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1 Année universitaire 2016/2017 Licence I Semestre II DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ Cours de Marie-Anne COHENDET, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, d’Elena-Simina TĂNĂSESCU, Professeur à l’Université de Bucarest et de Richard GHEVONTIAN, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille Travaux dirigés d’Elena PACEA, A.T.E.R. de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Séance n° 2 : La désignation des gouvernants et les modes de scrutin sous la Ve République Selon larticle 3, alinéa 1 er de la Constitution de 1958, « La souveraineté nationale appartient au peuple qui lexerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Si le peuple est le seul titulaire du pouvoir en démocratie, il ne peut pas toujours exercer directement le pouvoir quil détient. Lélection est devenue, ainsi, la principale modalité de la compétition politique. Mais est-ce que la désignation des gouvernants et les modes de scrutin sous la Ve République permettent au peuple dexercer réellement le pouvoir ? Actualité constitutionnelle : le groupe désigné pour présenter l’actualité constitutionnelle nous exposera un aspect récent et particulièrement intéressant concernant lélection présidentielle française en cours (5 minutes). Exposé : le groupe désigné pour présenter l’exposé interviendra sur le thème de lélection présidentielle en France (20 minutes). Commentaire de texte : En vous appuyant sur vos connaissances, vous commenterez ces phrases du professeur Guy Carcassonne : « Ni présidentielle, ni même semi-présidentielle, [la Vème République] est tout simplement parlementaire. […]. Elle l’est surtout politiquement, puisque si une victoire à l’élection présidentielle donne des possibilités, seules les élections législatives attribuent réellement le pouvoir » 1 . Exercices : 1. Définissez les notions suivantes : ballottage, corps électoral, droits civils et politiques, droit de vote, élection, électorat, grands électeurs, incompatibilité, loi référendaire, majorité, mandat, mode de scrutin, suffrage, transparence et vote. 2. Cas pratiques : voir le Document n° 1. 1 G. Carcassonne, La Constitution, Seuil, 2011 (10 ème éd.), p. 59.

DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ

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Page 1: DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ

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Année universitaire 2016/2017

Licence I – Semestre II

DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ

Cours de Marie-Anne COHENDET, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,

d’Elena-Simina TĂNĂSESCU, Professeur à l’Université de Bucarest et de

Richard GHEVONTIAN, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

Travaux dirigés d’Elena PACEA, A.T.E.R. de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Séance n° 2 : La désignation des gouvernants et les modes de scrutin sous la Ve

République Selon l’article 3, alinéa 1

er de la Constitution de 1958, « La souveraineté nationale appartient au

peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Si le peuple est le seul titulaire du pouvoir en démocratie, il ne peut pas toujours exercer directement le pouvoir qu’il détient. L’élection est devenue, ainsi, la principale modalité de la compétition politique. Mais est-ce que la désignation des gouvernants et les modes de scrutin sous la Ve République permettent au peuple d’exercer réellement le pouvoir ? Actualité constitutionnelle : le groupe désigné pour présenter l’actualité constitutionnelle nous

exposera un aspect récent et particulièrement intéressant concernant l’élection présidentielle française

en cours (5 minutes).

Exposé : le groupe désigné pour présenter l’exposé interviendra sur le thème de l’élection

présidentielle en France (20 minutes).

Commentaire de texte : En vous appuyant sur vos connaissances, vous commenterez ces phrases du

professeur Guy Carcassonne : « Ni présidentielle, ni même semi-présidentielle, [la Vème République]

est tout simplement parlementaire. […]. Elle l’est surtout politiquement, puisque si une victoire à

l’élection présidentielle donne des possibilités, seules les élections législatives attribuent réellement

le pouvoir »1.

Exercices :

1. Définissez les notions suivantes : ballottage, corps électoral, droits civils et politiques, droit de vote,

élection, électorat, grands électeurs, incompatibilité, loi référendaire, majorité, mandat, mode de scrutin,

suffrage, transparence et vote.

2. Cas pratiques : voir le Document n° 1.

1 G. Carcassonne, La Constitution, Seuil, 2011 (10

ème éd.), p. 59.

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Documents : Document n° 1 : R. BAUMERT, « Cas pratiques : les effets des modes de scrutin ». Document n° 2 : F. GOGUEL « II. L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique », in L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Presses de Sciences Po, 1950, pp. 69-83. Document n° 3 : Commission Vedel, Rapport sur le problème de la réforme du mode de scrutin pour l’élection des députés, février 1993. Document n° 4 : M. VERPEAUX, « Les nouvelles élections locales sont arrivées », RFDA, 2013, p. 1161. Document n° 5 : J.-P. FELDMAN, « Commission Jospin : l’erreur de la proportionnelle », Recueil Dalloz, 2012, p. 2977.

Document n°1 : R. BAUMERT, « Cas pratiques : les effets des modes de scrutin » :

Soit un Etat imaginaire, doté d’un système politique démocratique et parlementaire. Pour faciliter les

calculs, on confère à cet Etat les caractéristiques suivantes :

Le corps électoral compte 10.000 électeurs. Le vote est obligatoire, de sorte que tous les électeurs

d’une circonscription votent nécessairement.

Le parlement se compose d’une chambre unique où siègent 100 députés.

I. Scrutin majoritaire uninominal à un tour

S’inspirant du « first past the post » britannique, notre Etat imaginaire opte pour un mode de scrutin

majoritaire uninominal à un tour. Le pays est découpé en 100 circonscriptions électorales égales

(chacune compte donc 100 électeurs). Deux partis sont en compétition : le Parti travailliste (PT) et

l’Union conservatrice (UC).

1) Première élection législative : dans 80 circonscriptions, le PT obtient 40 % et l’UC 60 %. Dans les

20 circonscriptions restantes, c’est exactement l’inverse (PT : 60 % ; UC : 40 %).

a. Dans quelle proportion, le corps électoral a-t-il voté pour l’UC ? Combien de sièges l’UC obtient-

elle à la chambre ? Comment qualifier ce phénomène ?

b. Quel est le bénéfice de ce mode de scrutin ? Quel est son défaut le plus évident ?

2) Deuxième élection législative : dans 60 circonscriptions, l’UC n’a guère fait campagne. Le PT bien

implanté, obtient 55 % des voix dans chacune d’entre elles (l’UC, 45 %). L’UC a surtout fait campagne

dans les 40 circonscriptions restantes. Elle y obtient 80 % des voix, tandis que le PT n’obtient que 20 %.

a. Dans quelle proportion, le corps électoral a-t-il voté pour le PT ? Combien de sièges le PT obtient-il

à la chambre ? Quel parti formera le gouvernement ?

b. Comment l’UC devrait-elle améliorer sa stratégie et pour quelle raison ?

c. M. Bosso, un député du Sud, vous consulte. Il est à la tête de la Ligue séparatiste du Sud (LSS), un

parti nouveau qui représente les intérêts d’une minorité implantée dans une dizaine de circonscriptions du

Sud du pays. Cette région, particulièrement riche, veut se séparer du reste du pays. M. Bosso est certain

de pouvoir rassembler 90 % des électeurs mais seulement dans 10 circonscriptions. Pensez-vous que son

projet sécessionniste ait une grande chance d’aboutir à court terme ? Quel type de parti est favorisé par ce

mode de scrutin ?

3) Troisième élection législative : un nouveau parti apparaît, le Rassemblement modéré (RM). C’est un

parti centriste, dont la ligne politique est à mi-chemin de celles du PT et l’UC ; de sorte qu’il peut s’allier

indifféremment avec l’un ou l’autre de ces deux partis. Curieusement, dans toutes les circonscriptions, les

résultats sont : PT 40 % des voix ; RM 25 % des voix ; UC 35 % des voix.

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a. Combien de sièges le PT obtient-il à la chambre ? Qu’en est-il pour le RM ? Quel parti formera le

gouvernement ?

b. Ce mode de scrutin favorise-t-il les grands ou les petits partis ?

c. Au terme de la troisième législature, les dirigeants du RM et de l’UC consultent les sondages

d’opinion. Ils constatent que les intentions de vote sont globalement équivalentes pour les prochaines

législatives. Ils décident de former une alliance. Quelle(s) stratégie(s) pourriez-vous leur recommander ?

d. Pourquoi considère-t-on souvent que ce mode de scrutin encourage la bipolarisation de la vie

politique et éventuellement le bipartisme ?

II. Scrutin majoritaire uninominal à deux tours

Notre Etat imaginaire change de mode de scrutin.

Il met en place une élection présidentielle inspirée des articles 6 et 7 de la Constitution française.

Pour les législatives, il adopte un système proche du « scrutin d’arrondissement » pratiqué en France

sous les IIIème et Vème Républiques, c’est-à-dire un scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

o Pour remporter l’élection au premier tour, un candidat doit obtenir la majorité absolue des suffrages

exprimés, représentant au moins 12,5 % des inscrits.

o Pour se maintenir au second tour, un candidat doit avoir obtenu obtenir les suffrages d’au moins

12,5 % des inscrits. Etant donné que, dans notre Etat imaginaire, tous les inscrits votent nécessairement,

le pourcentage des voix exprimées et le pourcentage des inscrits sont identiques.

Le paysage politique s’est recomposé. Désormais, on trouve cinq partis, de gauche à droite : le Parti

écologiste (PE), le Parti travailliste (PT), le Rassemblement modéré (RM), l’Union conservatrice (UC) et

le Mouvement national (MN). Le PE et le PT sont alliés dans la campagne ; le RM et l’UC ont conclu une

alliance du même genre. En revanche, le MN est isolé sur la scène politique, car les autres partis le

soupçonnent de vouloir changer de régime.

1) Première circonscription, à l’issue du premier tour, les résultats sont : PE 14 % des voix ; PT 10

% des voix ; RM 53 % des voix, UC 8 % des voix ; MN 15 % des voix.

a. Qu’en déduisez-vous ?

2) Deuxième circonscription, à l’issue du premier tour, les résultats sont : PE 11 % des voix ; PT

28 % des voix ; RM 8 % des voix, UC 31 % des voix ; MN 22 % des voix.

a. Les commentateurs parlent d’une « triangulaire » où l’un des candidats serait en « ballotage

favorable ». Qu’est-ce à dire ? Partagez-vous ce diagnostic ?

b. Un autre commentateur affirme que « c’est l’électeur MN qui arbitrera le second tour ». Que veut-il

dire ?

3) Troisième circonscription, à l’issue du premier tour, les résultats sont : PE 10 % des voix ; PT 30

% des voix ; RM 15 % des voix ; UC 25 % des voix ; MN 20 % des voix.

a. Comment vont réagir les candidats du PE et du PT ?

b. Comment vont réagir les candidats du RM et de l’UC ?

4) Cinquième circonscription, avant le premier tour : sur le plan national, le PT est généralement

beaucoup mieux représenté que son allié écologiste (PE). Pourtant, dans cette circonscription, le PT ne

présente pas de candidat. En revanche, il soutient ouvertement le candidat écologiste, lequel est un ancien

ministre, populaire et bien connu des électeurs.

a. Dans une élection au scrutin majoritaire, vous semble-t-il préférable d’être mal élu dans de

nombreuses circonscriptions, ou bien élu dans quelques circonscriptions ?

b. Interloqué, vous discutez avec un responsable local du PT. Il vous répond de manière elliptique que

la stratégie suivie dans cette circonscription est délibérée, et qu’il faut la comprendre comme une

« rançon de la présidentielle ». Comment comprenez-vous ces propos ?

c. Le candidat du MN, pour sa part, dénonce « une magouille électorale de la bande des quatre ». Il

affirme que son parti représente entre 15 et 20 % de l’électorat national mais qu’il n’est jamais représenté

à la chambre du fait d’un système électoral injuste. Par contraste, le petit PE semble obtenir moins de

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suffrages sur le plan national, mais possède toujours un groupe parlementaire. Comment analysez-vous

ces propos ?

5) Comparaison des deux systèmes :

a. Le système britannique du « first past the post » britannique et le « scrutin d’arrondissements »

français ont certains effets communs en ce qui concerne la structuration du système partisan. Lesquels ?

En revanche, certains de leurs effets diffèrent. Lesquels ?

b. Selon P. Brunet et A. Le Pillouer, en France, la « bipolarisation se construit désormais surtout lors

[des élections législatives] car il est vital pour toute formation politique désireuse d’obtenir quelques

sièges au Parlement de nouer des alliances avec les partis plus importants.». Commentez.

III. Scrutin proportionnel

Notre Etat imaginaire change une nouvelle fois de système électoral. Il opte cette fois, pour un scrutin de

liste proportionnel. Aucun seuil minimal n’est requis pour obtenir un siège à franchir pour obtenir un

siège. Désormais, le pays ne compte plus que 10 grandes circonscriptions égales (chacune rassemble

donc 1.000 électeurs). Dans chaque circonscription, chaque parti propose une liste de 10 candidats.

1) Première circonscription électorale, à l’issue du vote : PE 20 %, PT 20 %, RM 10 %, UC 30 %,

MN 20 %.

a. Combien de députés de chaque parti siègeront à la chambre pour cette circonscription ?

2) Imaginons que les résultats soient exactement identiques dans toutes les circonscriptions du pays.

a. Dans quelle proportion le corps électoral national aura-t-il voté pour chaque parti ? Combien de

sièges détiendra chaque parti ?

b. Quel mode de scrutin (majoritaire et proportionnel), semble-t-il assurer une représentation plus

exacte des volontés du corps électoral ?

c. Quel bénéfice du scrutin majoritaire disparaît ?

3) Les responsables du MN et de la LSS se félicitent de cette réforme du mode de scrutin.

a. Pourquoi les responsables du MN se réjouissent-ils ? Sachant que les alliances entre les partis sont

identiques, le MN a-t-il une chance sérieuse d’entrer au gouvernement ? Ce système favorise-t-il les

partis extrêmes, comme on le dit parfois ?

b. Les dix circonscriptions du sud n’en forment plus qu’une seule. Si M. Bosso dit vrai (voir plus haut,

I.2.c.) combien peut-il espérer de sièges à la chambre ? Plus généralement, sous quelles conditions un

parti régional peut-il prospérer dans ce système ?

4) A l’issue des législatives, la composition de la chambre est la suivante : PE 12 sièges, PT 32 sièges,

RM 7 sièges, UC 35 sièges, MN 14 sièges.

a. Si aucun groupe parlementaire ne veut s’allier avec le MN pour former une majorité, quelles sont les

différentes majorités qui pourraient se dégager ?

b. Certains députés de l’UC évoquent la possibilité d’une « grande coalition à l’allemande ». Que

veulent-ils dire ? Au sein de leur parti, à quelle tendance appartiennent-ils vraisemblablement ?

c. Si le PE et le PT veulent gouverner ensemble, et que l’UC décide finalement de s’allier avec le MN,

quel parti « arbitrera » ? Pourquoi affirme-t-on parfois que les systèmes de ce type se « gouvernent

souvent au centre » ?

d. Si la LSS venait à remplacer le RM, quel avantage pourrait-elle tirer d’une telle situation ?

e. Certains observateurs, nostalgiques du scrutin majoritaire à un tour, affirment : « quelle que soit la

ligne politique du prochain gouvernement, personne ne l’aura sciemment choisie ». Que veulent-ils dire ?

f. Les mêmes évoquent « le spectre de la IVème République ». Les partisans du nouveau mode de

scrutin font au contraire valoir « le système allemand ». Que peut-on conclure de ces échanges ?

Document n°2 : F. GOGUEL « II. L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique », in L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Presses de Sciences Po, 1950, pp. 69-83 :

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Les pages précédentes ne font en somme que développer ce que Maurice Duverger écrivait en

octobre 1946 dans son article de la Vie intellectuelle, sur les Partis politiques et la démocratie : « Le

raisonnement aussi bien que l’observation permettent… de formuler la triple loi sociologique suivante : le

scrutin majoritaire à deux tours conduit aux partis multiples et incohérents ; la représentation

proportionnelle, aux partis multiples et cohérents ; le scrutin majoritaire à un seul tour, au dualisme des

partis ».

Peut-être serions-nous cependant personnellement tenté de dire « correspond à … » plutôt que «

conduit à… ». Les circonstances dans lesquelles le système des deux tours a été réintroduit dans la

législation française en 1873 et en 1927 nous portent en effet à penser que la relation entre régime

électoral et structure des partis ne sont pas unilatérales : la seconde agit aussi sur le premier, et c’est sans

doute dans une large mesure parce qu’il y avait plus de deux partis en France — même lorsqu’il n’y avait

que deux grandes tendances — que le régime de l’élection à la majorité relative n’a jamais pu s’installer

durablement dans notre pays.

Il faut en outre remarquer que le caractère uninominal ou plurinominal du scrutin exerce lui aussi

une influence sensible sur la structure des partis. Ceux-ci sont toujours plus forts quand il y a scrutin de

liste que dans le cas du scrutin d’arrondissement.

Enfin, comment ne pas voir que le problème de la structure des partis, c’est-à-dire en somme du

caractère plus ou moins collectif des formes de la vie politique, ne peut être isolé ? Il se rattache

évidemment à celui des formes de la vie économique et sociale. En France celle-ci est sans doute restée

profondément marquée par l’individualisme du xixe siècle dans certaines régions de polyculture,

d’artisanat et de petites entreprises commerciales et industrielles. Mais elle a évolué ailleurs — et dans

les régions les plus dynamiques et les plus productives du pays — vers des types d’organisation

collective de plus en plus fortement caractérisée (grandes entreprises industrielles ou agricoles,

syndicalisme, etc.). Là où ce phénomène s’est produit, il est évident que la vie politique ne pouvait

conserver les formes individualistes du passé. Mais là où il est absent, les formes nouvelles de la vie

politique, notamment le rôle décisif de grands partis disciplinés et bien organisés, ont au contraire de la

peine à s’acclimater.

Cette remarque paraît de nature à éclairer le problème des régimes électoraux et des types de vie

politique auxquels ils correspondent : le régime électoral est fonction du type de vie politique

correspondant à l’état général de la société, autant ou presque qu’il agit sur les formes de cette vie

politique. Et c’est peut-être dans la mesure où coexistent aujourd’hui en France, selon les régions, des

sociétés de structure très diverse, que le problème du choix d’un régime électoral qui corresponde aux

besoins de chacune d’elles, sans contribuer à accentuer leurs différences, se révèle particulièrement

difficile.

On a sans doute été trop loin en 1945-1946 dans la voie de l’« organisation » de la vie politique

par l’accroissement de l’autorité des partis. Mais on ne saurait non plus revenir purement et simplement à

l’individualisme d’autrefois. Sans doute la Solution de cette difficulté pourrait-elle être trouvée par le

moyen d’un système majoritaire de liste : l’existence de circonscriptions assez vastes pourrait par elle-

même suffire à maintenir aux partis, ces organes nécessaires d’une vie politique organisée sous une forme

collective, le rôle qui doit être le leur dans une société qui n’est plus entièrement individualiste ; le

caractère personnel du vote donnerait en même temps satisfaction aux aspirations des régions de structure

traditionnelle, qui répugnent à la discipline pesante de la liste bloquée ; enfin la nécessité inéluctable des

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coalitions électorales entre partis contribuerait à faciliter la formation au Parlement de majorités plus

cohérentes que celles qui ont existé depuis 1945.

Document n°3 : Commission Vedel, Rapport sur le problème de la réforme du mode de scrutin pour l’élection des députés, février 1993 : TROISIÈME PARTIE : PROPOSITIONS POUR UN SUFFRAGE MAJORITAIRE AMENDÉ.

I. Une démarche empirique.

Il s'agit de trouver un système qui, sans priver le parti ou la coalition majoritaire des avantages

que lui assure le scrutin, offre des sièges au sein de la non-majorité à des forces politiques dont l'entrée

dans la vie parlementaire ne serait pas possible sans un correctif apporté au scrutin majoritaire.

Certes, les considérations que l'on vient de développer ont-elles déjà été avancées dans divers

secteurs de l'opinion et ont inspiré des propositions tendant à un certain amalgame entre le scrutin

majoritaire et la représentation proportionnelle.

Mentionnons tout de suite, malheureusement pour l'écarter, celle qui tendrait à maintenir le statu

quo dans les départements petits ou moyens, mais à instaurer la proportionnelle dans les grands

départements. L'idée peut paraître séduisante : elle comporte une innovation sans bouleversement ; elle

respecte le cadre départemental mais à l'instar de ce qui se passe pour les élections sénatoriales, elle

conduit à utiliser l'un ou l'autre mode de scrutin suivant les possibilités que lui offre la population de la

circonscription.

Les objections à cette proposition paraissent pourtant être dirimantes.

En premier lieu, il est à craindre qu'elle ne soit arguée d'inconstitutionnalité. En outre, même si

juridiquement le système alternatif en question était acceptable, il serait sans doute assez mal reçu par les

électeurs qui comprendraient difficilement que, s'agissant de désigner leurs représentants, ils aient à

s'exprimer de façon différente au sein du même territoire.

Enfin, puisqu'il s'agit de rechercher une solution acceptable par des partenaires devant accepter les

uns et les autres une inflexion par rapport à leur choix de principe, il faut qu'ils puissent mesurer au moins

approximativement l'étendue des sacrifices qu'ils accepteraient respectivement par rapport à ce choix. Or,

cette évaluation serait difficile à opérer ne serait-ce que parce que les réactions du corps électoral à cette

duplication du mode de scrutin seraient assez imprévisibles, tout comme les tactiques électorales des

partis.

Une autre façon de réaliser une amélioration du mode de scrutin existant pourrait s'inspirer du

système retenu pour les élections municipales dans les communes de 3 500 habitants et plus. Ce système

a la vertu de maintenir et même, en certains cas, de renforcer le principe majoritaire tout en assurant une

représentation substantielle des minorités. Selon l'opinion générale, il a donné en pratique de bons

résultats.

Pourtant il est impossible de transposer purement et simplement le système des élections

municipales aux élections législatives, et ceci, pour deux raisons.

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La première est que ce mode de scrutin n'a de sens que s'il existe un assez grand nombre de sièges

à répartir. On ne saurait l'appliquer évidemment, au moins dans la plupart des cas, dans le cadre

départemental. Il faudrait au moins des circonscriptions régionales pour qu'il puisse fonctionner. Ce

bouleversement éloignerait très largement les élus des électeurs et supposerait des campagnes électorales

très étrangères à la tradition française.

En second lieu, pour que ce mode de scrutin produise au plan national des effets comparables à

ceux qu'il produit généralement au plan municipal, c'est-à-dire l'assurance d'une solide majorité

accompagnée d'une représentation convenable des minorités, il faudrait que le jeu des alliances, des

désistements et des fusions de listes au second tour fût homogène sur l'ensemble du territoire, ce qui

rendrait nécessaire une réglementation difficilement supportée par les candidats et par les électeurs. Que

l'on se rappelle le système électoral qui fonctionna lors des élections de 1951 et de 1956 avec l'institution

des apparentements. Le vice essentiel du système était que son efficacité était suspendue à une certaine

homogénéité des alliances dans les divers départements. Les élections de 1951 et de 1956 furent assez

différentes du fait que les apparentements, assez bien préparés au plan national en 1951, le furent

beaucoup moins bien en 1956.

Dès lors, les possibilités de choix se rétrécissent. Les chances de voir naître une majorité stable et

cohérente sont suspendues semble-t-il au maintien du scrutin uninominal majoritaire à deux tours. La

correction dans le sens que l'on a indiqué plus haut, c'est-à-dire l'accès de toutes les forces politiques

ayant un impact réel sur l'opinion à la vie parlementaire, ne peut être obtenue que par la superposition à

ce scrutin majoritaire d'une part convenablement calculée de scrutin proportionnel.

A l'exception de M. Brunhes, qui estime que l'adhésion à un tel système dépend de négociations

menées par les différentes forces politiques, les membres de la Commission ont considéré qu'un mode de

scrutin complexe élaboré selon les principes ainsi définis pouvait constituer une amélioration acceptable

du système actuel.

Quant à sa mise en œuvre, elle suppose des prévisions comportant des choix politiques et

techniques, qu'il convient d'exposer maintenant.

L'on se dirige donc vers un mode de scrutin qui, pour la plupart des sièges de l'Assemblée

nationale, résulte du vote selon le scrutin uninominal majoritaire à deux tours mais qui, pour une part non

négligeable, superpose à cette attribution une élection à la proportionnelle. Le mode de scrutin complexe

ainsi défini est identique pour l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des électeurs.

Les modalités de réalisation de ce système posent trois séries de problèmes :

- Le premier est de savoir quel pourcentage des sièges seront attribués selon le scrutin majoritaire

et quel pourcentage à la proportionnelle.

- Le second est de déterminer si l'électeur émettra un ou deux votes. En d'autres termes, le même

bulletin portant, selon les règles du scrutin uninominal majoritaire, le nom d'un candidat (avec jumelage

le cas échéant d'un suppléant) servira-t-il à la fois à l'attribution du siège de la circonscription et d'élément

du calcul relatif au jeu de la proportionnelle ? Ou bien, l'électeur, au premier tour, disposera-t-il de deux

bulletins, l'un servant à la désignation de l'élu de la circonscription et l'autre réservé au vote à la

proportionnelle ?

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- Enfin, la superposition de sièges attribués au scrutin majoritaire et de sièges attribués à la

proportionnelle se réalisera-t-elle par un accroissement de l'effectif actuel de l'Assemblée nationale ou au

contraire à l'intérieur de cet effectif et donc après un redécoupage et un élargissement des circonscriptions

actuellement existantes ?

Avant d'entrer dans l'examen de ces questions, il faut observer que, si chacune comporte ses

propres réponses, celles-ci ne sont pas indépendantes les unes des autres.

Cette indépendance peut être d'abord rendue impossible par des considérations objectives de

cohérence. Par exemple, il serait difficile de choisir à la fois un système faisant à la part de sièges

attribués à la proportionnelle une part très importante et d'opter pour un accroissement du nombre de

sièges de l'Assemblée nationale qui, en ce cas, deviendrait tellement excessif que son acceptation par

l'opinion serait improbable.

Mais à cette dépendance objective des réponses les unes par rapport aux autres (et dont on

pourrait donner d'autres exemples) s'ajoute ce que l'on pourrait appeler une dépendance subjective. En

effet, pour tel ou tel des membres de la Commission, l'admission même du système dans son principe est

suspendue impérativement pour lui à l'adoption de telle ou telle réponse concernant telle ou telle

modalité. Par exemple certains membres de la Commission estiment que la réforme envisagée ne serait

acceptable que si elle ne s'accompagnait pas d'une augmentation du nombre des députés.

Néanmoins, dans ce qui suit, on exposera quelles sont les réponses possibles aux questions que

l'on vient d'évoquer et qui peuvent constituer autant de « variantes » au système dont le principe a été

exposé. La manière dont ces variantes peuvent se combiner entre elles, sauf le cas où il s'agit

d'incompatibilités « objectives » serait normalement du ressort d'une négociation politique entre

partenaires institutionnels. Le choix entre les variantes possibles et la combinaison éventuelle de celles-ci

fera l'objet de la part de la Commission (sauf unanimité dans son sein), de simples indications de

tendances accompagnées d'une analyse des motifs invoqués par les tenants de telle ou telle variante.

II. Les systèmes envisagés.

Deux systèmes susceptibles de garantir l'accès à la vie parlementaire de toutes les formations

politiques représentant un courant d'opinion significatif ont fait l'objet d'une étude approfondie. Ils ont

pour point commun d'assurer la répartition selon un mode proportionnel d'une part des sièges de

l'Assemblée, tout en préservant le caractère essentiellement majoritaire du mode de scrutin. Mais le

second, qui a été jugé préférable par la plus grande partie de la Commission, fait appel à un double vote

de la part de l'électeur.

1. Répartition selon un mode proportionnel d'un quota de sièges au profit des formations «

défavorisées » par le suffrage majoritaire.

La logique du système consiste à réserver une fraction du total des sièges - le dixième, par

exemple -, qui sera répartie entre les formations « défavorisées » par la mécanique du scrutin uninominal

à deux tours. Dans cette perspective, on entend par « formations défavorisées » celles qui supportent un

déficit de représentation par rapport aux attachements partisans exprimés par les électeurs, lors du

premier tour des élections au suffrage majoritaire. Est réputée déficitaire la formation qui a obtenu, à

l'issue du scrutin majoritaire, une proportion de sièges inférieure à la part des voix recueillies par ses

candidats dans le total des suffrages exprimés lors du premier tour des élections.

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La répartition des sièges entre les formations défavorisées se fait sur listes nationales, et à la plus

forte moyenne, le nombre de voix dont dispose chaque formation étant égal au total des suffrages

recueillis par ses candidats lors du premier tour, diminué du nombre des voix obtenues par ceux de ces

candidats qui ont été élus à l'issue du premier ou du second tour du scrutin uninominal. Ne sont donc

comptabilisées que les voix « infructueuses », c'est-à-dire celles qui n'ont pas servi à l'élection d'un

candidat. Le rattachement à une liste nationale des voix obtenues par les candidats ayant concouru dans le

cadre du scrutin uninominal suppose l'institution d'une procédure d'association de ceux-ci avec celles-là :

les listes nationales sont constituées avant le premier tour du scrutin uninominal ; lors de sa déclaration

de candidature à ce tour, chaque candidat peut en outre déclarer s'associer à l'une ou l'autre des listes

nationales. Les électeurs savent alors que les voix qu'il recueillera, non seulement serviront à son élection

éventuelle, mais seront en outre comptabilisées au profit de la liste à laquelle il est associé.

Le principal intérêt de ce système réside dans la correction qu'il est susceptible d'apporter aux

effets les plus contestés du suffrage majoritaire. Les formations qui, tout en exprimant un courant

d'opinion significatif, refusent le jeu des alliances, et n'ont pas atteint une taille ou ne bénéficient pas

d'une répartition de leur électorat qui leur permettent de concourir efficacement dans le cadre du scrutin

majoritaire, seraient néanmoins assurées d'une représentation nationale. De façon plus générale, le

phénomène d'amplification lié au suffrage majoritaire en serait légèrement atténué : la réduction relative

de la prime majoritaire - qui ne porterait plus que sur 90 % des sièges - permettrait d'atteindre une

représentation plus équilibrée entre les différentes formations ayant participé aux alliances, qu'il s'agisse

des partis minoritaires au sein de la coalition victorieuse, ou des formations composant la coalition

minoritaire.

Pour autant, ce mode de correction, dès lors qu'il ne porterait que sur un nombre limité de sièges,

conserverait au scrutin législatif sa dominante majoritaire, et ne remettrait donc pas en cause, en principe,

l'avantage principal d'un tel mode de scrutin, qui est de favoriser l'émergence d'une majorité de

gouvernement. Les formations « défavorisées » obtiendraient un nombre de sièges représentant entre le

cinquième et le quart de ceux qui leur seraient revenus à la proportionnelle nationale, sur la base de leurs

voix du premier tour.

Le système ainsi décrit s'expose néanmoins à une double série de critiques.

Les premières viennent du lien qu'il institue entre résultats du suffrage uninominal et répartition

des sièges attribués à la proportionnelle. Sans doute ne s'agit-il en principe que d'un lien purement

arithmétique, les résultats du premier tour servant également à constituer les résultats des listes

nationales. Mais une fois perçu, ce lien est susceptible d'influer sur le comportement tant des partis que

des électeurs lors du premier tour. Les formations minoritaires risquent d'être incitées à multiplier les

candidatures au scrutin uninominal, dans le seul but d'accumuler des voix en vue de la répartition

proportionnelle. Il peut en résulter un éparpillement des suffrages faussant la logique majoritaire. Les

électeurs, de leur côté, seront conduits à arbitrer entre un réflexe majoritaire, qui les inciterait à « préparer

le second tour », c'est-à-dire à accorder leur voix à l'une ou l'autre des grandes coalitions en présence, et

le désir de faire profiter de leur suffrage une formation située en dehors des alliances, dont ils sauront que

la représentation dépend des voix recueillies lors du premier tour. Ainsi la double valeur accordée aux

résultats du premier tour risque-t-elle, dans une mesure difficile à estimer, d'en affecter le principe, qui

est de constituer le premier stade d'une construction majoritaire.

Une seconde série de critiques portent sur le caractère même du système, qui est jugé par une

majorité des membres de la Commission trop « abstrait » ou « complexe », pour assurer suffisamment la

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légitimité des députés dont il aura permis l'élection. Celle-ci ne résulte pas en effet de votes exprès en

faveur de la liste sur laquelle ils figurent, mais d'une procédure sur laquelle l'électeur n'a pas de prise, et

qui consiste à transférer à des listes des suffrages obtenus par des candidats individuels. Rien n'assure,

d'autre part, que l'électeur a bien entendu exprimer par ce vote une adhésion partisane : dans le cadre d'un

scrutin uninominal, le vote peut révéler l'attachement à une personne plus qu'à un parti ; dans une logique

majoritaire, le choix, au premier tour, du candidat d'une formation située en dehors des alliances peut

avoir le caractère d'un vote de protestation, sans pour autant manifester un accord avec les positions

affirmées par la formation qui en bénéficie. Enfin, l'institution d'une technique de compensation des

effets du scrutin majoritaire au moyen d'un mécanisme abstrait et complexe risque de donner aux

électeurs le sentiment que l'on « corrige » les résultats des choix qu'ils ont exprimés.

2. Adjonction au scrutin uninominal de l'élection à la proportionnelle d'une partie des députés.

Ce système a le même point de départ que le précédent : il s'agit, sans renoncer au scrutin

uninominal majoritaire à deux tours, de réserver une partie des sièges de l'Assemblée, qui seront répartis,

à la proportionnelle, entre des listes nationales. Mais c'est ici l'électeur lui-même qui exprime directement

sa préférence pour l'une ou l'autre des listes en présence. Il dispose donc, lors du premier tour, de deux

bulletins : l'un avec lequel il participe, selon des modalités inchangées, au scrutin de circonscription,

l'autre qui lui permet de voter pour une liste nationale, en vue de la répartition des sièges attribués à la

proportionnelle.

Quant à ses avantages et ses limites, ce mécanisme apparaît comme le symétrique du précédent. Il

a le mérite de la simplicité, et son caractère démocratique ne saurait être suspecté. Toute élection procède,

directement, d'un vote exprès. D'un point de vue technique, l'usage simultané de deux bulletins ne doit

pas déconcerter l'électeur, qui s'est accoutumé, sans difficulté, au regroupement à une même date de

différents scrutins.

En revanche, à la différence du précédent, ce système n'est pas conçu en vue de réserver aux

formations minoritaires le bénéfice des sièges attribués à la proportionnelle : l'ensemble des listes y ont

également accès et donc, parmi elles, celles des formations qui bénéficieront de la « prime majoritaire ».

Cet élément ne constitue pas, par lui-même, un handicap, si l'on donne pour unique objet au «

second scrutin » de garantir la présence dans l'Assemblée de formations placées hors des alliances, sans

prétendre pour autant introduire un correctif proportionnel dans le mécanisme majoritaire. Encore peut-

on alors se demander quelle doit être la largeur de la porte ainsi ouverte. L'attribution à la proportionnelle

d'un nombre limité de sièges - un dixième, par exemple - doit permettre que toute formation représentant

un courant d'opinion important puisse se faire entendre au sein de l'Assemblée, autrement dit « accède à

la tribune », en disposant d'au moins un élu. Certains des membres de la Commission ont toutefois

exprimé leur crainte qu'une telle représentation n'ait un caractère trop symbolique, alors que l'accès à

l'Assemblée devrait, selon eux, donner aux formations minoritaires, non seulement une possibilité

d'expression, mais également la faculté de participer réellement à la vie institutionnelle du Parlement,

notamment par le biais du travail en commissions.

Assurer, dans cette perspective, l'entrée d'un nombre suffisant de représentants des formations

minoritaires supposerait alors, soit de réserver une part importante des sièges à la répartition

proportionnelle - mais avec le risque de remettre en cause les chances que se dégage une majorité -, soit

d'emprunter l'une de ses caractéristiques au premier système décrit : les sièges réservés aux listes

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nationales seraient répartis à l'issue du scrutin spécifique, mais seules les listes des formations «

défavorisées » (1) auraient accès à cette répartition.

Les effets attendus du système dépendent enfin, pour une bonne part, de la perception qu'en

auront les électeurs. Ceux-ci peuvent se borner à reproduire dans leur vote de liste le choix qu'ils auront

fait dans le cadre du scrutin uninominal. Mais il est également concevable qu'une partie d'entre eux, ayant

pris conscience de la logique spécifique de chacun des deux modes de scrutin, dissocie le vote qui sert à

préparer le second tour d'un scrutin uninominal et se situe donc dans une perspective d'affrontement

bipolaire, de celui qui permet d'assurer la représentation d'une formation dont on estime que les idées ou

les positions méritent de trouver un écho au Parlement. Ainsi le second scrutin permettrait-il une forme

d'auto-correction des effets du vote majoritaire par l'électeur lui-même, et les formations minoritaires

pourraient-elles recueillir, dans ce cadre, une part des suffrages dépassant le nombre de leurs électeurs

habituels.

III. Problèmes liés à la superposition de deux modes de scrutin.

L'introduction d'un mode de scrutin complexe soulève un certain nombre de difficultés. Aucune

n'a paru constituer un obstacle majeur.

1. Attribuer à la représentation proportionnelle une part des sièges suppose, soit d'accroître le

nombre total des députés, les élus sur listes nationales venant s'ajouter à ceux des circonscriptions, soit, à

effectif inchangé, de restreindre le nombre des circonscriptions, et donc de procéder à un nouveau

découpage.

On trouvera en annexe une analyse des difficultés que rencontre chacune des deux solutions. Il

convient toutefois de souligner qu'une partie des membres de la Commission ont exprimé leur opposition

catégorique à la première.

2. La coexistence de députés élus selon des modalités différentes ne paraît pas soulever d'obstacle

anticonstitutionnel, dès lors qu'est respecté le principe d'égalité tant entre les électeurs que les élus : la

voix de chaque électeur pèse d'un même poids dans chacun des deux scrutins ; les députés disposent d'un

statut et de prérogatives identiques, quel que soit leur mode d'élection.

On signalera cependant une difficulté qui tient à la participation des députés au collège qui élit,

dans chaque département, les sénateurs. Elle peut être résolue soit en rattachant les députés élus sur liste

nationale au département ou à la collectivité dans lequel ils sont inscrits comme électeurs, soit, si l'on

veut aller jusque là, en excluant les députés de l'électorat des sénateurs. Mais cette question, relative à

l'élection des sénateurs, sort du mandat de la Commission.

3. L'élection de députés dans un cadre national n'est certes guère conforme à la tradition française,

qui est celle d'un découpage du territoire garantissant la perception d'un lien entre l'élu et l'électeur.

D'autre part, l'établissement de listes par les soins des partis, qui empêche l'électeur d'exprimer ses

préférences pour une personne, fait traditionnellement l'objet de critiques. Mais ces inconvénients ne

doivent pas être surestimés, dès lors que seule une minorité de députés est concernée, et que l'objectif du

système, qui est de permettre l'accès au Parlement de porte-parole des diverses formations, est clairement

affirmé. Au reste, tout parti de quelque importance dispose de circonscriptions sûres et peut ainsi garantir

l'élection de ses principaux leaders, même dans le cadre d'un scrutin majoritaire.

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4. Les électeurs admettraient sans doute plus difficilement que des candidats, battus dans le cadre

du scrutin uninominal, soient néanmoins élus, parce qu'ils étaient également présents sur une liste

nationale. Aussi paraît-il souhaitable d'interdire la double candidature.

Document n° 4 : M. VERPEAUX, « Les nouvelles élections locales sont arrivées », RFDA, 2013, p. 1161 :

Les petites révolutions de la démocratie locale.

Le scrutin binominal.

La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 avait voulu instituer un élu

unique pour siéger dans les conseils généraux et les conseils régionaux, pensant résoudre ainsi la

superposition jugée désastreuse entre les régions et les départements (40). L'article 1er de la loi prévoyait

à la fois le principe même des conseillers territoriaux et leur mode de désignation : « Les conseillers

territoriaux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours selon les modalités prévues au titre

III du Livre Ier du code électoral ». Le conseiller territorial, qui aurait dû être élu pour la première fois en

2014, est supprimé par l'article 48 de la loi du 17 mai 2013, qui abroge ainsi les articles 1, 3, 5, 6 et 81 de

la loi du 16 décembre 2010 précitée. Ces dispositions n'auront en réalité jamais été appliquées. En

conséquence, l'article 3 de la loi de 2013 modifie l'article L. 191 du code électoral, qui prévoyait que «

Chaque canton du département élit un membre du conseil général », en le rédigeant de cette nouvelle

manière : « Les électeurs de chaque canton du département élisent au conseil départemental deux

membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats dont les noms sont ordonnés dans

l'ordre alphabétique sur tout bulletin de vote imprimé à l'occasion de l'élection ». Le binôme est paritaire

mais il ne sert qu'à la désignation des conseillers départementaux. Il n'a pas vocation à perdurer une fois

l'élection acquise.

Document n° 5 : J.-P. FELDMAN, « Commission Jospin : l’erreur de la proportionnelle », Recueil Dalloz, 2012, p. 2977 :

La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique a remis son rapport (Pour un

renouveau démocratique, nov. 2012, 131 p.). Le chef de l'Etat lui avait demandé notamment de réfléchir

à une réforme du mode de scrutin applicable aux élections législatives « afin de mieux refléter la diversité

des courants de pensée et d'opinion ». Sans surprise, la Commission Jospin propose d'introduire une part

de représentation proportionnelle pour l'élection des députés, mais, consciente du risque accru qu'une

majorité nette ne puisse se dégager et par conséquent que la stabilité gouvernementale ne soit pas assurée,

elle propose de restreindre la part des députés ainsi élus à 10 % au maximum (ibid., p. 38).

Même limitée, la proportionnelle apparaît comme une fausse bonne idée, fût-elle à la mode. En

effet, elle présente un double risque. D'abord, et quoi qu'en dise la Commission, elle risque de porter

atteinte à l'indispensable constitution d'une majorité de gouvernement. On oublie trop souvent qu'en

régime parlementaire - et la Ve République française appartient bien à cette catégorie - le gouvernement

doit être soutenu par une majorité claire et stable. Avec le scrutin majoritaire, lorsque le citoyen vote, il

sait non seulement qui il souhaite élire comme député, mais encore pour quelle majorité. Avec la

représentation proportionnelle, la supposée souveraineté du peuple se transforme en souveraineté du

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Parlement et, de fait, en souveraineté des états-majors des partis politiques. Une fois le vote effectué,

l'électeur n'a plus prise sur le pouvoir et les combinaisons politiques prennent le relais afin de former une

majorité plus ou moins fragile. Le lien entre l'électeur et l'élu se trouve rompu au profit d'une démocratie

de partis politiques, sans possibilité de sanction véritable à l'égard de ceux qui ont échoué.

Ensuite, introduire une part de proportionnelle est la porte ouverte à l'arbitraire. Pourquoi la

limiter à 10 % ? Pourquoi ne pas la doubler ou la tripler ? Il est révélateur que deux des membres de la

Commission Jospin aient présenté des opinions séparées pour se lamenter entre autres de la pusillanimité

du rapport à cet égard (ibid., p. 109-111). Celui-ci prend l'exemple d'un parti qui recueillerait 10 % des

suffrages au scrutin proportionnel et qui serait ainsi représenté par cinq ou six députés sur 577 (ibid., p.

39). Quelle victoire pour la représentativité ! Ceux qui pensent faire élire des tombereaux de

parlementaires avec ce scrutin mixte se trompent : la réforme proposée n'est autre qu'un trompe-l'oeil.

Augurons que la proposition ne satisfasse personne et que, si elle est adoptée, elle ouvre une véritable

boîte de Pandore.

D'aucuns rétorqueront que la représentation proportionnelle, pratiquée dans la plupart des Etats

européens, oeuvre à la justice électorale. Mais elle n'est « juste » que lorsqu'elle est intégrale et,

lorsqu'elle est intégrale, elle est complexe et désastreuse.

De plus, et ceci est trop rarement souligné, la représentation proportionnelle favorise, plus que le

scrutin majoritaire, le « marché politique » par l'achat des voix et des passe-droits. Dans un pays perclus

de conservatisme et confronté à des difficultés financières majeures, elle ne paraît guère opportune.

Finalement, il est regrettable que l'on ne s'interroge pas plutôt, comme le souhaitait d'ailleurs

Michel Debré, le père des institutions de la Ve République, sur l'instauration d'un scrutin majoritaire à un

tour qui, lui, allie l'efficacité à la simplicité en poussant à l'élimination électorale des partis sans

programme de gouvernement.