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Résumé

En acceptant un poste de secrétaire au sein de la filiale anglaise de Querruel International, Holly espérait gravir rapidement les échelons. Et voilà qu’à cause des avances d’un des cadres supé-rieurs de l’entreprise – avances qu’elle a repoussées d’une gifle retentissante –, elle va devoir chercher un autre travail…

Mais alors qu’elle s’attend à être licenciée, le grand patron, de passage à Londres, prend son parti et lui propose même d’intégrer son équipe de stylistes à Paris. Folle de joie, Holly a l’impression de vivre un vrai conte de fées. Mais ne risque-t-elle pas de con-naître une amère déception en se lançant dans cette aventure, et en travaillant chaque jour avec Jacques Querruel ? Car il y a peu de chances pour que cet homme richissime, qui ne compte plus les succès féminins, continue à s’intéresser à elle…

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HELEN BROOKS

Dans les bras d’un don juan

COLLECTION AZUR

éditions Harlequin

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Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu’il est en vente irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ».

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :

THE PARISIAN PLAY BOY

Traduction française de MONIQUE DE FONTENAY

HARLEQUIN®

est une marque déposée du Groupe Harlequin et Azur® est une marque déposée d’Harlequin S.A.

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © 2002, Helen Brooks. © 2007, Tra-

duction française : Harlequin S.A. 83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS – Tél. : 01 42 16 63 63

Service Lectrices – Tél. : 01 45 82 47 47 ISBN 978-2-2802-0606-8 – ISSN 09934448

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1.

— Comment allez-vous, très chère et ravissante Holly ? Avez-vous passé un bon week-end ? Je suis sûr que vous êtes le genre de femme à savoir prendre du bon temps.

Holly Stanton leva les yeux du dossier qu’elle étudiait et eut du mal à cacher son dégoût à la vue du visage bouffi qui s’encadrait dans la porte du bureau.

— Bonjour, monsieur Roberts, lança-t-elle avec une froideur qui eût rebuté tout autre visiteur.

Hélas, cela n’eut aucun effet sur Jeff Roberts, qui s’avança vers elle, un sourire entendu aux lèvres, précédé par l’odeur entêtante de son eau de toilette.

Holly se remit à taper son rapport, la nausée au bord des lèvres. Elle n’avait obtenu ce poste de secrétaire à Querruel Interna-

tional que depuis quelques semaines, mais l’homme était déjà venu l’importuner à plusieurs reprises. Pour se débarrasser de ce genre d’importun, pensa-t-elle, fataliste, il n’y avait guère que trois options. La première : ignorer ses avances grossières. La deu-xième : déposer une plainte auprès de la direction pour harcèle-ment. La troisième : se faire plaisir en le giflant.

Depuis deux mois, ignorer ses avances n’avait nullement dé-couragé l’importun, et la plainte provoquerait son renvoi immé-diat à elle, Jeff Roberts n’étant rien de moins que le fils adulé du directeur. Restait la gifle. La main d’Holly lui démangeait, mais les conséquences seraient tout aussi dramatiques : elle devrait démis-sionner, et la direction lui refuserait toutes références pour la recherche d’un nouvel emploi.

Elle laissa échapper un soupir.

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Tout avait pourtant si bien commencé ! Lors de son entretien d’embauche, au vu de ses diplômes, elle s’était entendu promettre un avenir brillant au sein de l’entreprise. Cela l’avait réconfortée. Elle avait tellement besoin de travailler, d’obtenir enfin son indé-pendance financière ! Ne plus dépendre de personne était son rêve le plus cher.

Comme elle continuait de l’ignorer, le pervers vint se placer dans son dos et se pencha, faisant semblant de lire par-dessus son épaule ce qu’elle tapait.

— Je vous le répète, ma douce Holly, énonça-t-il d’une voix rauque, la bouche tout contre son oreille, vous pouvez m’appeler Jeff dans l’intimité.

Holly frissonna de dégoût. Il émanait de cet homme une odeur de transpiration malsaine qui provoquait chez elle un immédiat haut-le-cœur. Le fait que son bureau attenant à celui de la secré-taire du patron soit minuscule accroissait encore son malaise.

— Si vous cherchez Margaret… — Au diable Margaret ! Je ne suis pas venu pour elle. Je veux

seulement vous emprunter ceci… Se penchant plus encore, il tendit la main vers un stylo posé

près du rapport, lui effleurant volontairement la poitrine au pas-sage.

Holly se figea instantanément. — Arrêtez vos manigances, monsieur Roberts ! Je vous ai déjà

dit combien cela me déplaît ! L’homme s’humecta les lèvres de la langue. — De quoi parlez-vous ? Elle rencontra son regard concupiscent et frissonna de nouveau

de dégoût. Son visage était écarlate et des gouttes de sueur per-laient à son front.

— Je vous interdis de me toucher ! énonça-t-elle d’un ton aussi ferme et définitif que possible.

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— Ce n’est pas le lieu, je le reconnais. Pourquoi ne pas nous re-trouver autour d’un verre après le travail ? Je connais un endroit idéal. Vous allez l’adorer, j’en suis certain.

« Plutôt mourir ! » pensa-t-elle. — Je suis désolée, mais j’ai d’autres projets. — Alors, retrouvons-nous demain. Je vous offrirai même le dî-

ner, si vous êtes gentille. Vous ne pouvez demander mieux. L’insupportable fat ! Parce qu’il était le fils du patron, il se

croyait tout permis ! Elle avait entendu les autres secrétaires en parler à la cantine : Jeff Roberts harcelait de ses avances toute nouvelle arrivante.

— Vous m’avez mal comprise, monsieur Roberts. Je n’ai nulle-ment l’intention de prendre un verre avec vous après le travail. Ni demain soir, ni jamais.

Un rictus déforma les lèvres de son interlocuteur. — Réfléchissez, Holly. Si vous vous montrez gentille avec moi,

je peux vous obtenir une promotion. Mais l’inverse est également en mon pouvoir. Suis-je assez clair ?

— Vos menaces ne m’impressionnent pas, Jeff Roberts. Elles me donnent seulement la nausée. Et maintenant, si vous voulez bien quitter ce bureau, j’ai du travail.

Comme l’importun se redressait, visiblement vexé, elle crut en être enfin débarrassée.

Elle reportait son regard sur l’écran de son ordinateur, quand deux mains se posèrent soudain sur ses seins, les pétrissant vio-lemment.

Le sang d’Holly ne fit qu’un tour. Sans aucune hésitation, elle repoussa sa chaise, se leva et, avec une détermination qui l’étonna elle-même, gifla le malotru de toutes ses forces.

Ce dernier ne s’était manifestement pas attendu à une telle réaction. Sous la violence de l’impact, il recula et alla heurter les rayonnages derrière lui. Une bordée d’injures jaillit de ses lèvres.

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S’attendant à ce que l’immonde personnage se jette sur elle, Holly se prépara au combat.

— Que diable se passe-t-il ici ? L’exclamation, faite d’une voix sèche et impérative, fit sursau-

ter et se retourner Jeff Roberts. Quant à Holly, en voyant la silhouette à la carrure imposante

qui venait de s’encadrer dans la porte du bureau, elle sut instanta-nément à qui elle avait affaire.

Le bavardage des employées, à la cantine, se focalisait si sou-vent sur le patron français de Querruel International qu’elle aurait pu faire son portrait sans jamais l’avoir rencontré : Jacques Quer-ruel, trente-deux ans, célibataire, richissime, la cible préférée de la presse people qui le montrait toujours accompagné des plus belles femmes de la planète. Parfait play-boy, mais également – la presse était unanime à ce sujet – travailleur acharné. Il s’était hissé au sommet de l’échelle sociale à la force du poignet. Son entreprise de meubles parisienne avait très vite essaimé dans toute la France, puis en Angleterre et aux Etats-Unis. On le disait en possession de somptueuses voitures de sport, mais elle savait que son moyen de locomotion préféré lors de ses séjours en Angleterre était une Harley-Davidson.

— Une superbe moto, lui avait confié, rêveur, un des employés du service financier devant la machine à café. Un monstre de cou-leur noire qui dévore littéralement la route. Quel plaisir on doit ressentir à chevaucher une monture pareille !

— Et attends de le voir en habits de cuir noir, Holly ! avait ajou-té une de ses collègues, pour qui il était visiblement plus exaltant encore de rêver du motard que de la moto. Lorsqu’il entre dans une pièce, toutes les conversations s’arrêtent. Cet homme possède un charisme fou !

C’était l’homme à la moto et à l’habit de cuir noir qui s’encadrait dans la porte de son bureau !

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Le cœur de Holly s’emballa, mais son attention revint vite vers Jeff Roberts, qui s’écriait :

— Monsieur Querruel, je suis vraiment désolé que vous ayez as-sisté à ce spectacle ! Je réprimandais Mlle Stanton pour la mau-vaise qualité de son travail, quand elle s’est rebiffée violemment et…

— Sale menteur ! cria-t-elle, hors d’elle. Comment osez-vous… — Assez ! l’interrompit Jacques Querruel d’une voix aussi gla-

ciale qu’un iceberg. Je propose que nous allions poursuivre cet entretien dans le bureau directorial. Suivez-moi tous les deux.

— Attendez une minute ! cria Holly au comble de la fureur. Elle ne savait que trop bien ce qui allait se passer dans le bu-

reau du père de Jeff Roberts. Elle serait renvoyée sur-le-champ sans avoir la moindre chance de s’expliquer.

— Cet homme ment ! poursuivit-elle. Ce n’est pas la qualité de mon travail qui l’intéressait mais…

— J’ai dit « dans le bureau directorial », mademoiselle Stanton. M. Roberts ne sera pas de retour de son rendez-vous avant une heure. Nous aurons donc tout le loisir d’examiner le problème sans être interrompus.

Avait-il deviné les raisons de son objection ? Les yeux de Holly se soudèrent à ceux, ambrés, de son interlo-

cuteur. Fascinants, ils étaient fascinants ! Que lui arrivait-il ? se morigéna-t-elle. Elle n’allait pas rejeter

les avances d’un homme pour tomber aussitôt sous le charme d’un autre. Surtout d’un prédateur comme celui-ci !

Sans un mot, elle le suivit, traversant le bureau de la secrétaire de direction pour atteindre celui de Michael Roberts, spacieux et luxueux. Elle eut juste le temps d’apercevoir Margaret derrière son bureau, le visage aussi pâle que les feuilles de papier posées près de son ordinateur : elle devait avoir entendu en partie ce qui venait de se passer. Mais, très vite, la porte du bureau directorial se re-

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ferma, et Holly se trouva seule face à Jacques Querruel et à l’horrible Jeff Roberts.

Ce dernier prit la parole dès que Jacques Querruel leur eut in-timé l’ordre de s’asseoir.

— Monsieur Querruel, énonça-t-il, un sourire mielleux aux lèvres, vous n’avez nul besoin de perdre votre précieux temps pour une affaire que je peux parfaitement régler moi-même. Vous avez certainement mieux à faire…

— Non ! Le ton était si catégorique que Jeff se recroquevilla sur son

siège. Holly s’était attendue à ce que le Français prenne place dans le

fauteuil derrière l’imposant bureau directorial, mais à sa grande surprise il s’assit sur le bord de celui-ci, les yeux fixés sur elle, décontracté.

S’il croyait l’impressionner, il se trompait ! Elle était détermi-née à se défendre bec et ongles.

Relevant le menton, elle soutint son regard sans ciller. Au bout d’un moment qui lui parut une éternité, Jacques Quer-

ruel reporta son regard sur la joue de Jeff Roberts, qui portait nettement la trace de la gifle reçue.

— Il y a manifestement un problème, déclara-t-il. — Rien que je ne puisse régler, monsieur Querruel ! glapit Ro-

berts. — Comment ? répliqua-t-elle, ivre de rage. En me pétrissant les

seins ? Cet individu ne cesse de me harceler, monsieur Querruel ! Je ne crois pourtant pas avoir été engagée pour assouvir ses fan-tasmes sexuels !

Elle crut voir frémir les coins de la bouche de Jacques Quer-ruel.

— Racontez-moi ça, mademoiselle Stanton, ordonna-t-il.

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Ainsi, il trouvait ça drôle ? Pas elle ! — Jeff Roberts ne vient pas dans mon bureau pour vérifier la

qualité de mon travail, monsieur. Il ne peut donc pas en parler. Par contre, la liste des propositions perverses dont il m’a déjà accablée serait trop longue à énumérer. Comme je les refuse sys-tématiquement, il est passé à l’acte tout à l’heure en me touchant les seins. Je l’ai giflé.

— Un peu fort, non ? — Pas aussi fort qu’il le mérite ! — Tout ceci est pure affabulation ! se défendit Jeff, le visage

rouge et suant. La vérité, c’est que Mlle Stanton n’est pas à la hau-teur de la tâche qui lui est confiée. J’en suis désolé pour elle. Au cours des dernières semaines, j’ai essayé de l’aider en lui donnant des conseils. Hélas, elle a mal interprété mon attitude, prenant ma sollicitude pour un encouragement au flirt. Comme je repoussais ses avances, elle est devenue hystérique et m’a frappé.

Jacques Querruel contempla longuement l’homme aux cheveux gras et au visage bouffi, puis il reporta son regard sur la jeune femme en colère qui lui faisait face, prenant le temps d’admirer sa chevelure aux reflets auburn, ses étonnants yeux couleur myosotis et sa silhouette gracile que bien des mannequins lui auraient en-viée.

Sans qu’il comprît pourquoi, son cœur s’emballa dans sa poi-trine.

Cette femme lui paraissait différente de toutes celles rencon-trées jusqu’alors. Il se dégageait d’elle à la fois plus de force et de fragilité. Cette ravissante créature, faire des avances à cet im-monde individu de Jeff Roberts ? Il y avait autant de chances que cela arrive que pour le pape de se marier un jour !

Il lui sourit.

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— Dois-je comprendre que vous réfutez ces accusations, ma-demoiselle Stanton ?

La jeune femme hocha la tête avec conviction, faisant voltiger ses boucles auburn.

— Il semble donc que nous soyons face à une accusation réci-proque, reprit-il. Chacun de vous va devoir me fournir les preuves de sa version des faits. Pour vous, Jeff, si le travail de Mlle Stanton n’est pas à la hauteur, il vous sera facile de me le prouver.

— Euh, c’est-à-dire… A cette heure, tout est corrigé, et… — Nous verrons. Quant à vous, mademoiselle Stanton, avez-

vous des témoins de la… familiarité excessive de Jeff Roberts à votre égard ?

— « Familiarité excessive » ! Ces termes sont totalement inap-propriés pour décrire son attitude, il s’agit de harcèlement, mon-sieur ! Des témoins à charge, je n’en ai pas. Dans le réduit qui me sert de bureau, je suis seule, et l’espace n’est pas équipé d’une caméra pour enregistrer « ce qu’il s’y passe. Hélas, je n’ai pas été la seule à subir ses assauts, mais aucune des jeunes femmes impor-tunées n’a osé porter plainte, de peur de perdre son emploi. En tant que fils du directeur, Jeff se sait intouchable. Mes collègues ne seront certainement pas prêtes à dénoncer son ignoble conduite. Elles ont à cœur de garder leur poste.

— Vous semblez avoir beaucoup d’a priori, mademoiselle Stan-ton !

Holly frémit Avec son léger accent français, Jacques Querruel prononçait son nom comme personne ne l’avait encore fait jus-qu’alors. Et le sourire qu’il venait de lui adresser était tout sim-plement dévastateur.

Il était incroyablement séduisant, reconnut-elle, furieuse d’entretenir de telles pensées en pareil instant. Au cours de leurs bavardages, ses collègues avaient vanté sa carrure, sa chevelure noir corbeau, son teint bronzé, ses longs cils. Certes, il possédait

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tout cela, mais ce qui la frappait le plus, c’était le calme et la par-faite maîtrise de soi qu’il affichait.

Mais ce n’était pas le moment de se laisser déstabiliser. — Je suis tout simplement réaliste, affirma-t-elle, péremptoire. Elle ne se laisserait pas intimider comme les autres par

l’autorité de cet homme ! Elle avait la loi de son côté. Toute la lumière devait être faite sur cette affaire, elle s’y emploierait.

Hélas, elle ne se faisait guère d’illusions. Michael Roberts n’aurait aucune difficulté à produire une douzaine de témoignages en faveur de son fils bien-aimé. Seule Margaret pouvait témoigner de la qualité de son travail. Le ferait-elle ?

— Dois-je comprendre que vous n’avez pas confiance dans la façon dont l’entreprise peut gérer cette affaire, mademoiselle Stan-ton ? demanda Jacques Querruel, les sourcils en arc de cercle. C’est une grave accusation.

Holly se redressa dans son fauteuil, écœurée. De victime, elle devenait accusée !

Ce n’était pas une surprise. Combien de fois dans le passé avait-elle dû se battre pour faire reconnaître la vérité ? Combien de fois avait-elle échoué ? Mais une fois encore elle se battrait jusqu’au bout.

— Je n’occupe un poste dans cette entreprise que depuis quelques semaines, monsieur Querruel. Il serait donc prétentieux de ma part d’affirmer quoi que ce soit. Cependant, dans ce cas particulier, étant donné les liens familiaux qui unissent mon oppo-sant à la direction, il m’est permis de douter qu’il soit jugé avec l’objectivité nécessaire.

— Je vois. A deux ; reprises durant son discours, Jeff Roberts avait tenté

de l’interrompre, mais Jacques Querruel l’avait fait taire d’un signe impérieux de la main. Cette fois, il se tourna vers lui.

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— Et, vous, Jeff, pensez-vous qu’une justice impartiale sera rendue dans cette affaire ?

— J’ai toute confiance en l’intégrité du management de l’entreprise, monsieur Querruel, affirma pompeusement l’interpellé.

Jacques réprima une mimique d’agacement. Comment un homme aussi brillant que Michael Roberts, qui

conduisait la filiale londonienne de main de maître, pouvait-il avoir un fils aussi médiocre ? Et surtout, pourquoi ne prenait-il pas les mesures nécessaires pour écarter cet incapable ? Jus-qu’alors, il avait toléré sa présence, mais cet incident était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.

Marchant jusqu’à la baie vitrée, il laissa errer son regard sur la rue grouillante de monde à ses pieds.

Il aurait dû écouter son instinct et transférer Jeff Roberts à Pa-ris, afin de juger de ses capacités réelles loin de la protection de son père. Ce dernier ignorait certainement tout de la conduite perverse de son fils. Il allait falloir prendre une décision.

Cela lui prit moins d’une seconde. — Jeff, lança-t-il en se retournant, vous êtes ; suspendu jusqu’à

la fin de l’enquête. En conservant votre salaire, bien entendu. — Mais… — Il n’y a pas de mais. C’est la politique de la maison. — Vous ne pouvez : pas raisonnablement accréditer l’histoire

inventée de toutes pièces par cette fille, monsieur Querruel ! Ce n’est qu’une simple dactylo, alors que je suis le fils…

Il marqua une pause, visiblement mal à l’aise. — Je veux dire, mon père… — Votre père, Jeff, comprendra qu’il nous faut enquêter sur

cette affaire avec le maximum d’objectivité, j’en suis certain !

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Comme les yeux de Holly Stanton s’arrondissaient, il reporta son attention sur elle.

— Avez-vous quelque chose à ajouter, mademoiselle Stanton ? La jeune femme aurait sans doute pu ajouter bien des choses,

mais pour l’instant la surprise lui paralysait visiblement l’esprit. Elle se contenta de secouer négativement la tête.

Jacques réprima un sourire. La candeur de cette jeune femme l’amusait. Mais il y avait plus,

beaucoup plus ! Elle n’était vraiment pas ordinaire. Elle l’intriguait. En fait, il ne savait pas exactement à qui il avait affaire, et cela le déconcertait.

Cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. En général, il éva-luait parfaitement ceux qu’il rencontrait, et cette capacité avait indéniablement contribué à sa réussite. Mais Holly Stanton échappait à sa perspicacité : elle semblait dotée d’une volonté et d’une détermination sans pareilles, et pourtant une certaine tris-tesse restait tapie au fond des pupilles couleur myosotis.

— Dans ce cas, reprit-il, vous pourriez peut-être rejoindre votre « réduit » et y rédiger un rapport complet sur l’incident survenu aujourd’hui, en y ajoutant tout autre fait que vous jugerez utile. Faites une description aussi précise que possible des événements, précisez les dates et signez le rapport. M. Roberts va faire de même dans ce bureau, en ma présence.

Il appuya sur le bouton situé sur le bureau, et Margaret apparut aussitôt, tel le génie de la lampe.

— Veuillez s’il vous plaît nous apporter du café, Margaret, or-donna-t-il.

Comme Holly Stanton se levait pour partir, il ajouta : — Vous en apporterez également une tasse à Mlle Stanton, dans

son « réduit ». — Où ça, monsieur Querruel ?

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Holly traversa comme une fusée le bureau de Margaret afin de rejoindre le sien au plus vite. Là, le cœur battant et les larmes au bord des paupières, elle s’assit devant son ordinateur et regarda autour d’elle.

Elle avait qualifié ce lieu de réduit… Eh bien, elle ne le regret-tait pas. Il méritait amplement ce terme.

Quelques instants plus tard, Margaret apparut dans l’embrasure de la porte.

— J’ai commandé le café, lança-t-elle à voix basse. Mais je vous en supplie, Holly, racontez-moi ce qui s’est passé !

Holly s’exécuta, de façon aussi concise que possible. A sa grande surprise, Margaret vint lui entourer les épaules de

son bras. — Jeff est un monstre de perversité, murmura-t-elle. Merci

d’avoir eu le courage de le contrer, Holly ! Il ne s’est jamais mal conduit envers moi, à mon âge il n’a pas osé, mais je connais au moins deux secrétaires qui ont préféré démissionner plutôt que de continuer à subir son harcèlement. Le couple Roberts a perdu deux de ses enfants dans un accident de voiture avant la naissance de Jeff. Ce dernier est hélas devenu la prunelle de leurs yeux et ils l’ont gâté exagérément.

— Quelles que puissent être les conséquences, je suis bien déci-dée à aller jusqu’au bout, Margaret !

— Je puis vous assurer de mon soutien, Holly. Vous êtes l’un des meilleurs éléments engagés par la direction depuis longtemps.

Comme une des serveuses de la cantine arrivait avec les cafés commandés, Margaret s’empara du plateau et, après lui avoir donné une tasse, l’emporta dans le bureau du directeur.

Réconfortée par les propos chaleureux de sa supérieure hiérar-chique, Holly sirota avec délice le liquide brûlant.

Elle avait intérêt à commencer à se chercher du travail rapide-ment, pensa-t-elle néanmoins. Pourquoi le destin s’acharnait-il

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ainsi contre elle ? Avec son diplôme d’ingénieur textile, Querruel International était l’entreprise idéale pour faire carrière. Elle avait accepté un emploi provisoire de secrétaire, mais on lui avait laissé espérer dans un avenir proche un poste en rapport avec ses com-pétences. Et voilà que le libidineux fils du patron venait de tout compromettre !

Elle dut faire un effort pour concentrer son attention sur le rapport réclamé par Jacques Querruel. Non pas qu’elle ait du mal à se souvenir de l’attitude de Jeff Roberts ces dernières semaines – chaque détail était à jamais inscrit dans sa mémoire –, mais un visage au charisme insolent ne cessait de s’interposer entre ses yeux et l’écran.

Elle relut deux fois le rapport avant de l’imprimer, le relut en-core une fois imprimé.

Tout était rigoureusement exact. Elle n’avait éprouvé nul be-soin d’ajouter des commentaires, les faits racontés étant en eux-mêmes suffisamment explicites. Pourquoi avait-elle attendu si longtemps avant de donner à cet ignoble individu la gifle qu’il méritait ? se demanda-t-elle en grimaçant de dégoût.

— Est-ce donc si horrible que cela ? Holly sursauta et leva les yeux du papier qu’elle relisait. Jacques Querruel se tenait devant elle, les sourcils en arc de

cercle, une lueur amusée au fond de ses prunelles mordorées. Il avait ôté son blouson de cuir, et le T-shirt noir qu’il portait

laissait deviner ses muscles sous le fin tissu. L’espace de quelques secondes, elle resta immobile à le regar-

der, hypnotisée, la bouche asséchée. Il devait faire des séances de musculation quotidiennes, pensa-t-elle spontanément, le cœur battant la chamade.

Mais elle ne tarda pas à se reprendre. Elle n’allait tout de même pas tomber sous son charme comme toutes les autres ! Certes, il était le grand patron vénéré de Querruel International et le plus séduisant des hommes, mais il n’avait aucun effet sur elle ! De

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toute façon, elle en était intimement convaincue, elle ne resterait pas longtemps dans les lieux.

Elle se redressa, consciente du feu qui lui brûlait les joues mais totalement incapable d’y remédier.

— Jugez par vous-même, répliqua-t-elle. Comme Jacques Querruel s’avançait pour prendre possession

du rapport qu’elle lui tendait, elle veilla à ce que leurs doigts ne se touchent pas lors de la transaction.

Elle avait espéré qu’il emporte le rapport pour le lire ailleurs, mais il s’incrusta, repoussant d’un revers de la main les papiers qui encombraient son bureau pour s’y asseoir.

La pièce sembla soudain à Holly encore plus minuscule. Déci-dément, elle encourageait la promiscuité ! Querruel se tenait si près d’elle qu’elle pouvait sentir le parfum raffiné de son eau de toilette. Il portait un pantalon de cuir souple qui moulait ses jambes musclées.

Seigneur, jamais aucun mâle ne lui avait fait pareil effet jus-qu’alors ! gémit-elle intérieurement tandis qu’une nouvelle onde de chaleur la parcourait tout entière.

Comme elle relevait la tête, son regard se posa sur les mains puissantes et racées qui tenaient les feuillets. Leurs longs doigts lui firent penser à ceux d’un artiste, un pianiste capable de caresser en expert les touches de son instrument pour en tirer le meilleur son.

Rageuse, elle repoussa les folles images qui lui venaient à l’esprit. D’après les dires de ses collègues, ce Français était un homme d’affaires rude et sans pitié, qui aimait les voitures de sport, les motos et les jolies femmes. Sa fortune se chiffrait en millions. Non, Jacques Querruel n’était sûrement pas un artiste !

A plusieurs reprises durant sa lecture, il se passa une main ner-veuse dans les cheveux. Lorsqu’il atteint la dernière page, celle qui concernait l’événement du matin, un juron s’échappa de ses lèvres. C’est du moins ainsi qu’elle interpréta le mot français qu’elle en-tendit sans le comprendre.

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Reposant le rapport sur le bureau, le grand patron chercha son regard.

— Par tous les diables, pourquoi n’avez-vous pas dénoncé cette conduite plus tôt ? lança-t-il d’un ton accusateur. Pourquoi avoir attendu ? Vous ne semblez pourtant pas le genre de femme à subir sans réagir !

Que cherchait-il ? A faire retomber la faute sur elle ? — C’est facile de s’indigner quand on est patron, se révolta-t-

elle. Quand on est employé, on cherche avant tout à préserver son emploi. Ce n’est pas un crime, que je sache !

— Non, en effet, ce n’est pas un crime, admit-il d’un ton radou-ci. Vous n’êtes dans l’entreprise que depuis quelques semaines, n’est-ce pas ?

— Huit semaines. Le harcèlement a commencé dès mon arri-vée. D’après les dires de mes collègues, Jeff guette les nouvelles recrues, et personne n’ose se plaindre. On ne porte pas plainte contre le fils du patron.

— Mais vous, mademoiselle Stanton, vous l’avez giflé. — En effet. Et si c’était à refaire, je le referais ! — Quitte à perdre votre emploi ? — Quitte à perdre mon emploi ! — Je vois. Reprenant le rapport, il demanda : — Puis-je le garder ? — Oui. Il est terminé. Comme le serait sans doute, très vite, son travail au sein de

l’entreprise. Cela prendrait une semaine, un mois, six mois ou plus, mais un jour ou l’autre le père de Jeff trouverait un motif pour la licencier. Avec le rapport qu’elle venait d’écrire, il ne pou-vait la garder auprès de lui.

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— Je vous promets de faire toute la lumière sur cette affaire, mademoiselle Stanton. Le harcèlement sexuel au sein d’une entre-prise est puni par la loi. Si Jeff Roberts est coupable, le fait qu’il soit le fils du patron ne le met pas à l’abri de la sanction.

Il rêvait ! pensa-t-elle. L’entreprise lui appartenait, mais c’est Michael Roberts qui la dirigeait, et sa toute-puissance s’exerçait sur l’ensemble du personnel. Personne n’oserait témoigner contre son fils chéri.

L’expression de son visage devait laisser deviner ses pensées, car son interlocuteur fit la moue.

— Vous ne me croyez pas, n’est-ce pas ? Pourquoi lui mentir ? — Sans doute allez-vous tout mettre en œuvre pour découvrir

la vérité, monsieur Querruel, mais vous ne réussirez pas. Chacun, ici, déteste Jeff mais a la plus grande estime pour Michael Roberts et son épouse. Le couple a perdu deux enfants dans un terrible accident, poursuivit-elle, amère. Personne ne voudra leur causer une nouvelle peine.

— Je vous pensais plus combative, mademoiselle Stanton. — Je le suis, mais cela ne m’empêche pas d’être réaliste. — Ainsi, vous ne croyez pas en ma toute-puissance ? — Non. La négation lui avait échappé avant qu’elle pût la retenir. Le grand patron sourit. — Savez-vous que c’est très rare ? Je suis entouré de gens qui

me considèrent comme un dieu. Ceux qui osent me dire ce qu’ils pensent se comptent sur les doigts d’une main.

Il laissa échapper un soupir. — Au départ, être ainsi adulé ne manquait pas de charme, je

l’avoue. Mais à la longue, on s’en lasse. Margaret m’a affirmé que

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votre travail était excellent. « Parfait » est même le mot qu’elle a employé.

« Brave Margaret ! » pensa Holly, émue. — Quel âge avez-vous, mademoiselle Stanton ? demanda tout

de go Jacques Querruel. Surprise, elle fronça les sourcils. — Vingt-cinq ans. Pourquoi ? — Avez-vous déjà envisagé d’aller travailler à l’étranger, ou

êtes-vous irrémédiablement cantonnée à Londres par une famille ou un petit ami ?

Holly battit frénétiquement des paupières. Que diable signifiait cette question ?

Elle affronta son regard. Il semblait calme, détaché, parfaite-ment à l’aise. Elle l’envia.

— Aller travailler hors des frontières du Royaume Uni ? Je… Pourquoi pas ?

Elle détesta l’hésitation qui avait trahi son trouble. — Des attaches familiales ? Un amoureux ? Il insistait ! Son très léger accent français donnait à la question

une intonation sexy qui lui fit de nouveau monter le rouge aux joues.

— Je vis seule dans un studio que je loue, monsieur Querruel, et si j’ai quelques amis qui me sont chers, je ne possède ni famille ni amoureux.

Jacques Querruel hocha la tête d’un air énigmatique puis se re-dressa, quittant le support du bureau.

— J’ai quelques affaires à régler, annonça-t-il. N’ayez aucune crainte, j’ai veillé à ce que Jeff Roberts quitte les lieux. J’aurai besoin de vous revoir en fin de journée, avant que vous ne quittiez le bureau. Puis-je compter sur vous ?

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Pourquoi cette demande ? Son rapport était désormais entre ses mains et elle n’avait rien à y ajouter. Mais il était le patron et elle devait obéir.

— Vous pouvez évidemment compter sur moi, monsieur Quer-ruel.

— Bien. A ce soir, donc. Et sur ces mots, il quitta le bureau.

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2.

Le reste de la journée fut étrangement calme. Holly déjeuna à la cantine en compagnie de Margaret. La secrétaire de direction ne fit aucune allusion aux événements du matin et évita soigneuse-ment le sujet.

Elle avait reçu des ordres, pensa Holly. De Michael Roberts ou de Jacques Querruel ?

Elle passa l’après-midi à taper un rapport long et ennuyeux, l’oreille aux aguets, mais aucun bruit ne sortit du bureau du direc-teur.

Vers 16 heures, elle entendit Michael Roberts partir. Il ne vint pas la saluer, ce dont elle lui fut reconnaissante : la confrontation aurait été difficile.

Son dernier rapport tapé, elle en fit trois copies qu’elle déposa dans la corbeille appropriée, puis elle s’étira longuement pour chasser la fatigue, fermant les yeux et levant haut les bras au-dessus de sa tête. Elle s’était efforcée jusque-là de ne pas penser au rendez-vous donné par le grand patron, mais l’heure fatidique approchait.

— Fatiguée ? Elle ouvrit grand les yeux et vit Jacques Querruel debout dans

l’embrasure de la porte, habillé d’un costume gris manifestement sorti des mains d’un grand couturier. La veste, non boutonnée, laissait voir une chemise de soie grège.

Sans conteste, il était l’image même de la réussite et de l’élégance !

Elle se redressa sur son siège, le feu aux joues.

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— Il est 17 h 30, annonça-t-il. Nous pourrions poursuivre notre entretien de ce matin devant un bon repas. Qu’en pensez-vous, mademoiselle Stanton ?

Ses oreilles lui jouaient des tours. Il ne pouvait avoir dit ce qu’elle croyait avoir entendu !

— Pardon ? — Etes-vous libre pour dîner avec moi, ce soir ? Je suppose

que, comme tout être humain, il vous arrive de manger… Elle rougit plus encore. Dîner avec lui ! Avait-il perdu la tête ? — Ne me regardez pas ainsi ! Mon invitation n’a rien de mal-

honnête. J’ai une proposition de travail à vous faire qui mérite discussion et je meurs de faim. Aussi, si vous êtes libre, je vous remmène chez vous pour vous changer. J’ai une table réservée pour 19 heures.

Holly cessa de respirer. Une proposition de travail ! Une invita-tion à dîner pour en discuter ! Etait-elle en train de rêver ? Elle battit des paupières, persuadée que Jacques Querruel allait se dématérialiser, mais rien de tel ne se produisit.

Il se tenait vraiment là, debout devant elle, beau comme un dieu, attendant sa réponse.

— Vous… vous avez une proposition de travail à me faire ? — Exactement. Et ne me dites pas que, dans le contexte actuel,

vous n’avez pas songé à en chercher un, mademoiselle Stanton ! Décidément, cet homme était le diable en personne. Il dut lire la confusion dans son regard, car il lui sourit. — Je vous laisse dix minutes, puis je vous emmène. D’accord ? Holly chercha désespérément une raison de refuser. L’homme était dangereux, redoutable même. Il ne ferait pas

bon l’avoir comme adversaire. Des histoires circulaient sur son caractère implacable. Mais dîner avec lui, ce serait extraordi-

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naire… Sauf qu’elle ne possédait aucune tenue adéquate pour une telle circonstance.

Elle allait refuser quand, à sa propre surprise, elle s’entendit répondre :

— D’accord, monsieur Querruel. Je serai très heureuse d’entendre votre proposition.

— Parfait ! lança-t-il avant de tourner les talons et de quitter le bureau.

A peine avait-il disparu que Margaret surgit. — Incroyable ! Je travaille dans cette maison depuis sa création

et j’ai vu bien des femmes tenter de séduire Jacques Querruel sans qu’il leur prête la moindre attention. Et voilà que vous, il vous invite à dîner !

Les murs avaient des oreilles, pensa Holly, amusée. — Ce n’est rien d’autre qu’un dîner de travail, Margaret. Vous

l’avez entendu, M. Querruel a une offre d’emploi à me faire. Après le rapport que je viens de rédiger sur le fils du patron, espérer garder mon poste ici serait utopique.

Margaret laissa échapper un soupir. — Je crains que vous n’ayez raison, reconnut-elle. Mais faites

très attention à vous, Holly ! Jacques Querruel a la réputation de changer de femme comme de chemise. Ces femmes savent à quoi s’attendre et l’acceptent. Elles sont belles, riches, indépendantes et ne désirent pas plus que lui s’établir et fonder un foyer.

— Margaret, M. Querruel m’a juste proposé de dîner avec lui afin d’étudier son offre d’emploi. Il a lu mon rapport et pense que je dis la vérité. Après tout, l’entreprise me doit une compensation, non ?

La secrétaire hocha la tête, dubitative. — Promettez-moi de faire très attention à vous, Holly ! — Il m’a fait cette invitation la porte de votre bureau grande

ouverte, Margaret. Il ne l’aurait pas faite ainsi si ses intentions

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étaient malhonnêtes. Mais je vous promets de suivre vos conseils et de tout vous raconter demain matin.

Cette réponse lui valut un sourire affectueux de sa supérieure hiérarchique.

— Sans doute suis-je un peu rétrograde et me fais-je du souci pour rien. Bien que nous ne nous connaissions que depuis quelques semaines, j’éprouve une sincère affection pour vous, Holly. Je sais que vous n’avez pas de famille. Aussi, vous êtes un peu plus…

— … vulnérable ? Margaret approuva d’un signe de tête. — Merci de vous préoccuper de moi, Margaret, répondit Holly

en souriant bravement. Ne vous inquiétez pas, je suis plus forte qu’il n’y paraît. J’ai appris toute petite à me défendre contre les aléas de la vie. Croyez-moi, avoir connu pas moins de six familles d’accueil, cela vous rend résiliente !

— Votre enfance n’a pas dû être facile. Bien plus difficile encore qu’elle ne le pensait ! songea Holly

avant de lancer : — Au moins, cela m’a endurcie. J’ai appris à ne pas subir.

L’homme n’est pas né qui m’obligera à faire ce que je ne veux pas faire !

Margaret hocha la tête, sceptique. — Jacques Querruel n’est pas un homme comme les autres… Le téléphone sonnant dans son bureau l’obligea à

s’interrompre. Holly resta figée sur sa chaise, émue par cette sollicitude. Sa

supérieure hiérarchique et elle avaient sympathisé dès les pre-mières minutes, et leur entente n’avait fait que se renforcer au fil des semaines.

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Tandis qu’elle rangeait ses papiers et éteignait son ordinateur, les craintes exprimées par Margaret quant à la soirée qui s’annonçait se mirent à tourner dans sa tête tel un maelström.

Et si elles étaient justifiées ? Son « réduit » mis en ordre, elle se préparait à se rendre dans

le bureau directorial lorsque le Français surgit. — Vous êtes prête, mademoiselle Stanton ? — Je suis prête. — Alors, allons-y ! Après avoir salué d’un signe Margaret toujours au téléphone,

elle suivit Jacques Querruel en direction des ascenseurs. A peine celui-ci eut-il appuyé sur le bouton d’appel que les

portes s’ouvrirent. Incroyable ! Même les machines lui obéissaient au doigt et à

l’œil ! Jamais une telle chance ne lui était arrivée, chaque fois elle pestait contre la lenteur de ces ascenseurs.

Une fois à l’intérieur, elle chercha en vain un sujet pour alléger l’atmosphère.

Peu importait, après tout ! Au fil des épreuves, elle avait appris à paraître détachée, quel que soit son tumulte intérieur. Le miroir apposé sur la paroi de la cabine lui renvoyait l’image d’une jeune femme au regard totalement impassible. Une image qu’elle avait patiemment composée et dont elle était fière. C’était son armure, la carapace derrière laquelle elle s’abritait. L’étrange détresse qu’elle ressentait provenait simplement du fait que deux hommes, Jeff Roberts et Jacques Querruel, avaient chacun à sa manière essayé de la fêler.

— J’ai appelé un taxi, il nous attend, annonça son compagnon. Il se décidait enfin à parler ! Il l’avait soumise dans l’ascenseur

à un examen attentif mais s’était gardé de tout commentaire. — Vous logez dans le quartier de Battersea, n’est-ce pas ?

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— Oui. Comment le savez-vous ? S’était-il informé auprès de Margaret ou avait-il consulté les

fiches du personnel ? — Le restaurant Chez Lemaire où j’ai réservé une table se

trouve dans le quartier de Chelsea, poursuivit-il sans prendre la peine de répondre à sa question. Ce n’est pas très loin.

La distance importait peu. Ce qui la dérangeait, par contre, c’était l’idée que Jacques Querruel soit présent dans son minus-cule studio pendant qu’elle se changerait. Et le faire attendre dans le taxi était inenvisageable.

— Le mieux serait que vous me déposiez et alliez m’attendre au restaurant, monsieur Querruel. Je vous y rejoindrai dès que je serai prête.

Il sourit. — Voilà une manière très polie de me faire savoir que je suis

indésirable chez vous ! A la sortie de l’ascenseur, il lui prit le bras, l’entraîna vers le

taxi et lui ouvrit la portière. — Si cela peut vous rassurer, nous ferons comme vous le suggé-

rez. Je vous renverrai le taxi dès mon arrivée au restaurant. Cette proposition vous parait-elle acceptable ?

Comme elle faisait un signe affirmatif de la tête, il ajouta : — Et, surtout, prenez tout le temps qu’il faut pour vous dé-

tendre, la journée a été rude. Se détendre ! Elle allait plutôt s’agiter dans son mini studio

telle un derviche tourneur ! Elle se mit à faire mentalement la liste de ses tenues vestimen-

taires, tentant désespérément de trouver celle qui conviendrait à un dîner dans un restaurant comme Chez Lemaire. Evidemment, elle avait entendu parler de ce lieu gastronomique luxueux, réservé à une clientèle qui n’avait pas à s’inquiéter des prix mentionnés

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sur la carte. Jamais elle n’aurait imaginé y être invitée un jour, et moins encore n’avoir qu’un quart d’heure pour s’y préparer.

— … Et ce sera tout pour ce soir. Jacques Querruel venait de lui parler sans qu’elle y prête atten-

tion ! — Euh, vous pouvez répéter ? — Désolé d’interrompre vos pensées, mademoiselle Stanton,

répliqua-t-il sèchement, les sourcils froncés. Je ne faisais que dérouler l’emploi du temps de la soirée. Je pense vous faire ma proposition à l’apéritif, afin que vous puissiez y réfléchir durant le repas et me donner une réponse au dessert.

Il était en colère. Elle comprenait pourquoi, rares devaient être les femmes qui ne buvaient pas ses paroles.

— Cela me paraît parfait, convint-elle, un peu oppressée. L’habitacle du taxi lui paraissait de plus en plus étroit. Jamais

jusqu’alors elle n’avait ressenti aussi intensément la présence d’un corps masculin à ses côtés. Une onde de chaleur montait de ses reins et l’envahissait tout entière. Comme ses yeux rencontraient les yeux ambrés de son voisin, elle s’empressa de tourner la tête vers la vitre.

— Cette soirée est exceptionnellement douce pour le mois de mai, vous ne trouvez pas ?

Elle avait dit n’importe quoi, mais il s’empara aussitôt du sujet. — En effet, et c’est vraiment dommage de la passer en ville !

C’est une soirée à passer à la campagne, à inhaler le parfum des fleurs qui annoncent l’arrivée du printemps. Une nuit à contem-pler le reflet de la lune sur les eaux tranquilles d’un lac et les cygnes qui cachent leur tête sous leurs ailes pour dormir.

Stupéfaite, Holly tourna de nouveau la tête vers Jacques Quer-ruel.

Celui-ci lui sourit.

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— Je pense à mon château en France, expliqua-t-il. Je deviens lyrique chaque fois que j’évoque cet endroit. Il me manque. Sur-tout par une soirée aussi douce que celle qui se prépare.

— Je vous comprends, dit-elle avec un sourire spontané. Moi aussi j’adore la campagne, et cet endroit dont vous parlez paraît idyllique.

— Etes-vous déjà allée en France, mademoiselle Stanton ? Elle n’était jamais allée nulle part, mais elle se garda de le pré-

ciser. Elle serait bien incapable de comparer les mérites respectifs des nuits à Monaco ou aux Caraïbes, comme les compagnes habi-tuelles de M. Querruel.

— Je possède un appartement au cœur de Paris, près de mes bureaux, poursuivait-il, mais chaque fois que je le peux, je regagne mon château à trente kilomètres au sud de la capitale. C’est le meilleur endroit pour me ressourcer.

Au fil de la conversation, la surprise d’Holly grandissait. Elle avait du mal à associer Jacques Querruel à un endroit romantique.

— Vous passez beaucoup de temps là-bas ? — Pas autant que je le voudrais. C’est ma faute. J’ai toujours eu

du mal à déléguer. Elle le croyait aisément ! Son visage dut exprimer ses sentiments, car son voisin fit la

grimace. — Je ferais mieux de changer de sujet. Durant le reste du trajet, elle resta sur des charbons ardents.

Non que Jacques Querruel se montrât entreprenant. Parfaitement à l’aise et décontracté, il se tenait aussi loin d’elle que possible et ne semblait nullement conscient de l’atmosphère électrique ré-gnant dans la voiture.

Il en allait tout autrement pour elle, qui croyait en percevoir les étincelles. Personne jusqu’à ce jour ne lui avait fait pareil effet !

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La rue où se trouvait son studio n’était pas des plus luxueuses, loin s’en faut. Mais alors que le taxi se garait devant la maison de trois étages semblable à des dizaines d’autres, Holly faillit s’évanouir : une fois de plus, les trois chats de Mme Gibson avaient réussi à éparpiller le contenu de la poubelle sur les marches du perron et l’allée du jardin.

Elle éprouvait une réelle affection pour Mme Gibson, une femme de quatre-vingts ans aux cheveux teints d’une étrange et très originale couleur orange, qui occupait le rez-de-chaussée. Elle éprouvait également de l’affection pour ses trois chats, bien que ceux-ci aient la détestable habitude de vomir le résultat de leurs festins sur les marches de l’escalier. Mais ils auraient pu s’en dis-penser en ce jour spécial entre tous !

Hélas, tous trois se tenaient sur les marches en question, et Tigger, un énorme chat roux – le préféré de Mme Gibson –, était justement en train de s’adonner à son occupation favorite lors-qu’elle descendit du taxi.

— Inutile de me renvoyer ce taxi, monsieur Querruel, lança-t-elle en se plantant devant la vitre arrière du véhicule afin d’épargner à son patron la vue d’un tel spectacle. J’en appellerai un moi-même dès que je serai prête.

— Il n’en est pas question. Tout en parlant, son interlocuteur se pencha, son attention ir-

résistiblement attirée malgré tout par ce qui se passait derrière elle.

— Mademoiselle Stanton, dit-il, il y a une lady avec un cache-théière sur la tête qui vous fait des signes.

Holly se retourna et salua son excentrique voisine. — C’est Mme Gibson, ma voisine, expliqua-t-elle. A tout à

l’heure, monsieur Querruel. — A tout à l’heure, mademoiselle Stanton. Son ton était amical, mais il semblait surtout totalement fasci-

né par la scène des trois chats et de leur propriétaire.

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* * *

Comme le taxi s’éloignait, Holly s’adressa à cette dernière. — Je vais aller chercher un balai et un seau et tout nettoyer,

madame Gibson. — Vous feriez ça, ma chère Holly ? Vous êtes un ange ! Ce vieux

fou de M. Bateman a encore jeté ses saucisses dans la poubelle. Je lui ai dit mille fois que mes chats en sont friands ! Tigger est alors capable de tout pour faire tomber le couvercle de cette foutue poubelle, et voilà ce que ça donne : mes pauvres chéris ont une indigestion !

— Pourquoi portez-vous votre cache-théière sur la tête, ma-dame Gibson ?

La vieille dame porta la main à son couvre-chef. — C’est donc là qu’il se trouvait ? Je le cherche depuis ce matin.

J’ai dû l’accrocher au portemanteau avec le bonnet de laine avec lequel je l’avais lavé. Je me demande où il est, celui-là !

Holly sourit au visage ridé comme une vieille pomme de son amie.

— Sur la théière ? proposa-t-elle. — C’est fort possible. Quand Holly eut fini de nettoyer les dégâts causés par les chats

et d’ajuster le couvercle de la poubelle en le lestant de deux briques, elle avait perdu au moins dix minutes de son précieux temps.

Sans plus perdre une seconde, elle se précipita vers son studio. Après deux minutes d’une douche glacée, le chauffe-eau étant en panne, elle se planta devant sa penderie.

Dernièrement, elle avait investi dans quelques tenues qui lui plaisaient, mais seraient-elles adaptées à un dîner dans un restau-rant tel que Chez Lemaire ? Elle en doutait.

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Elle finit par choisir une robe noire toute simple mais à la coupe parfaite dans laquelle elle se sentait à l’aise. Elle accompa-gna cette tenue d’une paire d’escarpins à talons qui auraient le mérite de la faire paraître un peu plus grande. Jacques Querruel lui avait donné l’impression de la dominer durant cette éprouvante descente dans l’ascenseur.

L’écharpe dont elle se couvrit les épaules – l’affaire du siècle si-gnée Versace achetée en solde pour le tiers de sa valeur – compléta sa tenue.

Au moment de parfaire son maquillage, elle lança un regard par la fenêtre : le taxi l’attendait déjà devant l’entrée !

Bon, elle allait au travail, pas à un rendez-vous galant. Elle ré-duit donc son maquillage au minimum : du mascara sur les cils et du rouge sur les lèvres.

Un instant, elle regarda son image dans le miroir. Jamais de sa vie, même lors de ses examens les plus difficiles, elle n’avait éprouvé pareille appréhension.

Allons, elle n’avait rien à perdre et tout à gagner à écouter ce que cet homme avait à lui proposer. De toute façon il lui serait difficile de garder le poste qu’elle occupait chez Querruel Interna-tional. Peut-être Querruel lui ferait-il une proposition acceptable ?

La voix de la raison ajouta que cela lui éviterait peut-être de scruter tous les matins la rubrique « Offres d’emploi » du journal, tâche qu’elle savait par expérience horriblement fastidieuse.

D’accord. Elle allait écouter cette offre, peser le pour et le contre puis prendre la décision adéquate. C’était aussi simple que ça. Il n’y aurait pas de problème. Pourquoi y en aurait-il ? Jacques Querruel l’avait invitée à dîner mais n’avait exercé sur elle aucune pression. Il l’avait laissé libre d’accepter ou de refuser.

Parfait ! décida-t-elle en s’emparant de son écharpe et de son sac. Il ne lui restait plus qu’à veiller à ce qu’il ne se fasse pas de fausses idées.

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Quand elle s’engouffra dans le taxi, elle eut pourtant la curieuse impression de se rendre non pas à un dîner, mais à une bataille.

* * *

Holly aperçut Jacques Querruel dès qu’elle franchit la porte du restaurant.

Il était installé à une table dans le coin le plus intime de la salle, ses yeux fixés sur l’entrée. Se levant aussitôt, il fit un signe de la main, et le maître d’hôtel, visiblement averti, se précipita pour l’accueillir et la guider jusqu’à lui.

— Merci, Claude, dit son hôte. Veuillez, s’il vous plaît, apporter une coupe de votre délicieux cocktail au champagne à mademoi-selle.

Il ne se rassit qu’après s’être assuré qu’elle était confortable-ment installée. Une fois assise, elle murmura, le souffle court :

— J’espère ne pas vous avoir fait trop attendre, monsieur Quer-ruel.

— Vous aviez tout votre temps, mademoiselle Stanton. Elle avala sa salive sans trouver rien à répondre, peu habituée à

de tels égards. Une fois encore, elle envia son aisance à l’homme qui lui faisait face. Personnellement, elle se sentait aussi tendue qu’une corde de piano.

Perçut-il sa tension ? Il la prit totalement par surprise lorsque, se penchant vers elle, il déclara :

— Dans ce cadre, il me semble que nous pourrions être moins formels. Je me prénomme Jacques, et vous Holly. Un nom peu commun, même pour quelqu’un né à la fin du mois de décembre. Qui a choisi ce prénom ? Votre père ou votre mère ?

Ainsi, il avait vraiment consulté les fiches du personnel. Ne l’avait-elle pas deviné ? Jacques Querruel n’était pas homme à

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offrir un emploi à quelqu’un sans avoir procédé à une enquête. Mais bien des renseignements ne figuraient pas sur la fiche rem-plie lors de l’entretien d’embauche.

— Ni l’un, ni l’autre ! répondit-elle sans s’appesantir sur le su-jet. C’est vraiment très aimable à vous, monsieur Querruel, de m’avoir invitée à dîner dans un tel endroit. Vous n’y étiez pas obli-gé.

— Mon prénom est Jacques, disais-je. Si ce n’est ni votre père ni votre mère qui vous ont donné ce prénom, qui vous l’a donné ?

Il ne lâchait donc jamais prise ? Elle ne tenta pas d’atténuer la dureté des faits.

— La religieuse en charge de la maternité, la nuit où j’y ai été conduite après avoir été abandonnée. Ce soir-là, à l’approche des fêtes de Noël, on jouait The Holly and the Ivy sur toutes les radios. Comme vous le savez, Holly signifie le houx…

Son compagnon ne fit aucun des commentaires qu’elle avait l’habitude d’entendre quand elle mentionnait ce détail, ce qui n’arrivait pas souvent. Qu’avait donc déclaré Margaret ?

« Attention, Holly, Jacques Querruel n’est pas un homme comme les autres. »

— Voilà un début dans la vie plutôt rude ! constata-t-il, en fron-çant les sourcils.

— C’est le mot qui convient ! admit-elle. — La femme qui vous a mise au monde a-t-elle été retrouvée ? Elle apprécia qu’il n’utilisât pas le nom de mère pour celle qui

lui avait donné la vie. — Oui, elle a été retrouvée sans peine. Déjà nantie de trois en-

fants, tous de pères différents, elle ne souhaitait pas en élever un quatrième. Pourtant, elle est venue me voir deux ou trois fois à la maternité, m’a-t-on dit.

— Avez-vous cherché vous-même à la contacter, depuis ?

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— Oui. Lorsque j’ai eu vingt ans. Nous nous sommes rencon-trées et elle a répondu à mes questions sans rechigner. Mon père était un homme marié avec qui elle n’avait eu qu’une brève aven-ture. Elle ne m’a pas donné son nom et je ne le lui ai pas demandé. Tous ses enfants ont fini par lui être enlevés et sont dispersés dans le pays.

Si sa voix restait ferme et détachée, la légère crispation de son visage dut alerter Jacques Querruel sur sa souffrance soigneuse-ment dissimulée.

— Je suis vraiment désolé, Holly ! — Il ne faut pas. Tout cela fait désormais partie du passé. J’ai

survécu. Bien des gens sont plus malheureux que moi.

Le serveur arriva, portant deux coupes de cocktail. Il en déposa une devant Holly. Celle-ci le remercia d’un sourire lumineux qui transforma complètement son visage.

Mince ! pensa Jacques, il payerait cher pour être gratifié d’un tel sourire. De toute évidence, la jeune femme répugnait à parler d’elle, de sa naissance. Et elle ne semblait pas non plus éprouver de plaisir en sa compagnie.

Cette pensée le révulsa. Que lui arrivait-il ? Qu’éprouvait-il donc pour cette fille encore inconnue le matin même ? Du désir ? De la curiosité ? De l’attirance pour sa beauté naturelle sans la moindre sophistication ? Les trois, sans doute.

— A l’excellent repas et au vin fantastique que je viens de com-mander ! lança-t-il en levant sa coupe et en venant toquer contre la sienne.

Holly émit un rire cristallin. — C’est un peu de l’autosatisfaction de votre part, non ? — Pas du tout, car j’ai commandé ce repas pour votre plaisir. Il lui sourit et la jeune femme lui rendit enfin son sourire.

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— Alors, au repas et au vin ! dit-elle en levant sa coupe à son tour.

* * *

Le cocktail, délicieux, monta immédiatement à la tête à Holly. Elle ne buvait jamais d’alcool. Il allait lui falloir manger très vite, sinon…

— Nous sommes là pour parler travail, rappela-t-elle en repo-sant sa coupe.

Elle avait failli ajouter « monsieur Querruel » mais s’était abs-tenue. Pourtant, « Jacques » ne pouvait franchir ses lèvres.

— Plus tard, Holly ! Nous avons le temps. Vous devez tout d’abord vous détendre.

Se détendre ? C’était tout le contraire qui se produisait ! Mar-garet avait raison, jamais elle n’aurait dû accepter cette invitation.

— Je vous en prie, protesta son compagnon, arrêtez de me re-garder comme si j’étais le méchant loup et vous le Petit Chaperon rouge ! Parlez-moi plutôt de Mme Gibson et de votre appartement. Tous vos voisins sont-ils aussi colorés ?

— Je n’habite pas un appartement mais un minuscule studio, et Mme Gibson est une adorable vieille dame un peu excentrique pour laquelle j’ai beaucoup d’affection.

Dans l’ardeur qu’elle avait mise dans sa réponse, l’écharpe Ver-sace glissa, découvrant ses épaules et son décolleté.

Son vis-à-vis contempla le spectacle, apparemment fasciné. — Vous êtes vraiment très belle, Holly ! laissa-t-il échapper

d’une voix douce. Incapable de gérer autrement la situation, elle éclata de rire. — Ainsi, je vous amuse ! constata-t-il, visiblement blessé.

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Seigneur, elle se conduisait comme une idiote. — Non, vous vous trompez ! Je ne ris pas de vous mais de moi.

Dans cet univers qui n’est pas le mien, je me sens comme une poule qui a trouvé un couteau.

Elle lança un regard autour d’elle. — Tout est si magnifique ! La situation me semble totalement

irréelle. — Vous n’avez donc pas l’habitude d’être choyée, gâtée ? Votre

beauté, pourtant… Holly sentit la panique la submerger. Jacques Querruel était en

train de lui faire la cour. Jacques Querruel ! Rien, dans son passé, ne l’avait préparée à gérer pareille situa-

tion. Jusqu’alors, elle avait toujours réussi à tenir les hommes à distance. Quand ils devenaient trop entreprenants, comme Jeff Roberts, elle les giflait. Comment un homme pouvait-il s’arroger le droit de poser ses mains sur le corps d’une femme sans sa permis-sion ? Cette simple idée la révulsait. Elle lui rappelait…

Elle s’empara de sa coupe et la vida d’un trait. — Pourquoi n’avez-vous pas de petit ami, Holly ? Reposant sa coupe, elle affronta sans ciller le regard de Jacques

Querruel. — Parce que tel est mon choix. Avoir un petit ami n’est pas

obligatoire, n’est-ce pas ? De nombreuses femmes s’épanouissent dans le célibat.

En un geste de défi, elle rejeta ses cheveux en arrière. Elle se sentait tendue comme un arc, plus que jamais sur la défensive.

Jacques la regarda sans mot dire, d’une façon un peu trop at-tentive à son goût. Comment désamorcer sa curiosité, mainte-nant ?

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Comme le serveur leur apportait le menu, il commanda deux autres cocktails.

Elle s’apprêtait à protester mais y renonça. Jacques Querruel n’en faisait qu’à sa tête, de toute façon. Et puis, ce n’était pas tous les jours qu’elle avait l’occasion de boire du champagne.

Le serveur parti, elle examina le menu rédigé exclusivement en français.

— Je vous conseille la terrine au poivre vert en entrée, puis le saumon au coriandre, dit aussitôt son hôte. Faites-moi confiance.

Lui faire confiance ? Pour commander les plats, sans doute, mais pour le reste…

— Cela me paraît très bien. — C’est très bien ! Il commanda les plats dès le retour du serveur. — Depuis combien de temps n’avez-vous pas eu de flirt, Holly ? La question lui fit l’effet d’une morsure de serpent. Elle se re-

dressa de toute la hauteur de sa taille, prête à défendre son intimi-té. Qu’importait à ce type sa vie amoureuse ? Cela n’avait rien à voir avec le fait qu’elle accepte ou non de travailler dans son en-treprise. Toutefois, elle se décida à répondre pour en finir avec ce sujet.

— Jusqu’ici, je n’ai guère eu de temps pour flirter. — Vraiment ? — Vraiment. — Pourquoi, Holly ? Elle aurait bien voulu se lever, quitter cet endroit, rentrer chez

elle et se glisser sous sa couette, à l’abri, loin de tous. Mais cela ne se faisait pas quand on était invitée par son patron.

Elle affronta son regard.

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— Dès la fin de mes études secondaires, j’ai dû me trouver un travail pour payer mes études. Travailler et étudier en même temps ne laisse guère de temps pour les loisirs.

— Personne ne vous a aidée ? — Qui aurait pu le faire ? A dix-huit ans, il est temps de quitter

sa famille d’accueil et de voler de ses propres ailes. C’est tout au moins ma conception des choses. A vingt-trois ans, mes diplômes en poche, je me suis immédiatement mise en quête d’un travail. J’avais toujours rêvé de m’investir à temps plein dans une carrière. Le flirt ne m’intéresse guère.

Il la regarda longuement, dubitatif. — Mais, comme tout un chacun, vous avez dû avoir des aven-

tures amoureuses durant votre cursus universitaire. Allez, avouez-le, votre carnet de rendez-vous devait être bien rempli.

Le serveur arriva fort opportunément avec les entrées, évitant à Holly d’avoir à répondre.

Le serveur reparti, son élégant vis-à-vis porta la main à sa cra-vate.

— Me permettez-vous de la desserrer, Holly ? demanda-t-il. J’ai le plus grand mal à supporter cet instrument de torture.

Holly sourit. Elle pensait la même chose de ses escarpins mais se garda de l’avouer.

— Permission accordée. — Merci ! dit Jacques avec un soupir de soulagement. Sans plus tarder, il desserra sa cravate et déboutonna le pre-

mier bouton de sa chemise, laissant apercevoir un peu de peau tannée par le soleil.

Elle vida d’un trait son deuxième cocktail. Il allait lui falloir manger très vite, la tête lui tournait.

Fort heureusement, avec l’arrivée de la nourriture, son hôte changea de sujet et se montra convivial et même amusant.

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Dès les premières bouchées, elle éprouva an réel plaisir à dé-guster sa terrine. Quel changement, par rapport aux plats tout préparés réchauffés au micro-ondes ! Le deuxième mets se révéla tout aussi savoureux que le premier, puis Jacques traduisit pour elle la carte des desserts.

— La mousse au chocolat aux écorces d’orange me tente, tout comme le granité de fraises à la chantilly, avoua-t-elle. Je ne sais pas lequel choisir !

— Nous allons prendre les deux et partager. Holly ouvrit de grands yeux. Cette proposition induisait une in-

timité pour le moins troublante. — Je vais réussir à choisir ! — Pourquoi ? Faites-vous plaisir, Holly, ce n’est pas interdit. Comme le serveur se matérialisait à côté d’eux, il passa aussitôt

la commande. Holly prit alors conscience qu’elle se trouvait avec Jacques

Querruel depuis deux heures déjà et que pas un mot n’avait encore été prononcé à propos de l’offre d’emploi. Il était grand temps d’y revenir !

Elle but une gorgée de vin, s’essuya les lèvres, et s’apprêtait à ouvrir la bouche quand il la devança.

— Bien, je pense que le temps est venu de vous parler de ma proposition. Vous avez obtenu vos diplômes universitaires dans le textile, n’est-ce pas ? Alors, que faites-vous à taper des rapports dans un bureau ?

Holly se figea. Ainsi le moment crucial était arrivé ! — Aucun poste n’était libre dans ce domaine, expliqua-t-elle.

J’ai également obtenu un diplôme en bureautique et commerce. Ce poste auprès de la secrétaire de direction de votre filiale londo-nienne était provisoire. J’espérais pouvoir grimper les échelons et obtenir par la suite un poste plus en rapport avec mes compé-tences.

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— J’ai besoin d’un expert en textile pour compléter mon équipe de stylistes parisiens. Ils travaillent sur des produits de qualité qui doivent conquérir le marché américain et le reste du monde. Pour cela, Querruel International doit sans cesse innover, être à la pointe de la technologie. Comprenez-vous l’enjeu de ce qui vous attend ?

Elle opina de la tête, à court de mots. — Je vous propose de vous prendre à l’essai durant trois mois,

afin de voir comment vous vous intégrez à l’équipe. Tous mes collaborateurs sont avec moi depuis le début de l’aventure, et il m’importe que l’équipe reste soudée. Tous sont très qualifiés et fidèles aux valeurs défendues par l’entreprise.

Je n’accepterais pas une autre attitude. La rémunération est à la hauteur de l’enjeu.

Jacques Querruel annonça alors un montant si astronomique qu’elle fut heureuse d’être assise. C’était quatre fois supérieur à ce qu’elle gagnait actuellement !

— En retour, je demande que l’on travaille tard le soir si néces-saire. Pour moi, l’enthousiasme est préférable à l’expérience. Je ne vous demande pas d’être parfaite, seulement de donner à Querruel International la totalité de votre engagement.

Holly n’en croyait pas ses oreilles. Ce qui lui arrivait tenait du conte de fées. Elle aurait pu travailler toute une vie sans rencon-trer pareille opportunité.

— Alors, Holly, qu’en pensez-vous ? s’enquit-il, les yeux rivés sur son visage, tentant de deviner l’effet produit par ses paroles. Désirez-vous en savoir plus ?

— Oui, répondit-elle, les yeux brillant de mille étoiles. En fait, j’ai plus une seule et unique question : je commence quand ?

— Dès que vous serez en possession d’un passeport et que vous aurez réglé ce qui doit l’être avant de quitter l’Angleterre.

— Vous voulez dire…

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— Que ma proposition exige que vous veniez vivre à Paris. Paris ! Le conte de fées continuait. Qui était donc Jacques Querruel ? Merlin l’enchanteur ?

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3.

Le lendemain matin, Holly se réveilla au son de la pluie torren-tielle qui martelait ses vitres.

Sa nuit avait été agitée, elle n’avait cessé de se tourner et de se retourner dans son lit, les yeux grands ouverts. Compressée comme dans une boîte de sardines dans la rame de métro, prise en sandwich entre une énorme matrone munie d’une valise et une adolescente anorexique aux cheveux rouges et aux lèvres fardées de noir, elle se laissa aller en bâillant à ses pensées.

Le ciel bas et les rues ruisselantes de pluie étaient l’exacte anti-thèse du temps de la journée précédente. Preuve que des change-ments drastiques pouvaient intervenir en l’espace de seulement vingt-quatre heures ! Avant la journée d’hier, ses jours s’écoulaient paisiblement. Elle avait un travail, un toit. Certes son studio était minuscule, mais au fil des mois il était devenu pour elle un nid douillet. Pour la première fois, elle se sentait vraiment indépen-dante. Personne ne pénétrait chez elle qu’elle ne l’ait décidé. Et Dieu sait combien c’était réconfortant !

Elle tourna la tête et contempla son reflet dans la vitre sale de la rame. Aujourd’hui, elle nageait en pleine confusion.

Son avenir se montrait-il plus attractif ? La perspective d’aller s’installer à Paris était alléchante, mais elle ne diminuait en rien les risques représentés par Jacques Querruel. Au contraire, elle les accentuait.

La conduite du Français, la veille au soir, avait été exemplaire, elle devait le reconnaître. Il n’avait exercé sur elle aucune pression, promettant même de lui fournir d’excellentes références au cas où elle choisirait de rester en Angleterre pour s’y chercher un nouvel emploi.

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Le métro s’arrêta à une station. L’adolescente aux lèvres noires descendit, aussitôt remplacée par une horde de nouveaux passa-gers.

Holly détestait le métro à cette heure de la journée, les corps pressés les uns contre les autres, la chaleur, l’odeur âcre de la sueur, et pour corser le tout celle des vêtements et des cheveux mouillés. Elle s’efforça de ramener ses pensées à son futur.

La veille, le patron de Querruel International avait également proposé que, durant ses trois mois de période probatoire, l’entreprise prenne en charge le paiement du loyer de son studio en Angleterre. Difficile d’être plus honnête !

Alors, pourquoi hésitait-elle ? Tous ses amis penseraient qu’une telle proposition ne se refusait pas, et ils auraient raison.

Mais aucun d’eux ne connaissait Jacques Querruel ! Comme elle laissait échapper un profond soupir, elle leva les

yeux et rencontra ceux de la matrone fixés sur elle. Seigneur, elle allait croire que ce soupir la désignait comme la cause de ses maux ! Elle tenta un sourire mais ne réussit qu’une grimace.

Fort heureusement, le métro s’arrêta à sa station. Infiniment soulagée, elle put enfin s’extirper de la boîte de sardines.

Les bureaux de Querruel International se trouvaient à quelques minutes de marche de la bouche de métro, le temps pour son es-tomac de se contracter en plusieurs nœuds.

Pourquoi une telle réaction à l’idée de se retrouver devant le grand patron ? Hier soir, il n’avait eu aucun geste déplacé. A quoi s’était-elle donc attendue ? A ce qu’il l’emmène dans son lit ? En-core eût-il fallu qu’il en ait le désir, ce qui n’était de toute évidence pas le cas.

Il lui avait proposé de travailler dans son équipe, tout simple-ment. De n’être rien d’autre qu’une de ses employées. Sans l’incident survenu avec Jeff Roberts, jamais il ne l’aurait remar-quée parmi le personnel féminin de l’établissement.

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Oui, mais il était séduisant, sexy, charismatique. Un homme à fuir absolument !

C’était ce qu’elle faisait avec tous les hommes qui croisaient son chemin, alors où était le problème ?

Jacques Querruel était unique, là était le problème. Il ne ren-trait dans aucune case. Elle éprouvait la plus grande difficulté à cerner sa personnalité. Au moins, avec Jeff Roberts, les choses étaient claires. Elle n’avait aucun mal à deviner ses intentions et à les rejeter…

Parvenue sur les marches du perron de l’entreprise, elle s’arrêta malgré la pluie. Elle ne voulait surtout pas le revoir. Alors pourquoi des frissons d’excitation la parcouraient-ils ?

Une fois dans le hall, elle appuya sur le bouton d’appel et s’engouffra dans l’ascenseur.

Seule face au miroir, elle vérifia l’état de sa coiffure et de son mascara. Celui-ci n’avait pas coulé, mais elle éprouva un choc à la vue de la lumière qui brillait dans ses yeux. Consciente de l’onde de chaleur qui montait de ses reins, elle jura entre ses dents. Sei-gneur, que lui arrivait-il ? Cet homme n’avait tout de même pas tous les pouvoirs !

Non ! La réponse à l’offre d’emploi proposée devait être non, c’était l’évidence.

Travailler dans l’équipe de ce play-boy serait bien trop déstabi-lisant. Les autres femmes pouvaient bien lui tomber toutes dans les bras, ce ne serait pas son cas.

Quand l’ascenseur s’arrêta, elle fit ce qu’elle faisait tous les ma-tins : elle se redressa, carra les épaules, releva le menton et sortit, bien à l’abri derrière l’armure patiemment construite.

La soirée d’hier avait été un conte de fées, elle avait eu la tête dans les étoiles. Aujourd’hui, elle reprenait pied dans la réalité. Elle allait décliner poliment mais fermement l’offre d’emploi du Français. Elle n’avait qu’à quitter Querruel International et se trouver un nouveau travail. Cela ne l’effrayait pas. Elle reprendrait

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contact avec l’agence d’intérim qui gérait son dossier. Elle le ferait le week-end prochain. Non, ce soir même !

Saisie d’une nouvelle détermination, elle sortit de l’ascenseur, prit le couloir de gauche et… se retrouva dans les bras de Jacques Querruel.

Totalement absorbée par ses pensées, elle avait agi comme un automate sans regarder où elle allait. Il était trop tard pour le regretter. Des bras puissants et musclés s’étaient refermés sur elle, et le parfum épicé d’une eau de toilette reconnaissable entre toutes lui titillait les narines.

— Bonjour, Holly, où donc allez-vous si vite ? demanda Jacques, visiblement amusé.

— Je… je suis vraiment désolée, monsieur Querruel ! balbutia-t-elle, le rouge aux joues.

Perchée sur ses escarpins à talons qui lui faisaient les chevilles fines mais se révélaient dangereux pour l’équilibre, elle se serait probablement étalée sur la moquette s’il ne l’avait retenue.

Ce matin, elle avait apporté un soin tout particulier à sa tenue. Elle portait son tout dernier achat en date, un tailleur crème pour lequel elle avait eu un coup de cœur. La coupe lui affinait la taille et la jupe laissait voir ses genoux.

Plus élégant et séduisant que jamais, Jacques portait le même costume gris que la veille mais avec une cravate et une chemise différentes.

— Hier soir, nous avons décidé que vous n’appelleriez Jacques, lui rappela-t-il.

Il la tenait toujours dans ses bras, palpitante, les yeux rivés aux siens.

— Nous… nous étions alors loin du bureau. — Et alors ? Cette décision vaut pour tous les endroits où nous

nous trouverons dorénavant. Je tiens beaucoup à ce que vous m’appeliez par mon prénom.

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— Que vont penser les autres ? Il se pencha pour ramasser les feuilles du dossier que leur colli-

sion avait éparpillées sur la moquette. — Ce qu’ils veulent. Je suis le patron, non ? — Si, bien sûr, mais… — Il n’y a pas de mais, Holly ! Jamais je n’ai permis à qui-

conque de me dicter ma conduite. Se relevant, il lui sourit. — Mon père avait pour habitude d’affirmer qu’étant donné ma

nature, je finirais en prison ou gouvernerais le monde. — « Le monde » ! — Il exagérait un peu, j’en conviens. Mais, tout comme ma

mère, il est assez fier de moi aujourd’hui. — Je n’en doute pas. — J’ai deux sœurs plus jeunes. Je me sens responsable de leur

avenir et veille à ce qu’elles ne fassent pas de bêtises. Holly esquissa un sourire. Dans le rôle du grand frère protec-

teur, il devait être tyrannique. — Il est temps que je rejoigne Margaret, dit-elle. — D’accord, mais je vous en prie, regardez devant vous et es-

sayez de ne plus renverser personne ! Sur ces mots, il tourna les talons et disparut au bout du couloir.

Holly resta un instant figée sur place, encore sous le choc. Jacques ne lui avait rien demandé quant à sa décision, sans

doute le lieu ne s’y prêtait-il pas. La veille, il l’avait informée qu’il quitterait les bureaux en mi-

lieu d’après-midi pour regagner la France. Elle lui donnerait donc sa réponse définitive en fin de matinée.

A peine avait-elle regagné son bureau que Margaret surgit.

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— Bonjour, Holly ! Racontez-moi vite. Comment ça s’est passé, hier soir ?

La très sage et très conventionnelle secrétaire de direction mourait visiblement de curiosité.

Holly éclata de rire. — Laissez-moi au moins me débarrasser de ma veste, Marga-

ret ! — M. Querruel a déposé une enveloppe sur votre bureau, an-

nonça la secrétaire. Il a dit que c’était au sujet de votre entretien d’hier soir.

— Il m’a offert un poste d’ingénieur textile dans son équipe pa-risienne, expliqua Holly. Ce poste correspond très exactement aux études que j’ai faites, mais…

— Il n’y a pas de mais, Holly, vous n’y pensez pas ! Acceptez immédiatement avant qu’il ne change d’avis. J’en connais qui seraient prêtes à tout laisser tomber pour rejoindre son équipe. Il ne prend que les meilleurs. Comment pouvez-vous hésiter une seconde ?

— Mais, Margaret, c’est vous-même, hier soir, qui me sommiez de faire attention.

— Je croyais qu’il avait d’autres intentions, mais aujourd’hui c’est différent ! S’il vous a offert de rejoindre son équipe, c’est qu’il n’est pas intéressé par vos charmes. Jacques Querruel est connu pour ne pas mélanger travail et plaisir.

La nouvelle était bonne, excellente, même. Alors, pourquoi son estomac se contractait-il ?

Une sonnerie retentit dans le bureau de Margaret, qui fit la grimace.

— M. Roberts est d’une humeur exécrable. Gardez profil bas si vous le rencontrez, Holly. Heureusement, il ne sera pas au bureau cet après-midi. Nous pourrons respirer.

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* * *

Restée seule, Holly s’empara de l’épaisse enveloppe déposée sur son bureau.

Elle ne perdrait rien en l’ouvrant, n’est-ce pas ? Lire son conte-nu ne signifiait nullement qu’elle l’acceptait.

Quinze minutes plus tard, elle se trouvait dans un état d’esprit radicalement différent.

Et pour cause ! Le poste minutieusement décrit était terrible-ment excitant, intéressant, et assorti d’un salaire avec un bonus plus élevé encore que celui annoncé la veille.

Querruel International s’engageait non seulement à lui trouver un appartement pour la loger durant la période probatoire, mais également à en payer le loyer. Elle n’avait donc réellement rien à perdre et tout à gagner. De plus, d’après Margaret, Jacques Quer-ruel n’était pas intéressé par ses charmes. Une affirmation à la-quelle elle était prête à souscrire.

Le Français l’ayant informée qu’il quitterait l’entreprise pour Paris en milieu d’après-midi, quelle ne fut pas sa surprise quand, à 11 heures, il apparut dans le chambranle de sa porte, tout habillé de cuir, prêt à chevaucher sa Harley-Davidson.

— Je dois quitter l’Angleterre plus tôt que prévu, annonça-t-il tout de go.

— Oh ! J’ai lu attentivement les documents que vous aviez dé-posés à mon intention et… j’accepte votre offre, monsieur Quer-ruel.

— Parfait. Mais je vous avertis, tous les membres de l’équipe, à Paris, m’appellent Jacques. Vous allez paraître ridicule de m’appeler autrement.

— Mais, je…

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— Vous prenez le poste mais détestez l’idée de travailler avec moi, n’est-ce pas ?

— C’est ridicule ! — Non, c’est la vérité. Pourtant, je ne suis pas le grand méchant

loup, Holly. J’ai besoin d’un ingénieur textile, vous semblez cor-respondre au profil recherché. Je vais aviser Chantal Deschamps, ma secrétaire, de s’occuper des arrangements nécessaires pour votre venue. Soyez prête à quitter l’Angleterre dans quinze jours. Chantal se mettra en contact avec vous dès demain. Au revoir, Holly.

Elle leva la main. Les choses allaient vraiment trop vite pour elle !

— Attendez ! Où vais-je loger à mon arrivée à Paris ? Et qu’en est-il de mon rapport sur le comportement de Jeff Roberts à mon égard ?

— Ne vous inquiétez pas, Chantal sera en charge de tous ces problèmes, et on peut compter sur son efficacité pour les régler au mieux.

Déjà il se détournait, sans doute absorbé par les problèmes qui le rappelaient à Paris.

— Au revoir, monsieur Querruel, et bon voyage. Il se retourna. — Jacques, Holly, je m’appelle Jacques ! Je ne reviens pas à

Londres avant votre venue à Paris. Si vous désirez me joindre avant, n’hésitez pas à m’appeler au bureau. Chantal sait toujours où me joindre. Je vous ai également laissé mes numéros de télé-phone personnels. Celui de l’appartement et celui du château. Monique, ma gouvernante, vous répondra en mon absence.

— Je n’aurai pas à vous déranger, j’en suis certaine, mons… pardon, Jacques.

Il sourit.

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— Vous ferez tout pour ne pas avoir à le faire, j’en suis convain-cu. Vous avez pris la bonne décision, Holly. Elle va vous permettre de vous réaliser. A Paris, vous allez découvrir qui vous êtes vrai-ment.

Elle arqua les sourcils. — Je sais qui je suis. J’ai recueilli l’en semble des informations

concernant ma naissance. — Je ne faisais pas référence au début de votre vie, Holly ! Au

revoir et à très bientôt, conclut-il avant de sortir du bureau et de fermer la porte derrière lui.

Holly resta un long moment immobile, son regard rivé sur la porte fermée puis, le cœur battant à tout rompre, elle se précipita à la fenêtre.

Jusqu’alors, elle avait déploré que la seule vue de son bureau soit le parking de l’entreprise. Dans l’instant, elle était heureuse qu’il en soit ainsi. Après quelques minutes d’attente, elle fut ré-compensée en voyant Jacques Querruel s’approcher de sa moto, un monstre noir et argent. Il l’enfourcha, mit son casque et démar-ra.

Elle le vit se courber en avant et faire corps avec sa monture avant de disparaître à sa vue.

« A très bientôt », avait-il lancé avant de la quitter. Elle avait accepté le poste ! C’était une pure folie, elle le savait, et pourtant elle avait dit oui.

Assise devant une pile de dossiers à traiter, elle n’avait guère le cœur à l’ouvrage.

Jacques Querruel l’avait accusée d’être attirée par le poste mais de détester l’idée de travailler à ses côtés. Il avait raison. Non qu’elle craigne les patrons autoritaires, dynamiques, exigeants. Elle en avait déjà pratiqué quelques-uns, mais aucun n’avait pro-duit sur elle cet effet.

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La force d’attraction qu’elle ressentait dans chaque fibre de son corps pour le Français la paniquait. Non, il ne fallait pas qu’elle rejoigne son équipe, ce serait trop difficile à gérer, elle ne suppor-terait pas qu’il…

Elle ferma les yeux, les souvenirs enfouis refaisant surface. Elle avait huit ans. Le chagrin, la terreur la submergeaient à l’idée de quitter la famille d’accueil qui l’avait recueillie.

Dès le départ, elle avait éprouvé une réelle affection pour Kate et Angus West et considéré les autres enfants de la famille comme ses frères et sœurs. Mais le malheur s’était abattu sur eux. Le mé-decin avait diagnostiqué un cancer chez Angus, et Kate n’avait pas supporté la nouvelle. Elle s’en était allée, terrassée par une crise cardiaque, et la famille si unie avait dû être dispersée.

La famille suivante, chez David et Cassie Kirby ; avait été fort différente. « Holly a du mal à s’adapter au changement ! » dia-gnostiquaient les travailleurs sociaux et les enseignants devant son attitude de rejet. Comme ils se trompaient ! Ce n’était pas le chan-gement qu’elle rejetait, c’était…

Elle réussit à maîtriser la nausée qui lui venait aux lèvres. Personne n’avait compris ce qui se passait. La maison de David

et Cassie, luxueuse, possédait six chambres, quatre salles de bains, une piscine. Elle avait sa propre chambre, portait de beaux habits, prenait des leçons de piano et d’équitation.

« Que te faut-il de plus, Holly ? Christina et John, également accueillis par cette famille, ne se plaignent pas, eux. Tu as bien de la chance d’avoir trouvé une telle famille d’accueil ! »

A l’écoute de ces phrases entendues à longueur de journée, elle se révoltait de plus belle. Elle ne supportait pas la manière dont David la faisait asseoir sur ses genoux, la caressait, lui donnait des baisers, l’appelant sa « petite princesse ». Elle n’avait que huit ans mais devinait intuitivement que cette relation était malsaine.

Ce soir-là, elle n’avait tout d’abord pas compris ce que David venait faire dans sa chambre. Il le faisait souvent, pour vérifier

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qu’elle avait bien fait ses devoirs, disait-il. Mais, cette fois-là, ses caresses s’étaient faites plus précises. Paniquée, elle avait résisté à ses suppliques puis à ses menaces. Mais il était tellement plus fort qu’elle ! Elle n’avait échappé au viol qu’en réussissant à mordre au sang la main qu’il tenait sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Finalement, il était parti en l’enfermant à double tour dans sa chambre. Ses cris et ses pleurs n’avaient nullement ému Cassie. Pour celle-ci, elle n’était qu’une enfant difficile et capricieuse.

Les jours qui suivirent, Holly comprit la toute-puissance de David. Le monstre obligea les deux autres enfants à témoigner contre elle auprès des travailleurs sociaux : elle ne cessait de les importuner, de détruire leurs jouets, de déchirer leurs vêtements et leurs cahiers. Aux éducateurs, David montra des objets préten-dument volés dans les magasins du voisinage et cachés dans sa chambre. Ça ne pouvait plus durer, elle devenait ingouvernable, elle devait quitter la maison pour le bien des autres enfants ! Ni les enfants ni Cassie ne vinrent à son secours.

C’est ainsi qu’elle devint une « enfant à problèmes », si terrifiée par les menaces de David Kirby qu’elle n’osa parler à quiconque des attouchements subis.

La vie dans la famille d’accueil suivante se révéla catastro-phique dès les premiers jours. Comment aurait-il pu en être au-trement ? Elle était devenue une enfant révoltée, écorchée vive, ne faisant plus confiance à personne. Allergique à toute marque d’affection, elle passait de famille d’accueil en famille d’accueil sans trouver la paix.

Avec le recul, elle avait conscience que bien des adultes avaient cherché à l’aider sans y parvenir. Mais le traumatisme subi avait fait d’elle une rebelle à vie.

Mais elle avait survécu ! Et elle avait fini par collecter un cer-tain nombre d’amis chemin faisant : Mme Gibson et ses chats, M. Bateman, le vieux monsieur du dernier étage qui se consumait d’amour pour Mme Gibson, et surtout James et Lucy Holden.

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James était un de ses professeurs à l’université. Un jour, il l’avait découverte en pleurs dans la bibliothèque. Elle voulait mou-rir et le lui avait dit. Sans hésiter, il l’avait ramenée chez lui.

Lucie, sa femme, infirmière, avait pris un congé et était restée auprès d’elle durant des jours. Avec une patience infinie, elle l’avait dorlotée et finalement réconciliée avec la vie. James lui avait également apporté un appui indéfectible, regardant en sa compagnie les séries B et la faisant rire avec ses blagues.

Grâce à cette amitié sans faille, elle était sortie de la dépression dans laquelle elle s’enfonçait, avait pu reprendre ses cours à l’université et passer avec succès ses examens.

James et Lucy étaient devenus ses amis pour la vie, sa famille. Elle était la marraine de leur fille, Melanie Anne.

Quelques mois après son séjour chez James et Lucie, une lettre de Christina, l’autre fille recueillie par le couple Kirby, lui avait appris la mort de David. Christina disait avoir retrouvé son adresse auprès des services sociaux. Elle voulait lui faire part de la triste fin de leur tourmenteur. Celui-ci avait été acculé au suicide par la plainte déposée contre lui par une adolescente du centre équestre. Désormais plus âgés, Christina et John avaient alors témoigné eux-mêmes des attouchements subis. Kirby avait échap-pé à la prison en s’injectant une overdose de morphine. Ainsi, jamais plus l’odieux individu ne ferait du mal à qui que ce soit.

Holly regarda ses mains. Elles tremblaient. Pourquoi tous ces souvenirs refaisaient-ils surface aujourd’hui ?

Allons, se morigéna-t-elle, cela faisait partie du passé. Au-jourd’hui, elle n’était plus une enfant mais une adulte capable de se défendre, elle l’avait prouvé avec Jeff Roberts.

Mais était-elle année pour combattre la terrible attraction qu’exerçait sur elle le trop séduisant Jacques Querruel ?

Ce dernier était la quintessence de tout ce que, normalement, elle détestait chez un homme. Il était beau, riche, impitoyable et

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ne rendait de comptes à personne. Il imposait ses règles à tous… Mais Dieu merci, il ne l’intimidait pas, elle n’avait pas peur de lui !

Il serait son employeur et rien d’autre. Elle lui offrirait sa capa-cité de travail, mais s’il croyait avoir également prise sur son âme, il se trompait.

Personne ne la forcerait à faire ce qu’elle ne voulait pas.

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4.

Le voyage en avion en classe affaires parut à Holly court et en-chanteur. Comment aurait-il pu en être autrement ? Tout était si parfait ! pensa-t-elle tandis qu’elle attendait dans l’immense hall d’un des terminaux de Roissy qu’on vienne la chercher.

A Londres, deux heures avant l’heure de départ de l’avion, un taxi était venu se ranger devant le trottoir de son immeuble pour la conduire à l’aéroport d’Heathrow. « Payé d’avance, avec un pour-boire royal ! » avait déclaré le chauffeur au moment de régler la course, un large sourire aux lèvres.

La très efficace Chantal avait visiblement pensé à tout. — A votre arrivée, un chauffeur viendra vous chercher à

l’aéroport pour vous conduire à votre appartement, lui avait expli-qué cette dernière au téléphone. Vous pourrez y laisser vos ba-gages et vous rafraîchir. Vous serez ensuite escortée jusqu’au bu-reau pour y être présentée au reste de l’équipe.

Le tout avait été confirmé par lettre. Réglé comme du papier à musique, le voyage s’était donc passé sans incident. Ce qui était plutôt rassurant pour l’avenir.

Rassurée, Holly avait sérieusement besoin de l’être ! Durant les quinze derniers jours, elle avait vécu un enfer, oscil-

lant constamment entre deux certitudes : celle d’avoir pris la bonne décision et celle d’être en train de commettre une erreur monstrueuse. Fiévreuses, tourmentées, agitées, telles avaient été ses nuits depuis la mirobolante proposition du Français. Résultat, elle se réveillait le matin plus fatiguée que la veille.

Mais finalement, en dépit de tous les avertissements émis par sa raison, elle était là à attendre dans l’un des terminaux de Rois-sy-Charles-de-Gaulle.

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Elle contempla les deux énormes valises à ses pieds. Elles con-tenaient l’ensemble de ses biens.

Avec Michael Roberts qui ignorait désormais son existence et son fils qui avait engagé les services d’un des meilleurs avocats de Londres, elle n’était pas fâchée de quitter l’Angleterre. Cependant, grâce aux informations fournies par Margaret, elle savait que Jacques Querruel avait averti Michael Roberts : plusieurs jeunes femmes de l’entreprise étaient prêtes à venir témoigner à la barre de harcèlements subis. Elle doutait donc que l’affaire aille en jus-tice.

— Le patron préférera certainement étouffer l’affaire et nous débarrasser définitivement de la présence de son fils, avait déclaré Margaret non sans pertinence. Cette fois, Jeff va devoir se trouver du travail et gagner sa vie, ce qui ne lui fera pas de mal.

Qu’il aille au diable, pensa Holly, ce triste épisode lui donnant encore la nausée. Mais sa présente situation était-elle plus en-viable ? Pas sûr. Pourvu qu’elle ne soit pas tombée de Charybde en Scylla !

A l’évidence, travailler en France ne serait pas une sinécure. Elle ne possédait que les rudiments de la langue française, maigres souvenirs de l’école, elle ne connaissait personne à Paris et igno-rait si elle possédait les compétences nécessaires pour le poste proposé. Mais le problème le plus important, inutile de le nier, restait d’avoir à travailler aux côtés de Jacques Querruel.

Au moment même où cette pensée lui venait à l’esprit, ses yeux furent irrésistiblement attirés par un homme qui se dirigeait vers elle, fendant la foule. Un homme reconnaissable entre tous.

Jacques Querruel, plus grand, plus séduisant, plus charisma-tique encore que dans ses souvenirs !

Elle le regarda s’avancer, fascinée. Il portait un jean et une chemise bleu nuit. Plus d’une femme se

retournait sur son passage.

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— Bonjour, Holly ! lança-t-il. J’espère que vous avez fait bon voyage.

Que faisait le grand patron de Querruel International dans cet aéroport ? Il n’était tout de même pas venu la chercher en per-sonne ?

— Je… euh… votre secrétaire m’avait informée qu’un chauffeur viendrait me chercher avec une voiture, je ne pensais pas que…

— La voiture est garée devant l’entrée, et le chauffeur est de-vant vous.

Comme il faisait un signe impératif de la main, un porteur se précipita pour saisir ses bagages.

— Quittons cet endroit bruyant, dit-il. Il n’est guère propice à la conversation.

Et, sans plus attendre, il s’empara de son bras. Holly le suivit, son cœur battant à tout rompre. Pas une seconde elle n’avait imaginé que Jacques Querruel

viendrait en personne la chercher à l’aéroport. N’avait-il rien de mieux à faire ? La tête lui tournait. Le lumineux soleil de mai, haut dans un ciel bleu sans nuage, la foule bigarrée, la chaleur de ce corps viril contre le sien, l’odeur de son eau de toilette… Mille et une sensations l’assaillaient et la déstabilisaient.

Elle était à Paris, au bras de Jacques Querruel ! Le porteur déposa les valises dans le coffre d’une somptueuse

Jaguar gris métallisé et elle se retrouva bientôt installée dans le siège passager qui fleurait bon le cuir. Tandis que Jacques se glis-sait derrière le volant, elle se demanda, effarée, si ce n’était pas un rêve et si elle n’allait pas se réveiller.

Le feulement du moteur lui sembla toutefois bien réel. — Je n’étais pas certain que vous viendriez, avoua son compa-

gnon tandis que le bolide quittait l’aéroport pour s’engager sur l’autoroute menant à la capitale.

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Surprise, elle tourna la tête vers lui. Il tourna la tête vers elle. L’espace d’un instant, leurs regards se soudèrent.

— J’avais dit que je viendrais. — C’est vrai. Il concentra de nouveau son attention sur la route. — J’adore Paris au mois de mai, annonça-t-il. C’est le meilleur

mois pour découvrir la ville de l’amour ! Holly frémit de tout son être. Pas question de se laisser entraî-

ner sur ce terrain. — Qu’est-ce qu’une ville, sinon des immeubles, des rues, de la

circulation, de la pollution ? rétorqua-t-elle, glaciale. Les villes se ressemblent toutes.

— Non, Holly ! Paris possède une magie qui fascine tous ceux qui l’approchent. La ville déchaîne l’enthousiasme, la passion. C’est la ville des Champs-Elysées, de l’Arc de triomphe, de Mont-martre, de Notre-Dame de Paris, des ponts sur la Seine, des arts, de la mode, de la gastronomie…

— Eh bien, quel enthousiasme ! s’exclama-t-elle, surprise. — Vous deviendrez aussi enthousiaste que je le suis, j’en suis

certain ! Je vous servirai de guide. Car pour aimer Paris, il faut flâner le long de ses rues, sentir la vie, l’énergie qui l’habitent. Pas seulement celles d’aujourd’hui, mais également celles du passé, Chaque rue témoigne de sa richesse. Un arbre planté par Victor Hugo boulevard Raspail, une porte dans le quartier de Belleville devant laquelle est née Edith Piaf, les pavés du boulevard Saint-Michel devenus célèbres en 1968, le zouave du pont de l’Alma, témoin de la montée des eaux de la Seine…

— Si vous aimez autant Paris, pourquoi avoir un château loin de la ville ?

— Pas si loin que ça ! Et je possède un appartement dans la ca-pitale, non loin de mon bureau, dans lequel j’ai beaucoup de plai-

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sir à rester certains soirs. Quant à mes parents et mes sœurs, ils habitent le Quartier latin.

— Est-ce là où vous êtes né ? demanda Holly. La rumeur courait dans les bureaux de Londres qu’il était issu

des quartiers pauvres de la capitale. — Je suis né dans un immeuble délabré, non loin de celui où

habitent mes parents aujourd’hui. Nous étions pauvres, à l’époque. Cela me semble si loin ! Lorsque Querruel International a prospé-ré, j’ai voulu acheter une belle maison à la campagne à mes pa-rents. Ils ont refusé. Ils aiment trop leur quartier, ils y ont leurs habitudes. Tous les jours, mon père retrouve ses amis au jardin du Luxembourg pour une partie de pétanque. Pour rien au monde il ne voudrait aller habiter ailleurs. J’ai eu la chance de leur dénicher une petite maison avec jardin non loin du boulevard Saint-Germain. Ma mère peut enfin cultiver ses fleurs, son rêve de tou-jours. Tous deux sont heureux, ce qui m’importe plus que tout.

Holly éprouvait toutes les difficultés du monde à cacher son émotion. De toute évidence, Jacques éprouvait une profonde affec-tion pour ses parents, et cela lui rappelait combien une vraie fa-mille lui manquait cruellement. Elle s’empressa de changer de sujet.

— Inutile de passer par l’appartement avant de nous rendre à Querruel International, lança-t-elle. Plus vite je serai dans les lieux, mieux ce sera. Je suis impatiente de me mettre au travail.

— Nous suivrons au contraire l’ordre prévu, rétorqua-t-il. Nous passerons tout d’abord à l’appartement où vous déposerez vos bagages. Après quoi nous prendrons le temps de déjeuner.

Je ne suis pas le bourreau de travail que vous semblez imagi-ner, Holly !

— Nous déjeunerons avec l’équipe ? Il fit une légère pause avant de lancer, péremptoire : — Non.

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Elle aurait voulu plus d’explications, mais l’attention de son chauffeur était maintenant absorbée par la conduite. Parvenus à l’une des portes de la ville, ils se trouvaient au cœur d’un sérieux embouteillage. Les conducteurs des autres véhicules s’invectivaient copieusement, et un agent de la circulation tentait de ramener un semblant d’ordre, le sifflet aux lèvres.

Le spectacle amena un sourire sur les lèvres de Holly. — Voilà qui est mieux ! s’exclama Jacques en lui lançant un re-

gard de côté. Vous souriez si rarement. Elle arqua ses sourcils. — Comment pouvez-vous dire ça ? Vous me connaissez si peu ! — C’est vrai, mais cela va changer dans les jours qui viennent. — J’ai hâte de rencontrer votre équipe. Jacques marmonna entre ses dents quelques mots qu’elle ne

comprit pas. Elle savait les bureaux de Querruel International installés sur

la rive droite de la Seine, réputée plus bourgeoise que la gauche. — Où se trouve mon appartement ? demanda-t-elle, curieuse. — A dix minutes de marche des bureaux. Le restaurant de

l’Etoile où nous allons déjeuner se trouve juste à côté. Vous serez donc à pied d’œuvre dès la fin du repas.

Elle perçut l’ironie derrière les mots et fut immédiatement sur la défensive. N’était-elle pas venue à Paris pour travailler ? Elle décida de ne plus ouvrir la bouche jusqu’à ce qu’ils parviennent à destination.

Son mutisme parut parfaitement convenir à son conducteur, qui se concentra pour déjouer les nœuds de la circulation. Il y parvint avec une aisance et une dextérité qu’elle ne put qu’admirer.

Comme elle baissait les yeux, elle prit conscience avec horreur que la jupe de son tailleur avait une fâcheuse tendance à remonter,

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découvrant ses genoux et même un peu de ses cuisses. Elle cher-cha aussitôt à la tirer, sans grand succès.

— Pour l’amour du ciel, Holly, cessez de remuer ainsi et déten-dez-vous !

— Pardon ? — Vous êtes comme une chatte sur un toit brûlant ! Que crai-

gnez-vous donc ? Que diable avez-vous entendu sur moi pour que je vous fasse peur à ce point ?

— Vous ne me faites pas peur, assura-t-elle crânement. — Vraiment ? Alors pourquoi vous battez-vous avec cette

pauvre jupe pour essayer de cacher vos genoux ? Que craignez-vous ? Que je pose ma main sur eux ?

— Pas du tout ! Je reconnais que je suis un peu nerveuse, mais c’est normal, non ? Je viens tout juste de débarquer dans un pays que je ne connais pas et dont je ne maîtrise pas la langue.

« Et mon patron, qui a pris l’initiative de venir me chercher à l’aéroport, est certainement l’homme le plus sexy et charismatique de la planète ! » ajouta-t-elle pour elle-même.

— Je peux comprendre votre nervosité, admit-il. Mais déten-dez-vous, je vous en prie, je ne suis pas Jeff Roberts !

Se tournant vers elle, il la gratifia d’un sourire qui se voulait rassurant mais qui lui mit le cœur en émoi.

Seigneur, regardait-il les femmes ainsi avant de leur faire l’amour ? se demanda-t-elle, le souffle court. Si c’était le cas, il leur était évidemment impossible de résister !

La Jaguar quitta un grand boulevard pour une rue plus calme, et bientôt, Jacques se gara devant un vaste immeuble de concep-tion moderne.

— Nous sommes arrivés ! déclara-t-il en arrêtant le moteur et en descendant du véhicule pour venir lui ouvrir la portière.

Holly éprouva quelques difficultés à s’extraire de son siège tant ses jambes étaient flageolantes. Ce trajet en voiture ne l’avait nul-

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lement rassurée sur sa décision. Bien au contraire, son incertitude était plus grande que jamais. Mais il était désormais trop tard pour revenir en arrière.

Dès qu’ils pénétrèrent dans l’immeuble, Jacques portant les va-lises, le concierge jaillit de derrière son bureau pour les saluer. D’après l’échange chaleureux qui s’ensuivit, il était clair que les deux hommes se connaissaient.

— Et voici Mlle Stanton, Pierre, dit Jacques. Puis, se tournant vers elle, il déclara : — Pierre parle un anglais parfait, il sera heureux de vous aider

en cas de problème. Holly sourit et tendit la main au concierge. — Bonjour, Pierre, je vais certainement avoir souvent besoin de

vos services, énonça-t-elle, fière d’utiliser les mots français qu’elle avait révisés avant de quitter l’Angleterre.

Pierre lui sourit en retour, le visage amical et chaleureux. — Bonjour, mademoiselle Stanton, je suis très heureux de faire

la connaissance de l’amie de M. Querruel. J’espère que vous vous plairez ici. N’hésitez pas à m’appeler en cas de besoin. Je sais à votre service.

— Merci. Jacques refusa l’offre du concierge de l’aider à porter les ba-

gages et la guida jusqu’à l’ascenseur. Ils montèrent jusqu’au cin-quième étage et sortirent dans un vaste couloir équipé d’une épaisse moquette qui étouffait le bruit de leurs pas. Jacques dépo-sa les valises devant une porte puis, glissant sa main dans une poche de son pantalon, en retira un trousseau de clés qu’il lui tendit.

— Voici les clés de votre nouveau royaume, Holly. L’une ouvre la porte d’entrée du bas, l’autre celle-ci. Il vous revient l’honneur de l’ouvrir.

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La porte ouverte, Holly pénétra dans une entrée donnant sur un salon de petite taille mais charmant. Il était admirablement proportionné, et un savant dosage de couleurs lui conférait un aspect chic de bon aloi. Nulle cloison ne fermait l’espace condui-sant à la salle à manger et dans la cuisine équipée à l’américaine. Une large baie vitrée ouvrait sur une terrasse ornée de fleurs et meublée d’une table et de chaises permettant d’y prendre un repas par beau temps. Elle offrait de plus une vue dégagée sur l’Arc de triomphe.

Pourvu que ce soit un présage positif ! L’appartement comprenait également une chambre et sa salle

de bains attenante. Le mobilier était simple, opérationnel et de bon goût. Un bouquet de roses ornait la table basse du salon, et une corbeille de fruits avait été déposée sur la table de la cuisine.

Par qui ? se demanda-t-elle. — Ma secrétaire est parfaite, énonça Jacques comme s’il lisait

dans ses pensées. Une de ses missions est de veiller à bien recevoir ceux qui nous arrivent de loin.

Pendant qu’Holly visitait l’appartement, Jacques était resté dans le salon, appuyé contre l’un des murs, les bras croisés, atten-dant son verdict.

— Vous aimez ? demanda-t-il comme celui-ci tardait à venir. — J’adore ! Il faudrait être vraiment difficile pour ne pas aimer

un tel endroit ! Mais je suis surprise. Je ne m’attendais pas à un tel luxe. La location de cet appartement doit coûter une petite fortune à Querruel International.

Il évita soigneusement le regard de la jeune femme. Il avait tout mis en œuvre afin qu’elle ne puisse pas refuser son offre. Avait-il exagéré ?

Il n’avait fait que ce qu’il fallait, se dit-il pour se rassurer. Elle ne maîtrisait pas la langue française et ne connaissait personne à

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Paris. En lui procurant un appartement entièrement sécurisé et agréable, il n’avait fait que son devoir d’employeur. Certes, comme elle l’avait deviné, le prix des appartements de cette qualité dans le quartier était astronomique. Il était bien placé pour le savoir puis-qu’il possédait l’appartement en terrasse au sommet de l’immeuble.

Relevant la tête, il surprit Holly en train de le dévisager. — Une petite fortune ? Oh, tout est relatif. Un appartement bon

marché peut se révéler une source inépuisable de problèmes et devenir à la longue très onéreux. Le système de sécurité dans cet immeuble est sans défaut. Les habitants ont leur propre clé de la porte d’entrée, mais Pierre voit tous ceux qui pénètrent dans l’immeuble et peut à tout moment bloquer la porte et l’accès au hall. De nos jours, de telles mesures de sécurité ne sont pas inu-tiles.

Holly le regarda droit dans les yeux. — Pour un chef d’Etat ou une personnalité politique peut-être,

mais pas pour moi, remarqua-t-elle, dubitative. Mais vous-même n’avez pas utilisé de clé pour entrer !

— En effet. Grâce à la caméra placée à l’extérieur, Pierre m’a vu approcher portant des valises et a ouvert sans que j’aie besoin d’utiliser votre clé… ou la mienne.

Prenant conscience de ce que l’information impliquait, Holly ouvrit grands ses yeux.

Anticipant sa question, il lança d’une voix détachée : — Mon propre appartement est situé au dernier étage de cet

immeuble. C’est la raison pour laquelle j’ai su que celui-ci était à louer. Le fait qu’il soit situé à proximité de Querruel International présente un énorme avantage.

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Holly n’en croyait pas ses oreilles. Elle allait vivre dans le même immeuble que Jacques Querruel ! Comment Margaret au-rait-elle réagi à cette information ?

— Avez-vous pensé à la manière dont les autres vont interpré-ter le fait que j’habite dans le même immeuble que vous ?

— « Les autres » ? — Oui, les autres ! Pourquoi jouait-il les innocents ? Il savait très exactement ce

qu’elle voulait dire. — Vous me faites venir d’Angleterre et vous me logez dans

votre immeuble, poursuivit-elle, véhémente. Il est facile d’imaginer ce que votre équipe va penser.

— Vous avez votre appartement et j’ai le mien, il n’y a rien d’autre à dire.

— Vous savez aussi bien que moi comment naissent les ru-meurs. Les gens adorent parler.

— Pas sur moi, Holly ! En une fraction de seconde, il avait abandonné le ton complice

et amical pour celui du patron froid et autoritaire. — Pas s’ils tiennent à conserver leur emploi ! précisa-t-il. — Ils ne le feront pas devant vous. Mais ils vont parler, j’en suis

certaine. — Et cela vous ennuie ? Accorderiez-vous de l’importance à ce

qui n’en a pas ? Vous me décevez, Holly ! Ces craintes ne sont pas dignes de la jeune femme qui a affronté le fils du patron et a osé rédiger un rapport dénonçant son ignoble conduite. Cette femme ne peut se laisser déstabiliser par une rumeur non fondée.

— Je ne pense pas que… — Parfait ! Dans cette affaire, laissez-moi penser à votre place. Il s’empara de son bras.

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— Je meurs de faim. Je propose donc que nous allions discuter de tout cela devant une bonne table. Mais peut-être désirez-vous vous rafraîchir un peu d’abord ?

Cet homme était d’une arrogance incroyable. Sans doute était-il habitué à ce qu’on lui obéisse au doigt et à l’œil, quels que soient ses plans ? Eh bien, il allait être surpris. Elle ne mangeait pas de ce pain-là ! Cependant, elle s’était levée tôt, n’avait pris qu’un frugal petit déjeuner, et elle avait faim, elle aussi.

Libérant son bras, elle s’empara de son sac et se dirigea vers la salle de bains.

— J’en ai pour une minute, lança-t-elle en refermant la porte derrière elle.

Finalement, ce déjeuner en tête à tête avec Jacques n’était pas une mauvaise idée. Il allait lui permettre de mettre les points sur les i. Elle avait accepté de venir à Paris pour faire partie de son équipe de travail, pas pour allonger la liste de ses maîtresses.

Le restaurant de l’Etoile, construit en rond autour d’un jardin intérieur, ne manquait pas de charme. De larges baies vitrées glissant sur le côté permettaient de profiter des rayons du soleil. Le menu rédigé en français et en anglais offrait un large choix.

Holly choisit une salade niçoise, un poulet à l’estragon et un carpaccio d’ananas.

Malgré la beauté du lieu et la qualité des mets, elle ne parvint pas à se détendre. Déjeuner en face de Jacques Querruel se révé-lait une terrible épreuve pour les nerfs, tout son corps réagissant à sa présence. Elle ignorait tout de la manière dont les chefs d’entreprise français traitaient leurs employés, mais cela ne devait guère différer de celle des patrons anglais. Or, la conduite de Jacques Querruel ne cadrait pas avec le protocole habituel.

Il ne flirtait pas vraiment avec elle mais la traitait comme son égale, c’est-à-dire fort différemment de ce qu’il aurait dû faire avec une personne venant d’être engagée dans son équipe. Etait-elle en

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train de devenir paranoïaque ? Etait-il dans les habitudes du Fran-çais de se comporter ainsi avec l’ensemble de ses collaborateurs ?

Hélas, il n’était pas seul en cause. Elle-même portait une lourde responsabilité quant au côté ambigu de la situation. Car elle n’était pas insensible à son charme, bien au contraire. Cet homme l’attirait comme un aimant. Dès qu’il s’approchait d’elle, son corps lui jouait des tours. Son cœur battait une folle sarabande, son pouls s’accélérait, une onde de chaleur montait de ses reins. Sa carapace patiemment construite ne la protégeait guère. Elle croyait avoir acquis une parfaite immunité au charme masculin, mais il n’en était rien. Jacques Querruel représentait un réel dan-ger pour son équilibre.

— Tout va bien se passer, Holly. Ils savouraient un excellent café lorsque, après un long silence,

Jacques prononça cette phrase. Elle leva la tête, les sourcils en arc de cercle. Que signifiait

exactement ces paroles ? — Vous êtes inquiète et je le comprends, poursuivit-il. Mais

vous n’avez aucune inquiétude à avoir. Les membres de l’équipe que vous allez rejoindre sont éminemment sympathiques. Vous allez très bien vous entendre avec eux.

— Je l’espère. — Tout comme vous allez bientôt le faire avec moi. Sur ce point précis, elle entretenait de sérieux doutes. — Peut-être, finit-elle par concéder après quelques secondes

d’hésitation. — Que faut-il faire pour briser la carapace que vous vous êtes

construite, Holly ? Elle était déjà sérieusement endommagée, songea-t-elle, fata-

liste. Sans attendre une réponse qui ne serait de toute façon jamais

venue, Jacques appela le serveur, paya l’addition et se leva.

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— Il est temps de rejoindre les autres, annonça-t-il. Holly se leva à son tour et le suivit. Elle eut tout le loisir de

l’observer tandis que, lui ayant ouvert la portière de la Jaguar afin qu’elle y prenne place, il faisait le tour du véhicule pour s’installer au volant.

Comment faisait-il pour être toujours si parfaitement maître de lui-même ?

— Et, maintenant, dit-il en faisant vrombir le moteur, en route pour l’épreuve finale : la présentation à l’équipe ! Laissez-moi vous donner les noms de ceux que vous allez rencontrer, ajouta-t-il, la rassurant d’un sourire. Tout d’abord, Gérard Bousquet, le respon-sable de l’atelier de production. Vous aurez très souvent affaire à lui et à Jean-Pierre Delbouis, son assistant. Vous avez déjà parlé au téléphone avec Chantal. Vous allez également rencontrer les deux designers, Auguste et Christian, deux immenses talents qui sont avec moi depuis le début de l’entreprise et ont contribué à sa renommée. Je leur dois beaucoup.

Durant de longues minutes, Jacques, intarissable, parla des membres de son équipe et de leur savoir-faire.

Holly s’efforçait d’engranger le maximum d’informations dans sa mémoire, mais d’autres préoccupations venaient parasiter sa concentration.

Durant le déjeuner, contrairement à ce qu’elle s’était promis, ils avaient très peu parlé du problème de leur cohabitation. Quand elle avait tenté d’aborder le sujet, Jacques avait balayé ses inquié-tudes de quelques phrases à l’emporte-pièce. Il n’utilisait que rarement son appartement en terrasse. Chaque fois qu’il le pou-vait, il regagnait son château. Il restait à Paris uniquement lorsque le travail le retenait au bureau et quand il dînait chez ses parents ou devait assister à une réception. Chacun dans l’entreprise con-naissait son mode de vie.

Après tout, il avait sans doute raison. Cette cohabitation n’était pas forcément un problème. Elle n’était plus une enfant et savait se défendre.

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Vraiment ? dit la petite voix au fond d’elle-même. Ce n’est pas contre lui qu’elle devrait se défendre, mais contre elle-même.

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5.

En dépit de ses appréhensions, Holly s’était rapidement inté-grée à l’équipe. Pour être honnête, chacun lui avait facilité la tâche en l’accueillant chaleureusement. Le conte de fées se poursuivait donc. Telles étaient ses réflexions tandis que, par une chaude soirée de juin, elle rentrait du bureau en flânant.

Comme annoncé par Jacques, ses collègues étaient éminem-ment sympathiques. Ils n’avaient qu’un défaut, leur admiration sans faille pour leur patron ! Tous, hommes ou femmes, le pla-çaient sur un piédestal, les femmes plus encore que les hommes. Pour elles, Jacques Querruel n’était rien de moins qu’un dieu.

Aux yeux de l’équipe, c’était un dirigeant hors pair qui savait communiquer à tous son enthousiasme et sa foi dans l’avenir. S’il demandait beaucoup à ses collaborateurs, il exigeait plus encore de lui-même. Le premier arrivé au bureau le matin et le dernier à le quitter le soir, il irradiait l’énergie et le dynamisme. Ses collabo-rateurs ne tarissaient pas d’éloges sur lui, et elle devait reconnaître qu’il les méritait.

Jacques Querruel était unique, inimitable. Impossible de ne pas l’aduler.

Comment avait-elle pu imaginer une seule seconde qu’un tel homme puisse avoir des vues sur elle ? Les raisons avancées pour la location de l’appartement s’étaient révélées tout à fait perti-nentes : loger si près du bureau était un avantage certain, et la présence de Pierre à l’entrée, très sécurisante. Et pas une seule fois depuis son emménagement Jacques Querruel n’avait franchi le seuil de l’appartement du cinquième étage. Humiliant, non ?

Pire encore, elle devait écouter à longueur de journée les membres de l’équipe ressasser les aventures amoureuses de leur patron. Ils se régalaient de le voir en photo dans les tabloïdes au

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bras de femmes séduisantes. Pas un seul n’avait évoqué le fait qu’elle habitait sous le même toit que lui. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Elle n’avait rien à voir avec les créatures de rêve qu’il fré-quentait. Aux Etats-Unis depuis cinq jours, il n’en rayonnait pas moins sur son équipe, chacun de ses membres ayant à cœur de faire le maximum pour lui.

Par cette douce soirée, Holly éprouvait un réel plaisir à flâner sur le chemin du retour.

Elle s’arrêta dans un square et suivit un moment la partie de boules acharnée que se disputaient un groupe d’hommes grison-nants au verbe haut. Chaque fois que la boule s’approchait du cochonnet, le lanceur poussait le cri de la victoire tandis que les autres se précipitaient pour mesurer l’écart. Elle ne comprenait pas encore tous les mots échangés mais appréciait l’atmosphère bon enfant régnant dans le jeu.

Un peu plus loin, des étudiants venus avec leurs instruments de musique jouaient la sérénade.

Elle ferma les yeux et un sourire naquit sur ses lèvres. Jamais elle ne s’était sentie aussi bien. Elle était à Paris, et le charme de la ville commençait à agir sur elle.

Quand elle rouvrit ses yeux, Jacques Querruel se tenait devant elle.

— Vous voyez, dit-il, la magie commence à opérer. Ses joues devaient être rouges comme des tomates. — Jacques ! Mais… vous êtes en Amérique ! — Alors, c’est mon fantôme qui se tient devant vous. Elle se ressaisit. — Je suis stupide. C’est que je ne m’attendais pas à… — … à me voir, je sais. Vous n’êtes pas stupide, Holly, je viens

juste d’arriver. Elle le regarda, incertaine de la conduite à tenir.

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Il semblait si différent, tout à coup ! Il n’était plus le magnat triomphant, rayonnant de pure énergie, le brillantissime homme d’affaires qui avait forcé son respect ces dernières semaines. Il n’était pas non plus le distant propriétaire de l’appartement en terrasse, ni le séduisant play-boy se montrant chaque week-end avec une nouvelle conquête. Rien de tout cela.

Qu’était-il, alors ? Elle n’aurait su le dire, mais ce personnage la troublait infiniment.

— Je… je rentrais, bredouilla-t-elle. Vous alliez au bureau, sans doute ?

Jacques devait faire un terrible effort sur lui-même pour ne pas prendre Holly dans ses bras et la couvrir de baisers. Elle lui avait tellement manqué !

Au diable le bureau, il était là pour elle, rien que pour elle. Ces cinq jours passés loin d’elle avaient été un enfer. Cela ne pouvait plus durer.

Depuis son arrivée à Paris, il avait tout mis en œuvre pour ne pas l’effaroucher. Et apparemment il avait réussi, Holly s’était enfin détendue. Souvent, il l’entendait rire et plaisanter avec les autres, même avec Gérard, qui pourtant n’était pas le chantre de l’humour.

Avec tous, sauf avec lui. Chaque fois qu’il apparaissait, elle se fermait comme une huître !

Cela faisait mal, très mal. Au fil des jours, cela lui était même devenu insupportable. Mais ce soir il relevait le défi : il était décidé à briser cette carapace.

— Non, Holly, je ne suis pas en route pour le bureau. Je viens juste de passer de longues heures enfermé dans un avion et j’ai besoin de me détendre.

— Ce n’est pas dans votre nature ! énonça-t-elle, étonnée.

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— Que savez-vous de ma nature, Holly ? Qui donc croyez-vous que je sois ? Un robot ? Si c’est le cas, vous vous trompez. Si je me coupe, je saigne, comme tous les hommes.

Holly se mordit la lèvre. — Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. — Vraiment ? Vous mentez très mal, Holly.

S’il savait qu’elle prenait cela comme un compliment ! pensa Holly. Ayant vu pratiquer le mensonge par un expert quand elle avait huit ans, elle l’exécrait.

— Je vais vous laisser… — Non ! Je suis venu jusqu’ici car je sais que c’est le chemin

que vous empruntez pour rentrer. J’ai une invitation à vous transmettre.

— Une… invitation ? — De la part de ma mère. Je lui ai parlé de la jeune Anglaise de

l’équipe qui ne connaît personne et dîne seule dans son apparte-ment. Son cœur s’est ému.

— Je dîne seule par choix, rétorqua-t-elle en riant. Les membres de l’équipe ne cessent de m’inviter à partager leurs dî-ners, mais je ne connais pas encore suffisamment la langue. J’étudie chaque soir, à mon retour.

— C’est tout à votre honneur ! « Et à votre profit », ajouta-t-elle in petto. Elle était bien déci-

dée adonner le meilleur d’elle-même pour le travail qu’il lui de-mandait. Elle se devait de réussir. Qu’elle échoue n’était pas envi-sageable.

— Remerciez votre mère pour moi et dites-lui… — Vous pourrez le faire vous-même ce soir, Holly.

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Avait-il seulement écouté ce qu’elle venait de dire ? Elle aurait aussi bien pu parler à un mur.

Une question lui vint pourtant à l’esprit. — Comment votre mère attend-elle ma venue ce soir, alors que

vous venez à peine d’arriver ? — Nous nous sommes entretenus par téléphone. Elle nous at-

tend pour 20 heures. Elle meurt d’impatience de faire votre con-naissance.

— Mais j’aurais pu ne pas être libre ! — Est-ce le cas ? L’espace d’un instant, elle envisagea de mentir mais y renonça.

Elle n’était pas douée pour cet exercice. — Je suis libre, mais… — Je suis un mufle ! reconnut Jacques, penaud. Je vous de-

mande pardon de ne pas vous avoir consultée au préalable. Il jouait la contrition à la perfection. — Je ne peux pas me rendre chez votre mère les mains vides ! — Je sais qu’elle raffole d’un chocolat fait par un artisan confi-

seur du Quartier latin. Il se trouve sur notre chemin. Nous nous y arrêterons si vous le désirez.

Avait-il l’habitude d’inviter ainsi ses collègues chez ses pa-rents ?

Elle allait lui poser la question quand elle se souvint : sa mère avait eu pitié d’une pauvre étrangère seule dans la capitale. Pour-quoi paniquer ? Il ne s’agissait nullement d’un rendez-vous galant.

Jacques suivait visiblement avec intérêt la ronde des senti-ments sur son visage. En expert de la stratégie, il sut immédiate-ment quand mettre le point final à son hésitation.

— Je peux lui confirmer notre arrivée pour 20 heures ? deman-da-t-il d’un ton pressant. Elle a dû commencer à mettre les petits plats dans les grands.

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Confuse, Holly s’empressa de répondre affirmativement. — C’est très gentil de sa part d’avoir pensé à m’inviter,

l’apprécie vraiment son geste. Ayant obtenu ce qu’il voulait, Jacques se montra bon prince. — Je suis désolé d’avoir insisté comme je l’ai fait, Holly, mais

cette invitation fait tellement plaisir à ma mère ! Avec son côté mère poule très développé, elle a tendance à vouloir prendre tout le monde sous son aile. Elle attend avec impatience de gâter ses petits-enfants, mais mes sœurs ne semblent guère pressées de s’engager.

Et lui, l’était-il ? Il semblait trouver bien plus agréable de col-lectionner les conquêtes.

Curieusement, elle eut un pincement au cœur à cette pensée. Pourtant, elle n’était en rien concernée !

— Rentrons nous changer ! dit-il en glissant d’autorité son bras sous le sien.

D’abord tétanisée, Holly découvrit vite le plaisir de flâner aux côtés de Jacques. Quelle serait sa réaction si elle lui annonçait que c’était la toute première fois qu’elle se promenait ainsi au bras d’un homme ? Il se moquerait d’elle, sans aucun doute.

Par quel pouvoir diabolique finissait-il toujours par obtenir les autres ce qu’il voulait ?

Cela, lui faisait peur. David Kirby ne possédait-il pas un pou-voir semblable ? Combien de fois l’avait-elle vu réduire Cassie au silence d’un seul de ses regards ? Quant aux enfants placés sous sa responsabilité, il avait un tel ascendant sur eux qu’aucun n’avait osé le défier.

— Que se passe-t-il, Holly ? Quelque chose ne va pas ? Levant les yeux, elle vit le regard de Jacques fixé sur elle. Qu’avait-il lu sur son visage pour avoir une telle expression ? Il arrêta leur progression et l’obligea à affronter son regard, un

doigt sous son menton.

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— Est-ce la peur de rencontrer mes parents qui vous met dans cet état ?

— Non, non ! — Alors, c’est quoi ? Vous aviez l’air si… Holly se mordit la lèvre, furieuse d’avoir laissé l’ignoble David

Kirby s’introduire dans ses pensées. Mais la commisération sin-cère lue dans les yeux de Jacques lui faisait chaud au cœur.

— Je pensais à quelqu’un, avoua-t-elle. — Quelqu’un du passé ? Un homme ? Adossée au mur, elle aurait dû sentir la répulsion l’envahir,

comme chaque fois qu’un homme s’approchait trop près d’elle. Mais tel n’était pas le cas, bien au contraire ! En proie à des sensa-tions jamais éprouvées jusqu’alors, bouleversée jusqu’au plus profond d’elle-même, elle s’entendit répondre :

— Oui, un homme. — Il vous a fait du mal ? La voix de Jacques avait soudain pris une intonation différente. — Oui. — C’est fini ? Trop tard, elle venait de réaliser la manière dont il avait inter-

prété sa réponse. Il pensait à une liaison amoureuse, à un amant. — Est-ce fini, Holly ? répéta-t-il. Cet homme est-il sorti de

votre vie ? — Oui ! Il en est définitivement sorti, et je n’ai pas envie d’en

parler. Jacques lut la détermination dans son regard et hocha la tête. Il

recula d’un pas, la libérant de son emprise. — Je ne vous en parlerai plus, puisque tel est votre désir. Mais

sachez que je suis toujours là si vous avez besoin de vous confier. Parler fait du bien et agit comme une libération. Vous verrez, mes

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deux sœurs sont beaucoup plus prolixes que vous sur leur vie amoureuse. J’ai parfois du mal à les arrêter.

Ils reprirent leur marche l’un à côté de l’autre, mais cette fois sans se toucher.

Tandis que Jacques racontait son séjour aux Etats-Unis, Holly se tança vertement. Pourquoi s’était-elle laissée aller à cette confi-dence ? Sa vie passée n’intéressait nullement Jacques. Il avait seulement cherché à converser par une belle nuit d’été.

Plus tard, dans son appartement, elle se débarrassa de la fa-tigue de la journée sous le jet puissant de la douche et se lava lon-guement les cheveux.

Qu’allait-elle porter pour cette soirée ? Certainement pas un jean et un T-shirt. Elle devait faire honneur à Mme Querruel. Elle choisit de porter une robe de cotonnade fleurie découverte dans une boutique du Marais quelques jours auparavant.

Elle n’avait pris qu’une vingtaine de minutes pour se préparer, mais Jacques l’attendait déjà dans le hall en bavardant avec Pierre quand elle descendit.

Le regard admiratif dont les deux hommes l’enveloppèrent lui donna à penser qu’elle avait fait le bon choix.

La tenue de Jacques, pantalon gris clair et chemise bleue au col ouvert, alliait élégance et décontraction. Il était plus séduisant que jamais.

Ils quittèrent l’immeuble après avoir souhaité une bonne nuit à Pierre. Une fois dans la voiture, Jacques restant silencieux, elle en profita pour répéter mentalement les phrases en français apprises pour la conversation à venir.

Comme promis, Jacques s’arrêta devant la boutique de l’artisan chocolatier, et elle put acheter une boîte de sa fabrication.

Quelques minutes plus tard, ils parvenaient à la maison des Querruel située au fond d’une impasse pavée tranquille.

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Elle aima d’emblée les parents de Jacques. Ce dernier avait hé-rité de son père sa haute stature et les traits harmonieux de son visage. Il avait également hérité son abondante chevelure, mais celle de Marc Querruel était désormais poivre et sel.

Sa mère, Camille, était de petite taille, avec des yeux d’un noir profond et des cheveux châtains dans lesquels couraient des fils argentés.

Ses deux sœurs Catherine et Capucine possédaient un charme certain sans être vraiment belles, et à l’instar de leur frère toutes deux irradiaient la confiance en elles.

Au fil de la soirée, Holly apprécia la chaleur et la bienveillance de cette famille unie.

La maison dégageait une atmosphère de sérénité tranquille. Des poutres apparentes, des murs blancs ornés de quelques pay-sages, des bouquets de fleurs fraîches ou séchées, des plantes vertes… Elle se sentait étrangement chez elle dans un tel univers. Les Querruel étaient à l’image de la famille dont elle avait secrè-tement rêvée.

Ils dînèrent dans le jardin, autour d’une table installée sous une tonnelle odoriférante. Le vin rouge, riche en saveur, s’accordait parfaitement aux mets concoctés par la maîtresse de maison.

Jacques conversait gaiement, parfaitement heureux et détendu parmi les siens. Il prenait soin de traduire la conversation pour elle chaque fois que nécessaire.

Comme annoncé, ses deux sœurs prenaient volontiers la pa-role, n’hésitant pas à donner force détails sur leur soupirant du moment. Cela semblait faire partie d’un jeu entre elles et leur frère : Jacques se montrant particulièrement protecteur, elles se complaisaient à le provoquer. Répondant à une pique de son frère sur le fait qu’elle changeait souvent de cavalier, Capucine, la plus jeune, rétorqua :

— Tu es mal placé pour me faire la morale dans ce domaine, mon cher frère. Evidemment, dans cette société machiste, quand

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un homme collectionne les conquêtes, on l’admire ! Mais si une femme fait de même, elle n’est qu’une…

— Capucine, un peu de tenue, je te prie ! intervint Mme Querruel. Hélas, dit-elle en lançant un regard désolé à Holly, le temps est révolu où je pouvais renvoyer mes filles dans leur chambre quand elles parlaient mal.

Holly sourit. — Votre fille parle vrai, madame Querruel. L’égalité entre

hommes et femmes n’existe toujours pas dans bien des domaines. — Ah, vous voyez, Holly est d’accord avec moi ! s’écria Capu-

cine, aux anges. Les hommes sont les pires des hypocrites. Une loi pour eux, une autre pour leurs sœurs. Jacques, ces femmes que tu exposes à ton bras ont certainement des frères ou un père, non ?

Jacques parut prêt à exploser, mais avant même qu’il n’ouvre la bouche, un couple pénétra dans le jardin. Des voisins de l’âge des parents de Jacques, qui répondaient à l’invitation qui leur avait été faite de venir prendre le dessert.

Des chaises furent immédiatement trouvées pour les nouveaux arrivants, et Jacques dut se contenter de fusiller sa jeune sœur du regard.

La soirée se terminait quand Capucine se pencha vers Holly. — Ne tenez aucun compte de ce que j’ai dit tout à l’heure à

Jacques. Holly, lui murmura-t-elle à l’oreille. J’essayais seulement de le titiller un peu. Vous devez être différente pour lui de ces femmes avec lesquelles il s’affichait par le passé, car jamais il ne nous a présenté aucune d’elles !

Holly battit frénétiquement des paupières. — Oh, vous vous méprenez, Capucine, votre frère et moi ne sor-

tons pas ensemble. Je viens d’être engagée dans son équipe. Ap-prenant que je ne connaissais personne à Paris, votre mère m’a fort aimablement invitée à partager votre repas.

Capucine arqua ses sourcils, surprise.

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— Je suis désolée, Holly, j’ai vraiment cru… Mais, dans ce cas, ma sœur et moi allons pouvoir vous présenter à nos amis !

Holly la gratifia d’un sourire poli. Certes, Caroline et Capucine étaient de compagnie agréable, et une soirée avec leurs amis serait certainement un souvenir inoubliable, mais elle n’éprouvait au-cune envie de ce genre de sortie.

Avant même qu’elle puisse dire son sentiment à Capucine, celle-ci se tourna vers son frère aîné pour s’entretenir longuement avec lui en français. Son discours ne devait pas être du goût de Jacques, car le visage de celui-ci se durcit. Ses yeux lançant des éclairs, il lui rétorqua quelque chose qui claqua comme un coup de fouet et rendit Capucine muette.

— Il est temps pour Holly et moi de rentrer, déclara-t-il alors. Il lui sourit, mais Holly lut la colère au fond des prunelles mor-

dorées. Qu’avait donc dit Capucine pour le mettre dans cet état ? Elle n’allait pas tarder à le découvrir. Dès qu’ils eurent pris congé de la famille, Camille faisant pro-

mettre à Holly de revenir quand elle voudrait, ils regagnèrent la Jaguar. Pendant quelques minutes, Jacques conduisit sans dire un mot puis, avisant sur leur chemin un square déserté à cette heure, il gara la voiture le long du trottoir.

— Venez marcher, lança-t-il. — Marcher, à cette heure ? Mais… Elle avait presque crié. — Calmez-vous, je vous en prie. Je ne vous veux aucun mal. Je

veux seulement que nous parlions. Il y a certaines choses que je souhaite éclaircir. D’accord ?

— D’accord. Sa voix était à peine audible, mais elle ne pouvait faire mieux. L’attitude de Jacques différait totalement de celle qu’elle lui

connaissait. Disparue, la décontraction qu’elle lui enviait souvent. Elle n’était pas certaine de pouvoir gérer ce qu’elle lisait actuelle-

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ment dans ses yeux, mais au moins ne lui avait-il pas proposé d’aller dans son appartement admirer ses estampes japonaises !

Le square comprenait quelques arbres, une pelouse, des mas-sifs de fleurs, et surtout des bancs. Après quelques minutes, ils prirent place sur l’un d’eux et Jacques posa son bras sur le banc derrière son dos. Comme elle baissait la tête, tétanisée, il lui soule-va le menton, l’obligeant à affronter son regard.

Seigneur, comment avait-elle pu se retrouver, en pleine nuit et dans un endroit désert, dans une situation aussi intime avec un représentant de la gent masculine ? A vingt-cinq ans, jamais elle n’avait encore échangé le moindre baiser avec un homme.

Cependant, elle devait reconnaître que Jacques n’avait pas eu à la forcer, et qu’à la minute où ses yeux s’étaient posés sur lui, elle s’était demandé ce qu’elle éprouverait dans un tel exercice.

Finalement, il lui était agréable de penser qu’elle n’était peut-être pas tout à fait frigide.

Qu’allait-il se passer maintenant ? Il la regardait avec une telle intensité qu’elle en était bouleversée jusqu’au plus profond de son être.

— Vous n’allez sans doute pas aimer ce que je m’apprête à vous dire.

Seigneur, de quoi s’agissait-il ? — J’ai dit à mes sœurs qu’il n’était pas question qu’elles vous

présentent à leurs amis. Je vous veux pour moi tout seul, Holly ! Comme elle se mettait à trembler, il ajouta : — Comprenez-vous ce que cela signifie ? Je ne veux vous parta-

ger avec personne. Le cœur de Holly battait si fort qu’elle craignit un instant qu’il

n’explose. N’avait-elle pas su, tout au fond d’elle-même, que cela allait arriver et qu’elle serait incapable de gérer la situation ? Il ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait deviner !

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Jacques lisait sur son visage l’intense émotion provoquée par ses paroles.

— N’éprouvez-vous aucun sentiment pour moi, Holly ? deman-da-t-il, anxieux.

Elle tenta désespérément de trouver les mots pour lui expli-quer. Mais comment lui dire l’indicible ?

— Ce… ce n’est pas une question de sentiment. — Si, au contraire ! Laissez parler votre cœur, Holly ! J’ai été

très patient, et la patience n’est pas ma qualité première. Je veux savoir ce que vous éprouvez pour moi. Je ne suis pas du genre à attendre indéfiniment.

La panique la gagnait. Elle devait impérativement se sortir de cette situation impossible !

Elle prit le ton le plus glacial possible. — Vous seriez plutôt du genre à vous approprier les êtres

comme des objets, n’est-ce pas ? Vous prenez et vous laissez à votre convenance !

Jacques ne démentit pas, comme si cette définition lui conve-nait. Elle allait poursuivre, quand il se pencha et s’empara de ses lèvres en un geste impulsif.

A sa totale surprise, Holly n’éprouva aucune répulsion, bien au contraire. Une délicieuse sensation l’envahit tout entière, et elle s’ouvrit à lui tel un bouton de rose au soleil.

Comme les bras de Jacques se refermaient sur elle, elle ne se sentit pas en prison mais en sécurité. Il la serrait fort contre lui. Son corps musclé semblait épouser le sien d’une façon parfaite.

Ses lèvres se faisaient tout à la fois douces et exigeantes. Sa langue chercha la sienne pour un ballet follement érotique.

Holly vivait un rêve éveillé. Un homme l’embrassait, l’étreignait, et elle aimait ça !

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Quand il libéra ses lèvres pour retrouver son souffle, elle éprouva une sorte de frustration. Elle aurait voulu que cet instant dure toujours.

— Vos lèvres sont encore plus douces que je n’espérais, Holly, chuchota-t-il, lui couvrant les joues, les paupières, le cou de bai-sers légers comme des papillons. Elles ont le goût du miel. Vous me rendez fou, ma chérie…

C’était délicieux, euphorisant, mais elle devait l’arrêter. Tout cela ne pouvait conduire à rien de bon. Jacques Querruel était un collectionneur. Il prenait et laissait selon son bon vouloir. Il la détruirait comme l’avait détruite David Kirby dans le passé.

— J’ai rêvé de vous prendre dans mes bras depuis la première minute où mes yeux se sont posés sur vous, continuait-il. Je veux vous déshabiller, laisser courir mes lèvres sur votre peau, vous conduire là où aucun amant ne vous a conduite jusqu’alors.

Ces mots produisirent chez Holly un tel choc que, le repoussant de toutes ses forces, elle bondit sur ses pieds.

— Je veux, rentrer ! s’écria-t-elle d’une voix blanche. Stupéfait par la violence de sa réaction, Jacques s’était levé en

même temps qu’elle. — Que se passe-t-il, Holly ? demanda-t-il. Elle ne pouvait répondre. La gorge serrée, elle étouffait littéra-

lement. — C’est le souvenir de cet homme qui vous a fait du mal dans le

passé, n’est-ce pas ? Parlez-moi de lui ! Que vous a-t-il fait ? Elle secoua la tête, portant la main à sa gorge. — Vous m’aviez affirmé l’avoir oublié, poursuivit-il. Mais ce

n’est pas le cas, n’est-ce pas ? Vous l’aimez toujours ! Comment lui dire ce qu’elle éprouvait ? Jamais elle n’avait pu

se confier à qui que ce soit sur l’horreur vécue à neuf ans. Si elle le faisait aujourd’hui, Jacques éprouverait du dégoût pour elle, c’était certain. Autrefois, elle avait tenté d’alerter les adultes qui

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l’entouraient, mais elle avait vite compris que personne ne l’écoutait, croyant qu’elle affabulait ou, pire encore, la tenant pour responsable de la situation.

Un frisson la parcourut. Et si Jacques pensait, lui aussi, qu’elle avait provoqué l’attitude de David à son égard ? Car telle avait été l’opinion de Cassie.

— Cet homme vous a blessée, n’est-ce pas ? Répondez-moi, je vous en supplie ! Etait-il violent ? A-t-il cherché à abuser de vous ?

Elle aurait tellement voulu se blottir dans ses bras et se libérer de son fardeau ! Mais c’était impossible. Les mots ne franchis-saient pas sa gorge nouée, et son esprit était comme paralysé.

— Je… je ne veux pas en parler. — Vous avez tort ! Je… — Assez ! J’ai dit que je ne voulais pas en parler. Elle se mordit la lèvre. Même à ses propres oreilles, les mots

prononcés résonnaient incroyablement durs et violents. Jacques recula d’un pas, comme sous l’effet d’une gifle. Mais elle n’en avait cure. Elle devait annihiler toute possibilité

de relations amoureuses entre eux. Pour sa sauvegarde ! Jacques Querruel avait l’habitude de claquer des doigts, et les femmes se jetaient dans ses bras. Il les utilisait pour son plaisir et les jetait après usage. C’était le prototype de l’homme à éviter à tout prix.

— Je veux rentrer chez moi. Si vous ne me raccompagnez pas, je rentrerai à pied.

L’espace d’un instant, un silence assourdissant s’installa entre eux. Puis, sortant de sa torpeur, Jacques se ressaisit.

— Je vous raccompagne. Veuillez, je vous prie, oublier ce qui vient de se passer, cela ne se reproduira plus.

Les larmes vinrent aux yeux de Holly. Le problème n’était pas l’attitude de Jacques, mais la sienne. Il ne l’avait en rien forcée. Il l’avait juste embrassée. Il n’y avait pas là matière à scandale. Hé-las, sans qu’elle pût rien faire pour l’empêcher, le passé était sou-

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dain remonté à la surface. Les mains de David sur elle, ses lèvres humides sur les siennes… La nausée, le dégoût, la répulsion avaient suivi. Hélas, il en serait toujours ainsi.

— Je suis désolée, balbutia-t-elle. Je… je ne suis pas prête pour…

— O.K. ! C’est moi qui suis désolé, Holly. J’aurais dû me con-trôler. Cela ne se reproduira plus, je vous le promets. Nous sommes juste des amis, des collègues de travail. Cela vous va-t-il ?

Elle baissa la tête, les yeux fixés sur le bout de ses chaussures. — Oui, cela me va. Tout était de sa faute. Jamais elle n’aurait dû venir à Paris. Ja-

mais elle n’aurait dû accepter son offre. Dès le premier regard posé sur Jacques Querruel, elle avait acquis la certitude qu’aucun rem-part ne serait efficace contre son pouvoir de séduction. Ce qui arrivait était prévisible.

Il venait de promettre de ne jamais plus recommencer, cela au-rait dû la soulager.

Alors, pourquoi son cœur avait-il si mal ?

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6.

Le mois de juillet se termina à Paris dans une chaleur impla-cable, et le mois d’août fut pire encore. La France subissait un été caniculaire. Heureusement, la climatisation installée dans les bureaux et dans son appartement permettait à Holly de traverser l’été sans trop souffrir.

Mais si elle supportait la chaleur, il n’en était pas de même pour l’absence de Jacques.

Le lendemain de la fameuse soirée chez ses parents, elle s’était rendue au bureau, nerveuse et embarrassée. Mais l’attitude de Jacques la rassura. Totalement absorbé par les projets en cours, il s’adressa à elle comme aux autres membres de l’équipe et s’envola le jour suivant pour les Etats-Unis.

Tous pensaient que son absence serait de courte durée, mais quinze jours venaient de s’écouler depuis son départ. Quinze jours de frustration absolue pour Holly.

Cédant à la pression des membres de l’équipe devenus des amis, elle avait fini par accepter leurs invitations à déjeuner ou à dîner. Elle menait donc une vie sociale bien remplie, appréciant tout particulièrement de s’asseoir à la terrasse des nombreux cafés de la capitale pour y déguster un expresso ou un verre de vin selon l’heure, mais, ce soir-là, allongée confortablement dans sa chaise longue sur sa terrasse, elle laissa son regard se perdre dans les couleurs rosées d’un splendide coucher de soleil sur les toits de Paris.

Les Français semblaient persuadés que la gourmandise n’était pas un défaut, et elle n’était pas loin de partager leur avis. Paris s’ingéniait à exalter le plaisir des sens : l’art pour les yeux, la mu-sique pour les oreilles, la gastronomie pour le palais. Que désirer de plus ?

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Une chose manquait pourtant à son bonheur : la présence de Jacques.

Ce dernier hantait ses nuits et occupait jusqu’à l’obsession ses pensées durant la journée.

Ce n’est qu’après son départ pour les Etats-Unis que, ayant re-couvré sa capacité à penser, elle avait pris conscience de l’extrême retenue de Jacques ce soir-là, dans le square.

Il n’avait nullement cherché à obtenir ce qu’elle n’était pas prête à lui donner, une attitude à mettre au crédit de l’homme habitué aux faveurs des femmes qu’il courtisait habituellement.

En parfait gentleman, il avait accepté son refus, et par la suite n’avait pas semblé lui en tenir rigueur. Mais cela se comprenait aisément. Comment se sentir frustré, quand des créatures de rêve n’attendent qu’un signe de vous pour vous consoler ?

A cette pensée, elle frémit de tout son être. L’image de Jacques au lit avec une de ces créatures lui était insupportable.

Il n’avait pas caché son désir de lui faire l’amour, ses mots ré-sonnaient encore à son oreille. Et pourtant, le lendemain, il s’était comporté comme si rien ne s’était passé. Comment parvenait-il à gérer ce genre de situation ?

Elle avait travaillé à ses côtés, rencontré ses parents, goûté à ses baisers, mais il restait pour elle une énigme. En fait, il la fasci-nait.

Une pensée lui vint, qui n’était guère rassurante. Si un simple baiser échangé dans un square l’avait autant bouleversée, que ressentirait-elle s’il lui faisait l’amour ?

Malgré la chaleur ambiante, elle frissonna. En dehors du travail, elle passait beaucoup de son temps sur la

terrasse de son appartement. Elle y prenait ses repas et profitait pleinement des couchers de soleil et du spectacle de la voûte étoi-lée au-dessus de sa tête. Les week-ends, quand elle ne s’aventurait pas dans Paris, elle aimait s’allonger dans la chaise longue, un livre à la main.

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Depuis qu’elle avait acheté des graines chez l’oiseleur du coin, elle avait régulièrement la visite d’un couple de moineaux particu-lièrement téméraires qui venaient picorer dans sa main.

Sans qu’elle n’y prenne garde, elle s’était attachée à cet appar-tement. Elle s’y sentait si bien ! Bien sûr, Mme Gibson et M. Bateman lui manquaient. La pensée de ses amis laissés en Angleterre lui rappela qu’elle devait appeler Lucy et James et prendre des nouvelles de sa filleule, Mélanie Anne. Cette dernière, à dix mois, n’allait pas tarder à marcher.

Elle posait la main sur le téléphone, quand la sonnerie de la porte retentit.

Elle sut instantanément qui se tenait sur son palier. Un autre visiteur que Jacques lui aurait été annoncé par Pierre.

Le cœur battant à tout rompre, elle alla ouvrir. L’objet de toutes ses pensées se tenait appuyé contre le mur, les

bras croisés sur la poitrine. Seigneur, il était encore plus séduisant que dans ses souvenirs !

— Bonsoir. Holly ! énonça-t-il, un sourire ravageur sur les lèvres.

Surtout, lui parler comme si elle n’avait pas pensé à lui jour et nuit !

— Bonsoir, Jacques ! répondit-elle, fière de son ton détaché. J’ignorais que vous étiez rentré.

— Je viens juste d’arriver. — Avez-vous réussi à régler tous les problèmes pour lesquels

vous êtes allé là-bas ? — Presque tous. La lumière du plafonnier éclairant le visage de Jacques, elle

pouvait voir la fatigue qui lui creusait les traits. De toute évidence, les problèmes n’avaient pas été faciles à résoudre.

— Acceptez de dîner avec moi ce soir, Holly !

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— Dîner avec vous ! Je… je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Souvenez-vous. Juste avant votre départ, nous avons décidé de n’être que des amis, des relations de travail.

— Les amis ne dînent-ils pas ensemble ? — Si, bien sûr, mais… — Durant ces dernières semaines, vous avez partagé les repas

de pratiquement tous les membres de l’équipe, et vous refuseriez un dîner avec moi ?

Elle ouvrit de grands yeux. — Avez-vous surveillé mon emploi du temps durant votre sé-

jour aux Etats-Unis ? — Est-ce un crime pour un patron de chercher à savoir si sa

nouvelle recrue s’intégre dans sa nouvelle vie ? Comme elle aurait dû s’y attendre, il avait réponse à tout. — J’ai déjà dîné avec vous, lui rappela-t-elle. — Alors, pourquoi ne pas recommencer ? Elle finit par rendre les armes. — D’accord, je dîne avec vous ! Mais laissez-moi le temps de me

changer. — Inutile, je vous emmène dans mon château. Je souhaitais le

faire depuis longtemps. Ce soir, le temps est idéal pour une telle visite.

Le cœur de Holly battit plus vite. Visiter son château ! Elle en mourait d’envie sans jamais avoir osé l’avouer. Elle lui rappela cependant leur contrat :

— Je viens en amie, c’est entendu ? Il sourit et, s’avançant vers elle, déposa un rapide baiser sur ses

lèvres. — Je vous en prie, Holly, ne présupposons rien de la soirée qui

nous attend !

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Elle ne répondit pas, trop excitée pour engager une querelle.

Avec ses tourelles recouvertes de lierre et ses balcons garnis de fleurs, le château de Jacques Querruel semblait tout droit sorti d’un conte de fées. Pas très grand, il n’en était pas moins imposant avec ses six chambres et ses trois salles de réception. Mais le plus spectaculaire était indubitablement les environs immédiats, le parc, les arbres ancestraux, le lac.

Dès la fin du repas, un pur délice préparé et servi par Monique, Jacques proposa une promenade afin de profiter pleinement de la pleine lune. Celle-ci, telle une perle opalescente géante, brillait en effet dans le ciel, nimbant toute chose de ses rayons. Le lac, sur-tout, émerveilla Holly avec ses cygnes glissant majestueusement sur l’eau paisible. Au-delà s’étendait une forêt aux abords de la-quelle, selon Jacques, il n’était pas rare de voir des chevreuils et des cerfs.

— C’est… c’est magnifique ! s’extasia-t-elle, sincère. — Vous êtes vous-même très belle, Holly, murmura-t-il d’une

voix enrouée. Comme elle se tournait vers lui, il effleura ses lèvres du bout de

ses doigts puis descendit le long de son cou, de sa gorge, jusqu’à la naissance de ses seins.

Le cœur battant à tout rompre, Holly le laissa faire sans esquis-ser le moindre geste. Jacques était si doux, si tendre, le lieu était si romantique !

De curieuses sensations jamais encore ressenties la parcou-raient tout entière, et bien qu’il ne la retienne en aucune façon, pas une minute elle ne songea à s’éloigner de lui.

— Holly, ma douce Holly… Il murmura à son oreille ces mots tendres et d’autres encore,

tandis qu’il l’enveloppait de ses bras et l’attirait contre lui.

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Elle aurait dû paniquer, mais rien de pareil ne se produisait. D’un geste impulsif, elle entoura son cou de son bras et répondit à son baiser avec une fougue qu’elle ignorait posséder.

Il lui avait tellement manqué ! Sa longue absence avait été un enfer. Mais il était revenu, il était là ! Désormais, elle ne pouvait plus se mentir à elle-même.

Elle l’aimait ! Il laissa courir ses mains sur elle, caressant ses rondeurs, dé-

clenchant en elle une soif inextinguible. Leur baiser s’approfondit, devint passionné. Le plaisir qu’elle en éprouva lui était si étranger qu’elle ne savait plus qui elle était ni ce qu’elle faisait. Son corps était en feu, une lave incandescente coulait dans ses veines. Elle prenait soudain pleinement conscience de sa féminité.

— Holly… Il prononçait son nom comme une caresse. — Oui… — Je peux vous toucher, vous caresser ? Lui relevant d’un doigt le menton, il chercha son regard. — Je peux ? répéta-t-il, les yeux dans ses yeux. Je voudrais

beaucoup plus encore. Je voudrais vous faire l’amour. Je voudrais vous avoir dans mes bras, dans mon lit. Mais seulement lorsque vous serez prête et que vous le voudrez, vous aussi. Pas seulement dans votre corps mais aussi dans votre cœur. Comprenez-vous ce que je viens de dire ?

Elle tenta d’ironiser. — En un mot, vous voudriez ma collaboration pleine et en-

tière… — Oui ! — Pourquoi, Jacques ? Pourquoi venir vers moi alors que vous

n’avez qu’à claquer des doigts pour avoir toutes les femmes à vos pieds ?

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— Parce que je ne veux plus de ces conquêtes faciles. Il prit place sur un des bancs installés au bord du lac, et avant

qu’elle ait le temps de s’en rendre compte, elle se retrouva assise sur ses genoux.

Elle se raidit. Combien de fois David Kirby l’avait-il prise ainsi sur ses genoux ? Elle pouvait encore sentir son haleine sur sa nuque. D’instinct, elle avait détesté ces moments, devinant ce qu’ils avaient de malsain. La panique et le dégoût la submer-geaient alors. Que ressentait-elle, aujourd’hui ?

Le visage de Jacques se trouvait à quelques centimètres seule-ment du sien. Une tendre émotion l’envahit, et elle dut se retenir pour ne pas lui caresser les joues, les lèvres.

— Je vous veux, Holly ! La voudrait-il encore s’il savait ce qu’elle avait vécu dans le

passé, s’il apprenait les attouchements dont elle avait été l’objet ? — Vous ne connaissez rien de moi, Jacques, sinon mon enve-

loppe extérieure. — Un enveloppe extérieure tout à fait à mon goût, Holly ! Et

vous vous trompez. Je vous connais mieux que vous ne le pensez. Cela fait maintenant des mois que je vous côtoie, vous observe. On me dit excellent juge en matière humaine. Je me suis hissé au sommet de l’échelle sociale grâce à cette compétence.

Elle ne doutait pas de sa compétence à gérer la situation, mais de la sienne. Il était fort, solide, elle était fragile, vulnérable. Avoir une aventure amoureuse avec un homme comme Jacques Quer-ruel serait catastrophique. Pour lui, elle n’était qu’un flirt de plus !

— Croyez-moi, Holly, je suis sincère. Faites-moi confiance. Lui faire confiance ? Après ce qu’elle avait vécu dans son en-

fance, comment faire encore confiance à un homme ? — Pourquoi devrais-je vous faire confiance, Jacques ? — Parce que, si vous ne le faites pas, cet homme qui vous a fait

souffrir dans le passé aura gagné !

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Holly laissa échapper un soupir. — Vous ne pouvez pas comprendre. — Donnez-moi une chance ! — Non. Comment lui expliquer l’indicible ? — Vous pensez toujours à lui, n’est-ce pas ? Qui a terminé

l’aventure ? Lui ou vous ? Elle retint le rire hystérique qui lui venait aux lèvres. Jacques

n’avait aucune idée de son calvaire. Mais comment pourrait-il en être autrement ?

— Vous ne pouvez pas comprendre ! répéta-t-elle, butée. Un silence de plomb s’installa alors, seulement troublé par une

querelle intempestive au sein du couple de cygnes. Eux aussi sem-blaient avoir un différend.

Holly pensait que Jacques avait définitivement abandonné sa requête lorsqu’il lança d’une voix d’une infinie douceur :

— Cessez de vous défendre, Holly, et venez vous blottir dans mes bras. C’est là votre place.

Elle aurait dû s’enfuir, retourner vers les lumières sécurisantes du château. Au lieu de cela, elle fit ce qu’il lui proposait, elle se lova contre lui. Il prit ses lèvres, et elle répondit à son baiser. Comment résister ? Il suffisait qu’il la touche pour qu’elle perde la tête. Dans ses bras, elle oubliait toute pensée raisonnable.

L’instant était magique, un pur délice. Ne pouvant ignorer le désir que Jacques avait d’elle, elle appréciait la retenue dont il faisait preuve. Mais cette situation ne pourrait durer éternelle-ment, elle en avait conscience.

Sexuellement, elle n’était pas plus expérimentée qu’elle l’avait été à neuf ans, quand David Kirby avait tenté d’abuser d’elle. Ayant par la suite soigneusement évité toute relation amoureuse, elle ne connaissait rien aux hommes. Toutes les expériences que font généralement les adolescentes, les timides baisers échangés

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dans les coins sombres, les premiers émois, les premières caresses, rien de tout cela ne lui était arrivé.

Jacques apprécierait-il sa totale inexpérience ? Elle en doutait. Comme si la pression se faisait soudain trop forte, il la repoussa

gentiment et se leva du banc sur lequel ils étaient assis. — Marchons un peu, proposa-t-il. J’aimerais vous montrer le

nid des cygnes où dorment encore les petits. Comme elle lui lançait un regard surpris, il demanda : — Je vous étonne ? — Oui. Une grimace déforma un instant ses lèvres sensuelles. — Quelle image avez-vous donc de moi, Holly ? Non, ne dites

rien, cela vaut mieux pour mon ego. Elle esquissa un sourire. — Cela vaut mieux, en effet. Comme ils reprenaient leur marche, Jacques éprouva le besoin

de lui raconter les étapes de sa vie qui l’avaient amené à ce qu’il était. Il lui raconta les bons et les mauvais souvenirs, son enfance pauvre, le mépris des enfants nantis à son égard, sa rage de réus-sir.

Tout avait commencé par l’accident survenu à son père et les conséquences économiques désastreuses qui en avaient résultées pour sa famille.

— Mon père travaillait dans une fabrique de meubles et gagnait bien sa vie. Hélas, un jour, une armoire en chêne massif est tom-bée sur ses jambes. C’était un accident du travail. Son patron af-firma qu’il s’occupait de tout, qu’il n’avait aucune démarche à entreprendre. Mon père le crut. En fait, l’entreprise n’était pas assurée. Mon père se trouva licencié pour faute professionnelle, sans indemnité et dans l’incapacité de retrouver un emploi. Sans argent, il ne pouvait poursuivre son employeur devant les tribu-

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naux. Ma famille a dû quitter l’appartement qu’elle occupait et ma mère travailler comme femme de ménage.

— Je suis désolée, dit Holly, émue aux larmes. Mais, au-jourd’hui, votre père peut marcher ?…

— Dès que j’ai eu de l’argent, je l’ai mis entre les mains des plus grands chirurgiens. Il a subi plusieurs opérations. Il souffre encore beaucoup mais ne se plaint jamais. Tous ces événements ont affai-bli son cœur. C’est un miracle qu’il soit encore parmi nous.

Elle revit l’homme aux cheveux prématurément blanchis, son attitude digne et l’amour pour lui dans les yeux de sa femme.

— Ceux qui l’ont fait souffrir ont été punis, poursuivit Jacques. Leur entreprise a périclité. Devenu leur principal concurrent, je l’ai finalement rachetée pour une bouchée de pain. Ceux qui ont mis mon père à la rue sont désormais ruinés. Je vous choque ?

— Non, ces gens n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Dans toute société existent des êtres immondes. Fort heureusement, elle en abrite d’autres qui vous tendent la main et vous redonnent con-fiance.

Leurs regards se cherchèrent, se trouvèrent, se soudèrent. Tous deux avaient souffert, et cette souffrance les rapprochait.

— Le mal que ces gens nous ont fait s’est finalement retourné contre eux, reprit Jacques. Au fur et à mesure que leur entreprise périclitait, les membres de cette famille se sont entredéchirés. Ceux de la mienne ont survécu en restant soudés dans le malheur. Je suis fier d’eux.

— Eprouvez-vous encore de la haine ? — Non. Haïr est une perte de temps, tout comme lutter contre

l’amour. La gorge de Holly se noua. L’amour ! Cela pouvait également

faire souffrir. Tomber amoureuse de Jacques Querruel était la pire chose qui

puisse lui arriver. Ce séducteur ne pouvait que l’insécuriser, la

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détruire. Aujourd’hui, elle représentait un défi à relever pour le chasseur qu’il était. Mais demain…

— Passez la nuit avec moi, Holly. Passer la nuit avec lui ! Ce serait divin. Mais, après… — Je ne vous forcerai en aucune façon, je vous le promets ! Il n’aurait pas à le faire, elle se donnerait à lui. — Procédez-vous toujours ainsi avec les femmes que vous ame-

nez ici ? demanda-t-elle. Un château des Mille et Une Nuits, un repas succulent, une promenade au clair de lune… Qui pourrait résister ?

Il ne répondit pas. Elle leva les yeux vers lui. Il la regardait avec une telle intensité qu’elle frémit de tout son

être. — A quel jeu de pur sadisme jouez-vous, Holly ? demanda-t-il.

Vous répondez à mes baisers puis me repoussez. Nous ne sommes plus des adolescents !

Elle baissa la tête. Avait-elle seulement dépassé l’âge de ses neuf ans ?

— Je pense qu’il est temps pour moi de rentrer. — Croyez-vous vraiment que la fuite soit la meilleure réponse à

la situation ? Qu’insinuait-il ? Qu’elle faisait preuve de lâcheté ? — La fuite n’est pas dans mes habitudes ! lança-t-elle, le défiant

du regard. — Vraiment ? Alors, prouvez-le. Restez avec moi cette nuit !

Dans une chambre séparée, si vous insistez. — Non ! — Pourquoi, Holly ? — Parce que je n’en ai pas envie.

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— Vous mentez ! Vous vous mentez à vous-même. Je vais vous rendre la tâche plus facile : vous restez ici cette nuit, c’est un ordre ! Nous sommes à trente kilomètres de Paris. C’est une longue route à faire à pied, même par une nuit de pleine lune !

— Vous… j’ai sûrement mal entendu ! — Non. Je me surprends moi-même. C’est la première fois que

je suis acculé à utiliser de telles méthodes pour m’assurer la com-pagnie d’une femme !

— D’habitude, elles se précipitent dans votre lit, n’est-ce pas ? — En effet ! Pourquoi perdre du temps, lorsqu’on sait vouloir la

même chose ? — Un adjectif qualifie un homme tel que vous ! — Plusieurs : charmant, séduisant, irrésistible, captivant…

Dois-je poursuivre ? Holly faillit trépigner de rage. Jacques l’observait, amusé. — Vous êtes très belle lorsque vous êtes en colère, Holly ! — Croyez-vous pouvoir me mettre dans votre lit en me faisant

ce genre de compliment ? Je ne puis rester, je n’ai pas mes af-faires !

Il rit. — De tels prétextes sont indignes de vous. Restez et racontez-

moi ce traumatisme que vous avez subi. Croyez-moi, il ne s’agit pas d’une curiosité malsaine. Ma vie n’a pas été facile. Vous pou-vez sans complexe vous confier à moi.

Les larmes vinrent spontanément aux yeux de Holly. Comme elle aurait aimé pouvoir lui obéir, céder à cette voix enchante-resse ! Mais c’était aussi le ton de voix utilisé par David Kirby afin qu’elle lui cède, et tout son être se révulsa.

Elle se souvenait des réactions de la famille qui l’avait accueillie après les Kirby.

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« Cette enfant ne montre aucun des signes de violence décrits par la famille précédente, mais elle est bizarre, renfermée. Peut-être devrait-elle être suivie par un psychologue, elle pourrait re-présenter un danger pour les autres enfants… »

— Holly… Il l’obligea à lever les yeux vers lui. — Vous ne pouvez me repousser éternellement. Je ne le per-

mettrai pas. Au tout début, j’ai cru que vous n’éprouviez pour moi que de l’aversion. Aujourd’hui, je sais qu’il n’en est rien. Je vous ai sentie vibrer dans mes bras. Votre corps vous a trahie.

— Je… je n’ai pas d’aversion pour vous. — Mais vous me combattez ! Oui, elle le combattait ! Comment pouvait-il en être autre-

ment ? Elle devait le faire. Pour ne pas être détruite une fois en-core. Ce combat était vital, il serait le sien sa vie durant. Personne, jamais, ne pourrait l’aider. Surtout pas Jacques Querruel.

Dans de tels instants, elle ressentait une grande fatigue morale. Le fardeau était si lourd à porter ! Et pourtant, il n’y avait pas d’autres solutions pour que plus jamais un homme ne puisse lui faire du mal.

— Raccompagnez-moi, je vous en supplie ! — Non. Vous restez ici cette nuit, dans une chambre séparée.

Demain matin, nous prendrons le petit déjeuner ensemble, puis nous passerons à votre appartement afin que vous puissiez vous changer avant de rejoindre le bureau.

Dans sa bouche, tout paraissait si simple, si facile ! Mais il dirigeait sa vie, et elle ne pouvait le lui permettre. — Désolée, Jacques, mais nous ne sommes pas au travail, vous

n’avez pas d’ordre à me donner. Je veux rentrer ! Il parvint à esquisser un sourire, mais ses yeux mordorés

s’obscurcirent.

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— Désolé, Holly, lança-t-il, inflexible, mais ici ou ailleurs, c’est moi qui donne les ordres, et non le contraire.

— Ainsi, vous aussi vous utilisez le pouvoir du fort contre le faible !

— Le faible ? De qui parlez-vous ? Vous êtes un roc, Holly ! Je vous offre l’hospitalité, que vous le vouliez ou non. Assez tergiver-sé, je ne veux plus entendre un mot sur le sujet. Au fait, votre pé-riode probatoire est terminée, mademoiselle Stanton. Il va falloir prendre une décision quant à votre avenir au sein de Querruel International. Que décidez-vous au sujet du poste que vous occu-pez ?

Prise de court, Holly répondit la vérité. — J’apprécie mon travail et j’aimerais rester, si vous êtes satis-

fait de mes services. — Je le suis. — Vous… vous me donnez le poste ? — Définitivement !

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7.

Holly passa une nuit agitée dans la somptueuse chambre d’amis. Chaque craquement de plancher amenait son regard sur la porte.

Mais celle-ci resta fermée, et l’objet de ses pensées ne la fran-chit pas.

Aux premières lueurs de l’aube, abandonnant tout espoir de dormir, elle alla prendre sa douche. Sous le jet puissant, elle se massa longuement le cuir chevelu, comme si cela pouvait remettre de l’ordre dans ses pensées.

Comment diable avait-elle pu se retrouver dans une telle situa-tion ? Tout était de la faute de Jacques Querruel ! Cet homme était impossible ! Un bulldozer, Attila ! Il n’écoutait personne et n’en faisait qu’à sa tête, ne suivant que ses désirs.

Ses désirs ! Fébrile, elle tourna le robinet d’eau froide afin d’éteindre le feu

allumé en elle. Pourquoi la poursuivait-il de ses assiduités ? Il n’avait pas le

droit ! Il avait toutes les femmes qu’il voulait. Elle ne se faisait aucune illusion. Au lit, avec sa totale inexpérience, elle ne pourrait que le décevoir. Et après usage, elle n’aurait plus aucune utilité.

Frigorifiée, elle finit par sortir de la douche pour revêtir le pei-gnoir de bain vaporeux trouvé la veille sur son lit. Il devait coûter une fortune. Tout, dans cet endroit de rêve, n’était que luxe et beauté.

Comme il était trop tôt pour s’habiller, elle s’allongea sur le lit, les yeux fixés sur le plafond.

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De quoi se plaignait-elle ? D’avoir passé la nuit dans un château des Mille et Une Nuits ? Il y avait pire châtiment. Tout allait bien-tôt rentrer dans l’ordre, elle en était certaine. L’intérêt qu’éprouvait pour elle le magnat français n’allait pas tarder à s’estomper, c’était dans l’ordre des choses. Il reprendrait alors ses habitudes auprès des femmes de son monde, celles qui lui corres-pondaient vraiment : pas d’attachement, juste du plaisir.

Elle avait pu voir certaines de ces femmes dans les magazines people apportés par ses collègues de l’équipe. Elles étaient belles, intelligentes, exerçaient des postes à haute responsabilité dans le monde de la mode ou des affaires. L’une d’elles, une éblouissante créature à la chevelure flamboyante, n’était rien de moins que P.-D.G. d’entreprise. Une autre, blonde comme les blés, était la ré-dactrice en chef d’un célèbre magazine de mode.

Holly se boucha les oreilles, comme si ce geste puéril pouvait empêcher ces pensées de pénétrer son cerveau enfiévré. Elle finit par s’endormir… pour être réveillée par des lèvres tièdes et douces posées sur les siennes.

Ouvrant les yeux, elle se trouva confrontée à ceux, mordorés, de son hôte.

— Bonjour, ma Belle au bois dormant. Sans lui laisser la moindre chance de protester, il l’attira contre

lui et reprit ses lèvres en un baiser passionné, glissant subreptice-ment une main exploratrice sous le peignoir de bain.

Le contact de cette main sur sa peau nue fit frissonner Holly, mais elle ne la repoussa pas. Son cœur battait la chamade. Après la nuit tourmentée qu’elle venait de subir, elle n’avait qu’un désir : être dans ses bras. Elle ne voulait penser ni au passé ni au futur. Il n’y avait plus que l’instant présent, unique, délicieux, irrempla-çable.

— La nuit vous a-t-elle été douce ? demanda-t-il en relâchant enfin son étreinte.

— Vous… vous avez profité de mon sommeil pour…

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— Pour vous embrasser ? Oui, déclara Jacques avec effort. N’est-ce pas ainsi que le prince charmant doit réveiller sa belle ? J’aimerais tellement vous éveiller à l’amour, Holly !

Rentré sans bruit dans la chambre de la jeune femme, il l’avait tout d’abord regardée dormir, si belle, si désirable ! Elle le rendait fou. Fou de désir, fou d’amour. Fou de rage contre ce monstre qui, de toute évidence, lui avait fait du mal dans le passé ! Il aurait donné cher pour qu’elle se confie à lui, mais hélas la citadelle sem-blait imprenable.

Découvrant qu’elle était nue sous le peignoir, il s’était tout d’abord arrêté, tétanisé. Sa peau était d’une incroyable douceur, il n’était plus habité que par une seule pensée : la toucher, la cares-ser, explorer son corps jusque dans ses moindres recoins.

Il la sentait trembler contre lui. Allait-elle le repousser ? Non ! Dans un geste spontané, elle noua ses bras autour de son cou et s’ouvrit totalement à son baiser. « Prends-moi ! » semblait crier toute son attitude.

Il dut faire appel à toute la force de sa volonté pour ne pas le faire. Se levant brusquement, il se dirigea vers la fenêtre et ouvrit grands les rideaux, laissant la lumière inonder la pièce.

Lorsqu’il se retourna, il rencontra son regard frustré. — Monique va arriver d’une minute à l’autre avec le thé,

l’informa-t-il d’une voix rauque. Des coups discrets frappés à la porte confirmèrent ses dires. Holly se glissa prestement sous les draps. — Entrez ! La gouvernante entra, un plateau à la main. — Bonjour, mademoiselle Stanton, j’espère que vous avez bien

dormi. Monique avait-elle l’habitude d’apporter le thé au lit aux maî-

tresses de son patron ? Mais ces dernières ne dormaient pas dans la chambre d’amis.

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Holly se mordit la lèvre. Que ce serait-il passé si la gouvernante n’était pas arrivée fort à propos ?

Monique les informa que le petit déjeuner les attendait dans la salle à manger et quitta la pièce.

Jacques fit mine de la suivre. Arrivé à la porte, il se retourna. — Je vous le répète, Holly. Nous ne ferons l’amour que lorsque

vous serez prête dans votre tête, comme vous l’êtes dans votre corps. Pas avant.

Elle ouvrit de grands yeux, les joues rouges comme des to-mates.

— Vous semblez persuadé que cela arrivera un jour, dit-elle d’une voix mal assurée.

— Vous en doutez ? Elle fit un signe affirmatif de la tête. — Pas moi ! Il est des choses contre lesquelles on ne peut rien,

Holly. La vie me l’a appris. A chacun son destin. L’altercation avec Jeff devait se produire, et je devais en être témoin. Sans elle, nous ne nous serions jamais connus.

Il ne souriait plus. Jamais encore, elle me l’avait vu aussi sé-rieux.

— Mais rien ne presse, poursuivit-il. Nous avons tout notre temps.

— « Tout notre temps » ? répéta-t-elle. Pour quoi faire ? — Pour apprendre à mieux nous connaître avant de devenir

amants.

Durant les semaines qui suivirent, Holly fut très occupée. Par les nombreuses démarches à effectuer avant son installation défi-nitive en France, par les responsabilités qu’on lui confiait au tra-vail, et surtout par le caractère spécial de sa nouvelle relation avec Jacques.

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Si les deux premières occupations étaient relativement faciles à gérer, il n’en allait pas de même pour la troisième.

Désormais ils se tutoyaient, comme tout le reste de l’équipe, mais ils passaient aussi la plupart de leurs soirées et de leurs week-ends ensemble, se rendaient au théâtre, au cinéma, et même dans des night-clubs. Mais le plus souvent ils dînaient au château après une folle virée à moto, à la découverte de charmants petits villages où ils s’arrêtaient pour prendre un verre ou un café. Quand ils rentraient tard, Jacques dormait dans son appartement du dernier étage. Jamais il ne la pressait de l’y rejoindre. Elle le faisait le matin, pour le petit déjeuner. Elle adorait cet apparte-ment de célibataire équipé de toute la technologie moderne, qui jouissait d’une des vues les plus fantastiques sur les toits de la capitale.

En dehors de la pression du travail et de ses responsabilités dans la conduite de l’entreprise, dans l’intimité de leur relation à deux, Jacques lui dévoilait chaque jour de nouvelles facettes de son étonnante personnalité. Plus elle apprenait à le connaître, plus elle prenait conscience que la rumeur qui courait sur ses nom-breuses conquêtes était exagérée. Certes, il avait eu des maîtresses, mais il montrait beaucoup de respect pour chacune d’elles. S’il aimait séduire, il ne s’en conduisait pas moins en gentleman. Der-rière la façade de l’homme d’affaires tout-puissant à qui tout réus-sissait, elle découvrait l’homme.

Elle se surprenait aussi à lui raconter sur elle des choses qu’elle n’avait jamais dites à personne. Les angoisses, les peurs, les incer-titudes ressenties alors qu’elle se trouvait ballottée de famille d’accueil en famille d’accueil se glissaient plus souvent qu’elle ne l’aurait voulu dans la conversation. Mais pas une seule fois elle n’évoqua David Kirby.

Chaque fois que Jacques tentait de la faire parler de ses amours passées, il se heurtait à un mur. Lui avouer qu’il était le premier homme avec qui elle acceptait de sortir aurait été ouvrir la boîte de Pandore, et elle s’y refusait.

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Cette situation ne pourrait durer éternellement, elle en avait conscience.

« J’attendrai le temps qu’il faudra, avait promis Jacques. Je se-rai d’une patience infinie. »

Certes, mais où cela les conduirait-il ? L’entreprise de séduction se poursuivit tandis que l’été torride

se transformait peu à peu en un automne agréable. Mise en con-fiance par l’attitude réservée de Jacques, elle s’épanouissait au fil du temps, heureuse comme elle n’aurait jamais pensé l’être un jour.

Hélas, ce bonheur ne durerait pas éternellement. Jacques n’allait pas tarder à se lasser…

A cette pensée, les doutes de nouveau l’assaillaient. Dans ces moments-là lui revenait à la mémoire la scène jamais oubliée où David Kirby tentait de la dépouiller de ses vêtements, une main sur sa bouche pour qu’elle ne puisse crier, tout en l’abreuvant de mots dont elle ne connaissait pas le sens mais qui la terrorisaient. Elle s’était débattue, le griffant, mordant sa main au sang, jusqu’à ce qu’il abandonne enfin son sinistre projet.

Elle aurait pu montrer à Cassie et aux travailleurs sociaux les marques laissées sur son corps par ce combat, mais elle avait eu honte. Ce n’était pas de sa faute, mais il lui avait fallu des années pour l’admettre. Tout comme il lui avait fallu des années pour comprendre que sa première famille d’accueil ne s’était pas débar-rassée d’elle. Kate et Angus West ne l’avaient pas abandonnée. Tous deux gravement malades, ils ne pouvaient plus assurer sa garde, tout simplement. L’information de leur double décès, sur-venu peu après son départ, ne lui était parvenue que bien plus tard. Voilà pourquoi ils n’avaient jamais donné de leurs nouvelles.

Pourquoi cacher ces choses-là aux enfants ? Pourquoi ne pas leur parler de la maladie et de la mort de ceux qu’ils aiment ? Se sentir abandonné était la pire des choses pour un enfant.

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Parfois, après une étreinte passionnée dans les bras de Jacques, l’angoisse la terrassait : cela ne durerait pas, ceux qu’elle aimait lui étaient toujours enlevés.

Ce vendredi soir, Holly était seule avec Jacques, dans son bu-reau.

— Tu vas devoir mettre ta plus jolie robe ce soir, Holly ! lança-t-il alors qu’elle venait de lui faire son rapport sur un nouveau projet.

— Pourquoi ? — Nous sommes invités à une soirée chez des amis. Ils sont très

impatients de faire la connaissance de l’Anglaise aux yeux couleur myosotis qui s’est emparée de mon cœur.

— Tu leur as parlé de moi ? — Bien entendu ! Ce sont des amis très chers qui reviennent au

pays après un an à l’étranger. Je serais très heureux qu’ils fassent ta connaissance.

Le cœur de Holly se mit à battre une folle farandole dans sa poitrine. Dans de tels instants, elle se prenait à rêver que leur relation dure éternellement. Mais elle revint très vite à la réalité. La présenter à ses amis faisait partie d’un jeu qui, un jour, le lasse-rait.

Pas d’engagement, telle était la base de leur relation. Ainsi, quand il la quitterait pour une autre, ce qui n’allait pas tarder à arriver, la séparation serait plus facile à supporter. Tout au moins le supposait-elle.

— A quelle heure faut-il que je sois prête ? — A 20 heures. Attends-moi. Je n’en ai plus que pour quelques

minutes et nous partirons ensemble. — Non. Je dois y aller, j’ai des courses à faire.

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Elle tenait à ce que jamais ils n’arrivent ni ne partent ensemble. Le tour pris par leur relation devait rester secret.

Jacques observa attentivement Holly tandis qu’elle rangeait les pièces du dossier étudié.

La jeune femme avait endossé les responsabilités assignées à son poste au-delà de ses espérances. C’était un élément remar-quable, désormais parfaitement intégré à l’équipe, qui l’appréciait unanimement. Plus il la connaissait, plus il lui était attaché. Hélas, la citadelle derrière laquelle elle s’abritait semblait imprenable.

Parfois, quand elle était dans ses bras, il lui arrivait de perdre la tête. Il avait alors bien du mal à maîtriser ses ardeurs… Fort heu-reusement, la discipline de fer qu’il s’imposait le faisait se re-prendre à temps, mais il doutait que cela dure éternellement.

Cet homme qu’elle avait connu dans le passé continuait à être un obstacle. Que lui avait-il fait ? Il ne désespérait pas de le savoir.

— A 20 heures, donc ! Je passe te prendre. Elle quitta la pièce, et il se replongea dans l’étude du dossier.

Jusque-là, il s’était montré d’une patience d’ange. Pour quel résul-tat ? Cela ne pouvait durer, il allait devoir changer de tactique.

* * *

Le village médiéval de Monfort-Lamaury apparut aux yeux de Holly au détour de la route, les lumières scintillant tels des dia-mants aux fenêtres des maisons.

« Un vrai décor de carte postale ! » pensa-t-elle tandis que la Jaguar s’approchait du site nimbé par les rayons argentés de la lune.

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Jacques arrêta la voiture devant le perron d’une élégante de-meure. Avant de descendre du véhicule, il se tourna vers elle et lui sourit.

— Tu es très en beauté, ce soir, Holly, je suis fier de te présenter à mes amis.

Holly le suivit des yeux tandis qu’il se glissait hors de la voiture et contournait le capot pour venir lui ouvrir la portière.

Durant ces dernières semaines, ils avaient passé beaucoup de temps en compagnie l’un de l’autre, et elle avait pu apprécier ses nombreuses attentions. Il lui ouvrait systématiquement la porte, veillait toujours à ce qu’elle soit confortablement installée avant de s’asseoir lui-même… Personne ne s’était jusqu’alors comporté ainsi à son égard. Elle n’avait pas l’habitude que l’on veille sur elle. Au début, cela l’avait surprise et même embarrassée, puis elle avait compris que ce comportement était aussi naturel à Jacques que le fait de respirer. Etre ainsi choyée était délicieux, mais extrême-ment dangereux. On en prenait vite l’habitude.

Ce soir, elle avait particulièrement soigné sa tenue. Probable-ment pour qu’il soit fier d’elle. Lui-même était d’une extrême élé-gance, être vue à son bras était un honneur. Pourquoi était-elle aussi nerveuse ? Toujours ce manque de confiance en elle qui remontait à la surface. Quand donc s’en débarrasserait-elle ?

Elle avait tort d’être nerveuse. Les amis de Jacques, Alain et Marguerite, l’accueillirent avec une chaleur spontanée.

Dans le vaste salon de réception où se pressaient déjà bon nombre d’invités, un pianiste jouait un air de jazz. Les portes vi-trées ouvraient sur un parc éclairé. Les lampes installées dans les arbres mettaient en valeur de somptueux massifs.

Elle sourit en repérant un tricycle d’enfant abandonné dans une des allées : un peu de désordre dans ce bel arrangement était sympathique.

Le sourire encore aux lèvres, elle croisa le regard d’une jeune femme qui l’observait intensément.

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Christina ! Elle avait reconnu instantanément la « fille aînée » côtoyée

dans la famille d’accueil de David et Cassie Kirby. Le passé exécré surgissait devant elle !

Cela faisait quinze ans qu’elle n’avait pas revu Christina, mais la jeune femme ayant inclus une photo dans la missive lui annon-çant le suicide de David, elle la reconnaissait sans peine.

Elle lui avait répondu une lettre polie déclinant son invitation à reprendre contact. Elle n’avait pas envoyé de photo, mais de toute évidence Christina la reconnaissait aussi.

Elle aurait voulu disparaître sous terre. Non, c’était impossible, Christina ne pouvait se tenir devant

elle ! Pourquoi le destin lui jouait-il ce tour ? N’avait-elle pas déjà assez payé ?

— Que se passe-t-il, Holly ? La voix inquiète de Jacques la ramena à la réalité. L’horreur

qu’elle éprouvait devait se lire sur son visage, elle devait impérati-vement se reprendre.

Il prit sa main dans la sienne. — Tu es toute pâle ! Tu ne te sens pas bien ? — Euh… non, pas très bien ! — Veux-tu rentrer ? Oh oui, elle voulait rentrer, partir, s’enfuir à l’autre bout du

monde ! Mais il était trop tard, Christina s’avançait vers eux, le sourire

aux lèvres. Holly se figea avec l’horrible impression de vivre un cauche-

mar. Allons, se morigéna-t-elle, tout allait bien se passer ! Elle parle-

rait à Christina comme si de rien n’était. Après tout, c’était une amie d’enfance ! Jacques savait qu’elle avait été placée dans des

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familles d’accueil. Ce qui s’était passé n’était pas écrit sur son visage.

Et Christina n’allait pas aborder le sujet, pas ici ! — Holly, est-ce vraiment toi ? Je n’en crois pas mes yeux.

Quelle merveilleuse surprise ! Christina semblait si sincèrement heureuse de la revoir que

Holly se sentit coupable de ne pas partager son enthousiasme. Christina et John ne l’avaient pas soutenue quand elle avait

tenté de dénoncer le monstre, mais comment auraient-ils pu le faire ? Ils n’étaient alors que des enfants terrifiés eux aussi, des marionnettes entre les mains du pervers.

— Bonsoir, Christina. Que dire de plus ? Les mots franchissaient difficilement sa

gorge nouée. Mais Christina l’étreignit chaleureusement, avant de reculer

pour mieux la regarder. — C’est si bon de te revoir après toutes ces années, Holly ! Ses yeux se posèrent alors sur Jacques qui contemplait la

scène. — Je te présente Jacques, dit aussitôt Holly. Jacques, je te pré-

sente Christina, une amie d’enfance. — Enchanté ! dit Jacques en serrant la main tendue par la

jeune femme. Je suis très heureux de rencontrer une amie de Hol-ly. Etait-elle aussi ravissante, enfant, qu’elle l’est aujourd’hui ?

Christina sourit. — Elle l’était, et nous étions toutes un peu jalouses d’elle. « Seigneur, faites qu’elle ne parle pas du passé ! » — Je t’ai écrit une seconde lettre, Holly, poursuivait Christina,

apparemment totalement inconsciente de son malaise, mais la poste me l’a renvoyée avec la mention : « n’habite plus à l’adresse indiquée ».

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La lettre n’avait pas été retournée par la poste mais par elle-même. Elle ne désirait pas garder de liens avec son passé.

Consciente du regard de Jacques fixé sur elle, elle se força à sourire.

— Je vis et travaille désormais en France, expliqua-t-elle. Tu es venue seule ?

— Non, avec mon mari. Je vais te le présenter. Se retournant, elle fit un signe à un homme qui les rejoignit. — Louis, je te présente Holly. Tu te souviens, je t’ai parlé d’elle.

Holly, voici Louis, mon mari. Grand, mince, les cheveux grisonnants, l’homme devait avoir

une vingtaine d’années de plus que sa jeune femme mais semblait particulièrement doux et rassurant. Il leur serra la main poliment.

Holly commençait à penser qu’elle s’inquiétait à tort, quand, glissant son bras sous le sien, Christina l’entraîna quelques pas en arrière.

— Cela fait longtemps que je voulais te parler, Holly, te dire combien j’étais désolée. John et moi regrettons tellement de ne pas t’avoir soutenue à l’époque.

— Cela fait partie d’un passé qu’il nous faut oublier, Christina. Christina posa une main compatissante sur son bras, et elle dut

faire un terrible effort sur elle-même pour ne pas la repousser et s’enfuir. Bien que Jacques paraisse en grande conversation avec le mari de Christina, elle n’était pas certaine qu’il n’écoute pas.

— David savait si bien nous manipuler ! poursuivit Christina. C’était un monstre de perversité. John et moi étions ses jouets, nous étions terrifiés. Ce n’est que plus tard, quand le scandale a éclaté au centre équestre, que j’ai osé témoigner au tribunal et que John m’a suivie.

— Christina, je n’ai aucune envie de parler de tout ça ! Je cherche au contraire à l’oublier.

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Enfin consciente de son malaise, Christina laissa échapper un profond soupir.

— Tu n’as pas résorbé le traumatisme, n’est-ce pas ? J’ai moi-même eu bien du mal à m’en remettre. Mais ce témoignage que j’ai fait au tribunal m’a délivrée. Depuis, j’ai pu faire des démarches et retrouver mon père biologique. Il est français. Grâce à lui, j’ai rencontré Louis, et mon bonheur est total.

— Je suis sincèrement heureuse pour toi, Christina. — Permets-moi de te donner un conseil, Holly. Ne garde pas

cette histoire pour toi ! Il est nécessaire de parler pour se délivrer de ce que l’on a subi. Je connais à Paris un thérapeute qui fait des merveilles. Je peux te donner son adresse, si tu le souhaites.

L’arrivée de Marguerite, leur hôtesse, mit heureusement fin à la conversation.

— Ainsi, vous vous êtes rencontrées toutes les deux ! dit-elle. Je vous cherchais pour vous présenter l’une à l’autre. Il est toujours agréable de rencontrer une compatriote lorsqu’on est à l’étranger.

— Vous n’allez pas le croire, Marguerite ! Figurez-vous que, Holly et moi, nous nous connaissions déjà.

— Vraiment ! s’exclama Marguerite. — Le monde est petit ! renchérit Jacques. Puis, passant son bras autour de la taille de Holly, il ajouta : — Si vous voulez bien nous excuser, je voudrais encore présen-

ter quelques personnes à Holly. Avait-il entendu sa conversation avec Christina ? Tandis qu’il

l’entraînait à sa suite, elle lui lança un regard, mais son visage impassible ne lui livra pas ses pensées. Il se contenta de la présen-ter à différentes connaissances, comme il l’avait annoncé.

Elle respira plus aisément. Tout allait bien, il n’avait pas enten-du la conversation. Il ne lui restait plus qu’à éviter Christina pour le restant de la soirée.

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Ce ne fut pas trop difficile, Jacques s’ingéniant à la conduire de groupe en groupe et animant la conversation.

Le pianiste avait du talent, le buffet était grandiose, mais elle ne put avaler une bouchée. Si Jacques remarqua son manque d’appétit, il n’en dit mot, mais à maintes reprises elle sentit son regard posé sur elle.

Elle avait du mal à retrouver son équilibre. Cette rencontre, la résurgence d’un passé qu’elle s’efforçait désespérément d’oublier, l’avaient bouleversée. Elle devait impérativement se reprendre ! David était mort et enterré, il ne lui ferait plus aucun mal.

Christina et Louis quittèrent la soirée relativement tôt, la jeune femme se contentant de lui adresser un signe amical de la main au moment de prendre congé. Elle avait dû finalement percevoir sa froideur. C’était mieux ainsi. Reparler de David Kirby lui aurait été insupportable.

Lorsque, à leur tour, Jacques et elle prirent congé de leurs hôtes, ces derniers leur firent promettre de revenir un week-end, afin de faire la connaissance des enfants.

Quand ils roulèrent sous le ciel étoilé, elle respira plus libre-ment : le cauchemar était terminé.

Elle se trompait. A peine avaient-ils longé quelques rues que Jacques se garait

dans un endroit désert. Le moteur arrêté, il se tourna vers elle. — Que se passe-t-il, Holly ? Tu penses que je ne te connais pas,

mais tu te trompes. Je te connais si bien que lorsque quelque chose te bouleverse, je le lis sur ton visage comme dans un livre ouvert. La rencontre avec Christina t’a bouleversée, ne le nie pas. Qui est ce David ?

La voix de Jacques était d’une douceur extrême mais Holly ne se faisait aucune illusion, cette fois elle ne pourrait éluder ses questions. Ainsi, le temps du bonheur précaire touchait à sa fin !

— Tu nous as écoutées ?

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— Pas autant que je l’aurais voulu ! Le mari de Christina tenait absolument à me faire part de ses scores au golf. J’ai cependant capté quelques phrases…

— Lesquelles ? — Celles qui parlaient de thérapie et de tribunal. Quels rap-

ports avait cet homme avec vous deux ? A-t-il été votre amant à toutes les deux ? Il semble qu’il y ait eu des problèmes. A-t-il abusé de vous ?

— Jacques, je t’en prie… Elle ne pouvait pas lui parler de ça ! C’était son secret, son fardeau, la partie obscure de son enfance

entachée de choses inavouables. Il ne pouvait pas comprendre cette terreur tapie au tréfonds d’elle, qui remontait à la surface et l’empêchait de se donner à lui. Il connaissait son enveloppe exté-rieure, il la trouvait agréable à regarder, à présenter à ses amis, mais il ne connaissait rien de son mal-être, du terrible sentiment d’insécurité qui l’habitait, de son inhibition pour les relations sexuelles.

Les femmes qui se donnaient à lui le faisaient le plus naturel-lement du monde. Elle-même ne le pourrait jamais. Leur aventure se terminerait un jour prochain. Pour lui, ce serait une aventure de plus, sans lendemain, sans engagement, sans attachement. Pour elle, ce serait l’enfer.

— Ne fuis pas mes questions, Holly ! Tu dois me parler ! Il faut que je comprenne, ça ne peut plus durer ! Tu ne peux pas conti-nuer à souffler le chaud et le froid avec moi comme tu le fais. Toute autre femme qui se conduirait ainsi, je la traiterais d’allumeuse. Mais tu n’es pas de ce genre, j’en suis convaincu.

Holly cacha son visage entre ses mains. Elle avait mal. Jacques avait toutes les raisons du monde de blâmer son attitude. Il s’était ouvert à elle, lui avait raconté son enfance, sa lutte pour la survie, son combat pour son père. Que lui avait-elle donné en retour ?

— Tu ne connais rien de moi, Jacques.

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— Je te connais suffisamment pour vouloir faire de toi ma femme, Holly ! Peu m’importe ce David et votre passé. Je veux te chérir toute ma vie, ce que cet homme ne semble pas avoir été capable de faire. Pourquoi penses-tu que je ne t’ai pas déjà entraî-née dans mon lit ? Parce qu’une aventure sans lendemain ne m’intéresse pas. Je veux t’épouser. Je t’aime ! J’ai attendu jusqu’à ce jour la femme qui serait ma compagne pour la vie, la mère de mes enfants. Tu es celle que j’attends. J’ai été patient, attendant que tu sois prête à m’accorder la confiance. Mais, par tous les diables, cela a assez duré !

Les mots trop longtemps retenus sortaient de sa bouche telle une rafale de mitraillette.

— Bien des fois, j’ai failli te faire mienne. J’aurais pu le faire, tu le sais aussi bien que moi. Ce soir, je m’étais promis que tu le se-rais, que l’attente avait assez dure. Mais une relation destinée à durer toute une vie ne peut se construire que sur une totale con-fiance réciproque.

Elle le regarda, tétanisée. Les mots prononcés auraient dû la faire défaillir de bonheur. Ils tenaient du miracle, et tout au fond d’elle-même elle savait qu’il était sincère, qu’il ne s’agissait pas d’un jeu.

— Je doutais de pouvoir un jour m’engager, poursuivit Jacques après un silence. Je l’avoue humblement. Demander à une femme de partager ma vie, cela me paraissait impossible. Mais pas une minute je n’ai pensé que, ce faisant, l’élue me regarderait comme tu le fais !

— Je… je suis désolée. Comment lui faire comprendre qu’il n’était pas en cause ? C’est

elle qui ne serait jamais à la hauteur. Jamais elle ne pourrait lui donner ce qu’il attendait d’elle.

— Je suis désolée, répéta-t-elle, tel un automate. Je ne peux ac-cepter…

— Pourquoi ? N’éprouves-tu aucun sentiment pour moi ?

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Comme il se trompait ! Elle l’aimait à en mourir, mais elle ne pouvait pas être sa femme. Elle ne devait pas accepter de l’être !

Son visage dut refléter l’agonie qu’elle éprouvait, Jacques dut voir les larmes qui perlaient à ses paupières.

Il prit ses mains glacées dans les siennes. — Que t’a fait cet homme, Holly ? Tu l’aimes encore, c’est ça ? — Non, non ! — Tu me brises le cœur. Il m’est insupportable de te voir souf-

frir ainsi ! Elle lui brisait le cœur ? Ces mots firent voler en éclats la fra-

gile ligne de défense derrière laquelle elle se retranchait désespé-rément. Son propre cœur battait si fort que c’en était douloureux.

— Jacques, ce n’est pas ce que tu penses ! — Vraiment ! Que crois-tu donc que je pense ? — Je… je ne peux pas t’expliquer. — Tu ne peux ou tu ne veux pas ? Sa gorge était si contractée que ce fut un miracle que les mots

la franchissent. — Je ne peux pas, Jacques. Crois-moi, je ne peux pas ! — Que proposes-tu ? Que je sois un ami, un bienfaiteur, un pa-

tron, et jamais un amant ? C’est absurde ! J’ai de nombreuses preuves que ton corps est avide de mes caresses. Chaque fois tu sembles prête à te donner à moi, et tu me repousses. Explique-moi pourquoi.

Que répondre ? Il avait entièrement raison. Sa conduite était incompréhensible, illogique, pour quiconque ignorait le trauma-tisme qu’elle avait subi. Il la suppliait de lui faire confiance pour gérer l’avenir. Comme elle aurait aimé que ce fût possible ! Mais ça ne l’était pas et ne le serait jamais. L’issue qu’elle redoutait était arrivée. C’était la fin, la fin de cette vie de rêve, de ce travail de rêve, de cette idylle de rêve.

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Car il s’agissait bien de cela. Le moment était venu pour elle de mettre fin à ces semaines de bonheur. Elle devait ça à Jacques pour tout ce qu’il avait fait pour elle : le libérer de sa présence à jamais. Elle n’avait que trop attendu.

— Je… je vais te remettre ma démission. — Quoi ? L’expression de Jacques venait de changer radicalement. Ses

yeux lançaient des éclairs. — Je te donne ma démission, répéta-t-elle d’une voix plus

ferme. Cela rendra les choses plus faciles. — Oh, certainement ! rétorqua-t-il, sarcastique. Je vais perdre à

la fois l’ingénieur textile indispensable à mon entreprise et la femme indispensable à ma vie !

— Je suis consciente que tu as besoin d’un délai pour me rem-placer, je peux…

— Assez ! Elle leva les yeux vers Jacques et, l’espace d’un instant, eut

peur qu’il ne la frappe. Au lieu de cela, prenant son visage en coupe dans ses mains

dans un geste impulsif, il s’empara de ses lèvres. Le baiser ne fut ni doux ni tendre. Il exprimait la hargne de

Jacques, sa rage, son désir trop longtemps contenu. C’était le bai-ser d’un homme parvenu au paroxysme de la frustration, conscient qu’il était sur le point de perdre une femme à jamais irrempla-çable.

Holly ne le combattit pas une seule seconde. Son sentiment de culpabilité de s’abandonner à son étreinte fut balayé en un instant par la soif inextinguible de ce baiser, de ces caresses.

Pendant un instant de pure magie, emportés par la passion qui les dévorait, ils furent seuls au monde, enfermés dans une bulle hors du temps et de l’espace. Dans cette frénésie réciproque, elle oubliait ses peurs, ses angoisses, ses inhibitions. Sa bouche, ses

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mains, étaient aussi impatientes que celles de Jacques. Elle n’existait plus que pour lui, n’avait qu’un seul désir, lui appartenir corps et âme. Son corps vibrait sous les mains qui la parcouraient, avides de l’explorer. Nul autre homme, jamais, ne pourrait lui faire ressentir cela. Si elle ne se donnait pas à lui, jamais elle ne pourrait se donner à un autre.

Plaquée contre Jacques dans l’espace confiné de la voiture, elle répondait avec ardeur à son étreinte, quand elle prit conscience d’un changement brutal dans l’attitude de son partenaire. Celui-ci s’était soudain figé.

— Jacques… Elle prononça son nom comme une prière, mais il se redressa

et reprit sa place sur son siège, ignorant sa supplique. Holly lut sur son visage le terrible effort qu’il s’imposait. — Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. — Ce n’est pas ainsi, confinés dans une voiture, que cela doit se

passer, Holly ! Pas pour nous ! Dieu sait combien j’ai envie que l’on fasse l’amour, mais pas dans ces conditions. Je veux faire de toi ma femme. Je veux me réveiller tous les matins à tes côtés. Quand je rentre le soir, je veux que tu sois là. Je veux que nous vieillissions ensemble. Si nous faisons l’amour maintenant, tu ne me donneras que ton corps. Cela ne me suffit pas.

— Pourtant, tu voulais que nous soyons amants dès le départ, lui rappela-t-elle. Qu’est-ce qui a changé ?

— Moi, j’ai changé ! N’est-ce pas le plus incroyable ? Je t’aime comme un fou et refuse de te faire l’amour. Je te désire comme un damné et me prive du plaisir. Le sexe ne me suffit pas, Holly. Je veux beaucoup plus de toi. Je veux tout.

— Tu veux tout ou rien. — On peut dire ça comme ça, en effet. — Et si c’est rien ? — Ce n’est même pas envisageable.

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Jacques remit en marche le moteur, et elle détourna les yeux vers la route afin qu’il ne puisse voir les larmes qui lui gonflaient les paupières.

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8.

Assise dans sa pimpante cuisine londonienne devant une tasse de thé, Lucie regardait Holly comme si elle était devenue une ex-traterrestre.

— Tu ne peux avoir fait ça ! Holly était venue sonner à la porte de son amie directement en

venant de l’aéroport, le cœur en miettes. — Tu ne peux avoir quitté ce poste de rêve à Querruel Interna-

tional et la vie que tu avais à Paris, comme ça, sans un mot, du jour au lendemain ! Ce n’est pas dans ta manière d’agir !

C’était pourtant ce qu’elle avait fait. — J’ai laissé à Jacques une lettre lui expliquant que je ne pou-

vais pas rester, se défendit-elle d’une voix brisée. J’y ai joint les clés de l’appartement.

— Et tu penses que cela suffit ! Tu vas avoir besoin de réfé-rences pour te trouver un nouveau travail, non ?

Se penchant, Lucy s’empara de Melanie Anne afin de l’installer sur ses genoux.

Il était temps, car l’enfant s’apprêtait à tirer la queue du chat qui passait à côté d’elle. Réalisant qu’il l’avait échappé belle, le chat se réfugia d’un bon sur les genoux de Holly. Après quoi, con-fortablement installé, il se mit à ronronner tandis que la fillette criait sa frustration.

— Je n’ai pas l’intention de solliciter Jacques pour lui deman-der des références, expliqua Holly tout en caressant la douce four-rure de l’animal. Il vaut mieux que nous n’ayons plus aucun con-tact.

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— Vraiment ! Je suis ton amie, mais j’avoue avoir du mal à te comprendre. Un millionnaire dont tu affirmes être amoureuse offre de t’épouser, et tu ne trouves rien de mieux à faire que de t’enfuir comme s’il avait la peste ! Reconnais que c’est étrange. Où est le problème, Holly ?

Elle baissa la tête. La réaction de son amie était prévisible. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Fuir lui avait semblé la seule façon de clore définitivement ce chapitre de sa vie. Dès qu’elle avait rejoint son appartement pari-sien, la veille, elle avait su ce qui lui restait à faire. Elle avait télé-phoné à l’aéroport, réservé une place sur le premier vol du matin en partance pour Londres et passé les heures suivantes à faire ses bagages et à nettoyer l’appartement. Après avoir écrit une lettre pour Jacques vers 5 heures du matin, elle avait appelé un taxi et quitté l’appartement aux premières lueurs de l’aube.

Quelques mois auparavant, lorsqu’elle avait pris la décision d’accepter le poste offert, elle avait résilié le contrat de location de son studio meublé et proposé à Mme Gibson de récupérer le linge de maison qui pouvait l’être. Elle débarquait donc à Londres sans toit pour se loger, mais assurée d’être accueillie à bras ouverts par ses amis James et Lucy.

Cependant, elle savait qu’elle ne pourrait leur demander de l’héberger cette fois encore sans se livrer à quelques confidences. Jusqu’alors, même au cœur de sa dépression, elle ne s’était jamais confiée à personne sur ce qui s’était passé chez les Kirby.

— Le problème, Lucy, c’est moi ! Devant son expression défaite, Lucy prit la décision qui

s’imposait. — Accorde-moi quelques minutes pour endormir Melanie

Anne, et tu me racontes tout, d’accord ? — D’accord.

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Une heure et une boîte entière de mouchoirs en papier plus tard, Holly et Lucy se tenaient assises l’une près de l’autre, les yeux encore embués de larmes.

Elles avaient beaucoup pleuré dans les bras l’une de l’autre, mais surtout la qualité d’écoute de Lucy avait fait merveille pour panser les plaies de Holly. La séance avait agi comme une théra-pie, calmant ses nerfs à vif.

— James et moi savions que derrière ton mal-être, il y avait plus que ce que tu acceptais de révéler, déclara Lucy. Ce que tu as enduré est monstrueux ! Je serais capable de tuer celui qui oserait porter la main sur Melanie Anne.

La véhémence de son amie amena un pâle sourire sur les lèvres de Holly.

— Comme j’aurais aimé, à l’époque, avoir un tel appui de la part d’un adulte !

— Et tu ne l’as pas eu. Comment sortir indemne d’une telle ex-périence ? Mais tu dois retrouver ta confiance en toi, Holly ! Tu es une femme courageuse et admirable, et tes peurs vis-à-vis de Jacques sont infondées, j’en suis sûre. Je suis persuadée que cet homme est très amoureux de toi et que c’est pour la vie.

Elle secoua vigoureusement la tête. — Il croit m’aimer, mais il se trompe. Je ne suis pas une femme

pour lui. Aussi patient qu’il soit, je finirai par le lasser avec mes angoisses. Et s’il restait à mes côtés par pitié, je…

Elle s’arrêta, terrassée par l’émotion. — Holly, je t’en prie, arrête d’envisager le pire ! Et si, au con-

traire, Jacques et toi étiez faits l’un pour l’autre ? Ce type de ren-contre existe. James et moi en sommes la preuve vivante, non ?

James et Lucy était, de toute évidence, le couple le mieux assor-ti qui soit. Mais Holly secoua de nouveau la tête. Ce bonheur-là n’était pas pour elle.

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— Si tu aimes Jacques comme tu l’affirmes, ne passe pas à côté de cette chance, Holly ! Il t’a demandée en mariage. Quelle autre preuve de son attachement voudrais-tu qu’il te donne ? Le fait qu’il soit séduisant et très riche ne peut tout de même pas être mis à son passif…

Elle leva sa main pour arrêter la plaidoirie vibrante de son amie.

— Je t’en supplie, arrête, Lucy ! Je connais tous tes arguments, ils ne me feront pas changer d’avis. Ma décision est prise, je ne le reverrai plus. Parlons d’autre chose, veux-tu ?

— Holly… — S’il te plaît, Lucy ! Et, surtout, promets-moi que ni toi ni

James ne contacterez Jacques pour lui révéler où je me trouve. — Je te le promets, bien sûr ! Je pense sincèrement que tu

commets l’erreur de ta vie, mais pas une seconde je ne te trahirai. C’est valable aussi pour James.

Holly posa sa main sur le bras de Lucy, les larmes aux yeux. — Merci ! C’est si bon d’avoir de vrais amis ! Merci de

m’accueillir encore une fois comme tu le fais. J’ai vraiment besoin d’un toit, le temps de retrouver un travail. Je paierai un loyer, bien entendu. L’état de mon compte en banque s’est considérablement amélioré ces derniers mois, mais je préfère être avec vous plutôt qu’à l’hôtel.

— Il n’est pas question que nous te laissions aller à l’hôtel, Hol-ly ! Tu peux rester ici aussi longtemps que tu voudras, la chambre d’amis est prête.

Lorsqu’il rentra de l’université le soir, James exprima le même sentiment.

Lucy attendit d’être seule avec lui pour lui parler de David Kir-by, et le lendemain, alors qu’ils se retrouvaient pour le petit déjeu-ner, il prit Holly dans ses bras et la serra très fort en pestant contre la conduite indigne de certains représentants de la gent masculine.

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Une fois encore, James et Lucy réconciliaient Holly avec l’humanité. Ils l’avaient sauvée une fois de la dépression et se préparaient à le refaire comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle qui soit. Elle se fit la promesse de tout faire durant son séjour pour leur simplifier la vie.

— Je déteste le repassage, lui avait avoué Lucy. Avec Melanie Anne et mon travail à l’hôpital, il prend des proportions désas-treuses.

Elle commença donc par le repassage trouvé en attente dans un coin de l’appartement. Au moins, elle pouvait la décharger de cette corvée.

En s’adonnant à la tâche, elle eut tout le loisir de réfléchir à son avenir immédiat. Trouver un travail dans sa branche serait diffi-cile. Le poste qu’elle occupait au sein de l’équipe de Querruel In-ternational était rare sur le marché. Elle prendrait donc le premier travail qui se présenterait à proximité. Ce serait d’ailleurs le meil-leur moyen pour que Jacques ne la retrouve pas… S’il décidait de se mettre à sa recherche, ce dont elle doutait.

Lucy lui avait confié que, Noël approchant, le budget du foyer se trouverait considérablement amélioré par le loyer spontané-ment proposé de sa part. Sa présence se révélait donc providen-tielle.

Cette déclaration soulageait la conscience de Holly, toujours prête à se sentir coupable. Se retrouver seule dans de pareilles circonstances aurait été la plus terrible des épreuves. Jacques hantait ses pensées jusqu’à l’obsession. Etre en compagnie de Lucy, James et Melanie Anne lui apportait un peu de baume au cœur. Ces derniers s’évertuaient à lui montrer leur attachement et le bonheur qu’ils éprouvaient de l’avoir chez eux.

Deux jours plus tard, elle obtint un travail dans une boulange-rie-pâtisserie du quartier. Les heures étaient longues, fatigantes. Les patrons, le mari comme la femme, se montraient durs à la tâche et très exigeants vis-à-vis des employées, mais elle appréciait

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sa chance d’avoir aussi rapidement trouvé du travail juste à côté de chez James et Lucy.

Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, et pourtant, chaque jour qui passait, Holly devait lutter contre le désespoir qui l’habitait.

Inutile de tenter de se persuader qu’elle finirait par s’adapter : Jacques lui manquait au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer. Cependant, pas une seule seconde l’idée lui vint qu’elle n’avait pas pris la bonne décision. Elle avait libéré Jacques de sa présence. Il rencontrerait bientôt une femme de son monde, belle, intelligente, et sans inhibition aucune.

Une semaine avant Noël, Holly rendit visite à Mme Gibson et à M. Bateman chargée de présents, sans oublier quelques boîtes de pâtées pour chat parmi les meilleures.

En leur compagnie, elle passa un après-midi délicieux à boire du thé et à déguster les fameux gâteaux à la noix de coco de Mme Gibson. Assaillie de questions par celle-ci, elle dut donner plus d’informations qu’elle ne l’aurait voulu sur son séjour en France et surtout sur sa relation avec son patron. Son hôtesse, la chevelure plus orange que jamais, s’enthousiasma pour cette his-toire « fabuleusement romantique » et jura, à sa demande, de garder secret son lieu de résidence.

Le lendemain matin, il était 11 heures quand, levant les yeux de la boîte de choux à la crème qu’elle venait de préparer pour une cliente, elle crut être victime d’une hallucination : Jacques se te-nait debout derrière le comptoir, juste en face d’elle.

La boîte tomba sur le sol, tandis qu’Alice, l’une des employées, se précipitait vers elle, persuadée qu’elle était sur le point de s’évanouir.

— Je… je vais bien ! réussit à articuler Holly d’une voix blanche, les yeux fixés sur celui qui hantait ses jours et ses nuits.

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Il ne pouvait être réel, il allait se dématérialiser ! Elle battit fré-nétiquement des paupières, se frotta les yeux, mais rien n’y fit. Jacques était bien là, devant elle, en chair et en os.

Comment l’avait-il retrouvée ? Il répondit à la question sans qu’elle ait besoin de la poser. — Mme Gibson m’a téléphoné dès ton départ, hier, expliqua-t-il.

J’ai eu l’occasion de la fréquenter assidûment depuis que tu m’as quitté.

Holly était en état de choc. Tout son corps tremblait. Alice suivait la scène avec un intérêt manifeste, tout comme les

clientes de la boutique. Comme toujours, où qu’il aille, Jacques attirait irrésistiblement l’attention des représentantes de la gent féminine. En le regardant plus attentivement, elle prit conscience qu’il avait maigri et que des cernes mangeaient son beau visage.

Une bouffée d’amour la submergea. « Mon amour, mon adoré ! Pourquoi es-tu venu ? » — Jacques, s’il te plaît, repars ! — Pour que tu disparaisses de nouveau ? Jamais ! J’ai eu bien

trop de mal à te retrouver. Prends ton manteau et sortons d’ici, nous avons à parler.

— Je ne peux pas, je travaille ! Jacques se garda de lui rappeler que c’était pourtant ce qu’elle

avait fait quelques semaines auparavant. Il se contenta de répéter : — Prends ton manteau ! — Dois-je appeler Mme Bishop, Holly ? demanda Alice. — Non, non ! Avertis-la seulement que je prends ma pause de

midi en avance. — Et dites-lui qu’elle va devoir se chercher une nouvelle em-

ployée. — Jacques !

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— Oui, ma chérie… Holly comprit qu’il valait mieux obéir si elle ne voulait pas pro-

longer indéfiniment cette scène ridicule devant les clientes. — Attends-moi dehors, dit-elle. Je sers ma cliente et je te re-

joins. Lorsqu’elle rejoignit Jacques quelques instants plus tard, il

l’attendait, nonchalamment appuyé contre le mur, conversant avec Mme Bishop de retour de la banque.

— Prenez le temps que vous voulez, Holly, énonça-t-elle d’une voix sucrée. Il semble que vous ayez des choses importantes à régler.

Puis, se tournant vers Jacques, elle lui lança un sourire com-plice.

Comment s’y prenait-il ? se demanda Holly, sidérée. En quelques minutes, il avait réussi à charmer Mme Bishop, un vrai dragon.

Elle s’attendait à ce qu’il l’agonisse d’injures pour avoir aban-donné son poste du jour au lendemain, mais, passant son bras sous le sien, il l’entraîna sans un mot.

L’air était froid et sec. Malgré elle, Holly ressentait un bonheur extrême à la présence de Jacques à son côté. Il avait l’air si fort, si puissant dans son manteau gris foncé. Elle lui lança un regard en coin. Seigneur, il avait vraiment maigri !

— Où allons-nous ? demanda-t-elle. Sans daigner tourner la tête vers elle, il répondit d’une voix

ferme et déterminée : — Quelque part où nous pourrons parler sans être dérangés. — Tout a déjà été dit, Jacques. Tu n’aurais pas dû venir ! — Si, il le fallait ! Puis, comme un groupe d’adolescents excités investissait le

trottoir, il l’attira contre lui, lui faisant un rempart de son corps.

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Ils parvinrent enfin à la Jaguar. — Monte ! ordonna-t-il en ouvrant la portière. Elle se glissa sur la banquette de cuir sans mot dire. Il avait

toutes les raisons d’être en colère, même s’il se contrôlait admira-blement.

— Je te trouve mauvaise mine et trop mince, déclara-t-il après cinq minutes de conduite silencieuse. Mangez-vous comme il convient ?

— Et toi ? — Non ! Mais je ne suis pas celui qui est parti. — Cela ne signifie pas… — Oui ? — … que je n’ai pas de sentiments. — Vraiment ! Pas suffisamment en tout cas pour rester ! La pique alla droit au cœur de Holly. — Ce… ce n’est pas ce que tu crois. — Tu m’en vois ravi ! Tu vas pouvoir tout m’expliquer pour que

je cesse de me faire de fausses idées. Après ces semaines d’intimité que tu m’as accordées, j’ai acquis le droit de connaître les raisons de ton abandon. Et je puis t’assurer que je ne partirai pas sans avoir obtenu des explications.

Holly lança une prière au ciel afin d’obtenir l’aide nécessaire pour gérer la situation. Mais les dieux devaient être occupés, car elle ne reçut pas la moindre suggestion. Cette fois, elle était vrai-ment acculée au mur.

Comme il lui jetait un coup d’œil, elle lut sa détermination dans son regard. Elle allait devoir lui expliquer pourquoi un mariage était impossible entre eux.

L’union entre deux êtres pour la vie exigeait une confiance ab-solue, et elle en était maladivement dépourvue. Jamais elle ne pourrait lui donner ce qu’il attendait d’elle. Comment lui faire

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comprendre que s’il l’aimait aujourd’hui, il ne l’aimerait peut-être plus demain ? Son apparence physique l’avait séduit. Son manque de confiance, un jour, le rebuterait. Les traumatismes de son en-fance, qui la rongeaient comme un cancer et jamais ne guériraient, le détruiraient comme ils l’avaient détruite.

« Cette enfant est un cas désespéré », avait affirmé Meg Con-nor, une des nombreuses mères d’accueil qui avaient succédé à David et Cassie Kirby.

Qui avait jamais épousé un « cas désespéré » ? — Que désirez-vous en premier, Holly ? demanda Jacques.

Manger ou parler ? — Parler ! Le temps était venu. Il n’y avait plus d’échappatoire possible,

alors le plus vite serait le mieux. Elle allait trouver les mots. Il comprendrait enfin qu’il avait mieux à faire que de l’épouser.

— Bien. Il ne prononça plus un seul mot jusqu’à ce qu’ils atteignent

Richmond Park. Holly adorait ce lieu et venait souvent s’y promener. Au-

jourd’hui, il semblait avoir revêtu ses plus beaux atours. Avec ses arbres couverts de neige sous le ciel bleu azur, il avait l’air d’un paysage de carte postale. De celles que l’on envoie quand on est heureux.

Il allait pourtant servir de cadre à la triste fin de leur histoire. — Tu aurais pu t’éviter ce long voyage, Jacques ! Il aurait été

plus facile de laisser les choses comme elles étaient. — Vraiment ? Permets-moi de ne pas être de cet avis ! Certains

trouvent peut-être du plaisir à courir après une belle disparue sans laisser d’adresse, à contacter tous les gens susceptibles de leur donner des nouvelles, à louer les services de détectives privés, à rendre visite à une vieille dame excentrique en espérant que celle qu’il cherche lui rendra un jour visite. Pas moi ! En y réfléchissant,

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Mme Gibson a peut-être été le seul rayon de soleil de la succession de jours gris et sinistres que je viens de vivre. Car c’est ainsi que l’on peut qualifier ma vie depuis ton départ, Holly : grise et si-nistre.

Il avait fait appel à des détectives privés ! — Je… je ne voulais pas te faire du mal. — C’est réussi ! — Qu’as-tu donc promis à Mme Gibson pour qu’elle me trahisse

comme elle l’a fait ? — Te « trahisse » ! Holly, je ne suis pas un gangster et

Mme Gibson une donneuse. Elle t’adore et te souhaite tout le bien du monde. Mon chagrin a ému son cœur. Hélas, il ne semble pas émouvoir le tien.

— Jacques, je… — Regarde-moi dans les yeux, Holly, et cesse de fuir mes ques-

tions. Je ne peux le supporter plus longtemps. Tu vas me ré-pondre ! Peu importe si, pour cela, je dois passer la nuit ici !

Il prit son visage en coupe dans ses mains. — Je t’aime, Holly ! énonça-t-il d’une voix grave, ses yeux rivés

aux siens. Tu comprends ce que cela veut dire ? Tu hantes mes jours et mes nuits. A cause de toi, j’ai perdu le sommeil et l’appétit. Aussi, je vais tout d’abord prendre le temps de t’embrasser. J’en ai trop envie ! Je te poserai mes questions après.

Le baiser fut long, tendre, passionné. Lorsqu’il s’acheva, Holly savait avec certitude que le tremblement de son corps s’était com-muniqué à celui de Jacques.

Desserrant son étreinte, il demanda : — Qui est ce David Kirby, Holly, et quel rôle a-t-il joué dans ta

vie et celle de Christina ? Avant que tu ne me répondes, je tiens à t’informer que j’ai pris contact avec elle.

Holly frémit de tout son être.

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— Elle n’a rien voulu me dire. Ni elle ni son mari. Mais je reste persuadé que ce David Kirby vous a fait du mal à toutes les deux.

Holly ferma les yeux afin de ne plus voir le visage aimé si proche du sien.

— David Kirby n’est pas un petit ami, ni un amant. Je… je n’ai jamais eu de petit ami avant toi. J’en étais incapable.

— « Incapable » ! Grands dieux, pourquoi ? — A cause d’un événement qui s’est produit dans mon enfance.

J’ai déjà eu l’occasion de te parler des différentes familles qui m’ont accueillie jusqu’à ce que j’atteigne l’âge de me prendre en charge. Dans ce récit, j’ai sciemment omis quelques détails. Jus-qu’à l’âge de huit ans, j’ai grandi dans une famille d’accueil idéale. Je savais que Kate et Angus West n’étaient pas mes parents biolo-giques, mais je les adorais. Hélas, ils sont tombés gravement ma-lades et j’ai été envoyée dans une autre famille, celle de David et Cassie Kirby. Ils étaient beaux, riches, charismatiques. Christina avait également été confiée à ce couple, ainsi qu’un garçon, John.

Elle réussit à dégager son visage de l’étreinte des mains de Jacques afin d’éviter son regard.

— Nous étions donc trois enfants chez ce couple qui nous cou-vrait de jouets et de cadeaux. Tous pensaient que nous avions beaucoup de chance d’avoir atterri chez eux. Tous sauf moi. Dès le départ, j’ai su intuitivement que quelque chose n’allait pas.

Elle déglutit avec peine, les larmes au bord de ses paupières. — David ne manquait pas de nous manifester son affection. Il

venait souvent dans ma chambre le soir. Il me faisait asseoir sur ses genoux, me lisait une histoire et me couvrait de baisers. Le sentiment de malaise que j’éprouvais alors m’étonnait. Il était si gentil ! Mais un soir, j’étais chez eux depuis quelques mois déjà, ses caresses se sont faites plus précises, et il…

Elle serra ses deux mains l’une contre l’autre. — … il a essayé de me violer.

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Jacques sursauta comme s’il venait de recevoir un coup de poing en plein plexus.

Elle s’abattit en pleurs sur sa poitrine. — Je me suis tellement débattue qu’il a fini par abandonner son

projet, mais ensuite il a raconté des mensonges à Cassie et aux travailleurs sociaux, obligeant Christina et John à les corroborer. Devenue une enfant « à problèmes », je suis ensuite passée de famille d’accueil en famille d’accueil jusqu’à mes dix-huit ans.

Elle pouvait entendre les battements du cœur de Jacques ré-sonner contre son oreille et sentir les efforts qu’il faisait pour se maîtriser. Elle n’osait affronter son regard, terrifiée à la pensée du dégoût qu’elle lirait dans ses yeux.

Et puis sa voix se fit entendre, méconnaissable. Une sorte de grognement primitif.

— Où est ce salaud, maintenant ? — Il est mort. — Dommage ! J’aurais aimé pouvoir lui rendre visite et

l’étrangler de mes mains ! Holly s’essuya les yeux d’un revers de la main et renifla, mais

laissa sa tête reposer contre la poitrine de Jacques. — Il devait comparaître devant les tribunaux, suite à la plainte

d’une adolescente du centre équestre où il intervenait. Christina et John ont alors décidé de témoigner contre lui.

Pour échapper au châtiment, il s’est suicidé. — Le lâche ! Quel âge avais-tu alors ? — J’étais déjà à l’université. — Tu as donc porté ce terrible fardeau seule durant toute ton

enfance et adolescence ! — Et je suis devenue une enfant « à problèmes », comme ils di-

sent.

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— Jamais tu n’as été un problème, Holly ! protesta Jacques en lui caressant tendrement les cheveux. Si tu t’es révoltée, si tu as perdu confiance en l’espèce humaine, c’est que tu avais toutes les raisons de le faire. Tu as été infiniment courageuse et je t’admire.

— Jacques, arrête, je t’en prie… — Pourquoi, Holly ? — Parce que je ne pourrai jamais être celle que tu veux, la

femme que tu mérites d’avoir ! — De quoi parles-tu ? Tu es superbe, magnifique, tu es la

femme que j’aime, celle avec qui je veux faire ma vie. — Non, Jacques, c’est impossible ! Tu ne comprends donc pas ?

Jamais je n’ai eu de petit ami, encore moins d’amant. J’en suis incapable !

— Comment peux-tu affirmer une chose pareille ? Si tu n’as pas eu de petit ami ou d’amant avant moi, c’est parce que tu m’attendais. Je te l’ai déjà dit, Holly, c’est le destin qui nous a faits nous rencontrer. Et surtout ne t’avise pas de me dire que notre relation ne sera pas réussie au lit, car je sais qu’il en sera tout au-trement. Je t’ai tenue dans mes bras, nos corps sont faits l’un pour l’autre. Fais-moi confiance, je t’apprendrai.

— Je… jamais je ne pourrai. Tu mérites mieux que… — Mais enfin Holly, que crois-tu donc que j’attends de toi ? Des

performances sexuelles ? Depuis le tout début, je sais que tu n’as aucune expérience dans le domaine !

— C’est… c’est plus compliqué que cela. — Vraiment ? Explique-moi. J’ai tout mon temps. — Les choses seraient nettement moins complexes si je ne

t’aimais pas, mais voilà, je t’aime. Imagine un instant ce que sera notre vie, alors que je ne cesserai de craindre tu te lasses de moi. Car cela arrivera, j’en suis certaine. J’ai vu comment les femmes se jettent dans tes bras. L’une d’elles finira par t’intéresser, ce ne sera même pas de ta faute.

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— Oh, merci de dresser de moi un portrait aussi flatteur ! Non seulement je suis un don Juan prêt à commettre l’adultère dès le lendemain du mariage, mais en plus je n’ai aucune volonté !

— Je n’ai pas dit ça. — Si ! C’est exactement ce que tu as dit. Qu’attends-tu donc de

moi ? J’ai acquis une fortune confortable, c’est vrai, mais c’est par un dur labeur, et je ne vais pas demander des excuses pour avoir réussi dans ce domaine. Je ne peux pas non plus changer mon apparence physique. Plains-toi auprès de mes géniteurs pour cela ! Par contre, il s’avère que j’ai une certaine morale et que je crois à la fidélité dans le mariage.

— Mais ouvre les yeux, Jacques, je ne suis pas de ton monde ! — Ma chérie, ce que tu as vécu dans ton enfance te procure un

terrible sentiment d’insécurité. Je peux le comprendre, mais… — Jacques, tu n’es pas un homme ordinaire, et moi je ne serai

jamais à la hauteur. Jamais je ne pourrai t’apporter le bonheur auquel tu aspires. Pour une brève aventure peut-être, mais pas pour toute une vie.

— Comme tu te trompes sur toi-même, Holly ! Tu es la femme la plus extraordinaire que je connaisse. Je ne veux pas d’une simple aventure avec toi, qu’elle soit brève ou pas. Je veux t’épouser. Je veux faire de toi ma femme pour la vie. Tu dois me croire.

L’estomac de Holly se contracta si fort qu’elle faillit gémir. — Je ne peux pas. Ces mots n’étaient guère qu’un murmure, mais Jacques les

comprit. La colère le submergea. — Tu ne peux pas ! Et il faudrait que j’accepte cette sentence

sans protester ! Tu t’accordes le droit de détruire nos deux vies, et moi je n’aurais que celui de me taire ! Désolé, Holly, mais je ne peux l’accepter. Je ne vais pas demander des excuses pour ce que je suis. Si les femmes me trouvent séduisant, qu’y puis-je ? Depuis que je te connais, les autres femmes m’indiffèrent. Toi seule

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comptes pour moi. Je te veux, Holly, maintenant et pour toujours. Je t’aime. Que te dire de plus pour te convaincre ?

— Rien. Ce n’est pas toi qui es en cause. C’est moi ! — Holly, je suis prêt à te donner tout le temps dont tu as besoin

pour accepter ma proposition, et plus tard, quand nous serons mariés, à te rassurer tous les jours sur ce choix. Ne me rejette pas de ta vie ! Tes problèmes sont désormais les miens, nous les af-fronterons ensemble. Tu n’es plus seule, je suis là, tu comprends ? Le mariage, c’est l’union de deux êtres pour le meilleur et pour le pire. Tu peux compter sur ma force et je peux compter sur la tienne. Je t’aide à te libérer de tes démons et tu m’aides à lutter contre les miens.

— Tu n’en as pas ! — Tu te trompes. Tout être humain a besoin d’être aidé. Tu es

restée seule avec tes démons depuis ton enfance, mais il faut que cela cesse. Le temps est venu pour toi de partager. David Kirby appartient désormais au passé. Il doit sortir définitivement de ton esprit, sinon il continuera d’agir sur toi.

— Comment oses-tu dire une chose pareille ? se révolta-t-elle. — C’est pourtant ce qu’il fait, Holly ! — Non ! Il n’a plus aucun pouvoir sur moi ! — Prouve-le. Accepte de devenir ma femme, d’être aimée,

choyée, adorée. Accepte de me faire confiance ! Je t’aime de toute mon âme, Holly. Epouse-moi.

Il se fit un long silence. Holly ne pouvait prononcer le moindre mot. Les larmes roulaient sur ses joues, mais Jacques ne fit aucun geste. Elle comprenait pourquoi : le temps de la décision était venu. Elle devait la prendre sans qu’aucune pression soit exercée sur elle. Jacques avait mis son âme à nu, il ne pouvait faire plus.

Hélas, elle ne pouvait accepter son offre. — Non !

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Un autre silence suivit sa réponse catégorique, puis Jacques enclencha le moteur.

C’était fini.

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9.

Le dernier client parti, Alice s’étira comme un gros chat afin de chasser la fatigue. Cette veille de Saint-Sylvestre avait été particu-lièrement éprouvante.

— Tu fais quelque chose de spécial, ce soir, Holly ? demanda la jeune serveuse tandis qu’elles fermaient la boutique avant de se séparer.

Holly se força à sourire. — Non. A moins que tu ne considères comme spécial de faire la

baby-sitter. James et Lucy sont invités à un réveillon et je leur ai proposé de garder Melanie Anne. Je n’allais nulle part, de toute façon.

Alice fit la grimace. Comment pouvait-on n’aller nulle part le soir de la nouvelle année ?

— Avec mes amis, on va faire la fête toute la nuit, se rengorgea-t-elle. Nous allons tous nous retrouver à Trafalgar Square. Sur-veille les journaux demain matin, je ne serais pas étonnée qu’on y parle de nous.

— Je n’y manquerai pas ! Il ne fallait à Holly pas plus de dix minutes de marche pour re-

joindre l’appartement. Comme toujours, durant le trajet, ses pen-sées convergèrent vers Jacques.

Cela faisait quinze jours qu’il était brusquement apparu pour repartir de même après leur discussion. Il l’avait déposée devant la boutique, était descendu de la voiture pour lui ouvrir la portière et avait pris sa main dans la sienne.

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— Tu ne peux pas me fermer ton cœur, Holly, j’y suis pour tou-jours. Tu le sais. C’est trop tard, beaucoup trop tard pour me reje-ter.

Puis il était remonté dans sa voiture et était parti sans se re-tourner.

Depuis ce jour, une souffrance infinie lui vrillait le cœur. Sa vie serait toujours un éternel recommencement. Jamais elle ne pour-rait garder ceux qu’elle aimait.

Toute la journée de Noël, elle avait nourri un rêve insensé : en ce jour spécial entre tous, Jacques allait l’appeler au téléphone ou, mieux encore, apparaître brusquement devant elle… Mais rien de tel ne s’était produit. Ainsi, elle avait fini par lui communiquer ses peurs et ses doutes ! Il ne reviendrait plus. Plus jamais.

Mais non, impossible, il allait revenir ! Tous les jours, depuis Noël, chaque fois que la porte de la boutique s’ouvrait, elle espérait le voir apparaître. Mais cela ne se produisait pas. Il avait quitté sa vie pour toujours.

Comment continuer à vivre avec une telle pensée ? Des larmes lui embuèrent les yeux, qu’elle essuya d’un revers

de la main. Elle n’avait que ce qu’elle méritait. Ce qu’elle avait voulu. Il lui avait donné sa chance, elle l’avait repoussé.

A bien y penser, s’il fallait le refaire, elle le referait. Pour le pro-téger. On n’épousait pas un « cas désespéré ».

Sur le point d’arriver, elle sécha ses larmes et se moucha bruyamment. Elle ne devait surtout pas imposer sa tristesse à ses amis en ce jour de réjouissance. Autour d’elle, la rue brillait de mille feux, les guirlandes de Noël et du jour de l’an scintillaient sous la voûte étoilée. C’était la fête du renouveau.

Pour tous, sauf pour elle. Alors qu’elle montait les marches, la porte d’entrée s’ouvrit

brusquement.

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— Ah, Holly, te voilà enfin ! s’écria Lucy avec un soupir de sou-lagement.

— Que se passe-t-il ? Est-ce que Melanie Anne… — Non, non, rentre vite… L’urgence dans la voix de son amie lui fit franchir les dernières

marches à la vitesse de l’éclair, mais elle s’arrêta, tétanisée, à la vue de Mme Gibson debout dans l’entrée.

Elle n’avait pas revu son excentrique ancienne voisine depuis la visite de Jacques. Il était inutile de culpabiliser la vieille dame qui, avec son âme romantique, avait jugé bon de donner à cette ro-mance une chance de réussir.

— Que se passe-t-il, madame Gibson ? demanda-t-elle. La vieille dame devait avoir un problème grave à gérer, elle qui

ne s’éloignait jamais de ses chats plus que de quelques mètres. — M. Bateman serait-il malade ? — M. Bateman ! Le pauvre vieux, il perd la tête ! Figurez-vous

qu’il a refermé le couvercle de la poubelle alors que Tigger était à l’intérieur. Le pauvre amour y est resté toute la nuit, et les éboueurs ont failli le broyer dans leur infernale machine ! Heureu-sement qu’il a miaulé…

On pouvait faire confiance à Tigger dans ce domaine ! — Pauvre Tigger ! compatit-elle. Mais s’il est sauvé, pourquoi

êtes-vous venue jusqu’ici, madame Gibson ? — Pourquoi je suis venue ? Oh, oui, oui… Quelle idiote je fais !

Je ne suis pas venue pour vous parler de Tigger, mais de ce char-mant jeune homme du nom de Jacques…

Holly réagit comme si elle venait d’être piquée par un serpent. — Vous vous êtes dérangée pour rien, madame Gibson ! Jacques est venu il y a quinze jours. Nous avons parlé. Notre

histoire est finie, terminée ! — Vraiment ?

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Comme Lucie ouvrait la bouche pour intervenir, la vieille femme lui intima l’ordre de se taire d’un signe impératif.

— Je suis vraiment très étonnée, ma chère Holly. Ce séduisant jeune homme semble tellement tenir à vous ! Milly, m’a-t-il dit… Savez-vous qu’il m’appelle Milly ?

— Euh… non, je l’ignorais. — Si, si ! Et cela dès la toute première fois où il est venu

prendre le thé à la maison. C’était au moment où il cherchait dé-sespérément à vous retrouver. D’un commun accord, nous avons décidé de nous appeler Jaques et Milly. Milly est le diminutif de Millicent…

Holly s’efforça au calme. Mme Gibson venait de révéler claire-ment quel camp elle avait choisi. Jamais personne n’avait osé jusqu’alors s’adresser à elle par son prénom, même pas le défunt M. Gibson, elle en était certaine. Mais il n’avait fallu à Jacques que quelques heures pour qu’elle tombe sous son charme !

— Bon, où en étais-je ? demanda Mme Gibson, lançant à Lucy un regard noir comme si cette dernière était responsable de l’égarement de ses pensées. Ah, oui : ce que ce charmant jeune homme me disait.

— Madame Gibson… — Milly, m’a-t-il dit, j’ai rencontré la femme de ma vie et je suis

prêt à tout pour la retrouver. Que pensez-vous de cela, ma chère Holly ?

— La même chose que tout à l’heure, madame Gibson. Cette histoire est terminée.

— Lucy m’avait avertie que vous diriez cela. — Elle avait raison. Et le fait que Jacques ne se soit plus manifesté signifiait que

cette histoire était terminée pour lui aussi. A l’heure actuelle, sans doute l’avait-il déjà remplacée.

Les yeux de la vieille dame la fixaient, désapprobateurs.

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— Bon ! dit-elle. Il ne me reste donc qu’à repartir. Car le fait qu’il ait été victime d’un accident ne peut vous intéresser. Loin des yeux, loin du cœur, comme on dit. Pauvre Jacques !

— Un… un accident ! cria Holly, livide, en portant les mains à son cœur.

— C’est arrivé la veille de Noël, à cause d’une voiture qui a fait un écart pour éviter un enfant. Ces satanées motos n’offrent au-cune protection ! M. Gibson en conduisait une avant notre ren-contre, mais je l’ai rapidement sommé de changer de moyen de transport !

— Jacques est blessé ? Il n’est pas… — Mort ? Non, Dieu merci ! Vous ai-je laissé penser qu’il

l’était ? protesta la vieille dame, savourant visiblement le fait d’avoir enfin obtenu son attention. C’est la gouvernante de Jacques qui m’a informée de la terrible nouvelle. J’ai cru com-prendre qu’il est resté dans le coma pendant plusieurs jours, ce qui a rendu sa famille et ses proches fous d’inquiétude. Mais je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Vous avez sans doute mieux à faire qu’à écouter une vieille radoteuse comme moi. Je vais récu-pérer mon chapeau et mon manteau et…

— S’il vous plaît, madame Gibson, implora Holly, prête à défail-lir.

La prenant en pitié, Mme Gibson adoucit sa voix. — Hélas, je n’en sais guère plus, Holly. Sauf qu’il semble être

hors de danger. J’ai appelé chez lui ce matin, n’ayant pas de nou-velles, ce qui me semblait étrange puisqu’il avait promis de me rendre visite pour Noël.

— Il… il avait promis de venir à Noël ? — Oui. Il avait planifié de passer les fêtes de fin d’année en An-

gleterre, là où se trouve celle qui occupe toutes ses pensées, figu-rez-vous ! D’après Monique, l’accident s’est produit non loin de son château, alors qu’il partait pour l’aéroport. Sa famille aurait

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voulu vous contacter, Holly, mais elle n’avait pas vos coordonnées, et Jacques était dans le coma.

Dans le coma ! Seigneur, qu’il guérisse, qu’il ne souffre pas ! Il aurait pu mourir, et elle ne l’aurait jamais su si Mme Gibson n’avait pas… Elle devait y aller tout de suite, maintenant !

A 21 heures, ce même soir, Holly embarquait dans un avion pour Paris. Elle avait appelé Monique au téléphone. En entendant sa voix au bout du fil, la gouvernante avait éclaté en sanglots. Elle avait craint le pire, mais une fois calmée, la gouvernante avait pu lui communiquer en détail l’état du blessé.

— De multiples contusions et les deux jambes cassées. Le choc à la tête a été très violent, nous avons eu très peur qu’il ne sorte pas de son coma. Le diagnostic des médecins reste réservé.

Le voyage, l’atterrissage, puis le trajet en taxi jusqu’à l’hôpital ne laissèrent qu’un vague souvenir à Holly, toutes ses pensées concentrées sur Jacques.

Elle n’avait fait que le repousser depuis leur rencontre, refusant de lui faire confiance. Elle aurait compris qu’il décide de ne plus jamais la revoir. Pourtant, il venait vers elle en cette veille de Noël. Monique le lui avait confirmé lors de l’entretien téléphonique : il venait vers elle !

Comment avait-elle pu imaginer une seconde pouvoir vivre sans lui ? Si le pire lui arrivait, elle ne lui survivrait pas.

Par sa faute, il était blessé, il souffrait. « Seigneur, faites qu’il vive et qu’il me pardonne le mal que je

lui ai fait ! » Et si cet accident lui avait ouvert les yeux ? S’il lui avait fait

comprendre qu’il ne serait jamais heureux avec elle ? Si, à son tour, il la repoussait, refusait de la voir ?

Une seule chose importait : qu’il guérisse !

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A son arrivée à l’hôpital, elle constata avec surprise qu’elle était attendue. Une infirmière l’accueillit à la réception et, sans plus attendre, la guida à travers les couloirs jusqu’à la chambre du blessé.

Capucine l’attendait devant la porte. Elle se précipita pour la serrer dans ses bras.

— Dieu merci, vous êtes là, Holly ! Merci d’être venue. Le reste de la famille est rentré se reposer. Nous sommes tous exténués, mais j’ai tenu à vous attendre.

— Merci, Capucine. Comment va-t-il ? — Mieux. Beaucoup mieux. Il a repris connaissance. Nous

avons eu très peur. C’était impressionnant de le voir ainsi allongé, inerte, lui si dynamique, si plein de vie ! Il dort la plupart du temps, mais lorsqu’il se réveille, il nous reconnaît. Quant à ses jambes, cela prendra du temps, mais il remarchera. Sa jambe droite est plus gravement endommagée. Il se peut qu’il boite.

— Oh, Capucine… La gorge de Holly était si contractée que même l’air ne passait

pas. Elle suffoquait. Tout ce qu’elle voulait, c’était voir Jacques, s’asseoir près de lui, l’embrasser, le cajoler.

— Est-il au courant de ma venue ? demanda-t-elle. Le regard que lui lança Capucine en disait plus long que des

mots. — Il nous a semblé plus prudent d’attendre votre arrivée. Au cas où elle aurait changé d’avis ? Elle fît un signe

d’assentiment. Elle comprenait leur crainte. Jamais ils ne sau-raient combien elle l’aimait ! Ce qui rendait leur accueil d’autant plus émérite.

— Puis-je aller vers lui ? demanda-t-elle. — Bien sûr ! Quant à moi, je vais vous laisser et rentrer, j’ai be-

soin de repos.

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L’infirmière s’étant éclipsée discrètement, Capucine lui ouvrit la porte de la chambre.

— Maman vous a préparé une chambre, lui glissa-t-elle. Vous pouvez rester le temps que vous voulez. A bientôt.

Le cœur battant à tout rompre, Holly pénétra dans la pièce lais-sée dans une douce pénombre. Elle s’était préparée à voir des tuyaux branchés sur le blessé, mais rien de cela n’était visible. Il n’y avait qu’une sorte de caisson qui protégeait ses jambes sous les draps.

Elle s’avança vers lui, les yeux irrésistiblement attirés par le vi-sage d’une extrême pâleur dépassant des draps. Il était d’une im-mobilité effrayante, comme si toute vie l’avait quitté.

Non, il devait vivre. Il fallait qu’il vive ! « Oh, Jacques, Jacques, mon amour ! » Elle aurait voulu le toucher, le prendre sans ses bras, lui dire

combien elle l’aimait. Mais elle lui aurait peut-être fait mal. Alors, elle resta là, à le contempler, les larmes aux yeux.

Non, elle ne devait pas pleurer ! S’il se réveillait, elle ne devait pas lui offrir ce triste spectacle.

Elle ferma les yeux, convaincue qu’elle devait se montrer forte afin de lui donner du courage. Lorsqu’elle les rouvrit, Jacques la regardait.

— Bonjour, mon amour. Les mots avaient coulé de sa bouche sans qu’elle pût rien faire

pour les rattraper. C’était la toute première fois qu’elle l’appelait ainsi.

Il n’eut aucune réaction. Etait-il totalement paralysé, ou n’éprouvait-il aucune joie à la

trouver à son côté ? Comme elle se penchait pour effleurer ses lèvres d’un baiser,

elle se retrouva brusquement plaquée contre lui par deux bras enroulés autour d’elle avec une force incroyable.

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— Jacques, je vais te faire mal ! — Tu me fais le plus grand bien, au contraire ! Elle tenta de se dégager de son étreinte, mais il la serra plus

fort encore contre lui. — Je ne puis croire que tu sois là en chair et en os ! murmura-t-

il, extatique. Quand je t’ai vue à côté de mon lit, j’ai cru que mon rêve se prolongeait.

Jacques s’empara de ses lèvres avec une telle passion qu’il lui fit mal, mais elle ne protesta pas. Il était bien vivant et le lui prou-vait, que demander de plus ?

Lorsqu’il desserra enfin son étreinte et qu’elle reprit place sur la chaise à son chevet, elle essuya ses yeux brillants de larmes.

— Oh, Jacques, je suis tellement désolée ! Jamais je n’aurais dû te laisser repartir. Cet affreux accident n’aurait alors pas pu se produire.

— Il fallait que je reparte, Holly ! Il fallait que je te donne en-core du temps pour réfléchir. Mais il n’était pas question d’abandonner le combat. Ni ce jour-là, ni jamais ! Et c’est moi qui ai décidé de prendre la moto pour repartir vers toi. Mais je ne regrette rien. Cet accident a eu un effet bénéfique, il t’a ramenée vers moi.

— Comment peux-tu dire qu’il a eu un effet bénéfique, s’écria-t-elle, horrifiée. Tu aurais pu mourir ! Et tes jambes…

— Elles guériront et seront opérationnelles pour notre mariage, je puis te l’assurer. Et je n’ai pas l’intention de mourir avant très, très longtemps ! Nous vieillirons ensemble, Holly.

— Oh, Jacques… — Car tu vas m’épouser, n’est-ce pas, ma chérie ? Je ne sais pas

par quel miracle tu es là devant moi, mais sois sûre que je ne te laisserai plus repartir ! En me réveillant du coma, je me suis fait la promesse d’aller te rechercher dès que j’aurais retrouvé ma mobi-

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lité. Pas avant, afin de ne pas déclencher ta pitié. Mais en te voyant là devant moi, bien réelle, ma fierté s’envole.

— Sur ce point particulier, je ne te crois pas une seconde ! — Alors, c’est que tu as encore beaucoup de choses à apprendre

sur moi, énonça Jacques, un large sourire sur les lèvres. Holly frémit de tout son être. Ce sourire avait toujours le don

de la bouleverser. — Et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre sur toi, pour-

suivit-il. Ce qui va me procurer beaucoup de bonheur, j’en suis certain. Embrasse-moi, Holly !

Elle se pencha et souda délicatement ses lèvres aux siennes, mais la fougue qu’il mit à répondre à son baiser lui fit perdre la tête et la rassura plus sûrement sur l’état du blessé que n’aurait pu le faire un médecin.

Ils s’embrassèrent avec passion. Déjà, les mains de Jacques se faufilaient sous son corsage et trouvaient les pointes dressées de ses seins. Elle gémissait de plaisir contre ses lèvres quand un bruit de pas dans le couloir la fit se redresser.

— Quelqu’un vient, dit-elle, le souffle court. Que va-t-on penser si on nous trouve en train de faire l’amour sur un lit d’hôpital ?

— Que je vais pouvoir quitter ce lieu plus vite que prévu ! Il chercha son regard avant d’ajouter : — Dis-moi que tu crois enfin à mon amour pour toi, Holly ! As-

sez pour accepter de m’épouser dès que je pourrai marcher ? Le reste viendra plus tard. Avec le temps, tu pourras constater la force de mon amour. J’ai besoin de toi comme de l’air que je res-pire. Rassure-moi, Holly, dis-moi que tu es prête à rester !

Incapable de prononcer un mot, elle fit un signe affirmatif de la tête. Ses yeux parlaient pour elle. Ils disaient tout l’amour qu’elle éprouvait pour lui.

Un bruit de feux d’artifice se fit soudain entendre, leur rappe-lant que c’était une nuit de fête.

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— C’est la fête du renouveau ! énonça-t-elle, des larmes plein les yeux.

— Oui, ma chérie. Une nouvelle vie commence pour nous, et c’est à nous de faire en sorte qu’elle soit belle.

— Tu m’apprendras le français. — Bien entendu ! Et bien d’autres choses encore. Mais, surtout,

je t’apprendrai à ne plus avoir peur, mon amour, car désormais, tu ne seras plus jamais seule.

— Je t’aime, Jacques, et je veux bien être ta femme pour la vie. — Enfin ! Je pensais que jamais je n’entendrais ces mots. Ils ré-

sonnent comme une musique céleste à mes oreilles, ma chérie.

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10.

Jacques et Holly se marièrent un jour de givre et de soleil du mois de février.

Les médecins avaient averti leur patient, il devrait attendre le printemps pour retrouver l’usage complet de ses jambes. Mais, comme on pouvait s’y attendre, Jacques raccourcit de moitié son temps de guérison : Holly à son côté, il aurait trouvé en lui la force de relever n’importe quel défi.

Avec sa robe de satin blanc, sa longue traîne et les fleurs pi-quées dans ses cheveux, Holly était radieuse. Une cape de fourrure blanche lui couvrait les épaules. Dans ses yeux myosotis se lisait tout l’amour qu’elle éprouvait pour celui qui se tenait à son côté.

Mme Gibson, plus excentrique que jamais avec son manteau de fausse fourrure orange et son chapeau assorti, déclara sentencieu-sement qu’elle était la mariée la plus belle qu’elle ait jamais vue. Elle était si émue que, lorsque M. Bateman lui entoura les épaules de son bras, elle ne le repoussa pas. Le vieil homme afficha un sourire épanoui pour le reste de la journée.

Jacques et Holly partirent ensuite passer leur lune de miel aux Caraïbes. Lorsqu’ils revinrent, Jacques marchait comme aupara-vant, et le visage de Holly affichait la plénitude d’une femme com-blée. Choyée par son mari, elle s’épanouissait comme une fleur à la chaleur du soleil. Jacques lui prouvait cent fois par jour son amour, et les démons du passé, enfin terrassés, s’étaient enfuis pour toujours.

Quand une petite fille d’abord puis un fils leur naquirent, ils se considérèrent comme le couple le plus heureux du monde.

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Le matin de leur dixième anniversaire de mariage, alors qu’ils se tenaient enlacés dans leur grand lit après une folle nuit d’amour, Holly murmura :

— Jacques, nous avons eu vraiment beaucoup de chance ! — Je n’aurais pas permis que ce soit autrement. Jamais je

n’aurais baissé les bras ! Tu étais toute ma vie, je ne t’aurais pas laissée repartir.

— Je veux des enfants, beaucoup d’enfants. — Je suis prêt ! — Non, je veux dire… Je voudrais que nous devenions une fa-

mille d’accueil pour des enfants que la vie n’a pas gâtés. Tu m’as prouvé que l’amour peut guérir de toutes les souffrances. Je veux que nous offrions à ces enfants une chance d’être heureux, parce que…

— Oui, mon aimée ? — Parce que tous n’auront pas la chance de rencontrer plus

tard quelqu’un comme toi. Nous pouvons donner à ces enfants l’amour qui leur permettra de s’épanouir. Je suis prête, désormais, à remplir cette mission.

— Les démons sont partis ? — Définitivement ! Jacques la reprit dans ses bras et la serra fort contre lui. — Ces paroles sont le plus beau des cadeaux, mon amour. Nous

sommes en train de construire cette vie à deux que je t’avais pro-mise, mais tu as raison, elle ne serait pas complète si nous ne pou-vions la partager avec ceux qui souffrent. Dès aujourd’hui, nous entreprendrons les démarches nécessaires.

Holly se lova contre l’homme aimé, remerciant la destinée de l’avoir mis sur sa route.