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RÉGIME GENERAL DES OBLIGATIONS – 2009/2010 – Informations pratiques Bibliographie : Une liste de manuels traitant du régime général des obligations a été mise en ligne sur Moodle. A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 2007 J. Carbonnier, Les obligations, PUF, 2000 M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 1 – Contrat et engagement unilatéral , PUF, 2008 J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, 3 – Le rapport d’obligation, Sirey, 2009 J. François, Régime général, Economica, 2000 J. Ghestin, M. Billiau, G. Loiseau, Le régime des créances et des dettes, LGDJ, 2005 Ph. Malaurie, L. Aynes, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2009 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Régime général, Litec, 1999 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 2009 Introduction 1

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Page 1: cours_RGO_2010

RÉGIME GENERAL DES OBLIGATIONS

– 2009/2010 –

Informations pratiques

Bibliographie   :

Une liste de manuels traitant du régime général des obligations a été

mise en ligne sur Moodle.

A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 2007

J. Carbonnier, Les obligations, PUF, 2000

M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 1 – Contrat et engagement

unilatéral, PUF, 2008

J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, 3 – Le rapport

d’obligation, Sirey, 2009

J. François, Régime général, Economica, 2000

J. Ghestin, M. Billiau, G. Loiseau, Le régime des créances et des dettes,

LGDJ, 2005

Ph. Malaurie, L. Aynes, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois,

2009

B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Régime général, Litec, 1999

F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 2009

Introduction

Objet du cours = « régime général des obligations ». De quoi

s’agit-il ?

Notion d’« obligation » = connue. Une obligation (au sens du

droit des obligations, et non au sens générique du terme) c’est un lien

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Page 2: cours_RGO_2010

de droit en vertu duquel une personne, le créancier, peut

demander à une autre personne, le débiteur, de donner, de faire

ou de ne pas faire quelque chose.

En revanche, PB = sens de l’expression « régime général ».

L’expression « régime » des obligations, tout d’abord, s’oppose

aux « sources » des obligations. Le terme « régime » souligne ainsi que

l’objet du cours n’est pas de traiter de la naissance et de la validité des

obligations, mais du devenir des obligations d’ores et déjà créées. Le

cours de régime général des obligations complète donc celui du 1er

semestre, sur la théorie des contrats, ainsi que le cours de

responsabilité que vous suivrez parallèlement ce semestre.

Si l’on parle de régime « général », c’est que les règles que nous

allons étudier sont censées être applicables à toutes les obligations,

quelle qu’en soit la source.

Il existe en effet diverses sources d’obligations.

1. Une obligation peut tout d’abord résulter d’un acte juridique

(manifestation de volonté destinée à produire des effets de

droit). On parle alors en général d’obligation « contractuelle »,

car le contrat est le plus répandu et le plus connu des actes

juridiques, mais la catégorie est plus large : toutes les

conventions (ex   : remise de dettes) + actes unilatéraux (un

testament par ex.)

2. Une obligation peut ensuite résulter d’un fait juridique

(événement quelconque, volontaire ou involontaire, auquel

une règle de droit attache des effets juridiques mais qui

n’ont pas été spécialement et directement recherchés par les

intéressés).

Au sein de cette catégorie on distingue les faits illicites et les faits

licites.

- Les faits illicites sont les délits et quasi-délits. Ils

recouvrent les situations dans lesquelles une personne

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Page 3: cours_RGO_2010

cause à autrui un dommage par sa faute, volontaire ou

involontaires (et l’on parle alors de responsabilité du fait

personnel), ou bien par l’intermédiaire d’une chose que la

personne avait sous sa garde (on parle de responsabilité du

fait des choses) ou encore d’une personne dont elle devait

répondre (et l’on parle de responsabilité du fait d’autrui).

Programme du cours de responsabilité. De manière

générale, ce type d’obligations est désigné sous le terme

d’obligations « délictuelles ».

- Les faits licites sources d’obligations sont enfin les quasi-

contrats. Le quasi-contrat est une situation de fait d’où

naît une obligation (en quoi il se rapproche du délit ou

quasi-délit), mais le régime de cette obligation est

calqué sur celui d’un acte juridique de référence (en

quoi il se rapproche de l’acte juridique). On raisonne

« comme si » il y avait un contrat, d’où l’expression de

quasi-contrat. Source souvent négligée dans

l’enseignement (ex : 40 pages dans le

Terré/Lequette/Simler, qui en fait près de 1500 !), mais qui

est d’une réelle importance pratique. D’où la nécessité d’un

bref rappel.

Rappel sur les quasi-contrats

Jusqu’à une période récente, il existait 3 types de quasi-contrats :

- La gestion d’affaires, prévue par le Code civil (art. 1372

s.), qui désigne la situation dans laquelle une personne –

le gérant – gère les affaires d’une autre – le maître de

l’affaire ou géré – dans un souci altruiste, c’est-à-dire

spontanément, et non pas à la demande du maître de

l’affaire (sans quoi la situation serait contractuelle). Ex   :

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Page 4: cours_RGO_2010

personne qui fait réparer le toit de son voisin après une

tempête alors que son voisin est absent.

Conséquence   : le maître est obligé de rembourser les

dépenses engagées par le gérant, pour autant que la

gestion ait été utile.

- La répétition de l’indu, également prévue par le Code

civil (art. 1377 s.), désigne la situation d’une personne

qui paie une dette qu’elle n’a pas ou qui était déjà

réglée. C’est extrêmement fréquent en pratique. Ex   :

virement effectué à tort par une banque, un époux qui paye

le loyer alors que son conjoint l’avait déjà réglé…

Conséquence   : La personne qui a reçu le paiement indû est

alors tenue de le restituer à celui qui a payé l’indu.

- A la fin du 19e siècle, la Cour de cassation a découvert un

3e type de quasi-contrat : l’enrichissement sans cause.

Applicable sous trois conditions :

1. qu’il y ait une personne enrichie et une autre

appauvrie,

2. qu’il y ait une corrélation entre les 2 mouvements et

3. qu’il y ait une absence de cause (l’appauvrissement ne

doit pas s’expliquer par l’intention libérale ou par

l’existence d’une dette de l’appauvri envers l’enrichi).

Conséquence   : Si ces conditions sont satisfaites, l’enrichi

doit indemniser l’appauvri. Ex : organisme social prenant

en charge une personne dans le besoin alors qu’elle a un

proche parent tenu envers elle d’une obligation

alimentaire. L’organisme s’appauvrit du fait des dépenses

encourues pour l’entretien de la personne dans le besoin,

tandis que le débiteur de l’obligation alimentaire s’enrichit

en évitant ces dépenses. L’organisme peut alors demander

au débiteur de l’obligation alimentaire de l’indemniser de

ces dépenses.

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Page 5: cours_RGO_2010

Traditionnellement, tous les quasi-contrats étaient donc animés par la

même idée : alors qu’en matière délictuelle, la personne à l’origine de

l’obligation a causé un dommage, autrement dit a nuit à une autre

personne, en matière quasi-contractuelle la personne dont le

comportement est à l’origine de l’obligation a enrichi une autre personne,

elle a agi d’une manière favorable aux intérêts de l’autre personne.

C’est pourquoi les quasi-contrats sont des faits licites, parce qu’ils n’ont

rien de répréhensibles.

PB : la C. cass. a complété la liste d’une 4e figure qui trouble la

cohérence d’ensemble.

- En effet, dans un arrêt du 6 septembre 2002, la Ch. mixte de

la Cour de cassation a créé un nouveau quasi-contrat, dans

une affaire relative à une loterie publicitaire (Bull. civ, n° 4).

PB : Ces loteries envoient des lettres annonçant à leurs

destinataires qu’ils ont gagné une somme d’argent ou un lot

(automobile, voyage), alors qu’en réalité, le destinataire

bénéficie seulement du droit de participer à un tirage au

sort.

But : inciter la personne à contracter.

Mais certaines personnes crédules peuvent prendre

l’annonce au sérieux, et être très déçues lorsqu’elles

découvrent qu’elles ne reçoivent rien. Parfois même

certaines personnes font des dépenses sur la foi du gain

annoncé et s’appauvrissent ainsi.

Question   : si le caractère aléatoire du gain n’est pas mis

en évidence dans le courrier, et donne au destinataire des

raisons de croire qu’il a effectivement gagné un lot, peut-il

obtenir la délivrance de ce gain ? La Cour de cassation

estime que oui et, dans ces circonstances, oblige

l’entreprise à payer. L’objectif de la Cour de cassation est

de décourager ces pratiques en condamnant les

entreprises qui se livrent à ce genre de publicité. PB   : sur

quel fondement s’appuyer ? Le contrat ? Mais y a-t-il

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Page 6: cours_RGO_2010

vraiment un échange des consentements ? Le délit ?

Certes, les conditions peuvent être remplies, mais le

préjudice ne correspond pas nécessairement au gain

annoncé. L’engagement unilatéral ? Mais l’entreprise n’a

pas véritablement la volonté de s’obliger.

D’où le recours au quasi-contrat : pour la Cour de

cassation, la création d’une espérance trompeuse est source

d’obligation (l’obligation de verser la somme d’argent

annoncée). La solution est sans doute opportune car il faut

sanctionner ces pratiques trompeuses, mais elle n’en est

pas moins critiquable techniquement : en quoi s’agit-il

d’un quasi-contrat ? Quel est l’avantage fourni par

l’appauvri qui justifie son indemnisation ? Il n’existe

pas. En somme, la Cour de cassation a déformé la notion

de quasi-contrat.

***

Si le régime des obligations est dit « général », c’est donc que les

règles qu’il rassemble s’appliquent à toutes les obligations quelle

que soit la source dont elles découlent. Ex   : Que l’obligation naisse

d’un acte juridique, d’un fait juridique ou d’un quasi-contrat, les modes

d’extinction de l’obligation seront les mêmes.

NB   : Cela étant, il faut reconnaître que certains des aspects du

cours sont plus spécifiques à un type d’obligations qu’à un autre. Ex   : La

question du terme et de la condition qui peuvent affecter une obligation

concernent essentiellement les obligations contractuelles. Mais dans

l’ensemble, les questions abordées seront communes à tous les types

d’obligations.

Si le régime général des obligations est le devenir des obligations, il

convient donc de s’interroger : que devient une obligation une fois

qu’elle est née ?

A priori, l’obligation est créée pour remplir une fonction (échange

de richesses, libéralités) et elle s’éteint en la remplissant. Donc, l’un des

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Page 7: cours_RGO_2010

grands pans du régime général des obligations consiste à étudier

l’extinction des obligations (art. 1234 et s. du Code civil) : comment

l’obligation s’éteint-elle ? A quel moment ? A quelles conditions ? etc.

Pour vous donner un premier aperçu, l’obligation peut s’éteindre :

- par la voie normale : le paiement (ie l’exécution), qu’il soit

volontaire ou forcé

- par des voies indirectes : le créancier ne reçoit pas ce qui

est dû, mais l’obligation s’éteint tout de même, par exemple

en raison d’une prescription, ou encore d’une remise de

dettes.

Si elle est exacte, cette vision chronologique des choses

(naissance/extinction) n’épuise pas l’étude de l’obligation. Car

l’obligation, en tant que telle, possède une valeur économique. Elle est

à l’actif du patrimoine du créancier et au passif du patrimoine du

débiteur.

Ex   : le loyer à percevoir est une créance (un bien).

L’obligation est un élément de richesse. Pour souligner cette

dimension patrimoniale, on dit souvent que l’obligation n’est pas

seulement un lien, mais qu’elle est également un bien.

Et comme tous les biens, elle est susceptible de circuler de main

en main. Dans ce cas, l’obligation existe toujours (elle n’est pas éteinte),

mais elle ne lie plus les mêmes personnes.

La circulation de l’obligation peut découler aussi bien d’un

changement de créancier que d’un changement de débiteur :

- de créancier : par exemple en cas de cession de créances.

- de débiteur : lorsqu’un autre débiteur que le débiteur initial

s’engage à payer le créancier (avec le consentement de ce

dernier) = délégation.

Etude de la circulation des obligations.

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Page 8: cours_RGO_2010

L’obligation s’éteint ; l’obligation circule donc aussi. Mais

l’exécution de l’obligation peut aussi être affectée par un dernier

élément, lié cette fois à la structure interne de l’obligation. On

distingue en effet 2 types d’obligations :

- les obligations simples, liant 1 seul débiteur à 1 seul

créancier, portant sur un seul objet et sans aucune modalité.

- les obligations complexes, affectées d’une modalité, tel un

terme ou une condition (ex : l’obligation ne s’exécute pas

tout de suite à telle date ultérieure), ayant plusieurs objets

ou liant plusieurs débiteurs à 1 créancier ou plusieurs

créanciers à 1 débiteur (ex : compte joint). L’étude de ces

modalités relève du régime général des obligations car

elles rejailliront sur celui-ci. Ex   : s’agissant de l’exécution

de l’obligation, faut-il diviser les poursuites en présence de

plusieurs débiteurs ? s’agissant de sa circulation, peut-on

transmettre une obligation conditionnelle ? Etc.

De l’ensemble de ces observations découle le plan à suivre :

I. Il faut d’abord connaître les modalités susceptibles

d’affecter les obligations (1re partie)

II. Avant d’étudier la circulation des obligations (les

opérations à 3 personnes) (2e partie)

III. Puis enfin l’extinction des obligations (3e partie)

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Page 9: cours_RGO_2010

Première partie – LES MODALITÉS DE L’OBLIGATION

Fréquent en pratique que les obligations soient affectées d’une ou

plusieurs modalités en compliquant la structure.

- Une obligation peut tout d’abord être affectée d’un terme.

Tel est notamment le cas lorsque l’exécution de

l’obligation est repoussée à une date future (ex : vente

avec délivrance de la chose vendue une semaine après

la conclusion du contrat).

- Une obligation peut aussi être affectée d’une condition.

L’existence de l’obligation est alors subordonnée à la

survenance d’un événement incertain. Ex   : Vos parents

peuvent vous faire une donation subordonnée à la

condition que vous réussissiez vos examens. Evénement

futur comme le terme, mais incertain (bien que très

probable !)

- Une obligation peut enfin avoir plusieurs sujets ou porter

sur plusieurs objets. On parle alors d’obligation plurale.

Ex1 : Lorsque l’on achète un séjour de vacances à une

agence de voyages, celle-ci fournit en général à la fois le

transport jusqu’au lieu de vacances et l’hébergement sur

place, parfois aussi les repas ou des visites touristiques.

Pluralité d’objets de l’obligation de l’agence. Ex2 : Un

couple signe un bail. Le bailleur n’a pas un seul débiteur,

mais deux, chacun des membres du couple. Pluralité de

sujets de l’obligation envers le bailleur.

Plan   : Terme et condition seront étudiés dans un même chapitre

car ces modalités ont en commun de permettre d’appréhender des

événements futurs. On s’intéressera ensuite aux divers types

d’obligations plurales :

- Chap. I : Terme et condition

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Page 10: cours_RGO_2010

- Chap. II : Les obligations plurales

Remarque terminologique sur les notions de modalités et

d’obligations complexes. Dans certains manuels, les modalités des

obligations sont considérées comme recouvrant seulement le

terme et la condition. Idem pour la notion d’obligations

complexes. Parfois elle est considérée comme recouvrant à la

fois les obligations affectées d’un terme ou d’une condition et

les obligations plurales, parfois elle est prise comme synonyme

de la notion d’obligation plurale. Il y a donc un certain

flottement terminologique en la matière. Cela impose simplement

de préciser ce que l’on entend par modalités de l’obligation ou par

obligation complexe lorsque l’on emploie l’un de ces termes.

Chapitre I – TERME ET CONDITION

Remarques introductives, pour expliquer la problématique soulevée

par les termes et les conditions :

Le droit au paiement dépend des caractères de l’obligation,

notamment de sa certitude (ie son existence) et de son exigibilité (ie

fait que le créancier puisse en poursuivre l’exécution).

Lorsque l’obligation est simple, les caractères ne soulèvent pas de

difficultés particulières. L’obligation simple naît et elle est exigible dès

sa naissance.

Ex   : Dans la vente au comptant (par opposition à la vente à crédit),

dès la conclusion du contrat de vente, l’obligation de payer le prix naît et

elle est immédiatement exigible.

Parfois cependant la naissance de l’obligation ou le moment de

son exigibilité sont différés. Il existe une dissociation temporelle, qui,

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Page 11: cours_RGO_2010

pour être bien comprise, suppose de ne pas confondre les notions de

certitude et d’exigibilité.

Une obligation est certaine lorsqu’elle est née et que son

existence même n’est pas contestable.

Quand une obligation est-elle certaine ? En général au jour de la

conclusion du contrat s’il s’agit d’une obligation contractuelle ; au

jour du dommage s’il s’agit d’une obligation délictuelle ; au jour de

l’accomplissement du fait pertinent s’il s’agit d’un quasi-contrat.

L’exigibilité est l’aptitude donnée au créancier d’exiger le

paiement. Il peut poursuivre le paiement, c’est-à-dire réclamer

l’exécution, le cas échéant forcée, de l’obligation. Notion distincte de la

certitude : une obligation peut être certaine sans être exigible.

Exemples   : en droit de la responsabilité civile, l’obligation de

réparation est certaine au jour du dommage, mais elle n’est pas exigible

avant le jugement ou la transaction. Dans un bail, l’obligation de payer

le loyer est certaine dès la conclusion du contrat, mais elle est exigible à

telle ou telle date ultérieure (début de mois pour chaque loyer en

général).

* * *

Ces notions de certitude et d’exigibilité permettent de mieux

comprendre les ressorts pratique et théorique des modalités de

l’obligation que sont le terme et la condition. Ces modalités permettent

d’appréhender le futur, un futur qui peut être certain ou incertain.

La modalité permettant d’appréhender le futur certain est le

terme. Ex : Prêt d’une somme d’argent entre amis, où l’emprunteur

s’engage à rembourser le prêteur le 5 du mois suivant, lorsqu’il aura

touché son salaire. L’obligation de restitution est affectée d’un terme,

c’est-à-dire repoussée à la survenance d’un événement ultérieur

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Page 12: cours_RGO_2010

mais certain. Dans cette situation, seule l’exigibilité de l’obligation

est suspendue. Mais son existence même, et donc sa certitude, n’est

pas contestable.

La condition permet au contraire d’appréhender le futur

incertain. Ex : Une vente d’immeuble est conclue avant que

l’acquéreur ne sache s’il va obtenir le prêt bancaire lui permettant de

financer son achat. Fréquent en pratique. Les parties concluent alors la

vente sous condition d’obtention du prêt par l’acquéreur. Si ce

dernier obtient son prêt, il devra effectivement payer le prix. S’il ne

parvient pas à obtenir de prêt en revanche, il est libéré de son

obligation. L’obtention du prêt étant un événement futur et

incertain, c’est alors l’existence même de l’obligation, sa certitude, et

non pas seulement son exigibilité qui est affectée.

On verra donc successivement les 2 modalités de l’obligation que

sont le terme (Section I) et la condition (section II).

I. LE TERME

Deux points seront abordés : qu’est-ce qu’un terme (§ 1) ?

Et quels en sont les effets juridiques (§ 2) ?

§ 1. La notion de terme

Le Code civil en donne une définition assez approximative. L’art.

1185 C. civ. dispose : «  Le terme diffère de la condition, en ce qu’il ne

suspend point l’engagement, dont il retarde seulement l’exécution ».

Le Code définit le terme uniquement par ses effets : le terme

est ce qui retarde l’exécution, dit le législateur. Mauvaise façon de

procéder : il faut saisir l’essence d’un mécanisme pour en

comprendre les effets.

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Page 13: cours_RGO_2010

En réalité, le terme est le mécanisme par lequel les parties

subordonnent l’exécution ou l’extinction de l’obligation à la

survenance d’un événement futur et certain. C’est en effet parce que

le terme est un événement certain qu’il n’affecte pas l’existence

même de l’obligation, mais seulement son exigibilité, contrairement à

la condition.

Précision   : lorsque l’on dit que le terme est un événement

« certain », cela veut dire dont la réalisation est certaine, même si la

date exacte de survenance de cet événement n’est pas connue. C’est

la certitude de la réalisation de l’événement auquel l’obligation est

subordonnée, et non de sa date, qui distingue le terme de la

condition.

Exemple   : Le décès est un événement futur et certain même si

sa date exacte de survenance est inconnue. Ainsi, si un contrat de vente

prévoit que le prix sera payable au décès de l’une des parties, c’est une

vente à terme.

Attention cependant car le décès peut faire l’objet d’une condition.

Ex   : « je vous vends tel objet si je décède avant vous » : l’événement est

futur mais incertain. Plus précisément, l’ordre des décès, dont dépend la

vente, est incertain. Donc, c’est une condition.

Bien distinguer la certitude de l’événement et la certitude de

la date, laquelle est secondaire. D’où une première distinction en

droit positif :

- le terme certain : celui qui est un événement dont la

survenance est certaine et dont on connaît la date. Ex   :

dans 6 mois ; au 1er janvier 2009 ; au bout de 15 jours…

- le terme incertain : celui qui est un événement dont la

survenance est certaine mais dont on ignore la date.

Exemple : Je vous loue un appartement à Luxembourg

tant que vous y ferez vos études. C’est un terme car il est

certain que vous ne resterez pas étudiant éternellement,

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Page 14: cours_RGO_2010

mais un terme incertain car on ne sait pas si vous allez

redoubler ou réussir toutes vos années du premier coup,

faire un master ici ou ailleurs, et donc on ignore la date

exacte de la fin de vos études.

NB   : Seule la certitude raisonnable de la réalisation de

l’événement compte. En théorie on peut rester étudiant toute sa vie,

mais en pratique, ça n’arrive jamais. Donc fin des études = événement

certain.

Deuxième distinction nécessaire, toujours pour éclairer la notion

de terme :

- Le terme suspensif (celui évoqué par l’art. 1185 C. civ.) :

événement dont la survenance suspend l’exigibilité de

l’obligation. Celle-ci n’est pas exigible avant la

survenance de l’événement ; elle ne le devient qu’avec

l’arrivée du terme. Ex   : dans un contrat de prêt, il est stipulé

que le remboursement aura lieu dans 1 an.

- Le terme extinctif : événement dont la survenance met un

terme à l’exigibilité de l’obligation. Celle-ci n’est exigible

que jusqu’à la survenance de l’événement ; après,

l’obligation s’éteint. Ex   : un bail conclu pour 3 ans.

L’échéance du terme fait disparaître l’obligation pour

l’avenir.

Il faut enfin se demander dans l’intérêt de qui le terme est

stipulé. Enjeu pratique = possibilité d’y renoncer et donc de rendre

l’obligation immédiatement exigible. Ex   : recevoir immédiatement un

paiement qui était a priori affecté d’un terme.

Solution prévue par l’art. 1187 du Code civil : le terme est

présumé stipulé dans l’intérêt du débiteur, sauf clause contraire

ou circonstances laissant présager l’inverse. La présomption légale est

donc simple.

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Page 15: cours_RGO_2010

C’est assez difficile à apprécier en pratique.

Ex   : une personne emprunte une somme d’argent qu’elle

rembourse périodiquement sur 10 ans. Puis les circonstances changent

et les taux d’intérêt baissent. La personne voudrait donc profiter de ce

taux d’intérêt inférieur en contractant un autre prêt au nouveau taux

plus avantageux, d’un montant égal à ce qu’il reste à rembourser sur son

1er prêt, et rembourser immédiatement celui-ci. PB   : le banquier est-il

obligé de recevoir le paiement ? Juridiquement, dans l’intérêt de qui

le terme a-t-il été stipulé ?

Présomption de l’article 1187 : intérêt du débiteur –

emprunteur – donc possible pour lui de rembourser de manière

anticipée. Mais dans cette situation, il est assez logique de renverser la

présomption. Le terme dans le prêt à intérêt profite aux 2 parties, y

compris au prêteur qui y trouve sa rémunération. Donc pas possible pour

l’emprunteur d’obliger la banque à accepter un remboursement anticipé.

§ 2. Les effets du terme

Principe : Les effets du terme dépendent de la distinction terme

suspensif / terme extinctif :

- Si le terme est suspensif, il suspend l’exigibilité de l’obligation.

L’obligation existe d’ores et déjà, elle est certaine, mais son exécution

ne peut être poursuivie avant l’échéance du terme. L’obligation étant

certaine, le créancier peut en revanche prendre des mesures

conservatoires dès avant l’échéance du terme suspensif si sa créance

est menacée. La circulation de l’obligation est aussi possible (par ex,

cession de créance à un établissement de crédit). En outre, si le

débiteur a payé d’avance, avant le terme, il ne peut obtenir la

répétition (= le remboursement) de ce qu’il a payé, même s’il a payé par

erreur, car l’obligation existe et le débiteur n’a fait que payer ce qu’il

doit. V. art. 1186 C. civ., très clair sur ce point.

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Page 16: cours_RGO_2010

- Si le terme est extinctif, il met fin à l’obligation. L’échéance du

terme éteint l’obligation à laquelle le contrat avait donné naissance pour

l’avenir (cf. condition résolutoire).

Exception : Les effets du terme varient en cas de déchéance du

terme.

La déchéance du terme est une sanction. Le débiteur perd le

bénéfice du terme.

NB : Se conçoit seulement pour le terme suspensif.

Conséquence : L’obligation redevient pure et simple.

Les causes de la déchéance peuvent être conventionnelles ou

légales.

Exemple de cause de déchéance conventionnelle : il est stipulé dans

un contrat de prêt la déchéance du terme en cas d’inexécution du

paiement de l’une des mensualités. Toutes les échéances deviennent alors

immédiatement exigibles.

NB : Peut être qualifié de clause abusive dans un contrat de prêt

entre professionnel et consommateur. Cf. clauses de défaut croisé (prêt

à la conso / prêt immobilier).

Exemple de cause de déchéance légale   : lorsque la liquidation

judiciaire (= faillite) d’un débiteur insolvable est prononcée, toutes ses

obligations deviennent exigibles (art. 1188 C. civ. lux., dans le code de

commerce aujourd’hui en France). Autre exemple, toujours en vertu de

l’art. 1188 du Code civil, « le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice

du terme lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu’il avait

données par le contrat à son créancier ». Puisque ces sûretés avaient

certainement déterminé le créancier à consentir au terme, et

puisque les garanties s’affaiblissent à cause du débiteur, il est juste que

ce dernier perde le bénéfice du terme. Ex : Hypothèque diminuée par le

fait que le débiteur n’entretient pas son bien et le laisse tomber en

ruine.

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Page 17: cours_RGO_2010

II. LA CONDITION

La condition est régie par les articles 1168 à 1184 du Code civil.

C’est une technique d’anticipation du futur, comme le terme, mais

d’un futur incertain.

Ex : achat d’un immeuble sous condition de l’obtention d’un

prêt. Ici, la vente est conclue. Le contrat est donc formé et irrévocable,

mais les obligations qu’il engendre sont suspendues à la survenance

incertaine d’un événement futur. Si le prêt n’est pas obtenu, les

parties seront libérées de tout engagement : l’obligation de payer le prix

et celle de délivrer l’immeuble ne viendront jamais à existence. C’est

une condition suspensive.

La condition peut aussi être résolutoire. Dans ce cas, les parties

sont liées, sauf si l’événement érigé en condition se réalise, auquel

cas l’acte est anéanti.

Ex : une entreprise s’engage à mettre un distributeur de

boissons à disposition d’un lycée, à condition qu’un nombre minimal

de boissons soient vendues chaque mois pour garantir la rentabilité

de l’exploitation. La condition est ce seuil de boissons à atteindre. S’il ne

l’est pas, l’obligation juridique est totalement anéantie : il n’y a plus ni

obligation de payer les loyers, ni obligation corrélative de mettre le

distributeur à disposition.

La condition est une technique juridique d’une grande importance

pratique.

Avantage : souplesse qu’elle procure, puisque la condition permet

de donner naissance à une obligation juridique tout en ménageant

l’avenir.

Inconvénient   : risque d’abus. La technique risque d’être un moyen

détourné de dénaturer l’obligation en la vidant de toute substance.

Ex   : je m’engage à vendre tel bien à condition de donner mon

accord sur le prix. Est-ce une obligation juridique ? Non. L’obligation

17

Page 18: cours_RGO_2010

est nulle car en réalité il n’existe pas d’accord sur un élément

essentiel, le prix. Par conséquent, il n’y a pas de contrat de vente du

tout.

Pour comprendre le mécanisme, il faut en préciser le sens avant

d’en étudier les effets.

Plan : la notion de condition (§ 1) ; les effets de la condition (§ 2).

§ 1. La notion de condition

Définition de la condition (A) / Les divers types de conditions (B).

A – La définition de la condition

L’art. 1168 du Code civil définit la notion de condition de la façon

suivante (inutile de noter) : « L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la

fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en la suspendant

jusqu’à ce que l’événement arrive, soit en la résiliant, selon que

l’événement arrivera ou n’arrivera pas ».

La condition est donc un événement futur et incertain auquel est

subordonnée la formation ou la disparition de l’obligation.

NB : Il ne faut pas confondre la condition-modalité de l’obligation

et la condition de validité du contrat. La condition qui nous intéresse

aujourd’hui est une simple modalité de l’obligation, et non un élément

essentiel de celle-ci. C’est un élément qui s’ajoute à l’obligation, mais

qui n’est pas indispensable à son existence. Tout comme le terme, la

condition « modalité » de l’obligation n’est qu’une « manière d’être » de

l’obligation.

Ex : Une personne s’engage à vendre à condition de donner son

accord sur le prix. Ici, l’incertitude affecte un élément essentiel de la

vente, à savoir le prix. Il n’y a donc pas d’accord du tout, car l’une des

conditions de formation du contrat de vente fait défaut.

Autrement dit, un élément essentiel ne peut pas faire l’objet

d’une modalité, sans quoi l’obligation est nulle.

18

Page 19: cours_RGO_2010

Quoi qu’il en soit, la condition est donc un élément accessoire qui

s’ajoute à l’obligation. Comment s’ajoute-t-elle ?

- Par la convention : généralement, la condition est stipulée par

les parties, à la demande de l’une d’elles et avec l’accord de l’autre. Ex :

vente d’une société sous la condition que les comptes, tels que

présentés par le cédant, soient exacts (l’acquéreur souhaite ainsi éviter

un redressement fiscal ou être certain qu’aucun actif ne manque, etc.).

C’est une vente sous condition résolutoire : si les comptes s’avèrent

inexacts le contrat est anéanti et l’acquéreur se trouve ainsi libéré de son

engagement.

- Par la loi. En France, par exemple, l’art. L312-16 du Code de la

consommation prévoit que tout achat d’un immeuble à usage

d’habitation financé par le biais d’un prêt bancaire est conclu sous

condition suspensive de l’octroi du prêt à l’acquéreur. C’est une

mesure protectrice de l’acquéreur. Il est donc inutile pour celui-ci de

réclamer qu’une telle condition soit stipulée, elle l’est

automatiquement.

L’événement érigé en condition doit en outre être futur et

incertain (comme le souligne à juste titre l’art. 1168 du C. civ.).

Futur : postérieur à la naissance de l’obligation.

Rem : les parties peuvent croire que l’événement est futur alors

qu’il est déjà intervenu, mais sans que les parties n’en aient eu

connaissance. L’obligation produit son effet au jour où elle a été

contractée. On fait donc comme si l’obligation était pure et simple (V.

en ce sens, les dispositions de l’art. 1181 C. civ.).

Incertain : la survenance même de l’événement doit être

incertaine, et non pas seulement sa date de survenance, sans quoi il

s’agit d’un terme.

19

Page 20: cours_RGO_2010

Simple à première vue, mais distinction en réalité difficile à

mettre à œuvre. Car après tout, on peut soutenir que tout est

incertain.

Ex1 : le paiement d’une dette est-il un événement certain ou

incertain ?

Enjeu pratique : les ventes avec clause de réserve de propriété. Une

telle clause permet au créancier-propriétaire de conserver la

propriété du bien vendu jusqu’au paiement complet du prix et donc

de revendiquer son bien en cas de non paiement du prix par l’acquéreur.

PB : la stipulation subordonnant le transfert de propriété à l’acquéreur au

paiement complet du prix est-elle une condition ou un terme ?

Autrement dit, le paiement du prix est-il un événement certain (terme) ou

incertain (condition) ?

En théorie, l’événement paraît certain puisque le paiement est

obligatoire (art. 1134 C. civ.).

En pratique, le paiement est toujours incertain, ne serait ce qu’en

raison du risque d’insolvabilité.

Opposition entre une certitude en droit et une incertitude en fait.

Que dit la jurisprudence ? Elle est hésitante sur ce point.

NB : Enjeu ? Sanction du défaut de paiement par exemple : si

condition, le contrat est anéanti rétroactivement car censé n’avoir

jamais vu le jour ; si terme, le contrat est formé mais inexécuté ; il peut

être résolu, mais aussi donner lieu à exécution forcée ou DI.

Ex2 : en matière de vente d’immeuble (ou de société), il est

fréquent qu’une clause stipule que la vente ne sera définitivement

conclue qu’à la réitération formelle de la vente par écrit (en général

notarié). De quoi s’agit-il juridiquement ?

- Soit la réitération est conçue par les parties comme un

événement futur et certain, et c’est un terme. La vente est conclue,

mais elle ne produira ses effets (not. transfert de propriété) qu’à

compter de la rédaction de l’acte notarié.

- Soit la réitération est conçue par les parties comme une

condition : elles considèrent que la signature est un événement futur

20

Page 21: cours_RGO_2010

incertain. Dans ce cas, il n’y a pas de condition valable car un élément

essentiel fait défaut (l’échange des consentements). La vente est

donc nulle.

NB   : La jurisprudence traditionnelle avait tendance à considérer qu’il

fallait tenir compte de la volonté des parties pour qualifier une modalité

de terme ou de condition. Si les parties tenaient l’événement pour

certain, il devait être considéré comme un terme, s’il était tenu comme

incertain, comme une condition.

Ex : clauses de retour à meilleure fortune (le débiteur remboursera

« lorsqu’il en aura les moyens », « lorsqu’il sera sorti de ses difficultés

financières »). Objectivement l’événement est incertain. PB : le

qualifier de condition emporte la nullité du contrat (trop discrétionnaire

pour le débiteur, qui ne s’est pas vraiment engagé à rembourser).

Analyse subjective de la modalité, qualifiée terme si les parties

ont considéré certaine l’amélioration future de la situation du

débiteur, afin de valider le contrat.

MAIS la jurisprudence récente est de moins en moins sensible à la

volonté des parties et a tendance à retenir qu’un événement

objectivement incertain est une condition, même si les parties ont

tenu l’événement pour subjectivement certain. Ce n’est pas absolu

cependant : v. not. pour les clauses de retour à meilleure fortune

justement, qui peuvent servir des fins louables : Com. 12 octobre 2004,

RTD civ. 2005.131. Idem pour les clauses de réitération de la vente

par acte authentique (analyse au cas par cas de la volonté des parties).

B – Typologie des diverses conditions

Le Code civil distingue 3 types de condition :

- La condition casuelle est celle qui dépend uniquement du

hasard (art. 1169 C. civ.) et indépendante de la volonté

des parties. Ex : je vous achète un parapluie s’il pleut

demain.

21

Page 22: cours_RGO_2010

- La condition potestative, définie par l’art. 1170 C. civ.

comme : « la condition qui fait dépendre l’exécution de la

convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou

de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou

d’empêcher ». Ex : si je pars en voyage cet été, je te prête

mon appartement.

- La condition mixte qui dépend tout à la fois de

l’intervention d’un tiers et de la volonté d’une des

parties (art. 1171 C. civ.). Ex : l’obtention d’un prêt (cela

dépend des démarches du débiteur et de l’acceptation

d’un tiers, la banque) ; si vous vous marriez, vos parents

vous font une donation.

L’art. 1174 C. civ. prohibe ensuite, parmi les 2ndes, les conditions

potestatives pour le débiteur : « Toute obligation est nulle lorsqu’elle a

été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui

s’oblige [ie du débiteur] ». Potestas signifie pouvoir. La condition

potestative est celle qui désigne un événement qui est au pouvoir de l’une

des parties. Lorsque cette partie est le débiteur, le Code civil la prohibe.

Pourquoi ? Parce qu’il y a une incohérence à s’engager sous

condition, et à maîtriser cette condition. Cela revient à s’engager sans

s’engager. L’engagement n’est qu’un simulacre.

La sanction de cette incohérence est radicale : c’est la nullité de

l’obligation, et non pas seulement la nullité de la condition qui

rendrait alors l’obligation pure et simple. On considère qu’il n’y a pas du

tout d’engagement. V. art. 1174 et 944 C. civ. (pour les donations).

PB1 : Sanction de la nullité globale trop abrupte et propice aux

abus : elle incite souvent le débiteur à invoquer lui-même la

potestativité de son engagement pour s’en libérer.

Une paralysie de la seule condition serait bien souvent plus

utile.

22

Page 23: cours_RGO_2010

PB2   : Beaucoup de conditions sont « plus ou moins »

potestatives.

Ex   : je vends mon appartement à condition que j’en trouve un autre.

Encore faut-il que je fasse les démarches nécessaires pour trouver un

nouvel appartement qui me convienne.

Ex   : je loue cette machine à condition que cela soit rentable. Qui

décide que c’est rentable ?

La doctrine s’est donc efforcée de préciser la notion. Longtemps,

les auteurs ont distingué, d’un côté, la condition « purement

potestative » qui dépend de la volonté arbitraire du débiteur (ex :

j’achète ceci « si j’en ai envie ») et est donc nulle, et la condition

« simplement potestative », qui dépend d’un acte du débiteur, de sorte

que le juge peut contrôler si le débiteur a essayé de faire cet acte ou pas

(ex : j’achète ceci « si je vends cela » : le juge peut contrôler la mise en

vente).

Aujourd’hui, la doctrine n’utilise plus cette distinction mais

apprécie directement si la condition est laissée ou non à l’entière

discrétion du débiteur. La condition est donc potestative lorsque sa

survenance dépend, non pas seulement du pouvoir du débiteur,

mais du pouvoir arbitraire ou discrétionnaire du débiteur.

La jurisprudence évolue dans le même sens : une condition n’est

potestative que s’il est impossible de contrôler à partir d’éléments

objectifs si le débiteur est responsable de son éventuelle

défaillance. V. not. Civ. 1re, 16 octobre 2001, Bull. civ. I, n° 257.

Ex1 : une vente est conclue sous condition que l’acheteur vende

tel autre bien. Selon la Cour de cassation, une telle condition n’est pas

potestative en dépit du pouvoir dont dispose le débiteur sur la seconde

vente. Le motif est qu’il est possible de contrôler le comportement du

débiteur : v. par exemple, Civ. 3e, 22 novembre 1995, Bull. civ. III, n°

243. Et s’il apparaît que le débiteur a empêché la survenance de la

condition : en s’abstenant de toute mise en vente, en proposant un prix

exorbitant, en trouvant des prétextes fallacieux pour annuler les visites,

en refusant arbitrairement une proposition d’achat… il sera sanctionné

23

Page 24: cours_RGO_2010

au moyen de l’art. 1178 C. civ. la condition est réputée accomplie.

D’où glissement de 1174 vers 1178.

Ex2 : Une vente est conclue stipulant que l’acheteur s’engage « s’il

décide » de vendre tel autre bien. Là en revanche, la condition est

potestative car son pouvoir est discrétionnaire. Il n’est pas susceptible de

contrôle judiciaire. Idem, même si moins net, lorsque l’on s’engage à

vendre un immeuble si l’on en achète un autre. Achat plus lié à des

éléments subjectifs que vente.

Ex3 : location des distributeurs de boissons. La location sous

condition que leur exploitation se révèle rentable est valable (peut

même être précisé au moyen de critères objectifs). En revanche, la

location sous condition que le débiteur estime l’exploitation rentable

n’est pas valable. C’est arbitraire.

Ultime précision : la condition, pour être valable, doit porter sur un

événement possible et licite (art. 1172 C. civ.)

Ex. d’une condition illicite : donation sous condition que le

donataire devienne bigame ou épouse une personne de même sexe.

Sanction : Nullité.

PB : Portée de cette nullité ? Limitée à la condition elle-même ou

emporte-t-elle la nullité de la convention qui en dépend ?

Les textes distinguent selon que l’acte est à titre onéreux ou

gratuit.

Actes onéreux : art. 1172 C. civ. opte pour la nullité globale de la

convention.

Actes gratuits : art. 900 C. civ. opte pour la nullité de la seule

condition.

Mais la jurisprudence a rejeté cette distinction et a réunifié les

solutions en décidant logiquement que la nullité de la condition

impossible ou illicite emporte nullité totale de la convention qui en

dépend si elle a été déterminante du consentement des parties.

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Page 25: cours_RGO_2010

§ 2. Les effets de la condition

Il faut distinguer selon que la condition est pendante ou non.

* Lorsque la condition est pendante (= avant que l’on ne sache si

elle va se réaliser)

- Condition suspensive : l’obligation n’est ni certaine, ni

exigible. Des actes conservatoires peuvent être pris, mais

rien de plus : le créancier ne peut ni exiger le paiement, ni

agir en résolution pour inexécution. D’un autre côté, la

transmission aux héritiers, la cession de l’obligation, le

nantissement de la créance sont possibles, ce qui donne à

penser que l’obligation existe au moins en germe et que le

créancier n’est pas simplement titulaire d’une « espérance ».

- Condition résolutoire : l’obligation existe et elle est

exigible tant que l’événement ne se produit pas.

L’obligation est susceptible d’exécution forcée en cas

d’inexécution. Le droit est cessible et transmissible. Le

transfert de propriété s’opère immédiatement si l’acte

conclu est un acte translatif.

* A la fin de la période d’incertitude, il faut faire une sous-

distinction

- Soit l’événement survient (la condition se réalise) :

o Condition suspensive : l’obligation devient pure et

simple RÉTROACTIVEMENT (art. 1181) sauf clause

contraire. La condition est censée n’avoir jamais existé.

Ex : dans une vente, l’acheteur est censé avoir été le seul

propriétaire du bien dès la conclusion du contrat. S’il

avait consenti une hypothèque entre temps, cette

hypothèque sera valable. Il est censé avoir toujours eu le

pouvoir de passer cet acte de disposition.

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Page 26: cours_RGO_2010

o Condition résolutoire : l’obligation est résolue

rétroactivement (V. les dispositions de l’art. 1183 C.

civ.). Des restitutions auront lieu le cas échéant.

- Soit l’événement ne survient pas (la condition défaille) :

o Condition suspensive : l’obligation est rétroactivement

anéantie. Le contrat est caduc. Le droit est censé n’avoir

jamais existé. Ce qui justifie des restitutions si un

commencement d’exécution avait eu lieu.

o Condition résolutoire : l’obligation demeure. Elle est

réputée pure et simple depuis son origine. Toute

incertitude est désormais levée.

Deux précisions à propos de la réalisation de l’événement :

- 1re précision : lorsque le débiteur empêche la réalisation

de l’événement, la condition est réputée accomplie. Tel

est le sens de l’art. 1178 du C. civ. qui édicte à sa manière

un devoir de loyauté. Ex : l’acheteur ne fait pas de demande

de prêt, il fait une demande excessive ou irréaliste (ex : taux

d’intérêt de 1 %).

NB : Souvent pas d’intérêt d’exiger l’exécution forcée en

nature du contrat. En revanche intéressant pour demander

des DI sur le fondement de la responsabilité contractuelle du

débiteur.

- 2e précision : celui dans l’intérêt duquel la condition est

stipulée peut toujours y renoncer. Ex : l’acheteur d’un bien

immobilier peut décider de payer, même s’il n’a pas obtenu

le prêt (même si l’événement ne s’est pas réalisé).

L’obligation est alors réputée pure et simple.

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Page 27: cours_RGO_2010

Chapitre II – LES OBLIGATIONS PLURALES

Une obligation pure et simple lie un seul débiteur à un seul

créancier et porte sur un objet unique. Ex : Le propriétaire d’une

voiture vend celle-ci à une autre personne.

Il arrive cependant parfois qu’une obligation lie plus de deux

personnes ou qu’elle porte sur plusieurs objets.

Le caractère plural d’une obligation peut ainsi s’établir

objectivement, lorsque l’obligation porte sur une pluralité d’objets, ou

subjectivement, lorsqu’elle lie le créancier à plusieurs débiteurs ou,

inversement, le débiteur à plusieurs créanciers.

D’où le plan suivi :

I. La pluralité d’objets

II. La pluralité de sujets

I. LA PLURALITÉ D’OBJETS

On distingue trois types d’obligations objectivement plurales : les

obligations conjonctives (§ 1), les obligations alternatives (§ 2) et les

obligations facultatives (§ 3).

§ 1. Les obligations conjonctives

Lorsqu’une obligation a plusieurs objets, elle est en principe

conjonctive : le débiteur doit cumulativement au créancier, en vertu du

même contrat, plusieurs prestations.

Ex1 : Vente d’un fonds de commerce et de l’immeuble dans

lequel le fonds est exploité

Ex2 : donation avec charge (expliquer : le donateur donne un bien

au donataire mais le donataire s’engage aussi à fournir une prestation au

donateur, souvent de le loger) si la charge du donataire est non

seulement de loger le donateur mais aussi de le nourrir.

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Page 28: cours_RGO_2010

NB   : Un contrat créateur d’une obligation principale et

d’obligations accessoires ne doit pas être considéré comme créateur

d’une obligation conjonctive. Ex : le bail met à la charge du bailleur une

obligation principale, qui est de donner au preneur la jouissance du

bien loué, mais aussi des obligations accessoires, telle l’obligation

d’entretien du local. L’obligation du bailleur n’est pas conjonctive

néanmoins car les autres obligations du bailleur sont accessoires à celle

de conférer au preneur le droit de jouir du local (= elles n’ont PAS LIEU

D’ÊTRE indépendamment de l’obligation principale, alors que

l’obligation principale a un sens indépendamment de l’existence des

obligations accessoires).

Cette hypothèse ne soulève aucune difficulté particulière. Le

débiteur doit simplement fournir l’ensemble des éléments composant

l’obligation conjonctive pour se libérer.

§ 2. Les obligations alternatives

Ce sont les art. 1189 à 1196 C. civ. qui régissent ces obligations.

Une obligation alternative a également plusieurs objets mais le

débiteur ne doit pour se libérer fournir qu’un seul de ces objets. Ex :

Toujours dans la donation avec charge, le donataire peut être tenu soit

de nourrir et loger le donateur, soit de lui verser une rente lui

permettant de se loger et de se nourrir lui-même. Une vente peut prévoir

que l’acquéreur paiera le prix en euros ou en dollars. En d’autres

termes, l’obligation alternative est celle qui ouvre au débiteur la

possibilité de choisir entre diverses prestations déterminées celle qu’il

va fournir pour se libérer.

Rq1 : Ne pas confondre obligation alternative et obligation sous

condition potestative.

C. cass. a précisé par ex. que lorsque le débiteur est tenu d’une obligation

alternative de restituer en nature ou en valeur, le choix entre l’une ou

l’autre modalité d’exécution n’est pas contraire à l’article 1170 du Code

28

Page 29: cours_RGO_2010

civil, autrement dit, ne peut pas donner prise au grief de potestativité. En

l’espèce, un dépositaire de bijoux en dépôt-vente était libre au terme

du contrat soit de restituer les bijoux en nature, soit de les acquérir

moyennant le paiement d’une somme d’argent (Cass. civ. 1re, 16 mai

2006, Bull. civ. I, n° 239, Def. 2006, p. 1220 obs. R. Libchaber).

Solution justifiée : le débiteur ne peut se dérober à ses

engagements, il exerce seulement l’option que lui confère l’obligation

alternative.

Rq2 : Les prestations sont considérées comme équivalentes,

sinon objectivement, du moins juridiquement, dans la mesure où le

créancier accepte que n’importe laquelle des prestations alternatives

libèrera le débiteur de son obligation (art. 1189 C. civ.)

Art. 1190 C. civ. le choix de la prestation à effectuer appartient

en principe au débiteur, sauf stipulation contraire. Mais le débiteur

ne peut pour autant se libérer en délivrant au créancier une partie de

l’une des choses promises et une partie de l’autre (art. 1191 C. civ.).

Si l’une des prestations est illicite ou impossible, l’autre est due

et l’obligation est considérée comme pure et simple (art. 1192 C. civ.). Il

en va de même si l’une des prestations devient impossible (perte de la

chose, événement de force majeure empêchant le débiteur de s’exécuter

etc.) (art. 1193 al. 1 C. civ.), sauf si l’impossibilité est due à la faute

du débiteur et si le contrat donnait au créancier le droit de choisir

entre les diverses prestations. Le créancier a alors le choix entre

réclamer la prestation qui reste possible ou le prix de l’autre (art. 1194

al. 1 C. civ.).

Si les deux prestations deviennent impossibles, il faut

distinguer selon que l’impossibilité résulte de la faute du débiteur ou

d’une cause étrangère.

- En cas de faute du débiteur, celui-ci doit payer le prix de la

dernière prestation qui est devenue impossible (art. 1193 al. 2 C. civ.),

sauf si le contrat donnait au créancier le droit de choisir entre les

29

Page 30: cours_RGO_2010

prestations, auquel cas le créancier peut demander le prix de l’une ou

de l’autre des prestations à son choix (art. 1194 al. 2 C. civ.).

- En l’absence de faute du débiteur, ce dernier est libéré de son

obligation (art. 1195 C. civ.)

§ 3. Les obligations facultatives

Hypothèse proche de la précédente mais pas identique.

L’obligation facultative a un objet unique, que le débiteur doit en

principe fournir, mais il peut, s’il le préfère, se libérer en fournissant une

autre prestation.

Ex : Décès d’un père de famille laissant deux enfants, nés d’un

premier mariage, et une veuve, issue d’un second mariage. Le père

de famille avait fait un testament dans lequel il léguait un immeuble à

sa veuve, à moins que les enfants ne préfèrent garder l’immeuble,

auquel cas ils peuvent exécuter le legs en versant à la veuve une somme

d’argent déterminée.

Différences avec les obligations alternatives ?

Il y a une prestation de principe et une prestation subsidiaire.

L’option entre les deux prestations ne peut donc appartenir

qu’au débiteur de l’obligation car le créancier ne peut exiger

l’exécution que de la prestation de principe.

En outre, la nullité ou l’impossibilité de la prestation de principe

libère le débiteur, qui n’est pas tenu de verser la prestation

subsidiaire, sauf si la perte de la prestation principale est survenue par

sa faute.

Mais globalement, ces situations d’obligations alternatives ou

facultatives sont très rares et même les obligations conjonctives ne

sont pas si répandues que cela (souvent le contrat porte sur un objet

principal et créée seulement des obligations accessoires à l’obligation

principale).

30

Page 31: cours_RGO_2010

Les obligations subjectivement plurales, en revanche, sont bien plus

fréquentes en pratique.

II. LA PLURALITÉ DE SUJETS

La pluralité de sujets se rencontre tant du côté actif que du côté

passif :

- Activement : le rapport lie plusieurs créanciers à un

débiteur

- Passivement : le rapport lie plusieurs débiteurs à un

créancier

La pluralité passive est de loin la plus répandue.

Exemple de cocréanciers : plusieurs prêteurs (banques). Cf.

Eurotunnel.

Exemple de codébiteurs : plusieurs emprunteurs (ex : les

associés fondateurs d’une société ; des époux).

PB : La question essentielle que soulève la pluralité de sujets est

de savoir s’il y a autant d’obligations que de sujets. De deux choses

l’une :

- Soit on divise la créance en autant de sujets : chaque obligation

est alors indépendante. Par exemple, si 2 époux empruntent, chaque

époux est tenu de la ½ du montant de l’emprunt.

- Soit, au contraire, l’obligation demeure unique en dépit de la

pluralité de sujets. Par conséquent, chaque débiteur est tenu de la

totalité de la dette et chaque créancier peut réclamer la totalité de

la créance (sous réserve d’éventuels recours ultérieurs entre

codébiteurs ou cocréanciers pour obtenir le remboursement de leur part

de l’obligation).

Question   : Quelle solution paraît la plus logique ?

31

Page 32: cours_RGO_2010

Ex : pour la colocation d’un appartement, est-il plus logique que

chaque colocataire soit tenu à l’ensemble du loyer ou que chacun ne soit

tenu que pour la moitié du loyer ?

Réponse : Pas de solution logique au problème, mais tentation de

répondre très différemment selon que l’on est débiteur ou créancier.

La solution du problème dépend de l’objectif politique que

l’on veut atteindre.

Schématiquement, concernant la pluralité passive :

La division de la dette est favorable aux débiteurs (ou défavorable

au créancier) puisque :

- Chaque débiteur ne peut être poursuivi en justice que pour

une partie de la dette. Autrement dit, cela oblige le

créancier à diviser les poursuites. Chaque lien est

indépendant l’un de l’autre.

Le risque d’insolvabilité de l’un des codébiteurs est supporté

par le créancier.

Réciproquement, le principe de l’unicité de la dette est favorable au

créancier puisque :

- Chaque débiteur doit la totalité de la dette

en cas d’insolvabilité d’un des codébiteurs, le créancier pourra

agir contre un codébiteur in bonis pour le tout.

Les données sont inversées s’agissant d’une pluralité active.

La division de la créance protège les créanciers puisque chaque

créancier ne peut réclamer qu’une partie de la créance. Le débiteur doit

diviser les paiements, si bien que tous les créanciers doivent obtenir

leur dû.

Alors qu’en cas d’unicité, chaque créancier peut réclamer la totalité

de la créance et le débiteur peut se libérer en payant 1 seul créancier.

C’est évidemment une solution dangereuse pour les autres créanciers,

le risque étant que le créancier payé disparaisse dans la nature. Plus rien

ne pourra être réclamé au débiteur qui s’est valablement libéré.

32

Page 33: cours_RGO_2010

Le choix entre division et unicité dépend donc de l’intérêt que

l’on entend privilégier : celui du créancier ou celui du débiteur ?

A côté de ces considérations politiques, la réponse à la question

soulevée par les obligations subjectivement plurales dépend aussi de

considérations techniques, liées à la nature de la dette et à la

volonté des parties.

S’agissant de la nature, il faut que l’obligation soit divisible pour

que l’on puisse considérer que chaque débiteur n’est tenu qu’à une partie

de celle-ci. Cela exclut toute division lorsque les dettes sont par essence

indivisibles.

Ex : un vendeur a l’obligation de délivrer un animal vivant ; il

décède. C’est une obligation indivisible. Les héritiers ne peuvent pas

délivrer chacun de leur côté une partie de l’animal. Il faut le livrer dans

son entier.

En pratique cependant, la majorité des obligations sont

divisibles, notamment les fréquentes obligations de sommes d’argent.

Dans ces hypothèses, la volonté des parties peut alors influer sur

le régime de l’obligation, en rendant unique une obligation

naturellement divisible (réciproque pas vraie). Soit volonté expresse   :

par ex. les parties stipulent que chaque codébiteur est tenu « pour le

tout ». La liberté contractuelle invite à donner à de telles stipulations.

Soit volonté implicite : par ex. dans un contrat d’édition

concernant un ouvrage écrit par plusieurs auteurs, il peut ressortir des

circonstances de l’espèce que les parties ont envisagé leurs obligations

comme formant un tout (pas deux parties autonomes rédigées mais

chapitres rédigés à quatre mains, même date pour rendre le manuscrit,

rémunération commune, etc.)

33

Page 34: cours_RGO_2010

Mais sous ces réserves, le choix de la règle supplétive (entre

division et unicité de l’obligation à plusieurs sujets) reste très ouvert.

D’où des réponses variables dans l’Histoire.

En droit romain, l’obligation était indivisible tant passivement

qu’activement :

- En présence de plusieurs débiteurs, chacun d’eux était tenu de la

totalité de la dette.

- En présence d’une pluralité de créanciers, le débiteur pouvait se

libérer en payant l’un d’eux en totalité.

C’est Justinien qui a admis, comme une faveur, qu’un bénéfice de

division soit octroyé aux débiteurs. Lorsque le débiteur invoquait ce

bénéfice, le créancier était contraint de diviser ses poursuites contre les

débiteurs.

En droit romain, principe = indivisibilité de l’obligation ; limite =

bénéfice de division.

Ancien droit : Les juristes du Moyen-Age n’ont pas été fidèles au

droit romain. Ils ont renversé l’ordre des choses, en considérant la

division comme le principe et l’indivisibilité (ou la solidarité) comme

l’exception.

Et c’est finalement cette solution qui sera adoptée par le code

napoléon en 1804.

En droit positif, le principe est donc celui de la division.

D’où Plan – On commencera par étudier le principe selon lequel,

lorsque la situation juridique comporte une pluralité de sujets,

l’obligation est a priori supposée divisible. L’obligation qui en découle

est dénommée « conjointe » (§1). Cette règle connaît cependant de

nombreuses exceptions, regroupées en 3 catégories. Le principe de

division cède en effet lorsque l’obligation est indivisible (§ 2), solidaire

(§ 3) ou encore in solidum (§ 4).

34

Page 35: cours_RGO_2010

§ 1. LES OBLIGATIONS CONJOINTES

En cas de pluralité de sujets, la règle en droit français est la

division. En principe :

- Chaque débiteur n’est tenu qu’à sa part de la dette

- Chaque créancier ne peut réclamer que sa part de la

créance

Le principe est posé par l’art. 1220 C. civ. à propos des héritiers

du créancier ou du débiteur (donc à propos d’obligations qui deviennent

plurales au cours de leur existence). Mais son domaine en droit

positif est plus large parce que la solidarité ne se présume pas.

La règle de l’art. 1220 du Code civil vaut pour toutes les obligations

plurales, qu’elles soient nées plurales ou devenues plurales après leur

naissance.

On dit alors que l’obligation est « conjointe » par opposition à

l’obligation « solidaire » : c’est le principe de la conjonction. En

principe donc, les obligations des co-débiteurs ou des co-créanciers se

juxtaposent sans se « mélanger » les unes avec les autres.

Le terme d’obligation « conjointe » ne paraît pas satisfaisant

puisque la notion de conjonction évoque par définition l’idée d’un

ensemble, alors que dans l’obligation conjointe l’obligation de chaque

débiteur/créancier est distincte de celle des autres. Mieux vaudrait parler

d’obligations « disjointes ».

Quoi qu’il en soit, le sens du principe est clair : il y a autant

d’obligations que de sujets, actifs ou passifs.

Conséquences pratiques :

- Si la dette est conjointe, le créancier devra poursuivre chacun

des débiteurs pour leur part dans la dette et c’est le créancier qui

supporte le risque d’insolvabilité. Pour la même raison, la mise en

35

Page 36: cours_RGO_2010

demeure adressée par le créancier à l’un des débiteurs conjoints est

sans effet à l’égard des autres. Pareillement, l’interruption de la

prescription produit effet à l’encontre du débiteur conjoint qui en a été

l’objet, mais non à l’égard des autres débiteurs.

- Si la créance est conjointe, chaque créancier ne peut réclamer

au débiteur que sa part de la créance. Il ne peut pas réclamer le tout.

Par ailleurs, l’interruption de la prescription au profit du créancier

conjoint qui en a été l’auteur ne profite pas aux autres créanciers.

Ce principe ne s’impose pas forcément d’un point de vue logique et

surtout il ne correspond pas à la pratique car, en réalité, les

exceptions sont bien plus fréquentes que le principe. La majorité des

obligations plurales sont indivisibles, solidaires ou in solidum. Le fait que

l’obligation conjointe soit le principe reflète donc un choix politique,

une volonté de protéger les parties, les débiteurs en particulier

(puisque la pluralité passive est la plus fréquente). Mais ce choix est

critiqué par certains auteurs.

Le principe de division peut néanmoins être écarté, notamment

lorsque l’obligation est indivisible.

§ 2. Les obligations indivisibles

En général, l’indivisibilité est la qualité de ce qui ne peut être

divisé.

En droit des obligations, l’indivisibilité est une caractéristique

de l’objet de l’obligation, qui n’est pas susceptible de

fractionnement entre débiteurs ou entre créanciers. Conséquence   :

obstacle à l’application du régime des obligations conjointes.

En pratique donc :

- En cas d’indivisibilité active (= pluralité de créanciers), chacun

des créanciers peut réclamer le paiement pour le tout au débiteur

36

Page 37: cours_RGO_2010

(sachant qu’il devra évidemment ensuite rendre leur part de la créance

à ses cocréanciers). Réciproquement, le débiteur peut payer la totalité

de sa dette entre les mains de n’importe lequel des créanciers.

- En cas d’indivisibilité passive (= pluralité de débiteurs), chaque

débiteur est tenu de la dette pour le tout envers le créancier (art. 1222

C. civ.) et réciproquement, le paiement de la dette par l’un des

débiteurs libère les autres, sous réserve là encore du recours du

débiteur qui a payé contre les autres.

Il existe 2 causes d’indivisibilité :

- une indivisibilité « naturelle » découlant de ce que l’objet

dû n’est pas susceptible de division. Ex : une obligation

de confidentialité ; la délivrance d’une automobile.

- une indivisibilité conventionnelle découlant de la volonté

des parties de rendre indivisible, par une clause, ce qui

est divisible par nature. Ex : dette de somme d’argent

stipulée indivisible entre héritiers en cas de décès.

PB : L’indivisibilité conventionnelle doit-elle être expressément

stipulée ?

Non, pas forcément, elle peut ressortir de la volonté implicite

des parties, s’il apparaît qu’elles ont envisagée leur obligation,

naturellement divisible, comme un tout indivisible. Cf. art. 1218 C. civ. :

« L’obligation est indivisible, quoique la chose ou le fait qui en est l’objet

soit divisible par sa nature, si le rapport sous lequel elle est considérée

dans l’obligation ne la rend pas susceptible d’exécution partielle ».

Ex : Construction d’un ouvrage par une pluralité

d’intervenants. Chacun est responsable d’une partie des travaux (l’un

est responsable de la charpente, l’autre de l’électricité, etc.). Obligations

naturellement divisibles, mais en pratique l’opération peut être conçue

par les parties comme un ensemble indivisible.

Tout dépendra donc de la façon dont le juge interprète la

volonté des parties au contrat (casuistique).

37

Page 38: cours_RGO_2010

NB : Une obligation liant un seul créancier à un seul débiteur

peut également être indivisible mais la reconnaissance de l’indivisibilité

n’a alors pas d’intérêt réel, puisque l’exécution partielle est

normalement interdite par l’art. 1244 C. civ., sauf au décès du

débiteur.

Effets de l’indivisibilité   : Similaires à ceux de la solidarité,

notamment s’agissant du recours du codébiteur ayant payé seul

l’intégralité de la dette indivisible contre les autres.

V. infra.

Le principe de division est encore écarté lorsque les sujets au

rapport d’obligation sont solidaires.

§ 3. LA SOLIDARITÉ

Le régime de l’obligation solidaire figure aux articles 1197 à 1216

C. civ.

On s’intéressera à la notion de solidarité (A) avant d’en voir les

effets (B).

A. Notion

La solidarité se définit comme la situation dans laquelle, entre

plusieurs créanciers ou entre plusieurs débiteurs, il existe un lien

qui rend chacun d’entre eux créanciers de la totalité de la créance

ou débiteurs de la totalité de la dette.

En d’autres termes, la solidarité empêche le fractionnement de

l’obligation.

A nouveau, la solidarité peut être active ou passive.

38

Page 39: cours_RGO_2010

En cas de solidarité active, il existe un lien entre les créanciers

qui fait que chacun peut réclamer la totalité de la créance au

débiteur.

Ex : compte-joint (entre époux ou concubins en général) avec un

solde créditeur. Le banquier doit la totalité de la créance à chacun

des titulaires du compte. Chaque époux/concubin peut retirer la totalité

des fonds déposés sur le compte.

PB : Dangereux donc en pratique, cette forme de solidarité est

rarement stipulée, sauf rapports de confiance particulièrement étroits

entre cocréanciers.

En bref, la solidarité active a un effet principal : chaque

créancier peut réclamer la totalité au débiteur et réciproquement, le

paiement fait à l’un des créanciers libère le débiteur à l’égard de

tous ; elle a aussi des effets secondaires :

- l’interruption de la prescription à l’égard de l’un des

créanciers solidaires profite aux autres.

- la mise en demeure faite au débiteur par l’un des

créanciers profite aux autres.

Horizontalement, dans les rapports entre créanciers, la créance

se divise. Si l’un des créanciers obtient le paiement de la totalité de la

créance, les autres ont un recours contre lui pour obtenir le versement

de leur part. La répartition se fait par parts égales, sauf clause

contraire. PB : L’efficacité du recours dépend de la solvabilité du

créancier accipiens et de sa bonne foi. Danger pour les autres

créanciers, qui explique que cette modalité soit rare.

On s’intéressera seulement à la solidarité passive dans la

suite des développements.

La solidarité passive, donc, joue en cas de pluralité de

débiteurs. Pour en saisir le fonctionnement, il faut distinguer obligation

à la dette et contribution à la dette :

39

Page 40: cours_RGO_2010

- s’agissant de l’obligation à la dette (autrement dit des

rapports verticaux, entre le créancier et chacun des

codébiteurs), chacun des codébiteurs peut être

poursuivi en totalité en paiement de la dette et le

paiement par l’un des débiteurs libère les autres vis-à-vis

du créancier.

Avantage pour le créancier   : il échappe ainsi au risque

d’insolvabilité de l’un des débiteurs. La solidarité passive

remplit donc une fonction de garantie, aujourd’hui

supérieure au cautionnement, tant la législation sur le

cautionnement est devenue protectrice.

- S’agissant de la contribution à la dette (en d’autres termes

des rapports horizontaux, unissant les codébiteurs entre

eux), le codébiteur solvens, celui qui a payé au-delà de sa

part, a un recours contre les autres débiteurs.

La division étant le principe, la solidarité est exceptionnelle

d’un point de vue théorique. Il faut donc qu’elle soit prévue. Comment ?

Quelles sont les sources de la solidarité ?

Trois types de sources :

- La convention  : les parties stipulent une solidarité passive.

PB : Comment ?

V. art. 1202 C. civ. : « La solidarité ne se présume point ; il

faut qu’elle soit expressément stipulée ». Texte qui fonde

le principe de division en droit positif. Il faut donc une

stipulation expresse. Il n’y a pas de convention tacite sur

ce point (cf. indivisibilité).

Ex : on ne saurait déduire une solidarité passive du seul fait

que 2 époux ont signé un acte. Ils ne sont solidaires que si la

solidarité est exprimée dans l’acte.

NB1 : Idem pour la solidarité active.

40

Page 41: cours_RGO_2010

NB2   : En revanche pas de formule sacramentelle = pas

nécessaire que les parties emploient formellement le mot

« solidaire » ou « solidarité ». La solidarité peut ressortir

d’une clause suffisamment claire et explicite du contrat,

même si elle n’emploie pas le mot lui-même. Ex   : « chacun

des codébiteurs est tenu pour le tout ».

- La loi   : Fréquent en pratique que la loi prévoit une

solidarité passive.

Ex : pour les dettes ménagères des époux (art. 220 C.

civ.) ; pour les coemprunteurs d’une même chose

(corporelle, pas somme d’argent) ; à la charge des parents

pour la dette de réparation du dommage causé par leur

enfant (art. 1384 al. 4 C. civ.)

- Source coutumière . La solidarité est présumée pour les

dettes commerciales.

NB : Rare exemple de coutume contra legem auquel il est

donné effet.

La solidarité étant définie, ces sources étant précisées, il reste à

présent à en préciser les effets.

B. Effets

Pour étudier le fonctionnement de la solidarité, 2 plans doivent

être distingués : le plan vertical (1) et le plan horizontal (2).

1. Le plan vertical : le droit de poursuite du créancier contre

les codébiteurs (l’obligation à la dette)

La solidarité produit des effets principaux et des effets

secondaires.

41

Page 42: cours_RGO_2010

Effets principaux

L’effet premier de la solidarité est l’unicité de la dette solidaire.

- Chaque débiteur est tenu de la totalité de la dette envers le

créancier. Le créancier peut choisir d’agir contre tous ou contre l’un

d’entre eux ou certains d’entre eux seulement.

- Réciproquement, le paiement par l’un des codébiteurs libère les

autres envers le créancier. Si paiement partiel par l’un des

codébiteurs, il ne libère pas ce codébiteur en particulier mais tous les

codébiteurs à proportion du montant du paiement partiel.

PB   : Conséquences de l’unicité de la dette sur la détermination des

exceptions opposables au créancier ?

Exception = argument que le débiteur peut opposer au créancier pour

refuser de payer.

Bien entendu, un codébiteur peut opposer au créancier

- les exceptions qui lui sont personnelles (ex : incapacité,

vice du consentement) ;

- les exceptions inhérentes à l’obligation ou communes à

l’ensemble des codébiteurs (prescription de l’obligation,

illicéité, vice du consentement commun, etc.)

PB : les arguments que l’un des codébiteurs peut opposer au créancier

pour ne pas payer sont-ils invocables par les autres ? Ex : remise de dette

accordée à un seul des codébiteurs.

D’un côté, il y a une pluralité de liens, autant de liens que de débiteurs.

Donc ce n’est pas parce que le lien entre le créancier et un codébiteur est

anéanti que les autres débiteurs sont libérés.

Mais de l’autre côté, il y a une unicité d’objet : l’objet de l’obligation est

unique, les différents liens d’obligation ont tous le même objet. Donc, ce

qui touche à cet objet profite à tous.

L’exception personnelle à un codébiteur ne peut pas être

opposée au créancier par les autres, mais la part de la dette

supportée par ce débiteur vient en diminution de la dette totale.

42

Page 43: cours_RGO_2010

Ex   : supposez 3 emprunteurs pour un montant total de 900 euros,

chacun à égalité. Le créancier consent une remise de dette à l’un des

codébiteurs en réservant ses droits contre les autres (à défaut remise

présumée commune). Ces derniers restent tenus car les liens sont

différents. La dette demeure, mais elle est amputée de la part

incombant au débiteur bénéficiaire de la remise. Donc les 2

débiteurs restants demeurent solidairement tenus, mais à hauteur de

600 seulement (cf. art. 1285 C. civ.).

Effets secondaires

- La mise en demeure adressée à l’un des débiteurs produit ses

effets à l’égard des autres. Enjeu : les intérêts moratoires (en cas de

retard de paiement) courent contre tous les débiteurs.

- L’interruption de la prescription à l’égard de l’un joue à l’égard

des autres.

- L’autorité de la chose jugée. Si un procès a lieu entre le

créancier et l’un des débiteurs et que ce débiteur est condamné, le

jugement a autorité de la chose jugée à l’égard des autres débiteurs.

2. Le plan horizontal : les rapports entre codébiteurs (la

contribution à la dette)

V. art. 1213 et 1214 C. civ.

Les rapports entre codébiteurs sont gouvernés par les 2 grandes

règles suivantes :

1. Le codébiteur qui a payé (le solvens) dispose d’un recours

contre les autres

2. Ce recours se divise entre les codébiteurs : le solvens ne peut

réclamer à chacun sa part.

1. Le solvens dispose d’un recours contre les codébiteurs

43

Page 44: cours_RGO_2010

Ce recours suppose que 2 conditions soient remplies :

- Le débiteur doit avoir payé le créancier, directement ou

indirectement (par exemple, par une compensation)

- Le débiteur doit avoir payé plus que sa part (sans quoi le

recours n’aurait aucun sens) ; mais il n’est pas nécessaire

qu’il ait payé la totalité de la dette.

Le recours est prévu par l’art. 1214 C. civ., qui autorise le

codébiteur d’une dette solidaire « [à] répéter contre les autres les part et

portion de chacun d’eux ».

Ce recours est d’une double nature :

- C’est d’abord un recours personnel. Source : mandat ou

gestion d’affaires en l’absence de contrat. Idée : Le

codébiteur qui a payé tout ou partie de la part des autres

leur a rendu service, et il s’est appauvri pour cela. Il est

donc juste que ce codébiteur puisse se retourner contre

celui ou ceux qui en ont bénéficié.

Effet du recours   : Le solvens peut réclamer le

remboursement de ce qu’il a payé, plus les intérêts de

retard à compter du paiement.

Avantage   : Les intérêts courent de plein droit dès le jour

du paiement.

Inconvénient   : Recours n’offrant aucune garantie. En cas

d’insolvabilité de l’un des codébiteurs, le débiteur solvens ne

récupère rien du codébiteur insolvable. Son recours est

théorique.

- Mais le recours du solvens peut également avoir une nature

subrogatoire. Ce recours provient du fait que le solvens est

subrogé dans les droits du créancier. Subrogation (cf.

infra, 2ème partie - La circulation des obligations) = technique

44

Page 45: cours_RGO_2010

de transmission d’une créance à celui qui a payé le

créancier initial.

But : L’idée qui la fonde est la volonté d’inciter les tiers à

régler le créancier.

Ex   : l’assureur qui en indemnisant son assuré paie la dette

de RC de l’auteur du dommage et recueille donc la créance

de DI de son assuré.

Sources   : soit conventionnelle, soit légale et justement

prévue dans le cas du paiement d’une dette solidaire par

l’art. 1251 3° C. civ. subrogation automatique au profit

de celui qui est « tenu avec d’autres au paiement de la

dette ». Correspond bien au paiement d’une dette solidaire.

Avantage   : le solvens exerce les droits du créancier et profite

ainsi des garanties et des sûretés dont il pouvait disposer

pour le paiement de sa créance.

Ex : un banquier prête une somme d’argent et prend une

hypothèque. La caution paie le créancier (la banque) et

recueille la créance. Le recours subrogatoire lui donne le

bénéfice de l’hypothèque. Idem si prêt octroyé à deux

emprunteurs solidaires et que l’un d’eux rembourse plus

que sa part.

Inconvénient   : La subrogation ne joue qu’à hauteur du

paiement effectif, pas au-delà, car elle se fonde sur le

paiement.

Pas d’intérêts de retard.

Par faveur pour le solvens, il n’est pas obligé de choisir entre

les deux recours : il peut cumuler leurs avantages respectifs, c’est-à-

dire l’obtention d’intérêts de retard à compter du paiement et le

bénéfice de sûretés pour garantir le paiement. Etrange mais opportun.

2. Le recours se divise entre les codébiteurs

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Page 46: cours_RGO_2010

Le solvens ne recueille pas le bénéfice de la solidarité.

Ex : si l’un des 3 codébiteurs a payé 900 (le montant total), il ne

peut pas réclamer 900 au 2e, il ne peut même pas lui réclamer 600. Le

recours doit être divisé : celui qui a payé ne peut demander aux autres

débiteurs que leur part. V. art. 1213 C. civ. : « L’obligation contractée

solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les

débiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et

portion ».

Pourquoi cette solution ? Raison d’abord pratique : cela évite les

recours à l’infini, ensuite théorique : on considère habituellement que

la solidarité est un avantage pour le créancier uniquement.

PB1 : Comment faire lorsque l’un des codébiteurs est insolvable ?

Ex : 3 codébiteurs pour 900 ; l’un a payé la totalité de la dette. Si

chacun est tenu dans la même proportion, le solvens devrait pouvoir

réclamer 600 aux 2 autres (300 au 2e et 300 au 3e). Mais imaginons que

l’un des codébiteurs soit insolvable. La question est alors de savoir

qui supporte ce risque en définitive :

- est-ce celui qui a payé ? Concrètement, cela signifie qu’il

obtient 300 du codébiteur solvable et rien du codébiteur

insolvable. En définitive, il aura donc payé 600.

- est-ce que le risque est réparti entre les codébiteurs

solvables ? Concrètement, le solvens aurait un recours de

450 contre le débiteur solvable.

C’est cette seconde solution que retient l’art. 1214 al. 2 C. civ. : «  Si

l’un des codébiteurs se trouve insolvable, la perte qu’occasionne son

insolvabilité se répartit, par contribution, entre tous les autres

codébiteurs solvables et celui qui a fait le paiement ».

PB2   : La part de chacun dans la dette est-elle toujours égale ?

Non, pas forcément. Parfois, chacun est tenu dans la même

proportion dans la dette. Ex : 2 époux achètent un appartement à

46

Page 47: cours_RGO_2010

part égale, auquel cas la part de chacun dans la dette est d’½. Mais

parfois, la proportion n’est pas la même. Ex : possible que sur 3

codébiteurs, le 1er est tenu à hauteur de 50 %, les deux autres à hauteur

de 25 % chacun.

Comment déterminer la part de chaque codébiteur dans la

dette ?

En principe, la dette se divise par part virile (ie par le nombre de

têtes). S’il y a 4 codébiteurs, chacun supporte ¼ de la dette.

Mais ce principe peut être écarté :

- soit par une convention contraire expresse ;

- soit, lorsque la dette est contractée solidairement dans

l’intérêt d’un seul codébiteur. Les codébiteurs non

intéressés sont alors traités comme des cautions : ils ont

un recours intégral. Cela résulte de l’art. 1216 C. civ.

Donc, si le débiteur intéressé a payé, il n’a pas de

recours. Et si un débiteur non intéressé a payé, le solvens a

un recours intégral contre le débiteur intéressé, ou un

recours partiel contre les autres codébiteurs non

intéressés.

L’hypothèse est de plus en plus fréquente en pratique.

La législation contemporaine étant devenue trop

protectrice de la caution, les banques préfèrent

maintenant obtenir un engagement solidaire plutôt qu’un

cautionnement à l’efficacité incertaine. La solidarité est une

garantie plus sûre.

En résumé, la détermination de la part dépend tantôt de la

volonté des parties, tantôt de l’intérêt des parties, selon les

circonstances.

Transition - L’obligation solidaire étant une exception, elle doit

trouver son fondement dans un acte juridique ou dans la loi. Toutefois,

aussi larges soient ces possibilités, elles n’ont pas paru suffisantes à la

47

Page 48: cours_RGO_2010

jurisprudence. Pour conférer une solidarité aux obligations découlant

d’un jugement, les juges se sont donc reconnu le pouvoir de prononcer

des condamnations in solidum.

§ 4. L’OBLIGATION IN SOLIDUM

Définition   : L’obligation in solidum est une obligation au tout

pesant sur des débiteurs tenus d’exécuter une prestation identique

envers un créancier.

Ex : En droit de la RC, l’obligation pesant sur chacun des

coauteurs d’un même dommage de le réparer en entier.

Cette obligation est reconnue à condition que le préjudice causé à

la victime soit unique.

Peu importe le fondement de la RC (ex : que l’un soit

responsable pour faute, l’autre pour le fait de la chose dont il a la garde).

Peu importe également la nature de la responsabilité. Par

exemple, en cas de complicité de violation d’une obligation contractuelle,

l’un des auteurs est responsable contractuellement, l’autre

délictuellement. Cela n’empêche pas une condamnation in solidum.

Quelle est la source (A) de cette obligation et quels en sont les

effets (B) ?

A - La source

L’obligation in solidum est une invention jurisprudentielle,

fondée sur des considérations théoriques et pratiques.

En théorie, l’obligation in solidum trouve son origine dans

l’exclusion de la causalité partielle. Ex : une maison s’effondre à la

fois parce que l’architecte l’a mal conçue, parce que l’entrepreneur l’a

mal construite et parce qu’un voisin a effectué des travaux qui ont

déstabilisé le sol. On pourrait concevoir que chaque fait soit la cause

48

Page 49: cours_RGO_2010

d’une partie du dommage, par exemple, l’un à hauteur de 40 %, les deux

autres à hauteur de 30 % (ou chacun à hauteur d’1/3). Mais plutôt que

de procéder à une telle division, la jurisprudence française retient une

conception plus abrupte de la causalité : la causalité est ou n’est pas.

Elle n’est pas partielle. Chaque coresponsable est censé avoir causé

la totalité du dommage. De cette manière, la jurisprudence autorise la

victime à s’adresser à l’un des coresponsables pour la totalité de la

réparation. Toutefois, le débiteur solvens a un recours contre les autres

responsables.

En pratique l’obligation in solidum remédie au fait que, dans la

mesure où la solidarité ne se présume pas, le juge ne peut pas, en

dehors des cas prévus par la loi ou la coutume, assortir de la solidarité

ses décisions condamnant plusieurs personnes. C’est pourquoi elle a créé

l’obligation in solidum en matière de RC, afin d’améliorer le sort de la

victime qui ne supporte pas le risque d’insolvabilité de l’un des

coauteurs de son dommage.

Cependant l’obligation in solidum n’est pas utilisée à tort et à

travers par la jurisprudence pour renverser le principe de division

des dettes des codébiteurs qui prévaut en droit français.

L’obligation in solidum n’est globalement utilisée que dans des

hypothèses où le créancier est en situation de faiblesse et mérite la

protection qui lui est ainsi accordée.

Ex : obligation in solidum en faveur du créancier d’aliments

lorsqu’il y a plusieurs débiteurs d’aliments (ex : le père et la mère de

l’enfant). En revanche, la Cour de cassation refuse de condamner des

coemprunteurs in solidum lorsque le contrat de prêt ne stipule pas que

leur obligation est solidaire. Le prêteur a négligé de stipuler la solidarité

dans le contrat, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

B - Les effets de l’obligation in solidum

Il faut distinguer à nouveau obligation et contribution à la dette.

49

Page 50: cours_RGO_2010

Obligation à la dette :

- L’obligation in solidum a les mêmes effets principaux que la

solidarité passive : le créancier peut s’adresser à l’un des codébiteurs

pour le tout. Il n’a pas à diviser les poursuites. Comme chaque

coresponsable est censé avoir causé tout le dommage, il s’ensuit que

chacun doit le réparer en entier.

Réciproquement, le paiement fait par l’un des codébiteurs in

solidum libère les autres.

- En revanche, les effets secondaires de la solidarité sont écartés.

Ainsi l’interruption de la prescription à l’égard de l’un ne joue pas à

l’égard des autres. Il en va de même pour la mise en demeure ou pour

l’opposabilité de la chose jugée.

Il n’est pas facile de comprendre pourquoi les effets secondaires

sont exclus. La doctrine est partagée. Peut-être est-ce tout simplement

parce que l’obligation solidaire et l’obligation in solidum n’ont pas les

mêmes sources (les juges n’ont pas voulu aller trop loin dans la

création).

Contribution à la dette :

Dans les rapports entre codébiteurs, celui qui a payé plus que sa

part dispose d’un recours mais la dette se divise alors.

Deux différences à noter par rapport à la solidarité :

Nature du recours : subrogatoire. Même fondement que pour la

solidarité passive : l’art. 1251 3° C. civ. (subrogation légale de celui qui

était obligé de payer le créancier).

Mais il n’est pas certain que le solvens dispose d’un recours

personnel car il n’a pas rendu service à autrui : il est intégralement

responsable. La Cour de cassation a admis ce recours dans un arrêt

rendu le 7 juin 1977 (Bull. civ. I, n° 266), mais décision est isolée.

Détermination des parts contributives : elle dépend de la nature

de la responsabilité de chaque protagoniste : faute ou pas, et si

50

Page 51: cours_RGO_2010

plusieurs fautes, gravité de la faute prise en compte : plus la faute est

grave, plus la charge définitive de la dette sera lourde ; si aucune faute,

parts viriles (en gros). Le détail de ces règles relève du droit de la RC.

Transition - Ainsi s’achève l’étude des obligations plurales et avec

elle l’étude des modalités des obligations. C’est en gardant leur régime

juridique à l’esprit qu’il faut maintenant aborder la circulation des

obligations.

51

Page 52: cours_RGO_2010

Deuxième partie – LA CIRCULATION DES OBLIGATIONS

Qu’entend-t-on lorsque l’on parle de « circulation des

obligations » ?

Le terme « circulation » ne figure pas dans le Code civil. C’est

une expression d’origine doctrinale, aujourd’hui usuelle.

Définition – La circulation d’une obligation est l’opération par

laquelle l’obligation change de titulaire, soit de créancier, soit de

débiteur, entre le moment de sa naissance et le moment du

paiement.

Ex1 : un prêteur possède une créance à terme mais il a un

besoin immédiat de liquidités. Il peut alors « vendre » sa créance, à

une banque par exemple, pour obtenir des liquidités. Plus exactement,

opération dénommée la « cession de créance ».

Intérêt pour la banque ? En général, la cession se fera pour un prix

inférieur à la valeur nominale de la créance (par exemple le

créancier vend 80 une créance de 100). La différence = contrepartie du

fait que le nouveau créancier, le « cessionnaire », doit attendre

l’échéance du terme pour obtenir le paiement de la créance et qu’il

supporte désormais le risque d’insolvabilité du débiteur.

Ex2 : un tiers paie le créancier à la place du débiteur, en

obtenant une subrogation de la part du créancier, qui permet au tiers de

recueillir la créance et de devenir le nouveau créancier du débiteur.

Ex : une personne est victime d’un dégât des eaux parce que son voisin

a laissé un robinet ouvert en partant. L’assureur indemnise

immédiatement la victime à la place du responsable et est subrogé

dans les droits de la victime : il recueille la créance contre le

responsable. But   : inciter les tiers à payer la dette d’autrui, en

52

Page 53: cours_RGO_2010

l’occurrence un tiers mieux à même que le créancier initial de

supporter un délai ou un défaut de paiement.

Pour bien comprendre les difficultés soulevées par ce type

d’opération, il faut se rappeler que l’obligation a une double nature.

C’est un lien et un bien. L’obligation est un bien (incorporel) car elle a

une valeur patrimoniale. Donc a priori, comme tout autre bien elle doit

pouvoir circuler d’un patrimoine à un autre. Mais l’obligation est aussi

un droit personnel, c’est-à-dire un lien de droit entre deux

personnes.

Les opérations de transfert d’obligations ont donc pour

caractéristique qu’elles impliquent une autre personne que les parties

à l’opération réalisant le transfert (ex : la cession de créance est

conclue entre cédant et cessionnaire, mais elle implique aussi le

débiteur de la créance cédée). Cf. expression utilisée en doctrine

d’« opérations à 3 personnes ». Parce qu’un tiers est impliqué, les

transferts d’obligations ne peuvent être traités comme les transferts

d’autres biens et que des règles particulières doivent être édictées.

En droit romain primitif, la circulation des obligations était

radicalement impossible. Céder sa créance ou sa dette détruisait le

rapport d’obligation originel, car on ne pouvait précisément

concevoir qu’un lien entre deux personnes soit transmis à une

autre personne. PB   : Les opérations de circulation des obligations sont

utiles socialement (v. ex. supra) : elles sont nécessaires au crédit, elles

accélèrent le paiement et elles peuvent aussi réduire les coûts

(paiements simplifiés) et offrir des garanties. D’où la NECESSITE de

créer des mécanismes organisant la circulation des obligations

dans l’optique de les doter d’un régime juridique sinon favorable, du

moins censé ne pas les entraver.

53

Page 54: cours_RGO_2010

Plan – Une distinction fondamentale s’impose. Comme on l’a

signalé dans la définition de la circulation de l’obligation, le changement

de titulaire peut concerner soit le créancier, soit le débiteur.

- Le changement de créancier s’opère grâce à une cession

de créance ou une subrogation. Ce changement ne pose

pas véritablement de problème car, en général, la

personne du créancier est indifférente. Donc pas besoin

de l’accord du débiteur + la créance reste la même, avec

ses accessoires, ses exceptions.

- Mais la circulation peut aussi s’opérer par un changement

de débiteur.

Ex1 : un immeuble loué est vendu ; le contrat de bail se

poursuit légalement (art. 1743 C. civ.) ; donc le débiteur

de l’obligation de jouissance (propriétaire de l’immeuble)

change. Ex2 : Le dirigeant d’une société, qui s’était porté

caution pour la société, vend ses actions. L’acheteur

s’engage comme caution à la place de l’ancien dirigeant.

Il y a un changement de la personne de la caution, qui est

possible si la banque l’accepte.

PB   : La personne du débiteur n’est pas indifférente au

créancier, tout simplement parce que sa solvabilité lui

importe. D’où impossibilité de libérer l’ancien débiteur

sans l’accord du créancier. Techniquement, ces

opérations ne sont en outre pas translatives. Le processus

mis en œuvre consiste à ce qu’un nouveau débiteur

s’engage à côté ou à la place de l’ancien selon le souhait

du créancier. D’où création d’une obligation nouvelle.

La circulation de l’obligation peut donc suivre deux procédés

distincts : soit il y a transfert de l’obligation préexistante (Titre I), soit il

y a création d’une obligation nouvelle (Titre II).

Titre I : Le transfert de l’obligation

54

Page 55: cours_RGO_2010

Titre II : La création d’une obligation nouvelle

Titre I – LE TRANSFERT DE L’OBLIGATION

Définition – Le terme « transfert » signale que le même droit, qui

conserve son identité, ses caractères, ses accessoires, est affecté par un

changement de titulaire. Le même droit, avec ses avantages (sûretés)

et ses inconvénients (courte prescription par exemple) est donc

transmis de l’ancien créancier au nouveau.

Ex1 : Bail conclu par un locataire a fourni une sûreté (ex : dépôt de

garantie ou cautionnement). Le bailleur cède sa créance de loyer à

son banquier. Le banquier, qui est le nouveau créancier (cessionnaire),

peut réclamer le paiement et il bénéficie aussi automatiquement des

sûretés accessoires (dépôt de garantie et/ou cautionnement).

Ex2 : vente internationale de marchandises contenant une

clause d’arbitrage. Le vendeur a besoin d’argent. Il cède sa créance

de paiement du prix (payable à terme). Le cessionnaire recueille

cette créance mais aussi la clause d’arbitrage figurant au contrat. En

cas de litige, cette clause sera applicable.

PLAN – Le transfert de l’obligation doit être envisagé sous ses 2

angles, actif (transfert de la créance) et passif (transfert de la dette).

- Le transfert de la créance peut être réalisé de 2

manières :

o Soit en aliénant la créance. C’est le mode prévu par les

art. 1689 et s. C. civ. qui traite cette aliénation comme

une vente : le créancier « vend » sa créance. C’est la

cession de créance (Chap. I).

o Soit en remplaçant le créancier par un autre

créancier. La créance est transmise sur la base d’un

paiement. Contrairement à l’hypothèse précédente, il n’y

55

Page 56: cours_RGO_2010

a pas d’esprit spéculatif. Le procédé est conçu pour inciter

autrui à payer le créancier. C’est la subrogation

personnelle (Chap. II).

- Quant au transfert de dette, c’est-à-dire le transfert de son

obligation par le débiteur, la question se pose de savoir s’il

est admissible (parce que la personne du débiteur est

rarement indifférente au créancier). C’est ce que nous

verrons dans un Chap. III consacré à la cession de dette.

Chapitre I – LA CESSION DE CRÉANCE

V. art. 1689 et suivants du Code civil.

Définition – La cession de créance est la convention par laquelle

une personne, appelée le cédant, transfère à une autre personne,

appelée cessionnaire, sa créance contre son débiteur, appelé

débiteur cédé.

En droit positif, la validité de l’opération est admise sans

difficulté, que le créancier cède sa créance à titre onéreux (vente), ou

à titre gratuit (la créance est l’objet d’une donation).

Ce pouvoir d’aliénation semble logique, voire évident, dans un

système consensualiste comme le nôtre. Mais il n’a pas toujours été

admis.

En droit romain, l’obligation naissait de l’accomplissement de

formes (il fallait prononcer des paroles sacramentelles, rédiger un

écrit ou remettre une chose). Cela faisait obstacle au changement de

créancier car les formes devaient être accomplies entre le débiteur

et le créancier de l’obligation.

Seul moyen de modifier le titulaire d’une obligation : procéder à

un nouvel échange de paroles sacramentelles avec le tiers, donc de

56

Page 57: cours_RGO_2010

créer une nouvelle obligation à l’égard du nouveau créancier. PB :

Procédé lourd + les sûretés attachées à la première créance

disparaissent en même temps qu’elle (puisque précisément l’opération

n’était pas un transfert de la créance originelle).

Mais peu à peu, le formalisme a décliné en droit romain pour

laisser place au consensualisme + nécessaire pour les besoins du

commerce d’admettre la cession de créance.

Utilisation du mandat (procuratio) comme moyen détourné de céder

une créance. Le créancier originel donnait mandat à une autre

personne de recevoir le paiement à sa place. PB : Le mandat est

toujours révocable (ad nutum). Si bien que le débiteur n’est jamais

certain que le mandat n’a pas été révoqué, et s’expose au risque de

devoir payer une deuxième fois !

Pour garantir la sécurité du procédé, on prit l’habitude de faire

signifier le mandat au débiteur. Le débiteur pouvait alors payer le

mandataire en toute sécurité, du moins tant que la dénonciation du

mandat ne lui avait pas été signifiée. Et cette technique est l’ancêtre de

la formalité aujourd’hui prévue à l’art. 1690 C. civ. pour rendre la

cession opposable au débiteur cédé.

PB : Le procédé de l’art. 1690 demeure complexe à mettre en

œuvre et coûteux.

On a cherché des moyens de l’assouplir. D’où l’existence, en droit

positif, de deux types de cessions de créance soumises à des régimes

différents : le régime de droit commun, assez complexe, et des

régimes spéciaux conçus pour simplifier la cession de créance.

Plan : On étudiera d’abord la cession de créance de droit commun

(section I) ; pour comprendre le régime des cessions simplifiées

(section II).

I. LA CESSION DE CRÉANCE DE DROIT COMMUN

57

Page 58: cours_RGO_2010

V. art. 1689 à 1701 C. civ., regroupés dans un Chapitre

(bizarrement) intitulé « Du transport des créances et autres droits

incorporels ».

Même si la cession de créance de droit commun est aujourd’hui

concurrencée par les modes simplifiés de cession, elle n’en reste pas

moins d’une grande utilité pratique.

Pour quoi faire ? Quelles sont les fonctions de la cession de

créance ?

- Vendre la créance pour obtenir des liquidités et éventuellement

ne pas supporter le risque d’insolvabilité. C’est alors une opération

spéculative. On vend une créance, échue ou plus souvent à échoir,

comme n’importe quel bien ou marchandise, au plus offrant. Ex : un

commerçant cède à un banquier sa créance de 100 au prix de 80. C’est

la conception du Code civil. Elle est exacte, mais insuffisante car une

cession de créance peut avoir d’autres fonctions.

- Faire une libéralité (donation s’agissant d’une transmission

entre vifs ; mais un legs est possible). Le créancier cède la créance dans

une intention libérale et sans exiger de contrepartie (pas de prix). Ex :

les parents qui cèdent leur créance de loyers à leur enfant (cf.

colocation). [Soit la donation est ostensible et elle doit obéir au

formalisme légal. Soit la donation est déguisée sous l’apparence d’un acte

à titre onéreux et elle n’a pas à suivre ce formalisme].

- Effectuer un paiement. Cela suppose que le cédant soit tenu

d’une obligation préexistante envers le cessionnaire. Pour payer sa

dette, le cédant transmet au cessionnaire sa créance contre le cédé.

Ex : Pierre doit 10 à Paul et Jacques doit 10 à Pierre, Pierre peut céder à

Paul la créance qu’il a contre Jacques.

58

Page 59: cours_RGO_2010

- Constituer une sûreté. La créance est cédée pour garantir un

crédit. C’est la fonction la plus moderne de la cession de créance, mais

aussi la plus éloignée de la conception du Code civil. Le code conçoit

la cession de créance comme une vente, alors qu’ici :

* il n’y a pas de prix

* le cessionnaire contracte l’obligation de restituer la créance

si la dette principale est payée. C’est donc une propriété

temporaire, qui ne devient définitive qu’en cas de non-paiement.

Avantage clé pour le créancier cessionnaire : il est

propriétaire ! La créance cédée entre dans son patrimoine et

échappe ainsi aux poursuites des autres créanciers du cédant.

Cette forme de cession s’appelle « cession fiduciaire », parce

qu’elle n’est qu’une illustration du mécanisme de la fiducie (=

transférer la propriété d’un bien à titre de garantie).

PB : Ce type de cession est-il autorisé ?

Oui entre professionnels grâce à la Loi Dailly du 2 janvier

1981, permettant la cession à un établissement de crédit, en garantie

d’un crédit professionnel, lorsque la créance résulte d’une activité

professionnelle (v. infra).

PB   : Quid en droit commun ? Pourquoi pas ? Principe =

consensualisme et liberté des conventions. Que dit la

jurisprudence ?

La Cour de cassation a semblé favorable à ce type de cession de créance

(v. implicitement, à propos d’une cession fiduciaire de loyers futurs,

Civ. 1re, 20 mars 2001, Bull. civ. I, n° 76). Mais elle a récemment adopté

une attitude nettement moins favorable à la cession de créance à titre

de garantie, dans un arrêt Cass. com., 19 décembre 2006, Bull. civ. IV,

n° 250, qui dit qu’en dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un

débiteur cède à son créancier, à titre de garantie, ses droits sur des

créances, constitue un simple nantissement de créance.

L’acte doit respecter les conditions du nantissement et que le

créancier nanti ne devient pas propriétaire de la créance. Il a un

simple droit de préférence sur elle.

59

Page 60: cours_RGO_2010

Portée incertaine   : revirement de jurisprudence ou divergence entre

chambres ? Le doute demeure.

En pratique, moins important depuis qu’une loi a été votée en

France (L. 19 février 2007) autorisant la fiducie y compris à titre de

sûreté (v. art. 2018-2 C. civ.). Initialement, ne pouvait constituer une

fiducie qu’une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés.

Tous les débiteurs personnes physiques, PM non commerciales et PM

commerciales non soumises à l’impôt sur les sociétés, étaient donc exclus

du bénéfice de cette loi. La question de la validité de la cession fiduciaire

restait intéressante. Une retouche récente de la loi a cependant

complètement ouvert la fiducie.

Dans ce cadre, les cessions fiduciaires sont donc aujourd’hui

autorisées.

PB   : Formalités différentes de celles de la cession de créance de

droit commun et notamment enregistrement de la fiducie auprès de

l’administration fiscale (lourd !).

Au Luxembourg, la question de la validité de la cession fiduciaire

ne se pose plus depuis longtemps car la fiducie, admise au Luxembourg

dès 1983 (RGD 19 juillet 1983), est soumise à des conditions moins

restrictives, et notamment peut être constituée depuis longtemps par

n’importe quelle personne capable.

Plan – On examinera les conditions (§ 1) puis les effets (§ 2) de la

cession de créance.

§ 1. Les conditions de la cession de créance

Traditionnellement, on distingue 2 types de conditions.

D’abord, la cession de créance est une convention entre cédant et

cessionnaire. Comme toute convention, elle obéit à des conditions de

validité (A).

60

Page 61: cours_RGO_2010

Ensuite, puisque cette convention porte sur une créance, elle

intéresse les tiers : le débiteur cédé naturellement qui se retrouve lié

au cessionnaire, mais aussi les créanciers et ayants cause du cédant

qui ont tous intérêt à faire admettre que la créance n’est, à leurs yeux,

jamais sortie du patrimoine du cédant (leur débiteur). Pour cette raison,

la cession de créance doit remplir des conditions d’opposabilité (B).

A. Les conditions de validité

Conditions de validité de droit commun en principe (art. 1108 s.

C. civ.) : capacité des parties, consentement sérieux et exempt de vice,

objet certain et cause licite.

Seules questions appelant des précisions : le consentement et

l’objet de la cession.

Sur le consentement, il faut souligner qu’il s’agit uniquement du

consentement de cédant et du cessionnaire. Le consentement du

débiteur cédé n’est PAS une condition de la cession.

C’est opportun et logique (peu lui importe l’identité de son

créancier).

S’agissant de l’objet de la cession de créance, c’est la créance

cédée.

La question est donc de savoir si la créance est cessible.

La réponse est positive en principe. Par conséquent, il n’est pas

nécessaire de le stipuler dans le contrat initial. Peu importe que la

créance soit échue ou à échoir, conditionnelle, de somme d’argent ou

d’une autre nature (ex : parts sociales).

Ce principe s’applique-t-il aux créances futures ? Peut-on céder

une créance qui n’est pas encore née ? En droit commun, la Cour de

cassation l’a admis à propos de loyers à naître issus de baux non

encore conclus au moment de la cession. C’est l’arrêt de la 1ère ch.

civile du 20 mars 2001 (précité) qui affirme que « les créances futures

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Page 62: cours_RGO_2010

ou éventuelles peuvent faire l’objet d’un contrat, sous la réserve de leur

identification ». Cf. art. 1130 C. civ. selon lequel les choses futures

peuvent être l’objet d’une obligation.

Le principe souffre deux séries d’exceptions :

- Exceptions légales : créances alimentaires. Elles sont

incessibles afin de protéger leur créancier. C’est

également vrai, dans une certaine mesure, des créances de

salaires. C’est un peu la même idée : le salaire remplit en

partie une fonction alimentaire. La règle est la même pour

les pensions de retraite.

- Exception conventionnelle : clause d’incessibilité ou

clause d’agrément (l’agrément du débiteur est requis

pour que la cession opère, par exemple en cas de cession de

parts sociales).

PB1   : ces clauses sont-elles valables ? La réponse est

positive, sauf si la clause vise les créances des producteurs,

commerçants, industriels ou artisans (art. L. 442-6 II c C.

com.).

PB2 : que se passe-t-il si la créance est cédée malgré la

clause d’incessibilité ou sans demande d’agrément ou

malgré le refus d’agrément ? La cession est-elle nulle ? Est-

elle valable tout en donnant lieu à des dommages-

intérêts ? La jurisprudence a évolué : Cass. com. 21

novembre 2000 (Bull. civ. IV, n° 180) avait décidé que le

cessionnaire n’était pas lié par la clause d’agrément

stipulée dans le contrat dont la créance était issue, au motif

qu’il était tiers à ce contrat. Le cédé pouvait donc

seulement engager la responsabilité contractuelle du

cédant n’ayant pas respecté la clause. La solution était

critiquable car le contrat contenant la clause d’agrément

est opposable au cessionnaire. D’où un revirement :

Cass. com., 22 octobre 2002, RTD civ. 2003, p. 129 obs.

62

Page 63: cours_RGO_2010

CROCQ, décidant que la clause d’incessibilité est opposable

au cessionnaire et la cession annulable.

Il faut à présent examiner à quelles conditions la cession de créance

est opposable aux tiers.

B. Les conditions d’opposabilité

Pour que la cession de créance soit opposable aux tiers, les

parties (le cédant et le cessionnaire) doivent accomplir certaines

formalités (cf. principe de l’opposabilité de plein droit).

Ces formalités sont prévues à l’art. 1690 C. civ. C’est un texte

fondamental. Il dispose :

«  Le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la

signification du transport faite au débiteur.

    Néanmoins le cessionnaire peut être également saisi par

l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte

authentique ».

L’emploi du mot « saisi » trahit l’influence de l’Ancien droit. A

l’époque, pour que la cession de créance soit efficace, il fallait que le

cessionnaire soit « ensaisiné ». Il était ensaisiné lorsque la cession était

signifiée au débiteur cédé. La signification emportait transfert de

propriété de la créance. Tant que la cession n’était pas signifiée au cédé,

la créance restait dans le patrimoine du cédant. Pourquoi ? Parce que le

transfert de propriété ne s’opérait pas solo consensu dans l’Ancien

droit (ensaisinement = traditio du droit romain).

Faut-il interpréter le terme « saisi » figurant à l’art. 1690 C. civ.

dans son sens historique, comme signalant que les formalités prévues

par ce texte sont nécessaires au transfert de propriété de la créance ? La

réponse est négative :

- d’abord, parce que dans le Code civil, le transfert de

propriété a lieu par le seul échange des consentements,

63

Page 64: cours_RGO_2010

sans formalité particulière. Idem pour la créance transmise

au cessionnaire dès la conclusion du contrat de cession.

- ensuite, parce que l’art. 1690 précise bien que c’est « à

l’égard des tiers » que le cessionnaire est « saisi » par la

signification. Il règle les rapports entre les parties et les

tiers uniquement. Les formalités prévues par l’art. 1690

ne concernent pas les rapports entre les parties, qui

elles sont soumises au droit commun, donc au

consensualisme.

Les formalités de l’art. 1690 C. civ. sont seulement des formalités

de publicité, d’opposabilité aux tiers, et en particulier au débiteur

cédé. Si ces formalités ne sont pas respectées, les tiers peuvent « faire

comme si » que la créance n’était jamais sortie du patrimoine du

cédant, autrement dit ignorer l’existence de la cession.

Plan – L’art. 1690 C. civ. prévoit 2 formalités alternatives. Nous

verrons successivement leur contenu (1) puis leur rôle (2).

1. Le contenu des formalités prévues par l’art.

1690 C. civ.

D’après l’art. 1690 C. civ., les parties peuvent choisir entre 2

formalités pour rendre la cession de créance opposable aux tiers : soit la

signification de la cession au débiteur cédé, soit l’acceptation par le

débiteur cédé dans un acte authentique. De quoi s’agit-il ?

La signification – La signification est un exploit (acte) d’huissier

de justice. C’est un procédé formaliste d’information de celui auquel

elle est adressée, que le législateur rend ici obligatoire pour s’assurer

que le débiteur cédé est effectivement informé de la cession.

Garantit l’efficacité et la sécurité de la cession grâce à sa date

certaine.

64

Page 65: cours_RGO_2010

PB   : Est-ce au cédant ou au cessionnaire de procéder à la

signification de la cession ? Du silence de l’art. 1690 on peut déduire que

cette formalité peut être accomplie par n’importe laquelle des

parties. Mais en pratique c’est généralement le cessionnaire qui

prend l’initiative de la signification, car il est dans son intérêt de rendre

le plus vite possible la cession opposable aux tiers.

L’acceptation dans un acte authentique – Cette formalité est

plus rarement employée car elle est plus coûteuse. Elle ne le sera que

si la cession de créance a lieu par acte authentique. Dans ce cas, par

souci de simplicité, les parties demanderont au débiteur cédé de

donner son « acceptation ». Attention cependant !!!! Le terme

employé par le Code civil est trompeur. Il ne s’agit PAS de demander

au débiteur son consentement à la cession : il ne devient pas partie

au contrat de cession de créance ; il ne prend pas un nouvel engagement.

La cession nécessite seulement l’échange des consentements du cédant

et du cessionnaire. Tout ce que l’on demande au débiteur, c’est son

acquiescement. De cette façon, il reconnaît avoir été informé, averti,

de la cession. Là encore, l’acte aura date certaine, ce qui évite les

fraudes aux droits acquis par les tiers sur la créance cédée.

Assouplissements jurisprudentiels – Les formalités légales sont

lourdes et coûteuses (elles font toutes intervenir des officiers publics,

huissiers ou notaires).

La jurisprudence a interprété l’art. 1690 avec souplesse.

La Cour de cassation reconnaît l’efficacité de formalités

équivalentes à celles prévues par la loi :

- Par exemple, la signification peut être faite par une

assignation en paiement ou un commandement de

payer, à condition qu’ils informent correctement le cédé

de la cession.

- La jurisprudence admet également qu’une « acceptation »

dans un acte ssp, voire une acceptation verbale, équivaut

65

Page 66: cours_RGO_2010

à une « acceptation » par acte authentique dans les

rapports cessionnaire/débiteur cédé. Mais

l’assouplissement ne vaut pas dans les rapports entre

cessionnaire et les autres tiers, pour lesquels l’acceptation

par acte authentique est requise. Concrètement, le débiteur

cédé ne pourra plus se libérer valablement en payant sa

dette entre les mains du cédant.

NB : Au Luxembourg, l’art. 1690 du Code civil a été modifié pour

assouplir ces formalités. L’article 1690 énonce désormais : « Le

cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la notification du

transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut également

être saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur. La

notification et l’acceptation du transport s’effectuent soit par un acte

authentique, soit par un acte sous seing sous privé. Dans ce dernier cas,

si un tiers conteste la date de la notification ou de l’acceptation du

transport, la preuve de cette date peut être rapportée par tous les

moyens ». On arrive ainsi finalement à des solutions relativement

proches du droit français (parfois plus souple : la notification peut se

faire par simple ASSP au Luxembourg alors qu’en France seule

l’acceptation peut se faire par ASSP + suffit pour l’opposabilité à tous

les 1/3, pas seulement au débiteur cédé ; mais possibilité d’une

acceptation verbale en France, pas envisagée dans le C. civ.

luxembourgeois). L’assouplissement apporté par la jurisprudence en

France est ainsi apporté dans la loi au Luxembourg.

PB : quid si aucune formalité prévue l’art. 1690 n’est respectée

mais qu’il apparaît que le débiteur cédé a malgré tout connaissance de

la cession de créance, par exemple, grâce à une lettre simple ? La

connaissance suffit-elle à assurer l’opposabilité de la cession au

débiteur ?

La jurisprudence ne l’admet pas en principe. La connaissance

n’est pas en elle-même l’équivalent d’une formalité. Elle ne suffit pas à

66

Page 67: cours_RGO_2010

rendre la cession opposable au cédé, sous réserve d’un concert

frauduleux entre le cédé et le cédant. La solution est inutilement

rigide car, au fond, c’est bien la connaissance qui importe. C’est le

but ultime de l’accomplissement des formalités que d’informer les tiers.

Sans revenir sur le principe, la C. cass° a admis que la fraude

soit constituée par la seule connaissance de la cession, de sorte que le

paiement fait par le cédé au cédant, au détriment du cessionnaire, n’est

pas libératoire (Com., 26 novembre 2003, Bull. civ. IV, n° 176). Même

solution au Luxembourg à l’art. 1691 C. civ. (depuis nouvelle rédaction

en 1994).

2. Le rôle des formalités prévues par l’art. 1690 C.

civ.

Le rôle des formalités varie selon le tiers concerné. Il faut en effet

mettre à part le débiteur cédé, qui est certes un tiers au contrat de

cession, mais qui est partie à la créance transférée.

a) Rôle à l’égard du débiteur cédé

Les formalités servent à rendre la cession opposable. Donc, tant

qu’elles ne sont pas accomplies, le cessionnaire ne devrait pas

pouvoir se prévaloir de la créance à l’égard du cédé. Pour le

débiteur cédé non averti, le seul créancier est le cédant.

Si le débiteur n’est pas prévenu et qu’il paie le cédant, il est

libéré alors qu’il a mal payé. V. art. 1691 C. civ. (« Si, avant que le

cédant ou le cessionnaire eût signifié le transport au débiteur, celui-ci

avait payé le cédant, il sera valablement libéré ») et aussi art. 1240 C.

civ. (« Le payement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la

créance est valable, encore que le possesseur en soit ensuite évincé »).

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Page 68: cours_RGO_2010

Cela paraît simple. Pourtant, la jurisprudence est relativement

confuse.

PB : Que se passe-t-il si les formalités de l’art. 1690 ne sont pas

respectées ?

Distinguer rapports cessionnaire/cédé et cédant/cédé.

Dans les rapports cessionnaire/débiteur cédé – Certains arrêts

appliquent logiquement l’art. 1690 : si les formalités ne sont pas

remplies, le cessionnaire ne peut pas réclamer le paiement (faire

valoir sa créance) au débiteur cédé, auquel la cession est inopposable.

Mais d’autres arrêts décident curieusement du contraire : le

cessionnaire peut tout de même se prévaloir de sa créance à l’égard du

débiteur cédé malgré le non respect des formalités. V. not. Civ. 3e, 26

février 1985, inédit : « le défaut d’accomplissement de ces formalités ne

rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé

l’exécution de son obligation quand cette exécution n’est susceptible

de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la

créance soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne

étrangère à la cession ».

La Cour de cassation renverse le principe puisqu’elle énonce

que, même si les formalités ne sont pas accomplies, le cessionnaire

peut exiger du débiteur cédé le paiement de la créance, sauf dans 2 cas :

- si le paiement doit faire grief au débiteur cédé, soit parce

qu’il a déjà payé le cédant, soit parce qu’il a une créance

contre le cédant et qu’il pourrait invoquer la

compensation. Dans ce cas, le cessionnaire ne peut pas

exiger le paiement.

- si le paiement doit faire grief à un tiers autre que le

débiteur cédé, par exemple, un tiers qui aurait déjà

pratiqué une saisie sur la créance. Le cessionnaire ne peut

pas exiger le paiement car cela nuirait au tiers saisissant à

qui la cession est inopposable puisque les formalités n’ont

pas été satisfaites.

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Page 69: cours_RGO_2010

Au fond, selon cette jurisprudence, peu importe que les formalités

ne soient pas respectées si l’intérêt des tiers, en vue duquel elles ont

été édictées, n’est pas effectivement menacé. L’inopposabilité n’est

pas encourue du seul fait que les formalités n’ont pas été accomplies ;

elle n’est encourue que dans la mesure où elle permet de protéger

un intérêt en péril.

Dans les rapports cédant/débiteur cédé : si les formalités de

l’art. 1690 ne sont pas respectées, le cédant est le seul créancier du

débiteur cédé. On fait comme si la cession de créance n’existait pas. D’où

deux conséquences :

- la cession est inopposable AU débiteur cédé : il peut payer

le cédant sans se voir reproché d’avoir payé celui qui n’était

plus créancier, car à ses yeux, le cédant est toujours le

créancier. Son paiement au cédant est valable.

- la cession ne peut pas être opposée PAR le cédé : il ne

peut pas refuser de payer le cédant au motif qu’il y aurait

une cession de créance. Il ne peut pas s’en prévaloir. En

somme, non seulement, il « peut » payer le cédant (1re

conséquence), mais il « doit » payer le cédant si celui-ci le

réclame (2° csqce).

PB : La 2nde conséquence autorise le cédant à exiger le paiement

d’une créance qu’il a pourtant cédée. Or le cédant ne devrait pas

pouvoir poursuivre le paiement au seul prétexte que les formalités n’ont

pas été respectées. Il faudrait au contraire que le cédé puisse opposer

la cession au cédant qui agit contre lui, même si les formalités n’ont pas

été respectées. Mais tel n’est pas l’état de la jurisprudence actuelle.

b) Rôle à l’égard des autres tiers

2 questions : qui sont les tiers concernés ? Comment les

formalités jouent-elles à leur égard ?

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Page 70: cours_RGO_2010

Les autres tiers sont ceux qui sont étrangers à la créance

cédée, mais intéressés par la cession, en ce sens que le droit du

cessionnaire pourrait venir en conflit avec le leur sur la créance

cédée. De qui s’agit-il ?

- L’ayant cause à titre particulier du cédant qui aurait

acquis un droit sur la créance après la cession. Ex : un

second cessionnaire si le cédant a cédé 2 fois de suite la

même créance ; ou un créancier nanti si le cédant a

consenti un nantissement (= une sûreté sur la créance) à

l’un de ses créanciers. Pour garantir l’effectivité de leurs

droits, ces personnes auront intérêt à dire que la

cession leur est inopposable.

- Cela vise aussi les créanciers du cédant qui voudraient

pratiquer une saisie sur la créance cédée. Pour préserver

leur droit, ils auront intérêt à soutenir que la cession

leur est inopposable, autrement dit que la créance est,

pour eux, toujours dans le patrimoine du cédant. Ex :

un contribuable ne paie pas ses impôts. Il est par ailleurs

propriétaire d’un immeuble qu’il a donné à bail. Le

Trésor Public saisit la créance de loyers, mais le

locataire (débiteur cédé) soutient que la créance a été

cédée au banquier du propriétaire. Si la cession est

opposable, la saisie du TP ne vaut rien ; si la cession n’est

pas opposable, la saisie fonctionne. Le tiers (fisc) a

intérêt à ce que la cession lui soit déclarée inopposable car

cela lui permet de « faire comme si » le cédant était

demeuré créancier.

Mise en œuvre – Les formalités de l’art. 1690 prévoient que le

débiteur cédé soit informé, ce qui suffit à rendre la cession

opposable tant au cédé lui-même qu’aux autres tiers. Idée = le cédé,

informé par les parties, informera à son tour les autres tiers. Mais en

réalité, il n’est pas certain que ce soit très fiable.

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Page 71: cours_RGO_2010

Quoi qu’il en soit, la règle est la suivante : si les formalités de l’art.

1690 ne sont pas respectées, la cession est inopposable aux tiers.

Si le cédant cède 2 fois de suite la même créance, le

cessionnaire qui l’emporte est celui qui accomplit les formalités de

l’art. 1690 le premier, même s’il est le 2nd cessionnaire.

Si le cédant cède sa créance puis consent un nantissement à un

tiers, celui qui l’emporte est celui qui accomplit le premier les

formalités d’opposabilité (de la cession pour le cessionnaire / du

nantissement pour le créancier nanti).

En cas de conflit entre un cessionnaire et un créancier

saisissant du cédant, le cessionnaire l’emporte s’il a accompli les

formalités avant que la saisie ne soit diligentée, de sorte que la

saisie sera inefficace ; à l’inverse, si le créancier saisissant est plus

rapide, le cessionnaire ne pourra pas se prévaloir de la créance.

La règle est la même si l’ayant cause du cédant ou le créancier

saisissant ont connaissance de la cession malgré le non respect des

formalités. Leur connaissance ne suffit pas, en principe, à leur rendre la

cession opposable.

§ 2. Les effets de la cession de créance

Les effets de la cession de créance sont similaires à ceux d’une

vente. La cession provoque un effet translatif (A) et fait naître une

obligation de garantie à la charge du cédant (B). En outre, la cession

emporte des effets particuliers lorsqu’elle porte sur une créance

litigieuse (C).

A. L’effet translatif

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Page 72: cours_RGO_2010

Le cessionnaire acquiert tous les droits qu’avait le cédant : nous

verrons ce que cela recouvre (1). Le cessionnaire acquiert la même

créance que celle qui appartenait au cédant, par conséquent, le cédé

pourra opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer

au cédant (2).

1. L’étendue du transfert

2 aspects doivent être soulignés.

Le transfert porte d’abord sur la créance elle-même. Le

cessionnaire reçoit la créance originaire et non une créance nouvelle.

Ce n’est pas une novation. Seul le créancier change ; la créance reste

la même : elle conserve sa nature (civile ou commerciale), le cas

échéant ses modalités (ex : terme) et les clauses qui la régissent (ex :

une clause précisant le lieu de paiement).

Le cessionnaire acquiert les droits que confère la créance, par

exemple, le droit d’être payé, le droit de consentir une remise de

dette, etc. Son droit correspond normalement au montant nominal de la

créance, quel que soit le prix (en général inférieur) qu’il a payé ou

même s’il n’en a payé aucun (cessionnaire-donataire). A moins, ce qui est

possible, que la cession soit partielle, auquel cas, le cessionnaire ne

peut réclamer que ce qui lui a été cédé par le cédant.

Le transfert porte ensuite sur les accessoires de la créance. L’art.

1692 C. civ. le prévoit expressément, ce qui dispense les parties de le

stipuler. Il s’agit des sûretés personnelles et réelles, et plus largement

de toutes les garanties attachées à la créance (ex : la solidarité

passive si créance contre plusieurs débiteurs).

Ex. déjà évoqué : Lorsqu’un contrat de bail est conclu et que le

paiement des loyers est garanti par un cautionnement, la cession de la

créance de loyers emporte transmission au cessionnaire du

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Page 73: cours_RGO_2010

cautionnement. Le cessionnaire peut donc réclamer le paiement des

loyers à la caution si le locataire ne paie pas lui-même.

Les accessoires sont aussi les droits qui renforcent la position

du créancier, par exemple, une clause pénale, une clause résolutoire,

des intérêts conventionnels, une action en responsabilité,

contractuelle ou même délictuelle (ex : contre le notaire responsable

de l’inefficacité de l’hypothèque qui garantissait la créance cédée), etc.

Il s’agit également des clauses relatives au litige : clause de

compétence ou d’arbitrage.

Enfin, conformément au principe du consensualisme, cet effet

translatif se produit entre les parties au moment même de l’échange

des consentements.

2. L’opposabilité des exceptions

Puisque la créance est la même, le débiteur cédé peut a priori

opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu

opposer au cédant afin d’échapper au paiement. En fait, le régime de

l’opposabilité ne se résume pas à ce principe. Il faut distinguer 2 types

d’exceptions.

a) Les exceptions inhérentes à la créance

Se transmettent nécessairement avec la créance et sont donc

opposables au cessionnaire.

PB : Quelles sont ces exceptions ?

Ce sont les exceptions qui touchent à la validité et à la force

obligatoire du contrat qui a donné naissance à la créance cédée :

l’exception de nullité, l’exception d’inexécution (v. en ce sens, Cass.

com. 12 janvier 2010, D. 2010.266), l’exception de résolution.

73

Page 74: cours_RGO_2010

Cela vise enfin l’exception de prescription. Le délai de

prescription n’est pas modifié par le transfert. Si le cessionnaire laisse

courir la prescription, le cédé pourra la lui opposer.

b) Les exceptions extérieures à la créance

De quelles exceptions s’agit-il ?

Ce sont les exceptions qui tiennent à la libération du cédé

envers le cédant : le paiement, la compensation, la remise de dette

et la novation. Toutes ces exceptions sont des causes d’extinction de

l’obligation. Mais pour qu’il y ait extinction de l’obligation, encore

faut-il que le paiement (la remise…) intervienne bien entre le

débiteur et le créancier. Or, après la cession, le cédant n’est plus

créancier.

Ces exceptions ne seront opposables au cessionnaire que si

elles interviennent AVANT que la cession ne prenne effet.

De même, si la créance est modifiée (ex : délai de paiement =

terme repoussé), cela n’est opposable au cessionnaire que si la

modification intervient AVANT la date d’effet de la cession, pour la

raison simple qu’une modification de contrat n’est efficace que si elle

résulte d’un accord entre le créancier et le débiteur. Or, le cédant n’est

créancier que jusqu’au jour où la cession prend effet.

PB : A quel moment la cession produit-elle son effet translatif à

l’égard du cédé   ? Est-ce à la date de la conclusion du contrat de

cession ou à la date d’accomplissement des formalités de l’art.

1690 ?

Dans les relations entre les parties à la cession, c’est-à-dire le

cédant et le cessionnaire, ce dernier est investi de la créance dès la

conclusion du contrat puisque le transfert de propriété s’opère solo

consensu. Cependant, c’est le débiteur cédé qui a intérêt à opposer

une exception au cessionnaire pour échapper au paiement de son

74

Page 75: cours_RGO_2010

obligation. Or s’agissant du débiteur cédé, il est nécessaire que les

formalités de l’art. 1690 aient été accomplies pour que la cession lui

soit opposable. Avant l’accomplissement de ces formalités, le débiteur

cédé est en droit de considérer que la créance est toujours dans le

patrimoine du cédant.

A l’égard du cédé, la cession produit donc son effet translatif à

la date à laquelle la cession lui devient opposable.

Il en résulte que :

- Les exceptions extérieures à la créance nées avant la

date d’accomplissement des formalités de l’art. 1690

sont opposables au cessionnaire.

- Les exceptions extérieures nées après la date

d’accomplissement des formalités de l’art. 1690 sont

inopposables au cessionnaire.

L’art. 1691 en fournit une illustration à propos du paiement.

L’art. 1691 C. civ. dispose : « Si, avant que le cédant ou le cessionnaire

eût signifié le transport au débiteur, celui-ci avait payé le cédant, il sera

valablement libéré ». Ce qui signifie que :

- Tant que la cession de créance n’est pas signifiée au

débiteur cédé ou tant qu’il ne l’a pas « acceptée », le

débiteur cédé peut valablement se libérer entre les

mains du cédant car la cession lui est inopposable (elle a

produit son effet translatif entre les parties seulement). Le

cédé peut alors opposer l’exception de paiement au

cessionnaire.

- Inversement, après l’accomplissement des formalités, le

débiteur ne peut plus invoquer l’exception de paiement

contre le cessionnaire. S’il a payé le cédant après cette

date, il devra payer à nouveau le cessionnaire.

Autre exemple   : la compensation. L’art. 1295 al. 2 C. civ. dispose :

« A l’égard de la cession qui n’a point été acceptée par le débiteur, mais

75

Page 76: cours_RGO_2010

qui lui a été signifiée, elle n’empêche que la compensation des créances

postérieures à cette notification ».

- Le cédé peut opposer au cessionnaire l’exception de

compensation si la compensation intervient avant que la

cession de créance ne lui ait été signifiée.

- Mais le cédé ne peut pas opposer au cessionnaire une

compensation qui interviendrait après que la cession de

créance lui ait été signifiée. C’est logique : L’effet translatif

ayant eu lieu à l’égard du cédé, celui-ci ne peut plus se

prévaloir d’une compensation entre sa créance envers le

cédant et la créance que le cédant a sur lui puisque,

précisément, le cédant n’est plus son créancier. La

compensation ne peut en réalité même plus intervenir du

tout.

NB1 : En droit luxembourgeois, c’est l’art. 1295 C. civ. qui prévoit

aujourd’hui cette solution (sans distinguer selon que la cession a été

simplement notifiée ou acceptée par le débiteur cédé).

NB2 : Il y a une exception au principe selon lequel la compensation

postérieure à l’accomplissement des formalités de l’art. 1690 est

inopposable au cessionnaire. Si les dettes compensées sont connexes,

alors le débiteur cédé peut opposer la compensation au cessionnaire

quelle que soit la date à laquelle il a acquis la créance connexe sur le

cédant.

Pour en revenir au principe, il s’applique de la même manière

aux autres exceptions.

Si une remise de dette, si une novation ou si une modification

de la créance sont convenues avant l’accomplissement des formalités de

l’art. 1690, le débiteur cédé peut les opposer au cessionnaire. Mais si

elles sont convenues avec le cédant après la date d’accomplissement des

formalités, ces exceptions sont inopposables au cessionnaire.

Ce principe supporte néanmoins 2 tempéraments.

76

Page 77: cours_RGO_2010

1 er tempérament  : la fraude du cédé. Si le débiteur cédé paie le

cédant alors qu’en dépit de l’absence de formalités, il avait

connaissance de la cession de créance, il peut apparaître qu’il a commis

une fraude aux droits du cessionnaire. Par conséquent, quand bien même

ce paiement serait intervenu avant la date d’accomplissement des

formalités, il serait inopposable au cessionnaire. Idée = le paiement fait

de mauvaise foi par un débiteur à une personne qu’il sait ne pas être ou

ne plus être créancier, n’est pas libératoire (cf. art. 1240 a contrario).

PB : En pratique, pas toujours facile de démontrer l’intention

frauduleuse du débiteur cédé et il n’est pas sûr que la seule

connaissance de l’existence de la cession suffise à l’établir. La

jurisprudence tend cependant à admettre la fraude de plus en plus

largement en se contentant d’une simple conscience du préjudice

causé à la victime de la fraude. Au Luxembourg, l’art. 1691 C. civ.

prévoit aujourd’hui explicitement que le paiement fait au cédant ne

libère pas le débiteur cédé lorsqu’il est prouvé que ce dernier avait

connaissance de la cession de créance.

2 nd tempérament   : d’origine légale et concerne la compensation.

L’art. 1295 al. 1 C. civ. dispose : « Le débiteur qui a accepté purement

et simplement la cession qu’un créancier a faite de ses droits à un tiers,

ne peut plus opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu, avant

l’acceptation, opposer au cédant ». L’hypothèse est celle dans laquelle le

cédé a « accepté » la cession c’est-à-dire reconnu qu’il avait été informé

de l’existence de la cession (même par ASSP). Pourquoi traiter ainsi

différemment la signification et l’acceptation, alors que l’art. 1690

place ces deux formalités sur un pied d’égalité, s’agissant de la

compensation ? Parce que si le débiteur cédé, qui assiste à la cession

de créance et sait qu’il a une exception de compensation, ne

l’invoque pas pour en réserver lors de son « acceptation » de la cession,

on peut supposer qu’il y renonce. Il ne pourra donc plus l’opposer au

cessionnaire, dont on doit respecter les prévisions.

77

Page 78: cours_RGO_2010

En droit luxembourgeois, l’art. 1295 ne fait pas une telle

distinction. Il dit seulement « En cas de cession de créance, le débiteur

peut invoquer à l’égard du cessionnaire la compensation de la créance

cédée avec une créance dont il dispose contre le cédant, si cette dernière

créance est née avant le moment où la cession lui devient opposable… ».

B. L’obligation de garantie

Le Code civil impose au cédant une obligation de garantie,

comparable à la garantie d’éviction qu’il met à la charge de tout

vendeur. Il existe un régime légal, susceptible d’aménagements

conventionnels.

Régime légal – Art. 1693 C. civ. : « Celui qui vend une créance ou

autre droit incorporel, doit en garantir l’existence au temps du transport,

quoiqu’il soit fait sans garantie ».

Que recouvre la garantie ? Le cédant garantit, de plein droit, au

cessionnaire qu’il est bien le titulaire de la créance cédée, et que

cette créance n’a aucun vice qui pourrait être opposé par le débiteur

cédé. Ex : si la créance est nulle, le cédant est responsable.

Le cédant garantit également l’existence des sûretés attachées à la

créance, puisqu’elles sont souvent un élément déterminant dans

l’acquisition de la créance par le cessionnaire.

En revanche, d’après l’art. 1694 C. civ., le cédant ne garantit pas

la solvabilité du débiteur, sauf stipulation contraire.

L’étendue de la garantie est appréciée au jour de la cession. La

garantie ne joue pas si la créance est affectée d’un vice postérieurement

à la cession. Ex : si le cessionnaire laisse la créance s’éteindre par

prescription.

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Page 79: cours_RGO_2010

Sanction : le cédant devra restituer le prix de la cession et le cas

échéant verser des dommages-intérêts au cessionnaire.

Régime conventionnel – La liberté contractuelle autorise les

parties à étendre ou au contraire à restreindre la garantie légale.

Extension de la garantie : le cédant peut garantir la solvabilité du

débiteur cédé. Ex : clause de garantie de passif lors d’une cession de

parts sociales.

L’art. 1694 C. civ. l’autorise sous 2 limites :

- la garantie ne joue qu’à concurrence du prix que le cédant

a retiré de la créance. Ex : si le cessionnaire achète au prix

de 80 une créance de 100, il obtiendra au plus 80 de la

part du cédant. Cette règle est impérative.

- l’art. 1695 précise que la solvabilité s’entend de la

solvabilité actuelle (au jour de la cession), pas de la

solvabilité future (au jour de l’échéance). Cependant,

cette limite n’est pas impérative et peut être écartée par

les parties.

Restriction de la garantie : la garantie peut être réduite en partie

(ex : le cédant ne garantit pas l’existence des sûretés) ou en totalité.

Mais le garant ne peut pas exclure la garantie de son fait personnel.

Ex : si la créance est éteinte parce qu’il avait reçu un paiement ou s’il a

cédé 2 fois de suite la même créance et que le 2nd cessionnaire est le 1er

à accomplir les formalités aux dépens de l’autre cessionnaire, le cédant

en répond en dépit de l’exclusion conventionnelle de garantie.

C. La cession de créance litigieuse

On a vu, lors de l’examen des conditions de validité de la cession,

que la créance était en principe cessible. Ce principe est si large qu’il

englobe la créance litigieuse.

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Page 80: cours_RGO_2010

La créance litigieuse est celle qui fait l’objet d’un procès. Son

existence est contestée en justice, et donc incertaine. Pourtant le

cédant peut la céder valablement à un tiers, mais les effets d’une telle

cession seront particuliers (art. 1699 et s. C. civ.).

Normalement, on l’a vu, le débiteur cédé doit au cessionnaire

l’intégralité du montant nominal de la dette et non pas seulement le

prix de cession convenu entre le cédant et le cessionnaire.

Cependant, lorsque la créance est litigieuse, le débiteur cédé

peut racheter la créance au cessionnaire, et donc se libérer envers lui

en lui remboursant seulement le prix de la cession, augmenté des

frais éventuels liés à la conclusion du contrat.

Ce système est appelé « retrait litigieux ». Il a l’avantage de

mettre fin au procès, puisque le débiteur rachète la créance que

le cessionnaire a contre lui. La créance s’éteint donc par

confusion et l’objet du litige disparaît. Et les intérêts du

cessionnaire sont préservés puisqu’il est indemnisé, non

seulement du prix qu’il a payé mais aussi des frais qu’il a encourus.

Pourquoi ce pouvoir unilatéral du débiteur ? L’objectif est d’éviter

la spéculation sur l’issue du procès.

Ex : une personne exploite les besoins du cédant et achète une

créance litigieuse très peu chère. Le système prévu permet de

« piéger » le cessionnaire. Il est en quelque sorte « expulsé » pour le

(faible) prix qu’il avait lui-même obtenu. Il n’obtiendra pas le bénéfice

qu’il escomptait (différence prix de cession – montant nominal).

NB : La jurisprudence est très favorable au retrait litigieux. Le

retrait est possible même s’il y a eu cession en bloc de multiples

créances pour un prix global et que le prix exact de la créance retrayée

n’est pas d’emblée individualisé (Cass. com. 27 mai 2008, RTD civ.

2008.481).

80

Page 81: cours_RGO_2010

Transition – Ainsi s’achève l’étude de la cession de créance telle

qu’elle est régie par le Code civil. Le système du Code civil est cependant

inadapté aux professionnels qui pratiquent couramment la cession de

créance, pour 2 raisons :

- C’est un système trop lourd, trop complexe et donc trop

coûteux (à cause notamment des formalités de l’art.

1690).

- C’est un système peu sûr en raison de l’opposabilité des

exceptions au cessionnaire par le cédé.

C’est pourquoi d’autres modes de cession ont été élaborés pour

pallier ces insuffisances.

II. LES CESSIONS SIMPLIFIÉES

Les cessions simplifiées sont destinées à être plus simples et plus

sûres que les cessions de droit commun. PB : ces deux objectifs sont

difficilement compatibles entre eux.

Pour rendre la cession plus sûre, en rendant les exceptions

inopposables au cessionnaire, il faut faire intervenir le cédé pour

qu’il s’engage en ce sens ou exiger de lui qu’il s’engage en ce sens dès la

naissance de la créance. Dans les 2 cas, le processus est alourdi.

Pour rendre la cession plus simple, il faut alléger les formalités

destinées à informer le débiteur cédé et les autres tiers intéressés. Mais

alors, comment rendre la cession opposable aux tiers sans respecter l’art.

1690 ? Comment alléger la cession sans insécurité pour le cessionnaire ?

Ce tiraillement explique qu’il n’y ait pas de cession simplifiée qui

atteigne pleinement les 2 objectifs de simplicité et de sécurité.

81

Page 82: cours_RGO_2010

Certaines rendent la cession de créance plus sûre, grâce à la

règle de l’inopposabilité des exceptions : ce sont les titres

négociables (§ 1).

D’autres rendent la cession plus simple : c’est la cession Dailly

(§ 2).

§ 1. Les titres négociables

Les titres négociables remontent au Moyen-Age.

Ils sont surtout utilisés dans le secteur commercial, mais peuvent

l’être en matière civile.

Ce sont des titres en ce sens que la créance est incorporée au

titre qui la représente. Faire circuler le titre, c’est donc faire

circuler la créance. Ex   : un billet de banque est à l’origine une

créance contre la banque. Lorsque le billet circule, la créance

circule. On donne une forme à une créance pour faciliter sa

circulation. Les formalités de l’art. 1690 C. civ. n’ont ainsi plus à

être respectées.

Il existe 3 sortes de titres négociables : le titre au porteur, le

titre nominatif et le titre à ordre.

Le titre au porteur – Le débiteur s’engage à payer sa dette au

porteur du titre. Celui qui détient le papier est le créancier. Ex   : billet de

banque à l’époque où il était remboursable par la Banque de France ;

bons du trésor... Autres exemples   : un billet de loto ; ticket de bus.

La créance se transmet ainsi de main en main, en application de

la règle selon laquelle en fait de meubles, la possession vaut titre

(art. 2279 al. 1 C. civ.).

Aujourd’hui, cependant, les valeurs mobilières sont

« dématérialisées » : le droit du titulaire résulte d’une inscription sur

82

Page 83: cours_RGO_2010

un compte. La cession s’accomplit donc grâce à un virement de

compte à compte.

Les exceptions sont inopposables au cessionnaire.

C’est donc un procédé plus sûr que la cession de créance de droit

commun. Mais il est aussi dangereux car on peut perdre le titre, se le

faire voler (du moins s’il est sous forme papier). C’est pourquoi le titre au

porteur n’est plus très utilisé aujourd’hui. Il est même parfois interdit.

Ex   : les polices d’assurance sur la vie ne peuvent pas être des titres au

porteur.

Le titre nominatif – Le débiteur s’engage à payer la personne dont

le nom figurera sur un registre tenu par l’émetteur.

La créance est transmise en changeant le nom sur le registre.

L’inconvénient du procédé est qu’il génère de la « paperasse »,

raison pour laquelle, il est peu utilisé de nos jours.

Le titre à ordre – Par ce titre, le débiteur s’engage à payer son

créancier initial ou la personne que son créancier désignera. Le débiteur

reçoit l’ordre de payer à l’un ou à l’autre.

Ex   : la lettre de change ; le chèque (« veuillez payer tant d’euros

à l’ordre de M. X »)

Ex   : une vente est conclue ; le vendeur a une créance contre

l’acheteur ; un titre à ordre est émis avec l’accord de l’acheteur

(débiteur), lequel accepte de payer la créance au vendeur ou à la

personne que le vendeur désignera. Le créancier est l’endossataire.

L’avantage du procédé est double :

- il est relativement simple : la transmission se fait par

l’endossement. L’endossateur (créancier cédant) appose

sa signature au dos du titre, en indiquant le nom de

l’endossataire (cessionnaire), lequel pourra endosser le

titre au profit d’un nouvel endossataire et ainsi de suite…

83

Page 84: cours_RGO_2010

- les exceptions sont inopposables : le débiteur renonce à

invoquer les exceptions nées du rapport fondamental (dans

notre exemple, le contrat de vente). Le porteur du titre à

ordre est donc protégé.

L’inconvénient est qu’il faut le concours du débiteur lors de la

rédaction du titre. C’est une formalité supplémentaire, supportable

pour une opération isolée, mais insupportable lorsqu’il s’agit de céder

des milliers de créances par jour. Il a donc fallu se tourner vers un

système plus simple : la cession par bordereau de créances

professionnelles, communément appelé « bordereau Dailly ».

§ 2. La cession par «   bordereau Dailly   »

Pour faciliter l’octroi de crédit aux entreprises, le législateur

français a créé une nouvelle forme de cession simplifiée de créance.

L’initiative est revenue à un sénateur, M. Dailly, si bien que ce type de

cession porte son nom. La création date d’une Loi du 2 janvier 1981,

aujourd’hui codifiée aux articles L. 313-23 et s. C. mon et fin. En vertu

de ces dispositions, les créances peuvent être cédées à un

établissement de crédit, par simple remise d’un bordereau les

répertoriant. Le formalisme est simplifié dans le but de faciliter la

cession.

L’originalité du dispositif est que les formalités de l’art. 1690 C.

civ. sont écartées, sans pour autant qu’un titre représentant la créance

soit créé. Le Bordereau Dailly n’est pas un titre.

Il n’obéit pas (en tout cas, pas en principe) à la règle de

l’inopposabilité des exceptions.

En somme, le procédé est plus simple que la cession de créance de

droit commun, mais il n’est pas plus sûr. Cela ne l’empêche pas de

connaître un grand succès dans la pratique bancaire française.

NB   : Aucun équivalent en droit luxembourgeois.

84

Page 85: cours_RGO_2010

Nous verrons d’abord le domaine de la cession Dailly (A), puis ses

conditions (B) et ses effets (C).

A. Le domaine de la cession Dailly

La cession Dailly n’est applicable que si trois conditions sont

remplies.

D’abord, en ce qui concerne les parties, le cédant doit être soit une

personne morale, soit une personne physique, agissant dans le cadre

de l’exercice de son activité professionnelle. Le cessionnaire doit de

plus être un établissement de crédit. C’est donc un mode de cession

réservé au monde des affaires.

Ensuite, en ce qui concerne le débiteur de la créance, il doit là

encore s’agir d’une personne morale ou d’une personne physique

ayant agi dans le cadre de son activité professionnelle. En d’autres

termes, il doit s’agir de créances professionnelles.

Enfin, la cession Dailly n’est possible qu’à l’occasion d’un crédit

accordé à des fins professionnelles au cédant par le cessionnaire.

Concrètement, la cession peut être la contrepartie du crédit accordé au

cédant (le cédant rembourse l’emprunt en cédant une ou plusieurs de ses

créances). Ou bien, la cession peut servir de garantie à l’emprunt. C’est

le procédé, déjà évoqué, de la cession fiduciaire. La banque octroie un

crédit et elle obtient, pour garantir le remboursement, la cession à titre

fiduciaire des créances de l’emprunteur. La validité de ce procédé est

effectivement admise s’agissant des cessions par bordereau Dailly (art.

L. 313-24 C. mon. & fin.)

85

Page 86: cours_RGO_2010

Si ces conditions sont réunies, il est possible de procéder à une

cession par bordereau Dailly. Qu’en est-il alors des conditions à respecter

pour que la cession se produise ?

B. Les conditions de la cession Dailly

La cession Dailly est soumise à des formalités simples, mais

impératives.

Selon l’art. L. 313-23 C. mon & fin., le bordereau doit comporter

certaines mentions :

- la dénomination « acte de cession de créances

professionnelles »

- l’indication qu’il est soumis aux dispositions du Code mon

& fin.

- le nom ou la dénomination sociale du cessionnaire

- enfin, il doit désigner ou individualiser les créances

cédées ou à tout le moins, indiquer les éléments permettant

de désigner ou d’individualiser la créance (ex   : le nom du

débiteur, le lieu de paiement, le montant ou l’évaluation

des créances, leur échéance, etc.).

Par ailleurs, le bordereau doit être signé par le cédant et daté

par le cessionnaire.

Sanction du formalisme   ? Cela dépend de la formalité qui n’a pas

été respectée.

Si la date manque, la cession n’a aucun effet, car la date est un

élément essentiel. C’est une condition de fond.

Si la signature manque, la cession est nulle en tant

qu’instrumentum ; elle ne peut donc pas servir de preuve.

Si d’autres conditions manquent, le bordereau ne vaut pas

cession de créances professionnelles au sens de la Loi Dailly. Cela ne

veut pas dire que le bordereau n’ait aucun effet juridique. Il pourra

86

Page 87: cours_RGO_2010

valoir cession de créance de droit commun si les conditions de celle-

ci sont satisfaites (art. 1690 pour l’opposabilité).

La cession Dailly régulièrement souscrite échappant aux formalités

de l’art. 1690 C. civ., elle est opposable aux tiers sans formalité de

publicité, au jour de la date apposée sur le bordereau (art. L. 313-

27 al. 1 C. mon & fin). Mais en cas de contestation sur la date de la

cession, c’est à l’établissement de crédit qu’il appartient de rapporter

la preuve de son exactitude par tous moyens (art. L. 313-27 al. 4 C.

mon & fin). En cas de contestation, c’est donc le cessionnaire qui

supporte la charge de la preuve.

C. Les effets de la cession Dailly

Les effets de la cession Dailly dépendent des rapports envisagés :

rapport cédant/cessionnaire (1) ; rapport cessionnaire/cédé (2) ; et

rapport cessionnaire/autres tiers (3).

1. Rapports cédant/cessionnaire

Art. L. 313-27 C. mon & fin : la propriété des créances du

cédant répertoriées sur le bordereau est transférée au cessionnaire,

avec les sûretés, garanties et autres accessoires des créances cédées. Le

transfert s’opère très simplement : il suffit que le cédant remette le

bordereau Dailly au cessionnaire. Le transfert s’opère à compter de la

date apposée sur le bordereau. Le cédant ne peut dès lors plus

modifier les droits attachés aux créances sans l’accord du cessionnaire.

Ex   : le cédant ne pourra pas accorder une remise de dettes ou un délai de

paiement.

Le cédant est en outre tenu d’une obligation de garantie envers le

cessionnaire, qui est plus forte qu’en droit commun. Art. L. 313-24

87

Page 88: cours_RGO_2010

al. 2 C. mon & fin : « Sauf convention contraire, le signataire de l’acte

de cession est garant solidaire du paiement des créances cédées ». Si le

cédé n’acquitte pas sa dette à l’échéance, le cessionnaire peut se

retourner en garantie contre le cédant (après avoir tout de même

demandé auparavant au débiteur cédé de payer). Cela dit, la règle est

supplétive et en pratique, elle est souvent écartée (garantie réduite).

NB : Cass. com. 9 février 2010, D. 2010.578, en cas de cession

fiduciaire, la cession prend fin automatiquement, sans formalité

particulière, pour les sommes excédant la créance qui reste due à la

banque cessionnaire par le cédant.

2. Rapports cessionnaire/cédé

La cession est opposable de plein droit au débiteur cédé sans

formalité de publicité, à compter de la date inscrite sur le bordereau.

En pratique, cependant, c’est généralement le cédant qui

recouvre la dette. Les établissements bancaires confient au cédant un

mandat d’encaissement : le cédant, en qualité de mandataire, recouvre

la créance pour le compte de l’établissement bancaire (créancier-

mandant). Pourquoi ? Parce que ce serait trop coûteux pour la

banque de réclamer le paiement au cédé.

PB : Le risque pour le cessionnaire = que le cédant n’exécute pas

ou mal le mandat.

Pour éliminer ce risque, le Code donne la possibilité au

cessionnaire de notifier la cession au cédé. L’art. L. 313-28 C. mon &

fin énonce en effet : « L’établissement de crédit peut, à tout moment,

interdire au débiteur de la créance cédée de payer entre les mains du

signataire du bordereau. A compter de cette notification (…), le débiteur

ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit ».

La notification peut se faire par tout moyen (ex   : LRAR).

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Page 89: cours_RGO_2010

Sens de cette formalité ? La notification n’est pas la transposition

de la « signification » visée par l’art. 1690 C. civ. car elle n’est pas

une condition d’opposabilité. La notification prévue par l’art. L. 313-28

C. mon & fin est une interdiction faite au cédé de se libérer entre les

mains du cédant, qui a pour fonction de révoquer le mandat

d’encaissement.

En pratique, le banquier adresse cette notification lorsqu’il y a un

problème, notamment lorsque le banquier cessionnaire a des raisons de

craindre l’insolvabilité prochaine du cédant-mandataire.

Avant la notification, ou en l’absence de notification, si le

cédant a reçu un paiement du cédé et qu’il ne restitue pas les fonds

au cessionnaire, le débiteur cédé ne pourra pas être inquiété : il a

payé celui qui avait le pouvoir d’encaisser les sommes au profit du

cessionnaire. Le cessionnaire pourra seulement se retourner contre le

cédant.

En revanche, après la notification, le cédé s’expose au risque de

devoir payer 2 fois s’il ignore l’interdiction qui lui a été faite de payer

le cédant.

2 ème point  : Quelles exceptions le cédé peut-il opposer au

cessionnaire ?

Le régime de l’opposabilité des exceptions varie selon que le

débiteur a accepté la cession ou non (art. L. 313-29 du C. mon. fin.)

NB : Ici on parle d’une véritable acceptation de la cession par le

débiteur cédé (par un simple acquiescement comme dans l’art. 1690).

- Si le débiteur cédé n’a pas accepté la cession, le régime des

exceptions est identique à celui qui s’applique dans la cession de

créance de droit commun.

Les exceptions inhérentes à la créance sont opposables (nullité,

prescription…)

89

Page 90: cours_RGO_2010

Les exceptions extérieures à la créance sont opposables au

cessionnaire si elles sont nées avant la date à laquelle la cession a

produit son effet translatif aux yeux du cédé. Les exceptions nées

après cette date sont en revanche inopposables. Puisque la cession

Dailly opère son effet translatif à compter de la date apposée sur

le bordereau, c’est à partir de cette date que les exceptions

extérieures à la créance sont inopposables au cessionnaire.

Ex : si le cédant consent une remise de dettes au cédé après cette

date, l’exception est inopposable au cessionnaire.

Attention cependant : cette règle ne vaut pas pour le paiement

du cédé au cédant. Car tant que la cession n’a pas été notifiée, le

cédant est mandataire du cessionnaire. Donc, le cédé se libère

valablement en payant le cédant, tant que le cessionnaire n’a pas révoqué

le mandat d’encaissement en notifiant de la cession, même si le paiement

intervient après la date apposée sur le bordereau.

La jurisprudence étend cette solution dérogatoire à l’exception de

compensation légale : en l’absence de notification, le cédé peut opposer

l’exception de compensation même si les conditions de la compensation

n’ont été réunies qu’après la date apposée sur le bordereau.

- Si le débiteur a accepté la cession (dans les conditions de

forme imposées par l’art. L. 313-29 du C. mon. fin. = essentiellement

par écrit) :

L’art. L. 313-29 du C. mon. fin. indique que « le débiteur ne peut

opposer à l’établissement de crédit les exceptions fondées sur ses

rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que

l’établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n’ait

agi sciemment au détriment du débiteur ».

Le cessionnaire a obtenu l’engagement direct du cédé et donc un

droit purgé des exceptions pouvant affecter la créance, sauf s’il

connaissait l’exception qui pouvait lui être opposée (autrement dit,

sauf s’il est de mauvaise foi). C’est une grande sécurité pour le

90

Page 91: cours_RGO_2010

cessionnaire, qui est sûr d’être payé quels que soient les vices de la

créance cédée, mais c’est rare en pratique.

3. Rapports cessionnaire/autres tiers

Les autres tiers sont là encore d’une part les ayant-cause à titre

particulier du cédant et d’autre part, les créanciers du cédant.

Rapport cessionnaire/ayant cause à titre particulier du cédant –

L’hypothèse est celle d’un cédant qui cède 2 fois la même créance pour

obtenir plus de crédit.

Dans ce cas, c’est en principe le premier cessionnaire en date

qui l’emporte sur le second.

PB : au moment où le 1er cessionnaire agit contre le débiteur

cédé, il se peut que ce dernier ait déjà payé l’autre cessionnaire. C’est

un paiement valable s’il est fait de bonne foi, donc le cédé n’aura pas à

payer 2 fois. Il appartiendra au 1er cessionnaire d’agir contre le 2nd

cessionnaire pour obtenir restitution des sommes payées.

Rapports cessionnaire/créanciers du cédant –

Si le conflit oppose le cessionnaire et un créancier saisissant l’une

des créances répertoriées sur le bordereau, c’est la date qui permettra de

trancher. On compare la date de la saisie (saisie-attribution ou saisie-

conservatoire) et la date de la cession indiquée sur le bordereau : la

plus ancienne l’emporte.

Transition – Le transfert de la créance peut se faire par une

aliénation. Mais ce n’est pas son seul mode de circulation. Un créancier

peut en remplacer un autre sur la base d’un paiement. La technique

utilisée est alors celle de la subrogation personnelle.

91

Page 92: cours_RGO_2010

Chapitre II – LA SUBROGATION PERSONNELLE

Définition – Le terme « subrogation » vient du latin subrogare :

élire en remplacement, choisir quelqu’un à la place d’un autre.

Dans un sens général, la subrogation est un remplacement, une

substitution. Ainsi, la subrogation réelle est une technique par

laquelle un bien en remplace un autre en lui empruntant ses

qualités. La subrogation réelle est un mécanisme lié au caractère

universel du patrimoine : le patrimoine reste identique malgré les

fluctuations de ses éléments. Par exemple le prix succède à la chose

aliénée, et la chose acquise avec ce prix succède à la chose aliénée.

Intérêt ? La subrogation réelle protège les droits que les tiers

avaient sur le bien. Les droits qui portaient sur le bien ancien sont

reportés sur le nouveau. Ex : l’indemnité d’assurance versée au

propriétaire d’un immeuble détruit devient l’objet de l’hypothèque qui

avait été constituée sur ce bien. Les créanciers hypothécaires pourront

donc saisir l’indemnité d’assurance si le débiteur fait défaut et cette

indemnité est de nature immobilière et soumise au régime des

immeubles, bien qu’il s’agisse d’une somme d’argent.

La subrogation personnelle est une substitution d’une personne

à une autre dans un rapport de droit afin de permettre à la

première d’exercer tout ou partie des droits qui appartiennent à la

seconde. Plus précisément, la subrogation est un transfert de créance

sur la base d’un paiement.

Concrètement, pour que la subrogation personnelle puisse jouer, il

faut qu’une dette ait été payée par un tiers ne devant pas en

supporter la charge définitive. Le tiers solvens sera alors subrogé

dans les droits du créancier qui a obtenu satisfaction. C’est le tiers

subrogé qui est maintenant titulaire de la créance. Quant au débiteur,

il est libéré vis-à-vis de son créancier originaire, mais il est tenu

92

Page 93: cours_RGO_2010

envers le tiers subrogé. La créance circule donc par changement de

créancier qui s’opère sur la base d’un paiement.

Il s’agit d’une limite au principe selon lequel le paiement est une

cause d’extinction de la créance. En d’autres termes, le paiement avec

subrogation a un effet translatif sur l’obligation acquittée, alors que le

paiement pur et simple a un effet extinctif de l’obligation acquittée.

Pourquoi admettre cette limite ?

Parce que la subrogation personnelle est une institution qui

présente de nombreux avantages :

- un avantage pour le créancier initial, qui a plus de chances

d’être payé. En effet, la subrogation personnelle incite les

tiers à payer le créancier en leur permettant de recueillir les

droits du créancier.

- un avantage pour le tiers qui paie la dette d’autrui (le

solvens) : il dispose d’un recours subrogatoire, fondé sur

la créance acquittée elle-même. Cela permet au solvens de

profiter des sûretés et autres garanties qu’avait le

créancier initial. C’est l’avantage du recours subrogatoire

par rapport au recours personnel qui appartient à celui qui

paie la dette d’autrui (fondé sur le mandat si le solvens a agi

à la demande du débiteur ou sur la gestion d’affaires si le

solvens a agi pour rendre service au débiteur, voire sur

l’enrichissement sans cause) et qui n’est qu’un recours

chirographaire. La subrogation augmente ainsi les chances

du tiers solvens d’être remboursé.

Aujourd’hui, la subrogation personnelle est donc très souvent

utilisée, notamment dans le domaine de l’assurance et de la Sécurité

sociale (la victime est indemnisée par l’assureur ou la Caisse de Sécurité

sociale, qui exerce ensuite un recours subrogatoire contre le responsable-

débiteur de l’obligation d’indemnisation). La subrogation personnelle est

93

Page 94: cours_RGO_2010

également utilisée dans les relations commerciales : elle permet

notamment l’affacturage (v. infra).

Plan classique   : On s’intéressera d’abord aux conditions de la

subrogation (section I), avant d’en examiner les effets (section II).

I. LES CONDITIONS DE LA SUBROGATION

PERSONNELLE

Art. 1249 C. civ. : « La subrogation dans les droits du créancier au

profit d’une tierce personne qui le paie, est ou conventionnelle ou

légale ». Pour qu’il y ait une subrogation personnelle, il faut donc un

paiement et, en plus, soit une convention, soit une disposition légale

prévoyant la subrogation.

On examinera donc d’abord la subrogation conventionnelle (§ 1)

puis la subrogation légale (§ 2).

§ 1. La subrogation conventionnelle

Il existe 2 formes de subrogation conventionnelle, selon qu’elle

résulte d’une convention passée entre le créancier et le solvens ou d’une

convention passée entre le débiteur et le solvens. Dans le 1er cas, la

subrogation est consentie par le créancier – elle est dite ex parte

creditoris (A) ; dans le 2nd, la subrogation est consentie par le débiteur –

elle est dite ex parte debitoris (B).

A. La subrogation consentie par le créancier

En principe, le paiement emporte extinction de la dette. Une

convention contraire est cependant possible lorsque le paiement est

fait par un tiers. Par cette convention le créancier (subrogeant) consent

94

Page 95: cours_RGO_2010

la transmission au tiers solvens (subrogé) de la créance et de ses

accessoires.

Différences par rapport à la cession de créance ? Il faut un

paiement (cf. cession fiduciaire ou à titre gratuit), qui plus est intégral

(alors que la cession de créance se fait souvent à un prix inférieur à celui

de la créance cédée).

Aux termes de l’art. 1250-1° C. civ., la subrogation

conventionnelle a lieu :

« 1º Lorsque le créancier recevant son paiement d’une tierce

personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques

contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même

temps que le paiement ».

La subrogation ex parte creditoris est donc valable, mais elle est

subordonnée à 3 types de conditions : des conditions de validité (1),

des conditions d’opposabilité (2) et des conditions de preuve (3).

1. Les conditions de validité

S’agissant d’abord des parties au paiement, l’art. 1250-1° C. civ.

exige d’abord que le créancier reçoive un paiement d’une tierce

personne. La subrogation ne peut profiter à celui qui acquitte sa

propre dette. Mais la jurisprudence reconnaît le bénéfice de la

subrogation à celui qui, « tout en payant une dette personnelle, a par son

paiement libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit peser la

charge définitive de la dette ». En d’autres termes, seul celui qui paie

au créancier une dette dont la charge définitive lui incombe ne

peut se prévaloir d’une subrogation conventionnelle.

L’art. 1250-1° C. civ. indique ensuite que le paiement est effectué

entre les mains du créancier. Mais, comme pour l’appréciation de la

tierce personne, la jurisprudence est souple. Selon la Cour de

95

Page 96: cours_RGO_2010

cassation, la subrogation est valable si le subrogé s’acquitte entre les

mains d’un tiers désigné par le créancier et recevant les fonds pour

son compte.

S’agissant de la convention de subrogation elle-même, l’art. 1250-

1° C. civ. pose encore 2 conditions de validité.

1° - La convention de subrogation doit être expresse. Il faut donc

que les parties expriment clairement leur volonté subrogatoire. Une

volonté tacite ne suffit pas. Le comportement des parties ne suffit

pas non plus à déduire l’existence d’une subrogation. Le Code civil

n’impose pas de formule sacramentelle, mais au moins une intention

claire.

Pourquoi ? But = protéger le débiteur et ses créanciers, privés de

l’effet extinctif normalement attaché au paiement.

En pratique rédaction d’une quittance subrogatoire, constatant

le paiement et indiquant qu’il opère subrogation en faveur du solvens et

non extinction de la créance.

2° - La subrogation doit être faite en même temps que le

paiement : ni avant, ni après.

La subrogation ne peut pas avoir lieu avant le paiement. C’est la

définition même de la subrogation qui l’impose. C’est un transfert sur le

fondement d’un paiement. Il faut donc bien que ce paiement ait lieu.

Mais la jurisprudence, là encore libérale, admet que la volonté de

subroger le solvens soit exprimée dans un document antérieur au

paiement, dès lors qu’il est clair dans l’intention des parties que le

transfert lui-même n’aura lieu qu’au moment du paiement (v. not.

Com., 29 janvier 1991, Bull. civ. IV, n° 48 ; Civ. 1re, 28 mai 2002, Bull. civ.

I, n° 154). Il y a alors promesse de subrogation. Ex   : fréquent dans

l’affacturage (infra).

La subrogation ne peut pas non plus avoir lieu après le paiement. Si

elle n’a pas été convenue lors du paiement, le paiement est pur et

simple. Donc, il est extinctif. Dès lors, le créancier et le solvens ne

96

Page 97: cours_RGO_2010

peuvent plus, par la suite, ressusciter la créance pour la faire circuler.

C’est trop tard. Mais là encore la jurisprudence est libérale : en cas de

paiements échelonnés d’une même créance, la subrogation n’a pas à

être prévue à chaque paiement ; elle peut avoir lieu au moment du

règlement du solde. De plus, peu importe que la quittance

subrogative soit postérieure au paiement si les parties prouvent que

la subrogation était une condition du paiement. Ce qui importe, c’est la

réalité de leur intention au moment du paiement.

2. Les conditions d’opposabilité

Les conditions sont plus simples que celles prévues en matière de

cession de créance. C’est d’ailleurs l’un des avantages de la

subrogation par rapport à la cession. Les formalités de l’art. 1690 C. civ.

n’ont pas à être suivies en matière de subrogation.

Retour au principe de droit commun selon lequel tout contrat

est opposable aux tiers de plein droit, sans formalité particulière,

dès sa conclusion.

PB : Le débiteur peut ignorer l’existence de la subrogation et donc

le changement de créancier. En effet c’est un tiers à la subrogation ex

parte creditoris et son consentement n’est pas requis.

Risque = qu’il paie, légitimement (de BF), le créancier initial

(le subrogeant). Dans cette hypothèse, il est protégé par la théorie de

l’apparence. Cf. art. 1240 C. civ. le débiteur se libère valablement

entre les mains du subrogeant s’il a légitimement pu croire qu’il était

toujours créancier (cas s’il n’était pas au courant de la subrogation).

Pour éviter cette méprise, le subrogé a intérêt à informer le

débiteur au plus vite de l’existence de la subrogation. De cette façon, le

débiteur ne pourra plus payer de bonne foi le subrogeant.

Ex   : En matière d’affacturage.

Sens ? Une société d’affacturage (le factor) paie à ses adhérents le

montant des créances (« factures ») qu’ils détiennent sur leurs débiteurs,

en contrepartie d’une subrogation.

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Page 98: cours_RGO_2010

Avantages pour l’adhérent   : il est (en général) payé avant

l’échéance de ses créances + le factor assume le risque d’insolvabilité

des débiteurs des factures en lieu et place de l’adhérent.

Avantage pour le factor   : Il est rémunéré pour ce service au moyen

d’une commission payée par l’adhérent, souvent assez élevée.

Le factor paie les factures et est subrogé dans les droits de son

client. Il n’est pas question de rédiger une convention à chaque fois.

C’est la raison pour laquelle une convention globale (une promesse de

subrogation) est conclue avant les paiements pour organiser les

subrogations à venir. En elle-même elle n’a aucun effet (car la

subrogation, on l’a vu, suppose un paiement concomitant), mais les

subrogations se réaliseront sur son fondement au fur et à mesure des

paiements.

Pourquoi réaliser une telle opération par le biais d’une

subrogation plutôt que d’une cession de créance ? Précisément parce

que le transfert de créance au profit du factor est opposable aux tiers

sans formalités à compter de la date du paiement subrogatoire.

Mais pour empêcher le débiteur d’invoquer utilement

l’apparence s’il paie le subrogeant après la subrogation, le factor

prendra soin d’informer le débiteur, en général par la mention du

nom du factor sur la facture.

3. Les conditions de preuve

La forme de la convention de subrogation obéit au droit commun

des conventions. Aucune forme n’est requise pour sa validité, mais

pour des raisons de preuve, la convention sera le plus souvent faite par

écrit. C’est nécessaire en principe en matière civile au-delà de 1500 €

(2500 au Luxembourg). C’est de toute façon très opportun dans les

autres cas, même en matière commerciale où la preuve est libre, dans la

mesure où la subrogation doit être expresse.

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Page 99: cours_RGO_2010

En pratique, les subrogations conventionnelles se font par écrit,

dans une quittance subrogatoire le plus souvent.

Transition – Le plus souvent, le subrogeant est donc le créancier

désintéressé par le solvens, ce qui est logique car c’est lui qui a le

pouvoir de disposer de sa créance. Il arrive cependant que le subrogeant

soit, non pas le créancier, mais le débiteur.

B. La subrogation consentie par le débiteur

Cette variante de la subrogation conventionnelle est prévue par

l’art. 1250 2° C. civ. : une telle subrogation intervient « lorsque le

débiteur emprunte une somme à l’effet de payer sa dette, et de subroger

le prêteur dans les droits du créancier. Il faut, pour que cette subrogation

soit valable, que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant

notaires ; que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été

empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré

que le paiement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau

créancier. Cette subrogation s’opère sans le concours de la volonté du

créancier ».

En pratique, cela correspond à la situation dans laquelle le

prêteur propose des conditions de remboursement plus

intéressantes que le créancier initial, par exemple, une échéance plus

lointaine ou des taux d’intérêts plus bas. PB   : la technique s’apparente à

une « subrogation forcée », dans la mesure où la loi donne ici au débiteur

le pouvoir de disposer des droits de son créancier.

Conditions très restrictives.

Domaine   : la subrogation ex parte debitoris est limitée aux seuls cas

dans lesquels le débiteur emprunte à l’effet de régler l’une de ses dettes.

Forme   : l’acte d’emprunt et la quittance doivent être notariés

(pour avoir date certaine) + l’acte d’emprunt doit déclarer que la

somme a été empruntée pour faire le paiement, et la quittance doit

99

Page 100: cours_RGO_2010

déclarer que le paiement a été fait avec l’argent fourni à cet effet par le

nouveau créancier.

Forme de subrogation très rare en pratique.

§ 2. La subrogation légale

La subrogation légale est prévue lorsque le solvens a l’obligation de

payer la dette ou a un intérêt particulier au paiement de la dette. Elle a

lieu de plein droit, sans convention, indépendamment de la volonté des

parties, à la suite du paiement fait par un solvens auquel la charge

définitive de la dette n’incombe pas.

Quels sont les cas de subrogation légale existants ? On les trouve,

d’une part, dans le Code civil (A), d’autre part, en dehors du Code

civil (B).

A. La subrogation légale dans le Code civil

La subrogation légale est prévue par l’art. 1251 C. civ. Ce texte

indique :

« La subrogation a lieu de plein droit :

   1º Au profit de celui qui étant lui-même créancier, paie un autre

créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou

hypothèques ;

   2º Au profit de l’acquéreur d’un immeuble, qui emploie le prix de son

acquisition au paiement des créanciers auxquels cet héritage était

hypothéqué ;

   3º Au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au

paiement de la dette, avait intérêt de l’acquitter ;

   4º Au profit de l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net qui a

payé de ses deniers les dettes de la succession ;

   5° Au profit de celui qui a payé de ses deniers les frais funéraires pour

le compte de la succession. »

100

Page 101: cours_RGO_2010

NB : Ce dernier alinéa a été ajouté récemment au Code français

et il ne figure pas dans le C. civ. Lux.

Le texte prévoit des cas d’importance inégale : des cas particuliers (1) ;

un cas général (2).

1. Les cas particuliers

Ce sont les cas visés par le 1°, 2°, 4° et par le 5° dans le code

français.

1er cas : la subrogation du créancier postérieur (art. 1251 1°)

La subrogation a lieu de plein droit « Au profit de celui qui étant lui-

même créancier, paie un autre créancier qui lui est préférable à raison de

ses privilèges ou hypothèques ».

Situation ? Un débiteur a plusieurs créanciers. Le créancier qui

arrive au 1er rang, en raison d’un privilège ou d’une hypothèque, entend

mettre en œuvre sa sûreté car c’est pour lui le moyen d’être

complètement désintéressé. Les autres créanciers, inférieurs en rang ou

chirographaires, peuvent avoir intérêt à payer le créancier de 1er rang,

afin de repousser la saisie qu’il comptait effectuer, par exemple s’il

apparaît qu’une saisie pratiquée à une date ultérieure pourrait rapporter

un prix plus élevé et désintéresser plus de créanciers. Mais personne ne

désintéressera le créancier de 1er rang s’il n’est pas sûr d’être remboursé

de sa dépense. C’est pourquoi l’art. 1251 1° prévoit un cas automatique

de subrogation : le créancier inférieur en rang qui paie celui qui le

précède recueille ainsi de plein droit la créance de ce dernier et

l’hypothèque ou le privilège qui va avec.

2e cas : la subrogation de l’héritier bénéficiaire (art. 1251 4°)

101

Page 102: cours_RGO_2010

La subrogation est prévue « Au profit de l’héritier acceptant à

concurrence de l’actif net qui a payé de ses deniers les dettes de la

succession ».

En droit des successions, le poids du passif successoral n’est pas

supporté de la même manière selon que l’acceptation de la succession est

pure et simple ou faite sous bénéfice d’inventaire.

Si elle est pure et simple, l’héritier est tenu des dettes

successorales au-delà des forces de la succession, c’est-à-dire sur ses

biens personnels.

Si l’acceptation est faite sous bénéfice d’inventaire, l’héritier n’est

tenu des dettes de la succession qu’à concurrence des biens qu’il

recueille. Toutefois, même dans ce cas, l’héritier bénéficiaire peut avoir

intérêt à désintéresser les créanciers successoraux avec ses biens

personnels, par ex : pour éviter la vente d’un bien auquel la famille est

attachée. Naturellement, l’héritier bénéficiaire n’acceptera ce paiement

d’une dette qui n’est pas la sienne que s’il est certain d’être remboursé.

C’est pourquoi le Code civil a prévu le cas de subrogation visé à l’art.

1251 4° : puisque l’héritier a ici un intérêt légitime au paiement de la

dette successorale, le législateur facilite ce paiement, en donnant à

l’héritier solvens le bénéfice d’une subrogation légale.

En matière successorale, toujours, l’art. 1251 5° du Code civil français

prévoit désormais également un cas de subrogation légale pour celui qui

règle les frais funéraires pour le compte des autres héritiers. Le risque

était qu’il oublie de réclamer une subrogation et que son paiement

éteigne donc définitivement la créance de paiement des frais funéraires,

sans qu’il ne puisse ensuite se faire rembourser sur l’actif successoral (si

les autres héritiers se montraient de MF).

3e cas : la subrogation de l’acquéreur d’un immeuble hypothéqué

(art. 1251 2°)

102

Page 103: cours_RGO_2010

La subrogation a lieu de plein droit « Au profit de l’acquéreur d’un

immeuble, qui emploie le prix de son acquisition au paiement des

créanciers auxquels cet héritage était hypothéqué ».

Lorsqu’un immeuble hypothéqué est vendu, l’acheteur a intérêt à

payer le prix entre les mains du créancier hypothécaire de son vendeur.

En effet, s’il versait le prix au vendeur, l’acheteur serait exposé au risque

de l’exercice du droit de suite que confère la sûreté réelle au créancier

hypothécaire du vendeur de l’immeuble.

Il se peut que le prix dû par l’acquéreur ne suffise pas à

désintéresser tous les créanciers hypothécaires de l’immeuble. Dans cette

situation, l’acquéreur peut craindre d’être exproprié par un créancier

impayé, sans être certain de pouvoir utilement se retourner contre le

vendeur (insolvable probablement sans quoi le créancier n’aurait pas mis

en œuvre sa sûreté).

La subrogation de l’art. 1251 2° est prévue pour faire face à ce

risque. L’acquéreur est subrogé dans les droits hypothécaires du

créancier auquel il aura payé le prix, donc un créancier en rang

préférable par hypothèse, de sorte que le subrogé l’emportera sur les

autres créanciers hypothécaires en rang inférieur. Autrement dit, si

l’immeuble venait à être vendu, le subrogé serait sûr d’être remboursé

puisqu’il occupe un rang préférable. En définitive, le mécanisme

dissuadera les créanciers postérieurs impayés de déclencher les

poursuites, sauf s’ils sont sûrs de pouvoir tirer de la vente de l’immeuble

un prix supérieur à celui versé par l’acquéreur.

Aucun de ces cas particuliers n’a une grande portée pratique. Il en

va autrement du cas visé à l’art. 1251 3°, qui est de portée beaucoup plus

générale.

2. Le cas général

103

Page 104: cours_RGO_2010

Art. 1251 3° C. civ. la subrogation a lieu de plein droit « au

profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement

de la dette, avait intérêt de l’acquitter ».

La subrogation est ici donnée aux personnes qui sont obligées de

payer, soit en même temps que le débiteur, soit à sa place. Il faut que le

solvens puisse être poursuivi en paiement. Si le solvens est étranger à

la dette, seule une subrogation conventionnelle est possible.

La subrogation de celui qui est tenu avec d’autres de la dette

acquittée vise notamment les situations de solidarité passive. La

subrogation légale permet au codébiteur solvens, qui a payé pour les

autres, d’obtenir de ses codébiteurs qu’ils remboursent la fraction

excédant sa part. Et puisque c’est un recours subrogatoire, le solvens

bénéficiera des sûretés dont disposait le créancier.

Sont également tenus avec d’autres au sens de l’art. 1251 3° C.

civ. :

- les codébiteurs d’une dette indivisible

- les cofidéjusseurs = cautions garantissant une même

dette envers le créancier, dans leurs rapports

réciproques.

- les codébiteurs d’une obligation in solidum.

La subrogation de celui qui est tenu pour d’autres vise au premier

chef la caution. Là encore, la caution bénéficiera donc de la

subrogation et pourra ainsi réclamer au débiteur principal le montant

total de la dette acquittée, tout en bénéficiant des éventuelles sûretés

attachées à l’obligation cautionnée.

La jurisprudence française a retenu une interprétation

extensive de ce 3e cas de subrogation légale, en dépit du caractère

exceptionnel de ce mécanisme.

104

Page 105: cours_RGO_2010

Elle a étendu le texte à toutes les situations où une personne,

en payant une dette qu’elle est tenue d’acquitter, éteint du même

coup, en tout ou partie, la dette d’une autre personne, sur laquelle

doit peser la charge définitive du paiement.

Elle applique l’art. 1251 3° même lorsque le solvens est tenu

d’une dette distincte de celle d’autrui, dès lors qu’il a libéré autrui par

son paiement.

Jurisprudence constante   : « attendu que le débiteur qui s’acquitte

d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier

de la subrogation s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier

commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette » (attendu

de principe que l’on retrouve notamment dans Civ. 1re, 7 novembre 1995,

Bull. civ. I, n° 397 ; Civ. 1re, 27 mars 2001, Bull. civ. I, n° 90).

Ex   : un notaire commet une faute professionnelle en ne

s’assurant pas que l’hypothèque constituée sera suffisante pour garantir

le remboursement des sommes prêtées. Le notaire indemnise le

prêteur car l’emprunteur est défaillant. Il y a donc 2 dettes : une dette

de prêt et une dette de responsabilité civile. Elles n’ont pas du tout la

même nature. Il n’y a donc pas une pluralité de débiteurs tenus d’une

dette unique au sens de l’art. 1251 3°. Pourtant, les dommages-intérêts

versés par le notaire vont permettre de rembourser le prêteur. En

s’acquittant de sa dette de RC, le notaire libère l’emprunteur de sa dette

de restitution née du prêt. Pour cette raison, la jurisprudence accorde au

solvens (le notaire dans l’exemple) le bénéfice de la subrogation légale.

Avantage   : il profitera de l’hypothèque (même si elle est insuffisante,

c’est tout de même mieux que de n’avoir aucune sûreté).

La jurisprudence accorde la subrogation non seulement s’il y a déjà eu

un procès au terme duquel le notaire a été condamné in solidum avec

l’emprunteur défaillant, mais même en l’absence de procès, si le

notaire anticipe la condamnation qu’il risque de se voir imposer en

indemnisant immédiatement le prêteur.

105

Page 106: cours_RGO_2010

Autre exemple   : un comptable part en vacances. Il n’encaisse

pas les chèques qui lui sont remis. Un voleur s’en empare et les

encaisse à son profit. La société agit contre le comptable et lui reproche

sa faute. Le comptable paie les chèques (il indemnise). A-t-il un recours

subrogatoire contre le voleur ? Réponse positive : la subrogation légale

est applicable :

- est-il « tenu » ? Oui, il était obligé d’indemniser son

employeur.

- est-il tenu « avec » ? Ou a-t-il payé sa propre dette ? La dette

pèse définitivement sur le voleur. Le comptable a payé une

dette personnelle, mais qui pèse sur autrui. Donc, il

bénéficie de la subrogation.

La Cour de cassation a donc dégagé un principe général de

subrogation, qui joue à chaque fois que le solvens, en payant une dette à

laquelle il est tenu, libère le débiteur auquel incombe, en tout ou en

partie, la charge définitive du règlement fait au créancier – même si la

dette du solvens n’est pas la même que celle du débiteur contre lequel il

exerce son recours.

Ce principe n’a cependant pas toujours été admis. Autrefois, la

jurisprudence refusait la subrogation légale à celui qui payait sa propre

dette, même si cela avait pour effet de libérer un autre débiteur tenu

d’une dette différente. C’est pourquoi d’autres cas de subrogation légale

ont été prévus en dehors du Code civil.

B. La subrogation légale en dehors du Code civil

Les cas légaux de subrogation en dehors du Code civil sont

relativement nombreux (ex : recours subrogatoire du Fonds de

garantie des assurances obligatoires de dommages ; recours

subrogatoire du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et

d’autres infractions ; etc.)

106

Page 107: cours_RGO_2010

Les deux plus importants sont ceux visant l’assureur de

dommage et les Caisses de Sécurité sociale.

La subrogation de l’assureur de dommage – Cette subrogation est

prévue par l’art. L. 121-12 C. ass : « L’assureur qui a payé l’indemnité

d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans

les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont

causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ».

Cf. au Luxembourg L. 27 juillet 1997 sur le contrat d’assurance,

art. 52 (très proche).

L’assurance de dommage recouvre l’assurance de choses (qui

protège les biens de l’assuré) et l’assurance de responsabilité. Cette

assurance a un caractère indemnitaire : elle indemnise l’assuré à

hauteur du préjudice qu’il a subi (par opposition aux assurances de

personnes (assurance-vie…) dans lesquelles l’assureur verse un forfait

prévu dans le contrat).

NB   : Aujourd’hui, le texte n’est plus très utile car ce cas apparaît

comme une application du principe général dégagé par la

jurisprudence à partir du Code civil. Car si l’assureur paie

effectivement sa propre dette, il répare ainsi le préjudice subi par

l’assuré et par voie de conséquence, libère le responsable sur qui doit

peser la charge définitive de la dette.

Mais avant que cette jurisprudence libérale ne soit consacrée, la

subrogation n’était pas admise parce que l’assureur, en versant

l’indemnité d’assurance, acquittait sa propre dette (née du contrat

d’assurance), distincte de la dette de responsabilité pesant sur le

responsable du dommage. C’est pourquoi le législateur avait instauré ce

cas spécial de subrogation dans la Loi du 13 juillet 1930.

La subrogation des Caisses de Sécurité sociale – La Loi du 5 juillet

1985 sur les accidents de la circulation a instauré un nouveau cas de

subrogation au profit de certains tiers qui ont versé des prestations à la

107

Page 108: cours_RGO_2010

victime d’un dommage corporel, notamment les Caisses de Sécurité

sociale.

Là encore, les conditions de ce recours correspondent en définitive

à celles du principe général dégagé par la Cour de cassation.

Aujourd’hui, on pourrait donc parvenir au même résultat en faisant

l’économie d’un texte spécial.

NB   : Au Luxembourg, v. art. 82 du Code de la sécurité sociale qui

instaure une cession légale des droits de la victime à la caisse de

sécurité sociale qui l’indemnise, dont la jurisprudence a précisé qu’elle

jouait dès le jour de la survenance du dommage.

Transition – La nature conventionnelle ou légale de la subrogation

a une incidence sur leurs conditions de mise en œuvre. Mais leurs effets

sont identiques.

II. LES EFFETS DE LA SUBROGATION PERSONNELLE

Les effets de la subrogation personnelle sont de deux ordres :

- un effet principal qui est la transmission de la créance

(§ 1)

- des effets accessoires (§ 2).

§ 1. L’effet translatif de la subrogation

La subrogation ressemble à la cession de créance du point de

vue de ses effets. Comme cette dernière, la subrogation entraîne une

transmission de la créance appartenant à l’accipiens. Mais, la spécificité

de la subrogation tient au fait que la transmission de la créance est à la

mesure du paiement effectué. Reprenons ces 2 points en examinant

d’abord l’objet de la transmission (A), puis la mesure de la

transmission (B).

108

Page 109: cours_RGO_2010

A. L’objet de la transmission

La subrogation entraîne un transfert de la créance originaire au

tiers subrogé à compter de la date du paiement. Le subrogeant cesse

dès lors d’être créancier : il ne peut plus agir contre le débiteur et ses

propres créanciers ne peuvent plus saisir la créance, qui est sortie de son

patrimoine.

La créance est transmise au subrogé avec ses attributs (ex : les

sûretés) et ses vices (= les exceptions que le débiteur pouvait faire

valoir contre le créancier primitif).

L’étendue de la transmission (les attributs) –

Le subrogé recueille la créance proprement dite, mais également

ses accessoires.

Cela comprend :

- les sûretés personnelles accessoires (ex : cautionnement)

comme réelles (ex : hypothèque ou gage) ;

- les droits qui conféraient une garantie de paiement au

créancier originaire, par exemple une clause pénale, de

réserve de propriété, etc.

- les actions qui appartenaient au créancier et qui se

rattachaient à cette créance immédiatement avant le

paiement. Exemples : l’action en dommages-intérêts, l’action

paulienne.

La créance est transmise avec ses caractères propres et les

modalités qui en déterminent le régime. Exemples :

- caractère civil ou commercial de la créance

- délai de prescription [sachant que le subrogé bénéficie de

l’interruption de prescription acquise par le créancier

originaire].

109

Page 110: cours_RGO_2010

- clause de compétence. Ex : Civ. 1re, 12 juillet 2001, Bull.

civ. I, n° 224.

- clause d’indexation

- cas particulier : la clause d’intérêt en cas de retard. Sa

transmission doit être combinée avec la règle selon laquelle

la subrogation est à la mesure du paiement. Donc, le

subrogé ne peut obtenir par le biais de cette clause,

plus que ce qu’il a payé au subrogeant. La somme qu’il a

payée produira seulement intérêt au taux légal (de façon à

indemniser le créancier du retard pris dans le paiement de

la somme d’argent). V. Civ. 1re, 29 octobre 2002, Bull. civ. I,

n° 257 : la subrogation étant à la mesure du paiement, le

subrogé (ici une caution) ne bénéficie pas de la stipulation

d’intérêts profitant au subrogeant ; il peut en revanche

prétendre aux intérêts au taux légal qui courent de plein

droit à compter du paiement qu’il a effectué. V. aussi, Civ.

1re, 18 mars 2003, Bull. civ. I, n° 86 ; Civ. 1re, 25 février

2005, Bull. civ. I, n° 87. Cela confirme que, contrairement à

la cession de créance, la subrogation personnelle n’est pas

un mécanisme spéculatif.

La transmission est donc très étendue. Mais elle est doublement

limitée :

- Les prérogatives attachées à la personne du créancier

subrogeant ne sont pas transmises au subrogé. Ex : la

suspension d’une prescription qui tient au fait que le

subrogeant est mineur ; la suspension cesse à compter du

jour de la subrogation = la prescription reprend son cours.

- On se souvient en outre que, pour éviter une multiplication

déraisonnable des recours successifs, la solidarité passive

n’est pas transmise lorsque le solvens est l’un des

codébiteurs solidaires de l’obligation. Celui qui a payé le

créancier, subrogé dans ses droits, ne peut donc pas

110

Page 111: cours_RGO_2010

réclamer le remboursement de ce qui excède sa part

dans la dette à n’importe quel autre codébiteur. Le

codébiteur solvens devra diviser son recours contre les

autres. Il ne pourra demander à chaque codébiteur que la

part que celui-ci doit supporter dans la dette à titre définitif.

V. art. 1214 C. civ. pour les codébiteurs solidaires ; v. art.

2033 C. civ. en cas de pluralité de cautions pour la même

dette.

L’opposabilité des exceptions (les vices) –

On retrouve la distinction faite à propos de l’opposabilité des

exceptions en matière de cession de créance, entre exceptions

inhérentes et exceptions extérieures à la créance.

Les exceptions inhérentes à la créance sont opposables par le

débiteur au subrogé. Les exceptions inhérentes à la créance transmise

sont celles qui affectent la créance quel que soit le patrimoine dans lequel

elle se trouve. Concrètement, le débiteur peut opposer au subrogé :

- la chose jugée à l’encontre du subrogeant (ex   : à

l’encontre de la victime en cas de transmission par

subrogation d’une créance délictuelle),

- les clauses qui déterminent le régime de la créance

transmise (ex : son terme),

- les moyens de défense tirés des caractères propres de cette

créance, par exemple l’expiration du délai de

prescription.

- si la créance transmise est née d’un contrat , l’exception de

nullité, l’exception d’inexécution, l’exception de

résolution et l’exception de compensation pour dettes

connexes

111

Page 112: cours_RGO_2010

S’agissant ensuite des exceptions extérieures à la créance, c’est-à-

dire des moyens de défense que le débiteur tire de sa libération envers

le subrogeant ou d’une modification de la créance convenue avec le

créancier initial, elles ne peuvent être invoquées si elles sont nées

avant la date à laquelle le subrogé est devenu le nouveau créancier

à l’encontre du débiteur = à compter de la date du paiement

subrogatoire.

Ex   : Si le débiteur devient créancier du subrogeant, il est a priori en

mesure d’invoquer la compensation légale. Mais l’exception de

compensation n’est opposable au subrogé que si les conditions de la

compensation légale étaient réunies avant le paiement

subrogatoire. Après cette date, la condition de réciprocité fait

défaut (le subrogeant n’est plus créancier) et l’exception de

compensation légale devient par conséquent inopposable, V. par exemple,

Com., 3 avril 1990, Bull. civ. IV, n° 116.

Autre application : supposons que le débiteur ait conclu avec le

subrogeant une convention extinctive (une remise de dette, une

novation ou une compensation conventionnelle) ou modificative (ex :

délai de paiement) de la créance. Est-ce opposable au subrogé ? Cela

dépend :

- si l’exception tirée de l’extinction ou de la modification est

née avant la date de la subrogation, elle est opposable

au subrogé.

- si l’exception en cause est née après la date du paiement

subrogatoire, le subrogé est alors seul titulaire de la créance

et il peut ignorer l’exception.

Limite   : lorsque le débiteur oppose le paiement qu’il a fait au

subrogeant, théoriquement, le paiement postérieur à la subrogation

devrait être inopposable au subrogé. Mais, en vertu de l’art. 1240 C.

civ., si le débiteur est de bonne foi, autrement dit s’il ignore la

subrogation au moment du paiement, le paiement est valable et

libératoire, donc opposable au subrogé.

112

Page 113: cours_RGO_2010

Nous avons vu à cet égard l’intérêt qu’il y avait pour le subrogé à

informer le plus rapidement possible le débiteur de la subrogation.

B. La mesure de la transmission

Le transfert de créance par subrogation a ceci de particulier qu’il

est lié à un paiement. Le paiement est tout à la fois la condition et la

mesure de la subrogation personnelle.

Comp. cession de créance. Le cessionnaire acquiert la créance

pour son montant nominal, quel que soit le prix qu’il a versé (en

général inférieur) voire même s’il n’en a versé aucun en contrepartie

(parce que le cédant avait une intention libérale).

La subrogation au contraire ne produit d’effet translatif qu’à

hauteur du paiement fait par le subrogé au créancier primitif. Donc,

si le paiement est partiel, la subrogation est partielle. La cession de

créance est une opération spéculative, pas la subrogation.

PB   : Quid si le créancier remet au subrogé une quittance totale

en contrepartie d’un paiement partiel ? La subrogation est-elle

totale ? La réponse de la Cour de cassation est négative : le subrogé n’a

qu’un recours partiel contre le débiteur, à hauteur de ce qu’il a

effectivement payé.

Attention cependant   : rien n’interdit au subrogé de se faire payer

pour ses services (soit qu’il permette au créancier initial d’être payé

avant terme, soit qu’il lui épargne l’aléa et le coût d’un recouvrement de

la créance auprès du débiteur). Mais cette rémunération ne saurait

résulter d’un abandon par le créancier initial de la totalité de ses

droits en contrepartie d’un paiement partiel. La rémunération prend

une autre forme, notamment la forme d’une commission. Ex :

rémunération du factor en cas d’affacturage. V. pour une illustration

jurisprudentielle, Com., 15 juin 1993, Bull. civ. IV, n° 256.

§ 2. Les effets accessoires de la subrogation

113

Page 114: cours_RGO_2010

A côté de l’effet principal, la transmission de créance, la

subrogation produit des effets accessoires, que l’on peut résumer

autour des 2 idées suivantes.

1re idée : en cas de concours avec le subrogé, la priorité est donnée

au créancier initial.

Quand y a-t-il un concours ? Le concours survient en cas de

paiement partiel. A paiement partiel, subrogation partielle. Donc, dans

ce cas, le subrogé et le créancier initial se retrouvent en concours pour

obtenir leur dû auprès du débiteur. Ex   : lorsque l’assureur ou la

Sécurité sociale verse une somme dont le montant est inférieur à la

valeur du préjudice réparable. Ils sont alors en concours avec la

victime de l’accident qu’ils ont indemnisée.

Exemple concret   : le subrogeant était créancier de 1000. Après

paiement subrogatoire, il est créancier à hauteur de 700 et le subrogé à

hauteur de 300. Supposons que le débiteur ne dispose que de 500. PB   :

Comment régler le conflit ?

- Au marc le franc (proportionnellement) ? 70 % de 500

pour l’un, 30 % de 500 pour l’autre.

- Priorité au subrogé parce qu’il a rendu service ? Donc le

subrogé est payé (300) et le subrogeant l’est pour le reste

(200).

- Priorité au subrogeant, auquel cas il est payé à hauteur de

500 et le subrogé n’obtient rien.

C’est cette dernière solution qui est retenue en droit positif.

V. art. 1252 C. civ. : la subrogation « ne peut nuire au créancier

lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits,

pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un

payement partiel ». Le Code civil consacre ainsi l’adage selon lequel

« Nul n’est censé subroger contre soi ».

La règle de l’art. 1252 est cependant limitée :

114

Page 115: cours_RGO_2010

- elle ne joue que si la créance est assortie d’un droit de

préférence ; elle ne joue pas lorsque le créancier initial est

chirographaire.

- elle ne joue qu’en présence d’un paiement partiel d’une

créance unique ; elle ne joue pas lorsque le créancier a

plusieurs créances, dont l’une a été payée intégralement par

le subrogé.

- elle ne joue qu’en cas de concours créancier

initial/subrogé ; elle ne joue pas en cas de concours entre

deux subrogés ayant acquitté chacun une partie de la

créance. Le 2nd subrogé (dans le temps) ne profite pas du

droit de priorité qu’avait fait naître au profit du créancier

initial le paiement partiel fait par le 1er subrogé. Le droit de

priorité est personnel au créancier initial ; il ne se transmet

pas.

- enfin, la règle énoncée par l’art. 1252 C. civ. n’est pas

impérative : le créancier initial peut renoncer à son

droit de priorité et donner la préférence au subrogé. On

peut aussi prévoir par convention une répartition

proportionnelle. Ces clauses sont répandues en pratique.

2e idée : la subrogation peut faire naître des obligations à la charge

du subrogeant.

Nous savons que le cédant, à l’image du vendeur, est tenu d’une

obligation de garantie envers le cessionnaire. C’est une obligation qui

naît de plein droit.

Il en va autrement en matière de subrogation : le subrogeant

n’est pas tenu de garantir au subrogé l’existence de la créance

transmise. Toutefois, cette absence d’obligation de garantie doit être

doublement nuancée :

- d’abord, le subrogé peut prévoir dans la convention un

recours contre le subrogeant. Autrement dit, il est possible

115

Page 116: cours_RGO_2010

de stipuler une garantie conventionnelle, V. par ex.,

Com., 6 novembre 1990, Bull. civ. IV, n° 267.

- ensuite, si le subrogé devait payer une créance qui, en fait,

est inexistante, il pourrait agir contre le subrogeant en

répétition de l’indu (quasi-contrat).

Par ailleurs, en plus de ces tempéraments, il arrive que la loi

impose des obligations au subrogeant, notamment l’obligation de ne pas

compromettre le recours subrogatoire du subrogé. La sanction de

l’inexécution de cette obligation est la déchéance : le subrogeant est

déchu de ses droits contre le subrogé.

Ex   : art. 2314 C. civ. : la caution est libérée si le créancier

laisse dépérir les droits préférentiels dont il dispose contre le

débiteur principal, car ce dépérissement prive d’efficacité le recours

subrogatoire de la caution.

Ex   : art. L. 121-12 al. 2 C. Ass. : « l’assureur peut être déchargé, en

tout ou en partie, de sa responsabilité envers l’assuré, quand la

subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de

l’assureur ». Cf. au Luxembourg L. 27 juillet 1997 sur le contrat

d’assurance, art. 52.

C’est logique : le moins que l’on puisse attendre du subrogeant est

qu’il ne nuise pas aux intérêts de celui qui le paie.

Conclusion (des 2 Chapitres) – Comparaison subrogation

personnelle/cession de créance.

Points communs :

- circulation de l’obligation par changement de créancier.

- mécanismes qui, pour des raisons différentes, favorisent le

crédit, le bon fonctionnement de l’économie (création de

116

Page 117: cours_RGO_2010

richesse pour la cession ; garantie pour la cession

fiduciaire ; garantie pour la subrogation personnelle).

Différences :

- Finalité de l’opération

o La cession de créance à titre onéreux est une opération

spéculative (un profit est recherché lors de la cession),

alors que la subrogation ne l’est pas : le transfert n’a lieu

que dans la mesure du paiement effectué. Cela dit, la

subrogation peut être effectuée à titre onéreux, ce qui

atténue la différence.

- Conditions :

o La cession suppose le consentement du créancier, ce qui

n’est pas toujours le cas dans la subrogation. La

subrogation peut être « forcée ».

o Les conditions d’opposabilité sont plus lourdes dans la

cession de créance que dans la subrogation.

- Effets :

o La cession permet au cessionnaire de réclamer le montant

nominal de la créance, alors que le subrogé ne peut

exercer son recours que dans la mesure du paiement

effectué.

o En cas de cession partielle, le cédant et le cessionnaire

sont à égalité, alors qu’en cas de subrogation partielle, le

subrogeant a une préférence.

o En cas de conflit entre un subrogé et un cessionnaire de

droit commun, le subrogé l’emporte si la subrogation a eu

lieu avant la signification de la cession au débiteur, car la

subrogation est opposable aux tiers de plein droit.

o Il ne peut pas y avoir de compensation pour dettes non

connexes entre le créancier subrogé et le débiteur après la

117

Page 118: cours_RGO_2010

subrogation. En matière de cession de créance, tout

dépend non pas de la cession, mais de sa signification.

Maintenant que les modalités du transfert de la créance sont

connues, voyons s’il est possible, symétriquement, de transférer la dette.

118

Page 119: cours_RGO_2010

Chapitre III – LA CESSION DE DETTE

Toute obligation fait naître à la fois une créance, au bénéfice du

créancier, et une dette, à la charge du débiteur.

Puisque la créance est cessible, la dette devrait a priori être

également cessible.

En réalité, cependant, la symétrie créance / dette est une fausse

symétrie. Car, en général, la personne du créancier est indifférente

au débiteur : il lui importe peu que telle ou telle personne soit créancier.

Au contraire, la personne du débiteur, et le patrimoine qui est

rattaché à cette personne, sont fondamentaux aux yeux du créancier.

Le seul fait d’admettre la cession de créance n’implique pas

l’admission de la cession de dette.

En principe donc, le créancier ne peut pas être contraint de

changer de débiteur. Pour autant, cela ne signifie pas que tout transfert

de dette soit exclu. Mais il faudra avoir recours à d’autres mécanismes,

ce que nous verrons dans une 1re section.

Le principe de l’incessibilité de la dette appelle une réflexion

supplémentaire : si la dette est incessible, comment expliquer que le

contrat dans son ensemble (créances + dettes) puisse être cédé ?

C’est ce que nous verrons dans une 2nde section.

I. L’incessibilité de la dette

II. La cession de contrat

I. L’INCESSIBILITÉ DE LA DETTE

La transmission de la dette ne soulève pas de difficulté lorsque

cette transmission est universelle ou à titre universel. La dette est

119

Page 120: cours_RGO_2010

transmise avec le patrimoine ou la fraction du patrimoine, dont elle

constitue l’un des éléments. Comme le patrimoine est incessible du

vivant de la personne, ce type de transmissions se rencontre

uniquement à l’occasion du décès du débiteur. Ses héritiers

recueillent alors à la fois les droits et les obligations de leur auteur. Par

exemple, celui qui hérite de la ½ de la succession est tenu de payer la

½ des dettes du défunt.

De même, il y a transmission universelle des dettes en cas de

fusion de plusieurs sociétés ou d’absorption d’une société par une

autre, des deux sociétés fusionnées à la nouvelle entité qu’elles forment

ou de l’absorbée à l’absorbante. Cela ne pose pas non plus de problème.

PB : La cession de dette à titre particulier (donc portant une dette

précise) est-elle possible ?

Historiquement, la cession de dette n’était admise ni en droit

romain, ni dans l’Ancien droit. Quant au Code civil, il est totalement

muet sur la question. PB : est-ce le résultat d’un simple oubli ou le

signe d’une impossibilité théorique dans l’esprit des rédacteurs.

Faut-il déduire de ce silence que la cession de dette est

interdite ?

Aujourd’hui, la doctrine majoritaire considère que la cession de

dette est interdite (§ 1). Mais cette règle de principe peut être contournée

(§ 2).

§ 1. Le principe de l’interdiction

Dans le silence de la loi, s’est élevée une opposition doctrinale.

Certains auteurs se sont prononcés en faveur de la validité de la

cession de dette. Il s’agit en particulier de R. SALEILLES et E. GAUDEMET

qui se sont inspirés du droit allemand (mais des règles similaires

120

Page 121: cours_RGO_2010

existent en droit suisse ou en droit italien). Ces droits étrangers

connaissent la reprise de dette, laquelle connaît plusieurs variantes :

- la reprise interne : une convention est conclue entre le

débiteur originaire et un nouveau débiteur qui s’engage

à payer la dette. Mais la convention ne produit d’effets

qu’entre ces 2 parties. Le créancier n’a aucun droit contre

le nouveau débiteur ; il n’a qu’un débiteur et c’est le

premier. Seule la charge du paiement définitif passe du

débiteur initial au nouveau débiteur.

- la reprise cumulative : comme dans la reprise interne, une

convention est conclue entre deux parties, l’une acceptant

de payer la dette de l’autre. Mais à la différence de la

reprise interne, le créancier accepte la reprise de dette. Le

créancier conserve son premier débiteur et il en

acquiert un nouveau, tenu de la même dette. Le créancier

a désormais deux débiteurs (d’où l’idée de « cumul »). Mais

l’ancien débiteur est un débiteur subsidiaire qui ne peut

être poursuivi qu’en cas d’insolvabilité du nouveau

débiteur.

- la reprise parfaite : la situation est la même que dans la

reprise cumulative, à ceci près que le créancier accepte de

libérer le 1er débiteur. Le créancier n’a qu’un seul

débiteur : le nouveau.

C’est en s’appuyant sur ces exemples étrangers que des auteurs

français ont défendu la validité de la cession de dette, au motif que la

cession n’est contraire à aucune règle d’ordre public. La liberté

contractuelle impose donc de l’admettre. Simplement, pour protéger le

créancier contre un changement de débiteur qui ne serait pas conforme à

ses intérêts, le consentement du créancier serait une condition de la

libération du cédant.

121

Page 122: cours_RGO_2010

A défaut d’accord du créancier, la cession de dette existerait tout

de même mais elle resterait imparfaite : le créancier cédé aurait alors

deux débiteurs au lieu d’un seul.

On trouve des illustrations jurisprudentielles de cette analyse.

La Cour de cassation a pu juger que la convention entre le cédant et le

cessionnaire de la dette n’avait que des effets limités. La convention

est valable entre les parties. Mais, faute de consentement du

créancier, la convention ne libère pas le débiteur cédant à l’égard du

créancier. En dépit de la convention qui se veut translative, la dette reste

dans le patrimoine du débiteur originaire. La circulation est donc toute

relative.

Ex : Civ. 1re, 2 juin 1992, Bull. civ. I, n° 168

Faits : un prêt est consenti à 2 époux solidaires pour le financement

de l’achat d’un fonds de commerce. Les époux divorcent et il est stipulé

dans la convention de divorce homologuée par le juge, que le fonds de

commerce est attribué au mari à charge pour lui de rembourser le solde

du prêt. La banque (le créancier) assigne l’épouse en paiement du solde

du prêt. Elle est déboutée par la CA et forme un pourvoi en cassation.

L’arrêt est cassé pour violation des art. 1134 et 1165 C. civ., aux

motifs que « la convention des époux, même homologuée en justice, ne

pouvait avoir pour effet, en l’absence d’un accord du créancier,

d’éteindre la dette de l’un des conjoints et n’avait de force obligatoire que

dans leurs rapports réciproques ».

Dans le même sens, plus récemment, Cass. civ. 1ère, 30 avril 2009,

D. 2009.2400 : la cession par un commerçant de l’intégralité de ses

créances et de ses dettes à l’occasion de la cession de son fonds de

commerce « ne pouvait avoir effet à l'égard du créancier qui n'y avait pas

consenti ». Certains estiment que cela implique a contrario que la cession

est valable entre les parties. Mais moins pertinent car cession globale des

créances et des dettes.

122

Page 123: cours_RGO_2010

Mais pour d’autres auteurs, majoritaires, la dette est

foncièrement incessible.

Pourquoi ? Car pour que l’on puisse véritablement parler de cession

de dette, il faut qu’en vertu de la convention translative, la dette telle

qu’elle liait le cédant au créancier cédé soit transportée dans le

patrimoine du cessionnaire. Si, en raison de ce transfert à un tiers, la

dette est modifiée, alors il ne saurait y avoir de cession. Une cession

digne de ce nom doit pouvoir opérer sans modification.

Or, parmi les éléments qui caractérisent la dette (la dette

contractuelle tout au moins), il y a la cause. La cause de l’obligation,

comprise objectivement, est le but économique en fonction duquel le

débiteur s’engage conventionnellement.

Donc, on ne peut véritablement parler de cession de dette que si

le cessionnaire reprend la dette du cédant avec sa cause ;

autrement dit, que si le cessionnaire la reprend afin d’obtenir la même

satisfaction économique que celle que recherchait le cédant.

Mais alors, si c’est bien de cela dont il s’agit, ce qui est transmis,

ce n’est pas seulement la dette, c’est le contrat dans son entier.

Ex : un locataire décide de céder sa dette de loyers à un tiers

cessionnaire. Pour quelle raison le fait-il ? De deux choses l’une :

Si le tiers reprend la dette pour obtenir la même satisfaction

économique que le cédant, c’est-à-dire pour obtenir la jouissance des

lieux loués, alors il n’y a pas seulement une cession de dette symétrique

à ce que serait la cession de créance de loyers par le bailleur. En réalité,

on est en présence d’une cession de contrat (une cession de bail). Un

nouveau locataire remplace l’ancien et reprend toutes ses obligations

mais aussi tous ses droits.

Si le cessionnaire reprend la dette, non pas pour obtenir la

jouissance des lieux (ce qui ne l’intéresse pas), mais pour une autre

raison, par exemple, pour éteindre une obligation dont il est lui-

même tenu envers le cédant ou pour lui rendre service, alors il n’y a

plus de cession de contrat, mais il n’y a pas pour autant cession de dette

123

Page 124: cours_RGO_2010

car, précisément, la dette du cessionnaire a une cause différente de celle

du débiteur initial et il n’y a donc pas identité entre la dette pesant sur le

débiteur initial et la dette pesant sur le nouveau débiteur. En réalité, le

cessionnaire prend donc un nouvel engagement.

Pourtant, la cession de dette peut être utile économiquement.

Elle peut permettre un paiement simplifié lorsque le cessionnaire

est tenu d’une obligation préexistante envers le cédant. En reprenant

la dette du cédant, le cessionnaire s’acquitte du même coup de sa propre

obligation envers le cédant.

La cession de dette peut également être un moyen de faire une

donation indirecte ou de consentir un prêt. Donation : le nouveau

débiteur paie à la place du débiteur initial et celui-ci est définitivement

libéré ; prêt : le nouveau débiteur paie à la place du débiteur initial à

charge pour ce dernier de le rembourser plus tard.

C’est parce que la cession de dette est économiquement utile que

les juristes se sont efforcés de parvenir à un résultat comparable, en

contournant l’interdiction de principe.

§ 2. Le contournement du principe

Le droit français ne connaissant pas la cession de dette, des

moyens détournés ont été employés pour parvenir à un résultat

pratique similaire.

Parmi ces moyens, il y a la novation par changement de

débiteur, sur laquelle on reviendra plus tard. C’est une novation qui

s’opère lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est

déchargé par le créancier. L’ancien débiteur est libéré parce qu’un

nouveau est lié. Le créancier doit impérativement donner son accord : il

libère le débiteur originaire en échange de l’engagement d’un nouveau

débiteur.

124

Page 125: cours_RGO_2010

Mais la novation par changement de débiteur n’est pas une

véritable cession de dette puisque la dette du débiteur originaire s’éteint

pour être remplacée par une dette nouvelle. Donc, la dette nouvelle

peut avoir des caractères différents de l’ancienne ; les exceptions sont

inopposables ; et les sûretés disparaissent.

Autre moyen détourné de réaliser l’équivalent d’une cession de

dette, dont nous reparlerons : l’indication de paiement (art. 1277 C.

civ.). Elle consiste pour le débiteur à indiquer au créancier qu’un tiers

(souvent une banque) paiera à sa place. C’est possible car le créancier

ne peut pas s’opposer à ce qu’un tiers paie la dette à la place du débiteur,

à moins que la personnalité de celui-ci soit déterminante (ce qui n’est pas

le cas pour une somme d’argent). Mais le créancier n’a aucun droit

contre ce tiers car ce tiers n’a pris aucun engagement envers lui. Le

tiers s’est simplement engagé envers le débiteur à qui il a promis. Et

réciproquement, le débiteur originaire n’est pas libéré (preuve que ce

n’est pas une cession de dette).

Il y a encore d’autres moyens de contourner l’interdiction de la

cession de dette, telle la stipulation pour autrui. Cédant = stipulant ;

cessionnaire = promettant ; créancier = tiers bénéficiaire. Mais là

encore, la SPA ne permet pas de réaliser une véritable cession de dette,

transférant la même dette d’un ancien débiteur à un nouveau (le droit

du bénéficiaire de la SPA contre le promettant naît d’un contrat

différent et autonome de celui qui a généré son droit contre le

stipulant).

Il existe donc des moyens de faire des opérations qui,

économiquement, reviennent à transférer une dette. Mais

juridiquement, il ne s’agit jamais de véritables cessions de dettes

préservant l’identité de l’obligation transmise. D’où la disparition

par exemple des éventuelles sûretés garantissant la dette.

125

Page 126: cours_RGO_2010

Dans ces conditions, on peut se demander comment la cession

de contrat (donc d’un ensemble de créances et de dettes) peut être

admise.

II. LA CESSION DE CONTRAT

La cession de contrat a pour objet le remplacement d’une partie par

un tiers au cours de l’exécution du contrat. La partie qui perd la qualité

de partie est le cédant ; son cocontractant est le cédé ; et le tiers qui

devient partie est le cessionnaire.

Plan – Avant d’indiquer le régime de la cession de contrat (§ 2), il

faut d’abord surmonter l’obstacle théorique qui s’élève a priori contre son

admission en droit positif et donc se pencher sur la nature juridique de

la cession de contrat (§ 1).

§ 1. La nature juridique de la cession de contrat

Si la créance est un bien que rien n’empêche de céder, il en va

autrement du contrat, qui est un objet autrement plus complexe.

Le contrat est par définition une convention créatrice d’obligations,

donc à la fois de créances et de dettes. Or, si la créance est cessible,

la dette ne l’est pas.

Il semble que le contrat ne puisse pas être cédé.

PB   : Cette conclusion théorique est en décalage avec la

pratique contractuelle et le droit positif. Il existe en réalité de

nombreux exemples de cessions de contrat parce que cela répond à

un besoin.

Exemples :

- en matière de bail (cession du bail commercial, notamment

lors de la cession du fonds de commerce exploité dans le

126

Page 127: cours_RGO_2010

local objet du bail ; cession du bail d’habitation,

notamment si l’immeuble loué est vendu…)

- la cession d’une PUV ;

- la cession de contrats dans le cadre d’une procédure de

redressement judiciaire donnant lieu à cession de

l’entreprise (art. L. 621-83 et s. C. com. français).

La doctrine a essayé d’établir la validité des opérations de

cession de contrat, en recourant à diverses analyses.

Classiquement, la cession de contrat a été comprise comme

l’addition d’une cession de créance et d’une cession de dette,

puisque le contrat fait naître des obligations et que l’obligation comporte

un côté actif (le droit de créance) et un côté passif (la dette).

Le régime doit alors être celui de la cession de dette, plus

strict. En d’autres termes, la cession de contrat est une convention

valable entre les parties (le cédant et le cessionnaire), mais la cession

n’est pas opposable au cocontractant du cédant, à moins que celui-

ci n’accepte la cession ou que la cession ne soit prévue par la loi.

Une analyse plus moderne a été développée pendant la 2nde moitié

du 20e siècle, notamment par L. AYNÈS (La cession de contrat et les

opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1984). Selon cette

analyse, ce serait un tort de croire que la cession de contrat n’est rien de

plus que l’addition d’une cession de créance et d’une cession de

dette. Pour Laurent Aynès, la cession de contrat est un transfert

intégral de la qualité de contractant. Céder le contrat, c’est céder sa

qualité de partie au contrat et tout ce qui s’y rattache : les droits, les

obligations, les pouvoirs, les actions en justice.

En pratique, cela ne change pas grand-chose. Dire que la

cession de contrat est une cession de la qualité de partie n’autorise pas le

cédant et le cessionnaire à opérer ce transfert et à l’opposer au cédé sans

l’accord de ce dernier. Pour que la cession de contrat produise ses effets,

127

Page 128: cours_RGO_2010

il faut obtenir, même implicitement, l’accord du cédé et non pas

seulement signifier la cession du contrat au cédé, en application de

l’art. 1690 C. civ.

SAUF évidemment si la loi n’autorise la cession de contrat sans

l’accord du cédé. En effet, ce que les parties n’ont pas le pouvoir de

faire, le législateur le peut.

Quelques exemples tirés du droit français :

- Art. L. 145-16 C. com., qui rend opposable au bailleur la

cession du bail commercial

- Art. L. 121-10 C. Ass., qui admet la cession du contrat

d’assurance avec la chose assurée : « En cas de décès de

l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance

continue de plein droit au profit de l’héritier ou de

l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les

obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en

vertu du contrat ».

- Art. L. 1224-1 C. travail imposant le respect des contrats

de travail lors de la cession d’une entreprise : le nouvel

employeur doit prendre à sa charge les contrats de travail en

cours. Le texte exact dispose : « S’il survient une

modification dans la situation juridique de l’employeur,

notamment par succession, vente, fusion, transformation du

fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours

au jour de la modification subsistent entre le nouvel

employeur et le personnel de l’entreprise ».

Il peut alors être nécessaire de signifier la cession au

cocontractant pour la lui rendre opposable. V. not. Cass. com. 3

février 2010, D. 2010.502, à propos d’une cession de bail commercial.

§ 2. Le régime de la cession de contrat

On distinguera classiquement les conditions (A) et les effets (B)

de la cession de contrat.

128

Page 129: cours_RGO_2010

A. Conditions

Le principe est que tout contrat est cessible. En soi, la cession de

contrat n’est pas contraire à une règle d’ordre public.

Mais la Cour de cassation exige que le cédé consente à la cession

de contrat, c’est-à-dire à la substitution de son cocontractant. Il peut

donner son consentement soit dans le contrat lui-même (donc lors de

la conclusion du contrat qui sera, plus tard, l’objet de la cession), soit

ultérieurement (au moment de la cession en général). V. Com., 6 mai

1997, Bull. civ. IV, n° 117.

Sanction de l’absence d’accord du cédé : vraisemblablement

nullité relative de la convention (solution retenue à propos d’une

cession de droits d’auteurs, donc assez spécifique mais a priori

généralisable). Pas juste inopposabilité.

Mais une fois que le cédé a donné son accord, il ne peut plus

s’opposer à la cession.

Le principe de cessibilité du contrat souffre cependant des

exceptions.

En particulier, les parties peuvent stipuler une clause

d’incessibilité. Cette clause est valable en principe, sauf si la loi

estime que la circulation du contrat satisfait un intérêt supérieur à

celui du cédé. Ainsi en droit français, la clause qui interdit la

cession du contrat de bail commercial en cas de vente du

fonds de commerce est nulle (art. L. 145-16 C. com. : «  Sont

(…) nulles, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à

interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du

présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son

entreprise »).

B. Effets

129

Page 130: cours_RGO_2010

C’est la qualité de contractant qui est transmise. Donc, tous les

droits et obligations attachés à cette qualité sont transférés. Le

cessionnaire se retrouve dans la situation qui était celle du cédant avant

la cession. Le cessionnaire est lié au cédé « en vertu du contrat

transmis » (Civ. 1re, 14 décembre 1982, Bull. civ. I, n° 360), sans

création d’obligation nouvelle (Com., 12 octobre 1993, Bull. civ. I, n°

333). Le contrat transmis garde sa durée originairement convenue.

La cession produit son effet pour l’avenir. En d’autres termes, le

cessionnaire ne devient débiteur et créancier que des obligations nées

postérieurement à la cession de contrat. V. par exemple, Com., 6 janvier

1998, Bull. civ. IV, n° 7. Le cédant reste tenu des obligations existant

au jour de la cession de contrat. Par ailleurs, il est garant du

nouveau cocontractant (le cessionnaire), à moins d’en être

expressément déchargé par le cédé.

Transition – La circulation de l’obligation est fluide tant qu’il s’agit

de transférer une créance. Elle est déjà un peu moins facile lorsque c’est

le contrat dans son ensemble qui est transféré. Et elle est impossible

lorsqu’il s’agit d’une dette prise isolément. Cela ne veut pas dire, pour

autant, que tout changement de débiteur dans le rapport d’obligation soit

exclu. Mais, alors, au lieu d’un transfert de l’obligation, il y aura création

d’une obligation nouvelle. C’est ce 2nd mode de circulation des obligations

que nous allons examiner à présent.

130

Page 131: cours_RGO_2010

Titre II – LA CRÉATION D’UNE OBLIGATION NOUVELLE

Il arrive assez souvent en pratique qu’un changement de débiteur

intervienne.

Ex   : une société souscrit un emprunt auprès d’une banque et son

dirigeant se porte caution. Quelques années plus tard, mais avant que

l’emprunt ne soit complètement remboursé par la société, il

démissionne et cède ses actions à un tiers, qui devient dirigeant à son

tour. La situation est dangereuse pour l’ancien dirigeant/caution car

n’étant plus actionnaire, il n’a plus le contrôle de la société. C’est la

raison pour laquelle, le dirigeant n’acceptera de céder ses titres que s’il

peut ne plus être caution. Concrètement, le nouveau dirigeant reprend

la dette de cautionnement, avec l’accord de la banque qui a prêté

les fonds à la société.

Ici, il y a bien un véritable changement de débiteur, mais celui-

ci passe en réalité par la création d’une obligation nouvelle, celle du

nouveau dirigeant vis-à-vis de la banque, qui vient éteindre

l’obligation initiale. C’est une novation de l’obligation par

changement de débiteur. En fait, ce type de novation n’est qu’une

application particulière du mécanisme plus général de la

délégation, qui consiste à créer une obligation qui vient soit se

substituer, soit s’ajouter à l’obligation initiale.

Plan   : Comme la délégation est donc le seul procédé qui permet un

résultat techniquement équivalent à une circulation d’obligation,

chapitre unique : la délégation.

Chapitre unique – LA DÉLÉGATION

Définition   : La délégation est un procédé de circulation des

obligations à l’initiative du débiteur. C’est l’acte juridique par lequel

131

Page 132: cours_RGO_2010

le débiteur donne au créancier un autre débiteur, qui s’oblige

envers le créancier.

2 éléments distinguent la délégation des autres opérations de

circulation des obligations : l’initiative du débiteur initial et

l’obligation propre du 2nd débiteur.

La personne qui prend l’initiative de trouver un nouveau débiteur

est le délégant.

La personne qui prend le nouvel engagement sur ordre du délégant

est le délégué.

La personne qui bénéficie du nouvel engagement est le

délégataire.

Ce nouvel engagement est accepté par le délégataire.

Il faut le consentement de ces trois personnes pour que la

délégation s’opère.

La délégation est régie par les articles 1275 et 1276 C. civ.

A quoi sert la délégation ?

En général, la délégation se greffe sur deux obligations

préexistantes : une obligation du délégant envers le délégataire et une

obligation du délégué envers le délégant. Elle sert alors à réaliser une

opération de paiement simplifié en éteignant deux dettes en une seule

fois. Ex : le propriétaire d’un immeuble loué, qui a emprunté une

somme d’argent (déléguant), délègue son locataire (délégué) à son

banquier (créancier) en paiement de sa dette de prêt. Le locataire, en

payant directement le loyer au banquier, paie sa propre dette de loyer

envers le propriétaire, déléguant, et la dette de prêt de ce dernier envers

la banque prêteuse, délégataire.

Mais la délégation peut aussi permettre de fournir une garantie au

créancier délégataire. Ex   : Le locataire est seulement un débiteur

subsidiaire. Il ne paiera le loyer directement à la banque que si le

propriétaire ne rembourse pas l’une des échéances de son prêt.

132

Page 133: cours_RGO_2010

L’inverse est aussi possible : le nouveau débiteur, délégué,

devient débiteur principal et le débiteur initial délégant est débiteur

subsidiaire.

Ex   : Le propriétaire ne paiera son prêt que si le locataire ne paie

pas le loyer.

Avantage par rapport au cautionnement ? Formalisme plus

léger et garantie plus solide.

Enfin la délégation peut aussi permettre au délégué de faire une

donation ou un prêt indirect au délégant. Cela suppose qu’aucune

obligation préexistante ne lie le délégué au délégant. Le délégué fait une

donation au délégant lorsqu’il paie la dette préexistante du délégant

envers le délégataire sans demander de remboursement ; il fait un simple

prêt lorsqu’il exige en contrepartie d’être remboursé plus tard.

NB : La jurisprudence admet qu’il puisse y avoir une délégation

même s’il n’existe pas de créance du délégant sur le délégué. V.

not. Com., 21 juin 1994, Bull. civ. IV, n° 225.

Plan – La multiplicité des fonctions de la délégation illustre la

souplesse du mécanisme. Avant d’aller plus loin, il convient donc de

cerner de plus près la notion de délégation (section I) avant de décrire

le régime de la délégation (section II).

I. LA NOTION DE DÉLÉGATION

Pour étudier la notion de délégation, nous verrons d’abord quels en

sont les types (§ 1) puis quelles sont les institutions voisines avec

lesquelles il ne faut pas la confondre (§ 2).

§ 1. Les types de délégation

PB   : Quelles sont les différentes sortes de délégation ?

Il y a 2 grandes distinctions à faire.

133

Page 134: cours_RGO_2010

1°) La délégation simple et la délégation novatoire –

Ces 2 modalités de la délégation sont issues de l’art. 1275 C. civ.

qui dispose : « La délégation par laquelle un débiteur donne au créancier

un autre débiteur qui s’oblige envers le créancier, n’opère point de

novation, si le créancier n’a expressément déclaré qu’il entendait

décharger son débiteur qui a fait la délégation ».

- Dans la délégation novatoire (ou parfaite), le délégataire

libère immédiatement le délégant, en contrepartie de

l’engagement pris par le délégué. La délégation opère une

novation par changement de débiteur : un nouveau

débiteur, le délégué, est substitué à l’ancien débiteur, le

délégant, qui est déchargé par le délégataire. L’art. 1275 C.

civ. exige pour cela une manifestation de volonté expresse

de la part du créancier délégataire.

- Dans la délégation simple (ou imparfaite), le délégataire ne

libère pas le délégant lors de la délégation. Le délégataire

a donc désormais 2 débiteurs au lieu d’un. En l’absence

de volonté contraire, les 2 débiteurs sont tenus à titre

principal. Ex : s’agissant du paiement par carte bancaire,

le banquier s’engage envers les commerçants adhérents à

honorer les factures en l’absence de provision (dans une

certaine limite). Le commerçant délégataire a donc 2

débiteurs : le client débiteur du prix qui est délégant et le

banquier qui s’engage personnellement à payer la dette du

client qui est le délégué.

Le Code civil traite de la délégation dans une section consacrée à

la novation. Il laisse donc supposer que la délégation est le plus

souvent novatoire. Mais en réalité, la délégation simple est la plus

répandue, parce qu’elle offre une plus grande sécurité au délégataire.

2°) La délégation certaine et la délégation incertaine –

134

Page 135: cours_RGO_2010

Cette 2nde distinction est d’origine doctrinale. Elle se fonde sur

l’objet de l’engagement pris par le délégué envers le délégataire.

- La délégation est incertaine si le délégué calque l’objet de

son engagement envers le délégataire, soit sur l’objet de sa

propre obligation préalable envers le délégant, soit (et

c’est plus fréquent) sur l’obligation préalable du

délégant envers le délégataire.

- La délégation est certaine si l’engagement du délégué est

déterminé en lui-même, indépendamment de l’objet de

l’une des obligations préexistantes. La délégation est

indépendante des rapports antérieurs.

Intérêt de la distinction ? Théoriquement, si la délégation est

incertaine, le délégué s’engage à payer ce que doit le délégant au

délégataire ou ce qu’il doit lui-même au délégant. Le délégué peut alors

opposer au délégataire les exceptions issues du rapport

d’obligation préalable sur lequel son engagement a été calqué.

Alors que si la délégation est certaine, le délégué s’engage à payer une

somme déterminée sans référence à ce que doit le délégant. Le principe

de l’inopposabilité des exceptions s’applique alors et le délégué ne

peut pas invoquer les exceptions que pourrait invoquer le délégant.

Mais, en pratique, la jurisprudence est hésitante. La Cour de

cassation est divisée sur la portée de cette distinction. Certains arrêts la

suivent, d’autres non.

[La Chambre commerciale, en particulier, retient une solution

particulière lorsque la délégation a une fonction de garantie. Dans ce cas,

la délégation ne peut résulter que d’une délégation simple. En effet, le

créancier n’obtient de garantie pour le paiement de sa créance contre le

délégant que si le nouvel engagement pris par le délégué s’ajoute à

l’ancien. En revanche la délégation peut être certaine comme incertaine.

Le délégué peut prendre un engagement autonome (payer telle somme

d’argent) mais aussi s’engager seulement à payer ce que le délégant doit

au délégataire. Pourtant, même dans cette dernière situation, la Chambre

135

Page 136: cours_RGO_2010

commerciale de la Cour de cassation considère que la garantie est

indépendante et que le délégué ne peut donc opposer les exceptions

tirées des rapports déléguant/délégataire. Cf. Com., 7 décembre 2004,

Bull. civ. IV, n° 214 : le fait que la créance contre le délégant soit éteinte,

faute de déclaration par le délégataire à la procédure collective du

délégant, n’empêche pas le délégataire d’agir contre le délégué. Le

délégué est comme un garant autonome. Cela renforce la garantie.]

Pour saisir la notion de délégation, il faut encore la comparer des

institutions voisines.

§ 2. Les institutions voisines de la délégation

La multitude de fonctions remplies par la délégation conduit à

distinguer cette notion de notions voisines.

1. La délégation et la cession de créance –

La comparaison doit être menée tant au plan juridique qu’au plan

économique.

Juridiquement, la délégation n’a pas d’effet translatif. La cession de

créance transmet au cessionnaire la créance qui appartenait au cédant,

sans que le consentement du débiteur cédé ne soit nécessaire. Alors que

dans la délégation, qu’elle soit simple ou novatoire, le délégué prend un

nouvel engagement envers le délégataire. La créance du délégant sur le

délégué n’est donc pas transmise au délégataire.

En outre, la délégation, contrairement à la cession, est opposable

aux tiers dès que le délégataire accepte l’engagement du délégué sans

formalité de publicité particulière.

Economiquement, en revanche, les 2 opérations sont proches car

c’est un peu comme si la créance du délégant contre le délégué avait

circulé au profit du délégataire.

136

Page 137: cours_RGO_2010

2. La délégation et la cession de dette –

Là encore, la comparaison doit être menée au plan juridique et

économique.

Juridiquement, la délégation n’est pas une cession de dette. La

cession de dette produit un effet translatif, par principe inadmissible

comme on l’a vu : c’est une seule et même dette qui est transmise. Or, la

délégation emporte création d’une obligation nouvelle. En outre, la

cession de dette résulte d’un accord entre débiteur initial et nouveau

débiteur, alors que la délégation est un accord entre le nouveau débiteur,

délégué, et le créancier délégataire.

Mais là encore, la délégation peut aboutir au même résultat

économique qu’une cession de dette, en particulier lorsque la délégation

est novatoire et incertaine. Une substitution de débiteurs se produit, avec

l’accord du délégataire qui libère immédiatement l’ancien débiteur, en

contrepartie du nouvel engagement pris par le délégué et calqué sur

l’objet de l’obligation du délégant.

3. La délégation et l’indication de paiement –

L’indication de paiement est un mandat, par lequel un débiteur

(mandant) confie à un mandataire (en général une banque) le pouvoir de

régler l’un de ses créanciers. Elle permet aussi de simplifier le paiement,

mais la différence avec la délégation est nette.

Dans l’indication de paiement, le mandataire ne prend aucun

engagement personnel envers le créancier. Ce dernier n’a donc pas

d’action contre le mandataire ; le mandataire ne devient pas débiteur du

créancier. Dans la délégation, le délégué prend au contraire un

engagement envers le délégataire.

4. La délégation et les sûretés personnelles –

137

Page 138: cours_RGO_2010

La délégation se distingue des sûretés personnelles (comme le

cautionnement). Dans une sûreté personnelle, une personne s’engage en

qualité de garant, afin de prémunir le créancier contre le risque de

défaillance de son débiteur. Il n’en va pas ainsi dans la délégation : le

délégué n’est pas préoccupé par la défaillance du délégant. Le délégué

s’engage en raison de sa propre dette envers le délégant.

Cela étant, comme on l’a déjà vu, la délégation peut remplir une

fonction de garantie si elle est imparfaite (simple). L’engagement du

délégué vient garantir l’obligation préalable du délégant envers le

délégataire, puisque ce dernier dispose désormais de 2 débiteurs. Si

jamais le délégant (débiteur initial) est défaillant ou insolvable, le

délégataire réclamera au délégué le paiement.

5. La délégation et la SPA –

La SPA peut jouer un rôle similaire à celui de la délégation. Le

stipulant peut demander au promettant qu’il s’engage à accomplir son

obligation au profit du tiers bénéficiaire (le créancier). Le promettant

joue le rôle du délégué.

Et si le tiers bénéficiaire était déjà créancier du stipulant, alors il

pourra agir contre le stipulant en vertu de son droit de créance originaire

et contre le promettant en vertu de la SPA. La situation ressemble alors à

une délégation simple.

Malgré cette similitude de fonctions, les 2 notions sont

juridiquement distinctes :

- d’une part, la délégation suppose un engagement du délégué

envers le délégataire. Le droit du délégataire ne naît que

lorsque l’échange des consentements a eu lieu entre ces

deux personnes. Alors que dans la SPA, l’échange des

consentements a lieu entre le stipulant (ancien débiteur) et

le promettant (nouveau débiteur). Le tiers

138

Page 139: cours_RGO_2010

bénéficiaire/créancier profite de cet accord, car la SPA est

une exception à l’effet relatif des contrats. Mais l’éventuelle

acceptation de la SPA par le tiers bénéficiaire ne servira

qu’à rendre irrévocable l’acquisition de son droit.

- d’autre part, le droit du délégataire ne dépend pas des

relations délégant/délégué. Les exceptions lui sont

inopposables. Au contraire, dans la SPA, le droit du tiers

bénéficiaire prend sa source dans le contrat conclu entre le

stipulant et le promettant. Le promettant peut donc opposer

au tiers bénéficiaire les exceptions nées de ses relations

avec le stipulant.

II. LE RÉGIME DE LA DÉLÉGATION

Voyons successivement les conditions de la délégation (§ 1), puis

ses effets (§ 2).

§ 1. Les conditions de la délégation

Quelques observations sur les conditions de formation puis sur

les conditions d’opposabilité.

Les conditions de formation sont relativement simples. La

délégation suppose l’échange de 3 consentements (délégant, délégué

et délégataire), pas nécessairement en même temps. Par exemple, le

consentement du délégataire peut intervenir valablement après

l’acceptation émise par le délégué de l’ordre donné par le délégant.

Si la délégation est novatoire, il faut en plus que le délégataire

manifeste son intention de libérer le délégant en contrepartie de

l’engagement du délégué. L’art. 1275 C. civ. impose une manifestation

expresse de volonté.

139

Page 140: cours_RGO_2010

Les conditions d’opposabilité de la délégation aux tiers (ie les

créanciers du délégant ou un cessionnaire de la créance du délégant sur

le délégué) sont également simples, puisque la délégation est opposable

de plein droit aux tiers dès sa conclusion sans formalités particulières.

§ 2. Les effets de la délégation

Plusieurs points sont à voir :

- Le sort de la créance du délégant sur le délégué (A)

- Les exceptions qui peuvent être invoquées contre le

délégataire (B)

- Le recours du délégataire contre le délégant (C)

A. Le sort de la créance du délégant sur le délégué –

On se place dans l’hypothèse où le délégué a accepté la

délégation parce qu’il avait une dette envers le déléguant.

PB   : Quelle est l’incidence de la délégation sur la créance

qu’avait le délégant sur le délégué ? Ex   : si le locataire s’engage

auprès de la banque qui a consenti un prêt au bailleur-délégant, que

devient la créance de loyers ?

Juridiquement, cette créance reste dans le patrimoine du

délégant. En effet, la délégation n’est pas une cession de créance ; elle

n’a pas d’effet translatif.

Cette créance s’éteint-elle du seul fait de la délégation ? Non.

Le seul fait pour le délégué de s’engager envers le délégataire ne

provoque pas l’extinction de la créance du délégant sur le délégué,

même si la délégation est novatoire. La délégation novatoire éteint

l’obligation du délégant envers le délégataire, mais pas la créance

du délégant envers le délégué. Cette dernière s’éteint lorsque le

délégué a exécuté la délégation.

140

Page 141: cours_RGO_2010

Toutefois, le fait que les parties aient convenu d’une délégation

montre que la créance du délégant sur le délégué est appelée à

s’éteindre du fait de l’exécution de l’engagement pris par le délégué

envers le délégataire. C’est pourquoi la créance du délégant est frappée

d’indisponibilité : le délégant est toujours titulaire de sa créance sur le

délégué, mais il en perd la libre disposition.

Combien de temps la créance est-elle indisponible ?

- Si le délégué exécute son obligation envers le

délégataire, la créance du délégant s’éteint à hauteur du

paiement ainsi effectué.

- Mais qu’advient-il si le délégué n’exécute pas son

obligation envers le délégataire ? Le délégant retrouve-t-il

la disponibilité de sa créance ?

Pas nécessairement, car ce n’est pas parce que le délégué est

défaillant que le délégataire renonce à le poursuivre. Or, il ne

faudrait pas que le délégant puisse obtenir le paiement de sa créance tant

que le délégué reste exposé aux poursuites du délégataire.

La créance du délégant reste indisponible tant que le

délégataire n’a pas renoncé à poursuivre le délégué.

Concrètement, cette indisponibilité signifie par exemple que le

délégant ne peut pas agir en paiement contre le délégué, ni en

résolution du contrat donnant naissance à sa créance contre le délégué,

du moins tant que le délégataire n’a pas renoncé à son droit contre le

délégué. De même, les créanciers du délégant qui pratiqueraient une

saisie sur la créance du délégant contre le délégué pourraient se

voir opposer l’indisponibilité de la créance.

V. en ce sens, Com., 16 avril 1996, Bull. civ. IV, n° 120 : « attendu

que si la créance du délégant sur le délégué s’éteint, non pas du fait de

l’acceptation par le délégataire de l’engagement du délégué à son égard,

mais seulement par le fait de l’exécution de la délégation, ni le délégant

141

Page 142: cours_RGO_2010

ni ses créanciers, ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le

délégataire, exiger paiement ; qu’il en résulte que la saisie-arrêt effectuée

entre les mains du délégué par les créanciers du délégant ne peut avoir

pour effet de priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit

exclusif à un paiement immédiat par le délégué… ». La créance est en

quelque sorte « neutralisée ». Et priorité est donnée au délégataire.

B. Le régime des exceptions –

PB   : quelles sont les exceptions que le délégué peut opposer au

délégataire pour échapper à l’exécution de son engagement ?

Le principe est celui de l’inopposabilité des exceptions. Mais sa

portée doit être nuancée en distinguant selon que le délégué entend

invoquer des exceptions tirées de ses rapports avec le délégant (1)

ou s’il entend invoquer des exceptions tirées des rapports entre

délégant et délégataire (2).

1) Les exceptions tirées des rapports entre délégué et délégant

En principe, le délégué ne peut pas opposer au délégataire les

exceptions qu’il aurait pu opposer au délégant (ex : nullité de

l’obligation du délégué envers le délégant, à supposer qu’une

obligation préexistante existant entre délégant et délégué). Il doit

exécuter son engagement envers le délégataire, quitte à exercer

ensuite un recours contre le délégant.

Le principe, ancien, est d’origine jurisprudentielle.

Pourquoi ce principe d’inopposabilité des exceptions ?

Parce que le droit du délégataire contre le délégué est un

droit propre et indépendant du droit du délégant contre le délégué. Ce

droit naît de l’échange des consentements entre délégué et

délégataire. Il est donc logique que le délégataire puisse ignorer les

causes de libération du délégué envers le délégant (ex : le paiement du

142

Page 143: cours_RGO_2010

délégué fait au délégant), les modifications décidées par le délégant et le

délégué (remise de dette, délai…) et même les vices affectant la

validité du contrat générateur de l’obligation du envers le délégant (ex :

vice du consentement).

V. par exemple, Civ., 24 janvier 1872, GAJC n° 239, obs. TERRÉ &

LEQUETTE.

La situation est dangereuse pour le délégué car il risque de

devoir payer au délégataire ce qu’en définitive il ne devait pas au

délégant. Il devra alors exercer un recours contre le délégant, mais

dont l’efficacité est toujours aléatoire. Deux limites au principe :

1°) La jurisprudence écarte l’inopposabilité des exceptions en cas

de mauvaise foi du délégataire, c’est-à-dire lorsqu’il connaissait les

vices affectant la cause de l’engagement du délégué à son égard.

2°) La doctrine estime que le délégué peut échapper à

l’inopposabilité des exceptions en calquant son engagement sur la

dette qu’il avait envers le délégant (délégation incertaine) : dans ce

cas, l’engagement du délégué est soumis à la condition qu’il soit

effectivement débiteur du délégant.

2) Les exceptions tirées des rapports du délégant avec le

délégataire

PB   : Le délégué peut-il invoquer les exceptions tirées des

rapports entre le délégant et le délégataire pour échapper à son

engagement ?

La réponse est a priori négative : ces relations n’intéressent pas

le délégué. Certes, c’est en raison de l’obligation du délégant envers le

délégataire que le délégant a ordonné au délégué de prendre un

engagement envers le délégataire. Mais cela n’autorise pas le délégué à

s’en prévaloir. Ce n’est pas parce que le droit du délégataire contre le

délégant disparaît, par exemple parce que la créance qu’il avait contre le

délégant est annulée, que l’engagement du délégué envers le délégataire

est anéanti. A nouveau, le délégué a pris un engagement propre, il a

143

Page 144: cours_RGO_2010

contracté une obligation nouvelle envers le délégataire, différente de

celle qui unit délégant et délégataire.

Limite : Il en va autrement si l’engagement du délégué est calqué

sur la dette du délégant envers le délégataire (délégation

incertaine). Dans ce cas, le délégué devrait pourvoir invoquer les

exceptions tirées des rapports délégant/délégataire. Pourquoi ? Parce que

l’objet de l’engagement du délégué est la dette du délégant : le

délégué a promis de payer ce que doit le délégant. Par conséquent, si la

dette est anéantie, l’engagement du délégué perd son objet. Mais

certains auteurs refusent cette analyse (elle confondrait les

obligations du délégué envers le délégataire et du délégant envers le

délégataire) et la jurisprudence est hésitante.

- Pour la ch. com. de la Cour de cassation, peu importe que

la délégation soit certaine ou incertaine, le délégué ne

peut invoquer les exceptions tirées du rapport

délégant/délégataire. Il doit payer le délégataire même si

la créance du délégataire sur le délégant est éteinte (v. not.

Com., 7 décembre 2004, à propos d’une délégation à titre

de garantie).

- Pour la 1re ch. civ. de la Cour de cassation, au contraire,

l’engagement du délégué est limité par celui du

délégant, à moins d’avoir stipulé une clause contraire.

Le délégué pourrait opposer au délégataire les causes de

nullité, d’extinction ou de diminution de l’obligation du

délégant (v. not. Civ. 1re, 17 mars 1992, Bull. civ. I, n° 84 :

« Attendu que, sauf convention contraire, le délégué est

seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers

le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation

lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la

prescription »).

Il y a donc une incertitude sur ce point.

144

Page 145: cours_RGO_2010

C. Le recours du délégataire contre le délégant –

PB   : Le délégataire, qui avait une créance contre le délégant,

conserve-t-il son droit de poursuivre le délégant ? Peut-il le poursuivre

si le délégué n’honore pas son engagement, voire même avant de

poursuivre le délégué ?

Dans cette situation, il faut distinguer selon que la délégation est

novatoire ou simple.

Si la délégation est novatoire, la créance du délégataire sur le

délégant est éteinte immédiatement. Le délégataire n’a plus qu’un

seul débiteur : le délégué.

Si le délégué est insolvable, le délégataire ne peut pas exercer

de recours contre le délégant. V. art. 1276 C. civ. : « Le créancier qui a

déchargé le débiteur par qui a été faite la délégation, n’a point de recours

contre ce débiteur, si le délégué devient insolvable, à moins que l’acte

n’en contienne une réserve expresse, ou que le délégué ne fût déjà en

faillite ouverte, ou tombé en déconfiture au moment de la délégation ».

En principe, le délégant ne garantit pas en principe la

solvabilité du délégué au délégataire, sous deux réserves : une

garantie conventionnelle est possible ; et le délégant doit tout de

même légalement garantir la solvabilité du délégué au jour de la

délégation.

Si la délégation est simple : la créance du délégataire sur le

délégant demeure. Etant créancier, le délégataire peut agir contre le

délégant, mais est-il libre d’exercer ce recours comme il l’entend ?

Tout dépend de l’objectif de la délégation :

- Si elle a pour but de fournir une garantie au délégataire,

le délégant reste le débiteur principal, celui qui

supportera la charge définitive de la dette, et le

délégataire le poursuivra normalement en priorité

145

Page 146: cours_RGO_2010

(même s’il n’y est a priori pas tenu, puisque le délégué est

un garant autonome).

- En revanche, si la délégation réalise un paiement simplifié,

le délégataire devrait logiquement agir d’abord contre le

délégué. S’il agit d’abord contre le délégant, il n’y aura

aucune simplification. La créance du délégataire sur le

délégant devient en quelque sorte subsidiaire par rapport

au droit nouveau du délégataire sur le délégué.

Qu’est-ce que cela signifie ?

- soit le délégant a stipulé à son profit un bénéfice de

discussion. Auquel cas, le délégataire devra d’abord

poursuivre le délégué et c’est seulement si celui-ci est

insolvable, que le délégataire pourra agir contre le délégant

sur le fondement de sa créance.

- soit le délégant n’a pas stipulé de bénéfice de discussion et

alors la situation est moins claire. Pour certains, le

délégataire devra tout de même agir en priorité en paiement

contre le délégué. La différence avec l’hypothèse précédente

est que le délégataire pourra se retourner contre le délégant

simplement en constatant la défaillance du délégué à

l’échéance. Le délégataire n’a pas à démontrer l’insolvabilité

du délégué. Pour d’autres auteurs, le délégataire n’est même

pas tenu d’agir en priorité contre le délégué, puisque le

délégant reste son débiteur autonome. Cela dit, en pratique,

il est probable que le délégataire agira toujours en priorité

contre le délégué (sinon il aurait refusé la délégation) sauf

s’il apparaît que ce dernier risque de ne pas le payer.

146

Page 147: cours_RGO_2010

TROISIÈME PARTIE – L’EXTINCTION DES OBLIGATIONS

Comme toute construction humaine, l’obligation a vocation à

disparaître. Un débiteur ne peut être lié indéfiniment par une obligation

juridique.

PB   : Comment l’obligation s’éteint-elle ?

L’art. 1234 C. civ. énumère les causes d’extinction des

obligations. Il dispose :

«   Les obligations s’éteignent :

   Par le paiement,

   Par la novation,

   Par la remise volontaire,

   Par la compensation,

   Par la confusion,

   Par la perte de la chose,

   Par la nullité ou la rescision,

   Par l’effet de la condition résolutoire,

   Et par la prescription »

PB   : L’article mélange des causes d’extinction stricto sensu, des

causes d’anéantissement des actes juridiques (ex : nullité) et des

modalités de l’obligation (ex : condition résolutoire).

En réalité, deux grandes catégories de modes d’extinction sont

envisageables :

- Soit l’obligation s’éteint par un mode normal, c’est-à-dire par le

paiement, qu’il soit volontaire ou forcé.

- Soit elle s’éteint par des modes indirects, dont la caractéristique

commune est d’entraîner une extinction sans paiement.

Plan – Ce sont tous ces aspects que nous analyserons dans 3 titres :

- Un Titre I consacré au paiement volontaire

147

Page 148: cours_RGO_2010

- Un Titre II consacré au paiement forcé

- Et un Titre III consacré à l’extinction des obligations

sans paiement

TITRE I – LE PAIEMENT VOLONTAIRE

Les règles relatives au paiement (modalités, preuve, etc.) figurent

aux articles 1235 et s. du Code civil.

Le paiement est le mode normal d’extinction des obligations.

Définition   : Le paiement est l’extinction de l’obligation par son

exécution.

NB   : Dans le langage courant, paiement = remise d’une somme

d’argent, mais en droit, le paiement c’est l’exécution de toute

obligation, quelle soit monétaire ou en nature (de donner, de faire ou

de ne pas faire). Ex   : Un entrepreneur paie son obligation de faire en

fournissant à son cocontractant le service qu’il s’est engagé à lui

procurer.

Cela dit, le paiement des obligations monétaires a un certain

particularisme.

Plan – nous commencerons par étudier les règles communes à

tous les paiements (Chap. I), avant d’aborder les règles propres aux

obligations monétaires (Chap. II).

Chapitre I – LES RÈGLES COMMUNES À TOUS LES PAIEMENTS

PB : Dans quelles conditions le paiement est-il valable, c’est-à-dire

de nature à produire l’extinction de l’obligation ?

148

Page 149: cours_RGO_2010

5 conditions à remplir : qui doit payer et qui doit être payé ? Que

faut-il payer ? Quand payer ? Où payer ? Enfin, comment prouver le

paiement une fois qu’il a été effectué ?

Plan : Une section pour chacune de ces questions : les parties au

paiement (section I) ; l’objet du paiement (section II) ; la date du

paiement (section III) ; le lieu du paiement (section IV) ; la preuve du

paiement (section V).

I. LES PARTIES AU PAIEMENT

Précision terminologique – On appelle :

- Solvens : celui qui paye.

- Accipiens : celui qui reçoit le paiement.

Pourquoi ces termes et pas ceux de débiteur et de créancier ?

Parce celui qui paye n’est pas toujours le débiteur et celui qui

reçoit le paiement n’est pas toujours le créancier. Il faut donc faire la

distinction.

On envisagera la situation des deux parties au paiement : celle du

solvens (§ 1) puis celle de l’accipiens (§ 2).

§ 1. Le solvens

PB : Qui doit effectuer le paiement pour que l’obligation

s’éteigne valablement ?

Est-il absolument nécessaire que ce soit le débiteur lui-même qui

paie, pour que l’obligation s’éteigne, ou une autre personne peut-elle

valablement effectuer le paiement ?

Si, le plus souvent, c’est le débiteur qui procède au paiement, le

Code civil admet que le paiement soit effectué par un tiers. Le solvens

n’a pas nécessairement à être le débiteur.

149

Page 150: cours_RGO_2010

V. art. 1236 C. civ. qui précise que la dette peut être payée :

- par un tiers intéressé (al. 1er du texte : « Une obligation

peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée,

telle qu’un coobligé ou une caution »).

- ou même par un tiers non intéressé (ie non impliqué dans

la dette, al. 2 du texte), soit que ce tiers agisse en tant que

mandataire du débiteur (ex : un banquier qui exécute un

ordre de virement), soit que ce tiers agisse en son nom

propre.

La dette s’éteint néanmoins par l’effet du paiement. Le créancier

ne peut arguer du fait que c’est un tiers qui l’a payé pour refuser de

libérer le débiteur.

Le paiement de la dette d’autrui est valable.

Pas hypothèse d’école, relativement fréquent en pratique.

Ex : cautions et co-débiteurs solidaires évidemment ; ou le solvens

peut avoir voulu consentir un prêt au débiteur ; ou il aura voulu lui faire

une donation indirecte (ex : des parents qui paient à la place de leur

enfant sans attendre de remboursement) ; ou tout simplement par

erreur, lorsque le tiers solvens a payé parce qu’il pensait qu’il était

débiteur....

PB1 : Dans ce dernier cas, le tiers solvens qui a payé la dette

d’autrui dispose-t-il d’un recours contre l’ accipiens (le créancier) ?

La réponse est négative. Il n’y a pas de paiement de l’indu,

donc pas de restitution. La dette était due.

PB2 : Le tiers solvens dispose-t-il d’un recours contre le véritable

débiteur ?

Pas de problème s’il y a un contrat entre le solvens et débiteur

(ex : prêt ou mandat) : le tiers solvens peut agir en remboursement sur le

fondement de ce contrat – sauf si c’est une donation, puisqu’il y aura

alors intention libérale du solvens envers le débiteur.

150

Page 151: cours_RGO_2010

A défaut de contrat ou d’intention libérale, il y a un

enrichissement sans cause. Le débiteur a évité un appauvrissement

en ne payant pas et il s’est ainsi indirectement enrichi, et ce sans

justification. Le solvens peut donc obtenir restitution sur le fondement

de ce quasi-contrat.

Ex : Cass. civ. 1ère, 4 avril 2001 (Bull. civ. I, n° 105) : un assureur

ayant indemnisé les propriétaires d’une maison d’habitation qui se

fissurait, en croyant que ces désordres étaient dus à un phénomène

naturel ; puis, lorsqu’il est apparu que la seule cause du dommage était

un vice de construction, l’assureur a exercé un recours contre le

constructeur (débiteur).

La Cour de cassation a donné gain de cause à l’assureur solvens, au

motif qu’ « en application du principe général du droit selon lequel nul ne

peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, celui qui par erreur a

payé la dette d’autrui de ses propres deniers a, bien que non subrogé aux

droits du créancier, un recours contre le débiteur ».

PB : Restitution de quoi ? De tout ce qui a été payé plus les

intérêts ? Non : le montant des restitutions est plafonné à la plus faible

des deux sommes entre l’appauvrissement de l’un et le paiement de

l’autre. La règle n’est donc pas très favorable à celui qui a payé.

NB : L’existence d’une gestion d’affaires est aussi concevable

(c’est du moins ce qu’indique la jurisprudence luxembourgeoise, dans

le cas où le solvens agit non pas en croyant qu’il payait sa propre dette,

mais en ayant conscience qu’il paie la dette d’autrui afin de lui

rendre service).

En principe donc, le paiement peut être fait par un tiers. Une

exception est néanmoins prévue dans l’hypothèse où les qualités

personnelles du débiteur importeraient au créancier (ex :

photographe, enseignant, médecin), ou, plus largement, lorsqu’il existe

un intérêt à ce que le paiement ne soit pas fait par autrui. Cf. art.

1237 C. civ. : « L’obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers

151

Page 152: cours_RGO_2010

contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit

remplie par le débiteur lui-même ». Essentiellement pour les prestations

de services.

§ 2. L’ accipiens

PB : à qui le paiement doit-il être fait pour qu’il éteigne

l’obligation ?

En principe, le paiement doit être fait entre les mains du

créancier. V. art. 1239 C. civ. C’est donc le créancier qu’il faut payer,

sans quoi le paiement est nul et le solvens s’expose à payer une

seconde fois : « qui paie mal paie deux fois » selon un adage.

L’art. 1239 C. civ. prévoit tout de même deux atténuations :

- d’abord, le paiement est valable s’il est fait à une

personne qui a le pouvoir de le recevoir (un

mandataire). Ex : le paiement reçu par la banque est

extinctif.

- ensuite, le paiement est valable s’il est fait à une personne

dont la Loi prévoit qu’elle est apte à le recevoir. Ex : le

représentant de l’incapable ; la personne désignée dans le

cadre d’une procédure collective.

Par ailleurs, le principe souffre une véritable exception prévue à

l’art. 1240 C. civ. L’obligation est éteinte même si l’accipiens est un

tiers sans pouvoir pour recevoir le paiement lorsque le solvens a

légitimement pu croire que le tiers était le créancier. Cela implique que

les circonstances aient raisonnablement pu faire croire au solvens que

l’accipiens était le créancier et que le solvens était de bonne foi. Il s’agit

d’une application de la théorie de l’apparence, même si ce terme ne

figure pas dans l’article 1240 C. civ.

Le solvens sera alors à l’abri des poursuites du véritable

créancier, mais ce dernier pourra se retourner contre l’accipiens

152

Page 153: cours_RGO_2010

pour obtenir la restitution de son dû (l’action est fondée sur

l’enrichissement sans cause).

Ex   : Une telle situation peut arriver en cas de subrogation (par

affacturage par ex.) tant que le débiteur n’est pas averti du changement

de créancier.

II. L’OBJET DU PAIEMENT

Objet : que faut-il payer pour être libéré ?

1. - Peut-on payer une partie seulement de la dette ?

2. - Peut-on fournir autre chose que ce qui est dû ?

3. - Comment s’impute le paiement ?

Telles sont les trois questions auxquelles il faut répondre : le

paiement partiel (§ 1) ; la dation en paiement (§ 2) ; l’imputation du

paiement (§ 3).

§ 1 . Le paiement partiel

Evidemment le paiement intégral est valable et extinctif de

l’obligation acquittée.

Le paiement partiel en revanche n’est en principe pas admis.

L’art. 1244 C. civ. l’énonce : « Le débiteur ne peut forcer le créancier à

recevoir en partie le paiement d’une dette, même divisible ». Le principe

est celui de l’indivisibilité du paiement.

Ex : l’entrepreneur ne peut pas contraindre le maître de l’ouvrage à

accepter une partie seulement des travaux promis.

Sens ? Le débiteur qui paie une partie seulement de sa dette n’est

pas libéré du tout.

Les intérêts de retard courent sur la totalité de la dette,

quand bien même une partie aurait été réglée.

Mais nombreuses exceptions, notamment :

153

Page 154: cours_RGO_2010

- Le créancier peut accepter un paiement partiel

(échelonnement de la dette) ; ce peut être dans son

intérêt si le débiteur a quelques difficultés.

- Le juge peut également échelonner le paiement à

certaines conditions (v. infra), en octroyant un délai de

grâce (art. 1244-1 C. civ. français, art. 1244 al. 2 C. civ.

lux.)

- Dans le cadre des « procédures d’insolvabilité »

(entreprises ou particuliers), le plan de redressement

comporte généralement un rééchelonnement des dettes.

§ 2 . La dation en paiement

PB : le créancier peut-il être tenu de recevoir autre chose que ce

qui lui est dû aux termes du contrat ?

Principe : c’est impossible, même si cette chose a plus de

valeur que la prestation prévue. V. art. 1243 C. civ. : « Le créancier ne

peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due,

quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande ».

Limite   : le créancier est libre d’accepter autre chose s’il le veut.

Cf. l’art. 1243 lu a contrario. Il y a alors une nouvelle convention par

laquelle le créancier accepte la remise d’une chose autre que celle

qui est due. Cette convention s’appelle la dation en paiement. C’est

une convention à la fois extinctive, en tant qu’elle réalise un paiement,

et translative, du moins à l’origine, dans la mesure où elle opère en

principe un transfert de propriété de la chose donnée.

PB : Opération dangereuse ! Pour le débiteur, qui risque de

donner quelque chose de plus grande valeur que ce qui était dû (par

exemple, un tableau) ; pour les autres créanciers du débiteur qui

154

Page 155: cours_RGO_2010

peuvent être lésés par une forte diminution du patrimoine de leur

débiteur. La dation présente aussi un inconvénient fiscal : alors que le

paiement est neutre fiscalement, la dation est traitée comme une

vente, et elle est donc soumise à des droits de mutation.

§ 3 . L’imputation du paiement

Le PB de l’imputation se pose en cas de paiement partiel d’une

même dette ou d’un ensemble de dettes. Il faut distinguer :

- Si le débiteur n’a qu’une seule dette, la question = le paiement

partiel s’impute-t-il sur le capital ou sur les intérêts ? Art. 1245 C. civ.

Le paiement s’impute sur les intérêts (s’il y en a), sauf clause

contraire. C’est favorable au créancier puisque le capital continue à

produire des intérêts.

- Si le débiteur a plusieurs dettes (envers le même créancier),

la question = sur quelle dette le paiement doit être imputé. Pourquoi

est-ce important ? Une dette peut produire des intérêts et l’autre pas ;

ou elles peuvent toutes les deux en produire mais à des taux différents ;

une dette peut être garantie par une sûreté et pas l’autre, etc.

Principe : c’est au débiteur qu’appartient la décision d’imputation

(V. art. 1253 C. civ.).

A défaut de décision du débiteur, ce pouvoir revient au créancier.

Si rien n’est décidé par les parties, l’art. 1256 Code civil prévoit

des solutions favorables au débiteur : l’imputation doit s’effectuer en

priorité sur les dettes échues ; si plusieurs sont échues, l’imputation

se fait sur la dette la plus onéreuse pour le débiteur (apprécié en

fonction du taux d’intérêt, du coût de la sûreté…) ; si les dettes sont

d’égale nature, l’imputation porte sur la plus ancienne ; et s’il n’y en a

pas de plus ancienne, l’imputation se fera proportionnellement au

montant de chacune d’entre elles.

155

Page 156: cours_RGO_2010

NB : La décision d’imputation du débiteur et/ou du créancier doit se

faire au moment du paiement et de manière non équivoque (Cass.

com. 17 février 2009, RTD civ. 2009.322). A défaut on applique les règles

légales supplétives.

III. LA DATE DU PAIEMENT

2 questions   : le paiement avant l’heure/après l’heure.

PB1 : est-il possible de payer par anticipation ?

En principe non, le paiement doit intervenir au moment de

l’échéance de la dette.

Pourquoi ? Il peut être désavantageux pour le créancier d’être

payé en avance. Ex : manque de place pour stocker l’objet du paiement ;

non-perception des intérêts (remboursement anticipé du prêt

bancaire).

Si aucun terme n’est prévu, le paiement doit intervenir

immédiatement.

Tempérament : celui dans l’intérêt duquel le terme est stipulé peut

y renoncer.

Et il est présumé que le terme est stipulé dans l’intérêt du

débiteur.

PB2 : le paiement tardif est évidemment irrégulier, mais

comment est-il sanctionné ?

Le débiteur s’expose au paiement d’intérêts de retard, voire à une

résolution du contrat.

MAIS il y a une limite : le retard n’entraîne pas à lui seul des

sanctions, il faut que le créancier ait adressé au débiteur une mise en

demeure pour que les intérêts moratoires commencent à courir, sauf

exceptions. Ex : lorsque l’inexécution de l’obligation est définitive (ex :

156

Page 157: cours_RGO_2010

fournisseur de feux d’artifice qui ne livre pas ceux-ci pour le jour de la

fête nationale) ou lorsque la convention prévoit un délai de rigueur.

En outre, le juge peut à certaines conditions octroyer un délai de

grâce au débiteur. Dans ce cas, le créancier devra se contenter d’un

paiement tardif (art. 1244-1 C. civ. français, art. 1244 al. 2 C. civ. lux.)

IV. LE LIEU DU PAIEMENT

Intérêt pratique ? Juge compétent ; la monnaie de paiement

dépend en principe du lieu de paiement.

Les règles sur le lieu du paiement sont prévues à l’art. 1247 C. civ.

En principe, ce sont les parties qui choisissent le lieu de

paiement.

Si elles n’ont rien précisé, on distingue selon l’objet de

l’obligation :

- obligation portant sur un corps certain : le paiement se fait

au lieu où se trouve la chose au moment où naît l’obligation.

- obligation portant sur une somme d’argent. 2 solutions

sont envisageables :

o soit c’est au créancier de venir chercher le paiement au

domicile du débiteur (la dette est quérable).

o soit c’est au débiteur d’aller porter le paiement au domicile

du créancier (la dette est portable).

L’art. 1247 tranche en faveur de la 1re solution : la dette est

quérable.

Exceptions : la dette est portable s’agissant des obligations

alimentaires (le paiement doit parvenir entre les mains du

créancier) ; il en va de même pour les dettes fiscales ou

encore pour les primes d’assurances.

157

Page 158: cours_RGO_2010

Enfin, les parties sont libres de convenir que la dette sera

portable.

V. LA PREUVE DU PAIEMENT

S’agissant d’abord de la charge de la preuve, la question est

réglée par l’art. 1315 al. 2 C. civ. : c’est à celui qui se prétend libéré de

justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Le créancier doit prouver l’existence de l’obligation, le débiteur doit

prouver son extinction, et donc le paiement.

Ce principe est assorti d’exceptions :

- Si l’obligation est de ne pas faire (ex : obligation de non

concurrence), c’est au créancier de démontrer

l’inexécution, car il est pratiquement impossible

d’apporter la preuve de l’exécution d’une obligation de ne

pas faire.

- Il existe également des présomptions légales. Ex : art.

1282-1283 C. civ. si la créance est constatée dans un

titre et que le créancier remet ce titre au débiteur, on

présume que cela signifie que le débiteur est libéré, par

paiement ou par remise de dette.

S’agissant ensuite des modes de preuve – Preuve libre ou preuve

littérale ?

PB : La réponse à cette question est liée à la nature juridique du

paiement.

Qu’est-ce qu’un paiement ? Est-ce un acte juridique ou un fait

juridique ?

La question est controversée en doctrine :

- En faveur de l’acte juridique, on soutient que le paiement

reposerait sur un double consentement : celui du

débiteur et celui du créancier. Tout paiement serait une

158

Page 159: cours_RGO_2010

convention extinctive. C’est la thèse classique, encore

répandue.

- En faveur du fait juridique, on soutient que la libération

du débiteur ne dépend pas de la volonté du créancier.

Si le paiement remplit les conditions requises, c’est la loi

qui confère au paiement son effet extinctif à partir du

moment où le créancier est satisfait, et non une rencontre de

volontés d’ailleurs de plus en plus souvent factice (ex :

paiement par virement bancaire ; paiement par un tiers ;

paiement par le jeu d’une compensation de plein droit).

- On ajoutera l’opinion récemment exprimée par A. SÉRIAUX

(« Conception juridique d’une opération économique : le

paiement », RTD civ. 2004, p. 225, spéc., p. 227) selon qui,

le paiement n’est ni un acte juridique (parce que les

parties ne seraient pas libres de leur consentement), ni un

fait juridique (parce que, selon l’auteur, le fait juridique est

non causé, alors que le paiement a une cause).

Enjeu pratique de la controverse :

- Si c’est un acte juridique, la preuve n’est pas libre. Elle

doit être rapportée par écrit conformément aux dispositions

de l’art. 1341 C. civ.

- Si c’est un fait juridique, la preuve par tous moyens doit

être admise.

En fait, la jurisprudence adopte une position plus nuancée en

distinguant :

- Pour les obligations pécuniaires, la jurisprudence

majoritaire applique les règles gouvernant la preuve des

actes juridiques.

La preuve du paiement doit être rapportée par écrit

lorsque le montant dépasse 1 500 € (2500 € au

Luxembourg), sauf en matière commerciale à l’égard des

159

Page 160: cours_RGO_2010

commerçants, auquel cas la preuve est libre, et sauf

convention contraire des parties (validité des clauses

relatives aux moyens de preuve).

En pratique, le procédé de preuve le plus usuel est la

quittance signée par le créancier et remise au

débiteur.

Mais la jurisprudence n’est pas tout à fait uniforme. La

1re Chambre civile a retenu une autre solution dans un

arrêt du 6 juillet 2004, (Bull. civ. I, n° 202 ; RDC 2005, p.

286 obs. PSM) : « la preuve du paiement, qui est un fait,

peut être rapportée par tous moyens ».

PB : Toutes les chambres de la Cour de cassation ne

semblent pas s’aligner sur ce revirement. Ex : Soc, 11

janvier 2006, Bull. civ. V, n° 6 : mode de preuve des actes

juridiques.

- Pour les obligations non pécuniaires, par exemple pour

l’exécution d’une obligation d’information d’un médecin, la

jurisprudence admet que la preuve du paiement puisse

être rapportée par tous moyens (un écrit, une présomption,

un témoignage). Ce qui donne à penser que le paiement de

telles obligations s’analyse en un fait juridique.

160

Page 161: cours_RGO_2010

Chapitre II – LES RÈGLES PROPRES AUX OBLIGATIONS

MONÉTAIRES

Définition   : l’obligation monétaire est celle dont l’objet porte sur

la remise d’une somme d’argent.

Ces obligations sont extrêmement fréquentes, tant en matière

contractuelle qu’en matière délictuelle.

Le Code civil ne connaît pas formellement ce type d’obligation. Il

s’en tient à la classification classique entre obligation de donner/de

faire/de ne pas faire. Mais aujourd’hui, la distinction entre obligation

monétaire et obligation non monétaire paraît plus importante.

Parmi les obligations monétaires, il faut encore distinguer les

obligations parfaitement monétaires et les obligations

imparfaitement monétaires :

- L’obligation parfaitement monétaire est celle qui est

monétaire dès son origine. La monnaie est due in

obligatione, aux termes du contrat, et elle sera due aussi in

solutione, au stade du paiement. Ex : Une dette de prix.

- L’obligation imparfaitement monétaire est celle dans

laquelle la monnaie n’intervient qu’in solutione. Elle n’était

pas in obligatione, elle n’était pas l’objet de l’obligation. La

monnaie n’est alors qu’un instrument de paiement.

Ex : toutes les dettes de DI lorsque l’exécution forcée en

nature n’est pas possible. Ex : DI pour inexécution d’une

obligation de ne pas faire (confidentialité, non

concurrence). Ce qui est dû aux termes du contrat c’est

l’abstention ; ce qui est dû au stade du paiement forcé,

c’est de l’argent.

161

Page 162: cours_RGO_2010

Le problème inhérent à l’obligation monétaire provient du temps

qui s’écoule entre la naissance et l’exécution de l’obligation, car la

valeur de la monnaie peut varier dans l’intervalle, dans un sens ou dans

l’autre.

PB : Savoir si ce qui est dû est une certaine quantité de

monnaie (nominalisme monétaire) ou plutôt une valeur, c’est-à-dire le

pouvoir d’achat que donnait la somme en question au moment de la

naissance de l’obligation (valorisme monétaire) ?

La question est particulièrement sensible en cas d’inflation

importante.

Ce problème se pose essentiellement en présence d’une dette

parfaitement monétaire. Les effets du temps sont moins sensibles pour

les dettes imparfaitement monétaires.

Ex : une dette de réparation en matière de RC. L’obligation est

théoriquement de réparer en nature. Ce n’est qu’au jour du

jugement que la dette est liquidée et transformée en dette monétaire.

Donc peu importe l’inflation entre le jour du dommage et celui du

jugement.

Plan – L’incidence du passage du temps sur la monnaie répond en

droit français à un principe d’origine prétorienne, le principe du

nominalisme monétaire (section I). Ce principe est sûr, mais il est

rigoureux. Il subit donc diverses atténuations pour en corriger les

injustices (section II).

I. LE PRINCIPE DU NOMINALISME

PB   : Sens, origine et portée du principe ?

Sens – D’après le principe du nominalisme, ce que désigne une

monnaie dans une obligation, ce n’est pas son pouvoir d’achat, mais

162

Page 163: cours_RGO_2010

« son nom ». En d’autres termes, 1 € = 1 € et non le pouvoir d’achat

conféré par 1 € à l’époque de la conclusion du contrat.

Origine – Le principe est formulé par la Cour de cassation, qui

généralise la solution de l’art. 1895 C. civ. relatif au prêt de

consommation, au fil du 19e siècle. Le texte dit que « l’obligation qui

résulte d’un prêt en argent, n’est toujours que de la somme numérique

énoncée au contrat ». Ex : celui qui a emprunté 500 000 F il y a 10 ans

doit rembourser la même somme, soit 500 000 F ou son équivalent en

euros.

Le risque monétaire lié à la dépréciation pèse donc sur les

épaules du créancier.

Portée – Le principe n’est pas impératif d’après la Cour de

cassation. Les parties peuvent donc y déroger, si le créancier refuse de

se satisfaire d’un paiement en monnaie dévaluée.

PB   : Quels sont les moyens de déroger à la règle du

nominalisme, pour que le montant de la dette corresponde au pouvoir

d’achat de la monnaie au jour du paiement ?

II. LES ATTÉNUATIONS DU PRINCIPE

Il existe principalement deux moyens de contourner le principe du

nominalisme monétaire : les clauses d’indexation (§ 1) et le mécanisme

de la dette de valeur (§ 2).

§ 1. Les clauses d’indexation

Définition – La clause d’indexation est celle qui fait varier la

somme due en fonction d’un indice.

163

Page 164: cours_RGO_2010

Avantage   : protège le créancier de l’obligation monétaire contre

le risque d’inflation.

Inconvénient   : risque d’alimenter l’inflation.

Le régime de ces clauses a évolué avec l’inflation elle-même.

1 re étape   : Cass. civ. 1ère, 27 juin 1957, décide que le principe du

nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public et par conséquent,

qu’une clause d’indexation (ici sur le cours du blé) est valable (GAJC,

n° 233, obs. TERRÉ & LEQUETTE).

PB   : La période des 30 glorieuses (1945-1975) est une période de

forte inflation et les pouvoirs publics s’inquiètent des possibles

conséquences inflationnistes de cette décision.

2 ème étape   : Adoption de l’Ord. du 30 décembre 1958, dont la

disposition qui nous intéresse (art. 79) est aujourd’hui codifiée aux art.

L. 112-1 et L. 112-2 C. mon. fin.

L’Ordonnance interdit en principe l’indexation.

L’indexation générale, notamment sur l’inflation ou sur les

salaires, fait l’objet d’une interdiction absolue.

L’indexation portant sur un indice particulier est en revanche

autorisée, mais seulement si elle porte sur le prix d’un produit ou

d’un service en relation directe avec le contrat. Ex : contrat de bail

indexant le loyer sur l’indice du coût de la construction.

3 ème étape   : La Cour de cassation a adopté une conception si large

de la notion de « relation directe » qu’elle a en pratique renversé le

principe légal.

Ex : prêt pour l’achat d’un appartement renvoyant à l’indice du

coût de la construction. Est-ce valable ? A priori non à lire le texte : il

n’y a pas de « relation directe » entre un prêt bancaire et le coût de la

construction. Pourtant, la Cour de cassation a décidé le contraire, en

estimant que la destination du contrat devait être prise en compte.

164

Page 165: cours_RGO_2010

La sanction de l’illicéité de l’indice est la nullité, nullité partielle

en général (= de la seule clause d’indexation), car cela décourage

mieux l’indexation illicite. Une meilleure solution consisterait à

reconnaître au juge le pouvoir de substituer à l’indice illicite un

indice licite : l’ordre public serait ainsi préservé, sans nuire au

créancier.

PB   : Est-ce une nullité absolue ou relative ? La jurisprudence

opte pour une nullité absolue car si la réglementation protège le

débiteur, sa principale raison d’être est la sauvegarde de la monnaie et le

bon fonctionnement de l’économie (le but étant d’éviter les ravages de

l’inflation). C’est davantage l’intérêt général qu’un intérêt particulier

qui est protégé.

§ 2. La dette de valeur

La dette de valeur est une dette monétaire, et même

parfaitement monétaire, mais dont le montant en argent n’est pas fixé

dès la naissance de l’obligation. Le montant de la dette de valeur

dépend de la valeur non monétaire, normalement celle d’un bien

corporel (ex   : une matière première ; un immeuble) ou incorporel (ex   :

des actions).

Le montant de la dette de valeur varie en fonction de la valeur de

ce bien jusqu’au jour de l’échéance et c’est à l’échéance seulement que

la valeur due sera estimée en monnaie.

Ex   : obligation de réparation du préjudice. L’objet de

l’obligation n’est pas une somme d’argent, mais la valeur du préjudice.

Ce n’est qu’au moment du jugement que le préjudice est évalué en

monnaie. De cette façon, la victime est protégée si, entre le moment du

préjudice et le moment du jugement, la monnaie s’est dépréciée.

165

Page 166: cours_RGO_2010

La notion de dette de valeur est apparue en Allemagne et a été

développée en France par J. CARBONNIER, dans le but de lutter contre

les méfaits de l’inflation.

Le mécanisme de la dette de valeur est utilisé : en droit de la RC ;

en droit des biens à propos des restitutions ; en droit patrimonial de

la famille, pour la liquidation des régimes matrimoniaux (cf. régime

des récompenses) et pour la liquidation des successions, notamment

pour la réduction et le rapport des libéralités.

PB   : peut-on stipuler une dette de valeur ?

Ex : vente dont le prix payable dans 1 an serait « 100 000 tonnes

de pétrole brut », payables en €. La dette est déterminée en nature,

même si elle doit s’exécuter en monnaie.

A priori, une telle stipulation est valable, en vertu de la liberté

contractuelle, mais le mécanisme ressemble à l’indexation (comme si

la dette était indexée sur la valeur du pétrole).

Si l’on raisonne par analogie avec l’indexation, il faut exiger une

« relation directe ».

Transition – Voilà pour le paiement volontaire. Mais l’exécution

n’est pas toujours spontanée, soit que le débiteur ne veuille, soit qu’il ne

puisse exécuter son obligation. On va donc étudier les moyens mis à la

disposition du créancier pour obtenir de force le paiement, lorsque celui-

ci n’intervient pas spontanément.

166

Page 167: cours_RGO_2010

TITRE II – LE PAIEMENT FORCÉ

On se place ici dans l’hypothèse où, le débiteur n’exécutant pas

spontanément son obligation, le créancier va s’adresser au juge pour

contraindre le débiteur à s’exécuter.

PB   : Quels sont les moyens dont dispose le créancier pour parvenir

à obtenir satisfaction en dépit de la défaillance de son débiteur ?

Plus précisément, 2 questions se posent : comment s’opère

l’exécution forcée ? Et sur quoi se réalise-t-elle ? C’est ce que nous

verrons dans 2 chapitres :

Plan :

Chap. I – Les modes d’exécution forcée de l’obligation

Chap. II – Le droit de gage général

Chapitre I – LES MODES D’EXÉCUTION FORCÉE DE

L’OBLIGATION

Il existe différents procédés d’exécution forcée, dont les

conditions sont variables. Lorsqu’un créancier envisage de recourir à

l’exécution forcée, il doit donc déterminer quel procédé d’exécution

forcée il souhaite mettre en œuvre.

En outre, même si les conditions de l’exécution forcée sont a priori

remplies, certains obstacles peuvent encore empêcher le créancier

d’obtenir son dû, telle l’insolvabilité ou le surendettement du débiteur.

Plan   : Il faut donc étudier dans un premier temps les différents

procédés de réalisation de l’exécution forcée (section I), avant

d’examiner dans un second temps les obstacles à l’exécution forcée

(section II).

167

Page 168: cours_RGO_2010

I. LES PROCÉDÉS DE RÉALISATION DE L’EXÉCUTION

FORCÉE

L’exécution forcée ne permet pas toujours au créancier d’obtenir

exactement ce qui lui était dû. L’exécution forcée peut être ordonnée en

nature, mais il est des cas dans lesquels le créancier devra se satisfaire

d’une exécution par équivalent, c’est-à-dire de dommages-intérêts.

Plan : on étudiera successivement ces 2 procédés de réalisation

de l’exécution forcée de l’obligation : l’exécution forcée en nature (§ 1)

et l’exécution par équivalent (§ 2).

§ 1. L’exécution forcée en nature

PB   : Dans quelles conditions le créancier peut-il recourir au

procédé de l’exécution forcée en nature ? En toute hypothèse, il doit

avoir une créance certaine, exigible et liquide (ie évaluée). Ensuite,

tout dépend de la nature de l’obligation.

Si l’obligation est monétaire, l’exécution forcée en nature est

possible. En la matière, il n’y a d’ailleurs pas de différence entre

exécution forcée en nature et exécution par équivalent.

Conditions   : le créancier doit être muni d’un titre exécutoire (ex :

un jugement ; un acte notarié) de façon à pouvoir faire saisir, par la

force publique, les biens du débiteur.

Le régime de la saisie (cf. cours de voies d’exécution) varie

selon les types de biens, meubles, immeubles ou incorporels (ex   :

créances). Le bien saisi sera ensuite vendu et le créancier obtiendra une

somme d’argent correspondant à sa créance.

Parfois aussi, le créancier peut agir en paiement directement

contre le débiteur de son débiteur, s’il dispose d’une action directe.

Ex : bailleur contre sous-locataire pour le paiement des loyers.

168

Page 169: cours_RGO_2010

Si l’obligation n’est pas monétaire, il faut distinguer selon l’objet

de l’obligation.

L’exécution forcée en nature de l’obligation de donner est a priori

concevable, mais elle est rare en droits français et luxembourgeois

puisque le transfert de propriété a lieu, en principe, automatiquement,

par le seul effet de l’échange des consentements (art. 1138 C. civ.) Ce

n’est que si le transfert de propriété est retardé que la question de

l’exécution forcée peut se poser. La jurisprudence admet alors

traditionnellement que le jugement de condamnation puisse valoir acte

de transfert de propriété.

Pour les autres obligations, les obligations de faire et de ne pas

faire, l’art. 1142 C. civ. énonce que « toute obligation de faire ou de ne

pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la

part du débiteur ».

En principe, l’exécution forcée en nature est inaccessible pour

ce type d’obligations.

La jurisprudence limite cependant la portée de l’art. 1142 C. civ.

aux seuls cas dans lesquels l’exécution forcée en nature entraînerait une

contrainte physique sur la personne du débiteur. Le créancier doit

alors se contenter d’une exécution par équivalent, sauf si le droit de

propriété est en cause car ce droit, fondamental, justifie une contrainte

plus forte (ex : l’expulsion d’un locataire).

En définitive, l’exécution forcée n’est exclue qu’à l’égard des

obligations qui engagent directement la personne du débiteur

(peintre, enseignant, etc.)

En outre, pour les obligations de ne pas faire, l’art. 1143 C. civ.

autorise le créancier à « demander que ce qui a été fait par contravention

à l’engagement, soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux

dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a

lieu ».

169

Page 170: cours_RGO_2010

Pour les obligations de faire, l’art. 1144 C. civ. autorise le créancier

« à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur ».

Ex : si A n’exécute pas son obligation envers B, B peut se tourner

vers un tiers C afin d’obtenir l’avantage escompté, aux frais de A.

Ensuite, l’obtention de l’exécution forcée en nature est rendue

possible par l’utilisation de l’astreinte. Ce procédé a été admis par la

jurisprudence dès le 19e siècle et puis consacrée par le législateur (en

France en 1972). Elle consiste pour le juge à condamner la partie

perdante à verser une somme d’argent fixée à un certain montant

par jour de retard dans l’exécution de la décision, ou par nombre

d’infractions constatées s’il s’agit d’une abstention. C’est un procédé

d’exécution forcée particulièrement efficace, à condition bien sûr que

le débiteur soit solvable.

NB1   : L’astreinte ne doit pas être confondue avec les

dommages-intérêts. Le montant de l’astreinte s’ajoute donc aux

dommages-intérêts que le débiteur est condamné à payer au créancier en

tant qu’équivalent de l’exécution. Son montant ne dépend donc pas de

l’étendue du préjudice. L’astreinte n’est pas une indemnisation mais

une peine, plus exactement une peine privée, puisque le montant de

l’astreinte est attribué au créancier.

NB2   : Le paiement de l’astreinte suppose, outre bien sûr son

prononcé, qu’elle soit liquidée. Tant que la liquidation n’est pas

effectuée, le créancier ne peut rien réclamer. A ce sujet, il faut distinguer

l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive.

L’astreinte provisoire est révisable : elle doit être liquidée en

tenant compte du comportement du débiteur. Le juge n’est donc pas lié

par la décision initiale. Il peut prononcer une astreinte finale inférieure

à celle initialement prévue.

A l’inverse, l’astreinte définitive est celle dont le taux ne peut

jamais être modifié lors de sa liquidation. Sa fonction comminatoire est

bien plus forte car le débiteur sait dès l’origine ne pas pouvoir compter

170

Page 171: cours_RGO_2010

sur l’indulgence du juge. Le juge n’a alors d’autre choix que de multiplier

le taux de l’astreinte par le nombre de jours de retard ou par le nombre

de manquements constatés. Comme l’astreinte définitive est plus grave,

une astreinte n’est définitive que si le juge la qualifie comme telle. A

défaut, elle sera considérée comme provisoire. Par ailleurs, l’astreinte

définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte

provisoire restée vaine et pour une durée déterminée. Sans quoi, là

encore, l’astreinte sera considérée comme provisoire.

§ 2. L’exécution par équivalent

Si l’exécution forcée en nature ne peut pas être obtenue ou si le

créancier ne la souhaite pas (parce qu’il ne fait plus confiance au

débiteur ou parce que c’est impossible ou inutile), l’exécution aura lieu

par équivalent. Le créancier obtiendra des dommages-intérêts.

Ex : responsabilité délictuelle pour dommage corporel.

Il devra alors établir, outre l’existence d’un fait générateur de

responsabilité civile de la part du débiteur, qu’il a subi un préjudice

certain, direct et prévisible.

Si ces conditions sont remplies, les dommages-intérêts

correspondront à la valeur du préjudice réparable. Idéalement, les

dommages-intérêts doivent placer le créancier dans la situation

patrimoniale qui aurait été la sienne si l’obligation avait été exécutée / si

le fait générateur du dommage n’était pas survenu.

II. LES OBSTACLES À L’EXÉCUTION FORCÉE

On peut distinguer 3 catégories d’obstacles :

- 1re catégorie : l’Administration peut refuser de procéder à

l’exécution forcée des obligations pour des raisons d’ordre

public, moyennant indemnisation du créancier. Le CE

171

Page 172: cours_RGO_2010

français l’a admis dans un arrêt Couitéas de 1923 et la

solution est aujourd’hui consacrée par la Loi de 1991.

- 2e catégorie : le délai de grâce octroyé par le juge, sur lequel

nous donnerons quelques précisions (§ 1).

- 3e catégorie : les « procédures d’insolvabilité » prévues par

la loi, qui méritent également quelques développements (§

2).

§ 1. Le délai de grâce

Le délai de grâce est un délai supplémentaire que le juge accorde

au débiteur pour s’exécuter, sans le consentement du créancier. C’est

une mesure exceptionnelle, de clémence face à un débiteur

malheureux.

Le délai de grâce était prévu dès l’origine par le Code civil, dans

son article 1244. Au Luxembourg, le texte est resté en l’état. Mais en

France, il a été modifié à plusieurs reprises [1936 et 1991].

Aujourd’hui, le délai de grâce est régi en droit français par les art.

1244-1 et s. C. civ. Le régime est impératif ; toute stipulation contraire

est réputée non écrite.

Ces articles autorisent le juge à reporter ou à échelonner le

paiement des sommes dues, dans la limite de deux années, en prenant

en compte la situation du débiteur et les besoins du créancier.

Selon l’art. 1244-2, la décision du juge suspend les procédures

d’exécution qui ont été engagées par le créancier et les majorations

d’intérêts ou les pénalités encourues à raison du retard cessent d’être

dues pendant le délai fixé par le juge, pour éviter que le report ne soit

sans effet bénéfique pour le débiteur.

§ 2. Les «   procédures d’insolvabilité  »

172

Page 173: cours_RGO_2010

Cette catégorie d’obstacles à l’exécution forcée n’était pas prévue dans le

C. napoléon, mais les crises économiques et sociales successives ont

abouti à la création d’un droit de l’insolvabilité et du surendettement, qui

peut aujourd’hui interdire l’exécution forcée pour protéger la personne

du débiteur ou l’emploi par exemple.

Les procédures d’insolvabilité visent à traiter les situations dans

lesquelles un débiteur ne parvient plus ou risque de ne plus parvenir à

faire face à ses obligations.

Ces procédures sont complexes et il n’entre pas dans notre propos de les

étudier en détail. Il nous suffit de connaître leur incidence sur le droit à

l’exécution forcée. Ces procédures sont en outre très diverses et il faut

distinguer en la matière selon que le débiteur est un professionnel ou un

non-professionnel.

1. Régime des dettes professionnelles – La procédure de base

en la matière est la faillite, qui conduit à la liquidation (dissolution) de

l’entreprise. Mais les procédures d’insolvabilité se sont diversifiées car

leur objectif n’est aujourd’hui plus seulement de désintéresser les

créanciers, mais aussi de redresser l’entreprise dans l’intérêt des salariés

et de l’économie. Certaines procédures (règlement judiciaire) ont donc

pour but de sauver une entreprise en difficulté mais non encore

insolvable, voire de prévenir des difficultés futures (procédure de

sauvegarde). V. art. L. 610-1 et s. C. com. fr. ; Livre III C. com. lux.

Quelle que soit la procédure mise en œuvre, l’ouverture d’une telle

procédure a toujours pour effet de paralyser au moins temporairement

l’exécution forcée des obligations du débiteur qui est l’objet de la

procédure.

- D’abord, une tentative de conciliation entre le débiteur et

ses créanciers peut intervenir dans le cadre d’un règlement

amiable. Durant cette phase, le T. Com peut suspendre les

voies d’exécution, pendant 1 an maximum.

- Ensuite, une procédure judiciaire s’ouvre. Elle commence

par un jugement d’ouverture, à compter duquel les

173

Page 174: cours_RGO_2010

poursuites individuelles sont suspendues et interdites. Il est

également interdit au débiteur d’effectuer un paiement

spontané à l’un des créanciers antérieurs. Les droits des

créanciers sont paralysés pour préserver les chances d’un

redressement. A l’issue d’une période d’observation dont la

durée maximale est de 6 mois,

o Soit un plan de redressement est adopté, avec ou sans

l’accord des créanciers. Les dettes sont rééchelonnées,

voire effacées !

o Soit l’entreprise est cédée à un repreneur. Le sort des

créanciers dépendra des modalités du plan de reprise.

Leurs créances s’exécutent sur le prix de cession.

o Soit l’entreprise est liquidée. On réalise les biens de

l’entreprise et on paie les créanciers (dans la mesure du

possible, d’abord ceux qui sont munis de sûretés puis les

autres s’il reste quelque chose). Si les actifs sont

insuffisants, il y a une clôture pour insuffisance d’actifs :

toute voie d’exécution est exclue définitivement.

2. Régime des dettes non-professionnelles – Le dispositif légal

relatif à la faillite ne concerne pas les individus. Pour ces derniers, l’idée

a toutefois progressivement été admise qu’il ne fallait pas que le

débiteur, pris individuellement, soit exclu de la société en raison de ses

dettes. On a donc créé une procédure dite de « surendettement » des

particuliers (en France Loi Neiertz de 1989, v. aujourd’hui art. L. 330-1 et

s. C. cons. ; Loi du 8 décembre 2000 au Luxembourg).

La procédure est applicable en cas d’impossibilité pour un individu

de faire face à ses dettes exigibles ou à échoir.

PB   : procédure moins contraignante pour les créanciers.

La Commission de surendettement (procédure administrative et

non judiciaire), saisie par le débiteur surendetté, peut seulement :

- si le surendettement est modéré, proposer aux créanciers un plan

de redressement, rééchelonnant les dettes, voire apurant certaines

174

Page 175: cours_RGO_2010

d’entre elles, mais les créanciers ne sont alors pas obligés d’accepter le

plan et les poursuites restent possibles.

- si l’insolvabilité est grave, saisir le juge de l’exécution en lui

recommandant certaines mesures, tel un étalement autoritaire des

dettes ou la suppression pure et simple de certaines dettes.

- si la situation du débiteur est irrémédiablement compromise et si

ce dernier donne son accord, saisir le juge afin qu’il ouvre une

procédure de « rétablissement personnel » (art. L. 332-5 et s. C.

cons.). C’est une véritable procédure collective, une sorte de

« faillite civile » : un mandataire est nommé pour faire un bilan de

l’actif et du passif du débiteur, puis un liquidateur réalise l’actif (=

vend les biens du débiteur) pour payer les créanciers dans la

mesure du possible (mais par hypothèse, il est insuffisant). Puis un

jugement d’insuffisance d’actifs est rendu clôturant la liquidation. Il

éteint les dettes subsistantes (sauf les dettes pénales et

alimentaires). Elles sont purement et simplement effacées. Ce qui

évite de les traîner toute une vie. Le procédé est censé favoriser la

réinsertion sociale.

Transition – Nous avons vu selon quelles modalités l’exécution

forcée intervenait. Il reste à présent à examiner l’assiette de l’exécution

forcée. C’est l’objet du chapitre suivant.

Chapitre II – LE DROIT DE GAGE GÉNÉRAL

L’assiette de l’exécution forcée est le patrimoine du débiteur.

On la désigne plus communément en faisant référence au droit de gage

général du créancier.

Nous verrons ce que recouvre la notion de droit de gage, puis les

moyens destinés à la protéger.

Section I : les attributs du droit de gage

175

Page 176: cours_RGO_2010

Section II : la protection du droit de gage

I. LES ATTRIBUTS DU DROIT DE GAGE

Il y a 2 textes essentiels sur ce point, les art. 2284 et 2285 C. civ.

Art. 2284 : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de

remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers,

présents et à venir ».

Si l’exécution n’est pas obtenue volontairement, le créancier peut

donc saisir n’importe quel bien de son débiteur.

Art. 2285 : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses

créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins

qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »

Le texte pose un principe d’égalité des créanciers. En

principe, aucun créancier n’a priorité sur les autres. Ex : si les biens du

débiteur ne peuvent couvrir que la moitié de ses dettes, chaque créancier

reçoit la moitié du montant de sa créance.

Exception : La loi privilégie les créanciers munis de sûretés.

Finalement, l’art. 2285 s’applique aux créanciers

chirographaires (sans garantie).

RQ1 : Le patrimoine du débiteur n’est qu’un gage. Le créancier n’a

pas de droit direct sur les biens du débiteur. Il doit procéder à une

saisie. En l’absence de saisie, le débiteur reste maître de son

patrimoine. La saisie est individuelle en principe, sauf en présence

d’une procédure collective (cf Chap. précédent).

RQ2   : Ce droit de gage est général à un double point de vue :

- Matériellement : il porte sur tous les biens du débiteur,

meubles et immeubles.

176

Page 177: cours_RGO_2010

- Temporellement : ce sont les biens présents et à venir.

Le droit de gage général s’exerce sur les biens qui se

trouvent dans le patrimoine du débiteur au jour de

l’exécution forcée, même si ces biens n’existaient pas

lorsque la créance est née.

A l’inverse, les biens présents au moment de la naissance de

la créance peuvent avoir disparu – le créancier n’a pas de

droit de suite sur ces biens.

PB   : Le patrimoine de toute personne fluctue. Le danger est que

le débiteur s’appauvrisse avant l’exécution forcée.

C’est pourquoi le créancier peut chercher des moyens de se

protéger avant toute poursuite :

- premièrement, il peut prendre une sûreté réelle sur un bien

de son débiteur. Ex : une hypothèque sur un immeuble du

débiteur. Le créancier dispose alors d’un droit de

préférence et d’un droit de suite sur la chose. Il sera payé

en priorité sur ce bien et si le débiteur aliène le bien, le

créancier pourra le saisir où qu’il se trouve.

- deuxièmement, si la créance est certaine en son principe et

si elle est menacée dans son recouvrement, il est possible de

prendre des mesures conservatoires. Ex : saisie

conservatoire, qui permet d’immobiliser le bien (il est

impossible de le vendre).

- Troisièmement, il existe des moyens de protéger le droit

de gage général : objet de la section II.

II. LA PROTECTION DU DROIT DE GAGE

Le créancier dispose de deux prérogatives pour préserver la

consistance de son droit de gage général.

Ce sont l’action oblique (§ 1) et l’action paulienne (§ 2).

177

Page 178: cours_RGO_2010

§ 1. L’action oblique

Comme le débiteur a la gestion de son patrimoine, le risque existe

qu’il le laisse dépérir en négligeant d’exercer une action dont il est

titulaire. L’action oblique protège le créancier contre l’inertie

préjudiciable du débiteur, en l’autorisant à agir à la place de son

débiteur.

C’est cependant une immixtion dans les affaires d’autrui, qui

doit donc être encadrée.

L’action oblique est prévue par l’art. 1166 C. civ. : « Néanmoins

les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur,

à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ».

Voyons les conditions (A) puis les effets (B) de l’action oblique.

A - Les conditions de l’action oblique

L’action oblique nécessite d’abord :

- au niveau du droit du créancier qui la met en œuvre, il faut

une créance certaine, liquide et exigible. Peu importe en

revanche qu’elle soit contractuelle ou délictuelle.

- S’agissant des droits et actions du débiteur exercés par la

voie oblique, il peut d’agir de tout droit ne présentant pas

un caractère personnel.

Ex : action en responsabilité civile ; action en rescision pour lésion ;

en garantie ; en nullité ; en revendication ; etc.

Il faut ensuite que l’inertie du débiteur soit établie. A cet égard,

la Cour de cassation a indiqué dans un arrêt de la Civ. 1re, 28 mai 2002,

Bull. civ. I, n° 145, que la carence du débiteur (condition de l’action

oblique) se trouve établie lorsqu’il ne justifie d’aucune diligence

dans la réclamation de son dû.

178

Page 179: cours_RGO_2010

Pas besoin que le créancier démontre l’insolvabilité de son

débiteur, ni même son inaction (fait négatif), il suffit d’alléguer cette

inaction et ensuite au débiteur de démontrer qu’il a fait le nécessaire,

qu’il a été diligent. C’est pratique pour le créancier.

Il faut enfin que la carence du débiteur soit de nature à

compromettre le paiement de la créance de l’auteur de l’action

oblique, ce qui est une autre façon de dire que le créancier doit avoir un

intérêt à agir. La solvabilité du débiteur doit donc être douteuse ou

menacée.

Sont exclues par le Code civil les droits et actions « exclusivement

attachés à la personne ». Quelle est la portée de cette exception ?

- Cela vise les actions extrapatrimoniales. Ex : actions en

recherche de paternité, demande de divorce, annulation du

mariage…

- Les actions tendant à acquérir un droit nouveau. Ex : le

créancier ne peut pas vendre un bien à la place du

débiteur qui le refuse.

- Les droits insaisissables. Ex : pension alimentaire. Si le

débiteur est dans le besoin, son enfant pourrait y subvenir.

Mais le créancier n’a pas d’action oblique car la pension

alimentaire est insaisissable. Pas d’intérêt à agir.

- La jurisprudence est plus hésitante pour les actions à

caractère patrimonial dont le déclenchement suppose une

appréciation personnelle.

o Ex  : l’action en révocation d’une libéralité (pour

ingratitude, pour inexécution des charges) ne peut être

exercée par le créancier à la place de son débiteur inerte.

o Mais l’option successorale peut être exercée par la voie de

l’action oblique. Un créancier peut donc accepter la

succession à la place de son débiteur inerte.

CCL°   : Pas de ligne directrice évidente dans la jurisprudence.

179

Page 180: cours_RGO_2010

B - Les effets de l’action oblique

L’action produit les mêmes effets que si elle avait été exercée

par le débiteur, puisque le créancier ne fait que se substituer à lui.

L’action oblique est donc doublement fragile.

D’abord, le produit de l’action oblique entre dans le

patrimoine du débiteur. C’est la grande faiblesse de cette action : le

droit, le bien, devient donc le gage de l’ensemble des créanciers. Le profit

de l’action oblique ne bénéficie pas uniquement à celui qui l’exerce,

mais à tous. Cela décourage les créanciers qui n’ont pas de préférence.

Ensuite, puisque le créancier agit à la place du débiteur, la règle de

l’opposabilité des exceptions s’applique. Celui contre qui le créancier

agit peut opposer au demandeur tout ce qu’il aurait pu opposer à son

propre créancier (ie au débiteur).

Ex : loyer non perçu par le débiteur. Le créancier agit à la place du

débiteur pour obtenir le paiement du loyer. Le locataire peut opposer au

créancier ce qu’il aurait pu opposer à son bailleur inerte (par exemple, la

nullité, l’exception d’inexécution…). Et si le locataire a payé son bailleur

entre temps, il pourra opposer le paiement au créancier auteur de

l’action oblique, qui sera débouté.

§ 2. L’action paulienne

Le fondement de l’action paulienne est à l’art. 1167 C. civ. : « Ils

[les créanciers] peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes

faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ».

Ex : le débiteur vend un de ses biens à sa compagne pour un prix

modique afin de soustraire ce bien aux poursuites de ses créanciers.

180

Page 181: cours_RGO_2010

Là encore, il y a immixtion de la part du créancier dans les affaires

de son débiteur, mais l’immixtion est ici justifiée par l’existence d’une

fraude.

Le régime de l’action paulienne n’étant pas précisé par le Code civil

qui se contente d’évoquer la fraude, c’est la jurisprudence qui l’a établi

progressivement.

Voyons les conditions (A) puis les effets (B).

A - Les conditions de l’action paulienne

Il existe 3 séries de conditions : celles tenant à l’acte du

débiteur, celles tenant à la créance du demandeur et celle tenant à

l’exigence de fraude.

Concernant, premièrement, l’acte du débiteur, l’action paulienne

n’est ouverte que si l’acte cause un préjudice au créancier, qui découle

de la diminution de l’assiette de son droit de gage général. Le

débiteur doit s’appauvrir en faisant sortir un bien de son patrimoine

sans contrepartie suffisante. Ex : une donation ; une vente

lésionnaire... Plus largement, il s’agit d’un acte qui a pour effet de faire

échapper un bien aux poursuites du créancier en le remplaçant par un

bien facile à dissimuler (ex : une somme d’argent). En revanche, le

créancier ne peut pas critiquer le refus du débiteur de s’enrichir par

le biais de l’action paulienne.

Ex : le débiteur renonce à une succession.

Toujours au titre du préjudice requis, il faut aussi que le débiteur

soit insolvable. Si en dépit de l’acte d’appauvrissement, le débiteur reste

solvable, le créancier n’a pas d’intérêt à agir. C’est apprécié à la date

de l’introduction de la demande en justice mais aussi au jour de

l’acte contesté, parce que l’insolvabilité caractérise la fraude. Toutefois,

le créancier qui a un droit particulier sur certains biens peut attaquer

181

Page 182: cours_RGO_2010

les actes par lesquels le débiteur aliène ou diminue la valeur de ces biens,

même si la condition d’insolvabilité n’est pas remplie.

Enfin, certains actes du débiteur échappent à l’action paulienne.

Ainsi, le paiement ne peut pas être attaqué par l’action paulienne, parce

qu’il est neutre (ce n’est pas un acte d’appauvrissement puisqu’il éteint

une dette et que la dette fait partie du patrimoine) et nécessaire (le

débiteur n’a pas le choix), sauf paiement anormal, telle une dation en

paiement.

S’agissant, deuxièmement, de la créance du demandeur, l’action

paulienne suppose que le droit du créancier soit né avant l’acte

attaqué. En effet, pour qu’il puisse y avoir une fraude contre le droit

du créancier, encore faut-il que ce droit existe au moment où le débiteur

accomplit l’acte frauduleux. Pourtant, la jurisprudence n’applique pas

cette condition d’antériorité de la créance dans toute sa rigueur, car le

débiteur peut se rendre coupable d’une fraude anticipée.

Ex : une personne sait qu’elle va contracter un emprunt dans

quelques jours et organise dès à présent son insolvabilité à l’insu de son

futur créancier.

Ex : une personne donne ses biens à ses enfants avant de se porter

caution.

Pour la Cour de cassation, la fraude commise dans la

perspective de la dette est une condition suffisante.

Le créancier peut prouver l’antériorité de sa créance par tous

moyens.

Au moment où l’action paulienne est exercée, la créance doit être

certaine en son principe. Doit-elle être liquide et exigible ? Non, une

créance certaine en son principe devrait suffire (v. Civ. 1ère, 5 juillet 2005,

Bull. civ. I, n° 291).

182

Page 183: cours_RGO_2010

3e et dernière série de conditions : la fraude du débiteur. C’est LA

condition essentielle.

PB1 : Qu’est-ce que la fraude ?

Faut-il une intention de nuire au créancier de la part du

débiteur ou une simple conscience du préjudice qu’il allait

causer à son créancier en passant l’acte critiqué ?

La jurisprudence retient la 2nde conception : la fraude résulte de la

seule connaissance qu’a eue le débiteur du préjudice qu’il causait

au créancier en se rendant insolvable.

Il appartient au créancier de l’établir par tous moyens.

Faut-il établir une complicité de la part du tiers avec lequel

l’acte frauduleux a été passé ? En effet l’action paulienne est dirigée

contre le tiers qui a bénéficié de l’acte frauduleux (acquéreur,

donataire…) ; il est celui qui, le cas échéant, devra subir la saisie. D’où

cette question : faut-il que ce tiers soit complice de fraude ? La

jurisprudence distingue :

- si l’acte frauduleux est un acte à titre gratuit, la complicité

du tiers n’est pas une condition. Peu importe qu’il soit de

bonne foi.

- si l’acte est un acte à titre onéreux, la complicité du tiers

est requise.

Pourquoi cette différence ? Parce que si l’acte frauduleux est à titre

onéreux, le tiers sera privé de son bien alors qu’il a versé une

contrepartie au débiteur. Certes, il pourra se retourner contre ce

dernier, mais ce recours est illusoire puisque le débiteur est par

hypothèse insolvable. Au total, le tiers est privé de son acquisition et ne

récupère pas la contrepartie qu’il a versée. C’est pourquoi, la complicité

est requise pour les actes à titre onéreux.

La définition de la fraude est la même que celle retenue pour

le débiteur. La conscience du tiers suffit ; il n’est pas nécessaire

d’établir son intention de nuire au créancier. C’est au créancier que

revient la charge de la preuve (preuve par tous moyens).

183

Page 184: cours_RGO_2010

B - Les effets de l’action paulienne

La sanction n’étant pas précisée par le Code civil, on aurait pu

songer à la nullité de l’acte frauduleux.

Mais la nullité est une sanction excessive. Pour protéger le

créancier, il suffit que l’acte lui soit inopposable : le créancier fait

« comme si » l’acte n’avait pas eu lieu, comme s’il en ignorait l’existence.

C’est la solution que retient la jurisprudence. En pratique, il faut

distinguer :

- Rapports créancier/tiers défendeur : le créancier fait

comme si l’acte attaqué n’avait pas été conclu. Ex : il fait

comme si le bien n’avait pas été donné ou vendu au tiers. Il

peut ainsi saisir le bien entre les mains du tiers comme

s’il appartenait toujours à son débiteur.

- Rapports créancier/autres créanciers du tiers défendeur :

un conflit peut exister avec les créanciers du tiers défendeur

s’ils ont acquis des droits sur les biens frauduleusement

transmis à leur propre débiteur. Ex : hypothèque sur

l’immeuble frauduleusement acquis par le tiers. Ces

créanciers sont alors considérés comme des sous-

acquéreurs à titre onéreux. Donc, sauf à prouver leur

complicité de fraude, le créancier demandeur devra subir

les effets de ces sûretés, s’incliner devant leur droit.

- Rapports tiers défendeur/débiteur : l’acte qui les lie

reste valable puisque la sanction n’est pas la nullité mais

l’inopposabilité. Le juge ne peut donc pas ordonner au

tiers défendeur de restituer le bien au débiteur. V. en

ce sens (jurisprudence constante), Cass. civ. 1re, 30 mai

2006, Bull. civ. I, n° 268, Def 2006, p. 1863, obs. Libchaber.

Si la valeur du bien transmis excède le montant de la

créance, le tiers conservera donc le bien pour le reliquat.

Le tiers évincé pourra agir en garantie contre le débiteur

(ex : pour demander le remboursement du prix). L’obligation

184

Page 185: cours_RGO_2010

de garantie existe puisque, là encore, l’acte juridique est

valable. Mais le recours en garantie est

vraisemblablement illusoire puisqu’en principe, on l’a

vu, le débiteur est insolvable.

A la différence de l’action oblique qui profite à tous, l’action

paulienne a un effet relatif : elle ne profite qu’au seul créancier qui

l’a intentée. C’est lié au fait que la sanction de l’action paulienne est

l’inopposabilité. En principe, les actes sont opposables à tous.

Puisque l’acte est valable, il est opposable à tous, sauf à celui qui a

intenté avec succès une action paulienne. L’autorité de la chose jugée

étant relative, l’inopposabilité ne profite qu’au créancier demandeur.

Cela dit, rien n’empêche les autres créanciers du débiteur d’agir en

inopposabilité, soit par une action paulienne nouvelle, soit en intervenant

à l’instance déjà engagée.

185

Page 186: cours_RGO_2010

TITRE III – L’EXTINCTION DES OBLIGATIONS SANS

PAIEMENT

Normalement, les obligations s’éteignent par le paiement, c’est-à-

dire par l’exécution. Mais les obligations peuvent également s’éteindre

sans paiement effectif, par un mode anormal, exceptionnel,

d’extinction des obligations.

On distingue alors, selon que le créancier obtient ou pas

satisfaction :

- Les modes d’extinction alternatifs au paiement avec

satisfaction du créancier. (Chap. I). Le créancier ne reçoit

pas ce qui est dû, mais obtient une satisfaction indirecte.

C’est la compensation, la dation en paiement, la novation et

la confusion.

- Les modes d’extinction alternatifs au paiement sans

satisfaction du créancier. Le créancier ne reçoit pas du

tout ce qui est dû, soit parce qu’il l’a voulu – c’est la

remise de dette – soit parce que l’obligation est

temporaire par nature et que la prescription libératoire ou

extinctive est écoulée (Chap. II).

Chapitre I – L’EXTINCTION PAR SATISFACTION INDIRECTE DU

CRÉANCIER

Le créancier n’obtient pas l’exécution de l’obligation

initialement prévue, mais autre chose que ce qui était prévu à

l’origine.

La situation recouvre 4 causes d’extinction de l’obligation : la

compensation (section I), la novation (section II), la confusion (section

III) et la dation en paiement (section IV).

186

Page 187: cours_RGO_2010

I. LA COMPENSATION

V. art. 1289 et s. C. civ.

Définition – Il y a compensation lorsque, deux personnes étant

créancières et débitrices l’une de l’autre, leurs obligations

s’éteignent à due concurrence du montant de la plus faible.

Ex : A doit 100 à B ; B doit 100 à A : une compensation entre leurs

dettes a lieu plutôt que de réaliser un double paiement réciproque.

La compensation est un mode d’extinction des obligations

consistant en un double paiement simplifié. L’intérêt du mécanisme est

d’éviter 2 paiements croisés. D’où son utilisation fréquente dans les

affaires, en particulier dans le secteur bancaire (ex : le compte-

courant repose sur des compensations successives).

Il existe plusieurs types de compensation :

- La compensation légale (celle qui est prévue par le C.

civ.) : lorsque les conditions fixées par le Code civil sont

remplies, elle joue de plein droit si l’une des parties

l’invoque.

- La compensation judiciaire, prononcée par le juge.

- La compensation conventionnelle, décidée par les

parties.

Ces 3 espèces de compensation disposent chacune d’un régime

juridique propre.

Mais la distinction la plus importante en droit positif est celle qui

oppose la compensation des dettes non connexes et la compensation

des dettes connexes. Dans ce dernier cas, le jeu de la compensation est

grandement facilité et son rôle de garantie joue à plein. C’est la raison

pour laquelle on distinguera le régime de l’une (§ 1) et le régime de

l’autre (§ 2).

187

Page 188: cours_RGO_2010

§ 1. La compensation des dettes non connexes

Le régime de la compensation varie selon ses sources : légale (A),

judiciaire (B) ou conventionnelle (C).

A. La compensation légale

Quels sont ses conditions et ses effets ?

Les conditions de la compensation légale des dettes non connexes

sont nombreuses.

D’abord, il faut deux créances réciproques, fongibles, liquides

et exigibles.

1. Il faut que les créances soient réciproques, autrement dit, que les

parties soient mutuellement débitrices l’une de l’autre. Cela suppose

que chacune des personnes intervienne en la même qualité. Ex : pas de

compensation possible entre la créance personnelle d’un gérant de

société contre un tiers et la créance de ce tiers contre la société.

Dans un cas, le gérant intervient à titre personnel ; dans l’autre, il n’est

que le représentant de la société.

2. Les créances doivent avoir pour objet des choses fongibles. Les

objets doivent être interchangeables, mais pas forcément identiques.

En pratique, la compensation intervient entre obligations pécuniaires

(mais il peut s’agir d’une dette en € et d’une dette en $).

3. Les créances doivent être liquides. Leur montant doit être

déterminé (ex : pour une dette de dommages-intérêts).

4. Les créances doivent être exigibles. Si l’une des dettes est

affectée d’un terme suspensif qui n’est pas encore venu à échéance,

on ne peut pas la compenser, même avec une dette échue.

188

Page 189: cours_RGO_2010

A fortiori, cela exclut les créances conditionnelles, dont

l’existence même est incertaine.

Ensuite, même si toutes ces conditions sont remplies, la

compensation légale est encore exclue en présence de créances

insaisissables, notamment les créances alimentaires.

Ex1 : l’ex-mari débiteur d’une pension alimentaire ou d’une

prestation compensatoire ne peut pas invoquer la compensation de sa

dette avec une créance qu’il détiendrait sur son ex-épouse. Ex2 : il

est en principe interdit à l’employeur de compenser le salaire avec

les sommes que pourrait lui devoir le salarié pour des fournitures (art. L.

3251-1 et s. C. trav. fr. ; rappr. art. L. 224-3 C. trav. lux.).

Enfin, ultime précision : l’ouverture d’une procédure collective

paralyse le jeu de la compensation légale. Si les conditions de la

compensation étaient remplies avant le jugement d’ouverture, la

compensation produira son effet. Mais si les conditions n’étaient pas

remplies à cette date (ex : une des créances n’était pas encore échue),

la compensation légale ne pourra plus être invoquée ultérieurement.

Le créancier/débiteur réciproque du débiteur failli devra payer sa

dette, et n’obtiendra en contrepartie qu’un paiement vraisemblablement

partiel de sa propre créance. Pourquoi ?

Politiquement, il s’agit de faire respecter l’égalité des

créanciers dans le cadre de la procédure collective.

Techniquement, la solution est fondée sur l’interdiction des

paiements de créances antérieures au jugement d’ouverture. Or, la

compensation est un double paiement simplifié.

S’agissant des effets de la compensation légale, la compensation

éteint la dette et ses accessoires (ex : les sûretés). Si les créances sont

d’un montant différent, la plus faible sera éteinte en totalité et la plus

élevée ne le sera qu’en partie.

189

Page 190: cours_RGO_2010

PB : Ct ces effets se produisent-il ?

V. art. 1290 C. civ. : « La compensation s’opère de plein droit par

la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes

s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la

fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ».

Dès que les conditions sont remplies, la compensation légale

produit ses effets automatiquement. Le juge ne peut donc pas refuser

de constater la compensation légale, si ses conditions sont réunies, et

la compensation joue rétroactivement, éteignant les obligations

réciproques au jour où ses conditions sont remplies (= où la dernière

est devenue exigible).

L’automaticité de la compensation légale subit cependant des

atténuations.

Ex : relations entre un bailleur et un locataire.

- Le locataire a une dette de loyer qui entraîne, en cas

d’inexécution, l’application d’une clause résolutoire, donc

la fin du bail

- Le bailleur est débiteur du locataire (un prêt par exemple).

PB : le bailleur peut-il payer sa dette pour faire échec à la

compensation et se prévaloir de l’inexécution de l’obligation de

payer le loyer pour faire jouer la clause résolutoire ? Ou la

compensation produit-elle automatiquement ses effets ? Malgré les

termes de l’art. 1290, la compensation ne joue pas

automatiquement, contre la volonté des parties. Le bailleur peut

payer sa dette et renoncer à la compensation pour pouvoir résoudre

le bail.

La compensation produit ses effets de plein droit, mais il faut tout

de même qu’elle soit invoquée par l’une des parties. Le juge ne

constate pas la compensation légale si aucune partie ne le lui demande. Il

est donc possible de renoncer au bénéfice de la compensation

légale (même si les dettes sont connexes), en dépit de ce que laisse

entendre l’art. 1290.

190

Page 191: cours_RGO_2010

En revanche, l’automaticité de la compensation a pour conséquence

qu’elle peut être invoquée à tout moment, même hors délai de

prescription (Com. 30 mars 2005, RTD civ. 2005.599). Logique en

pratique : deux personnes réciproquement débitrices et créancières l’une

de l’autre ne se réclament pas le paiement de leurs obligations

respectives, pourtant toutes deux exigibles. Puis l’une vient à être

prescrite, pas l’autre. Le créancier de l’obligation non prescrite en

réclame alors le paiement. Très logiquement le débiteur peut lui opposer

la compensation de cette obligation avec la créance réciproque qu’il avait

sur lui, même si elle est aujourd’hui prescrite, parce que la compensation

joue de plein droit.

A côté de la compensation légale prévue par le Code civil, d’autres

types de compensations, au régime plus souple, ont été admis.

B. La compensation judiciaire

La compensation judiciaire est une création prétorienne. Elle est

accordée par le juge sur demande reconventionnelle d’un

défendeur qui, poursuivi en paiement, ne peut invoquer la

compensation légale parce que ses conditions ne sont pas réunies. Les

conditions de la compensation judiciaire sont ainsi moins strictes que

celles de la compensation légale.

De fait, la compensation judiciaire est accordée lorsque manque à

l’une des dettes réciproques la condition de liquidité. Les autres

conditions doivent être satisfaites (réciprocité, fongibilité et exigibilité –

sauf si le juge rend une créance exigible en prononçant la déchéance du

terme). Le juge va liquider alors la créance non liquide pour pouvoir

prononcer la compensation.

Ex : Pierre a racheté (d’occasion) la Play Station de Paul, et il n’a

pas encore payé le prix, et entre temps Paul a cassé le VTT de Pierre, que

ce dernier lui avait prêté pour faire une ballade.

191

Page 192: cours_RGO_2010

- Paul assigne Pierre en paiement du prix de la Play Station ;

- Pierre forme une demande reconventionnelle en dommages-

intérêts pour la destruction du vélo.

Le juge va surseoir à statuer sur la demande principale (action

en paiement du prix) ; il va examiner la demande reconventionnelle et le

cas échéant prononcer la compensation judiciaire une fois liquidée la

dette de dommages-intérêts.

S’agissant des effets de la compensation judiciaire, ils sont

comparables à ceux de la compensation légale. La seule différence tient

à ce que la compensation judiciaire produit ses effets au jour du

jugement qui la prononce, c’est-à-dire au jour où le juge liquide la

créance pour prononcer la compensation (sauf si les dettes sont connexes

(v. infra), auquel cas Cass. com. 20 février 2007, RTD civ. 2007.570, obs.

B. Fages, précise que « l’effet extinctif de la compensation judiciaire

remonte au jour de l’exigibilité de la première des créances connexes »).

Finalement, la compensation judiciaire n’est pas tellement éloignée

de la compensation légale. Il en va de même pour la compensation

conventionnelle.

C. La compensation conventionnelle

Définition – La compensation est conventionnelle lorsque les

parties décident, d’un commun accord, de donner à leurs obligations

les caractères nécessaires à leur compensation. C’est une

manifestation de la liberté contractuelle. Cette liberté est toutefois

limitée : les parties ne peuvent conférer à leurs obligations ni une

réciprocité, ni une fongibilité qu’elles n’ont pas naturellement.

En revanche, les parties peuvent convenir de rendre liquides

et/ou exigibles des créances qui ne l’étaient pas, afin de faire jouer la

compensation.

192

Page 193: cours_RGO_2010

Les effets de la compensation conventionnelle seront alors les

mêmes que ceux qui ont été mentionnés, avec deux précisions :

- la compensation produit ses effets à la date à laquelle la

convention a été conclue et elle n’est opposable aux tiers

qu’au jour de cet accord.

- en cas de « faillite », la convention encourt la nullité si elle

est conclue après le jugement d’ouverture (J.O.), mais

également si elle est conclue pendant la période suspecte

(période séparant l’état de cessation de paiements du J.O.)

Pourquoi ? Parce que l’on peut suspecter une fraude aux

droits des tiers. La compensation conventionnelle avantage

le créancier qui en bénéficie (expliquer). La nullité sera

prononcée si le créancier connaissait l’état de cessation

de paiements de son débiteur. La compensation

conventionnelle n’est à coup sûr valable que si elle est

conclue avant l’ECP.

En définitive, compensations judiciaire et conventionnelle ne sont

donc que des extensions du domaine de la compensation légale. Les

différences sont plus importantes lorsque la compensation intervient

entre dettes connexes.

§ 2. La compensation des dettes connexes

Particularité de ce type de compensation : elle joue de plein

droit, comme la compensation légale, même à défaut de liquidité ou

d’exigibilité des créances réciproques.

C’est très intéressant en cas d’insolvabilité de l’un des

débiteurs réciproques. Avant d’étudier le régime de cette forme de

compensation (B), il faut d’abord préciser la notion de connexité et donc

le domaine de la compensation des dettes connexes (A).

193

Page 194: cours_RGO_2010

A. Le domaine de la compensation des dettes connexes

La connexité évoque l’idée d’interdépendance, de lien étroit entre

diverses obligations.

Ex : le bailleur blesse le locataire lors d’un accident de la route. Ils

sont alors tenus d’obligations monétaires réciproques. Mais, il n’y a

aucun lien de connexité entre ces obligations.

En revanche, il y a connexité entre la dette de loyer du locataire

envers le bailleur et la créance que le locataire peut avoir contre le

bailleur pour le paiement des travaux qu’il a réalisés dans le bien loué.

La connexité peut avoir 2 sources :

- la connexité naturelle naît de la communauté d’origine

des obligations ;

- la connexité artificielle naît de l’affectation commune des

obligations.

La connexité naturelle est celle qui découle de la communauté

d’origine des obligations réciproques. Il s’agit en général d’obligations

monétaires qui dérivent d’un même rapport juridique, soit de

l’exécution d’un contrat synallagmatique unique (ex : connexité entre

l’obligation de l’assuré de payer les primes et l’obligation de l’assureur de

verser l’indemnité), soit plus fréquemment de l’inexécution d’un

contrat synallagmatique (ex : connexité entre l’obligation de l’acquéreur

de payer le prix et l’obligation du vendeur de payer des dommages-

intérêts pour un retard dans la délivrance de la chose vendue ou un vice

caché de celle-ci).

La jurisprudence admet aussi la connexité en présence

d’obligations réciproques nées de contrats distincts, mais formant

un ensemble contractuel unique. Il suffit que les obligations en

présence procèdent de contrats économiquement liés. Cet ensemble

peut ressortir par exemple de la présence d’un contrat-cadre.

194

Page 195: cours_RGO_2010

La connexité artificielle découle de la volonté des parties de

rendre connexes des obligations issues de contrats qui ne sont pas liés

les uns aux autres. La jurisprudence est hésitante quant à la validité

d’une telle opération. A moins, bien sûr, que le législateur l’autorise,

comme il le fait, par exemple, à propos des opérations sur instruments

financiers (V. l’art. L. 431-7 C. mon et fin en France ; au Lux. art. 19 L. 5

août 2005 sur les contrats de garantie financière).

B. Le régime de la compensation des dettes connexes

Le régime de cette compensation est beaucoup plus favorable

pour celui qui l’invoque que le régime de la compensation ordinaire.

S’agissant des conditions, il faut toujours que les obligations

soient réciproques, au moins au départ, et que leurs objets soient

fongibles.

Mais, d’abord, les conditions de liquidité et d’exigibilité sont

indifférentes. La Cour de cassation l’a affirmé dans un arrêt important

du 18 janvier 1967 (GAJC, n° 238) et elle le répète constamment depuis.

Ex : dans le cas d’une vente.

- Le vendeur est créancier du prix, mais le prix est payable

dans 1 an.

- La livraison a été faite avec retard. Une clause pénale

oblige le vendeur à verser une somme d’argent en guise de

sanction. Cette obligation réciproque est exigible

immédiatement.

Dans ce cas de figure, la compensation légale ne pourrait pas

jouer, faute d’exigibilité de l’1 des obligations. Toutefois, la

compensation aura lieu ici car les dettes sont connexes.

Deuxièmement, le créancier peut invoquer utilement la

compensation, encore que des tiers aient des droits acquis sur l’une des

195

Page 196: cours_RGO_2010

créances réciproques. En particulier, le droit de compenser les dettes

connexes n’est pas affecté par le transfert de la créance, alors même

qu’elle entraîne la disparition de leur réciprocité originelle.

Ex : cession de la créance de prix résultant d’un contrat de vente.

- Le vendeur est créancier du prix, payable dans 1 an.

- La livraison a été faite avec retard. Une clause pénale

oblige le vendeur à verser une somme d’argent

immédiatement.

- Le vendeur cède sa créance de prix à son banquier, si

bien qu’il n’y a plus de réciprocité. Dans 1 an, la créance

de prix sera exigible, mais il n’y aura toujours pas de

réciprocité entre le cédé et le cessionnaire. La réciprocité

n’existait qu’entre le cédé et le cédant, pas entre le cédé et

le cessionnaire.

La compensation semble impossible. Pourtant, elle est possible

car les dettes sont connexes. Le cédé (l’acheteur) peut invoquer la

compensation contre le banquier qui lui réclame le paiement du prix.

NB : C’est une exception à la règle selon laquelle les exceptions

extérieures à la créance ne sont opposables au cessionnaire que si

elles sont intervenues avant que la cession ne devienne opposable

aux tiers (donc avant sa signification).

Idem en cas de transfert consécutif à une subrogation (là encore

c’est une exception au principe applicable en la matière).

Dans le cadre des procédures collectives, de même, la connexité

autorise la compensation alors qu’en principe, le jugement d’ouverture

interdit le paiement de toute créance née avant ce jugement.

La solution d’origine jurisprudentielle est désormais consacrée

par l’art. L. 622-7 C. com. : « Le jugement ouvrant la procédure

emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née

196

Page 197: cours_RGO_2010

antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par

compensation de créances connexes ».

Ex : vente

- Le vendeur est créancier du prix payable dans 1 an ;

- Le vendeur est débiteur de dommages-intérêts en

raison d’un défaut de la chose vendue.

L’acheteur tombe en « faillite ». Normalement, le vendeur devrait

payer les dommages-intérêts et déclarer sa créance de prix qui n’est

pas encore exigible.

Mais les dettes étant connexes, la compensation peut jouer même

après l’ouverture de la procédure. La compensation remplit ainsi une

fonction de garantie pour le vendeur : il reçoit une satisfaction, en

échappant au concours des autres créanciers de l’acheteur.

La jurisprudence luxembourgeoise semble retenir la même

solution.

Les effets de la compensation sont globalement les mêmes que

ceux de la compensation ordinaire (sauf pour la date de la compensation :

date à laquelle la première créance est devenue exigible). Seules les

conditions de la compensation des dettes connexes sont exorbitantes.

II. LA NOVATION

Invoquée de temps à autre, la novation est rarement admise par

le juge. Cette opération, issue du droit romain, n’est plus très utile

aujourd’hui. Elle aurait dû disparaître du Code civil, mais elle y reste

réglementée, aux art. 1271 et s.

Définition – La novation est une convention par laquelle les

parties décident d’éteindre une obligation ancienne pour la

remplacer par une obligation nouvelle.

197

Page 198: cours_RGO_2010

Une obligation nouvelle naît, différente de l’ancienne, mais

un lien existe entre les deux, en ce sens que l’extinction de l’une a

pour cause la création de l’autre, et réciproquement, la création de

la nouvelle a pour cause l’extinction de l’ancienne.

Ex : dans le cadre d’1 contrat de cautionnement, le créancier,

une banque, poursuit la caution en paiement. La caution demande à la

banque créancière de transformer sa dette de caution en une dette

de prêt (remboursement échelonné). Si les parties sont d’accord, elles

peuvent convenir d’une novation. La nouvelle obligation de

remboursement du prêt est créée afin d’éteindre l’ancienne

obligation de cautionnement.

Distingue la novation de l’opération par laquelle les parties

résilient leur contrat d’un commun accord (mutuus dissensus de l’art.

1134 al. 2 C. civ.) pour conclure, ensuite, un nouveau contrat. La

novation au contraire fait le lien entre l’extinction et la création, ce

qui a des conséquences juridiques.

Ex   : dans la novation, si l’ancienne obligation est nulle, la

novation ne peut pas jouer. Ce serait un non-sens d’éteindre une

obligation nulle. Inversement, si la nouvelle obligation est nulle,

l’ancienne revit. Au contraire, en cas de résiliation conventionnelle

suivie de la conclusion d’un nouvel accord, les conventions n’étant

pas liées, la 2nde sera valable même si la première était nulle et

inversement la 1ère obligation sera éteinte même si la nouvelle est nulle.

La novation est un mécanisme ancien, remontant au droit romain.

Elle servait à l’époque à contourner l’intransmissibilité des

obligations. A priori, il n’était pas possible en droit romain de céder une

obligation. Mais grâce à la novation, on pouvait éteindre l’obligation liant

les parties initiales au contrat pour créer une nouvelle obligation liant le

débiteur à un nouveau créancier ou, inversement, le créancier à un

nouveau débiteur.

198

Page 199: cours_RGO_2010

Aujourd’hui, puisque le transfert des obligations est admis, la

novation n’a plus d’intérêt. Du moins, la novation par changement de

créancier a perdu tout intérêt puisque le transfert des créances est

admis et a un régime plus favorable.

Ex : la novation entraînant une extinction de l’ancienne

obligation, les sûretés qui la garantissent disparaissent.

De même, la novation par modification de l’objet de l’obligation

n’est plus utile, puisque les parties peuvent aujourd’hui transformer une

obligation simplement en la modifiant, sans passer par le détour de la

novation qui éteint l’obligation initiale pour en créer une nouvelle.

En pratique, seule la novation par changement de débiteur

présente un intérêt, puisque la cession de dette n’est pas admise.

Plan – On examinera les conditions de la novation (§ 1) puis ses

effets (§ 2).

§ 1. Les conditions de la novation

Elles sont au nombre de 3.

1 re condition  : il faut que 2 obligations se succèdent dans le temps.

Cela suppose donc l’existence d’une obligation ancienne. Par

conséquent, il n’y a pas de novation si l’ancienne obligation était déjà

éteinte ou si elle était nulle.

L’obligation nouvelle doit aussi être valable. A défaut, les

parties restent liées par l’obligation ancienne, qui revit puisque son

extinction était causée par la création d’une obligation nouvelle.

2 e condition  : il faut que les parties aient exprimé leur intention de

nover, c’est-à-dire non seulement de créer une obligation nouvelle

(distingue la novation de la simple modification du contrat), mais aussi

d’établir un lien de causalité entre l’extinction de l’ancienne obligation

199

Page 200: cours_RGO_2010

et la création de la nouvelle (distingue la novation de la résiliation suivie

de la conclusion d’un nouveau contrat).

Cette intention de nover doit être établie par celui qui s’en

prévaut. La novation ne se présume pas dit l’art. 1273 C. civ. La

novation ne doit pas nécessairement être expresse mais l’animus novandi

doit résulter clairement de l’acte.

3 e condition  : il faut que la nouvelle obligation comporte un élément

nouveau par rapport à l’ancienne obligation.

L’élément nouveau peut être le changement d’une partie à

l’obligation :

- soit le changement de créancier ;

- soit le changement de débiteur.

NB : Il faut alors le consentement des trois parties à

l’opération (les deux parties initiales et la nouvelle). Nouvel

inconvénient de la novation.

L’élément nouveau peut être le changement de l’obligation elle-

même :

- soit le changement d’objet de l’obligation : les parties

conviennent que le débiteur devra fournir une prestation

différente de celle prévue initialement.

[NB : C’est dans cette hypothèse qu’il est particulièrement difficile

de distinguer la novation de la dation en paiement, de la simple

modification ou de la résiliation suivie la conclusion d’un nouvel

accord. Les frontières sont floues et la jurisprudence hésitante.]

- soit le changement de cause de l’obligation. Le débiteur

fournit la même prestation, mais à un nouveau titre.

Théoriquement concevable mais difficile à illustrer.

§ 2. Les effets de la novation

200

Page 201: cours_RGO_2010

Par définition, la novation entraîne l’extinction de l’obligation

initiale et la création d’une obligation nouvelle. D’où la satisfaction

indirecte du créancier.

Plusieurs conséquences en découlent :

- Les caractères de l’obligation ancienne ne se

communiquent pas à l’obligation nouvelle. Ex   : nature

civile ou commerciale ; délai de prescription.

- Les sûretés accessoires à l’obligation ancienne sont

éteintes ; elles ne se reportent pas sur l’obligation nouvelle.

Toutefois, les parties peuvent prévoir une clause

contraire :

o S’agissant des sûretés personnelles, si l’obligation

ancienne comportait des codébiteurs solidaires ou des

cautions, l’art. 1281 al. 3 permet au créancier de

conclure la novation sous la condition que les

codébiteurs prennent tous un nouvel engagement

solidaire envers lui ou que les cautions donnent à

nouveau leur garantie (lourd !).

o S’agissant des sûretés réelles, l’art. 1278 autorise le

report de ces sûretés sur la nouvelle obligation à

condition que les parties l’aient stipulé au moment

de la novation, et sauf si l’on est en présence d’une

novation par changement de débiteur (v. art. 1279 C.

civ.)

III. LA CONFUSION

Définition – Art. 1300 C. civ. : « Lorsque les qualités de créancier

et de débiteur se réunissent dans la même personne, il se fait une

confusion de droit qui éteint les deux créances ».

201

Page 202: cours_RGO_2010

La confusion s’applique dans la situation où la même personne

cumule les qualités de créancier et de débiteur à propos d’une

même créance. La confusion est donc proche de la compensation, qui

diffère seulement de la confusion en ce qu’elle joue entre deux personnes.

Ex : Dans le cadre d’une succession, il peut y avoir confusion si un

créancier hérite de son débiteur ou si un débiteur hérite de son créancier.

Par exemple, un père prête de l’argent à son fils puis décède ; le fils

hérite alors de la créance de remboursement dont il était débiteur envers

son père ; l’obligation s’éteint car le fils devient son propre créancier

pour le remboursement de la dette de prêt.

Hypothèse également fréquente en cas de fusion de deux sociétés

dont l’une était créancière de l’autre.

Les conditions de la confusion se résument en 2 points :

- il faut que le débiteur recueille la créance dont il est

débiteur ou le créancier la dette dont il est créancier.

La confusion implique donc une transmission, soit à cause de

mort (succession) soit entre vifs (vente, cession…)

- Toutes les créances sont susceptibles de confusion. Il n’y a

pas lieu de distinguer la source de l’obligation ou sa nature

(civile ou commerciale).

Effets – La confusion éteint l’obligation transmise.

NB : Certains auteurs considèrent que la confusion est plutôt une

cause de paralysie de l’obligation (liée à l’impossibilité d’agir contre soi-

même).

Intérêt de cette analyse ? La dette demeure.

Ex   : un locataire achète l’immeuble qu’il loue. Le bail s’éteint

par confusion puisque le locataire cumule les qualités de preneur et

bailleur. Mais si l’on admet que la confusion n’éteint pas l’obligation,

mais la paralyse seulement, alors si la vente est annulée ou résolue

202

Page 203: cours_RGO_2010

(faute de paiement du prix par exemple), le bail « ressuscite », puisqu’il

n’était pas éteint, mais seulement « gelé » en quelques sortes.

Il y a quelques décisions en ce sens, mais assez rares, et la

lettre du Code civil va clairement en sens contraire, puisqu’elle classe

la confusion parmi les causes d’extinction de l’obligation (v. art. 1234 C.

civ.).

Cette extinction peut être partielle ou totale selon les

circonstances.

Ex : prêt accordé par le père à l’un de ses 2 fils. Décès du père.

Le fils hérite de la moitié seulement du patrimoine de son père. La

confusion n’entraîne alors qu’une extinction partielle, à hauteur de la part

successorale du fils. La dette n’est donc éteinte que pour moitié ; elle

subsiste pour le reste. Le fils devra donc rapporter à la succession la ½

de la créance.

IV. LA DATION EN PAIEMENT

Définition – La dation en paiement est une convention par

laquelle le créancier accepte de recevoir autre chose que ce qui

est dû.

Elle est dangereuse tant pour le débiteur, qui risque de

consentir sous la contrainte à transférer à son créancier une chose de

valeur supérieure au montant de sa dette, que pour les créanciers du

débiteur.

Cette opération a déjà été étudiée au titre du paiement. On

formulera donc seulement quelques remarques sur son fondement, sa

définition et sa nature juridique.

S’agissant du fondement de la dation en paiement, elle n’est pas

explicitement prévue par le Code civil, mais on peut la fonder sur une

203

Page 204: cours_RGO_2010

interprétation a contrario de l’art. 1243 C. civ. : « le créancier ne peut

être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due ». Il

ne peut être contraint, mais il est libre d’y consentir librement.

Mais la dation en paiement peut plus simplement être fondée sur le

principe de la liberté contractuelle.

Notion ? C’est une convention extinctive.

Est-ce une convention translative ? Oui à l’origine. Le terme

« dation » vient de dare qui signifie transférer la propriété. Il n’y aurait

donc pas de dation si le créancier accepte une prestation de

service à la place de l’objet initial. La dation supposerait toujours

qu’il reçoive la propriété d’un bien. C’est d’ailleurs l’hypothèse la plus

fréquente en pratique. Mais la doctrine moderne défend une

conception plus large de la dation en paiement et considère que la

nature de la prestation substituée devrait être indifférente.

Ex : on pourrait qualifier de dation en paiement l’accord par lequel

un restaurateur accepte que son client incapable de payer l’addition

« fasse la plonge » pour payer sa dette.

Nature juridique ? Pour cerner la nature juridique de la dation en

paiement, il faut la comparer à des notions voisines. De cette manière, on

saura si la dation en paiement a une nature juridique propre, ou si elle

n’est que la variante d’une notion déjà existante.

Dation en paiement/vente – On pourrait d’abord penser que la

dation en paiement est une vente suivie d’une compensation. Le

débiteur vendrait un bien à son créancier et le prix dû par le créancier se

compenserait avec la dette initiale. Au soutien de cette analyse, on fait

observer que la jurisprudence applique à la dation en paiement certaines

des règles applicables à la vente (ex : rescision pour lésion des ventes

d’immeubles ; obligation de garantie…). Cependant, la similitude des

régimes juridiques n’implique pas nécessairement l’identité des natures

204

Page 205: cours_RGO_2010

juridiques. De plus, cela n’explique pas correctement le régime de la

dation en paiement.

Ex : si la dette initiale est nulle, le débiteur peut obtenir la

restitution du bien qu’il a remis en paiement (paiement indû). S’il

s’agissait d’une vente avec compensation, la compensation serait écartée

en raison de cette nullité, mais la vente resterait valable, excluant toute

restitution.

Dation en paiement/paiement – La dation en paiement ne serait

qu’un mode anormal de paiement. Parce qu’il est anormal, des règles

spéciales s’y appliquent comme l’annulation de la dation en paiement

faite pendant la période suspecte ou la possibilité d’exercer l’action

paulienne. Mais, pour le reste, la dation ne serait qu’un paiement.

L’inconvénient de cette thèse est qu’elle n’explique pas pourquoi une

convention est nécessaire à la validité de la dation en paiement.

Pourquoi faut-il une convention s’il n’y a rien d’autre qu’un paiement ? En

réalité, la convention est un élément supplémentaire par rapport au seul

fait de payer. Et cette convention étant de l’essence même de la dation en

paiement, cette dernière ne saurait être ramenée à un paiement.

Dation en paiement/novation – Certains ont soutenu que la dation

en paiement n’était qu’une forme de novation : une novation par

changement d’objet. Si l’obligation initiale s’éteint, c’est parce que les

parties ont conclu une convention novatoire. La seule spécificité

tiendrait au fait que l’obligation nouvelle s’exécute immédiatement,

alors que dans la novation ordinaire, l’exécution de l’obligation

nouvelle est différée par rapport à la disparition de l’ancienne

obligation.

Ex du client du restaurant :

- soit il fait la vaisselle tout de suite et c’est une dation en

paiement.

- soit le client contracte une nouvelle obligation : « je

m’engage à venir faire la vaisselle demain ». C’est une

205

Page 206: cours_RGO_2010

nouvelle obligation qui devra être exécutée et qui est créée

pour éteindre l’ancienne. Il s’agit d’une novation.

La confusion entre dation en paiement et novation est censurée par

la Cour de cassation, mais le critère de distinction n’est pas évident. Pour

les distinguer, on peut rechercher si les parties ont eu l’intention de

créer une nouvelle obligation. Puisque la novation suppose une

intention de nover et que cette intention ne se présume pas, il faut en

principe considérer qu’il y a eu dation en paiement (voire une simple

modification de l’obligation). Conséquence pratique : la survie des

sûretés attachées à l’obligation exécutée par le biais d’une dation en

paiement (cf. l’extinction des sûretés attachées à l’obligation novée par

changement d’objet).

Transition : voilà qui achève l’étude des modes d’extinction de

l’obligation qui offrent une satisfaction indirecte de l’obligation. Il reste à

voir les causes d’extinction dans lesquelles le créancier ne reçoit ni

satisfaction directe, ni satisfaction indirecte.

206

Page 207: cours_RGO_2010

Chapitre II – L’EXTINCTION SANS SATISFACTION DU CRÉANCIER

Parfois, l’obligation s’éteint sans que le créancier n’obtienne ce qui lui

était dû, pas même indirectement. Cela peut résulter soit de la volonté

du créancier, soit de l’écoulement du temps.

Plan   : La remise de dette (Section I) ; la prescription extinctive (Section

II).

I. LA REMISE DE DETTE

Définition et nature juridique – La remise de dette est une

convention conclue entre un créancier et son débiteur par laquelle le

créancier renonce à sa créance.

La remise doit être acceptée par le débiteur. C’est une

convention extinctive et non pas un acte unilatéral de renonciation.

Le consentement, même tacite, du débiteur est une condition

nécessaire. Certes, on voit mal a priori pourquoi le débiteur refuserait

une offre qui est dans son intérêt. Mais comme toujours en matière de

libéralités, la personne gratifiée peut avoir des raisons personnelles de

refuser de se voir conférer un avantage par l’auteur de la libéralité.

Puisque la remise de dette est une convention librement conclue

par les parties, elle ne doit pas non plus être confondue avec les mesures

qui peuvent être imposées au créancier par le juge dans le cadre des

procédures d’insolvabilité. Incidence pratique   : La caution et le

codébiteur bénéficient de la remise de dette, alors qu’ils ne peuvent pas

se prévaloir des mesures prises dans le cadre d’une procédure collective

ou de surendettement.

La remise de dette est effectuée à titre gratuit : le créancier ne

demande aucune contrepartie en échange. S’il est mû par une

207

Page 208: cours_RGO_2010

intention libérale, la remise de dette est le moyen de faire une donation

indirecte. Il en résulte des conséquences successorales et fiscales.

Mais la gratuité n’exclut pas l’intérêt : le créancier peut agir par

intérêt, sacrifiant une partie de sa créance pour sécuriser le paiement

d’une autre partie.

Ex : le débiteur est en difficulté. Plutôt que de prendre le risque de

voir le débiteur devenir insolvable et de ne rien obtenir, le créancier

réduit la dette et obtient un paiement. La remise de dette est dans son

intérêt bien compris. Elle est un acte à titre gratuit (sans contrepartie),

sans être une donation indirecte (pas d’intention libérale).

Les conditions de la remise de dette : cf. droit commun des

contrats.

Les articles 1282 et s. du Code civil traitent de la preuve et des

effets de la remise de dette. On les envisagera successivement : la preuve

(§ 1) puis les effets (§ 2) de la remise de dette.

§ 1. La preuve de la remise de dette

La remise de dette étant une convention, sa preuve obéit au régime

des actes juridiques. En principe, elle doit donc être prouvée par écrit,

sous réserve des exceptions habituelles.

PB   : la remise est souvent tacite en pratique. C’est la raison pour

laquelle le Code civil édicte une présomption de libération du débiteur.

V. art. 1282 : « La remise volontaire du titre original sous

signature privée, par le créancier au débiteur, fait preuve de la

libération » et art. 1283 : « La remise volontaire de la grosse du titre fait

présumer la remise de la dette ou le paiement, sans préjudice de la

preuve contraire ».

NB   : Grosse = copie d’un jugement ou d’un acte notarié comportant la

formule exécutoire.

NB : La présomption joue si la remise du titre est véritablement

volontaire.

208

Page 209: cours_RGO_2010

PB : Quelle est la force de la présomption ?

Ainsi que le montrent les art. 1282 et 1283, la force de la

présomption varie selon que l’original du titre ou une simple copie est

remise :

- La présomption est irréfragable lorsque le créancier

remet volontairement au débiteur le titre original de l’acte

sous seing privé constatant la créance. En donnant l’original,

le créancier se prive du moyen de prouver sa créance, donc

il renonce à en réclamer le paiement.

- La présomption est simple lorsque le créancier remet la

copie exécutoire (« grosse ») du titre authentique. Il

n’abandonne qu’une copie et non plus l’original, ce qui

explique que la présomption soit moins forte.

§ 2. Les effets de la remise de dette

La remise de dette libère le débiteur, totalement ou partiellement

selon l’intention des parties.

Le Code civil précise les effets de la remise de dette en

présence de codébiteurs et d’un cautionnement.

D’abord, en présence de codébiteurs, il faut distinguer :

- si les codébiteurs sont conjoints, la remise de dette à l’un éteint sa

dette, mais pas celle des autres.

- si la dette est solidaire, à l’inverse, la remise produit effet à

l’égard de tous les débiteurs. Cela résulte de l’art. 1284 qui vise

l’hypothèse d’une remise présumée. L’art. 1285 énonce la même règle,

mais cette fois-ci lorsque la remise de dette n’est pas présumée.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y a qu’une seule dette ; le créancier renonce à

cette dette ; donc tous en profitent.

209

Page 210: cours_RGO_2010

Exception   : Le créancier qui consent une remise de dette à un

codébiteur solidaire peut, par une stipulation, réserver ses droits

contre les autres débiteurs. Le créancier accepte ainsi de libérer l’un

de ses codébiteurs, mais pas les autres, qu’il peut toujours poursuivre.

Mais afin que la dette des codébiteurs qui restent tenus ne soit pas

injustement alourdie, le Code civil précise que le créancier ne pourra

agir contre les codébiteurs que « déduction faite de la part de celui

auquel il a fait la remise » (art. 1285 al. 2). Donc, par ce biais, les

codébiteurs profitent de la remise accordée à l’un d’entre eux, à

concurrence de la part que celui-ci devait supporter.

Ex : 3 codébiteurs pour une dette de 300. Le créancier consent à

l’un d’eux seulement une remise de 100. Le créancier se réserve la

possibilité de poursuivre les 2 codébiteurs restants. Combien peut-il leur

réclamer ? 300 ou 200 ? 200 dit le Code civil. Et conformément aux règles

habituelles, le codébiteur qui paie 200 dispose d’un recours contre l’autre

à hauteur de 100.

Ensuite, s’agissant du cautionnement, la remise accordée au

débiteur principal libère la caution, en raison du caractère

accessoire du cautionnement. V. art. 1287 C. civ.

Le texte précise que s’il y a plusieurs cautions, la remise

accordée à l’une des cautions ne libère pas les autres – même si le

cautionnement est solidaire. Toutefois, la remise ne saurait là non plus

alourdir la charge des autres cautions. De sorte que, si le

cautionnement est simple, le bénéfice de division pourra être invoqué

comme s’il n’y avait pas eu de remise au profit de l’une des cautions (2

personnes cautionnent une dette de 200 ; l’une des cautions est libérée ;

l’autre peut invoquer le bénéfice de division comme s’il y avait toujours 2

cautions et ne payer que 100). Si le cautionnement est solidaire, les

cautions ne peuvent être poursuivies que déduction faite de la part de

la caution bénéficiaire de la remise (3 personnes cautionnent une dette

de 300 ; l’une des cautions est libérée à hauteur de 100 mais le créancier

réserve ses droits à l’égard des autres ; les 2 autres cautions restent

210

Page 211: cours_RGO_2010

solidairement tenues à l’égard du créancier, mais déduction faite de la

part de la caution libérée, donc à hauteur de 200).

II. LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE

Toutes les actions en justice sont soumises à un délai de

prescription, au-delà duquel l’action ne peut plus être intentée. Ex   :

prescription de l’action en nullité du contrat, d’une durée variable

selon que la nullité est relative ou absolue.

Ici, c’est à la prescription de l’action en exécution des

obligations que nous allons nous intéresser. Le mécanisme conduit à

l’extinction de l’obligation puisque celle-ci ne peut plus être

juridiquement sanctionnée.

Cf. art. 2219 C. civ. fr. : « La prescription extinctive est un mode

d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un

certain laps de temps ».

Rq   : Quel est le fondement de la prescription ? Pourquoi le

passage du temps entraîne-t-il l’extinction de l’obligation ?

Il y a plusieurs explications au mécanisme de la prescription :

- Paix sociale  : il ne faut pas modifier les situations figées, ou

du moins stables, il faut respecter le statu quo pour ne pas

troubler l’ordre social. La prescription contribue ainsi à la

sécurité juridique en empêchant des revendications tardives.

- Autre explication : la présomption de paiement. Si le

créancier n’a jamais poursuivi le débiteur, c’est

probablement parce qu’il a déjà été payé par le débiteur.

- Intérêt social  : éviter l’encombrement des tribunaux et

éviter les difficultés de preuve, d’autant plus grandes que

le temps s’écoule. La prescription évite au débiteur et à ses

successeurs de conserver les preuves du paiement

indéfiniment.

211

Page 212: cours_RGO_2010

- Protection du débiteur . La prescription évite

l’accumulation de la dette. Si la dette est périodique, le

risque est que le débiteur soit écrasé sous le poids de la

dette. La prescription oblige le créancier à se manifester.

- La prescription peut également avoir pour objet et pour effet

d’inciter le professionnel à recouvrer ses dettes rapidement

pour que le débiteur soit libéré et pour limiter les risques de

non recouvrement de la dette.

CCL° : Multiples explications.

NB   : Au Luxembourg comme en France, la prescription est régie

par les articles 2219 et s. C. civ. Toutefois, ces dispositions ont été

récemment réformées en France, par une loi du 17 juin 2008. Les

dispositions françaises et luxembourgeoises diffèrent donc aujourd’hui

sur ce point. En substance, toutefois, les solutions retenues ne sont pas

fondamentalement différentes, sauf sur la question des délais eux-

mêmes. Mais le mécanisme de base de la prescription demeure

similaire.

Plan – C’est ce que l’on verra en étudiant tout d’abord le délai de

prescription (§ 1), puis le mécanisme de la prescription (§ 2) et enfin les

effets de la prescription extinctive (§ 3).

§ 1. LE DÉLAI DE PRESCRIPTION

On verra d’abord la durée du délai (A) puis son déroulement (B).

A. La durée des délais

PB1   : Qui fixe la durée ? Dans l’Ancien droit, ce pouvoir

appartenait au juge. Il fixait le délai de prescription, variable selon la

région, et pouvait le modifier par souci d’équité.

212

Page 213: cours_RGO_2010

Avantage   : permettait de tenir compte du comportement du

débiteur (sa bonne ou mauvaise foi) et de celui du créancier (par

exemple, en abrégeant la prescription si le créancier est resté

complètement passif).

Inconvénient   : Imprévisibilité et insécurité juridique pour le

créancier. Or, il est essentiel pour le créancier de savoir de combien de

temps il dispose pour recouvrer sa créance. Cette imprévisibilité était

donc particulièrement préjudiciable et elle était perçue comme le résultat

de l’exercice d’un pouvoir arbitraire par le juge.

La durée des délais de prescription est aujourd’hui fixée par le

législateur (1). La prescription est légale et non plus judiciaire. Mais les

parties peuvent modifier cette durée (2).

1. La durée légale

La récente réforme française s’explique notamment par le fait que

l’état du droit positif sur ce point n’était pas satisfaisant : la Cour de

cassation avait recensé plus de 250 délais de prescription différents

dont la durée variait de 30 ans à un mois. C’était une complexité

tout à la fois :

- néfaste, car la diversité des délais crée des incertitudes qui

génèrent du contentieux et de l’insécurité juridique ;

- et injustifiée, car les écarts d’un délai de prescription à

l’autre n’étaient pas toujours rationnels.

Sur ce point, la loi du 17 juin 2008 apporte certaines améliorations

mais elle ne résout pas entièrement le problème. De nombreux délais

spéciaux demeurent.

Pour classer ces délais, très variables et éparpillés dans tous les

Codes (Code civil, C. com., C. cons., C. Ass., etc.), le plus simple est

encore de prendre en considération leur longueur. On peut alors

distinguer les 3 catégories suivantes : les prescriptions longues,

moyennes et courtes.

213

Page 214: cours_RGO_2010

a. Prescriptions longues (plus de 10 ans)

La prescription la plus longue est la prescription trentenaire

(d’une durée de 30 ans). Elle était traditionnellement la prescription

de droit commun en France comme au Luxembourg, applicable en

l’absence de dispositions légales spéciales contraires ou en l’absence de

stipulations contractuelles prévoyant un autre délai.

Cette solution demeure valable au Luxembourg.

En matière civile, l’art. 2262 C. civ. lux. dispose que « Toutes les

actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ».

Ex : 30 ans pour réclamer le prix dans une vente civile.

Mais cette solution, qui date donc de 1804, est critiqué aujourd’hui

pour sa longueur excessive, qui entraîne un risque de dépérissement

de la preuve, préjudiciable au débiteur (ou à ses héritiers) lorsqu’il doit

prouver que le paiement a été effectué 25 ou 30 ans après celui-ci. La

prescription trentenaire est en outre isolée aujourd’hui en droit comparé.

Ex   : en droit allemand le délai de droit commun est de 3 ans.

Le législateur français a donc modifié cette solution par la loi du

17 juin 2008, qui réduit le délai de droit commun à 5 ans (art. 2224 C.

civ. fr.)

Cependant la prescription trentenaire demeure applicable en

droit français pour certaines actions. Ex : actions réelles

immobilières (art. 2227) ; nullité du mariage faute de consentement

réel et sérieux ; actions en réparation d’un dommage à

l’environnement (art. L. 152-1 C. env.)

A côté de la prescription trentenaire, existe aussi en droit positif

une prescription décennale (10 ans), dont le domaine est assez vaste :

- au Luxembourg c’est la prescription de droit commun pour

les obligations commerciales, contractuelles comme

délictuelles (art. 189 C. com. lux.) Ce n’est plus le cas en

214

Page 215: cours_RGO_2010

France depuis la loi du 17 juin 2008 (art. L. 110-4 C.

com. : 5 ans – idem matière civile).

- en France, le délai de 10 ans est celui applicable notamment

à l’action en responsabilité civile de la victime, directe ou

indirecte, d’un dommage corporel (art. 2226 al. 1) et à

l’action en exécution forcée des jugements (L. 9 juillet

1991, art. 3-1, al. 1).

- En France comme au Luxembourg, le délai de 10 ans est

applicable à la responsabilité contractuelle du propriétaire

d’un immeuble contre ceux qui l’ont construit (architecte et

entrepreneur) pour vice de construction (art. 1792 C. civ.

lux. ; art. 1792-4-1 C. civ. fr.)

b. Prescriptions moyennes (de 3 à 5 ans)

La prescription quinquennale (5 ans) est la prescription de droit

commun en France.

V. art. 2224 C. civ. : « Les actions personnelles ou mobilières se

prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a

connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

Au Luxembourg, elle est applicable par exemple :

- aux actions en nullité relative d’une obligation

contractuelle (C. civ. lux. art. 1304),

- à la prescription des créances périodiques (art. 2277 C.

civ.)

Art. 2277 al. 2 : « Se prescrivent par cinq ans les actions de

payement :

   Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des

pensions alimentaires ;

   Des loyers et fermages ;

   Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est

payable par année ou à des termes périodiques plus courts ».

215

Page 216: cours_RGO_2010

L’objectif de ce texte est d’éviter que la dette ne s’accumule

trop, donc de protéger le débiteur contre sa propre ruine. C’est

pourquoi au bout de 5 ans, l’action s’éteint. La loi punit ainsi le créancier

dont l’inaction est, en l’occurrence, répréhensible, car elle fait peser sur

le débiteur une charge croissante (alors qu’il est toujours plus facile de

payer une somme en plusieurs fois qu’en une seule).

NB : Pourtant, l’action en répétition de sommes indues versées

périodiquement reste soumise à la prescription de droit commun.

Trois conditions doivent être remplies pour que l’art. 2277

s’applique :

- Premièrement, il faut que la dette soit périodique. Cette 1re

condition est essentielle : c’est en effet la périodicité de la dette qui

porte en elle le risque de ruine.

- Deuxièmement, il faut que le montant périodique soit déterminé.

Donc, l’art. 2277 ne s’applique pas aux créances dont le principe ou le

montant est conflictuel, aux créances dont la fixation dépend

d’éléments ignorés par le créancier, notamment de déclarations par le

débiteur, ou aux créances indéterminées et variables, telle l’action en

recouvrement des charges de copropriété.

- Troisièmement, la prescription ne s’applique qu’aux termes

périodiques et non au titre qui leur a donné naissance.

Ex1   : La prescription quinquennale s’applique à chaque terme de la

rente viagère, mais le droit à la rente viagère obéit à la prescription de

droit commun (30 ans).

Ex 2   : le bailleur perd le loyer s’il oublie d’en réclamer le paiement

pendant 5 ans, mais il peut réclamer les loyers suivants.

Ex 3   : un jugement est un titre dont l’exécution relève de la

prescription trentenaire (au Lux.) ; supposons que le jugement

reconnaisse l’existence d’une créance payable à termes périodiques (ex :

créance de loyers) ; cette reconnaissance ne change pas la nature de la

créance : elle reste périodique, de sorte que la prescription applicable est

de 5 ans. On voit donc bien la distinction entre le titre et les termes

216

Page 217: cours_RGO_2010

périodiques : il est possible de poursuivre l’exécution du jugement

condamnant au paiement d’une somme payable à termes périodiques

pendant 30 ans, mais en vertu de l’art. 2277 C. civ., le créancier ne peut

obtenir le recouvrement des termes échus que pour une période de 5 ans.

Autre prescription d’une durée moyenne : la prescription

quadriennale (4 ans). Elle est applicable à toutes les dettes de l’Etat et

des personnes morales de droit public.

Existe également une prescription triennale (3 ans) notamment

pour :

- l’action en réparation du dommage causé par un produit

défectueux (art. 1386-17 C. civ. en France ; L. 21 avril

1989, art. 7 au Luxembourg) ;

- l’action en paiement des salaires au Luxembourg (art.

2277 al. 1 C. civ. lux.)

- les actions dérivant d’un contrat d’assurance au

Luxembourg (L. 27 juillet 1997, art. 44).

c. Prescriptions courtes (moins de 2 ans)

Traditionnellement, on considère comme « courtes » les

prescriptions d’une durée inférieure à 2 ans. Ces prescriptions sont très

nombreuses. Voici quelques exemples :

Sont soumises à un délai de prescription de 2 ans notamment :

- l’action en garantie des vices cachés en France (art. 1648

C. civ.)

- les actions dérivant d’un contrat d’assurance en France

(C. Ass. art. L. 114-1).

Sont soumises à un délai de prescription de 1 an notamment :

217

Page 218: cours_RGO_2010

- l’action en garantie des vices cachés au Luxembourg (art.

1648 C. civ.)

Exemples de prescriptions inférieures à 1 an :

- au Luxembourg 6 mois pour l’action des hôteliers et

restaurateurs pour le logement et la nourriture qu’ils

fournissent (C. civ. art. 2271) ;

- en France 3 mois pour l’action en réparation du dommage

causé par un délit de presse (L. 1881)

Rq1 : une prescription courte ne profite pas nécessairement

au débiteur. Certes, à première vue, plus le délai est bref, plus il a de

chances d’échapper au paiement. En vérité, c’est plutôt le résultat

inverse qui se produit : plus le délai est bref, moins le créancier est

tolérant. Sachant qu’il n’a guère de temps pour recouvrer sa créance, il

se fera très pressant.

Rq2 : Lorsqu’elles s’appliquaient à des actions en paiement, ces

courtes prescriptions étaient traditionnellement fondées sur une

présomption de paiement, l’idée étant que si le créancier n’a pas

exercé d’action, c’est sans doute qu’il a été payé. Mais la présomption

était simple : si le débiteur avouait qu’il n’avait pas payé, la prescription

était écartée. Ce mécanisme, dénommé « prescription présomptive »,

demeure au Luxembourg (ex : pour la prescription des hôteliers et

restaurateurs), mais pas en France, où il a été abrogé par la loi de 2008

parce qu’inutilement complexe.

CCL°   : On le voit les délais sont très variés et la matière demeure

assez désordonnée. La variété potentielle des délais de prescription est

renforcée par le fait que la loi fixant les délais de prescription n’est pas

impérative : elle laisse place aux aménagements conventionnels.

218

Page 219: cours_RGO_2010

2. Les aménagements conventionnels

Il faut trouver un équilibre entre :

- d’un côté, la liberté contractuelle

- de l’autre, l’intérêt public : celui des tribunaux et celui

tenant à la protection de la partie faible ; on peut

craindre en effet que la partie forte profite à l’excès de son

pouvoir pour réduire les droits de la partie faible en

stipulant des délais de prescription extrêmement courts. En

droit français, les modifications conventionnelles du délai

de prescription sont ainsi prohibées en matière

d’assurance (C. ass. art. L. 114-3) et de consommation (C.

conso. art.L.137-1).

Traditionnellement l’article 2220 C. civ. interdisait au débiteur

de renoncer par avance à une prescription en cours. En revanche,

on pouvait renoncer à une prescription acquise (= lorsque le délai de

prescription a fini de s’écouler).

Cet article avait 3 séries de conséquences.

1 re conséquence   : la jurisprudence en déduisait qu’il était possible

de raccourcir le délai par avance, i.e. obliger le créancier à agir plus

vite. La Cour de cassation l’avait admis dès le milieu du 19e siècle,

sans doute dans l’intérêt du débiteur. Les clauses stipulant un délai de

prescription plus court que le délai légal étaient donc admises, à moins

que le délai stipulé ne fût excessivement bref. Il ne faut pas rendre

illusoire l’exercice du droit du créancier.

2 e conséquence   : la jurisprudence admettait également que les

parties s’accordent pour suspendre la prescription, une fois qu’elle a

commencé à courir. C’était particulièrement utile en cas de difficulté

dans l’exécution d’un contrat pour permettre une négociation entre les

parties lorsque la prescription était courte. V. not. Com., 30 mars 2005,

Bull. civ. IV, n° 75.

219

Page 220: cours_RGO_2010

3 e conséquence   : il n’était en revanche pas possible d’allonger le

délai de prescription. Une telle clause était nulle comme contraire à

l’art. 2220 C. civ., car ce type de clauses était analysé comme un moyen

de contourner l’interdiction légale de renoncer par avance à une

prescription. On y voyait une forme de renonciation anticipée

interdite.

Ces solutions sont a priori toujours valables au Luxembourg,

dans la mesure où l’article 2220 demeure inchangé.

En France en revanche, la loi du 17 juin 2008 a remplacé l’article

2220 par un nouvel article 2254 du Code civil qui confirme la possibilité

offerte aux parties d’abréger la prescription ou de la suspendre, mais

leur permet également de l’allonger. La liberté des parties est ainsi

généralisée mais elle est aussi encadrée. Si la prescription est abrégée

par les parties, elle ne peut être réduite à moins d’un an. Si elle est

allongée, elle ne peut être étendue à plus de 10 ans.

Exceptions   : la prescription ne peut être aménagée par convention

en matière de salaire, de loyers, de pensions alimentaires, etc.

B. Le déroulement du délai

Nous verrons d’abord le mode de computation du délai, ensuite

l’interruption et la suspension du délai de prescription.

1. La computation du délai de prescription

2 points à préciser :

Quel est le point de départ ?

Quel est le mode de calcul ?

220

Page 221: cours_RGO_2010

Le point de départ – C’est très important, surtout lorsque la

prescription est courte.

Il n’est pas nécessairement fixé à la date de naissance de la

créance, parce que bien souvent, le créancier ne peut pas poursuivre son

débiteur dès cette date.

Le point de départ du délai de prescription se situe en principe

au jour où l’obligation devient exigible (C. civ. lux., art. 2257 ; C.

civ. fr., art. 2233, 3°). Si la dette est périodique (ex   : loyers), chaque

fraction se prescrit de façon autonome à partir de son échéance propre.

La prescription se divise : il y a autant de délais et de points de

départ que de termes.

De même, si l’obligation est affectée d’une condition suspensive,

la prescription ne court qu’à partir du jour où la condition se réalise

(C. civ. lux. art. 2257 ; C. civ. fr., art. 2233, 1°), malgré le fait que la

réalisation de la condition est censée confirmer rétroactivement la

naissance de l’obligation au jour de la conclusion du contrat.

En résumé, pour qu’un droit se prescrive, il faut non seulement

qu’il soit né, mais aussi qu’il puisse être exercé. L’idée est exprimée

plus généralement par les nouveaux articles 2224 pour la prescription

quinquennale de droit commun et 2227 pour la prescription trentenaire

du Code civil français : la prescription court « à compter du jour où le

titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui

permettant de l’exercer ».

Il est possible que le point de départ du délai soit reporté au-

delà du jour où le droit est né et est devenu exigible.

Ex   : action en nullité pour vice du consentement. La prescription

court, non pas au jour de l’acte irrégulier, mais au jour où l’erreur a été

découverte ou au jour où la violence a cessé.

Ex : l’action en responsabilité civile délictuelle court à compter

de la date à laquelle la victime a eu ou aurait dû avoir connaissance du

221

Page 222: cours_RGO_2010

dommage (C. civ. fr., art. 2226 : à compter de la date de

consolidation du dommage pour les dommages corporels).

Ex : l’action en responsabilité contractuelle court à compter de

la date à laquelle le manquement est révélé au créancier, si celui-ci

prouve qu’il n’en avait pas eu connaissance.

Le mode de calcul –

Il ne suffit pas de connaître le point de départ du délai de

prescription pour pouvoir le calculer ; il faut encore en déterminer la

durée précise. Selon l’art. 2260 C. civ. lux. / 2228 C. civ. fr., « la

prescription se compte par jours, et non par heures ». Un jour est une

période invariable de 24 heures consécutives, ayant pour point de départ

00h00 et pour point d’arrivée 24h00. La prescription se compte par jours

entiers. Par conséquent, le jour de départ (dies a quo) n’est pas compté :

il est nécessairement entamé, ne serait-ce que d’une seconde. Donc, le

délai commence à courir le lendemain de l’événement qui

déclenche l’écoulement du délai de prescription, à 00h00.

Ex   : si une créance devient exigible le 1er janvier, le délai de

prescription commence à courir le 2 janvier à 00h00.

L’article 2261 C. civ. lux. / 2229 C. civ. fr. nous renseigne sur le

point d’arrivée. Ce texte indique que la prescription « est acquise

lorsque le dernier jour du terme est accompli ». Le dernier jour (dies

ad quem) est compté.

Ex   : même exemple en supposant une prescription de 1 an. La

prescription a commencé à courir le 2 janvier à 00h00 et s’achève le 2

janvier de l’année suivante à 24h00.

Si la prescription se calcule en mois, le dernier jour est celui qui

porte le même quantième que le premier jour.

Ex   : si la prescription est de 6 mois et qu’elle commence à courir le

2 janvier, elle s’achève le 2 juillet à 24h00.

222

Page 223: cours_RGO_2010

Le caractère férié ou chômé du jour est sans importance pour le

jour de départ. Si une créance devient exigible le 31 décembre d’une

année, le dies a quo est le 1er janvier de l’année suivante, même si c’est

un jour férié. Pas nécessaire de reporter le départ de la prescription au 2

janvier. En revanche, on tient compte du fait que le dernier jour soit un

jour férié ou chômé.

Ex : une prescription d’1 an qui commence à courir le 1er janvier à

00h devrait s’achever le 1er janvier de l’année suivante à 24h00, mais

comme il est impossible d’agir ce jour là (le tribunal est fermé) on reporte

la fin de la prescription au jour suivant, le 2 janvier à 24h00 donc.

Solution prévue par l’art. 642 CPC fr. a priori plutôt pour les délais de

procédure, et non pour les délais de prescription. Mais la Cour de

cassation y voit un texte de portée générale.

Les règles de computation n’épuisent pas la question du

déroulement du délai de prescription. Le déroulement bute parfois sur

des obstacles qu’il faut à présent envisager.

2. L’interruption et la suspension du délai de

prescription

L’interruption et la suspension ont en commun de contrarier

l’accomplissement normal du délai de prescription. Mais, l’une et l’autre

ne doivent pas être confondues.

L’interruption est un arrêt complet de la prescription. On repart

de zéro. (a)

La suspension est au contraire provisoire. Lorsque la prescription

reprend son cours normal, la période de suspension est simplement

décomptée. (b)

Ex : Prescription de 2 ans. Si au bout d’un an survient un

événement interrompant la prescription, celle-ci repart de zéro. A

compter de la survenance de l’événement, le créancier a un nouveau

223

Page 224: cours_RGO_2010

délai de 2 ans pour agir contre le débiteur. Si au bout d’un an, survient

un événement suspendant la prescription, celle-ci arrête seulement de

s’écouler tant que l’évènement empêche le créancier d’agir. Lorsque cet

empêchement prend fin, le créancier n’a plus qu’un an pour agir.

a. L’interruption

Voyons les causes puis les effets de l’interruption.

Les causes – L’interruption de la prescription résulte de 2 séries

de causes possibles.

1. Un acte de poursuite du créancier. La prescription se déroule

parce que le créancier est inactif. Donc, à l’inverse, l’acte du créancier

interrompt le cours de la prescription.

L’art. 2244 C. civ. lux. dresse une liste des actes du créancier

interrompant la prescription : « Une citation en justice, même en référé,

un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de

prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir » :

- citation en justice : elle est mentionnée en priorité puisque

c’est le mode normal d’exercice des droits. Il faut une

assignation en justice ; une mise en demeure ne suffit

pas en principe. Une citation en référé suffit. La citation

produit un effet interruptif même si elle est adressée à un

juge incompétent. En revanche, elle est sans effet si elle

est nulle pour défaut de forme, si elle est suivie d’un

désistement du demandeur, d’une péremption de

l’instance, du rejet de la demande pour quelque motif que

ce soit (sur la recevabilité ou sur le fond). Cf. art. 2247 C.

civ. lux.

- Le commandement de payer et la saisie interrompent

aussi la prescription. Si la saisie fait suite à un

commandement, elle interrompt à nouveau la prescription.

224

Page 225: cours_RGO_2010

En France les textes ont été modifiés. Désormais c’est l’art. 2241

qui prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le

délai de prescription ». Cela correspond à la citation en justice de

l’ancien art. 2244. L’article 2241 précise que l’interruption a lieu même

si la demande est portée devant une juridiction incompétente mais

aussi si elle est rejetée pour vice de procédure. Il y a donc un

changement sur ce point. En revanche, l’article 2243 réaffirme que

l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste ou si sa demande

est rejetée (au fond). L’article 2244 prévoit quant à lui l’interruption de

la prescription par un « acte d’exécution forcée ». Cela correspond

globalement au commandement de payer et à la saisie évoqués dans

l’ancien art. 2244. Les solutions françaises et luxembourgeoises

demeurent donc proches.

L’article 2254 précise que les parties peuvent prévoir d’autres

causes d’interruption par contrat. Cela confirme la jurisprudence

antérieure (v. not. Civ. 1re, 25 juin 2002, Bull. civ. I, n° 174).

2. Une reconnaissance de dette par le débiteur. La reconnaissance

par le débiteur qu’il n’a pas payé sa dette interrompt la prescription. La

solution est inscrite à l’art. 2248 C. civ. lux. / 2240 C. civ. fr. Tout se

passe comme s’il y avait un nouveau titre. Même si elle n’a pour objet

qu’une partie de la créance, la reconnaissance interrompt la

prescription pour la totalité de la dette, ce qui mérite d’être relevé car

il s’agit d’un acte abdicatif, donc on aurait pu s’attendre à ce que le juge

exige l’absence d’équivoque.

Ex : l’assureur qui reconnaît sa garantie tout en contestant le

montant de l’indemnité vaut reconnaissance totale au sens de l’art. 2248

(ou 2240) C. civ.

La reconnaissance peut être expresse ou tacite (ex : le débiteur

demande un délai pour payer ; invoque la compensation ; paie une partie

de la dette).

225

Page 226: cours_RGO_2010

Les effets –

L’interruption produit des effets radicaux : le temps déjà écoulé est

effacé. Il n’est pas comptabilisé. Un nouveau délai recommence à courir.

V. nouvel art. 2231 C. civ. fr.

Parfois, la durée de l’interruption est instantanée. Par exemple, si le

créancier fait délivrer un commandement ou si le débiteur reconnaît sa

dette, une nouvelle prescription commence à courir le lendemain à

00h00.

Parfois, la durée de l’interruption se prolonge. Ainsi, en cas de

citation en justice, l’effet interruptif se prolonge jusqu’à l’extinction de

l’instance (v. nouvel art. 2242 C. civ. fr.) [Mais il semble que, si l’instance

prend fin au jour du prononcé du jugement, le point de départ de la

nouvelle prescription n’est pas cette date, mais celle à laquelle le

jugement devient définitif – donc à l’expiration du délai pour interjeter

appel].

Le nouveau délai est en principe de même nature que celui qui a

été interrompu : la nouvelle durée est identique à la durée originaire. A

moins qu’il y ait une interversion de prescription, c’est-à-dire une

substitution d’une prescription de droit commun (traditionnellement 30

ans ou 10 ans) à la prescription interrompue. Le délai de prescription

change de nature et par là même de durée : c’est un délai de droit

commun qui recommence à courir à la place du délai initial.

La jurisprudence applique l’interversion aux prescriptions qui

reposent sur une présomption de paiement. En France, ces

prescriptions ont été abrogées et l’interversion de prescription ne joue

donc plus. Au Luxembourg, cela concerne notamment les courtes

prescriptions énoncées aux articles 2271 et s. C. civ. lorsqu’elles

sont interrompues dans les conditions posées par l’art. 2274. Elle

s’applique aussi lorsque le débiteur est condamné judiciairement : le

délai de droit commun remplace le délai initial (en France la solution

résulte aujourd’hui de l’art. 3-1 de la loi du 9 juillet 1991).

226

Page 227: cours_RGO_2010

b. La suspension

L’horloge s’arrête (mais n’est pas remise à zéro). La prescription

ne court pas tant que demeure la cause de suspension. Lorsque la cause

de suspension cesse, le délai reprend son cours normal ; le temps déjà

écoulé n’est pas effacé. V. nouvel art. 2230 C. civ. fr.

A la différence de l’interruption qui résulte d’un acte concernant

l’exercice ou l’existence de la créance, la suspension découle

d’événements qui empêchent le créancier d’exercer son droit. Idée : la

prescription ne doit pas courir contre celui dont l’inaction est

légitime.

L’article 2234 C. civ. fr. énonce aujourd’hui explicitement ce

principe général : « La prescription… est suspendue contre celui qui est

dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi,

de la convention ou de la force majeure ».

Les causes de suspension sont définies par la loi, mais le juge a

aussi un certain pouvoir d’étendre les causes de suspension légales.

Les causes de suspension légales – La prescription ne court pas :

- contre les créanciers incapables (mineurs ou majeurs) ;

par exemple, le créancier décède et ses héritiers sont

mineurs ou le créancier est mis sous tutelle. V. art. 2252 C.

civ. lux / art. 2235 C. civ. fr., sauf pour la prescription

des dettes périodiques (+ au Lux. sauf pour les courtes

prescriptions des articles 2271 et s.)

- entre époux, ie lorsque le créancier et le débiteur sont mari

et femme (paix des ménages). V. art. 2253 C. civ. lux. ; art.

2236 C. civ. fr. En France, cela vaut également les

partenaires liés par un PACS (mais pas pour les

concubins).

227

Page 228: cours_RGO_2010

- contre l’héritier qui accepte la succession sous bénéfice

d’inventaire à l’égard des créances qu’il a contre la

succession (art. 2258 C. civ. lux. ; art. 2237 C. civ. fr.)

PB : Aucune suspension de la prescription n’est prévue par la loi

lors de l’engagement de négociations entre les parties. Cf. not. droit

allemand : si un différend survient entre les parties et que des

négociations sont entamées pour tenter de parvenir à une solution

amiable, le délai de prescription est reporté de façon à ce qu’il expire au

plus tôt quelques mois après la fin des négociations.

Ces lacunes des dispositions légales peuvent cependant être

comblées par la jurisprudence. En effet, si le juge a perdu le pouvoir

de déterminer la durée de la prescription, il conserve un pouvoir

modérateur lui permettant d’étendre les causes de suspension de la

prescription prévues par la loi à d’autres situations. Le juge peut ainsi

refuser de faire courir le délai de prescription contre le créancier qui ne

peut pas agir.

Ex   : Ch. Mixte, 14 février 2003, Bull. Mixte, n° 1 – qui affirme que si

les parties à un contrat ont convenu qu’en cas de litige, elles

recourraient d’abord à une procédure de conciliation obligatoire et

préalable au juge, une telle clause constitue une fin de non-recevoir

qui s’impose au juge si les parties l’invoquent. Le juge saisi par une partie

sans tentative préalable de conciliation doit donc refuser d’examiner le

litige et renvoyer les parties à la conciliation. Il ne pourra être saisi que si

celle-ci échoue. Le pb est alors que, durant cette phase préalable de

conciliation, la prescription court… D’où la précision apportée par

l’arrêt : il y a suspension du délai de prescription pendant la

procédure de conciliation prévue conventionnellement.

CCL°   : Le juge peut créer de nouvelles causes de suspension.

228

Page 229: cours_RGO_2010

Pour cela, il se fonde sur l’adage latin : contra non valentem

agere non currit praescriptio. Traduction : contre celui qui a été

empêché d’agir, la prescription ne court pas. C’est une variante du

principe « à l’impossible, nul n’est tenu ».

NB   : Origine de la règle  ? Bien qu’elle soit exprimée en latin, la

règle n’est pas issue du droit romain, mais du droit canon, droit

hostile à la prescription qu’il considère injuste.

PB : L’adage est vague. Qu’est-ce que l’empêchement qui autorise

le juge à suspendre la prescription ? Une guerre ? Certainement. Mais

que décider pour la maladie du créancier ? L’ignorance du créancier ? Il

faut donc préciser les conditions d’application de l’adage.

Conditions

La jurisprudence raisonne par analogie avec la force majeure,

mais sans ignorer le comportement du créancier. L’interprétation de

l’adage est donc à la fois objective (événement imprévisible, extérieur et

irrésistible) et subjective (attitude du créancier).

Dimension objective   : l’adage est, par exemple, appliqué en cas de

troubles sociaux, de catastrophes naturelles, d’état mental

déficient (sans incapacité).

Dimension subjective   : la prescription ne court pas contre le

créancier qui ignore ses droits, mais à condition que son ignorance

soit légitime (v. not. Com., 13 avril 1999, Bull. civ. IV, n° 89).

C’est à celui qui invoque l’impossibilité d’agir pendant le délai de

prescription de prouver les circonstances qui sont à l’origine de

l’empêchement.

En revanche, il a été jugé que ne constituent pas une impossibilité

d’agir : l’existence de pourparlers entre les parties ; le seul fait d’être

isolé et d’avoir des charges familiales ; une expertise amiable, qui n’est

qu’une mesure conservatoire.

229

Page 230: cours_RGO_2010

En pratique, le tempérament tiré de l’adage contra non valentem…

est donc exceptionnel.

Effets

Les effets de la suspension judiciaire de la prescription ne sont

traditionnellement pas rigoureusement identiques à ceux de la

suspension légale.

La suspension légale prolonge le délai de prescription de toute la

période pendant laquelle l’événement à l’origine de

l’empêchement s’est réalisé. Alors que, d’après la Cour de cassation,

l’adage ne joue pas lorsque le titulaire de l’action dispose encore,

au moment où l’empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour

agir avant l’expiration du délai de prescription. Le délai n’est donc pas

nécessairement prolongé d’une durée égale à celle de l’impossibilité

d’agir.

PB   : Cela demeure-t-il vrai sous l’empire des nouveaux textes

français ? Douteux. Aujourd’hui le principe qui permet au juge

d’identifier des causes de suspension supplémentaire est légal. Et la loi

ne distingue pas, pour déterminer l’effet de la suspension, selon la

cause de la suspension (art. 2230 : « La suspension de la prescription en

arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru »). Donc

pas certain.

Notons enfin que le Code français prévoit deux nouvelles causes de

suspension.

Art. 2238 : lorsque les parties conviennent après la survenance

du litige de recourir à une médiation ou à une conciliation (différent

de la clause prévoyant avant tout litige un recours préalable à la

médiation).

Art. 2239 : Lorsque le juge fait droit à une demande de mesure

d’instruction présentée avant tout procès (cf. art. 145 CPC fr.)

230

Page 231: cours_RGO_2010

Dernière précision : pour limiter l’impact de ces causes de suspension et

d’interruption élargies, les nouvelles règles françaises enferment la

prescription au sein d’un délai butoir de 20 ans. Cf. art. 2232 C. civ.

fr. : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la

prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription

extinctive au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit ».

Exceptions : Le délai butoir n’est pas applicable aux actions relatives à

l’état des personnes, actions réelles immobilières, actions en

responsabilité de la victime directe ou indirecte d’un dommage

corporel, dommages environnementaux, en cas de suspension pour

mariage ou PACS ou non échéance du terme…

§ 2. LE MÉCANISME DE LA PRESCRIPTION

A l’expiration du délai, la prescription n’est pas acquise de plein

droit. Il faut que le débiteur se manifeste. Il doit invoquer la

prescription ; mais il peut y renoncer. Reprenons brièvement ces 2

points.

La nécessité d’invoquer la prescription – Cette nécessité résulte

des termes de l’art. 2223 C. civ. lux. / 2247 C. civ. fr. : «  Les juges ne

peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ».

Cela signifie que le débiteur doit invoquer la prescription ; il ne peut pas

se contenter de signaler les dates en laissant entendre que la prescription

est acquise. Si le débiteur veut invoquer la prescription, il le fera par

voie d’exception, en défense à l’action en paiement du créancier. Il

peut le faire pour la 1re fois en appel, mais pas devant la Cour de

cassation car le moyen est mélangé de fait et de droit.

La renonciation à la prescription –

231

Page 232: cours_RGO_2010

Comme on l’a déjà signalé, l’art. 2220 C. civ. lux. interdit de

renoncer par avance à la prescription. La disposition a été modifiée en

France mais le nouvel art. 2250 dit en substance la même chose :

« Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation ». La

solution est fondée tout à la fois sur la nécessité de protéger le

débiteur (notamment s’il est en situation de faiblesse) et sur la nécessité

plus générale de préserver la paix sociale et de ne pas encombrer les

tribunaux de trop vieilles affaires.

Mais le C. civ. autorise la renonciation à une prescription acquise.

La renonciation n’obéit à aucune forme. Elle peut être expresse ou

tacite (art. 2251 C. civ. fr.). Elle peut résulter du fait que le débiteur

n’invoque pas la prescription, qu’il effectue un paiement volontaire de la

dette prescrite, qu’il prend l’engagement de payer. Il faut seulement que

la volonté de renoncer soit claire et que l’auteur de la renonciation ait la

capacité d’exercer ses droits (art. 2222 C. civ. lux. / art. 2252 C. civ.

fr.)

Il reste à présent à examiner les effets de la prescription.

§ 3. LES EFFETS DE LA PRESCRIPTION

La prescription a un effet extinctif (A), probatoire (B) et plus

rarement translatif (C).

A. L’effet extinctif

Si la prescription est acquise et invoquée, le créancier perd la

possibilité d’obtenir l’exécution forcée de l’obligation. Mais

pourquoi : est-ce parce que l’action est éteinte ou est-ce parce que la

créance est éteinte ?

La controverse divise les auteurs en 2 camps :

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- Les partisans de la thèse processualiste, pour qui la

prescription éteint l’action. C’est la conception défendue

par les rédacteurs du Code civil et avant eux Pothier. En

outre, de nombreuses dispositions désignent

expressément l’action comme objet de la prescription (v. par

exemple, les art. 2262, 2271 et s. C. civ. lux. ; C. civ. fr., art.

2224-2227).

- Les partisans de la thèse substantialiste, pour qui la

prescription éteint l’action et le droit de créance. Au soutien

de cette thèse, on rappelle que l’art. 1234 range la

prescription parmi les causes d’extinction des obligations ;

que la prescription de la créance éteint les sûretés qui

en sont l’accessoire ; que le Code civil traite ensemble la

prescription acquisitive et la prescription extinctive, or de

même que la prescription acquisitive fait acquérir le droit de

propriété, la prescription extinctive doit faire perdre le droit

de créance. Enfin l’art. 2219 C. civ. fr. énonce désormais

que : « la prescription extinctive est un mode d’extinction

d’un droit ».

Le débat n’est pas tranché en doctrine et il existe de sérieux

arguments dans un sens comme dans l’autre. Mais les solutions

jurisprudentielles sur le paiement volontaire d’une dette prescrite,

aujourd’hui consacrées par le législateur français (art. 2249 C. civ.

fr.) renforcent la thèse processualiste : si celui qui a payé une dette

prescrite ne peut pas agir en répétition de l’indu, c’est parce que la dette

existe. Si elle existe, c’est donc que la prescription, par hypothèse

acquise, ne l’avait pas éteinte.

B. L’effet probatoire

Les courtes prescriptions visées aux art. 2271 à 2273 C. civ.

lux. ressemblent plus à des règles de preuve qu’à de véritables

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prescriptions. En effet, lorsque leur délai est expiré, le débiteur est

présumé avoir acquitté sa dette (c’est pourquoi on parle de

prescriptions présomptives à leur égard), mais le créancier peut apporter

la preuve contraire.

Si le créancier parvient à rapporter cette preuve, la prescription

présomptive est écartée : elle sera censée n’avoir jamais été mise en

mouvement. Donc, on fera comme si la créance avait été soumise dès

l’origine au délai de prescription de droit commun (30 ans ou 10 ans).

Pour renverser la présomption, le créancier doit déférer le

serment au débiteur afin d’établir le défaut de paiement (art. 2275 C.

civ. lux.) : concrètement, le créancier demande au débiteur de jurer

qu’il a payé. Si le débiteur refuse, il reconnaît que la dette subsiste et la

prescription est écartée.

La jurisprudence admet également que la présomption puisse être

renversée si le débiteur avoue spontanément, de manière expresse ou

tacite, ne pas avoir payé la dette. C’est logique puisque le serment vise à

provoquer un aveu.

Mais là s’arrête la liste des moyens de renverser la présomption.

Ainsi, le créancier ne peut pas apporter la preuve contraire par

témoignages.

C. L’effet translatif

Exceptionnellement, la prescription peut produire un effet

translatif et non plus extinctif. Au lieu de profiter au débiteur comme elle

le devrait, la prescription transfère la créance à l’Etat. Il s’agit en

réalité de mesures fiscales, qui viennent bousculer le régime classique

de la prescription.

Cela concerne :

- les dépôts de sommes d’argent ou de titres en banque

lorsqu’ils n’ont fait l’objet d’aucune réclamation depuis

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30 ans. La solution est remarquable d’un point de vue

théorique car l’Etat s’approprie une créance prescrite, sans

que le débiteur ait invoqué la prescription. Le débiteur devra

s’acquitter entre les mains de l’Etat.

- certaines dettes de sociétés (coupons, intérêts et

dividendes afférents à des actions ou obligations

négociables) : le créancier négligent perd son droit au profit

de l’Etat.

A bien y réfléchir, la technique n’a pas grand chose en commun

avec la prescription. C’est une confiscation par l’Etat.

FIN

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