
cession de dette. Il s’agit en particulier de R. SALEILLES et E. GAUDEMET
qui se sont inspirés du droit allemand (mais des règles similaires
120
existent en droit suisse ou en droit italien). Ces droits étrangers
connaissent la reprise de dette, laquelle connaît plusieurs variantes :
- la reprise interne : une convention est conclue entre le
débiteur originaire et un nouveau débiteur qui s’engage
à payer la dette. Mais la convention ne produit d’effets
qu’entre ces 2 parties. Le créancier n’a aucun droit contre
le nouveau débiteur ; il n’a qu’un débiteur et c’est le
premier. Seule la charge du paiement définitif passe du
débiteur initial au nouveau débiteur.
- la reprise cumulative : comme dans la reprise interne, une
convention est conclue entre deux parties, l’une acceptant
de payer la dette de l’autre. Mais à la différence de la
reprise interne, le créancier accepte la reprise de dette. Le
créancier conserve son premier débiteur et il en
acquiert un nouveau, tenu de la même dette. Le créancier
a désormais deux débiteurs (d’où l’idée de « cumul »). Mais
l’ancien débiteur est un débiteur subsidiaire qui ne peut
être poursuivi qu’en cas d’insolvabilité du nouveau
débiteur.
- la reprise parfaite : la situation est la même que dans la
reprise cumulative, à ceci près que le créancier accepte de
libérer le 1er débiteur. Le créancier n’a qu’un seul
débiteur : le nouveau.
C’est en s’appuyant sur ces exemples étrangers que des auteurs
français ont défendu la validité de la cession de dette, au motif que la
cession n’est contraire à aucune règle d’ordre public. La liberté
contractuelle impose donc de l’admettre. Simplement, pour protéger le
créancier contre un changement de débiteur qui ne serait pas conforme à
ses intérêts, le consentement du créancier serait une condition de la
libération du cédant.
121
A défaut d’accord du créancier, la cession de dette existerait tout
de même mais elle resterait imparfaite : le créancier cédé aurait alors
deux débiteurs au lieu d’un seul.
On trouve des illustrations jurisprudentielles de cette analyse.
La Cour de cassation a pu juger que la convention entre le cédant et le
cessionnaire de la dette n’avait que des effets limités. La convention
est valable entre les parties. Mais, faute de consentement du
créancier, la convention ne libère pas le débiteur cédant à l’égard du
créancier. En dépit de la convention qui se veut translative, la dette reste
dans le patrimoine du débiteur originaire. La circulation est donc toute
relative.
Ex : Civ. 1re, 2 juin 1992, Bull. civ. I, n° 168
Faits : un prêt est consenti à 2 époux solidaires pour le financement
de l’achat d’un fonds de commerce. Les époux divorcent et il est stipulé
dans la convention de divorce homologuée par le juge, que le fonds de
commerce est attribué au mari à charge pour lui de rembourser le solde
du prêt. La banque (le créancier) assigne l’épouse en paiement du solde
du prêt. Elle est déboutée par la CA et forme un pourvoi en cassation.
L’arrêt est cassé pour violation des art. 1134 et 1165 C. civ., aux
motifs que « la convention des époux, même homologuée en justice, ne
pouvait avoir pour effet, en l’absence d’un accord du créancier,
d’éteindre la dette de l’un des conjoints et n’avait de force obligatoire que
dans leurs rapports réciproques ».
Dans le même sens, plus récemment, Cass. civ. 1ère, 30 avril 2009,
D. 2009.2400 : la cession par un commerçant de l’intégralité de ses
créances et de ses dettes à l’occasion de la cession de son fonds de
commerce « ne pouvait avoir effet à l'égard du créancier qui n'y avait pas
consenti ». Certains estiment que cela implique a contrario que la cession
est valable entre les parties. Mais moins pertinent car cession globale des
créances et des dettes.
122
Mais pour d’autres auteurs, majoritaires, la dette est
foncièrement incessible.
Pourquoi ? Car pour que l’on puisse véritablement parler de cession
de dette, il faut qu’en vertu de la convention translative, la dette telle
qu’elle liait le cédant au créancier cédé soit transportée dans le
patrimoine du cessionnaire. Si, en raison de ce transfert à un tiers, la
dette est modifiée, alors il ne saurait y avoir de cession. Une cession
digne de ce nom doit pouvoir opérer sans modification.
Or, parmi les éléments qui caractérisent la dette (la dette
contractuelle tout au moins), il y a la cause. La cause de l’obligation,
comprise objectivement, est le but économique en fonction duquel le
débiteur s’engage conventionnellement.
Donc, on ne peut véritablement parler de cession de dette que si
le cessionnaire reprend la dette du cédant avec sa cause ;
autrement dit, que si le cessionnaire la reprend afin d’obtenir la même
satisfaction économique que celle que recherchait le cédant.
Mais alors, si c’est bien de cela dont il s’agit, ce qui est transmis,
ce n’est pas seulement la dette, c’est le contrat dans son entier.
Ex : un locataire décide de céder sa dette de loyers à un tiers
cessionnaire. Pour quelle raison le fait-il ? De deux choses l’une :
Si le tiers reprend la dette pour obtenir la même satisfaction
économique que le cédant, c’est-à-dire pour obtenir la jouissance des
lieux loués, alors il n’y a pas seulement une cession de dette symétrique
à ce que serait la cession de créance de loyers par le bailleur. En réalité,
on est en présence d’une cession de contrat (une cession de bail). Un
nouveau locataire remplace l’ancien et reprend toutes ses obligations
mais aussi tous ses droits.
Si le cessionnaire reprend la dette, non pas pour obtenir la
jouissance des lieux (ce qui ne l’intéresse pas), mais pour une autre
raison, par exemple, pour éteindre une obligation dont il est lui-
même tenu envers le cédant ou pour lui rendre service, alors il n’y a
plus de cession de contrat, mais il n’y a pas pour autant cession de dette
123
car, précisément, la dette du cessionnaire a une cause différente de celle
du débiteur initial et il n’y a donc pas identité entre la dette pesant sur le
débiteur initial et la dette pesant sur le nouveau débiteur. En réalité, le
cessionnaire prend donc un nouvel engagement.
Pourtant, la cession de dette peut être utile économiquement.
Elle peut permettre un paiement simplifié lorsque le cessionnaire
est tenu d’une obligation préexistante envers le cédant. En reprenant
la dette du cédant, le cessionnaire s’acquitte du même coup de sa propre
obligation envers le cédant.
La cession de dette peut également être un moyen de faire une
donation indirecte ou de consentir un prêt. Donation : le nouveau
débiteur paie à la place du débiteur initial et celui-ci est définitivement
libéré ; prêt : le nouveau débiteur paie à la place du débiteur initial à
charge pour ce dernier de le rembourser plus tard.
C’est parce que la cession de dette est économiquement utile que
les juristes se sont efforcés de parvenir à un résultat comparable, en
contournant l’interdiction de principe.
§ 2. Le contournement du principe
Le droit français ne connaissant pas la cession de dette, des
moyens détournés ont été employés pour parvenir à un résultat
pratique similaire.
Parmi ces moyens, il y a la novation par changement de
débiteur, sur laquelle on reviendra plus tard. C’est une novation qui
s’opère lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est
déchargé par le créancier. L’ancien débiteur est libéré parce qu’un
nouveau est lié. Le créancier doit impérativement donner son accord : il
libère le débiteur originaire en échange de l’engagement d’un nouveau
débiteur.
124
Mais la novation par changement de débiteur n’est pas une
véritable cession de dette puisque la dette du débiteur originaire s’éteint
pour être remplacée par une dette nouvelle. Donc, la dette nouvelle
peut avoir des caractères différents de l’ancienne ; les exceptions sont
inopposables ; et les sûretés disparaissent.
Autre moyen détourné de réaliser l’équivalent d’une cession de
dette, dont nous reparlerons : l’indication de paiement (art. 1277 C.
civ.). Elle consiste pour le débiteur à indiquer au créancier qu’un tiers
(souvent une banque) paiera à sa place. C’est possible car le créancier
ne peut pas s’opposer à ce qu’un tiers paie la dette à la place du débiteur,
à moins que la personnalité de celui-ci soit déterminante (ce qui n’est pas
le cas pour une somme d’argent). Mais le créancier n’a aucun droit
contre ce tiers car ce tiers n’a pris aucun engagement envers lui. Le
tiers s’est simplement engagé envers le débiteur à qui il a promis. Et
réciproquement, le débiteur originaire n’est pas libéré (preuve que ce
n’est pas une cession de dette).
Il y a encore d’autres moyens de contourner l’interdiction de la
cession de dette, telle la stipulation pour autrui. Cédant = stipulant ;
cessionnaire = promettant ; créancier = tiers bénéficiaire. Mais là
encore, la SPA ne permet pas de réaliser une véritable cession de dette,
transférant la même dette d’un ancien débiteur à un nouveau (le droit
du bénéficiaire de la SPA contre le promettant naît d’un contrat
différent et autonome de celui qui a généré son droit contre le
stipulant).
Il existe donc des moyens de faire des opérations qui,
économiquement, reviennent à transférer une dette. Mais
juridiquement, il ne s’agit jamais de véritables cessions de dettes
préservant l’identité de l’obligation transmise. D’où la disparition
par exemple des éventuelles sûretés garantissant la dette.
125
Dans ces conditions, on peut se demander comment la cession
de contrat (donc d’un ensemble de créances et de dettes) peut être
admise.
II. LA CESSION DE CONTRAT
La cession de contrat a pour objet le remplacement d’une partie par
un tiers au cours de l’exécution du contrat. La partie qui perd la qualité
de partie est le cédant ; son cocontractant est le cédé ; et le tiers qui
devient partie est le cessionnaire.
Plan – Avant d’indiquer le régime de la cession de contrat (§ 2), il
faut d’abord surmonter l’obstacle théorique qui s’élève a priori contre son
admission en droit positif et donc se pencher sur la nature juridique de
la cession de contrat (§ 1).
§ 1. La nature juridique de la cession de contrat
Si la créance est un bien que rien n’empêche de céder, il en va
autrement du contrat, qui est un objet autrement plus complexe.
Le contrat est par définition une convention créatrice d’obligations,
donc à la fois de créances et de dettes. Or, si la créance est cessible,
la dette ne l’est pas.
Il semble que le contrat ne puisse pas être cédé.
PB : Cette conclusion théorique est en décalage avec la
pratique contractuelle et le droit positif. Il existe en réalité de
nombreux exemples de cessions de contrat parce que cela répond à
un besoin.
Exemples :
- en matière de bail (cession du bail commercial, notamment
lors de la cession du fonds de commerce exploité dans le
126
local objet du bail ; cession du bail d’habitation,
notamment si l’immeuble loué est vendu…)
- la cession d’une PUV ;
- la cession de contrats dans le cadre d’une procédure de
redressement judiciaire donnant lieu à cession de
l’entreprise (art. L. 621-83 et s. C. com. français).
La doctrine a essayé d’établir la validité des opérations de
cession de contrat, en recourant à diverses analyses.
Classiquement, la cession de contrat a été comprise comme
l’addition d’une cession de créance et d’une cession de dette,
puisque le contrat fait naître des obligations et que l’obligation comporte
un côté actif (le droit de créance) et un côté passif (la dette).
Le régime doit alors être celui de la cession de dette, plus
strict. En d’autres termes, la cession de contrat est une convention
valable entre les parties (le cédant et le cessionnaire), mais la cession
n’est pas opposable au cocontractant du cédant, à moins que celui-
ci n’accepte la cession ou que la cession ne soit prévue par la loi.
Une analyse plus moderne a été développée pendant la 2nde moitié
du 20e siècle, notamment par L. AYNÈS (La cession de contrat et les
opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1984). Selon cette
analyse, ce serait un tort de croire que la cession de contrat n’est rien de
plus que l’addition d’une cession de créance et d’une cession de
dette. Pour Laurent Aynès, la cession de contrat est un transfert
intégral de la qualité de contractant. Céder le contrat, c’est céder sa
qualité de partie au contrat et tout ce qui s’y rattache : les droits, les
obligations, les pouvoirs, les actions en justice.
En pratique, cela ne change pas grand-chose. Dire que la
cession de contrat est une cession de la qualité de partie n’autorise pas le
cédant et le cessionnaire à opérer ce transfert et à l’opposer au cédé sans
l’accord de ce dernier. Pour que la cession de contrat produise ses effets,
127
il faut obtenir, même implicitement, l’accord du cédé et non pas
seulement signifier la cession du contrat au cédé, en application de
l’art. 1690 C. civ.
SAUF évidemment si la loi n’autorise la cession de contrat sans
l’accord du cédé. En effet, ce que les parties n’ont pas le pouvoir de
faire, le législateur le peut.
Quelques exemples tirés du droit français :
- Art. L. 145-16 C. com., qui rend opposable au bailleur la
cession du bail commercial
- Art. L. 121-10 C. Ass., qui admet la cession du contrat
d’assurance avec la chose assurée : « En cas de décès de
l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance
continue de plein droit au profit de l’héritier ou de
l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les
obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en
vertu du contrat ».
- Art. L. 1224-1 C. travail imposant le respect des contrats
de travail lors de la cession d’une entreprise : le nouvel
employeur doit prendre à sa charge les contrats de travail en
cours. Le texte exact dispose : « S’il survient une
modification dans la situation juridique de l’employeur,
notamment par succession, vente, fusion, transformation du
fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours
au jour de la modification subsistent entre le nouvel
employeur et le personnel de l’entreprise ».
Il peut alors être nécessaire de signifier la cession au
cocontractant pour la lui rendre opposable. V. not. Cass. com. 3
février 2010, D. 2010.502, à propos d’une cession de bail commercial.
§ 2. Le régime de la cession de contrat
On distinguera classiquement les conditions (A) et les effets (B)
de la cession de contrat.
128
A. Conditions
Le principe est que tout contrat est cessible. En soi, la cession de
contrat n’est pas contraire à une règle d’ordre public.
Mais la Cour de cassation exige que le cédé consente à la cession
de contrat, c’est-à-dire à la substitution de son cocontractant. Il peut
donner son consentement soit dans le contrat lui-même (donc lors de
la conclusion du contrat qui sera, plus tard, l’objet de la cession), soit
ultérieurement (au moment de la cession en général). V. Com., 6 mai
1997, Bull. civ. IV, n° 117.
Sanction de l’absence d’accord du cédé : vraisemblablement
nullité relative de la convention (solution retenue à propos d’une
cession de droits d’auteurs, donc assez spécifique mais a priori
généralisable). Pas juste inopposabilité.
Mais une fois que le cédé a donné son accord, il ne peut plus
s’opposer à la cession.
Le principe de cessibilité du contrat souffre cependant des
exceptions.
En particulier, les parties peuvent stipuler une clause
d’incessibilité. Cette clause est valable en principe, sauf si la loi
estime que la circulation du contrat satisfait un intérêt supérieur à
celui du cédé. Ainsi en droit français, la clause qui interdit la
cession du contrat de bail commercial en cas de vente du
fonds de commerce est nulle (art. L. 145-16 C. com. : « Sont
(…) nulles, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à
interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du
présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son
entreprise »).
B. Effets
129
C’est la qualité de contractant qui est transmise. Donc, tous les
droits et obligations attachés à cette qualité sont transférés. Le
cessionnaire se retrouve dans la situation qui était celle du cédant avant
la cession. Le cessionnaire est lié au cédé « en vertu du contrat
transmis » (Civ. 1re, 14 décembre 1982, Bull. civ. I, n° 360), sans
création d’obligation nouvelle (Com., 12 octobre 1993, Bull. civ. I, n°
333). Le contrat transmis garde sa durée originairement convenue.
La cession produit son effet pour l’avenir. En d’autres termes, le
cessionnaire ne devient débiteur et créancier que des obligations nées
postérieurement à la cession de contrat. V. par exemple, Com., 6 janvier
1998, Bull. civ. IV, n° 7. Le cédant reste tenu des obligations existant
au jour de la cession de contrat. Par ailleurs, il est garant du
nouveau cocontractant (le cessionnaire), à moins d’en être
expressément déchargé par le cédé.
Transition – La circulation de l’obligation est fluide tant qu’il s’agit
de transférer une créance. Elle est déjà un peu moins facile lorsque c’est
le contrat dans son ensemble qui est transféré. Et elle est impossible
lorsqu’il s’agit d’une dette prise isolément. Cela ne veut pas dire, pour
autant, que tout changement de débiteur dans le rapport d’obligation soit
exclu. Mais, alors, au lieu d’un transfert de l’obligation, il y aura création
d’une obligation nouvelle. C’est ce 2nd mode de circulation des obligations
que nous allons examiner à présent.
130
Titre II – LA CRÉATION D’UNE OBLIGATION NOUVELLE
Il arrive assez souvent en pratique qu’un changement de débiteur
intervienne.
Ex : une société souscrit un emprunt auprès d’une banque et son
dirigeant se porte caution. Quelques années plus tard, mais avant que
l’emprunt ne soit complètement remboursé par la société, il
démissionne et cède ses actions à un tiers, qui devient dirigeant à son
tour. La situation est dangereuse pour l’ancien dirigeant/caution car
n’étant plus actionnaire, il n’a plus le contrôle de la société. C’est la
raison pour laquelle, le dirigeant n’acceptera de céder ses titres que s’il
peut ne plus être caution. Concrètement, le nouveau dirigeant reprend
la dette de cautionnement, avec l’accord de la banque qui a prêté
les fonds à la société.
Ici, il y a bien un véritable changement de débiteur, mais celui-
ci passe en réalité par la création d’une obligation nouvelle, celle du
nouveau dirigeant vis-à-vis de la banque, qui vient éteindre
l’obligation initiale. C’est une novation de l’obligation par
changement de débiteur. En fait, ce type de novation n’est qu’une
application particulière du mécanisme plus général de la
délégation, qui consiste à créer une obligation qui vient soit se
substituer, soit s’ajouter à l’obligation initiale.
Plan : Comme la délégation est donc le seul procédé qui permet un
résultat techniquement équivalent à une circulation d’obligation,
chapitre unique : la délégation.
Chapitre unique – LA DÉLÉGATION
Définition : La délégation est un procédé de circulation des
obligations à l’initiative du débiteur. C’est l’acte juridique par lequel
131
le débiteur donne au créancier un autre débiteur, qui s’oblige
envers le créancier.
2 éléments distinguent la délégation des autres opérations de
circulation des obligations : l’initiative du débiteur initial et
l’obligation propre du 2nd débiteur.
La personne qui prend l’initiative de trouver un nouveau débiteur
est le délégant.
La personne qui prend le nouvel engagement sur ordre du délégant
est le délégué.
La personne qui bénéficie du nouvel engagement est le
délégataire.
Ce nouvel engagement est accepté par le délégataire.
Il faut le consentement de ces trois personnes pour que la
délégation s’opère.
La délégation est régie par les articles 1275 et 1276 C. civ.
A quoi sert la délégation ?
En général, la délégation se greffe sur deux obligations
préexistantes : une obligation du délégant envers le délégataire et une
obligation du délégué envers le délégant. Elle sert alors à réaliser une
opération de paiement simplifié en éteignant deux dettes en une seule
fois. Ex : le propriétaire d’un immeuble loué, qui a emprunté une
somme d’argent (déléguant), délègue son locataire (délégué) à son
banquier (créancier) en paiement de sa dette de prêt. Le locataire, en
payant directement le loyer au banquier, paie sa propre dette de loyer
envers le propriétaire, déléguant, et la dette de prêt de ce dernier envers
la banque prêteuse, délégataire.
Mais la délégation peut aussi permettre de fournir une garantie au
créancier délégataire. Ex : Le locataire est seulement un débiteur
subsidiaire. Il ne paiera le loyer directement à la banque que si le
propriétaire ne rembourse pas l’une des échéances de son prêt.
132
L’inverse est aussi possible : le nouveau débiteur, délégué,
devient débiteur principal et le débiteur initial délégant est débiteur
subsidiaire.
Ex : Le propriétaire ne paiera son prêt que si le locataire ne paie
pas le loyer.
Avantage par rapport au cautionnement ? Formalisme plus
léger et garantie plus solide.
Enfin la délégation peut aussi permettre au délégué de faire une
donation ou un prêt indirect au délégant. Cela suppose qu’aucune
obligation préexistante ne lie le délégué au délégant. Le délégué fait une
donation au délégant lorsqu’il paie la dette préexistante du délégant
envers le délégataire sans demander de remboursement ; il fait un simple
prêt lorsqu’il exige en contrepartie d’être remboursé plus tard.
NB : La jurisprudence admet qu’il puisse y avoir une délégation
même s’il n’existe pas de créance du délégant sur le délégué. V.
not. Com., 21 juin 1994, Bull. civ. IV, n° 225.
Plan – La multiplicité des fonctions de la délégation illustre la
souplesse du mécanisme. Avant d’aller plus loin, il convient donc de
cerner de plus près la notion de délégation (section I) avant de décrire
le régime de la délégation (section II).
I. LA NOTION DE DÉLÉGATION
Pour étudier la notion de délégation, nous verrons d’abord quels en
sont les types (§ 1) puis quelles sont les institutions voisines avec
lesquelles il ne faut pas la confondre (§ 2).
§ 1. Les types de délégation
PB : Quelles sont les différentes sortes de délégation ?
Il y a 2 grandes distinctions à faire.
133
1°) La délégation simple et la délégation novatoire –
Ces 2 modalités de la délégation sont issues de l’art. 1275 C. civ.
qui dispose : « La délégation par laquelle un débiteur donne au créancier
un autre débiteur qui s’oblige envers le créancier, n’opère point de
novation, si le créancier n’a expressément déclaré qu’il entendait
décharger son débiteur qui a fait la délégation ».
- Dans la délégation novatoire (ou parfaite), le délégataire
libère immédiatement le délégant, en contrepartie de
l’engagement pris par le délégué. La délégation opère une
novation par changement de débiteur : un nouveau
débiteur, le délégué, est substitué à l’ancien débiteur, le
délégant, qui est déchargé par le délégataire. L’art. 1275 C.
civ. exige pour cela une manifestation de volonté expresse
de la part du créancier délégataire.
- Dans la délégation simple (ou imparfaite), le délégataire ne
libère pas le délégant lors de la délégation. Le délégataire
a donc désormais 2 débiteurs au lieu d’un. En l’absence
de volonté contraire, les 2 débiteurs sont tenus à titre
principal. Ex : s’agissant du paiement par carte bancaire,
le banquier s’engage envers les commerçants adhérents à
honorer les factures en l’absence de provision (dans une
certaine limite). Le commerçant délégataire a donc 2
débiteurs : le client débiteur du prix qui est délégant et le
banquier qui s’engage personnellement à payer la dette du
client qui est le délégué.
Le Code civil traite de la délégation dans une section consacrée à
la novation. Il laisse donc supposer que la délégation est le plus
souvent novatoire. Mais en réalité, la délégation simple est la plus
répandue, parce qu’elle offre une plus grande sécurité au délégataire.
2°) La délégation certaine et la délégation incertaine –
134
Cette 2nde distinction est d’origine doctrinale. Elle se fonde sur
l’objet de l’engagement pris par le délégué envers le délégataire.
- La délégation est incertaine si le délégué calque l’objet de
son engagement envers le délégataire, soit sur l’objet de sa
propre obligation préalable envers le délégant, soit (et
c’est plus fréquent) sur l’obligation préalable du
délégant envers le délégataire.
- La délégation est certaine si l’engagement du délégué est
déterminé en lui-même, indépendamment de l’objet de
l’une des obligations préexistantes. La délégation est
indépendante des rapports antérieurs.
Intérêt de la distinction ? Théoriquement, si la délégation est
incertaine, le délégué s’engage à payer ce que doit le délégant au
délégataire ou ce qu’il doit lui-même au délégant. Le délégué peut alors
opposer au délégataire les exceptions issues du rapport
d’obligation préalable sur lequel son engagement a été calqué.
Alors que si la délégation est certaine, le délégué s’engage à payer une
somme déterminée sans référence à ce que doit le délégant. Le principe
de l’inopposabilité des exceptions s’applique alors et le délégué ne
peut pas invoquer les exceptions que pourrait invoquer le délégant.
Mais, en pratique, la jurisprudence est hésitante. La Cour de
cassation est divisée sur la portée de cette distinction. Certains arrêts la
suivent, d’autres non.
[La Chambre commerciale, en particulier, retient une solution
particulière lorsque la délégation a une fonction de garantie. Dans ce cas,
la délégation ne peut résulter que d’une délégation simple. En effet, le
créancier n’obtient de garantie pour le paiement de sa créance contre le
délégant que si le nouvel engagement pris par le délégué s’ajoute à
l’ancien. En revanche la délégation peut être certaine comme incertaine.
Le délégué peut prendre un engagement autonome (payer telle somme
d’argent) mais aussi s’engager seulement à payer ce que le délégant doit
au délégataire. Pourtant, même dans cette dernière situation, la Chambre
135
commerciale de la Cour de cassation considère que la garantie est
indépendante et que le délégué ne peut donc opposer les exceptions
tirées des rapports déléguant/délégataire. Cf. Com., 7 décembre 2004,
Bull. civ. IV, n° 214 : le fait que la créance contre le délégant soit éteinte,
faute de déclaration par le délégataire à la procédure collective du
délégant, n’empêche pas le délégataire d’agir contre le délégué. Le
délégué est comme un garant autonome. Cela renforce la garantie.]
Pour saisir la notion de délégation, il faut encore la comparer des
institutions voisines.
§ 2. Les institutions voisines de la délégation
La multitude de fonctions remplies par la délégation conduit à
distinguer cette notion de notions voisines.
1. La délégation et la cession de créance –
La comparaison doit être menée tant au plan juridique qu’au plan
économique.
Juridiquement, la délégation n’a pas d’effet translatif. La cession de
créance transmet au cessionnaire la créance qui appartenait au cédant,
sans que le consentement du débiteur cédé ne soit nécessaire. Alors que
dans la délégation, qu’elle soit simple ou novatoire, le délégué prend un
nouvel engagement envers le délégataire. La créance du délégant sur le
délégué n’est donc pas transmise au délégataire.
En outre, la délégation, contrairement à la cession, est opposable
aux tiers dès que le délégataire accepte l’engagement du délégué sans
formalité de publicité particulière.
Economiquement, en revanche, les 2 opérations sont proches car
c’est un peu comme si la créance du délégant contre le délégué avait
circulé au profit du délégataire.
136
2. La délégation et la cession de dette –
Là encore, la comparaison doit être menée au plan juridique et
économique.
Juridiquement, la délégation n’est pas une cession de dette. La
cession de dette produit un effet translatif, par principe inadmissible
comme on l’a vu : c’est une seule et même dette qui est transmise. Or, la
délégation emporte création d’une obligation nouvelle. En outre, la
cession de dette résulte d’un accord entre débiteur initial et nouveau
débiteur, alors que la délégation est un accord entre le nouveau débiteur,
délégué, et le créancier délégataire.
Mais là encore, la délégation peut aboutir au même résultat
économique qu’une cession de dette, en particulier lorsque la délégation
est novatoire et incertaine. Une substitution de débiteurs se produit, avec
l’accord du délégataire qui libère immédiatement l’ancien débiteur, en
contrepartie du nouvel engagement pris par le délégué et calqué sur
l’objet de l’obligation du délégant.
3. La délégation et l’indication de paiement –
L’indication de paiement est un mandat, par lequel un débiteur
(mandant) confie à un mandataire (en général une banque) le pouvoir de
régler l’un de ses créanciers. Elle permet aussi de simplifier le paiement,
mais la différence avec la délégation est nette.
Dans l’indication de paiement, le mandataire ne prend aucun
engagement personnel envers le créancier. Ce dernier n’a donc pas
d’action contre le mandataire ; le mandataire ne devient pas débiteur du
créancier. Dans la délégation, le délégué prend au contraire un
engagement envers le délégataire.
4. La délégation et les sûretés personnelles –
137
La délégation se distingue des sûretés personnelles (comme le
cautionnement). Dans une sûreté personnelle, une personne s’engage en
qualité de garant, afin de prémunir le créancier contre le risque de
défaillance de son débiteur. Il n’en va pas ainsi dans la délégation : le
délégué n’est pas préoccupé par la défaillance du délégant. Le délégué
s’engage en raison de sa propre dette envers le délégant.
Cela étant, comme on l’a déjà vu, la délégation peut remplir une
fonction de garantie si elle est imparfaite (simple). L’engagement du
délégué vient garantir l’obligation préalable du délégant envers le
délégataire, puisque ce dernier dispose désormais de 2 débiteurs. Si
jamais le délégant (débiteur initial) est défaillant ou insolvable, le
délégataire réclamera au délégué le paiement.
5. La délégation et la SPA –
La SPA peut jouer un rôle similaire à celui de la délégation. Le
stipulant peut demander au promettant qu’il s’engage à accomplir son
obligation au profit du tiers bénéficiaire (le créancier). Le promettant
joue le rôle du délégué.
Et si le tiers bénéficiaire était déjà créancier du stipulant, alors il
pourra agir contre le stipulant en vertu de son droit de créance originaire
et contre le promettant en vertu de la SPA. La situation ressemble alors à
une délégation simple.
Malgré cette similitude de fonctions, les 2 notions sont
juridiquement distinctes :
- d’une part, la délégation suppose un engagement du délégué
envers le délégataire. Le droit du délégataire ne naît que
lorsque l’échange des consentements a eu lieu entre ces
deux personnes. Alors que dans la SPA, l’échange des
consentements a lieu entre le stipulant (ancien débiteur) et
le promettant (nouveau débiteur). Le tiers
138
bénéficiaire/créancier profite de cet accord, car la SPA est
une exception à l’effet relatif des contrats. Mais l’éventuelle
acceptation de la SPA par le tiers bénéficiaire ne servira
qu’à rendre irrévocable l’acquisition de son droit.
- d’autre part, le droit du délégataire ne dépend pas des
relations délégant/délégué. Les exceptions lui sont
inopposables. Au contraire, dans la SPA, le droit du tiers
bénéficiaire prend sa source dans le contrat conclu entre le
stipulant et le promettant. Le promettant peut donc opposer
au tiers bénéficiaire les exceptions nées de ses relations
avec le stipulant.
II. LE RÉGIME DE LA DÉLÉGATION
Voyons successivement les conditions de la délégation (§ 1), puis
ses effets (§ 2).
§ 1. Les conditions de la délégation
Quelques observations sur les conditions de formation puis sur
les conditions d’opposabilité.
Les conditions de formation sont relativement simples. La
délégation suppose l’échange de 3 consentements (délégant, délégué
et délégataire), pas nécessairement en même temps. Par exemple, le
consentement du délégataire peut intervenir valablement après
l’acceptation émise par le délégué de l’ordre donné par le délégant.
Si la délégation est novatoire, il faut en plus que le délégataire
manifeste son intention de libérer le délégant en contrepartie de
l’engagement du délégué. L’art. 1275 C. civ. impose une manifestation
expresse de volonté.
139
Les conditions d’opposabilité de la délégation aux tiers (ie les
créanciers du délégant ou un cessionnaire de la créance du délégant sur
le délégué) sont également simples, puisque la délégation est opposable
de plein droit aux tiers dès sa conclusion sans formalités particulières.
§ 2. Les effets de la délégation
Plusieurs points sont à voir :
- Le sort de la créance du délégant sur le délégué (A)
- Les exceptions qui peuvent être invoquées contre le
délégataire (B)
- Le recours du délégataire contre le délégant (C)
A. Le sort de la créance du délégant sur le délégué –
On se place dans l’hypothèse où le délégué a accepté la
délégation parce qu’il avait une dette envers le déléguant.
PB : Quelle est l’incidence de la délégation sur la créance
qu’avait le délégant sur le délégué ? Ex : si le locataire s’engage
auprès de la banque qui a consenti un prêt au bailleur-délégant, que
devient la créance de loyers ?
Juridiquement, cette créance reste dans le patrimoine du
délégant. En effet, la délégation n’est pas une cession de créance ; elle
n’a pas d’effet translatif.
Cette créance s’éteint-elle du seul fait de la délégation ? Non.
Le seul fait pour le délégué de s’engager envers le délégataire ne
provoque pas l’extinction de la créance du délégant sur le délégué,
même si la délégation est novatoire. La délégation novatoire éteint
l’obligation du délégant envers le délégataire, mais pas la créance
du délégant envers le délégué. Cette dernière s’éteint lorsque le
délégué a exécuté la délégation.
140
Toutefois, le fait que les parties aient convenu d’une délégation
montre que la créance du délégant sur le délégué est appelée à
s’éteindre du fait de l’exécution de l’engagement pris par le délégué
envers le délégataire. C’est pourquoi la créance du délégant est frappée
d’indisponibilité : le délégant est toujours titulaire de sa créance sur le
délégué, mais il en perd la libre disposition.
Combien de temps la créance est-elle indisponible ?
- Si le délégué exécute son obligation envers le
délégataire, la créance du délégant s’éteint à hauteur du
paiement ainsi effectué.
- Mais qu’advient-il si le délégué n’exécute pas son
obligation envers le délégataire ? Le délégant retrouve-t-il
la disponibilité de sa créance ?
Pas nécessairement, car ce n’est pas parce que le délégué est
défaillant que le délégataire renonce à le poursuivre. Or, il ne
faudrait pas que le délégant puisse obtenir le paiement de sa créance tant
que le délégué reste exposé aux poursuites du délégataire.
La créance du délégant reste indisponible tant que le
délégataire n’a pas renoncé à poursuivre le délégué.
Concrètement, cette indisponibilité signifie par exemple que le
délégant ne peut pas agir en paiement contre le délégué, ni en
résolution du contrat donnant naissance à sa créance contre le délégué,
du moins tant que le délégataire n’a pas renoncé à son droit contre le
délégué. De même, les créanciers du délégant qui pratiqueraient une
saisie sur la créance du délégant contre le délégué pourraient se
voir opposer l’indisponibilité de la créance.
V. en ce sens, Com., 16 avril 1996, Bull. civ. IV, n° 120 : « attendu
que si la créance du délégant sur le délégué s’éteint, non pas du fait de
l’acceptation par le délégataire de l’engagement du délégué à son égard,
mais seulement par le fait de l’exécution de la délégation, ni le délégant
141
ni ses créanciers, ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le
délégataire, exiger paiement ; qu’il en résulte que la saisie-arrêt effectuée
entre les mains du délégué par les créanciers du délégant ne peut avoir
pour effet de priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit
exclusif à un paiement immédiat par le délégué… ». La créance est en
quelque sorte « neutralisée ». Et priorité est donnée au délégataire.
B. Le régime des exceptions –
PB : quelles sont les exceptions que le délégué peut opposer au
délégataire pour échapper à l’exécution de son engagement ?
Le principe est celui de l’inopposabilité des exceptions. Mais sa
portée doit être nuancée en distinguant selon que le délégué entend
invoquer des exceptions tirées de ses rapports avec le délégant (1)
ou s’il entend invoquer des exceptions tirées des rapports entre
délégant et délégataire (2).
1) Les exceptions tirées des rapports entre délégué et délégant
En principe, le délégué ne peut pas opposer au délégataire les
exceptions qu’il aurait pu opposer au délégant (ex : nullité de
l’obligation du délégué envers le délégant, à supposer qu’une
obligation préexistante existant entre délégant et délégué). Il doit
exécuter son engagement envers le délégataire, quitte à exercer
ensuite un recours contre le délégant.
Le principe, ancien, est d’origine jurisprudentielle.
Pourquoi ce principe d’inopposabilité des exceptions ?
Parce que le droit du délégataire contre le délégué est un
droit propre et indépendant du droit du délégant contre le délégué. Ce
droit naît de l’échange des consentements entre délégué et
délégataire. Il est donc logique que le délégataire puisse ignorer les
causes de libération du délégué envers le délégant (ex : le paiement du
142
délégué fait au délégant), les modifications décidées par le délégant et le
délégué (remise de dette, délai…) et même les vices affectant la
validité du contrat générateur de l’obligation du envers le délégant (ex :
vice du consentement).
V. par exemple, Civ., 24 janvier 1872, GAJC n° 239, obs. TERRÉ &
LEQUETTE.
La situation est dangereuse pour le délégué car il risque de
devoir payer au délégataire ce qu’en définitive il ne devait pas au
délégant. Il devra alors exercer un recours contre le délégant, mais
dont l’efficacité est toujours aléatoire. Deux limites au principe :
1°) La jurisprudence écarte l’inopposabilité des exceptions en cas
de mauvaise foi du délégataire, c’est-à-dire lorsqu’il connaissait les
vices affectant la cause de l’engagement du délégué à son égard.
2°) La doctrine estime que le délégué peut échapper à
l’inopposabilité des exceptions en calquant son engagement sur la
dette qu’il avait envers le délégant (délégation incertaine) : dans ce
cas, l’engagement du délégué est soumis à la condition qu’il soit
effectivement débiteur du délégant.
2) Les exceptions tirées des rapports du délégant avec le
délégataire
PB : Le délégué peut-il invoquer les exceptions tirées des
rapports entre le délégant et le délégataire pour échapper à son
engagement ?
La réponse est a priori négative : ces relations n’intéressent pas
le délégué. Certes, c’est en raison de l’obligation du délégant envers le
délégataire que le délégant a ordonné au délégué de prendre un
engagement envers le délégataire. Mais cela n’autorise pas le délégué à
s’en prévaloir. Ce n’est pas parce que le droit du délégataire contre le
délégant disparaît, par exemple parce que la créance qu’il avait contre le
délégant est annulée, que l’engagement du délégué envers le délégataire
est anéanti. A nouveau, le délégué a pris un engagement propre, il a
143
contracté une obligation nouvelle envers le délégataire, différente de
celle qui unit délégant et délégataire.
Limite : Il en va autrement si l’engagement du délégué est calqué
sur la dette du délégant envers le délégataire (délégation
incertaine). Dans ce cas, le délégué devrait pourvoir invoquer les
exceptions tirées des rapports délégant/délégataire. Pourquoi ? Parce que
l’objet de l’engagement du délégué est la dette du délégant : le
délégué a promis de payer ce que doit le délégant. Par conséquent, si la
dette est anéantie, l’engagement du délégué perd son objet. Mais
certains auteurs refusent cette analyse (elle confondrait les
obligations du délégué envers le délégataire et du délégant envers le
délégataire) et la jurisprudence est hésitante.
- Pour la ch. com. de la Cour de cassation, peu importe que
la délégation soit certaine ou incertaine, le délégué ne
peut invoquer les exceptions tirées du rapport
délégant/délégataire. Il doit payer le délégataire même si
la créance du délégataire sur le délégant est éteinte (v. not.
Com., 7 décembre 2004, à propos d’une délégation à titre
de garantie).
- Pour la 1re ch. civ. de la Cour de cassation, au contraire,
l’engagement du délégué est limité par celui du
délégant, à moins d’avoir stipulé une clause contraire.
Le délégué pourrait opposer au délégataire les causes de
nullité, d’extinction ou de diminution de l’obligation du
délégant (v. not. Civ. 1re, 17 mars 1992, Bull. civ. I, n° 84 :
« Attendu que, sauf convention contraire, le délégué est
seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers
le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation
lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la
prescription »).
Il y a donc une incertitude sur ce point.
144
C. Le recours du délégataire contre le délégant –
PB : Le délégataire, qui avait une créance contre le délégant,
conserve-t-il son droit de poursuivre le délégant ? Peut-il le poursuivre
si le délégué n’honore pas son engagement, voire même avant de
poursuivre le délégué ?
Dans cette situation, il faut distinguer selon que la délégation est
novatoire ou simple.
Si la délégation est novatoire, la créance du délégataire sur le
délégant est éteinte immédiatement. Le délégataire n’a plus qu’un
seul débiteur : le délégué.
Si le délégué est insolvable, le délégataire ne peut pas exercer
de recours contre le délégant. V. art. 1276 C. civ. : « Le créancier qui a
déchargé le débiteur par qui a été faite la délégation, n’a point de recours
contre ce débiteur, si le délégué devient insolvable, à moins que l’acte
n’en contienne une réserve expresse, ou que le délégué ne fût déjà en
faillite ouverte, ou tombé en déconfiture au moment de la délégation ».
En principe, le délégant ne garantit pas en principe la
solvabilité du délégué au délégataire, sous deux réserves : une
garantie conventionnelle est possible ; et le délégant doit tout de
même légalement garantir la solvabilité du délégué au jour de la
délégation.
Si la délégation est simple : la créance du délégataire sur le
délégant demeure. Etant créancier, le délégataire peut agir contre le
délégant, mais est-il libre d’exercer ce recours comme il l’entend ?
Tout dépend de l’objectif de la délégation :
- Si elle a pour but de fournir une garantie au délégataire,
le délégant reste le débiteur principal, celui qui
supportera la charge définitive de la dette, et le
délégataire le poursuivra normalement en priorité
145
(même s’il n’y est a priori pas tenu, puisque le délégué est
un garant autonome).
- En revanche, si la délégation réalise un paiement simplifié,
le délégataire devrait logiquement agir d’abord contre le
délégué. S’il agit d’abord contre le délégant, il n’y aura
aucune simplification. La créance du délégataire sur le
délégant devient en quelque sorte subsidiaire par rapport
au droit nouveau du délégataire sur le délégué.
Qu’est-ce que cela signifie ?
- soit le délégant a stipulé à son profit un bénéfice de
discussion. Auquel cas, le délégataire devra d’abord
poursuivre le délégué et c’est seulement si celui-ci est
insolvable, que le délégataire pourra agir contre le délégant
sur le fondement de sa créance.
- soit le délégant n’a pas stipulé de bénéfice de discussion et
alors la situation est moins claire. Pour certains, le
délégataire devra tout de même agir en priorité en paiement
contre le délégué. La différence avec l’hypothèse précédente
est que le délégataire pourra se retourner contre le délégant
simplement en constatant la défaillance du délégué à
l’échéance. Le délégataire n’a pas à démontrer l’insolvabilité
du délégué. Pour d’autres auteurs, le délégataire n’est même
pas tenu d’agir en priorité contre le délégué, puisque le
délégant reste son débiteur autonome. Cela dit, en pratique,
il est probable que le délégataire agira toujours en priorité
contre le délégué (sinon il aurait refusé la délégation) sauf
s’il apparaît que ce dernier risque de ne pas le payer.
146
TROISIÈME PARTIE – L’EXTINCTION DES OBLIGATIONS
Comme toute construction humaine, l’obligation a vocation à
disparaître. Un débiteur ne peut être lié indéfiniment par une obligation
juridique.
PB : Comment l’obligation s’éteint-elle ?
L’art. 1234 C. civ. énumère les causes d’extinction des
obligations. Il dispose :
« Les obligations s’éteignent :
Par le paiement,
Par la novation,
Par la remise volontaire,
Par la compensation,
Par la confusion,
Par la perte de la chose,
Par la nullité ou la rescision,
Par l’effet de la condition résolutoire,
Et par la prescription »
PB : L’article mélange des causes d’extinction stricto sensu, des
causes d’anéantissement des actes juridiques (ex : nullité) et des
modalités de l’obligation (ex : condition résolutoire).
En réalité, deux grandes catégories de modes d’extinction sont
envisageables :
- Soit l’obligation s’éteint par un mode normal, c’est-à-dire par le
paiement, qu’il soit volontaire ou forcé.
- Soit elle s’éteint par des modes indirects, dont la caractéristique
commune est d’entraîner une extinction sans paiement.
Plan – Ce sont tous ces aspects que nous analyserons dans 3 titres :
- Un Titre I consacré au paiement volontaire
147
- Un Titre II consacré au paiement forcé
- Et un Titre III consacré à l’extinction des obligations
sans paiement
TITRE I – LE PAIEMENT VOLONTAIRE
Les règles relatives au paiement (modalités, preuve, etc.) figurent
aux articles 1235 et s. du Code civil.
Le paiement est le mode normal d’extinction des obligations.
Définition : Le paiement est l’extinction de l’obligation par son
exécution.
NB : Dans le langage courant, paiement = remise d’une somme
d’argent, mais en droit, le paiement c’est l’exécution de toute
obligation, quelle soit monétaire ou en nature (de donner, de faire ou
de ne pas faire). Ex : Un entrepreneur paie son obligation de faire en
fournissant à son cocontractant le service qu’il s’est engagé à lui
procurer.
Cela dit, le paiement des obligations monétaires a un certain
particularisme.
Plan – nous commencerons par étudier les règles communes à
tous les paiements (Chap. I), avant d’aborder les règles propres aux
obligations monétaires (Chap. II).
Chapitre I – LES RÈGLES COMMUNES À TOUS LES PAIEMENTS
PB : Dans quelles conditions le paiement est-il valable, c’est-à-dire
de nature à produire l’extinction de l’obligation ?
148
5 conditions à remplir : qui doit payer et qui doit être payé ? Que
faut-il payer ? Quand payer ? Où payer ? Enfin, comment prouver le
paiement une fois qu’il a été effectué ?
Plan : Une section pour chacune de ces questions : les parties au
paiement (section I) ; l’objet du paiement (section II) ; la date du
paiement (section III) ; le lieu du paiement (section IV) ; la preuve du
paiement (section V).
I. LES PARTIES AU PAIEMENT
Précision terminologique – On appelle :
- Solvens : celui qui paye.
- Accipiens : celui qui reçoit le paiement.
Pourquoi ces termes et pas ceux de débiteur et de créancier ?
Parce celui qui paye n’est pas toujours le débiteur et celui qui
reçoit le paiement n’est pas toujours le créancier. Il faut donc faire la
distinction.
On envisagera la situation des deux parties au paiement : celle du
solvens (§ 1) puis celle de l’accipiens (§ 2).
§ 1. Le solvens
PB : Qui doit effectuer le paiement pour que l’obligation
s’éteigne valablement ?
Est-il absolument nécessaire que ce soit le débiteur lui-même qui
paie, pour que l’obligation s’éteigne, ou une autre personne peut-elle
valablement effectuer le paiement ?
Si, le plus souvent, c’est le débiteur qui procède au paiement, le
Code civil admet que le paiement soit effectué par un tiers. Le solvens
n’a pas nécessairement à être le débiteur.
149
V. art. 1236 C. civ. qui précise que la dette peut être payée :
- par un tiers intéressé (al. 1er du texte : « Une obligation
peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée,
telle qu’un coobligé ou une caution »).
- ou même par un tiers non intéressé (ie non impliqué dans
la dette, al. 2 du texte), soit que ce tiers agisse en tant que
mandataire du débiteur (ex : un banquier qui exécute un
ordre de virement), soit que ce tiers agisse en son nom
propre.
La dette s’éteint néanmoins par l’effet du paiement. Le créancier
ne peut arguer du fait que c’est un tiers qui l’a payé pour refuser de
libérer le débiteur.
Le paiement de la dette d’autrui est valable.
Pas hypothèse d’école, relativement fréquent en pratique.
Ex : cautions et co-débiteurs solidaires évidemment ; ou le solvens
peut avoir voulu consentir un prêt au débiteur ; ou il aura voulu lui faire
une donation indirecte (ex : des parents qui paient à la place de leur
enfant sans attendre de remboursement) ; ou tout simplement par
erreur, lorsque le tiers solvens a payé parce qu’il pensait qu’il était
débiteur....
PB1 : Dans ce dernier cas, le tiers solvens qui a payé la dette
d’autrui dispose-t-il d’un recours contre l’ accipiens (le créancier) ?
La réponse est négative. Il n’y a pas de paiement de l’indu,
donc pas de restitution. La dette était due.
PB2 : Le tiers solvens dispose-t-il d’un recours contre le véritable
débiteur ?
Pas de problème s’il y a un contrat entre le solvens et débiteur
(ex : prêt ou mandat) : le tiers solvens peut agir en remboursement sur le
fondement de ce contrat – sauf si c’est une donation, puisqu’il y aura
alors intention libérale du solvens envers le débiteur.
150
A défaut de contrat ou d’intention libérale, il y a un
enrichissement sans cause. Le débiteur a évité un appauvrissement
en ne payant pas et il s’est ainsi indirectement enrichi, et ce sans
justification. Le solvens peut donc obtenir restitution sur le fondement
de ce quasi-contrat.
Ex : Cass. civ. 1ère, 4 avril 2001 (Bull. civ. I, n° 105) : un assureur
ayant indemnisé les propriétaires d’une maison d’habitation qui se
fissurait, en croyant que ces désordres étaient dus à un phénomène
naturel ; puis, lorsqu’il est apparu que la seule cause du dommage était
un vice de construction, l’assureur a exercé un recours contre le
constructeur (débiteur).
La Cour de cassation a donné gain de cause à l’assureur solvens, au
motif qu’ « en application du principe général du droit selon lequel nul ne
peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, celui qui par erreur a
payé la dette d’autrui de ses propres deniers a, bien que non subrogé aux
droits du créancier, un recours contre le débiteur ».
PB : Restitution de quoi ? De tout ce qui a été payé plus les
intérêts ? Non : le montant des restitutions est plafonné à la plus faible
des deux sommes entre l’appauvrissement de l’un et le paiement de
l’autre. La règle n’est donc pas très favorable à celui qui a payé.
NB : L’existence d’une gestion d’affaires est aussi concevable
(c’est du moins ce qu’indique la jurisprudence luxembourgeoise, dans
le cas où le solvens agit non pas en croyant qu’il payait sa propre dette,
mais en ayant conscience qu’il paie la dette d’autrui afin de lui
rendre service).
En principe donc, le paiement peut être fait par un tiers. Une
exception est néanmoins prévue dans l’hypothèse où les qualités
personnelles du débiteur importeraient au créancier (ex :
photographe, enseignant, médecin), ou, plus largement, lorsqu’il existe
un intérêt à ce que le paiement ne soit pas fait par autrui. Cf. art.
1237 C. civ. : « L’obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers
151
contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit
remplie par le débiteur lui-même ». Essentiellement pour les prestations
de services.
§ 2. L’ accipiens
PB : à qui le paiement doit-il être fait pour qu’il éteigne
l’obligation ?
En principe, le paiement doit être fait entre les mains du
créancier. V. art. 1239 C. civ. C’est donc le créancier qu’il faut payer,
sans quoi le paiement est nul et le solvens s’expose à payer une
seconde fois : « qui paie mal paie deux fois » selon un adage.
L’art. 1239 C. civ. prévoit tout de même deux atténuations :
- d’abord, le paiement est valable s’il est fait à une
personne qui a le pouvoir de le recevoir (un
mandataire). Ex : le paiement reçu par la banque est
extinctif.
- ensuite, le paiement est valable s’il est fait à une personne
dont la Loi prévoit qu’elle est apte à le recevoir. Ex : le
représentant de l’incapable ; la personne désignée dans le
cadre d’une procédure collective.
Par ailleurs, le principe souffre une véritable exception prévue à
l’art. 1240 C. civ. L’obligation est éteinte même si l’accipiens est un
tiers sans pouvoir pour recevoir le paiement lorsque le solvens a
légitimement pu croire que le tiers était le créancier. Cela implique que
les circonstances aient raisonnablement pu faire croire au solvens que
l’accipiens était le créancier et que le solvens était de bonne foi. Il s’agit
d’une application de la théorie de l’apparence, même si ce terme ne
figure pas dans l’article 1240 C. civ.
Le solvens sera alors à l’abri des poursuites du véritable
créancier, mais ce dernier pourra se retourner contre l’accipiens
152
pour obtenir la restitution de son dû (l’action est fondée sur
l’enrichissement sans cause).
Ex : Une telle situation peut arriver en cas de subrogation (par
affacturage par ex.) tant que le débiteur n’est pas averti du changement
de créancier.
II. L’OBJET DU PAIEMENT
Objet : que faut-il payer pour être libéré ?
1. - Peut-on payer une partie seulement de la dette ?
2. - Peut-on fournir autre chose que ce qui est dû ?
3. - Comment s’impute le paiement ?
Telles sont les trois questions auxquelles il faut répondre : le
paiement partiel (§ 1) ; la dation en paiement (§ 2) ; l’imputation du
paiement (§ 3).
§ 1 . Le paiement partiel
Evidemment le paiement intégral est valable et extinctif de
l’obligation acquittée.
Le paiement partiel en revanche n’est en principe pas admis.
L’art. 1244 C. civ. l’énonce : « Le débiteur ne peut forcer le créancier à
recevoir en partie le paiement d’une dette, même divisible ». Le principe
est celui de l’indivisibilité du paiement.
Ex : l’entrepreneur ne peut pas contraindre le maître de l’ouvrage à
accepter une partie seulement des travaux promis.
Sens ? Le débiteur qui paie une partie seulement de sa dette n’est
pas libéré du tout.
Les intérêts de retard courent sur la totalité de la dette,
quand bien même une partie aurait été réglée.
Mais nombreuses exceptions, notamment :
153
- Le créancier peut accepter un paiement partiel
(échelonnement de la dette) ; ce peut être dans son
intérêt si le débiteur a quelques difficultés.
- Le juge peut également échelonner le paiement à
certaines conditions (v. infra), en octroyant un délai de
grâce (art. 1244-1 C. civ. français, art. 1244 al. 2 C. civ.
lux.)
- Dans le cadre des « procédures d’insolvabilité »
(entreprises ou particuliers), le plan de redressement
comporte généralement un rééchelonnement des dettes.
§ 2 . La dation en paiement
PB : le créancier peut-il être tenu de recevoir autre chose que ce
qui lui est dû aux termes du contrat ?
Principe : c’est impossible, même si cette chose a plus de
valeur que la prestation prévue. V. art. 1243 C. civ. : « Le créancier ne
peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due,
quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande ».
Limite : le créancier est libre d’accepter autre chose s’il le veut.
Cf. l’art. 1243 lu a contrario. Il y a alors une nouvelle convention par
laquelle le créancier accepte la remise d’une chose autre que celle
qui est due. Cette convention s’appelle la dation en paiement. C’est
une convention à la fois extinctive, en tant qu’elle réalise un paiement,
et translative, du moins à l’origine, dans la mesure où elle opère en
principe un transfert de propriété de la chose donnée.
PB : Opération dangereuse ! Pour le débiteur, qui risque de
donner quelque chose de plus grande valeur que ce qui était dû (par
exemple, un tableau) ; pour les autres créanciers du débiteur qui
154
peuvent être lésés par une forte diminution du patrimoine de leur
débiteur. La dation présente aussi un inconvénient fiscal : alors que le
paiement est neutre fiscalement, la dation est traitée comme une
vente, et elle est donc soumise à des droits de mutation.
§ 3 . L’imputation du paiement
Le PB de l’imputation se pose en cas de paiement partiel d’une
même dette ou d’un ensemble de dettes. Il faut distinguer :
- Si le débiteur n’a qu’une seule dette, la question = le paiement
partiel s’impute-t-il sur le capital ou sur les intérêts ? Art. 1245 C. civ.
Le paiement s’impute sur les intérêts (s’il y en a), sauf clause
contraire. C’est favorable au créancier puisque le capital continue à
produire des intérêts.
- Si le débiteur a plusieurs dettes (envers le même créancier),
la question = sur quelle dette le paiement doit être imputé. Pourquoi
est-ce important ? Une dette peut produire des intérêts et l’autre pas ;
ou elles peuvent toutes les deux en produire mais à des taux différents ;
une dette peut être garantie par une sûreté et pas l’autre, etc.
Principe : c’est au débiteur qu’appartient la décision d’imputation
(V. art. 1253 C. civ.).
A défaut de décision du débiteur, ce pouvoir revient au créancier.
Si rien n’est décidé par les parties, l’art. 1256 Code civil prévoit
des solutions favorables au débiteur : l’imputation doit s’effectuer en
priorité sur les dettes échues ; si plusieurs sont échues, l’imputation
se fait sur la dette la plus onéreuse pour le débiteur (apprécié en
fonction du taux d’intérêt, du coût de la sûreté…) ; si les dettes sont
d’égale nature, l’imputation porte sur la plus ancienne ; et s’il n’y en a
pas de plus ancienne, l’imputation se fera proportionnellement au
montant de chacune d’entre elles.
155
NB : La décision d’imputation du débiteur et/ou du créancier doit se
faire au moment du paiement et de manière non équivoque (Cass.
com. 17 février 2009, RTD civ. 2009.322). A défaut on applique les règles
légales supplétives.
III. LA DATE DU PAIEMENT
2 questions : le paiement avant l’heure/après l’heure.
PB1 : est-il possible de payer par anticipation ?
En principe non, le paiement doit intervenir au moment de
l’échéance de la dette.
Pourquoi ? Il peut être désavantageux pour le créancier d’être
payé en avance. Ex : manque de place pour stocker l’objet du paiement ;
non-perception des intérêts (remboursement anticipé du prêt
bancaire).
Si aucun terme n’est prévu, le paiement doit intervenir
immédiatement.
Tempérament : celui dans l’intérêt duquel le terme est stipulé peut
y renoncer.
Et il est présumé que le terme est stipulé dans l’intérêt du
débiteur.
PB2 : le paiement tardif est évidemment irrégulier, mais
comment est-il sanctionné ?
Le débiteur s’expose au paiement d’intérêts de retard, voire à une
résolution du contrat.
MAIS il y a une limite : le retard n’entraîne pas à lui seul des
sanctions, il faut que le créancier ait adressé au débiteur une mise en
demeure pour que les intérêts moratoires commencent à courir, sauf
exceptions. Ex : lorsque l’inexécution de l’obligation est définitive (ex :
156
fournisseur de feux d’artifice qui ne livre pas ceux-ci pour le jour de la
fête nationale) ou lorsque la convention prévoit un délai de rigueur.
En outre, le juge peut à certaines conditions octroyer un délai de
grâce au débiteur. Dans ce cas, le créancier devra se contenter d’un
paiement tardif (art. 1244-1 C. civ. français, art. 1244 al. 2 C. civ. lux.)
IV. LE LIEU DU PAIEMENT
Intérêt pratique ? Juge compétent ; la monnaie de paiement
dépend en principe du lieu de paiement.
Les règles sur le lieu du paiement sont prévues à l’art. 1247 C. civ.
En principe, ce sont les parties qui choisissent le lieu de
paiement.
Si elles n’ont rien précisé, on distingue selon l’objet de
l’obligation :
- obligation portant sur un corps certain : le paiement se fait
au lieu où se trouve la chose au moment où naît l’obligation.
- obligation portant sur une somme d’argent. 2 solutions
sont envisageables :
o soit c’est au créancier de venir chercher le paiement au
domicile du débiteur (la dette est quérable).
o soit c’est au débiteur d’aller porter le paiement au domicile
du créancier (la dette est portable).
L’art. 1247 tranche en faveur de la 1re solution : la dette est
quérable.
Exceptions : la dette est portable s’agissant des obligations
alimentaires (le paiement doit parvenir entre les mains du
créancier) ; il en va de même pour les dettes fiscales ou
encore pour les primes d’assurances.
157
Enfin, les parties sont libres de convenir que la dette sera
portable.
V. LA PREUVE DU PAIEMENT
S’agissant d’abord de la charge de la preuve, la question est
réglée par l’art. 1315 al. 2 C. civ. : c’est à celui qui se prétend libéré de
justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Le créancier doit prouver l’existence de l’obligation, le débiteur doit
prouver son extinction, et donc le paiement.
Ce principe est assorti d’exceptions :
- Si l’obligation est de ne pas faire (ex : obligation de non
concurrence), c’est au créancier de démontrer
l’inexécution, car il est pratiquement impossible
d’apporter la preuve de l’exécution d’une obligation de ne
pas faire.
- Il existe également des présomptions légales. Ex : art.
1282-1283 C. civ. si la créance est constatée dans un
titre et que le créancier remet ce titre au débiteur, on
présume que cela signifie que le débiteur est libéré, par
paiement ou par remise de dette.
S’agissant ensuite des modes de preuve – Preuve libre ou preuve
littérale ?
PB : La réponse à cette question est liée à la nature juridique du
paiement.
Qu’est-ce qu’un paiement ? Est-ce un acte juridique ou un fait
juridique ?
La question est controversée en doctrine :
- En faveur de l’acte juridique, on soutient que le paiement
reposerait sur un double consentement : celui du
débiteur et celui du créancier. Tout paiement serait une
158
convention extinctive. C’est la thèse classique, encore
répandue.
- En faveur du fait juridique, on soutient que la libération
du débiteur ne dépend pas de la volonté du créancier.
Si le paiement remplit les conditions requises, c’est la loi
qui confère au paiement son effet extinctif à partir du
moment où le créancier est satisfait, et non une rencontre de
volontés d’ailleurs de plus en plus souvent factice (ex :
paiement par virement bancaire ; paiement par un tiers ;
paiement par le jeu d’une compensation de plein droit).
- On ajoutera l’opinion récemment exprimée par A. SÉRIAUX
(« Conception juridique d’une opération économique : le
paiement », RTD civ. 2004, p. 225, spéc., p. 227) selon qui,
le paiement n’est ni un acte juridique (parce que les
parties ne seraient pas libres de leur consentement), ni un
fait juridique (parce que, selon l’auteur, le fait juridique est
non causé, alors que le paiement a une cause).
Enjeu pratique de la controverse :
- Si c’est un acte juridique, la preuve n’est pas libre. Elle
doit être rapportée par écrit conformément aux dispositions
de l’art. 1341 C. civ.
- Si c’est un fait juridique, la preuve par tous moyens doit
être admise.
En fait, la jurisprudence adopte une position plus nuancée en
distinguant :
- Pour les obligations pécuniaires, la jurisprudence
majoritaire applique les règles gouvernant la preuve des
actes juridiques.
La preuve du paiement doit être rapportée par écrit
lorsque le montant dépasse 1 500 € (2500 € au
Luxembourg), sauf en matière commerciale à l’égard des
159
commerçants, auquel cas la preuve est libre, et sauf
convention contraire des parties (validité des clauses
relatives aux moyens de preuve).
En pratique, le procédé de preuve le plus usuel est la
quittance signée par le créancier et remise au
débiteur.
Mais la jurisprudence n’est pas tout à fait uniforme. La
1re Chambre civile a retenu une autre solution dans un
arrêt du 6 juillet 2004, (Bull. civ. I, n° 202 ; RDC 2005, p.
286 obs. PSM) : « la preuve du paiement, qui est un fait,
peut être rapportée par tous moyens ».
PB : Toutes les chambres de la Cour de cassation ne
semblent pas s’aligner sur ce revirement. Ex : Soc, 11
janvier 2006, Bull. civ. V, n° 6 : mode de preuve des actes
juridiques.
- Pour les obligations non pécuniaires, par exemple pour
l’exécution d’une obligation d’information d’un médecin, la
jurisprudence admet que la preuve du paiement puisse
être rapportée par tous moyens (un écrit, une présomption,
un témoignage). Ce qui donne à penser que le paiement de
telles obligations s’analyse en un fait juridique.
160
Chapitre II – LES RÈGLES PROPRES AUX OBLIGATIONS
MONÉTAIRES
Définition : l’obligation monétaire est celle dont l’objet porte sur
la remise d’une somme d’argent.
Ces obligations sont extrêmement fréquentes, tant en matière
contractuelle qu’en matière délictuelle.
Le Code civil ne connaît pas formellement ce type d’obligation. Il
s’en tient à la classification classique entre obligation de donner/de
faire/de ne pas faire. Mais aujourd’hui, la distinction entre obligation
monétaire et obligation non monétaire paraît plus importante.
Parmi les obligations monétaires, il faut encore distinguer les
obligations parfaitement monétaires et les obligations
imparfaitement monétaires :
- L’obligation parfaitement monétaire est celle qui est
monétaire dès son origine. La monnaie est due in
obligatione, aux termes du contrat, et elle sera due aussi in
solutione, au stade du paiement. Ex : Une dette de prix.
- L’obligation imparfaitement monétaire est celle dans
laquelle la monnaie n’intervient qu’in solutione. Elle n’était
pas in obligatione, elle n’était pas l’objet de l’obligation. La
monnaie n’est alors qu’un instrument de paiement.
Ex : toutes les dettes de DI lorsque l’exécution forcée en
nature n’est pas possible. Ex : DI pour inexécution d’une
obligation de ne pas faire (confidentialité, non
concurrence). Ce qui est dû aux termes du contrat c’est
l’abstention ; ce qui est dû au stade du paiement forcé,
c’est de l’argent.
161
Le problème inhérent à l’obligation monétaire provient du temps
qui s’écoule entre la naissance et l’exécution de l’obligation, car la
valeur de la monnaie peut varier dans l’intervalle, dans un sens ou dans
l’autre.
PB : Savoir si ce qui est dû est une certaine quantité de
monnaie (nominalisme monétaire) ou plutôt une valeur, c’est-à-dire le
pouvoir d’achat que donnait la somme en question au moment de la
naissance de l’obligation (valorisme monétaire) ?
La question est particulièrement sensible en cas d’inflation
importante.
Ce problème se pose essentiellement en présence d’une dette
parfaitement monétaire. Les effets du temps sont moins sensibles pour
les dettes imparfaitement monétaires.
Ex : une dette de réparation en matière de RC. L’obligation est
théoriquement de réparer en nature. Ce n’est qu’au jour du
jugement que la dette est liquidée et transformée en dette monétaire.
Donc peu importe l’inflation entre le jour du dommage et celui du
jugement.
Plan – L’incidence du passage du temps sur la monnaie répond en
droit français à un principe d’origine prétorienne, le principe du
nominalisme monétaire (section I). Ce principe est sûr, mais il est
rigoureux. Il subit donc diverses atténuations pour en corriger les
injustices (section II).
I. LE PRINCIPE DU NOMINALISME
PB : Sens, origine et portée du principe ?
Sens – D’après le principe du nominalisme, ce que désigne une
monnaie dans une obligation, ce n’est pas son pouvoir d’achat, mais
162
« son nom ». En d’autres termes, 1 € = 1 € et non le pouvoir d’achat
conféré par 1 € à l’époque de la conclusion du contrat.
Origine – Le principe est formulé par la Cour de cassation, qui
généralise la solution de l’art. 1895 C. civ. relatif au prêt de
consommation, au fil du 19e siècle. Le texte dit que « l’obligation qui
résulte d’un prêt en argent, n’est toujours que de la somme numérique
énoncée au contrat ». Ex : celui qui a emprunté 500 000 F il y a 10 ans
doit rembourser la même somme, soit 500 000 F ou son équivalent en
euros.
Le risque monétaire lié à la dépréciation pèse donc sur les
épaules du créancier.
Portée – Le principe n’est pas impératif d’après la Cour de
cassation. Les parties peuvent donc y déroger, si le créancier refuse de
se satisfaire d’un paiement en monnaie dévaluée.
PB : Quels sont les moyens de déroger à la règle du
nominalisme, pour que le montant de la dette corresponde au pouvoir
d’achat de la monnaie au jour du paiement ?
II. LES ATTÉNUATIONS DU PRINCIPE
Il existe principalement deux moyens de contourner le principe du
nominalisme monétaire : les clauses d’indexation (§ 1) et le mécanisme
de la dette de valeur (§ 2).
§ 1. Les clauses d’indexation
Définition – La clause d’indexation est celle qui fait varier la
somme due en fonction d’un indice.
163
Avantage : protège le créancier de l’obligation monétaire contre
le risque d’inflation.
Inconvénient : risque d’alimenter l’inflation.
Le régime de ces clauses a évolué avec l’inflation elle-même.
1 re étape : Cass. civ. 1ère, 27 juin 1957, décide que le principe du
nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public et par conséquent,
qu’une clause d’indexation (ici sur le cours du blé) est valable (GAJC,
n° 233, obs. TERRÉ & LEQUETTE).
PB : La période des 30 glorieuses (1945-1975) est une période de
forte inflation et les pouvoirs publics s’inquiètent des possibles
conséquences inflationnistes de cette décision.
2 ème étape : Adoption de l’Ord. du 30 décembre 1958, dont la
disposition qui nous intéresse (art. 79) est aujourd’hui codifiée aux art.
L. 112-1 et L. 112-2 C. mon. fin.
L’Ordonnance interdit en principe l’indexation.
L’indexation générale, notamment sur l’inflation ou sur les
salaires, fait l’objet d’une interdiction absolue.
L’indexation portant sur un indice particulier est en revanche
autorisée, mais seulement si elle porte sur le prix d’un produit ou
d’un service en relation directe avec le contrat. Ex : contrat de bail
indexant le loyer sur l’indice du coût de la construction.
3 ème étape : La Cour de cassation a adopté une conception si large
de la notion de « relation directe » qu’elle a en pratique renversé le
principe légal.
Ex : prêt pour l’achat d’un appartement renvoyant à l’indice du
coût de la construction. Est-ce valable ? A priori non à lire le texte : il
n’y a pas de « relation directe » entre un prêt bancaire et le coût de la
construction. Pourtant, la Cour de cassation a décidé le contraire, en
estimant que la destination du contrat devait être prise en compte.
164
La sanction de l’illicéité de l’indice est la nullité, nullité partielle
en général (= de la seule clause d’indexation), car cela décourage
mieux l’indexation illicite. Une meilleure solution consisterait à
reconnaître au juge le pouvoir de substituer à l’indice illicite un
indice licite : l’ordre public serait ainsi préservé, sans nuire au
créancier.
PB : Est-ce une nullité absolue ou relative ? La jurisprudence
opte pour une nullité absolue car si la réglementation protège le
débiteur, sa principale raison d’être est la sauvegarde de la monnaie et le
bon fonctionnement de l’économie (le but étant d’éviter les ravages de
l’inflation). C’est davantage l’intérêt général qu’un intérêt particulier
qui est protégé.
§ 2. La dette de valeur
La dette de valeur est une dette monétaire, et même
parfaitement monétaire, mais dont le montant en argent n’est pas fixé
dès la naissance de l’obligation. Le montant de la dette de valeur
dépend de la valeur non monétaire, normalement celle d’un bien
corporel (ex : une matière première ; un immeuble) ou incorporel (ex :
des actions).
Le montant de la dette de valeur varie en fonction de la valeur de
ce bien jusqu’au jour de l’échéance et c’est à l’échéance seulement que
la valeur due sera estimée en monnaie.
Ex : obligation de réparation du préjudice. L’objet de
l’obligation n’est pas une somme d’argent, mais la valeur du préjudice.
Ce n’est qu’au moment du jugement que le préjudice est évalué en
monnaie. De cette façon, la victime est protégée si, entre le moment du
préjudice et le moment du jugement, la monnaie s’est dépréciée.
165
La notion de dette de valeur est apparue en Allemagne et a été
développée en France par J. CARBONNIER, dans le but de lutter contre
les méfaits de l’inflation.
Le mécanisme de la dette de valeur est utilisé : en droit de la RC ;
en droit des biens à propos des restitutions ; en droit patrimonial de
la famille, pour la liquidation des régimes matrimoniaux (cf. régime
des récompenses) et pour la liquidation des successions, notamment
pour la réduction et le rapport des libéralités.
PB : peut-on stipuler une dette de valeur ?
Ex : vente dont le prix payable dans 1 an serait « 100 000 tonnes
de pétrole brut », payables en €. La dette est déterminée en nature,
même si elle doit s’exécuter en monnaie.
A priori, une telle stipulation est valable, en vertu de la liberté
contractuelle, mais le mécanisme ressemble à l’indexation (comme si
la dette était indexée sur la valeur du pétrole).
Si l’on raisonne par analogie avec l’indexation, il faut exiger une
« relation directe ».
Transition – Voilà pour le paiement volontaire. Mais l’exécution
n’est pas toujours spontanée, soit que le débiteur ne veuille, soit qu’il ne
puisse exécuter son obligation. On va donc étudier les moyens mis à la
disposition du créancier pour obtenir de force le paiement, lorsque celui-
ci n’intervient pas spontanément.
166
TITRE II – LE PAIEMENT FORCÉ
On se place ici dans l’hypothèse où, le débiteur n’exécutant pas
spontanément son obligation, le créancier va s’adresser au juge pour
contraindre le débiteur à s’exécuter.
PB : Quels sont les moyens dont dispose le créancier pour parvenir
à obtenir satisfaction en dépit de la défaillance de son débiteur ?
Plus précisément, 2 questions se posent : comment s’opère
l’exécution forcée ? Et sur quoi se réalise-t-elle ? C’est ce que nous
verrons dans 2 chapitres :
Plan :
Chap. I – Les modes d’exécution forcée de l’obligation
Chap. II – Le droit de gage général
Chapitre I – LES MODES D’EXÉCUTION FORCÉE DE
L’OBLIGATION
Il existe différents procédés d’exécution forcée, dont les
conditions sont variables. Lorsqu’un créancier envisage de recourir à
l’exécution forcée, il doit donc déterminer quel procédé d’exécution
forcée il souhaite mettre en œuvre.
En outre, même si les conditions de l’exécution forcée sont a priori
remplies, certains obstacles peuvent encore empêcher le créancier
d’obtenir son dû, telle l’insolvabilité ou le surendettement du débiteur.
Plan : Il faut donc étudier dans un premier temps les différents
procédés de réalisation de l’exécution forcée (section I), avant
d’examiner dans un second temps les obstacles à l’exécution forcée
(section II).
167
I. LES PROCÉDÉS DE RÉALISATION DE L’EXÉCUTION
FORCÉE
L’exécution forcée ne permet pas toujours au créancier d’obtenir
exactement ce qui lui était dû. L’exécution forcée peut être ordonnée en
nature, mais il est des cas dans lesquels le créancier devra se satisfaire
d’une exécution par équivalent, c’est-à-dire de dommages-intérêts.
Plan : on étudiera successivement ces 2 procédés de réalisation
de l’exécution forcée de l’obligation : l’exécution forcée en nature (§ 1)
et l’exécution par équivalent (§ 2).
§ 1. L’exécution forcée en nature
PB : Dans quelles conditions le créancier peut-il recourir au
procédé de l’exécution forcée en nature ? En toute hypothèse, il doit
avoir une créance certaine, exigible et liquide (ie évaluée). Ensuite,
tout dépend de la nature de l’obligation.
Si l’obligation est monétaire, l’exécution forcée en nature est
possible. En la matière, il n’y a d’ailleurs pas de différence entre
exécution forcée en nature et exécution par équivalent.
Conditions : le créancier doit être muni d’un titre exécutoire (ex :
un jugement ; un acte notarié) de façon à pouvoir faire saisir, par la
force publique, les biens du débiteur.
Le régime de la saisie (cf. cours de voies d’exécution) varie
selon les types de biens, meubles, immeubles ou incorporels (ex :
créances). Le bien saisi sera ensuite vendu et le créancier obtiendra une
somme d’argent correspondant à sa créance.
Parfois aussi, le créancier peut agir en paiement directement
contre le débiteur de son débiteur, s’il dispose d’une action directe.
Ex : bailleur contre sous-locataire pour le paiement des loyers.
168
Si l’obligation n’est pas monétaire, il faut distinguer selon l’objet
de l’obligation.
L’exécution forcée en nature de l’obligation de donner est a priori
concevable, mais elle est rare en droits français et luxembourgeois
puisque le transfert de propriété a lieu, en principe, automatiquement,
par le seul effet de l’échange des consentements (art. 1138 C. civ.) Ce
n’est que si le transfert de propriété est retardé que la question de
l’exécution forcée peut se poser. La jurisprudence admet alors
traditionnellement que le jugement de condamnation puisse valoir acte
de transfert de propriété.
Pour les autres obligations, les obligations de faire et de ne pas
faire, l’art. 1142 C. civ. énonce que « toute obligation de faire ou de ne
pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la
part du débiteur ».
En principe, l’exécution forcée en nature est inaccessible pour
ce type d’obligations.
La jurisprudence limite cependant la portée de l’art. 1142 C. civ.
aux seuls cas dans lesquels l’exécution forcée en nature entraînerait une
contrainte physique sur la personne du débiteur. Le créancier doit
alors se contenter d’une exécution par équivalent, sauf si le droit de
propriété est en cause car ce droit, fondamental, justifie une contrainte
plus forte (ex : l’expulsion d’un locataire).
En définitive, l’exécution forcée n’est exclue qu’à l’égard des
obligations qui engagent directement la personne du débiteur
(peintre, enseignant, etc.)
En outre, pour les obligations de ne pas faire, l’art. 1143 C. civ.
autorise le créancier à « demander que ce qui a été fait par contravention
à l’engagement, soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux
dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a
lieu ».
169
Pour les obligations de faire, l’art. 1144 C. civ. autorise le créancier
« à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur ».
Ex : si A n’exécute pas son obligation envers B, B peut se tourner
vers un tiers C afin d’obtenir l’avantage escompté, aux frais de A.
Ensuite, l’obtention de l’exécution forcée en nature est rendue
possible par l’utilisation de l’astreinte. Ce procédé a été admis par la
jurisprudence dès le 19e siècle et puis consacrée par le législateur (en
France en 1972). Elle consiste pour le juge à condamner la partie
perdante à verser une somme d’argent fixée à un certain montant
par jour de retard dans l’exécution de la décision, ou par nombre
d’infractions constatées s’il s’agit d’une abstention. C’est un procédé
d’exécution forcée particulièrement efficace, à condition bien sûr que
le débiteur soit solvable.
NB1 : L’astreinte ne doit pas être confondue avec les
dommages-intérêts. Le montant de l’astreinte s’ajoute donc aux
dommages-intérêts que le débiteur est condamné à payer au créancier en
tant qu’équivalent de l’exécution. Son montant ne dépend donc pas de
l’étendue du préjudice. L’astreinte n’est pas une indemnisation mais
une peine, plus exactement une peine privée, puisque le montant de
l’astreinte est attribué au créancier.
NB2 : Le paiement de l’astreinte suppose, outre bien sûr son
prononcé, qu’elle soit liquidée. Tant que la liquidation n’est pas
effectuée, le créancier ne peut rien réclamer. A ce sujet, il faut distinguer
l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive.
L’astreinte provisoire est révisable : elle doit être liquidée en
tenant compte du comportement du débiteur. Le juge n’est donc pas lié
par la décision initiale. Il peut prononcer une astreinte finale inférieure
à celle initialement prévue.
A l’inverse, l’astreinte définitive est celle dont le taux ne peut
jamais être modifié lors de sa liquidation. Sa fonction comminatoire est
bien plus forte car le débiteur sait dès l’origine ne pas pouvoir compter
170
sur l’indulgence du juge. Le juge n’a alors d’autre choix que de multiplier
le taux de l’astreinte par le nombre de jours de retard ou par le nombre
de manquements constatés. Comme l’astreinte définitive est plus grave,
une astreinte n’est définitive que si le juge la qualifie comme telle. A
défaut, elle sera considérée comme provisoire. Par ailleurs, l’astreinte
définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte
provisoire restée vaine et pour une durée déterminée. Sans quoi, là
encore, l’astreinte sera considérée comme provisoire.
§ 2. L’exécution par équivalent
Si l’exécution forcée en nature ne peut pas être obtenue ou si le
créancier ne la souhaite pas (parce qu’il ne fait plus confiance au
débiteur ou parce que c’est impossible ou inutile), l’exécution aura lieu
par équivalent. Le créancier obtiendra des dommages-intérêts.
Ex : responsabilité délictuelle pour dommage corporel.
Il devra alors établir, outre l’existence d’un fait générateur de
responsabilité civile de la part du débiteur, qu’il a subi un préjudice
certain, direct et prévisible.
Si ces conditions sont remplies, les dommages-intérêts
correspondront à la valeur du préjudice réparable. Idéalement, les
dommages-intérêts doivent placer le créancier dans la situation
patrimoniale qui aurait été la sienne si l’obligation avait été exécutée / si
le fait générateur du dommage n’était pas survenu.
II. LES OBSTACLES À L’EXÉCUTION FORCÉE
On peut distinguer 3 catégories d’obstacles :
- 1re catégorie : l’Administration peut refuser de procéder à
l’exécution forcée des obligations pour des raisons d’ordre
public, moyennant indemnisation du créancier. Le CE
171
français l’a admis dans un arrêt Couitéas de 1923 et la
solution est aujourd’hui consacrée par la Loi de 1991.
- 2e catégorie : le délai de grâce octroyé par le juge, sur lequel
nous donnerons quelques précisions (§ 1).
- 3e catégorie : les « procédures d’insolvabilité » prévues par
la loi, qui méritent également quelques développements (§
2).
§ 1. Le délai de grâce
Le délai de grâce est un délai supplémentaire que le juge accorde
au débiteur pour s’exécuter, sans le consentement du créancier. C’est
une mesure exceptionnelle, de clémence face à un débiteur
malheureux.
Le délai de grâce était prévu dès l’origine par le Code civil, dans
son article 1244. Au Luxembourg, le texte est resté en l’état. Mais en
France, il a été modifié à plusieurs reprises [1936 et 1991].
Aujourd’hui, le délai de grâce est régi en droit français par les art.
1244-1 et s. C. civ. Le régime est impératif ; toute stipulation contraire
est réputée non écrite.
Ces articles autorisent le juge à reporter ou à échelonner le
paiement des sommes dues, dans la limite de deux années, en prenant
en compte la situation du débiteur et les besoins du créancier.
Selon l’art. 1244-2, la décision du juge suspend les procédures
d’exécution qui ont été engagées par le créancier et les majorations
d’intérêts ou les pénalités encourues à raison du retard cessent d’être
dues pendant le délai fixé par le juge, pour éviter que le report ne soit
sans effet bénéfique pour le débiteur.
§ 2. Les « procédures d’insolvabilité »
172
Cette catégorie d’obstacles à l’exécution forcée n’était pas prévue dans le
C. napoléon, mais les crises économiques et sociales successives ont
abouti à la création d’un droit de l’insolvabilité et du surendettement, qui
peut aujourd’hui interdire l’exécution forcée pour protéger la personne
du débiteur ou l’emploi par exemple.
Les procédures d’insolvabilité visent à traiter les situations dans
lesquelles un débiteur ne parvient plus ou risque de ne plus parvenir à
faire face à ses obligations.
Ces procédures sont complexes et il n’entre pas dans notre propos de les
étudier en détail. Il nous suffit de connaître leur incidence sur le droit à
l’exécution forcée. Ces procédures sont en outre très diverses et il faut
distinguer en la matière selon que le débiteur est un professionnel ou un
non-professionnel.
1. Régime des dettes professionnelles – La procédure de base
en la matière est la faillite, qui conduit à la liquidation (dissolution) de
l’entreprise. Mais les procédures d’insolvabilité se sont diversifiées car
leur objectif n’est aujourd’hui plus seulement de désintéresser les
créanciers, mais aussi de redresser l’entreprise dans l’intérêt des salariés
et de l’économie. Certaines procédures (règlement judiciaire) ont donc
pour but de sauver une entreprise en difficulté mais non encore
insolvable, voire de prévenir des difficultés futures (procédure de
sauvegarde). V. art. L. 610-1 et s. C. com. fr. ; Livre III C. com. lux.
Quelle que soit la procédure mise en œuvre, l’ouverture d’une telle
procédure a toujours pour effet de paralyser au moins temporairement
l’exécution forcée des obligations du débiteur qui est l’objet de la
procédure.
- D’abord, une tentative de conciliation entre le débiteur et
ses créanciers peut intervenir dans le cadre d’un règlement
amiable. Durant cette phase, le T. Com peut suspendre les
voies d’exécution, pendant 1 an maximum.
- Ensuite, une procédure judiciaire s’ouvre. Elle commence
par un jugement d’ouverture, à compter duquel les
173
poursuites individuelles sont suspendues et interdites. Il est
également interdit au débiteur d’effectuer un paiement
spontané à l’un des créanciers antérieurs. Les droits des
créanciers sont paralysés pour préserver les chances d’un
redressement. A l’issue d’une période d’observation dont la
durée maximale est de 6 mois,
o Soit un plan de redressement est adopté, avec ou sans
l’accord des créanciers. Les dettes sont rééchelonnées,
voire effacées !
o Soit l’entreprise est cédée à un repreneur. Le sort des
créanciers dépendra des modalités du plan de reprise.
Leurs créances s’exécutent sur le prix de cession.
o Soit l’entreprise est liquidée. On réalise les biens de
l’entreprise et on paie les créanciers (dans la mesure du
possible, d’abord ceux qui sont munis de sûretés puis les
autres s’il reste quelque chose). Si les actifs sont
insuffisants, il y a une clôture pour insuffisance d’actifs :
toute voie d’exécution est exclue définitivement.
2. Régime des dettes non-professionnelles – Le dispositif légal
relatif à la faillite ne concerne pas les individus. Pour ces derniers, l’idée
a toutefois progressivement été admise qu’il ne fallait pas que le
débiteur, pris individuellement, soit exclu de la société en raison de ses
dettes. On a donc créé une procédure dite de « surendettement » des
particuliers (en France Loi Neiertz de 1989, v. aujourd’hui art. L. 330-1 et
s. C. cons. ; Loi du 8 décembre 2000 au Luxembourg).
La procédure est applicable en cas d’impossibilité pour un individu
de faire face à ses dettes exigibles ou à échoir.
PB : procédure moins contraignante pour les créanciers.
La Commission de surendettement (procédure administrative et
non judiciaire), saisie par le débiteur surendetté, peut seulement :
- si le surendettement est modéré, proposer aux créanciers un plan
de redressement, rééchelonnant les dettes, voire apurant certaines
174
d’entre elles, mais les créanciers ne sont alors pas obligés d’accepter le
plan et les poursuites restent possibles.
- si l’insolvabilité est grave, saisir le juge de l’exécution en lui
recommandant certaines mesures, tel un étalement autoritaire des
dettes ou la suppression pure et simple de certaines dettes.
- si la situation du débiteur est irrémédiablement compromise et si
ce dernier donne son accord, saisir le juge afin qu’il ouvre une
procédure de « rétablissement personnel » (art. L. 332-5 et s. C.
cons.). C’est une véritable procédure collective, une sorte de
« faillite civile » : un mandataire est nommé pour faire un bilan de
l’actif et du passif du débiteur, puis un liquidateur réalise l’actif (=
vend les biens du débiteur) pour payer les créanciers dans la
mesure du possible (mais par hypothèse, il est insuffisant). Puis un
jugement d’insuffisance d’actifs est rendu clôturant la liquidation. Il
éteint les dettes subsistantes (sauf les dettes pénales et
alimentaires). Elles sont purement et simplement effacées. Ce qui
évite de les traîner toute une vie. Le procédé est censé favoriser la
réinsertion sociale.
Transition – Nous avons vu selon quelles modalités l’exécution
forcée intervenait. Il reste à présent à examiner l’assiette de l’exécution
forcée. C’est l’objet du chapitre suivant.
Chapitre II – LE DROIT DE GAGE GÉNÉRAL
L’assiette de l’exécution forcée est le patrimoine du débiteur.
On la désigne plus communément en faisant référence au droit de gage
général du créancier.
Nous verrons ce que recouvre la notion de droit de gage, puis les
moyens destinés à la protéger.
Section I : les attributs du droit de gage
175
Section II : la protection du droit de gage
I. LES ATTRIBUTS DU DROIT DE GAGE
Il y a 2 textes essentiels sur ce point, les art. 2284 et 2285 C. civ.
Art. 2284 : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de
remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers,
présents et à venir ».
Si l’exécution n’est pas obtenue volontairement, le créancier peut
donc saisir n’importe quel bien de son débiteur.
Art. 2285 : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses
créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins
qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »
Le texte pose un principe d’égalité des créanciers. En
principe, aucun créancier n’a priorité sur les autres. Ex : si les biens du
débiteur ne peuvent couvrir que la moitié de ses dettes, chaque créancier
reçoit la moitié du montant de sa créance.
Exception : La loi privilégie les créanciers munis de sûretés.
Finalement, l’art. 2285 s’applique aux créanciers
chirographaires (sans garantie).
RQ1 : Le patrimoine du débiteur n’est qu’un gage. Le créancier n’a
pas de droit direct sur les biens du débiteur. Il doit procéder à une
saisie. En l’absence de saisie, le débiteur reste maître de son
patrimoine. La saisie est individuelle en principe, sauf en présence
d’une procédure collective (cf Chap. précédent).
RQ2 : Ce droit de gage est général à un double point de vue :
- Matériellement : il porte sur tous les biens du débiteur,
meubles et immeubles.
176
- Temporellement : ce sont les biens présents et à venir.
Le droit de gage général s’exerce sur les biens qui se
trouvent dans le patrimoine du débiteur au jour de
l’exécution forcée, même si ces biens n’existaient pas
lorsque la créance est née.
A l’inverse, les biens présents au moment de la naissance de
la créance peuvent avoir disparu – le créancier n’a pas de
droit de suite sur ces biens.
PB : Le patrimoine de toute personne fluctue. Le danger est que
le débiteur s’appauvrisse avant l’exécution forcée.
C’est pourquoi le créancier peut chercher des moyens de se
protéger avant toute poursuite :
- premièrement, il peut prendre une sûreté réelle sur un bien
de son débiteur. Ex : une hypothèque sur un immeuble du
débiteur. Le créancier dispose alors d’un droit de
préférence et d’un droit de suite sur la chose. Il sera payé
en priorité sur ce bien et si le débiteur aliène le bien, le
créancier pourra le saisir où qu’il se trouve.
- deuxièmement, si la créance est certaine en son principe et
si elle est menacée dans son recouvrement, il est possible de
prendre des mesures conservatoires. Ex : saisie
conservatoire, qui permet d’immobiliser le bien (il est
impossible de le vendre).
- Troisièmement, il existe des moyens de protéger le droit
de gage général : objet de la section II.
II. LA PROTECTION DU DROIT DE GAGE
Le créancier dispose de deux prérogatives pour préserver la
consistance de son droit de gage général.
Ce sont l’action oblique (§ 1) et l’action paulienne (§ 2).
177
§ 1. L’action oblique
Comme le débiteur a la gestion de son patrimoine, le risque existe
qu’il le laisse dépérir en négligeant d’exercer une action dont il est
titulaire. L’action oblique protège le créancier contre l’inertie
préjudiciable du débiteur, en l’autorisant à agir à la place de son
débiteur.
C’est cependant une immixtion dans les affaires d’autrui, qui
doit donc être encadrée.
L’action oblique est prévue par l’art. 1166 C. civ. : « Néanmoins
les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur,
à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ».
Voyons les conditions (A) puis les effets (B) de l’action oblique.
A - Les conditions de l’action oblique
L’action oblique nécessite d’abord :
- au niveau du droit du créancier qui la met en œuvre, il faut
une créance certaine, liquide et exigible. Peu importe en
revanche qu’elle soit contractuelle ou délictuelle.
- S’agissant des droits et actions du débiteur exercés par la
voie oblique, il peut d’agir de tout droit ne présentant pas
un caractère personnel.
Ex : action en responsabilité civile ; action en rescision pour lésion ;
en garantie ; en nullité ; en revendication ; etc.
Il faut ensuite que l’inertie du débiteur soit établie. A cet égard,
la Cour de cassation a indiqué dans un arrêt de la Civ. 1re, 28 mai 2002,
Bull. civ. I, n° 145, que la carence du débiteur (condition de l’action
oblique) se trouve établie lorsqu’il ne justifie d’aucune diligence
dans la réclamation de son dû.
178
Pas besoin que le créancier démontre l’insolvabilité de son
débiteur, ni même son inaction (fait négatif), il suffit d’alléguer cette
inaction et ensuite au débiteur de démontrer qu’il a fait le nécessaire,
qu’il a été diligent. C’est pratique pour le créancier.
Il faut enfin que la carence du débiteur soit de nature à
compromettre le paiement de la créance de l’auteur de l’action
oblique, ce qui est une autre façon de dire que le créancier doit avoir un
intérêt à agir. La solvabilité du débiteur doit donc être douteuse ou
menacée.
Sont exclues par le Code civil les droits et actions « exclusivement
attachés à la personne ». Quelle est la portée de cette exception ?
- Cela vise les actions extrapatrimoniales. Ex : actions en
recherche de paternité, demande de divorce, annulation du
mariage…
- Les actions tendant à acquérir un droit nouveau. Ex : le
créancier ne peut pas vendre un bien à la place du
débiteur qui le refuse.
- Les droits insaisissables. Ex : pension alimentaire. Si le
débiteur est dans le besoin, son enfant pourrait y subvenir.
Mais le créancier n’a pas d’action oblique car la pension
alimentaire est insaisissable. Pas d’intérêt à agir.
- La jurisprudence est plus hésitante pour les actions à
caractère patrimonial dont le déclenchement suppose une
appréciation personnelle.
o Ex : l’action en révocation d’une libéralité (pour
ingratitude, pour inexécution des charges) ne peut être
exercée par le créancier à la place de son débiteur inerte.
o Mais l’option successorale peut être exercée par la voie de
l’action oblique. Un créancier peut donc accepter la
succession à la place de son débiteur inerte.
CCL° : Pas de ligne directrice évidente dans la jurisprudence.
179
B - Les effets de l’action oblique
L’action produit les mêmes effets que si elle avait été exercée
par le débiteur, puisque le créancier ne fait que se substituer à lui.
L’action oblique est donc doublement fragile.
D’abord, le produit de l’action oblique entre dans le
patrimoine du débiteur. C’est la grande faiblesse de cette action : le
droit, le bien, devient donc le gage de l’ensemble des créanciers. Le profit
de l’action oblique ne bénéficie pas uniquement à celui qui l’exerce,
mais à tous. Cela décourage les créanciers qui n’ont pas de préférence.
Ensuite, puisque le créancier agit à la place du débiteur, la règle de
l’opposabilité des exceptions s’applique. Celui contre qui le créancier
agit peut opposer au demandeur tout ce qu’il aurait pu opposer à son
propre créancier (ie au débiteur).
Ex : loyer non perçu par le débiteur. Le créancier agit à la place du
débiteur pour obtenir le paiement du loyer. Le locataire peut opposer au
créancier ce qu’il aurait pu opposer à son bailleur inerte (par exemple, la
nullité, l’exception d’inexécution…). Et si le locataire a payé son bailleur
entre temps, il pourra opposer le paiement au créancier auteur de
l’action oblique, qui sera débouté.
§ 2. L’action paulienne
Le fondement de l’action paulienne est à l’art. 1167 C. civ. : « Ils
[les créanciers] peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes
faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ».
Ex : le débiteur vend un de ses biens à sa compagne pour un prix
modique afin de soustraire ce bien aux poursuites de ses créanciers.
180
Là encore, il y a immixtion de la part du créancier dans les affaires
de son débiteur, mais l’immixtion est ici justifiée par l’existence d’une
fraude.
Le régime de l’action paulienne n’étant pas précisé par le Code civil
qui se contente d’évoquer la fraude, c’est la jurisprudence qui l’a établi
progressivement.
Voyons les conditions (A) puis les effets (B).
A - Les conditions de l’action paulienne
Il existe 3 séries de conditions : celles tenant à l’acte du
débiteur, celles tenant à la créance du demandeur et celle tenant à
l’exigence de fraude.
Concernant, premièrement, l’acte du débiteur, l’action paulienne
n’est ouverte que si l’acte cause un préjudice au créancier, qui découle
de la diminution de l’assiette de son droit de gage général. Le
débiteur doit s’appauvrir en faisant sortir un bien de son patrimoine
sans contrepartie suffisante. Ex : une donation ; une vente
lésionnaire... Plus largement, il s’agit d’un acte qui a pour effet de faire
échapper un bien aux poursuites du créancier en le remplaçant par un
bien facile à dissimuler (ex : une somme d’argent). En revanche, le
créancier ne peut pas critiquer le refus du débiteur de s’enrichir par
le biais de l’action paulienne.
Ex : le débiteur renonce à une succession.
Toujours au titre du préjudice requis, il faut aussi que le débiteur
soit insolvable. Si en dépit de l’acte d’appauvrissement, le débiteur reste
solvable, le créancier n’a pas d’intérêt à agir. C’est apprécié à la date
de l’introduction de la demande en justice mais aussi au jour de
l’acte contesté, parce que l’insolvabilité caractérise la fraude. Toutefois,
le créancier qui a un droit particulier sur certains biens peut attaquer
181
les actes par lesquels le débiteur aliène ou diminue la valeur de ces biens,
même si la condition d’insolvabilité n’est pas remplie.
Enfin, certains actes du débiteur échappent à l’action paulienne.
Ainsi, le paiement ne peut pas être attaqué par l’action paulienne, parce
qu’il est neutre (ce n’est pas un acte d’appauvrissement puisqu’il éteint
une dette et que la dette fait partie du patrimoine) et nécessaire (le
débiteur n’a pas le choix), sauf paiement anormal, telle une dation en
paiement.
S’agissant, deuxièmement, de la créance du demandeur, l’action
paulienne suppose que le droit du créancier soit né avant l’acte
attaqué. En effet, pour qu’il puisse y avoir une fraude contre le droit
du créancier, encore faut-il que ce droit existe au moment où le débiteur
accomplit l’acte frauduleux. Pourtant, la jurisprudence n’applique pas
cette condition d’antériorité de la créance dans toute sa rigueur, car le
débiteur peut se rendre coupable d’une fraude anticipée.
Ex : une personne sait qu’elle va contracter un emprunt dans
quelques jours et organise dès à présent son insolvabilité à l’insu de son
futur créancier.
Ex : une personne donne ses biens à ses enfants avant de se porter
caution.
Pour la Cour de cassation, la fraude commise dans la
perspective de la dette est une condition suffisante.
Le créancier peut prouver l’antériorité de sa créance par tous
moyens.
Au moment où l’action paulienne est exercée, la créance doit être
certaine en son principe. Doit-elle être liquide et exigible ? Non, une
créance certaine en son principe devrait suffire (v. Civ. 1ère, 5 juillet 2005,
Bull. civ. I, n° 291).
182
3e et dernière série de conditions : la fraude du débiteur. C’est LA
condition essentielle.
PB1 : Qu’est-ce que la fraude ?
Faut-il une intention de nuire au créancier de la part du
débiteur ou une simple conscience du préjudice qu’il allait
causer à son créancier en passant l’acte critiqué ?
La jurisprudence retient la 2nde conception : la fraude résulte de la
seule connaissance qu’a eue le débiteur du préjudice qu’il causait
au créancier en se rendant insolvable.
Il appartient au créancier de l’établir par tous moyens.
Faut-il établir une complicité de la part du tiers avec lequel
l’acte frauduleux a été passé ? En effet l’action paulienne est dirigée
contre le tiers qui a bénéficié de l’acte frauduleux (acquéreur,
donataire…) ; il est celui qui, le cas échéant, devra subir la saisie. D’où
cette question : faut-il que ce tiers soit complice de fraude ? La
jurisprudence distingue :
- si l’acte frauduleux est un acte à titre gratuit, la complicité
du tiers n’est pas une condition. Peu importe qu’il soit de
bonne foi.
- si l’acte est un acte à titre onéreux, la complicité du tiers
est requise.
Pourquoi cette différence ? Parce que si l’acte frauduleux est à titre
onéreux, le tiers sera privé de son bien alors qu’il a versé une
contrepartie au débiteur. Certes, il pourra se retourner contre ce
dernier, mais ce recours est illusoire puisque le débiteur est par
hypothèse insolvable. Au total, le tiers est privé de son acquisition et ne
récupère pas la contrepartie qu’il a versée. C’est pourquoi, la complicité
est requise pour les actes à titre onéreux.
La définition de la fraude est la même que celle retenue pour
le débiteur. La conscience du tiers suffit ; il n’est pas nécessaire
d’établir son intention de nuire au créancier. C’est au créancier que
revient la charge de la preuve (preuve par tous moyens).
183
B - Les effets de l’action paulienne
La sanction n’étant pas précisée par le Code civil, on aurait pu
songer à la nullité de l’acte frauduleux.
Mais la nullité est une sanction excessive. Pour protéger le
créancier, il suffit que l’acte lui soit inopposable : le créancier fait
« comme si » l’acte n’avait pas eu lieu, comme s’il en ignorait l’existence.
C’est la solution que retient la jurisprudence. En pratique, il faut
distinguer :
- Rapports créancier/tiers défendeur : le créancier fait
comme si l’acte attaqué n’avait pas été conclu. Ex : il fait
comme si le bien n’avait pas été donné ou vendu au tiers. Il
peut ainsi saisir le bien entre les mains du tiers comme
s’il appartenait toujours à son débiteur.
- Rapports créancier/autres créanciers du tiers défendeur :
un conflit peut exister avec les créanciers du tiers défendeur
s’ils ont acquis des droits sur les biens frauduleusement
transmis à leur propre débiteur. Ex : hypothèque sur
l’immeuble frauduleusement acquis par le tiers. Ces
créanciers sont alors considérés comme des sous-
acquéreurs à titre onéreux. Donc, sauf à prouver leur
complicité de fraude, le créancier demandeur devra subir
les effets de ces sûretés, s’incliner devant leur droit.
- Rapports tiers défendeur/débiteur : l’acte qui les lie
reste valable puisque la sanction n’est pas la nullité mais
l’inopposabilité. Le juge ne peut donc pas ordonner au
tiers défendeur de restituer le bien au débiteur. V. en
ce sens (jurisprudence constante), Cass. civ. 1re, 30 mai
2006, Bull. civ. I, n° 268, Def 2006, p. 1863, obs. Libchaber.
Si la valeur du bien transmis excède le montant de la
créance, le tiers conservera donc le bien pour le reliquat.
Le tiers évincé pourra agir en garantie contre le débiteur
(ex : pour demander le remboursement du prix). L’obligation
184
de garantie existe puisque, là encore, l’acte juridique est
valable. Mais le recours en garantie est
vraisemblablement illusoire puisqu’en principe, on l’a
vu, le débiteur est insolvable.
A la différence de l’action oblique qui profite à tous, l’action
paulienne a un effet relatif : elle ne profite qu’au seul créancier qui
l’a intentée. C’est lié au fait que la sanction de l’action paulienne est
l’inopposabilité. En principe, les actes sont opposables à tous.
Puisque l’acte est valable, il est opposable à tous, sauf à celui qui a
intenté avec succès une action paulienne. L’autorité de la chose jugée
étant relative, l’inopposabilité ne profite qu’au créancier demandeur.
Cela dit, rien n’empêche les autres créanciers du débiteur d’agir en
inopposabilité, soit par une action paulienne nouvelle, soit en intervenant
à l’instance déjà engagée.
185
TITRE III – L’EXTINCTION DES OBLIGATIONS SANS
PAIEMENT
Normalement, les obligations s’éteignent par le paiement, c’est-à-
dire par l’exécution. Mais les obligations peuvent également s’éteindre
sans paiement effectif, par un mode anormal, exceptionnel,
d’extinction des obligations.
On distingue alors, selon que le créancier obtient ou pas
satisfaction :
- Les modes d’extinction alternatifs au paiement avec
satisfaction du créancier. (Chap. I). Le créancier ne reçoit
pas ce qui est dû, mais obtient une satisfaction indirecte.
C’est la compensation, la dation en paiement, la novation et
la confusion.
- Les modes d’extinction alternatifs au paiement sans
satisfaction du créancier. Le créancier ne reçoit pas du
tout ce qui est dû, soit parce qu’il l’a voulu – c’est la
remise de dette – soit parce que l’obligation est
temporaire par nature et que la prescription libératoire ou
extinctive est écoulée (Chap. II).
Chapitre I – L’EXTINCTION PAR SATISFACTION INDIRECTE DU
CRÉANCIER
Le créancier n’obtient pas l’exécution de l’obligation
initialement prévue, mais autre chose que ce qui était prévu à
l’origine.
La situation recouvre 4 causes d’extinction de l’obligation : la
compensation (section I), la novation (section II), la confusion (section
III) et la dation en paiement (section IV).
186
I. LA COMPENSATION
V. art. 1289 et s. C. civ.
Définition – Il y a compensation lorsque, deux personnes étant
créancières et débitrices l’une de l’autre, leurs obligations
s’éteignent à due concurrence du montant de la plus faible.
Ex : A doit 100 à B ; B doit 100 à A : une compensation entre leurs
dettes a lieu plutôt que de réaliser un double paiement réciproque.
La compensation est un mode d’extinction des obligations
consistant en un double paiement simplifié. L’intérêt du mécanisme est
d’éviter 2 paiements croisés. D’où son utilisation fréquente dans les
affaires, en particulier dans le secteur bancaire (ex : le compte-
courant repose sur des compensations successives).
Il existe plusieurs types de compensation :
- La compensation légale (celle qui est prévue par le C.
civ.) : lorsque les conditions fixées par le Code civil sont
remplies, elle joue de plein droit si l’une des parties
l’invoque.
- La compensation judiciaire, prononcée par le juge.
- La compensation conventionnelle, décidée par les
parties.
Ces 3 espèces de compensation disposent chacune d’un régime
juridique propre.
Mais la distinction la plus importante en droit positif est celle qui
oppose la compensation des dettes non connexes et la compensation
des dettes connexes. Dans ce dernier cas, le jeu de la compensation est
grandement facilité et son rôle de garantie joue à plein. C’est la raison
pour laquelle on distinguera le régime de l’une (§ 1) et le régime de
l’autre (§ 2).
187
§ 1. La compensation des dettes non connexes
Le régime de la compensation varie selon ses sources : légale (A),
judiciaire (B) ou conventionnelle (C).
A. La compensation légale
Quels sont ses conditions et ses effets ?
Les conditions de la compensation légale des dettes non connexes
sont nombreuses.
D’abord, il faut deux créances réciproques, fongibles, liquides
et exigibles.
1. Il faut que les créances soient réciproques, autrement dit, que les
parties soient mutuellement débitrices l’une de l’autre. Cela suppose
que chacune des personnes intervienne en la même qualité. Ex : pas de
compensation possible entre la créance personnelle d’un gérant de
société contre un tiers et la créance de ce tiers contre la société.
Dans un cas, le gérant intervient à titre personnel ; dans l’autre, il n’est
que le représentant de la société.
2. Les créances doivent avoir pour objet des choses fongibles. Les
objets doivent être interchangeables, mais pas forcément identiques.
En pratique, la compensation intervient entre obligations pécuniaires
(mais il peut s’agir d’une dette en € et d’une dette en $).
3. Les créances doivent être liquides. Leur montant doit être
déterminé (ex : pour une dette de dommages-intérêts).
4. Les créances doivent être exigibles. Si l’une des dettes est
affectée d’un terme suspensif qui n’est pas encore venu à échéance,
on ne peut pas la compenser, même avec une dette échue.
188
A fortiori, cela exclut les créances conditionnelles, dont
l’existence même est incertaine.
Ensuite, même si toutes ces conditions sont remplies, la
compensation légale est encore exclue en présence de créances
insaisissables, notamment les créances alimentaires.
Ex1 : l’ex-mari débiteur d’une pension alimentaire ou d’une
prestation compensatoire ne peut pas invoquer la compensation de sa
dette avec une créance qu’il détiendrait sur son ex-épouse. Ex2 : il
est en principe interdit à l’employeur de compenser le salaire avec
les sommes que pourrait lui devoir le salarié pour des fournitures (art. L.
3251-1 et s. C. trav. fr. ; rappr. art. L. 224-3 C. trav. lux.).
Enfin, ultime précision : l’ouverture d’une procédure collective
paralyse le jeu de la compensation légale. Si les conditions de la
compensation étaient remplies avant le jugement d’ouverture, la
compensation produira son effet. Mais si les conditions n’étaient pas
remplies à cette date (ex : une des créances n’était pas encore échue),
la compensation légale ne pourra plus être invoquée ultérieurement.
Le créancier/débiteur réciproque du débiteur failli devra payer sa
dette, et n’obtiendra en contrepartie qu’un paiement vraisemblablement
partiel de sa propre créance. Pourquoi ?
Politiquement, il s’agit de faire respecter l’égalité des
créanciers dans le cadre de la procédure collective.
Techniquement, la solution est fondée sur l’interdiction des
paiements de créances antérieures au jugement d’ouverture. Or, la
compensation est un double paiement simplifié.
S’agissant des effets de la compensation légale, la compensation
éteint la dette et ses accessoires (ex : les sûretés). Si les créances sont
d’un montant différent, la plus faible sera éteinte en totalité et la plus
élevée ne le sera qu’en partie.
189
PB : Ct ces effets se produisent-il ?
V. art. 1290 C. civ. : « La compensation s’opère de plein droit par
la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes
s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la
fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ».
Dès que les conditions sont remplies, la compensation légale
produit ses effets automatiquement. Le juge ne peut donc pas refuser
de constater la compensation légale, si ses conditions sont réunies, et
la compensation joue rétroactivement, éteignant les obligations
réciproques au jour où ses conditions sont remplies (= où la dernière
est devenue exigible).
L’automaticité de la compensation légale subit cependant des
atténuations.
Ex : relations entre un bailleur et un locataire.
- Le locataire a une dette de loyer qui entraîne, en cas
d’inexécution, l’application d’une clause résolutoire, donc
la fin du bail
- Le bailleur est débiteur du locataire (un prêt par exemple).
PB : le bailleur peut-il payer sa dette pour faire échec à la
compensation et se prévaloir de l’inexécution de l’obligation de
payer le loyer pour faire jouer la clause résolutoire ? Ou la
compensation produit-elle automatiquement ses effets ? Malgré les
termes de l’art. 1290, la compensation ne joue pas
automatiquement, contre la volonté des parties. Le bailleur peut
payer sa dette et renoncer à la compensation pour pouvoir résoudre
le bail.
La compensation produit ses effets de plein droit, mais il faut tout
de même qu’elle soit invoquée par l’une des parties. Le juge ne
constate pas la compensation légale si aucune partie ne le lui demande. Il
est donc possible de renoncer au bénéfice de la compensation
légale (même si les dettes sont connexes), en dépit de ce que laisse
entendre l’art. 1290.
190
En revanche, l’automaticité de la compensation a pour conséquence
qu’elle peut être invoquée à tout moment, même hors délai de
prescription (Com. 30 mars 2005, RTD civ. 2005.599). Logique en
pratique : deux personnes réciproquement débitrices et créancières l’une
de l’autre ne se réclament pas le paiement de leurs obligations
respectives, pourtant toutes deux exigibles. Puis l’une vient à être
prescrite, pas l’autre. Le créancier de l’obligation non prescrite en
réclame alors le paiement. Très logiquement le débiteur peut lui opposer
la compensation de cette obligation avec la créance réciproque qu’il avait
sur lui, même si elle est aujourd’hui prescrite, parce que la compensation
joue de plein droit.
A côté de la compensation légale prévue par le Code civil, d’autres
types de compensations, au régime plus souple, ont été admis.
B. La compensation judiciaire
La compensation judiciaire est une création prétorienne. Elle est
accordée par le juge sur demande reconventionnelle d’un
défendeur qui, poursuivi en paiement, ne peut invoquer la
compensation légale parce que ses conditions ne sont pas réunies. Les
conditions de la compensation judiciaire sont ainsi moins strictes que
celles de la compensation légale.
De fait, la compensation judiciaire est accordée lorsque manque à
l’une des dettes réciproques la condition de liquidité. Les autres
conditions doivent être satisfaites (réciprocité, fongibilité et exigibilité –
sauf si le juge rend une créance exigible en prononçant la déchéance du
terme). Le juge va liquider alors la créance non liquide pour pouvoir
prononcer la compensation.
Ex : Pierre a racheté (d’occasion) la Play Station de Paul, et il n’a
pas encore payé le prix, et entre temps Paul a cassé le VTT de Pierre, que
ce dernier lui avait prêté pour faire une ballade.
191
- Paul assigne Pierre en paiement du prix de la Play Station ;
- Pierre forme une demande reconventionnelle en dommages-
intérêts pour la destruction du vélo.
Le juge va surseoir à statuer sur la demande principale (action
en paiement du prix) ; il va examiner la demande reconventionnelle et le
cas échéant prononcer la compensation judiciaire une fois liquidée la
dette de dommages-intérêts.
S’agissant des effets de la compensation judiciaire, ils sont
comparables à ceux de la compensation légale. La seule différence tient
à ce que la compensation judiciaire produit ses effets au jour du
jugement qui la prononce, c’est-à-dire au jour où le juge liquide la
créance pour prononcer la compensation (sauf si les dettes sont connexes
(v. infra), auquel cas Cass. com. 20 février 2007, RTD civ. 2007.570, obs.
B. Fages, précise que « l’effet extinctif de la compensation judiciaire
remonte au jour de l’exigibilité de la première des créances connexes »).
Finalement, la compensation judiciaire n’est pas tellement éloignée
de la compensation légale. Il en va de même pour la compensation
conventionnelle.
C. La compensation conventionnelle
Définition – La compensation est conventionnelle lorsque les
parties décident, d’un commun accord, de donner à leurs obligations
les caractères nécessaires à leur compensation. C’est une
manifestation de la liberté contractuelle. Cette liberté est toutefois
limitée : les parties ne peuvent conférer à leurs obligations ni une
réciprocité, ni une fongibilité qu’elles n’ont pas naturellement.
En revanche, les parties peuvent convenir de rendre liquides
et/ou exigibles des créances qui ne l’étaient pas, afin de faire jouer la
compensation.
192
Les effets de la compensation conventionnelle seront alors les
mêmes que ceux qui ont été mentionnés, avec deux précisions :
- la compensation produit ses effets à la date à laquelle la
convention a été conclue et elle n’est opposable aux tiers
qu’au jour de cet accord.
- en cas de « faillite », la convention encourt la nullité si elle
est conclue après le jugement d’ouverture (J.O.), mais
également si elle est conclue pendant la période suspecte
(période séparant l’état de cessation de paiements du J.O.)
Pourquoi ? Parce que l’on peut suspecter une fraude aux
droits des tiers. La compensation conventionnelle avantage
le créancier qui en bénéficie (expliquer). La nullité sera
prononcée si le créancier connaissait l’état de cessation
de paiements de son débiteur. La compensation
conventionnelle n’est à coup sûr valable que si elle est
conclue avant l’ECP.
En définitive, compensations judiciaire et conventionnelle ne sont
donc que des extensions du domaine de la compensation légale. Les
différences sont plus importantes lorsque la compensation intervient
entre dettes connexes.
§ 2. La compensation des dettes connexes
Particularité de ce type de compensation : elle joue de plein
droit, comme la compensation légale, même à défaut de liquidité ou
d’exigibilité des créances réciproques.
C’est très intéressant en cas d’insolvabilité de l’un des
débiteurs réciproques. Avant d’étudier le régime de cette forme de
compensation (B), il faut d’abord préciser la notion de connexité et donc
le domaine de la compensation des dettes connexes (A).
193
A. Le domaine de la compensation des dettes connexes
La connexité évoque l’idée d’interdépendance, de lien étroit entre
diverses obligations.
Ex : le bailleur blesse le locataire lors d’un accident de la route. Ils
sont alors tenus d’obligations monétaires réciproques. Mais, il n’y a
aucun lien de connexité entre ces obligations.
En revanche, il y a connexité entre la dette de loyer du locataire
envers le bailleur et la créance que le locataire peut avoir contre le
bailleur pour le paiement des travaux qu’il a réalisés dans le bien loué.
La connexité peut avoir 2 sources :
- la connexité naturelle naît de la communauté d’origine
des obligations ;
- la connexité artificielle naît de l’affectation commune des
obligations.
La connexité naturelle est celle qui découle de la communauté
d’origine des obligations réciproques. Il s’agit en général d’obligations
monétaires qui dérivent d’un même rapport juridique, soit de
l’exécution d’un contrat synallagmatique unique (ex : connexité entre
l’obligation de l’assuré de payer les primes et l’obligation de l’assureur de
verser l’indemnité), soit plus fréquemment de l’inexécution d’un
contrat synallagmatique (ex : connexité entre l’obligation de l’acquéreur
de payer le prix et l’obligation du vendeur de payer des dommages-
intérêts pour un retard dans la délivrance de la chose vendue ou un vice
caché de celle-ci).
La jurisprudence admet aussi la connexité en présence
d’obligations réciproques nées de contrats distincts, mais formant
un ensemble contractuel unique. Il suffit que les obligations en
présence procèdent de contrats économiquement liés. Cet ensemble
peut ressortir par exemple de la présence d’un contrat-cadre.
194
La connexité artificielle découle de la volonté des parties de
rendre connexes des obligations issues de contrats qui ne sont pas liés
les uns aux autres. La jurisprudence est hésitante quant à la validité
d’une telle opération. A moins, bien sûr, que le législateur l’autorise,
comme il le fait, par exemple, à propos des opérations sur instruments
financiers (V. l’art. L. 431-7 C. mon et fin en France ; au Lux. art. 19 L. 5
août 2005 sur les contrats de garantie financière).
B. Le régime de la compensation des dettes connexes
Le régime de cette compensation est beaucoup plus favorable
pour celui qui l’invoque que le régime de la compensation ordinaire.
S’agissant des conditions, il faut toujours que les obligations
soient réciproques, au moins au départ, et que leurs objets soient
fongibles.
Mais, d’abord, les conditions de liquidité et d’exigibilité sont
indifférentes. La Cour de cassation l’a affirmé dans un arrêt important
du 18 janvier 1967 (GAJC, n° 238) et elle le répète constamment depuis.
Ex : dans le cas d’une vente.
- Le vendeur est créancier du prix, mais le prix est payable
dans 1 an.
- La livraison a été faite avec retard. Une clause pénale
oblige le vendeur à verser une somme d’argent en guise de
sanction. Cette obligation réciproque est exigible
immédiatement.
Dans ce cas de figure, la compensation légale ne pourrait pas
jouer, faute d’exigibilité de l’1 des obligations. Toutefois, la
compensation aura lieu ici car les dettes sont connexes.
Deuxièmement, le créancier peut invoquer utilement la
compensation, encore que des tiers aient des droits acquis sur l’une des
195
créances réciproques. En particulier, le droit de compenser les dettes
connexes n’est pas affecté par le transfert de la créance, alors même
qu’elle entraîne la disparition de leur réciprocité originelle.
Ex : cession de la créance de prix résultant d’un contrat de vente.
- Le vendeur est créancier du prix, payable dans 1 an.
- La livraison a été faite avec retard. Une clause pénale
oblige le vendeur à verser une somme d’argent
immédiatement.
- Le vendeur cède sa créance de prix à son banquier, si
bien qu’il n’y a plus de réciprocité. Dans 1 an, la créance
de prix sera exigible, mais il n’y aura toujours pas de
réciprocité entre le cédé et le cessionnaire. La réciprocité
n’existait qu’entre le cédé et le cédant, pas entre le cédé et
le cessionnaire.
La compensation semble impossible. Pourtant, elle est possible
car les dettes sont connexes. Le cédé (l’acheteur) peut invoquer la
compensation contre le banquier qui lui réclame le paiement du prix.
NB : C’est une exception à la règle selon laquelle les exceptions
extérieures à la créance ne sont opposables au cessionnaire que si
elles sont intervenues avant que la cession ne devienne opposable
aux tiers (donc avant sa signification).
Idem en cas de transfert consécutif à une subrogation (là encore
c’est une exception au principe applicable en la matière).
Dans le cadre des procédures collectives, de même, la connexité
autorise la compensation alors qu’en principe, le jugement d’ouverture
interdit le paiement de toute créance née avant ce jugement.
La solution d’origine jurisprudentielle est désormais consacrée
par l’art. L. 622-7 C. com. : « Le jugement ouvrant la procédure
emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née
196
antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par
compensation de créances connexes ».
Ex : vente
- Le vendeur est créancier du prix payable dans 1 an ;
- Le vendeur est débiteur de dommages-intérêts en
raison d’un défaut de la chose vendue.
L’acheteur tombe en « faillite ». Normalement, le vendeur devrait
payer les dommages-intérêts et déclarer sa créance de prix qui n’est
pas encore exigible.
Mais les dettes étant connexes, la compensation peut jouer même
après l’ouverture de la procédure. La compensation remplit ainsi une
fonction de garantie pour le vendeur : il reçoit une satisfaction, en
échappant au concours des autres créanciers de l’acheteur.
La jurisprudence luxembourgeoise semble retenir la même
solution.
Les effets de la compensation sont globalement les mêmes que
ceux de la compensation ordinaire (sauf pour la date de la compensation :
date à laquelle la première créance est devenue exigible). Seules les
conditions de la compensation des dettes connexes sont exorbitantes.
II. LA NOVATION
Invoquée de temps à autre, la novation est rarement admise par
le juge. Cette opération, issue du droit romain, n’est plus très utile
aujourd’hui. Elle aurait dû disparaître du Code civil, mais elle y reste
réglementée, aux art. 1271 et s.
Définition – La novation est une convention par laquelle les
parties décident d’éteindre une obligation ancienne pour la
remplacer par une obligation nouvelle.
197
Une obligation nouvelle naît, différente de l’ancienne, mais
un lien existe entre les deux, en ce sens que l’extinction de l’une a
pour cause la création de l’autre, et réciproquement, la création de
la nouvelle a pour cause l’extinction de l’ancienne.
Ex : dans le cadre d’1 contrat de cautionnement, le créancier,
une banque, poursuit la caution en paiement. La caution demande à la
banque créancière de transformer sa dette de caution en une dette
de prêt (remboursement échelonné). Si les parties sont d’accord, elles
peuvent convenir d’une novation. La nouvelle obligation de
remboursement du prêt est créée afin d’éteindre l’ancienne
obligation de cautionnement.
Distingue la novation de l’opération par laquelle les parties
résilient leur contrat d’un commun accord (mutuus dissensus de l’art.
1134 al. 2 C. civ.) pour conclure, ensuite, un nouveau contrat. La
novation au contraire fait le lien entre l’extinction et la création, ce
qui a des conséquences juridiques.
Ex : dans la novation, si l’ancienne obligation est nulle, la
novation ne peut pas jouer. Ce serait un non-sens d’éteindre une
obligation nulle. Inversement, si la nouvelle obligation est nulle,
l’ancienne revit. Au contraire, en cas de résiliation conventionnelle
suivie de la conclusion d’un nouvel accord, les conventions n’étant
pas liées, la 2nde sera valable même si la première était nulle et
inversement la 1ère obligation sera éteinte même si la nouvelle est nulle.
La novation est un mécanisme ancien, remontant au droit romain.
Elle servait à l’époque à contourner l’intransmissibilité des
obligations. A priori, il n’était pas possible en droit romain de céder une
obligation. Mais grâce à la novation, on pouvait éteindre l’obligation liant
les parties initiales au contrat pour créer une nouvelle obligation liant le
débiteur à un nouveau créancier ou, inversement, le créancier à un
nouveau débiteur.
198
Aujourd’hui, puisque le transfert des obligations est admis, la
novation n’a plus d’intérêt. Du moins, la novation par changement de
créancier a perdu tout intérêt puisque le transfert des créances est
admis et a un régime plus favorable.
Ex : la novation entraînant une extinction de l’ancienne
obligation, les sûretés qui la garantissent disparaissent.
De même, la novation par modification de l’objet de l’obligation
n’est plus utile, puisque les parties peuvent aujourd’hui transformer une
obligation simplement en la modifiant, sans passer par le détour de la
novation qui éteint l’obligation initiale pour en créer une nouvelle.
En pratique, seule la novation par changement de débiteur
présente un intérêt, puisque la cession de dette n’est pas admise.
Plan – On examinera les conditions de la novation (§ 1) puis ses
effets (§ 2).
§ 1. Les conditions de la novation
Elles sont au nombre de 3.
1 re condition : il faut que 2 obligations se succèdent dans le temps.
Cela suppose donc l’existence d’une obligation ancienne. Par
conséquent, il n’y a pas de novation si l’ancienne obligation était déjà
éteinte ou si elle était nulle.
L’obligation nouvelle doit aussi être valable. A défaut, les
parties restent liées par l’obligation ancienne, qui revit puisque son
extinction était causée par la création d’une obligation nouvelle.
2 e condition : il faut que les parties aient exprimé leur intention de
nover, c’est-à-dire non seulement de créer une obligation nouvelle
(distingue la novation de la simple modification du contrat), mais aussi
d’établir un lien de causalité entre l’extinction de l’ancienne obligation
199
et la création de la nouvelle (distingue la novation de la résiliation suivie
de la conclusion d’un nouveau contrat).
Cette intention de nover doit être établie par celui qui s’en
prévaut. La novation ne se présume pas dit l’art. 1273 C. civ. La
novation ne doit pas nécessairement être expresse mais l’animus novandi
doit résulter clairement de l’acte.
3 e condition : il faut que la nouvelle obligation comporte un élément
nouveau par rapport à l’ancienne obligation.
L’élément nouveau peut être le changement d’une partie à
l’obligation :
- soit le changement de créancier ;
- soit le changement de débiteur.
NB : Il faut alors le consentement des trois parties à
l’opération (les deux parties initiales et la nouvelle). Nouvel
inconvénient de la novation.
L’élément nouveau peut être le changement de l’obligation elle-
même :
- soit le changement d’objet de l’obligation : les parties
conviennent que le débiteur devra fournir une prestation
différente de celle prévue initialement.
[NB : C’est dans cette hypothèse qu’il est particulièrement difficile
de distinguer la novation de la dation en paiement, de la simple
modification ou de la résiliation suivie la conclusion d’un nouvel
accord. Les frontières sont floues et la jurisprudence hésitante.]
- soit le changement de cause de l’obligation. Le débiteur
fournit la même prestation, mais à un nouveau titre.
Théoriquement concevable mais difficile à illustrer.
§ 2. Les effets de la novation
200
Par définition, la novation entraîne l’extinction de l’obligation
initiale et la création d’une obligation nouvelle. D’où la satisfaction
indirecte du créancier.
Plusieurs conséquences en découlent :
- Les caractères de l’obligation ancienne ne se
communiquent pas à l’obligation nouvelle. Ex : nature
civile ou commerciale ; délai de prescription.
- Les sûretés accessoires à l’obligation ancienne sont
éteintes ; elles ne se reportent pas sur l’obligation nouvelle.
Toutefois, les parties peuvent prévoir une clause
contraire :
o S’agissant des sûretés personnelles, si l’obligation
ancienne comportait des codébiteurs solidaires ou des
cautions, l’art. 1281 al. 3 permet au créancier de
conclure la novation sous la condition que les
codébiteurs prennent tous un nouvel engagement
solidaire envers lui ou que les cautions donnent à
nouveau leur garantie (lourd !).
o S’agissant des sûretés réelles, l’art. 1278 autorise le
report de ces sûretés sur la nouvelle obligation à
condition que les parties l’aient stipulé au moment
de la novation, et sauf si l’on est en présence d’une
novation par changement de débiteur (v. art. 1279 C.
civ.)
III. LA CONFUSION
Définition – Art. 1300 C. civ. : « Lorsque les qualités de créancier
et de débiteur se réunissent dans la même personne, il se fait une
confusion de droit qui éteint les deux créances ».
201
La confusion s’applique dans la situation où la même personne
cumule les qualités de créancier et de débiteur à propos d’une
même créance. La confusion est donc proche de la compensation, qui
diffère seulement de la confusion en ce qu’elle joue entre deux personnes.
Ex : Dans le cadre d’une succession, il peut y avoir confusion si un
créancier hérite de son débiteur ou si un débiteur hérite de son créancier.
Par exemple, un père prête de l’argent à son fils puis décède ; le fils
hérite alors de la créance de remboursement dont il était débiteur envers
son père ; l’obligation s’éteint car le fils devient son propre créancier
pour le remboursement de la dette de prêt.
Hypothèse également fréquente en cas de fusion de deux sociétés
dont l’une était créancière de l’autre.
Les conditions de la confusion se résument en 2 points :
- il faut que le débiteur recueille la créance dont il est
débiteur ou le créancier la dette dont il est créancier.
La confusion implique donc une transmission, soit à cause de
mort (succession) soit entre vifs (vente, cession…)
- Toutes les créances sont susceptibles de confusion. Il n’y a
pas lieu de distinguer la source de l’obligation ou sa nature
(civile ou commerciale).
Effets – La confusion éteint l’obligation transmise.
NB : Certains auteurs considèrent que la confusion est plutôt une
cause de paralysie de l’obligation (liée à l’impossibilité d’agir contre soi-
même).
Intérêt de cette analyse ? La dette demeure.
Ex : un locataire achète l’immeuble qu’il loue. Le bail s’éteint
par confusion puisque le locataire cumule les qualités de preneur et
bailleur. Mais si l’on admet que la confusion n’éteint pas l’obligation,
mais la paralyse seulement, alors si la vente est annulée ou résolue
202
(faute de paiement du prix par exemple), le bail « ressuscite », puisqu’il
n’était pas éteint, mais seulement « gelé » en quelques sortes.
Il y a quelques décisions en ce sens, mais assez rares, et la
lettre du Code civil va clairement en sens contraire, puisqu’elle classe
la confusion parmi les causes d’extinction de l’obligation (v. art. 1234 C.
civ.).
Cette extinction peut être partielle ou totale selon les
circonstances.
Ex : prêt accordé par le père à l’un de ses 2 fils. Décès du père.
Le fils hérite de la moitié seulement du patrimoine de son père. La
confusion n’entraîne alors qu’une extinction partielle, à hauteur de la part
successorale du fils. La dette n’est donc éteinte que pour moitié ; elle
subsiste pour le reste. Le fils devra donc rapporter à la succession la ½
de la créance.
IV. LA DATION EN PAIEMENT
Définition – La dation en paiement est une convention par
laquelle le créancier accepte de recevoir autre chose que ce qui
est dû.
Elle est dangereuse tant pour le débiteur, qui risque de
consentir sous la contrainte à transférer à son créancier une chose de
valeur supérieure au montant de sa dette, que pour les créanciers du
débiteur.
Cette opération a déjà été étudiée au titre du paiement. On
formulera donc seulement quelques remarques sur son fondement, sa
définition et sa nature juridique.
S’agissant du fondement de la dation en paiement, elle n’est pas
explicitement prévue par le Code civil, mais on peut la fonder sur une
203
interprétation a contrario de l’art. 1243 C. civ. : « le créancier ne peut
être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due ». Il
ne peut être contraint, mais il est libre d’y consentir librement.
Mais la dation en paiement peut plus simplement être fondée sur le
principe de la liberté contractuelle.
Notion ? C’est une convention extinctive.
Est-ce une convention translative ? Oui à l’origine. Le terme
« dation » vient de dare qui signifie transférer la propriété. Il n’y aurait
donc pas de dation si le créancier accepte une prestation de
service à la place de l’objet initial. La dation supposerait toujours
qu’il reçoive la propriété d’un bien. C’est d’ailleurs l’hypothèse la plus
fréquente en pratique. Mais la doctrine moderne défend une
conception plus large de la dation en paiement et considère que la
nature de la prestation substituée devrait être indifférente.
Ex : on pourrait qualifier de dation en paiement l’accord par lequel
un restaurateur accepte que son client incapable de payer l’addition
« fasse la plonge » pour payer sa dette.
Nature juridique ? Pour cerner la nature juridique de la dation en
paiement, il faut la comparer à des notions voisines. De cette manière, on
saura si la dation en paiement a une nature juridique propre, ou si elle
n’est que la variante d’une notion déjà existante.
Dation en paiement/vente – On pourrait d’abord penser que la
dation en paiement est une vente suivie d’une compensation. Le
débiteur vendrait un bien à son créancier et le prix dû par le créancier se
compenserait avec la dette initiale. Au soutien de cette analyse, on fait
observer que la jurisprudence applique à la dation en paiement certaines
des règles applicables à la vente (ex : rescision pour lésion des ventes
d’immeubles ; obligation de garantie…). Cependant, la similitude des
régimes juridiques n’implique pas nécessairement l’identité des natures
204
juridiques. De plus, cela n’explique pas correctement le régime de la
dation en paiement.
Ex : si la dette initiale est nulle, le débiteur peut obtenir la
restitution du bien qu’il a remis en paiement (paiement indû). S’il
s’agissait d’une vente avec compensation, la compensation serait écartée
en raison de cette nullité, mais la vente resterait valable, excluant toute
restitution.
Dation en paiement/paiement – La dation en paiement ne serait
qu’un mode anormal de paiement. Parce qu’il est anormal, des règles
spéciales s’y appliquent comme l’annulation de la dation en paiement
faite pendant la période suspecte ou la possibilité d’exercer l’action
paulienne. Mais, pour le reste, la dation ne serait qu’un paiement.
L’inconvénient de cette thèse est qu’elle n’explique pas pourquoi une
convention est nécessaire à la validité de la dation en paiement.
Pourquoi faut-il une convention s’il n’y a rien d’autre qu’un paiement ? En
réalité, la convention est un élément supplémentaire par rapport au seul
fait de payer. Et cette convention étant de l’essence même de la dation en
paiement, cette dernière ne saurait être ramenée à un paiement.
Dation en paiement/novation – Certains ont soutenu que la dation
en paiement n’était qu’une forme de novation : une novation par
changement d’objet. Si l’obligation initiale s’éteint, c’est parce que les
parties ont conclu une convention novatoire. La seule spécificité
tiendrait au fait que l’obligation nouvelle s’exécute immédiatement,
alors que dans la novation ordinaire, l’exécution de l’obligation
nouvelle est différée par rapport à la disparition de l’ancienne
obligation.
Ex du client du restaurant :
- soit il fait la vaisselle tout de suite et c’est une dation en
paiement.
- soit le client contracte une nouvelle obligation : « je
m’engage à venir faire la vaisselle demain ». C’est une
205
nouvelle obligation qui devra être exécutée et qui est créée
pour éteindre l’ancienne. Il s’agit d’une novation.
La confusion entre dation en paiement et novation est censurée par
la Cour de cassation, mais le critère de distinction n’est pas évident. Pour
les distinguer, on peut rechercher si les parties ont eu l’intention de
créer une nouvelle obligation. Puisque la novation suppose une
intention de nover et que cette intention ne se présume pas, il faut en
principe considérer qu’il y a eu dation en paiement (voire une simple
modification de l’obligation). Conséquence pratique : la survie des
sûretés attachées à l’obligation exécutée par le biais d’une dation en
paiement (cf. l’extinction des sûretés attachées à l’obligation novée par
changement d’objet).
Transition : voilà qui achève l’étude des modes d’extinction de
l’obligation qui offrent une satisfaction indirecte de l’obligation. Il reste à
voir les causes d’extinction dans lesquelles le créancier ne reçoit ni
satisfaction directe, ni satisfaction indirecte.
206
Chapitre II – L’EXTINCTION SANS SATISFACTION DU CRÉANCIER
Parfois, l’obligation s’éteint sans que le créancier n’obtienne ce qui lui
était dû, pas même indirectement. Cela peut résulter soit de la volonté
du créancier, soit de l’écoulement du temps.
Plan : La remise de dette (Section I) ; la prescription extinctive (Section
II).
I. LA REMISE DE DETTE
Définition et nature juridique – La remise de dette est une
convention conclue entre un créancier et son débiteur par laquelle le
créancier renonce à sa créance.
La remise doit être acceptée par le débiteur. C’est une
convention extinctive et non pas un acte unilatéral de renonciation.
Le consentement, même tacite, du débiteur est une condition
nécessaire. Certes, on voit mal a priori pourquoi le débiteur refuserait
une offre qui est dans son intérêt. Mais comme toujours en matière de
libéralités, la personne gratifiée peut avoir des raisons personnelles de
refuser de se voir conférer un avantage par l’auteur de la libéralité.
Puisque la remise de dette est une convention librement conclue
par les parties, elle ne doit pas non plus être confondue avec les mesures
qui peuvent être imposées au créancier par le juge dans le cadre des
procédures d’insolvabilité. Incidence pratique : La caution et le
codébiteur bénéficient de la remise de dette, alors qu’ils ne peuvent pas
se prévaloir des mesures prises dans le cadre d’une procédure collective
ou de surendettement.
La remise de dette est effectuée à titre gratuit : le créancier ne
demande aucune contrepartie en échange. S’il est mû par une
207
intention libérale, la remise de dette est le moyen de faire une donation
indirecte. Il en résulte des conséquences successorales et fiscales.
Mais la gratuité n’exclut pas l’intérêt : le créancier peut agir par
intérêt, sacrifiant une partie de sa créance pour sécuriser le paiement
d’une autre partie.
Ex : le débiteur est en difficulté. Plutôt que de prendre le risque de
voir le débiteur devenir insolvable et de ne rien obtenir, le créancier
réduit la dette et obtient un paiement. La remise de dette est dans son
intérêt bien compris. Elle est un acte à titre gratuit (sans contrepartie),
sans être une donation indirecte (pas d’intention libérale).
Les conditions de la remise de dette : cf. droit commun des
contrats.
Les articles 1282 et s. du Code civil traitent de la preuve et des
effets de la remise de dette. On les envisagera successivement : la preuve
(§ 1) puis les effets (§ 2) de la remise de dette.
§ 1. La preuve de la remise de dette
La remise de dette étant une convention, sa preuve obéit au régime
des actes juridiques. En principe, elle doit donc être prouvée par écrit,
sous réserve des exceptions habituelles.
PB : la remise est souvent tacite en pratique. C’est la raison pour
laquelle le Code civil édicte une présomption de libération du débiteur.
V. art. 1282 : « La remise volontaire du titre original sous
signature privée, par le créancier au débiteur, fait preuve de la
libération » et art. 1283 : « La remise volontaire de la grosse du titre fait
présumer la remise de la dette ou le paiement, sans préjudice de la
preuve contraire ».
NB : Grosse = copie d’un jugement ou d’un acte notarié comportant la
formule exécutoire.
NB : La présomption joue si la remise du titre est véritablement
volontaire.
208
PB : Quelle est la force de la présomption ?
Ainsi que le montrent les art. 1282 et 1283, la force de la
présomption varie selon que l’original du titre ou une simple copie est
remise :
- La présomption est irréfragable lorsque le créancier
remet volontairement au débiteur le titre original de l’acte
sous seing privé constatant la créance. En donnant l’original,
le créancier se prive du moyen de prouver sa créance, donc
il renonce à en réclamer le paiement.
- La présomption est simple lorsque le créancier remet la
copie exécutoire (« grosse ») du titre authentique. Il
n’abandonne qu’une copie et non plus l’original, ce qui
explique que la présomption soit moins forte.
§ 2. Les effets de la remise de dette
La remise de dette libère le débiteur, totalement ou partiellement
selon l’intention des parties.
Le Code civil précise les effets de la remise de dette en
présence de codébiteurs et d’un cautionnement.
D’abord, en présence de codébiteurs, il faut distinguer :
- si les codébiteurs sont conjoints, la remise de dette à l’un éteint sa
dette, mais pas celle des autres.
- si la dette est solidaire, à l’inverse, la remise produit effet à
l’égard de tous les débiteurs. Cela résulte de l’art. 1284 qui vise
l’hypothèse d’une remise présumée. L’art. 1285 énonce la même règle,
mais cette fois-ci lorsque la remise de dette n’est pas présumée.
Pourquoi ? Parce qu’il n’y a qu’une seule dette ; le créancier renonce à
cette dette ; donc tous en profitent.
209
Exception : Le créancier qui consent une remise de dette à un
codébiteur solidaire peut, par une stipulation, réserver ses droits
contre les autres débiteurs. Le créancier accepte ainsi de libérer l’un
de ses codébiteurs, mais pas les autres, qu’il peut toujours poursuivre.
Mais afin que la dette des codébiteurs qui restent tenus ne soit pas
injustement alourdie, le Code civil précise que le créancier ne pourra
agir contre les codébiteurs que « déduction faite de la part de celui
auquel il a fait la remise » (art. 1285 al. 2). Donc, par ce biais, les
codébiteurs profitent de la remise accordée à l’un d’entre eux, à
concurrence de la part que celui-ci devait supporter.
Ex : 3 codébiteurs pour une dette de 300. Le créancier consent à
l’un d’eux seulement une remise de 100. Le créancier se réserve la
possibilité de poursuivre les 2 codébiteurs restants. Combien peut-il leur
réclamer ? 300 ou 200 ? 200 dit le Code civil. Et conformément aux règles
habituelles, le codébiteur qui paie 200 dispose d’un recours contre l’autre
à hauteur de 100.
Ensuite, s’agissant du cautionnement, la remise accordée au
débiteur principal libère la caution, en raison du caractère
accessoire du cautionnement. V. art. 1287 C. civ.
Le texte précise que s’il y a plusieurs cautions, la remise
accordée à l’une des cautions ne libère pas les autres – même si le
cautionnement est solidaire. Toutefois, la remise ne saurait là non plus
alourdir la charge des autres cautions. De sorte que, si le
cautionnement est simple, le bénéfice de division pourra être invoqué
comme s’il n’y avait pas eu de remise au profit de l’une des cautions (2
personnes cautionnent une dette de 200 ; l’une des cautions est libérée ;
l’autre peut invoquer le bénéfice de division comme s’il y avait toujours 2
cautions et ne payer que 100). Si le cautionnement est solidaire, les
cautions ne peuvent être poursuivies que déduction faite de la part de
la caution bénéficiaire de la remise (3 personnes cautionnent une dette
de 300 ; l’une des cautions est libérée à hauteur de 100 mais le créancier
réserve ses droits à l’égard des autres ; les 2 autres cautions restent
210
solidairement tenues à l’égard du créancier, mais déduction faite de la
part de la caution libérée, donc à hauteur de 200).
II. LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE
Toutes les actions en justice sont soumises à un délai de
prescription, au-delà duquel l’action ne peut plus être intentée. Ex :
prescription de l’action en nullité du contrat, d’une durée variable
selon que la nullité est relative ou absolue.
Ici, c’est à la prescription de l’action en exécution des
obligations que nous allons nous intéresser. Le mécanisme conduit à
l’extinction de l’obligation puisque celle-ci ne peut plus être
juridiquement sanctionnée.
Cf. art. 2219 C. civ. fr. : « La prescription extinctive est un mode
d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un
certain laps de temps ».
Rq : Quel est le fondement de la prescription ? Pourquoi le
passage du temps entraîne-t-il l’extinction de l’obligation ?
Il y a plusieurs explications au mécanisme de la prescription :
- Paix sociale : il ne faut pas modifier les situations figées, ou
du moins stables, il faut respecter le statu quo pour ne pas
troubler l’ordre social. La prescription contribue ainsi à la
sécurité juridique en empêchant des revendications tardives.
- Autre explication : la présomption de paiement. Si le
créancier n’a jamais poursuivi le débiteur, c’est
probablement parce qu’il a déjà été payé par le débiteur.
- Intérêt social : éviter l’encombrement des tribunaux et
éviter les difficultés de preuve, d’autant plus grandes que
le temps s’écoule. La prescription évite au débiteur et à ses
successeurs de conserver les preuves du paiement
indéfiniment.
211
- Protection du débiteur . La prescription évite
l’accumulation de la dette. Si la dette est périodique, le
risque est que le débiteur soit écrasé sous le poids de la
dette. La prescription oblige le créancier à se manifester.
- La prescription peut également avoir pour objet et pour effet
d’inciter le professionnel à recouvrer ses dettes rapidement
pour que le débiteur soit libéré et pour limiter les risques de
non recouvrement de la dette.
CCL° : Multiples explications.
NB : Au Luxembourg comme en France, la prescription est régie
par les articles 2219 et s. C. civ. Toutefois, ces dispositions ont été
récemment réformées en France, par une loi du 17 juin 2008. Les
dispositions françaises et luxembourgeoises diffèrent donc aujourd’hui
sur ce point. En substance, toutefois, les solutions retenues ne sont pas
fondamentalement différentes, sauf sur la question des délais eux-
mêmes. Mais le mécanisme de base de la prescription demeure
similaire.
Plan – C’est ce que l’on verra en étudiant tout d’abord le délai de
prescription (§ 1), puis le mécanisme de la prescription (§ 2) et enfin les
effets de la prescription extinctive (§ 3).
§ 1. LE DÉLAI DE PRESCRIPTION
On verra d’abord la durée du délai (A) puis son déroulement (B).
A. La durée des délais
PB1 : Qui fixe la durée ? Dans l’Ancien droit, ce pouvoir
appartenait au juge. Il fixait le délai de prescription, variable selon la
région, et pouvait le modifier par souci d’équité.
212
Avantage : permettait de tenir compte du comportement du
débiteur (sa bonne ou mauvaise foi) et de celui du créancier (par
exemple, en abrégeant la prescription si le créancier est resté
complètement passif).
Inconvénient : Imprévisibilité et insécurité juridique pour le
créancier. Or, il est essentiel pour le créancier de savoir de combien de
temps il dispose pour recouvrer sa créance. Cette imprévisibilité était
donc particulièrement préjudiciable et elle était perçue comme le résultat
de l’exercice d’un pouvoir arbitraire par le juge.
La durée des délais de prescription est aujourd’hui fixée par le
législateur (1). La prescription est légale et non plus judiciaire. Mais les
parties peuvent modifier cette durée (2).
1. La durée légale
La récente réforme française s’explique notamment par le fait que
l’état du droit positif sur ce point n’était pas satisfaisant : la Cour de
cassation avait recensé plus de 250 délais de prescription différents
dont la durée variait de 30 ans à un mois. C’était une complexité
tout à la fois :
- néfaste, car la diversité des délais crée des incertitudes qui
génèrent du contentieux et de l’insécurité juridique ;
- et injustifiée, car les écarts d’un délai de prescription à
l’autre n’étaient pas toujours rationnels.
Sur ce point, la loi du 17 juin 2008 apporte certaines améliorations
mais elle ne résout pas entièrement le problème. De nombreux délais
spéciaux demeurent.
Pour classer ces délais, très variables et éparpillés dans tous les
Codes (Code civil, C. com., C. cons., C. Ass., etc.), le plus simple est
encore de prendre en considération leur longueur. On peut alors
distinguer les 3 catégories suivantes : les prescriptions longues,
moyennes et courtes.
213
a. Prescriptions longues (plus de 10 ans)
La prescription la plus longue est la prescription trentenaire
(d’une durée de 30 ans). Elle était traditionnellement la prescription
de droit commun en France comme au Luxembourg, applicable en
l’absence de dispositions légales spéciales contraires ou en l’absence de
stipulations contractuelles prévoyant un autre délai.
Cette solution demeure valable au Luxembourg.
En matière civile, l’art. 2262 C. civ. lux. dispose que « Toutes les
actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ».
Ex : 30 ans pour réclamer le prix dans une vente civile.
Mais cette solution, qui date donc de 1804, est critiqué aujourd’hui
pour sa longueur excessive, qui entraîne un risque de dépérissement
de la preuve, préjudiciable au débiteur (ou à ses héritiers) lorsqu’il doit
prouver que le paiement a été effectué 25 ou 30 ans après celui-ci. La
prescription trentenaire est en outre isolée aujourd’hui en droit comparé.
Ex : en droit allemand le délai de droit commun est de 3 ans.
Le législateur français a donc modifié cette solution par la loi du
17 juin 2008, qui réduit le délai de droit commun à 5 ans (art. 2224 C.
civ. fr.)
Cependant la prescription trentenaire demeure applicable en
droit français pour certaines actions. Ex : actions réelles
immobilières (art. 2227) ; nullité du mariage faute de consentement
réel et sérieux ; actions en réparation d’un dommage à
l’environnement (art. L. 152-1 C. env.)
A côté de la prescription trentenaire, existe aussi en droit positif
une prescription décennale (10 ans), dont le domaine est assez vaste :
- au Luxembourg c’est la prescription de droit commun pour
les obligations commerciales, contractuelles comme
délictuelles (art. 189 C. com. lux.) Ce n’est plus le cas en
214
France depuis la loi du 17 juin 2008 (art. L. 110-4 C.
com. : 5 ans – idem matière civile).
- en France, le délai de 10 ans est celui applicable notamment
à l’action en responsabilité civile de la victime, directe ou
indirecte, d’un dommage corporel (art. 2226 al. 1) et à
l’action en exécution forcée des jugements (L. 9 juillet
1991, art. 3-1, al. 1).
- En France comme au Luxembourg, le délai de 10 ans est
applicable à la responsabilité contractuelle du propriétaire
d’un immeuble contre ceux qui l’ont construit (architecte et
entrepreneur) pour vice de construction (art. 1792 C. civ.
lux. ; art. 1792-4-1 C. civ. fr.)
b. Prescriptions moyennes (de 3 à 5 ans)
La prescription quinquennale (5 ans) est la prescription de droit
commun en France.
V. art. 2224 C. civ. : « Les actions personnelles ou mobilières se
prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a
connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Au Luxembourg, elle est applicable par exemple :
- aux actions en nullité relative d’une obligation
contractuelle (C. civ. lux. art. 1304),
- à la prescription des créances périodiques (art. 2277 C.
civ.)
Art. 2277 al. 2 : « Se prescrivent par cinq ans les actions de
payement :
Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des
pensions alimentaires ;
Des loyers et fermages ;
Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est
payable par année ou à des termes périodiques plus courts ».
215
L’objectif de ce texte est d’éviter que la dette ne s’accumule
trop, donc de protéger le débiteur contre sa propre ruine. C’est
pourquoi au bout de 5 ans, l’action s’éteint. La loi punit ainsi le créancier
dont l’inaction est, en l’occurrence, répréhensible, car elle fait peser sur
le débiteur une charge croissante (alors qu’il est toujours plus facile de
payer une somme en plusieurs fois qu’en une seule).
NB : Pourtant, l’action en répétition de sommes indues versées
périodiquement reste soumise à la prescription de droit commun.
Trois conditions doivent être remplies pour que l’art. 2277
s’applique :
- Premièrement, il faut que la dette soit périodique. Cette 1re
condition est essentielle : c’est en effet la périodicité de la dette qui
porte en elle le risque de ruine.
- Deuxièmement, il faut que le montant périodique soit déterminé.
Donc, l’art. 2277 ne s’applique pas aux créances dont le principe ou le
montant est conflictuel, aux créances dont la fixation dépend
d’éléments ignorés par le créancier, notamment de déclarations par le
débiteur, ou aux créances indéterminées et variables, telle l’action en
recouvrement des charges de copropriété.
- Troisièmement, la prescription ne s’applique qu’aux termes
périodiques et non au titre qui leur a donné naissance.
Ex1 : La prescription quinquennale s’applique à chaque terme de la
rente viagère, mais le droit à la rente viagère obéit à la prescription de
droit commun (30 ans).
Ex 2 : le bailleur perd le loyer s’il oublie d’en réclamer le paiement
pendant 5 ans, mais il peut réclamer les loyers suivants.
Ex 3 : un jugement est un titre dont l’exécution relève de la
prescription trentenaire (au Lux.) ; supposons que le jugement
reconnaisse l’existence d’une créance payable à termes périodiques (ex :
créance de loyers) ; cette reconnaissance ne change pas la nature de la
créance : elle reste périodique, de sorte que la prescription applicable est
de 5 ans. On voit donc bien la distinction entre le titre et les termes
216
périodiques : il est possible de poursuivre l’exécution du jugement
condamnant au paiement d’une somme payable à termes périodiques
pendant 30 ans, mais en vertu de l’art. 2277 C. civ., le créancier ne peut
obtenir le recouvrement des termes échus que pour une période de 5 ans.
Autre prescription d’une durée moyenne : la prescription
quadriennale (4 ans). Elle est applicable à toutes les dettes de l’Etat et
des personnes morales de droit public.
Existe également une prescription triennale (3 ans) notamment
pour :
- l’action en réparation du dommage causé par un produit
défectueux (art. 1386-17 C. civ. en France ; L. 21 avril
1989, art. 7 au Luxembourg) ;
- l’action en paiement des salaires au Luxembourg (art.
2277 al. 1 C. civ. lux.)
- les actions dérivant d’un contrat d’assurance au
Luxembourg (L. 27 juillet 1997, art. 44).
c. Prescriptions courtes (moins de 2 ans)
Traditionnellement, on considère comme « courtes » les
prescriptions d’une durée inférieure à 2 ans. Ces prescriptions sont très
nombreuses. Voici quelques exemples :
Sont soumises à un délai de prescription de 2 ans notamment :
- l’action en garantie des vices cachés en France (art. 1648
C. civ.)
- les actions dérivant d’un contrat d’assurance en France
(C. Ass. art. L. 114-1).
Sont soumises à un délai de prescription de 1 an notamment :
217
- l’action en garantie des vices cachés au Luxembourg (art.
1648 C. civ.)
Exemples de prescriptions inférieures à 1 an :
- au Luxembourg 6 mois pour l’action des hôteliers et
restaurateurs pour le logement et la nourriture qu’ils
fournissent (C. civ. art. 2271) ;
- en France 3 mois pour l’action en réparation du dommage
causé par un délit de presse (L. 1881)
Rq1 : une prescription courte ne profite pas nécessairement
au débiteur. Certes, à première vue, plus le délai est bref, plus il a de
chances d’échapper au paiement. En vérité, c’est plutôt le résultat
inverse qui se produit : plus le délai est bref, moins le créancier est
tolérant. Sachant qu’il n’a guère de temps pour recouvrer sa créance, il
se fera très pressant.
Rq2 : Lorsqu’elles s’appliquaient à des actions en paiement, ces
courtes prescriptions étaient traditionnellement fondées sur une
présomption de paiement, l’idée étant que si le créancier n’a pas
exercé d’action, c’est sans doute qu’il a été payé. Mais la présomption
était simple : si le débiteur avouait qu’il n’avait pas payé, la prescription
était écartée. Ce mécanisme, dénommé « prescription présomptive »,
demeure au Luxembourg (ex : pour la prescription des hôteliers et
restaurateurs), mais pas en France, où il a été abrogé par la loi de 2008
parce qu’inutilement complexe.
CCL° : On le voit les délais sont très variés et la matière demeure
assez désordonnée. La variété potentielle des délais de prescription est
renforcée par le fait que la loi fixant les délais de prescription n’est pas
impérative : elle laisse place aux aménagements conventionnels.
218
2. Les aménagements conventionnels
Il faut trouver un équilibre entre :
- d’un côté, la liberté contractuelle
- de l’autre, l’intérêt public : celui des tribunaux et celui
tenant à la protection de la partie faible ; on peut
craindre en effet que la partie forte profite à l’excès de son
pouvoir pour réduire les droits de la partie faible en
stipulant des délais de prescription extrêmement courts. En
droit français, les modifications conventionnelles du délai
de prescription sont ainsi prohibées en matière
d’assurance (C. ass. art. L. 114-3) et de consommation (C.
conso. art.L.137-1).
Traditionnellement l’article 2220 C. civ. interdisait au débiteur
de renoncer par avance à une prescription en cours. En revanche,
on pouvait renoncer à une prescription acquise (= lorsque le délai de
prescription a fini de s’écouler).
Cet article avait 3 séries de conséquences.
1 re conséquence : la jurisprudence en déduisait qu’il était possible
de raccourcir le délai par avance, i.e. obliger le créancier à agir plus
vite. La Cour de cassation l’avait admis dès le milieu du 19e siècle,
sans doute dans l’intérêt du débiteur. Les clauses stipulant un délai de
prescription plus court que le délai légal étaient donc admises, à moins
que le délai stipulé ne fût excessivement bref. Il ne faut pas rendre
illusoire l’exercice du droit du créancier.
2 e conséquence : la jurisprudence admettait également que les
parties s’accordent pour suspendre la prescription, une fois qu’elle a
commencé à courir. C’était particulièrement utile en cas de difficulté
dans l’exécution d’un contrat pour permettre une négociation entre les
parties lorsque la prescription était courte. V. not. Com., 30 mars 2005,
Bull. civ. IV, n° 75.
219
3 e conséquence : il n’était en revanche pas possible d’allonger le
délai de prescription. Une telle clause était nulle comme contraire à
l’art. 2220 C. civ., car ce type de clauses était analysé comme un moyen
de contourner l’interdiction légale de renoncer par avance à une
prescription. On y voyait une forme de renonciation anticipée
interdite.
Ces solutions sont a priori toujours valables au Luxembourg,
dans la mesure où l’article 2220 demeure inchangé.
En France en revanche, la loi du 17 juin 2008 a remplacé l’article
2220 par un nouvel article 2254 du Code civil qui confirme la possibilité
offerte aux parties d’abréger la prescription ou de la suspendre, mais
leur permet également de l’allonger. La liberté des parties est ainsi
généralisée mais elle est aussi encadrée. Si la prescription est abrégée
par les parties, elle ne peut être réduite à moins d’un an. Si elle est
allongée, elle ne peut être étendue à plus de 10 ans.
Exceptions : la prescription ne peut être aménagée par convention
en matière de salaire, de loyers, de pensions alimentaires, etc.
B. Le déroulement du délai
Nous verrons d’abord le mode de computation du délai, ensuite
l’interruption et la suspension du délai de prescription.
1. La computation du délai de prescription
2 points à préciser :
Quel est le point de départ ?
Quel est le mode de calcul ?
220
Le point de départ – C’est très important, surtout lorsque la
prescription est courte.
Il n’est pas nécessairement fixé à la date de naissance de la
créance, parce que bien souvent, le créancier ne peut pas poursuivre son
débiteur dès cette date.
Le point de départ du délai de prescription se situe en principe
au jour où l’obligation devient exigible (C. civ. lux., art. 2257 ; C.
civ. fr., art. 2233, 3°). Si la dette est périodique (ex : loyers), chaque
fraction se prescrit de façon autonome à partir de son échéance propre.
La prescription se divise : il y a autant de délais et de points de
départ que de termes.
De même, si l’obligation est affectée d’une condition suspensive,
la prescription ne court qu’à partir du jour où la condition se réalise
(C. civ. lux. art. 2257 ; C. civ. fr., art. 2233, 1°), malgré le fait que la
réalisation de la condition est censée confirmer rétroactivement la
naissance de l’obligation au jour de la conclusion du contrat.
En résumé, pour qu’un droit se prescrive, il faut non seulement
qu’il soit né, mais aussi qu’il puisse être exercé. L’idée est exprimée
plus généralement par les nouveaux articles 2224 pour la prescription
quinquennale de droit commun et 2227 pour la prescription trentenaire
du Code civil français : la prescription court « à compter du jour où le
titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui
permettant de l’exercer ».
Il est possible que le point de départ du délai soit reporté au-
delà du jour où le droit est né et est devenu exigible.
Ex : action en nullité pour vice du consentement. La prescription
court, non pas au jour de l’acte irrégulier, mais au jour où l’erreur a été
découverte ou au jour où la violence a cessé.
Ex : l’action en responsabilité civile délictuelle court à compter
de la date à laquelle la victime a eu ou aurait dû avoir connaissance du
221
dommage (C. civ. fr., art. 2226 : à compter de la date de
consolidation du dommage pour les dommages corporels).
Ex : l’action en responsabilité contractuelle court à compter de
la date à laquelle le manquement est révélé au créancier, si celui-ci
prouve qu’il n’en avait pas eu connaissance.
Le mode de calcul –
Il ne suffit pas de connaître le point de départ du délai de
prescription pour pouvoir le calculer ; il faut encore en déterminer la
durée précise. Selon l’art. 2260 C. civ. lux. / 2228 C. civ. fr., « la
prescription se compte par jours, et non par heures ». Un jour est une
période invariable de 24 heures consécutives, ayant pour point de départ
00h00 et pour point d’arrivée 24h00. La prescription se compte par jours
entiers. Par conséquent, le jour de départ (dies a quo) n’est pas compté :
il est nécessairement entamé, ne serait-ce que d’une seconde. Donc, le
délai commence à courir le lendemain de l’événement qui
déclenche l’écoulement du délai de prescription, à 00h00.
Ex : si une créance devient exigible le 1er janvier, le délai de
prescription commence à courir le 2 janvier à 00h00.
L’article 2261 C. civ. lux. / 2229 C. civ. fr. nous renseigne sur le
point d’arrivée. Ce texte indique que la prescription « est acquise
lorsque le dernier jour du terme est accompli ». Le dernier jour (dies
ad quem) est compté.
Ex : même exemple en supposant une prescription de 1 an. La
prescription a commencé à courir le 2 janvier à 00h00 et s’achève le 2
janvier de l’année suivante à 24h00.
Si la prescription se calcule en mois, le dernier jour est celui qui
porte le même quantième que le premier jour.
Ex : si la prescription est de 6 mois et qu’elle commence à courir le
2 janvier, elle s’achève le 2 juillet à 24h00.
222
Le caractère férié ou chômé du jour est sans importance pour le
jour de départ. Si une créance devient exigible le 31 décembre d’une
année, le dies a quo est le 1er janvier de l’année suivante, même si c’est
un jour férié. Pas nécessaire de reporter le départ de la prescription au 2
janvier. En revanche, on tient compte du fait que le dernier jour soit un
jour férié ou chômé.
Ex : une prescription d’1 an qui commence à courir le 1er janvier à
00h devrait s’achever le 1er janvier de l’année suivante à 24h00, mais
comme il est impossible d’agir ce jour là (le tribunal est fermé) on reporte
la fin de la prescription au jour suivant, le 2 janvier à 24h00 donc.
Solution prévue par l’art. 642 CPC fr. a priori plutôt pour les délais de
procédure, et non pour les délais de prescription. Mais la Cour de
cassation y voit un texte de portée générale.
Les règles de computation n’épuisent pas la question du
déroulement du délai de prescription. Le déroulement bute parfois sur
des obstacles qu’il faut à présent envisager.
2. L’interruption et la suspension du délai de
prescription
L’interruption et la suspension ont en commun de contrarier
l’accomplissement normal du délai de prescription. Mais, l’une et l’autre
ne doivent pas être confondues.
L’interruption est un arrêt complet de la prescription. On repart
de zéro. (a)
La suspension est au contraire provisoire. Lorsque la prescription
reprend son cours normal, la période de suspension est simplement
décomptée. (b)
Ex : Prescription de 2 ans. Si au bout d’un an survient un
événement interrompant la prescription, celle-ci repart de zéro. A
compter de la survenance de l’événement, le créancier a un nouveau
223
délai de 2 ans pour agir contre le débiteur. Si au bout d’un an, survient
un événement suspendant la prescription, celle-ci arrête seulement de
s’écouler tant que l’évènement empêche le créancier d’agir. Lorsque cet
empêchement prend fin, le créancier n’a plus qu’un an pour agir.
a. L’interruption
Voyons les causes puis les effets de l’interruption.
Les causes – L’interruption de la prescription résulte de 2 séries
de causes possibles.
1. Un acte de poursuite du créancier. La prescription se déroule
parce que le créancier est inactif. Donc, à l’inverse, l’acte du créancier
interrompt le cours de la prescription.
L’art. 2244 C. civ. lux. dresse une liste des actes du créancier
interrompant la prescription : « Une citation en justice, même en référé,
un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de
prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir » :
- citation en justice : elle est mentionnée en priorité puisque
c’est le mode normal d’exercice des droits. Il faut une
assignation en justice ; une mise en demeure ne suffit
pas en principe. Une citation en référé suffit. La citation
produit un effet interruptif même si elle est adressée à un
juge incompétent. En revanche, elle est sans effet si elle
est nulle pour défaut de forme, si elle est suivie d’un
désistement du demandeur, d’une péremption de
l’instance, du rejet de la demande pour quelque motif que
ce soit (sur la recevabilité ou sur le fond). Cf. art. 2247 C.
civ. lux.
- Le commandement de payer et la saisie interrompent
aussi la prescription. Si la saisie fait suite à un
commandement, elle interrompt à nouveau la prescription.
224
En France les textes ont été modifiés. Désormais c’est l’art. 2241
qui prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le
délai de prescription ». Cela correspond à la citation en justice de
l’ancien art. 2244. L’article 2241 précise que l’interruption a lieu même
si la demande est portée devant une juridiction incompétente mais
aussi si elle est rejetée pour vice de procédure. Il y a donc un
changement sur ce point. En revanche, l’article 2243 réaffirme que
l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste ou si sa demande
est rejetée (au fond). L’article 2244 prévoit quant à lui l’interruption de
la prescription par un « acte d’exécution forcée ». Cela correspond
globalement au commandement de payer et à la saisie évoqués dans
l’ancien art. 2244. Les solutions françaises et luxembourgeoises
demeurent donc proches.
L’article 2254 précise que les parties peuvent prévoir d’autres
causes d’interruption par contrat. Cela confirme la jurisprudence
antérieure (v. not. Civ. 1re, 25 juin 2002, Bull. civ. I, n° 174).
2. Une reconnaissance de dette par le débiteur. La reconnaissance
par le débiteur qu’il n’a pas payé sa dette interrompt la prescription. La
solution est inscrite à l’art. 2248 C. civ. lux. / 2240 C. civ. fr. Tout se
passe comme s’il y avait un nouveau titre. Même si elle n’a pour objet
qu’une partie de la créance, la reconnaissance interrompt la
prescription pour la totalité de la dette, ce qui mérite d’être relevé car
il s’agit d’un acte abdicatif, donc on aurait pu s’attendre à ce que le juge
exige l’absence d’équivoque.
Ex : l’assureur qui reconnaît sa garantie tout en contestant le
montant de l’indemnité vaut reconnaissance totale au sens de l’art. 2248
(ou 2240) C. civ.
La reconnaissance peut être expresse ou tacite (ex : le débiteur
demande un délai pour payer ; invoque la compensation ; paie une partie
de la dette).
225
Les effets –
L’interruption produit des effets radicaux : le temps déjà écoulé est
effacé. Il n’est pas comptabilisé. Un nouveau délai recommence à courir.
V. nouvel art. 2231 C. civ. fr.
Parfois, la durée de l’interruption est instantanée. Par exemple, si le
créancier fait délivrer un commandement ou si le débiteur reconnaît sa
dette, une nouvelle prescription commence à courir le lendemain à
00h00.
Parfois, la durée de l’interruption se prolonge. Ainsi, en cas de
citation en justice, l’effet interruptif se prolonge jusqu’à l’extinction de
l’instance (v. nouvel art. 2242 C. civ. fr.) [Mais il semble que, si l’instance
prend fin au jour du prononcé du jugement, le point de départ de la
nouvelle prescription n’est pas cette date, mais celle à laquelle le
jugement devient définitif – donc à l’expiration du délai pour interjeter
appel].
Le nouveau délai est en principe de même nature que celui qui a
été interrompu : la nouvelle durée est identique à la durée originaire. A
moins qu’il y ait une interversion de prescription, c’est-à-dire une
substitution d’une prescription de droit commun (traditionnellement 30
ans ou 10 ans) à la prescription interrompue. Le délai de prescription
change de nature et par là même de durée : c’est un délai de droit
commun qui recommence à courir à la place du délai initial.
La jurisprudence applique l’interversion aux prescriptions qui
reposent sur une présomption de paiement. En France, ces
prescriptions ont été abrogées et l’interversion de prescription ne joue
donc plus. Au Luxembourg, cela concerne notamment les courtes
prescriptions énoncées aux articles 2271 et s. C. civ. lorsqu’elles
sont interrompues dans les conditions posées par l’art. 2274. Elle
s’applique aussi lorsque le débiteur est condamné judiciairement : le
délai de droit commun remplace le délai initial (en France la solution
résulte aujourd’hui de l’art. 3-1 de la loi du 9 juillet 1991).
226
b. La suspension
L’horloge s’arrête (mais n’est pas remise à zéro). La prescription
ne court pas tant que demeure la cause de suspension. Lorsque la cause
de suspension cesse, le délai reprend son cours normal ; le temps déjà
écoulé n’est pas effacé. V. nouvel art. 2230 C. civ. fr.
A la différence de l’interruption qui résulte d’un acte concernant
l’exercice ou l’existence de la créance, la suspension découle
d’événements qui empêchent le créancier d’exercer son droit. Idée : la
prescription ne doit pas courir contre celui dont l’inaction est
légitime.
L’article 2234 C. civ. fr. énonce aujourd’hui explicitement ce
principe général : « La prescription… est suspendue contre celui qui est
dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi,
de la convention ou de la force majeure ».
Les causes de suspension sont définies par la loi, mais le juge a
aussi un certain pouvoir d’étendre les causes de suspension légales.
Les causes de suspension légales – La prescription ne court pas :
- contre les créanciers incapables (mineurs ou majeurs) ;
par exemple, le créancier décède et ses héritiers sont
mineurs ou le créancier est mis sous tutelle. V. art. 2252 C.
civ. lux / art. 2235 C. civ. fr., sauf pour la prescription
des dettes périodiques (+ au Lux. sauf pour les courtes
prescriptions des articles 2271 et s.)
- entre époux, ie lorsque le créancier et le débiteur sont mari
et femme (paix des ménages). V. art. 2253 C. civ. lux. ; art.
2236 C. civ. fr. En France, cela vaut également les
partenaires liés par un PACS (mais pas pour les
concubins).
227
- contre l’héritier qui accepte la succession sous bénéfice
d’inventaire à l’égard des créances qu’il a contre la
succession (art. 2258 C. civ. lux. ; art. 2237 C. civ. fr.)
PB : Aucune suspension de la prescription n’est prévue par la loi
lors de l’engagement de négociations entre les parties. Cf. not. droit
allemand : si un différend survient entre les parties et que des
négociations sont entamées pour tenter de parvenir à une solution
amiable, le délai de prescription est reporté de façon à ce qu’il expire au
plus tôt quelques mois après la fin des négociations.
Ces lacunes des dispositions légales peuvent cependant être
comblées par la jurisprudence. En effet, si le juge a perdu le pouvoir
de déterminer la durée de la prescription, il conserve un pouvoir
modérateur lui permettant d’étendre les causes de suspension de la
prescription prévues par la loi à d’autres situations. Le juge peut ainsi
refuser de faire courir le délai de prescription contre le créancier qui ne
peut pas agir.
Ex : Ch. Mixte, 14 février 2003, Bull. Mixte, n° 1 – qui affirme que si
les parties à un contrat ont convenu qu’en cas de litige, elles
recourraient d’abord à une procédure de conciliation obligatoire et
préalable au juge, une telle clause constitue une fin de non-recevoir
qui s’impose au juge si les parties l’invoquent. Le juge saisi par une partie
sans tentative préalable de conciliation doit donc refuser d’examiner le
litige et renvoyer les parties à la conciliation. Il ne pourra être saisi que si
celle-ci échoue. Le pb est alors que, durant cette phase préalable de
conciliation, la prescription court… D’où la précision apportée par
l’arrêt : il y a suspension du délai de prescription pendant la
procédure de conciliation prévue conventionnellement.
CCL° : Le juge peut créer de nouvelles causes de suspension.
228
Pour cela, il se fonde sur l’adage latin : contra non valentem
agere non currit praescriptio. Traduction : contre celui qui a été
empêché d’agir, la prescription ne court pas. C’est une variante du
principe « à l’impossible, nul n’est tenu ».
NB : Origine de la règle ? Bien qu’elle soit exprimée en latin, la
règle n’est pas issue du droit romain, mais du droit canon, droit
hostile à la prescription qu’il considère injuste.
PB : L’adage est vague. Qu’est-ce que l’empêchement qui autorise
le juge à suspendre la prescription ? Une guerre ? Certainement. Mais
que décider pour la maladie du créancier ? L’ignorance du créancier ? Il
faut donc préciser les conditions d’application de l’adage.
Conditions
La jurisprudence raisonne par analogie avec la force majeure,
mais sans ignorer le comportement du créancier. L’interprétation de
l’adage est donc à la fois objective (événement imprévisible, extérieur et
irrésistible) et subjective (attitude du créancier).
Dimension objective : l’adage est, par exemple, appliqué en cas de
troubles sociaux, de catastrophes naturelles, d’état mental
déficient (sans incapacité).
Dimension subjective : la prescription ne court pas contre le
créancier qui ignore ses droits, mais à condition que son ignorance
soit légitime (v. not. Com., 13 avril 1999, Bull. civ. IV, n° 89).
C’est à celui qui invoque l’impossibilité d’agir pendant le délai de
prescription de prouver les circonstances qui sont à l’origine de
l’empêchement.
En revanche, il a été jugé que ne constituent pas une impossibilité
d’agir : l’existence de pourparlers entre les parties ; le seul fait d’être
isolé et d’avoir des charges familiales ; une expertise amiable, qui n’est
qu’une mesure conservatoire.
229
En pratique, le tempérament tiré de l’adage contra non valentem…
est donc exceptionnel.
Effets
Les effets de la suspension judiciaire de la prescription ne sont
traditionnellement pas rigoureusement identiques à ceux de la
suspension légale.
La suspension légale prolonge le délai de prescription de toute la
période pendant laquelle l’événement à l’origine de
l’empêchement s’est réalisé. Alors que, d’après la Cour de cassation,
l’adage ne joue pas lorsque le titulaire de l’action dispose encore,
au moment où l’empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour
agir avant l’expiration du délai de prescription. Le délai n’est donc pas
nécessairement prolongé d’une durée égale à celle de l’impossibilité
d’agir.
PB : Cela demeure-t-il vrai sous l’empire des nouveaux textes
français ? Douteux. Aujourd’hui le principe qui permet au juge
d’identifier des causes de suspension supplémentaire est légal. Et la loi
ne distingue pas, pour déterminer l’effet de la suspension, selon la
cause de la suspension (art. 2230 : « La suspension de la prescription en
arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru »). Donc
pas certain.
Notons enfin que le Code français prévoit deux nouvelles causes de
suspension.
Art. 2238 : lorsque les parties conviennent après la survenance
du litige de recourir à une médiation ou à une conciliation (différent
de la clause prévoyant avant tout litige un recours préalable à la
médiation).
Art. 2239 : Lorsque le juge fait droit à une demande de mesure
d’instruction présentée avant tout procès (cf. art. 145 CPC fr.)
230
Dernière précision : pour limiter l’impact de ces causes de suspension et
d’interruption élargies, les nouvelles règles françaises enferment la
prescription au sein d’un délai butoir de 20 ans. Cf. art. 2232 C. civ.
fr. : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la
prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription
extinctive au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit ».
Exceptions : Le délai butoir n’est pas applicable aux actions relatives à
l’état des personnes, actions réelles immobilières, actions en
responsabilité de la victime directe ou indirecte d’un dommage
corporel, dommages environnementaux, en cas de suspension pour
mariage ou PACS ou non échéance du terme…
§ 2. LE MÉCANISME DE LA PRESCRIPTION
A l’expiration du délai, la prescription n’est pas acquise de plein
droit. Il faut que le débiteur se manifeste. Il doit invoquer la
prescription ; mais il peut y renoncer. Reprenons brièvement ces 2
points.
La nécessité d’invoquer la prescription – Cette nécessité résulte
des termes de l’art. 2223 C. civ. lux. / 2247 C. civ. fr. : « Les juges ne
peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ».
Cela signifie que le débiteur doit invoquer la prescription ; il ne peut pas
se contenter de signaler les dates en laissant entendre que la prescription
est acquise. Si le débiteur veut invoquer la prescription, il le fera par
voie d’exception, en défense à l’action en paiement du créancier. Il
peut le faire pour la 1re fois en appel, mais pas devant la Cour de
cassation car le moyen est mélangé de fait et de droit.
La renonciation à la prescription –
231
Comme on l’a déjà signalé, l’art. 2220 C. civ. lux. interdit de
renoncer par avance à la prescription. La disposition a été modifiée en
France mais le nouvel art. 2250 dit en substance la même chose :
« Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation ». La
solution est fondée tout à la fois sur la nécessité de protéger le
débiteur (notamment s’il est en situation de faiblesse) et sur la nécessité
plus générale de préserver la paix sociale et de ne pas encombrer les
tribunaux de trop vieilles affaires.
Mais le C. civ. autorise la renonciation à une prescription acquise.
La renonciation n’obéit à aucune forme. Elle peut être expresse ou
tacite (art. 2251 C. civ. fr.). Elle peut résulter du fait que le débiteur
n’invoque pas la prescription, qu’il effectue un paiement volontaire de la
dette prescrite, qu’il prend l’engagement de payer. Il faut seulement que
la volonté de renoncer soit claire et que l’auteur de la renonciation ait la
capacité d’exercer ses droits (art. 2222 C. civ. lux. / art. 2252 C. civ.
fr.)
Il reste à présent à examiner les effets de la prescription.
§ 3. LES EFFETS DE LA PRESCRIPTION
La prescription a un effet extinctif (A), probatoire (B) et plus
rarement translatif (C).
A. L’effet extinctif
Si la prescription est acquise et invoquée, le créancier perd la
possibilité d’obtenir l’exécution forcée de l’obligation. Mais
pourquoi : est-ce parce que l’action est éteinte ou est-ce parce que la
créance est éteinte ?
La controverse divise les auteurs en 2 camps :
232
- Les partisans de la thèse processualiste, pour qui la
prescription éteint l’action. C’est la conception défendue
par les rédacteurs du Code civil et avant eux Pothier. En
outre, de nombreuses dispositions désignent
expressément l’action comme objet de la prescription (v. par
exemple, les art. 2262, 2271 et s. C. civ. lux. ; C. civ. fr., art.
2224-2227).
- Les partisans de la thèse substantialiste, pour qui la
prescription éteint l’action et le droit de créance. Au soutien
de cette thèse, on rappelle que l’art. 1234 range la
prescription parmi les causes d’extinction des obligations ;
que la prescription de la créance éteint les sûretés qui
en sont l’accessoire ; que le Code civil traite ensemble la
prescription acquisitive et la prescription extinctive, or de
même que la prescription acquisitive fait acquérir le droit de
propriété, la prescription extinctive doit faire perdre le droit
de créance. Enfin l’art. 2219 C. civ. fr. énonce désormais
que : « la prescription extinctive est un mode d’extinction
d’un droit ».
Le débat n’est pas tranché en doctrine et il existe de sérieux
arguments dans un sens comme dans l’autre. Mais les solutions
jurisprudentielles sur le paiement volontaire d’une dette prescrite,
aujourd’hui consacrées par le législateur français (art. 2249 C. civ.
fr.) renforcent la thèse processualiste : si celui qui a payé une dette
prescrite ne peut pas agir en répétition de l’indu, c’est parce que la dette
existe. Si elle existe, c’est donc que la prescription, par hypothèse
acquise, ne l’avait pas éteinte.
B. L’effet probatoire
Les courtes prescriptions visées aux art. 2271 à 2273 C. civ.
lux. ressemblent plus à des règles de preuve qu’à de véritables
233
prescriptions. En effet, lorsque leur délai est expiré, le débiteur est
présumé avoir acquitté sa dette (c’est pourquoi on parle de
prescriptions présomptives à leur égard), mais le créancier peut apporter
la preuve contraire.
Si le créancier parvient à rapporter cette preuve, la prescription
présomptive est écartée : elle sera censée n’avoir jamais été mise en
mouvement. Donc, on fera comme si la créance avait été soumise dès
l’origine au délai de prescription de droit commun (30 ans ou 10 ans).
Pour renverser la présomption, le créancier doit déférer le
serment au débiteur afin d’établir le défaut de paiement (art. 2275 C.
civ. lux.) : concrètement, le créancier demande au débiteur de jurer
qu’il a payé. Si le débiteur refuse, il reconnaît que la dette subsiste et la
prescription est écartée.
La jurisprudence admet également que la présomption puisse être
renversée si le débiteur avoue spontanément, de manière expresse ou
tacite, ne pas avoir payé la dette. C’est logique puisque le serment vise à
provoquer un aveu.
Mais là s’arrête la liste des moyens de renverser la présomption.
Ainsi, le créancier ne peut pas apporter la preuve contraire par
témoignages.
C. L’effet translatif
Exceptionnellement, la prescription peut produire un effet
translatif et non plus extinctif. Au lieu de profiter au débiteur comme elle
le devrait, la prescription transfère la créance à l’Etat. Il s’agit en
réalité de mesures fiscales, qui viennent bousculer le régime classique
de la prescription.
Cela concerne :
- les dépôts de sommes d’argent ou de titres en banque
lorsqu’ils n’ont fait l’objet d’aucune réclamation depuis
234
30 ans. La solution est remarquable d’un point de vue
théorique car l’Etat s’approprie une créance prescrite, sans
que le débiteur ait invoqué la prescription. Le débiteur devra
s’acquitter entre les mains de l’Etat.
- certaines dettes de sociétés (coupons, intérêts et
dividendes afférents à des actions ou obligations
négociables) : le créancier négligent perd son droit au profit
de l’Etat.
A bien y réfléchir, la technique n’a pas grand chose en commun
avec la prescription. C’est une confiscation par l’Etat.
FIN
235