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L’Autorité palestinienne hérite d’une économie ruinée UNE ÉCONOMIE BRISÉE PAR LA GUERRE LE SOUTIEN MAJEUR DE L'AIDE INTERNATIONALE 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 1999 2000 2001 2002 2003 2002 2003 Source : FMI Source : Banque mondiale/OCDE 0 300 600 900 1 200 1500 6,1 2,5 12,2 11,8 8,9 – 5,4 – 14,8 –10,1 6,1 Début de la seconde intifada et bouclage progressif desterritoires par Israël Le déblocage desrecettes fiscales duespar Israël à lAutorité palestinienne a permis de stimuler l'activité Croissance du PIB dans lesterritoirespalestiniens, en %par an Revenu annuel par habitant, en dollars Aide publique au veloppement, par an, par habitant, en dollars UNE GRANDE PAUVRETÉ Source : Banque mondiale 3,4 millions d'habitants Population 47% dont vivent en dessous duseuil de pauvreté (moins de 2 dollars/jour) 505 925 184 1 493 OFFRES D’EMPLOI S i la succession de Yasser Arafat n’a pas débouché sur le vide que l’on pou- vait craindre, nul ne se hasarde, pour autant, à prévoir la pérennité du triumvirat qui a pris les rênes de l’Autorité palestinienne. Pas plus que sa capacité à réanimer un plan de paix profondément ensa- blé en raison des violences qui continuent à ensanglanter aussi bien les territoires palestiniens que l’Etat hébreu. Dans une Palestine qui traverse une crise économique et sociale sans précédent, 47 % de la population vit avec 2 dollars par jour, il est à craindre que la réacti- vation espérée de la « feuille de route » lancée au printemps 2003, à l’initiative d’un Quartet compo- sé des Etats-Unis, de l’Union euro- péenne, de la Russie et des Nations unies afin de tenter une nouvelle amorce de normalisation entre les deux peuples, ne reste let- tre morte. Au fil des ans, sur fond de conflit territorial toujours insolu- ble, les disparités n’ont fait que s’accentuer. Face à la vigueur d’une économie israélienne, forte de ses performances agricoles autant que technologiques, et épaulée par l’aide financière amé- ricaine, que pèsent les territoires dits « autonomes » et leurs habi- tants, dont le revenu réel s’est effondré en quatre ans ? Depuis le début de la deuxième Intifada en 2000, la divergence des deux éco- nomies s’est accentuée. Asphyxiée par le bouclage des ter- ritoires et l’occupation militaire israélienne, l’économie palesti- nienne s’est vu brutalement ampu- tée de ses principales sources de revenus : salaires des travailleurs palestiniens en Israël – ils assu- raient encore, en 1999, 18 % des revenus de la population – ; recet- tes fiscales prélevées par Israël pour le compte de l’Autorité pales- tinienne (60 % du budget) et enfin, effondrement général des échanges commerciaux entravés par l’étanchéité croissante des frontières et une circulation deve- nue impossible aussi bien entre les deux morceaux des territoires – Cisjordanie et Gaza – qu’avec Israël, client quasi exclusif des entreprises palestiniennes. La construction du « mur de sécurité » pour protéger Israël des attaques terroristes a aggravé encore un peu plus cette situation d’isolement. Sans l’aide internatio- nale qui est venue, en partie, com- penser cet appauvrissement sans précédent, il est difficile d’imagi- ner ce que seraient, aujourd’hui, les conditions de vie des Palesti- niens dont le revenu annuel par habitant a chuté de près de 40 % en quatre ans. Avec une injection d’1 milliard de dollars, en moyen- ne – portant le niveau de l’aide publique au développement (APD) à un record mondial de 505 dollars par habitant en 2002, lorsqu’il n’atteint que 27 dollars en Afrique –, l’effort de la commu- nauté internationale n’est pas sans limites. Depuis quelque temps, les donateurs ne cachent plus une certaine « fatigue », qui s’est, d’ailleurs, traduite dans les derniers chiffres publiés au mois d’août : sur les quatre premiers mois, les bailleurs ont envoyé deux fois moins d’argent qu’ils n’avaient promis. L’aide dans un tel contexte de chaos ne peut pas accomplir des miracles. La Ban- que mondiale a calculé qu’un chè- que supplémentaire de 500 mil- lions de dollars suffirait à peine à stabiliser le revenu des 3,4 mil- lions de Palestiniens. Quatre ans après la reprise des hostilités, l’écart entre les deux sociétés n’a jamais été aussi important. Les 6,7 millions d’Israé- liens vivent avec un revenu de 16 500 dollars par an, les Palesti- niens 925. Au classement du déve- loppement humain établi par les Nations unies, Israël occupe la vingt-deuxième place sur 177 et les Palestiniens la cent deuxième. Cela se traduit notamment par des taux de mortalité infantile quatre fois supérieurs dans les ter- ritoires et une espérance de vie inférieure en moyenne de sept ans. Cette réalité hypothèque lourde- ment l’élaboration d’un processus de paix durable que tous les experts fondent, rapport après rapport, sur la convergence de niveaux de vie entre les deux populations. Jugé secondaire par rapport au processus politique, le « contenu économique » de la paix est pourtant essentiel. C’est le sens de la « feuille de route éco- nomique » proposée en jan- vier 2004 par le Groupe d’Aix. Ce document rédigé par des éco- nomistes des deux bords et par des membres d’institutions inter- nationales engagés à titre person- nel dans ce projet, a été présenté aux gouvernements respectifs et aux principaux bailleurs. Il rappel- le une vérité d’évidence : la paix ne se fera pas sans donner aux Palestiniens les moyens de vivre décemment et de construire un Etat doté d’institutions stables. « Il faut créer une base économi- que viable pour le futur Etat palesti- nien et couper les liens qui entra- vent le développement des territoi- res », explique le président du Groupe d’Aix, Gilbert Benhayoun qui, depuis un an, a pris son bâton de pèlerin pour convaincre les dif- férents acteurs de ne pas laisser de côté le dossier économique lors d’éventuelles reprises des négociations. En décidant de façon unilatéra- le et pour des raisons de sécurité de désengager Israël de la bande de Gaza, le premier ministre Ariel Sharon a fait un pas dans ce sens. Mais ce retrait n’aura de portée réelle pour les Palestiniens que si les Israéliens leur redonnent, dans le même temps, la liberté de circu- ler et d’échanger. L’arrêt des vio- lences est la condition non négo- ciable posée par les Israéliens pour cela. Le retour à une timide normalité, sinon à une véritable croissance, est à ce double prix. L’engagement de la communauté internationale et l’importance que George W. Bush réélu accep- tera d’accorder au conflit israélo- palestinien pèseront fortement dans la balance. Laurence Caramel et Serge Marti 0 UNE REPRISE MENACÉE Evol ution du PIB, en % (en termesréel s) Source : FMI *Prévisions 2 2 4 6 96 97 98 99 00 01 02 03 04* 05* 4, 3 7, 7 b SPÉCIAL INGÉNIEURS. La reprise commence à payer. Dans certains secteurs, le retour des recrutements a des effets positifs sur les salaires d’embauche. Mais l’embellie concerne surtout les plus expérimentés p. VII b Des producteurs de lait du Vercors ont racheté leur coopérative p. VIII depuis 2000, le bouclage des territoires a asphyxié l’activité, accentuant l’écart avec israël À LIRE DANS LE DOSSIER Avec, pour 2004, une prévision de croissance de 6,1 %, les ex-pays communistes accentuent leur intégration à l’économie mondiale p. IV Pour nombre de PME françaises installées en Côte d’Ivoire, le climat de terreur qui règne dans le pays a sonné l’heure du départ p. V b Dirigeants b Finance, administration, juridique, RH b Banque, assurance b Conseil, audit b Marketing, commer- cial, communication b Santé b Indus- tries et technologies b Carrières inter- nationales b Multipostes b Collectivi- tés territoriales p. IX à XVI Que serait une grande idée sans talents pour la faire vivre ? S’engager dans la vie quotidienne, s’impliquer pour faire vivre de grandes idéescidément, ça vous ressemble ! En intégrant l'EN3S, l’École Nationale Surieure de Sécurité Sociale, vous deviendrez l'un des acteurs de l'évolution du service public de la Sécurité sociale. Durant votre scolarité, rémurée, vous y serez formé(e) aux différents tiers de la Protection sociale. En mettant votre enthousiasme et vos talents au service de la Sécurité sociale, vous contribuerez à assurer l'avenir de 60 millions de personnes. CONCOURS D'ENTRÉE 2005 Retrait des dossiers avant le 21 mars 2005. Pour en savoir plus, consultez notre site : www.en3s.fr ou écrivez à l’EN3S, Service concours, 27 rue des Docteurs Charcot, 42031 Saint-Étienne Cedex 2 Tél. : 04 77 81 15 15 www.en3s.fr S’engager pour changer les choses EUROPE FOCUS EMPLOI Sans l’aide internationale qui est venue, en partie, compenser un appauvrissement sans précédent, il est difficile d’imaginer ce que seraient, aujourd’hui, les conditions de vie des Palestiniens dont le revenu annuel par habitant a chuté de près de 40 % > Le bouclage des territoires pèse sur l’économie locale p. II > A Ramallah, la manne de la diaspora p. II > L’aide internationale assure la survie des Palestiniens p. II > Gilbert Benhayoun, président du Groupe d’Aix : « Il existe des deux côtés des hommes d’affaires prêts à investir dans la paix » p. III > Israël renoue avec la croissance malgré l’Intifada p. III ECONOMIE MARDI 16 NOVEMBRE 2004

ECONOMIE - Actualités et Infos en France et dans le …medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_041115.pdf · blØ en raison des violences qui continuent à ensanglanter aussi

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L’Autorité palestinienne hérited’une économie ruinée

UNE ÉCONOMIE BRISÉE PAR LA GUERRE

LE SOUTIEN MAJEUR DE L'AIDE INTERNATIONALE

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

1999 2000 2001 2002 2003

2002 2003

Source : FMI

Source : Banque mondiale/OCDE

0

300

600

900

1 200

1 500

6,1

2,5

12,2 11,88,9

– 5,4

– 14,8

– 10,1

6,1

Débutde lasecondeintifadaet bouclageprogressifdes territoirespar Israël

Le déblocage des recettesfiscales dues par Israëlà l’Autorité palestiniennea permis de stimulerl'activité

Croissance du PIB dans les territoires palestiniens, en% par an

Revenu annuel par habitant,en dollars

Aide publique au développement,par an, par habitant, en dollars

UNE GRANDE PAUVRETÉ

Source : Banque mondiale

3,4 millions d'habitants

Population

47 %dont

viventen dessousdu seuilde pauvreté(moins de 2 dollars/jour)

505

925

184

1 493

OFFRESD’EMPLOI

Si la succession de YasserArafat n’a pas débouchésur le vide que l’on pou-vait craindre, nul ne sehasarde, pour autant, àprévoir la pérennité du

triumvirat qui a pris les rênes del’Autorité palestinienne. Pas plusque sa capacité à réanimer unplan de paix profondément ensa-blé en raison des violences quicontinuent à ensanglanter aussibien les territoires palestiniensque l’Etat hébreu.

Dans une Palestine qui traverseune crise économique et socialesans précédent, où 47 % de lapopulation vit avec 2 dollars parjour, il est à craindre que la réacti-vation espérée de la « feuille deroute » lancée au printemps 2003,à l’initiative d’un Quartet compo-sé des Etats-Unis, de l’Union euro-péenne, de la Russie et desNations unies afin de tenter unenouvelle amorce de normalisationentre les deux peuples, ne reste let-tre morte.

Au fil des ans, sur fond deconflit territorial toujours insolu-ble, les disparités n’ont fait ques’accentuer. Face à la vigueurd’une économie israélienne, fortede ses performances agricolesautant que technologiques, etépaulée par l’aide financière amé-ricaine, que pèsent les territoiresdits « autonomes » et leurs habi-tants, dont le revenu réel s’esteffondré en quatre ans ? Depuis ledébut de la deuxième Intifada en2000, la divergence des deux éco-nomies s’est accentuée.Asphyxiée par le bouclage des ter-ritoires et l’occupation militaireisraélienne, l’économie palesti-nienne s’est vu brutalement ampu-tée de ses principales sources de

revenus : salaires des travailleurspalestiniens en Israël – ils assu-raient encore, en 1999, 18 % desrevenus de la population – ; recet-tes fiscales prélevées par Israëlpour le compte de l’Autorité pales-tinienne (60 % du budget) etenfin, effondrement général deséchanges commerciaux entravés

par l’étanchéité croissante desfrontières et une circulation deve-nue impossible aussi bien entreles deux morceaux des territoires– Cisjordanie et Gaza – qu’avecIsraël, client quasi exclusif desentreprises palestiniennes.

La construction du « mur desécurité » pour protéger Israël desattaques terroristes a aggravé

encore un peu plus cette situationd’isolement. Sans l’aide internatio-nale qui est venue, en partie, com-penser cet appauvrissement sansprécédent, il est difficile d’imagi-ner ce que seraient, aujourd’hui,les conditions de vie des Palesti-niens dont le revenu annuel parhabitant a chuté de près de 40 %en quatre ans. Avec une injectiond’1 milliard de dollars, en moyen-ne – portant le niveau de l’aidepublique au développement(APD) à un record mondial de505 dollars par habitant en 2002,lorsqu’il n’atteint que 27 dollarsen Afrique –, l’effort de la commu-nauté internationale n’est passans limites. Depuis quelquetemps, les donateurs ne cachentplus une certaine « fatigue », quis’est, d’ailleurs, traduite dans lesderniers chiffres publiés au moisd’août : sur les quatre premiers

mois, les bailleurs ont envoyédeux fois moins d’argent qu’ilsn’avaient promis. L’aide dans untel contexte de chaos ne peut pasaccomplir des miracles. La Ban-que mondiale a calculé qu’un chè-que supplémentaire de 500 mil-lions de dollars suffirait à peine àstabiliser le revenu des 3,4 mil-lions de Palestiniens.

Quatre ans après la reprise deshostilités, l’écart entre les deuxsociétés n’a jamais été aussiimportant. Les 6,7 millions d’Israé-liens vivent avec un revenu de16 500 dollars par an, les Palesti-niens 925. Au classement du déve-loppement humain établi par lesNations unies, Israël occupe lavingt-deuxième place sur 177 etles Palestiniens la cent deuxième.Cela se traduit notamment pardes taux de mortalité infantilequatre fois supérieurs dans les ter-ritoires et une espérance de vieinférieure en moyenne de septans.

Cette réalité hypothèque lourde-ment l’élaboration d’un processusde paix durable que tous lesexperts fondent, rapport aprèsrapport, sur la convergence deniveaux de vie entre les deuxpopulations. Jugé secondaire parrapport au processus politique, le« contenu économique » de lapaix est pourtant essentiel. C’estle sens de la « feuille de route éco-nomique » proposée en jan-vier 2004 par le Groupe d’Aix.

Ce document rédigé par des éco-nomistes des deux bords et pardes membres d’institutions inter-nationales engagés à titre person-nel dans ce projet, a été présentéaux gouvernements respectifs etaux principaux bailleurs. Il rappel-le une vérité d’évidence : la paixne se fera pas sans donner auxPalestiniens les moyens de vivredécemment et de construire unEtat doté d’institutions stables.« Il faut créer une base économi-que viable pour le futur Etat palesti-nien et couper les liens qui entra-vent le développement des territoi-res », explique le président duGroupe d’Aix, Gilbert Benhayoun

qui, depuis un an, a pris son bâtonde pèlerin pour convaincre les dif-férents acteurs de ne pas laisserde côté le dossier économiquelors d’éventuelles reprises desnégociations.

En décidant de façon unilatéra-le et pour des raisons de sécuritéde désengager Israël de la bandede Gaza, le premier ministre ArielSharon a fait un pas dans ce sens.Mais ce retrait n’aura de portéeréelle pour les Palestiniens que siles Israéliens leur redonnent, dansle même temps, la liberté de circu-

ler et d’échanger. L’arrêt des vio-lences est la condition non négo-ciable posée par les Israélienspour cela. Le retour à une timidenormalité, sinon à une véritablecroissance, est à ce double prix.L’engagement de la communautéinternationale et l’importanceque George W. Bush réélu accep-tera d’accorder au conflit israélo-palestinien pèseront fortementdans la balance.

Laurence Caramel etSerge Marti

0

UNE REPRISE MENACÉE

Evolution du PIB, en %(en termes réels)

Source : FMI * Prévisions

– 2

2

4

6

96 97 98 99 00 01 02 03 04*05*

4,3

7,7b SPÉCIAL INGÉNIEURS. La reprisecommence à payer. Dans certains secteurs,le retour des recrutements a des effets positifssur les salaires d’embauche. Mais l’embellieconcerne surtout les plus expérimentés p. VIIb Des producteurs de lait du Vercors ontracheté leur coopérative p. VIII

depuis 2000, le bouclagedes territoires a asphyxiél’activité, accentuantl’écart avec israël

À LIRE DANS LE DOSSIER

Avec, pour 2004,une prévisionde croissance de 6,1 %,les ex-pays communistesaccentuentleur intégrationà l’économiemondiale p. IV

Pour nombrede PME françaisesinstallées en Côted’Ivoire, le climatde terreur qui règnedans le paysa sonné l’heuredu départ p. V

b Dirigeantsb Finance, administration,juridique, RH b Banque, assuranceb Conseil, auditb Marketing, commer-cial, communication b Santé b Indus-tries et technologies b Carrières inter-nationales b Multipostes b Collectivi-tés territoriales p. IX à XVI

Que seraitune grande idée sans talentspour la faire vivre ?

S’engager dans la vie quotidienne, s’impliquer pour fairevivre de grandes idées… décidément, ça vous ressemble !En intégrant l'EN3S, l’École Nationale Supérieure de SécuritéSociale, vous deviendrez l'un des acteurs de l'évolution du servicepublic de la Sécurité sociale. Durant votre scolarité, rémunérée, vous y serez formé(e) aux différents métiers de la Protection sociale. En mettant votre enthousiasme et vos talents au service de laSécurité sociale, vous contribuerez à assurer l'avenir de 60 millions de personnes.

CONCOURS D'ENTRÉE 2005Retrait des dossiers avant le 21 mars 2005.Pour en savoir plus, consultez notre site : www.en3s.fr ou écrivez à l’EN3S, Service concours, 27 rue des DocteursCharcot, 42031 Saint-Étienne Cedex 2Tél. : 04 77 81 15 15

www.en3s.frS’engager pour changer les choses

EUROPE FOCUS EMPLOI

Sans l’aide internationale qui est venue,en partie, compenser un appauvrissementsans précédent, il est difficile d’imaginer

ce que seraient, aujourd’hui, les conditionsde vie des Palestiniens dont le revenu annuel

par habitant a chuté de près de 40 %

> Le bouclage des territoirespèse sur l’économie locale p. II> A Ramallah, la mannede la diaspora p. II> L’aide internationale assurela survie des Palestiniens p. II> Gilbert Benhayoun, présidentdu Groupe d’Aix : « Il existe desdeux côtés des hommes d’affairesprêts à investir dans la paix » p. III> Israël renoue avec la croissancemalgré l’Intifada p. III

ECONOMIEMARDI 16 NOVEMBRE 2004

JÉRUSALEM,de notre correspondant

’ ’ apparents de l’Inti-fada. Il y a deux ans, la première galerie commercia-le palestinienne imitée des « malls » israéliens aouvert ses portes à Ramallah, en Cisjordanie, nonloin du ministère des affaires étrangères et de celuide l’intérieur. Les chalands peuvent y trouver desboutiques de vêtements et de biens de consomma-tion dans l’air du temps, ainsi qu’un supermarchéparticulièrement bien fourni, sans comparaisonavec les échoppes sommaires du camp de réfugiésd’Al-Amari situé à une poignée de kilomètres de là.Des restaurants huppés ont également vu le jour àRamallah au cours des derniers mois.

Siège d’organisations internationales et de nom-breuses délégations étrangères, la capitale intellec-tuelle des territoires palestiniens jouit, il est vrai,d’un statut privilégié, et sa population est cosmo-polite et parfois aisée. Mais l’ouverture de ce pre-mier « mall » et des restaurants est également l’undes signes les plus visibles d’un phénomène diffici-

lement quantifiable : le soutien financier de ladiaspora palestinienne. Ce soutien est mentionnédans les rapports rédigés en 2003 et en 2004 parla Banque mondiale et par le Fonds monétaireinternational, mais les deux institutions internatio-nales sont bien en peine de le chiffrer.

Les transferts d’argent assurés par les familles

palestiniennes installées à l’étranger, dans le Gol-fe – selon une tradition vieille de plusieurs décen-nies –, ou bien en Amérique du Sud et en Améri-que du Nord, y compris aux Etats-Unis, recouvrentil est vrai des situations diverses. Dans le cas deRamallah, il peut s’agir de fonds injectés dans l’éco-nomie locale par des Palestiniens titulaires de pas-seports étrangers qui leur permettent d’effectuerdes navettes en Cisjordanie en dépit des boucla-ges des territoires.

Selon une étude microéconomique effectuée àGaza au début de l’Intifada par l’Institut norvégiende science sociale appliquée (Fafo) pour le compte

de la Banque mondiale, le soutien financier de ladiaspora peut également se limiter à l’envoi ponc-tuel de quelques centaines de dollars, pour permet-tre à une famille de parer au plus pressé.

Une seule certitude : le poids des contraintesdans les territoires palestiniens, à la fois du faitdes bouclages et compte tenu de l’absence d’unhorizon politique clair, a dissuadé les investisseurspotentiels de la diaspora palestinienne de s’enga-ger massivement dans les territoires même avantl’effondrement du processus de paix. Selon unexpert économique palestinien, Salah Abdel Shafi,rencontré à la fin de l’année 2000 à Gaza, deschefs d’entreprise chiliens d’origine palestiniennes’étaient rendus dans les territoires palestiniensaprès les élections générales de 1996 pour exami-ner les opportunités d’investissement, mais les cri-tères de sécurité imposés par les Israéliens ainsique le caractère aléatoire des bouclages leuravaient fait promptement tourner les talons.

G. P.

A Ramallah, la manne de la diaspora

Le feuilleton sur la fortu-ne de Yasser Arafat nefait que commencer. Et,avec lui, la polémiquesur le détournement del’aide internationale ver-

sée à l’Autorité palestinienne auprofit notamment de sa femmeSouha. L’empressement de celle-ciau chevet du raïs et ses interven-tions supposées pour retarderautant que possible l’annonce de lamort du président palestinien ontalimenté toutes les hypothèses surles enjeux financiers de cette dispa-rition. Au moment de répartir l’héri-tage, la bataille qui s’annonce et sespossibles révélations ne doiventcependant pas occulter le rôle qu’ajoué et que continue de jouer l’aideinternationale dans la survie dupeuple palestinien. Sans elle, l’isole-

ment économique dans lequel sesont enfoncés les territoires depuisle bouclage imposé par Israël enréponse aux attentats terroristesaurait conduit à une désintégrationde l’Autorité palestinienne et à uneaggravation des conditions de vieplus importante encore.

En dépit des soupçons de corrup-tion étayés notamment par leFonds monétaire international(FMI) dans un rapport publié enseptembre 2003 faisant état dedétournements de 898 millions dedollars entre 1995 et 2000, les dona-teurs n’ont jusqu’à présent pas reti-ré leur soutien au gouvernementde Yasser Arafat. Au contraire.Depuis la deuxième Intifada, en2000, l’aide internationale a plusque doublé pour atteindre 1,6 mil-liard de dollars en 2002 selon leschiffres les plus récents publiés parl’Organisation de coopération etde développement économiques(OCDE).

La Banque mondiale qui coor-donne l’utilisation des finance-ments internationaux fournit uneévaluation inférieure de 950 mil-lions de dollars pour 2002 et 2003.Quoi qu’il en soit, cela place les ter-ritoires parmi les premiers bénéfi-ciaires de l’aide publique au déve-loppement (APD) rapportée au

nombre d’habitants. Si, en moyen-ne, un habitant des pays en déve-loppement reçoit 13 dollars au titrede l’APD – et 27 dollars s’il est afri-cain –, un Palestinien reçoit 505 dol-lars, selon l’OCDE, ce qui représen-te plus de la moitié du revenuannuel par tête.

Au cours des dernières années,les pays arabes ont renforcé leursoutien. En 2002, au plus fort de lacrise entre Israël et l’Autorité palesti-nienne, il fut exceptionnel puisque,à elles seules, les monarchies du Gol-fe contribuèrent pour près de la moi-tié au budget de l’aide. La Commis-sion européenne reste toutefois lepremier donateur « individuel ». Sion ajoute à sa contribution l’aide

bilatérale accordée par chacun deses membres, les Européens, avecun total de 380 millions de dollarsen 2003, assurent près de 25 % dessubsides étrangers déversés sur lesterritoires. Les Américains qui ontégalement accru leurs versementscontinuent cependant de faire uneffort deux fois moindre.

La nomination de Salem Fayyad,

l’ancien représentant du FMI surplace, au poste de ministre desfinances en 2002 a permis de fairede gros progrès dans la transparen-ce et la gestion des fonds publics.Toutes les recettes de l’Autoritépalestinienne sont désormaisvirées sur un compte unique du Tré-sor. Et le budget est devenu publicdepuis 2003. « Le niveau de corrup-tion n’est pas plus important ici quedans des pays au niveau de dévelop-pement comparable et où les institu-tions sont encore très fragiles », indi-que un représentant de la Banquemondiale. Même son de cloche à laCommission européenne qui futpourtant, il n’y a pas si longtemps,la cible de violentes attaques de lapart du Parlement européen dontun groupe de travail avait dénoncé,sans en apporter la preuve, l’utilisa-tion de fonds communautaires

pour financer le terrorisme. « LesPalestiniens ont atteint les meilleursstandards de la région, ajoute unautre donateur qui préfère égale-ment rester anonyme. Le niveau degouvernance est bien meilleur qu’enEgypte, en Syrie ou en Jordanie. »

Côté bailleurs, les procédures decontrôle et les conditions de décais-sement de l’aide ont été durcies. LaBanque mondiale joue pour celaun rôle central en coordonnant, àtravers la création de fonds spé-ciaux, l’affectation des versements.Bruxelles – dont l’argent sert pourl’essentiel à financer le budgetpalestinien à la différence des aides-projets, par nature plus faciles àcontrôler – a ainsi décidé deconfier une bonne partie de sacontribution à l’institution interna-tionale qui a mis sur pied, depuis lemois d’avril, un fonds spécifiquedédié à l’appui budgétaire del’Autorité palestinienne, le PublicFinancial Management ReformTrust Fund.

Depuis le bouclage des territoi-res, l’APD n’a de développementque le nom. L’argent permet avanttout à l’Autorité palestinienne decontinuer à exister en payant sesfonctionnaires (70 000 au total,sans compter les forces de sécuri-té) et à assurer – a minima – les ser-

vices de base comme l’éducation etla santé. Car le gel pendant troisans des recettes fiscales (TVA,taxes à l’importation…) perçuespar Israël pour le compte de l’Auto-rité palestinienne, conformémentau protocole de Paris qui régit lesrelations économiques entre lesdeux espaces, a fait fondre un pos-te qui fournissait 60 % des recettesdu budget palestinien estimées àun peu moins de 4 milliards de dol-lars en 1999. De son côté, la ferme-ture du marché du travail israéliena divisé par trois le montant destransferts financiers assurés par lestravailleurs, qui, avant l’Intifada,représentait 18 % du revenu desménages. L’aide humanitaire d’ur-gence (cash ou rations alimen-taires) a permis de limiter l’envoléede la pauvreté liée à ce chômageforcé.

La Banque mondiale sent pour-tant poindre une « fatigue » desdonateurs et doute qu’en l’absenced’horizon politique plus dégagéceux-ci maintiennent encore long-temps un effort aussi important. Ledernier état de l’aide arrêté parl’institution en octobre indiqueune chute de 57 % au cours des qua-tre premiers mois de l’année.

Laurence Caramel

en moyenne,un africainreçoit 27 dollars,et un palestinien505

L’aide internationale assure la survie des Palestiniens

JÉRUSALEMde notre correspondant

Le décès du chef de l’Auto-rité palestinienne, Yas-ser Arafat, ouvre unenouvelle ère du mouve-ment national palesti-nien. Ses successeurs,

quels qu’ils soient, seront confron-tés à une situation intérieure dra-matique. Un seul mot peut résu-mer le bilan économique de quatreannées d’Intifada : la ruine. Ledéchaînement des violences entreIsraéliens et Palestiniens s’est eneffet accompagné d’un cloisonne-ment de Gaza et de la Cisjordaniequi en a brisé les économies. Le pro-duit intérieur brut des territoirespalestiniens a ainsi encaissé unebaisse de 40 % de 2000 à 2002. Lastabilisation enregistrée depuisdeux ans, principalement grâce àune aide internationale massive,n’est cependant pas parvenue àrépondre à l’effondrement de l’em-ploi et à la hausse continue de lapauvreté.

Il faut remonter à 1967 pourmesurer les conséquences écono-miques du bouclage des territoires

imposé par l’armée israéliennepour raisons de sécurité. La conquê-te de Gaza et de la Cisjordanies’était en effet accompagnée d’uneprofonde imbrication de deux éco-nomies inégales mais complémen-taires : les patrons israéliens pou-vaient compter sur une main-d’œu-vre bon marché, sans avoir à sup-porter le poids d’une populationémigrée ; les travailleurs palesti-niens employés dans le bâtiment etl’agriculture, pourtant nettementsous-payés par rapport aux Israé-liens, bénéficiaient de revenus biensupérieurs à ceux qu’ils pouvaienttrouver dans les territoires.

La situation a changé à partir del’application des accords d’Oslo de1993 qui ont entraîné presqueimmédiatement une politique debouclages, principalement à Gaza.Cette politique s’est généralisée àtous les territoires et est devenuepermanente à partir de la deuxiè-me Intifada. En 2000, environ130 000 Palestiniens travaillaientencore en Israël. Ce chiffre est tom-bé à 40 000 en 2002. Avec laconstruction de la « clôture desécurité » en Cisjordanie par Israël,le nombre de travailleurs palesti-niens, légaux ou illégaux, a encorediminué. Le directeur du Conseilnational de la sécurité israélien,Giora Eiland, a annoncé au débutdu mois de novembre que l’objec-tif de la séparation physique d’Is-raël et des territoires palestinienspassait par la suppression presquetotale des permis de travail pourIsraël d’ici à trois ans.

Les bouclages ne concernent passeulement les passages vers Israël,mais également les relations d’uneagglomération palestinienne à une

autre, ainsi que les accès aux fron-tières, vers l’Egypte pour Gaza,vers le royaume hachémite pour laCisjordanie. Toute la chaîne de pro-duction est donc touchée : importa-tions de matières premières, circu-lation de main-d’œuvre, exporta-tions de produits ou de biensd’équipement, ce qui explique éga-lement la chute des investisse-ments. En moyenne, les entrepri-ses palestiniennes tournent depuisquatre ans à 20 % ou 30 % de leurscapacités.

Les pertes de revenus liées auxpertes d’emplois (externes et inter-nes) se sont traduites par uneaggravation de la pauvreté puisquela moitié de la population palesti-nienne vit désormais avec moinsde deux dollars par jour, le critère

retenu qui en fixe le seuil. Dans leszones les plus pauvres, au sud de labande de Gaza, la malnutrition amême fait son apparition. Le ralen-tissement économique est d’autantplus préoccupant qu’il touche unepopulation dont le taux de croissan-ce démographique reste supérieurà 5 % (5,5 % à Gaza.)

Une aide internationale massivea permis cependant d’éviter lepire. Le soutien budgétaire a ren-du possible le versement presquecontinu des salaires de125 000 fonctionnaires (civils etsécuritaires). Si le nombre de per-sonnes dépendantes de ces salai-res a plus que doublé depuis l’Inti-fada (un salaire fait vivre désor-mais au-delà de la famille simple),ils ont également soutenu la micro-économie. Ce soutien extérieurs’est ajouté aux transferts de ladiaspora et plus fondamentale-ment à la structure égalitaire quicaractérise la société palestinienneet qui avait déjà fait ses preuveslors de la première Intifada.

Le seul élément nouveau atten-du dans l’année à venir concerne labande de Gaza. Les autorités israé-liennes ont décidé en effet dedémanteler leurs colonies et de reti-rer les forces armées déployéespour assurer leur protection. Ceretrait permettrait aux Palestiniensde recouvrer 20 % de terres supplé-mentaires. Selon la Banque mon-diale, ce retrait n’aura aucun effetsur l’économie palestinienne s’il nes’accompagne pas de la levée desbouclages, ce qui n’est pas prévudans la formule actuelle du plan dedésengagement. Ce plan a déjàentraîné la fermeture d’une zoneindustrielle mixte, installée près dupoint de passage d’Erez, au nordde Gaza, soit la perte de7 000 emplois palestiniens. La Ban-que mondiale estime d’ailleurs quele maintien des bouclages rendraittotalement inefficace une augmen-tation de l’aide internationale.

Gilles Paris

1Comment sont régiesles relationséconomiques entre

Israël et les territoirespalestiniens ?Le « protocole de Paris », adoptéen 1994, sert de base aux rela-tions économiques entre les deuxparties. Il régit notamment leséchanges commerciaux. Tout pro-duit entrant dans les territoirespalestiniens doit être conformeaux normes israéliennes. La plu-part des procédures et des mesu-res douanières se fondent sur lespratiques d’Israël et sont d’ail-leurs, en grande partie, contrô-lées par ce dernier. C’est ce quiexplique les importants transfertsde recettes fiscales entre le gou-vernement israélien et l’Autoritépalestinienne. Ils représentaientprès de 70 % des recettes du gou-vernement palestinien avant ladeuxième Intifada. Entre 2000 et2003, Israël a, en effet, suspenduses versements, estimant que cetargent servait en partie à financerle terrorisme.C’est également le protocole deParis qui a institué l’Autoritémonétaire palestinienne (AMP).Celle-ci n’exerce que des fonctionslimitées dans une économie quine dispose pas de sa propre mon-naie. L’AMP gère les agrémentsdes banques, des sociétés financiè-res et des fonds de placement. Ellegère également les réserves dechange et les avoirs en devises.

2Sur quoi reposel’économiepalestinienne ?

En limitant considérablement lacirculation des biens et despersonnes, à la fois entre les terri-toires et Israël et au sein des terri-toires mêmes, le bouclage des ter-ritoires palestiniens depuis 2000a asphyxié l’économie.La majeure partie de l’activitésubsiste dans le secteur des servi-ces, sous forme de toutes petites

entreprises opérant dans le com-merce de détail ou de gros ainsique dans le secteur de la répara-tion mécanique, par exemple.Mais pour s’approvisionner ellesdoivent supporter des coûts detransport de plus en plus élevés.Le secteur manufacturier demeu-re peu développé. Beaucoupd’entreprises ont dû fermer leursportes. Elles ont été particulière-ment touchées par les attaquesde l’armée israélienne, dont onestimait à la fin 2003 qu’ellesavaient causé la destruction d’in-frastructures pour une valeur deplus de 1 milliard de dollars.L’agriculture, qui fournit environ15 % du PIB et occupe 20 % de lamain-d’œuvre, reste une activitéfamiliale. Les fruits ainsi quel’huile d’olive sont les principalesproductions sur une terre où l’irri-gation ne concerne que 10 % del’espace exploité. Le PIB des terri-toires s’élevait à 3,1 milliards dedollars en 2003, contre 4,5 mil-liards en 1999.

3Quelle est sadépendance vis-à-visde l’économie

israélienne ?

Outre l’importance que représen-tait Israël en termes d’emploisavant la deuxième Intifada – lestravailleurs palestiniens fournis-saient 22 % de la main-d’œu-vre –, la dépendance est extrêmedans le domaine des échanges.En dépit des accords bilatérauxconclus avec les voisins jorda-nien, égyptien et saoudien ainsiqu’avec l’Union européenne etles Etats-Unis, qui accordent unaccès préférentiel aux produitspalestiniens, les territoires n’ontpas diversifié la structure deleurs exportations. Dans un volu-me d’échanges considérable-ment ralenti depuis 2000, Israëldemeure le premier client (90 %des exportations) et le premierfournisseur (70 % des importa-tions).

depuisquatre ans,les entreprisestournentà 20 % ou 30 %de leurs capacités

POUR EN SAVOIR PLUS

QUESTIONS-RÉPONSES

Dépendance

D O S S I E R

Le bouclage des territoirespèse lourdement sur l’économie locale

Les pertes de revenusliées aux pertes

d’emplois (externeset internes)

se sont traduitespar une aggravation

de la pauvreté

> Feuille de route économique.Une perspectiveisraélo-palestinienne sur le statutpermanent, rédigée par le Grouped’Aix (www.aixgroup.u-3mrs.fr)> « Disengagement, the PalestinianEconomy and the Settlements »,rapport de la Banque mondiale,juin 2004 (www.worldbank.org)> « Economic Performance andReform under ConflictConditions », rapport du FMI,septembre 2003 (www.imf.org)

Source : Banque mondiale

EFFONDREMENT DES ÉCHANGES EXTÉRIEURS

En millions de dollars

Exportations Importations

0

1 000

2 000

3 000

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003

II/LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004

Comment appréhendez-vousla période de succession quis’ouvre avec la disparition deYasser Arafat ?

L’après-Arafat sera beaucoupmoins dramatique que ce que l’onpeut imaginer. Le peuple palesti-nien dispose d’une intelligentsia etd’une diaspora remarquables, ilexiste une administration qui mal-gré la violence et le manque demoyens a continué de fonction-ner, les services publics fondamen-taux – santé, éducation – sont assu-rés. Et, même si cela peut surpren-dre, la proximité de la démocratieisraélienne exerce un effet decontagion indéniable.

Plusieurs conditions sont évi-demment requises pour que le scé-nario de la transition ouvre la voieà la reprise des négociations avecle gouvernement israélien et nedébouche pas sur davantage dedésordre et de violence. Il fautd’abord que les groupes extrémis-tes palestiniens n’entravent pas lasuccession du raïs. Il faut ensuitequ’Israël admette que la créationd’un Etat palestinien viable estune nécessité absolue. Enfin, lacommunauté internationale doits’engager et jouer le rôle politiquequi lui revient.

Tout cela n’est pas impossible.Le 8 décembre, la Banque mondia-le qui préside le comité de liaison

sur le désengagement de la bandede Gaza et du nord de la Cisjorda-nie présentera son rapport à Oslo(Norvège). Cette réunion prévue àun niveau ministériel sera la pre-mière rencontre israélo-palesti-nienne de l’après-Arafat. Nous ver-rons dans quelles dispositions setrouvent les uns et les autres. Côtéisraélien, une large partie des res-ponsables est désormais conscien-te que la paix est illusoire sans unenormalisation économique des ter-ritoires palestiniens.

Certes, mais, des deux côtés,les mouvements les plus radi-caux ne sont toujours pas prêtsà des concessions ?

C’est vrai, mais le premier minis-tre israélien, Ariel Sharon, a néan-moins réussi à imposer son plande désengagement.

La « feuille de route économi-que » que le Groupe d’Aix a pro-posée en janvier plaide pour uncheminement parallèle entre leprocessus politique des négocia-tions de paix et le développe-ment économique des territoi-res palestiniens. Dans cet agen-da, quelles sont vos priorités ?

Faisons d’abord un petit retouren arrière. Le processus d’Oslo, lesaccords de paix signés en 1993, a,selon nous, échoué parce que lecontrat était incomplet. Les deuxparties ont accepté de construireun accord seulement sur les pointsde convergence et en repoussant àplus tard les points de désaccords,notamment celui concernant lestatut final des territoires. En tantqu’économistes, nous pensons aucontraire qu’il faut être très clairsur l’objectif ultime. Les prioritésintermédiaires n’ont de sens quepar rapport à ce but à atteindre. Etpour nous cet objectif est simple :il faut construire une base écono-mique viable pour la Palestine etrechercher la convergence deniveaux de vie entre Israël et lesterritoires.

Il faut pour cela créer une zonede libre-échange qui permettra àla Palestine de mener sa proprepolitique commerciale tout en sti-

mulant les échanges et l’intégra-tion entre les deux zones. La sépa-ration des deux économies estindispensable pour que l’écono-mie palestinienne devienne indé-pendante.

Jusqu’à présent, les Israéliensont toujours refusé, préférant leflou de l’union douanière qui per-met de ne pas avoir à se poser laquestion des frontières [l’uniondouanière, comme la zone de libre-échange, permet la libre circulationdes marchandises mais elle imposed’avoir vis-à-vis des pays tiers lamême politique douanière, ce qui,compte tenu de l’écart de développe-ment entre Israël et les territoirespalestiniens, n’est pas à l’avantagedes seconds, NDLR]. Mais cetteoption a aussi un coût pour lesPalestiniens. Elle implique proba-blement de moindres migrationsde main-d’œuvre vers Israël etdonc des pertes de revenus à courtterme.

A brève échéance, pour stimulerle rétablissement de l’économiepalestinienne, il faut absolumentfaciliter la circulation des marchan-dises aux frontières et à l’intérieurde la Cisjordanie et de Gaza. Lesmouvements de main-d’œuvre à

l’intérieur des territoires et versIsraël doivent être rendus plus faci-les et plus prévisibles. Enfin, Israëldoit honorer de façon régulière lestransferts financiers qu’elle doitaux Palestiniens au titre notam-ment des taxes douanières, de laTVA ou de l’impôt sur le revenu etdes cotisations sociales prelévéssur les travailleurs d’origine pales-

tinienne. L’Etat palestinien abesoin de ressources stables.

Est-ce vraiment réaliste dansle climat actuel ? Qui veut enco-re s’engager dans la région ? Lesdonateurs sont fatigués de ver-ser des millions de dollars, enpure perte, lorsque leurs projetssont détruits par la guerre.

Si la violence cesse, je pense queoui, c’est réaliste. Et il ne faut pascroire cela impossible. Les Palesti-niens sont à un tournant de leurhistoire. L’Intifada militaire aéchoué. C’était une erreur stratégi-que d’imaginer que la violenceallait faire fuir les Israéliens. Mêmeceux qui ont le plus de facilités àémigrer, les ingénieurs, les diri-geants d’entreprise dans le secteurdes nouvelles technologies sontrestés. Tout le monde est fatiguéde ce conflit, et la fatigue, je l’espè-re, va rendre les gens plus raisonna-bles. Quant aux moyens, il existedes deux côtés des hommes d’affai-res prêts à investir dans la paix.

Les projets ne manquent pasmême si, pour l’heure, l’investisse-ment privé est quasiment nul dansles territoires palestiniens. Necroyez pas que je sois en train deminimiser les obstacles. Il y en a

au moins deux qui devront êtreimpérativement réglés en priori-té : la question de la barrière desécurité à Jérusalem, qui a une inci-dence économique, et le sort desréfugiés.

L’arrivée d’un nouvel interlo-cuteur à la tête de l’Autoritépalestinienne peut-elle inciter leprésident américain GeorgeW. Bush à s’investir davantagedans le dossier ?

Certainement. Plusieurs déclara-tions semblent déjà l’indiquer.L’administration américaine y estprête. Et le désengagement deGaza sera pour elle un test essen-tiel pour évaluer la capacité desnouveaux leaders palestiniens às’approprier et à gérer cet espace.

Propos recueillis parLaurence Caramel

En dépit de sa spécificitépolitique, Israël n’échap-pe pas aux cycles del’économie mondiale. Al’image de celle-ci, lepays bénéficie, après

plusieurs années, du retour de lacroissance. « L’économie israéliennese porte mieux », note SylvainLaclias, économiste au Crédit agrico-le. Après une progression de 1,3 %en 2003, le produit intérieur brut(PIB) enregistrera une hausse nette-ment plus soutenue en 2004, de l’or-dre de 3,5 % à 4 %.

Avec cette reprise, la plupart desindicateurs économiques d’Israëlconnaissent une amélioration. Letaux de chômage devrait refluersous la barre des 10 %. « Le déficitbudgétaire devrait se contracter auxalentours de 3,5 % du PIB, prévoitpar ailleurs M. Laclias, et la dégrada-

tion de la balance courante devraitrester dans des limites très raisonna-bles, avec un déficit compris entre 0,5et 1 point de PIB. Et son financementne posera aucun problème, puisque,outre le soutien de Washington, sousforme d’obligations négociablesgaranties par le gouvernement améri-cain, la confiance des investisseurss’est redressée ces derniers mois. »Les investissements étrangers enIsraël avaient déjà augmenté de36 % en 2003 pour atteindre 4,9 mil-liards de dollars. La politique d’assai-nissement des finances publiques etde réformes structurelles conduitedepuis deux ans par Benyamin

Nétanyahou au ministère de l’éco-nomie et des finances a, selonM. Laclias, contribué à ce regain deconfiance.

Reste que, même revenue à près

de 4 %, la croissance de l’économieisraélienne reste inférieure à sonpotentiel, évalué autour de 5 %. Elledemeure surtout très éloignée duniveau qui avait été observé avantqu’Israël ne sombre dans une réces-sion historique (– 0,9 % en 2001 et– 0,8 % en 2002). Auparavant, le PIBisraélien avait bondi de 7,5 % en2000, mais deux événements

avaient brisé net cette expansionspectaculaire : la deuxième Intifadaet l’éclatement de la bulle spéculati-ve boursière. Selon la banque cen-trale d’Israël, la première aurait coû-té 6 % à 8 % de PIB, tandis que ladeuxième aurait eu un impact néga-tif équivalent à 3 % du PIB.

C’est peu dire qu’Israël s’est

retrouvé emporté, à la fin desannées 1990, dans le tourbillon dela nouvelle économie. Quelqueschiffres donnent une idée de sonintensité. En 2000, le pays comptaitautant de sociétés cotées au Nas-daq que l’ensemble des pays del’Union européenne et n’était dépas-sé que par les Etats-Unis et le Cana-da. Les flux d’investissement en capi-tal-risque dans des start-up israé-liennes s’élevaient à plus de 3 mil-liards de dollars, soit un montantproche de celui investi à la mêmeépoque dans la Silicon Valley. Enfin,le pays comptait 3 000 start-up, soitune… pour 2 000 habitants. Unrecord mondial !

L’éclatement de la bulle spéculati-ve et l’effondrement du Nasdaq ontprofondément déstabilisé l’écono-mie israélienne. En dépit des rava-ges subis, la haute technologiedemeure un secteur essentiel d’acti-vité, avec des positions très fortes

dans les logiciels, les fibres opti-ques, les lasers, le matériel médical,la recherche immunologique. Le sec-teur technologique constitue aujour-d’hui le deuxième poste d’exporta-tions du pays derrière celui des pier-res précieuses. Le savoir-faire d’Is-raël en matière de high-tech s’ap-puie sur ses liens privilégiés avec lesEtats-Unis, l’importance de larecherche militaire et une main-d’œuvre hautement qualifiée. Lepays compte la plus forte concentra-tion au monde d’ingénieurs (140pour 10 000 travailleurs, comparésà 88 au Japon, 85 aux Etats-Unis et60 en Allemagne) et de médecins(1,1 % de la population).

Si elle dispose d’atouts structu-rels majeurs, l’économie israélien-ne est en revanche, de façon toutaussi structurelle, handicapée parle climat d’insécurité dans lequelvit le pays. Au-delà de son impactdirect sur les échanges commer-

ciaux régionaux ou sur le tourisme(au cours des années 2001 et 2002,le nombre des entrées de touristesen Israël a diminué de 65 %), ladeuxième Intifada a surtout pesé,de façon indirecte, sur la confiancedes agents économiques, provo-quant une baisse de la consomma-tion des ménages, un recul desinvestissements industriels ouimmobiliers (baisse de 40 % desmises en chantier).

A cet égard, la disparition de Yas-ser Arafat et le retrait de la bandede Gaza apparaissent, au moins àcourt terme, comme des facteursd’incertitude politique supplémen-taires et donc comme des élé-ments déstabilisants et négatifspour l’économie israélienne. « Lapériode qui s’ouvre n’offre guère devisibilité et conduit à une certaineprudence », souligne M. Laclias.

Pierre-Antoine Delhommais

CHRONIQUE

La main tendue

Précision. Contrairement à ce que nous indiquions dans le dossierconsacré au commerce extérieur de la France (« Le Monde Economie »du 9 novembre), le nouveau contrat-emploi-export serait valable pourn’importe quelle mission au-delà de six mois et n’est donc pas limité àcette durée. Il fait partie de la série de mesures préparées par FrançoisLoos, ministre délégué au commerce extérieur, parmi lesquelles un cré-dit d’impôt de 15 000 euros réservé aux petites entreprises aux fins depromotion à l’export, montant qui peut être doublé en cas de création deconsortium de PME.

l’état hébreuconserve desolides positionsdans la hautetechnologie

Gilbert Benhayoun, président du Groupe d’Aix

« Il existe des deux côtés des hommesd’affaires prêts à investir dans la paix »

f Professeur d’économie à l’université

Aix-Marseille-III, il est à l’initiative

du Groupe d’Aix, créé en 2002

pour réfléchir à l’avenir économique

d’un futur Etat palestinien.

f Juif marocain d’origine, il travaille

depuis plus de quinze ans

sur des projets de coopération

entre les pays de la Méditerranée.

f Depuis 1999, il organise, notamment,

une fois par an des rencontres

entre des chercheurs en sciences

économiques auxquelles participent

des Israéliens et des Palestiniens.

UNE FEUILLE DE ROUTE ÉCONOMIQUE

par Serge Marti

GILBERT BENHAYOUN

Le Groupe d’Aix a été formé en 2002 avec pour objectif de définir un pro-jet de coopération économique qui compléterait le processus politique éla-boré dans le cadre de la « feuille de route pour la paix » adoptée en décem-bre 2002. Cela a abouti en janvier à la publication d’une « feuille de routeéconomique ». Ce document d’une trentaine de pages a été présenté auxgouvernements respectifs, aux institutions internationales ainsi qu’aux prin-cipaux donateurs. Il est considéré comme une solide base de travail par lesdifférentes parties. Le Groupe d’Aix est composé d’universitaires israélienset palestiniens, de représentants des ministères de l’économie ainsi que desinstitutions financières internationales. Tous participent à titre personnel.

Israël renoue avec la croissance malgré l’Intifada

D O S S I E R

« » n’a pas àcraindre l’émiettement. En rejetant,il y a quelques jours, la demande dereprésentativité déposée parl’Union nationale des syndicatsautonomes (UNSA), le Conseild’Etat a conforté la place des cinqgrandes centrales (CGT, CFDT, FO,CFTC et CFE-CGC) à partir d’une lis-te inchangée, établie en 1966. Aumoment où la CFDT célèbre sonquarantième anniversaire, le paysa-ge syndical apparaît figé autantque consolidé. En réalité, il a rare-ment été autant secoué.

Aux rivalités historiques entreconfédérations, reposant sur deschiffres d’adhérents et de cotisantsréciproquement contestés, s’ajou-tent les fractures du moment résul-tant des oppositions nées du dos-sier des retraites ou de celui de l’as-surance-maladie. Sans oublier l’épi-neuse question du financement dessyndicats, considérée par certainsfamiliers des fonds occultes comme« le secret le mieux gardé de la Répu-blique ».

Les syndicats, combien de divi-sions, mais aussi combien debataillons aujourd’hui ? Une choseest sûre : en quarante ans, les effec-tifs ont fondu de manière drasti-que. De près de 50 % au cours desannées 1960, ils ne représentaientplus que 20 % des salariés vingt ansplus tard et encore moitié moinsdurant la décennie 1990.

En 2003, la France ne comptaitplus que 8,2 % de salariés syndiqués(dont 9 % d’hommes et 7,5 % defemmes), selon les données de ladirection de l’animation, de larecherche, des études et des statisti-ques (Dares) dépendant du ministè-re de l’emploi. Soit, au total, 2,4 mil-lions de personnes. Par rapport auxautres pays européens, la Franceconserve, depuis plusieurs années,la tête près du bonnet… d’âne. Sanségaler les performances de pays nor-diques, où Danemark, Suède et Fin-lande affichent des taux de syndica-lisation de 70 % à 80 %, la Belgique

étant également proche de ces plushauts, le syndicalisme français estlargement devancé par l’Italie, l’Alle-magne, la Grande-Bretagne et lesPays-Bas où 20 % à 30 % des sala-riés adhèrent à une centrale.

En revanche, comme on peut dif-ficilement être mauvais en tout, laFrance est, toujours sur le plan euro-péen, le pays qui dispose des tauxles plus élevés en matière d’adhé-sion à une convention collective. Lapart des salariés ainsi concernés estde plus de 90 %, une particularitédu modèle français de relations pro-fessionnelles qui fait qu’à la diffé-rence d’autres pays, comme la Suè-de, les organisations syndicalesnégocient des avancées socialespour l’ensemble des salariés d’uneentreprise ou d’une collectivité etnon pas seulement au profit deleurs seuls adhérents.

Pour ce qui est du rapport public-

privé, le décalage demeure. Aumoins 15 % des salariés de la fonc-tion publique sont affiliés à un syn-dicat, soit trois fois plus que dansles entreprises du secteur privé etun peu moins que dans les entrepri-ses publiques, relève l’étude. Autotal, près d’un syndiqué sur dix estsalarié d’une entreprise publique,soit deux fois plus que leur poidsdans l’emploi salarié total. Cette étu-de permet au passage de préciserun point important et de terminersur une note de relatif optimisme.Le fait d’adhérer à un syndicat n’estpas l’apanage des salariés d’exécu-tion : les cadres et les représentantsde professions intellectuelles supé-rieures adhèrent en effet trois foisplus souvent que les ouvriers à unecentrale. Enfin, pour ce qui est de lacourbe des cotisants, le net reculobservé au cours des années 1970lorsque leur nombre avait été divisépar deux, a été « endigué » au coursdes dernières années, assure-t-on.Mais la remobilisation en massen’est pas pour tout de suite.

« Il faut absolument faciliter la circulationdes marchandises aux frontières

et à l’intérieur de la Cisjordanie et de Gaza.Les mouvements de main-d’œuvre à

l’intérieur des territoires et vers Israël doiventêtre rendus plus faciles et plus prévisibles »

PIB israélien, en%

UNE REPRISE MODESTE

Sources : Bureau central de statistiques; Banque d'Israël * prévision

85 87 89 91 93 95 9997 01 03 04*

10

8

6

4

2

0

-2

LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004/III

DROIT ET ÉCONOMIE

Jouer à tuer ?

STRASBOURGde notre envoyé spécial

Le 1er septembre, il a quit-té la Grande-Bretagnepour l’Alsace et troquésa maison anglaisecontre une autre situéenon loin du Conseil de

l’Europe. Terry Davis est le nou-veau secrétaire général, élu pourcinq ans, de cette organisationcréée le 5 mai 1949, à Londres. Fon-dé sur le respect des droits del’homme, le Conseil de l’Europe,qui comprend 46 membres depuisl’adhésion en octobre de Monaco,est la plus ancienne organisationintergouvernementale du VieuxContinent.

Cet ancien « MP » travailliste, dela circonscription de Birmingham,connaît bien cette institution poury avoir déjà siégé en tant que parle-mentaire pendant douze ans. Choi-si par ses pairs, les membres de l’As-semblée du Conseil, il a été élu le22 juin, à la majorité absolue, dès lepremier tour de scrutin et a battu lesecrétaire général sortant, un démo-crate-chrétien autrichien, ainsi

qu’une candidate libérale estonien-ne. « Ma majorité est plus large quele seul groupe socialiste dont j’étais lecandidat », précise-t-il.

Il a aussitôt reçu les félicitationsde Tony Blair, dont il a pourtantpubliquement combattu la déci-sion d’envoyer des troupes britanni-ques en Irak, aux côtés des forcesaméricaines. « Je suis plus en phaseavec les positions française et alle-mande », dit-il. Terry Davis sait quela marge de manœuvre du secrétai-

re général dépend, avant tout, de lagestion de bonnes relations avecles grands Etats qui sont aussi lesprincipaux bailleurs de fonds : laFrance, le Royaume-Uni, l’Allema-gne, l’Italie et la Russie. Doté d’unbudget de 180 millions˘d’eurospour 2004, le Conseil abrite en sonsein la Cour européenne des droitsde l’homme, mais peine à se faireconnaître au-delà de cette instance.

« »Cette indifférence, voire cette

ignorance, est encore manifeste àl’ouest du continent, même si « il ya un plus grand enthousiasme pourl’Europe aujourd’hui qu’il y a quinzeans, du temps de Margaret That-cher », tempère-t-il. Cela contrasteavec l’intérêt marqué pour cetteinstitution dans les pays d’Europecentrale et orientale, pour qui l’ad-hésion au conseil a été un premierpas vers l’Union européenne (UE).Des programmes d’aides dans lesecteur juridique, pour luttercontre les discriminations, ou pourrenforcer la cohésion sociale, ontpermis de mieux identifier le rôlede cette organisation à l’Est, ainsiqu’en Russie. Ainsi, c’est à Varso-vie que doit se tenir au printemps2005 le prochain sommet duConseil réunissant les chefs d’Etatet de gouvernement.

En tant que secrétaire général,M. Davis veut faire porter sesefforts dans deux directions.D’abord « plus de clarification surl’architecture de l’Europe ». Avecl’UE, l’Organisation pour la coopé-ration et la sécurité en Europe(OSCE) et le Conseil, il existe troisinstitutions distinctes, dont les

compétences parfois se chevau-chent. Sa deuxième ambition estde s’assurer que « l’argent ducontribuable est bien utilisé ». « Jene pourrai obtenir plus de fonds quesi je prouve qu’ils sont bien dépen-sés », poursuit-il.

Fort des 180 conventions euro-péennes qui servent de base auxEtats pour l’harmonisation deslégislations nationales sur la pro-tection des données informati-ques, l’environnement, la santémentale, les médias, la préventionde la torture, etc., M. Davis aime-rait mettre l’accent, au cours de samandature, sur la lutte contre leracisme, car « aucun pays n’estimmunisé ». « Excepté peut-être l’Is-lande, je vois des menaces planerdans tous les pays européens », pré-cise-t-il. A Birmingham, il a déjàété confronté, dans les années1970, à des exactions racistes ; ellesse sont aussi produites plus récem-ment à Strasbourg et ses environs,avec la profanation des tombes jui-ves, mais aussi en Europe centraleet en Russie.

La question du respect des droitsde l’homme dans certains territoi-res russes et bien sûr en Tchétché-nie constitue un des sujets de ten-sion, au sein du Conseil de l’Euro-pe. Diplomatiquement, M. Davisse retranche derrière le respect duprincipe de l’intégrité territorialede chaque Etat membre. « La Rus-sie doit améliorer ses pratiques, enmatière des droits de l’homme, com-me tous les pays », se borne-t-il àindiquer, car « ceux-ci ne sont passtatiques ; ils évoluent. »

A. B.-M.

Déjà quinze ans ! Enplus de son tradi-tionnel rapportannuel sur la transi-tion des économiesex-socialistes, la

Banque européenne pour la recons-truction et le développement(BERD), qui couvre trois zones géo-graphiques distinctes – les huitpays d’Europe centrale désormaismembres de l’Union européenne(UE) ; les pays de l’Europe du Sud(Roumanie, Bulgarie, Albanie etquatre Républiques de l’ancienneYougoslavie) ; la Russie et les payssitués naguère dans son orbite –,s’est arrêtée sur une comparaisonentre 1989 et 2004.

Force est de constater que le che-min parcouru est plutôt encoura-geant, et ce pour les trois zones. Il ya quinze ans, il s’agissait d’un blochomogène. Aujourd’hui, ce sontdes économies ouvertes qui sontinsérées dans le maillage économi-que mondial. Pour la quatrièmeannée d’affilée, l’économie de larégion fera même mieux que celledu reste du monde, avec des prévi-sions de croissance de 6,1 % pour2004, après avoir enregistré uneprogression de 5,6 % en 2003. Seulel’Asie fait jeu égal. Les Etats-Unis etsurtout la zone euro sont en revan-che loin derrière.

Avec 7,4 %, la Communauté desEtats indépendants (CEI) – quiregroupe la Russie, l’Ukraine et lesRépubliques du Caucase et d’Asiecentrale – affiche la plus forte pro-

gression du taux de croissance,contre 5 % pour les pays de l’Euro-pe du Sud et 4,9 % pour ceux quisont entrés dans l’UE, au 1er mai.Pour 2005, l’élan se poursuit avecune croissance annuelle prévue de5,5 % pour l’ensemble de la région.

La transition de ces pays versl’économie de marché s’est faite àdes rythmes différents. Mais elles’est accompagnée d’un mouve-ment de privatisations sans précé-dent, le développement d’investis-sements majeurs dans les infra-structures, l’apparition d’un secteurbancaire aux normes occidentaleset enfin l’émergence d’un réseau depetites et moyennes entreprises. Lapart du secteur privé dans le PIB agrimpé en quinze ans, de moins de15 % à 55 % dans les pays de la CEIet jusqu’à 75 % en Europe centraleet baltique. Toutes les évolutionsne sont certes pas positives, dans lamesure où le chômage, non comp-tabilisé à l’époque communiste, afait une percée remarquée, pouratteindre des taux critiques, de l’or-dre de 18 % de la population activeest-européenne.

Les raisons du boom économi-que varient aussi suivant les zonesgéographiques. La Russie et lesRépubliques d’Asie centrale voientleur croissance portée par les res-sources liées aux ventes de pétrole,de gaz et de matières premières.Pour les pays d’Europe du Sud,c’est la perspective d’une entréedans l’UE qui a le plus dopé les éco-nomies nationales. Cela est notam-

ment perceptible avec la Rouma-nie, la Bulgarie et la Croatie, quisont en 2004 les pays qui ont entre-pris le plus de réformes pour moder-niser leur appareil économique. Unfait positif concerne l’ensemble dela zone : la montée en flèche desinvestissements directs étrangers.

Pour Jean Lemierre, président dela BERD, la leçon la plus positivedes quinze dernières années réside« dans la réapparition de liens écono-

miques entre les pays de la région,qui reposent maintenant sur des critè-res de marché ». On assiste à undéveloppement des investisse-ments transfrontaliers du secteurprivé. Par exemple l’unification duréseau électrique dans les Balkansou encore la multiplication d’entre-prises croates qui travaillent en Ser-bie. Ces échanges croisés sont à lafois des facteurs de croissance et destabilité.

Quelques menaces pointent tou-tefois à l’horizon. Au premier chef,la montée des déficits publics. Chezles huit nouveaux membres del’UE, « les déséquilibres budgétaires

et fiscaux qui se maintiennent à desniveaux élevés restent une sourced’inquiétude », estime la BERD.Concernant la Russie et les autresEtats bénéficiant de rentrées finan-cières liées au prix élevé des matiè-res premières, il s’agit de s’assurerque les gouvernements tirent partide cette situation améliorée, pouraccélérer la diversification des éco-nomies nationales et réduire lesdéséquilibres internes.

Le président de la BERD voit aus-si à terme un autre enjeu majeurpour les pays de la région, à savoirle maintien d’un système éducatifde qualité. Depuis quinze ans, undes principaux atouts pour ces paysen transition reposait en effet sur laqualité de la formation de leurmain-d’œuvre. Pour garder cesavantages, les Etats doivent à lafois investir dans leur système édu-catif pour les maintenir à niveau, cequi représente un coût majeur, et,surtout, pou éviter la fuite des cer-veaux.

Alain Beuve-Méry

le nouveausecrétairegénéral veutmettre en avantla lutte contrele racisme

Les ex-pays communistes accroissentleur participation aux échanges mondiauxavec, pour 2004,une prévisionde croissancede 6, 1 %,la région devraitfaire mieuxque les états-uniset la zone euro

TERRY DAVIS

par Stéphane Corone

Terry Davis plaide pour les droitsde l’homme au Conseil de l’Europe

f 2004 Terry Davis, 66 ans, est élu

secrétaire général du Conseil de l’Europe.f 1992-2002 Membre de l’Assemblée

du Conseil de l’Europe, dont il a présidé

le groupe socialiste.f Depuis 1980 Elu de Birmingham.

Il entre à la Chambre des communes

une première fois entre 1971 et 1974,

puis à partir de 1980.f 1962-1979 Cadre supérieur

dans l’industrie, chez Esso (1962-65),

Clarks Shoes (1965-68) Chrysler

(1968-1971) et Leylands cars (1971-79).

La Guerre desétoiles, de George Lucas, les pre-miers « laserdromes » sont appa-rus en Grande-Bretagne. Ces éta-blissements sont destinés à la pra-tique du lasersport, un divertisse-ment développé à partir d’unjouet pour enfants, le laserhit. Leslaserdromes se composent d’unvaste labyrinthe avec des cibles,dans lequel circulent les joueurs.Ceux-ci sont équipés d’appareilsde visée à laser semblables à desmitraillettes et ils portent desgilets de toile avec un capteurdans le dos. Les joueurs tirent desrayons laser, doublés de rayonsinfrarouges pour visualiser lesimpacts. Le but est d’atteindre leplus grand nombre de capteurs, cequi implique de tirer sur des ciblesfixes, mais également sur lesautres joueurs…

Une société allemande, dénom-mée Omega, a créé un laserdromele 1er août 1994 à Bonn. Avantmême son ouverture, cette activi-

té a suscité une protestation de lapart de la population voisine.L’autorité administrative a alorspris un arrêté interdisant à Omega« de permettre ou de tolérer dansson établissement des jeux ayantpour objet de tirer sur des cibleshumaines au moyen d’un rayonlaser ». L’autorité administrative afondé sa décision sur le fait queles actes homicides simulés et labanalisation de la violence présen-taient un danger pour l’ordrepublic et étaient contraires auxvaleurs fondamentales qui préva-lent dans l’opinion publique.

Omega a alors entrepris unesérie de recours pour faire annulerl’arrêté. La société estime quecette décision l’empêche d’exploi-ter son établissement. Elle ajoutequ’elle a conclu un contrat de fran-chise avec une société anglaise,Pulsar, à qui elle devait égalementacheter du matériel et qu’elle doity renoncer. Selon elle, l’arrêtéserait contraire au droit européencar il entrave la libre prestation deservices et la libre circulation desmarchandises.

Ses recours ayant été rejetés lesuns après les autres, l’affaire estvenue en dernier lieu devant leBundesverwaltungsgericht. Cettejuridiction a également considéréqu’en vertu du droit national lepourvoi d’Omega devait êtrerejeté. Elle relève que la dignitéhumaine est un principe constitu-tionnel allemand, et que le fait de« jouer à tuer » est une attitudequi nie le droit fondamental dechaque personne à être reconnueet respectée. Toutefois, avant derendre sa décision, elle a saisi laCour de justice des Communautéseuropéennes (CJCE) pour savoir sice rejet serait compatible avec ledroit européen.

La juridiction allemande pose àla Cour européenne une questionintéressante : un Etat ne peut-ilrestreindre la libre prestation deservices et la libre circulation desmarchandises prévues par le traitéd’Amsterdam qu’en vertu d’uneconception de la dignité humainepartagée par tous les Etats mem-bres ? Auquel cas il faudrait accep-ter le laserdrome, car ce typed’établissement existe en Grande-

Bretagne. Ou, à l’inverse, une acti-vité contraire à un principe géné-ral de l’un des Etats membre (l’Al-lemagne) mais non partagé partous peut-elle justifier uneentorse au droit européen ?

Dans ses conclusions, l’avocategénérale, Christine Stix-Hackl,observe que les droits fondamen-taux font sans aucun doute partiedes fondements de l’ordre juri-dique communautaire et qu’à cetitre la Cour doit en assurer le res-pect. Quant à la dignité humaine,l’avocate générale rappelle qu’elleest le substrat même des droits del’homme. Me Stix-Hackl remarqueensuite que les Etats sont « libresde déterminer, conformément àleurs besoins nationaux, les exi-gences de l’ordre public et de lasécurité publique ». Elle ajoutequ’il y a entre les droits nationauxet le droit communautaire uneconcordance de principe sur laplace et l’importance qui doiventêtre accordées à la dignité

humaine, même si les aménage-ments concrets de sa protectionvarient d’un pays à l’autre. Enfin,elle estime qu’il y a bien enl’espèce une grave menace pourles intérêts fondamentaux de lasociété et que la mesure prise parles autorités allemandes n’est pasdisproportionnée, puisque la seuleinterdiction concerne le tir sur lescibles humaines et non sur descibles matérielles.

C’est dans ces circonstancesque les juges européens ont ren-du, le 14 octobre 2004 (affaireC-36/02), un arrêt remarqué. Sui-vant le point de vue de leur avoca-te générale, ils confirment d’abordque les droits fondamentaux,dont la dignité humaine, font par-tie intégrante des principes géné-raux du droit communautaire. Ilsestiment ensuite que la protec-tion de ces droits s’impose tant àla Communauté européennequ’aux Etats membres.

Puis la Cour dit qu’il n’est pasindispensable que la mesure prisepar l’un des Etats corresponde àune conception des droits fonda-mentaux partagée par l’ensembledes Etats en ce qui concerne sesmodalités de protection, et c’estsans doute là le point le plusimportant de la décision. Peuimporte, en somme, que les moda-lités de protection de ces droitsfluctuent d’un pays à l’autre, etqu’ainsi une activité autoriséed’un côté de la mer du Nord soitinterdite de l’autre. Ce qui estimportant, c’est que les Etats par-tagent la même conception de ladignité et qu’il faut la protéger.

Cette protection constitue doncun intérêt légitime de nature à jus-tifier une restriction au traitéd’Amsterdam et notamment à lalibre prestation de services. LaCour ajoute que la mesure priseest proportionnelle au but recher-ché, puisque seule la simulationd’homicides est interdite.

Les juges concluent que le droiteuropéen n’interdit pas à unelégislation nationale de s’opposerà une activité qui porte atteinte àla dignité humaine pour desmotifs d’ordre public.

Agence Juris Presse.

E U R O P E

Toutes les évolutions ne sont certes paspositives, dans la mesure où le chômage,

non comptabilisé à l’époque communiste,a fait une percée remarquée, pour atteindre

18 % de la population active

Part du secteur privé dans le PIB, en % Taux de chômage, en %

LES ENTREPRISES PRIVÉES CONTRIBUENT DE PLUS EN PLUS À LA RICHESSE

Source : BERD

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Europe centrale et baltique Pays du Sud-Est européen Communauté des Etats indépendants (CEI)

« Peu importe, en somme,

que les modalités de protection

des droits fluctuent d’un pays

à l’autre… Ce qui est important,

c’est que les Etats partagent

la même conception de la dignité

et qu’il faut la protéger »

IV/LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004

Partir ou attendre queça s’arrange ? La déci-sion est dure à prendrenon seulement pour lesFrançais résidant enCôte d’Ivoire, mais aus-

si pour les acteurs économiquesqui y opèrent. Jamais, depuis quele pays a plongé dans la crise il y adeux ans, un tel climat de terreurn’avait régné à Abidjan, où lespillages ont été méthodiques. Lesagences de téléphonie mobileOrange, la filiale de France Télé-com, des stations Total et les éco-les françaises ont été mises à sacet détruites, de même que d’in-nombrables magasins et commer-ces. Les installations situées à lapériphérie de la capitale économi-que ont été, il est vrai, plutôt épar-gnées. « Nous avions été échaudésles fois précédentes, explique unimportateur, on a donc fait gardernos locaux. » Mais cela n’empêchepas ces entreprises françaises desouffrir de la paralysie de l’activi-té économique.

Pendant la fermeture du portd’Abidjan, qui a duré une semainecette fois-ci, la société Saupiquetne pouvait plus faire opérer saflotte thonière. Et les affaires sesont arrêtées pour le groupe Bollo-ré qui est actif dans les transportsmaritimes, gère le terminal àconteneurs et exploite la ligne fer-roviaire Abdijan-Ouagadougou.Quant aux filiales de la SAUR,elles se sont retrouvées au cœurde la crise. L’approvisionnementen électricité et en eau dont ellesont la charge a été coupé dans lenord du pays occupé par les rebel-les, au moment de l’offensiveaérienne, et ce pendant une semai-

ne. Face aux accusations de« sabotage » venues du nord, lesautorités d’Abidjan ont rejeté tou-te responsabilité, indiquant que lacoupure est intervenue sur déci-sion des deux filiales pour factu-res impayées et que le courant aété rétabli sur intervention deM. Gbagbo. En revanche, selonun responsable de la SAUR, lesdeux filiales ne sont pour riendans cette affaire. Une ligne élec-trique ayant été endommagée, ilfallait aller la réparer, ce qui étaitimpossible « faute d’avoir l’autori-sation d’accès ».

Certes, les groupes industrielset les banques peuvent faire ledos rond en attendant des joursmeilleurs ou en misant surd’autres marchés. Déjà après ledéclenchement de la rébellion enseptembre 2002 et les manifesta-tions antifrançaises début 2003,« les grosses sociétés s’étaientadaptées à la situation et avaientréduit les frais généraux », noteun cadre français. Mais les PME,qui constituent le gros de la pré-sence française, n’ont plus demarge de manœuvre. Que ce soitdans le secteur de l’ameuble-ment, de la petite distribution, dela restauration, des services…« L’activité économique avait légè-rement repris cette année par rap-port à 2002 et 2003, observe unchef d’entreprise. Mais le pouvoird’achat de la population avait for-tement baissé. »

Pour nombre de petits patrons,l’heure du départ a sonné. Il y aceux qui ont senti le danger detrop près et ont tout perdu, maisaussi ceux dont l’outil de travailest resté à peu près intact. « Je vaisconfier mes intérêts à de bonnesmains », a expliqué le dirigeantd’un cabinet de consultants. Despatrons libanais avaient adoptécette stratégie, revenant de tempsà autre pour suivre leurs affairesou celles qu’ils avaient rachetées àdes Français ayant jeté l’éponge,lors de la dernière crise.

Cette fois-ci, un avenir en Côte

d’Ivoire ne paraît plus possible àdes Français qui y ont fait touteleur carrière. « C’est fini, j’arrête »,lâche un planteur, qui s’est réfugiésur la base militaire françaised’Abidjan et qui était installédepuis trente-cinq ans dans ce quifut le pays phare de l’Afrique del’Ouest. Il ne peut plus ni achemi-ner l’ananas au port ni l’expédierpar bateau en Europe. Résultat,ses 350 employés vont « se retrou-ver sans revenus ». Et au-delà, ajou-te-t-il, « la Cote d’Ivoire va perdresa place sur le marché, que pourraoccuper le Ghana ou le CostaRica ».

Par ailleurs, le secteur du cacao,dont la Côte d’Ivoire fournit 40 %de l’offre mondiale, traverse unepasse difficile, indépendammentdu fait que l’exportation de la fève

est stoppée pendant la fermeturedes ports d’Abidjan et de SanPedro. Car, dès le début, la campa-gne qui s’étale d’octobre à septem-bre a été perturbée par des mouve-ments de protestation des produc-teurs. « Généralement, 70 % desachats sont faits entre octobre etdécembre. Or là, dans le meilleurdes cas, c’est 10 % de la récolte quiest rentré », indique un négociant.

A l’origine de ce retard, le problè-me du prix du cacao. Les produc-teurs ont réagi quand les autoritésont fixé un prix indicatif de390 francs CFA le kilo (0,06 euro).Dénonçant « la mauvaise gestiondes structures régissant la filière »et accusant le gouvernement de« complicité », ils ont fait grèvepour réclamer un prix plus élevé.Mais n’ont pas obtenu que leFonds de régulation et de contrô-le, alimenté par les diverses taxessur la fève, joue son rôle de sou-tien au cours.

Première recette à l’exportation,le cacao alimente pourtant copieu-sement les caisses de l’Etat ivoi-rien. Les taxes y sont deux foisplus élevées qu’au Ghana voisin.Mais l’opacité règne dans ce sec-teur. La Banque mondiale etl’Union européenne avaientd’ailleurs commandé un audit,dont on attend toujours les conclu-sions…

Certes, les acteurs français inter-venant dans la filière cacao ontaussi été touchés par les débuts dif-ficiles de la campagne. Mais ils n’yjouent qu’un rôle de second plan,derrière des sociétés anglo-saxonnes et suisses. S’il est exclupour ces opérateurs de quitter leterrain, l’économie ivoirienne n’enreste pas moins otage de la violen-ce politique, tout comme la com-munauté étrangère. De plus, ens’armant pour dompter les rebel-les, le président Gbagbo a mis àmal les finances publiques. Et lesfonds utilisés pour acheter avionsde chasse et hélicoptères sont par-tis en fumée, détruits par l’arméefrançaise, en représailles de lamort de neuf soldats.

Brigitte Breuillac

LES ACTEURS DE L’ÉCONOMIE

Jules Ferryet la colonisation

L’annonce de l’implanta-tion du nouveau réac-teur EPR à Flamanville(Manche), la volonté deconstruire le réacteurexpérimental de fusion

thermonucléaire ITER à Cadarache(Bouches-du-Rhône) ont mis aupremier plan de l’actualité énergéti-que le choix nucléaire de la France.Et occultent du même coup une évo-lution mondiale majeure : l’énergieéolienne a augmenté son parc de30 % par an depuis dix ans, selonl’Agence internationale de l’énergie(AIE). 32 000 mégawatts éoliens ontété installés dans le monde depuis1995, soit deux fois plus… que lenucléaire.

Certes, le David éolien, parti dequasiment zéro, est encore loind’arriver à la cheville du Goliathnucléaire si l’on compare la puissan-ce installée : respectivement 40 000et 361 000 MW. Mais les program-mes énergétiques mondiaux pré-voient, sur la période 2004-2013,une augmentation de 20 000 MWdes capacités nucléaires selonl’Agence internationale de l’énergieatomique (AIEA), et… de

145 000 MW de celles de l’éolien,selon une étude de l’Associationeuropéenne de l’énergie éolienne(EWEA) et de la Commission euro-péenne. Sachant que « le coût d’in-vestissement de l’éolien est d’environ1 million d’euros par MW installé etque, pour le nucléaire, la référenceest le nouveau réacteur EPR, soit2 millions d’euros par MW », expli-que Philippe Beutin, de l’Agence del’environnement et de la maîtrise del’énergie (Ademe), on peut estimerque les montants investis dans l’éo-lien seront, à l’échelle mondiale,entre trois et quatre fois plus élevésque dans le nucléaire dans les dixans à venir… Au mois d’octobre, ledanois Vestas, numéro un mondial,a par exemple signé trois comman-des, en Italie, en Espagne et auCanada, pour un total de 330 MWet 300 millions d’euros.

Une telle envolée s’expliqueavant tout par la maturité de cettetechnologie. On fabrique aujour-d’hui des aérogénérateurs fiables,aux turbines perchées à 110 mètresau-dessus du sol contre 40 il y avingt ans, et aux pales trois fois pluslongues. Les problèmes de nuisance

sonore sont réglés : seul persiste unbruit résiduel comparable à celuid’une ambiance de bureau situé à300 mètres.

D’où l’intérêt des investisseurs.Exemple : un projet de fermeéolienne dans la Somme, lancé parla société Ventura. Puissance instal-lée : 20 MW. Investissement : 23 mil-lions d’euros, financés à 20 % enfonds propres et à 80 % par l’em-prunt et la participation de sociétésde capital risque. Inauguration : fin2005. « Nous attendons un taux derendement de 8 % », annonceArnaud Guyot, directeur général deVentura. Des bénéfices qui aigui-sent les appétits : Siemens AGannonce le rachat du constructeurdanois Bonus, numéro six mondialdu secteur.

Second facteur, les économies

d’échelle réalisées par desindustriels en pleine croissancepermettent de faire baisser le coûtde production de 2,5 % par an. LekWh éolien est déjà compétitif avecle kWh produit par une centrale augaz sur les sites les plus ventés. Et il

le sera sur l’ensemble de l’Unioneuropéenne (UE) en 2010-2015,annonce l’étude de la Commissioneuropéenne et de l’EWEA. Selonl’EWEA, « d’ici à 2020, beaucoupd’installations éoliennes produirontde l’électricité à 2 centimes le kWh,rendant cette source la plus économi-que ». Peut-être même avant, car leprix du baril était alors proche des35-40 euros, contre 50 aujourd’hui.

Certes, la filière éolienne profitedu soutien des Etats, sous formed’une garantie de rachat obligatoiredu kWh par les distributeurs surune durée pouvant atteindre vingtans dans certains pays. En France,cette durée est de quinze ans, et leprix d’achat est, depuis l’arrêté tari-faire du 22 juin 2001, fixé à 8,38 cen-times d’euros le kWh pour les cinqpremières années d’exploitation (ilest ensuite dégressif). Mais cesaides sont-elles suffisammentpérennes pour être incluses dansles « business plan » ? Selon uneétude du cabinet Boston Consul-ting Group publiée en juin, les tauxde rendement interne chutent « de9,5 % pour les projets réalisés » enFrance à « 6,7 % pour les projets endéveloppement ». Explications : lessites les plus ventés, et donc les plusrentables, sont déjà pris ; les atta-ques des associations de protectiondes paysages, relayées par les éluspro-nucléaires et les lourdeursadministratives (il faut quatre anspour qu’un projet voit le jour,contre deux en Allemagne), accrois-sent les risques pour les investis-seurs.

Ces derniers espèrent donc que lapolitique énergétique du gouverne-ment français devienne, sur le ter-rain, enfin cohérente avec les objec-tifs fixés par l’UE en matière deréduction des gaz à effet de serre.

Vincent Gaullier

. vient de sur-monter, conte toute attente, le han-dicap de la situation militaire enIrak. Mais il n’est pas sûr qu’il échap-pe, dans les mois à venir, au sort deJules Ferry, qui avait dû abandonnerla présidence du conseil le30 mars 1885, après la défaite del’armée française à Lang Son, enIndochine. Jules Ferry est surtoutconnu pour être l’un des pères fon-dateurs de l’« école républicaine »grâce aux lois qu’il fit voter en tantque ministre de l’instruction publi-que ou président du conseil entre1879 et 1885. Mais il fut aussi le pro-moteur d’une politique colonialequi restait encore très limitée : laprincipale colonie était l’Algérie,dont la conquête avait été entrepri-se par Charles X en 1830, presquepar hasard.

Pour Jules Ferry, au contraire, ils’agissait de s’engager dans unepolitique coloniale systématique, à

l’instar de la volonté affirmée parles grandes puissances de s’implan-ter partout dans le monde. La« mondialisation » entreprise avecla conquête de l’Amérique centraleet du Sud au XVIe siècle devait ainsientrer dans une nouvelle phase, quiallait conduire, au début du XXe siè-cle, à la colonisation de l’Afrique etd’une partie de l’Asie, alors que lesmouvements de capitaux et de mar-chandises s’intensifiaient avec lereste du monde.

Les arguments en faveur de lacolonisation furent clairement expo-sés par Jules Ferry dans la préfacede son livre Le Tonkin et la Mère-Patrie, qui fut publié quelquesannées plus tard, en 1890. « La politi-que coloniale, écrivait-il, est fille dela politique industrielle. Pour lesEtats riches, où les capitaux abon-dent et s’accumulent rapidement,où le régime manufacturier est envoie de croissance continue (…), où laculture de la terre elle-même estcondamnée à s’industrialiser, l’expor-tation est un facteur essentiel de laprospérité publique, et le champd’emplois des capitaux, comme lademande du travail, se mesure àl’étendue du marché étranger. »

Et, après avoir observé que tousles pays industriels développaientet diversifiaient leur production, ilconsidérait « qu’un accroissementdu capital manufacturier, s’il n’étaitpas accompagné d’une extensionproportionnelle des débouchés àl’étranger, tendrait à produire, par leseul effet de la concurrence intérieu-re, une baisse générale des prix, desprofits et des salaires (…). La pléthoredes capitaux engagés dans l’indus-trie ne tend pas seulement à dimi-nuer les profits du capital : elle arrê-te la hausse des salaires, qui est pour-tant la loi naturelle et bienfaisantedes sociétés modernes ».

Evoquant la crise économique etles mouvements sociaux quis’étaient produits depuis le milieudes années 1870, il affirmait que« la paix sociale est, dans l’âge indus-triel de l’humanité, une question dedébouchés ». La consommationeuropéenne étant saturée, « il fautfaire surgir des autres parties du glo-be de nouvelles couches de consom-mateurs, sous peine de mettre lasociété moderne en faillite et de pré-parer une liquidation sociale parvoie du cataclysme dont on ne sau-

rait calculer les conséquences ». Ain-si, « la politique coloniale est unemanifestation internationale deslois éternelles de la concurrence ».

La vision de Jules Ferry rejointinvolontairement celle des marxis-tes, bien qu’ils dénonceront – eux –l’impérialisme capitaliste. Mais ilsl’analyseront en des termes assezproches : Lénine, dans L’Impérialis-me, stade suprême du capitalisme(1916), l’expliquera principalementpar la baisse tendancielle du tauxde profit, poussant les détenteursde capitaux des pays les plus avan-cés à les placer dans les « pays émer-gents » de l’époque pour y trouverune rentabilité plus élevée.

Rosa Luxemburg soutiendra,quant à elle, dans L’Accumulationdu capital (1913), l’idée que cetteaccumulation ne peut se poursuivresans débouchés extérieurs en rai-son de l’insuffisance de la demanded’origine salariale.

Parallèlement à cette dénoncia-tion de l’impérialisme au nom de lacritique du capitalisme ou de ladéfense des peuples colonisés,d’autres voix s’élevèrent dès l’épo-que de Jules Ferry pour s’opposer àla politique coloniale. Certains consi-déraient alors qu’elle détournait laFrance de ce qui devait être sa pré-occupation principale, à savoir larevanche contre l’Allemagne et lareconquête de l’Alsace-Lorraine : leshorizons lointains détournaient leregard des Français de la « lignebleue des Vosges ».

Pour d’autres, cette politiqueétait coûteuse et inutile : alors quela conquête militaire et la mise enplace d’une administration colonia-le étaient onéreuses, la populationde ces contrées n’était que faible-ment acheteuse des produits indus-triels venant de métropole. C’est lacoalition de ces opposants qui pro-voquera la chute du cabinet Ferry,un mois après la retraite des trou-pes françaises face à l’armée chinoi-se à la suite de la bataille de LangSon, le 28 février 1885.

Il est difficile de faire le bilan éco-nomique de la colonisation, car ilest impossible de mesurer – sur-tout en longue période – la totalitéde ses effets directs et indirects :coût humain, matériel et financierdes conquêtes, de l’administrationdes colonies et des guerres de déco-lonisation ; avantages pour lesexportateurs de produits indus-triels, gains liés aux importationsde matières premières, facilités detransport permises par l’implanta-tion outre-mer…

S’il est certain que l’essentiel ducommerce et des investissementsde capitaux n’a finalement pas étédestiné aux colonies, il est incontes-table que les Européens ont cher-ché depuis cinq siècles à s’implan-ter dans les différentes parties dumonde pour y trouver des matièrespremières (coton, sucre, métaux…)et y exporter leurs produits indus-triels. L’enjeu pétrolier, les délocali-sations et la conquête des marchésémergents ne constituent sans dou-te que la forme actuelle de ces sti-mulants extérieurs à lacroissancedes pays capitalistes.

Pierre Bezbakh est maître deconférences à l’université Paris-Dauphine.

les progrèstechnologiques,la baissedes coûtsde productionet l’aide des étatsassurent de bonsrendements

« Certains opposants

considéraient que la politique

coloniale détournait la France

de la revanche contre

l’Allemagne et de la reconquête

de l’Alsace-Lorraine »

UNE REPRISE MENACÉEEvolution du PIB, en % (en termes réels)

Source : FMI * Prévisions

1996 97 98 99 2000 01 02 03 04* 05*

4,3

1,7

– 2,8– 1,6– 2,3

1,6

4,85,7

7,7

0,1

par Pierre Bezbakh

Les éoliennes attirent les investisseurs

pour nombrede pme françaises,le climat deterreur a sonnél’heure du départ

F O C U S

Puissance d'énergie éolienne installée, par an, en mégawatts

UNE ÉNERGIE RENOUVELABLE EN EXPANSION

Source : BTM Consult ApS-Mars 2004 prévisions

0

2 000

6 000

10 000

14 000

Europe Etats-Unis Asie Reste dumonde

90 92 94 96 98 00 02 04 06 08

L’économie ivoirienne,otage de la violence politique

LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004/V

LIVRES

Au malheurdes dames

> UN SIÈCLE D’EMPLOIS PRÉCAIRES, d’Anne-Sophie Beau(Payot, 303 p., 20 ¤)

le meilleur économiste

par Marie-Béatrice Baudet

Pour la sixième année consécutive, le prix duMeilleur Jeune Economiste de France sera attribué enmai 2005. Ce prix, délivré par « Le Monde Econo-mie » et le Cercle des économistes à partir d’un jurycommun, est destiné à récompenser les travaux (thè-se, articles publiés) d’un économiste français âgé demoins de 40 ans. Cette distinction ne prétend pas éga-ler la prestigieuse John-Bates-Clark Medal qui, auxEtats-Unis, récompense chaque année impaire et auterme d’une sévère sélection « la contribution signifi-cative » d’un (e) jeune chercheur ou chercheuse amé-ricain(e) « à la pensée et à la connaissance économi-ques ». Délivrée par l’American Economic Associa-tion (AEA), qui regroupe des milliers d’économistes,cette distinction a permis de faire émerger au fil desans (elle a été créée en 1947) des universitaires derenom. La John-Bates-Clark Medal a notammentrécompensé les travaux de Paul Samuelson, MiltonFriedman, James Tobin, Kenneth Arrow, LawrenceKlein, Robert Solow, Gary Becker, Martin Felstein,Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Larry Summers…

Pour sa part, le prix du Meilleur Jeune Economistede France s’efforce de récompenser des contribu-tions originales combinant des considérations théori-ques et des applications significatives du point devue de la politique économique. Depuis sa création,en 2000, cette récompense a permis de distinguer dejeunes universitaires mais aussi des ingénieurs et desélèves de grandes écoles au parcours exemplaire. En2000, ce Prix est allé ex-aequo à Agnès Benassy-Qué-ré et à Bruno Amable et il récompensait, l’année sui-vante, Pierre Cahuc. En 2002 ont été primésex-aequo Philippe Martin et Thomas Piketty, le lau-réat 2003 étant Pierre-Cyrille Hautcœur. Enfin, leprix 2004 du Meilleur Jeune Economiste est allé àDavid Martimort.

En vue de l’édition 2005, tous les économistes repré-sentant le monde universitaire français ainsi que les

grandes écoles, peuvent concourir à ce prix destiné àcouronner des travaux portant sur l’économie appli-quée, en prise avec le réel, ainsi que des contributionspermettant de promouvoir et de participer auxdébats économiques du moment.

Pour ce faire, les candidats à ce prix, assorti d’unesomme de 3 000 euros allouée par Le Monde, doiventfaire parvenir, en deux exemplaires, avant le 31 jan-vier 2005, une liste de leurs travaux, un curriculumvitae détaillé, ainsi que deux textes qui résument lemieux leur approche, à l’adresse suivante :

Secrétariat de Patrick Artus, à l’attention de Christi-ne Griffith, CDC-Ixis Capital Markets, 47, quai d’Aus-terlitz, 75648 Paris Cedex 13.

Renseignements et candidatures également à :[email protected]

L’équipe du « Monde Economie », le supplémenthebdomadaire du Monde consacrée depuis trente-cinq ans à cette discipline, attache une importanceparticulière à ce prix qui complète sa mission pédago-gique au service du monde universitaire, des jeunesélèves, mais aussi d’un vaste lectorat soucieux demieux comprendre les enjeux économiques dumoment.

C’est dans cette démarche que s’inscrit égalementle Cercle des économistes, créé en 1992. Présidé parJean-Hervé Lorenzi, il est composé de Michel Agliet-ta, Patrick Artus, Agnès Benassy-Quéré, Jean-PaulBetbèze, Jean-Pierre Boisivon, Christian de Boissieu,Anton Brender, Pierre Cahuc, Jean-Michel Charpin,Jean-Marie Chevalier, Elie Cohen, Michel Didier, Pier-re Dockès, Lionel Fontagné, Marc Guillaume, PierreJacquet, Bertrand Jacquillat, Jean-Dominique Lafay,Jean-Hervé Lorenzi, Catherine Lubochinsky, Charles-Albert Michalet, Jacques Mistral, Olivier Pastré, AnnePerrot, Jean Pisani-Ferry, Jean-Paul Pollin, Domini-que Roux, Christian Saint-Etienne, Christian Stof-faës, Daniel Vitry.

Le nouveau traité consti-tutionnel soumis à rati-fication en 2005 dansles vingt-cinq pays del’Union est destiné àremplacer l’ensemble

des traités précédents. Il reste untraité international classique.Mais le titre de « constitution-nel » qui lui a été volontairementconféré lui donne une valeur sym-bolique fondée sur la différenceentre son statut juridique et soncontenu politique.

Le « modèle » économiqueeuropéen proclamé est celuid’une « économie sociale de mar-ché », sans qu’il y ait de défini-tion claire de ce concept. Les ser-vices publics restent soumis audroit de la concurrence. La ques-tion reste ouverte. La politiquedu marché intérieur et des rela-tions commerciales dépend tou-jours des orientations libéralesaffirmées depuis 1957. L’Unionn’a pas de politique industrielle,ni de politique fiscale, tandis quese déploient les délocalisations etla précarisation du travail.

A contrario, deux innovationspeuvent être invoquées commes’inscrivant dans une démarchede nature constitutionnelle. Lapremière est celle d’une initiativecitoyenne, permettant de fairesoumettre une proposition législa-tive par la Commission si cetteproposition a été signée par unmillion de citoyens dans un « nom-bre significatif » de pays. C’estpeut-être la disposition la plusinnovante pour rapprocher lescitoyens de l’Union, et les syndi-cats pourraient s’en emparer.

Mais, l’innovation essentielleest, à coup sûr, celle qui résidedans l’inscription des droits fonda-

mentaux de l’Union dans le corpsdu traité.

A l’exception du Royaume-Uni,qui n’a que des principes constitu-tionnels coutumiers, les droitshumains, civils et politiques, lesdroits économiques et sociaux etles droits dits de troisième généra-tion (environnement, notam-ment) ne figurent pour l’essentielque dans des préambules et, à ladifférence des articles constitu-tionnels, ne sont pas considéréscomme des dispositions d’applica-tion directe. En France, la Déclara-tion des droits de l’homme et ducitoyen de 1789 est reliée à un desdeux préambules de la Constitu-tion, et n’a été intégrée dans le« bloc de constitutionnalité » qu’en1971. Les droits fondamentaux del’Union font, eux, partie intégran-te du projet de traité constitution-nel européen, ce qui doit êtreconsidéré comme une avancéejuridique et politique par rapportau droit international antérieur ouau droit constitutionnel classique.

La partie II du projet de traitéest au moins aussi complète quen’importe quelle Constitution ouloi fondamentale nationale, maiselle met fin à une division histori-que des droits humains en plu-sieurs catégories juridiques. Ellene les relègue plus à un préambu-le, à l’instar, en France, du droitau logement ou du droit au tra-vail, non exécutoires et non justi-ciables. Un débat politique et his-torique de plus de deux siècles seconclut sur l’approche la plus pro-gressiste, celle qui considère quetous les droits fondamentaux,quelles que soient les modalitésparticulières de la réalisation dechacun d’entre eux, sont indivisi-bles, interdépendants et d’égalevaleur.

Cette approche peut sonner leglas d’un conflit entre les diffé-rents droits humains, ceux pure-ment individuels, relevant depuisle XVIIe siècle, selon l’analyse dulibéralisme, du domaine de la« liberté des modernes », au pre-mier rang desquels la propriétéprivée, et ceux relevant du domai-ne de l’égalité et de la solidarité,les droits socio-économiques, pro-mus par le mouvement ouvrier etles syndicats au fil du temps et desluttes, confirmés par leur inser-tion dans les programmes politi-ques issus de la Résistance et del’écrasement du fascisme.

La guerre froide avait exacerbéla division des droits entre cesdeux générations historiques.

L’Ouest se prévalait de la primau-té des droits dits de « premièregénération », essentiellement indi-viduels, ceux des révolutions amé-ricaine et française du XVIIIe siè-cle. L’Est mettait en exergue lesdroits de « deuxième génération »,socio-économiques, qui deman-dent une action de la société oude l’Etat. Hors de ce contexteobsolète, l’opposition survit dansla rhétorique d’un Friedrich vonHayek, auteur de la Constitutionde la liberté (1954), ou de l’écolede Chicago, animée par MiltonFriedmann, qui continue à inspi-rer le libéralisme anglo-saxon.

Le projet de traité y incorporeen plus les droits de « troisièmegénération » comme les droits àun environnement sain, au déve-loppement durable et à la protec-

tion des consommateurs. Il ne vanéanmoins pas jusqu’à soutenir leconcept des biens communs uni-versels. Malgré les limites poséespar les renvois aux législationsnationales, les droits fondamen-taux incorporés au projet de traitésont, en l’état, une ouverture etun progrès notable dans le droitoriginaire européen.

En dépit de l’autonomie parfoisaffirmée ou revendiquée pour lesdroits nationaux, ceux-ci découlentdans une large mesure des conven-tions internationales du travail, destraités européens et internationauxrelatifs aux droits humains, et desinterprétations des systèmes decontrôle ou des jurisprudences desjuges internationaux.

Les droits humains ne sontjamais octroyés : ils sont le fruitde luttes sociales et politiques dif-ficiles. L’orientation libérale despolitiques européennes, inscritedepuis 1957 dans les traités, doitcependant faire face à la montéedans l’opinion des idées alternati-ves au néolibéralisme, portées parles mouvements sociaux, les com-bats contre les délocalisations, lechômage, la précarisation ducontrat de travail. La lutte pour unmodèle social européen n’est pasgagnée par la vertu de leur adop-

tion sous forme de traité. Les syn-dicats savent d’expérience que lamise en pratique des droits lesplus élémentaires, comme la liber-té syndicale et la négociation col-lective, est le fruit d’un rapport deforces permanent. Rien ne s’achè-ve avec l’adoption de lois ou deconstitutions. Mais il est indénia-ble qu’un socle constitutionnaliséde normes sociales et de droitspolitiques offre un fondement juri-dique commun, sur lequel les syn-dicats et les mouvements sociaux,les organisations non gouverne-mentales, peuvent s’appuyer pourmarquer des points.

Les contradictions entre modèlesocial européen et droits fonda-mentaux d’une part, et politiqueséconomiques ultralibéralesd’autre part, vont s’exacerber au

cours des prochains mois : lescapacités de mobilisation des syn-dicats, des ONG qui ont pris unepart extrêmement active auxdébats constitutionnels, vontencore être mises à l’épreuve pourque leurs efforts et les attentes dela société civile ne passent pas à latrappe, comme cela pourrait êtrele cas avec le projet de directive« services » ou le projet de modifi-cation de la directive « temps detravail ».

La prochaine étape sera celle del’effectivité des droits fondamen-taux à travers la mise en œuvre depolitiques concrètes, et de l’incor-poration de nouveaux droits uni-versels concernant toute l’humani-té, afin d’aller vers un véritabledroit de la mondialisation, inté-grant les droits humains fonda-mentaux dans le droit économi-que international

Joël Decaillon est secrétaire de laConfédération européenne dessyndicats (CES) et ancienresponsable des questionsinternationales de la CGT.Daniel Retureau est membre duComité économique et social del’Union européenne et représentantde la CGT au Bureau internationaldu travail.

en histoirecontemporaine, Anne-Sophie Beau invite le lec-teur à une plongée dansles eaux profondes dugrand commerce, avecune idée en tête : lui fai-re comprendre que la pré-carité des employé(e)sne date pas, comme onle lit un peu partout, desannées 1970 avec le développe-ment des contrats à durée détermi-née et du temps partiel, mais duXIXe siècle. Une « longue durée »qui s’explique par une obsessionpatronale : faire coïncider dumieux possible la flexibilité dessalariés avec les rythmes infernauxd’ouverture des magasins.

La démonstration est parfaite-ment réussie car elle est le fruitd’une recherche impressionnante.Le livre s’appuie donc (peut-êtreun peu trop) sur des tableaux desalaires, d’horaires, de grilles declassification qui convainquent.Mais l’ennui ne gagne jamais carl’auteure a eu la bonne idée deraconter l’histoire, au fil des ans,du Grand Bazar de Lyon. Et l’onfinit, sans peine, par imaginer lavie quotidienne des magasiniers,vendeurs, vendeuses, plieurs, plieu-ses, « cheffes » de rayon… Anne-Sophie Beau a choisi de racontercette aventure en « sexuant » lesmots pour rappeler que c’est bien,essentiellement, du « malheur des

dames » dont il s’agit ici.On va alors de décou-

verte en découverte.Alors que les ouvriersdes « cathédrales indus-trielles » parviennent,par leurs luttes collecti-ves, à faire plier le patro-nat dès le milieu duXIXe siècle (1848), lesemployé(e)s de commer-

ce doivent attendre le 29 décem-bre 1900 pour obtenir un premierbouclier législatif : c’est la loi dite« loi des sièges » – réservée auxfemmes – qui oblige les magasinsà mettre une chaise à la disposi-tion de chaque vendeuse.

Autre grande avancée, en

juin 1905, un accord prévoit la fer-meture des magasins le diman-che… de début février à mi-mars,et de mi-juin à fin septembre. Achaque avancée d’un droit protec-teur, et l’étape de 1936 est, dans cedomaine, majeure, les patrons éla-borent des stratégies de contour-nement, constate l’historienne.Une grille des salaires ? En 1951, unnouveau magasin, Prisunic, créeune nouvelle organisation du tra-vail qui réduit la diversité des pos-tes et donc des salaires pratiqués.

Anne-Sophie Beau arrête sesrecherches à l’année 1974. Onaurait aimé en savoir tout autantsur les trois dernières décennies.

T R I B U N E S

Constitution européenne :un socle pour les luttes à venirpar Joël Decaillon et Daniel Retureau

« Malgré les limites posées par les renvoisaux législations nationales, les droits

fondamentaux incorporés au projet de traitésont, en l’état, une ouverture et un progrès

notable dans le droit européen »

VI/LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004

Ingénieurs : la reprisecommence à payerDébut novembre, nous

avons participé auForum Trium, orga-nisé par les Mines,les Ponts et l’Ecolenationale supérieure

des techniques avancées, raconteNicolas Cote, responsable du déve-loppement RH chez BouyguesConstruction. Les étudiants étaientde nouveau nombreux sur les standsdes sociétés d’audit ou de conseil, lesbanques, etc. Pour continuer à atti-rer les meilleures compétences, nousdevons donc mener une politiquesalariale plus dynamique. En jan-vier 2005, nous allons réévaluer de5 % notre grille de rémunération– entre 30 000 et 37 000 euros brutpour les débutants –, qui n’avait pasété retouchée depuis deux ans. »

Le regain des recrutements dansquelques secteurs – banque, cabi-nets d’audit et de conseil, sociétésde service informatique (SSII) –aurait-il déjà des conséquencesfavorables à la hausse des rémuné-rations proposées aux ingénieurs ?Quelques employeurs, en tout cas,semblent résolus à prendre les

devants. Jean-François Gautier, pré-sident du directoire d’Aedian, unesociété de conseil et d’ingénierieemployant 400 personnes, dontplus de la moitié d’ingénieurs, com-mence à s’inquiéter des possiblesrisques de tension : « Depuis quel-que temps, nous n’observons plusd’afflux massif de candidatures spon-tanées. Ce constat nous conduira pro-bablement à revaloriser de 3,5 % lessalaires en avril 2005, contre 2 % enavril 2004. »

Chez Unilog, une SSII de6 200 salariés, les directions opéra-tionnelles voient depuis six moiscertains candidats refuser le posteproposé pour cause… d’insuffisan-ce de rémunération ! Même si lasociété devrait boucler sans difficul-té les 1 200 embauches prévues en2004, l’heure est à l’anticipationd’une éventuelle pénurie de compé-tences : « Les salaires proposés auxjeunes – entre 24 000 et 34 000 eurosbrut – vont bénéficier d’une haussede 3 % à 5 %, selon les niveaux dediplôme, dès janvier 2005, indiqueYves Buisson, directeur du recrute-ment et des opérations RH. Nous

envisageons également de rallongerl’enveloppe consacrée aux augmenta-tions des personnes en poste ; nousles ciblerons sur des fonctions préci-ses. En ce moment, des concurrentsoffrent 30 % de plus que leur rémuné-ration actuelle à certains de nosconsultants expérimentés pour lesdébaucher. » Les différentes enquê-tes menées par le cabinet Oberthur

Consultants montrent que les sec-teurs du conseil, de la high-tech etdes télécoms semblent décidés,après la rigueur, à donner un coupde pouce : « Ils prévoient 4 % d’aug-mentation en 2005 pour les jeunesdiplômés, détaille Jean-PhilippeDominguez, directeur Rémunéra-tions. C’est un signe fort, car, quandce secteur recrute, cela concerne desmilliers d’ingénieurs. L’industriechimique donne aussi une prévisionimportante de 5 % de progression. »

Mais ces signes avant-coureursne concernent que quelques entre-prises de quelques secteurs. Car,« globalement, les entreprises tergi-versent, observe M. Dominguez.Peu d’éléments démontrent que lesrémunérations des ingénieurs dansleur ensemble vont être boostées defaçon significative dans les prochainsmois ». La reprise entamée depuisle printemps ne produit pas encored’effets sensibles, notamment surles salaires des jeunes diplômés.

La plupart des entreprises avan-cent avec une prudence de Siouxdans la revalorisation des grillesd’embauche. Chez Schneider Elec-tric, le barème – entre 31 000 et36 000 euros brut annuels, selon leniveau des écoles – n’a pas bougédepuis juillet 2002 : « Depuis 2001,il n’y a pas eu de tension sur les salai-res, et nous nous sommes positionnésdans la fourchette médiane du mar-ché, explique Marie-Christine San-tis, directrice développement RH.Pour 2005, les études de benchmar-king montrent que la situation nedevrait pas beaucoup changer. »Pierre Farouz, DRH de HP France,estime également que le rapport deforces est toujours favorable auxemployeurs : « Les enquêtes ne mon-trent aucun signe d’alerte sur tel outel métier. Je pense que notre grille– entre 30 000 et 35 000 euros brut

pour les ingénieurs commerciauxdébutants et entre 37 000 et 42 000pour les ingénieurs techniques – bou-gera peu l’année prochaine ».

L’humeur est à la mesure avanttoute chose. Chez Ajilon Enginee-ring – 450 salariés dont 60 % d’ingé-nieurs –, l’amélioration de laconjoncture ne paraît pas assezassurée pour que l’on desserre les

cordons de la bourse : « Nous trou-vons les profils – et des personnes dequalité – dont nous avons besoin auprix que nous proposons, c’est-à-direentre 28 000 et 32 000 euros brut,constate Patrick Gosselin, responsa-ble RH. Nous n’envisageons pas uneprogression de ces rémunérations en2005 ».

S’ils veulent toucher la rétribu-tion de leurs rêves, les jeunes ingé-nieurs devront attendre encore unpeu ou… travailler dur ! Le doublediplôme en management ou enfinance – mastère de grande école,diplôme d’institut d’administra-tion des entreprises ou MBA – semonnaie de 2 000 à 4 000 euros deplus chez Schneider Electric ; lebilinguisme, l’expérience profes-sionnelle en stage prolongé ou envolontariat international en entre-prise (VIE) font gagner 5 % supplé-mentaires chez BouyguesConstruction…

Nathalie Quéruel

L’année 2003 aura doncété, comme les deux pré-cédentes, bien mauvaisepour la rémunérationdes cadres, si l’on en croitl’enquête de la Confédé-

ration générale des cadres (CFE-CGC) publiée le 29 octobre : 50 %seulement d’entre eux ont vu leurrémunération augmenter cetteannée-là. Mais comme cette haussea été, pour la majorité, inférieure àcelle du coût de la vie, près des troisquarts des cadres ont connu, en réa-lité, une érosion de leur pouvoird’achat, même si les moins de30 ans ont été un peu mieux lotis(62 % de ces derniers ont été aug-mentés).

L’enquête de l’Association pourl’emploi des cadres (APEC) et deHewitt Associates constate égale-ment une augmentation moyennede 2,5 % en 2003 pour une inflationde 2,2 %. « En fait, constate Jean-Pierre Fine, directeur des études del’APEC, les rémunérations sont,compte tenu de l’inflation, quasistables depuis cinq ans. Si l’on prendle salaire d’embauche des ingénieursdébutants, la moyenne s’élève à28 400 euros brut annuels pour la pro-motion 1999, 28 485 pour la promo2001 et 28 363 pour la promotion2003, alors que le contexte écono-mique a considérablement varié pen-dant cette période. » Et l’analyse desannonces reçues par l’APEC jus-qu’en septembre ne permet pas dedéceler de changements « sauf à lamarge ».

Lorsque augmentation il y a, elleconcerne plutôt les ingénieurs expé-rimentés, dont les rémunérationsd’embauche sont en hausse de 3 %à 4 % par rapport à 2003. « La repri-se du marché n’a pas encore atteintles jeunes diplômés, elle profited’abord à ceux qui ont déjà une expé-rience professionnelle. Mais il s’agitd’un simple rattrapage pour des

cadres qui ont souvent connu uneforte baisse de rémunération du faitde l’effondrement de sa part variableou d’un licenciement. » Jean-PierreFine n’a pas non plus constaté derévision des grilles salariales dans laplupart des grandes entreprises.« La période précédente leur a ensei-gné la prudence : changer la grillepour les jeunes diplômés a trop deconséquences en cascade. »

Frédéric Clément, consultantchez Towers Perrin, cabinet conseilen management des ressourceshumaines, confirme cette analyse,mais avec un peu plus d’optimis-me : « Depuis trois à six mois, lessignes de reprise sont clairs pour lesingénieurs confirmés, au vu de notrebase de données réactualisée tous lesmois, dit-il. Mais pas pour les jeunesdiplômés. » Il constate surtout queles entreprises sont en train de révi-ser le fonctionnement de la partvariable de la rémunération. Eneffet, après l’avoir généralisée dansles dernières années (51 % descadres sont concernés, selon la CFE-CGC), elles se sont aperçues qu’elleavait provoqué un effondrement dela rémunération de leurs cadres, etqu’elle risquait, à l’inverse, de créer

une envolée avec le retour des résul-tats financiers. C’est d’ailleurs cettemécanique qui explique dans biendes cas la légère remontée de 2004.

Si les filiales de groupes anglo-saxons semblent avoir pris leur par-ti de cette logique, les entreprisesfrançaises, elles, tentent de « lisserles effets de la conjoncture » en ins-

taurant, par exemple, la révision desobjectifs en cours d’année, ou en dif-férenciant les mécanismes de partvariable en fonction des profils etdes fonctions. « L’idée, précise Fré-déric Clément, est que les meilleursgagnent véritablement plus, les autresun peu moins, et les mauvais… riendu tout. »

Antoine Reverchon

les entreprisesrevoientl’attribution dela part variabledes rémunérations

le retourdes recrutementsdans certainssecteurs – serviceinformatique,conseil, banque –entraîne çà et làdes effets positifssur les salairesd’embauchedes ingénieurs.mais cetteembellie,loin d’êtregénéralisée,concerne les plusexpérimentésplutôtque les débutants

Oublier 2003 au plus vite

« Les salaires sont,compte tenu de

l’inflation, quasi stablesdepuis cinq ans »

- ,

« Nous trouvonsles profils dont nousavons besoin au prixque nous proposons »

,

Salaire net ajusté au différentiel de coût de la vie, en 2004,d'un ingénieur de 30-35 ans, célibataire, sans fonctiond'encadrement

Salaire annuel brut des jeunes diplômésdes écoles d'ingénieurs de la promotion 2003,en emploi en 2004, en euros

*Un quart des ingénieurs diplômés en 2003gagnentmoins de 26 000 € en 2004, lamoitiémoins de 28 800 € et un quart plus de 31 210 €

LES JEUNES DIPLÔMÉS MIEUX TRAITÉS AU ROYAUME-UNI

Source : Les salaires des cadres en Europe-APEC-Hewitt Source : APEC

Allem

agne

Espagne

France

Italie

Roy.-Uni

28

26

24 2

9

24

32

30

27 30

41

Ingénieur de recherche Ingénieur informatique

Salaire moyen

Salaire médian*

1er quartile*

3e quartile*

28 083

28 800

26 000

31 210

EMPLOI

agendaa RESSOURCES HUMAINES

Les onzièmes rencontres annuelles des décideurs en ressources humai-nes, « TOP DRH », auront lieu les 18 et 19 novembre à Deauville (Calva-dos). Parmi les débats inscrits au programme : « Comment capitaliser surles compétences non techniques et s’assurer de leur développement ? » ;« Externalisation et nouvelles technologies » ; « La gestion de tous lesâges : un nouveau défi pour l’entreprise »…

Renseignements, tél. : 01-41-86-41-86. Site : www.adhes.com

a DÉVELOPPEMENT« L’état des savoirs sur le développement. Vers une perspective euro-

péenne ? » est le thème de la conférence internationale organisée par leGroupement pour l’étude de la mondialisation et du développement(Gemdev), en collaboration avec l’Association européenne des institutsde recherche et de formation en matière de développement (EADI) etl’Association pour l’étude de la mondialisation et du développement(Amodev), qui aura lieu jeudi 18 et vendredi 19 novembre à l’Ageca (177,rue de Charonne, 75011 Paris).

Renseignements, Gemdev, tél. : 01-44-78-33-15. Site : www.gemdev.org

a AIDEL’Agence française de développement (AFD) et European Develop-

ment Research Network (EUDN) organisent une conférence sur le thè-me « Aide au développement : pourquoi et comment. Quelles stratégiespour quelle efficacité ? », le 25 novembre de 9 heures à 19 heures, au cen-tre Pierre-Mendès-France (ministère de l’économie, des finances et del’industrie, 139, rue de Bercy, 75012 Paris).

Renseignements, Jacky Amprou, tél. : 01-53-44-38-02. Courriel :[email protected]

a MONTAGNELa capitale savoyarde, Chambéry, accueillera le Festival international

des métiers de montagne (FIMM), du 25 au 28 novembre. Pour ce dixièmeanniversaire, l’accent sera mis sur les métiers de l’agriculture et du monderural, avec des débats publics « 1984-2004 : 20 ans de loi montagne, quelavenir ? » ; « Qualité, produits, terroirs… montagne et mondialisation »,des animations, des espaces thématiques d’informations et de rencontres,des expositions…

Renseignements, tél. : 04-79-60-21-01. Site : www.metiersmontagne.org

a EUROPEDans le cadre d’un cycle de formation qui proposera un tour d’Europe

des relations sociales dans les pays de l’Union européenne (UE), l’Universi-té européenne du travail (UET) convie à une première journée sur « les res-tructurations en Allemagne », jeudi 25 novembre, à Paris (CampusCanal+, 25, rue Leblanc, 75015 Paris), avec la participation et le témoigna-ge de praticiens, syndicalistes et managers allemands, et d’universitairessur les aspects individuels et collectifs de la gestion des restructurations.

Renseignements, courriel : [email protected] et tél. :01-45-92-69-81.

VILLARD-DE-LANSde notre envoyée spéciale

Il faut réduire le nombredes producteurs de lait, telest le message récemmentenvoyé par le conseil dedirection de l’Office natio-nal interprofessionnel du

lait (Onilait) qui « s’est prononcépour un projet de décret modifiantles conditions d’attribution desaides à la cessation d’activité laitiè-re (ACAL) ». Pourtant, le nombred’exploitations agricoles possé-dant des vaches a déjà fortementchuté en vingt ans, passant de587 000 à 230 000 ; la reprise desinstallations familiales par les jeu-nes est en nette régression danscertaines régions (une sur quatre,par exemple, en Aquitaine), et leseffectifs des producteurs de laitde vache ne cessent de décroître(– 70 %, en moyenne nationale,depuis 1983). Pour compléter letableau, la profession est touchéede plein fouet par la baisse sur lesprix du lait, malgré l’accord signéle 9 septembre. Ces perspectives

sombres n’entament pas, malgrétout, la détermination de certainsagriculteurs.

Résistants avant l’heure, les pro-ducteurs laitiers du nord du Ver-cors pourraient se vanter del’être. Voilà un an qu’ils ont déci-dé de rompre le contrat qui lesliait depuis 1984 à la société Lacta-lis, chargée de la transformationet de la distribution du lait. Lastratégie de productivité à outran-ce exigée par Lactalis et la politi-que d’abandon progressif dulabel AOC bleu-du-vercors-sasse-nage, qui avait été attribué à leurfromage en décembre 1997, ontdéclenché leur révolte. A la quasi-majorité, les éleveurs produc-teurs ont racheté à la société Lac-talis leur ancienne coopérative lai-tière.

Le contexte n’est, malheureuse-ment, pas des plus favorables àune telle initiative, comme lereconnaît Christian Arribert, prési-dent du conseil d’administrationde la coopérative laitière Vercors-Lait : « Aujourd’hui, il faut avoirdu courage pour entreprendre ceque nous avons fait. Nous avonsune démarche qualitative et nonpas compétitive, ce qui était le casde l’entreprise Lactalis. Il faut nousdémarquer par rapport aux gran-des plaines productrices. » Deplus, le Vercors subit de pleinfouet les conséquences de la cani-cule de 2003 et de la sécheressedes deux dernières années. « Lamontagne est une zone fragile, lespâturages sont rares et dispersés. Ily a peu de fourrage », poursuitChristian Arribert. Il suffit deregarder à travers les baies vitréesde la coopérative pour voir lesforêts de conifères dominant l’en-trée des Grands Goulets. Les prai-

ries sont à des kilomètres de là,dans des vallées plus ouvertes.

Depuis quelques décennies, lesouci majeur de la population des« quatre montagnes » est essen-tiellement économique. En vingtans, les exploitations agricolessont passées de 108 à 72, parmilesquelles les laitières, qui ont pra-tiquement perdu la moitié deleurs effectifs.

Les éleveurs, dont l’activité aété de tout temps moteur de larégion, veulent sauver leur patri-moine. Le bleu-du-vercors-sasse-nage en est l’axe cardinal. Chris-tian Arribert rappelle, non sansfierté, que ce fromage rond, aulait de vache et à la pâte persillée,à la saveur douce laissant un légergoût de noisette sur la langue, fai-sait déjà le régal d’Henri IV et deFrançois Ier.

Malgré tout, les chiffres confir-

ment le malaise de la profession.Les deux départements Isère et Drô-me sur le plateau du Vercors comp-taient 300 exploitations produisantl’AOC dans les années 1980 contre160 aujourd’hui.

Les producteurs laitiers se sontrévoltés contre la stratégie de Lacta-lis, qui était de favoriser la produc-tion de bleu en MDD (marge de dis-tributeur), au détriment de l’AOC.Ainsi, en 2003, 900 tonnes de laitfurent utilisées pour fabriquer unsous-produit, contre 110 tonnespour l’AOC. Avec le revers de lamédaille : lorsque les producteursfont 100 tonnes de plus en MDD, ilsgagnent 3 euros de moins par kiloet doivent se plier aux exigences dudistributeur.

Eric Jasserand, grand gaillardcostaud au teint clair, ne regrette

pour rien au monde d’avoir aban-donné son emploi salarié chez Lac-talis. « Avant, c’était une coursecontre la montre. Il fallait payer levétérinaire pour qu’il administredes antibiotiques, des vitamines,des suppléments alimentaires auxbêtes. On s’en sortait plus »,confie-t-il. Maintenant, le stressest fini. Ses vaches ont repris leurrythme naturel. Elles pâturentdans les champs et rentrent à l’éta-ble en hiver. Sa vie de famille estdevenue plus normale. Sa femmetravaille à la vente, dans la coopé-rative. La reprise de la coopérati-ve implique, en effet, que chacuns’investisse.

Les producteurs de Vercors-Laitsemblent confiants. Contraire-ment à certaines autres commu-nes du plateau, la relève est assu-rée. La moyenne d’âge y est de38 ans, avec 95 % de locaux quiconservent ou ont repris les activi-tés de l’agriculture. « Nous avonsréussi à sauvegarder notre structu-re de petits exploitants, à embau-cher douze personnes, explique leprésident du conseil d’administra-tion de Vercors-Lait, et à assurerla pérennité de notre terroir. »

Outre la perte du label de recon-naissance et de qualité du bleu-du-vercors-sassenage, un autrespectre flottait sur l’avenir de laproduction laitière du Vercors, ladélocalisation vers les pays del’Est.

Ces craintes se confirment : Lac-talis a acheté, début octobre, lasociété Kazakhe Foodmaster Inter-national, qui fabrique et commer-cialise des produits laitiers auKazakhstan, en Ukraine et en Mol-davie.

Marie-Florence Bennes

dans le vercors,des agriculteursont rompule contratqui les liaità la société detransformationet de distribution

Derniermoisconnu

LE MARCHÉ DU TRAVAIL FRANÇAIS

Sources : Insee, Dares, CNAF, Unedic

Chômeurs de moins de 25 ans(en milliers)

Chômeurs de longue durée(en milliers)

Emplois précaires (en milliers) :

Intérim

Contrats en alternance

Femmes

Hommes

Horaire

Mensuel

Contrats aidés dans le secteurmarchand

Contrats aidés dans le secteurnon marchand (hors emplois-jeunes)

748,5 (sept. 04)

Variationsur un an

437,8 (sept. 04) + 1,8 %

+ 3,9 %

1 197 + 2,9 %

1 448 + 0,03 %

7,61 (juillet 04) + 5,84 %

1 286,09 (juillet 04) + 5,84 %

1 194 (juin 04) + 10,5 %

517,5 (sept. 04) + 1,3 %

594,6 (août 04) – 5,9 %

402,8 (sept. 04) – 1,8 %

100,0 (sept. 04) – 19,2 %

Salaire netmédian (en euros constants) :

Allocataires du revenuminimum d'insertion (en milliers )

Smic (en euros )

flash apec/ « le monde »

Nombre de changements d'entreprise au cours des dix dernières annéesen% de cadres concernés

LA MOBILITÉ CONCERNE À PEINE LA MOITIÉ DES CADRES

Source : APEC 2004

60

50

40

30

20

10

0

53

20

11 10 6

Aucun 1 fois 2 fois 3 fois 4 foiset plus

europe/emploi europe/protection sociale

Source : Eurostat

LES COTISATIONS SOCIALES, UN CHOIX POLITIQUE

Cotisations de sécurité sociale en 2002, en % de la charge fiscale globale

Rép.tchèque

Allem

agne

Slovaquie

Pologne

Slovénie

France

Estonie

Espagne

Pays-Bas

Hongrie

Autriche

Grèce

Lettonie

UE25

Belgique

Portugal

Lituanie

ItalieSuède

Luxembourg

Finlande

Chypre

Malte

Royaume-U

ni

Irlande

Danemark

42,4

42,3

41,0

40,9

37,9

37,2

35,5

35,2

35,2

33,9

33,2

32,5

32,4

32,1

31,4

30,9

30,2

29,5

28,9

27,3

26,5

21,5

21,4

16,9

15,5

3,4

flash sett/« le monde »

E M P L O I

Des producteurs de lait s’émancipent

a PLUS DE LA MOITIÉ DES CADRES actuellement en activité n’ont pas changéd’entreprise ces dix dernières années. Cette proportion est plus importan-te parmi les cadres âgés de plus de 50 ans et les cadres travaillant dansune grande entreprise.

a SUR LA MÊME PÉRIODE, 1 cadre sur 10 a changé trois fois d’entreprise. Plu-tôt jeunes et possédant un niveau de diplôme élevé, un tiers d’entre euxtravaillent dans une entreprise de 50 à 499 salariés. Ils ont plus fréquem-ment le sentiment de maîtriser leur évolution professionnelle et sont aus-si parmi les plus satisfaits de leur situation.

a EN 2003, 192,8 MILLIONS D’EUROPÉENS âgés de 15 ans etplus avaient un emploi. Le taux d’emploi total pour laclasse d’âge 15-64 ans était de 63 %, et celui des fem-mes de 55,1 %. Le taux d’emploi des personnes âgéesde 55 à 64 ans était de 40,2 %.

a LES TAUX D’EMPLOI varient de 51,2 % en Pologne à75,1 % au Danemark. Les pays dans lesquels ce tauxétait le plus élevé sont aussi ceux dans lesquels le tauxd’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans et le tauxd’emploi féminin sont les plus élevés.

a PAR EXEMPLE, LA SUÈDE ET LE DANEMARK ont enregistréles taux d’emploi féminin les plus élevés, respective-

ment 71,5 % et 70,5 %, tandis que les taux les plus fai-bles ont été constatés à Malte (33,6 %), en Italie(42,7 %) et en Grèce (43,8 %), où les taux d’emploi del’ensemble de la population âgée de 15 à 64 ans sontégalement parmi les plus faibles de l’Union.

a L’ÉCART LE PLUS IMPORTANT entre les taux d’emploimasculin et féminin a été observé à Malte avec une dif-férence de 41 points de pourcentage, suivie de la Grè-ce, de l’Espagne et de l’Italie, où les écarts étaient deprès de 30 points de pourcentage. A l’opposé, lesécarts les plus faibles se situaient en Suède (3 pointsde pourcentage), en Finlande (4 points) et en Lituanie(6 points).

Source : Eurostat

LES DEUX TIERS DES EUROPÉENS TRAVAILLENT

Pourcentage de personnes âgées de 15 à 64 ans ayant un emploi par rapport à la populationtotale du même groupe d'âge, en 2003

Suède

Allem

agne

Rép.tchèque

Autriche

Belgique

Danemark

Espagne

Finlande

France

UEà 25

Estonie

Slovénie

Lettonie

Lituanie

GrèceSlovaquie

Hongrie

ItalieMalte

Irlande

Luxembourg

Pays-Bas

Portugal

Chypre

Royaume-U

ni

Pologne

80

60

40

20

0

a EN 2002, LES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE représen-taient 32,1 % de la charge fiscale globale en moyennedans l’ensemble de l’Union européenne, la France sesituant à environ cinq points au-dessus de cettemoyenne.

a CETTE PART EST BEAUCOUP PLUS FAIBLE que la moyennedans trois pays : le Danemark (3,4 %), l’Irlande(15,5 %) et le Royaume-Uni (16,9 %) ; elle est beau-coup plus forte en République tchèque (42,4 %), Alle-magne (42,3 %), Slovaquie (41 %) et Pologne (40,9 %).

a LE PARTAGE DE L’EUROPE en la matière ne s’établitdonc pas entre pays menant une politique libérale et

pays maintenant un niveau élevé de protection socia-le, mais plutôt en fonction du choix d’une politique fis-cale arbitrant entre charges sociales, impôt direct etimpôt indirect.

a AINSI, LE DANEMARK finance son généreux système deSécurité sociale par la fiscalité ; alors que le Royaume-Uni et l’Irlande ont fait le choix d’un allégement géné-ral de la fiscalité, qui concerne à la fois l’impôt et laSécurité sociale. En Allemagne, en République tchè-que ou en Pologne, ce sont en revanche les cotisationsdes entreprises et celles des salariés qui financent laplus grande part du système social, dans un contextede légère réduction de la charge fiscale globale.

a APRÈS AVOIR ÉTÉ TOUCHÉ par la crise des télécommunications et de l’infor-matique au cours de l’année 2002, l’intérim a connu un rebond impor-tant dans les industries des composants et des équipements électriqueset électroniques au cours du premier semestre 2004. Au début de l’an-née, elles employaient 26 358 intérimaires en équivalent temps plein,soit 10,2 % de l’ensemble de l’emploi intérimaire de l’industrie.

a 73 % DES INTÉRIMAIRES sont employés dans la fabrication du matérielinformatique, 28 % dans celle d’appareils d’émission et de transmission et17 % dans celle de moteurs, générateurs et transformateurs électriques.

Sources : Syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT), Dares * équivalent temps plein

REPRISE DANS L'INFORMATIQUE ET LES TÉLÉCOMS

Evolution du nombre d'intérimaires (en etp*), dans les industries des composantset des équipements électriques et électroniques, en%

industries des équipements industries des composants

2002

2003

1er semestre 2004

– 30– 24

– 1+ 1

+ 15+ 14

MDE-4704-INTÉRIMAIRES

VIII/LE MONDE/MARDI 16 NOVEMBRE 2004