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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En France, frondeurs et gauche de la gauche sont désorientés PAR MATHIEU MAGNAUDEIX ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JUILLET 2015 Avec 412 voix pour, gauche et droite confondues, 69 contre et 49 abstentions, les députés ont massivement approuvé l'accord signé lundi. Au prix d'une cacophonie à la gauche de la gauche. Lorsqu’on est contre l’austérité, peut-on voter pour un accord qui l’aggrave ? Quand Alexis Tsipras lui- même assure« ne pas croire » à l’accord signé sous la contrainte dans la nuit de dimanche à lundi, le maintien de la Grèce dans la zone euro vaut-il un « oui » du Parlement français ? Depuis dimanche soir et la fin de la négociation au long cours sur le plan d’aide à la Grèce, les frondeurs socialistes, les écologistes et le Front de gauche, soutiens de Tsipras et partisans d’une politique européenne alternative, sont désarçonnés : le premier ministre grec, héraut de la lutte contre l’austérité en Europe, l’homme qui a osé convoquer un référendum pour faire voter son peuple, a dû rendre les armes à Bruxelles. L’accord signé, qui exclut toute annulation de la dette, impose à la Grèce de voter en quelques jours des mesures très dures, préalable à toute négociation sur une troisième aide financière. À Athènes, Syriza, le parti de gauche radicale au pouvoir, se déchire ouvertement. Fallait-il donc le rejeter, au risque de donner le sentiment de lâcher Tsipras ? Ou bien l’avaliser, puisque Athènes l’a signé pour ne pas être expulsé de la zone euro ? Avec 412 voix pour, voix de gauche et de droite confondues, 69 contre et 49 abstentions, l’Assemblée nationale, mais aussi le Sénat, ont massivement choisi la seconde option, ce mercredi 15 juillet. Mais pour les partisans d’Alexis Tsipras en France, du PS au Front de gauche, le grand dilemme s’est traduit par une cacophonie de votes, tandis que Manuel Valls se félicitait à la tribune d'« un accord responsable, global, difficile et qui doit s’inscrire dans la dure#e ». Malgré ses efforts, le député socialiste Pouria Amirshahi, qui avait plaidé pour que les frondeurs socialistes, le Front de gauche et EELV adoptent une position commune afin de « faire bloc », a vu ses espoirs défaits. À l’Assemblée, les frondeurs socialistes, qui s’étaient réunis dans la matinée pour constater leurs divergences, se sont partagés entre le « oui » (l’ancien ministre Benoît Hamon, Christian Paul, Henri Emmanuelli) et l’abstention (Pouria Amirshahi, Pascal Cherki, Fanélie Carrey- Conte, Barbara Romagnan, etc.). Neuf députés EELV ont voté pour (en gros, ceux qui soutiennent l’entrée des écologistes au gouvernement), deux ont voté contre (Noël Mamère et l’apparentée Isabelle Attard), quatre se sont abstenus et deux n’ont pas pris part au vote, dont l’ex-ministre Cécile Duflot, auteure d’une tribune inquiète où elle met en garde contre une possible « mort violente » de l’Europe. Au départ divisés, les élus Front de gauche se sont finalement mis d’accord pour voter contre, mais au prix de quelques pirouettes. Dès dimanche, l’accord de Bruxelles a troublé les soutiens de Tsipras. Sitôt l’accord signé, une partie de la gauche radicale, NPA et aile gauche de Syriza en tête, a dénoncé un « accord odieux » et la « capitulation » de Tsipras. Le Parti de gauche, lui, a préféré dénoncé un « coup d’État orchestré par madame Merkel avec la complicité de monsieur Hollande » – comme de nombreux internautes arborant sur les réseaux sociaux le hashtag#ThisIsACoup. Mais Jean-Luc Mélenchon, le cofondateur du Parti de gauche, qui a toujours cité Tsipras en« exemple », a refusé de déjuger le premier ministre grec. « Notre solidarité avec Tsipras est acquise. Elle n’est pas en jeu », a assuré Mélenchon, qui a très vite revendiqué une « marge critique » sur l’accord en lui-même. « Tsipras s’est battu, il a résisté, abonde le secrétaire national du parti, Alexis Corbière. Il y a une volonté de sanction de la droite allemande de cette expérience politique. C’est scandaleux. M. Tsipras est une victime. […] La construction européenne prend un caractère monstrueux. » Logiquement, Jean-Luc Mélenchon avait appelé les députés à voter mercredi « contre

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En France, frondeurs et gauche de lagauche sont désorientésPAR MATHIEU MAGNAUDEIXARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JUILLET 2015

Avec 412 voix pour, gauche et droite confondues,69 contre et 49 abstentions, les députés ontmassivement approuvé l'accord signé lundi. Au prixd'une cacophonie à la gauche de la gauche.

Lorsqu’on est contre l’austérité, peut-on voter pourun accord qui l’aggrave ? Quand Alexis Tsipras lui-même assure« ne pas croire » à l’accord signé sous lacontrainte dans la nuit de dimanche à lundi, le maintiende la Grèce dans la zone euro vaut-il un « oui » duParlement français ? Depuis dimanche soir et la finde la négociation au long cours sur le plan d’aide à laGrèce, les frondeurs socialistes, les écologistes et leFront de gauche, soutiens de Tsipras et partisans d’unepolitique européenne alternative, sont désarçonnés :le premier ministre grec, héraut de la lutte contrel’austérité en Europe, l’homme qui a osé convoquer unréférendum pour faire voter son peuple, a dû rendre lesarmes à Bruxelles.

L’accord signé, qui exclut toute annulation de la dette,impose à la Grèce de voter en quelques jours desmesures très dures, préalable à toute négociationsur une troisième aide financière. À Athènes, Syriza,le parti de gauche radicale au pouvoir, se déchireouvertement.

Fallait-il donc le rejeter, au risque de donner lesentiment de lâcher Tsipras ? Ou bien l’avaliser,puisque Athènes l’a signé pour ne pas être expulséde la zone euro ? Avec 412 voix pour, voix degauche et de droite confondues, 69 contre et 49abstentions, l’Assemblée nationale, mais aussi leSénat, ont massivement choisi la seconde option, cemercredi 15 juillet. Mais pour les partisans d’AlexisTsipras en France, du PS au Front de gauche, legrand dilemme s’est traduit par une cacophonie devotes, tandis que Manuel Valls se félicitait à la tribuned'« un accord responsable, global, difficile et qui doits’inscrire dans la dure#e ».

Malgré ses efforts, le député socialiste PouriaAmirshahi, qui avait plaidé pour que les frondeurssocialistes, le Front de gauche et EELV adoptentune position commune afin de « faire bloc », avu ses espoirs défaits. À l’Assemblée, les frondeurssocialistes, qui s’étaient réunis dans la matinéepour constater leurs divergences, se sont partagésentre le « oui » (l’ancien ministre Benoît Hamon,Christian Paul, Henri Emmanuelli) et l’abstention(Pouria Amirshahi, Pascal Cherki, Fanélie Carrey-Conte, Barbara Romagnan, etc.).

Neuf députés EELV ont voté pour (en gros,ceux qui soutiennent l’entrée des écologistes augouvernement), deux ont voté contre (Noël Mamère etl’apparentée Isabelle Attard), quatre se sont abstenuset deux n’ont pas pris part au vote, dont l’ex-ministreCécile Duflot, auteure d’une tribune inquiète où ellemet en garde contre une possible « mort violente » del’Europe. Au départ divisés, les élus Front de gauche sesont finalement mis d’accord pour voter contre, maisau prix de quelques pirouettes.Dès dimanche, l’accord de Bruxelles a troublé lessoutiens de Tsipras.Sitôt l’accord signé, une partie de la gauche radicale,NPA et aile gauche de Syriza en tête, a dénoncé un« accord odieux » et la « capitulation » de Tsipras.Le Parti de gauche, lui, a préféré dénoncé un «coup d’État orchestré par madame Merkel avec lacomplicité de monsieur Hollande » – comme denombreux internautes arborant sur les réseaux sociauxle hashtag#ThisIsACoup. Mais Jean-Luc Mélenchon,le cofondateur du Parti de gauche, qui a toujours citéTsipras en« exemple », a refusé de déjuger le premierministre grec. « Notre solidarité avec Tsipras estacquise. Elle n’est pas en jeu », a assuré Mélenchon,qui a très vite revendiqué une « marge critique »sur l’accord en lui-même. « Tsipras s’est battu, ila résisté, abonde le secrétaire national du parti,Alexis Corbière. Il y a une volonté de sanction dela droite allemande de cette expérience politique.C’est scandaleux. M. Tsipras est une victime. […]La construction européenne prend un caractèremonstrueux. » Logiquement, Jean-Luc Mélenchonavait appelé les députés à voter mercredi « contre

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l’accord Merkhollande », qui « va amplifier larécession et accélérer le pillage du pays ». « Voterl’accord c’est valider les méthodes qui l’ont permis», a -t-il écrit sur son blog. Pour lui, s’abstenir est «reculer devant le choix ».Mais au Front de gauche, tous n’étaient pas surcette ligne dès le départ. Lundi, alors que l’Élyséecommuniquait sur le rôle de François Hollande pourinfléchir la position allemande, le secrétaire nationaldu PCF Pierre Laurent avait salué le texte final dela négociation de Bruxelles. « Ce qui vient d'êtreobtenu l'a été grâce au courage d’Alexis Tsipras, deson peuple et de l'engagement de la France. » Leprésident des députés Front de gauche à l’Assemblée,André Chassaigne, avait bien dénoncé un « mauvaisaccord », mais il avait annoncé qu’il proposerait àson groupe de voter pour « dans la mesure où AlexisTsipras vote cet accord ». Mais des élus l’avaientcontredit, comme Marie-George Buffet, opposée àune « politique d’austérité appliquée de manièreautoritaire aux peuples d’Europe ».Finalement, Pierre Laurent a changé d’avis. Mercredi,dans L’Humanité, il a dénoncé « le contenu d’unaccord qui a été conçu par les dirigeants allemands entout point pour humilier le peuple grec ». À l’unisson,les députés Front de gauche (tous sont issus du PCF) sesont mis d’accord, quelques heures avant le vote, pourvoter contre. André Chassaigne s’est justifié d’avoirtourné casaque. « Mon premier réflexe, en apprenantqu'il y avait accord, que la Grèce n'allait pas êtreéjectée de l'euro et que l'asphyxie financière semblaitévitée, était de marquer ma solidarité avec AlexisTsipras, qui a eu un immense courage, beaucoupd'intelligence et de détermination », a-t-il dit à unjournaliste de l’AFP. Il explique avoir ensuite «découvert le contenu du texte, le pire jamais vu ». Àla tribune, mercredi, Chassaigne n’a pas eu de motsassez durs contre un accord « soumission, humiliation,libéralisation ». « Il s’agit de faire payer au peuplegrec le fait d’avoir osé dire “non” à l’Europe del’orthodoxie financière, “non” à l’asphyxie de leurpays », a déclaré le député communiste.

Pro-européen et fédéraliste, soutien de Syriza maisalarmé par les mesures contenues dans le plan, EELVs’est profondément divisé au moment de voter. « Onveut soutenir Tsipras, et en même temps l’accord qu’ila été contraint de signer est un mauvais accord, avaitrésumé quelques heures plus tôt la secrétaire nationaleEmmanuelle Cosse. C’est un dilemme extrêmementdifficile. Soutenir le peuple grec veut dire validerun accord qui pose des conditions jugées […]surréalistes, irréalisables. Un accord qui permet à laGrèce de récupérer 85 milliards d’euros mais avecdes réformes qui vont aggraver la situation socialede ce pays. » À l’issue d’une longue réunion entreélus et dirigeants, Cosse a donc arrêté une lignepolitique : « soutenir Tsipras, et en même tempsdénoncer cet accord. » Qui s’est en réalité traduitepar une multiplicité de votes. « Nos parlementairesvont voter soit oui, soit ne pas participer au vote »,avait-elle assuré. Raté : en plus de Noël Mamèreet d’Isabelle Attard, qui ont quitté EELV, SergioCoronado a lui aussi voté contre. Et quatre élues, dontla présidente des affaires européennes de l'Assemblée,se sont abstenues…Au vu des explications de vote et des déclarations desuns et des autres, il est parfois difficile de distinguerce qui différencie les tenants du « oui », du « non » oude l’abstention. L’ancienne ministre Aurélie Filippettiexplique ainsi avoir voté « oui » pour « manifester[…] [s]on soutien au Premier ministre grec AlexisTsipras et surtout au maintien de la Grèce dans la zoneeuro ». Tout en admettant que « cet accord est tropdur, et il ne permettra pas une solution pérenne : seulela restructuration et l’allègement de la dette grecquenous sortiront de la crise européenne ». À peu près lesmêmes arguments que Pascal Cherki, qui avait fait levoyage d’Athènes au moment du référendum et s’estabstenu, après avoir hésité à voter contre un accordqui « va aggraver la situation en Grèce ».Parmi les frondeurs et les écologistes, ceux qui ontvoté « oui » admettent tous que l’accord est mauvais.« C’est un accord incontournable, ça n'en fait pas unbon accord », assure Christian Paul, le chef de file dela motion B, pour qui « tout reste à faire », notammentsur la question de la dette. « L’ingérence imposée à

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la Grèce, au-delà même des questions budgétaires etfiscales, est intolérable », assure-t-il. « Tsipras a signécet accord, qui est préférable à la sortie de la Grèce», explique Laurent Baumel, qui a voté « oui ». «Mon “oui” n’est pas un blanc-seing à l’accord, maisun “oui” à une discussion qui va continuer car rienn’est réglé », explique Christophe Cavard, qui vient dequitter EELV, lassé des querelles internes.Dans le groupe socialiste et apparentés de l'Assemblée,aucun député n’a toutefois voté contre l’accord, àl’exception de deux des trois chevènementistes. Etun seul au Sénat, en l'occurrence, Gaëtan Gorce.Les réfractaires, qui ne sont finalement que neuf auPalais-Bourbon (c'est peu au regard de la trentaine defrondeurs), ont opté pour l’abstention – deux sénateursPS se sont abstenus.

« On ne met pas une balle dans le pied de Tsipras,parce que Tsipras n’est pas un traître comme le disentcertains, mais on n’avalise sûrement pas cet accorddésastreux obtenu au forceps par des dirigeants

européens irresponsables, explique Pouria Amirshahi,en contact régulier avec la direction athénienne deSyriza. Ceux qui ont voté pour prennent le risque denourrir le renoncement et la désespérance en Europe.»

« Je m’abstiendrai sur l’accord de Bruxelles pour quela Grèce survive à court terme. Abstention critique surpropositions indignes », a tweeté le frondeur GérardSébaoun. « Je ne veux pas ajouter ma voix ni à ceuxqui à droite vont refuser toute aide à la Grèce, commedans le Nord de l’Europe, ni à ceux qui expliquentqu’enfin Tsipras a dû se rendre compte des réalitéset qu’une seule politique est possible en Europe »,explique la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann.

Finalement, c’est sans doute l’écologiste EstherBenbassa qui résume le mieux l’équation impossibledes pro-Tsipras : « Voter contre, c'est voter contreTsipras qui s'est tant battu. Voter pour, c'est avaliserla colonisation de la Grèce. Reste l’abstention. »

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