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Cah. Nutr. Diét., 43, 1, 2008 45 dossier enseignement dossier enseignement DIGESTION ET ABSORPTION DES NUTRIMENTS Stéphane LECLEIRE Les nutriments fournissent à l’organisme l’énergie et le matériel dont il a besoin pour couvrir ses dépenses quotidiennes et assurer le renouvellement cellulaire et protéique. Les grandes classes de nutriments sont au nombre de trois : les glucides ou hydrates de carbone, les protéines, et les lipides ou graisses. Ces trois types de nutriments sont indispensables au bon fonction- nement de l’organisme et remplissent des rôles différents. Les glucides et les lipides ont pour fonction principale de fournir de l’énergie, tandis que les protéines jouent un rôle capital dans la fabrication du « soi » ou anabolisme. Les principaux nutriments se trouvent dans l’alimentation sous forme de macromolécules qui nécessitent une fragmentation en petites molécules afin de pouvoir être assimilées par l’organisme : c’est la digestion. Ainsi, les glu- cides sont clivés en oligosaccharides et en oses simples, les protéines en oligopeptides et en acides aminés, et les lipides en acides gras et en choles- térol. Ces petites molécules devront ensuite être absorbées pour être utilisées par l’organisme soit sous forme d’énergie immédiate ou plus souvent après un stockage provisoire (glucides et lipides), soit pour fabriquer de nouvelles protéines du « soi » (protéines). Cette étape constitue l’absorption des nutriments. La digestion et l’absorption des nutriments s’effectuent dans le tube digestif. L’intestin grêle est le siège principal de ces deux étapes. Sa longueur (4 à 6 mètres) et sa sur- face d’absorption, amplifiée par les villosités et les micro- villosités formant des replis à la surface des entérocytes, permettent un contact prolongé avec les nutriments et les sécrétions gastriques, biliaires, intestinales et surtout pan- créatiques, qui vont toutes contribuer à la digestion des nutriments. La digestion et l’absorption des nutriments diffèrent selon leur nature. Ainsi, les glucides, les protéines et les lipides sont digérés puis absorbés suivant des mécanismes spéci- fiques nécessitant des enzymes et des systèmes de trans- port dédiés. Après l’absorption, qui est principalement le fait du duodénum-jéjunum, à l’exception des acides bili- aires et de la vitamine B12 qui sont absorbés uniquement au niveau de l’iléon terminal, les produits de la digestion ou nutriments passent dans les systèmes porte (oses et aci- des aminés) ou lymphatique (acides gras) avant d’être dis- tribués dans l’organisme. Nous allons détailler spécifiquement la digestion et l’absorption des glucides, des protéines et des lipides, à l’exclusion des micronutriments et des vitamines. Digestion et absorption des glucides En France, la majorité des glucides est ingérée sous forme d’amidon (pain, pâtes, 50 à 60 % des glucides pour 200 à 300 g/j –1 ) et de saccharose (sucre de table, 30 à 40 % des glucides pour 80 à 100 g/j –1 ), associés à une plus faible quantité de lactose (produits laitiers) et de fructose (fruits, miel). Les celluloses, constituants des fibres alimen- taires, sont également des glucides. Digestion des glucides La digestion des glucides est relativement simple, à l’exception de l’amidon qui nécessite une première étape Service d’Hépato-Gastroentérologie et Nutrition, CHU Rouen Charles-Nicolle, Laboratoire ADEN EA 3234, 1, rue de Germont, 76031 Rouen Cedex. Correspondance : Stéphane Lecleire, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected]

Digestion et absorption des nutriments

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DIGESTION ET ABSORPTION DES NUTRIMENTS

Stéphane LECLEIRE

Les nutriments fournissent à l’organisme l’énergie et le matériel dont il abesoin pour couvrir ses dépenses quotidiennes et assurer le renouvellementcellulaire et protéique. Les grandes classes de nutriments sont au nombre detrois : les glucides ou hydrates de carbone, les protéines, et les lipides ougraisses. Ces trois types de nutriments sont indispensables au bon fonction-nement de l’organisme et remplissent des rôles différents. Les glucides et leslipides ont pour fonction principale de fournir de l’énergie, tandis que lesprotéines jouent un rôle capital dans la fabrication du « soi » ou anabolisme.Les principaux nutriments se trouvent dans l’alimentation sous forme demacromolécules qui nécessitent une fragmentation en petites molécules afinde pouvoir être assimilées par l’organisme : c’est la digestion. Ainsi, les glu-cides sont clivés en oligosaccharides et en oses simples, les protéines enoligopeptides et en acides aminés, et les lipides en acides gras et en choles-térol. Ces petites molécules devront ensuite être absorbées pour être utiliséespar l’organisme soit sous forme d’énergie immédiate ou plus souvent aprèsun stockage provisoire (glucides et lipides), soit pour fabriquer de nouvellesprotéines du « soi » (protéines). Cette étape constitue l’absorption des nutriments.

La digestion et l’absorption des nutriments s’effectuentdans le tube digestif. L’intestin grêle est le siège principalde ces deux étapes. Sa longueur (4 à 6 mètres) et sa sur-face d’absorption, amplifiée par les villosités et les micro-villosités formant des replis à la surface des entérocytes,permettent un contact prolongé avec les nutriments et lessécrétions gastriques, biliaires, intestinales et surtout pan-créatiques, qui vont toutes contribuer à la digestion desnutriments.La digestion et l’absorption des nutriments diffèrent selonleur nature. Ainsi, les glucides, les protéines et les lipidessont digérés puis absorbés suivant des mécanismes spéci-fiques nécessitant des enzymes et des systèmes de trans-port dédiés. Après l’absorption, qui est principalement lefait du duodénum-jéjunum, à l’exception des acides bili-aires et de la vitamine B12 qui sont absorbés uniquement

au niveau de l’iléon terminal, les produits de la digestionou nutriments passent dans les systèmes porte (oses et aci-des aminés) ou lymphatique (acides gras) avant d’être dis-tribués dans l’organisme.Nous allons détailler spécifiquement la digestion etl’absorption des glucides, des protéines et des lipides, àl’exclusion des micronutriments et des vitamines.

Digestion et absorption des glucides

En France, la majorité des glucides est ingérée sous formed’amidon (pain, pâtes, 50 à 60 % des glucides pour 200à 300 g/j–1) et de saccharose (sucre de table, 30 à 40 %des glucides pour 80 à 100 g/j–1), associés à une plusfaible quantité de lactose (produits laitiers) et de fructose(fruits, miel). Les celluloses, constituants des fibres alimen-taires, sont également des glucides.

Digestion des glucides

La digestion des glucides est relativement simple, àl’exception de l’amidon qui nécessite une première étape

Service d’Hépato-Gastroentérologie et Nutrition, CHU Rouen Charles-Nicolle, Laboratoire ADEN EA 3234, 1, rue de Germont, 76031 Rouen Cedex.

Correspondance : Stéphane Lecleire, à l’adresse ci-dessus.Email : [email protected]

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de digestion intraluminale. Les produits de cette digestionintraluminale sont ensuite traités comme les disaccharidesnaturels (lactose, saccharose) au niveau de la bordure enbrosse des entérocytes où ils sont clivés en monosaccha-rides puis absorbés. Les celluloses ne sont pas digéréesdans l’intestin grêle. Elles sont en effet insensibles àl’action des enzymes permettant la digestion des glucideset parviennent intactes dans le côlon, expliquant leur effetlaxatif.

Digestion intraluminale de l’amidon : les α−amylases salivaire et pancréatiqueLa digestion de l’amidon commence dès la masticationsous l’influence de l’α−amylase salivaire. L’importance decette enzyme n’est pas bien connue, car son activité esttrès vite inhibée par l’acidité du suc gastrique après ladéglutition. La digestion de l’amidon est donc essentielle-ment effectuée par l’α−amylase pancréatique, enzymemajeure du suc pancréatique, qui clive l’amidon au niveaudes liaisons β 1-4 glucosidiques pour donner des oligo-saccharides et des disaccharides. L’activité de cetteenzyme dans la lumière duodénale est si importante quel’amidon est majoritairement transformé dès les premièresanses jéjunales, permettant aux enzymes de la bordure enbrosse des entérocytes de poursuivre très tôt la digestiondes glucides [1].

Digestion intestinale des glucides : les oligosaccharidases de l’entérocyteLes disaccharides et oligosaccharides de l’alimentation etceux obtenus après action des α−amylases vont ensuite seprésenter devant la bordure en brosse des entérocytes.Celle-ci présente de nombreuses enzymes souventappelées disaccharidases ou oligosaccharidases qui vonthydrolyser les saccharides. Ce sont de volumineuses gly-coprotéines enchâssées dans la membrane entérocytaireet faisant saillie dans la lumière. On en distingue deuxfamilles :– les α-glucosidases, comprenant la saccharase-isomal-tase, la glucoamylase et la tréhalase. Les deux premièreshydrolysent le saccharose, le maltose et les oligosaccharidesprovenant de l’action de l’α-amylase sur l’amidon, la der-nière hydrolyse le tréhalose.– une β-galactosidase unique, la lactase, qui hydrolyse lelactose en galactose et en glucose. Cette dernière enzymeest la seule à ne pas être inductible. Dans la populationeuropéenne, un pourcentage important bien que non clai-rement défini des adultes ne disposent plus de cetteenzyme. Ces sujets vont développer une intolérance aulactose, étant dans l’incapacité de digérer cette molécule.Ceci va se traduire par des troubles digestifs variés aprèsl’ingestion de produits laitiers (ballonnements, dyspepsie,diarrhée intermittente), conduisant à une éviction sponta-née du lactose de l’alimentation. Un test simple permet dediagnostiquer cette intolérance au lactose, le breath-test àl’hydrogène.L’enzyme principale de la bordure en brosse intestinalepour la digestion des glucides est la saccharase-isomaltase,qui effectue à elle seule toute la digestion du saccharoseet de l’isomaltose et 75 % de la digestion du maltose. Sonactivité est maximale dans les premières anses jéjunales etdécroît par la suite. La glucoamylase rend compte de ladigestion des oligosaccharides de 4 ou plus résidus de glu-cose provenant de la digestion de l’amidon, ainsi que de

25 % de la digestion du maltose. Son activité croît tout aulong de l’intestin grêle pour être maximale dans l’iléon [2].Au terme de l’action des α-amylases et des enzymes de labordure en brosse entérocytaire, les glucides sont réduitsà leur forme la plus simple, leurs trois monosaccharidesconstitutifs : le glucose (80 %), le galactose et le fructose.C’est uniquement sous cette forme qu’ils pourront êtreabsorbés par l’intestin. Cette digestion des glucides estquasiment complète dès le jéjunum moyen en situationphysiologique.

Absorption des glucides

Les glucides, réduits en monosaccharides par la digestion,vont être absorbés au niveau des entérocytes selon desmécanismes différents et spécifiques. Étant des moléculestrès hydrophiles, les monosaccharides ne peuvent traver-ser seuls les phases lipidiques des membranes cellulaires.Leur diamètre de 0,7 à 1 nm ne leur permet pas parailleurs de diffuser à travers les jonctions intercellulairesqui laissent passer les molécules d’eau et les électrolytesdont le diamètre est inférieur à 0,3 nm.

Absorption du glucose et du galactoseL’absorption du glucose et du galactose met en jeu lapompe Na+–K+–ATPase. C’est le mécanisme prépondé-rant de l’absorption des glucides puisqu’il permet l’absorp-tion de plus de 80 % des monosaccharides, seul lefructose étant exclu de ce mécanisme. C’est un processusactif et saturable, consommateur d’énergie (ATP), qui per-met l’absorption dans l’entérocyte d’une molécule deglucose parallèlement à deux ions Na+. La pompe Na+–K+–ATPase est un homotétramère constitué de quatresous-unités traversant la membrane entérocytaire. Le glu-cose et le Na+ se fixent au pôle apical de l’entérocyte surun transporteur appelé SGLUT1. La pompe Na+–K+–ATPase permet ensuite de maintenir un gradient de Na+dans la cellule en excrétant le Na+ dans la circulation san-guine par le pôle basolatéral. L’entérocyte est donc tou-jours maintenu en situation d’affinité pour le Na+. Il a étédémontré qu’en l’absence de Na+, le glucose ne se lie pasà son transporteur et n’est donc pas absorbé [3]. En pré-sence de Na+, SGLUT1 se déforme pour laisser passer leglucose et le galactose. Le principe actif de ce transportde glucose est le gradient de Na+ maintenu au pôle baso-latéral de l’entérocyte par la pompe Na+–K+–ATPase.L’absorption couplée du glucose et du sodium expliquel’intérêt d’un apport conjoint de glucose et de sodiumdans les solutés de réhydratation type OMS et dans lesmélanges de nutrition entérale, afin d’optimiser les capa-cités de réabsorption de l’intestin grêle.

Absorption du fructoseLe fructose possède un transporteur spécifique sur lamembrane apicale de l’entérocyte, appelé GLUT5 [4].Son affinité pour le fructose est assez faible, et l’absorp-tion du fructose n’est pas dépendante d’un mécanismeconjoint avec le sodium.

Mécanismes de sortie de l’entérocyte du glucose et du fructoseLe glucose quitte l’entérocyte pour passer dans la circula-tion sanguine (système porte) par un mécanisme de diffu-sion facilitée, localisé dans la membrane basolatérale,indépendant du sodium, et saturable pour une concentra-tion de glucose supérieure à 50 mmol/L–1. Cette diffusion

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dans la circulation est effectuée par un transporteur spé-cifique appelé GLUT2.Le fructose quitte l’entérocyte pour passer dans la circula-tion sanguine par le même transporteur que le glucose,GLUT2, situé sur le pôle basolatéral de l’entérocyte.

Digestion et absorption des protéines

Les protéines présentes dans la lumière intestinale ontune double origine : d’une part les protéines alimentaires,les plus nombreuses, 60-70 à 100 g/j–1 en France pourune alimentation variée (viandes, poissons, œufs, lait) ; etd’autre part les protéines endogènes, représentées par lesenzymes de la digestion (35 g/j–1) et par les produits durenouvellement cellulaire (30 g/j–1).

Digestion des protéines

Comme pour les glucides, la digestion des protéines estcommencée lors d’une phase intraluminale au cours delaquelle les protéines sont changées en oligopeptides, puisla digestion est achevée par des peptidases présentes surla bordure en brosse entérocytaire, permettant leurabsorption par les entérocytes.

Digestion intraluminale des protéines– Digestion intragastrique : après la mastication, qui permetla dilacération des protéines, la digestion des protéinesdébute dans l’estomac. Il est démontré que l’acide chlo-rhydrique sécrété par les cellules pariétales de l’estomacpermet la dénaturation grossière des protéines. Il permetégalement d’atteindre un pH compris entre 2 et 4, pHpour lequel les pepsinogènes sécrétés par l’estomac sonttransformés en enzymes protéolytiques actives appeléespepsines. Ces pepsines ont une activité de protéolyseconnue, mais compte tenu de leur activité élective enmilieu acide et du pouvoir tampon des repas (pH intra-gastrique mesuré supérieur à 5), il est peu probablequ’elles jouent un grand rôle dans la digestion des protéines.Elles ne font sans doute que l’initier.– Digestion par les protéases pancréatiques : à l’inverse,les protéases pancréatiques ont un rôle majeur dans ladigestion des protéines. Elles comportent des endopepti-dases (trypsine, chymotrypsine et élastase) et des exo-peptidases (carboxypeptidases A et B). Ces enzymes,composant capital du suc pancréatique, clivent les protéinesprésentes dans la lumière intestinale dès le duodénumproximal, où se déverse le suc pancréatique. Les pro-téases pancréatiques sont tout d’abord libérées dans lalumière duodénale sous forme inactive ou zymogènes.Leur activation s’effectue en cascade, la première étapeétant l’activation du trypsinogène en trypsine par l’entéro-kinase, une glycoprotéine synthétisée et libérée par lesentérocytes du duodénum et du jéjunum proximal. Lesendopeptidases et les carboxypeptidases ont une activitécomplémentaire. Ainsi, la trypsine clive les protéines etproduit des peptides ayant à leur extrémité carboxy-terminale un radical Arg ou Lys libéré dans un secondtemps par la carboxypeptidase B. La chymotrypsine etl’élastase clivent quant à elles les protéines en peptidesayant à leur extrémité carboxy-terminale des radicauxrespectivement aromatiques et aliphatiques, libérés secon-dairement par la carboxypeptidase A [5].

La digestion des protéines par les protéases pancréatiquesest très rapide, aboutissant à un mélange d’acides aminéset d’oligopeptides en moins de quinze minutes lors d’unrepas d’épreuve [6]. La digestion des protéines se poursuitau niveau de la bordure en brosse des entérocytes.– Digestion par les peptidases entérocytaires : les pepti-dases entérocytaires sont localisées pour partie dans labordure en brosse. Cependant, une grande partie d’entreelles sont situées en intracytoplasmique. En effet, les pep-tides présentent la particularité par rapport aux glucidesde pouvoir traverser la membrane apicale des entérocyteset d’être transformés en acides aminés, produits finaux dela digestion des protéines, en intracytoplasmique.On connaît actuellement sept peptidases de la bordure enbrosse : trois aminopeptidases (dont l’aminopeptidaseneutre et l’aminopeptidase acide), libérant l’extrémitéN-terminale des peptides, deux carboxypeptidases libérantl’extrémité C-terminale des peptides, une endopeptidaseet la gamma-glutamyl-transpeptidase. Les plus activessont l’aminopeptidase neutre et la dipeptidyl-peptidase IV.Ces peptidases de la bordure en brosse vont produire àpartir des oligopeptides un mélange d’acides aminés(60 %) et de di- et tripeptides (40 %).Les peptidases intracytoplasmiques sont responsables de90 % de l’activité peptidasique de l’entérocyte. Les prin-cipales sont la Gly-Leu dipeptidase, une prolidase et uneaminotripeptidase. Seuls les di- et tripeptides peuvent tra-verser directement la membrane apicale de l’entérocyte.Le système de transfert des oligopeptides est très peu spé-cifique. C’est un système actif, dépendant d’un gradientH+ de part et d’autre de la membrane entérocytaire. Letransporteur des di- et tripeptides est appelé Pept-1 [7]. Ilfaut noter que ce transporteur n’a aucune affinité pour lesacides aminés. La possibilité pour les di et tripeptides depasser directement la membrane apicale des entérocytespour être digérés en intracytoplasmique explique l’intérêten cas de malabsorption sévère des solutés de nutritionentérale « semi-élémentaires » comprenant un grandnombre de protéines sous forme de di- et tripeptides.

Absorption des protéines

L’absorption des protéines par l’entérocyte se fait soitsous forme d’acides aminés libres, soit sous forme de di-et tripeptides par le transporteur Pept-1. Il existe unevingtaine d’acides aminés libres absorbés par l’entérocyte.On ne connaît pas spécifiquement toutes les voiesd’absorption de ces différents acides aminés. En revanche,on sait qu’ils font intervenir le gradient sodium, maintenupar la pompe Na+–K+–ATPase, comme pour le glucose.L’absorption des produits de dégradation des protéinesest par conséquent un phénomène consommateur d’éner-gie, tout comme l’absorption des produits de dégradationdes sucres. Le taux de transfert des acides aminés est deuxions Na+ pour un acide aminé.

Mécanismes de sortie de l’entérocyte des acides aminés

Une part significative des acides aminés absorbés parl’entérocyte (10 %) est utilisée par l’épithélium intestinalpour son métabolisme et ses propres synthèses. La gluta-mine, le glutamate et l’aspartate sont les acides aminés lesplus utilisés par l’intestin, couvrant 80 % des besoins del’épithélium intestinal. Le passage des acides aminés dansla circulation sanguine est indépendant du sodium. Les

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acides aminés neutres et basiques sortent de l’entérocytepar le pôle basolatéral en empruntant des systèmes trans-porteurs spécifiques appelés respectivement système L etsystème y+ [8].

Digestion et absorption des lipides

Les matières grasses ou lipides représentent près de 50 %de l’énergie apportée par l’alimentation. Les lipides sontprésents dans l’alimentation dans le beurre, l’huile, lesmatières grasses, mais aussi le chocolat et bon nombre deproduits manufacturés. Les lipides ingérés sont constituésà 98 % de triglycérides, le reste étant représenté par lecholestérol, les phospholipides et les esters des vitaminesliposolubles (A, D, E, K).La digestion et l’absorption des lipides sont plus complexesque celles des glucides et des protéines, du fait notammentdu caractère hydrophobe des lipides. Elles nécessitenttrois étapes bien distinctes :– la fragmentation des triglycérides par les lipases sali-vaire, gastrique et pancréatique ;– l’absorption par le grêle des produits de la digestion deslipides sous forme de micelles formées à partir des acidesbiliaires, permettant de transporter les molécules hydro-phobes à travers la membrane entérocytaire ;– la resynthèse des triglycérides en intra-entérocytaireavant la formation des chylomicrons et la sortie non pasdans le système porte mais dans les canaux lymphatiques.

Digestion des lipides

La lipolyse prépancréatiqueLa lipase salivaire est la première enzyme hydrolysant leslipides. Elle est active en milieu acide, et donc dans l’esto-mac. Son rôle n’est probablement pas majeur.La lipase gastrique a été identifiée relativement récem-ment [9]. Elle est également active en milieu acide (pHautour de 5) et a une spécificité pour la position externedes triglycérides. Il semble que son rôle soit assez impor-tant dans l’initiation de la lipolyse pancréatique.

La lipolyse pancréatiqueLe pancréas exocrine est l’organe majeur impliqué dans ladigestion des lipides. Le suc pancréatique contient troisenzymes lipolytiques différentes ayant chacune leur spécificité :– la lipase pancréatique est l’enzyme principale. Ellehydrolyse uniquement les triglycérides, qui sont les lipidestrès largement majoritaires dans l’alimentation ;– la carboxyl ester lipase (CEL) qui hydrolyse les esters ducholestérol ;– la phospholipase A2 qui hydrolyse les phospholipides.La lipase pancréatique libère à partir d’une molécule detriglycérides deux acides gras et une molécule de mono-glycéride. Elle agit à l’interface huile-eau, et nécessitedonc une émulsification préalable des triglycérides afin depouvoir être efficace. Son activité est alors multipliée par1 000 [10]. Cette émulsification est obtenue d’abord parla motricité antropylorique, puis de façon beaucoup plusfine par l’action des acides biliaires qui vont solubiliser leslipides de l’alimentation. Outre la nécessité de l’émulsifi-cation par les sels biliaires, la lipase pancréatique requiertégalement l’action d’un cofacteur sécrété également parle pancréas, appelé colipase. La colipase forme avec lessels biliaires et la lipase un complexe ternaire dans lequel

la colipase ancre la lipase dans l’interface tapissé de selsbiliaires, permettant à la lipase l’accès à son substrat, lestriglycérides [10]. Le pH optimal d’activité de la lipase estde 6, et de 8 en présence d’acides biliaires. In vivo, onestime que la lipase pancréatique permet d’hydrolyser70 % des triglycérides de l’alimentation.La CEL n’agit pas à l’interface huile-eau mais sur dessubstrats en solution. Elle a une action préférentielle surles esters du cholestérol et les esters des vitamines A et Een présence d’acides biliaires, mais peut également hydro-lyser des triglycérides à chaîne longue [11]. En l’absenced’acides biliaires, elle est très active sur les phospholipidesà chaîne courte.La phospholipase A2 est sécrétée sous forme de pro-enzyme, et est activée dans le duodénum par la trypsine.Tout comme la lipase pancréatique, elle requiert l’inter-face huile-eau pour être active, et est donc dépendante del’action préalable des acides biliaires. Elle catalyse spécifi-quement l’hydrolyse de la liaison ester d’acide gras situéeen position 2 (interne) sur la molécule de phosphoglycéride[12].La lipase pancréatique est très spécifique des triglycérideset elle est très active in vivo. Il faut une destruction ou uneamputation de plus de 80 % du pancréas pour voir appa-raître une stéatorrhée par maldigestion des graisses.

Absorption des lipides

Le rôle des acides biliaires : les micellesLes acides biliaires jouent un rôle capital dans la digestionet l’absorption des lipides. C’est sous leur action que leslipides alimentaires sont solubilisés en micelles, agrégatsmultimoléculaires formés autour des acides biliaires du faitde leur propriété très particulière : les acides biliaires sonten effet des molécules amphipathes, c’est-à-dire qu’ellessont à la fois hydrophobes et hydrophiles. Les acidesbiliaires vont donc permettre la solubilisation des lipidesde l’alimentation en les mettant en contact avec leur pôlehydrophobe. Ce complexe formé des acides biliaires etdes lipides de l’alimentation situés au cœur du complexeconstitue la micelle. C’est dans la micelle que la lipasepancréatique pourra digérer les triglycérides à l’aide de lacolipase. La formation micellaire commence dès que laconcentration intraluminale des acides biliaires atteint laconcentration micellaire critique. Le pôle hydrophile desacides biliaires permet ensuite d’apporter les produits dela digestion des lipides au niveau de la bordure en brosse.La diffusion des produits de la lipolyse se fait alors de lamicelle en intra-entérocytaire de façon passive.Toute perturbation du métabolisme des acides biliaires(cholestase, pullulation microbienne, etc.) aboutit à unemalabsorption des graisses, soulignant leur extrêmeimportance dans la digestion et l’absorption des lipides.Il a été suggéré récemment que l’absorption intestinale ducholestérol pourrait être contrôlée génétiquement. Cecontrôle génétique de l’absorption du cholestérol pourraitimpliquer un mécanisme médié par des enzymes telles quela CEL [13], mais aussi la lipase pancréatique elle-même[14]. Une diminution des concentrations luminales de cesdeux enzymes due à une mutation génétique pourrait mettreà l’abri à l’échelon individuel d’une obésité induite par unrégime riche en graisses [13]. En effet, l’absence de stimu-lation directe de l’absorption intestinale du cholestérol parla CEL et la lipase pancréatique entraînent une diminutionmajeure de l’absorption du cholestérol et dans une moin-

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dre mesure des triglycérides chez la souris [14]. Ces don-nées récentes méritent d’être explorées chez l’Homme dufait de l’importance de leurs implications dans la compré-hension et le traitement de l’obésité.

Formation des chylomicrons– Resynthèse des triglycérides : les acides gras libres sontpris en charge dès leur entrée dans l’entérocyte par deuxprotéines spécifiques liant les acides gras appelées liver-fatty acid binding protein (L-FABP) et intestine-fattyacid binding protein (I-FABP). La I-FABP assure le trans-port intra-entréocytaire des acides gras libres de plus de12 C. La L-FABP sert de « réservoir » d’acides gras libresen attendant leur transport. Les acides gras libres de plusde 12 C sont réestérifiés en triglycérides dans le réticulumendoplasmique par l’acyl-CoA-synthétase. Les acides graslibres de moins de 12 C diffusent directement dans l’enté-rocyte pour rejoindre le système porte.– Formation des chylomicrons et sortie de l’entérocyte :les triglycérides resynthétisés sont rejoints par les phos-pholipides et par les apoprotéines, ces dernières étantsynthétisées par l’entérocyte. Les chylomicrons sont desamas de triglycérides recouverts pour 80 % de phospho-lipides et pour 20 % d’apoprotéines. Ils sont empaquetésdans des vésicules qui vont fusionner avec la membraneentérocytaire au niveau du pôle basolatéral, avant d’êtreexcrétés dans l’espace intercellulaire. Leur volume leurinterdisant de traverser les fenestrations capillaires, ilsvont pénétrer dans les lymphatiques intestinaux par lesinterstices séparant les cellules endothéliales. Ils rejoignentfinalement la circulation générale par le canal thoracique.– Cas particulier des triglycérides à chaîne moyenne(TCM) : les TCM diffèrent fortement des triglycérides àchaîne longue (TCL). En effet, ils sont beaucoup plushydrosolubles que les TCL. Ils n’ont donc pas besoin desacides biliaires pour diffuser à travers la membrane enté-rocytaire, expliquant pourquoi ils peuvent être donnés encas de malabsorption par carence en acides biliaires. Ilssont par ailleurs hydrolysés beaucoup plus rapidement parla lipase pancréatique que les TCL.En intra-entérocytaire, les acides gras à chaîne moyennene sont pas réestérifiés en triglycérides, l’acyl-CoA-synthé-tase n’ayant pas d’affinité pour les acides gras de moinsde 12 C. Ils n’entrent pas dans la composition des chylo-microns et quittent l’entérocyte par le système porte.Cette dernière caractéristique explique que les TCM soientles seuls lipides autorisés en nutrition orale ou entérale encas de plaie du canal thoracique (chirurgie de l’aorte).

Conclusion

La digestion des nutriments fait intervenir des enzymessécrétées de manière prépondérante par le pancréas, véri-table chef d’orchestre de la fragmentation des aliments.Les enzymes pancréatiques permettent en effet la diges-tion des glucides, des lipides et des protéines, le rôle desautres enzymes de la digestion (gastriques, intestinales,biliaires), étant essentiellement de favoriser l’action desprincipales enzymes pancréatiques (α-amylase pour lesglucides, trypsine pour les protéines et lipase pour leslipides) ou de terminer la fragmentation initiée par lesenzymes du suc pancréatique afin de permettre leurabsorption par les entérocytes.

L’absorption des nutriments au niveau de la bordure enbrosse des entérocytes est un phénomène actif couplé ausodium pour les produits de la digestion des glucides etdes protéines. En ce qui concerne les produits de la diges-tion des lipides, les acides biliaires jouent un rôle centralen permettant leur solubilisation grâce aux micelles qui per-mettent la diffusion passive des acides gras dans l’entérocyte.Les produits finaux de la dégradation des glucides et desprotéines, les monosaccharides et les acides aminés,rejoignent la circulation sanguine par le flux du troncporte qui les véhicule jusqu’au foie. Les produits finaux dela dégradation des lipides sont les acides gras libres, quiconnaissent deux destinations différentes. Les acides grasà chaîne longue, majoritaires (plus de 12 C), sont resyn-thétisés en triglycérides dans l’entérocyte et rejoignent lacirculation lymphatique du fait de leur volumineuse taille.Les acides gras à chaîne courte (moins de 12 C), rejoi-gnent directement le flux porte à l’instar des monosaccha-rides et des acides aminés.

Résumé

La digestion commence dès l’ingestion des aliments. Ellese poursuit tout au long du tube digestif, par l’action desprincipales enzymes salivaires, gastriques, pancréatiques,biliaires et intestinales. Le pancréas joue un rôle centraldans la digestion puisqu’il sécrète les enzymes clés de ladigestion des glucides (α-amylase), des protéines (tryp-sine), et des lipides (lipase) qui permettent de cliver lesprincipaux aliments en nutriments sous forme de monoou oligomères (oligosaccharides pour les glucides, oligo-peptides pour les protéines, acides gras pour les lipides).Le principal site de la digestion des nutriments est l’intes-tin grêle. Cette digestion, initiée par les enzymes pancréa-tiques notamment, est terminée pour les glucides et lesprotéines par les enzymes de la bordure en brosse desentérocytes (oses et acides aminés). L’intestin grêleconstitue également avec ses 4 mètres de longueur le siteprivilégié de l’absorption des nutriments. L’absorption desnutriments est un phénomène actif pour les glucides et lesprotéines, dont le transport dans l’entérocyte est coupléau sodium. Pour les lipides, la solubilisation en micellespar les acides biliaires est nécessaire à leur absorption, quise fait par diffusion passive. Les acides aminés et les osespassent ensuite dans la circulation générale par le systèmeporte, tandis que les acides gras sont resynthétisés entriglycérides dans l’entérocyte avant de passer dans lesystème lymphatique sous forme de chylomicrons.

Mots-clés : Nutriments – Digestion – Absorption.

Abstract

Digestion is initiated as soon as the aliments are inges-ted. Then it is pursued in the digestive tract, by theaction of the main enzymes of saliva, gastric juice, pan-creatic juice, bile and intestine. Pancreas plays a majorrole in digestion since it produces the key enzymes ofsugars (α-amylase), proteins (trypsin) and lipids (lipase),which change the main aliments in oligosaccharides,oligopeptides and fatty acids. The principal site ofdigestion is the small intestine. Digestion is initiated byenzymes from pancreatic juice, and finished by the bor-

Page 6: Digestion et absorption des nutriments

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dossier enseignement

der brush enzymes for proteins and sugars to giveamino acids and glucose. Small intestine is also themain site of nutrients absorption, which is facilitatedby its 4 meters length. Nutrients absorption is an activephenomenon for glucose and amino acids with a co-transport associated to the sodium. Lipids require aprevious solubilization by the biliary acids, which allowa passive diffusion of lipids in the enterocyte after amicelle solubilization. Amino acids and sugars can thenpass in the portal vein, whereas fatty acids are changedin triglycerides before their passage in the lymphaticsystem.

Key-words: Nutrients – Digestion – Absorption.

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