58
N°1 JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 DOSSIER x INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE DANS CE NUMÉRO Parti communiste français SCIENCE x NANOSCIENCES : ENJEUX SCIENTIFIQUES ET SOCIÉTAUX Aurélie Lopes, Jean-Noël Aqua TRAVAIL x POUR UNE NOUVELLE CIVILISATION DU TRAVAIL Marie-José Kotlicki ENVIRONNEMENT x SOIGNER LES SOLS POUR NOURRIR L'HUMANITÉ Gérard Le Puill

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

N°1 JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

DOSSIER x

INDUSTRIE ETPLANIFICATIONÉCOLOGIQUEDANS CE NUMÉRO

Parti communiste français

SCIENCE xNANOSCIENCES :ENJEUX SCIENTIFIQUES ET SOCIÉTAUXAurélie Lopes, Jean-Noël Aqua

TRAVAIL xPOUR UNE NOUVELLE CIVILISATION DU TRAVAILMarie-José Kotlicki

ENVIRONNEMENT xSOIGNER LES SOLSPOUR NOURRIRL'HUMANITÉGérard Le Puill

Page 2: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

SOMMAIRE

ÉDITO .................................................................................................................................................................................................. 3

DOSSIERINDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEIntroduction Amar Bellal .............................................................................................................................................................................. 5Industrie : un nouveau paradigme Alain Obadia ..................................................................................................................................... 6L’économie circulaire : une pratique révolutionnaire à mettre en œuvre Jean Barra, Roland Charlionet et Luc Foulquier .................. 7Quelle méthode pour réussir la planification écologique ? Interview de Daniel Thomas................................................................... 10Vers une chimie verte Stéphane Sarrade.................................................................................................................................................. 12Rénover 23 millions de logements d'ici 2050 : un exemple de planification industrielle Amar Bellal .......................................... 14Transport électrique Denis Linglin............................................................................................................................................................ 16Fret fluvial : un mode alternatif à développer Fabien Albert ................................................................................................................ 17Les enjeux du transport ferroviaire Alain Prouvenq................................................................................................................................ 18Maintenir les activités productives tout en préservant l’environnement Entretien avec François Ramade ........................................ 20Produire l'acier du futur « proprement » nécessitera beaucoup d'électricité Samira Erkaoui ....................................................... 22La sûreté industrielle, enjeu idéologique majeur Jean-Claude Cheinet................................................................................................ 23Europe et politique industrielle Point de vue de Jacky Hénin................................................................................................................... 24Le co-développement dans l’innovation : pour quels territoires ?Un espace privilégié, la Méditerranée Occidentale Michel Combarnous .......................................................................................... 26

SCIENCE ET TECHNOLOGIENANOTHECHNOLOGIES Les nanosciences : enjeux scientifiques et sociétaux Aurélie Lopes et Jean-Noël Aqua................................... 28MÉDECINE Cellules souches : retour sur le prix Nobel de médecine 2012 Michel Limousin ............................................................. 30RECHERCHE Politique industrielle en Europe : le programme Horizon 2020 Sébastien Élka............................................................... 32CHOIX TECHNOLOGIQUES Pour un débat serein sur nos choix technologiques Marie-Claire Cailletaud................................................ 34

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIETRAVAIL Pour une nouvelle civilisation du travail Marie-José Kotlicki .................................................................................................... 36TRAVAIL La révolution du flux tendu Anne Rivière .................................................................................................................................... 38TRAVAIL Les centres d’appel : prolétaires invisibles Christelle Ristant.................................................................................................... 40ENTEPRISE Textile en Drôme-Ardèche, réinvestir l’avenir Thierry Chantrier et Sébastien Élka ................................................................. 42

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉÉNERGIE Énergies renouvelables, le mythe de l'autonomie Jean-Claude Cauvin, et Luc Foulquier ....................................................... 44AGRICULTURE Soigner les sols pour nourrir l'humanité Gérard Le Puill................................................................................................... 46RESSOURCE L'eau, enjeu citoyen face aux majors Jean-Claude Cheinet et Maxime Paul ....................................................................... 48MONDE Mobilité et développement rural :y a-t-il une place pour les campagnes dans l’Inde « émergente » ? Frédéric Landy ..................................................................... 50

BRÈVES / LIVRES................................................................................................................................................................. 52

Intervention de Marie-George Buffet.... ................................................................................56

2 JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Progressistes • Tél. 01 40 40 11 59Directeurs de la publication : Jean-FrançoisBolzinger, Jean-Pierre Kahane • Rédacteuren chef : Amar Bellal • Secrétariat de rédac-tion : Anne Rivière • Responsable desrubriques : Ivan Lavallée • Comité de rédac-tion : Jean-Noël Aqua, Jean-Claude Cauvin,Marie-Françoise Courel, Didier Dhuique,Sébastien Elka, Marion Fontaine, Luc Foulquier,Malou Jacob, Michel Limousin, GeorgeMatti, Simone Mazauric, Bastien Maraicher,Pierre Serra, Bastien Tersan • Conceptiongraphique et maquette : Frédo Coyère etSébastien Thomassey

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Exemplaires papiers disponibles sur demande au 01 40 40 11 59 ou en écrivant à [email protected]

PDF téléchargeable surwww.progressistes.pcf.fr

vos réactions : [email protected]

Page 3: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

3

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

ÉDITORIAL

Science, travail, environnement, progrès,PCF, Progressistes, que signifie cette nou-velle revue ?

Elle renoue et elle innove.

Elle renoue avec une tradition du mouve-ment ouvrier, qui est de ne pas laisser à labourgeoisie le bénéfice exclusif des acquisde la science et des techniques. Elle renoueles liens entre la pensée et l’action qui ontanimé les scientifiques communistes aucours de l’histoire du PCF ; qu’il suffise derappeler comment résonnaient pendantla guerre et la Libération des noms du bio-logiste Marcel Prenant, du psychologueHenri Wallon, des physiciens Paul Langevinet Frédéric Joliot-Curie, comme, pour ceuxqui l’ont connue, la figure radieuse de lachimiste Marie-Elisa Cohen.

Elle renoue avec Avancées, le périodiquedirigé par René Le Guen et auquel certainsd’entre nous ont participé, qui montraitles enjeux sociaux et politiques des avan-cées scientifiques et techniques, et qui ten-tait de contribuer à la réflexion du PCF surle rôle nouveau et croissant des ingénieurs,cadres, techniciens, et scientifiques detoutes disciplines. Elle renoue notre visiondu progrès humain, à construire sansrelâche, à celle du progrès des connais-sances et des pratiques, inégal et heurtéquand il s’intègre aux intérêts dominantsd’une petite minorité. Elle renoue avec lavision de Marx, confirmée par l’histoire,que les richesses dont dispose l’humanitétiennent à la fois du travail humain et dela nature.

Elle innove parce que nous sommes enface de problèmes nouveaux. La produc-tion scientifique n’est plus l’affaire dequelques personnalités, mais elle impliqueau plan mondial des millions de personnes,

son accélération alimente les fantasmes,elle est clairement l’enjeu d’une bataillepolitique et idéologique dans laquelle ladroite domine et la gauche se pose enordre dispersé. La sensibilité à l’évolutionde l’environnement, le souci de l’écolo-gie, très prometteurs pour la politique àvenir, sont facilement dévoyés vers lespeurs et les oppositions stériles. Le soucilancinant de l’emploi, face au chômage,occulte la question essentielle des buts etdes formes du travail. Le travail salariés’est étendu à la grande majorité de lapopulation, il y a là le germe de solidari-tés nouvelles, mais la conscience des inté-rêts communs à la plupart des travailleursest bien moins solidement constituée quecelle des intérêts communs à ceux qui lesexploitent. Les terrains de lutte et deréflexion se sont diversifiés, et ils s’éten-dent au monde entier. Il n’est pas possi-ble de penser à la science, au travail, àl’environnement, au progrès sans les situerdans le contexte mondial, et dans la pers-pective de l’humanité à venir.

La revue étudiera ces problèmes dans l’es-prit du progrès humain à réaliser danstous les domaines, dans la perspective ducommunisme comme dépassement ducapitalisme. C’est la signification du titre« Progressistes ». On verra un thème cen-tral dans chaque numéro, des rubriquespermanentes, des études de fond et uneprise sur l’actualité. Le comité de rédac-tion est solidement constitué et il est lar-gement ouvert à des concours extérieurs.Il accueillera avec reconnaissance toutesles critiques et suggestions que les lec-teurs de ce premier numéro pourront luiapporter.

JEAN-FRANÇOIS BOLZINGERET JEAN-PIERRE KAHANE

DIRECTEURS DE LA REVUE PROGRESSISTES

PROGRÈS HUMAIN ET POLITIQUE

ET JEAN-PIERREKAHANE,

MATHÉMATICIEN,PROFESSEUR ÉMÉRITEÀ L’UNIVERSITÉ PARIS

SUD ORSAY

JEAN-FRANÇOISBOLZINGER, MEMBRE

DU CONSEIL NATIONALDU PCF

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 4: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

« La planification écologique doit devenir un outil dudébat démocratique exprimant la volonté de la sociétéde répondre, dans un même mouvement, aux enjeuxécologiques, économiques et sociaux.

Nous voulons maîtriser les enjeux de production,œuvrer à un mouvement de relocalisations indus-trielles, afin d’éviter les gaspillages de ressources, lacasse de l’emploi, les atteintes à la biodiversité etd’organiser la véritable réponse aux besoins.

Il est grand temps de sortir du cycle infernal produc-tivisme-consumérisme, qui n’a d’autre finalité queles profits de quelques-uns. Il faut donner un toutautre contenu à la croissance, imposer des exigencesqui ne peuvent être que celles d’un développementhumain durable. Il faudra traquer, par exemple, l’undes choix stratégiques les plus symboliques de l’ab-surdité du système : les gâchis matériels insensés,l’obsolescence programmée, qui voit des entreprises

produire des biens à durée de vie volontairementdéterminée pour doper leurs profits. »

[...]« Notre croissance est celle du développement socialet écologique, pas celle de l’accumulation du capi-tal. Nous voulons, au niveau local, national et euro-péen, promouvoir des pratiques véritablement démo-cratiques d’aménagement du territoire. Ce dernierdoit poursuivre, au nom de l’intérêt général et dubien commun, des valeurs de solidarité, de coopé-ration et d’équilibre territorial, en articulation avecles enjeux de la planification écologique. Il doit êtrepensé à partir des besoins de la population dans unexercice citoyen d’expression et d’élaboration col-lective de ces besoins ».

Extraits de L’humanifeste du Parti communiste,texte d'orientation adopté par le 36e congrès du PCF,

10 février 2013.

Pour vous le procurer : www.pcf.fr

«

«

Page 5: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

PAR AMAR BELLAL*,

Écologie et industrie : une associa-tion qui peut paraître contre-naturetant on a opposé ces deux termes.

À un tel point que la confusion règne àgauche où la critique légitime du produc-tivisme est devenue par glissement la cri-tique de la production sans nuance.

L’industrie nous pose des problèmes de conscience: elle est à lafois absolument nécessaire pour nos sociétés et en même tempselle pollue, produit des déchets, présente des risques autour dessites de production. La tentation est alors grande de réduire ce sec-teur voire d'accepter tacitement la délocalisation vers d'autres payspour ne pas avoir à s'embarrasser de ses nuisances. Elle s'accom-pagne également d'une dévalorisation des métiers liés à la pro-duction. Et il est vrai que quantitativement, l'essentiel des emploisaujourd'hui est classé dans le secteur des services, services pour-tant intimement liés à la production. Ainsi, on ne perçoit pas immé-diatement la catastrophe économique pour un pays qui se sépareprogressivement de ses industries : par exemple l'irréversibilitéconcernant la perte de savoir faire sera très grave pour l'avenir caril faudra des générations pour retrouver le niveau technologiqueperdu dans certains secteurs clés.

Nous aurons donc toujours besoin de produire, et même de pro-duire plus et autrement compte tenu des besoins qui vont gran-dissants et de l'état de pénurie qui règne chez les classes popu-laires. La vraie question politique vraiment sérieuse, est bien desavoir comment mieux produire et comment produire pour répon-dre aux besoins sociaux au sens très large, en intégrant le respectde notre environnement. C'est en renversant les critères, en privi-légiant la valeur d'usage des produits plutôt que la valeur d'échange(pour utiliser des termes marxistes) que nous opérerons une trans-formation radicale de nos modes de production. Cela suppose bien sûr de sortir de la logique actuelle du systèmecapitaliste avec ses fausses « bonnes solutions »: taxe carbone, mar-ché des droits à polluer, tarification progressive. Ces solutions sontissues de l’idéologie libérale, autour notamment du concept de« signal-prix », qui focalise avant tout sur la réduction de la consom-mation des ménages, par le biais d'une hausse des prix, injustesocialement mais qui a le mérite d'être conforme à la doxa libé-rale, et permet d'éviter les vraies questions politiques. Les vraissujets qui fâchent à savoir les rapports de pouvoirs dans l'entre-prise : qui décide de ce que l'on va produire et de quelle manière?

Et qui décide de ce qu'on doit financer ou ne pas financer? Celadonne toute la pertinence à nos propositions économiques, surune reprise en main politique des critères et outils de financementaujourd'hui soumis à l'arbitrage du marché.

Le dossier ici présenté développe des idées phares comme l'éco-nomie circulaire, la chimie verte, examine des secteurs clés commele transport, l'habitat, la sidérurgie, afin de dégager des pistes pourune planification écologique réussie, avec des projets industrielsconcrets. Il y a en effet urgence à sortir de l'« écologie de salon »,coupée des réalités et qui fait l'impasse sur les ordres de grandeur,l'état et les limites des technologies, niant complètement l'éten-due des besoins.

Nous donnons la parole à des femmes et des hommes avec desmétiers et secteurs divers ; ouvriers, ingénieurs, techniciens, cher-cheurs, scientifiques, travaillant dans les secteurs tant publics queprivé. Disons le clairement: ces dernières années, nous avons perdul'habitude d'écouter les travailleurs de la science. Leur parole estmême dévalorisée et disqualifiée sous prétexte qu'ils ont déve-loppé une expertise dans un domaine précis à travers leur vie pro-fessionnelle : ils seraient alors devenus les défenseurs d'un groupede pression (lobby en anglais) ou d'une corporation! On assiste àun renversement des valeurs : moins on en sait dans un domaine,plus on est censé être objectif, « honnête » et « indépendant ». Onimagine mal pareille attitude vis-à-vis des enseignants intervenantdans un débat concernant l'école par exemple: au contraire, dansce cas précis, ces professionnels de l'éducation seront écoutés etleurs paroles respectées, à juste titre. Pareille attitude est de misesur les grands sujets où l’expertise scientifique est nécessaire à ladécision politique, comme l’environnement, l'énergie, l'agricul-ture. Il nous faut réapprendre à écouter tous ces salariés et tenircompte de ce qu'ils ont à nous dire: ils ont beaucoup à nous appren-dre sur la complexité des problèmes posés. Notre engagement pourune planification écologique démocratiquement élaborée, en lienavec nos propositions de donner de nouveaux pouvoirs aux sala-riés dans les entreprises, passe obligatoirement par cette voie. Alors,sans attendre, écoutons-les, et vous le verrez à travers ce dossieret dans les autres rubriques: ils ne manquent pas d'idées ! Bonne lecture et bienvenue dans ce premier dossier traité parProgressistes.

*AMAR BELLAL est rédacteur en chef de Progressistes.

5DOSSIER

INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

SORTIR DE « L’ÉCOLOGIE DE SALON »

Page 6: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Réorienter l' industrie pour un développement humain durable est une nécessitésociale et écologique, appelant une transformation de notre modèle productif.

PAR ALAIN OBADIA*,

Se battre pour la réindustrialisa-tion de notre pays est à l’opposéd’une démarche nostalgique se

fixant pour objectif de recréer unappareil industriel inspiré de l’âged’or mythifié des « trente glorieuses ».Notre approche intègre pleinementl’avancée des connaissances qui aconduit à une prise de conscience :considérer la question de l’écologiecomme une des dimensions consti-tutives incontournables de l’indus-trie contemporaine.Comme toutes les activités humaines,l’industrie – inséparable aujourd’huide la plus grande partie des services–doit poursuivre des objectifs prenanten compte plusieurs composantes :les besoins qui s’expriment et aux-quels elle doit répondre, la capacitéà mobiliser les qualifications et laforce créative des salariés, cadres etchercheurs, le respect des écosys-tèmes, la vitalité des territoires danslesquels les sites sont implantés. Ainsi,elle ne doit pas fonctionner pour elle-

INDUSTRIE : UN NOUVEAU PARADIGME

même dans la vision étroite et cala-miteuse des exigences de rentabilitéfinancière court-termistes. Nousdevons, au contraire la réorienter dansl’optique du développement humaindurable.C’est pourquoi nous insistons sur laliaison étroite entre réindustrialisa-tion et transformation des modèlesproductifs. Dans cette perspective,un renouvellement structurel estnécessaire à toutes les étapes de laproduction : conception des produitsen rupture avec la logique de l’obso-lescence programmée, extraction desmatières premières, gestion économedes matériaux et des ressources natu-relles, souci de leur gestion ration-nelle ou de leur substitution, luttecontre les pollutions de toutes sortes,préservation des sols, économiesd’énergie et efficacité énergétique,gestion et recyclage des matériaux,des composants et des déchets, créa-tion de filières de réparation et demaintenance etc. Dans la logique del’ « économie circulaire », il faut déve-lopper les mises en réseaux des entre-

prises et institutions pour organiserla complémentarité des besoins et lescoopérations mutuellement profita-bles.

FINANCER LA PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEDans tous les cas, repenser et trans-former en profondeur l’ensemble duprocessus de production impliquedes investissements massifs et de longterme facteurs de relance saine. Unetelle démarche doit s’appuyer sur uneplanification écologique à toutes leséchelles territoriales. La soumissionà la loi du marché est incompatibleavec ces transformations structurellesà entreprendre tant il est vrai que lalogique du capitalisme est de n’in-vestir qu’en fonction du taux de ren-tabilité escompté à court terme etnon en fonction des besoins et del’utilité collective.Il est bien sûr impératif de réfléchircollectivement aux diverses manièresde financer la transition écologiquede l’industrie. La mise en place dupôle financier ambitieux pour lequelnous nous battons fait partie des solu-tions. Son adossement à des fondsrégionaux fonctionnant sur la based’un système de crédit sélectif per-

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE6

Un gaspillageemblématique :l'exemple desproduits quiparcourentinutilementplusieurs milliersde km juste pourbénéficier desmoindres coûts.

Page 7: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

mettrait de soutenir des prioritésenclenchant un cercle vertueux dedéveloppement humain durable.L’offensive politique pour que ce typede démarche existe à l’échelle del’Europe ouvrirait des perspectivesplus vastes encore. C’est dans cette logique nouvelle ques’intègre l’objectif de relocalisationdes productions qui est de plus enplus au cœur des débats. Elle ouvredes perspectives nouvelles pour unmodèle productif rapprochant leslieux de production des lieux deconsommation au plus grand béné-fice des territoires concernés. Elle estun facteur de transformation desmodes de consommation en favori-sant la diversification des produitsdisponibles, les liens entre produc-teurs et consommateurs, les circuitscourts pour limiter le poids des inter-médiaires. Elle favoriserait une meil-leure répartition de la production surl’ensemble du territoire et apporte-rait des réponses alternatives à l’hy-perpolarisation des activités commeaux phénomènes de désertification.

RELOCALISER LA PRODUCTIONSANS RENONCER AUX ÉCHANGESMais la relocalisation concerne aussiles grands secteurs économiques. Siles véritables coûts sont réintégrésdans la comptabilité analytique desentreprises, la pseudo-rationalité deschoix de délocalisation s’effondre…Les productions éclatées à travers lemonde en fonction des bas coûts demain-d’œuvre et du dumping fiscalont des répercussions désastreusesconcernant la consommation d’éner-gie et l’empreinte carbone. Le résul-tat est aberrant : des produits font letour de la Terre avant d’arriver dansnos assiettes, des process industrielsfont parcourir des milliers de kilomè-tres à leurs composants pour béné-ficier des moindres coûts ! Cette ten-dance tient à la non prise en comptedes externalités négatives. De l’aé-rien au maritime en passant par le

La relocalisation concerne aussi lesgrands secteurs économiques. Si les véritablescoûts sont réintégrés dans la comptabilitéanalytique des entreprises, la pseudo-rationalité des choix de délocalisations’effondre.

“ “transport routier, les coûts des trans-ports sont systématiquement mino-rés. Leur impact sur l’environnementn’est pas intégré… De surcroît, cessecteurs sont parmi les plus touchéspar les pratiques de dumping socialet de dérégulation. Par ailleurs, lecoût social des délocalisations n’en-tre pas dans le bilan des firmes. C’està la collectivité de les prendre encharge. Il est donc urgent de chan-ger de paradigme.Pas de contresens, cependant, la relo-calisation doit être conjuguée avecune vision ambitieuse des échangesinternationaux. Leur fonction estirremplaçable pour tout ce qui nepeut être produit localement et qui

est pourtant considéré comme utile.Ils sont aussi un facteur de liens entreles différents peuples de la planète.Ils doivent évoluer dans le sens de lacoopération et non dans celui desrègles de l’OMC fondées sur les objec-tifs des multinationales. Le respectde clauses sociales et environnemen-tales pour réguler les échanges inter-nationaux irait dans ce sens. UneEurope démocratisée pourrait deve-nir un acteur de dimension perti-nente pour développer ce processussi nécessaire. n

*ALAIN OBADIA est membre du Conseiléconomique, social et environnemental. Ilest le président de la fondation Gabriel-Péri.

7

L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE : UNEPRATIQUE RÉVOLUTIONNAIRE À METTRE EN ŒUVRE

graviers, plusieurs dizaines de mil-lions pour le pétrole et le gaz, (le char-bon s’est formé pendant le carboni-fère, il y a 350 millions d’années), etdes centaines de millions pour la plu-part des autres ressources minérales(minerais de métaux). Or les métaux,par exemple, sont indispensablespour le développement des infra-structures et de l’urbanisation (fer etferro-alliages), celui de l’électromé-nager (aluminium, cuivre, zinc, étain…),celui de filières industrielles telles quel’électronique, l’aéronautique, l’éner-gie, les nano et biotechnologies…(lithium, cobalt, gallium, germanium,titane, néodymes, terres rares…).Une première évidence s’impose : ilfaut économiser les ressources en lesrecyclant.

LE RECYCLAGEContrairement à quelques idées reçues,beaucoup est fait dans ce domaine.Par exemple la société INDRA Auto -

PAR JEAN BARRA, ROLAND CHARLIONET,ET LUC FOULQUIER*,

LA GESTION DES RESSOURCESCertaines ressources peuvent êtreconsidérées comme renouvelables sileurs utilisations s’inscrivent dans lescycles naturels : par exemple l’eau(renouvellement en quelques jourspour l’eau de ruissellement, quelquesmois pour les nappes phréatiques),la nourriture qui est basée sur descultures et des élevages annuels oupluriannuels, le bois avec des forêtsexploitées sur plusieurs dizaines d’an-nées. Mais d’autres ressources miné-rales ne sont disponibles qu’en quan-tités limitées (parfois très faibles) etnon renouvelables à l’échelle du tempshumain. Si celles basées sur l’exploi-tation des océans (le sel, le magné-sium, l’iode…) se renouvellent enmoins d’une année, il en faut quelquesdizaines de milliers pour les produitsde l’érosion comme les sables et les

La Terre a des ressources limitées, alors même que les êtreshumains n’ont jamais été aussi nombreux, plus de 7 milliards,à aspirer légitimement au bien-être et que des milliards d’en-tre eux se retrouvent toujours dans des conditions inaccepta-bles de survie.

Page 8: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE8

de matière recyclée est fixé par l’in-dustrie, la géopolitique, la financeinternationale (par exemple le rem-plissage des bateaux de papier recy-clable pour l’exportation fixe les cours…et le plan de charge des papeteriesspécialisées dans l’hexagone !)

L’ÉCONOMIE CIRCULAIREMais les limites du recyclage appa-raissent rapidement. Le verre et laplupart des métaux sont certes recy-clables indéfiniment… quand ils sont

importantes. Par exemple l’agencemétropolitaine des déchets ména-gers, le Syctom de Paris, atteint unetaille critique qui lui permet d’avoirune grande efficacité dans le recy-clage et la valorisation, et d’être ensituation de résister aux multinatio-nales de ce secteur.Pour le système capitaliste, les déchetsconstituent une nouvelle source deprofit, et une matière première par-fois plus juteuse que celle habituel-lement extraite de la mine ou de l’usine ;d'où le développement rapide d'unmarché international, avec l’établis-sement de catégories de matière recy-clée, la définition de normes, la déter-mination des cours, et la spéculationqui va avec : le niveau de rémunéra-tion qui est consenti à un producteur

mobile Recy cling (http://www.indra.fr/)s’occupe du recyclage industriel desvéhicules hors d’usage. Le véhiculeest décortiqué, les pièces détachéesutilisables sont stockées pour la reventeet les matériaux sont valorisés ou recy-clés dans des filières ad hoc : les pneus,les vitres, les métaux (75 % de la massedu véhicule), la mousse des sièges,les fluides et les filtres du moteur,enfin le polypropylène des pare-chocs.Certaines industries gèrent elles-mêmes leurs déchets et organisentleurs filières de valorisation. Maisbeaucoup de choses reposent sur lescollectivités locales, qui organisentle tri sélectif et la collecte au plus près(métaux, papiers, verres, plastiques,tissus, déchets verts…) puis le traite-ment dans des unités plus ou moins

L’ecoconception : il s’agit de concevoirles produits pour leurs fonctions propres maisaussi pour les preparer a leurs vies ulterieuresapres l'usage initial. Les concevoir pour durerlongtemps et mettre en place de veritablesservices d’entretien.

“ “

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

La mine de Chuquicamata, au Chili, est la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde.Photo satellite, altitude 18 km

Page 9: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

9

purs. Si le matériau de base est com-posite (et ils le sont presque toujours :alliage, adjonction de constituantsvariés, peinture, encre etc.), le recy-clage coûte cher, la dépense énergé-tique est élevée et les qualités du pro-duit recyclé sont détériorées. En outrecertains produits, même purs, se recy-clent mal (détérioration de la fibrecellulosique du papier par exemple).Il faut donc aller plus loin.

DEUX PRINCIPES D’ACTIONCOMPLÈTENT CELUI DURECYCLAGE.-Le premier est l’écoconception. Ils’agit tout d’abord de concevoir lesproduits pour leur fonction propremais aussi pour les préparer à leursvies ultérieures après l'usage initial(prévoir les opérations de recyclageà venir et leur traçabilité ou s’orien-

ter vers la biodégradabilité). Ensuiteil faut les concevoir pour durer long-temps (c’est le contre-pied du para-digme productiviste où l’usure et l’ob-solescence rapide des produits sontprogrammées) et mettre en place devéritables services d’entretien.L’agencement d’un produit doit êtremodulaire afin de ne devoir rempla-cer que la partie usée ou technologi-quement dépassée. Enfin le produitdoit être prévu pour fonctionner avecle minimum de pollution durant tout

son cycle de vie.-Le deuxième est l'inscription des acti-vités productives humaines dans lescycles naturels. Il faut étudier de prèsla résilience des écosystèmes, c'est-à-dire leur capacité à résister et à sur-vivre à des altérations ou à des per-turbations. Le rejet de déchets nonmaîtrisé dans la nature peut conduireà des situations catastrophiques,comme les émissions de gaz carbo-nique dans l’atmosphère qui entraî-nent le réchauffement climatiqueavec ses conséquences.

Le capitalisme a des velléités de pas-ser progressivement d’une économielinéaire à une économie circulaire.Par exemple la fondation internatio-nale EllenMcArthur rassemble depuisjanvier 2012 des centaines d’entre-prises s’engageant dans cette voie eten France un institut de l’économiecirculaire a vu le jour le 6 février der-nier. Ne nous y trompons pas. De lamême manière que nous voyons uncapitalisme vert essayer de se parerd’atours écolos, il y aurait un capita-lisme écoproductif favorable à l’éco-nomie circulaire ! Mais c’est pourmieux cacher que le productivismeest un caractère systémique du capi-talisme, la production y étant réali-sée pour maximiser le profit.Marx se servait déjà du concept demétabolisme pour décrire l’écono-mie circulaire dans toute la complexitédes rapports êtres humains/nature.Cette révolution technologique qu’ils’agit de mettre en œuvre maintenantdoit déboucher concrètement sur unprojet de société centré sur l’humain.

*JEAN BARRA est ingénieur énergéticien àEDF. ROLAND CHARLIONET est chargé derecherche à l’INSERM. LUC FOULQUIERest ingénieur chercheur en écologie.

Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon,Quel futur pour les métaux ? EditionsEDP Sciences, 2010William McDonough et Michael Braungart.Cradle to cradle, Editions Alternatives, 4e

edition 2011John Bellamy Foster, Marx écologiste.Editions Amsterdam, 2011.

L’agencement d’unproduit doit etre modulaireafin de ne devoir remplacerque la partie usee outechnologiquementdepassee. Enfin le produitdoit etre prevu pourfonctionner avec le minimumde pollution durant tout soncycle de vie.

“ “

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 10: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE10 DOSSIER

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

DANIEL THOMAS est fondateur du pole « industries et agro-ressources ». Ilnous donne sa vision d'une planification écologique qui prend en compte touteles objectifs de protection de l'environnement et d'économie des ressources.Il revient également sur le débat autour des besoins au niveau mondial.

QUELLE MÉTHODE POUR RÉUSSIR LAPLANIFICATION ÉCOLOGIQUE ?

INTERVIEW DE DANIEL THOMAS*,

Progressistes : La planification écolo-gique a été une des propositions pharedu programme partagé du Front de gaucheen 2012. Des plans quinquennaux ontexisté en France, ce n'est donc pas vrai-ment une nouveauté. Comment penserde tels plans aujourd'hui? Sur quels grandsobjectifs ? et comment organiser unedynamique territoriale autour de ces objec-tifs ?Daniel Thomas : La transition écolo-gique, en particulier avec ses implica-tions industrielles, ne peut être faitequ’avec une programmation plurian-nuelle. Cette programmation corres-pond de fait à une planification éco-logique qui implique un investissementscientifique et technologique consi-dérable. Les technologies ne sont jamaisneutres puisqu’elles ouvrent des pos-sibilités nouvelles d’action, mais cequi est déterminant, ce sont les déci-sions des acteurs humains, les valeursqui les guident dans l’emploi des outilsapportés par la connaissance. Ces déci-sions sont l’un des enjeux majeurs dudébat démocratique.

La majeure partie des activitéshumaines est irriguée par l’essor destechnologies nouvelles avec les nou-veaux matériaux, les technologies del’information et de la communica-tion, la chimie verte, la biotechnolo-gie industrielle… : non seulementelles créent de nouveaux secteursd’activité, mais elles vont aussi diffu-ser dans l’ensemble des secteurs indus-triels, y compris traditionnels. Le plus

grand nombre doit être associé trèstôt et dans la transparence aux débatssur les projets en développement :d’abord comme citoyens avec les élus,ensuite comme travailleurs avec leursorganisations et comme consomma-teurs. Ces débats sont essentiels carils posent des problèmes économiques,sociaux, éthiques qui ne peuvent êtretraités par les seuls experts. Quels grands objectifs ? Les réservesde matières et d’énergies fossiles(pétrole, gaz et charbon) sont uneenveloppe limitée et fermée. De plus,leur utilisation correspond à une pro-duction nette de « Gaz à effet de serre »considérable.La planification écologique passe parune optimisation de l’utilisation del’énergie et des matières premières.Les réserves fossiles par définition nesont pas renouvelables et il faut lesremplacer par des sources d’énergieet de matières premières renouvela-bles : le rayonnement solaire, ( y com-pris la biomasse avec la photosyn-thèse ), le vent, la géothermie, lesforces marémotrices.L’optimisation de l’utilisation de l’éner-gie et des matières premières passepar le développement de nouveauxprocédés plus intelligents respectueuxde tous les constituants dans le cadred’une économie circulaire. Dans cecadre, le développement de fonctionscatalytiques est nécessaire pour réa-liser des réactions à température etpressions ordinaires. À titre d’exem-ple, la synthèse de l’ammoniaque,essentielle pour la production indus-trielle actuelle des engrais azotés, pra-tiquée à 600 °C et sous 500 atmo-sphères, peut s’effectuer aux conditionsambiantes par la voie biocatalytiquedans le cadre de la fixation symbio-tique de l’azote de l’air.L’optimisation des procédés et le « ver-dissement » de l’industrie permet-tront de respecter les conditions sani-taires pour les travailleurs, d’avoir un

impact territorial de qualité. Le déve-loppement du domaine de l’ « Éco-logie Industrielle » en recherche etdans les formations sera un passageobligé.Une dynamique territoriale autourde ces objectifs ? Les territoires, lesrégions en particulier, sont un excel-lent niveau pour mettre en œuvre laplanification écologique. Il n’y a pasde solution unique pour tous les ter-ritoires, les zones littorales sont dif-férentes des grands bassins agricoles,mais il y a des points communs commela proximité géographique entre lesdifférents acteurs : universités, orga-nisme de recherche et de formation,centres techniques, PME innovantes,entreprise de taille intermédiaire, coo-pératives, collectivités locales. Les ter-ritoires savent dégager, en partant deleur réalité, des programmations tech-nologiques astucieuses.Pour le remplacement en chimie desmolécules carbonées du pétrole, il n’ya pratiquement qu’une seule alterna-tive, la biomasse (agricole, forestièreet dans le futur, marine). Une straté-gie se développe pour ce remplace-ment en valorisant toute la plante, enfaisant disparaître à la fois les déchetset les sous-produits et en réalisant unevéritable « Bioraffinerie ». La mise enplace de cette stratégie de Bioraffinerieest politiquement très intéressantecar deux visions s’affrontent :- La première propose de s’insérerdans la mondialisation en utilisantde la biomasse indifférenciée ache-tée n’importe où sur la planète auxendroits où les conditions socialessont les plus dégradées, ces bioraffi-neries sont installées dans de grandsports mondiaux sans liens avec lesterritoires ruraux.- La seconde vise une symbiose entrela bioraffinerie et le territoire avec unelogique d’Écologie Industrielle. Larelation entre le monde rural et la bio-raffinerie est basée sur une synergie

Les technologies ne sont jamais neutrespuisqu’elles ouvrent des possibilités nouvellesd’action, mais ce qui est déterminant, ce sontles décisions des acteurs humains. Cesdécisions sont l’un des enjeux majeurs dudébat démocratique.

“ “

Interview

Page 11: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

11

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

entre l’activité agricole et l’activitéindustrielle avec une répartition har-monieuse tout au long de la chaînede la valeur créée par le travail de tous.Cet exemple montre que sans ancragedans les territoires la planificationécologique est difficilement possible.

Progressistes : Il est très difficile de "pla-nifier" la recherche, quant aux délais etquant aux résultats, car, par définition, onne peut pas prévoir ce que l'on va trouverà l'avance. Est-il possible malgré tout d'in-tégrer une politique de la recherche dansle cadre d'une planification écologique ?quels grands axes privilégier ? quellesméthodes pour mener une telle politique ?D. T. : Il est en effet très difficile de« planifier » la recherche, notammenten ce qui concerne l’échéancier et lesobjectifs.La planification écologique devras’appuyer sur une politique ambi-tieuse de la recherche pour réussir.Le déséquilibre entre le financementsur projet et le soutien pérenne desunités devra être rectifié. Les finan-

cements à court terme ne sont effi-caces ni bien sûr pour la recherchefondamentale ni pour la recherchefinalisée. Avec ce mode de finance-ment il n’est généralement possibleque de faire une extrapolation linéairede l’existant. Ce n’est pas en amélio-rant la qualité de la gélatine de laphoto argentique que la photogra-phie numérique a pris son essor. Bienentendu, il faudra rechercherl’Excellence, mais ce concept a été

utilisé ces dernières années commeinstrument d’exclusion arbitraired’une partie des acteurs. Pour que ceconcept soit acceptable, il faut quel’excellence scientifique et techno-logique soit étroitement associée àla solidarité. L’excellence de la rechercheest un apport puissant pour contri-buer à rattraper les retards universi-taires, sociaux et sanitaires et elle seraau service de l’intérêt général pourla planification écologique.Sur la base du renforcement des dis-ciplines (dans leur diversité avec lessciences humaines et sociales, éco-nomiques et juridiques), il faudra,pour la planification économique,bâtir des programmes interdiscipli-naires avec un rayonnement mon-dial et des ancrages territoriaux. Àtitre indicatif, un Institut d’Excellenced’Énergie Décarbonées a été construiten Picardie (IEED) PIVERT (PicardieInnovation Végétales, Enseignementset Recherches Technologiques) avectrois universités, des Écolesd’Ingénieurs, l’INRA, le CNRS, l’INERIS,le CETIM associés avec l’agro-indus-trie, l’industrie chimique françaiseet des équipementiers. Ce projet dechimie du végétal comprend un pro-gramme de recherche,0 une bioraf-finerie expérimentale évolutive et desprogrammes industriels pour créerde l’activité et des emplois. Ce pro-jet est très interdisciplinaire avec del’agronomie, du génie des procédés,de la catalyse et biocatalyse en oléo-chimie, du métabolisme végétal etmicrobien des lipides, de la chimiesupramoléculaire, de la nutrition-santé et de l’écologie industrielle (avecle métabolisme industriel, l’évalua-tion des risques, l’analyse du cyclede vie, la modélisation...).

Progressistes : Un des grands débatsdans le Front de gauche est de savoir sinous devrons "produire plus" dans un ave-nir proche afin de satisfaire les droitshumains dans le monde tel que l'eau,l'énergie, le logement, la santé, la mobi-lité… ou si au contraire il suffira d'unepolitique de sobriété et de changementdans nos modes de vie pour nous conten-ter de la production actuelle et même laréduire. Quel est votre point de vue ?D. T. : Le fait de produire moins debiens et de services pour toute lasociété ne saurait être un but en soi.Ce qui est vrai, c’est que les sources

d’énergies ou de matières premièresdoivent devenir renouvelables et quel’utilisation de l’eau doit être optimi-sée. Un effort scientifique, technolo-gique, industriel et agricole est néces-saire pour satisfaire les besoins d’unepopulation mondiale qui sera de neufmilliards d’habitants tout en respec-tant les grands équilibres écologiques. Une diminution de la production debiens et de services risquerait de tou-cher principalement les catégoriessociales déjà les plus démunies. Parexemple, une optimisation de l’utili-sation des productions agroalimen-taires est nécessaire, les pertes actuellessont de 30 à 40 % pour beaucoup depays du sud avant d’atteindre les uti-lisateurs et pour les pays développésau cours de la distribution et du faitd'une consommation partielle.La mise en place d’une véritable éco-nomie circulaire sera nécessaire avecla valorisation de toutes les matièrespremières et le recyclage systéma-tique de tous les déchets. Un conceptprend actuellement son essor : « lemétabolisme industriel », qui consiste

à faire un biomimétisme industrieldu comportement métabolique d’unorganisme vivant avec ses recyclageset ses régulations. Il s’agit de tendrevers une « homéostasie industrielle ».Les transports de matières premièreset de produits ne pourront plus êtrefaits d’un bout à l’autre de la planète,les activités industrielles devront êtrerelocalisées ce qui implique la sau-vegarde des savoir-faire, ouvriers enparticulier. Les logements devrontêtre moins consommateurs d’éner-gie et utiliser des matériaux plus sains(fibres de lin ou de chanvre).

INTERVIEW RÉALISÉE PAR AMAR BELLAL

*DANIEL THOMAS est professeur à l’uni-versité de technologie de compiègne, prési-dent de la section «biochimie » du Conseilnational des universités (CNU).

Les financements à court terme ne sontpas efficaces. Avec ce mode de financementil n’est généralement possible que de faireune extrapolation linéaire de l’existant. Cen’est pas en améliorant la qualité de lagélatine de la photo argentique que laphotographie numérique a pris son essor.

“ “

La mise en place d’unevéritable économie circulairesera nécessaire avec lavalorisation de toutes lesmatières premières et lerecyclage systématique detous les déchets.

“ “

Le fait de produire moins de biens et deservices pour toute la société ne saurait êtreun but en soi. Un effort scientifique,technologique, industriel et agricole estnécessaire pour satisfaire les besoins d’unepopulation mondiale qui sera de neuf milliardsd’habitants.

“ “

Page 12: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE12

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Tout développement industriel doit être considéré selon un triple axe : sociétal,environnemental et économique.“

“VERS UNE CHIMIE VERTE

PAR STÉPHANE SARRADE*,,

A vez-vous gardé un bon sou-venir de vos anciens cours dechimie ? Manifestement non,

si j’en crois le désamour de mes conci-toyens pour cette discipline scienti-fique et pour son industrie éponyme.Les médias stigmatisent à juste titreles dérives de la chimie dans le monde- à Bhopal, Seveso ou AZF - mais ilsoublient souvent de citer les exem-ples positifs de la chimie et de men-tionner que tout est chimie, commepreuve notre propre corps humain.

L’ÉVOLUTION DE L’INDUSTRIE CHIMIQUEL’industrie chimique est née il y a 150ans pour accompagner notre déve-loppement industriel. La matière pre-mière de cette industrie fut et resteencore majoritairement le pétrole. AuXXe siècle cette ressource semblaitinfinie et les déchets générés par toutesles industries ne semblaient pas poserde problèmes à long terme.Nous savons maintenant que ces deuxassertions sont fausses et depuis unevingtaine d’années la chimie a entaméune évolution lente mais irréversiblevers une nouvelle direction, celle dela chimie verte entraînant une modi-fication majeure de la manière dontles chimistes doivent aborder les pro-cessus chimiques.Entre 1965 et 2010, la population mon-diale a doublé. La raréfaction annon-cée des matières premières et de l’ac-cès à l’énergie, l’impact de l’activitéhumaine sur l’environnement sur leclimat, ont conduit à l’idée nécessaired’un développement durable. Toutdéveloppement industriel doit êtreconsidéré selon un triple axe : socié-tal, environnemental et économique.En pratique nous devons maintenantproduire plus et mieux, en consom-

mant moins de matière première etd’énergie et en rejetant moins dedéchets et de gaz à effet de serre.

LES GRANDS PRINCIPES DE LA CHIMIE VERTECe sont ici les principes de la ChimieVerte. Théorisée dès 1991 aux États-Unis par les chercheurs del’Environmental Protection Agency,la chimie verte se décline depuis dansle monde entier en 12 fameux prin-cipes opérationnels. À titre person-nel je les ai transformés en quatregrands axes qui structurent la recherchescientifique mondiale dans ce domaineet qui permettent d’appréhender lescomposantes du processus chimiquedans sa globalité : les matières pre-mières, les produits chimiques, l’éner-gie nécessaire à la réaction et les déchetscréés.Il faut utiliser un minimum de matièrepremière, si possible renouvelableoffrant ainsi une alternative efficaceà l’utilisation du pétrole, comme c’estle cas pour les polymères fabriqués àpartir des déchets de matière végé-tale. Pratiquons aussi l’économied’atome c’est-à-dire que chaque molé-cule prélevée dans la nature doit êtreefficacement utilisée. Ensuite, réflé-chissons aux produits chimiquesnécessaires à la réaction, notammentles solvants couramment utilisés dansl’industrie et dans notre vie courante.Les solvants à base d’eau sont inof-fensifs vis-à-vis de l’environnementmais ils consomment beaucoup d’eaudouce, qui se raréfie. Les solvants ditsorganiques sont eux plus probléma-tiques. Benzène, chloroforme ou tri-chloréthylène ont des impacts sur lasanté humaine et l’environnement.Depuis 40 ans, des installations chi-miques utilisent des solvants alter-natifs comme, par exemple, le CO2

supercritique recyclable.

Pour l’énergie mise en œuvre, il fautd’abord l’économiser et utiliser sipossible de l’énergie non émettricede gaz à effet de serre.Enfin, concernant les déchets, ils nedoivent plus en première approcheêtre considérés comme des déchetsmais comme de nouvelles matièrespremières réutilisables. Un proces-sus chimique doit donc être penséen imaginant dès le départ que toutou partie des déchets produits devraêtre recyclé. Les déchets ultimesdevront eux être conditionnés demanière à ce qu’ils ne puissent pasdiffuser dans l’environnement.Voilà donc jeté les bases de la chi-mie verte. Mais pourquoi faire ?

CINQ GRANDS ENJEUX PLANÉTAIRESEn fait, pour répondre aux 5 grandsenjeux planétaires auxquels nousdevons faire face, avec une démo-graphie mondiale en constante pro-gression : la nutrition, la santé, l’eaupotable, l’énergie et l’environnement.Le premier enjeu est celui de la nutri-tion. 1 milliard environ d’humainsn’a pas accès à un niveau suffisantde nourriture. La réponse évidentepasse par l’agriculture. En 2007, laFood and Agriculture Organizationa indiqué que l’agriculture biolo-gique ne pourra pas répondre seuleaux besoins mondiaux. Il faut doncque la chimie puisse donner desréponses en termes d’engrais et depesticides durables et proposer desprocédés de transformations agroa-limentaires rentables et pertinents.Le second enjeu est celui de la santé.Dans le monde, les maladies les plusmeurtrières sont celles que noussavons soigner : paludisme, malaria,tuberculose… Elles dévastent despopulations peu solvables. La chi-mie doit proposer des molécules thé-rapeutiques efficaces et accessiblesaux populations qui en ont besoin.Le troisième enjeu est celui de l’ac-cès à l’eau potable. Environ 700 mil-lions d’humains n’ont pas accès à un

Produire plus et mieux, tout en consommant moins de matières premières, moins d'énergie et en polluantmoins. Pour résoudre cette difficile équation, l'industrie chimique devra évoluer vers les principes de la « chi-mie verte ».

La chimieorganique estessentiellementconstituée demolécules avec desatomes de carbone,d’hydrogène,d’oxygène etd'azote . Leurscombinaisonsdonnent demultiples matériauxayant uneapplication dansnotre viequotidienne :matièresplastiques,caoutchouc, chimiefine, parachimie(détergents,savons, encres,produits de beauté,colles…),médicaments(analgésiques,antibiotiques, etc)..

Page 13: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

13

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

niveau suffisant d’eau potable, et2 millions d’enfants de moins de2 ans décèdent chaque année. Nousverrons plus loin des réponses pos-sibles apportées par la chimie.Le quatrième enjeu est celui de l’éner-gie. Entre 2013 et 2050, les analystess’accordent à penser que notredemande en énergie va doubler sinous ne changeons rien. Cette éner-gie est nécessaire pour l’habitat, letransport et pour maintenir nos indus-tries compétitives. Selon l’AgenceInternationale pour l’Énergie, envi-ron 20 % de la population mondialen’a pas accès à l’électricité. Nousallons donc avoir besoin de toutesles énergies disponibles, personnel-lement je privilégie les énergies nonémettrices de gaz à effets de serre etnous avons ici besoin de la chimiepar exemple pour stocker ultime-ment nos déchets nucléaires ou pourrecycler les terres rares et les métauxstratégiques, des ressources fossilesutilisées pour fabriquer des panneauxphotovoltaïques ou des éoliennes.Mieux gérer l’énergie c’est aussi l’éco-nomiser et la chimie est incontour-nable pour fabriquer les isolants etles textiles pour l’habitat du futur.Le cinquième est quant à lui trans-versal, c’est l’axe de l’environnement.Il est en quelque sorte l’indicateurdu fait que les quatre précédents se

développent harmonieusement. Àl’heure actuelle, la gestion des matièrespremières, l’usage raisonné des sol-vants et de l’énergie et la recyclabi-lité des déchets sont comptabilisésdans une méthode de plus en plusrépandue appelée Analyse de Cyclede Vie (ACV).Si au collège, au lycée, voire mêmedurant des études supérieures, vousavez souffert à cause des cours dechimie, j’espère que cela ne vousempêchera pas d’inclure la chimieet son industrie dans les moyens quinous seront nécessaires pour abor-

der les enjeux de notre siècle.L’évolution vers une chimie verte etdurable est définitivement engagéepar nécessité, et je suis intimementpersuadé que cela est irréversible,d’un point de vue sociétal, environ-nemental et économique.

* STÉPHANE SARRADE, chercheur auCommissariat à l’Energie Atomique et auxÉnergies Alternatives (CEA) dans le domainede la chimie verte (fluides supercritiques etmembranes de filtration).

Livre : La chimie d’une planète dura-ble, Le pommier, 2011

Parmi les 5 enjeux planétaires, prenons celui de l’eaupotable pour illustrer le thème de la chimie durable.L’enjeu sociétal est majeur puisque la démographie, l’ur-banisation, les changements climatiques sont tels queles populations en stress hydrique augmentent, expli-quant aussi que certains conflits ont pour origine l’accèsà l’eau potable, au Proche-Orient et au Tibet par exem-ple.D’un point de vue environnemental, l’eau est un traitd’union entre la nourriture, la santé et même l’énergiepuisque dans tous les cas elle est nécessaire. Les prélè-vements massifs d’eau douce et les rejets d’effluentsindustriels et domestiques conjugués aux pollutions chro-niques ou accidentelles des nappes phréatiques font del’eau une thématique majeure pour le maintien de l’équi-libre de la vie sur Terre. Enfin, d’un point de vue écono-mique, l’eau est nécessaire à la vie biologique et à tousles compartiments de l’industrie.

Ainsi donc, il faut produire et distribuer de plus en plusd’eau potable alors que les sources naturelles se raré-fient. Pour répondre à cette demande, la chimie s’est déjàmise au travail.La planète est recouverte à 70 % d’eau salée. Les cher-cheurs se sont donc tournés naturellement vers le des-salement de l’eau de mer pour étancher notre soif. Dès1950, le procédé d’osmose inverse s’est imposé dura-blement. Les membranes d’osmose inverse en polymèresont des trous tellement fins, qu’alimentées par de l’eaude mer sous pression, elles sont capables de tout rete-nir, même le sel, et de produire de l’eau douce. Les usinesde dessalement, réelles ou en projet, sont présentes dansle monde entier avec des sites de production de l’ordrede 300 000 m3 par jour et des coûts de production com-pétitifs de l’ordre de 0,70 € par m3 d’eau douce produite.Cette eau potable stabilisée avec du chlore pourra ensuiteêtre distribuée dans des centres urbains.

L'EXEMPLE DE L'EAU POTABLE

Page 14: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE14

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Investir dans l'efficacité énergétique des bâtiments est intéressant pour l'environnement, pour l'emploi et pourla balance commerciale, en allégeant la facture énergétique de la France.

PAR AMAR BELLAL*,

A vec 25 % des émissions de CO2et 43 % de la dépense énergé-tique actuelle en France, le

secteur du bâtiment est incontour-nable pour atteindre les objectifs dufacteur 4 à savoir diviser par 4 les émis-sions de gaz à effet de serre d'ici 2050.Du côté des logements neufs, le pro-blème est en partie réglé, puisque tousles logements doivent satisfaire à lanorme BBC (Bâtiment BasseConsommation) à partir de janvier2013, c’est-à-dire une consommationmaximale d'environ 50 kWh/m2/an.Mais les logements neufs construits

chaque année, ne représentent que1% par an du parc de logements total:l'essentiel de la consommation éner-gétique se fait et continuera à se fairedans l'existant, qui doit donc être lacible principale.

RÉNOVER « INTELLIGEMMENT »SANS CONFONDRE BUT ET MOYENRénover les 23 millions de logementsles plus énergivores en norme BBCserait extrêmement coûteux. C'estce qui ressort de la plupart des expé-riences de rénovation sur le terrain.Il faut donc rénover mais intelligem-ment, en utilisant au mieux les res-sources, en sachant par exemple quele coût pour faire passer un logementde 300 à 100 kWh/m2/an est équiva-lent à celui nécessaire pour le fairepasser d'une performance supplé-mentaire de 100 à 50 kWh/m2/an(norme BBC). Dit autrement : les der-niers kWh qu'on veut absolumentéconomiser dans une rénovation ontun coût exorbitant, pour un gainénergétique limité. La situation devientabsurde dans certain cas : il revientparfois moins cher alors de raser laconstruction et de tout reconstruireà neuf en norme BBC que de réno-

ver ! C'est en cela qu'il faut se gar-der d'être dans la surenchère concer-nant les performances à atteindredans les rénovations.Rénover intelligemment c'est aussicibler prioritairement la baisse d'émis-sion de CO2 : pourtant la nouvelleréglementation thermique (RT2012)fait que près de 75 % des nouveauxlogements et rénovations optent pourle chauffage au gaz au détriment del'électricité qui est très pénalisée. Ona tellement focalisé et stigmatisé lechauffage électrique aujourd'huiqu’on en arrive à faire du « tout gaz» dans les logements, aidé en celapar une nouvelle réglementation tail-lée sur mesure (voir encadré).

DE NOMBREUSES POSSIBILITÉSTECHNIQUESSi ce sont les émissions de gaz à effetde serre qu'on veut vraiment réduirealors il faut privilégier en plus de larénovation de l'enveloppe avec desmatériaux isolants performants, leremplacement des vieilles chaudièrestrès peu performantes par des sys-tèmes de production de chaleurmoderne et écologique, émettantpeu de CO2. Ainsi il faudra installerde nombreux chauffe-eau solaire,des pompes à chaleurs (PAC) cou-plées à de la géothermie basse tem-

RÉNOVER 23 MILLIONS DE LOGEMENTS D'ICI 2050 : UN EXEMPLE DE PLANIFICATION INDUSTRIELLE

Cette réglementation (RT2012, réglementationthermique 2012), concernant la partie définissant lesméthodes de calcul de l'énergie consommée par unlogement notamment (en kWh/m2/an), a très peu à voiravec une évaluation scientifique mais est de natureplutôt idéologique: en France, tout est fait aujourd'huipour décourager l'usage de l'électricité pour lechauffage croyant que c'est aller dans le sens de la luttecontre le réchauffement climatique. Pourtant, rien n'estplus faux : le chauffage au gaz est bien plus émetteurde CO2 que le chauffage électrique, y compris enincluant les journées de pic de consommation en hiverobligeant à démarrer des centrales au charbon et aufioul pendant quelques jours, et qu'on ne manque pasde médiatiser. Cela occulte les millions de chaudières

au gaz qui fonctionnent-elles- toute l'année ! Et que direde l’Allemagne, pourtant érigée en modèle, où un tiersde l'électricité est produit tous les jours par descentrales au charbon. Substituer au chauffage électriquele gaz, revient à pratiquer la politique de Gribouille. Etd'autre part il ne s'agit plus aujourd'hui de faire duchauffage électrique «simpliste» par des radiateurs àeffet joule classique, mais avec l'aide de pompes àchaleurs qui consomment 3 à 4 fois moins d'électricité,couplé à de la géothermie basse température, à despuits canadiens, ou des circuits d'eaux usées : c'est trèsefficace, y compris en milieu urbain… un chauffageélectrique «intelligent» en somme, et avec uneélectricité qui émet très peu de CO2.

POMPES À CHALEURIl existe pourtant un chauffage électrique « intelligent » qui permet d'ex-ploiter le potentiel de la chaleur renouvelable : les pompes à chaleur…malheureusement pénalisées par la RT2012 !

Page 15: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

15

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

pérature, récupérant la chaleur del'eau des cours d'eau ou des eauxusées, des PAC air-air, privilégier lesréseaux de chaleurs fonctionnant aubois ou à l incinération de déchets,et bien sûr les traditionnelles chau-dières à bois à fort rendement. C'estseulement quand on ne peut pasfaire autrement qu'on doit mettredes chaudières à gaz à haut rende-ment, mais cela doit rester l'excep-tion à l'inverse de la situation actuelle.Nous disposons d'une panoplie desolutions technologiques pour faireface aux situations diverses qui peu-vent se présenter dans les construc-tions : maison individuelle disposantd'un terrain, habitat collectif trèsconcentré en milieux urbain avecpeu de place et une surface de toi-ture limitée, proximité de source géo-thermique accessibles, géographieà fort ensoleillement, réseau de cha-leur disponible ou tout autre projetréalisable…

UNE NÉCESSAIRE INDUSTRIE POURPRODUIRE LES MATÉRIAUX ET LESÉQUIPEMENTSIl faudrait produire tous ces équipe-ments à plusieurs millions d'exem-plaires, il s'agit donc de construire unevraie filière de la production de cha-leur renouvelable qui est inexistanteen France. C'est un vrai gisement d'em-ploi au lieu d'importer tous ces pro-duits d’Allemagne ou du Japon. Eneffet ces équipements doivent êtreproduits localement, si possible dansdes usines alimentées par de l'électri-cité sans CO2, sinon on ne fait quedéplacer le problème. Si nous prenonsle cas des pompes à chaleurs : l'indus-trie de l'automobile pourrait s'empa-rer de ce créneau, les ouvriers, tech-niciens et ingénieurs disposent de toutle savoir-faire pour réaliser ces pro-duits par millions comme ils ont su lefaire avec des machines aussi incroya-blement complexes que les moteursd'automobiles. Il y a aussi tous les sec-teurs des matériaux de constructionet de la chimie avec la production dematériaux isolants performants.

vent une façon d'exclure les proprié-taires les plus pauvres de l'immeublequi se voient obligés de vendre et quit-ter le quartier, c'est déjà le cas à Parispar exemple. Il faut donc se garder demesures autoritaires visant à rendreobligatoire la rénovation sans donnertoutes les aides adéquates, sinon c'estsource de nouvelles exclusions.

FINANCEMENT10 à 15 milliards d'euros par an sontnécessaires pour financer un tel plan,sur la base de 500 000 logements réno-vés par an, avec un coût de 20-25 000euros par appartement permettantde passer de 300 kWh à 100 kWh/m2/an,performance qui reste raisonnable ettechniquement faisable. L'ampleurdu financement donne d'autant plusde pertinence à notre proposition depôle public financier, qui orienteraitla création monétaire pour cette grandecause nationale (et non pour la spé-culation !).Notons aussi que la facture de chauf-fage de la France, 15 milliards d'eu-ros pour le volet gaz et fioul importésur les 60 milliards d'importation d'hy-drocarbures (pour le transport notam-ment), serait allégée, ce qui contri-buerait à relocaliser la création derichesse en France, puisque cet argentserait utilisé pour payer des salairesplutôt que les rentiers des hydrocar-bures (Gazprom, Qatar..). Bon pourl'environnement, bon pour la balancecommerciale, et bon pour l’emploi etl' industrie.

*AMAR BELLAL est professeur agrégé degénie civil.

Pour mener à bien un tel programme de rénovation ettenir également le front des constructions neuves avecla nouvelle norme BBC, il s'agira non seulement demobiliser des financements mais aussi avoir des sala-riés formés à ces techniques, et on en est loin… Onpasse d'une précision du cm au mm concernant la miseen œuvre des matériaux, autant dire une petite révo-lution dans la profession, car on a à faire ici à des bâti-ments dont l'imperméabilité à l'air doit être irréprocha-ble. La France manque de chauffagistes, de charpentiers,de couvreurs, de plaquistes fiables sans compter lemanque de bureaux d'études en rénovation énergé-tique qui intègre la problématique d'ensemble des bâti-ments. De nombreuses malfaçons ont d'ailleurs étéconstatées ces dernières années du fait de l'absence

de maîtrise de ces nouvelles techniques (chauffe-eausolaire, pompe à chaleur). D'autre part les visions par-cellaires qui prédominent dans la conception des bâti-ments sont un obstacle pour atteindre de telles perfor-mances énergétiques. Il ne sert par exemple à riend'installer des fenêtres à haute performance si l’enve-loppe médiocre du logement annule complètement legain énergétique. Cela demande une culture nouvelle,associant très étroitement ingénieur et architecte, laséparation en France très forte de ces deux professionsest aussi problématique. La profession n’a pas pris lamesure de ce défi tant en formation que dans les condi-tions de travail. Et ne parlons pas de l'enseignementtechnique où le génie civil dans les lycées techniquesa été réduit à peau de chagrin.

UN PLAN DE FORMATION MASSIF S'IMPOSELes métiers nécessaires à la planification écologique exigent l'élévationdes qualifications.

Il faudrait produire tous ces équipementsà plusieurs millions d'exemplaires, il s'agit deconstruire une vraie filière industrielle.“

UN DISPOSITIF LÉGISLATIF ÀÉLABORER POUR AIDER À LARÉNOVATIONAujourd'hui seules quelques dizainesde milliers de rénovations par an sefont de façon vraiment efficace, cer-tainement à cause du prix prohibitifet difficilement amortissable dans letemps. On est donc loin de l'objectifdes 500 000 logements rénovés paran. À ce rythme les objectifs du Grenellede l'environnement seront réalisésdans trois siècles !Pour encourager ces rénovations, ilfaudrait, en fonction des revenus dechacun, distribuer soit sous forme desubventions ou de prêt à bas taux, desaides pour inciter les propriétaires àrénover leur logement. Rien à voiravec le crédit impôt ou autre dispo-sitifs et aides diverses favorisant leseffets d'aubaines chez les marchandsde systèmes de chauffages qui en ontprofité pour augmenter les prix, avecde nombreuses malfaçons. Ces mesuresont d'ailleurs prouvé leur inefficacitépar le peu de rénovations qu'elles pro-voquaient, sans parler de la cible pri-vilégiée : des propriétaires déjà aisésqui paient des impôts et qui ont lesreins assez solides pour contracter unprêt. Précisons que la grande majo-rité des propriétaires ne sont pas riches,ils possèdent un pavillon et sont endet-tés à vie. Il y a le cas également deslogements collectifs privés : commentfaire en sorte que les travaux ne sesoient pas imposés à des coproprié-taires démunis et qui se trouverontdans l'obligation de céder leur loge-ment ? Le vote en assemblée de copro-priétaires de travaux coûteux est sou-

Page 16: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

La mobilité électrique est amenée à prendre une part de plus en plus grandedans nos modes de déplacement, elle est un enjeu de santé publique, écolo-gique et un projet industriel qui heurte l'intérêt des lobbies pétroliers.

PAR DENIS LINGLIN*,

La transition énergétique versune énergie décarbonée se metprogressivement en place, au

moins en Europe. Deux domainesconcentrent à eux seuls une majo-rité de la consommation d'énergiesfossiles (environ un tiers chacun) :le bâtiment et le transport. Dans lepremier cas, il s'agit surtout de réduc-tion de consommation par isolationthermique (énergie-chaleur), dansle second il s'agit d'un passage pro-gressif au transport électrique (éner-gie-travail). Ceci suppose bien sûrque l'électricité soit elle-même décar-bonée, ce qui est déjà le cas de 90 %de l'électricité française (nucléaire+ hydraulique + nouveaux renouve-lables) et nous place dans une posi-tion plus facile en matière de facteur4 que nos voisins européens.Le transport électrique utilise l'élec-tricité pour réduire ou supprimerl'utilisation de combustibles fossilesembarqués, réduire dans le cas devéhicules dits hybrides, supprimerdans le cas de véhicules dits élec-triques.

LA VOITURE ÉLECTRIQUE L'enjeu de la voiture électrique estconcentré dans le stockage de l'élec-tricité, la motorisation ne posant pasde problème important. Ce stockagedoit permettre un niveau jugé suffi-sant dans les 3 domaines principauxque sont 1) le service rendu, en par-ticulier l'autonomie 2) le prix 3) lasécurité. Plusieurs solutions exis-tent. Les batteries à base de lithiumsemblent pour l'instant le moyen leplus prometteur et les modèles com-mercialisés aujourd'hui sont baséssur cette technologie. Mais d'autrestechnologies sont en développement,comme l'hydrogène.Ces batteries pourront-elles respec-ter les contraintes spécifiques autransport terrestre, contraintes à lafois technologiques, environnemen-tales et surtout économiques ? C’est

une autre étape à franchir. Sans oublierles freins mis par la concurrence etleurs lobbys, en jouant sur les normes,les brevets et la communication. Lemarché du transport électrique, depar son importance, a peu d'amis etbeaucoup d'ennemis. Pourtant, ilpeut facilement contribuer à réin-dustrialiser notre pays, la majoritéde la valeur ajoutée étant peu délo-calisable, contrairement aux éner-gies fossiles.Les améliorations à apporter aux bat-teries sont de quatre ordres :- augmenter le nombre de cycles de

charge/décharge sans dégradation(accroître la durée de vie) et accroî-tre l’énergie massique (le nombrede kWh par kg)

- améliorer les tenues en tempéra-ture

- accroître la sécurité- réduire les prix.Personne ne conteste que les amé-liorations techniques sont soit déjàréglées, soit seront réglées à courtou moyen terme. Il reste les prix etles freins, avec le risque industrielde “se planter”, dans un milieu où lejeu collectif n'existe guère.Regardons alors les prix, sur un exem-ple didactique mais réaliste de trans-port automobile individuel :Une motorisation thermique clas-sique de 3000 € est remplacée parune motorisation électrique de 2000€et une batterie de 6 000 €, soit 8 000 €et donc 5 000 € de plus. La motori-sation électrique coûte en effet unpeu moins chère tant en fabricationqu'en fonctionnement car plus sim-ple (moins de pièces mécaniques

complexes et en mouvement rapideou à haute température, pas de boîtede vitesses, etc.).Il faut donc amortir le surcoût defabrication – 5 000 € sur cet exem-ple - par le moindre coût du fonc-tionnement, essentiellement l'éner-gie mais aussi l'entretien. En neconsidérant que l'énergie, le véhi-cule thermique à 5 l/100 km et 1,40 €/lcoûte 7 centimes par km, le véhiculeélectrique coûte 2 €/100 km (15 kWh),soit une différence de 5€/100 km ou5 000 € pour 100 000 km. Il faut doncau maximum 100 000 km pour amor-tir le surcoût dès aujourd'hui et ceseuil baissera, à une vitesse qui dépen-dra, je pense, plus des freins que desprogrès techniques.

Il faut être lucide : sans ennemis, letransport individuel électrique pour-rait déjà être dominant pour tous lestransports de la vie quotidienne. EnFrance, ceci concerne au moins 20des 30 millions de véhicules en cir-culation et un calcul simple montrequ'il faudrait une dizaine de réac-teurs d'un GW (Giga Watt), fonction-nant 8000h/an pour fournir l'éner-gie électrique décarbonée nécessaire.Exprimé en éoliennes de 2 MW (MégaWatt) fonctionnant 2000h/an, il fau-drait installer 20 000 éoliennes etrésoudre la question de l'intermit-tence (stockage), c'est irréaliste pourle moment, tant techniquementqu'économiquement.

LES TRANSPORTS EN COMMUN Le transport en commun électriquea ses spécificités : ce mode existedepuis longtemps avec une électri-cité fournie en ligne mais au prix defortes contraintes d'infrastructures(trains, trams, trolleys). La baisse descoûts de systèmes électriques embar-qués permet d'envisager des trans-ports en commun à terme plus sou-ples et moins chers à condition derésoudre la question de leur auto-nomie. Une des voies explorées estainsi la recharge rapide aux arrêts :30 secondes d'arrêt toutes les 2minutes par exemple, la suppressiondes caténaires apportant un gainfinancier et paysager.

*DENIS LINGLIN est physicien émériteauprès du CNRS.

TRANSPORT ÉLECTRIQUE

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE16

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

La motorisationélectriqueprésente unrendementénergétique trèsélevé. Enmoyenne 80%contre seulement30% pour lesmoteurs àpétrole. Ainsipour une quantitéde 100 Kwh enénergie électriqueinjectée dans lemoteur, 80 vontvraiment servir àdéplacer lavoiture et 20 vontse perdre enfrottement.

Page 17: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

17

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Le fret fluvial par ses performances énergétiques et sa faible émission deCO2, pourrait grandement contribuer, avec le fret ferroviaire, à limiter le trans-port par camion. Le réseau fluvial actuel et les projets de canaux à grandgabarit peuvent potentiellement y répondre.

PAR FABIEN ALBERT*,

L e réseau fluvial national est,avec 8 500 km de voies d'eaunavigables (canaux et rivières)

le premier d'Europe. Le fret fluvialreprésente, avec 7,4 milliards detonnes-kilomètres en 2009, environ3,7 % de l'ensemble du trafic terres-tre national. Pourtant, au cœur destransits européens, la France estaujourd’hui privée d’un atout essen-tiel : la voie d’eau moderne. En effet,elle n’est pas vraiment connectée auréseau européen grand gabarit etcourt le risque d’une marginalisa-tion économique contribuant au bas-culement à l’Est par le Danube desflux naturels entre l’Europe du Nord,l’Europe du Sud, le Bassin méditer-ranéen et le Maghreb. À ce titre lesprojets de connexion que sont Seine-Nord Europe et Saône Moselle, actuel-lement menacés par les coupes bud-gétaires à l'œuvre, permettraientd'assurer la liaison avec les réseauxallemands et du Benelux.

Assurer un report modal depuis laroute vers la voie d’eau nécessite dedonner les moyens à ce dernier de semoderniser et développer. Par ail-leurs, afin de rééquilibrer la part dufret transporté par voie d'eau ou fer-roviaire, il est indispensable de faireparticiper les transporteurs poidslourds plus fortement qu'ils ne le fontaujourd'hui aux divers coûts du réseauroutier. Les débats du Grenelle del’environnement ont d'ailleurs mon-tré que seule une régulation publiquepeut permettre d’aboutir à un recen-trage du système de transport.

UNE INDISPENSABLEPLANIFICATION NATIONALE ETCOORDONNÉE DES 3 MODESPRINCIPAUX DE FRETL’organisation et le traitement sépa-rés des modes doivent être aban-donnés car cette organisation qui aprévalu jusqu’à présent, pousse cha-

cun des gestionnaires des infrastruc-tures dans une conception entrepre-neuriale, à rechercher une rentabi-lité uniquement financière audétriment de tout réflexe de com-plémentarité.Les infrastructures sont des élémentsstratégiques et la maîtrise de la fina-lité de leur utilisation est essentielle.Seule une organisation nationale etmultimodale des transports permet-trait de sortir de la concurrence et del’opposition (y compris budgétaire)actuelle entre les modes qui génèrentautant de dumping social, fiscal, ettarifaire que de nuisances environ-nementales et de gigantesques gas-pillages d’énergie fossile. La notionde réseau intégré et unifié sembledonc indispensable en rassemblantsous un lieu commun de propriété etgestion publique les infrastructuresde chaque mode.

DÉVELOPPER LES ACTIVITÉS BORDÀ VOIE D'EAU ET UNE FILIÈRE DECONSTRUCTION DE BATEAUX Il est nécessaire par ailleurs que soientdéveloppées de nouvelles activitésbord à voie d'eau, au premier chefcelles liées à la réparation du maté-

riel naviguant, insuffisantes actuel-lement. L'État, via l'établissementpublic Voies Navigables de France(VNF)[1] doit pour sa part fortementpromouvoir l'utilisation de la voied'eau, en modernisant et dévelop-pant le réseau actuel. Le fret fluvialdoit être fortement encouragé, et ceen complémentarité avec le ferro-viaire, le transport routier étant prio-ritairement utilisé dans sa vocationde desserte locale (les fameux « der-nier km » de livraison).

Actuellement, aucun matériel navi-guant n’est produit en France. Ledéveloppement du transport fluvialest une opportunité à saisir sachantque le tissu industriel du nord de laFrance est en capacité de produireces matériels. En effet, la présenced'aciéries « en baisse de charge conti-nuelle » et d’entreprises de la filièrenavale en quête de perspectives dedéveloppement serait un atout pourcette région. Le canal Seine-NordEurope, qui relierait les ports du nordrend cette proposition crédible etéconomiquement possible.

DES RÉGULATIONS ETPROTECTIONS SOCIALESINDISPENSABLESLe développement du transport flu-

FRET FLUVIAL : UN MODE ALTERNATIF À DÉVELOPPER

Seule une organisation nationale etmultimodale des transports permettrait de sortirde l’opposition actuelle entre les modes“

“Pratiquement aucun

matériel naviguant n’est produit en France. Le développement du transport fluvial est uneopportunité à saisir.

“ “4

Le transportfluvial est enmoyenne troisfois plus efficaceque le transportroutier sur le planénergétique. Pourles émissions deCO2 : 2 à 4 foismoins émetteur.

Page 18: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE18

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Atout écologique et levier de relance industrielle: le secteur ferroviaire doit être soutenu pardes politiques publiques.

LES ENJEUX DU TRANSPORT FERROVIAIRE

PAR ALAIN PROUVENQ*,

En reliant producteurs etconsommateurs, les transportsjouent un rôle essentiel dans

l’activité économique. Secteur enpleine croissance malgré le ralentis-sement économique, il est cepen-dant la principale activité consom-matrice de pétrole et productrice depollution atmosphérique. Or, leconcept de développement durableimposera de plus en plus des choixqui respectent l’avenir. Il faut doncque le transport soit efficace écono-miquement, socialement et au plande l’environnement.La recherche de cette triple efficacité

doit être simultanée car elle condi-tionne la réponse à cet enjeu socié-tal. C’est la raison fondamentale pourlaquelle la maîtrise publique de cesecteur d’activité est indispensableaux niveaux européens, national,régional et local pour réussir un reportdes modes les plus polluants (la route,l'aérien) vers les modes respectueuxde l'environnement comme le ferro-viaire.

DES ATOUTS ÉNERGÉTIQUES ETENVIRONNEMENTAUXDans cet enjeu d’avenir, la filière fer-roviaire représente un atout impor-tant pour répondre aux besoins detransport des personnes comme des

marchandises. Le train consommedeux fois moins d'énergie que le trans-port routier, ainsi pour une énergieéquivalente à 1 kg de pétrole par tonnede marchandise, un camion peut par-courir 58 kilomètres contre 111 pour

vial peut entraîner une modificationde l’emploi dans les transports ter-restres, la mise en place de disposi-tifs garantissant la reconversion localedes emplois supprimés, en nombreet statuts sociaux équivalents ousupérieurs est nécessaire. La libéra-lisation du secteur (auparavant lestarifs étaient régulés) doit pour sapart être revue car elle fragilise ungrand nombre de mariniers.

UN MODE DE TRANSPORTÉCONOME EN ÉNERGIEAvec une efficacité énergétique de93 t.km/kep ( = 93 tonnes transpor-tés sur un km pour 1kep, 1 kg equi-valent de pétrole consommé), le flu-vial apparaît-il comme un modeéconome par rapport au mode rou-tier et ses 38,7 t.km/kep seulementpour les poids lourds de charge utilesupérieure à 25 tonnes : soit 3 foisplus efficace que le mode routier.[2]Les émissions unitaires de CO2 dusecteur fluvial varient quant à ellesde 21,5 à 44,3 gCO2/t.km (en fonc-tion des unités considérées), soitentre 2 et 4 fois moins que celles despoids lourds.Que ce soit pour ce qui est de laconsommation d’énergie ou desémissions de CO2, la voie fluviale se

place donc devant la route, précé-dée par le transport ferroviaire demarchandises.Les besoins croissants en transportdans les grandes agglomérations nepourront pas être absorbés par unseul mode, d’autant plus que desréglementations de plus en pluscontraignantes se mettent en place.Le fleuve, qui traverse et dessert lecœur des grandes villes, est un alliéde choix pour relever les futurs défisde la logistique urbaine. La voie d’eau

est le maillon indispensable deschaînes logistiques de demain et unvecteur unique de valorisation deschaînes de transport.

* FABIEN ALBERT, militant syndical,chargé d’opération à VNF.

1) VNF est le gestionnaire du réseau fluvialnational, la voie d'eau ne disposant malheu-reusement pas d'un opérateur public à l'instarde la SNCF pour le rail.2) Etude réalisée pour le compte de l'ADEME,janvier 2006

4

Souvent évoquée, la « taxe carbone » est une fausse bonne solution pour résoudre leproblème du financement. Elle est présentée comme une mesure taxant les émissionsexcessives de CO2 afin d'inciter à un comportement vertueux ainsi que desinvestissements d'efficacité énergétique. Et d'autre part on explique que les revenusgénérés par cette taxe permettraient d'aider les plus démunis : une mesure « Robin desbois » écologique en somme. En réalité, si on veut éviter un nouvel impôt socialementinjuste d'une ampleur plus grave que la TVA actuelle, qui toucherait toutes lescatégories sociales de façon indifférenciée, il faudrait élaborer un impossible dispositif« usine à gaz » tenant compte des situations particulières de chacun, géographique, derevenu, d’accès ou non aux transports en commun, de type de véhicule utilisé, de typede logement habité etc. Le seul « mérite » d'une telle mesure, c'est qu'elle est conformeà la doctrine libérale, notamment le fameux principe du « signal-prix »(*) et permetd'éluder le débat de fond à savoir : le nécessaire financement à l'échelle du pays d'untel programme avec solidarité de tous les contribuables et mobilisation du crédit et desbanques.

LA FAUSSE BONNE SOLUTION DE LA « TAXE CARBONE »

La quasi-totalité destrains corail doit êtrerenouvelée, les premièresgénérations de matériel TERachetées par les régionsdoivent être rénovées, il enest de même pour les TGV ;et concernant les wagons demarchandises.

“ “

Page 19: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

19

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

un train. De plus il nécessite très peud'électricité nécessaire à la tractiondes locomotives provenant en Francede sources peu émettrices de gaz àeffet de serre (énergie nucléaire ethydraulique). Avec 1,3 % des émis-sions de CO2 liées au transport enFrance métropolitaine, contre 93 %pour les voitures, il émet peu de gazà effet de serre, responsable du réchauf-fement climatique.

UN PUISSANT LEVIER DE RELANCEÉCONOMIQUELe secteur ferroviaire est une indus-trie de long terme, structurante, d’amé-nagement des territoires et d’accom-pagnement des évolutions de la société.En matière d’infrastructures, avec30 000 kilomètres de lignes, dont unpeu plus de la moitié électrifiée etprès de 2 000 à grande vitesse, le réseauferroviaire français connaît des besoinsmassifs de renouvellement et demodernisation. Malgré un effort impor-tant de rénovation ces dernières années,le réseau continue à vieillir. En l’es-pace de dix ans, nous sommes en effetpassés de 600 à 3 200 kilomètres deralentissement pour garantir la sécu-rité de la circulation des trains.Concernant le matériel roulant, laFrance est actuellement le troisièmemarché au monde en termes d’inves-tissements et cette situation est pérenne.La quasi-totalité des trains corail doitêtre renouvelée, les premières géné-rations de matériel TER achetées parles régions doivent être rénovées, ilen est de même pour les TGV ; etconcernant les wagons de marchan-dises, outre le vieillissement du parc(70 % du matériel a plus de 30 ans) ilsera nécessaire d’innover pour l’adap-ter aux conditionnements modernes.Par ailleurs, le démantèlement et ladéconstruction du matériel radiéreprésentent une importante chargepour les années à venir.L’industrie ferroviaire française ras-semble plus d’un millier d’entreprisestravaillant essentiellement pour deuxgrands donneurs d’ordres (Alstom etBombardier). En 2011, elle a enregis-tré un chiffre d’affaires de 4 milliardsd’euros, dont 1 milliard à l’exporta-tion. À cela s’ajoutent les activités deconstructions d’infrastructures fer-roviaires (Colas Rail, Eiffage, Eurovia),estimées à 2,5 milliards d’euros, lesactivités de la maintenance et des

infrastructures de la SNCF. Elle repré-sente 82 000 emplois (21 000 emploisdans les études et la production, 24 000dans la maintenance et la réparation,37 000 dans le maintien et le déve-loppement des infrastructures).

REDYNAMISER LE FRETFERROVIAIREL’exemple du fret montre la contra-diction entre une logique économiqueet sociétale qui devrait le voir se déve-lopper et son recul.Ces dernières décennies, les poli-tiques des transports ont accentué lerecul industriel dans de nombreusesrégions par des décisions en termesd’infrastructures, de tarification, deréglementation conduisant à une sousrémunération du transport. Dans cecontexte, la part modale du ferroviairepoursuit sa baisse, passant de 19 %en 2000 à 12 % en 2011, bien que leGrenelle de l’Environnement envisa-

geait sa remontée à 17,5 % en 2012,puis 25 % en 2025.Sortir de cette spirale exige un chan-gement de paradigme à tous les niveauxdans la stratégie de l’État et de la SNCFafin d’assurer les cohérences territo-riales. Les industriels doivent êtreincités à réfléchir en commun à leurstransports afin de mutualiser et lesmassifier.

LE BESOIN D’UN ÉTAT FORTSi le mode ferroviaire dispose d’atoutspour relever les enjeux sociétaux, celanécessite que l’État ait un rôle cen-tral dans l’impulsion d’une politiquedes transports multimodale et com-plémentaire, notamment par la poli-tique fiscale et sociale à l’égard dutransport routier.La dominance du mode routier n’estpas inéluctable. L’État doit à la foismieux réguler la variable sociale dela route et assurer sa contributionaccrue au financement des modesmoins polluants, dont le ferroviaire.

*ALAIN PROUVENQ est syndicaliste,secrétaire fédéral aux affaires économiquesà la CGT cheminots.

Réussir un report des modes les pluspolluants (la route, l'aérien) vers les modesrespectueux de l'environnement comme leferroviaire.“ “

Page 20: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER20 INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

C'est d'ailleurs par suite de ces acti-vités industrielles polluantes qu'a étécréée en France la législation des ins-tallations classées, au début du XIXesous Napoléon.Les industries chimiques et agroali-mentaires sont, pour la plupart, sourcesde pollution des eaux, de l'air, dessols… La nature et l’importance deces pollutions varient selon le typed’industrie et selon les procédés deproduction employés.Maintenir ces activités productivestout en préservant l’environnementimplique des interventions sans com-plaisance des pouvoirs publics à deuxniveaux : s’assurer de façon scrupu-leuse que les réglementations rela-tives aux pollutions sont appliquéescorrectement et moderniser les pro-cessus de production pour réduireau maximum la production de déchets– souvent synonymes de polluantstoxiques – et pour économiser l’éner-gie. L’analyse du cycle de vie d’un biende consommation ou de toute autreproduction industrielle permettraitde réduire parfois de plusieurs ordresde magnitude une bonne proportionde ces émissions polluantes. Au coursdes toutes dernières décennies, s’estpar exemple développée une « chi-mie verte » plus économe en énergieet en matière dans la synthèse dediverses molécules.Un autre point de réflexion tient dansle fait que le polluant ou le déchetreprésente souvent un gaspillage dematière première. Un cas remarqua-ble, aujourd’hui résolu est celui dessels d’argent qui étaient rejetés àl’égout par les labos et usines photo-graphiques : polluant redoutable àtrès faible concentration pour les bac-téries des stations d’épuration et gâchisconsidérable de métal précieux.La systématisation du recyclage, nonseulement au niveau des citoyens,mais surtout au niveau industriel,

permettrait une économie considé-rable en ressources naturelles, touten réduisant de manière importanteles pollutions. Contre les risques chi-miques autres que les pollutions (parexemple risque d’accident tel celuid’AZF à Toulouse en 2001), une solu-tion consiste à placer les installationsdangereuses (celles visées par laDirective Seveso) dans des sites àl’écart des zones d’habitation. L’autoritéde l’État doit rester primordiale dansce domaine, la recherche du profitmaximum incitant les sociétés pri-vées à favoriser la production au détri-ment des mesures de protection.Même dans l’ex-URSS, avec des moyensde production socialisés et sous contrôlede l’État, j’ai appris lors de mes voyagesqu’il n’était pas rare que des direc-teurs d’usine disposant de créditspour construire une station d’épura-tion, utilisent ces derniers à l’amélio-ration des chaînes de production,pour réaliser ou dépasser les objec-tifs du plan !Le cas des installations dangereusespose la question du bien fondé de laprivatisation - dans nos pays où l’onne jure que par l’ultralibéralisme sau-vage. Le cas extrême est celui dunucléaire industriel pour lequel lanationalisation ou le maintien dansle secteur public paraît la seule pro-tection contre des défaillances dessociétés privées. Dans le cas deFukushima, on ne soulignera jamaisassez que Tepco, société privée pro-priétaire des installations, n’a pasconstruit de mur anti-tsunami assezhaut dans une zone connue pour laviolence et la fréquence des tsuna-mis, ni prévu de générateurs élec-triques de secours dans un site hors

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS RAMADE,

M.J. : On a souvent tendance à opposerindustrie et environnement… Commentsortir du dilemme : réponse aux besoinset préservation de notre cadre de vie ?F.R. : A priori les activités industriellesproductives (mais aussi l'agricultureintensive réputée moderne) ont néces-sairement un impact environnemen-tal potentiel. Ces activités industriellesconcentrent en un lieu donné une uti-lisation de matière et d’énergie d’unetelle ampleur qu’elle excède de plu-sieurs ordres de grandeur le flux d’éner-gie et le cycle de la matière des éco-systèmes peu ou pas modifiés parl’Homme. L’écosystème urbain, termeimpropre qui ne me convient guère,concentre des activités humaines,colossales consommatrices de matièresimportées par rapport aux cycles natu-rels. Le flux d’énergie y est aussi mul-tiplié dans des fortes proportions. Enconséquence, il n’est pas surprenantque ces activités industrielles se tra-duisent par des émissions considéra-bles de polluants. C’est aussi le cas del’agriculture intensive « moderne » quifonctionne sur un schéma industriel

et génère des pollutions considérablescontaminant sols, eaux et même l’at-mosphère - pollutions que l’on qua-lifie de diffuses, en rapport avec lesvastes surfaces concernées de l’espacerural. Pensons aux nuisances et pol-lutions induites par l’usage massif desengrais, des pesticides, des lisiers pro-duits par l’élevage industriel…

MAINTENIR LES ACTIVITÉS PRODUCTIVES TOUT EN PRÉSERVANT L’ENVIRONNEMENT

L’analyse du cycle de vie d’un bien de consommation ou de toute autreproduction industrielle permettrait de réduireparfois de plusieurs ordres de magnitude une bonne proportion de ces émissionspolluantes.

“ “FRANÇOIS RAMADE, figure mondialement reconnue de l'écologie scientifique,nous livre ici les clés pour transformer les industries afin de réduire leursémissions de polluants et leurs nuisances.

Entretien réalisé par Malou Jacob

Page 21: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

21

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

d’une hécatombe de colonies d’abeilleset des pollinisateurs sauvages.

M.J. : Derrière la question des pollutionsse cache celle de la perception des risquesacceptables par la société, avec des idéesreçues qui ne rendent pas forcémentcompte d'une bonne hiérarchie des dan-gers sanitaires. Comment éviter dès lorsl'instrumentalisation des peurs ?F.R. : Votre question soulève un desproblèmes les plus préoccupants del’époque contemporaine. D’autantque les peuples occidentaux bénéfi-cient d’un niveau d’instruction jamaisconnu dans l‘histoire, fruit des luttesdes travailleurs qui ont accompagnéla civilisation moderne.Je suis personnellement consterné –a fortiori en tant que Membre del’Union Rationaliste – que ces citoyensréagissent par émotion au moindreproblème concernant le fonctionne-ment de notre civilisation industrielle.

Pis encore, on assiste à une remon-tée préoccupante de l’obscurantismedans des domaines aussi importantsque la vaccination, les choix énergé-tiques ou encore la nutrition et lesrégimes alimentaires (avec notam-ment l’émergence du véganisme etles risques de carences que cela repré-sente).Le problème ainsi que vous l’évoqueztient en ce qu’à la différence des scien-tifiques qui hiérarchisent les paramè-tres, la majorité des électeurs vontprivilégier un élément du problèmesur lequel ils se focalisent sans ana-lyse quantitative – donc rationnelle– des divers paramètres. Cela appa-raît évident sur la question de la placedu nucléaire dans la transition éner-gétique. Souvent le profane mettraen avant la gestion des déchetsnucléaires alors qu’il s’agit d’un infi-niment petit du premier ordre parrapport aux déchets générés par l’usagedes combustibles fossiles. Ainsi, unecentrale thermique au charbon de

1000 MW(el) de puissance, équiva-lent d’un réacteur nucléaire standard,produit annuellement quelque 7,66millions de tonnes de CO2, le plusabondant des gaz à effet de serre, plusde 1,1 million de tonnes de SO2 et deNOx, et 238 000 tonnes de cendresque l’on doit gérer comme des déchetschimiques dangereux et stocker pourune durée infinie dans des centres destockage technique à cause de leursconcentrations importantes d’hydro-carbures aromatiques polycycliqueset de métaux, les uns et les autres for-tement cancérogènes !Des recherches épidémiologiques ontmontré que le kWh de charbon estdes dizaines de fois plus cancérogèneque le kWh nucléaire, mais 3 citoyenssur 4 lors des débats sur le nucléairereprennent l’argument des déchetsnucléaires… qui, pour un réacteur de1000 mW(el), correspondent au totalen France chaque année à deuxcamions de 40 m3 soit environ 670tonnes d’éléments combustibles irra-diés (la densité de l’uranium est de24, mais compte tenu du gainage celaexplique le volume en question) !La majorité de nos concitoyens et pisencore des hommes politiques, estde nos jours incapable de hiérarchi-ser les risques. Cela est particulière-ment manifeste de nos jours avec lavogue de « sortie du nucléaire » quisemble s’être emparée de la « gauche »,cependant que ni les socialistes ni lesverts ne demandent la sortie du char-bon. Or la sortie du nucléaire, en par-tie appelée par le Président Hollande,sera tout d’abord le retour massif ducharbon alors que l’électricité au char-bon provoque déjà en Europe selonl’OMS quelque 30 000 morts par an,essentiellement par cancer du pou-mon… et pour les mineurs dans lemonde, en moyenne 10 000 mortsannuels par accident et plus de 50000 morts par cancers et fibrose pul-monaires…

*FRANÇOIS RAMADE est auteur de nom-breux ouvrages d'écologie, il est Professeurémérite de l'université Paris-Sud (Orsay) etl'ancien président de la Société Nationale deProtection de la Nature. Ses travaux concer-nent la préservation de la nature et de sesressources, plus particulièrement de sa bio-diversité.

d’eau - tout cela en dépit du carac-tère dérisoire des sommes en jeu faceau coût d’une telle centrale.

M.J. : Est-ce si utopique une industrie avecun impact nul pour l'environnement ? Onparle d'économie circulaire par exemple ?F.R. : Ça n’a rien d’utopique ; c’est nonseulement réalisable au plan tech-nique mais même économiquementrentable, grâce à la récupération dela matière que constituent les déchetset les émissions polluantes.Outre la récupération des métauxdans certaines industries, il y a biend’autres cas, comme la récupérationpar fermentation de sous-produitsorganiques rejetés par les industriesagroalimentaires. C’est le cas du lac-toserum rejeté par l’industrie laitièrequi par déversement dans les coursd'eau, est à l'origine de pollutionsgraves dues à la fermentation dematières organiques (lactose et matièresazotées), qui entraîne la diminutionde la teneur en oxygène dissous del'eau au-dessous d'un seuil accepta-ble. Ainsi la récupération du lactose-rum par fermentation ciblée en amontpermet de diminuer la pollution deseaux produites par cet effluent, etdans le même temps libère des pro-duits (glucides, lipides, protides) quisont à la base de la production d’ali-ments pour le bétail.

M.J. : La réorientation de notre modèlede production nécessite donc une exper-tise de qualité. Comment bénéficier d'uneexpertise indépendante des logiques demarché et des lobbies ?F.R. : L’existence d’autorités publiquesqui soient indépendantes des ins-tances de production et donc des inté-rêts privés et des lobbies, constituentun impératif catégorique du fonc-tionnement d’une civilisation post -industrielle, dont l‘objet serait unusage rationnel des ressources natu-relles et l’éradication des principalescauses de pollution dans l’optiqued’un développement durable.Cette expertise publique indépen-dante des lobbies s’impose plus quejamais. De nombreuses affaires récentesdémontrent la nécessite de son exis-tence, qu’il s’agisse du Médiator dansle domaine pharmaceutique, ou lemaintien de l’homologation des insec-ticides néonicotinoïdes dans ledomaine de l’agriculture, à l’origine

Des recherches épidémiologiques ontmontré que le kWh de charbon est desdizaines de fois plus cancérogène que lekWh nucléaire, mais 3 citoyens sur 4 lorsdes débats sur le nucléaire reprennentl’argument des déchets nucléaires…

“ “

Page 22: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE22

PAR SAMIRA ERKAOUI*,

Que vient faire la production d'acier dansla planification écologique ? Son rôle est pourtant essentiel. Pourproduire la voiture propre de demain,relancer le transport ferroviaire (rails,infrastructure, matériel roulant), relan-cer la construction des logementséconomes en énergie (béton armé,construction métallique), fabriquertous les nouveaux systèmes de chauf-fage performants ; nous aurons besoind'acier. Dans le secteur de l'énergie,pour mener à bien la transition éner-gétique, nous devrons renouveler noscentrales électriques, construire desbarrages, fabriquer des éoliennes, cequi nécessitera également beaucoupd'acier. L'acier, constituant desmachines outils à la base de toutesnos productions, est en réalité unecondition même de l'existence del'industrie. C'est un secteur de haute

technologie où pour chaque utilisa-tion répondant à des besoins spéci-fiques, un type d'acier est produit(acier carbone, inoxydable, spéciaux..).D'où la nécessité d'une bataille poli-tique autour de la nécessaire natio-nalisation de ce secteur stratégiquequ'est l'industrie sidérurgique, enproie au démantèlement comme nousle voyons avec la fermeture program-mée du centre de Florange par Mittal. La préservation de l'environnementne doit pas servir de prétexte au déman-tèlement des usines déjà existantesou servir de diversion pour gagner dutemps comme l'a fait Mittal en lais-sant miroiter un maintien pérennede l'activité du site de Florange.Conjointement au maintien de la pro-duction déjà existante, il convient depréparer néanmoins l'avenir et de

PRODUIRE L'ACIER DUFUTUR «PROPREMENT» NÉCESSITERA BEAUCOUP D'ÉLECTRICITÉ

Sidérurgie

Fermer Florange entre en contradiction avec l’objectifaffiché de réindustrialiser la France.

Dessins : www.ulcos.org

PROCÉDÉ PAR ARC ÉLECTRIQUE Dans ce procédé le charbon est remplacépar du gaz qui permet la réduction duminerai de fer : cela évite ainsi d'avoir unhaut fourneau. Le gaz (méthane) a l'avan-tage ici de ne produire que du CO2, ce quipermet de le concentrer et de le stocker àl'intérieur de réservoirs géologiques souter-rains. Le produit ainsi obtenu peut alorsêtre conduit vers des fours électriques pourproduire l'acier.

PROCÉDÉ PAR ÉLECTROLYSEL'électrolyse dans une solution liquide,l'électrolyte, permet de faire passer leminerai de l'état oxydé à l'état métallique.Pour cela on fait passer du courant élec-trique, ce qui permet la réduction del'oxyde de fer sur la cathode. On récupèrealors le métal qui s'est ainsi déposé parcouche successive. C'est un procédé ana-logue qui est utilisé pour produire l'alumi-nium et le zinct.

développer progressivement des tech-niques de production propre en évi-tant les émissions de CO2 liées à lacombustion du charbon nécessaireà la réduction du minerai de fer. Desprocédés en phase de développementsont étudiés, regroupés autour duprogramme ULCOS, consortium euro-péen sous financement public (à hau-teur de 40%) regroupant 48 entre-prises et organisations (essentiellementprivées) issues de 15 pays. Ces pro-cédés ont été mis en avant lors de labataille autour du maintien du sitede Florange, mais à l'époque, c'étaitsurtout une manœuvre de diversionde la part de Mittal ! Il s'agirait de pro-duire de l'acier avec un objectif affi-ché d'une diminution de 50% desémissions de CO2 par rapport auxprocédés actuels. Pour deux de cessolutions, si la faisabilité industrielleest démontrée, à savoir la productionpar arc électrique avec le procédé «ULCORED » et celle utilisant l'élec-trolyse, technique analogue à la pro-duction d'aluminium, avec le pro-cédé « ULCOWIN », cela nécessiteraforcément de produire une quantitéimportante d'électricité en lieu etplace de la combustion du charbon.C'est un exemple de plus qui mon-tre que la planification écologiquenécessitera une consommation accrued'électricité, ce qui rend inopportunla fermeture prématurée des centralesnucléaires comme celle de Fessenheimsituée à 200 km du site de Florange,centrale qui produit une électricité àfaible émission de CO2.

*SAMIRA ERKAOUI est ingénieure engénie civil.

À conditiond'utiliser uneélectricité à faibleémission de CO2,il seraitintéressant deproduire de l’acierpar ce biais.

Page 23: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

23

4

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

Nous voulons une industrie pourrépondre aux besoins des popu-lations en produits divers. «Pas

de ça, ni ici, ni ailleurs ! » lancent ceuxque l'on nomme « écologistes ». Pourl'industriel, circulez, y a rien à voir !Pour autant faut-il accepter passive-ment pollutions et risques ? Les débatssont aigus ; comment se situer quandon pense représenter les travailleurs etque l'on veut dépasser le capitalisme ?Notre approche intègre pleinementl’avancée des connaissances qui a conduità une prise de conscience : considérerla question de l’écologie comme unedes dimensions constitutives incon-tournables de l’industrie contempo-raine.Le mouvement syndical a très tôt faitde la lutte contre les accidents du tra-vail et pour la sûreté des installationsindustrielles un pilier de son action.Luttes qui commencent dés le XIXe siè-cle et sont jalonnées par la catastrophede Courrières (1906) et les luttes pourimposer les CHS puis les CHSCT…

Mais pendant quelques décennies, lescommunistes ont minoré l'aspect poli-tique de cette question qui devait êtrenaturellement résolue après une prisede pouvoir (ou un gouvernement deprogramme commun). Pourtant lesdégradations de l'environnement et lesaccidents dans les pays «du socialismeréel » montrent qu'il n'y avait là riend'automatique.Plus qu'un retard à combler, il s'agis-sait d'une incompréhension des enjeuxdu rassemblement dans, par et à tra-vers les luttes sur ces questions.

LA LOGIQUE CAPITALISTE A SAVISION DE LA GESTION DES RISQUESINDUSTRIELSElle n'a pas attendu l'écologie pour s'enpréoccuper. Pour produire du profit,une usine doit pour une part être insé-rée dans son milieu sans risque exces-sif de destruction qui anéantirait l'in-vestissement. Mais d'autre part, la

tendance à maximiser le profit pousseà négliger des investissements consi-dérés comme secondaires ainsi qu’àréduire la dépense de main-d’œuvre,ce qui conduit à une gestion à risques.Les directions d'usines naviguententre les termes de cette contradic-tion.La législation en porte la marque.Entre défense de la propriété privéeet contrôles afin de ne pas nuire à lapropriété d'autrui (et non à l'envi-ronnement). Une tradition législatives'est ainsi mise en place : déclarationdes droits de l'homme (propriété

garantie et liberté limitée par celled'autrui), loi et décret napoléoniende 1810 établissant l'autorisationadministrative des usines, loi de 1976créant les ICPE et un corps d'ingé-nieurs spécialisés dans le contrôle,directives Seveso introduisant unzonage autour des usines et une infor-mation du public… Et après l'acci-dent de AZF Toulouse, la loi de 2003consacrant certaines avancées pourles salariés, reconnaissant la paroledes riverains, créant des CSS (comi-tés de Suivi de Sites) et des mesuresd'urbanisme (PPRT) par précautionautour des usines.Et contradictoirement les pratiquesde terrain des industriels tendent àvider ces dispositions de contenu :entraves diverses à la représentationdes salariés dans les réunions des CSS,limitation du rôle des instances deconcertation pluripartites, discourstechnocratique aux riverains, méthodesde calcul probabiliste des dangers etrisques, hâte à faire passer tel docu-

ment, et arme absolue, l'industrielqui impose de ne réaliser la réduc-tion des risques à la source QUE dansla limite de «l'économiquement accep-table». Il y a place pour agir et faireavancer la démocratie !

RASSEMBLER DANS ET HORS DEL'USINESur le Golfe de Fos/étang de Berreprès de Marseille, une zone d'influencecommuniste forte avec de nombreuxélus a vu s'ériger dans les années 1970la ZIP de Fos sur mer ; les premièresmesures de la pollution sont arrivéesau moment où furent connues la pol-lution de Minamata au Japon et , l'ac-cident de Seveso. Pour éviter un nou-veau « Larzac » emmené par lescommunistes, les gouvernementsd'alors ont décidé en peu de temps :la création du 1er SPPPI (secrétariatpermanent pour la prévention despollutions industrielles), celle d'unorganisme de surveillance de la qua-lité de l'air (Airfobep) et du Cyprès(chargé de l'information préventivesur les risques industriels), tous orga-nismes pluripartites (état, élus, indus-triels, syndicats, associations) imitésensuite partout en France et pous-sant de fait à une maîtrise de la sûretédes installations. Il n'est pas indiffé-rent de remarquer que la lutte declasses a fait avancer la qualité del'environnement.Dans l'entreprise les communistespeuvent jouer ce rôle de rassembleursliant sécurité des personnels et orga-nisation du travail. Par là même, ilsmettent en cause les critères de ges-tion du capitalisme et en avancentd'autres, de gestion plus socialehumaine, solidaire et durable. Démystifier le capitalisme, prédateurde la nature et des hommes, nousplace en défenseurs d'une écologieradicale conjuguée au changementde société en face de ceux qui secontenteraient des illusions d'un capi-talisme «verdi».Dans la cité, avec les habitants et rive-

Au cœur de l'organisation du travail, les politiques de sûreté industrielle sont un élément essentiel desbatailles autour de l'environnement. La construction et le respect des réglementations, ainsi que de nouveauxpouvoirs aux salariés dans l'entreprise en sont des leviers.

La question se pose de la coexistenceentre la ville et l'industrie. La refuser au nom del'écologie ou des risques, revient à renvoyerl'industrie dans le Tiers-Monde qui accepte la pollution et ici à accompagner des politiquesde déclin et de régression.

“ “

LA SÛRETÉ INDUSTRIELLE, ENJEU IDÉOLOGIQUE MAJEUR

Page 24: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE24

4

EUROPE ET POLITIQUE INDUSTRIELLE l’Europe n’a pas et n’envisage pas deprendre des participations dans degrands groupes aux activités pour-tant stratégiques.Mais, est-ce à dire qu'aucune poli-tique industrielle n'existe au niveaueuropéen ? Absolument pas. Les ins-titutions européennes, au premierrang desquelles la Commission, déve-loppent une autre conception de lapolitique industrielle. Une vision tra-ditionnellement décrite sous le voca-ble d'horizontale. Ainsi, conformé-ment aux dispositions de l'article 173du Traité sur le Fonctionnement del'Union européenne, la politiqueindustrielle est conçue comme le creu-set, comme le résultat d'un certainnombre de facteurs. Plus précisé-ment, il ne s'agit pas de se focalisersur certains secteurs d'activité, maisde créer l'environnement le plus favo-rable possible pour les entreprises.Ainsi donc, au niveau européen, lapolitique industrielle n'existe pas ensoi, elle est la résultante d'autres poli-tiques et notamment de celles affé-rentes à la concurrence, au marchéintérieur, au commerce internatio-nal et à l'énergie.

l'heure actuelle dominante au seindes institutions européennes est mor-tifère pour l'avenir de notre continentet de notre planète.

La première question qu'il s'agit demettre en exergue est celle de savoirs'il y a ou non une politique indus-trielle mise en place dans l'Unioneuropéenne, car avant de dévelop-per notre réflexion il faut compren-dre de quoi nous parlons. Beaucoupd'observateurs défendent régulière-ment l'idée qu'une telle politiquen'existe pas dans l'Union européennecontrairement à celles relatives à laconcurrence ou au marché unique.Paradoxalement je répondrai tant parl'affirmative que par la négative.

Il est indéniable que la politique indus-trielle, telle que définie et pensée dansle cadre de l'UE n'a peu ou prou rienà voir avec celle qui a été développéeen France à travers l'Histoire et notam-ment au sortir de la seconde guerremondiale. Aucune politique d'am-pleur, d'inspiration colbertiste, stra-tégique et dirigiste n'est menée ausein de l'Union européenne. Ainsi

D ans ma courte contributionje discuterai de l'actualité etde la pertinence d’une poli-

tique industrielle, j’aborderai la manièredont ce concept est mis en œuvre parles institutions de l'Union européenne.J’essaierai également d'éclairer le lec-teur de mon expérience d'élu, de par-lementaire européen, qui m'a per-mis au fil des années de comprendrela réalité et la mise en place des grandespolitiques européennes, au-delà desdiscours de façade.

J'essaierai enfin de lier la probléma-tique industrielle à l'écologie et demontrer comment la vision qui est à

Point de vue de Jacky Hénin, député européen (PCF)

Aucune politique d'ampleur, d'inspirationcolbertiste, stratégique et dirigiste n'est menéeau sein de l'Union européenne. Au niveaueuropéen, la politique industrielle n'existe pasen soi, elle est la résultante d'autres politiqueset notamment de celles afférentes à laconcurrence, au marché intérieur, aucommerce international et à l'énergie.

“ “rains qui sont souvent des salariés,touchés pour certains par les expro-priations ou les obligations de tra-vaux liées aux PPRT (Plans dePrévention des Risques Techno -logiques) la question se pose de lacoexistence entre la ville et l'indus-trie. La refuser au nom de l'écologieou des risques, revient à renvoyer l'in-dustrie dans le Tiers-Monde qui acceptela pollution et ici à accompagner despolitiques de déclin et de régression.Mais imposer la coexistence, c'estimposer une maîtrise des rejets pol-luants et des risques. Des plans exis-tent : PRQA, PREDI, PDEDM, etc. ilfaut agir pour qu'ils n'en restent pasau stade de beau dossier. Et pour lesrisques, en dépit des droits constitu-tionnels qui établissent que l'état doitgarantir la sécurité aux citoyens et

qu'en cas de privation de jouissancede leur propriété, les citoyens ontdroit à une juste et préalable indem-nité, la loi de 2003 laisse l'industrielseul décisionnaire de ce qui est éco-nomiquement acceptable et l'Etat neprévoit pas de compensation à l'obli-gation de travaux, sinon sous la formed'un tardif et partiel «crédit d'impôt».Les droits des habitants se conjuguentavec liberté et démocratie.Les enjeux de ces actions sont à dif-férents niveaux. Il s'agit d'abord defaire converger les actions des sala-riés et des riverains là où d'autrescherchent à diviser. Cette compré-hension réciproque permet d'agirpour une industrie plus propre et sûre,qui lorsque telle fermeture se profile,permet la solidarité de la ville avecles salariés. La crédibilité des com-

munistes en est augmentée du faitqu'ils se font porteurs de l'intérêtgénéral et leur discours sur d'autresquestions d'environnement y gagneaussi en crédibilité. Enfin leur actionpeut alors promouvoir la démocra-tie dans la décision et donner corpsà la construction dans la durée de laplanification écologique d'une indus-trie plus sûre, plus durable et répon-dant aux besoins des populations.Au XXIe siècle, avec la crise que connaîtle capitalisme, l'environnement estdevenu un des piliers de l'action descommunistes pour rassembler versun changement de société. n

*JEAN-CLAUDE CHEINET est membre dela commission écologie du PCF. Il est l’an-cien président du CYPRES (Centre d’infor-mation pour la prévention des risquesmajeurs), militant pour la sûreté industrielle.

Page 25: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

25

Pour résumer cette appréciation dela politique industrielle européenne,il est opportun de citer la formulelapidaire d'une ancienne commis-saire européenne qui déclarait lorsd'une des réunions à laquelle j'assis-tai : « C'est le marché qui doit déciderde qui doit vivre ou mourir ».Or, malheureusement, au vu des déve-loppements passés et actuels on nepeut que reconnaître la portée decette phrase.Aussi, contrairement à l'idée répan-due, il existe bien une vision « diri-giste », « verticale » dans la politiqueindustrielle européenne, mais celle-ci est presque exclusivement réser-vée au marché et à son encadrement.

L'ensemble de la politique indus-trielle de l'Union européenne est doncarticulée autour d'un même centre,suit une trajectoire déterminée parun même phare ; celui de la compé-titivité, c'est une véritable doctrinepolitique et économique.

Des évolutions de circonstances, enparallèle avec les changements de laconjoncture économique, existent,en témoigne le tournant actuel quicombat l'établissement de « cham-pions nationaux », mais promeut l'exis-tence de « champions européens »,afin de répondre aux besoins straté-giques de l'économie européenne,visée impensable il y a quelques annéesen arrière.

Toutes les évolutions, toutes les déter-minations de la doctrine européenneindustrielle sont axées sur les objec-tifs de compétitivité et de rentabilité,sur la nécessité d'instaurer une éco-nomie concurrentielle.

Dans ce cadre, le travail d'élus pro-gressistes, intéressés par les questionsindustrielles est extrêmement ardu.Des propositions existent, mais n'ar-rivent pas à percer l'écran de verre

libéral qui englobe les institutionseuropéennes.C'est pourquoi il me semble néces-saire de porter trois considérationsmajeures dans le combat pour uneEurope industrielle, respectueuse despeuples, des territoires et de notreenvironnement.

Tout d'abord il faut noter que noussavons produire. Lorsque les Européenss'en donnent les moyens, lorsqu'unevéritable volonté créatrice les animeils savent faire œuvre industrielle :EADS en est une des illustrations. Lespays de l'Union européenne bénéfi-cient de salariés compétents et for-més, ils ont tous les atouts pour déve-lopper l'industrie. Un simple faitprouve qu'aujourd'hui la directioninverse est prise ; pour ce qui est desdépenses de Recherche etDéveloppement, l'Union européennese place derrière les États-Unis et leJapon.

Ensuite, l'axe prioritaire de compé-titivité, de profit à court terme estnéfaste pour le développement denos industries, or sans industrie pointde salut pour nos populations. Ainsi,la doctrine industrielle actuelle, au-delà de sa recherche absolue de com-pétitivité, ne se focalise que sur lessecteurs où un « avantage compara-tif » serait acquis, l'exemple souventutilisé par la Commission européenneest celui des technologies informa-tiques. Or cette logique s'avère êtreinefficiente. Il faut inverser la logiqueet produire utile pour le développe-

ment et pour les besoins humains.Ces deux horizons doivent fondernotre politique industrielle.

Enfin, la dernière considération quime semble majeure, et qui découledes deux précédentes est la nécessitéde produire au plus local. Cela n'estpas que de la pure incantation, qu'unesimple formule. Au-delà du fait qu'ellerompe avec l'ensemble des stratégiesmises en œuvre actuellement, si cettedémarche était suivie elle permettraitd'ancrer l'emploi et le développe-ment dans nos pays. Il s’agirait éga-lement d'une mesure devant permet-tre une meilleure efficacité techniqueet productive. Au cours de mes annéesde mandat, un exemple m'a particu-lièrement frappé. Il m'a été donnépar des syndicalistes de l'énergie. Leslogiques à l’œuvre dans l'Union euro-péenne font transiter les flux énergé-tiques d'un bout à l'autre du conti-nent, afin de réaliser des économiesd'échelle et donc d'atteindre une meil-leure rentabilité. Cependant, celacasse de l'emploi, renchérit le coûtde l'énergie, mais surtout ces fluxorganisent un formidable gâchis d'élec-tricité à l'échelle de l'Europe. Produireau plus local, en prenant en comptel’intérêt des populations doit permet-tre de répondre aux défis que le XXIe

siècle nous pose. Cela nous permet-trait également de réduire de nom-breuses sources de pollution.

JACKY HÉNIN est membre de la commis-sion Industrie, recherche et énergie du par-lement européen.

Il faut noter que nous savons produire.Lorsque les Européens s'en donnent lesmoyens, ils savent faire œuvre industrielle :EADS en est une des illustrations. Les pays del'Union européenne bénéficient de salariéscompétents et formés, ils ont tous les atoutspour développer l'industrie.

“ “

Page 26: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Michel Combarnous, membre fondateur de l’académie des technologies, nous présente les chemins possibles pourpermettre d'accueillir dans de bonnes conditions les deux milliards d'humains supplémentaires des 30 prochainesannées, à travers l'exemple d'un co-développement durable dans l'espace de la méditerranée occidentale.

PAR MICHEL COMBARNOUS*,

Il est toujours difficile et quelquepeu périlleux d’évoquer, avec cer-titude, les évolutions nécessaires

ou en cours dans les différentsdomaines des évolutions techniques,des « progrès techniques », de leurappropriation par la majorité d’en-tre nous. C’est d’autant plus difficilequ’en matière d’évolution de nossociétés, si certaines choses se sontclarifiées avec le temps, ou, à tout lemoins commencent d’être abordées,les démarches globales, approchespragmatiques, préalables à l’actiondemandent encore beaucoup deréflexion, d’échanges et d’accords.S’il ne restait qu’un point bien déli-cat encore à « travailler », il apparaîtessentiel : quels outils pour l’accèsau pouvoir, pour son exercice,… etque dire des guerres !

Sont évoqués ici successivement (1)quelques points clés d’une démarcheglobale telle qu’on pourrait l’idéali-ser, (2) un territoire intermédiaire àprivilégier pour nous, le « 5+5 », (3)quelques exemples enfin de projetsféconds.

LES POINTS CLÉS D’UNEDÉMARCHE GLOBALEPlusieurs points parmi les prémissesà accepter :- Les technologies et les activités tech-niques, ne constituent en rien seulsdes facteurs de progrès, mais ne sontque l’augmentation pour nos socié-tés de l’espace des possibles.- Quel que soit le mode d’expressionde cette idée, il est de plus en plus évi-dent qu’une vision exclusivement« mondialisée », laissant la main à des

opérateurs financiers, ne saurait pour-suivre son processus de généralisa-tion, sans grandes difficultés.Qu’il s’agisse de projets régionaux,nationaux ou de coopération, il devientde plus en plus net que la genèse, ladéfinition, comme la réalisation desprojets doivent reposer sur une par-ticipation équilibrée de tous les acteurspotentiels. Il s’agit là bien sûr d’unesorte de garantie « démocratique »,mais surtout d’une démarche abso-lument nécessaire pour assurer, parla participation du plus grand nom-bre, le succès de l’entreprise.

Cette recommandation est d’autantplus impérative lorsqu’il s’agit de pro-jets que l’on pourrait qualifier de « co-développement », mettant en jeu descompétences et des expériences d’ac-teurs du Nord et du Sud. Il s’agit enfait de promouvoir des conditions devies collectives plus riches et plusefficaces, qu’il s’agisse d’innovations,de recherche ou de formation.

Dans le cadre des approches systé-miques, on doit noter le développe-ment toujours plus grand d’approchessusceptibles d’être au service desdémarches collectives. Au-delà despréoccupations, par exemple, du type« économies d’énergie », deux grandesclasses d’approches sont en coursd’implémentation. La premièreconcerne l’analyse du cycle de vie :cette démarche consiste à examiner,d’une manière exhaustive, l’histoirede tel ou tel composé ou composant,

depuis sa toute première originejusqu’à sa fin de vie, en appréciantquantitativement les coûts réels, ycompris environnementaux de l’en-semble des étapes. L’autre, en fortdéveloppement ces dernières années,concerne l’écologie industrielle : sousun intitulé qui ressemble fort à unoxymore, il s’agit d’une démarche ini-tiée dans les pays nordiques qui consisteà étudier, par exemple dans une pla-teforme industrielle, les différentséchanges et flux de matière et d’éner-gie, pour les optimiser, un peu commeils le sont dans un système vivant(d’où le mot « écologie ») [1].

UN PÉRIMÈTRE, PARMI D’AUTRES,À PRIVILÉGIER : LE « 5 + 5 »[MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE]Sur le plan général, on peut noter quela Méditerranée, l’un des foyers decivilisation humaine, non le seul, ajoué, et jouera peut-être, mais celane dépend que des Méditerranéenseux-mêmes, un rôle important pourses populations et pour toute la pla-nète. Si on considère la partie occi-dentale du bassin méditerranéen, on

peut faire sur ce périmètre, que l’ondénomme parfois le « 5+5 », regrou-pant, au Nord, Espagne, France, Italie,Île de Malte et Portugal et, au Sud,Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et

LE CO-DÉVELOPPEMENT DANS L’INNOVATION : POUR QUELS TERRITOIRES ?UN ESPACE PRIVILÉGIÉ, LA MÉDITERRANÉEOCCIDENTALE

DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE

Les technologies et les activitéstechniques, ne constituent en rien seules des facteurs de progrès...“

Il s’agit en fait depromouvoir des conditionsde vies collectives plus richeset plus efficaces, qu’ils’agisse d’innovations, de recherche ou deformation.

“ “

26

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Le « 5+5 »expressionregroupant, auNord, Espagne,France, Italie, Ilede Malte etPortugal et auSud, Algérie,Libye, Maroc,Mauritanie etTunisie

Page 27: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

27

Tunisie, quelques observations :-Populations : ces dix pays représen-tent environ 270 millions d’habitants(données 2012), soit un peu moinsde 1/25 de la planète. Sur ce territoire,32 % de la population est au Sud, 68% dans les cinq pays du « Nord ».-Produits intérieurs bruts : lorsquel’on examine les différents PIB annuels(nous avons choisi les chiffres 2010du Fond Monétaire International),exprimés en k$ par habitant, onretrouve les disparités classiquementconstatées avec, dans l’ordre où lespays sont cités plus haut, les séquencesde nombres suivantes : 30,6 – 41,0 –34,1 – 19,7 – 21,6, pour les pays duNord et 4,4 – 11,3 – 3,2 – 1,2 et 4,2 pourles pays du Sud. Deux remarques : lePIB moyen de la zone s’établit à 25k$/(an.habitant) avec 94 % du PIBglobal au Nord et 6 % seulement auSud !-Bien sûr, on ne saurait se contenter

de cette seule approche et les obser-vations faites en termes « d’indice dedéveloppement humain » sont éga-lement à considérer.-Un élément important enfin est ànoter : si on considère les vingt-sixlangues parlées dans le monde parplus de 50 millions d’habitants (don-nées 1998), on trouve les six languesparlées dans le « 5+5 » : l’espagnol (390millions de locuteurs dans le monde),l’arabe (250), le portugais (190), lefrançais (130), l’italien (65) et l’anglais« véhiculaire » (510 millions d’anglo-phones dans le monde). C’est assezdire qu’il ne doit pas y avoir, dans cetespace, et qu’il n’y a pas, d’ailleurs,de problèmes de langues et de com-munication entre les hommes, tousles hommes, surtout si on prend encompte l’effet « modèle à trois langues »(ceci sans compter la pratique, sup-plémentaire, des langues de proxi-mité).

ÉVOCATION DE QUELQUESEXEMPLES DE PROJETSNombreux sont d’ores et déjà les pro-jets, certains parfois anciens, qui satis-font tout à fait aux critères suggérés

ci-dessus, projets souvent menés àdes échelles locales, nationales et/ourégionales, des projets qui se situentrésolument dans les champs duconcret.

Dans de nombreuses situations, avecdes perspectives d’application, prochesou lointaines, l’échelle « régionale »est souvent la bonne échelle à laquelleles recherches doivent être définieset menées et les progrès réalisés. Denombreux exemples, souvent clas-siques, peuvent être cités de problé-matiques particulières, souvent à fortsimpacts sociétaux. Bien sûr, on peutpenser aux incidences du change-ment climatique sur les territoiresméditerranéens. On peut penser aussià tous les efforts menés en communsur les régions arides. Et pour ne passe restreindre au seul espace « 5+5 »,pourquoi ne pas évoquer les recherchessur l’olivier, dont les trois leadersmondiaux sont méditerranéens,l’Espagne et la Tunisie certes, maisaussi la Grèce.Un exemple emblématique : le modèlearabo-andalou en gestion de l’eau.« L’émergence de l’école hydrauliquearabe, avec ses ramifications orien-tales et maghrébines, a constitué unfait capital de l’histoire des sciences ettechniques arabes au Moyen-Âge. Outrel’accumulation de connaissances nou-velles et d’un savoir-faire élaboré dansles domaines de l’ingénierie de l’eau,cette école a pu, très tôt, imaginer etmettre en place des institutions effi-caces, capables de gérer le réseau hydrau-lique et d’assurer sa pérennité, en sebasant sur des principes à la fois effi-

caces et équitables… En héritant dece modèle arabe de gestion de l’eau,l’Espagne a su le conserver, l’entrete-nir et le perfectionner. Et lorsque lespuissances industrielles du XIXe siè-cle étaient à la recherche de moyenssusceptibles d’améliorer leurs systèmesd’irrigation, elles ont eu l’intelligencede le valoriser et de le défendre en tantque modèle de gestion locale et parti-cipative de l’eau. » [2].On peut penser également aux pro-jets « continentaux », en Afrique : il ya quelques décennies, une ceintureverte au sud de l’Algérie, actuellementle projet de « Grande muraille verte »[3].

EN GUISE DE CONCLUSION…Sans aucun doute, les enjeux liés auxhétérogénéités considérables queconnaît notre planète, entre payscertes mais aussi entre régions ougroupes sociaux au sein des pays,demandent des actions de grandeampleur, ce d’autant plus que notreTerre, sur laquelle un milliard d’ha-bitants ne mangent pas à leur faim,accueillera deux milliards d’habitantsde plus dans les trente ans qui vien-nent. C’est assez dire que tout ce quipourra contribuer, par le recours àdes démarches systémiques parfoisrécentes, sur des projets innovantsd’extension territoriale bien définie,à la réduction des inégalités, à la par-ticipation du plus grand nombre auxdécisions d’avenir, peut être précieuxpour le futur.

*MICHEL COMBARNOUS est professeurémérite Université Bordeaux 1.Professeur associé à l’Université de Gabèsen Tunisie (2006-2011)

[1] Nicolas BUCLET – Écologie industrielle etterritoriale : stratégies locales pour un déve-loppement durable – 309 pages – PressesUniversitaires du Septentrion, 2011

[2] Mohammed EL FAIZ et al. in :« L’ingénieur moderne au Maghreb (19e –20e siècles) » - Éric GOBE - Institut derecherche sur le Maghreb contemporain –Maisonneuve et Larose, 2004

[3] Abdoulaye DIA – Stratégie de développe-ment durable face aux changements clima-tiques et à la désertification : l’initiative afri-caine de la Grande muraille verte. Pages 79-80. Livret stratégique du Colloque « Science,enseignement et technologie pour le dévelop-pement de l’Afrique », Dakar, 30 octobre – 3novembre 2012

Les observations faites en termes« d’indice de développement humain » sont également à considérer.“

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 28: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Les nano-sciences entre espoirs divers et inquiétude, éthique et principe de précau-tion, sont à l'origine d'une industrie nouvelle.

PAR AURÉLIE LOPES ET,JEAN-NOËL AQUA*,,

Voir, comprendre, mani-puler et utiliser la matièreà l'échelle de l'atome : les

Grecs l'avaient imaginé, la sciencecontemporaine le réalise quo-tidiennement. Les nanosciences(nano pour le 9 de 10-9 m, unmilliardième de mètre) mar-quent une véritable révolutionscientifique et technologique.Une révolution continue, sansrupture conceptuelle mais carac-térisée par une évolution quan-titative débouchant sur une dif-férence qualitative. Ce vastedomaine ouvre de nombreuxchamps de recherche fonda-mentale déjà couplée aux appli-cations technologiques etconcerne largement tant les labo-ratoires de recherche publiqueet privée que la production indus-trielle. Les nanotechnologiessoulèvent l'espoir de nouvellespossibilités mais aussi de nom-breuses questions sociétales liéesau financement et à la liberté derecherche, à l'utilisation des tech-niques, aux fantasmes scienti-fico-techniques, aux peurs etangoisses modernes, à l'exploi-tation de la technique pour leseul profit. Rapide tour d'hori-zon d'un champ de connais-sances et d'applications en pleineexpansion.

QU'EST-CE QUE LESNANOSCIENCES ?-Le nanomètre (dérivé du pré-fixe nano, venant du grec nain)désigne un milliardième demètre, 10-9 m, un millimètredivisé en mille puis en mille, etcorrespond aux échelles typiques

des atomes. Les nanosciencesconcernent ainsi l'étude desphénomènes aux échelles ato-miques et moléculaires où lespropriétés de la matière diffè-rent sensiblement de celles àplus grande échelle. Les nano-technologies correspondent àla caractérisation, la concep-tion et l'application de dispo-sitifs à l'échelle "nanoscopique".

-Le développement des nanos-ciences a été permis par unemultitude de techniques. Unpremier jalon remarquableconcerne la mise au point d'unmicroscope un peu particuliern'utilisant pas de lumière maisdes courants électriques, lemicroscope à effet tunnel. Il futconceptualisé en 1981 par deuxchercheurs d'IBM, G.Binninget H.Rohrer, du temps où cetteentreprise faisait encore de larecherche fondamentale. Ladécouverte des fullerenes (unassemblage d'atomes de car-bone sous forme de ballon defootball), des nanotubes de car-bone, et la manipulation d'uneélectronique basée sur le spindes électrons (une propriétéintrinsèque des particules aumême titre que leur charge) quivalut un prix Nobel au françaisAlbert Fert en 2007, ont consti-tué une part majeure du déve-loppement des nanosciences.L'essentiel de l'intérêt des nano-technologies vient des proprié-tés nouvelles de la matière liéesaux phénomènes quantiquesdominant à ces échelles. Dansle "nanomonde", les objets consi-dérés sont des assemblagesd'atomes dont les propriétés(magnétique, électrique, optique,

catalytique etc.) sont directe-ment influencées par la tailleet la forme des objets. Des nou-velles propriétés en découlentqui font tout l'intérêt des nanos-ciences.

LES NANOSCIENCES ET LESNANOTECHNOLOGIES DANSNOTRE QUOTIDIEN…Les nanotechnologies font enfait partie de notre quotidiendepuis très longtemps ! Les mai-tres-verriers du Moyen-Âge tein-taient les vitraux des cathédralesà l'aide d'oxydes métalliquescontenant des nanocristaux. Lecélèbre vase romain de Lycurgusdoit sa couleur rouge à la pré-sence de nanoparticules d'or.Aujourd'hui, les nanotechno-logies ne sont pas la chasse gar-dée des laboratoires de recherche

et de l'industrie de pointe. Ellesont déjà fait leur apparition dansnotre quotidien :­ En médecine avec l'utilisationde produits de contraste pourl'imagerie ou encore dans letraitement de certains cancers.­Les nanomatériaux avec le déve-loppement de cellules photo-voltaïques où l'empilement desemi-conducteurs contrôlés àl'échelle nanométrique amé-liorent le rendement.­L'électronique du quotidien(ordinateurs, téléphones, etc.)où les processeurs de l'ordre dequelques dizaines de nanomè-tres constituent aujourd'huil'état de l'art.

Elles sont également présentesdans les cosmétiques avec laprésence de nanoparticules dedioxyde de Titane dans les crèmessolaires et les crèmes hydra-tantes, ainsi que dans des den-tifrices. Les balles de tennis enmatériaux nanocomposites ontvu leur durée de vie augmen-tée alors que les raquettes per-daient en poids tout en gagnanten résistance, grâce à la pré-sence de nanotubes de carbonedans leur structure ! Les nano-matériaux sont partout !

LES ENJEUX ÉCONOMIQUESAujourd'hui la production denanomatériaux, ou de matériauxnanostructurés est un marchéde plusieurs milliards d'euros.Les USA sont le premier payspour l'investissement dans larecherche et le développementavec 1,8 milliard de dollars. Lesentreprises et la recherche béné-ficient en France d'un fort sou-tien public (ANR, PCRD, Cnano,

Les nanosciences : enjeuxscientifiques et sociétaux

n NANOTHECHNOLOGIES

SCIENCE ET TECHNOLOGIE28

Les nouvellesperspectivesd'applications sontsouvent vues comme laprochaine révolutionindustrielle.L'apparition et ledéveloppement denouveaux matériaux,de nanomatériaux oude matériauxnanostructurés,pourraient ainsipermettre ledéveloppement decellules photovoltaïqueplus performantes,améliorer l'efficacitécatalytique…

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 29: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Pnano, CEA Leti, Minatech…) àtravers le financement derecherches souvent interdisci-plinaires et menées en collabo-ration avec les entreprises dudomaine (Michelin, l'Oréal,STMicro…). À partir desrecherches fondamentales quiprédisent de nouvelles proprié-tés, les nouvelles perspectivesd'applications sont souvent vuescomme la prochaine révolutionindustrielle ou comme une révo-lution en cours de développe-ment. L'apparition et le déve-loppement de nouveauxmatériaux, de nanomatériauxou de matériaux nanostructu-rés, pourraient ainsi permettrele développement de cellulesphotovoltaïques plus perfor-mantes, d'améliorer l'efficacitécatalytique…

LES NANOS : UN ENJEUSOCIÉTAL… OU UNINFINIMENT PETIT QUI FAITPEUR !Quel que soit le domaine dessciences que l'on considère etles technologies qui en décou-lent, il y aura toujours des ques-tions éthiques et des "dangers"qui se poseront. Le développe-ment industriel et la place prisepar les nanosciences et les nano-technologies dans notre quoti-dien conduit beaucoup decitoyens à s'interroger sur lesrisques toxiques et sociétaux.Pour beaucoup, les « nanos » nesont pas bien compris et sontlaissés aux experts. Quelles uti-lisations peuvent être faites destechnologies ? Qui décide desorientations de la recherche ?Les citoyens en ce domaine

comme dans bien d'autres sontlaissés au bord du chemin.

Dans le cas des nanotechnolo-gies, des questions éthiquesliées à la miniaturisation dustockage de l'information, lesrisques toxicologiques et envi-ronnementaux (« nanopollu-tion » liée à la taille, la compo-sition chimique ou la forme),l'absence de réglementationspécifique pour la mise sur lemarché et les faiblesses de latoxicologie sont des points essen-tiels du débat. Les recherchesportant sur l'impact de diffé-rents types de nano pollutionet sur les effets des nanoparti-cules sur les organismes vivantscommencent à peine à donnerleurs premiers résultats.

En France, l'Afsset a publié enjuillet 2008 un guide pour mieuxdétecter les situations d’expo-sition dans son rapport sur lesrisques au travail liés aux nano-matériaux. Le Haut Conseil dela Santé Publique et le ConseilÉconomique Social etEnvironnemental se sont éga-lement saisis de ces questionset ont produit plusieurs rap-ports. Aujourd'hui en vertu duprincipe de précaution, l'Affsetrecommande que la produc-tion et l’utilisation des nano-tubes de carbone soient effec-tuées dans des « conditions deconfinement strict » afin de pro-téger les travailleurs et les cher-cheurs. Il a également été pro-posé par l'AFSSAPS dans un avisde mars 2010 qu'il y ait un éti-quetage systématique des pro-duits contenant des nanopar-ticules, ainsi que la conduited'études de toxicité systéma-tique avant "la mise sur le mar-ché", sur le même modèle quela directive REACH concernantles produits chimiques.

Les nanosciences et nanotech-nologies, comme les autresdomaines de la science, soulè-vent donc de multiples ques-tions sur les conséquences etla finalité de leur utilisation.Afin d'aborder ces questions de

façon rationnelle, le partage desconnaissances se révèle décisifpour l'exercice concret de ladémocratie. Le développementde la science est important ensoi, s'inscrivant dans la quêtecontinue de l'homme pour com-prendre le monde qui l'entoure.Il reste décisif pour l'améliora-tion des conditions de vie parun progrès technique qui se doitd'être partagé par tous. Maisnous devons être capables denous poser les bonnes ques-tions et d'y répondre collecti-vement lorsque l'on aboutit auxapplications technologiques.En France, un débat public surles nanotechnologies a été orga-nisé par la Commission Nationaledu Débat Public entre octobre2009 et février 2010. Il s'est heurtéà la complexité du sujet et desenjeux qui l'accompagnent, età la volonté de certains acteursde refuser le débat pour des rai-sons différentes (experts ou

industriels fuyant l'interven-tion citoyenne ou militants"anti"-nano refusant le débat).Comme pour toute technolo-gie, les nanotechnologies révè-lent le besoin urgent d'inter-vention à la fois des travailleurset des citoyens dans les choixéconomiques. Comme pour lesautres secteurs économiques,les droits des citoyens et dessalariés dans les entreprisespubliques et privées (liberté derecherche en amont, droit devote dans les conseils d'admi-nistration des entreprises...)sont des outils essentiels pourla gestion des risques à longterme et pour une approchedémocratique des finalités dela production économique pourun développement humaindurable respectueux de l'envi-ronnement.

Malgré les questions suscitéespar les nanosciences et nano-technologies, la révolution scien-tifique et technique qu'ellesreprésentent, placé au servicede l'Homme, pourrait contri-buer à relever quelques grandsdéfis technologiques et envi-ronnementaux, à améliorer lesconditions de vie et les poten-tiels offerts à tous. Dans cedomaine comme dans d'autres,le partage des connaissancesreste autant décisif dans l'exer-cice du pouvoir que pour l'éman-cipation intellectuelle qu'il pro-cure. Le nano-monde ne faitque commencer d'agiter lemonde à taille humaine.

*AURÉLIE LOPES est doctorante ensciences de la matière et nanos-ciences à l'Université d'Aix-Marseille,JEAN-NOËL AQUA est maître deconférences, physicien, à l'UniversitéPierre et Marie Curie.

Quelles utilisationspeuvent être faites destechnologies ? Quidécide des orientationsde la recherche ? Lescitoyens en ce domainecomme dans biend'autres sont laissés aubord du chemin.

29

Le partage desconnaissances serévèle décisif pourl'exercice concret de ladémocratie. Ledéveloppement de lascience est importanten soi, s'inscrivantdans la quête continuede l'homme pourcomprendre le mondequi l'entoure maisaussi pourl'amélioration desconditions de vie, parun progrès techniquequi se doit d'êtrepartagé par tous.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 30: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

PAR MICHEL LIMOUSIN*,

DES EXPÉRIENCESDÉTERMINANTESEn 2012 le prix Nobel de méde-cine a été remis à John Gurdonet au japonais Shinya Yamanakapour leur découverte sur la repro-grammation des cellules maturesspécialisées. En 1962, JohnGurdon avait découvert la réver-sibilité de la spécialisation cel-lulaire et avait ouvert la voie àson collègue Yamanaka. Sonexpérience princeps consistaità éliminer le noyau d'une cel-lule immature d'un œuf de gre-nouille et à le remplacer par lenoyau d'une cellule intestinaleprélevée sur un têtard. Cet œuftransformé se développaitensuite et donnait alors un têtardnormal. Ainsi prouvait-il quel'ADN de la cellule mature spé-cialisée possède bien toutes lesinformations nécessaires audéveloppement d'une grenouillecomplète. En 2006, ShinyaYamanaka a montré que descellules matures de souris pou-vaient se transformer en cel-lules totipotentes, c'est-à-direcapables de se transformer entous les types de cellules spé-cialisées nécessaires à la consti-tution d’un individu completet vivant. Etonnamment peu degènes sont nécessaires à cettetransformation (quatre seule-ment) pour recréer tous les typesde cellules spécialisées. Cesdécouvertes ont enrichi consi-

dérablement les connaissancessur le développement des indi-vidus et sur la spécialisation cel-lulaire. Cette donnée fonda-mentale a ouvert très rapidementle champ à des applicationsnombreuses et innovantes quiont donné des perspectives pourle traitement de beaucoup demaladies. Ces cellules dénom-mées iPS (pour cellules souchespluripotentes induites) sont descellules souches immaturesinduites capables de donnerdes cellules spécialisées de toustypes. Ainsi des cellules cuta-nées, de prélèvement très facile,peuvent être reprogramméeset étudiées soit in vitro ou réin-jectées in vivo.

LES CHAMPS D'APPLICATIONSONT NOMBREUX.1) la maladie de Parkinson pré-sente différentes formes géné-tiques. Des cellules souches plu-ripotentes induites ont pu êtrereprogrammées et différenciéesen neurones. Ces nouveaux neu-rones peuvent être traités in vitro,modifiés et pourraient être réim-plantés. Des études sont en cours.2) la Progeria est une maladiecaractérisée par un vieillisse-ment très accéléré. On ne savaitpas pourquoi cette maladie s'ac-compagnait d'un maintien desfonctions cognitives tandis quetous les tissus étaient touchés.On a découvert que seules lescellules nerveuses sont dépour-vues de la protéine responsable

(Lamine a) de la maladie. Or iln’était pas possible éthiquementde prélever des neurones sur cespatients. La reprogrammationde cellules souches en neuronesin vitro a permis cette démons-tration.3) dans la maladie d'Alzheimerdes fibroblastes ont pu être trans-formés en iPS et retransforméesen neurones. Ceci a permis demontrer l'existence de sous-caté-gories de la maladie d'Alzheimeret ouvre le champ à des théra-peutiques ciblées.4) les patients atteints de myo-

pathie des ceintures ont pu êtreprélevés et des cellules souchesiPS reprogrammées ont été dif-férenciées en mésangioblastesqui ont pu être corrigés généti-quement in vitro. L'injection deces cellules modifiées chez dessouris a permis de constater uneamélioration des capacitésmotrices. Cela ouvre un espoirpour les humains atteints decette pathologie.5) dans l'épidermolyse bulleuse,la reprogrammation de cellulesiPS est envisagée et est en coursd’expérimentation.

6) dans le vitiligo, maladie trèsrépandue se manifestant par destaches de dépigmentation, on apu obtenir des mélanocytes àpartir de cellules souches sus-ceptibles de repigmenter la peau.Ceci ouvre une piste pour le trai-tement de ces troubles de la pig-mentation. 7) dans le domaine de la cirrhose,des cellules hépatiques humainescapables de se greffer dans lefoie cirrhotique de souris ontpermis de régénérer le tissu hépa-tique. Là aussi une perspectiveest ouverte pour les humains.

On peut imaginer que demainles greffes de foie deviendrontmoins nécessaires.8) dans des syndromes commeAngelman et Prader-Willy quisont à l'origine de troubles dudéveloppement neurologique,des neurones obtenus par cesméthodes in vitro favorisentl'étude de ces anomalies. Là aussile chemin de la connaissances’ouvre. Idem pour la maladiede Sanfilippo qui une mucopo-lysaccharidose qui donne unretard mental. Les maladies raressouvent appelées orphelines

Cellules souches : retour sur le prixNobel de médecine 2012

n MÉDECINE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE30

Les champs d'applications dans le domaine des cellules souches sont potentielle-ment nombreux. La revue « Progressistes » s'attachera à revenir régulièrement sur lesdifférentes pistes ici évoquées, en lien avec les questions éthiques qu'elles soulèvent.

Dans la maladie d'Alzheimer des fibroblastes ont puêtre transformés en iPS et retransformées enneurones. Ceci a permis de montrer l'existence desous-catégories de la maladie d'Alzheimer et ouvre lechamp à des thérapeutiques ciblées.

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 31: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

pourront particulièrement béné-ficier de ces recherches.9) le syndrome QT long est unemaladie cardiaque: des cellulescutanées reprogrammées et trans-formées en cardiocytes porteursdes anomalies de ce syndromeont pu être créées et offrir unmodèle de test pour des médi-caments. L’expérimen tationmédicamenteuse se fait sur cescellules in vitro et non directe-ment sur les patients.10) dans la schizophrénie descellules cutanées reprogram-mées en neurones présententdes anomalies particulières carac-térisées par la rareté de connexioncellulaire. C’est un modèle inté-ressant et innovant pour larecherche.11) dans la rétinopathie diabé-tique un programme européende recherche est lancé pour éva-luer l'efficacité de l'administra-tion de cellules souches mésen-chymateuses à des patients pourcorriger les anomalies vascu-laires de cette maladie qui entraînela cécité. Aux États-Unis en 2011un essai de traitement de cetterétinopathie diabétique par descellules souches d'origine cuta-née a été conduit. L’étude euro-péenne qui y fait suite utiliserades cellules mieux définies etdevrait améliorer les résultats.On n’en finirait pas de donnerdes exemples d’application.Au total le prix Nobel 2012 attri-bué seulement six ans après ladécouverte de la reprogramma-tion montre l'évolution rapideet innovante de la recherchefondamentale dans ce domaine.

31

TROIS ENSEIGNEMENTSD'abord on doit une nouvellefois signaler l'importance de larecherche fondamentale qui,seule, est de nature à créer desperspectives nouvelles enrecherche appliquée. L'essor denouvelles thérapeutiques passepar l'essor de ces biotechnolo-gies. Les perspectives thérapeu-tiques sont réelles et de moyenstermes. La science fondamen-tale est vraiment porteuse d'es-poir. Les renoncements en lamatière de l'industrie pharma-ceutique et chimique avaient,depuis 20 ans, été la source d'untarissement des innovations. Unespoir est né.

Deuxième idée : il est frappantde constater l’accélération desdécouvertes dans ce domaine.Pour ne pas être à la traîne, laFrance devrait investir rapide-ment dans ce secteur. N’est-cepas le sens des propositions quenous avions faites il y a cinq ansdéjà, de créer un pôle public du

médicament qui investisse mas-sivement dans la recherche uni-versitaire et pharmaceutique ?Il y a urgence à sortir cetterecherche de la quête de la ren-tabilité financière maximumqui plombe l’avenir et obèretoute perspective de progrès.

Troisième idée : dans le domainede la bioéthique se posait laquestion de savoir si l'on pou-vait mener des expérimenta-tions sur des fœtus qui auraientalors servi de banque de cel-lules. Les débats étaient nom-breux et complexes : ils posaientla question du respect de la per-sonne, de son intégrité. Il n'yavait pas de consensus pourrésoudre cette problématique.Or aujourd'hui, le débat changede nature avec ces nouvellesdécouvertes. En effet la repro-grammation de cellules soucheset leur transformation en cel-lules spécialisées de tous typesrègle la question d’une certaine

façon. De plus l'avantage bio-logique immédiat est qu'il n'yaura pas de problème de rejetdes greffes sur des cellules issuesdu malade lui-même et repro-grammées. Une révolution tech-nologique est en cours et ellerenouvelle à la fois l'espoir desoigner des maladies jusqu'iciincurables, en tout cas de mieuxles connaître, et offre en outrela possibilité de dépasser undébat éthique très difficile.La science non seulement peutchanger la condition humainemais encore elle permet par sesdéveloppements de poser lesdébats éthiques en d’autrestermes. Elle porte en elle de quoifonder une nouvelle civilisa-tion. Celle qu’attendent les pro-gressistes qui lisent cette nou-velle revue.

*MICHEL LIMOUSIN est médecin. Ilest membre du comité de rédactionainsi que de la Commission santé etprotection sociale du Pcf.

La cirrhose, descellules hépatiqueshumaines capables dese greffer dans le foiecirrhotique de sourisont permis derégénérer le tissuhépatique. Là aussi uneperspective est ouvertepour les humains.

Page 32: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Le programme Horizon 2020 se veut une nouvelle approche intégrée de la recherche,du développement et de l’innovation. Les financements ne sont pourtant pas à la hau-teur, mais ce programme, par les secteurs stratégiques clés qu'il identifie, est peut-êtreun point d'appui pour des politiques progressistes de ré-industrialisation de l’Europe.

PAR SÉBASTIEN ÉLKA*,

LES ATOUTS GÂCHÉS DEL'EUROPE 2009-2010 : À mi-parcours du7e Programme Cadre deRecherche et Technologie(« FP7 »),[1] la Commission euro-péenne commandite une pléiaded'études pour un bilan d'étapeset préparer le 8e du nom. Leslobbies s'activent…pour lui don-ner des arguments flatteurs àfaire valoir auprès des gouver-nements des 27. A lire leurs cajo-leries courtisanes, le finance-ment de centaines de projets aété certes encore trop bureau-cratique et disséminé, mais portépar le souci de l'équité entreÉtats membres et du leadershiptechnologique de l’Europe, etl'argent des États a été bien uti-lisé. Mais dans les couloirs cir-cule un constat plus lucide : beaucoup d'argent distribuépour bien peu d'emplois indus-triels créés ou sauvés, des pro-messes de retombées jamaisvérifiées ex-post, des ferme-tures d'usines et destructionsd'emploi qui se poursuivent etdes industries certes capablesd’améliorer leurs produits etservices mais largement absentesdes véritables nouveautés tech-nologiques, ces « ruptures » sus-ceptibles de créer de nouvelleslignes industrielles, des emploiset une valeur ajoutée nouvelle.

C’était pourtant la stratégieadoptée en 2000 à Lisbonne :devenir l'économie de la connais-sance la plus compétitive du

monde. En clair : laisser fermerou partir nos vieilles usines –« saine destruction créatrice » –et tout miser sur la haute tech-nologie. Dix ans après, la Chineest le premier déposant mon-dial de brevets, très présentesur le High-Tech – jusque dansl'espace avec ses taïkonautes…- et la croissance économiquereste plus faible en Europe quedans le reste du monde. Face à cet échec, et dans le sil-lage de la crise de 2008, l’Europeadopte alors une « Stratégie2020 » : viser une croissanceintelligente durable et inclu-

sive, et revaloriser l’industrie.Non pas empêcher les usinesde fermer ou de se délocaliser– odieux protectionnisme ! –mais mettre en place des poli-tiques européennes deRéindustrialisation par l’inno-vation : compter sur une excel-lente recherche publique, deschercheurs et ingénieurs de trèshaut niveau et de très nom-

breuses publications de brevetspour développer industries,emplois et production nouvelles. Peu à peu, le plan Horizon 2020se dessine : toujours bureaucra-tique et jargonante, l’Europes’appuiera sur des Agendas stra-tégiques de recherche et desPlateformes Technologiques, sixTechnologies Clés Génériques,un Institut Européen de Tech-nologie et des Communautésd'innovation par le savoir,ensemble de structures senséesaider à porter l'innovation horsdes laboratoires jusqu’auxchaînes de montage. A traversHorizon 2020, l’Europe ne sepréoccuperait plus seulementd’imposer l’hyper-concurrence,elle aurait désormais une poli-tique industrielle.

UN BUDGET AUSTÉRITAIRE,TRÈS EN-DEÇÀ DES ENJEUX Sauf que dans un contexte aus-téritaire, Horizon 2020 ne mobi-lesera pas plus de 70 Md€, plusque le programme cadre pré-cédent, 8% du budget 2014-2020de l’Union et le troisième postede dépenses, mais encore trèsloin derrière la Politique AgricoleCommune et les Fonds deDéveloppement des Régions(plus de 300Md€ chacun). Bientrop peu.

Car entre la recherche scienti-fique et la mise sur le marchéde produits industriels, les diag-nostics indiquent que c’est surl’étape cruciale de pré-indus-trialisation que l’industrie euro-péenne est en défaut. Bridées

par les dogmes du catéchismelibéral – au nom des accords del’Organisation Mondiale duCommerce qui sanctifient lalibre-concurrence - les aidespubliques en Europe ne pou-vaient jusqu’ici pas intervenirdans les processus de R&D au-delà du financement de proto-type, soit avant la pré-indus-trialisation, jugée trop prochede la commercialisation. Appuyésur l’échelle de maturation tech-nologique (dite “échelle TRL”),ce bridage de l’action publiqueest contesté au sein même desinstitutions européennes etconstitue l’enjeu d’une âprebataille. Toujours est-il quejusqu’ici pour l’étape clé de lapré-industrialisation les indus-tries devaient s’en remettre auxseuls financements privés.

Or une maturation technolo-gique suit une courbe de coûtexponentielle : une expériencede laboratoire peut être relati-vement peu chère, un proto-type le sera déjà plus. Et pourun seul pilote de pré-industria-lisation (chaîne démontrant lapossibilité de produire à grandeéchelle), il faut investir desdizaines voire des centaines demillions d'euros. Les financiers,attirés par le profit facile despays low cost ou de la spécula-tion, ont de plus en plus rechi-gné à se risquer dans ces lourdsinvestissements nécessaires auxavancées industrielles de lavieille Europe. Pour autant étantdonné les volumes concernés,on peut douter qu’Horizon 2020

Politique industrielle en Europe :le programme Horizon 2020

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

L'Union Européennedevait devenirl'économie de laconnaissance la pluscompétitive du monde.Dix ans après, la Chineest le premier déposantmondial de brevets,très présente sur leHigh-Tech et jusquedans l'espace...

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

n RECHERCHE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

Page 33: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

parvienne à suppléer à leurdéfaillance.

Il faudrait en effet pour cela queles trop faibles budgets dispo-nibles soient au moins concen-trés sur les projets les plus pro-metteurs. Une concentrationqui se ferait dans le fonction-nement actuel de l’Union auprofit des grandes entreprisesdes principaux Etats-Membres,à l’encontre de l’inefficace maisdiplomatique saupoudrage ordi-naire de la Commission.

POUR UNE COOPÉRATIONLIBRE ET NON FAUSSÉE… ?Au-delà des questions budgé-taires, la coopération mêmereste une idée neuve en Europe.Trente ans de programmescadres n’y ont pas suffi, l'émer-gence d'un véritable intérêtgénéral européen s’est heurtéeà l’idéologie de la libre circula-tion des capitaux et marchan-dises et de la concurrence. Lesinitiatives nationales demeu-rent cloisonnées, peu coordon-nées et bien souvent portéespar le souci de défendre l’in-dustriel national face à un éche-lon européen perçu comme hos-

tile. C’est pourtant cet échelonqui aurait la capacité de porterdes ambitions industriellescomme le véhicule électrique,une véritable filière éolienne ousolaire, les biotechnologies médi-cales ou l’avion du futur.Car le cloisonnement n'est plus

tenable. L’importance prise parl'échange d’informations numé-riques impose à la recherched'être collaborative et partena-riale. Les programmes euro-péens, malgré les difficultés cul-turelles et linguistiques ou lerepoussoir bureaucratique, ontété pionniers en la matière. Etsi à court terme l’évolution duprocessus de production por-tée par ce besoin d’échange sefait comme toujours au prixd’une exploitation accrue dutravail, elle va dans le sens d’uneouverture des « boîtes », desentreprises, à l’encontre du longprocessus de clôture jalouse etde spécialisation aliénante surlequel s’étaient bâtis leurs appa-reils de pouvoir. Une tendanceà mieux caractériser mais assu-rément lourde de sens à moyenet long terme.Dans le même temps, l’appelincessant du monde industrielau soutien de la R&D par lespuissances publiques est unaveu d’impuissance. Le besoinde soutien public jusqu’à la pré-industrialisation – très près dela commercialisation et doncdu retour sur investissement –montre certes la gravité du pro-blème d’accès aux capitaux,mais aussi que les directionsd’entreprise ne savent plus por-ter de projets d’ampleur sansimpulsion publique. Elles atten-

dent toujours plus d'organismesde recherche technologique[2],très majoritairement publics etsubventionnés, qui ont la mis-sion d’extraire de la recherchefondamentale les pistes de déve-loppements industriels futurs.À l’encontre du rêve libéral, ellesrévèlent ainsi leur incapacité àprendre en charge la construc-tion de notre avenir industriel.

LE NÉCESSAIRE RETOURD'UNE INTERVENTIONPUBLIQUEPourtant dans l’état des rap-ports de force, ce retour amorcédu public ne signifie pas pourautant que l'intérêt général etle progrès – à ne pas confondreavec l’innovation ! - soient repla-cés au cœur de la question indus-

trielle. Un débat important àpropos de l’administration duprogramme Horizon 2020concerne la conditionnalité desaides accordées . En échangedes aides et financements accor-dés[3], demandera-t-on des

preuves de création de valeursoutenable ? D’emplois de qua-lité ? Ou seulement de vaguesengagements sitôt pris et sitôttrahis ? Quels moyens tech-niques et humains pour lecontrôle ?Quelles que soient les réponses,ce contexte européen révèle unenouvelle étape du brouillagedes frontières entre public etprivé. Un brouillage aux effetsdélétères bien connus sur le ser-vice public, mais qui pourraitbien aussi signer le retour d’unecapacité d’intervention publiquedans l’économie... à conditionde rencontrer une volonté poli-tique prête à en faire usage !

*SÉBASTIEN ELKA est ingénieur encharge de coopérations européennesen recherche technologique et innova-tion. Il est membre du comité derédaction de Progressistes.

1) FP7 pour 7th Framework Programfor research and technology2) RTO, pour Research & TechnologyOrganisations. L’ONERA, l’INSERM, leCEA ou les IRT en France, le DLR oules Instituts Fraunhofer en Allemagne,l’IBEC ou TECNALIA en Espagne, leVTT en Finlande…3) Une bataille a lieu a propos desKPI, Key Performance Indicator, unvocable fourre-tout au centre du débatsur les engagements et le suivi.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Une maturationtechnologique suit unecourbe de coûtexponentielle : pour unseul pilote de pré-industrialisation(chaîne démontrant lapossibilité de produireà grande échelle), ilfaut compter desdizaines voire descentaines de millionsd'euros

Les directionsd’entreprise ne saventplus porter de projetsd’ampleur sansimpulsion publique.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

33

Page 34: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Cet article revient sur les conditions nécessaires à la bonne tenue d'un débat sur noschoix technologiques et particulièrement sur la transition énergétique. Il s'interroge surles dérives liées à des approches où l'émotion domine et empêche de percevoirl'ensemble des données des problèmes.

PAR MARIE-CLAIRE CAILLETAUD*

Le 5 septembre 2012, le 20heures de France 2 fait sonouverture sur l’accident

à Fessenheim. La lettre del’Autorité de Sureté Nucléairetransmise à la Ministre de l’Éco-logie, du Développement dura-ble et de l’Énergie le 21 septem-bre fait état de deux salariéslégèrement blessés à la maindroite suite à une manipulationd’eau oxygénée.Le même jour, à la même heure,deux ouvriers de 26 et 49 ansmeurent au cours de leur tra-vail dans l’ancienne usine ArcelorSteel de Gandrange. Sur ces vieslà, France 2 gardera le silence.

Le 19 septembre 2012, le bio-logiste Gilles-Eric Séralini publiele résultat d’une étude sur uneplante transgénique.La médiatisation extrême, ainsique le protocole suivi interro-gent. L’étude a été dévoilée lorsd’une conférence de presse,pour laquelle les journalistesavaient signé une clause deconfidentialité, avant mêmeque l’article ne soit soumis parl’auteur à ses pairs. Pas decontre-expertise, pas d’avisd’autres scientifiques, pas decritiques.Le jour même, le ministre del'agriculture, déclare vouloirrevoir les procédures d'homo-logation des OGM au sein del'Union Européenne, et le len-demain, le premier ministre,saisit les autorités sanitaires

avant même l’avis des scienti-fiques.

Lors de la conférence environ-nementale des 14 et 15 septem-bre le Président de la Républiqueinscrit son ambition de dimi-nuer les émissions de gaz à effetde serre de 20 % en 2020, 40 %en 2030 et 60 % en 2040 tout enbaissant d’un tiers la part dunucléaire, énergie à faible émis-sion de CO2, dans le mix éner-gétique et en datant l’arrêt dela centrale de Fessenheim.

Lors de cette même conférenceenvironnementale, la MinistreDelphine Batho indique que ladécision de fermeture deFessenheim repose sur le cri-tère de l’âge, niant ainsi le rôleet le travail de l'ASN (autoritéde sureté nucléaire), qui condi-tionne la poursuite de son fonc-tionnement à des travaux à effec-tuer par l’exploitant.Quelques jours plus tard, EDFet la Préfecture ont étécontraintes d’annuler une visitede Fessenheim, dans le cadredes portes ouvertes des indus-tries, pour cause de manifesta-tion d’associations anti-nucléaires.

QUE DISENT CES EXEMPLES?Notre société, dite par certains"société de la connaissance",est en réalité celle de l'informa-tion rapide, de la communica-tion, superficielle et éphémère."L'opinion publique" se forge

à partir de thèmes imposés dansun paysage médiatique quieffleure les sujets, sautant del'un à l'autre. La culture scien-tifique régresse. La parole desexperts et l'objectivité de leursinstitutions sont mises en doute.La notion de vérité est relativi-sée. Les politiques réagissentau rythme des annonces et desfaits divers.

C’est dans ce contexte que sedéroule le débat sur la transi-tion énergétique. Débat qui apour ambition de permettre àchaque citoyen de se forger uneopinion et de l’exprimer afin detracer la route énergétique pourles années à venir.

Les choix de politique énergé-tique sont structurants. Le déve-loppement social depuis le milieudu XXe siècle s’est appuyé surla production d’énergie princi-palement à partir de ressourcesfossiles. Les enjeux climatiques,

géopolitiques, les prévisionsdémographiques, la nécessairediminution des inégalités entreet à l'intérieur des pays, nousimpose de repenser nos modesde développement. La transi-tion énergétique est liée à nosmodes de transports, de pro-duction, de consommation,d’habitation. Nous sommes faceà un choix de société. Les citoyensdoivent pouvoir donner leuravis.

Personne aujourd’hui ne peutsérieusement affirmer quel mixénergétique sera capable derépondre aux enjeux posés àl’horizon 2050, tant ceux-là sontdépendants d’éventuelles rup-tures technologiques apportéespar la recherche. Et cependant,des choix doivent s’opérer main-tenant, n’obérant pas l’avenirmais qui permettent la visionstratégique à long terme néces-sitée par le secteur énergétique.

EXPERTISE ET DÉMOCRATIES’il est illusoire de penser quechacun puisse acquérir toutesles connaissances techniquessur le sujet, ce n’est pas un pro-blème si l’on redonne à l’ex-pression du citoyen les moyensd'un choix politique. La respon-sabilité d’un gouvernement éluest de mettre en place les struc-tures démocratiques permet-tant de livrer une analyse sim-ple (pas simplificatrice)synthétique de l’état des lieuxdes connaissances, des ques-tions qui se posent, des choix

Pour un débat serein sur noschoix technologiques

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

n CHOIX TECHNOLOGIQUES

SCIENCE ET TECHNOLOGIE34

La culture scientifiquerégresse. La parole desexperts et l'objectivitéde leurs institutionssont mises en doute. Lanotion de vérité estrelativisée. Lespolitiques réagissentau rythme desannonces et des faitsdivers.

Page 35: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

possibles et de leurs consé-quences. Nulle forme de pro-duction d’énergie ne peut à elle

seule répondre aux enjeux aux-quelles nos sociétés sont confron-tées. Par conséquent, l'enjeuest de donner à chacun l’ana-lyse du savoir connu, la notion

de vérité scientifique intervientalors, les questions qui restentposées, les possibilités ou nonde déboucher sur des réponseset dans quelle temporalité, lesconséquences des différentsscénarios en termes écono-miques, sociaux et environne-mentaux.Sachant que chacun opère seschoix en fonction de critèrespropres, scientifique, écono-mique, social, politique, philo-sophique…….Cette exigence dépasse le sim-ple sondage d’opinion. La ques-tion est de permettre à chacunde s’approprier les enjeux desdifférents possibles et les consé-quences des choix opérés. C’estd’autant plus nécessaire quenos sociétés disposent de tech-nologies pouvant profondé-ment modifier le cours de nosvies (au-delà du seul champ del’énergie).

BEAUCOUP DE QUESTIONSSE POSENT :Comment procéder pour que

l’opinion ne soit pas un arte-fact et ne vienne pas unique-ment légitimer une politique,renforçant les rapports de forcequi la fondent? Comment faireen sorte que la production d’une

opinion soit à la portée de tous,que chacune d’elles soit écou-tée et qu’un consensus soittrouvé ?Pour cela, il est nécessaire d’éle-ver le niveau global des connais-sances. Les médias au sens largedevraient permettre cet accèsaux nouveaux savoirs.La transition énergétique, doit

remporter l’adhésion du plusgrand nombre et pour ce fairerelever d’un projet collectif quientraînera des changementsprofonds dans l’aménagementdu territoire (transports, urba-nisme), la fiscalité, les filièresindustrielles et le système deformation. Le débat sur la tran-sition énergétique aurait pu endonner l’occasion. Tel n’est pasle cas aujourd’hui.

Permettez moi de finir par cettephrase d’Edouard Brézin : « Sil’exercice de la critique est indis-pensable, s’il est intéressantd’analyser le processus souventlong et complexe à travers lequella vérité se fait jour, nier que lascience nous fournit un moyenrationnel de comprendre le réeln’est que plonger dans la confu-sion mentale ».

*MARIE-CLAIRE CAILLETAUD estingénieur. Elle est porte parole de lafédération nationale des mines et del’énergie (FNME) CGT

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

35

La responsabilité d’ungouvernement élu estde mettre en place lesstructuresdémocratiquespermettant de livrerune analyse simple(pas simplificatrice)synthétique de l’étatdes lieux desconnaissances, desquestions qui seposent, des choixpossibles et de leursconséquences.

Il est nécessaired’élever le niveauglobal desconnaissances. Lesmédias au sens largedevraient permettrecet accès auxnouveaux savoirs.

Page 36: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

PAR MARIE-JOSÉ KOTLICKI*,

L’heure des bilans est pas-sée. Trop de temps a étéperdu à regarder les

hommes tomber avant de com-prendre que le travail lui-mêmeétait malade. Aux contradictionsde la financiarisation et à soncortège de gâchis sociaux, dedrames humains, de désastreséconomiques et de dégâts envi-ronnementaux s’est ajouté ledétournement des valeurs du

travail. Le coût de la dévalorisa-tion du travail, exorbitant, estinacceptable pour la collectivitéet hypothèque déjà l’avenir denotre pays.

Pourtant, l’élévation généraledes qualifications, les nouvellestechnologies de l’information etde communication (NTIC) lais-saient entrevoir un travail faci-lité, un contenu enrichi, débar-rassé de nombreuses de sescontingences. L’espoir était là :dans le passage d’un travail gagne-pain et contraint à un travailémancipateur voire épanouis-sant. Ces évolutions du salariatet du travail devaient libérer lestemps, accroître l’autonomiedes salariés, préserver l’équili-bre entre vie professionnelle etvie privée. C’était sans comptersur la course aux objectifs quipeu à peu s’imposait à tous lessalariés dans le secteur privé,

mais aussi dans le secteur public.Ces mêmes outils libérateurs sesont retournés contre ceux à quiils étaient destinés : reportingspermanents, objectifs imposésinatteignables, flicage, travail àdomicile, etc.En confisquant la valeur travail,la droite décomplexée au pou-voir n’a fait que discréditer lecollectif, entraver la pratique dela démocratie en entreprise etpromouvoir l’individualisme.Sous prétexte de compétitivité,des centaines de milliers de sala-riés ont été poussés vers Pôleemploi.

Quelles contradictions sontapparues tout au long de cesannées ? D’une part, les sala-riés se sont désengagés de l’en-treprise tout en restant moti-vés par leur travail. D’autre part,les intérêts des actionnaires,contre l’aspiration des salariésà de nouveaux droits restentnon seulement antagonistes,mais vident le travail de sonsens. Enfin, le choix de la baisseconstante du prix du travail,pour assurer la compétitivitédes entreprises, percute l’élé-vation continue des qualifica-tions en niant leur reconnais-sance, ainsi que leur paiementau juste prix.

DEFINANCIARISER LE TRAVAIL Seule une transformation dumode de management, au senslarge du terme, bâtira les condi-tions d’un regain économiqueet de sortie de crise.Il ne s’agit pas de gérer la crise,mais de se donner les moyensd’en sortir en partant de la réa-lité du travail et en s’appuyantsur la revendication montantedes salariés de bien travailler.Un nouveau management doitpermettre d' articuler progrèssocial et économique et respectenvironnemental. Il impliqueune « définanciarisation « du

Pour une nouvelle civilisationdu travail

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIEn TRAVAIL

36

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Définanciariser le travail, promouvoir unnouveau statut de l'entreprise et unmanagement alternatif.

Page 37: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

37

travail et une démocratisationde l’entreprise, afin de libérerl’engagement collectif, l’espritcritique et restaurer les méca-nismes contributifs.

Les prémices d’un managementalternatif émergent dans de nom-breuses entreprises, qui font dessalariés des citoyens acteurs dansleur travail et non des fantassinssacrifiés à la finance.Ces expériences concernent desentreprises aux statuts très dif-férents, mais portent des élé-ments de transformation en pro-fondeur : des pratiques demanagement coopératif, avecde nouvelles logiques, bien au-delà de l’économie sociale ; denouvelles visions de l’entreprise,mettant en cause la gouvernanceactionnariale ; de nouveaux typesd’interventions au sein mêmedu travail, pour une évolutionvers le bien-être, ébranlantdogmes établis et professés dansles écoles du management.

Ainsi, les entreprises qui met-tent en œuvre ces logiques dif-férentes, telles les coopérativesou les SCOP, maintiennent lesvaleurs majeures du travail etrésistent mieux à la crise. Leur« modernité » et leurs ambitionsprésentent des similitudes : asso-cier les salariés à leur gouver-nance, assurer une répartitionplus équitable de la valeur ajou-tée et parier sur une expertisedes salariés garante du dévelop-pement économique.

UN NOUVEAU STATUT DEL'ENTREPRISELa participation plus large dessalariés aux « process » de tra-vail, aux stratégies des entre-prises, nous amène à réfléchirà un statut juridique de l’entre-prise qui, pour le moment, seconfond avec celui de la sociétéde ses actionnaires. Des expé-riences sont en cours, même auroyaume du libéralisme quesont les États Unis. Ainsi, enCalifornie, depuis 2012 les entre-prises peuvent choisir une formede société flexible, « purposecorporation », valorisant le rôle

et les intérêts des salariés faceaux actionnaires.L’entreprise ne se réduit pas àdes contrats marchands et à uneaddition de centres de profits.Elle est une communauté bienplus riche, porteuse de poten-tiels, de création de richesses,d’innovations, de coopérationau cœur de nouvelles technolo-gies. Ses projets s’inscrivent dansle moyen et long terme.En France, des chercheurs repen-sent l’entreprise autour de qua-tre principes fondamentaux :mission de création collective ;établissement d’un statut de l’en-treprise ; existence d’un collec-tif engagé ; règles de solidaritéinspirée du droit maritime surles avaries.

Ce nouveau statut juridique per-mettrait, par exemple de faireobstacle à la « caporalisation »de la gouvernance et interdiraitaux actionnaires de s’opposerau développement des innova-tions de la R&D.Sortir de l’opposition mortifèreentre dynamique économiqueet dynamique sociale supposeun engagement collectif des sala-riés, une rupture avec les méca-nismes actuels de la sacro sainteévaluation, fondée sur l’indivi-dualisation à outrance et la miseen concurrence. Elle génère unautre paradoxe : son rejet par lessalariés et leur besoin de recon-naissance de leur travail.

Les attentes portent aussi sur undroit de refus et d’alternative,permettant aux cadres d’exer-cer leur responsabilité sociale.C’est en osant toucher au cœurdu fonctionnement de notresociété que se dessinera uneissue à la crise que nous traver-sons : crise de la société, crise del’homme, crise du travail… crisede l’homme au travail.Bâtir un management supportde créations de richesses et dedéveloppement humain appelledes logiques de rupture. Cettedémarche écarte aussi l’attentehypothétique d’un miracle oud’un grand soir en cherchant àêtre accessible à chacun dèsmaintenant.Face au dogmatisme idéologiqueambiant, plusieurs axes dessi-nent un management efficacepour l’avenir :-la reconnaissance des qualifi-

cations permettant leur pleinexercice et la revalorisation dela technicité ;

-des droits d’expression et d’in-tervention individuels et col-lectifs ;

-la conjugaison permanente desaspects sociaux, économiqueset environnementaux.

Ainsi, tout nouveau cadre macroé-conomique ne pourra se passerde l’exploration du travail réel.Et les mesures macroécono-miques, elles-mêmes, ne sontefficaces que si elles s’inscriventdans une transformation dumode de management et du tra-vail renouant avec la créationde valeurs et la démocratie.Prendre le pouvoir sur son tra-vail au plan individuel et collec-tif relève d’une dynamique quiest déjà en marche et crée d’au-tres conditions pour l’avenir.C’est le lien entre démocratie,travail et développement de notresociété qui attend bel et biend’être retissé.Ne faudrait-il pas engager uneréflexion qui, en amont des condi-tions du partage des richesseset du pouvoir, revendique lescapacités et les contributions àla décision des salariés ?Nous prônons un mode de mana-

gement qui porte le respect etla maîtrise des temporalités del’homme et de la nature, le déve-loppement des capacités à déci-der ensemble.

DIGNITE ET CITOYENNETE AUTRAVAIL Nous voulons qu’il reconnaisseles capacités à créer, à générerdu plaisir, un sens de la respon-sabilité dans les activitéshumaines.Ce management doit certes s’in-téresser à l’emploi mais aussi autravail. Il doit dépasser notam-ment le critère mutilant de l’em-ployabilité en recherchant lameilleure qualité du travail, ledéveloppement des capacitésdes personnes dans l’emploi(finalité du travail, conditionsde travail, relations profession-nelles, interprofessionnelles etterritoriales, qualifications, expé-riences singulières et collectives),ainsi que l’efficience des pro-cessus de travail (productivitéglobale, impacts sociaux et envi-ronnementaux, RSE).Nous voulons un managementqui reconstruise une considé-ration pour la femme et l’hommeau travail. C’est une question dedignité autant que d’efficacitésociale et économique.Une telle construction nécessitede changer de paradigme et demettre en place des logiquesnouvelles de sécurisation pourun nouveau statut du travail etde la qualification.À l’heure où la surexploitations’attaque au cœur du travail qua-lifié, le défi consiste clairementà travailler à son dépassementpour une nouvelle civilisationdu travail.En conjuguant qualification,coopération, création, partici-pation aux décisions dans l’en-treprise et la cité, ainsi que laprise en compte du devenir dela planète, ce management alter-natif débouche aussi sur unenouvelle phase de l’émancipa-tion humaine et de la démocra-tie.

*MARIE-JOSÉ KOTLICKI est secré-taire générale de l’UGICT-CGT.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Sortir de l’oppositionmortifère entredynamique économiqueet dynamique socialesuppose unengagement collectifdes salariés, unerupture avec lesmécanismes actuels dela sacro sainteévaluation, fondée surl’individualisation àoutrance et la mise enconcurrence.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 38: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

Longtemps négligé par les partis politiques, les nouvelles organisations du travail témoi-gnent de l’inventivité du capitalisme pour faire face aux limites du fordisme et à labaisse continuelle de la profitabilité. Ici le management « » (traduction : «

») décrypté et s’appliquant de manière invisible à tout notre appareil produc-tif et de services. Ces méthodes ont des conséquences sur la santé au travail, l’emploiet ont un impact écologique désastreux.

PAR ANNE RIVIÈRE*,

L e flux tendu par la réduc-tion des coûts et des stocksde marchandises entre

l’usine et le client se caractérise,à l’inverse du fordisme, par lepilotage d’aval en amont de lachaîne productive, au gré de lademande du client : du « juste àtemps », « juste la quantité néces-saire ».Avantages : le gain de place, decapitaux immobilisés, la percep-tion immédiate des défauts surles pièces à monter et la résolu-tion immédiate des problèmes,l’attention aux goûts du consom-mateur et des offres innovantesde la concurrence, pour la meil-leure réactivité possible. C’estce qui a fait les succès japonaisdes années 50 aux années 1975-80 grâce à des méthodes et inno-vations détaillées ci-après (voirschéma).

LES OUTILS SOCIO-PRODUCTIFS :Ces outils vont concourir à l’ob-tention du flux dit tendu. Cettetension innovante va se traduireconcrètement par l’absence derupture sur les points suivants :- pas de pannes (d’où préven-tion et planification pousséesde la maintenance : PPM)

- bonne qualité de toutes lespièces (qualité totale)- pouvoir vite changer d’outil-lage et de campagne de fabrica-tion (le SMED : single minuteexchange die)- améliorer en permanence l’ap-pareil productif (désigné par leterme japonais kaizen) par dimi-nution des coûts, en particulierde main-d’œuvre, en repérantet levant tous les blocages le longdes segments productifs. Ce repé-rage peut être systématisé enaccélérant le rythme artificiel-lement pour voir ce qui bloque.Ce système à plusieurs entréesest adaptable, à partir de n’im-porte laquelle de celles-ci, cha-cune générant l’appel aux autres.Jean Pierre DURAND dans sonlivre sur la « Chaine Invisible »appelle cela des outils socio-pro-ductifs.Exemple : la qualité, valeur uni-verselle que toute Direc tion peutfacilement faire partager una-nimement à ses salariés.

LE TEAM WORK (ÉQUIPE DETRAVAIL)Cette invention parachève lesoutils précités et met en œuvrela responsabilité collective dugroupe en charge du segmentproductif attribué, instaure lapolyvalence (substituabilité),

l’auto-organisation et la pres-sion des pairs, sous la respon-sabilité d’un team-manager, sortede moniteur, qui n’appartientpas à la hiérarchie, mais trèsmobilisé pour échapper - un jour– aux contraintes du flux tendu,il suscite mieux émulation etidentification qu’un « chef » clas-sique.La fragilisation induite par la res-ponsabilité augmentée et la vigi-lance sur les éléments de travailà se procurer va inciter les ouvriersà mobiliser leur force de travailet de proposition, partageant lesobjectifs économiques à traversdes contenus techniques, qui,par des pratiques immédiateset palpables vont rendre presque

superflus délégués et syndicatset favoriser l’identification aux« cols blancs ».La discipline y est assurée par leflux tendu mobilisateur lui-même,les contraintes viennent appa-remment de l’extérieur, elles fontpartie de la « nature des choses »,de même que les variations desindices boursiers des actions del’entreprise.L’encadrement, l’œil rivé sur lacroissance incessante de la pro-ductivité, s’occupe de « repor-ting », sous la pression de l’ur-gence, qui le remplace dans safonction disciplinaire. Il est lui-même dominé de fait par cettenouvelle organisation.

La révolution du flux tendu

38

n TRAVAIL

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Extrait du documentaire, de Jean-Robert Viallet,La mise à mort du travail.

Page 39: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

39

À l’extrême, l’idéal serait que lesouvriers proposent eux-mêmesdes solutions les excluant du sys-tème productif, pour aller versd’autres sphères de l’entreprise,ce qui était la règle au Japon avecle modèle de l’ « emploi à vie ».En Occident, la traduction a étéle « down-sizing », la réductiond’effectif systémique, avec leseffets que l’on connaît depuisles années 80 sur l’emploi.À cette période, l’intensificationde la concurrence en Europe surles prix, la qualité ET la variétéa provoqué une ruée des consul-tants au Japon et l’universalisa-tion progressive du système,étendu des véhicules aux pro-ductions de meubles, électro-ménager puis au tertiaire : lasatisfaction immédiate de lademande versatile en marchétrès concurrentiel requiert lamême dextérité et les mêmesméthodes rigoureuses d’orga-nisation du travail pour modi-fier le traitement des données :banques, assurances, adminis-tration, le tout sur fond de réduc-tion des coûts, de main-d’œu-vre en particulier.La réduction des coûts que per-met le « Lean » management (tra-duction littérale : management« sans gras »), sous couvert dedémarche scientifique, le MITayant par exemple produit unlivre sur le sujet, enchante mana-gers et actionnaires.

S’ensuit une véritable systéma-tisation du travail sous contraintede temps, grâce aux TIC (tech-nologie de l’information et de lacommunication), pour coordon-ner immédiatement les actionsdes machines et des hommesavec une efficacité démultipliée.

« tous dans le même bateau »,avec ses variantes et le chantagepermanent à la vente, ou la fer-meture ou la délocalisation.Pour parfaire cette nouvelle formed’organisation du travail, à unniveau individuel, s’y est ajoutéle modèle de la compétence, c.a.dla recherche d’individus démon-trant une aptitude à coopérer,supplantant la qualification : lemaintien en tension du fluxdevient une affaire collectivetout en évacuant les bases desanciennes solidarités : l’enga-gement des salariés n’est plusobtenu avec de meilleurs salaires,mais va fonctionner sur la repré-sentation mentale d’une condi-tion acceptée et des pratiques

immédiates, avec l’appoint desentretiens annuels d’évaluation.Rien n’autorise à penser quecette nouvelle organisation soitune forme stable ou définitivepour peu que soit révélé suffi-samment et réapproprié le poten-tiel ainsi dévoyé.

*ANNE RIVIÈRE est juriste et mem-bre du comité de rédaction

Le schéma ci-dessus, extrait du livrede J.P. Durand, La chaîne invisible,(édité par Le Seuil, 2004, réédité en2012.), résume les éléments de cettecombinatoire productive.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Par leur travail collectif de veilleet leur coopération étroite, leshommes produisent ainsi unevaleur supplémentaire, mais elleest littéralement captée, carjamais énoncée, ni rémunérée.Elle constitue, a pu dire Marx end’autres temps, une force socialenaissant de la coopération elle-même. Elle est efficace, à voir lahausse des Bourses accompa-gnant les statistiques du chô-mage ou de la précarité depuistrente ans. La réduction des coûtspermet de faire face aux exi-gences de la concurrence et demaximisation des profits et lapression du sous-emploi favo-rise cette « implicationcontrainte ». C’est l’adage du

Page 40: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

Plus de 270 000 salariés rien qu'en France. Plus nombreux que dans le secteur auto-mobile et ferroviaire réunis. Ils constituent une nouvelle forme d'organisation du travailqu'autorisent les TIC (technologies de l'information et de la communication), dansune recherche mondialisée d'économie sur le travail vivant. Les risques d'asservisse-ment sont importants, à la mesure de leur profitabilité.

PAR CHRISTELLE RISTANT*,

C e secteur en croissanceemploie en France,273 000 salariés répar-

tis dans plus de 3 500 entre-prises, dont près de mille exter-nalisées.

En 2010, Il a réalisé 7 Md€ dechiffre d’affaires, très concen-tré aux mains de multinatio-nales, comme Téléperformance,n° 1 mondial. En Europe : de 900000 à 1M 200 000 salariés. LeRoyaume uni et l'Irlande en ontfait une véritable industrie pourdes entreprises américaines oueuropéennes qui y trouvent unetrès grande profitabilité : cer-taines usines à téléphoneemploient jusqu'à 2 500 per-sonnes rivées à leurs écouteurs..

HISTORIQUELes centres d'appel se dévelop-pent à partir de la fin des annéessoixante dans le secteur desbanques, pionnières des NTIC,accompagnant les mutationsde cet univers ; à partir desannées quatre-vingt, une rup-ture s’amorce et s'engage unecompression des temps procé-duraux, pour des gains de pro-ductivité dont les back-offices(services administratifs) ferontles frais.

S'en suit un développementimpressionnant, qui est né dusouci d'entreprises très diversesde traiter les demandes de leursclients à distance, dans unerecherche conjointe de qualitéet de réduction de coûts. Vucomme une manne d'emploisà partir de 2000, encouragé àun niveau ministériel, ce sec-teur marque le pas, collectantopportunément les aidespubliques à l'installation offertespar les collectivités sinistréespar les délocalisations indus-trielles ou en panne de crois-sance, pour réduire encore lescoûts et même licencier à l'oc-casion, ce qui tend à réduire lasuprématie de la région pari-sienne (18 % des entreprises)et permet de réduire les salaires.

UNE NOUVELLE FORMED'ORGANISATION DU TRAVAILLe contact téléphonique doitêtre efficace, individualisé, àpartir de processus standardi-sés ou scénarisés. Le but recher-ché est de conserver le clienten répondant à sa demande, etde prélever en temps réel et enune seule fois toutes les infor-mations nécessaires pour unusage futur ou une nouvelleoffre personnalisée. Elles sontdevenues un élément straté-gique de la relation-client ou

de la valeur clientèle dans uncontexte hyperconcurrentiel,qui se bâtit au présent et aufutur : aussi importante que leproduit ou la prestation ven-due..Dans une société de l'ins-tantanéité, il est plus rentablede fidéliser un client déjà conquis.Dans les centres d'appels pres-tataires, la maîtrise poussée dela prestation du salarié, quiincarne le donneur d'ordres etson image, est un enjeu de taille,mais l'est aussi la maîtrise ducomportement du client. Il fautgérer ses réclamations et leconvaincre de l'attention por-tée à sa personne, sans en avoirparfois les moyens.

Techniquement c'est le cou-plage du plateau téléphoniqueavec l'ordinateur et les réseauxinformatiques, eux-mêmes réor-ganisés, qui a permis l'indus-trialisation de cette forme deservice, externalisée sous la

forme du centre d'appel pres-tataire, accompagnée de diversesinnovations organisationnelles.La mise en place de cette nou-velle organisation du travailrépond à plusieurs exigences :- l’orientation appropriée desappels, souvent par des sys-tèmes automatiques vocaux,pour économiser encore sur letemps de travail vivant.- l'accès informatique immé-diat aux informations utiles etpertinentes pour répondre parexemple à une demande de prêtà la consommation sans délaid'attente.Ces moyens techniques renfor-cent l'efficacité de la réponse,sauf mauvais réglage !

DIVERS TYPES DE SERVICESL'activité des téléopérateurs s'ins-crit à la fois dans l'impatiencedu client-consommateur qui aun problème d'après vente (car-refour, FNAC, V.P.C. Télécomsetc. ) ou de dysfonctionnementsdivers (hot-lines, à toute heure) :ce sont les appels « entrants »,utiles aussi pour des servicesd'assistance variés. Aide aux per-sonnes handicapées ou âgées,service de dépannage pour lesascenseurs ou service de consul-tations juridiques, de santé, ser-vices publics. Dans la stratégiemarketing des « appels sortants »,

Les centres d’appel : prolétaires invisibles

40

n TRAVAIL

C'est le couplage duplateau téléphoniqueavec l'ordinateur et lesréseaux informatiquesqui a permisl'industrialisation decette forme de service.

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 41: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

41

des donneurs d'ordres soucieuxd'obtenir des rendez-vous pourplacer des contrats de servicesdivers confient cette mission ensous-traitance à un centre pres-tataire externe qualifié et struc-turé : par exemple, des conseilsen « défiscalisation » qui recher-chent des clients, commerçantsdésireux de vendre divers pro-duits de substitution aux partsde marché de concurrents,conseils en produits bancairesou d'assurances. Cela peut setraduire par des journées de 250appels pour quelques rendez-vous : ce sont aussi les appelsdes démarcheurs à domiciles,plus ou moins bien vécus par lesclients cibles. Certains centrescombinent les deux aspects etil est difficile de les répertorieravec exactitude.

UN TRAVAIL SOCIALEMENTUTILE MAIS COMPLETEMENTPERVERTI L'activité du téléopérateur aindéniablement une utilitésociale non réductible à celled'une machine humaine par-lante à qui une autre machinesoufflerait son discours.Cependant les techniques decontrôle utilisées peuvent êtremal vécues : système de doubleécoute d'une conversation,appels de clients mystères quiconfèrent au salarié le senti-ment d'être sous contrôle per-manent. Il en est toujours jus-tifié par un souci d'améliorationou de formation par lesemployeurs ou donneurs d'or-dres, dans un consensus qui niele vécu du téléopérateur et sonengagement, ce qui facilite desrémunérations basses. Il estdemandé aux téléopérateurs del'empathie et du savoir-être : ilsdoivent faire entendre leur sou-rire...surtout aux mécontentset maîtriser leurs émotions touten remplissant leurs objectifsà des rythmes élevés, tenir lestemps de conversations impo-sés.Est rarement évoquée la ques-tion du respect de la liberté oude la vie privée du client.Rechercher une possible alliance

du Client et du téléopérateurne ferait-il pas apparaître desintérêts communs ?

LES RISQUES D'ASSERVISSEMENTLe plateau téléphonique évoqueune vision caricaturale, loind'être usurpée, à écouter lestémoignages des salariés rela-tant leurs expériences, lors d'unepremière réunion syndicaleinternationale qui a fait date àSaint Denis en avril 2012 ;Un deuxième indice de la formed'asservissement que cette acti-vité peut facilement susciter estl'inventaire des divers risquesd'atteinte grave à la santé des

salariés que l'INRS a réperto-riés.Il s'agit d'une concentration decontraintes :– plateaux bruyants, faiblesespaces entre les téléopérateurs,ports de casques, panneau d'af-fichage lumineux permanent,qui restitue en continu la pré-sence d'appels en attente ouperdus, horaires irréguliers ouatypiques,– contraintes physiques postu-rales : position assise en ten-sion pour l'écoute, avec risqued'apparition de TMS : douleursdorsales, lombaires, insuffi-sances circulatoires, soucis oph-talmiques.– contraintes psychiques : scriptsà suivre, logiciels bridés, contrôlepermanent des temps, enjeudes temps de pause entre chaqueappel, nombre de dossiers trai-tés, double écoute, exigence dequalité, incidents à gérer.– contraintes comportemen-tales : sourire obligatoire, empa-

thie, dissimulation d'identitépour les téléopérateurs déloca-lisés et méthodes parfois infan-tilisantes pour avoir une pause.Le stress, l'anxiété, la fatiguepeuvent susciter troubles diges-tifs ou syndromes dépressifs.S'y ajoute un manque de recon-naissance, tant en salaire qu'enperspective de carrière, qui favo-rise le turn-over et les difficul-tés de syndicalisation. Et ce d'autant qu'il s'agit d'unepopulation jeune en majorité,étudiante, féminine à 66 %, sou-vent issue de l'immigration enFrance, marquée par les diffi-cultés d'accès à un premieremploi et désireuse de se for-ger une expérience.En Tunisie et au Maroc, en l'ab-sence de débouchés locaux suf-fisants pour les jeunes diplô-més, elle constitue un palliatif(ou un enfermement ?) et per-met aux donneurs d'ordres derésoudre l'équation d'une pres-tation de qualité, à faible coût(30 % de moins), très flexible entermes d'horaires, de précaritéou en cas de mouvementssociaux, car les flux d'appelspeuvent être basculés.

LE MOTEUR : LA GESTION EN« FLUX TENDU » (« JUST INTIME ») La comparaison avec le seul tay-lorisme, avec la notion de pla-teau-usine, ne rend pas comptede la part irréductible, maisdéniée de l'effort personnelfourni par le salarié pour s'adap-ter à tous les publics, qui requiertune bonne compréhension dela demande, puis des capacitésde compréhension des réponsesfournies et recherche d'une solu-tion conforme. Il s'agirait plu-tôt d'une extension du modede production en « juste à temps» dans lequel c'est la demandequi impulse l'activité ou la réac-

tivité et au final la profitabilité: le donneur d'ordre attentif auxretours des téléopérateurs peutanalyser attentivement les pro-blèmes qu'il entend résoudrerésultant de son organisationou de la qualité de la prestationqu'il vend. Certains centres d'ap-pel peuvent connaître des situa-tions très dégradées fauted'écoute attentive des réclama-tions et de solutions, ce quiaboutit à des pertes de contratset des délocalisations, alorsqu'être moins cher n'est pas laréponse au problème de clientsmécontents. Naturellement, la marge d'au-tonomie est variable selon lesecteur d'activité et le niveaude qualification des téléopéra-teurs. La dominante reste uneconcurrence très sensible à tousniveaux : entre pays, entre cen-tres d'appels, entre salariés dumême centre et l'isolement dechaque téléopérateur en rela-tion étroite avec son managerpour arriver à ses objectifs yparticipe.

ALORS, EMPLOI OU METIER ?Une Convention collective a étéélaborée, dans un secteur quiconcentre flexibilité, précarité(25 % d'intérim à Téléper -formance), faiblesse des rému-nérations et absence de pers-pectives de carrière. Lasyndicalisation peut contrer lesaspects les plus négatifs pourles conditions de vie et de santéau travail et de louables cam-pagnes sont engagées, notam-ment par la CGT, pour conqué-rir des droits nouveaux, unereconnaissance et des évolu-tions de carrières.

*CHRISTELLE RISTANT est syndica-liste, étudie les questions liées à l'or-ganisation du travail.

Population jeune enmajorité, étudiante,féminine à 66 %,souvent issue del'immigration enFrance, marquée parles difficultés d'accès àun premier emploi.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 42: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

Secteur historique en vallée du Rhône, le textile peut être un levier de réindustrialisa-tion. Plongée dans une entreprise employant une centaine de salariés, entre capi-talisme sauvage et promesses d’avenir.

PAR THIERRY CHANTRIER,ET SÉBASTIEN ELKA*,

UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE Les soieries lyonnaises et lesrévoltes des canuts ont joué unrôle important dans notre his-toire industrielle et sociale. Pouralimenter ces soieries c’est toutela vallée du Rhône au sud deLyon qui dès le XIVe siècle a cul-tivé le mûrier et développé l’éle-vage du ver à soie. En Drôme eten Ardèche, cette tradition séri-cicole a favorisé au XIXe sièclel’émergence d’une filière tex-tile longtemps florissante, dontles déboires des 30 dernièresannées ne sont heureusementpas venus complètement à bout.À Valence, seule Reyes-Verdol,dernier fabricant Français demachines de câblage/retordagepour l’industrie textile, est par-venue à traverser tant bien quemal cette histoire mouvemen-tée. Fondée au début du XXe siè-cle sous le nom de Victor Pain,elle devient Pain-Bourgeas avantd'atteindre un rayonnementinternational sous le nom d’ACBFpuis de fermer en 1984.L’entreprise poursuit néanmoinsses activités sous l’étiquetteICBT, comme agglomérationdes activités des fabriques ARCTde Roanne et Verdol de Lyon.Puis en 2000, ICBT est vendueau groupe Suisse RIETER qui larenomme RIETER-ICBT puis,décidant en 2006 d'abandon-ner les fils synthétiques, la meten vente. Rachetée par ses cadres,elle continue à produire sous

un nouvel acronyme, RITM,qu’elle conservera sous le règnede trois actionnaires différents,affrontant deux passages au tri-bunal de commerce avant d’êtremise en 2010 en redressement,repris par le fonds d'investisse-ment BAVARIA sous le nomSwissTex, puis en 2012 en liqui-dation judiciaire. Elle est enfinrachetée par le groupe ardé-chois Reyes qui la découpe arti-ficiellement en trois entités,dont Reyes intégration pour laproduction et Verdol pour larecherche et développement.

À l’issue de cette éprouvanteépopée si caractéristique ducapitalisme contemporain, cesont encore aujourd’hui presqueune centaine de salariés quiconçoivent et produisent àValence des machines pour l’in-dustrie textile, exportées à plusde 95 %. En 2012, année de laliquidation judiciaire, ont encoreété conçues et produites loca-lement 156 machines « fil deverre », chargées sur des camionsjusqu’à Marseille, expédiées parbateau jusqu’en Chine puis ins-tallées et paramétrées sur sitepar les installateurs valentinois.

UN SECTEUR D'AVENIRPOURTANT EN MANQUE DEFINANCEMENTLà est le scandale : l’entreprisea enchaîné les difficultés, maissans jamais manquer de travail.Le marché des machines pourle textile est porteur, tourné versl’exportation. Les pays émer-

gents ont besoin d’équipementsperfectionnés pour leursimmenses usines. Quels qu’aientété ses noms successifs, l’en-treprise a su conserver son savoir-faire et ses compétences, sestechnologies et son image. Sescarnets de commandes sontrestés bien remplis, mais ce sontles financements qui ont man-qué : la trésorerie et l’investis-sement.

Car si le textile est un vieux sec-teur, l’un des premiers à avoirporté la Révolution Industrielle,c’est aussi – et de plus en plus –

un secteur de haute technolo-gie. Les matières premières chi-miques (polyamide, polyester,aramide, élastanne, etc.) ou miné-rales (carbone, silice, verre, métal,céramique) sont de plus nom-breuses à côté des fibres natu-relles (coton, lin, jute chanvre,laine, soie). Et le recyclage ou lademande de performances tou-jours plus poussées alimententla recherche permanente de nou-velles matières, combinaisons

de matières et nouveaux procé-dés : nano-fils, fibres synthé-tiques d’origine naturelle, fibresoptiques tissables… Au-delà, laproduction, le traitement et lamise en forme finale des pro-duits textiles alimentent desapplications extrêmement variéeset pointues. Les tissus d’habil-lement ou d’ameublement sontles mieux connus et demeurentpeu innovants, mais les textilestechniques, industriels ou médi-caux, réalisent des prouesses.Les composites qui allègent lesavions et autres transports sontdes tissages de fibres de carbone.

Les écrans souples intégrés à destissus permettent d’envisagerd’innombrables applicationsprofessionnelles ou grand public.Et dans le secteur médical, lespropriétés antibactériennes,cicatrisantes ou la dégradabilitémaîtrisée des textiles appuientl’évolution des pratiques théra-peutiques.

Chacune de ces innovationsreprésente non seulement de

Textile en Drôme-Ardèche, réinvestir l’avenir

42

n ENTREPRISE

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

L’entreprise a enchaîné les difficultés, mais sansjamais manquer de travail. Le marche des machinespour le textile est porteur, tourne vers l’exportation.Les pays émergents ont besoin d’équipementsperfectionnés pour leurs immenses usines. Sescarnets de commandes sont restés bien remplis, maisce sont les financements qui ont manqué : latrésorerie et l’investissement.

Page 43: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

43

nouveaux produits et services,mais de nouvelles chaînes deproduction, de la création devaleur, des emplois. À condi-tion que les entreprises qui ontla compétence pour porter cesinnovations soient en mesurede s’y engager réellement. Àcondition qu’elles accèdent auxinvestissements nécessaires –et le cas de Verdol/Reyes àValence montre bien combiencette condition est loin d’êtreaisément remplie ! – mais aussiqu’elles ne s’y engagent passeules.

UNE COORDINATIONNÉCESSAIRE DE TOUS LESACTEURS DE LA FILIÈRECar au-delà de l’accès aux capi-taux, de nombreux projets indus-triels ne voient jamais le jourfaute de partenaires capablesde fournir les matériaux néces-saires, de fabriquer les machinesadaptées, d’organiser la distri-bution adaptée, de former per-sonnels et clients, etc. Pour unesociété comme Reyes Intégration,les achats représentent jusqu’à80 % des coûts de productiond’une machine. Le savoir-fairede l’entreprise est la définition

et l’assemblage des modules detêtes de retordage sur des corpsde machinerie, mais la tôlerievient de République Tchèque,les moteurs Leroy Somer derégion parisienne, les conver-tisseurs de fréquence d’Ecosse,etc. Les fils retordus par cesmachines pourront ensuite êtrepar exemple tissés sur les métiersdu Suisse Staubli, eux-mêmesopérés par un fabricant chinoisou bengladais… Pour qu’unnouveau type de tissu voie lejour, il faut chaque fois que tousces acteurs et bien d’autres aientpris en charge une part des évo-lutions : nouveaux fils, nouvellesfréquences de rotation, nou-velles formes de machines, flexi-bilités, polyvalences, réflexionssur l’usage par le client final…

Dans des chaînes industrielleset commerciales aussi éclatées,on comprend l’importance dela coordination entre les acteurs.Verdol/Reyes participe pourcela à des initiatives telles quele soutien – avec une dizained’autres petits industriels – dela petite plateforme de recherchesur les fils fonctionnels P2F, réu-nissant quelques ingénieurs et

techniciens à Flaviac en Ardèche.Labellisée par le pôle Techterra,cette plateforme commune estsoutenue par des fonds euro-péens (au nom de la « réindus-trialisation par l’innovation »alors que l'existant n'est passoutenu, au nom de la libertédes affaires !), mais aussi minis-tériels, régionaux (les textilestechniques et médicaux sontune spécialité Rhône-Alpine),départementaux et municipaux.

Or tous ces parrains saupou-drent sans vision industriellepartagée et quasiment sanscontrôle, laissant les entreprisesprétendre répondre aux butsofficiels de ces aides alors qu’ellesn’agissent souvent que dansl’intérêt à court terme de leursactionnaires. Ainsi la petite pla-teforme ardéchoise est sansdoute une initiative de collabo-ration intéressante, mais par-tagée entre dix entreprises etde trop nombreux financeurs,face à des interactions indus-trielles totalement mondiali-sées et après des décennies d’in-stabilité, on peut douter qu’ellesoit de taille à jouer le véritablerôle de catalyseur de progrès et

de développement économiquepar le progrès technique dontses membres auraient besoin !

Reyes-Verdol et la filière textileDrôme-Ardèche se trouventdonc sans doute à un momentcharnière. L’argent privé faitdéfaut, les guichets publics sau-poudrent et des multiples struc-tures de « gouvernance » où l’ondevrait débattre de vision et deprojets stratégiques de longterme, l’on ne voit rien sortir.Sauf que les employés de cesentreprises, qui ont traversé tantd’épreuves et montré dans leursluttes à de nombreuses reprisesqu’ils ne manquaient pas d’idéespour développer leurs entre-prises, ne sont jamais représen-tés dans ces cercles. La réindus-trialisation de la vallée du Rhônene se fera pas sans eux.

*THIERRY CHANTRIER esttechnicien et syndicaliste CGT chezReyes Intégration.SÉBASTIEN ELKA est responsablede la Commission EntreprisesIndustrie du PCF Drôme.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 44: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Les auteurs, écologistes scientifiques, posent ici les questions et informations néces-saires pour aborder le débat sur la transition énergétique. Ils démontrent pourquoi lediscours en vogue autour de l'autonomie énergétique régionale est une illusion.

PAR JEAN-CLAUDE CAUVIN,ET LUC FOULQUIER*,

L’ accès à l’énergie condi-tionne pour un pays sondéveloppement écono-

mique et social. Ce doit être undroit pour tous. La satisfactionde ce besoin implique une soli-darité entre les pays dans lemonde.

QUELLE TRANSITION ? QUELDÉBAT ?Avant 2050, la Terre compteraenviron 2 milliards d’habitantsde plus, essentiellement dansles pays en voie de développe-ment. Ils auront besoin d’éner-gie.Aujourd'hui 2 milliards d'êtreshumains n'ont pas accès à l'élec-tricité, huit millions de personnes,en France, sont considérées enprécarité énergétique.Réduire ces inégalités crianteset accompagner la croissancedémographique constituent undevoir pour un pays comme laFrance.

Alors que 80 % de la consom-mation primaire d’énergie [1]mondiale repose sur les éner-gies fossiles carbonées (char-bon, pétrole, gaz), l’humanitéest confrontée à l’épuisement

de ces ressources fossiles et auchangement climatique lié à leurcombustion.La prise en compte en prioritéde ces données fondamentalesest incontournable pour une"transition énergétique" réus-sie.

Malheureusement le débatengagé par le gouvernement estloin de répondre à ces exigences.Un premier problème concernesa durée : le niveau des enjeuxet la complexité des problèmesméritaient que l’on se donneplus de temps pour permettreune véritable maîtrise citoyenne.Mais avant même que le débatn' ait lieu, une série de décisionsstructurantes ont été prises ouannoncées telles que la loi surla tarification progressive del’énergie, la diminution de 75 à50 % de la part du nucléaire dansla production d’électricité, l’ar-rêt de Fessenheim, le lancementde grands projets d’éolien-offs-hore et de parcs photovol-taïques…

Depuis, le débat, piloté par lesrégions, est le plus souvent confinéà la déclinaison locale d’un seulscénario (NégaWatt) alors quebien d’autres scénarios existent.Construit sur le préalable de sor-

tie du nucléaire, il s’appuie surune réduction drastique de laconsommation et un dévelop-pement irréaliste de l’éolien, dusolaire photovoltaïque ou de labiomasse. Le risque est grandd’ignorer les enjeux mondiauxet de se focaliser sur la seule pro-duction nationale d’électricité– oubliant notamment les trans-ports et le logement – avec uneopposition stérile entre énergiesrenouvelables (EnR) et nucléaire.Comment ne pas y voir unevolonté d’instrumentaliser ledébat pour valider une feuillede route préétablie et ne per-mettant pas une vision d’ensem-ble des enjeux ?

L’ÉOLIEN ET LEPHOTOVOLTAÏQUE :INÉPUISABLES ? GRATUITS ?Ce détournement du débat s’ap-puie sur quelques idées en appa-rence simples qui rendent par-ticulièrement séduisantes lesEnR : soleil, vent, eau des fleuves,courant marin… sont des res-sources familières présentes sousnos yeux. Elles existeront tantque le soleil brillera, puisqu'ilest à l'origine de toutes. Présentesen tout point du territoire, ellessont un don gratuit de la natureet semblent offrir une sécuritéd'approvisionnement donnantnaissance au concept d’énergie“décentralisée”.Ce serait tellement bien si leschoses étaient aussi simples !Mais pour être utile, l’énergiedoit être transformée. Et là, leschoses se compliquent très vite !Certes vent et soleil ne coûtentrien en eux-mêmes et sont iné-

puisables, mais pas les moyensde production permettant leurexploitation et encore moins lesmatériaux nécessaires à leur réa-lisation.Pour les aimants d’éoliennes, lespanneaux photovoltaïques, lesbatteries et, en général, toutesles nouvelles technologies, onutilise les "terres rares". Il s’agitlà de matériaux hautement stra-tégiques dont la moitié desréserves mondiales est détenuepar la Chine qui contrôle 90 %du marché. « La réduction de ladépendance à une ressource (lepétrole et le gaz) nous conduit àcréer une autre dépendance (lesmétaux) dont les problématiquesde finitude et de maîtrise géopo-litique sont tout à fait analoguesà celles des énergies fossiles ». [2]Au stade actuel, le coût des éner-gies éoliennes et photovoltaïquesest de loin l’un des plus élevés.Si des marges de progressionexistent, elles ne peuvent pas-ser par les logiques actuelles quioffrent à des investisseurs pri-vés une niche de rentabilité garan-tie avec le seul but d'un gainimmédiat. Cette situation, baséesur une obligation de rachat parEDF à un tarif garanti et un sur-coût répercuté sur l’ensembledes consommateurs, conduit àune bulle financière qui ne man-quera pas d’exploser alors qu’ilfaudrait bâtir de véritables filièresindustrielles. C’est ainsi qu’en2013, ce surcoût (pour moins de4 % de la consommation totaled’électricité) représentera enFrance pour les consommateursau moins 3,6 milliards d’euroset pour nos amis allemands au

Énergies renouvelables, le mythede l'autonomie

n ÉNERGIE

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ44

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Le niveau des enjeux et la complexité des problèmesméritaient que l’on se donne plus de temps pourpermettre une véritable maîtrise citoyenne. Mais avantmême que le débat n'ait lieu, une série de décisionsstructurantes ont été prises ou annoncées.

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 45: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

moins 18 milliards (pour 18 %de leur consommation totale).Ces aides seraient sûrement plusutiles pour engager les projetsexistants de nouvelles STEP [3]ou pour financer la recherche,plutôt que l’installation de pan-neaux photovoltaïques utilisantles technologies actuelles à fai-ble rendement, le plus souventimportés de Chine. Mais cela seheurte à la volonté d’ouvrir denouveaux marchés.

LE DIFFICILE PROBLÈME DEL’INTERMITTENCELe photovoltaïque et l’éolien ontune caractéristique intrinsèquelourde de conséquences sou-vent sous-estimée dans lesdébats : l’intermittence et soncaractère particulièrement aléa-toire pour l’éolien. Comme nousne savons pas, ou que de façontrès limitée, stocker directementl’électricité, la production doits’adapter en permanence et ins-tantanément à la demande. Cecisuppose que le gestionnaire duréseau dispose à tout momentd’une réserve de puissance com-plémentaire et que son réseaului permette d’interconnectertrès rapidement les divers outilsde production.

Ces moyens complémentairespour faire face à l’intermittence,comme l’investissement dansle réseau, vont impacter le prixdu KWh. Ainsi, l’Allemagne pré-voit 4 000 km de réseaux sup-plémentaires pour acheminerl’électricité d’origine éolienneproduite dans le Nord jusqu’auSud du pays : coût estimé, 45 mil-liards. Qui va financer ces réseaux? Quel sera l’impact sur le coûtfinal de l’électricité produite ?Mais le problème n’est pas sim-plement financier, il est égale-ment technique. Des produc-tions d’énergies fluctuantes tropimportantes entraînent des dif-ficultés dans la gestion du réseauqui peuvent conduire à des insta-bilités, voire des écroulements,en cas de surproduction commede sous-production. Pour faireface à ces risques, on avance lanotion de réseaux "intelligents"("smart Grid") permettant deconnaître à tout instant la

demande. Les tenants du libé-ralisme les présentent commeun degré de liberté supplémen-taire de l’usager pour gérer saconsommation et changer plusfacilement de fournisseursconcurrents. En fait le "client"n’aura le choix qu’entre des offresplus chères et ces réseaux per-mettront aux distributeurs depiloter à distance des réductionsde consommation imposées àl’usager. Cette notion de réseau renvoieà l’affirmation qu’il faudrait pas-ser d’un modèle caricaturécomme "centralisé et jacobin"à un modèle "décentralisé". Enpratique toutes les productionsdoivent converger vers un réseauqui n’est, ni centralisé ni décen-tralisé, mais maillé. Il est tota-

lement faux d’imaginer résou-dre les questions énergétiquesuniquement au niveau local avecles EnR. Bien au contraire, pluselles vont se développer, plusgrande encore sera la nécessitéde suréquiper les réseaux (y com-pris au niveau européen) pourpallier l’intermittence.Filières prometteuses, photo-voltaïque et éolien ne pourrontréellement se développer qu’avecun important effort de recherche(stockage de l’énergie, maté-riaux,...) en complémentaritéavec les autres sources d'éner-gie. Leur implantation ne sau-rait être anarchique au gré dulobbying, notamment auprèsd’élus. Cette cohérence d’en-semble n’est possible que dansle cadre d'un grand pôle publicde l'énergie permettant d'opti-miser l’exploitation d’un parcsolaire ou de fermes éoliennes,dans le cadre d’un maillage arti-culant les niveaux territorial etnational. C’est toute la problé-matique de la maîtrise publiqueet de la volonté politique qui estainsi posée.

L’autonomie énergétique d’unecollectivité ou d’une région estun leurre et un danger. Elle ouvrela voie à l’éclatement des pro-ductions et des producteurs, elleconduit inéluctablement à l’im-possible programmation d’in-vestissements à la complémen-tarité indispensable, c’estl’abandon de la péréquation tari-faire et du tarif réglementé, c’estl’accentuation des déséquilibresentre régions pauvres et régionsriches… C’est fondamentale-ment la mise en cause du ser-vice public national.

UN ENJEU POLITIQUE, LACASSE DU SERVICE PUBLICLa régionalisation de l’énergieconstituerait une régressionmajeure par rapport à ce qui aété construit en 1946 avec uneentreprise "intégrée" mettanten cohérence production, trans-port, distribution, recherche etstatuts des personnels assurantun accès égal à tous à l’électri-cité et au gaz par la péréquation

tarifaire, et permettant à l’indus-trie française de bénéficier detarifs bas et d’énergies de qua-lité.Nous retrouvons dans ce domaineles mêmes choix politiques queceux qui président à l’acte III dela décentralisation. Ils condui-sent à l’amoindrissement du rôlede l’État et à la mise en causedes services publics. Ils visent àimposer l’Europe des marchéset sa politique austéritaire avecla mise en place de régionsconcurrentes. Ils trouvent leursracines dans l’idéologie libéraledu chacun pour soi et relèventd’une conception de la sociétéfaite d’individus isolés et, en fait,de concurrence, et non d’unesociété fondée sur les échangeset la solidarité avec égalité d’ac-cès aux services.Pour faire face à ces enjeux, lescommunistes ont décidé de« (participer) activement au débatpublic national parce que lesenjeux énergétiques ne sauraientêtre traités de façon éclatée dansles territoires régionaux, maisavec la volonté d’une maîtrisepublique complète grâce à unservice public national. » [4].

*JEAN-CLAUDE CAUVIN est ingé-nieur ECP, LUC FOULQUIER est cher-cheur en écologie.

[1] Énergie primaire : ensemble desproduits énergétiques non transformés(pétrole brut, charbon, gaz naturel,énergie hydraulique ou provenant de lafission de l’atome, du rayonnementsolaire, du vent…)Énergie finale : énergie livrée à l’usagerpour sa consommation (essence à lapompe, électricité au foyer,...)[2] «Quel futur pour les métaux ?» dePh. BIHOUIX et B. DE GUILLEBON auxéditions EDP Sciences, octobre 2010[3] Les STEP (Station de Transfertd’Électricité par Pompage) sont desinstallations hydroélectriques particuliè-rement adaptées, grâce à leur fonctionde stockage, à maintenir l’équilibreentre production et consommation surle réseau, Deux grands projets portéspar la CGT (Hydr’Alu en Savoie etRedenat en Corrèze) sont aujourd’huien suspens. [4] « l’Humanifeste du Parti commu-niste français» - Texte d'orientationadopté par le 36e congrès du PCF,10 février 2013

45

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

L’Allemagne prévoit 4 000 km de réseauxsupplémentaires pour acheminer l’électricité d’origineéolienne produite dans le Nord jusqu’au Sud du pays :coût estimé, 45 milliards. Qui va financer cesréseaux ? Quel sera l’impact sur le coût final del’électricité produite ?

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 46: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

«Gérard Le Puill, auteur de l'ouvrage Demain nous aurons faim, explore à quellesconditions l'humanité pourra se nourrir : elles passent par la prise en compte des réa-lités agronomiques.

PAR GERARD LE PUILL*,

Depuis une cinquantained’années l’agriculture aconnu une modernisa-

tion considérable avec une crois-sance exponentielle de la pro-duction par unité de travail. Lamécanisation des travaux, lasélection génétique des animauxet des plantes cultivées pour lesnourrir, le recours massif auxengrais chimiques, aux herbi-cides, fongicides et autres insec-ticides ont fait croître les rende-ments agricoles de manièrelinéaire du début des annéessoixante à la fin des années 90.Le recours à l’informatique pourmieux définir la ration alimen-taire des vaches laitières ou lesanimaux de boucherie, voire auxsatellites pour mieux doser lesengrais sur différentes parcellesa aussi participé au progrès dela productivité en agriculture.

Pourtant, les choses se compli-quent depuis une bonne dizained’années et rien n’indique quel’utilisation des biotechnolo-gies sera la solution miracle desprochaines décennies pour boos-ter la productivité de notre agri-culture. Pourquoi ? Une bonnepartie de la réponse se trouvedans cette phrase tirée du livredu géographe américain JaredDiamond publié en Français en2006 sous le titre « Effondrement»(1). « On peut exploiter indéfi-niment des ressources renou-velables pour autant qu’on lesemploie à un niveau inférieurà celui de leur régénération,sous peine sinon de les épuisercomme l’or d’une mine ».Tout est dit en quelques mots

et beaucoup de nos terres céréa-lières sont exploitées aujourd’huià un niveau supérieur à celuide leur régénération. De même,des vaches sélectionnées pourproduire plus de 10 000 litresde lait par lactation ont étébidouillées comme des voituresde Formule I. On a oublié qu’ils’agissait d’animaux chez les-quels les transformations phy-siologiques induisent souventune souffrance quotidiennepour atteindre ce niveau de pro-ductivité. Ces vaches sont pro-ductives durant trois ans enmoyenne contre dix ans et pluspour celles issues des races àviande qui allaitent leur veau.Pour être durable l’agriculturedoit concilier l’économie, l’agro-nomie et l’écologie. La tendancedes 50 dernières années a étéde ne voir que l’économie enoubliant l’agronomie et l’éco-logie qui assurent l’équilibre dutrépied. Voilà pourquoi il ne fautpas attendre trop de miraclesdes biotechnologies dans la pro-duction agricole dès lors queleur utilisation est détournéepour accélérer l’épuisement dessols afin d’accroître les profitsle plus vite possible.

QUID EST DES OGM ?À ce propos, le débat sur l’uti-lité supposée des organismesgénétiquement modifiés(OGM)est trop rarement placé sur lebon terrain. On discute sans finsur la dangerosité ou non desOGM, ce qui est légitime. Maison ne se pose guère la questionde savoir si les OGM actuelle-ment cultivés dans le mondeont une réelle utilité écono-mique à ce stade.

Pour la culture du soja commepour celle du maïs, les OGMnous donnent des plantes résis-tantes aux herbicides. Cela per-met de pratiquer une monocul-ture qui dégrade l’état des solsà plus long terme. Les retoursd’expérience aux États Unis, auBrésil et en Argentine montrentque les « mauvaises herbes » trai-tées au Roundup de Monsanto

deviennent aussi résistantesaux herbicides par une sorte demutation progressive.Lors qu’un colloque de scien-tifiques tenu à Paris le 4 octo-bre 2012, il a été démontré qu’unmaïs OGM sélectionné pour sarésistance à la sécheresse avaitdonné sur 700 essais dans desÉtats du Corn Belt américaindes rendements moyens supé-rieurs de 7,1 % à ceux du maïsnon OGM sur les mêmes par-celles dans des conditions sèchessans irrigation.Quiconque connaît un peu laculture du maïs comprend aisé-ment que cette différence derendement compensera diffi-cilement la différence de prixentre la semence OGM et lasemence non OGM dès que lerendement diminuera de 20 %pour cause de déficit hydrique.Et quand le rendement dimi-

nue de moitié comme ce fut lecas dans plusieurs États amé-ricains affectés par la séche-resse en 2012, OGM ou pas, leproducteur de maïs perd de l’ar-gent. Sans eau, les rendementsne sont jamais au rendez-vous.Mais cette question de bon sensfut totalement occultée par l’as-semblée de chercheurs quidébattaient à Paris.

La sélection végétale et animalea tellement permis d’accroîtrela productivité de l’agriculturedurant cinquante ans que l’es-poir de la voir se poursuivre demanière linéaire est devenu unecroyance. Au point que les ques-tions éthiques liées au bien-êtreanimal sont occultées, toutcomme la diversité du patri-moine génétique des bêtes etdes plantes.Il est indispensable que les cher-cheurs disposent de moyenspour travailler sur les biotech-nologies en agriculture commedans les autres secteurs d’acti-vité. Mais il faut en même tempsgarder les pieds sur terre etadmettre que les arbres ne mon-tent jamais jusqu’au ciel. Il estdonc temps de redécouvrir àquel point les bonnes pratiquesagronomiques et l’agro-écolo-gie sont désormais les voies lesplus sûres pour produire mieuxen faisant de sorte que la pro-duction agricole freine aussi leréchauffement climatique.

ET POUR LA FRANCE ?Cela passe dans un pays commela France par trois priorités dansla recherche et dans la vulgari-sation des bonnes pratiquesagronomiques reléguées au

Soigner les sols pour nourrirl'humanité

Beaucoup de nos terrescéréalières sontexploitées aujourd’huià un niveau supérieur àcelui de leurrégénération.

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

n AGRICULTURE

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ46

Page 47: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

second rang depuis une cin-quantaine d’années par lerecours massif à la chimie. Cespriorités sont le non labour, lecaptage de l’azote de l’air parles légumineuses et le recoursà l’agroforesterie.Pratiqués par des pionniers enFrance depuis une vingtained’années, le non labour et le tra-vail cultural simplifié (TCS), quigriffe le sol au lieu de laboureravant un semis, ont démontréleur efficacité économique etécologique. Le labour pratiquédepuis des milliers d’annéeslibère du carbone, favorise l’oxy-

dation du sol et provoque l’éro-sion notamment sur les terrespentues à l’occasion de préci-pitations. Au fil du temps, laterre s’appauvrit et la fertilitén’est maintenue que par desapports de plus en plus massifsd’engrais chimiques.

RÉDUIRE LE RECOURS AUXENGRAIS CHIMIQUESLe non labour et le travail super-ficiel du sol sont préparés par laculture de couverts végétaux.Ces couverts sont broyés ensuperficie au moment de semerune nouvelle culture. En prati-quant de la sorte, on déboucheprogressivement sur une nou-velle fertilité des sols au fur etmesure qu’augmente la réservede débris de végétaux dont senourrissent les vers de terre etcertains insectes pour les trans-

former en humus. Outre l’éco-nomie de fioul pour le tracteur,l’économie d’engrais chimiquesdevient possible au fur et à mesureque la transformation des végé-taux produit ses effets. Certainssols sont ainsi passés de 0,5 % àplus de 7 % de matière organiquedans la couche superficielle dela terre arable. Cela permet aubout du compte de se passerd’engrais potassiques et phos-phatés. Les choses avancent troplentement car les habitudesancestrales demeurent trèsancrées et le lobby du machi-nisme agricole tient à vendre dugros matériel devenu inutile pourune bonne part.La culture des légumineusespermet de réduire considéra-blement les apports d’engraisazotés car ces plantes ont la par-ticularité de fixer l’azote de l‘airsur leurs racines, de s’en nour-rir, de nourrir par la même occa-sion les cultures associées.Concrètement, une prairie seméede trèfle et de ray-grass permetd’apporter une alimentationéquilibrée aux vaches laitièrescomme aux animaux d’em-bouche sans avoir besoin d’im-porter des tourteaux de soja pouréquilibrer la ration des herbi-vores alors que ces importationssont indispensables quand laprairie n’est semée que d’unegraminée comme le ray-grass.De même, un hectare de luzerne,récolté en foin ou en ensilage,va apporter trois fois plus deprotéines végétales aux animauxde la ferme qu’un hectare d’unelégumineuse tel le soja dont onne récolte que la graine. Si enfinon sème du maïs ou du blé après

trois ou quatre ans de culturede luzerne, la céréale trouveradans le sol suffisamment d’azotepour éviter au paysan de luiapporter des nitrates.Le développement des prairiesassociant les légumineuses auxgraminées est freiné du fait quela culture des seules graminéessimplifie et diminue la chargede travail de l’éleveur. Servir auxvaches du maïs en silo sous sabâche en plastique et du sojalivré par la coopérative est plusfacile et plus pratique que derécolter du foin. Sauf que le prixde revient du litre de lait estaujourd’hui grevé par le prix dusoja alors que l’autonomie four-ragère permet de produire àmoindre coût. Le bilan comp-table des fermes qui ont optépour les mélanges de graminéeset de légumineuses en donne lapreuve.Naguère, la forme d’agrofores-terie la plus connue dans noscontrées était surtout composéede plantations de pommiers àcidre sur des parcelles labourées.Fréquentes en Normandie et enBretagne, ces plantations ontsouvent été arrachées dans laseconde moitié du XXesiècle tan-dis que haies et talus disparais-saient aussi des paysages naguèrebocagers. Depuis plus de deuxdécennies, des travaux scienti-fiques menés par quelques raresspécialistes de l’Institut nationalde la recherche agronomique(INRA) sur des essais d’une den-sité de 50 arbres de plein champà l’hectare en rangées espacéesd’une trentaine de mètres démon-trent que l’agroforesterie est uncalcul gagnant.

UNE CULTURE ÉMINEMMENTÉCOLOGIQUEOutre son rôle de puits de car-bone face au réchauffement cli-matique, l’arbre va chercher sesnutriments jusqu’à la rochemère et les remonte pour nour-rir la couche superficielle dusol, notamment par la tombéedes feuilles. Toujours en raisonde la profondeur de son enra-cinement, il n’est pas en concur-rence avec les cultures annuelles,céréalières ou autres. Mais ilrécupère en profondeur les

engrais que ces plantes n’ontpas consommés et contribueainsi à purifier l’eau des nappesphréatiques. Par temps de cani-cule à la fin du printemps, cesarbres de plein champ permet-tent de réduire le phénomèned’échaudage des céréales. Enfin,dès que l’on commence à récol-ter du bois d’œuvre, le rende-ment d’une parcelle en agrofo-resterie augmente de 40 % parrapport à une parcelle sans arbresavec les mêmes culturesannuelles.Nous vivons dans un mondefini aux ressources finies quidevra compter sur les biotech-nologies. Gardons-nous, tou-tefois, d’oublier les potentiali-tés de l’agronomie ainsi que lescontraintes afférentes, occul-tées par la chimie depuis unesoixantaine d’années.

*GÉRARD LE PUILL est Journalistehonoraire. Il Publie en juin 2013 :« Produire mieux pour mangertous », Pascal Galodé Éditeurs.

(1) Folio poche éditions en 2006

Il est temps deredécouvrir à quel pointles bonnes pratiquesagronomiques et l’agro-écologie sontdésormais les voies lesplus sûres pourproduire mieux enfaisant de sorte que laproduction agricolefreine aussi leréchauffementclimatique.

Outre son rôle de puitsde carbone face auréchauffementclimatique, l’arbre vachercher ses nutrimentsjusqu’à la roche mèreet les remonte pournourrir la couchesuperficielle du sol.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

47

Page 48: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

La réappropriation de la maîtrisecitoyenne de l'eau n'est pas chose aiséeface à la politique des majors, il faut fairele point et comprendre comment etpourquoi on en est arrivé là et ce qu'onpeut faire maintenant.

PAR JEAN-CLAUDE CHEINETET MAXIME PAUL*,

Depuis la RévolutionFrançaise la gestion del'eau hors rivières a été

confiée aux communes. Au XIXe

siècle la création des syndicatsd'arrosants a surtout profité à lapetite propriété paysanne. Maisà cette même époque l'urbani-sation et les épidémies liées àl'eau ont nécessité de dépasserle système des fontaines publiquespour mettre en place une véri-table adduction d'eau potableet d'organiser l'évacuation deseaux usées. Les exigences sani-taires croissantes ont fait émer-ger de véritables métiers.

DES PROGRÈSTECHNOLOGIQUESCONFISQUÉSLe traitement de l'eau devientalors un ensemble qui lie l'amé-nagement de canalisations venantparfois de loin, la pose de réseauxde tuyaux, le traitement pourpotabiliser l'eau puis les traite-ments pour l'épurer avant de larejeter dans le milieu naturel.Des brevets sanctionnent lesavancées techniques de ce quidevient une filière.Les communes sont alors pous-sées à déléguer le service publicde l'eau dont elles sont respon-sables, à des opérateurs privésspécialisés (DSP, délégation deservice public) , sociétés fer-mières, selon des contrats delong terme. Mais ceux-ci amor-cent très vite une concentrationdu secteur en quelques gros opé-rateurs propriétaires des brevets

et jouissant d'une situation dequasi-monopole avec uneconcurrence vite faussée.

Or en confiant durablement àces firmes la gestion de l'eau, lescommunes ont au motif d'éco-nomie, supprimé les servicesmunicipaux correspondants,ont perdu le savoir-faire tech-nique et la relation aux usagers; elles sont de ce fait devenuesdépendantes des opérateurs.D'autant plus que parallèlementla recherche publique dans cesecteur était progressivementabandonnée.

DU "MODÈLE FRANÇAIS DEL'EAU" À LA STRATÉGIE DES"MAJORS"Les deux ou trois grands groupesde l'eau mettent alors en avantce qu'ils présentent comme unmodèle et tentent non sans suc-cès de le "vendre" dans le monde.Il s'agit de façon classique d'unecroissance externe par rachatsde firmes étrangères, de conces-sions de distribution/traitementen Europe et dans le mondeentier. Mais le territoire natio-nal ayant très tôt été partagé, la

croissance interne a pris l'as-pect d'une redéfinition du métierautour de la gestion des "flux"dans la vente de services multi-formes aux collectivités : trans-ports, énergie, traitement desdéchets, services, transport del'information et même un tempsavec des incursions dans ledomaine de la communicationet de la culture.Les "majors" ont vite vu que lestuyaux n'étaient pas le secteurle plus profitable de leurs acti-vités multiples. Dès lors elles nesont pas opposées à laisser duchamp en un repli élastique à larevendication montante de retourde l'eau dans le secteur public :que des "régies" nouvellementcréées reprennent la gestion desréseaux avec les gros investisse-ments qu'elles savent inévita-bles ne les gêne pas.Le cœur de leurs profits résideà présent dans leur savoir-faire,leurs brevets, la fabrication desinstallations. Dès lors la recons-truction d'une filière publiquede l'eau ne peut faire l'écono-mie d'une nationalisation de cesfirmes dans des formes qui pré-servent les emplois du secteur.

RECONSTRUIRE UNE FILIÈREPUBLIQUE DE L'EAU.Durant les années 90 s’amorceun mouvement politique et

citoyen de réappropriation dela gestion des services d’eau etd’assainissement mais au-delàde quelques cas emblématiquesles « majors » résistent plutôtbien.Ce mouvement va s’amplifierdans les années 2000, notam-ment à l’occasion des électionsmunicipales de 2008, mais de

nombreux freins techniques vontdevoir être levés. En effet, le ser-vice public a perdu une partimportante de son savoir-fairetant en termes de connaissancedu patrimoine ainsi que de lacapacité à gérer des process com-plexes. La multiplication desnormes environnementales apour but de reconquérir la qua-lité du milieu et comporte unenjeu sanitaire important maiselle est aussi le fruit du lobbyingdes industriels de l’eau permet-tant ainsi la conquête de nou-veaux marchés, de débouchéspour la recherche et développe-ment privée, ainsi que la maî-trise de technologies complexes.

Le désengagement de l’État tra-duit par la RGPP et la MAP a eupour conséquence la presquedisparition des capacités d’ex-pertise, de conseil et d’ingénie-rie auprès des collectivités locales.

Ces freins techniques à une réap-propriation publique de la ges-tion de l’eau ne doivent cepen-dant pas servir d’alibi à unmanque de volonté politique. Ilest possible de retourner en ges-tion publique à condition de pré-parer bien en amont ce proces-sus. Il est nécessaire de repérerles étapes nécessaires afin deremettre le service public local

en situation de gestion. Laconnaissance du service, lecontrôle du délégataire, le dia-logue social avec les salariésconcernés, la participation desusagers sont les clés d’un retouren gestion publique réussi.

Aujourd’hui, trois outils sont àla disposition des collectivités

L'eau, enjeu citoyen face aux majors

Le désengagement de l’État traduit par la RGPP et laMAP a eu pour conséquence la presque disparitiondes capacités d’expertise, de conseil et d’ingénierieauprès des collectivités locales.

La reconstruction d'unefilière publique de l'eaune peut fairel'économie d'unenationalisation de cesfirmes dans des formesqui préservent lesemplois du secteur

n RESSOURCE

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ48

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 49: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

territoriales : la régie, le syndi-cat de production et/ou de dis-tribution, la société publiquelocale (SPL). Ces trois formes deretour en gestion publique ontdes avantages et inconvénientsqui doivent être regardés en fonc-tion de chaque situation locale.Ainsi, une SPL sur une seule col-lectivité n’a pas d'avantage surla régie. À l’inverse, la créationd’un syndicat composé de plu-

sieurs collectivités risque d’éloi-gner les usagers des lieux de déci-sion. Concernant la sociétépublique locale (nouvel outilvoté en 2010), nous affirmonsqu’elle est partie prenante duservice public local car elle estsous le contrôle exclusif des éluslocaux. Chaque situation est par-ticulière, il n’y a donc pas unmodèle unique de retour en ges-

tion publique comme le mon-trent les expériences à Grenoble,Paris, Besançon, Brest ouMartigues.Au-delà de ces mouvementslocaux qui restent pour le momentlimités, il est indispensable decréer de nouvelles solidarités,de nouvelles coopérations ter-ritoriales basées sur la recherched’un service public de qualité

pour les usagers. Pour renforcerle service public local, il est néces-saire d’aller vers la création d’unservice public national et euro-péen ayant pour mission de favo-riser le retour en gestion publiquepar la mise à disposition demoyens d’expertise et d’ingé-nierie. Ce service public sera éga-lement chargé de développerune recherche publique ayantpour finalité l’environnementet la santé des usagers et non larecherche de nouvelles sourcesde profits. Enfin, c’est l’outil indis-pensable pour aller vers la miseen place d’un tarif harmonisédu prix de l’eau sur l’ensembledu territoire national.

* JEAN-CLAUDE CHEINET estmembre de la commission écologiedu PCF.MAXIME PAUL est vice-président deBrest métropole océane, en charge del'eau.Ils ont participé à la rédaction de labrochure «eau» du PCF, disponible entéléchargement sur www.pcf.fr

C'est au milieu du XIXe siècle que la structurelégislative permettant le transfert au privé du secteurpublic se met en place. Pour les chemins de fercomme pour l'eau, propriété et infrastructures restentpubliques et l'exploitation est confiée au privé sousforme de délégation de service public (DSP) de trèslongue durée. Se créent alors la "Générale des eaux"CGE et la "Lyonnaise des Eaux" SLEE suivies audébut du XXe siècle par la Société d'aménagementurbain et rural SAUR. Très vite elles monopolisentl'essentiel de la gestion des eaux domestiques enFrance et savent s'entendre.La Générale devient Véolia, multinationale au chiffred'affaires de 29Mds € et aux 330 000 salariés ; parses filiales elle est dans la gestion de l'eau, del'assainissement (OTV) des déchets, des transports(Transdev), de l'énergie (Dalkia). La Lyonnaisefusionne avec Dumez, Indosuez puis GDF pourdevenir GDF Suez au chiffre d'affaires de 97Mds € et200 000 salariés (dont 140 000 en France) ; elle estdans les mêmes secteurs que sa sœur : eauassainissement (Degrémont), énergie (Electrabel)

communication et réseaux câblés… La SAUR pluscentrée sur la France, a un chiffre d'affaires de1,7Mds € et 13 000 salariés ; elle est plus orientéesur les services aux collectivités, les déchets (Coved).À remarquer que GDF Suez reste dominée par lesgroupes financiers d’A. Frère et de B. Arnault. Maisl'actionnariat de Véolia est à 57 % celui des“institutionnels” (9 % la CDC premier actionnaire).Bouygues s'étant retiré de la SAUR, la CDC en a47 % du capital. L'Etat peut s'il le veut peser surleurs orientations.Tant par la présence de l'Etat directement ou non aucapital que par la masse des salariés auxcompétences reconnues, il y a un potentiel peuexploité pour réorienter ces firmes dans le cadred'une nationalisation. Car la nationalisation peut sefaire sans diminution d'emplois, avec un rôlenouveau pour ces salariés, mais en réorientantl'activité vers l'aide, l'assistance technique auxcollectivités et la coopération internationale sur denouvelles bases afin de faire progresser l'accès àl'eau dans le monde.

LES PIEUVRES MULTINATIONALES DE L'EAU

49

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Page 50: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

L’Inde, souvent présentée en exemple comme «pays émergent », la «plus grandedémocratie du monde » a encore bien du chemin à parcourir pour fournir des condi-tions économiques décentes à sa population. Pays de contrastes entre ruralité etmégapoles gigantesques, mais aussi entre couches, castes et classes sociales.

PAR FRÉDÉRIC LANDY*,

Une population encorepour plus des deux tiersrurale, et pourtant des

agglomérations qui dépassentles 20 millions d’habitants avecBombay et Delhi ; un pays « émer-gent » qui se place sur le marchémondial de l’informatique et desservices, alors qu’un Indien surdeux travaille encore dans l’agri-culture. Quel est donc ce paysqui semble ne fonctionner quesur des paradoxes ? La ruralitéa une place de plus en plus fra-gile, ou du moins complexe, dansl’Inde du XXIe siècle.

DES MOBILITÉS EN TROMPE L’ŒILLa population de l’Inde demeureofficiellement à 69 % rurale en2011. Les campagnes, loin de sevider, continuent de se remplir.Quand la population de l’Indedépassera la Chine, vers 2030,le pays le plus peuplé de la pla-nète sera en majorité rural.Ceci n’empêche pas bien desmobilités. Des migrations se fontvers des zones rurales aux margesde la ville. L’Inde est dotée d’unbon réseau d’autobus, privés oupublics. Conjugué à l’usage dela bicyclette et de la marche àpied, ce mode de transport quo-tidien vers un travail urbain peutcontribuer à masquer statisti-quement l’ampleur de l’urbani-sation. Enfin, l’on peut migrervers les villes temporairement,quelques mois, quelques années.Ou bien l’on migre vers d’autres

campagnes où du travail est dis-ponible (canne à sucre, café,thé…).

LES PARAMÈTRES DESÉVOLUTIONS DU MONDERURALLes facteurs poussant à la migra-tion sont pourtant nombreux.La situation foncière tout d’abord.Dans un pays trois plus petit quela Chine ou le Brésil, le salut descampagnes ne pourrait venirque de leur diversification éco-nomique. Or presque les troisquarts de ces ruraux demeurentagriculteurs. C’est dire la pres-sion sur la terre cultivée. Parmiles raisons de cette faible diver-sification, on trouve un déve-loppement général insuffisant,qui rend cher et rare le crédit,qui fragilise les infrastructures,routes ou filières commerciales ;et l’analphabétisme, en particu-lier des femmes.La propriété de la terre est presquetoujours individuelle, mais émiet-tée en micro-exploitations : 82 %des exploitations ont moins de2 ha en 2001. « Plus grande démo-cratie du monde », l’Inde l’estassurément formellement. Dansles faits, c’est une autre histoire.Les structures agraires demeu-rent dominées par des castesdominantes de paysans, qui dis-posent de la plupart des terresmais aussi du pouvoir écono-mique (marchand d’engrais,rizier, usurier…) et politique(maire, député régional), sansparler d’un pouvoir socio-reli-gieux : maintenant que les hautes

castes brahmanes ont depuisdes décennies émigré vers laville, les castes paysannes appa-raissent comme « pures » relati-vement aux intouchables. Ceux-ci revendiquent désormaisl’appellation dalits, « opprimés »,car ils cumulent encore souventles effets d’une ségrégation liéeà leur bas statut dans l’hindouismeet d’une autre liée à leur posi-tion socio-économique infé-rieure (faible propriété terrienne,immigrés, etc.).L’exode rural demeure limitéégalement par le contenu mêmede la modernisation agricole. Lamécanisation est restée très fai-ble avec la révolution verte. Àpeine plus de la moitié des laboursest faite au tracteur. En effet, lessalaires agricoles demeurent trèsbas. Et quand bien même ceux-ci augmentent, les agriculteurspréfèrent passer à des systèmesde cultures moins gourmandsen main-d’œuvre que de méca-niser : une seule culture de riz etnon deux, dans les deltas irri-gués ; voire des friches dans lesrares régions à salaires élevés etsyndicalisation des travailleurs,comme au Kerala.

C’est là quelque chose de nou-veau. En une ou deux décennies,l’Inde a rejoint le lot commundes agricultures du monde : cetteactivité devient beaucoup moinshonorée et respectée que mépri-sée, ou du moins répulsive. Uneffet entre autres de l’éducation,qui péniblement gagne les cam-pagnes.

LES MOBILITÉS, FACTEUR DECHANGEMENT OU DECONSERVATION ?Qui part du village ? D’une part,les plus riches et qualifiés, afinde faire fructifier leur capitaléducatif. À l’autre bout de l’échellesociale, ce ne sont pas les pluspauvres qui émigrent : manqued’argent pour se payer le billetde car, manque surtout de capi-tal social et de contact pour avoircertaines assurances sur le lieud’arrivée, en termes de travail(fût-ce dans le secteur informelle plus précaire) ou de logement(fût-ce un bout de cahute). Defait, les migrations sont extrê-mement encadrées et canaliséespar les structures sociales, quece soit à l’échelle de la famille,

de la sous-caste, de la caste, oudu village dans son entier. Leslogiques individuelles ont assezpeu de poids, contrairement àla Chine où la Révolution cultu-relle a balayé nombre des struc-tures coutumières. Le cas le plusremarquable est celui des femmes,pour qui la mobilité est limitée

Mobilité et développement rural : y a-t-il une placepour les campagnes dans l’Inde « émergente » ?

n MONDE

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ50

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

82 % des exploitationsont moins de 2 ha en2001. « Plus grandedémocratie du monde»,l’Inde l’est assurémentformellement. Dans lesfaits, c’est une autrehistoire.

Page 51: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

sauf exception à des déplace-ments en groupe, très encadrés,de peur que soit ternie leur répu-tation. L’émigration pour cespopulations pauvres n’est detoute façon qu’une migrationde survie. Il est très difficile d’épar-gner suffisamment pour que lamobilité spatiale se transformeen mobilité sociale. On ne partpas pour s’enrichir – sauf dansses rêves –, on part pour permet-tre à sa famille de rester au vil-lage.

À l’échelle nationale, on peutvoir la migration comme le moyenpour les régions les plus richesde bénéficier d’une main-d’œu-vre bon marché. L’Inde ne connaîtpas le hukou, ce livret de rési-dence qui en Chine interdit auxémigrés de l’exode rural de béné-ficier des mêmes avantagessociaux que les citadins ; maisétant donné les conditions devie des immigrés indiens, c’estun peu le même processus quel’on rencontre. La croissance desrégions « émergentes » se nour-rit de la pauvreté des autresrégions. Les salaires et les remisesdes migrants sont suffisants pour« maintenir à flot » les espacesde départ, éviter l’exode rural,contenir tant bien que mal ladiffusion des idées naxalites(maoïstes) hors des poches tri-bales où elles fleurissent. Maisils sont assurément incapablesde générer une croissance endo-gène. Les régions pauvres et nonirriguées restent peuplées, maisce maintien de la populationn’est permis qu’en comprimantles salaires et les prix agricoles,interdisant toute justice spatiale.À l’échelle locale, le bilan est plusnuancé. Économiquement, onl’a dit, la migration ne boule-verse pas les cartes. Socialement,c’est autre chose, étant donnéque le départ permet parfois desortir des relations de clienté-lisme local, et pour les « intou-chables » de prendre encore plusconscience des ségrégations. Onassiste à une émancipation desbasses castes, conjuguée à lapolitique officielle de discrimi-nation positive (quotas) en faveur

des intouchables, basses castes,et femmes.Au final, le développement ter-ritorial indien se caractérise pardes inégalités encore relative-ment faibles, mais en très fortecroissance. On note à l’échelle

locale des processus d’exclusiondes centres urbains vers les péri-phéries, et la fermeture de quar-tiers résidentiels, au nom de« l’embellissement » des villes etde l’amélioration de la qualitéde la vie des classes moyennes.On est loin de la segmentationde villes latino-américaines. Iln’empêche : le processus, tardif,est d’ampleur. Il rejoint le déclin,à la campagne, des liens d’inter-dépendance et de clientélismeentre riches propriétaires etouvriers agricoles, entre hauteset basses castes.

QUE RESTE-T-IL DE LARURALITÉ DANS «L’ÉMERGENCE » DE L’INDE ?La libéralisation économique,à partir de la fin des années1980, s’est traduite par unebaisse des investissementspublics dans le monde rural,qui n’a pas été compensée parune hausse correspondantedes investissements privés.Alerté par des crises sociales(suicides paysans dans la zonecotonnière) et politiques(développement de la guérillanaxalite), le parti de centregauche du Congrès, de retourau pouvoir fédéral en 2004, arééquilibré quelque peu lapolitique plus libérale des

nationalistes hindous du BJP :emblématiques sont les chan-tiers publics du National RuralEmployment Guarantee Sche -me qui garantit 100 jours detravail par an, payés au salaireminimum légal, à toute famillerurale qui en fait la demande.La majorité des électeurs sontdes ruraux pauvres. Le clienté-lisme, la corruption et les jeuxpoliticiens empêchent cepen-dant tout changement structu-rel de grande ampleur. De plus,le retour récent de l’agricultureau centre du discours électorals’est fait de façon très sélective.On parle certes de faire voterun Food Security Act. Mais ils’agit surtout de choyer l’agro-business, de développer desfilières agroalimentaires. Cetteintégration verticale en devenirest source de disparitéssociales, puisque les entre-prises ne contactent pas lesexploitations les plus petites etfragiles et évitent les cam-pagnes isolées. L’investissement étranger dansles grandes surfaces alimen-taires vient seulement d’êtreautorisé sous conditions, et lessupermarchés, accusés demenacer les agriculteurs etsurtout les micro-détaillantsurbains, fonctionnent difficile-ment.

CONCLUSIONLa rétention rurale demeure pourdes raisons « positives » (tradi-tion d’intensification de l’agri-culture gourmande en bras)

comme pour des raisons néga-tives (analphabétisme, secteurinformel mal rétribué et sanssécurité sociale, logement urbainprécaire). Or l’agriculture, quidemeure la colonne vertébralede campagnes encore fort peudiversifiées économiquement,n’est point poussée en avant parl’émergence du pays. Plus qu’unfer de lance de la croissance, ellereprésente souvent une voie degarage où survivent tant bienque mal les laissés pour comptede la mondialisation, ainsi qu’unespace de production offrantune alimentation à prix relati-vement stable et bon marchéqui permet de comprimer lescoûts de production de l’indus-trie et des services. Les pro-grammes d’aide sociale de l’Étatne peuvent dissiper le blocagedu foncier, et encore moins desstructures sociales encore trèshiérarchisées qui tendent à dis-siper voire détourner les res-sources au profit des groupes lesplus puissants. Les migrationstemporaires, vers les villes maisaussi, plus souvent, vers d’au-tres campagnes, représentent àcet égard un pis-aller. Les nou-velles dynamiques agricoles liéesà l’intégration dans l’agroali-mentaire sont trop sélectivessocialement et spatialement. Onpeut craindre que continue à sediffuser le naxalisme, et plusgénéralement des jacqueriesdont l’objet sera cependant sansdoute moins le grand capitalinternational que les exploiteursde tous poils de nationalitéindienne.

* FRÉDÉRIC LANDY est Professeurde géographie, laboratoire Mosaïques-LAVUE, université de Nanterre

LANDY, Frédéric (éd.), 2010,Dictionnaire de l’Inde contemporaine,Armand Colin.

51

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Il est très difficiled’épargnersuffisamment pour quela mobilité spatiale setransforme en mobilitésociale. On ne part paspour s’enrichir – saufdans ses rêves –, onpart pour permettre àsa famille de rester auvillage.

La libéralisationéconomique, à partirde la fin des années1980, s’est traduite parune baisse desinvestissements publicsdans le monde rural,qui n’a pas étécompensée par unehausse correspondantedes investissementsprivés.

Page 52: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

BRÈVES52

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

» LA CRISE FAIT RECULERL’ESPÉRANCE DE VIE !La crise financière qui secoue la planètedepuis plusieurs années a une incidencedirecte sur l’offre de soins mondiale et la santédes humains. Telle est la thèse développée parun économiste anglais et un épidémiologisteaméricain.Leur analyse est le fruit d’une décennied’observations. Partout en Europe et enAmérique du Nord, l’austérité règne : baisse desinvestissements, prévention en berne,compression des effectifs soignants, plans desanté publique à l’économie... À force de taillerdans les dépenses, la santé des habitantstrinque. Selon l OMS, l’espérance de vie enEurope pourrait reculer du fait de la criseéconomique . Les deux chercheurs imputentplus de 10 000 suicides et jusqu’à un million dedépressions à la crise économique. Ce constatn’est pas une fatalité mais le résultat de choixpolitiques, concluent David Stuckler et SanjayBasu dans un livre à paraître ces jours-ci.

»CO2 : LE SEUIL SYMBOLIQUE DE 400 PPMConcentration de CO2 dans l 'atmosphère: leseuil symbolique de 400 PPM (parties parmillion) a été atteint à Mauna Loa (Hawaï).Selon l'association Sauvons le climat , « C’estune valeur que l’homme n’a jamais connue,une valeur que la terre n’a pas connue depuisplusieurs millions d’années. La vitessed'accroissement de la concentrationcorrespond aux scénarios les plus pessimistesétudiés et pris en compte par les rapports duGIEC. Si on n'infléchit pas cette tendance, latempérature en 2100 pourrait augmenter deplus de 10°C en moyenne sur les continents,et davantage dans les régions septentrionales,bien au-delà du réchauffement global de 2°Cévoqué dans les grandes messes politiquesmondiales dont les engagements ne sontsuivis d'aucun effet. »

» INTERNET ET LES CENTRES DEDONNÉES INFORMATIQUES (DATACENTER)Alors que les ménages sont sensibilisés à lanécessité d’une meilleure gestion de leurconsommation énergétique domestique, lesentreprises affichent un retard considérabledans la mise en place de politiques efficacesd’optimisation de leur consommation d’énergie. La consommation électrique des centres dedonnées informatiques a augmenté de 56%entre 2005 et 2010, soit 1,1 et 1,5% de laconsommation mondiale d’électricité(équivalent à la production de 30 centralesnucléaires). Aux USA, les centres de donnéesinformatiques consomment déjà autantd’énergie que l’industrie automobile. En 2020, les centres de donnéesinformatiques rejetteront plus de CO² quel’ensemble du trafic aérien mondial et d’ici à2016, la masse d’informations numériquesproduite dans le monde va être multipliée par4. De surcroît, les entreprises exigent unedisponibilité 24h/24 des informations. Leséconomies d’énergie passent après lecommerce.

La condamnation de sept scientifiquesitaliens à six ans de prison ferme accu-sés d’avoir sous-estimé le risque d’unséisme de forte intensité a semé émoiet indignation. Les sismologues dumonde entier affirment qu’avec lestechnologies actuelles, il est tout à faitimpossible de prévoir l’imminence d’untremblement de terre et son intensité. Selon Thomas Hillman Jordan, direc-teur du Southern California EarthquakeCenter et professeur à l’Université deCalifornie du Sud, il est «tout à faitincroyable que des scientifiques soientreconnus coupables d’homicides alorsqu’ils tentaient simplement de faireleur travail», dit-il.Jugeant que les conditions n’étaientplus réunies « pour travailler avec séré-nité », le Professeur L. Maiani, prési-dent de la Commission italienne «grandsrisques», a démissionné. Il a déclaré : «Il n’est pas possible de fournir à l’Étatdes avis sereins, désintéressés et hau-

tement professionnels avec cette follepression judiciaire et médiatique. Celane s’est jamais produit dans aucun autrepays du monde. Cela signifie la mortdu service prêté par des professionnelsà l’État ».

Les scientifiques sont condamnés alorsqu’«il n’y a eu aucune enquête contreceux qui ont construit de manière ina-daptée dans une zone sismique», s’est-il insurgé.Dans la foulée, la présidence de laCommission, son vice-président et sonprésident d’honneur, ont égalementdémissionné, ainsi qu’un quatrièmemembre de cette institution.

NDLR : On est là dans la négation dutravail scientifique, on substitue à l’obli-gation de moyens, l’obligation de résul-tat. Les mânes de Galileo Galliléi et deGiordano Bruno n’ont pas fini de han-ter la science italienne.

Sismologues italiens victimesexpiatoires de l’incurie romaine :

Le CNRS vient d’annoncer la créationd’une mission « sciences citoyennes »en son sein, et en a confié la responsa-bilité à Marc Lipinski. Celui-ci est bio-logiste, mais c’est son expérience mili-tante qui lui a valu sa nomination,comme il l’indique lui-même dans unentretien publié sur le site du CNRS.Marc Lipinski est en effet conseillerrégional EELV, et ancien vice-présidentde la région IDF.Pour l’Association Française pourl’Information Scientifique (AFIS), cesassociations dites « citoyennes » ne repré-sentent qu’elles-mêmes. Bien qu’elless’autoproclament « citoyennes » et «indépendantes », elles ne sont que l’ex-pression d’une idéologie particulière.La mission du CNRS, organisme publicde recherche, telle que rappelée sur sonsite Internet, est de « [produire] du savoiret [mettre] ce savoir au service de lasociété».Marc Lipinski exhorte les chercheurs à« sortir de leur tour d’ivoire » et les sommede prendre conscience que le finance-ment public de la Recherche «impliqued’accepter des orientations généralesde la part des responsables politiqueset d’avoir une écoute à l’égard desdemandes sociales».Il est légitime que la politique de

Recherche, comme le financement dela recherche publique soient l’objetd’un débat politique ; l’OfficeParlementaire d’Evaluation des ChoixScientifiques et Technologiques(OPECST), est l’outil dont le Parlements’est doté pour s’informer et ainsi éclai-rer ses décisions. Marc Lipinski à l’en-contre de l’OPECST, préfère un orga-nisme « extérieur au Parlement » etbeaucoup plus ouvert à la Société »dévoilant ainsi l’orientation sous-ten-due par cette mission « sciencescitoyennes ».Le contenu de la science et les résul-tats des recherches ne dépendent pasd’une conception politique. La sciencese fait avec des protocoles rigoureux etdes résultats validés par la commu-nauté des spécialistes du domaine.De ce point de vue, Marc Lipinski, ensignant la pétition de soutien à un Gilles-Eric Séralini, auteur d’une « étude choc» rejetée par la totalité des institutionsscientifiques et des agences de sécu-rité sanitaire et environnementale dumonde, a montré qu’il avait une concep-tion bien particulière de la science etde la recherche, et on peut être trèsinquiets vis-à-vis de ce que serait unetelle « science citoyenne » ainsi institu-tionnalisée.

Science instrumentalisée

Page 53: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

53

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

»DRONE FURTIF CHINOISConçu conjointement par le consortiumHongdu Aviation Industry Group et le groupeShenyang Aviation Corporation, le Lijian («épéetranchante») est le premier drone furtif de laChine et le troisième dans le monde après leX-47 conçu par les Etats-Unis et le Neuronfrançais mais, ce dernier serait de loin plusperformant que ses aînés. La China Aviation News rapporte que le Lijianest maintenant prêt pour ses vols d’essai. Ledrone est prêt à être utilisé par l’Armée de l’Airet la Marine, pour des missions de combat,mais aussi à des fins de suivi, de surveillanceet de reconnaissance.

» UN MISSILE M51 À 120 MIL-LIONS D’EUROS PIÈCE « S’AUTODÉ-TRUIT » LORS D’UN TIR D‘ESSAI.Si ce tir avait porté sa charge nucléaire, toutela Bretagne jusqu'aux côtes d'Angleterreauraient subi d'atroces destructions. A part leMouvement de la Paix, quelles sont les autresréactions ? Y aurait-il un diabolique nucléairecivil et un gentil nucléaire militaire ?L’acceptation du nucléaire militaire existe-t-elledans tous les Partis, les Syndicats, lesAssociations ? Quelle protection del’environnement, quel avenir de la planètedans ces conditions ? Quelles initiativesprendre à l’échelle internationale ?

»OBÉSITÉLa dernière enquête ObEpi, conduite en 2012,trahit une nouvelle hausse de l'obésité enFrance. Ce sont désormais 7 millions deFrançais qui sont obèses (soit 15 % de lapopulation). En15 ans, la prévalence del'obésité a augmenté de 76 %. Plus grave :cette hausse s'accélère chez les 18-24 ans(5,4 % de personnes obèses dans cettetranche d'âge en 2012 ; 4 % en 2009). Cephénomène fait peser des risques accrus entermes de santé publique.Les nombreux engagements formulés cesdernières années par l'industrieagroalimentaire, en matière d'amélioration desrecettes de leurs produits comme vis-à-vis dumarketing en direction des enfants, ne sontpas à la hauteur de l'enjeu de santé publiqueque constitue la progression de l'obésité.

» AIRBUS A350Le lancement du programme airbus A350 àToulouse. L’assemblage du premier appareil surla nouvelle chaîne de Toulouse a débuté enavril 2012, premier vol prévu pour le 1ersemestre 2013. La structure de l’A350 estcomposée en majorité de matériauxcomposites (53%), de titane et d’alliagesd’aluminium. Le travail des composites netolère pas l’à-peu-près: les tronçons sontassemblés grâce à des systèmes de viséelaser. L’éclatante réussite de cet aéronef est lamarque d’excellence de tous les travailleursd’Airbus industrie, de leur savoir faire et de leurengagement.

Les tatouages sont à la mode auprèsdes jeunes. Cette « épidémie » prenddes proportions effarantes. Or selon lesyndicat national des dermatologues(SNDV), les encres utilisées pour lestatouages peuvent être dangereusespour la peau. Les amateurs de tatouageset ceux qui envisagent de passer à l’actedoivent être clairement avertis desrisques. Les encres utilisées par lestatoueurs contiennent des métauxlourds: cobalt, chrome, cuivre, fer, mer-cure, nickel, manganèse, vanadium,strontium, etc. ainsi que de l’alumi-nium. Or ces métaux sont cancérigènes.Les encres noires contiennent aussi deshydrocarbures aromatiques polycy-cliques (benzopyrène, benzoanthas-cence) dangereux pour la santé. Ces

substances, une fois injectées dans lederme et en réaction aux UV, sont àl’origine de réactions diverses dont desdermatoses (eczéma, lichen plan, lucite,sarcoïdose, pseudo-lymphome…). Lacomplication la plus fréquente est l’al-lergie, provoquant des démangeaisons,un gonflement de la peau au niveau dutatouage, voire de lésions plus gravesimposant le retrait du tatouage. Certainesmaladies de peau ayant tendance à selocaliser sur la zone cutanée trauma-tisée par le tatouage, les dermatologuesrecommandent vivement aux personnesatteintes de problèmes de peau (pso-riasis, vitiligo, sarcoïdose) de consulterun dermatologue avant d’envisager untatouage.

Tatouages : métaux lourds toxiqueset cancérigènes dans les encres

Les chercheurs de l’INRA vont-ils pou-voir poursuivre des recherches sur lesOGM? Il y a eu le saccage de vignoblesportes-greffes en 2009 par des militantsanti-ogm, cultures pourtant destinéesà la recherche scientifique. Aujourd'hui,c'est près de 1 000 peupliers, généti-quement modifiés poussant en pleinchamp également destiné à la Recherche,qui sont menacés. En effet, des cher-cheurs de l'INRA étudient les proprié-tés de ces arbres transgéniques depuisprès de 20 ans, mais des associationsréclament l'arrêt des recherches. Leprojet, soumis à une consultationpublique, divise le Haut conseil des bio-technologies.Selon les experts du comité scientifiqueindépendant, ces cultures de recherchesont inoffensives pour l’homme. Lestests de toxicité et d'allergicité se sont

révélés négatifs ; l'impact sur l'environ-nement, est jugé “minime”. L'INRA souligne l'effet positif que l'ex-ploitation de peupliers génétiquementmodifiés pourrait avoir sur l'environ-nement. Les modifications génétiquespermettent de faire diminuer les tauxde lignine présents dans l'arbre et donc,indique l'INRA, “de réduire la quantitéde produits chimiques coûteux et pol-luants nécessaires à [leur] élimination”.Pour Olivier Le Gall, directeur généraldélégué de l'INRA “Il s'agit de recherchepublique, l'objectif principal est de faireavancer la connaissance scientifique”.En cas d’interdiction, les multinatio-nales comme Monsanto pourront, elles,continuer en toute tranquillité à fairede la recherche et en tirer des profits, etla recherche publique sera complète-ment absente.

Le retour d’une inquisition ?

Une puissante explosion a soufflé, le17 avril 2013, en début de soirée heurelocale, une usine d’engrais près de Waco,au Texas faisant de nombreuses vic-times. L’entreprise est spécialisée dansles produits agricoles et phytosanitaires.La piste d'une explosion de l’ammo-niac utilisé pour fabriquer les engrais,pesticides et raticides est avancée.L’ammoniac dégageant une odeur âcretrès puissante avait déjà causé des dés-agréments aux riverains alentours. L’un

d’eux avait porté plainte en 2006, inquietde ces émanations depuis l’usine d’en-grais. Informée, la Commission de pro-tection de l’environnement de l’Etat duTexas était alors venue contrôler l’usineen décembre de la même année. Suiteà l’enquête menée, la commission avaitdéclaré l’usine conforme. De Bhopalen AZF, ce nouvel accident d’usine chi-mique repose la question de la trans-parence et des politiques de sureté dansce secteur.

Sureté dans le secteur de la chimie

Page 54: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

LIVRES

Les fondements del'entreprise DANIEL BACHET 255 p. Éditions de l'Atelier, 2007

Pour bâtir une alternative à la domination finan-cière, il faut clarifier la confusion juridique entreles notions d'entreprise et de société : pour la

société d'actionnaires, le travail n'est qu'une marchandise etun coût à réduire, dissocié de sa finalité, la production de bienset services répondant à des besoins.Le travail n'est défini juridiquement nulle part. Le profit res-sort tel la finalité « naturelle » de l'entreprise. Ce détournementinstalle la prééminence du « droit de propriété », au détrimentdu monde du travail, des dynamiques industrielles et de ser-vices. Mettre en valeur l'entité « entreprise » et sa communautéde travail, en consolider les droits peut modifier profondémentles rapports de pouvoir.

A.R.

Laissez-nous bientravailler ! MARIE-JOSÉ KOTLICKI ET JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER 192 pages - Editions de l'Atelier, 2012 Ce livre est un concentré de pistes et de levierspour dé-financiariser le travail, inventer une nou-

velle efficacité et de nouvelles organisations des entreprises,donner le temps de bien travailler dans le respect de la Nature.Il s'agit d’investir les champs nouveaux du développement descapacités de chaque salarié, sécurisé par un nouveau statut dutravail, et du droit légitime à participer à l'élaboration de la stra-tégie des entreprises et aux choix économiques, dans une pers-pective de bien commun en lien avec la cité, pour construireune sortie de crise urgente, à l'inverse des logiques actuelles.

A.R.

Éléments d’écologieDE FRANÇOIS RAMADE 7e édition - 791 pages - Editions Dunod,2012Un livre pour apprendre et comprendre.Le Professeur F. Ramade vient de publier la 7e édi-tion, très largement renouvelée de « Ecologie

appliquée: action de l’homme sur la biosphère ».Il poursuit un travail d’envergure après ses livres sur les catas-trophes écologiques et naturelles, sur l’écologie fondamentaleet sur l’écotoxicologie.Ils sont incontournables pour tout étudiant, enseignant qui veutmettre à jour ses connaissances sur l’écologie et pour un largepublic qui souhaite une information scientifique.On ne lit pas 791 pages d’un seul trait ! Mais on peut aller cher-cher des données sur les sujets d’actualité. C’est utile pour lesdébats faisant suite à la conférence environnementale et en par-ticulier ceux à lier à la transition énergétique.La structure de l’ouvrage permet une lecture chapitre par cha-pitre sur les facteurs de dégradation de la biosphère, les pollu-tions et leurs implications écologiques avec la pollution de l’at-mosphère, des sols, des eaux continentales et océaniques. Unchapitre est consacré au nucléaire avec les notions de base àConnaître.

54

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

4 chapitres portent sur la dégradation des écosystèmes, l’éra-dication de la biodiversité, la conservation de la nature, les limitesdes ressources et le développement durable. De nombreuxtableaux, graphiques et figures facilitent la lecture. Ce livre estun document de base pour appréhender l’écologie scientifique.

L.F.

La science, uneambition pour la FranceANDRÉ BRAHIC158 pages - Editions Odile Jacob, 2012

Les qualités scientifiques d’A. Brahic sont notoires.Cet astrophysicien, professeur à l’UniversitéParis-Diderot, au Commissariat à l’Energie ato-mique et aux Energies renouvelables, a décou-

vert les anneaux de Neptune. Par les temps qui courent, il estvraiment réconfortant d’entendre un message clair en faveurdu développement de la recherche, de l’amour de la science etde la diffusion de la culture scientifique et technique. J’allaispresque écrire qu’il faut avoir le courage de le faire. Les titres des 10 chapitres du livre suffisent à exciter notre curio-sité : « un appel pour la recherche »; « connaître la science, c’estl’aimer » ; « propageons la culture scientifique »; « éduquer auxsciences » ; « les sciences au service de la société » ; « scienti-fiques et politiques, unissez-vous ! » ; « la croissance par lascience »; « renouer avec la vocation scientifique de l’Europe »;« mieux organiser la recherche »; « quelques pistes à explorer ».C’est tout un programme et un projet. Rien de scientiste dans tout cela : « la science n’a pas réponseà tout, mais elle est un pilier indispensable ». Elle permet « dedévelopper la capacité de raisonner, l’esprit critique, le doute,l’art de la synthèse et l’humilité ». La science est l’humanisme,et le travail de chercheur est une passion.

L.F.

Promenade dialectiquedans les sciences - EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA573 pages - Hermann, 2012

En hors-d’œuvre, l’auteur, dont la spécialité estla mécanique des milieux continus, égrènequelques épisodes insolites de l’histoire des

sciences, vraies découvertes et fausses pistes, erreurs qui setransforment en fusées porteuses, avancées, controverses,fraudes, puissance et limites des images etc. À la fin, commedessert, on peut savourer un beau morceau sur Borodine et lePrince Igor, chef-d’œuvre inachevé comme la science elle-même. Entre les deux, le livre est fortement charpenté et par-court la vie actuelle de la recherche, les positions philoso-phiques, les questions vives de la biologie comme desmathématiques. C’est la « promenade dans les sciences ». Et lefil directeur, qui se découvre peu à peu au cours de la prome-nade, est la dialectique.« La dialectique n’est pas une logique avec des lois strictes, maisun cadre général dans lequel s’inscrivent les phénomènes évo-lutifs,... Un cadre (façon de penser les phénomènes naturels)propre à maîtriser la cohérence cachée de maintes situations(scientifiques ou autres) qui paraissent incongrues ou inintel-ligibles du point de vue de la logique. » À l’appui de cette affir-mation l’auteur invoque son expérience comme chercheur.Comme illustration, il consacre près d’une vingtaine de pagesà une approche dialectique du paradoxe logique qu’est le« dilemme de prisonnier », qui est nouvelle et convaincante.

Page 55: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

55

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

Sans occuper trop de place, la mathématique est bien présentedans la promenade. Plus présente encore est l’explication (etla dénonciation) de l’idéalisme platonicien dans les sciences.La biologie intervient sous des aspects divers, le cerveau, l’évo-lution, la causalité et le finalisme, le bricolage du vivant : la dia-lectique y est à l’œuvre parce qu’il s’agit de processus évolutifsoù se manifeste « la force créatrice de la contradiction ». La pro-menade est l’occasion d’apprendre une foule de choses et deles voir dans une nouvelle perspective.

J.P.K.

Demain, la physiqueSEBASTIEN BALIBAR, EDOUARD BRÉZIN353 pages - Editions Odile Jacob, 2009Dresser un panorama de la physique d'aujourd'huiet de ses enjeux de demain, tel est le tour de forcedu livre 'Demain la Physique' de Sebastien Balibaret d'Edouard Brézin. Résultat de la collaborationde plusieurs savants français, cet ouvrage nous

entraîne avec bonheur dans un voyage allant de l'infinimentgrand à l'infiniment petit, faisant le détour sur ces échellesintermédiaires d'où émergent des propriétés insoupçonnéesil y a encore peu. Il développe la dialectique associant la com-préhension fondamentale du réel, l'expérimentation scienti-fique et la manipulation de la nature, la technologie. Organiséen chapitres largement indépendants, ce livre parlera autantaux physiciens qu'aux amateurs. En traitant par exemple dessymétries fondamentales jusqu'au fameux boson de 'Higgs',de la flèche du temps, de la révolution quantique, de son infor-mation et de l'électronique de spin, en passant par les proprié-tés uniques de l'eau, les systèmes frustrés (où des règles localesaboutissent à des solutions globalement non optimales), latransition vers le chaos, la fusion thermonucléaire ou le climat,ce livre communique l'enthousiasme de la découverte. Dans

un monde complexe où la connaissance est à la fois objetd'émancipation et de pouvoir, ce travail donne à voir notrecompréhension du réel et nous permet de saisir rationnelle-ment différents enjeux sociétaux (énergie, climat, santé…). Àrecommander à tous ceux qui veulent parler science en conscience.

Atlas des migrants enEurope (2e édition),Géographie critiquedes politiquesmigratoiresSOUS LA DIRECTION D'OLIVIERCLOCHARD

144 pages – Armand Colin, 2012Des éléments scientifiques pour comprendre les politiquesmigratoires de l’Europe libérale.Chaque année, des milliers de candidats à l'exil fuient leur paysen guerre ou en crise pour rejoindre l'Europe. Face à ce pré-tendu “risque” migratoire tant de fois mis en scène par lesmédias, l'Europe est en guerre, et il y a des morts. En 20 ans,non loin de 18000 migrants sont morts sur les «bas flancs» del'Union européenne. Les camps d'enfermement prolifèrent, ycompris sur la rive sud de la Méditerranée qui subit un blocusinversé. Paradoxe, dans un monde ouvert où la mobilité estpromue par les penseurs libéraux, l'Europe forteresse n'a decesse de fermer ses portes. Enfermement, politique des visas,droit d'asile, externalisation, directive retour, fichage, l'Europeinnove dramatiquement en matière de politique migratoire.Pour mettre à nu la réalité de ces politiques européennes sou-vent méconnues, le réseau Migreurop travaille depuis 10 ansà la mise en place d'une géographie critique et engagée quiappelle à remettre l'humain au centre de la réflexion. Ses prin-cipaux résultats sont à découvrir dans cette nouvelle édition.

M.L.

Brochure EauEdition spéciale de « Communisme& Ecologie »Après la brochure sur l'énergie (voir ci des-sous), la commission écologie du PCF a éla-boré une brochure sur les enjeux de l'eau. entéléchargement sur ww.pcf.fr

Pour unetransitionénergétiqueréussie.Edition spécialede « Commu-nisme &Ecologie »Une brochure conçue

collectivement par trois commissions du PCF :écologie, énergie, enseignement supérieur

nomie et politique, site rénové et très péda-gogique pour ceux et celles soucieux dese forger une bonne culture dans cedomaine et être au fait de la conjonctureéconomique. http://www.economie-poli-tique.org

La retraite : une bataillecapitaleLa revue duprojet, juin 2013,n°28 La revue du projet,revue mensuelle duPCF, pour le dossierdu mois de juin, nous

éclaire sur l'enjeu des retraites et de lanécessaire bataille à mener. Cette revueen est à son 28eme numéro, elle est dis-ponible en téléchargement libre sur le siteinternet du PCF (www.pcf.fr), mais il est éga-lement possible de s'y abonner en versionpapier (envoi par la poste). Un outil de cul-ture politique incontournable pour faire lepoint sur des enjeux d'actualité.

et recherche. Ce travail est une contribu-tion au débat public et pose les terme del'équation du problème énergétique : lesbesoins dans un monde en croissancedémographique, état des lieux des tech-niques avec leurs avantages et inconvé-nients, et protection de l'environnement (cli-mat, pollutions). En téléchargement libresur le site du PCF www.pcf.fr (existe aussi enversion papier)

Sécurisationde l’emploiN° spécial« Economie etPolitique » janvier-février 2013Economie et Politique,la revue de la com-mission économiquedu PCF, nous livre une

analyse et un décryptage de l'ANI et desa traduction par le projet de loi « sécuri-sation de l'emploi ». Depuis des années,la commission économique développeune proposition alternative de « sécuritéemploi-formation ». A noter que cette bro-chure est téléchargeable sur le site d'éco-

DU CÔTÉ DU PCF

Page 56: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

INTERVENTION

Madame la Ministre, Monsieur le rapporteur, Cher-e-s collegues,

« Je veux remettre l'education et la jeunesse au cœur de l'actionpublique » ! C'est une des propositions phares du candidat FrancoisHollande lors de sa campagne de l'election presidentielle. Nousavons eu a debattre, dans cet objectif, d’un projet de loi de refon-dation de l’ecole, affichant un volet programmation portant 60000postes sur cinq ans.

Nous pensions que la loi sur l'enseignement superieur et la rechercheauraient une ambition equivalente. Ce n'est pas le cas. Vous nousavez, Madame la ministre, explique en commission que vos objec-tifs seraient soumis aux arbitrages de Bercy. Les moyens d’une vraieambition nationale pour le developpement des connaissances, pourl’acquisition et la production des savoirs ne sont donc pas au ren-dez- vous, alors que les besoins sont immenses meme si la com-mission a adopte la necessite d’une future programmation plurian-nuelle des moyens.

Vous avez procede a une concertation du monde universitaire etde la recherche avec les Assises ou la communaute scientifiques’etait fortement impliquee. Or, aujourd'hui, a l'appel de leurs syn-dicats de la FSU, CGT, FO, Solidaires et a l’appel de nombreux col-lectifs, les universitaires et les chercheurs sont dans la rue pourdemander le retrait de votre projet de loi ! Vous n'avez pas su, sem-ble-t-il, tenir compte de la richesse de leurs propositions et recom-mandations. Alors qu'ils s’attendaient a une remise en cause clairede la loi LRU, mise en œuvre par la majorite precedente, les univer-sitaires et chercheurs constatent que le decollage n'a pas eu lieu.

Ils contestent la logique portee par ce projet, quant au role assignepar l'article 4 a l’Universite et a la Recherche :la competitivite del'economie. Vous incluez dans ce projet de loi la logique du « pactenational pour la croissance, la competitivite et l’emploi ».

En fait, vous substituez a l'essor economique, social, culturel, indus-triel le concept de competitivite. Un concept qui est un des der-niers avatars du neoliberalisme. Vous substituez la concurrence descapitaux, casseuse d’emploi, en lieu et place d’une production dura-ble pour repondre aux besoins des etres humains.

Notre pays a besoin au contraire, pour son essor scientifique et cul-turel, d’un developpement exponentiel de cooperations, de miseen commun de ressources et de compe tences intellectuelles a l’interieur de l’hexagone mais aussi a l’echelle europeenne et mon-diale.

La competitivite, alliee a la regionalisation accentuee par amende-ment a l’article 12 , ne correspond ni aux aspirations, ni a la pra-tique scientifique du monde universitaire et de la recherche. Cette

56

fuite en avant dans la mise en place de grands complexes univer-sitaires, mettant en concurrence regions ou metropoles est dange-reuse. Une vision regionale ne peut remplacer la coherence du ser-vice public et n’assure en rien l'egalite d’acces aux droits portee parla Republique pourtant affirmee a l’article 1 .

Vous nous dites, Madame la Ministre, que ce projet de loi a, avanttout, pour but la reussite des etudiants. L'objectif est juste. Et je mefelicite a cet egard que la formation initiale n'ait pas ete boutee horsdu code de l'education !

Mais, pour parler reussite, il faut traiter de la question des inegalitessociales. Je partage d'ailleurs ce qu'en dit l'expose des motifs duprojet de loi qui indique que notre systeme « reve le son incapa-cite a assurer des parcours d’orientation et de formation reussisaux jeunes issus des familles les plus modestes ». Mais, pour repon-dre a ce de fi, vous n'avancez pas sur l'allocation d’autonomiepour les etudiants ni sur un ve ritable pre-recrutement pour lesfuturs enseignants. Aussi, face a ces manques, je veux insister surle besoin de developper l’aide sociale aux etudiants par l’intermediairedes CROUS et CNOUS. Je veux d'autant plus le faire, que nousavons appris dans le meme temps, le gel d'une partie des dota-tions au CNOUS et votre volonte de construire 40 000 chambresd’etudiants ! Je me re jouis que nos amendements sur les nou-velles de l'observatoire de la vie e tudiante et sur le developpe-ment des oeuvres universitaires aient e te acceptes en commis-sion. Vous avez egalement,madame la Ministre, argumente surla re ussite des e tudiants grace a une re forme du premier cyclevisant une specialisation moins precoce. Dans son rapport,Monsieur le rapporteur nous precise qu'une reforme de l'orien-tation aura lieu a la suite « du seminaire gouvernemental sur lacompetitivite » .Le premier ministre a en effet annonce « que seraitamorce, des 2013, la mise en place d'un nouveau service publicde l'orientation, du secondaire au superieur.. » Un peu plus loin,le rapporteur precise « qu'une reforme globale du cycle licencefera l'objet de mesures d'ordre reglementaire ». Notre rapporteurnous indique que des mesures seront prises, mais elles ne figu-rent pas dans ce projet de loi. Vous comprendrez madame laministre et cher-e-s collegues, que l’importance du sujet puissenous porter a demander des precisions quant a vos intentionssur ces questions. Je voudrais a ce point de mon propos m’arreterplus particulierement sur le lien entre l’Universite et les bache-liers professionnels et technologiques.

Le projet initial leur permettait de beneficier d’un systeme de quo-tas pour integrer prioritairement les STS et les IUT, ce qui me sem-blait une mesure interessante pour les jeunes concernes a defautde couvrir l’ensemble du champ du cursus. Je m’inquiete de voirdes amendements gouvernementaux sur l’article 18 soumettre cesquotas a une negociation avec les chefs d’etablissement concernes; les lycees prives etant eux exonerees de l’obligation de signer desconventions avec l’Universite. Le probleme reste donc pose pour

Projet de loi Enseignement Superieur Recherche

Marie-George Buffet - Assemble e Nationale le 22 mai 2013

Loin de s’attaquer enfin aux inégalités sociales dans l’accès et la poursuite des études supérieures, laNouvelle Loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, est un mauvais replâtrage de la Loi LRU, pour-tant combattue vigoureusement par la Communauté scientifique et universitaire. L’Acte III de la décentra-lisation entre en force dans l’enseignement supérieur, et le management entrepreneurial européen enva-hit l’espace public et la figure du scientifique-manager devient la norme.

Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

Page 57: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

ces jeunes qui risquent d'etre soumis au bon vouloir de ce que l’onappelle le milieu socio- economique de leur region et de se voirempecher d'integrer des cursus de second cycle et de recherche.

La reussite, c'est aussi l'egalite republicaine devant le diplome oule concours. Or, malgre l’article 1 bis nouveau affirmant que l’Etatest le garant de l’egalite, nous craignons un glissement ineluctablevers des diplomes de groupements d’universites accroissant d'au-tant les inegalites territoriales que sociales. Car, si l’on fait le lienavec l'acte III de la decentralisation, ce qui nous est propose peutconduire a l'eclatement du service public national au profit d'uneconception europeenne des regions. C’est ainsi que nous compre-nons le glissement entre habilitation et accreditation en lien avecla creation des Communautes d’Etablissements. Mais je me feliciteque la commission ait adopte un amendement n’autorisant pas lesetablissements prives a delivrer des diplomes nationaux. Nosinquietudes sont renforcees par le non revalorisation du perimetred’action du CNESER.

Enfin, je me felicite que l’article 2 sur l’enseignement en langueetrangere ait ete modifie.

Concernant la recherche, autant je me felicite que soit affirme a l'ar-ticle 11 « une strategie nationale de recherche ...sous la coordina-tion du ministre charge de la recherche » autant je m'inquiete del'alinea suivant qui coince cette strategie entre les choix de l'unioneuropeenne et des regions. Quant au transfert, nous ne pouvonsque nous interroger de voir cette notion de transfert- meme encadreepar les amendements adoptes en commission- devenir la missionprioritaire de la recherche. Comme le disent Claudine Kahane etMarc Neveu, co -secretaires generaux du SNESUP : « combien dechercheurs passionnes ...expriment leur ecœurement de ne plusdisposer du temps long et des moyens perennes, indispensables ala maturation de sujets de recherche ambitieux, a l'oppose du pilo-tage utilitariste et a courte vue... » Certes, des relations entre le mondescientifique et l'entreprise sont necessaires, mais elles ne peuventpas resumer l'objectif des missions de l'ESR comme les articles 55le laissent supposer.

Et surtout, c’est la cooperation entre partenaires de choix construitssur la base du service public, sans domination de part et d’autre,qu’il faut viser. Sinon, on peut s’interroger sur le devenir de larecherche fondamentale ou sur celui de la recherche en scienceshumaines et sociales.

Les scientifiques sont acquis de longue date aux cooperations detoute nature mais ce dont ils et elles ne veulent en aucun cas, c’estde se soumettre a des exigences et a des injonctions qui sontexterieures a la logique scientifique.

Encore faut-il d'ailleurs, pour qu'existe une cooperation, que demeureune industrie et que celle ci s’impregne de l’exigence de recherche

en y consacrant les moyens adequats pour une production de qua-lite et non pour les dividendes.

En ce sens, je deplore que les rapports qui se succedent et preten-dent evaluer le CIR(Cre dit Impo t Recherche)tout en s’interro-geant sur son efficacite, concluent a la necessite de le reconduire.Ce sont en effet 5 milliards d’Euros qui sont soustraits a nos labo-ratoires publics au benefices d’entreprises comme Sanofi, Aventis,IBM,ou Texas Instruments ! On peut douter a la lumiere de cetteliste que ce dispositif ait fait ses preuves, notamment, Madamela Ministre, pour l'emploi. Ne faut-il pas, des cette annee, reintegrerla moitie des sommes dans le budget de nos laboratoires publics ?Ce serait un signe fort montrant que pour vous et votre gouver-nement, le ro le de la production et de l’appropriation collectivedes connaissances est devenu l’une des grandes questions denotre temps ?

En ce qui concerne l'evaluation, si on peut se satisfaire de la dispa-rition de l’AERES (Agence pour l’evaluation de la Recherche Scientifique)on doit pourtant constater son remplacement par une structurequasi a l'identique.

L’evaluation individuelle et collective est un exercice indispensa-ble, mais elle doit avoir pour objectif constant l’amelioration du tra-vail collectif de nos laboratoires et de celui de nos chercheuses etchercheurs,elle doit continuer a s'effectuer par les pairs elus. Eneffet va-t-on inventer une evaluation exterieure, par exemple pourle CERN (Centre europeen pour la recherche nucleaire) ce labora-toire gigantesque, temoin s'il en est de la cooperation scientifique,technologique et industriel entre differents pays.

Enfin, quelques mots sur la gouvernance.

D’abord pour me feliciter de l’instauration de la parite dans lesstructures, meme si helas l’ANR est maintenue et l’AERES mainte-nue de fait. . La creation du Conseil academique, ne doit pas attenuerles competences du CVU. Le CNESER ne doit pas voir ses preroga-tives diminuees en faveur de la tutelle, la ou des competences scien-tifiques sont requises.

Nous avons vu en d’autres temps et d’autres lieux ce a quoi ontpu conduire les velleites du politique de vouloir dire a la sciencece qui est bon pour elle et ce qui ne l’est pas! C’est pourquoi,madame la ministre, cher-e-s collegues, je crois que nous avonsun devoir d’entendre la communaute scientifique et universi-taire lorsqu’elle nous demande, pour etre efficace, de develop-per la democratie et non de corseter ou de multiplier les controleset l’encadrement.

Dernier point, la question de la precarite. 50 000 personnes sontconcernees ! La recherche et l'enseignement superieur ont besoinde temps long, d'acquisition permanente de connaissances et doncde stabilite, de veritable travail d'equipe. Cela est-il compatible avecune politique de reduction des depenses publiques ? Cela est-ilcompatible avec la gestion de la masse salariale par les Etablisse-ments d’enseignement superieur? D’ailleurs, vous avez deja com-mence a traiter le sujet dans la modification de l’article 3.

Madame la Ministre, aujourd'hui le SNESUP estime que : « le sensprofond des missions d'enseignement superieur et de recherche etla notion meme de service public national sont devoyes par le nou-veau projet de loi ».

Je veux encore croire que le debat au sein de notre hemicycle vapermettre de repondre aux attentes de celles et ceux qui manifes-tent aujourd'hui.

Je reste dans l'etat d'esprit d'y travailler tout au long de nos debatscar si ce projet reste en l’etat, les deputes de notre groupe se ver-ront contraints de voter contre ce projet.

JUIN-JUILLET-AOÛT 2013 Progressistes

57

Page 58: DOSSIER INDUSTRIE ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUEdata.over-blog-kiwi.com/0/77/72/87/201310/ob_447d57_progressiste … · SCIENCE ET TECHNOLOGIE ... La revue étudiera ces problèmes

À quelques mois des élections municipalesun dossier sur l’environnement autour desquestions du transport, de l’énergie, dutraitement des déchets, de l’eau…Chercheurs, élus, professionnels, militants,syndicalistes nous livrent leurs expérienceset leurs propositions d’avenir...

« L’histoire humaine n’est qu’un effort incessantd’invention, et la perpétuelle évolution est uneperpétuelle création. »

Jean Jaurès

Treuil : Machine servant à l’extraction des mines.Epures 1794-1850 - Bibliothèque École Polytechnique

Astrolabe planisphérique, instrument utilisé pour mesurer la hauteurdes astres au-dessus de l'horizon (XVIe siècle). Photo tirée de l'exposition « L'âge d'or des sciences arabes, en parte-nariat avec l'Institut du Monde Arabe ».

PROCHAIN NUMÉRO